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Full text of "Louis XIV et le Saint-Siège"

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LOUIS    XIV 


LE  SAINT-SIÈGE 


CHARLES  GERIN 


TOME  SECOND 


PARIS 
LIBRAIRIE    VICTOR   LECOFFRE 

RUE  BONAPARTE,  90 

1894 


127-3. 
V   2- 


LIVRE  PREMIER 


(Suite) 


CHAPITRE  DOUZIÈME 

VACANCE  DE  L'aMBASSADE  FRANÇAISE  A  ROME  :  L'aBBÉ  DE  BOURLEMONT. 
CHARGÉ  d'affaires.  —  GALLICANISME  ET  JANSÉNISME.  JUIN  1665 
A  JUIN  1666. 


La  faction  française  à  Rome,  après  le  départ  de  Créquy  :  le  cardinal  Aldobrandini.  —  Bourle- 
moiit  chargé  dea  afTaires  du  roi.  —  Jansénisme  :  les  deux  brefs  du  16  décembre  1664  et  li 
iMille  du  15  février  1665  sur  le  formulaire.  Obstacles  mis  par  le  gallicanisme  à  la  répression 
<lc  rh«Vésie.  Empiétements  croissants  de  la  couronne  sur  le  pouvoir  du  pape  et  des  évéques, 
même  en  matière  de  foi.  Entraves  apportées  au  ministère  des  uouces.  Défense  aux  évéquos  de 
rrcoDuaitro  aucune  bulle  que  par  ordre  du  roi.  Censure  prononcée  en  Sorbunne  contre  les 
théologiens  qui  soutiennent  l'infaillibilité  du  pape  {Amadœuê  Guimenius).  Bulle  Cum  ad  aures 
qui  condamne  cette  censure,  !>  juin  1665  :  elle  est  frappée  d'un  api)cl  comme  d'abus.  Graves 
divisions  dans  le  Parlement  comme  dans  la  Surbonue.  Réquisitoire  violent  de  l'avocat  géné- 
ral Talon:  arrêt  du  2U  juillet.  La  royauté  veut  dominer  le  saint-siège  comme  elle  domine 
déjà  en  lait  le  Parlement,  les  évéques  et  la  Sorbonue.  Modération  de  Rome  :  si  la  Sorboune 
d^tare  qu'elle  n'a  voulu  que  se  défendre  de  la  note  d'hérésie,  sans  condamner  l'opinion  con- 
traiio.  le  pape  s'en  contentera  :  elle  refuse.  Prétentions  du  roi  soutenues  a  Rome  par  l'abbé 
de  Bourlennont  et  le  cardinal  de  Retz.  En  France,  lutte  du  nonce  Roberti  contre  Lionne.  La 
cour  de  France  veut  arracher  à  Rome  une  rétractation  de  la  bulle  et  une  capitulation  entre 
le  pape  et  la  Sorbonnc.  Le  cardinal  de  Retx  a  l'audience  d'Aleiandre  VII,  âl  octobre  1665.  — 
InquiétQdcs  tardives  que  donne  aux  évéques  le  gallicanisme  parlementaire  et  royal.  Prote:«- 
latiom  et  remontrances  de  TAsecmblee  du  clergé  de  1665-1666  contre  le  réquisitoire  de  Ta- 
loo«  —  contre  l'arrêt  du  iO  juillet  ;  —  contre  les  règlements  dv%  Grands  Jours  d'Auvergne,  etc. 
Réponses  alarmantes  de  Louis  XIV.  La  couronne  prépare  déjÀ  son  entreprise  de  la  régale  , 
roofsrences  sur  ce  sujet  entre  les  députés  du  clergé  et  le  chancelier.  Le  roi  obligé  de  ralentir 
pour  un  temps  les  progrès  do  gallicanisme  ;  défense  i  la  Sorbonno  de  faire  aucun  acte  nou- 
veau contre  Rome;  défense  au  Parlement  de  donner  suite  à  l'arrêt  du  i.9  juillet.  — 
Looi.A  XIV.  dans  l'intérêt  de  .«(a  politique  extérieure,  cherche  à  dissimuler  sou  inimitié 
contre  Rome  :  aveux  qu'il  fait  dans  ses  Mémoire*.  Se  donne  comme  le  protecteur  des  États 
romains  contre  les  flottes  anglaises  :  sa  parole  démentie  par  les  documents  les  plus  authen  - 
ttqnes.  Consistoire  du  il  janvier  1666.  Efforts  du  pape  pour  que  la  guerre  des  HoUandui!» 
contre  les  Anglais  ne  s'étende  pas  à  toute  l'Europe.  —  Consistoire  du  15  février  1666  ;  pro- 
vBotioo  de  cardinaux,  qui  ne  comprend  pas  le  duc  de  Mercœur  :  irritation  de  Louis  XIV.  — 
difficultés  aoolevéet  à  Rome  par  Bourlemont  :  Searamuccio  soldato  di  Gigeri;  --  exécution 
de  l'article  de  Pise  sur  Castro;  —  avènement  de  Charles  II  rui  d'Espagne  :  investiture  de 
>aplcs.  —   I^  cour  pontificale  à  l'arrivée  du  nouvel  aml>ns>a<leui-  :  a\cux  des  agents  françai«. 

LOOUXIV  n  ut  SAIKT-t^lÈUE.  —  H.  1 


2  CHAPITRE    bOrZlÈME 

Il  avait  élé  décidé  qu'aussitôt  après  le  départ  de  Créquy 
Tabbé  de  Bourlemont  prendrait  la  direction  des  affaires  de 
France  et  correspondrait  directement  avec  le  roi  (1).  Il  était 
pourtant  nécessaire  d*avoir  auprès  du  pape  un  ministre  d'un 
rang  plus  considérable,  si  Ton  voulait  sérieusement  rétablir  des 
rapports  de  sympathie  et  confiance  avec  le  chef  de  l'Eglise  et 
la  majorité  du  sacré  collège.  Non  pas  qu'il  y  eût  à  redouter 
pour  les  intérêts  nationaux  une  influence  rivale  de  la  nôtre; 
quoique  put  dire  Louis  XIV,  Alexandre  VII  tenait  la  balance 
égale  entre  les  princes  catholiques.  Mais  il  y  avait  des  ferments 
trop  visibles  de  discordeentre  la  royauté  française  et  le  pontife 
romain.  La  première  de  ces  puissances  venait  d'attaquer 
l'autre  sur  le  domaine  temporel  :  elle  allait  soulever  un  con- 
flit plus  grave  dans  les  régions  spirituelles.  En  quel  état  le 
duc  de  Créquy  laissait-il  le  parti  de  son  maître,  à  Rome?  Pour 
une  pension  de  quinze  mille  livres^  le  cardinal  Baccio  Aldo- 
brandini  venait  de  mettre  sur  sa  porte  les  armes  de  France, 
après  avoir  informé  lui-même  le  souverain  pontife  qu'il  en- 
trait dans  la  faction  du  roi,  et  Louis  XIV  avait  assuré  ce  pré- 
lat qu'il  ne  lui  demanderait  jamais  rien  de  contraire  aux  inté- 
rêts du  saint-siège,  et  qu'il  aurait  toujours  une  entière  confiance 
en  lui  (2).  Lionne  ne  dissimulait  pas  les  dangers  de  pareils 
traités.  Il  ne  voulait  pas  qu'on  prit  le  roi  au  mot  et  il  écrivait 
à  Créquy  (3)  :  «  Si  le  cardinal  Aldobrandini  accepte...  et  que 
l'affaire  du  cardinal  Ursin  s^accommode,  je  vois  que  notre 
faction  sera  plus  forte  dans  le  prochain  conclave  qu'elle  ne  Ta 
été  de  longtemps,  et  particulièrement  si  M.  de  Mercœur  se 
trouve  alors  cardinal,  auquel  casnousyenaurons  neuf  (4);  mais 
la  question  est  que  chacun  d'eux  veuille  servir  fidèlement  le 
roi.  A  dire  vrai,  je  ne  l'espère  pas  beaucoup;  car,  quand  ils 
sont  une  fois  enfermés,  comme  les  négociations  sont  secrètes^ 
et  qu'ils  ont  le  prétexte  de  la  cotisctence^  qu'ils  croient  encore 

(1)  Lionne  à  Bourlemont,  17  avril  1665.  Home^  168. 

(2)  Créquy  k  Lionne,  8  juillet  1664.  Rome^  160.  —  5  septembre.  Home,  161. 
^  Le  roi  au  cardinal  Aldobrandini,  5  décembre.  Romet  162. 

(3)  24  octobre  1664.  Rome,  161. 

(4)  Antoine  Barberini,  d'Ette,  Maidalchinii  Mancini,  Ret2i  Grinialdi,  Ordiiio, 
Aldobrandini  et  Mercopur. 


GALLICANISME  ET  JANSÉMS.MË  3 

ne  pouvoir  jamais  manquer  d'autres  excuses  et  rejeter  la  faute 
sur  leurs  envieux,  chacun  en  son  particulier  a  son  pape  en 
tète  et  y  dirige  toute  sa  conduite.  J'en  parle  comme  savant, 
pour  l'avoir  éprouvé  moi-même  au  dernier  conclave,  où,  entre 
autre  choses,  yc  ne  pus  jamais  obliger  le  cardinal  Ursin  à  me 
donner  un  contreseing  pour  m'assurer  qu'il  donnait  son  vœu 
àSacchetti,  et  il  est  certain  qu'il  ne  le  lui  donnait  jamais  parce 
que  le  grand  duc,  à  qui  il  est  dévoué  quasi  plus  qu'il  ne  Test 
à  soi-même,  lui  faisait   l'exclusion...    »  Aldobrandini  était 
mort  presque  aussitôt  et  n'avait  pas  été  remplacé  dans  le 
parti.  Les  intérêts  de  l'Eglise  de  France  n'avaient  donc  pour 
défenseurs  spéciaux  que  des  Italiens  choisis  par  le  roi  :  Man- 
dai, sans  crédit  ni  talent,  Antoine  Barberini,  aussi  suspect  à 
Saint-Germain  qu'à  Rome;  Grimaldi,  qui  ne  se  mêlait  plus 
dmlrigues,  et  s'occupait  uniquement  de  son  diocèse;  Maidal- 
chini,  qui  continuait  sa  vie  désordonnée  ;  Orsino,  méprisé  par- 
tout et  que  Ton  s'aliénait  maladroitement^  en  lui  restituant 
sa  pension  sans  lui  rendre  la  comprotectioii  de  France  ;  d'Esté, 
que  sa  conduite  pendant  le  démêlé  des  Corses  avait  achevé 
déminer  dans  l'opinion  publique,  et  un  seul  Français,  Relz, 
qui  n'avait  plus  d'évêché!  Lionne  était  trop  habile  pour  ne  pas 
sentir  qu'il  eût  été  préférable  de  concilier  au  roi  le  sacré  col- 
lège par  de  bienveillants  procédés.  On  a  remarqué  le  change- 
ment de  son  attitude  envers  le  cardinal  Impériale,  qu'il  avait 
longtemps  méconnu;  mais,  malgré  les  ordres  répétés  du  roi, 
Créquy  n'avait  rien  fait  pour  regagner  l'amitié  de  ce  prélat, 
dont  on  disait,  à  Farnëse  même,  qu'il  était  revenu  de  Fontai- 
nebleau «  avec  un  cœur  tout  français  (1).  »  Les  indépendants 
avaient  appris  avec  joie  les  sympathies  conquises  en  France 
par  leur  collègue  (2).  Un  autre  membre  de  l'Escadron,  le  cardi- 
nal Azzolino,  désirait  vivement,  avec  la  majorité  du  collège, 

(1)  La  Baissiëre  à  LioDoe,  22  décembre  1G64.  Home,  1G2.  —  »  Je  crois  que 
M.  l'ambassadeur  est  fâché  de  n'avoir  pas  fait  amitié  avec  le  cardinal  Impériale, 
lequel  est  assurément  fort  galant  homme  et  une  des  plus  fortes  têtes  de  tout 
le  collège,  et  il  est  certain  que  M.  l'ambassadeur  a  été  fort  mal  conseillé 
d'avoir  voulu  prendre  la  voie  du  cardinal  Pallavicino  pour  l'accommodement 
da  cardinal  Azzolino.  II  n'y  a  que  ledit  Impériale  qui  puisse  faire  cela.  »  (Le 
même  au  même,  24  mars  1665.  Rome^  168.) 

(2)  Créquy  au  roi,  16  septembre  1664.  Romet  161. 


4  GHAPITBE   DOCZIÈMK 

qu'une  meilleure  intelligence  régnât  entre  Louis  XIY  et 
Alexandre  Vil:  louten  lui  gardantrancunedesafidélité  an  pape, 
le  roi  chercha  il  à  renouer  des  rapports  avec  ce  cardinal  et,  pour 
employer  le  slyle  exigé  par  la  dignité  royale,  à  lui  »  rendre  ses 
bonnes  grâces,  »  lorsque  Créquy  lui  fit  l'alTront  public  que  nous 
avons  raconté.  Les  premiers  ordrcsdonnésà  Bourlemonl  furent 
de  procurer  raccommodement  avec  la  reine  de  Suède  et  le  cardi- 
nal Azzolino,  et  de  se  concerter,  dans  cette  vue  avec  le  cardinal 
Impériale  (1).  Des  ouvertures  de  paix,  faites  avec  sincérité, 
avec  un  juste  respect  des  droits  du  saint-siège,  auraient  été 
accueillies  avec  gratitude  par  tous  les  Romains,  et  l'observa- 
tion suivante  que  Tinlelligent  la  Buissière  adressait  à  Lionne, 
contenait,  sous  une  forme  exagérée,  une  grande  part  de  vérité  : 
«  Si  le  premier  ambassadeur  que  le  roi  enverra  ici  avait  les 
qualités  de  M.  le  maréchal  de  Gramoni  (2) et  qu'il  eut  des  secré- 
taires sages,  fidèles  et  gens  d'affaires.  Ton  ferait,  malgré 
l'Espagnol  et  toute  sa  faction,  un  pape  français;  car  les  esprits 
sont  si  fort  disposés  à  prendre  notre  parli,  qu'il  ne  faudrait 
plus  qu  tm  peu  de  douceur  et  de  courtoisie  pour  avoir  tout  le 
monde,  à  l'exemple  du  cardinal  Aldobrandini  (3). 

Malheureusement  les  pensées  de  justice  et  d'union  ne  firent 
que  traverser  l'esprit  de  Lionne  et  du  roi  :  leur  politique  de 
défiance  et  d'antagonisme  reprit  son  cours,  et  ils  avaient,  en 
Bourlemonl,  un  auxiliaire  trop  bien  disposé  à  les  seconder. 
Nous  apprenons  cependant  de  cet  abbé  lui-même  que,  lorsqu'il 
sollicita  sa  première  audience,  en  vertu  de  ses  nouveaux  pou- 
voirs, elle  lui  tut  accordée  avec  empressement  et  qu'Alexan- 
dre VII  Taccueillil,  comme  si  la  personne  du  négociateur  de 
Pise  lui  fût  devenue  agréable  (4).  L'ambassadeur  lui  avait 
laissé  un  mémoire  des  afTairespendantes  entre  les  deux  cours. 

(1)  Lionue  à  Bouricmout,  17  avril  el  12  juin  1665.  Homey  168  et  169. 

(2)  Ce  jugemcut  sur  le  maréchal  de  Gramoot  rappellera  certaiuemeut  au 
lecteur  les  couversutious  de  ce  maréchal  avec  Lionne,  racontées  par  Tonti. 
Mais  la  cour  ne  pensait  pas  à  un  si  bou  choix.  Nous  savons  par  le  cardinal 
de  Hclz  et  par  la  Buisflière  qu'elle  avait  jeté  les  yeux  sur  le  duc  de  Vitry  : 
<•  Ou  dit  qu'il  a  beaucoup  d'esprit,  mais  qu'il  est  fort  débauché  et  qu'it  n'est 
pas  propre  pour  ce  païf s.  >*  (La  Buif^sière  à  Lionne,  7  avril  1G65.  Rome^  108.) 

('))  A  Lionne,  11  novembre  1664.  Home^  162. 
(4)  8  et  9  juin  1665.  Home,  16U. 


rwALLtCAMSMB  ET  JANSÉNISME  .*) 

C'étaient  :  les  induits  des  nouvelles  conquêtes,  dont  une  par- 
tie était  déjà  obtenue,  mais  dont  Tavidité  royale  ne  se  con- 
tentait pas  encore  (1  );  la  suppression  des  rfw^  corons;  les  bulles 
de  Reims  pour  le  cardinal  Antoine;  de  Gluni  pour  le  cardinal 
d'Esté;   d'Orange  pour  Fabri  ;  d'Aumale  pour  Bencdelti,  etc. 
Le  pape  persistait  à  refuser  ces  dérogations  aux  lois  canoni- 
ques et  aux  prérogatives  du  saint-siège,  et  il  attendait  qu*on 
témoignât  une  sincère  résolution  de  ne  pas  faire  tourner  au 
désavantage  de  l'Église  les  grâces  qu'on  lui  demandait.  Mais 
dès  qu'une  requête  royale  regardait  les  intérêts  de  la  foi  en 
France,  le  souverain  pontife  l'accueillait  favorablement  et 
sans  délai  (2).  Ainsi,  les  évéques  français  reconnurent,  à  la 
fin  de  Tannée  1664,  qu'ils  ne  triompheraient  jamais  du  jansé- 
nisme sans  une  nouvelle  intervention  du  saint-siège.  Jus- 
qu*alors  ils  communiquaient  avec  le  pape  soit  directement^ 
soit  par  l'entremise  du  roi;  mais  peu  à  peu  Louis  XIV  éleva 
au  rang  des  maximes  d'État  la  défense  d'aller  ou  même  d'é- 
crire k  Rome  sans  sa  permission,  qui  fut  très  rarement  accor- 
dée. Les  jansénistes  qui  refusaient  de  signer  le  formulaire  ne 
donnaient  pas  tous  la  même  raison  :  les  évêques  s'en  défen- 
daient parce  qu'il  émanait  d'autres  évêques  dont  le  pouvoir 
ne  s'étendait  pas  au  delà  de  leurs  propres  diocèses;  les  autres 
disaient  que  le  saint-siège  n'en  avait  pas  ordonné  la  signature 
«  clairement  ni  expressément  »  :  en  conséquence  Créquy  avait 
demandé  au  pape  soit  d'approuver  le  formulaire  des  prélats 
français,  soit  d'en  décréter  un  autre,  dont  l'autorité  royale 
procurerait  la  souscription  (3).  Dès   le  16  décembre  1664, 
Alexandre  VII  écrivit  deux  brefs  :  l'un  aux  évêques  de  France 
po'ur  leur  ordonner  de  signer  et  défaire  signer  un  formulaire 

(\)  Ainsi,  Louis  XIV  fut  fort  mécontent  que  l'induit  des  Trois-Évôchés  ne  lui 
(JoonÀt  pas  la  uominatioD  aux  abbayes  :  il  était  prêt  à  le  refuser.  En  remer- 
ciant le  pape,  il  lui  dit  qu'il  voulait  bien  attribuer  l'omission  des  abbayes  à  un 
oubli  du  rédacteur  de  l'induit!  (Le  roi  an  pape,  31  décembre  1664.  Rome,  162.) 

(2)  c  Le  P.  Annat  a  assuré  Sa  Majesté  que  le  pape  est  déjà  disposé  à  faire  ce 
qu'elle  tous  donne  ordre  de  lui  demander,  dès  que  vous  lui  en  ferez  l'instance 
eo  son  nom.  Ainsi,  tous  ne  devez  pas  craindre  les  mêmes  difficultés  et  lon- 
gueurs que  vous  éprouvez  en  toule  autre  matière,  d'autant  plus  que  votre 
cour  y  a  plus  d Intérêt  que  nous.  »  (Lionne  à  Créquy,  14  novembre  1664. 
Rome,  162.) 

(3)  21  novembre  166 i.  Rome,  162. 


6  CHAPITRR   DOUZIÈME 

rédigé  à  Rome;  Tautre  à  Louis  XIV,  pour  l'avertir  de  sa  dé- 
cision. Mais  le  gallicanisme,  que  ce  pape  appelait  si  justement 
le  complice  de  l'hérésie  (1),  veillait  sans  relâche  pour  parer 
tous  les  coups  portés  au  jansénisme;  et  les  prétentions  de  la 
couronne  obtinrent  déjà  de  Tarchevêque  de  Paris,  Hardouin  de 
Péréfixe,  et  du  P.  Annat,  confesseur  du  roi,  Tapprobation  et 
Tappui  que  leur  donnèrent  ensuite  plus  ouvertement  le  P.  de  la 
('haize  etTarchevêqueBarlay  de  Champvallon  :  «  Sa  Majesté 
fit  examiner  le  premier  bref  par  Tarchevêque  de  Paris  et  le 
P.  Annat,  qui,  après  plusieurs  négociations  avec  le  nonce,  ju- 
gèrent à  propos  do  demander  à  Sa  Sainteté  qu'il  lui  plût,  en 
premier  lieu,  rédiger  ce  qui  était  contenu  dans  ce  bref  en 
forme  de  constitution  ou  bulle  sous  le  plomb,  afijiqiion  la  fit 
enreghtrer  ddJis  les  parlements;  en  second  lieu,  spécifier  un 
temps  de  trois  mois  depuis  la  notification  de  la  bulle,  dans  le- 
quel les  archevêques  et  éveques  fussent  tenus  de  la  signer.  Sa 
Majesté  se  chargeant  de  faire  faire  cette  notification  par  les 
agents  du  clergé,  pour  éviter  que  le  nonce  neùt  quelque  emploi 
en  France  qui  emporlôt  juridiction,  et  enfin  n'y  point  mettre 
cette  menace  d'interdiction,  de  peur  que  lesévêques  de  France 
ne  se  formalisassent  que  l'on  punît  ainsi  leurs  confrères  sans 
forme  de  procès.  Le  roi  ordonna  au  duc  de  Créquy  de  solliciter 
cette  bulle  (2).  »  On  voit  ici  prendre  corps  cette  doctrine  fu- 
neste, qui  réduisfiitle  saint-siège  aune  juridiction  abstraite  et 
transférait  à  la  couronne  la  suprématie  réelle  et  etTeclive.  Le 
nonce  ne  devait  plus  être  que  l'agent  d'un  souverain  temporel 
et  non  le  ministre  du  pontife  romain  (3).  Celui-ci  n'avait  plus 
le  droit  de  communiquer  directement  par  les  voies  canoniques 

(1)  tf  Ha  sempre  stimato  le  immuuità  délia  chiesa  galllcana  compagne  lielf 
heresia...  »  (Relazioiie  de  Basadonna,  1664  —  lie/nzioni,  t.  II,  p.  273.) 

(2)  «  Hiatoire  des  négocialiods  des  ministres  du  roi  à  la  cour  de  Rome  de- 
puis l'année  1601  jusqu'à  [>r.*8ent...  (1691)...  composé^^  sous  les  ordres  de 
Mgr  d»;  Croissy,  luinistre  et  sécrétHire  d'État,  sur  les  registres  de  la  secrétai- 
nTÎe  d'État,  •>  par  M.  de  Saint-Prêt,  garde  du  dépôt  des  Archivés  (6  volumes 
manuscrits,  rangés  t»ous  les  numéros  21  à  29  du  fonds  Romef  Papiers  etdocu. 
wic.7i's).  Nous  citerons  souvent  cette  analyse  exacte  des  correspondances  con- 
s  Tvées  aux  Archives  du  miuistêrc  des  Affaires  étrangères.  —  Lionne  à  Cré- 
quy, 2.")  janvier  1663.  Home,  lO.'i. 

(3)  «  Lui  qui  n'est  qu'auihassadeur  du  pnpe,  comme  prince  temporel,  auprès 
du  roi.  »  (Riîquisitoire  de  Denis  Talon,  le  6  mai  1663.  Arch.  nat.,  X^*  8394.) 


GALLICANISME  ET  JANSÉNISME  7 

avec  les  évoques  de  France,  même  en  matière  purement  spiri- 
tuelle. On  exigeait  de  lui  des  bulles  qui  ne  devenaient  obliga- 
toires pour  les  Français  que  si  elles  obtenaient  le  visa  du  roi 
et  des  tribunaux  séculiers.  Alexandre  VU,  plein  de  condes- 
cendance, envoya,  le  18  février  166S,  une  constitution  datée 
du  15,  que  le  roi  fit  enregistrer  en  lit  de  justice,  le  29  avril 
suivant;  mais  une  allocution  du  premier  président  Lamoignon 
et  un  réquisitoire  de  Tavocat  général  Talon  révélèrent  les 
nouveaux  dangers  qui  menaçaient  Tautorité  pontificale,  et  qui 
allaient  rendre  à  peu  près  stériles  ses  derniers  efforts  contre 
le  jansénisme  (1).  Le  nonce  Roberti  avait  fait  imprimer  et 
publier  en  France  la  nouvelle  constitution  et  Tavait  «  sous- 
crite comme  par  collation  »,  dit  Lionne  (2),  en  qualité  de  mi- 
nistre du  pape  «  ad  christianissimum  Francoriim  regem  et 
Galliariim  régna.  »  Aussitôt  «  le  procureur  général,  étant 
entré  au  Parlement,  représenta  que  le  nonce  ne  pouvait  faire 
expédier  en  France  aucun  acte  authentique  de  cette  nature; 
que  la  bulle  ne  pouvait  jamais  paraître  sans  la  déclaration  du 
roi^  qui  lui  donnait  toute  sa  force;  qu'il  avait  omis  la  qualité 
ieroide  Navarre  et  qu'il  avait  ajouté  et  Galliarum  régna, 
comme  si  nous  étions  en  Pologne  et  qu'il  eût  dit  le  roi  et  la 
république.  La  cour,  par  son  arrêt  du  6  mai  (3),  ordonna  la  sup- 
pression de  cet  imprimé  et  le  châtiment  de  Timprimeur.  Le 
nonce  n'ayant  pas  laissé  d'envoyer  cette  bulle,  en  cet  état^  aux 
archevêques  et  évoques  du  royaume,  le  Parlement  donna^  le 


(i;  Le  premier  président,  après  avoir  reconnu,  en  termes  équivoqaes,  «  que 

la  bulle  élaU  devenue  légitime  parce  qu'elle  était  nécessaire  »,  ajouta  que  le 

Parlement  «  saurait,  sous  V autorité  df  S.  Af.,  en  empêcher  les  conséquences  et 

conserver  les  droits  et  libertés  de  VÉglise  gallicane,  »  Talon  qualifia  le  jansé- 

ui^me  d'hérésie;  mais  «  mais  il  parla  en  môme  temps  contre  les  entreprises 

de  la  cour  de  Rome,  contre  les  privilèges  des  religieux,  contre  les  vœux  qui 

'te  faisaient  devant  vingt-cinq  ans...  Cliacun parut  être  fort  mal  satisfait  de  ce 

discours.  Plusieurs  murmuraient  contre,  et  l'on  fit  paraître  de  l'impatience 

qu'il  finit.  Enfin,  il  scandalisa  toute  l'assemblée,  n'ayant  rien  dit  du  sujet, 

beaucoup  de  choses  éloignées  et  offensantes  contre  le  pape  et  tous  les  ordres 

du  royaume.  »  En  sortant  du  Parlement,  le  roi  «  alla  dîner  à  Versailles,  où 

S3  maîtresse  se  devait  rendre  de  Saiut-Germaiu.  »  (Olivier  d'Qrmesson,  Journal^ 

t.  11,  p.  348-3o2.) 

(2)  A  Bourlemont,  5  mai. 

(3)  Arcb.  nat..  X«*  8394. 


8  CHAPITRE   DOUZIÈME 

23  juin  (1),  un  second  arrêt  par  lequel,  entre  autres  choses, 
il  fit  défeme  «  aux  archevêques  et  évêques  de  recevoir  aucunes 
huiles  que  par  les  ordres  du  roi  (2).  » 

La  suprématie  papale  ne  fut  pas  contestée  seulement  par 
des  magistrats  séculiers,  tjn  corps  ecclésiastique,  laSorbonne, 
où  par  les  intrigues  des  jansénistes  et  par  Tintluence  des  mi- 
nistres du  roi,  les  malintentionnés  devenaient  plus  nombreux 
et  plus  hardis  (3),  avait,  en  condamnant  justement  certaines  pro- 
positions morales  de  VAmadœus  Guimenius^  censuré,  au  mois 
de  février  1665,  les  théologiens  qui  professent  Tinfaillibilité  du 
pontife  romain  (4).  Si  le  pape  n*est  pas  infaillible,  les  novateurs 
n'étaient  pas  plus  obligés  d'obéir  à  la  bulle  du  15  février  1665 
qu'aux  précédentes.  Aussi,  dès  que  cette  décision  fut  connue 
à  Rome,  Alexandre  VU  s*en  plaignit  au  roi  (5),  qui  avait  déjà 

(1)  «  11  y  a  depuis  deux  jours  ua  nouvel  arrêt  du  Parlement  contre  M.  le 
nonce,  qui  ne  s'esl  pas  corrigé  sur  le  premier^  ayant  fait  une  entreprise  nou- 
velle de  faire  imprimer  une  seconde  fois  la  bulle  du  pape  sans  la  déclaration 
du  roi  quelle  doit  accompagner,  et  de  Tattester  avec  la  qualité  qu'il  prend 
de  Nuntius  aposfoHcus  ad  chrislianissimum  Francorum  regem,  sans  parler  de 
la  Navarre,  et  per  Francise  régna  ;...  et,  qui  pis  est,  de  l'avoir  adressée  de 
HOU  autorité  particulière  à  MM.  nos  prélats  contre  Tusage  et  contre  Tinten- 
tion  du  roi  que  je  lui  avais  plusieurs  fois  signifiée  avant  qu'il  s'embarquât  à 
faire  de  nouvenu  ce  méchant  pas.  »  (Lionne  à  Bourlemont,  3  juillet  1665. 
Rome,  no.) 

(2)  Arcb.  nat.,  X'^  8394.  —  «  Vous  avez  fort  bien  répondu  à  ceux  qui  trou- 
vaient a  redire  que  mon  Parlement  eût  défendu  aux  archevêques  et  évêques 
de  mon  royaume  de  l'ecevoir  aucune  bulle  que  par  mes  ordres^  et  il  est  certain 
que  la  plupart  des  fautes  que  fait  la  cour  de  Home  vient  du  princifje  de 
r ignorance  de  nos  maximes  et  des  mœurs  de  cet  État.  »  (Le  roi  à  Bourlemont, 
28  août  1665.  Rome,  170.) 

(3j  Louis  XVl  mettait  dès  lors  au  service  des  rébellions  gallicanes  toutes 
les  forces  de  la  puis^sance  civile  qui,  suivant  la  constitution  fondamentale  des 
pays  chrétiens,  devait  seulement  protéger  les  libertés  ecclésiastiques,  il  faus- 
sait ainsi  tous  les  ressorts  de  l'État  et  préparait  la  destruction  commune  de 
TEglise  et  de  la  monarchie  en  France  :  «  On  prend  de  delà,  écrivait  Lionne, 
une  mauvaise  voie  de  réduire  la  Sorbonne  à  leurs  volontés,  et  elle  ne  fera 
qu'aigrir  davantage  les  choses.  Quand  les  docteurs  de  la  Faculté  demanderont 
des  grâces  au  pape,  il  est  toujours  libre  à  S.  S.  de  les  accorder  ou  refuser, 
aussi  bien  qu'à  tous  autres  ;  mais,  à  Cégard  des  bénéfices,  le  nihil  transeal 
mis  en  daterie  tiendra  lieu  ici  de  provisions  et  de  bulles  et  ils  en  épargneront 
le8fk*ais.  >'  (A  Bourlemout,  5  mai  1665.  Rome,  169.)  —  C'est  tout  simplement  la 
soustraction  du  patrimoine  ecclésiastique  à  l'autorité  de  l'Église,  en  atten- 
dant la  sécularisation,  pois  la  confiscation  définitive. 

(i)  Conclusions  de  la  Faculté  de  théologie.  Arch.  nat.,  MM  253,  fol.  71. 

(5   u  ...  Nuntius  apostolicus,  nomiue  nostro,  referet  Majestati  Tuœ  quam 


GALLICANISME  ET  JANSÉNISME  9 

imposé  la  Déclaration  de  1663   à  la  Faculté  de  théologie. 
Lionne  écrivit  à  Bourlemont  :  «  Le  nonce  se  donne  bien  ici 
de  la  peine  inutilement  et  hors  de  toute  raison  sur  une  censure 
qu*a  faite  la  Sorbonne  d'une  opinion  qui  déclarait  hérétiques 
ceux  qui  ne  suivent  pas  Tinfaillibilité  du  pape.  Si  on  vous  parle 
de  delà^  soutenez  fortement  ce  qu'a  fait  la  Faculté  de  Paris  en 
demandant  à  ceux  qui  vous  en  parleront  si  elle  pouvait,  pour 
le  caprice  du  nonce^  abandonner  Topinion  de  tout  ce  royaume 
et  même  se  laisser  déclarer  hérétique  sans  dire  mot.  Car  la 
proposition  était  :  Ad  fîdem  perlinet  credere  papalem  infal- 
libilitatem  tam  in  rébus  (idei  quam  circa  bonos  mores,  quia 
Ecclesia  errare  non  potest,  ergo  nec  ejus  caput  ;  et  la  Sorbonne 
a  dit  simplement  :  Doctrina  his  proposilionibus  contenta  et 
illala  est  falsa,  temeraria,  libertatibus  Ecclesiœ  gallicanœ  con- 
traria et  doctoribus  orthodoxis  contumeliosa  (4).  »  Le  ministre 
eut  ordre  de  faire  à  Roberti  la  déclaration  suivante  (2)  :  «  Le  roi 
ayant  fait  examiner  les  censures  faites  par  la  Faculté  de  théo- 
logie de  Paris,  qui  ont  donné  lieu  au  bref  que  notre  saint  père  le 
pape  a  écrit  à  Sa  Majesté  en  date  du  6  avril  dernier,  par  ceux  de 
ses  principaux  officiers  en  qui  elle  a  le  plus  de  confiance  sur 
semblables  matières,  ils  ont  tous  unanimement  représenté  à  Sa 
Majesté  que  la  Faculté  n*a  rien  fait  de  nouveau  en  cette  affaire 
et  qui  ne  soit  entièrement  conforme  à  ce  qui  a  toujours  été 
pratiqué  en  ce  royaume,  et  qu'ainsi  Sa  Majesté  ne  doit  y  ap- 
porter par  son  autorité  aucune  altération.  »  Le  lendemain, 
Louis  XIV  répondit  sèchement  au  pape  :  «  Très  saint  père, 
nous  avons  reçu  le  bref  que  Votre  Sainteté  nous  a  écrit  au 
sujet  de  certaines  censures  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  ; 
et.  comme  nous  avons  fait  savoir  au  sieur  archevêque  de 


^Ti  sensu  doloris  ex  censuris  theologorum  Sorbonae  pontificius  animus  af- 
ficUtur,  omoique  studio  quantum  maxime  poterit  a  te  petet  ut  atictoritate  re- 
f[ïh  pnesto  esse  velis,  qao  illas  omoioo  revoceotur.  Quod  profecto  speramus 
de  siogulari  pietate  tuà  qus  propositioues  apostolicie  sedi  tam  aJversas  et 
injariosas  in  regno  et  academift  suft  tolerare  nou  poterit;  curaque  prœsertim 
îD  repnmendà  jansenistarum  bœresi  tam  enituerit,  noiet  eam  omncm  gloriam 
et  labores  tantos  irritos  cadere  et  Tel  ipso  tempore  quo  pestiferi  errores 
eonfodinotur,  etc.  <»  (6  avril  1665.  Rome^  163.) 

(i)  26  mai  1665.  Rome,  169. 

(2)  •  Ce  que  J*ai  dit  au  nonce  de  la  part  du  roi.  »  (28  mai  1665.  Rome,  169. 


10  CHAPITRE   DOUZIÈME 

Tarse,  nonce  de  Voire  Sainteté,  les  raisons  qui  nous  ont  ôté 
le  moyen,  en  ce  rencontre,  de  pouvoir  complaire  à  Votre  Sain- 
teté, comme  nous  avons  un  très  grand  désir  de  le  faire  en 
toutes  occurrences,  nous  nous  remettons  au  compte  que  ledit 
sieur  nonce  lui  en  rendra.  Nous  la  supplions  cependant  d'être 
bien  persuadée  qu'il  ne  se  peut  rien  ajouter  à  la  dévotion  et 
vénération  que  nous  avons,  comme  fils  aîné  deTÉglise,  envers 
le  saint-siège  apostolique  et  la  personne  sacrée  de  Votre  Béa- 
titude, et  que  nous  souhaitons  avec  passion  d'avoir  de  plus  en 
plus  de  fréquentes  occasions  de  lui  donner  des  preuves  effec- 
tives cl  considérables  de  cette  vérité;  après  quoi,  il  ne  nous 
reste  qu'à  porter  nos  vœux  à  la  bonté  divine  à  ce  qu'il  lui  plaise 
conserver  longues  années  Votre  Sainteté  pour  le  bon  régime 
de  notre  mère  sainte  Eglise  (1).  » 

Cette  lollre  était  suivie  de  près  par  un  avis  menaçant  que 
le  cardinal  Albizzi  était  chargé  de  faire  parvenir  jusqu^au  sou- 
verain pontife.  Lionne  écrivit  à  Bourlemont  :  «  Sa  Majesté 
désire  que  vous  témoigniez  de  sa  part  à  M.  le  cardinal  Albizzi 
qu'elle  est  surprise  d'apprendre  par  toutes  les  lettres  de  Rome 
que  Son  Éminence  est  le  plus  échauffé  de  tous  MM.  les  cardi- 
naux à  épouser  les  passions  des  Jésuites  contre  la  Sorbonne, 
ayant  de  continuelles  conférences  là-dessus  avec  le  P.  Fabri(2). 
Vous  pourrez  y  ajouter  comme  de  vous  que  Ton  ne  connaît 
pas  bien  à  Rome  nos  usages  et  nos  anciennes  maximes  ;  que 
le  pas  qiiils  seinblent  vouloir  faire  est  bien  délicat;  que  Son 
Éminence  pourrait  s'y  abuser  parce  quïl  pourra  produire  de 
très  grands  iyiconvénieyits  par  les  suites,  étaiit  indubitable  que 
les  Parleme7its,  qui  embrasseront  la  cause  de  la  Sorbonne,  ne 
demeureront  pas  sans  parer  et  sans  riposter  (3).  >» 

Ainsi  se  préparait  un  conflit  bien  plus  grave  que  tous  les 

(1)  29  mai  1665.  Borne,  169. 

(2)  Le  cardiual  Albizzi  est  très  aDÎuié  contre  la  SorboDue,  et  fort  radouci 
sur  le  gouveruemeut  de  ce  pape.  On  dirait  que,  depuis  la  mort  de  son  fils,  il 
pense  au  pontificat.  (Hourlemont  à  Lionne,  30  juin  1665.  Rofne^  169.)  —  Nous 
avons  dit  plus  haut  qu'il  avait  été  marié  avant  d'entrer  dans  les  ordres.  — 
«  Ce  cardinal  veut  tenir  autant  qu'il  peut  de  tous  les  côtés,  et  en  môme  temps 
il  a  intelligence  en  France,  en  Allemagne,  en  Espagne,  en  Portugal  et  eo  di- 
verses parties  de  l'Italie.  *  (Bourlemout  au  roi,  14  JuUlet  1663.  Rome,  170.) 

(3)  19  Juin  1665.  Borne,  169. 


GÂLIiCANISMlS  ET  JANSÉNISME  1 1 

précédents,  puisqu'il  mettait  en  question  l'autorité  même  qui 
a  le  droit  de  constater  l'hérésie  et  de  la  condamner.  S'il  était 
odieux  de  réclamer  pour  la  France  le  privilège  de  créer  des 
dogmes  particuliers,  il  était  absurde  qu'un  simple  corps  de 
théologiens,  comme  la  Sorbonne,  qui  devait  son  existence  aux 
pontifes  romains  et  qu'un  mot  de  leur  bouche  pouvait  anéantir, 
s'arrogeât  le  droit  de  déKnir  leurs  pouvoirs.  Qu'elle  donnât  des 
consultations  sur  des  thèses  de  doctrine  et  de  morale,  c'était 
sa  destination,  qu'elle  n'a  pas  toujours  remplie  à  son  honneur: 
mais  il  était  intolérable  qu'elle  prétendît  régler  les  attributions 
du  vicaire  de  Jésus-Christ.  Aussi  Alexandre  laissa-t-il  voir  sa 
douleur  à  Bourlemont  :  11  exprime,  dit  Tabbé,  la  crainte  que 
SaMajesté  ne  soit  entourée  de  mauvais  conseillers,  jansénistes 
et  peu  affectionnés  au  saint-siège.  Il  me  charge  «  de  représen- 
ter le  plus  efficacement  que  je  pourrais  au  roi  que  le  plus  grand 
office  que  Sa  Majesté  lui  pouvait  faire  et  la  chose  qu'il  estime- 
rail  plus  que  la  vie  serait  de  faire  révoquer  la  censure  de  la 
Sorbonne,...  cette  mauvaise  doctrine  ?ie  tendant  quà  le  faire 
passer  en  France  comme  s'il  n  était  qiCévêque  de  Rome,  et  rui- 
nant la  hiérarchie  ecclésiastique  [{),  Le  cardinal  Chigi  m'a 
répété  «  qu'il  n'y  a  rien  qui  soit  tant  à  cœur  au  pape  que  cela, 
y  allant  de  sa  dignité  et  de  son  pouvoir,  lequel  étant  remis  en 
doute  par  la  faillibilité,  Votre  Majesté  en  recevrait  du  préjudice 
dedans  les  pieux  desseins  qu'elle  a  si  chrétiennement  entrepris 
d'extirper  le  jansénisme  de  ses  États,  vu  que  les  bulles  et  cons- 
titutiom  que  ton  a  faites  contre  eux  à  F  instance  de  Votre  Ma- 
jesté seraient  de  nul  effet  (2).  » 

C'est  précisément  sur  ces  entrefaites  que  la  cour  pontificale 
vil  reparaître  un  personnage,  qui  n'avait  jamais  été  mêlé  qu'à 
des  événements  désastreux  pour  l'Église  comme  pour  l'État. 
Lorsque  le  cardinal  de  Retz  avait  fait  sa  soumission,  au  com- 
mencement de  1662,  le  roi  lui  avait  signifié  qu'il  résiderait  à 
Rome;  mais  ce  traité  n'était  exécutoire  qu'après  l'installation 
d'un  nouvel  archevêque.  L'affaire  des  Corses  ayant  retardé 

(0  Bourlemont  a  Lionne,  9  juin  1663.  Rome,  161). 

(2)  Bourlemont  au  roi,  16  juin  1665.  Rome^  16'J.  —  Alexandre  Vil  prophéU- 
sait  l'histoire  du  jansénisme  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  et  peudaut 
tout  le  xviiJ*  siècle. 


12  •II\PITRC    DOrZIÈVE 

l'expédition  des  bulles  de  M.  de  Péréfise.  le  cardinal  n'avait 
é^ié  admi»  devant  le  roi  qu'après  la  paix  de  Pise.  Le  procès  de 
Foiicquet,  qui  allait  venir  à  l'audience  et  qui  se  termina  seule- 
ment le  20  décembre  1661.  réveillait  trop  de  souvenirs  de  la 
Fronde   pour  que  Retz  fût  autorisé  à  quitter  sa  retraite  de 
Commercy.  Quelques  mois  plus  tard,  il  lui  fut  brusquemment 
enjoint  de  se  rendre  à  Rome,  sans  titre  nouveau,  sans  pouvoirs, 
sans  instructions,  sans  lettres  de  créance,  sans  chiffre.  Et, 
pour  que  personne  ne  crût  à  un  retour  de  faveur,  Louis  XIV, 
qu'il  vit  en  passant,  lui  fit  un  accueil  sévère;  les  ministres 
(^olbert  et  le  Tellier  le  traitèrent  sans  respect  ni  politesse,  et 
on  ne  lui  dit  pas  un  mot  des  affaires  pendantes  à  Rome  (1).  Le 
26  mai,  Lionne,   transmettant  à  Bourlemont  Tordre  d'écrire 
directement  au  roi.  qui  lui  répondrait  en  personne,  lui  annonçait 
le  prochain  départ  de  Retz,  qui  «  n'était  chargé  d'aucune  af- 
faire du  roi  et  ferait  seulement  les  fonctions  de  cardinal  na- 
tional (2;  »;  ce  qui  était  le  soumettre  à  l'abbé,  pour  tout  ce 
qui  concernait  le  service  du  roi.  Le  cardinal  passait,  le  28  mai, 
;ï  MilaUy  et,  le  13  juin,  la  nuit,  sans  apparat,  il  arrivait  à 
Home,  où  il  conserva  pendant  quelque  temps,  V incognito  {3). 
Il  prit  tout  de  suite  et  garda  toujours  une  attitude  fort  humble, 
ne  faisant  aucune  démarche  que  de  concert  avec  Bourlemont; 
et  ce  dernier,  sans  manquer  de  respect  à  la  pourpre,  ne  cessa 
jamais  d'exercer  ses  droits  de  chef  de  mission  (4).  Retz  n*avait 

(1)  «  ...  Mandé  par  le  roi  pour  l'obliger  d'aller  à  Rome,  sans  néanmoins 
autre  qualité  que  celle  de  cardinal...  Jai  su  qu'il  avait  été  mal  reçu  du  roi; 
qu'il  avait  été  voir  M.  Colbert,  qui  ne  l'avait  pas  encore  visité;  que  M.  le 
Tellier  ne  l'avait  été  voir  que  cinq  jours  après  son  arrivée;  qu'on  voulait 
qu'il  allât  à  Rome,  et  qu'on  ne  lui  en  parlait  pas;  enfin  qu'il  crevait  dans  son 
cœur  de  ce  traitement;  que  l'on  rappelait  M.  de  Créquy,  et  qu'on  parlait  d'y 
envoyer  M.  de  Vitry.  »  {Journal  d'Olivier  d'Ormesson,  t.  H,  p.  325.'i  Relz  était 
arrivé  à  Paris  dans  les  premiers  jours  du  mois  de  mars  1665  :  la  plainte  du 
pape  au  roi  contre  les  censures  de  Sorboune  était  du  6  avril. 

(2;  Rome,  169. 

(3)  Ketz  à  Lionne,  28  mai  et  16  juin  1665.  Bourlemont  au  roi,  16juin.  /)omf, 
169. 

(4)  Chantelauze  prétend  à  tort  que  Bourlemont  s'effaça  devant  Retz  :  Je 
ne  voud  ai  jkis  écrit  depuis  le  23  juin;  c'eût  été  inutile  au  service  du  roi, 
«  après  vous  avoir  mandé,  comme  J'ai  fait,  que  je  me  conduirais  absolument, 
dans  toutes  ces  démarches,  selon  les  avis  de  M.  de  Bourlemont...  »  (Retz  à 
Lionne,  U  juillet  1665.  Rome,  170.) 


GALUCANtSME  ET  JANSÉNISME  13 

de  commerce  réglé  qu'avec  le  secrétaire  d*État,  et  n'écrivait 
|-  au  roi  qu^accidentellement,  comme  tous  les  cardinaux  étaient 
I  en  possession  de  le  faire.  Le  cardinal  d'Esté  n'étant  pas  à 
Rome,  Louis  XIV  avait  décidé  qu'il  serait  suppléé  dans  les 
fonctions  de  protecteur  par  Aldobrandini,  et,  après  la  mort  de 
celui-ci,  par  Mancini,  même  en  présence  de  Retz,  qui  siégeait 
avautlui(l).  L'ancien  archevêque  de  Paris  était  surveillé  de 
près,  et  Lionne  lui  rappela  durement,  plus  d'une  fois,  la  dé- 
pendance étroite  où  la  cour  entendait  le  tenir.  N'ayant  plus  de 
juridiction  épiscopale,  qui  pût  lui  donner  les  moyens  d'embar- 
rasser le  gouvernement;  ne  pouvant  plus  compter  sur  les  sub- 
sides des  jansénistes,  il  savait  qu'au  moindre  mécontentement 
le  roi  supprimerait  ses  pensions  et  ferait  saisir  ses  revenus; 
il  se  résignait  donc  à  une  servilité  absolue,  comme  au  moyen 
le  plus  sûr  de  regagner  quelque  apparence  de  crédit.  Mais  il 
en  est  de  ses  assurances  de  dévouement  au  roi,  comme  des 
protestations  d'estime  et  de  tendresse  qu'il  échange  mainte- 
nant avec  Lionne  :  la  manière  dont  il  traite  ce  ministre  dans 
ses  Mémoires,  composés  postérieurement  à  cette  date,  nous 
apprend  ce  qu'il  faut  penser  de  sa  sincérité. 

11  était  à  Rome  depuis  quelques  jours  lorsque  Alexandre  VII, 
informé  par  Roberli  de  l'approbation  que  donnait  le  roi  à  la 
censure,  publia  (25  juin]  l'importante  bulle  Cionad  aures,  qui 
condamnait  définitivement  celte  censure  :  cet  acte  de  fermeté 
fut  d'ailleurs  accompagné  de  tempéraments  propres  à  ménager 
la  vanité  gallicane,  ce  que  l'abbé  de  Bourlemont  s'empressa 
de  signaler.  La  procédure  avait  été  faite  sans  éclat;  le  décret, 
affiché  pour  la  forme,  ne  nommait  pas  la  Faculté,  mais  seule- 
ment une  des  Universités  de  France. 

Les  dispositions  de  la  cour  de  France  envers  Rome,  au  mo- 
ment où  parut  cette  bulle,  n'étaient  rien  moins  que  favorables  : 
elle  se  plaignait  très  haut  des  refus  opposés  aux  demandes 
dont  le  légal  avait  emporté  la  liste;  c'était  surtout  une  ma- 
nœuvre pour  éviter  de  s'expliquer  elle-même  sur  les  événe- 
menls  d'Avignon,  où  l'enlèvement  de  Chasteuil  causait  un  si 
grand  scandale.  Le  roi  venait  d'écrire  au  cardinal  Chigi,  avec 

vi;  Analyse  de  Saiot-Prét.  Home^  Papiers  et  documents^  2i. 


14  CHAPITRE   DOUZIÈME 

beaucoup  d'atTeclation,  qu'il  n'attendait  plus  rien  du  pape,  et 
d'ordonner  à  Bourlemont  de  suspendre  toutes  ses  instances  (t). 
Lionne  disait  au  cardinal  de  Retz  :  «  Voire  Éminence  aura 
trouvé  à  Rome  une  cour  qui  va  insensiblement  se  rebrouil- 
lant avec  la  nôtre  par  une  conduite,  il  se  peut  dire,  d*enfant: 
car,  de  part  et  d'autre,  il  n'a  été  question,  depuis  dix  mois, 
que  de  pures  bagatelles;  mais  on  a  si  mal  correspondu  smn 
gr&ces  et  aux  bons  traitements  quon  avait  faits  ici  à  M.  le  lé- 
gat et  à  la  réduction  d'Avignon,  —  dont  l'incident,  si  Sa  Ma- 
jesté y  eût  voulu  agir  avec  moins  de  générosité,  lui  eût  donné 
lieu  d'arracher  au  pape  tout  ce  qu'elle  eût  désiré,  —  qu'à  la 
fin,  après  dix  manquements  de  parole  Tun  sur  l'autre  (2),  Sa 
Majesté  s'est  lassée  de  la  condition  de  solliciteur,  et  a  écrit  à 
M.  le  cardinal  Chigi  de  n'importuner  plus  de  rien  Sa  Sainteté 
sur  ses  intérêts  ou  pour  ses  satisfactions.  Ces  messieurs  ont 
mieux  aimé  marcher  par  des  chemins  remplis  d'épines  que 
sur  des  roses,  dont  ils  seraient  en  quelque  façon  excusables, 
si  nous  avions  touché  de  grosses  cordes,  comme  de  liaisons, 
de  ligues,  dinvestitures,  de  doublement  de  décimes,  de  cha- 
peaux hors  de  la  nomination  ordinaire;  mais  j'aurais  honte 
moi-môme  de  dire  à  Votre  Éminence  ce  qu'on  demandait  : 
cela  fait  pitié  (3).  » 

Roberti  avait  eu  ordre  de  remettre  la  bulle  à  Louis  XIV  en 
main  propre.  Le  procureur  général  en  appela  comme  d'abus, 
mais  le  premier  président  Lamoignon  fit  approuver  par 
Louis  XIV  que  sa  compagnie  n'allât  pas  aussi  loin  que  le  vou- 
laient Lionne  et  d'autres  ministres,  et  elle  rendit,  le  29  juillet, 
un  simple  çirrêt  provisoire  (4)  dont  Lionne  exagéra  l'impor- 
tance en  le  communiquant  à  Bourlemont  :  «  Depuis  l'arrivée 
de  la  bulle,  disait-il,  M.  le  nonce  a  fait  de  grandes  exultations 
de  cet  important  coup  d'Etat  qu'on  avait  fait  à  Rome  de  nous 
avoir  attaqués  parla  spiritualité,  d'avoir  pleinement  dompté 
la  témérité  de  quatre  pédants  qui  se  sont  rendus  par  cabale 
les  maîtres  d*une  Faculté,  célèbre  à  la  vérité  dans  le  monde 

(1)  Le  roi  k  Chigi,  9  jain.  —  Lionne  à  Bourlemont,  12jain  1665.  flome,  139. 

(2)  Il  D*aurait  pa»  pu  en  citer  un  seul. 

(3)  3  juillet  1663.  Rome,  170. 

(4)  Journal  d'Ormesson,  t  II,  p.  380. 


GALLICANISME  £T  Jansénisme  15 

par  ce  seulement  qu  elle  n'est  pas  bien  connuey  toute  sa  théo- 
logie n'étant  qu*bistorique  et  n'entendant  rien  à  disputer  contre 
celle  de  Rome  par  bons  arguments.  Cette  victoire  devait  effa- 
cer toute  la  honte  du  traité  de  Pise  ;  et,  comme  il  a  vu  pendant 
quelque  temps  qu'on  ne  disait  mot,  parce  qu'en  effet  la  bulle 
ne  se  voyait  point,  il  a  interprété  ce  silence  pour  une  marque 
certaine  que  toute  la  nation  était  débellée;  je  ne  doute  pas 
qu'il  n'en  ait  écrit  en  ces  termes  à  Rome,  puisqu'il  prêchait 
cet  évangile  par  les  places.  Quand  il  a  remarqué,  depuis,  qu  on 
commençait  à  se  remuer,  il  en  a  prôné  un  autre  aussi  faux, 
auquel  je  ne  doute  pas  non  plus  qu'il  n'ait  fait  passer  les 
monls^  qui  était  de  dire  que,  si  M.  Talon  osait  mettre  sur  le 
lapis  la  matière  de  la  bulle,  il  en  recevrait  l'affront;  que  la 
compagnie  était  divisée  et  que  le  bon  parti  prévaudrait.  A  la 
vérité,  il  s'est  un  peu  trompé  dans  ses  jugements;  car  avant- 
hier  M.  Talon,  qui  avait  recouvert  cette  bulle  dont  on  parlait 
tant  sans  la  voir,  ayant  fait  ses  réquisitoires  au  Parlement,  il 
fut  donné  d'un  avis  unanime  Tarrét  dont  vous  trouverez  la 
copie  ci-jointe,  qui  n'est  qu^une  ébauche  de  ce  qui  se  pourra 
faire,  51  on  n  est  pas  plus  sage  et  plus  pré ooyant  de  delà...  Ce- 
pendant, afin  que  vous  puissiez  avoir  quelque  teinture  de  ce 
que  vous  pourrez  bientôt  voir  plus  amplement  déduit  en  des 
volumes  entiers  et  fortifié  de  raisons,  d'exemples  et  d'autorités 
qui  ne  peuvent  être  contredites,  je  vous  adresse  deux  écrits 
volants  et  succincts  qui  me  sont  par  hasard  tombés  dans  les 
mains,  et  qui  vous  obligeront,  je  m'assure,  à  ne  pas  juger 
fort  avantageusement  de  la  prudence  ni  de  la  science  des  com- 
pilateurs de  la  dite  bulle,  en  quoi  Dieu  me  garde  de  comprendre 
la  personne  de  Sa  Sainteté,  j*enteuds  parler  de  celui  qui  Ta 
dressée  sous  son  nom  (1).  » 

Par  un  de  ces  artifices  qu'il  employait  le  plus  habituel- 
lement contre  ses  adversaires,  Lionne  s'était  plu,  pour  rendre 
le  nonce  odieux  et  ridicule,  à  lui  prêter  des  paroles  extrava- 
gantes, sous  lesquelles  il  est  facile  de  retrouver  ses  vrais 
discours.  Lionne  trompait  Bourlemonl,  quand  il  affirmait  que 
le  Parlement  n'était  pas  divisé  :  «  J'ai  su,  dit  Olivier  d'Or- 

(1)  24  et  31  juillet  1665.  Rome,  HO. 


16  '     CHAPITRE   DOUZIÈME 

messoD,  que  dans  les  opinions  il  y  avait  eu  diversité,  et  que 
beaucoup  voulaient  par  adresse  soutenir  la  bulle  sans  paraître 
Pautoriser  directement^  et  que  t arrêt  ne  passa  que  de  quatorze 
contre  onze  (i)...  »  Le  bruit  de  celte  division  se  répandit,  et 
Lionne  fut  obligé  de  Tavouer,  tout  en  dissimulant  son 
dépit  sous  de  nouvelles  railleries  contre  le  nonce,  qui  se 
prévalait  avec  raison  de  cette  importante  minorité.  «  Ou  il  ne 
sait  pas,  écrivit  Lionne  au  cardinal  de  Retz,  ou  il  ne  le  dit  pas, 
que  tout  le  corps  unanimement  a  estimé  qu'on  devait  résister 
fortement  à  la  bulle  et  que  la  légère  diversité  n'a  consisté 
qu'au  plus  ou  moins  de  quelques  articles  de  l'arrêt  (2).  »  Les 
paroles  d'Olivier  d'Ormesson  ont  démenti  d'avance  cette  nou- 
velle version.  Talon  obtint  seulement  que  la  cour  prescrivît 
l'enregistrement,  défendît  les  thèses  contraires  aux  cen- 
sures, et  autorisât  le  procureur  général  à  donner  ultérieure- 
ment ses  moyens  d'abus  et  de  nullité  contre  la  bulle  :  ce  qui 
était,  en  style  de  palais,  un  ajournement  indéfini  de  TafTaire. 
Les  divisions  n'étaient  pas  moins  profondes  dans  la  Faculté  de 
théologie.  Le  3i  juillet,  Lionne  avait  écrit  :  «  La  Sorbonne 
s'assemble  demain  ;  et  si  le  roi  n'interpose  son  autorité  pour 
tempérer  la  chaleur  qui  se  voit  dans  les  esprits  comme  je  vois 
qu'il  est  résolu  de  faire  par  pure  bonté,  je  crains  bien  qu'elle 
ne  pousse  les  choses  bien  loin.  »  Or  nous  savons  par  Olivier 
d'Ormcsson  que  «  les  protecteurs  de  la  censure  »  étaient  aussi 
«  fort  échauiïés  contre  la  bulle;... que  les  anciens [docieixrs] se 
plaignaient  que  c'était  une  cabale  des  jeunes,  qu'on  allait  trop 
loin;...  que  beaucoup  se  retirèrent  sans  opiner  (3),  car  ceux 
qui  ne  parlaient  pas  selon  l'esprit  des  échauffés  étaient  siffles.  » 
L'assemblée  nomma  douze  commissaires  qui  étaient  tous  i^de 
la  cabale  »  (4).  Lionne  fondait  de  grandes  espérances  sur  ces 

(1)  Journal,  t.  II,  p.  381. 

(2)  7  août  1665.  Home,  HO. 

(3)  La  cour  ponUûcalc  était  exactement  instruite  de  ce  qui  se  passait  en 
Sorbonne  comme  ailleurs.  Retz  écrivait  à  Lionne  :  Je  n*ai  pu  savoir  encore 
«  le  détail  de  ce  que  M.  le  nonce  écrit  ici  touchant  les  assemblées  de  la  Fa- 
culté; mais  on  y  a  témoigné  tant  de  joie  de  la  retraite  du  doyen  et  des  pro- 
fesseurs (c'est-à-dire  des  anciens],  qu'il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  conUnuera  de 
donner  de  fausses  couleurs  à  ses  nouvelles.  »  (6  octobre  1665.  Rome,  171.) 

(4)  T.  11,  p.  383. 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISME  17 

douze  commissaires  «  tous  bien  intentionnés  et  les  plus  ca- 
pables de  la  Faculté.  »  Et  il  ajoutait  :  «  Les  autres  Parlements 
suivront  bientôt  l'exemple  de  celui  de  Paris,  comme  Votre 
Ëminence  le  jugera  assez,  et  il  est  à  croire  aussi  que  l'as- 
semblée du  clergé  ne  demeurera  pas  muette,  quand  ou  lui  a 
donné  tant  d'occasions  de  crier  (1).  » 

L'abbé  de  Bourlemont,  exécutant  l'ordre  du  19  juin,  visita 
le  cardinal  Âlbizzi  qui,  avec  les  cardinaux  Pallavicino  et  Ros- 
pigliosi,  avait  eu  la  plus  grande  part  à  la  rédaction  de  la  bulle  : 
il  apprit  de  lui  qu'il  eût  été  facile  à  la  Sorbonne  de  prévenir 
la  condamnation  pontificale;  que  le  nonce  l'avait  invitée  à  re- 
tirer sa  censure  en  se  réduisant  à  repousser  la  note  d'hérésie 
portée  par  le  livre  de  Guimenius;  mais  qu'elle  avait  refusé,  et 
que  ses  prétentions  avaient  dès  lors  rendu  nécessaire  le  décret 
du  25  juin.  Cette  sentence  n'avait  pas  été  provoquée  par  les 
Jésuites,  comme  on  se  plaisait  à  le  raconter,  ni  par  d'autres; 
mais  «  tous  les  cardinaux  avaient  donné  leur  vœu  par  écrit 
tendant  à  faire  quelque  acte  positif  qui  résistât  à  l'opinion 
dangereuse  de  la  Sorbonne  de  la  faiilibilité  du  pape,  et  le  pape 
s'était  déclaré  vouloir  en  toute  façon  censurer  cette  opinion.  » 
On  savait  bien,  à  Rome,  «  que  cela  ne  ferait  point  changer 
d'opinion  la  Sorbonne,  et  que  les  Parlements  en  feraient  du 
bruit;  mais  la  seule  intention  de  cette  cour  était  de  faire  ap- 
paraître comme  elle  blAmait  cette  doctrine  et  se  voulait  main- 
tenir en  la  créance  de  l'infaillibilité,  et  qu'il  constail  de  cela  par 
un  acte  positif,  qui  était  cette  bulle.  »  Bourlemont  termine  le 
récit  de  l'entretien  par  ces  paroles  remarquables  :  «  Quant  à 
ce  que  je  lui  disais  que  la  Sorbonne  n  avait  fait  que  se  défendre 
de  la  note  d'hérésie  qua  Guimenius  lui  imputait  et  conserver 
son  opinion,  il  répondit  que  le  nonce  lui  avait  offert  qu'enfai-^ 
sont  celte  déclaration  sans  condatnfier  fopi?non  contraire^  Con 
^en  contenterait  ici,  ce  quelle  avait  refusé [2),  » 

Un  auteur  moderno,  exagérant  rimportance  du  rôle  joué  à 
ttome  par  le  cardinal  de  Helz,  passe  entièrement  sous  silence 
cette  dépêche  de  Bourlemont,  et  cite  seulement  deux  lettres 


(1)  Liouue  à  Uetz,  31  juillet  1605.  lioîne,  17U. 
(3)  Bouriciiioul  au  roi,  li  juiUct  1C6j.  Home,  170. 

U)UIS  XIV  KT  LK  8AiriT-01BOE.  —  il.  '2 


18  CHAPITRE    DOUZIÈME 

du  14  et  du  21  juillet,  où  Retz  raconte  aussi  à  Lionne  ses 
conversations  avec  Albizzi  et  Pallavicino  sur  le  même  sujet. 
Il  en  conclut  que  Retz  a  le  premier  imaginé  de  soutenir  que 
la  Sorbonne  était  irréprochable,  puisque  sa  censure  condam- 
nait seulement  ceux  qui  Taccusaient  d'hérésie,  mais  non  ceux 
qui  professent  Tinfaillibilité  papale.  Je  ne  sais  pas  quelle 
louange  pouvait  attirer  au  cardinal  la  découverte  d'un  argu- 
ment qui,  dans  sa  bouche,  aurait  été  un  mensonge;  car  la 
censure  de  Sorbonne  n'avait  qu'un  sens,  exprimé  en  termes 
non  équivoques  et  profondément  injurieux,  de  fait  et  d'inten- 
tion, pour  le  saint-siège;  mais  celte  idée  est  déjà  dans  le  pas- 
sage cité  plus  haut  de  Bourlemont,  dont  la  visite  au  cardinal 
Albizzi  est  certainement  antérieure  k  la  conférence  de  ce  pré- 
lat avec  le  cardinal  de  Retz  :  ou  plutôt  elle  a  été  suggérée  par 
les  propositions  conciliantes  de  la  cour  pontificale  et  du  nonce 
Roberli,  qui,  on  Ta  vu  tout  à  Theure,  avait  demandé  précédem- 
ment àla  Sorbonne  un  désaveu  sous  forme  d'explication.  Retz 
en  fournit  la  preuve  dans  ces  mémos  lettres,  où  il  rappelle, 
en  citant  Albizzi  et  Pallavicino,  «  qu'on  n'avait  rien  oublié, 
du  côté  de  Rome,  pour  obliger  la  Faculté  de  théologie  »  à 
donner  une  explication,  qui  avait  été  refusée  au  nonce  par  elle 
et  par  le  roi(l).  Il  reste  en  propre  à  Bourlemont  et  à  Retz 
d'avoir  soutenu  que  la  censure  de  Sorbonne  n'avait  pas  besoin 
de  justification  :  or,  c'était  à  la  fois  absurde  et  malhonnête  (2). 
Retz  ne  s'était  risqué  qu'avec  timidité  à  écrire  ces  deux 
lettres  et  il  demanda  pardon  d'avoir,  sans  ordre  exprès,  «  ou- 
vert la  bouche  »  sur  des  matières  de  cette  gravité,  rejetant  la 
faute  sur  les  deux  cardinaux  italiens,  qui  ravalent  comme  forcé 
de  leur  répondre.  Bourlemont  écrivit  en  même  temps  à  Lionne  : 

(1)  Cbaulelaiize,  chapitres  iv,  v  et  vi,  et  uotamoieut  pa^eâ  231  et  236  : 
«  Dans  sa  couversatiou  avec  le  cardinal  Albizzi,  le  cardinal  de  Retz  avait  eu 
riogéuieuse  idée  de  soutenir  que  la  Faculté  de  tlit^ilogic  de  Paris  n  avait  pas 
pi*étendu  condamner  la  doctrine  de  l'infailiibiitté.  » 

(2)  Il  faut  ajouter  que  Lionne  réclama  la  priorité  de  la  découverte  :  «  11  est 
bien  vrai,  disait-il,  le  14  août  {l\ome^  170)  que  ce  prélat  (Roberti)  m'ayant  dit 
quelquefois  que,  si  la  Sorbonne  voulait  déclarer  qu'elle  n'a  poiut  entendu 
condamner  l'opinion  de  l'infaillibilité  du  pape,  cela  suffirait  à  la  cour  de 
Rome  pour  laisser  passer  les  censures  sans  rien  dire.  Je  lui  ai  alors  répété 
que  cette  déclaration  était  peu  nécessaire;  qu'il  n'avait  quà  lire  la  censure^  et 
quil  n'y  trouverait  point  de  condamnation  de  Vopinion  contraire.  » 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISME  19 

«  Toutes  les  fois  que  je  vois  M.  le  cardinal  de  Relz,  il  me  fait 
de  très  ardentes  et  zélées  expressions  de  désirer  de  rencontrer 
ici  les  occasions  de  bien  servir  le  roi  (1).  »  Une  note  de  Lionne, 
en  regard  de  cette  phrase,  fait  observer  que  le  prélat  «  en  a 
une  belle  occasion  en  soutenant  hautement  la  Sorbonne  et  les 
maximes  du  royaume  (2).  )>  Le  28  juillet,  veille  du  jour  où  la 
bulle  devait  être  attaquée  devant  le  Parlement,  Retz,  voulant 
faire  croire  qu'il  était  fort  considéré  du  pape  et  que  ce  crédit 
pourrait  être  utile  au  roi,  informa  Lionne  qu'Alexandre  VII 
Tavait  publiquement  honoré  d'un  entretien,  dont  la  longueur 
avait  frappé  l'attention  des  assistants,  mais  que  cependant  il 
navait  pas  abordé  le  sujet  de  la  bulle,  se  bornant  à  lui  parler 
((  de  la  réforme  de  Ctteaux,  de  la  morale  chrétienne,  et  de  la 
Conception  de  la  Vierge,  qu'il  traite  théologiquement  et  avec 
beaucoup  de  doctrine.  »  Bourlemont  avertit  Retz  que  cette 
bienveillance  apparente  du  pape  allait  le  rendre  suspect,  et  le 
cardinal  dut  protester  «  qu'il  ferait  voir  que  ni  les  menaces  ni 
les  caresses  ne  Tébranleraient  jamais  du  devoir  de  bon  et 
obéissant  sujet  du  roi  (3).  »  La  présomption  de  Retz  eut  encore 
moins  de  succès  à  Paris.  Lionne  mit  la  note  suivante  en  marge 
des  dépêches  :  «  11  se  pourrait  faire  que  Sa  Sainteté,  comme 
elle  la  quelquefois  accoutumé,  lui  eût  défendu,  sous  peine 
d'excommunication^  de  dire  ou  écrire  qu'elle  lui  eût  parlé  de 
la  bulle,  à  quoi  on  ne  sait  pas  si  un  cardinal  national  est  tenu 
(fobéir;  du  moins  les  cardinaux  espagnols  croient  le  con- 
traire (4).  »  Le  ministre  fit  épier  avec  plus  de  soin  les  démarches 
de  Retz,  et,  le  20  août,  il  lui  écrivit  à  lui-même  une  longue 
lettre,  dont  le  début,  cruellement  ironique,  lui  rappelait  la 


.1   21  juUlet  4663.  Home,  ilQ. 

(2}  Lionne  a  développé  la  même  pensée  dans  une  leUre  à  Bourlemont  : 
«  M.  le  cardinal  de  Retz,  qui  témoigne  désirer  avec  beaucoup  de  passion^ 
(Tavoir  des  occasions  de  servir  le  roi,  eu  a  maiutenant  une  belle  en  soute- 
uaut  hautement  la  Sorbonne  et  les  maximes  du  royaume,  et,  quoiqu'il  y  soit 
tu  quelque  façon  obUgé  par  honneur,  pour  être  uu  des  membres  de  la  pre- 
mière, et  pour  être  dans  celui-ci  et  y  avoir  tant  d'avantages,  le  roi  ne  lais- 
^ra  pas  de  lui  en  savoir  tout  le  gré  qu'il  peut  désirer.  »  (14  août  1665.  Rome^ 

no.) 

(3)  Bourlemont  à  Lionne,  28  juillet  1665.  /)ome,  170. 

(4]  Retz  à  Lionne;  —  Bourlemont  au  roi,  28  juillet  1665.  Romey  170. 


20  CHAPITRE   DOUZIÈME 

défiance  inexorable  du  maître  :  «  J*ai  lu  au  roi,  disait-il,  ce 
que  Votre  Éminence  me  mande  de  la  longue  audience  guette 
a  donnée,  au  pape,  dans  le  dernier  consistoire.  Quiconque  cod- 
naitra  Sa  Sainteté  parlera  comme  moi  quand  il  voudra  parler 
juste,  et  non  seulement  je  n'ai  aucune  peine  de  croire  qu'une 
audience  de  Sa  Sainteté,  je  ne  dis  pas  d'une  heure,  mais  de 
trois  ou  de  quatre,  se  puisse  passer  sans  qu'on  y  traite  d'aucune 
matière  du  temps,  jiour  importante  qu'elle  soit Nos  poli- 
tiques de  Rome,  dont  les  spéculations  vont  pour  l'ordinaire 
bien  plus  loin  que  la  vérité,  ne  seront  pas  de  mon  avis;  et  il 
serait  malaisé  de  les  faire  demeurer  d'accord  que  la  bulle  qui 
fait  aujourd'hui  tous  les  discours  de  Rome  et  de  Paris  n'ait  pas 
été  la  principale  matière  de  cette  longue  audience;  que  Votre 
Eminence  même  n'y  ait  rendu  service  au  roi  sans  vouloir  s'en 
glorifier;  qu'elle  n'ait,  par  la  force  de  ses  raisons,  détourné  le 
pupe  d'en  parler  au  sacré  collège  comme  d'une  affaire  qu'il 
avait  entreprise  et  qu'il  voulait  soutenir,  et  qu'avant  sa  retraite 
Sa  Sainteté  n'ait  fermé  la  bouche  à  Voire  Eminence  par  Tex- 
communicalion  qu'elle  a  accoutumé  d'imposer  à  la  révélation 
de  ses  secrets  (1).  Pour  moi,...  outre  la  foi  que  je  dois  entière 
k  tout  ce  qui  vient  de  Votre  Eminence,  qui  n'aurait  pas  d'ail- 
leurs voulu  se  priver  d'un  mérite  auprès  du  roi  qui  lui  serait 
justement  dû,  y^  crois  très  facilement  que  Sa  Sainteté  aura  parlé 
à  Votre  Eminence  de  la  bulle  d  Espagne  sur  la  Conception  im- 
maculée, et  à  don  Pedro  d  Aragon  de  celle  de  France  sur  les 
censures  de  la  Sorbon?ie,  parce  que  Sa  Sainteté  est  bien  aise 
(i'éviter  par  sa  prudence  toute  sorte  de  contestations  (2).  » 

(1)  Il  y  a,  sur  cette  question,  une  lettre  odieuse  de  Bourlemout  au  roi 
(l;j  septembre  IGG.'i.  Homt^,  171)  :  «  Si  M.  le  cardinal  de  Retz  avait  ta  ou  déguisé 
à  V.  M.  [k  qui  il  doit  indistpensahleinent  la  vérité  aiusi  que  tous  ses  serviteurs 
il  sujets)  la  matière  du  long  entretien  qu'il  eut.  au  dernier  consistoire,  avec 
h)  pape,  je  le  croirais  très  mauvais  théologien  et  pire  serviteur  de  V.  M., 
les  menaces  d'excommuuicalion  ne  nous  pouvant  prescrire  un  silence  crimi- 
ne/,  ni  nous  dispenser  de  Tobligatlon  qui^  nous  imposent  les  lois  divines  et 
humaines,  Ve/fel  de  pareiUes  e.rcommu?iicatiims  ne  dépendant  point  de  celm 
(jui  les  lance,  mais  bien  du  péché  que  l'on  y  suppose,  lequel  ne  s'y  rencoa- 
trant  pas,  elles  ne  préjttdicienl  en  rien  et  se  convertissent  pour  ainsi  dire  en 
bénédictions  sur  celui  qui  fait  sou  devoir.  » 

(2)  Rome,  170.  — Chautelauze,  citant  les  déptk'hes  du  20  août,    a  supprimé 
tout  ce  début,  qu'il  trouve  sans  dout«^  tr<>p   humiliant  pour   son  héros,  et 


CALLICANISME    ET   JANSÉNlSxME  21 

Lionne,  qui  était  en  verve,  se  détournait  alors  du  cardinal 
pour  s'attaquer  au  nonce  et  au  pape,  et  il  lançait  contre  eux 
ses  traits  les  plus  envenimés  :  «  Si  M.  le  nonce,  disait-il,  écrit 
de  delà  aux  mêmes  termes  qu*il  parle  ici  à  ceux  qui  le  veulent 
écouter,  et  qu'on  ajoute  foi  à  ses  lettres,  il  continuera  de 
donner  lieu  à  beaucoup  de  faux  pas  et  de  mauvaises  résolu- 
tions. Si  on  le  veut  croire,  la  bulle  est  ici  dans  une  approbation 
générale;  le  Parlement,  la  Sorbonne  et  l'assemblée  du  clergé 
sont  dans  une  grande  division  de  sentiments  en  eux-mêmes 
premièrement,  et  chacun  aussi  à  Tégard  des  autres  corps  par 
leur  propre  intérêt;  le  roi  voudrait  être  hors  de  cette  affaire  et 
ne  sait  pas  au  vrai  ce  qui  se  passe;  la  reine  sa  mère  lui  en  a 
parlé  fortement;  il  n'y  a  que  les  ministres  qui  la  soutiennent 
parleurs  cabales,  à  la  suggestion  de  trois  pédants  qui  sont  au- 
près de  leurs  enfants;  les  professeurs  de  la  Sorbonne  n*ont 
point  voulu  assister  à  de  pareilles  délibérations;  on  se  conten- 
tera de  ce  qui  a  été  fait,  et  on  n'oserait  plus  rien  faire;  l'am- 
bassadeur d'Espagne  et  M"*  d'Aiguillon,  fort  dévots  au  saint- 
siège,  l'en  ont  fait  assurer;  toutes  les  façons  qu'on  fait  n'ont 
d'autre  but  que  d'extorquer  des  grâces  du  pape  parla  crainte, 
quoiqu'il  soitvrai  queledit  sieur  nonce  me  les  ait  toutes  olVertes 
pourvu  qu'on  s'arrêtât  ici  k  ce  qui  a  été  fait.  Après  tout,  qu'im- 
porte au  pape  que  la  France  soit  catholique  ou  hérétique?  qui 
y  perdra  le  plus?  en  est-il  moins  pape  pour  avoir  perdu  TAn- 
glelerre?  serait-il  pas  plus  grand  prince  et  plus  respecté,  s'il 
n'était  que  le  seigneur  de  Rome  et  de  l'État  ecclésiastique?  La 
qualité  du  chef  de  la  chrétienté  ne  lui  est  qu'à  charge  quand 
il  envoie  en  France  des  armées  ou  en  Hongrie  des  millions  et 
des  millions;  il  ne  saurait  retirer  de  cent  ans  de  ce  royaume-ci 
ou  de  l'Allemagne  ce  qu'il  y  met,  et  qui  épuise  la  dalerie  et  ses 
sujets;  et,  sans  ces  sortes  d'obligations,  il  serait  iuRniment 
plus  riche,  plus  puissant  et  plus  recherché.  En  outre,  qu'im- 

quiett  eu  désaccord  avec  divers  traits  de  sou  récit.  L'usuge  êtraugu  qu'il  Tait 
<le  divers  passages  donue  lieu  d'ailleurs  à  de  bien  plus  graves  critiques.  Couti- 
ûuaut  à  déchirer  Roberti,  dont  la  vigilance  et  le  courage  le  gêueut  beaucoup, 
Liouue  met  ilaus  la  bouche  du  nouce  des  discours  travestis  ou  inventés,  avec 
cette  impudence  de  mensonge  dont  nous  avons  déjà  cité  tant  d'exemples 
et  qui  est  le  trait  dominant  de  ce  ministre.  Chautelauze  prend  la  fable  et  le 
Irave^tit^i^ement  pour  des  textes  authentiques. 


32  CHAPITRE   DOUZIÈME 

porte  à  Sa  Sainteté  que  des  évèques  fassent  leurs  mandements 
pour  la  souscription  du  formulaire  avec  la  distinction  du  droit 
et  du  fait,  el  n'exigent  pour  celui-ci  qu'un  silence  respectueui? 
On  peut  laisser  là  les  hérétiques  et  les  jansénistes;  on  est  déjà 
tout  accoutumé  avec  eux  ;  il  faut  aller  droit  aux  Richéristes 
qui  sont  bien  pires  que  les  autres,  puisqu'ils  ne  croient  pas 
l'infaillibilité  du  souverain  pontife,  qui  se  peut  démontrer  en 
un  seul  argument  avec  autant  de  certitude  que  toutes  les  dé- 
monstrations d'Euclide,  et  voici  l'argument  :  Dieu  qui  ne  peut 
tromper  a  promis  l'infaillibilité  à  son  Église  ;  elle  ne  réside 
pas  au  nombre,  puisque  divers  conciles  se  sont  trompés  ;  donc 
elle  réside  au  chef,  ou  Dieu  serait  un  trompeur.  Je  n'aurais 
jamais  fait,  si  je  voulais  dire  à  Votre  Éminencc  toutes  les 
belles  nouvelles  maximes  et  paradoxes  qui  sortent  une  fois  le 
jour  de  la  bouche  dudit  sieur  nonce  et  qui  le  rendent  à  ud 
chacun,  je  n'oserais  pas  dire  le  terme,  pour  le  respect  que  je 
porto  à  son  caractère.  Un  prélat  du  petit  nombre  de  ceux  qui 
sont  persuadés  de  Tinfaillibilité  et  des  plus  adhérents  à  tous 
les  sentiments  de  la  cour  de  Rome  n'a  pu  s'empêcher,  sur  le 
sujet  de  ses  maximes  touchant  le  mandement,  de  dire  au  roi 
qu'au  moins  dans  le  choix  dos  ministres  il  ne  croyait  pas  que 
le  pape  fiU  infaillible.  Votre  Émincnco  pourra  (et,  si  elle  la 
agréable,  sans  me  citer  en  rien)  mettre  à  profit  pour  le  service 
du  roi  ce  que  j'ai  l'honneur  de  lui  mander  si  confidemment  de 
la  conduite  de  M.  le  nonce,  dont  j'ai  grand  déplaisir,  car  je 
suis  son  serviteur  et  ai  eu  quelque  part  à  vaincre  la  répugnance 
qu'avait  le  roi  d'agréer  qu'il  eût  cet  emploi.  » 

Mais,  à  la  confusion  de  Lionne,  Roberti  n'avait  rien  annoncé 
que  de  vrai  :  toutes  ses  prévisions  se  réalisèrent  de  point  en 
point  et  sur-le-champ.  Au  moment  où  les  esprits  étaient  le 
plus  émus  en  France,  Louis  XIV  apprit  que  le  pape  venait 
d'entrer  dans  une  des  crises  de  sa  terrible  maladie.  Bourlemont 
demanda  que  les  cardinaux  de  la  faction  française  se  tinssent 
prêts  pour  un  conclave  (1),  et  insinua  qu'il  était  opportun  de 

(i)  Les  cardinaux  Antoine  Barberini  et  Grimaldi  étaient  alors  en  France. 
Quant  aux  autres,  voici  ce  que  Bourlemont  écrivait  :  «  V.  M.  verra,  par  les 
lettres  que  MM.  les  cardinaux  de  Retz  et  Ursin  écrivent  à  V.  M.,  le  désir 
qu'ils  ont  de  lui  rendre  un  bon  et  fidèle  service.  M.  le  cardinal  MaidalchÎQi 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISME  23 

calmer  Tagilation  qu'on  enlretenait  de  divers  côtés  contre 
Rome  :  v  J'ai  cru,  disait-il  à  Lionne,  qu'il  serait  même  bon 
que  le  roi  sût  ce  qui  se  passe  avant  que  messieurs  de  l'assemblée 
du  clergé  et  de  la  Sorbonne  prissent  quelque  résolution,  qui 
pût  aigrir  le  collège  des  cardinaux  (1).  »  Le  danger  dura  plus 
'd'un  mois  :  quand  il  fut  passée  la  cour  de  France  ne  se  sentait 
plus  la  même  ardeur  à  poursuivre  les  hostilités  contre  le  saint- 
siège;  elle  avait  moins  de  confiance  dans  Tissue  de  cette  lutte 
théologique.  Elle  ne  refusait  plus  d'expliquer  les  censures  de 
la  Sorbonne,  mais  elle  y  mettait  des  conditions,  et  Lionne  écri- 
vait à  Retz  :  «  Votre  Excellence  sera  avouée  ici  de  ce  qu'elle 
a  avancé  de  delà  de  l'intention  de  la  Faculté  dans  Tarticle  de 
rinfaillibilité  du  pape,...  pourvu  que  la  cour  de  Rome  veuille 
s'expliquer  de  la  sienne  touchant  les  évêques,  la  Sorbonne  et 
la  doctrine  censurée,  et  ce,  par  un  acte  en  bonne  forme  qui  ne 
puisse  être  contredit.  C'est  là  le  seul  moyen  de  finir  tout,  sans 
quoi  il  n^est  pas  possible  d'empêcher  plus  longtemps  la  pu- 
blication de  Tarrêt,  ni  le  jugement  des  moyens  d'abus  du  pro- 
cureur général  contre  la  dite  bulle,  ni  de  tenir  dans  le  silence 
rassemblée  du  clergé  ni  la  Faculté  de  théologie  de  Paris.  Votre 
Éminence  rendra  un  service  à  l'Église  bien  digne  d^in  cardi- 
nal, docleur  de  cette  Faculté,  si  elle  Irouve  les  moyens  d'é- 
touffer ce  feu  de  division  naissante,  laquelle,  sans  un  entremet- 
teur de  sa  force  et  de  sa  suffisance,  pourrait  bien  s'étendre 
plus  loin  qu'on  ne  croit  (2)...  » 


ma  fait  aussi  de  grandes  expressions  de  la  passion  qu'il  a  de  bien  servir  V.  M., 
et  M.  le  cardinal  Mancini,  la  même  chose.  »  (23  août  1665.  Rome,  170.)  —  Con> 
trairement  k  ce  que  dit  Chantelauze,  le  cardinal  de  Rcz,  dans  cette  cir- 
constance comme  dans  toutes  les  autres,  se  rangea  derrière  Tabbé  de  Bour- 
lemont,  seul  ministre  du  roi  à  Rome  :  '<  ...  Comme  Je  ne  crois  pas  pouvoir 
mirre  plus  justement  les  intentions  de  V.  M.  qu'en  m  attachant  uniquement 
à  tout  ce  que  M,  de  Bourlemont  m'en  dira,  je  la  supplie  très  humblement  de 
croire  que  je  ne  m'en  départirai  en  quoi  que  ce  soit.  »  —  «  Je  n'ai  pas  cru 
devoir  laisser  partir  le  courrier  sans  assurer  S.  M.  de  mes  très  humbles  obéis- 
MDces  et  de  l'attachement  inviolable  que  j'aurai  à  suivre  dans  ce  rencontret 
comme  dans  toutes  les  autres  de  ma  vie,  tout  ce  qui  sera  de  ses  intentions 
et  de  SCS  volontés.  Je  m'y  conduirai  en  tout  et  partout  selon  ce  que  M.  de 
Bourlemont  me  dira.  »  (Retz  au  roi  et  ù  Lionne,  22  août  1665.  Rome,  110.) 

(1)  Au  roi  et  à  Lionne.  23  août.  Rome,  170. 

(2)  25  septembre  1665.  Rome,  171. 


24  CIIAPITKE    DOUZIÈME 

Rolz  avait  pu  s'assurer,  pondanl  la  Irevo,  que  le  sacré  col- 
lège serait  inébranlable.  Après  un  entretien  avec  le  cardinal 
Corradi,  il  avait  écrit  à  Lionne  (1)  :  «  Pour  ce  qui  est  délia 
sostanza  dehieyotio^  il  demeure  toujours  ferme  dans  la  pensée 
que  le  saint-siège  avait  été  fort  ollensé  par  la  censure;  que  le 
Parlement  avait  excellé  son  pouvoir:  que,  si  la  Faculté  do  théo- 
logie n'eut  j)oini  eu  dessein  de  choquer  Tinfaillibilité  du  pape, 
elle  n'eut  fait  aucune  difficulté  de  s'en  expliquer.  »  Cherchant 
à  dépasser  l'espérance  du  roi  pour  conquérir  sa  faveur,  Retz 
se  rendit,  le  21  octobre,  à  Castel-Gandolfo,  où  le  pape  le  reçut 
avec  bonté,  et  lui  donna  une  audience  de  trois  heures.  On  ne 
sait  ce  qui  fut  dit  de  part  et  d'autre  que  par  une  longue  dépêche 
du  prélat  français  (2)  :  pour  abréger,  nous  voulons  supposer 
qu'il  a  cette  fois  respecté  la  vérité.  Il  essaya  d'abord  d'amener 
le  pape  à  un  désaveu  formel  de  sa  bulle,  déguisé  sous  la  forme 
d'une  explication  dictée  par  la  Sorbonne,  «  ou  tout  au  moins 
à  quelque  préalable  qui  pourrait  donner  lieu  dans  la  suite  à 
cette  explication.  »  liln  conséquence,  il  le  pria  de  «  rétablir, 
très  glorieusement  pour  lui,...  la  paix  et  la  tranquillité  dans 
les  esprits...  parla  seule  force  d(»  trois  ou  quatre  paroles,...  » 
qui  exposeraient  «  le  véritable  sens  de  la  bulle,...  d'effacer, 
par  quelque  marque  authentique,  la  tache  d'erreur  et  d'hérésie 
qu'elle  avait  répandue  sur  toute  la  France:  »  et  lui  remontra 
«  qu'il  n'y  avait  que  de  la  gloire  et  d(»  la  grandeur  à  faire  le 
premier  pas.  »  Cette  demande  rencontra  un  refus  énergique. 
Le  cardinal  proposa,  en  second  lieu,  un  «  expédi(»nt  »  qui  pou- 
vait, suivant  lui,  «  faciliter  les  moyens  d'obliger  la  France  à 
s'avancer  »,maisqui,enréalité,  n'était  pas  moins  injurieux  que 
le  premier  pour  le  saint-siège  en  le  réduisant  à  traiter  d'égal 
à  égal  avec  la  Sorbonne  :  la  Faculté  expliquerait  elle-même 
ses  censures,  '<  pourvu  qu'elle  fût  assurée  »  préalablement 
que  le  pape  y  répondrait  par  l'explication  de  sa  bulle. 
Alexandre  YII  fut  justement  révolté  de  cette  prétention  : 
«  Est-il  possible,  dit-il,  que  vous  voulussiez  qu'une  Faculté  de 
théologie  capitulât  avec  h»  pape»?  »  Kncore  le  cardinal  prenait- 

(1)  8  sppteiiibro.  Home.  171. 

(2)  Du  23  oclobro  \kW.\  :  publiée  lougtemp»  avant  le  livre  de  Chautelauze. 
uotammeut  dans  l'édition  des  M&moires  de  1843,  t.  il,  p.  418. 


GALUCANISME   ET   JANSÉNISME  25 

il  la  précaution  de  rédiger  d'avance  les  termes  du  désaveu 
pontifical,  tandis  qu'il  laissait  absolument  indécise  Texplica- 
tion  française  des  censures.  Le  pape  devait  «  lui  commander 
d'écrire  »  en  France  que  le  décret  du  25  juin  n'avait  pas  eu 
pour  but  «  d'établir  son  infaillibilité  comme  article  de  foi,  ni 
de  condamner  l'opinion  contraire  comme  hérésie,  etc.  »  Mais 
cette  rétractation  ne  serait  pas  «  suffisante...  pour  détruire  les 
impressions  que  la  bulle  avait  faites  »  ;  elle  serait  «  peut-être 
capable  de  jeter  dans  les  esprits  des  dispositions  »  moins  hos- 
tiles :  et,  si  «  le  nonce  parlait  »  à  Paris  dans  le  même  sens  que 
'<  les  lettres  écrites  par  un  cardinal  national  sur  ce  qu'il  avait 
ouï  de  la  propre  bouche  »  de  Sa  Sainteté,  Rome  pouvait  es- 
pérer que  les  Français  «  y  feraient  beaucoup  de  réflexions  !  » 
Comme  si  ce  n'élait  pas  assez  clair,  Retz,  craignant  d'être 
blâmé  par  Louis  XIV  pour  avoir  excédé  ses  pouvoirs,  repré- 
sente humblement  au  roi  que  cet  expédient  «  n'engage  à  rien  » 
el  ouvre  simplement  «  des  voies,  desquelles  le  roi  se  peut  ser- 
vir ou  ne  se  pas  servir,  selon  qu'il  le  jugera  à  propos.  »  Il 
obtient  seulement  la  permission  d'écrire  à  ses  amis  de  la  Fa- 
culté, mais  non  pas  au  nom  ni  par  ordre  du  pape.  «  L'on  aura 
satisfaction,  dit  encore  Alexandre,  si  l'on  ajoute  foi  à  ce  que 
vous  en  écrirez;  »  et  il  défend  expressément  do  mander  «  qu'il 
eût  dit  qu*il  donnerait  ordre  à  M.  le  nonce  de  parler  »  dans 
le  même  sens.  La  déception  de  Retz  était  complète  :  le  résultat 
de  tant  d'efforts  était  un  conseil  bienveillant  donné  à  un  tiers 
pour  ramener  aux  pieds  de  leur  père  des  enfants  rebelles. 
Retz  aurait  souhaité  de  changer  sa  défaite  en  triomphe;  il  es- 
saya de  persuader  au  roi  (contre  la  teneur  même  des  expres- 
sions qu'il   mettait  dans   la  bouche  du  pape)(l),   que  son 
éloquence  avait  forcé  Alexandre  d'abandonner  la  «  règle  in- 
faillible des  pontifes  romains  de  ne  jamais  avouer  eux-mêmes 
que  leur  infallibilité  fût  problématique  »;  mais  il  reconnais- 


!1)  En  effet,  môme  d'après  le  récit  de  Ketz,  Alexandre  évite  toute  déclara- 
tion doctrinale  et  abstraite,  et  discate  seulement  sur  le  sens  concret  de  sa 
bulle.  11  ne  dit  pas,  comme  le  prétend  Retz,  à  la  neuvième  page  de  sa  rela- 
tion, qu'il  ne  condamne  point,  etc.,  mais  qu'il  na  point  entendu,  par  sa  bulle, 
élahlir  ton  infaillibilité,  etc.,  ainsi  que  Retz  le  raconte  lui-m(>iiie  à  la  septième 
pige. 


26  CHAPITRE    DOUZIÈME 

sait  aussitôt  que  cet  aveu  était  invraisemblable  ;  que  le  pape 
n'y  pourrait  pas  persister,  et  que  les  Français  ne  devaient  pas 
le  prendre  pour  fondement  certain  de  ses  avances.  Aussi  con- 
fessait-il au  roi  qu*il  fallait  maintenant  descendre  à  un  nouvel 
expédient  :  le  roi  fera  dire  au  pape  qu'ayant  appris  son  inten- 
tion d'expliquer  sa  bulle,  il  «  le  supplie  de  faire  connaître  m 
véritables  sentiments  d'une  manière  qui  puisse  remettre  les 
esprits,  et  Tassure  que.  Sa  Sainteté'  lui  promettant  celte  décla- 
ration, Sa  Majesté  obligera  la  Faculté  à  faire  tous  les  pas  né- 
cessaires pour  lui  témoigner  sa  soumission  et  lui  faire  connaître 
qu'elle  n'a  jamais  eu  la  pensée  de  censurer  la  doctrine  de  Tin- 
faillibilité.  »  Si  le  roi  trouvait  messéant  à  sa  dignité  de  requérir 
lui-même  une  explication,  il  la  ferait  solliciter  par  le  doyen 
de  la  Sorbonne,  tout  en  permettant  l'usage  de  son  nom,  a6n 
que  le  pape  ne  pût  se  plaindre  de  négocier  avec  des  théolo- 
giens; mais  «  il  paraîtra  assez  que  ce  sera  le  pape  qui  fera  le 
premier  pas,  puisque  son  ministre  dira  lui-même  que,  etc.,  » 
et,  si  le  nonce  no  parlait  pas  dans  ces  termes,  on  suppléerait 
à  son  silence  «  en  faisant  dire  au  pape,  de  la  part  du  roi,  que 
Sa  Majesté  a  su  le  sens  do  Sa  Sainteté  sur  la  bulle  par  ce  que 
le  cardinal  de  Retz  en  a  écrit  à  ses  amis  de  la  Faculté  »  et 
même  à  Lionne,  «  ce  qui  diminuerait  encore,  dit  Relz,  quelque 
chose  do  l'avance  de  la  part  du  roi.  »  Ainsi,  les  diverses  pro- 
positions de  Retz  avaient  ce  caractère  commun,  non  seulement 
de  mettre  sur  le  même  pied  le  saint-siège  et  une  Faculté  de 
théologie,  mais  de  transformer  le  pape  d'offensé  en  offenseur, 
déjuge  suprême  en  justiciable,  et  de  réserver  à  la  Sorbonne 
le  droit  de  ne  donner  une  apparence  de  satisfaction  qu'après 
la  soumission  et  les  excuses  publiques  du  pontife  romain! 

Si  la  relation  du  23  octobre  4603  est  exacte,  on  ne  s'étonne 
pas  que  Retz  ait  si  complètement  échoué.  Quelle  probité,  quelle 
habileté  y  avait-il  à  se  présenter  devant  Alexandre  comme  5^r- 
vitore  partiale  délia  sua persona ;  à  prolosler  de  ^ixpassion  pour 
les  iiitérfits  du  saint-sirr/p  et  pour  roux  de  Sa  Saiiiteté;  du 
mouvement  de  sa  conscience  qui  l'obligeait  k  parler  sans  ordre 
du  roi;  à  soutenir  que  ce  différend  entre  le  saint-siège  et  la 
France  venait  d'îm  équivoque;  qu'il  était  plus  glorieux  pour 
le  saint-siège  de  se  désavouer  et  de  s'humilier  devant  les  cen- 


GALLICANISME  ET   JANSÉNISME  37 

sures  de   la  Sorbonne,  etc.?  Quand  le  pape  dit  :  «   Quoi!  je 
m'expliquerai  dans  le  temps  que  fon  me  menace!,,,  »  Retz  ré- 
pond :  «  On  en  est  bien  éloigné  »,  et  cependant  il  sait  tout  ce 
qu*on  a  fait  en  France,  tout  ce  qu'on  y  prépare  contre  le  saint- 
siège;  il  a  en  mains  et  il  exécute  en  ce  moment  les  instruc- 
tions du  25  septembre;  et  il  avoue  lui-même  qu'avant  la  fin  de 
raudiencc  il  a  employé  l'intimidation  pour  triompher  du  pape  : 
M  Je  lui  dis,  raconte-t-il,  que  la  France  tenait  aujourd'hui  To- 
pinioade  Tinfaillibilité  du  pape  pour  une  opinion  problémati- 
que et  que  Ton  peut  tenir  en  conscience;  çw'i/y  avait  à  craindre 
que^  si  les  esprits  s'aigrissaient^  on  ne  prit  dans  les  suites  d'autres 
pensées;  que  je  savais  que  l'on  recliercliait  avec  soin,  à  focca- 
sion  de  la  dernière  bulle j  les  vieux  mémoires  de  ce  qui  s'était 
fait  autrefois  dans  le  royaume  par  le  Parlement  et  par  la  Fa- 
culté contre  les  bulles  des  papes  ;  que  j'appréhendais  que  Von  y 
trouvât  des  exemples  fâcheux  et  qui  pouvaient  tirer  à  des  consé- 
séquences  plus  grandes  même  et  plus  considérables  que  Ion  ne 
se  les  pouvait   imaginer  en  Italie;,.,  que  toits  les  moments 
étaient  précieux  pour  prévenir  les  résolutions  que  Vo7i  pouvait 
prendre  et  auxquelles  il  ny  aurait  plus  de  remède,  »  Retz  n'est- 
il  pas  réduit  à  des  mensonges  d'écolier,  lorsque  Alexandre  lui 
parle  des  divisions  de  la  Sorbonne  et  le  presse  de  ces  ques- 
tions :  «  Qui  l'a  pris,  cet  équivoque  dont  vous  parlez?  Qui  la 
demande,  cette  explication?  Est-ce  à  moi  de  faire  le  premier 
pas?  Comment  puis-je  faire  ce  que  vous  proposez,  sans  que 
je  leur  donne  matière  de  triompher  et  de  se  moquer  de  moi?  » 
—  Quelle  réponse  trouve-t-il,  je  ne  dis  pas  dans  son  cœur 
fermé  à  tout  noble  sentiment,  mais  dans  son  imagination, 
lorsque  Alexandre  VII,  accueillant  déjà  en  espérance  le  plus 
léger  signe  de  repentir,  s'écrie  avec  émotion  :  a  Qu^elles  re- 
viennent, ces  ouailles,  et  je  leur  ferai  voir  que  je  ne  leur  veux 
pas  seulement  rendre  justice,  mais  que  je  les  veux  encore 
combler  de  grâces?  »  Rien  n'est  plus  douloureux  que  cette 
scène  de  Castel-Gandolfo,  où  la  grande  et  belle  Église  galli- 
cane est  représentée  par  le  plus  méprisable  de  ses  membres, 
€l  où  Alexandre  VII  décrit  en  termes  si  vrais  les  ravages  déjà 
exercés  dans  notre  pays  par  les  ennemis  de  Rome  :  «  Le  cœur 
est  gâté,  dit-il  à  plusieurs  reprises.  Il  y  a  des  gens  en  France 


28  CHAPITRE    DOUZIÈME 

qui  m  veulent  au  saint-siège^  et  la  cour  en  veut  à  ma  personne. 
—  Tout  ce  que  je  pourrais  faire  ne  servirait  de  rien,  dans  la 
disposition  où  Ton  est.  » 

On  fit,  en  France,  «  d*aniples  délibérations  sur  Taudience 
que  le  cardinal  de  Retz  avait  eue  du  pape  (1)  »,  et  Ton  décida 
de  poursuivre  la  négociation  commencée,  afin  d'obtenir  du 
saint-siège  un  acte  qu'on  pût  interpréter  en  ce  sens  qu'il  re- 
nonçait à  condamner  jamais  les  adversaires  de  son  infaillibilité. 
Retz  avait  laissé  croire  au  roi  que  le  pape  lui  faisait  cette  con- 
cession impossible,  tandis  qu'Alexandre  VII  déclarait  seule- 
m(3nt  que  la  condamnation  n'était  pas  dans  sa  bulle.  Le  cardi- 
nal avait  cependant  ajouté  qu'il  n'était  pas  vraisemblable  que 
cette  promesse,  attribuée  par  lui  au  pape,  fût  jamais  constatée 
ni  réalisée  dans  un  document  écrit.  Aussi  le  roi  et  Lionne,  en 
prévision  d'un  échec  inévitable,  cherchèrent  d'avance  à  rejeter 
la  rupture  sur  la  prétendue  déloyauté  des  Romains.  Voici  la 
réponse  que  Lionne  fit  au  cardinal,  lo  20  novembre  (2)  :  «  Pre- 
mièrement, on  convient  ici  du  principe  qu'il  est  bon  pour  les 
uns  et  pour  l<»s  autres  (raccommoder  Tadaire.  En  second  lieu, 
il  semble  que  cela  doive  être,  puisque  l'on  est  en  quelque  fa- 
çon demeuré  d'accord  de  toute  la  substance  de  la  chose,  et 
quMI  semble  qu'il  ne  reste  qu'à  s'expliquer  de  part  et  d'autre. 
En  troisième  li(îu,  on  demeure  d'accord  que  le  premier  pas 
apparent  soit  fait  de  ce  côté-ci,  ou  par  le  roi  ou  par  la  Sor- 
bonne,  ol,   pour  conclusion,  qu'afin  que  personne  ne  puisse 
fUre  trompé^  on  doit  convenir  expressément  de  ce  que  7ious 
donnerons  et  de  ce  qui  nous  sera  rendu  avant  qu'il  en  paraisse 
rien  au  Jour,  (iOmme  il  est  question  d'une  affaire  de  spiritua- 
lité toute  pure.  Sa  Majesté  n'auraitjamais  eu  aucune  difficulté 
à  faire  le  premier  pas,  faisant  requérir  le  pape  d'expliquer  sa 
bulle,  suivant  co  que  messieurs  les  cardinaux  Albizzi  et  Palla- 

(1)  Analyse  <\ii  Saiut-Frét.  Home^  Papiers  et  documents^  24. 

(2)  Home,  172.  —  Dès  le  7  novembre,  des  iostructions  brutales  avaient  été 
envoyée»  à  Bourlemout  :  Demandez  audience  au  cardinal  Chigi,  écrivait 
Lionne,  et  dites-lui  que  le  nonce  a  tort  d'imputer  l'affaire  de  Sorbonne  au 
refus  des  grâces  sollicitées  par  le  roi.  Dites-lui  que  le  roi  «  ne  prétend  aucune 
grÂce  de  S.  S.,  ni  ne  s'en  .soucie  >»  On  se  passera  ici  de  ses  induits.  «  Les  pour- 
vus par  S.  M,  des  abbayes  et  d'autres  bénéfices  jouissent  paisiblement  de  tous 
les  revenus.  »  (/{orne,  inAme  volume.) 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISMt: 


29 


vicino  ont  fait  conaailrc  de  ses  intentions,  n  était  que  la  cour 
de  Rome^  gui  agit  toujours  peu  sincèrement  et  prend  avantage 
de  toutj  aurait  pu  attribuer  cette  avance  et  cette  grande  facilité 
à  un  eflet  des  menaces  que  M.  le  nonce  ne  cesse  de  faire  à  qui 
veut  l'écouler.  Elle  a  donc  cru  ne  devoir  pas  témoigner  qu'elle 
se  mêle  de  TafiFaire  ou  qu'elle  désire  rien,  mais  qu'elle  laisse 
la  conduite  de  la  Sorbonne  aux  docteurs,  qui  peuvent  prendre 
d'eux-mêmes,  pour  la  satisfaction  et  la  préservation  des  droits 
de  la  Faculté,  les  résolutions  qu'ils  estimeront  à  propos...  Sa 
Majesté  a  donc  pensé  que  Votre  Eminence  peut  continuer  à 
négocier  sur  le  fondement  infaillible  de  cette  lettre  des  douze 
docteurs,  dont  la  substance  sera  premièrement  toute  sorte 
d'honnêtetés  et  de  soumissions  à  Sa  Sainteté^  et  une  déclara- 
tion que  la  Faculté,  dans  la  censure  qu'elle  a  faite  du  livre  de 
Guimenius  en  Tarticle  où  il  parle  de  l'infaillibilité  du  pape, 
a'avait  entendu  autre  chose  que  de  censurer  l'opinion  qui  con- 
damnerait d'hérésie  celle  qui  a  toujours  été  tenue  en  France 
que  les  papes  ne  sont  pas  infaillibles...  Votre  Eminence  pourra 
demander  à  voir  ce  qu'on  nous  rendra  pour  cette  lettre...  Si  le 
roi  en  peut  demeurer  satisfait  après  quil  aura  vu  le  tout^  Sa 
Majesté  prendra  soin  aussitôt  de  vous  adresser  la  lettre  des 
douze  docteurs  pour  être  présentée  à  Sa  Sainteté,  et  même, 
toutes  choses  étant  concertées  et  ajustées  avec  satisfaction  ré- 
ciproque, Sa  Majesté  alors  ne  fera  aucune  difficulté  de  faire 
requérir  le  pape,  à  son  nom,  par  son  ministre  de  donner  une  ex- 
plication à  sa  bulle.  »  Les  dernières  lignes  révèlent  clairement 
que  le  roi  et  Lionne  ont  fait  semblant  de  croire  un  accommo- 
dement possible  sur  ces  bases,  et  qu'ils  se  sont  seulement 
ménagé  une  retraite  :  «  Votre  Eminence  jugera  bien  qu'on  a 
grande  raison  de  prendre  toutes  ces  précautions  non  seulement 
sur  le  silence  du  nonce,  après  qu'on  vous  a  si  positivement 
promis  qu'il  parlerait,  mais  sur  la  considération  si  judicieuse 
qu'elle  nous  a  faite  dans  sa  lettre  qu'au  fait  etau  pvendvc. quand 
Usera  question  de  déclarer  que  le  pape  ne  condamne  point  fo- 
pinionde  ceux  qui  ne  le  tiennent  point  infailUhle,  il  pourra 
tomber  alors  dans  l'esprit  de  Sa  Sainteté,  ou  par  elle-même  ou 
fKxr  la  suggestion  de  ceux  qui  rapprochent,  mille  différentes  ré- 
flexions  qui  seront  capables  de  la  retenir  de  faire  ce  pas,  » 


30  CHAPlTilE   DOUZIÈME 

Le  22  décembre,  le  cardinal  de  Retz  se  présenta  de  nouveau 
devant  le  pape,  qui  Taccueillit  «  avec  beaucoup  de  douceur  et 
de  bonté  »,  espérant  apprendre  de  lui  une  «  bonne  nouvelle», 
c'est-à-dire  la  soumission  si  désirable  des  théologiens  galli- 
cans. La  première  parole  du  cardinal,  qui  était  un  mensonge, 
lui  donna  quelque  conTiance,  et  il  fut  impatient  d'en  entendre 
davantage  :  «  È  vero,  è  vero?  »,  dit-il  ;  mais  il  démêla  aussitôt, 
dans  les  explications  embrouillées  de  Retz,  que  la  Sorbonnc 
était  plus  éloignée  que  jamais  d'avouer  sa  faute  et  que  le  roi 
exigeait,  même  pour  l'avenir,  une  déclaration  d'orthodoxie  eo 
faveur  des  doctrines  gallicanes.  Le  cardinal,  en  effet,  n'appor- 
tait aucune  lettre  des  douze  docteurs  ;  il  prétendit  que,  le  pape 
ne  l'ayant  pas  autorisé  à  leur  écrire  de  sa  pari,  ils  n'avaient 
pu  s'ouvrir  «  positivement  ni  directement  »  de  leurs  intentions. 
Il  laissait  espérer  une  lettre,  dont  il  n'offrait  pas  mCme  le 
projet,  mais  seulement  sous  cette  condition  :  «  Si  on  trouvait 
mot/en  de  leur  persuade?'  que  Sa  Sainteté  ne  ferait  pas  difficulté 
de  leur  faire  connaître  par  sa  réponse  que  son  intention  n'a 
pas  été  de  condamner  par  sa  bulle  f  opinion  contraire  à  celle 
de  cette  infaillibilité {\}...  »  —  «  Le  pape  dit  qu'il  voyait  bien 
que  la  Faculté  voulait  bien  faire  le  premier  pas,  jnais  qu'elle 
ne  le  ferait  pas  sans  ime  capitulation  dans  laquelle  Une  voulait 
point  entrer;  qu'elle  lui  écrivît;  qu'il  assemblerait  la  Congré- 
gation qu'on  appelle  de  Jaiisénius  et  qu'il  aviserait  avec  elle, 
en  un  quart  d'heure,  une  réponse  qui  satisferait  les  plus  dif- 
ficiles. Le  cardinal  de  Retz  insista,  au  contraire,  pour  quele  pape 
résolût,  avant  toutes  choses,  dans  cette  Congrégation,  ce  qu'il 
voudrait  faire  en  cas  quon  lui  écrivit  cette  lettre,  et,  après 
quelques  petites  contestations,  le  pape  se  rendit  en  disant 
néanmoins  que  c'était  donner  tout  l'avantage  à  la  Faculté.  Il 
promit  d'en  parler  aux  cardinaux  de  cette  Congrégation,  et 
ordonna  à  ce  cardinal  de  leur  en  parler  aussi  ;  de  leur  ordon- 
ner de  sa  part  le  môme  secret  qu'où  observait  dans  ce  qui  re- 
garde le  Saint-Office,  et  d'en  instruire  surtout  les  cardinaux 
Albizzi  et  Chigi.  »  Retz  se  félicita  de  cette  résolution  du  pape, 
supposant  que  des  cardinaux  se  prêteraient  plus  volontiers 

(1)  Home,  172. 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISME  31 

que  le  pape  à  un  engagement  :  M.  de  Bourlemont  et  moi,  dit- 
il  H)y  nous  serions  sûrs  du  succès  «  si  la  déclaration  sur  Tin- 
faillibilité,  sur  laquelle  Rome  ne  s'est  jamais  voulu,  en  aucune 
occasion,  expliquer  clairement,  ne  nous  laissait  toujours  dans 
l'esprit  les  soupçons  et  les  défiances  que  vous  avez  vus  dans 
toutes  mes  lettres  sur  ce  point...  » 

Comme  il  était  arrivé  après  l'audience  de  Caslel-Gandolfo, 
Retz  donna  encore  un  espoir  chimérique,  en  aiïectant  de  croire 
que  la  Congrégation  fût  de  composition  plus  facile  que  le  sou- 
verain pontife.  Les  cinq  prélats  dont  elle  était  formée  n'étaient 
pourtant  pas  suspects.  «  Ces  cardinaux,  dit  Retz,  sontGinetti, 
Borromée,  Albizzi,  Chigi  et  Rasponi,  et  de  ces  cinq  il  est  cer- 
tain qu'il  y  en  a  quatre  dont  on  ne  peut  douter  qu'ils  ne  sou- 
haitent avec  passion  raccommodement  (2).  ))  Le  plus  influent 
était  Albizzi,  auquel  précisément  le  pape  venait  de  renvoyer 
le  cardinal  français.  C'est  Albizzi  «  le  plus  sûr  sur  ce  point, 
dit  Retz,  tant  parce  qu'il  souhaite  l'accommodement  pour  ses 
intérêts  particuliers  que  parce  qu'il  parle  plus  hardiment  que 
personne  au  pape  et  qu'il  le  contredit  et  l'emporte  même  assez 
souvent  contre  ses  premières  résolutions  (3).  »  A  peine  Retz 
lui  en  eut-il  ouvert  la  bouche  qu'Albizzi ,  entrant  dans  la  pensée 
du  pape  qu'il  connaissait  si  bien,  lui  proposa  sur-le-champ  une 
rédaction  conforme  à  l'opinion  immuable  du  saint-siège,  mais 
contraire  aux  prétentions  gallicanes.  «  Si  les  députés  écrivent 
au  pape,  répondit-il,  Sa  Sainteté  ne  doit  faire  aucune  difficulté 
deles  éciaircir;...  l'unique  chef  qui  mérite  réflexion  et  con- 
cert est  celui  de  l'infaillibilité^  sur  lequel  toutefois  (ce  furent 
ces  propres  mots)  il  n'y  a  aucun  inconvénient  que  le  pape  dise 
qu'il  ne  prétend  point  condamner  les  opinions  de  la  Faculté 
que  ses  prédécesseurs  ont  tolérées  {i).  Je  répondis  que  ce  mot 

(1)  22  décembre  4663.  Ro7ne,  172. 

(2)  22  décembre  1665. 

(3)  A  LioQoe,  5  Jaovicr  1666.  —  Cité  par  Chantelauze. 

(4)Aiufti  les  ultramoutams  accordaieut  eucore  aux  galiicaDs  une  tolérance 
<IQe  ceux-ci  commençaient  à  leur  refuser.  En  attendant  la  déclaration  et  l'édit 
tyrioniques  de  1682,  le  gallicanisme  cherchait  à  étouffer  par  tous  les  moyens 
^profession  de  la  doctrine  contraire  :  «  Je  sais  de  bon  lieu,  écrivait  Retz  à 
^ûDe,  qae  le  P.  Dominique,  Carme  déchaussé  français  et  qui  a  été  général 
ces  années  passées,  fait  état  de  faire  imprimer  tct,  incontinent  après  Pâques, 


32  CHAPITRE   DOUZIÈME 

(Vopiniom  tolérées  ne  serait  pas  reçu  en  France.  »  —  Alexan- 
dre VII  pouvait  souiïrir  la  doctrine  gallicane,  comme  on  l'avait 
fait  avant  lui,  mais  il  ne  pouvait  ni  ne  devait  s'engager  à  ne 
la  pas  condamner.  Retz  savait  mieux  que  personne  à  quoi 
s'en  tenir  sur  le  sens  de  la  promesse  attribuée  au  pape  et  sur 
les  sentiments  de  la  Congrégation  :  les  déclarations  antérieures 
d'Albizzi  étaient  connues  de  lui  1)  ;  nul  n^avait  proclamé  plus 
énergiquement  que  ce  cardinal  la  nécessité  où  s'était  trouvé 


iiD  livre  de^riufaillibilité  du  pape  et  de  sa  supériorité  sur  le  concile.  J*ai  essayé 
de  le  déioiirutT  iudirecteiDeut  de  cette  peuséc  par  la  voie  de  Tau  de  ses  ami^    ^ 
qui  lui  ou  a  parlé  et  qui  n'a  pu  rien  ^'agnor  sur  ?on  esprit.  Je  ne  sais  si  S.  M. 
ne  trouverait  pmnt  à  propos  de  lui  eu  faire  dire  un  mot  de  sa  part.  Cet  ouvrage, 
f/ui  ne  sera  pas  apjmremincnt  mcprisable  parce  que  ce  frligieux  est  d'un  esprit 
fort  clair  et  fort  nety  ue  peut  avoir  que  deux  mauvaises  suites,  dont  l'uue  est 
qu'il  (louuera  peut-rtre  occasion  â  uu  nouveau  feu  par  les  propositioDS  déli- 
cates ({ui  se  coulent  uaturelleineut  dans  ces  sortes  de  livres,  et  l'autre  qnll 
n'y  a  rieu  qui  donne  plus  d'espérance  à  cette  cour  d'établir  sa  doctrine  dansie 
royaume,   d'a/faihlir  la   contraire,   de  faire  naitre  de  la  division  dans  /« 
esprits,  etc.,  que  de  voir  que  des  Français  se  déclarent  publiquement  en  s* 
faveur  sur  des  matières  contestées  dans  Honte.,.  ».  (Retz  à  Lionne,  23  février  1666. 
Home,  i7i.j  Les  gallicans  avoueut  que  le  pape  laisse  discuter,  contester  sou^ 
ses  yeux  sou  infaillibilité,  mais  ils  uc  soulTreut  pas  qu  ou  la  défende,  même 
à  Home!  L'abbé  do  Bourlemout  dénonce  également  le  P.  Dominique,  qu'il  a 
vu  pendant  sou  géuéralat  et  "  qui  lui  semblait  judicieux  et  sage  »,  et  il  invite 
le  roi,  si  ce  religieux  est  réélu  général,  â  ne  le  pas  recevoir  en  France!  (A 
Lioune,  môme  date.)  —  Les  agents  de  la  France  peuvent  violer  impunément 
toutes  les  règles  morales,  et  même  elle  les  en  récompense  lorsqu'ils  combatteul 
le  saint-siège;  mais  ils  deviennent  s'ispccts  le  jour  où  ils  se  permettent  de 
dire,  même  eu  secret,  que  le  pape  pourrait  bien  avoir  des  droits.  Le  P.  Duneau, 
accusé  auprès  de  Lionne  et  du  roi  d'avoir  tenu  des  discours  indiscrets,  fut 
réduit  à  répondre  :  «  ...  Je  n'ai  jamais  parlé  de  la  bulle  hors  de  céans  parmi 
les  nôtres  et  n'ai  dit  autre  chose  sinon  que,  selon  mou  sentiment,  la  Sorboime 
aurait  mieux  fait  de  s'abstenir  de  cette  censure,  laquelle,  offensant  le  pape 
pouvait  causer  de  la  division  et  du  schisme  Do  plus,  j'ai  dit  que  rinfaillibilité 
du  saint-siège  in  rébus  fidei  ne  préjudiciait  en  façon  quelconque  à  l'autorité 
royale,  ce  qui  est  très  véritable  ;  de  plus  que,  cette  inraillibilité  n'étant  pas 
uu  article  de  foi,  la  Sorbonne  ne  l'avait  pas  condamnée  directement,  mais  seu- 
lement la  doctriue  de  ceux  qui  appellent  hérétique  l'opinion  contraire,  ce  qui 
apport  évidemineut  par  les  termes  de  la  censure.  Eu  tout  cela,  dit  seulement 
in  Ira  domeslicas  parietes^  je  ne  crois  pas  avoir  donné  sujet  à  personne  de 
mauvais  office,  et,  si  fui  failli,  je  me  soumets  à  la  correction  que  vous  m*en 
ferez.  »  (Duneau  â  Lionne,  i)  mars  IfîOO.  Home,  175.) 

(1)  «  .M.  le  cardinal  de  Retz  m'a  dit  que  le  cardinal  Âlbizzi  lui  avait  dit  qu'il 
voulait  bien  que  Von  sache  qu  ayant  fait  la  bulle  susdite,  il  en  tirait  gloire, 
M.  le  car  linal  de  Retz  lui  a  répondu  qu'il  croynit  qu'il  avait  fait  des  chose» 
plus  glorieuses  que  cela  et  dont  il  pouvait  se  vanter.  »  (Bourlemont  à  Lionne 


GALLICANISME    ET   JANSÉNISME  33 

le  pape  de  publier  la  bulle,  et  de  ne  pas  «  faire  croire  à  la 
postérité  que  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  eût  condamné, 
à  la  vue  de  Rome,  Fopinion  de  Tinfaillibililé  comme  fausse, 
etc.  (1).  »  Il  était  donc  impossible  de  relever  la  Sorbonne  des 
effets  de  la  bulle,  sans  qu'elle  désavouât  préalablement  les 
censures  condamnées.  Aussi,  lorsque  la  Congrégation  de  Jan- 
sénius  voulut  obéir  au  pape,  sa  première  démarche  fut  d'en- 
voyer son  secrétaire  Varese  chez  le  cardinal  de  Retz  pour  lui 
demander  le  projet  de  lettre  qui  devait  être  le  point  de  départ 
de  ses  délibérations.  Retz  ne  donna  rien  par  écrit,  et  Varese 
fut  réduit  à  noter  rapidement  sur  ses  tablettes  les  paroles  du 
cardinal  français.  Albizzi,  rencontrant  ensuite  le  cardinal  de 
Retz.  le  pressa  de  «  travailler  de  son  côté  à  faire  un  canevas 
de  la  lettre  des  députés  »,  disant  «  qu'il  travaillerait  du  sien 
à  en  dresser  un  de  la  réponse  du  pape...  Je  ne  lui  témoignai 
pas,  dit  Retz,  désapprouver  cette  proposition,  afin  de  l'engager 
à  me  faire  voir  la  manière  dont  il  prétend  la  concevoir  devant 
que  de  la  communiquer  aux  autres  ;  mais  je  ne  me  hâterai  pas, 
de  ma  part,  à  lui  montrer  celle  dont  nous  croyons,  M.  de  Bour- 
lemont  et  moi,  que  la  Faculté  peut  concevoir  sa  lettre,  afin  de 
nous  laisser  toujours  plus  de  terrain  pour  prendre  nos  avan- 
tages sur  les  expressions  et  sur  les  termes.  »  Ainsi,  Ton  en- 
tendait, en  France,  que  les  cardinaux  et  le  pape  fussent  irré- 
vocablement liés,  lorsque  Retz  pourrait  encore  désavouer  ses 
paroles,  les  commissaires  de  la  Sorbonne  désavouer  Retz,  et 
la  Sorbonne  désavouer  ses  commissaires  ! 

Alexandre  VII  attendit  en  conséquence  qu'on  lui  offrît  des 
satisfactions  plus  sérieuses,  toujours  prêt  à  recevoir  les  sou- 
missions des  docteurs,  mais  résolu,  si  elles  ne  venaient  pas,  à 
laisser  la  Sorbonne  sous  le  coup  de  sa  bulle.  Bourlemont,  dont 
la  passion  approuvait,  mais  dont  le  bon  sens  condamnait  ces 
folles  exigences,  proposa  au  roi  un  expédient  assez  équivoque. 


23  aofit  166ii.  Home,  HO.)  -—  Eu  marge  de  cett«*  l«'tlnî,  Lioiiue  a  écrit  de  sa  main  : 
•  Trèii  mauvais  discours  et  qui  fait  voir  ce  qu'il  serait  capable  de  faire,  s'il 
•^Uit  élevé  «i  poutificat    »  —  Cf.  Lionue  à  Bourlemont,  18  septembre  1665. 
Woïw^,  ni. 
(1)  Retz  à  Liouue,  14  juillet  1665. 

LOOIB  XIV   ET   LB  SAI.NT-SIÈGE.    —   il.  3 


.74  CHAPITRE   DOUZIÈME 

mais  qui  annonçait  du  moins  le  désir  de  s'entendre  (1).  Lionne 
désapprouva  cette  concession  «  par  la  raison  que  la  condam- 
tionquon  a  faite  à  Rome  de  la  rensurede  la  Faculté  ne  se  trou- 
vej'ait  pas  suffisamment  révoquée,  »  et  il  ordonna  d'attendre 
désormais  les  otl'res  du  pape  (2).  Uelz  se  plaignant  de  n*en- 
lendro  plus  parler  de  rien  au  palais,  le  ministre  lui  répondit  : 
«...  La  longue  durée  de  ce  silence  que  le  pape,  que  M.  le  car- 
dinal Chigi,  que  M.  le  cardinal  Albizzi  ont  eu  chacun  une  si 
belle  occasion  de  rompre,  quand  vous  leur  avez  parlé  sur 
d'autres  matières,  fait  juger  aujourd'hui  à  Sa  Majesté...  qu'ils 
ont  été  étonnés  et  comme  étourdis  quand,  avancjant  davantage 
dans  la  matière,  il  se  sont  vus  plus  proche  d'être  obligés  d'au- 
toriser eux-mêmes,  au  moins  par  une  déclaration  expresse  et 
publique,  la  doctrine  contraire  à  celle  de  l'infaillibilité  du 
pape,  qui  s'est  alors  représentée  à  leurs  yeux  comme  le  prin- 
cipal fondement  de  toute  leur  puissance;...  et  quen  même 
temps  qu'ils  sont  fâchés,  d*un  côté^  de  s'être  tant  avancés,  ils  ne 
laissent  pas  de  souliaiter  de  pouvoir  trouver  une  porte  hono- 
rable pour  sortir  de  l'embarras  où  ils  sont,  maisqu*avec  Taidc 
de  leur  inapplication  naturelle,  ils  demeurent  dans  l'irrésolu- 
tion et  ne  savent  bonnement  quel  parti  prendre  (3)  ...  »  Or, 
au  même  moment  (i),  le  cardinal  lui  annonçait  qu'Alexan- 
dre VII  aurait  écrit  àlaSorbonne  s'il  n'avait  pas  appris  qu'une 
ligue  formée  entre  l'Empereur,  l'Espagne  et  l'Angleterre  contre 
la  France  allait  détourner  le  roi  des  affaires  religieuses.  Bien- 
tôt vint  une  nouvelle  dépèche  de  Lionne  avec  une  autre  ex- 
plication :  Je  me  dédis,  écrivait-il,  de  la  raison  à  laquelle  j'at- 
Iribuaîs  la  rupture  :  je  ne  crois  plus  que  ce  soit  <*  l'irrésolution 
de  votre  cour  quand  elle  avait  vu  de  plus  près  la  grandeur  des 
pas  (]u'il  lui  fallait  franchir;  »  mais,  depuis  votre  lettre  du 
16  février,  je  pense  que  c'est  «f  la  mauvaise  volonté  de  ladite 
cour  qui,  sur  de  méchants  avis  qu'elle  re(;oit  de  ce  pays-ci  et 
appuyés  dt;  la  folie  du  nonce,  conçoit  de  fausses  espérances 
qui?  le  roi  pourrait  avoir  des  embarras  et  qu'elle  doit  demeurer 

(1'  Ilctz  il  iJoniie.  'i  jauvirr    I6(»ti. 
(2)  2î»jaiivior  l»;«i(j.  linme,  171. 
fa'  '2{\  fi'vrier  106t).  iiomc,  ITi. 
■4»  2:1  février,  liomt'^  114. 


GALLICANISME    £T   JANSÉNISME  35 

r  mieux  pousser  ses  intérêts  à  la  faveur  des  conjonc- 
iu  surplus,  le  roi  aime  mieux  cela,  et  vous  ordonne 
îr,  sans  plus  de  délai,  toutes  les  paroles  données  pour 
imodement,  »  à  moins  qu'il  ne  soit  survenu  un  inci- 
î-ci  et  l'arrivée  de  ce  courrier  (1). 
^positions  si  contradictoires  et  si  erronées  de  Lionne 
z  dissimulaient  mal  le  dépit  que  leur  causait  cette 
le  négociation  déloyalement  conduite  par  eux  (2).  Il 
Ls  oublier,  eu  effet,  que  le  pape  n'attendait  plus  rien 
vaut  sa  bulle,  il  avait  (6  avril)  exprimé  le  désir  que, 
saveu  des  censures  de  Sorbonne,  on  lui  épargnât  la 
de  frapper  des  théologiens  indociles;  mais,  depuis 
t  jugé  et  condamné,  tout  était  fini  :  quelle  que  fût 
des  gallicans,  sa  bulle  n'en  était  pas  moins  obliga- 
r  toule  TEçiise.  Il  avait  le  dernier  mot,  et  les  protégés 
'  de  France  demeuraient  sous  le  poids  de  la  sentence 
?.  Un  écrivain  moderne  (3),  forcé  d'avouer  Téchec 
LUté  dans  ce  conflit,  prétend  qu'elle  reprit  l'avantage 
nt-siège  en  l'intimidant  au  point  de  lui  faire  retenir 
is  dont  il  allait  frapper  le  Parlement  de  Paris.  Mais 
iioignage  sérieux  n'a  jamais  autorisé  ces  bruits  d'ex- 


.<  Ifitiii.  Home,  175. 

primait  sou  embarras  avoe  iiiip  naïveté  qui  ne  justifie  pas  l'éloge 
Chautelauzc  «i  sou  géuie   diplomatique   :   «   Nous  nous  croyons 
lemont  ot  moi]  obligés  d'ajouter  en  ro  lieu  que   la  conduite  de 
t  si  obscure,  si  irrégulière  et  si  incertaine  que  nous  ne  serions 
it  surpris  si,  après  môme  ce  que  nous  vous  écrivons  aujourd'hui, 
ait  demain  une  réponse  toute  contraire  à  ce  que  nous  vous  man- 
lême  principe  qui  nous  a  eniprchés  de  vous  assurer  que  les  dis- 
sent bonnes  dans  le  temps  ([u'elies  nous  ont  paru  les  meilleures, 
»  ne  voudrions  pas  vous  répondre  ifu'elles  se  trouvassent  par 
aussi  mauvaises  (jue  nous  avons  sujet  de  le  craindre  par  ce  que 
présentement.  »  (A  Lionne,  2  février  1600.  Home.  174.) 
auze,  pages  371  et  suiv.  «  Aiusi  fut  assoupie  par  le  silence  de  la 
t  cette  question  brûlante,  etc.  Alexandre  Vil  jugea  qu'il  étiiit  plus 
c   un  prince  du   earartère  de  Louis  XIV,  de  s'abstenir  et  de  se 
,  rraiute  d'ulhimer  un  vaste  incendie...  Le  cardinal  de  Relz  ne 
i  p<*u  à  l'entretenir  dans  ce.s  (lisp<»sitionr;  par  les  frayeurs  (|u'll 
er.  S'il  n'obtint  pas  le  résultat  ((u'il  avait   poursuivi  avec  une  si 

cesl-à-dire  une  rétractation  de  la  bulle,  il  manusuvra  si  bien... 

ue  donna  ntninie  suih'  à  si*s  menncvs  fi'r.n-onnnunicaiion  contre 


36  CHAPITRE    DOUZIÈME 

commuoication  imminente  que  Ton  trouve  dans  quelques 
dép6chos,  et  ces  prétendues  menaces  n  ont  jamais  été  moioi 
vraisemblables  qu'à  Tépoque  dont  on  parle.  L'agitation  gal- 
licane qui,  après  la  publication  de  la  bulle,  s'était  manifestée 
dans  une  partie  du  clergé,  était  alors  calmée,  et  Alexandre  VH 
n'avait  qu'à  observer  en  paix  le  cours  des  graves  conflits  qui 
venaient  de  s'élever  entre  les  évêques  français  et  la  puissance 
séculière.  Ce  sont  les  événements  auxquels  fait  allusion  Lioime 
dans  sa  lettre  du  42  mars  citée  plus  haut,  et  dont  le  nonce 
Roberli  informait  si  exactement  le  souverain  pontife. 

Lorsque  parut  la  bulle  Ctnn  ad  aures  (2o  juin  1663),  l'as- 
semblée quinquennale  du  clergé  était  réunie  depuis  quelques 
semaines.  Le  13  août,  son  promoteur  l'ayant  avertie,  «  sans 
former  aucun  jugement,  »  que  cette  bulle  semblait  contenir 
«  beaucoup  de  choses  qui  méritaient  son  attention,  »  elle 
chargea  des  commissaires  de  lui  en  rendre  compte.  Le  pro- 
moteur lui-même  n'avait  relevé  qu'un  passage  sur  Tétendue 
de  l'autorité  épiscopalc  dans  l'examen  des  livres,  et  le  prési- 
dent «  s'était  exprimé  en  termes  si  respectueux  pour  le  saint- 
siège  et  pour  notre  saint-père  le  pape  que  l'assemblée  avait 
témoigné  qu'il  avait  fort  bien  exprimé  ses  véritables  senti- 
ments. »  Pendant  les  huit  mois  qu'elle  siégea  encore,  la  ques- 
tion ne  fut  jamais  reprise.  Avant  cet  incident,  un  des  princi- 
paux membres  de  l'assemblée,  l'archevêque  d'Arles,  lui  avait 
dénoncé,  comme  un  scandaleux  empiétement  sur  le  pouvoir 
spirituel,  l'arr^'t  qui  venait  d'être  rendu,  le  29  juillet  parla 
grand'chambre,  à  l'occasion  de  la  même  bulle,  «  y  ayant  des 
termes,  dans  ledit  arrêt,  par  lesquels  le  Parle?nent  veut  pren- 
dre inip  connaissance  entière  de  la  doctrine  an  préjudice  de 
tantorité  et  juridiction  épiscopaley  à  qui  elle  appartient  de 
droit.  »  Et  il  recommandait  à  ses  collègues  de  traiter  «  cette 
matière  importante  avec  grande  prudence  et  néanmoins  grande 
fermeté,...  l'objet  étant  d'autant  plus  considérable  qu'il  y  avail 
lieu  de  craindre  un  pareil  arrêt  dans  tous  les  Parlements  d« 
royaume...  »  Le  président  fut  prié  de  réunir  les  pièces  à  con 
sulter  et  d'en  faire  son  rapport.  Pendant  que  cette  affaire  s'ins 
truisait,  l'assemblée  reprit  avec  plus  d^ardeur  un  projet  de  re 
montrances  contre  un  discours  prononcé  à  la  grand'chambre 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISME  37 

le  12  décembre  précédent,  par  Tavocat  général  Talon,  le  même 
qui  avait  préludé  par  un  violent  réquisitoire  à  Tarrét  du 
29  juillet. 

Ces  plaintes  répétées  du  clergé  avaient  une  extrême 
g^vité  et  atteignaient  la  couronne  même  ;  car  le  principal  re- 
proche qu'il  adressât  au  magistral  était  de  favoriser  les  usur- 
pations de  la  royauté  sur  l'Église.  Toutes  les  fois  que  l'as- 
semblée avait  délibéré  sur  ce  sujet,  elle  avait  appelé  dans  son 
sein  les  autres  évéques  qui  étaient  alors  à  Paris,  et  tous  ces 
prélats  réunis  avaient  signé,  pour  être  présentés  au  roi,  des 
mémoires  conçus  dans  les  termes  les  plus  énergiques.  »  Une 
maxime  hérétique  et  schismatique,  disaient-ils,  a  été  avancée 
dans  votre  Parlement. . .  Cette  maxime,  que  nous  co?idamnons  et 
dont  la  publication,  qui  a  scandalisé  tout  le  royaume,  nous 
oblige  d^en  demander  la  réparation  à  Votre  Majesté,  est  que  les 
f rinces  temporels  ont  le  droit  et  le  pouvoir  déjuger  et  de  décider 
des  dogmes  de  la  foi  et  de  la  discipline  ecclésiastique  ;...  [qu'ils 
ODtj  un  sacerdoce  royal^  une  pléiiitude  de  puissance  légitime, 
Wi pouvoir  de  tout  faire,  une  éminence  d'autorité,.,  non  seule- 
ment quant  à  la  discipline  ou  au  règlement  des  mœurs^  mais 
encore  quant  aux  dogmes  de  la  foi  et  à  l'extirpation  des  héré- 
«e*\...  Votre  Majesté  est  trop  éclairée  pour  ne  pas  pénétrer 
dans  les  pernicieuses  conséquences  de  cette  doctrine,  dont 
Qne  seule  petite  partie  a  été,  dans  le  dernier  siècle^  l'origine 
des  schismes  et  de  Thérésie  d'Angleterre  (l)...  »  L'arr^^t  du 
29  juillet  1665  n'était  que  la  mise  en  pratique  des  maximes 
étabhes  dans  le  plaidoyer  du  12  décembre.  Et  précisément, 
dans  le  temps  où  l'assemblée  revendiquait  les  droits  de  TÉ- 
glise  contre  la  puissance  laïque,  un  autre  tribunal,  pure  éma- 
nation de  la  couronne,  les  Grands  Jours  d'Auvergne,  venait  de 
s'attribuer  dans  plusieurs  arrêts  de  règlement,  les  prérogatives 
les  plus  essentielles  du  clergé.  Le  16  novembre  1665,  les  pré- 
lats arré  tèrent  que  des  remontrances  seraient  portées  au  roi, 
et  qu'il  serait  prié  de  supprimer,  avec  les  arrêts  des  Grands 
Jours  du  30  octobre,  le  plaidoyer  du  12  décembre  1664^  dont 


(ij  Actti  et  procès-verbaux  du  clergé,  t.  iV,  p.  196  et  197  des  Pièces  justiii- 


38  CHAPITRE    DOrZIÈVE 

ils  se  réservaient  île  censurer  quelques  articles  <c  dans  les  fo^  ! 
mes  usitées  dans  les  assemblées.  »  Ils  décidèrent  aussi  qu'il 
sérail  fait  instance  *<  pour  lever  les  obstacles  qui  empêchaient 
la  tenue  des  conciles  provinciaux.  »  Les  députés  furent  reçus 
plusieurs  fois  par  Louis  XIV,  qui  ne  leur  (it  d'abord  que  des  ré- 
ponses équivoques.  L'assemblée  insista,  rédigea  d'autres  re- 
montrances, et,  le   12  janvier  1666,  Tévèque  d*Amiens  pro- 
nonça devant  le  roi  un  discours  vigoureux(i).  La  couronne  ne 
jugea  pas  prudent  d*ou  vrir  à  la  fois  la  lutte  contre  le  saint-siège 
et  contre  le  clergé  :  elle  accorda  aux  évèques  une  apparencede 
satisfaction,  qui  marqua  mieux  encore  son  hostilité  profonde 
contre  TEglise,  et  qui  révéla  aux  yeux  les  moins  clairvoyants 
les  périls  dont  l'avenir  était  chargé.  C'est  alors  que  Lionne 
écrivait  à  Tabbé  d«»  Bourlemont  :  •<  Vous  ne  pouviez  mieux  ré- 
pondre que  vous  avez  fait  à  ceux  qui,  faute  de  bien  savoir  nos 
mœurs  et  nos  usages,  s'étonnaient  de  voir  l'arrêt  de  règlement  ^ 
donné  par  la  chambre  des  Grands  Jours,  comme  s*ils  avaient 
voulu  porter  la  main  à  l'encensoir.  Ils  n'ont  fait  autre  chose,; 
comme  vous  l'avez  fort  bien  dit,  qu'employer  le  bras  séculier- 
en  des  choses  où  l'Eglise  a  besoin  de  ce  secours.  Et  s'ils  ont  ex- 
cédé en  quelque  chef  leur  pouvoir,  comme  l'assemblée  enafail^ 
quelques  remontrances  au  roi.  Sa  Majesté  y  pourvoira  par  soa 
autorité  et  tiendra  chacun  dans  les  bornes  légitimes  de  sa  puis- 
sance (2).  » 

Le  Conseil  d'Etat  défendit  d'exécuter  les  règlements  dei: 
Grands  Jours;  mais  rassemblée  ayant  examiné  cet  arrêt  da^ 
cassation,  «  ses  commissaires  étaient  tombés  d'accord  qu'il  était 
plus  préjudiciable  à  l'Eglise  dans  la  forme  qu'il  était  conçu,..* 
Quant  au  réquisitoire  de  Talon,  le  roi  répondit,  le  14  avril,  attf 
députés  :  «  J'ai  fait  appeler  mes  officiers  du  parquet  sur  !• 
sujet  du  plaidoyer  dont  vous  vous  étiez  plaints  à  moi;  ils  otA 
fait  la  déclaration  de  leurs  sentiments,  que  j'espère  qui  voil^ 
contentera...  »  Mon  chancelier  va  vous  en  donner  lecture.  «  J< 
désire  qu'après  cette  satisfaction  vous  ne  mettiez  rien  dsinsl 
procès-verbal  de  ce  qui  a  été  fait  ci-devant  contre  ledit  plai 
doycr.  »  Un  des  députés  répliqua  que  le  clergé  n'y  consenti 

(1)  Acles  et  procès-verbaux  du  chrfjn\  t.  IV,  p.  931  et  suiv. 

(2)  8  janvier  16G6.  Home,  174. 


GALLICANISME    ET   JANSÉNISME  39 

rait  que  si  le  réquisitoire  disparaissait  lui-même  des  registres 
du  Parlement.  L'assemblée,  ayant  ensuite  délibéré  sur  la  dé- 
claration lue  par  le  chancelier,  décida  «  qu'elle  ne  pouvait  ac- 
cepter la  satisfaction  qu'on  prétendait  lui  être  faite  par  ledit 
écrit,  qui  renfermait  tout  le  venin  contenu  dans  ledit  plai- 
dof/€t\  »  Le  16  avril,  le  roi  répondit  à  de  nouvelles  remon- 
trances«  qu'il  avaitcru  que  la  compagnie  devaitêlre  pleinement 
satisfaite  de  Técrit,...  et  qu'il  lui  avait  paru  que  l'explication 
qui  lui  avait  été  donnée  réparait  suffisamment  l'injure  dont  le 
clergé  se  plaignait.  »  Il  exprimait  encore  le  désir  que  la  cen- 
sure du  plaidoyer  fût  ôtée  du  procès-verbal.  Deux  jours  plus 
tard,  et  même  après  la  dissolution  de  l'assemblée,  son  prési- 
dent fit  encore  au  roi  d'énergiques  représentations  auxquelles 
celui-ci  repartit  seulement  que  ce  qu'il  venait  d'entendre  «  était 
très  considérable.  »  Quelques  lignes,  où  Louis  XIV  a  raconté 
lui-m^me  ce  grave  épisode  de  l'assemblée  de  1663-1666,  attes- 
tent, avec  d'autres  passages  de  ses  Mémoires^  qu'il  professait 
(K  ur  les  droits  des  évêques  le  même  mépris  que  pour  l'autorité 
du  pontife  romain  :  Les  députés  du  clergé  «  s'étaut  appliqués, 
dil-il  (1),  à  l'examen  du  plaidoyer,  peut-être  avec  un  peu  plus 
d^,  sévérité  qxiil  nent  été  nécessaire^  ils  prononcèrent  contre 
l'auteur  une  espèce  de  censure  de  laquelle  il  désirait  être  dé- 
chargé. L'expédient  quej'avais  d'abord  choisi  pour  accommoder 
la  chose  était  de  commander  à  Talon  qu'il  me  vînt  faire  quel- 
que espèce  d'excuse  dont  les  députés  du  clergé  se  pussent 
contenter  lorsque  je  la  leur  rapporterais;  mais,  voyant  que 
l'assemblée  voulait  encore  entrer  en  discussion  des  termes  de 
celte  excuse.  ,,,je  crus  que  le  plus  court  était  de  leur  laisser  écrire 
ttqu  il  leur  plairait  dans  leurs  prétendus  registres,  lesquels  né- 
toni,  à  vrai  dirCy  que  des  mémoires  particuliers^  ne  pouvaient 
jçmais  tirer  à  aucune  conséquence,  » 

Le  réquisitoire  de  Talon,  l'arrêt  du  29  juillet  1663  contre  la 
dernière  bulle,  les  entreprises  des  Grands  Jours  n'étaient  pas 
les  seuls  griefs  de  l'assemblée  contre  les  juges  séculiers  ou 
eontre  le  roi  lui-même.  Elle  s'était  opposée  avec  la  même 
vigueur  que  les  assemblées  précédentes  au  progrès  de  la  régale, 

(1)  Édit.  de  1806,  t.  U,  p.  119-1^0, 


40  CHAPITRE   DOlZîftMB 

cetU.' nouvelle  servitude  fjallicane  qui  devait,  quelques  années 
plus  tard,  provoquer  un  si  grand  éclat  :  elle  vil  même  poindR 
laprélention  inouïe  qui  pnMluisit  le  schisme  de  Pamiers  elniit 
directement  aux  prises  le  roi  et  le  pape.  Du  mois  d'octobre  ai 
mois  de  décembre  IG6Î5,  elle  eut  des  conférences  sur  ce  sujet 
avec  le  chancelier  Boucherat,  et,  comme  elle  trouva  «  les  diË- 
r-ultés  qu'il  faisait  maintenant  en  cette  Sitt'sÀre  plus  grandes  quil 
n  avait,  fait  au  temps  des  assemblées  précédentes^  auxquellesi! 
avait  accordé  la  [»rovisiou  aux  pourvus  par  les  ordinaires,  qu'il 
refusait  à  présent,  elle  résolut  {\o  prendre  une  forte  résolution 
là-desHus.  » 

Louis  XIV  ne  permit  pas  que  le  Parlement  envenimât  la- 
vantage  cesiquerelles  (;n  exécutant  son  arrêt  provisoire  da 
2U  juillet  :il  défendit  à  sou  procureur  général  d'exposer  à Tia- 
dience  les  cas  d*abus  qu'il  prétendait  voir  dans  la  bulle  lu 
2«^  juin.  Les  censures  pontificales  étaient  donc  inutiles  conje 
de»  adversaires  qui  se  retiraient  de  la  lutte.  Le  roi  ne  voaut 
même  plus  qu'on  prohibîlt  la  publication  en  France  d'un  lé- 
cret  rendu  à  Rome  contre  28  propositions  de  Gnimenius.  3n 
Kait  quelles  clameurs  hypocrites  s'étaient  élevées  contre  le  si- 
lence gardé  dans  la  bulle  Cutn  ad  aures  sur  les  maximes  de 
certains  casuist(îs.  Le   pape,  disait-on,  inflexible  sur  ce  jui 
concerne  son  autorité,  déserte  la  défense  de  la  morale  chré- 
tienne. La  vérité  est  que,  la  Sorbonne  ayant  uniquement  voilu 
choquer  le  pape,  Alexandre  VU  avait  réprimé  avant  tout  l'al- 
leinte  portée  à  sa  su[)rémalie,  en  se  réservant  de  revenir  jur 
les  autres  articles  qui  mériteraient  sa  réprobation.  (Vestce 
qu'il  lit  bientôt  après,  et  le  cardinal  de  Retz,  en  annonçantla 
flétrissun»  des  28  propositions  «  li»s  plus  claires  et  les  pkis 
grossières,  »  informait  la  cour  que  l'on  travaillait  à  la  coq- 
damiiation  d'autrcîs  maximes  (1).  Les  gallicans  sont-ils  sats- 
faits?  Non  :  leur  irritation  est  plus  vive  que  jamais.  Louis  XIV 
écrit  à  Rourlemont  (2)  :  (r  Comme  les  décrets  de  Tlnquisitim 


(1)  A  Lionne,  6  octobre  IBH.'i.  \\omi\  171.  —  Cette  nouvelle  procédure  sui\it 
iion  l'ours,  u  t)n  a  enfin  conûruié  cette  semaine,  dans  la  dernière  Congrégc- 
tion  delV  huiict',  le  discret  de  la  condamnation  de  Guimeuius  :  vous  le  trouver» 
ci-joint.  ..  ^Helz  à  Lionne,  13  avril  1666.  Rome,  175.) 

(2)  30  octobre.  Home,  171. 


GALLICANISME    ET   JANSÉNISME  41 

n'ont  jamais  de  lieu  dans  ce  royaume,  ce  Iribunal-là  n'y  étant 
point  reconnu,  et  comme,  d'ailleurs,  aucune  chose  qui  vient  de 
Rome  ne  peut  avoir  son  effelque  quand  je  Tai  autorisé  de  mes 
lettres  patentes,  il  pourra  arriver,  si  le  nonce  fait  encore  pa- 
raître le  décret  de  ladite  Inquisition,  dont  vous  m'avez  adressé 
uae  copie,  que  le  Parlement  y  apporte  le  même  remède  pour 
la  préservation  de  mes  droits  quil  appliqua,  il  y  a  quelque 
temps,  //  un  autre  pareil  décret,  par  lequel  les  inquisiteurs 
avaient  condamné  l'opinion  des  deux  chefs  de  l'Eglise  dans  les 
personnes  de  saint  Pierre  et  saint  Paul;  car,  quoique  cette 
opinion  soit  rejetée  en  France  comme  à  Rome,  le  Parlement 
ne  laissa  pas  d'ordonner  la  stippression  dudit  décret,  par  la 
raison  que  je  viens  de  dire.  Ainsi,  quoique  la  Sorbonne  ait 
censuré  les  propositions  que  l'Inquisition  a  depuis  peu  condam- 
nées comme  scandaleuses,  le  Parlement  pourra  rejeter  cette 
dernière  condamnation  et  se  tiendra  à  la  première.  »  — Le  se- 
cret mobile  de  cette  résistance ,  qui  nous  a  été  révélé  par 
Lionne^  est  plus  odieux  qu'on  ne  saurait  croire.  Ce  ministre 
écrivait  à  Retz  :  t<  Peut  être  vaudrait- il  mieux  que  la  témérité  de 
ce  compilateur  de  pernicieuses  doctrines  [Guimenius]  demeurtU 
toujours  impunie  de  delà  pour  nous'laisser  lieu  de  leur  faire  de 
justes  reproches  d'une  condescendance  qui  ne  se  peut  soutenir.  » 
—  «  Pour  la  condamnation  de  Guimenius,  dit-il  encore,  j'ai 
mandé  il  y  a  longtemps  à  Votre  Éminence  quels  sont  là-dessus 
les  sentiments  de  Sa  Majesté,  qui  a  été  plus  fâchée  que  bien 
tfu^  quand  elle  a  appris  que  MM.  les  cardinaux  Albizzi  et  Pal- 
lavicioo  avaient  enfin  abandonné  la  protection  de  ce  digne  au- 
teur, et  elle  aurait  mieux  aimé  qw  l'honneur  de  sa  condam- 
fiûtioit  fût  demeuré  entier  à  la  Sorhon  ne{{),  >*  —  Mais  le  roi  ne 
donna  pas  suite  à  sa  menace. 

Maigre  le  mauvais  vouloir  des  douze  députés,  la  Faculté  de 
lhé«.»lo2Îe  n«-  s'était  portée  à  aucun  acte  extérieur  qui  mé- 
ritât •!«  risfueurs  nouvelles.  Ces  commissaires,  réunis  à  huis 
clo>.  5t  dt^cbainaient  à  l'envi  contre  la  Congrégation,  criti- 
quaient le  rrvjtu  prupriu  et  se  montraient  des  irrégularités 
^snombrtf  dans  la  bulle  prétendue!  Par  un  raisonnement 

•   Lj.iZhC  à  Retz,  !>  et  2;^  janvier  1666.  Hume,  174. 


42  CHAPITRE    DOUZIÈME 

que  le  grand  nom  de  Bossuet  ne  m'empêchera  pas  de  déclarer 
absurde,  ils  étaient  même  arrivés  à  conclure  qu'en  n'observanl 
pas  les  formes  exigées  par  certains  théologiens  français,  le  sou- 
verain pontife  témoignait  qu'au  fond  de  son  cœur  il  ne  voulait 
pas  que  sa  bulle  fût  obligatoire  en  France  !  «  Neque  ipsi  pon- 
tifici menteminease  ut  (iallos  obligaret..,!  »  Mais,  en  définitive, 
ils  avaient  jugé  prudent  de  se  taire  :  «  Facuhas,  a  dit  Bossuet, 
quiescendum  rata[[).  » 

D'un  autre  côté,  comme  Louis  XIV  Tavoue  expressément 
dans  ses  Mémoires,  il  lui  importait,  au  moment  où  il  prenait 
part  à  la  guerre  déclarée  entre  l'Angleterre  et  la  Hollande,  et 
qui  pouvait  s'étendre  à  toute  l'Europe,  de  ne  pas  laisser  croire 
qu'il  fut  en  lutte  avec  le  pape  :  «  Je  chargeai,  dit-il,  le  cardinal 
de  Retz  de  chercher  les  moyens  dont  on  se  pouvait  sennr 
pour  accommoder,  à  Rome,  les  affaires  qui  regardaient  la 
Sorbonne,  croyant  que,  comme  il  était  lui-môme  docteur,  il 
trouverait  plus  aisément  qu'un  autre  des  expédients  conve- 
nables en  cette  matière;  car,  à  dire  vrai,  j'étais  bien  aise  que 
cela  se  terminât  au  plus  lot,  étant  persuadé  que,  dans  les  im- 
portantes occupations  qui  m'étaient  préparées  de  toutes  parts, 
il  était  toujours  plus  avantageux  que  cette  cour  me  fût  plus 
favorable  que  contraire  (2).  »  Il  affecta  même  de  se  donner 
comme  le  protecteur  du  saint-siège.  Il  écrivit  le  26  février  à 
Bourlemont  (3)  :  «  Je  sais  que  le  roi  d'Angleterre  a  menacé  de  se 
venger  du  refus  d'un  chapeau  pour  le  feu  sieur  d'Aubigny(4). 
U7ie  flotte  anglaise  est  entrée  daiis  la  Méditerranée  et  se  dirige 
vers  les  mers  de  Toscane;  je  ne  permettrai  pas  qu'elle  attaque 
les  côtes  de  l'État  ecclésiastique  :  dites  hautement  qu'elle  sera 
combattue  par  le  duc  de  Beaufort  à  la  tète  de  mes  vaisseaux. 
En  quoi,  bien  que  j'aie  la  guerre  avec  les  Anglais,  mon  prin- 
cipal motif  sera  celui  de  ma  dévotion  envers  le  saint-siège^ï 
l'exemple  des  rois  mes  prédécesseurs,  »  en  dépit  de  la  conduite 
du  pape  actuel  envers  moi.  —  «  Sa  Majesté,  disait  à  son  tour 

(1)  Defetisio  declarationis,  pars  II    lib.  VI,  cap.  xxvii. 

(2)  Éd.  de  1806,  t.  II,  p.  iiS. 

(3)  Home,  174. 

(4)  Fils  d'Edine  Stuart,  duc  de  Richmood  et  de  Lcnox;  isT&nd  aumônier 
de  la  reine  d'Au^lelerre,  mort  eo  1060. 


GALLICANISME    ET    JANSÉNISME  43 

Lionne  (1),  n'agira  jamais  à  l'égard  du  saint-siège  que  par  des 
motifs  de  piété,  »  Or,  Louis  XIV  savait  fort  bien  (2)  que  les 
Anglais  n*avaient  jamais  projeté  aucune  expédition  contre  les 

(1)  A  BourlemoDt,  23  avril  1666,  RomCy  173. 

(2)  J*ai  tenu  à  Térifier  le  fait,  et  les  documeuts  conservés  bmil  Archives  de  la 
Mâtine  ne  laissent  aucun  doute  sur  la  mauvaise  foi  de  lu  cour  de  France.  La 
lettre  du  roi  à  Bourlemout  est  du  26  février  1666  :  or,  dès  le  1<^'  janvier  précé- 
deot,  il  écrivait  au  duc  de  Beanfort,  qui  rentrait  au  port  de  Toulon,  après  avoir 
rempli  une  mission  dans  les  eaux  de  Tunis  :  J'ai  reçu  avis  «  que  les  Anglais 
OQl  envoyé  vingt  frégates  dans  la  Méditerranée.  »  Soyez  sur  vos  gardes/ 
«  //  ri  y  a  guère  iVapparence  que  ces  vingt  frégates  aient  ordre  de  demeurer  dans 
la  mer  Méditerranée,  vu  qu'ayant  h  soutenir  une  grande  guerre  dans  les  mers 
de  deçà  la  campagne  prochaine,  ils  prendront  plutôt  le  parti  de  rassembler 
toutes  leurs  forces  que  de  les  séparer,  et  que  ce  diHachement  ti'a  Oté  fait  que 
par  la  nécessité  de  ravitailler  Tanger...  »  {Ordres  du  roi  pour  la  Marine,  1666.) 
—  Colbert,  qui  avait  écrit  le  même  jour  au  duc  une  dépêche  conçue  en  termes 
presque  identiques,  pour  rempêcher  de  passer  dans  TOcéan  et  de  venir  se 
joindre  aux  Hollandais,  lui  écrivit  encore  à  Toulon,  le  25  mars  ;  Les  frégates 
anglaises  étaient  à  Tanger  le  dernier  février,  u  H  g  a  beaucoup  d*apparence 
qu'elles  y  seront  demeurées  après  avoir  donné  avis  aux  Anglais  qui  sont  dans 
la  Méditerranée  de  se  retirer  promptement  pour  éviter  notre  rencontre...  Si  vous 
n'avez  aucun  avis  contraire,  le  roi  estimerait  absolument  nécessaire  que  vous 
détachassiez  trois  ou  quatre  vaisseaux,  plus  ou  moins,  ainsi  que  vous  le  juge- 
rez à  propos,  pour  aller  côtoyer  l'Italie,  passer  entre  les  îles  Sardaigne,  pour 
prendre  tous  les  vaisseaux  anglais  qui  s*y  rencontreront  et  ensuite  vous  re- 
joindre au  rendez-vous  que  vous  piMirriez  leur  donner...  »  Ces  prises  sur  le 
commerce  anglais  seraient  d'autant  plus  importantes  que,  <«  cette  guerre  étant 
plutôt  du  peuple  d'Angleterre  que  du  roi.  ...  11  n'y  aurait  rien  qui  pût  contri- 
buer davantage  ou  ù  la  paix  ou  à  donner  des  embarras  furieux  au  roi  d'An- 
gleterre, au  dedans  de  son  royaume.  »  Les  frégates  étant  parties  dans  les  pre- 
miers jours  du  mois  de  janvier,  avec  un  vent  favorable,  ont  dû  parvenir  en 
douze  ou  quatorze  jours  dans  le  détroit  ;  cependant  elles  n'ont  pas  paru  sur 
les  côtes  d'Espagne,  si  ce  n'est  devant  Malaga  et  Alicanto,  ou  vers  la  Corse  ou 
la  Sardaigne,  «  ni  sur  les  côtes  d'Italie,  ce  qui  fait  croire  que  cette  flotte  n'a 
pas  passé  la  hauteur  d'Alger,  et  qu'elle  est  seulement  venue  pour  favonser  la 
retraite  des  vaisseaux  anglais...  Il  n'y  a  pas  un  moment  de  temps  à  perdre 
pour  faire  le  dêtachemcut  que  S.  M.  désire,  et  vous  voyez  par  là  combien  il 
aurait  été  avantageux  de  détacher,  dans  le  commencement,  deux  vaisseaux  des 
plus  légers,  parce  que  non  seulement  vous  auriez  appris  toutes  choses  par 
leur  moyen,  mais  même  qu'ils  auraient  beaucoup  servi  à  troubler  le  commerce 

anglais  sur  toute  la  côte  d'Italie 11  se  pourrait  faire  que  la  flotte  anglaise, 

commandée  par  Smith,  demeurât  à  Tanger  pour  attendre  les  six  ou  huit  vais- 
seaux qui  sont  partis  de  Londres  le  4  de  ce  mois  pour  porter  le  comte  de 
Sandwich  en  Espagne.  Quand  il  prendrait  ce  parti,  il  vous  laisserait  toujours 
le  maître  de  la  Méditerranée.  Ainsi  V.  A.  jugera  par  toutes  ces  circonstHuces 
qu'il  est  besoin  d'une  extrême  diligence  et  d'un  nombre  de  vaisseaux  de  l'ar- 
mée navale  pour  enlever  les  vaisseaux  marchands  anglais  qui  sont  à  présent 
d|iiB  la  Méditerranée.  »  (Dépêches  de  la  Marine,  i666.) 


44  CHAI^ITRE    DOUZIÈME 

côtes  pontificales.  Des  fr^ales  anglaises,  sons  le  commande- 
ment <le  ramiral  Smilh,  quiUèr(?nl  en  effet  la  Manche  au  com- 
mencement du  mois  (le  janvier  1()66,  se  dirigeant  vers  le  dé- 
troit de  Gibraltar,  mais  c'était  pour  ravitailler  Tanger  et  pour 
rallier  tous  les  navires  marchands  répandus  dans  la  Méditer- 
ranée, afin  de  les  convoyer  jusqu'aux  ports  d'Angleterre,  en 
les  défendant  contre  les  Français  et  les  llollandais.  Aucun 
bâtiment  de  cette  Hotte  ne  dépassa  le  port  d'Alicanle,  et,  si 
quelques-uns  des  plus  rapides  longèrent  les  côtes  d'Afrique, 
ils  n'allèrent  pas  plus  loin  qu'Alger.  Lorsque  l'approche  des 
frégates  anglaises  avait  été  signalée,  le  duc  de  Beauforl  reve- 
nait de  Tunis  à  Toulon  :  le  roi  lui  envoya  Tordre  de  différer 
son  passage  dans  l'Océan,  de  se  tenir  sur  ses  gardes  et  de 
faire  radouber  ses  bAtimenls  dans  les  ports  de  Provence.  Les 
frégates  de  l'amiral  Smith  étaient  reparties  pour  Plymouth 
aussitôt  après  avoir  rempli  leur  mission,  et  Beaufort  quitta 
lui-même  Toulon,  dès  le  29  avril,  pour  se  rendre  sur  les  côtes 
du  Portugal,  on  il  devait  attendre  et  protéger  l'arrivée  de 
M"*"  de  Nemours,  fiancée  au  roi  Alphonse.  Le  pape  ne  se  mé- 
prit pas  sur  les  faux  bruits  répandus  par  la  cour  de  France  : 
il  savait  bien  qu'il  n'avait  rien  k  craindre  des  Anglais,  et  son 
prétendu  protecteur,  dont  il  avait  naguère  apprécié  la  dévo- 
tion  et  la  piété,  lui  donna  seul  des  alarmes.  L'abbé  de  Bour- 
lemont  écrivait  :  L'avis  donné  par  le  roi  qu'il  protégera 
l'État  ecclésiastique  contre  les  Anglais  répand  ici  beaucoup 
de  joie  ;  cependant  «  le  pape  et  ses  parents  sont  entrés  en 
soupçon  que  les  vaisseaux  de  Sa  Majesté  ne  veuillent,  sous  ce 
prétexte,  entrer  au  port  de  Cività-Vecchiaou  s'arrêter  sur  les 
côtes  de  l'Etat  ecclésiatique.  »  —  Le  palais  est  encore  inquiet 
de  savoir  que  la  flotte  française,  sous  la  conduite  de  M.  de 
Beaufort,  est  en  vue  des  côtes  pontificales  (1). 

(i)  Ces  l<.>ttres  «ie  Hourluiuout  duot  du  'M)  marà  et  du  IG  juiu  1666.  Or»  dèa 
le  10  mai.  le  roi  informait  Be/iufort  que  la  tlotte  auf^laise  de  la  Méditerrauèe 
était  rentrée  à  IMymoulh,  c;t  ou  lit  daus  uu  mémoire  du  26  mai  :  «  L*armèe 
uavah'  du  roi  ost  partie  1«»  29  avril  de  la  rade  de  Toulou...  Le  roi  a  envoyé 
ordre  a  M.  de  Beaufiut.  par  le  i»ieur  de  la  Clocheterie,  parti  de  la  Rochelle  sur 
uu  vaisseau  léger  le  14  mai,  detlemeurer  à  la  hauteur  do  Lisbonne  pour  y  at- 
tendre l'oscadre  de  Puuant  qui  doit  porter  eu  Portugal  M"»  de  Nemours.  »♦ 
{Ordres  du  roi  pour  la  Marine  y  1666.)  —  Les  nouvelles  de  mer  transmises  à 


GALLICANISME   ET   JA^ISÉNISME  45 

L'ambition  de  Louis  XIV  devait  bientôt  troubler  TEurope 
el  rendre  encore  impossible  cette  ligue  chrétienne  contre  le 
Turc,  dont  le  projet  était  si  cher  au  souverain  pontife.  Alexan- 
dre VII  jugea  nécessaire  de  déclarer  solennellement  ses  inten- 
tions et  de  décliner  d'avance  la  responsabilité  des  événements 
qui  se  préparaient.  Il  convoqua  un  consistoire  pour  le  11  jan- 
Nier  1666  :  «  Il  nous  fil,  dit  le  cardinal  de  Relz,  une  espèce  de 
sermon  dans  lequel  il  nous  fit  connaître,  en  termes  latins  fort 
élégants  (1),  l'obligation  très  particulière  que  nous  avons  de 
porter  au  ciel  toutes  nos  pensées  dans  les  commencements 
d'une  année  qui  donne  lieu  de  craindre  une  infinité  de  malheurs 
par  toute  la  terre.  Il  fit  ensuite  le  portrait  au  naturel  de  l'élal 
oii  se  trouve  TEurope.  Il  dit  que  TAUemagne  rencontre  de 
grandes  difficultés  à  faire  ratifier  à  la  Porte  le  traité  [de  Te- 
meswarl  qu'elle  a  conclu /?ro/)e/*^,  ce  fut  son  mol;  que  les  forces 
ottomanes,  formidables  el  par  leur  nombre  et  par  leur  qualité, 
sont  sur  le  point  d'entrer  dans  la  Dalmatie;  que  l'Espagne  con- 
tinue la  guerre  qu'ellefaitdepuis  si  longtemps  au  Portugal  ;  que 
la  Hollande,  protégée  par  les  armes  de  France,  est  aux  mains 
avec  l'Angleterre;  que  la  Pologne  se  trouve  dans  une  condi- 
tion douteuse  et  embarrassée  par  Tincertilude  de  sasuccession  ; 
que  Tévêque  de  Munster,  sans  aucune  participation  du  saint- 
siège,  a  fait  une  irruption  dans  le  pays  des  Etals.  Le  pape  s'é- 
tendit un  peu  plus  sur  ce  point  que  sur  les  autres,  et  il  dit  ex- 
pressément et  positivement  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  faux  que 

Rome  par  Lionne  devaient  inspirer  d'autant  plus  de  confiance  qu'il  était  en- 
core à  cette  époque  et  qu'il  demeura  jusqu'en  1669  le  miuistrc  titulaire  do  la 
marine.  Louis  XIV  ne  pensait  pas  plus  à  protéger  le  saint-siège  que  Cbnrles  II 
àl'attaquer.  Le  22  janvier  1666,  quelques  semaines  seulement  avant  la  lettre  du 
26  février,  Lionne  écrivait  à  l'ambassadeur  :  J'ai  reçu  la  rilation  du  différend 
qai  sest  élevé  entre  le  pape  et  Venise  sur  la  navigation  de  l'Adriatique,  "  qui 
abilli  embraser  l'Italie  d'un  nouveau  feu,  si  la  cour  de  Rome  ne  se  fût  avi- 
*^  de  se  mettre  à  la  raison  un  peu  plus  tôt  qu'elle  ne  le  voulut  faire  avec  le 
roi  pour  nous  donner  lieu,  à  la  fin  de  toutes  ses  imprudences,  de  négocier  et 
<le  coQclure  an  des  plus  glorieux  traités  qui  ait  jamais  été  fait  k  l'avantage  de 
cette  couronne...  Vous  pouvez  cependant  assurer  M.  l'ambassadeur  de  Venise 
lue,  $i  cp  différend  eût  pris  coursy  S.  M.  aurait  donné  à  la  République  toutes 
•V*  marques  d'affection  et  de  partialité  qu'elle  même  etU  pu  désirer.  »  (Home, 
Hi.) 

(i)  A  Lionne,  12  janvier,  Rome'  174.  —  «<  Dans  une  belle  harangue  latine,  >* 
écrit  Boarlemont. 


46  CHAPITRE    DOUZIÈME 

le  bruit  qu'on  a  fait  courre. qu'il  a  ou  quelque  rapport  à  cette 
guerre.  Tout  le  monde  croit  ici  que  cette  explication  a  élé 
l^unique  fin  de  tout  le  discours,  qui  finit  par  des  expressions  de 
Taftliction  et  de  la  douleur  que  Sa  Sainteté  ressent  en  voyant 
des  commencements  de  trouble  et  d'altération  à  la  paix  géné- 
rale qu'elle  a  toujours  souhaitée  avec  tant  d'ardeur  et  avec  tant 
de  passion.  »  Le  pape  ne  dissimula  pas,  dans  ses  entretiens 
avec  l'agent  français,  qu'il  voyait  avec  déplaisir  cette  alliance 
équivoque  avec  la  Hollande,  alliance  à  laquelle  devait  bientôt 
succéder  une  inimitié  mortelle  (ij. 

Alexandre  VII  eut,  vers  ce  temps,  à  combler  les  vides  que 
la  mort  avait  faits  parmi  les  cardinaux.  Le  sacré  collège  venait 
de  perdre  en  quelques  jours  deux  de  ses  membres  les  plus 
renommés  :  Corradi,  dataire,  dont  l'intégrité  avait  élé  si  sou- 
vent maudite  par  Lionne,  mais  qui  lui  arracha  cet  éloge  : 
((  Quand  un  cardinal  papable  meurt  aussi  grand  homme  de 
bien  que  l'était  M.  le  cardinal  Corradi,  chacun  en  doit  être 
affligé,  et,  en  mon  particulier,  j'ai  ressenti  vivement  cette 
perte  (2);  »  —  et  Franciotti,  «  d'un  grand  mérite,  disait  Bour- 
lemont(3),  et  d'une  insigne  piété,  mais  sévère,  en  façon  que 
les  moins  réglés  de  cette  cour  appréhendaient  qu'il  ne  vînt  au 
pontificat.  »  Il  y  avait  dix  lieux  vacants,  mais  six  nominations 
avaient  été  précédemment  faites  m  petto.  Dans  le  consistoire 
du  13  février  1GG6,  le  pape  réserva  encore  les  noms  de  quatre 
cardinaux  et  en  déclara  six.  Il  n'y  en  avait  pas  un  qui  ne  fit 
grand  honneur  à  la  pourpre  :  Litta,  archevêque  de  Milan,  dé- 
fendait vigoureusement  les  immunités  ecclésiastiques  contre 

(i)  Le  pupe  me  dit  «  qu'il  aurait  désiré  <{ue,  dedans  le  inauifeste  qui  s*est 
fait  de  la  part  de  V.  M.  pour  la  déclaration  de  cette  guerre,  l'on  n'eût  point 
fait  mention  de  la  ligue  avec  les  Hollandais  pour  s'engager  en  cette  guerre.  » 
(Bourlemont  au  roi,  2  mars  166(;.)  —  «S.  S.  m*a  dit  :  Mais,  est-il  possible  qu'on 
n'ait  pu  éviter  la  guernî  d'Angleterre?  KUe  s'arrêta  tout  d'un  coup  après  celte 
parole  et  nie  regarda  Éixonient.  »»  (Ketz  au  roi,  même  jour.  R^/me,  174.) 

(2)  A  Hourlcmont,  K\\  février.  Home,  174. 

(3)  y  février.  Home,  17  i.  —  Uuurlemont  écrivait  encore  de  lui  le  M  octobre 
1007  :  «  IVr&onnage  de  grand  mérite  et  d'une  insigne  piété  :  c'était  un  des 
papables  de  l'ancien  collège  et  les  Espagnols  lui  avaient  fait  secrètement  l'ex- 
clusion après  la  mort  d'Innocent  X,  le  croyant  trop  sévère  et  trop  zélé  pour 
les  droits  du  saint-siège  et  le  maintien  de  la  juridiction  ecclésiastique.  ^>iRo7ne, 
186.) 


GALLICANISME   ET   JANSÉNISME  47 

la  couronne  d'Espagne.  —  Nini,  Siennois,  était  maître  de 
chambre  du  pape.  —  Corsini,  Florentin,  désigné  autrefois  par 
Innocent  X  pour  la  nonciature  de  Paris,  réunissait  toutes  les 
qualités  qui  pouvaient  plaire  à  cette  cour;  mais  Mazarin,  pour 
satisfaire  ses  ressentiments  contre  Rome,  l'avait  fait  arrêter  et 
séquestrer  à  Marseille.  —  Le  prélat  Paluzzo  Paluzzi  degrAl- 
berloni  était,  suivant  Bourlomont,  «  d'un  esprit  doux  et  intel- 
ligent en  matière  légale.  »  —  Rasponi,  de  Ravenne,  noble, 
allié  aux  Barberini,  était  Taucien  négociateur  de  San  Quirico, 
duPont-de-Beauvoisin  et  de  Pise,  si  injurieusement  traité  par 
Créquy  et  par  Bourlemont;  celui-ci  avouait  maintenant  qu'il 
élait  en  réputation  «  d'homme  de  probité,...  et  que,  parmi  les 
sujets  de  cette  promotion,  il  était  le  plus  judicieux  et  le  plus 
capable  d'agir  aux  affaires  publiques.  »  —  Conti,  Romain  de 
la  première  noblesse,  gouverneur  de  Rome,  avait  porté  «  dans 
tousses  emplois  une  grande  netteté  et  intégrité  de  mœurs  »; 
très  honnête  pour  les  ministres  étrangers  (i).  —  Les  princes 
présentaient  deux  laïques  :  le  duc  de  Mercœur  et  Moncada, 
(les  ducs  de  Montalto  :  Tindignité  de  ces  sujets  avait  retardé 
le  tour  des  couronnes.  Louis  XIV  prescrivit  à  Bourlemont  de 
déclarer  sur-le-champ  au  pape  qu'il  ne  doutait  pas  que  Mer- 
cœur  ne  fût  au  nombre  des  cardinaux  réservés  et  de  rappeler 
que  ce  duc  avait  rendu  au  saint-siège  le  service  de  mettre  fin 
aux  troubles  d'Avignon,  comme  s'il  n'était  pas  public  à  Rome 
que  les  séditieux  avaient  été  dès  Torigine  encouragés  et  pro- 
tégés par  lui,  et  qu'il  était  prêt,  au  premier  signe  du  roi,  à 
••uvahir  de  nouveau  les  terres  pontificales  (2).  Bourlemont  de- 
vait ensuite  se  concerter  avec  les  ministres  de  l'Empereur  et 
de  l'Espagne  pour  f<>rcer  Alexandre  VII  de  se  soumettre  aux 
prétentions  «  des  trois  premières  puissances  de  la  chrétienté.  » 
Bourlemont  eut  le  bon  sens  d'avertir  le  roi  que,  le  pape  ayant 
simplement  usé  de  l'une  de  ses  plus  essentielles  prérogatives, 

}i  Bauril  uiout  il  Liouue,  U\  f.îVTicr.  Rorne^  114.  —Tout  ce  que  la  lualvcill-ince 
^  BourleinoDt  peut  trouver  cootre  cette  promotion,  c'est  que  Niui  est  do 
Q^<»4Dce  méiiiocre,  d'un  esprit  enjoué,  adroit  et  complaisant,  et  doit  sa  for- 
tiioe  iui  Cbi^i;  que  Corsiuiest  «  d'un  esprit  sombre  et  mélancolique,  appro- 
''lUQt  du  tempérament  du  pape,  et  qu'on  croit  ({u'il  u'oubliera  jamais  le  dé- 
pltiiir  qu'il  eut  de  u'ôtrc  pas  admis  k  la  nonciature  de  France.  » 

■i.  26  février.  Home,  174. 


48  t. HA  PITRE    DOUZIÈME 

tout  était  consommé;  cl,  pour  cctic  fois,  la  cour  le  remercia 
de  n'avoir  pas  cxécnlé  un  ordre  déraisonnable,  qui  d'ailleurs 
n'aurait  pas  été  approuvé  par  les  autres  couronnes  (1). 

Le  désir  d'irriter  le  roi  contre  les  Romains  ne  manquait 
pourtant  pas  à  Bourlemont,  et  cet  abbé  fut  moins  bien  inspiré 
en  soulevant  un  incident  qui  lui  attira  un  blAme  universel. 
Dans  une  farce  de  carnaval  (2),  Scaramouche  avait  paru  sur 
la  scène  en  soldai  fug^ilif  de  l'expédition  manquée  de  Gigeri, 
estropié  et  couvert  de  haillons.  Bourlemont  convoqua  les  car- 
dinaux nationaux  et  ouvrit  l'avis  de  faire  bAtonner  lescomé- 
diens  :  les  prélats  représentèrent  que  cette  exécution  pouvait 
«  faire  crier  Je  monde  à  la  violence,  se  traitant  de  gens  qui 
donnent  divertissement  public,  et  que  cela  aurait  donné  occa- 
sion au  pape  et  aux  ministres  de  Sa  Sainteté  de  se  plaindre 
que  l'on  voulût,  en  sa  présence,  se  faire  justice  à  sa  mode, 
sans  attendre  s'il  la  ferait...  »  Vainement  le  cardinal  Chigi  fil 
remarquer  que  personnne  n'avait  eu  la  pensée  d'offenser  la 
nation;  que  la  môme  pièciî  avait  été  jouée  sans  réclamation 
des  agents  fran(;ais,  à  Manloue,  à  Venise  et  dans  toute  l'Italie. 
Bourlemont  avoue  lui-même  que  l'usage  était  de  laisser  aux 
comédiens,  à  Rome  surtout,  une  grande  liberté,  et  que,  le 
lendemain  du  spectacle  incriminé,  Scaramouche  avait  parodié 
le  deuil  porté  par  l'ambassadeur  d'h^pairne  pour  la  mort  ré- 

(1)  «  Qaoi(]u'il  n'y  ail  ricu  Je  ai  jn^lo  ni  de  si  ôquituble  que  les  genUment? 
de  V.  M.  sur  ce  i|uVllo  doit  attendre  du  pape  pour  la  prom])te  promotion  de 
M.  le  duc  de  Mer-cœur,  j'oserai  dire  bien  respectueusement  à  V.  M.,  Sire,  que 
le  pu]ie  n'ayant  lait  réservf^  ({ui*   pour  éloijirxir  la  promotion  des  cardinaux 
nationaux,  il  y  a  apparence  qu'il  ne  chaufiera  qu'avec  peine  cette  résolution..- 
Quoique  l'on  ait  su  ici  que  TKaiporeur  avait  appris  ce  qui  s'était  fait  au  pré' 
judice  de  sa  nomination,  il  ne  parait  jn-^qn'à  pré.'tent  auL'un   resseutimout  de 
sa  part,  et  l'on  a  su  aussi  (pie  le  prélat  Lonibardi  avait  été  bien  ri'cu  a  Vienue* 
Cette  manière  d'agir  dêcrédite  les  atVaires  de  l'Empereur.  »  (Bourlemont  an 
roi,  t)  avril.)  —  «  S.  .M.  a  fort  approuve*  qu'apr»;à  (lue  le  pape  a  donné  ou  des- 
tiné  par  sa  réservation  in  petto  tous  les  chapeaux  vacants,  vous  ayex  différé  » 
passer  auprès  de  S.  S.  l'instance  qu'elle  vous  ordonnait  de  faire.  »  Attende^ 
de  nouveaux  ordres.  (Lionne  à  Bourlemont.  ifi  avril.  Home,  1*5.) 

(2)  Oe/osia  non  (frlosia  .si  mcdira,  cnn  Scanimurrit)  soldulu  di  Gigeri  conlrO 
Turchi.  '«  l'n  df  leurs  acteurs  avait  dit  seulement  sur  leur  théâtre  :  Je  suis  un 
pauvre  soldat  qui  reviens  defii^eri.  On  lui  pouvait  bien  faire  donner  quclqUK0 
bastonnades  sans  en  faire  une  ati'aire  d'État.  Le  palais  a  fuit  néanmoins  soD 
devoir  sur  la  plainte  qui  a  été  faite,  qu'on  trouve  ridicule  ici  et  de  laquelle 
tout  le  monde  se  moque.  »(La  Buissière  à  Lionne,  19  janvier  1666. /tomf,  174.} 


GALLICANISME   ET    JANSÉNISME  49 

:ente  de  Philippe  IV,  eu  paraissant  sur  la  scène  avec  un  habit 
emblable  à  celui  de  ce  ministre,  et  disant  :  «  Mucho  mi  dolgo 
le  havere  perduto  il  mio  padrone,  »  Cédant  à  ses  obsessions, 
^higi  fil  mettre  en  prison  les  comédiens  (1)  ;  mais,  des  clameurs 
Tétant  élevées  de  toutes  parts,  Tabbé  s'empressa  de  solliciter 
eur  élargissement,  et  se  plaignit  à  sa  cour  de  Taversion  des 
[lomains  pour  sa  personne,  «  qui,  par  tant  de  conjonctures 
fâcheuses,  dit-il  lui-même,  s'était  toujours  rendue  si  désa- 
gréable. »  Il  affecta  de  croire  qu'il  avait  été  trop  indulgent  et 
se  soumit  «  à  la  répréhension  et  au  châtiment  de  Sa  Majesté.  » 
Lionne  approuva  sèchement  sa  conduite,  en  ajoutant  :  «  Ce 
n'est  pas  que,  quand  vous  auriez  dissimulé  cette  bagatelle, 
Sa  Majesté  ne  Teùt  aussi  approuvé  (2).  » 

Il  ne  tînt  pas  non  plus  à  Bourlemont  que  l'exécution  de 
l'article  de  Pise  sur  Castro  ne  donnât  lieu  à  un  nouveau  dififé- 
rend  entre  les  deux  cours.  Le  duc  de  Parme  ne  payait  pas  ses 
dettes  :  le  délai  courait  cependant,  et  bientôt  Tincamération 
allait  reprendre  de  plein  droit  toute  sa  force.  Le  duc  imagina 
de  dire  que  l'argent  du  premier  terme  était  prêt,  mais  que,  le 
transport  de  si  grosses  sommes  étant  périlleux,  il  attendait  que 
la  cour  pontificale  lui  donnât  des  sûretés,  et  Bourlemont, 
conformément  aux  ordres  du  roi  (3),  soutint  devant  le  pape 
celte  injurieuse  prétention,  quoiqu'il  sût  que  le  prince  n'avait 
nila  volonté  ni  le  moyen  de  payer  (4).  Alexandre  VU  répondit 

(1)^  En  rechignant,  dit  Bourlemont,  et  comme  si  je  Tensse  obligé  à  le  faire.  » 
- 1^  Tiolence  pourrait  avoir  des  suites  fâcheuses  :  «  Il  les  eût  fallu  faire  tous 
l'^OQer,  ce  qui  ne  se  pouvait  guère  faire  sans  émotion.  Je  sais  que,  pour 
imciter  les  haines  populaires,  Ton  semait  un  bruit  par  Rome  que  je  ferais  te- 
^prisonniers  les  comédiens  jusqu'à  ce  que  j*eu8se  des  réponses  de  France 
lor  ce  sujet,  et  qu'ainsi  le  carnaval  serait  sans  comédie.  » 

(3)  Bourlemont  et  La  Buissière  à  Lionne,  19  janvier  1666.  —  Lionne  à  Retz 
^  à  Bourlemont,  19  février.  Rome,  174. 

(3)  Que  )e  duc  fasse  conduire  son  argent  à  la  frontière;  ou  à  Rome  avec  es- 
^eiuffisante.  (Lionne  à  Bourlemont,  20  août  1665.  Home,  170.) 

(4)  «  Je  crois.  Sire,  que  quoi  que  disent  les  ministres  de  M.  le  duc  de  Parme , 
il  Q*i  pas  encore  tout  son  argent  ensemble  ni  en  lettres  de  change,  ni  en 
comptant  :  autrement,  il  n'y  avait  rien  de  si  net  et  de  si  clair  que  d'assembler 
^  le  comptant  et  les  lettres  de  change,  et  tenir  après  la  bonne  voie  que  vous 
«liTss  ouverte  à  M.  l'abbé  Siri.  (6  et  24  octobre  1665  )  ~  <«  Il  y  a  grande  ap- 
FucQce  que  le  duc  de  Parme,  comme  vous  l'avez  jugé  pour  la  qualité  des 
instances  qa'il  vous  fait,  n'ait  pas  encore  ensemble  tout  l'argent  qu'il  lui   faut, 

LOUIS   XIV  IT  LB  SAUfT-SIÂOB.  —  H.  4 


50  CHAPITRE  DOUZIÈME 

quil  fallait  s*en  tenir  au  traité,  où  rien  de  pareil  n'était  stipulé. 
Quelque  temps  après,  Tabbé  signala  le  bruit  qui  se  répandait 
de  la  protestation  faite  deux  ans  auparavant  contre  le  traité 
de  Pise,  et  se  plaignit  que  les  cardinaux  récemment  promus 
eussent  juré  d'observer  la  bulle  d'incamération    de  Castro 
avec  les  autres  qui  sont  comprises  dans  le  serment  d'usage  (Ij. 
Ces  deux  nouvelles  causèrent  en  France  un  mécontentement 
qu'on  ne  jugea  pas  utile  de  faire  éclater,  et  Lionne  répondit 
simplement  :  «  Il  est  sans  doute  que  Ton  ne  devait  point  pré- 
senter à  jurer  aux  nouveaux  cardinaux  la  bulle  de  Tincamé- 
ration  de  Castro  ;  mais  à  une  chose  faite  qui  serait  soutenue, 
si  on  l'attaquait,  par  la  même  mauvaise  volonté  qui  l'acauséei 
il  semble  qu'il  vaille  mieux  la  dissimuler  et  même  se  payer 
par  avance  de  Texcuse  qu'ils  ne  manqueraient  pas  d'alléguer 
que  le  dit  Etat  peut  retomber  dans  Tincamération  ipso  facto^ 
si  M.  le  duc  de  Parme  ne  peut  accomplir  les  conditions  du 
traité  de  Pise.  »  —  «  Ou  ne  doute  point  ici  de  la  vérité  de  Tavis 
qu'on  vous  a  donné  de  la  protestation  du  pape  contre  la  dé- 
sincamération  de  Castro,  sachant  avec  quelle  bonne  foi  la  cour 
Home  a  accoutumé  d'agir;  mais  ces  sortes  de  protestations 
ne  peuvent  jamais  rien  valoir  contre  la  force  d'un  traité  public; 
autrement,  il  n'y  aurait  aucune  sûreté  dans  aucun  traité  qu'on 
pût  faire  (2).  »  Il  s'en  faut  bien  que  cette  modération  fut  ins- 
pirée par  un  sonliment  d'équité  :  on  verra  bientôt  qu'à  ce  mo- 
ment même  la  cour  de  France  préparait  les  instructions  du 
nouvel  ambassadeur,  et  qu'elle  le  chargeait  de  promettre  au 
pape  l'abandon  de  Castro,  s'il  voulait  s'allier  avec  elle  contre 
la  maison  d'Autriche! 


ui  en  IcUres  de  chaago  ni  en  comptant.  Cependant  vous  ne  sauriez  man(lu6f 
de  vous  conduire  toujours  sur  cette  alTaire  en  la  manière  qu'il  le  désirera,  et, 
s'il  eu  arrive  quelques  inconvénients,  quoique  j'en  eusse  du  déplaisir,  il  nti 
pourra  s'en  prendre  qu'à  lui-même,  m  (Lionne  à  Bourlemont,  30  octobre  1665. 
ïlome^  m.) 

(1)  "  J'ai  appris  quo,  du  vivant  du  cardinal  datalrc  [Corradi],  le  pape  avait 
fait  dresser  uue  protestation  contre  le  premier  article  du  traité  de  Pise  de  l* 
désiucamératiou  de  Gistro,  ...  et  que  ledit  cardinal  l'avait  fait  mettre  par 
adresse  daus  l'archive  du  château  Saint-Ange...  Ceci,  joint  ù  ce  que  l'on  fit  jure^ 
aux  nouveaux  cardinaux  cette  bulle...,  me  semble  assez  probable.  » 

(2)  Bourlemont  à  Lionne,  16  mars  1fi66,  et  une  lettre  antérieure.—  Lionne^ 
Bourlemout,  19  mars  et  16  avril  1666.  Rome,  Wô. 


GALLICANISME    ET  JANSÉNISME  Si 

La  dernière  affaire  que  Bourlemont  eut  à  traiter  mit  de  nou- 
veau en  relief  l'impartialité  d'Alexandre  VII.  Philippe  IV  étant 
norl  au  mois  de  septembre  1665,  son  successeur  devait  de- 
nandcr  au  pape,  dans  les  six  mois,  Tinvestiture  du  royaume 
le  Naples,  fief  du  saint-siège.  L'avenir  de  la  monarchie  espa- 
gnole était  Tobjet  des  délibérations  à  Vienne  comme  à  Madrid, 
Rome  comme  à  Paris.  On  disait  qu'Alexandre  Vil,  prenant 
larti  pour  la  maison  d'Autriche  contre  la  France,  allait  abro- 
ger la  bulle  qui  déclarait  incompatibles  la  couronne  d'Espagne 
\i  la  dignité  impériale  :  on  lui  prêtait  des  discours  équivoques 
.ur  les  droits  éventuels  de  la  reine  Marie-Thérèse  et  sur  les 
enonciations  exigées  d'elle  dans  son  contrat  de  mariage.  La 
^érité  est  que  la  conduite  d'Alexandre  VII,  épiée  de  près  par 
a  malveillance  de  Bourlemont  et  de  Retz,  ne  révèle  que  le 
lésir  de  défendre,  avec  les  droits  de  TÉglise  romaine,  les  in- 
.érèts  légitimes  des  couronnes  rivales.  Les  Français  disaient 
jue  l'expiration  du  délai  fixé  pour  demander  l'investiture  en- 
traînait déchéance  et  ils  souhaitaient  que  le  pape  s'en  préva- 
lût pour  mettre,  en  vertu  de  sa  suzeraineté,  un  balio  ou  gou- 
verneur à  Naples,  pendant  la  minorité  de  Charles  II  (1).  Le 
souverain  pontife  convoqua  plusieurs  consistoires  à  ce  sujet, 
et  invita  les  cardinaux  à  préparer  leurs  avis,  ne  craignant  pas 
de  donner  le  temps  à  la  faction  française  de  concerter  ses  ma- 
nœuvres. Les  chefs  d'ordre,  dit  Retz  (2),  pensent  qu'il  n'y  a 
même  pas  de  doute  sur  le  renouvellement  de  l'investiture,  la 
bulle  ne  portant  point  de  sanction  pénale  contre  le  retard, 
et  d'ailleurs  le  roi  Charles  étant  mineur.  Le  pape  n'a  pas  fait 
d'objections.  Les  cardinaux  de  la  faction  et  moi,  nous  nous 
demandons  si  notre  présence  ne  doit  pas  nuire  aux  droits  de 
la  reine.  Nous  craignons  que  notre  absence  ne  cause   un 
éclat,  et  que  notre  opposition  ne  commette  le  nom  du  roi. 
Le  pape  ayant  «  mis  Taffaire  en  délibération  en  la  manière 
accoutumée,  en  nous  demandant  positivement  nos  avis   », 
nous  les  donnons,  en  réservant  les  droits  de  Sa   Majesté. 
''  C'est  beaucoup,  à  mon  sens,  que  le  pape  nous  ait  laissé 

it)  Retz  à  Lionne^  l«'  juin  1666.  —  Bourlemont  à  Lionne  et  au  roi,  8  juin. 

^^t,  ne. 

(2:  A  Lionne,  15  juin  1060.  lionie,  170. 


52  CHAPITRE  DOUZIÈME 

opiner  comme  nous  avons  fait,  sans  nous  interrompre,  ayant 
autant  de  prétexte  qu'il  en  avait.  Je  m'étais  préparé,  dans  celle 
vue,  à  lui  répondre  avec  respect  et  avec  fermeté,  et  de  tourner 
plutôt  ma  réponse  sur  la  liberté  du  sacré  collège  que  sur  le 
fond  de  la  question  pour  ne  point  trop  engager  le  nom  du  roi. 
Je  ne  me  trouvai  point  dans  cette  peine,  car  Sa  Sainteté  m 
fit  que  sourire,  lorsque  je  dis  fnon  avis{i),  »  —  Tout  se  passa 
jusqu'à  la  fin  avec  la  môme  facilité.  L'investiture  fut  accordée 
au  jeune  roi,  et  le  souverain  pontife  reçut  ensuite  le  tribut  de 
la  haquenée^  conformément  aux  titres  séculaires,  reconnus 
par  tous  les  princes  de  TEurope. 

Le  nouvel  ambassadeur  allait  trouver  Alexandre  VII  sup- 
portant encore  presque  seul  tout  le  poids  du  gouvernement, 
quoique  sa  santé  fût  ruinée  par  une  infirmité  terrible  et  parles 
soucis  du  pontificat.  Les  crises  de  son  mal,  devenues  plus 
fréquentes  et  plus  dangereuses,  le  forçaient  de  retrancher 
quelques  audiences  aux  minisires  étrangers;  mais,  les  Fran- 
çais ne  Tenlretenaient  guère  que  do  prétentions  misérables 
ou  notoirement  injustes,  et  jamais  aucun  intérêt  sérieux  n  en 
souffrit.  A  la  confusion  de  ses  détracteurs,  qui  ne  cessaientda 
décrier  sa  tendresse  pour  ses  parents,  ceux-ci  n'avaient  jamais 
eu  moins  de  pouvoir  qu'à  celte  époque.  Leur  éloignement  des 
affaires  considérables  était  même  un  grief  de  plus  pour  la  cour 

(1)  Voici  cet  avis  :  «  Ceaseo  couccdi  posse  renovaUoncm  invcsUtarœ,  dum- 

modo  coucedatur  salvis  juribus  qum  competunt,  iisque  quse  quocumque  tem- 

pore  competere  possunt  et  poleruDt,  Uegi  chrisUanissimo.  —  Nous  n'avons  pu 

osé  demander  que  la  bulle  fit  ces  réserves  ;  nous  n'aurions  été  appuyés  de 

personne.  Nous  serons  de  même  obligés  de  la  souscrire  sans  rien  ajoalerA 

notre  signature,  la  décision  de  la  majorité  faisant  loi  pour  nous.  »  (A  Lionnet 

!5  juin  1666.  Rome,  176.)  —  Le  cardinal  Sforza,  après  l'avis  du  cardinal  Antoioff 

a  dit  que  le  consistoire  ne  devait  pas  avoir  égard  à  cette  réserve  <«  sans  exemple 

et  sans  âubsist.incc.  »  Les  quatre  autres  cardinaux  de  \ft  faction  répétèrent  la 

réserve.  Ni  ceux  qui  opiuèrent  ensuite^  ni  le  pape  ne  dirent  rien,  n  et  Ton  doit 

croire  que  S.  S.  s'est  contentée  do  cette  réserve  qu'on  lui  a  demandée  si  joi' 

tcment)  la  règle  de  droit  étant  que  qui  lacet  consentire  videiw^  au  Heu  que  le 

refus  demande  une  négative  expresse.  >«  (Au  roi,  même  jour.  RomCf  176.)  — ' 

Les  lettres  de  Bourlemont   sur  cette  question  sont  bien  plus  nettes  et  pin* 

Tortemeut  rnisonnées  que  celles  de  Ketz.  Ce  cardinal  reconnaît  d*ailleari  o'a' 

voir  rien  fait  ni  rien  dit  que  sur  l'ordre  et  avec  la  permission  de  l'abbé,  ([ixi 

avait  seul  des  pouvoirs  du  roi.  (V.  notamment  la  lettre  du  15  juin.)  Le  cbapHr0 

entier  de  Cbaatelauze  sur  le  rôle  de  Retz  dans  cette  affaire  et  sur  le  foa^t 

même  du  débat,  est  un  pur  verbiage. 


GALLICA?41SMB    ET   JANSÉNISME  53 

de  France,  qui,  depuis  la  légation  du  cardinal  neveu,  avait 
Formé  le  dessein  de  les  suborner  :  «  Votre  Majesté,  disait  Cré- 
juy,  devant  faire  son  compte  que  les  affaires  et  les  vues  qu'elle 
3eut  avoir  en  cette  cour  n'auront  jamais  aucun  bon  succès, 
]uand  le  pape  agira  par  lui-même,  il  reste  à  voir  ce  qu'elle 
3eul  vraisemblablement  s'en  promettre  par  le  moyen  du  lé- 
^ai  (1)...  »  Bourlemont  caressait  la  même  pensée  et  ajoutait  : 
ii  le  cardinal  Chigi  et  don  Mario  le  voulaient,  «  ils  débusque- 
raient le  cardinal  dataire  [CorradiJ,  <?/,  après  y  tout  leur  serait 
^acile  (2).  »  Trois  mois  après  le  retour  du  légal,  il  disait  avec 
lépil  à  Lionne  :  «  Le  cardinal  Chigi  ne  se  mêle  pas  plus  des 
iff aires  qx£ il  faisait  auparavant ^  et  les  plus  clairvoyants  n'es- 
>èrenl  aucun  changement  au  gouvernement  présent  (3).  » 
j*autorité  du  frère  et  des  neveux  était  donc  à  peu  près  nulle, 
m  ne  se  révélait  que  par  d'excellents  conseils,  dont  les  Fran- 
ais  incriminaient  Tintenlion.    Bourlemont  écrivait  :  «  Le 
>ape  a  dit  à  des  officiers  du  peuple  romain  qu'il  cherchait  les 
noyens  de  le  soulager  des  gabelles  (4)  que  les  bruits  du  20  août 
'avaient  obligé  d'imposer.  L'on  croit  que  les  parents  du  pape, 
>ongeant  à  s'établir  pour  toujours  ici,  inspirent  ces  bons  senti- 
nents  à  Sa  Sainteté  (5).  »  —  Le  nouveau  cardinal  Paluzzi  vient 
l'être  nommé   à  l'évêché  de  Montefiascone,  dont  le  revenu 
net  est  de  huit  mille  écus,  sur  la  demande,  dit-on,  des  parents, 
pour  que  ce  cardinal,  qui  est  pauvre,  no  soit  pas  tenlé  par  les 
libéralités  des  couronnes  (6).  —  «  Les  parents  du  pape  vont 
recherchant  les  cardinaux  pauvres  et  nécessiteux  pour  les 
pourvoir;  ils  ont  fait  offrir  au  cardinal  Franzone  et  au  cardi- 
nal Piccolomini  deux  bons  évêchés  (7).  »  Enfin,  suivant  le  té- 
moignage de  Retz  lui-même,  «  la  hauteur  que  Sa  Sainteté  con- 
servait  à  réqard  de  ses  parents  les  tenait  dans  la  sou7nission  et 
flans  la  crainte  (8).  » 

(1)  s  août  i664.  Rome,  i60. 

(2)  Boarlemoot  à  Lionne,  5  août.  Rome,  160. 

(3)  2  décembre.  Rome,  162. 

(^) C'est  en  effet  ce  qui  arriva,  comme  oo  le  verra  plus  loio. 

(5)  A  Lionne,  2  mars  1666.  Rome,  174. 

(6)  A  Lionne,  6  mars.  Rome,  175. 
i'')Au  roi,  30  mars  1666.  Rome,  175. 
W  A  Lionne,  27  avril.  Rome,  175. 


CHAPITRE  TREIZIÈME 


ARRIVÉE  DC  DUC  DE  CHAULNES  A  ROME.  —  DÉBUT  DE  SON  AMBASSADE. 

JUIN    A    DÉCEMBRE  1666. 


\.o  «lue  de  ChaulnHs  «It'ijipn-  pour  r»mbii<5aii<^  d«*  Rome.  Se*  in^trticlious  :  I^ais  XIV  y  pi*> 
clamf  qu'il  n'y  a  que  dcut  moyens  do  traiter  avec  In  «ainl -siège  :  lo  premier,  qu'il  pr^rf,  U 
violence  ;  Iomc  de  Rome,  li-s  exemple'*  d»*  (jh:irles-0>ii"t  et  de  Philiprie  II  cités  avec  compUi- 
«niiro;  —  le  second.  Il  corp'i|itioii  :  principi'ités  dans  !e-i  Deui-Siciles,  etc.,  offertes  à  la  famille 
(Ihigi,  si  elle  veut  se  vendre  à  l\  Fran'-e.  M.ii  160^;.  —  lustalUtiou  de  M  de  Chaaines  ai  pi- 
lais Faruèse.  Areux  du  roi  sur  les  fr^uchi^e-î  •»t  quartiers  :  men  ic«»s  contre  la  cour  pontificale. 
—  Fiirtrée  publique  de  ramlcissadeur.  10  juillet.  Bon  accueil  qu'il  reçoit  :  se^  intentions  ho>- 
tilen.  Ordre  et  contre-ordn-  du  roi  sur  la  promolitm  de  M.  de  Mercœur.  Manœuvres  pour 
obtenir  le  rappel  du  nonce  R<»berti.  —  Ppeniière  audience  de  l'ambassadeur  retanlée  par  la 
mal.idie  du  pape;  colère  et  réclamations  violoutes  d«>  M.  de  Chaulnes:  avenx  do  Bourlernoot 
Audience  du  6  août  :  courtoioie  et  bienveillance  du  pape.  —  Fourberie  projetée  par  le  roi  et 
Lionne  pour  obtenir  les  induits  de<  provinces  conquises  :  Ch.iulnes  refuse  de  s'y  associer. 
Menaces  contre  le  cardinal  Chi^i  :  sa  fermeté  et  son  impartialitt^  —  Maladies  fréqoeotn  dn 
pape  :  aveux  des  Français.  —  Deuxième  auiiionce,  S  octobre.  Le  pape,  n'obtenant  pas  mèmt 
justice,  dift'ôre  les  gn}cef  et  ne  refuse  qm-  ce  qui  e»*!  contraire  au  bien  de  l'Église.  Chtuliw 
demande  uu  roi  des  ordres  plus  rigoureux  contre  le  pape.  Dépèches  odieuses  de  rambassadeor 
et  do  Lionne.  —  Troisième  audience,  3  décembre.  Jansénisme  :  affaire  des  quatre  évèqucf 
entamée  par  le  roi  sans  le  concours  du  pj«i»e  <'t  contrairement  aux  règles  de  IHEglisie.  Em- 
barras que  le  roi  s'est  créi^s  en  France  :  il  s'adresse  au  saint-siège.  Il  prétend  régler  seol  U 
forme  et  le  fond  dos  décrets  pontificsiux.  Irrilatiou  que  lui  donne  la  modération  d'Alexandrr  Vil. 
{Maintes,  insultes,  menaces  du  roi,  de  Lionne,  do  Cbaulnes  contre  le  pape  et  la  Congrégation  du 
janséniiiue.  Lo  roi  do  France  soûl  sait  ce  qui  convient  à  son  royaume,  même  en  matière  def«. 
Scènes  scandaleuses  faites  par  Chaulnes  au  prélat  Marescotti,  —  et  par  Lionne  au  nonoe  Ro- 
berti.  Chaulnes  et  le  cardin.al  Albizzi.  Prévoyance  d'Alexandre  Vil  :  le  développement  publie 
et  secret  ilu  jansénisme  favorisé  par  les  prétentions  gallicanes.  —  Louis  XIV  demande  lo  cardi- 
nalat pour  Bonsy,  é\éque  de  Béziers,  sur  la  nomination  du  roi  de  Pologne  :  objectioDS  da  pap^' 


Co  n'est  point  par  déférence  pour  le  saint-siège  que  le  roi 
donna  un  successeur  au  duc  do  Créquy.  L'ambassade  était  va- 
cante depuis  six  mois  lorsque,  la  santé  du  pape  inspirant  des 
craintes,  Bourlemonl  reçut  Tavis  (i)  que  le  choix  était  tombé 
sur  un  «  allié  fort  proche  »  do  Lionne,  le  duc  de  Chaulnes; 
mais,  quand  le  danger  eut  disparu  et  qu'on  ne  parla  plus  de 
conclave,  Louis  XIV  sembla  oublier  son  projet  jusqu*à  Tépo- 
quooù  laguorro,  commencée  entre  l'Angleterre  et  la  Hollande, 

(!)  9  octobre  1665.  Rome,  171. 


DÉBUT  DE  L  AMBASSADE  DE  CHÂULNES  55 

menaça  de  devenir  générale.  Ses  véritables  sentiments  avaient 
élé  pénétrés  par  le  nonce  Roberti,  qui  n'en  fat  que  plus  odieux 
a  la  cour  de  France.  Lionne  écrivait  à  Bourlemont(l)  :  «  Quand 
M.  le  nonce  verra  M.  l'ambassadeur  se  mettre  en  chemin  aus- 
sitôt après  ce  traité  fini  (2),  il  va  se  faire  passer  pour  un  grand 
homme  qui  a  des  vues  et  des  notions  que  les  autres  n'ont 
pas;  car  je  ne  sais  par  quelle  folle  imagination  il  a  toujours 
dit  que  le  départ  dudit  sieur  ambassadeur  ou  le  retardement  de 
ion  voyage  dépendait  du  succès  de  ce  traité  y  et  que  s'il  réussis- 
iait,  on  renverrait  iîicontijient  pour  braver  et  menacer  le 
nape  (3),  et,  si  la  négociation  se  rompait,  on  se  tiendrait  coi 
ici  sans  rien  dire.  Bons  dieux!  quelle  impertinence  de  raison- 
nement! Comme  si  la  France  n'était  pas  le  plus  puissant 
royaume  de  la  chrétienté,  soit  que  Tévêque  do  Munster  soit  en 
paix  ou  en  guerre  avec  les  Hollandais!  La  véritable  raison 
pour  laquelle  M.  l'ambassadeur  a  été  retenu  ici  depuis  quelque 
temps,  c'est  que  le  roi  ne  pouvait  lui  donner  ses  galères  pour 
la  raison  que  j'ai  déjà  touchée,  et,  aussitôt  qu'on  a  pu  en 
avoir  d'ailleurs,  on  le  fait  partir.  »  —  Nous  n'en  sommes  pas 
réduits  aux  conjectures  :  les  ordres  donnés  au  duc  et  sa  con- 
duite conforme  ne  laissent  aucun  doute  sur  les  intentions  du 
roi.  La  neutralité  bienveillante  dont  Alexandre  VII  ne  s'était 
jamais  écarté  ne  suffisait  pas  ;  il  fut  mis  en  demeure  de  choisir 
entre  ces  deux  partis  ;  s'enchaînera  la  politique  française,  ou 
s'attendre  à  toutes  les  extrémités.  Une  obéissance  aveugle  de- 
vait d'ailleurs  être  récompensée,  et  Louis  XIV,  loin  de  con- 
damner le  népotisme,  se  promettait  d'en  rétablir,  au  profit  de 
sa  couronne,  tous  les  abus  abandonnés. 

Lionne,  rédacteur  des  longues  instructions  emportées  par  le 
duc  do  Chaulncs  (4),  y  avait  tracé,  «  d'après  les  plus  habiles 


(1)  30  aTiii  1666.  Rome,  175. 

(2)  H  g'agiseait  des  Dégociations  ouvertes,  à  Clèves,  entre  les  Hollandais  et 
léveque  de  MOnster. 

(3)  Le  traité  de  Clèves  fut  en  effet  signé  le  16  avril  1666  et,  le  6  mai,  Lionne 
ioforinait  Bourlemont  que  Cbaulnes  partirait  de  Paris  le  15  mai.  Les  instruc- 
tions du  nouvel  ambassadeur  sont  datées  du  10  mai.  (G.  Hanotaux,  Recueil 
dti  Instrur lions  aux  ambassadeurs  de  France,  vol.  VL  Rome,  t.  I,  p.  158  225.) 

(4)  Elles  se  composent  de  trois  mémoires  distincts  :  1**  Désignation  de  lam- 
bassadeur;  traitements  qu'il  devra  exiger  ou  accorder,  &  Rome  et  ailleurs: 


56  CHAPITRE    TREIZIÈME 

gens,  >/dit-iilui-m^mc,  une  peinture  liupapo^doQt  les  traits  sont 
empruntés  au  pseudo-Corraro.  à  Leti  et  à  d'autres  pamphlé- 
taires, et  rendait  un  hommage  involontaire  à  son  impartialité: 
«  On  ne  peut  pas  conclure,  dit-il,...  qu'il  soit  aiTectionné  à 
TKspagne,  si  ce  n*est  en  tant  qui)  ne  voudrait  pas  la  voir  dé- 
primée ou  succomber  sous  la  puissance  du  roi;  et,  s'il  lui  sou- 
haite des  avantages,  ce  n'est  que  par  le  motif  de  Taversioa 
qu*il  a  pour  cette  couronne;  car,  du  reste,  sa  propre  inclina- 
tion lui  fait  plutôt  désirer  rabaissement  et  la  diminution  de 
tous  les  potentats.  Aussi  ne  vit-il  pas  mieux  avec  les  Espagmh 
quavec  Sa  Majesté...  »  —  «  Le  roi,  dit  ensuite  Lionne,  est 
très  disposé  à  rétablir  avec  le  pape  une  sincère  bonne  cor- 
respondance et  liaison  aussi  étroite  que  Sa  Sainteté  voudra. 
On  dira  bien  plus  en  confidence  au  sieur  duc  que  Sa  Ma- 
jesté souhaiterait  fort  la  chose  et  estimerait  beaucoup  le  service 
que  le  sieur  duc  lui  rendrait,  s'il  en  pouvait  venir  à  bout;  » 
mais  le  roi  est  persuadé  que  «  Tesprit  de  Sa  Sainteté  est 
demeuré  si  ulcéré  Je  ce  qu'il  croit  avoir  beaucoup  perdu  de 
sa  réputation  au  traité  de  Pise,  qu'on  ne  peut  rien  traiter 
avec  elle  utilement  qu'en  faisant  cette  espèce  de  contrats  que 
les  jurisconsultes  appellent  iiinominati  :  Do  ut  des  ;  facio  ut 
facias;  »  Voici  donc  dans  quelle  alternative  la  France  place  le 
saint-siège  : 

1°  Ou  bien  le  pape  ne  reconnaîtra  pas  «  que  la  cour  de  Rome 
a  iyicomparablement  plus  de  besoin  de  t amitié  et  de  la  bonne 
correspondance  du  roi  que  Sa  Majesté  nen  a  de  la  sienne  », 
et  alors  le  roi,  «  faisant  réflexion  aux  exemples  dupasse  »,  se 
rappellera  «  que  les  mêmes  princes  qui  ont  traité  plus  durement 
ladite  cour  ont  toujours  été  ceux  qui  y  ont  eu  le  plus  de  crédit 
et  de  partisans,  et  que  la  rneilleure  voie  pour  obtenir  toutes 
choses  d'elle  n'est  pas  celle  de  l'honnêteté,  des  grâces  et  des  obli- 
(jutions,  mais  celle  de  la  hauteur,  de  la  dureté  et  delà  crainte.  » 
Si   le  pape  ne  recherche  pas    les  bonnes  grâces  des  Fran- 


uotioort  8ur  les  plus  f,nravci^  îDcideiits  de  Tambassade  Créquy;  aveux  sar  les 
franchises  et  quartiers,  otc.  2°  Mémoire  secret  sur  les  véritables  intentioasda 
roi;  voies  à  suivre  pour  intimider  ou  séduire  le  pape  et  sa  famille,  engager 
Alexandre  VII  dans  la  guerre  que  le  roi  projette  contre  rEspagoeyeic.  3«1ob- 
tructioos  M  dann  Voccitsion  (Cun  conclave.  »  (Ibid.) 


DÉBUT    DE    l'ambassade   DE    CHAULNËS  57 

lis,  s'il  résiste  à  leurs  exigences  et  qu'il  leur  plaise  eu- 
)re  de  transformer  un  cas  fortuit  en  violation  du  droit  des 
3ns,  il  doit  s'attendre  à  tout  :  ils  n  iront  peut-être  pas  jusqu'à 
.rangler  ou  décapiter  les  neveux  du  pape,  et  mettre  Rome  à 
ic,  comme  ont  fait  Charles-Quint  et  Philippe  II,  mais  ce 
'est  pas  la  justice  qui  les  arrêtera,  c'est  la,  piété  timorée  de 
.ouisXIV(i)! 

2*  D'un  autre  cùté,  si  Alexandre  VII  accordait  «  de  certaines 
randes  choses, . . .  dont  cette  couronne  retirât  quelque  avantage 
ort  extraordinaire,  »  le  roi  ne  verrait  que  d'un  œil  indifférent 
ielte  prétendue  spoliation  d'un  «  prince  son  ami  »  qui  scanda- 
lise le  monde  entier,  et  à  laquelle  pourtant  personne  en  France 
ne  songerait  si  le  pape  avait  partagé  Castro  avec  Mazarin!  Mais 
il  faudrait  «  quelque  chose  de  grand  et  de  bien  extraordinaire  ; 
et  il  n'en  est  tombé  qu'une  dans  la  pensée  de  Sa  Majesté,  ca- 
pable de  produire  dans  son  esprit  Teffet  que  l'on  prétend.  » 
Le  pape  •  par  un  effet  de  la  providence  divine  »  (2),  n'étant  pas 
intervenu  au  traité  des  Pyrénées,  n'a  pas  autorisé  la  renoncia- 
tion de  rinfanted'Espagneàlasuccessionduroyaume  deNaples 
dont  il  est  suzerain.  <c  Si  Sa  Sainteté,  ne  faisant  en  cela  que  jus- 
lice,  mais  que  le  roi  recevra  pour  une  grâce  signalée,  veut  bien 
dèsàprésent,  et  en  cas  s'entend  de  la  mort  du  Roi  catholique, 
faire  investir  le  roi  et  la  reine  des  royaumes  des  DeuxSiciles 
tomme  appartenant  de  droit  à  la  reine ^  et  s'engager  à  soutenir 
l'effet  de  ladite  investiture  par  le  concours  des  armes  du  saint- 
^ègeà  celles  de  Sa  Majesté,  dans  le  cas  susdit  de  décès  du  Roi 
catholique,  Sa  Majesté,  en  compensation  d'un  si  grand  bien- 
fait par  lequel  elle  aurait  témoigné  son  affection  à  cette  cou- 
ronne, prendra  sur  soi  de  disposer  M.  le  duc  de  Parme  à  laisser 
rfe  nouveau  tncamérer  son  duché  de  Castro  (3),.,  »  Si  le  pape 
craint  d'exposer  ses  parents  à  la  vengeance  de  la  maison  d'Au- 
di Le  saDg  avait  déjà  coulé  en  Avignon,  et  nul  ne  peut  dire  ce  qui  serait 
^▼é  si  Alexandre  VII,  au  lieu  d'accepter  les  articles  de  Pise,  avait  laissé 
l'vmée  française  pénétrer  jusqu'à  Rome.  Les  dépêches  de  Louis  XIV  et  de 
tionne,  dont  nous  n'avons  pu  citer  qu'une   faible  partie,  ne  sont-elles  pas 
pltioes  de  menaces  atroces  contre  les  personnes  mêmes  de  la  famille  Chigi? 
(2)  Providence  divine^  dirigée  par  Mazarin  ;  car  c'est  lui  seul  qui  fit  rejeter 
it  médiation  du  pape. 
13)  hfcueil  des  Instructions^  p.  207-209. 


58  CHAPITRE    TREIZIÈME 

triche,  le  roi  s'engage  à  les  protéger,  et,  de  plus,  «  ils  trouve- 
raient des  avantages  de  la  dernière  considération,  non  moins 
pour  leur  élévation  que  pour  leur  propre  sûreté;  car  Ui 
royaumes  des  Deux-SicUes  sont  grands,  et  Sa  Majesté  ne  feraii 
aucune  difficulté  de  leur  y  donner  un  Etat  souverain  quikrt- 
C07inaîtraient  délie  en  arrière- fief.  » 

Mais  comment  proposer  de  pareils  marchés?  Lionne  s*amus€ 
d'abord  aux  procédés  d'une  diplomatie  puérile.  Ilconseilleau 
duc  de  Chaulnes.  «  pour  s'insinuer  bien  avant  dans  les  bonnes 
grâces  »  de  Sa  Sainteté,  de  la  flatter,  delà  Xom^x  et  admirer  it 
tout  ce  quelle  dit  et  de  tout  ce  quelle  fait;  «  de  lui  témoigner 
en  naïveté  qu'il  la  tient  encore  plus  élevée  par  son  esprit  sur 
celui  des  autres  hommes  qu'elle  n'est  au-dessus  d'eux  par  sa 
dignité...  »  Mais  le  rédacteur  des  instructions  est  embarrassé: 
il  a  vu  de  près  le  cardinal  Flavio  Chigi;  on  se  rappelle  Téloge 
qu'il  en  a  fait  :  c'est  une  conscience  difficile  à  surprendre,  et 
dont  le  siège  pourra  tourner  à  la  honte  du  tentateur,  Lionne 
offre  donc  à  l'ambassadeur  le  secours  de  son  habileté  per- 
sonnelle, il  lui  trace  la  marche  h  suivre  et  lui  dicte  les  discours 
par  lesquels  le  duc  pourrait  amener  le  cardinal  Chigi  à  pro- 
poser le  marché  qu'on  voudrait  lui  faire  conclure. 

Mais  il  n'y  avait  personne  autour  d'Alexandre  VII,  qui  put 
seulement  prêter  l'oreille  à  de  pareilles  offres,  et  l'ambassadeur 
fut  réduit  à  exécuter  la  première  partie  de  ses  instructions,  c'est- 
à-dire  comme  le  nonce  Roberti  l'avait  prévu,  h  insultery  braver, 
menacer  le  souverain  pontife. 

Avant  de  s'embarquer  à  Marseille,  le  duc  de  Chaulnes  passa 
par  Avignon,  où  le  vice-légat  Lomellino  lui  rendit  de  grands 
honneurs.  Il  en  témoigna  sa  reconnaissance  sur  le  lieu  même 
en  nouant  des  rapports,  en  vue  de  séditions  nouvelles,  avec 
des  sujets  du  pape  «  qui  n'avaient  d'autre  intérêt  que  le  service 
du  roi,  »  et  qui  lui  promirent  de  «  faire  leurs  devoirs  dans  les 
occasions.  »  11  permit  à  ces  traîtres  de  lui  faire  cortège  jusqu'il- 
la  mer,  et  il  sollicita  pour  eux  des  marques  de  la  protection 
royale  :  «  Il  est  certain,  écrivit-il  à  Lionne,  que  la  considéra- 
tion d'Avignon  retient  beaucoup  la  cour  de  Rome  par  la  crainte 
des  représailles,  et  que  Sa  Majesté  peut  avoir  besoin  de  lano- 
blesse  et  des  peuples.  »  Ces  menées  étaient  d'autant  plus  dan- 


DÉBUT    DE    l'ambassade    DE   CHAULNES  59 

gereuses  que  le  vice-légat,  arrivé  depuis  un  an,  n'était  pas 
reconnu  parle  roi.  Cliaul  nés  pria  Lionne,  mais  dans  son  in- 
tér<!^t  personnel,  de  consentir  à  ^enregistrement  des  facultés 
de  Lomellino,  cela  «  pouvant  beaucoup  contribuer  à  faciliter 
le  commerce  des  affaires  de  Rome.  »  Lionne  ne  céda  qu'après 
de  nouvelles  contestations  (1),  et  pour  ne  pas  mécontenter  le 
duc,  qui  n'avait  accepté lambassade que  sur  ses  instances (2). 
Après  une  traversée  (3)  troublée  par  des  vents  contraires  et 
par  la  rencontre  de  galères  turques,  qui  effrayèrent  la  du- 
chesse et  les  dames  de  sa  suite  (i),  il  débarqua  au  port  de  Ci- 
vità-Vecchia,  où,  par  les  ordres  d'Alexandre  VII,  il  fut  reçu 
M  avec  beaucoup  de  magnificence  et  de  désintéressement  (5).  » 
Le  duc  et  la  duchesse  de  Chaulnes  déployèrent  aussitôt  un 
luxe  extraordinaire  d'habits,  d'équipages,  de  table  et  d'ameu- 
blement. Us  déclaraient  qu'ils  ne  laisseraient  pas  à  Rome  la 
même  réputation  que  le  duc  de  Créquy,  si  décrié  pour  son  ava- 
rice et  qui  allait  au  palais  «  en  casaque  ».  M"*  de  Chaulnes 
aimait  à  répéter  :  Ne  restara  morlificato  il  noUro  predecessore. 
Le  sacré  collège  et  la  noblesse  romaine,  suivant  l'exemple 
du  pape  et  de  sa  famille,  témoignèrent  une  vive  sympathie  au 
représentant  de  Louis  XIV.  M.  de  Chaulnes,  écrivait  un  Fran- 


(l)  CbaulDe»  à  Lionne,  d'Orgon,  8  juin  ;  de  Marseille,  16  juin.  —  Lionne  au 
▼ice-légat,  i  9  juin;  à  Chaulnes,  26juin  et  3  juillet.  —  I^e  nonce  Roberti  à  Lionne, 
21  juillet;  Lionne  au  nonce,  23  juillet  1666.  BomCy  176  et  177. 

(2;  «  Vous  m'écrivez  un  mot  qui  m'a  ravi  quaud  vous  dites  que  vous  êtes 
satisfait  de  Rome.  C'est  la  plus  grande  joie  que  je  pouvais  recevoir;  car  jo 
craignais  que  le  souvenir  de  Foutainebleau,  de  la  compagnie  de  chevau-lé- 
gen,  de  la  personne  du  roi,  ne  me  fît  donner  quelques  légères  secrètes  ma- 
iMictions.  »  (Lionne  à  Chaulnes,  24  juillet  1«66.  Rome,  177). 

(3)  i«  Je  vous  écris  ce  mot,  après  avoir  dit  :  Haut  le  bras,  canonnier!  à  la  par- 
luice,  poufl  »  La  correspondance  de  Chaulnes  abonde  en  traits  de  vanité 
▼ul^lfaire,  qu'on  croirait  empruntés  au  Bourgeois  gentilhomme.  J'y  ai  vainement 
cherché  la  trace  de  cette  finesse  dont  Saint-Simon  lui  fait  honneur. 

(4)  «  J'ai  assuré,  dit  Chaulnes,  W^^  de  Murinais  d'une  bonne  place  au 
•érail.  u  C'est  la  Murinetle  beauté  des  lettres  de  M™«  de  Sévigné,  Mario-Anne 
<lDPui  de  Murinais,  qui  épousa  le  marquis  de  Kerman.  (19  juin  1666.  Rome, 
176.)  Lionne  répondit  r  «  San3  Tintérôt  de  M">«  de  Chaulnes  et  celui  du  service 
<iu  roi  en  votre  personne,  j'aurais  été  bien  aise  que  M^i*  de  .Murinais  eût 
^té  ': induite  au  sérail,  afin  d'avoir  l'honneur  de  contracter  parenté  avec  Sa 
Haut.-^se  et  de  pouvoir  espérer  un  jour  de  voir  assis  un  de  mes  cousins  sur 
le  r«d  >iitable  trdne  des  Ottomans.  »  (A  Chaulnes,  17  juillet  1666.  Home,  176.) 

(5)  Ail  roi,  29  juin  1666.  Rome,  176. 


60  CHAPITRE    TREIZIÈME 

çais,  a  toul  de  suite  conquis  la  faveur  publique  ;  «  ils  ont  tous 
remarqué  sa  disinvolttira.  Vous  connaissez  la  force  de  ce  mol: 
il  comprend  trois  ou  quatre  qualités  qui,  comme  vous  savez 
mieux  que  moi,  ne  sont  pas  les  moins  nécessaires  pour  la  pra- 
tique de  cette  cour  (1).  >•  Cependant,  s'il  n'avait  pas  la  bruta- 
lité militaire  de   son  prédécesseur,  il  apportait  à  Rome  le 
même  dédain  pour  la  cour  pontificale,  et  nous  le  verrons  pous- 
ser la  haine  contre  Alexandre  VII  jusqu'à  des  raffinements  de 
cruauté  dont  Créquy  n'aurait  peut-être  pas  été  capable.  Ni 
Tun  ni  l'autre  duc  n'avait  la  moindre  aptitude  pour  les  mis- 
sions diplomatiques,  et  Ton  ne  saurait  dire  lequel  ignorait 
davantage  les  intérêts  et  les  droits  respectifs  de  Rome  et  de  la 
France.  Les  habitudes  fastueuses  de  Ghaulnesle  sauvèrent  du 
ridicule  auquel  la  lésine  de  Créquy  l'avait  exposé;  mais  elles 
cachaient  mal  une  cupidité  qui  n'était  ni  moins  âpre  ni  plus 
scrupuleuse  que  celle  de  son  devancier.  Il  ne  convenait  pas  en 
ce  moment  au  roi  que  son  nouvel  ambassadeur  montrât  dans 
l'usage  des  franchises  et  des  quartiers  une  rigueur  trop  agres- 
sive, et  le  duc  de  Chaulnes,  dans  les  premiers  temps  surtout, 
eut  quelque  soin  d'éviter  les  incidents  qui  auraient  pu  faire 
naître  des  rixes  publiques  entre  ses  nationaux  et  la  police 
pontificale;  mais  il  maintint  toutes  les  prétentions  antérieures. 
Il  savait  que,  tout  récemment  encore,  le  roi  était  intervenu 
entre  les  officiers  du  pape  et  son  protégé  le  duc  Cesarîni,  en 
proférant  des  menaces  de  représailles  qui  rappelaient  l'affaire 
des  Corses.  Seul  parmi  les  Français  de  Rome,  Tabbé  de  Bour- 
lemont  avait  assez  de  probité  pour  condamner  les  excès  du 
palais  Farnèse,  et  il  avait  demandé  que  sa  cour  défendit  du 
moins  an  maître  de  chambre  la  Buissière  de  réclamer  Thon- 
neur  et  le  profit  des  immunités  pondant  la  vacance  de  l'ambas- 
sade :  Ces  exigences,  disait-il,  ne  sont  pas  soutenables,  et 
peuvent  amener  de  nouveaux  conflits.    Mais  la  Buissière, 
enhardi  par  la  faveur  de  Lionne,  se  plaignit  lui-même  que 
Bourlemontne  revendiquât  pas  pour  un  palais  vide  les  mêmes 
privilèges  que  pour  la  personne  d'un  ambassadeur  :  Cet  abbé, 
disait-il,  «  a  ici  ses  fins  et  ses  prétentions.  Il  fait  la  cane  et  la 

(1)  L'abbé  de  Machaut  ù  LiouDe,  29  juin,  6  et  13  juillet  1666.  Rome,  176  et 
177,  et  toute  la  correspondance  do  ce  temps. 


DÉBUT    DE    l'ambassade:    DE    CHAULNBS  61 

loule  mouillée  en  toute  sorte  de  rencontres...  Sans  médisance, 
I  est  un  très  faible  ministre,  ayant  été  fort  blâmé  ici  de  n'avoir 
as  voulu  faire  un  pas,  ni  dire  seulement  une  parole  pour 
affaire  de  M.  le  duc  Cesarini,  ni  pour  d'autres  très  importan- 
îs...  (i),»Le  roi  lui-même  informa  Bourlemont  qu'il  ne  recu- 
irait devant  aucune  violence  pour  soustraire  ses  partisans  à 
action  des  tribunaux  romains  :  «  Si  on  poussait  injuste- 
ient(2),  disait-il,  l'affaire  de  Testafier  du  duc  Cesarini  jns- 
u'à  lui  faire  des  affronts  à  lui-même  ou  à  le  vouloir  inquiéter 
ans  ses  biens,  vous  pourrez  dire  à  qui  il  appartiendra  que  je 
otis  ai  donné  ordre  de  déclarer  que  le  vice-légat  d'Avigiion 
xen  répondra.  C^est  un  chemin  aisé  et  qui  fera  que  tous  les 
Hbunaux  de  Rome  en  respecteront  davantage  mes  servie 
•ï/r5(3).  »  —  D'un  autre  côté,  les  instructions  données  au  suc- 
esseurde  Créquy  sur  les  quartiers  et  franchises  justifiaient, 
lour  tout  esprit  de  bonne  foi,  les  plaintes  de  la  cour  pontifi- 
alc,  et,  si  elles  conseillaient  au  duc  de  Ghaulnes  une  sage  et 
uste  modération,  elles  étaient  rédigées  de  façon  à  lui  persua- 
ler  que,  quoi  qu'il  fit,  il  serait  toujours  soutenu  par  le  roi  : 
<  Sa  Majesté,  disaient-elles,  recommande  encore  et  sur  toutes 
choses  au  sieur  duc  de  donner  une  très  particulière  applica- 
tion, et  d'y  employer  toute  l'autorité  de  sa  dignité  et  de  son 
caractère,  à  faire  vivre  la  nation  française  avec  grande  modé- 
ration et  retenue,  et  notamment  ses  domestiques  qui^  pour 
espérer  plus  d'appui,  sont  capables  de  s'emporter  à  commet- 
tre des  désordres  et  des  insolences,  à  moins  qu'il  ait  lui-même 
le  soin  de  les  tenir  en  règle  et  de  leur  faire  connaître  qu'il  sera 
le  premier  à  les  châtier  quand  ils  l'auront  mérité.  Le  sieur  duc 
ne  laissera  pas,  pour  cette  considération,  de  soutenir  et  con- 
server avec  soin  les  franchises  et  immunités  accoutumées  des 
environs  de  son  palais,  mais  avec  cette  sage  et  juste  modération 
(lui  ne  le  rende  pas,  en  ce  quartier-là,  un  asile  assuré  pour 
toQtcs  sortes  de  malfaiteurs,  obligeant  ceux  qui  se  trouveraient 
coupables  de  quelque  crime  à  chercher  bientôt  ailleurs  une 

(i)  Boiirlemout  et  ia  Buiasicro  à  Lionoc,  l*''  septembre  1665.  Rome,  171. 

(2)  Nous  savons  que  Louis  XIV  appelle  injuste  lout  ce  qui  est  contraire  à 
^  volooté. 

(3)  11  septembre  1665. 


62  CHAPITRE   TREIZIÈME 

autre  protoclion,  et  ne  prenant  pas  indifleremment  et  pourlong- 
temps  celle  de  toute  sorte  de  débiteurs  qui  veulent  fruster  leurs 
créanciers  de  leurs  dettes,  ce  qui  acquiert  à  leur  protecteur 
la  haine  du  peuple  qui  en  souffre.  Le  sieur  duc  acquerra  aussi 
grande  louange  de  bannir  les  jeux  publics  de  son  palais  et  de 
son  quartier,  d'autant  que,  pour  un  fort  médiocre  avantage 
que  son  écuyer  retire,  il  se  fait  ordinairement  une  assemblée 
d'espions,  de  larrons  ou  de  la  plus  méchante  canaille  qui  soit 
dans  Rome  (i).  » 

L'ambassadeur  fit  son  entrée  solennelle,  le  10  juillet,  avec 
un  éclat  depuis  longtemps  inconnu.  Son  cortège  de  cent  trente 
carrosses  à  six  chevaux  excita  Tadmiration  du  peuple  qui  cria: 
Vive  le  roi  !  et  Ton  remarqua  que,  pour  aller  à  sa  rencontre, 
la  voiture  du  cardinal  Chigi  dépassa  les  limites  accoutumées. 
Le  môme  jour,  il  fut  présenté  par  le  cardinal  Antoine  Barbe- 
rini  au  souverain  pontife,  dont  la  cour  était  u  fort  grosse»; 
mais  cest  à  Chaulnes  de  nous  dire  lui-même  quelles  disposi- 
tions il  apportait  aux  pieds  d'Alexandre  VII.  Ces  ducs  et  pairs, 
qui  se  disputaient  le  bougeoir  du  roi,  qui  s'inclinaient  sur  le 
passage  de  sa  viande,  qui  assistaient  sans  mesurer  le  temps  à 
tous  les  mystères  de  sa  garde-robe,  comptaient  en  murmu- 
rant les  minutes  que  duraient  leurs  génuflexions  devant  le 
vicaire  de  Jésus-Christ  I  L'ambassadeur  s'était  agenouillé, 
suivant  Tusage,  en  commençant  son  compliment  au  pape  : 
«  Voyant,  dit-il,  qu'il  ne  me  faisait  pas  lever  et  que  peut-être 
il  aurait  été  bien  aise  d'entendre  tout  mon  discours  étant  à 
genoux,  pour  éviter  un  incident  fâcheux  de  me  lever  de  moi- 
même,  je  crus  devoir  couper  court  et  joignis  en  m^me  temps 
pour  lui  rendre  une  lettre  de  la  part  de  Votre  Majesté.  Il  me 
fit  lever  alors  et  je  me  trouvai  fort  bien  de  cet  expédient.  »  Les 
alfaires  n'étant  jamais  traitées  dans  ces  audiences  d'apparat, 
l'entretien  porta  tour  à  tour  sur  les  incidents  du  voyage,  sur 
la  santé  du  roi  et  de  la  reine,  sur  les  nouvelles  publiques  (i). 

(1)  Après  avoir  lu  ces  iustructious,  od  u'igiiore  plus  rieu  sur  les  causes  du 
20  août  1662. 

(2)  Machaut,  doot  ou  connaît  déjà  la  malveillance  pour  les  Romaing,  avait 
averti  Chaulnes  que  le  pape  se  pro[)Osait,  dès  cette  première  audience,  de 
«  sfogarsi  [décharger  son  cœur]  coutro  il  duca  di  Crequy  ;  qu^iloe  pouvait  pas 


DÉBUT   D£    L^AMBASSâDE   DE   CHAULNES  63 

n  quitlant  le  pape,  qui  Tavait  gardé  trois  quarts  d'heure, 
haulnes  visita  les  membres  de  la  famille  Chigi,  et  (c  tout  se 
aissa  saus  aucun  incident.  »  —  «  Don  Mario,  dit-il,  que  j'avais 
é  voir  samedi,  vint  avant- hier  voir  ma  femme  et  me  vint 
.'ndre  hier  la  visite,  n'ayant  pas  voulu  la  faire  en  même  jour. 
DUS  avons  fort  parlé  de  ménage,  de  commerce,  de  marchan- 
ise  et  de  blé  :  c'est,  sire,  un  bon  gros  marchand  de  la 
le  Saint-Denis  (1).  »  Il  n'avait  qu'à  se  louer  de  tout  le  monde, 
l'abbé  de  Machaut,  revenu  de  France  avec  lui  et  attaché 
omme  secrétaire  à  son  ambassade  (2),  écrivait  à  Lionne  : 
M.  et  M"*«  de  Chaulnes  ont  une  joie  indicible  de  se  trouver 
ans  un  si  beau  poste...  Ils  ne  commencent  pas  seulement  de 
apercevoir  de  sa  grandeur;  mais  je  vous  puis  assurer  qu'ils 
e  trouvent  et  qu'ils  le  goûtent  le  plus  agréablement  du  monde. 
Quelques  esprits  de  travers  leur  avaient  inspiré  qu'ilsn'y  pour- 
aient  jamais  avoir  de  douceur;  qu'après  les  choses  qui  étaient 
irrivées,  ils  ne  devaient  s'attendre  qu'à  des  choses  fâcheuses, 
ju'à  de  mauvais  traitements,  et  qu'enfin  ils  se  devaient  pré- 
cautionner, comme  s'ils  devaient  arriver  dans  un  pays  ennemi. 
Grâce  à  Dieu,  ils  ont  trouvé  les  choses  dans  un  autre  état; 
car  ils   ont  reconnu  d'abord  la  grande  considération  dans 


oublier  les  manières  impérieuses  et  peu  respcctueut^es  avec  lesquelles  il  lui 
parlait.  »  Le  duc  avait  préparé  uue  réponse  qu'il  n'eut  pas  occasion  de  pla- 
cer; car  Alexandre  Vil  n'aborda  pas  ce  sujet.  On  parla  notamment  du  der- 
oier  combat  naval  où,  suivant  les  bruits  d'origine  française,  la  flotte  des  Etats 
généraux  avait  eu  l'avantage  sur  les  Anglais.  Chaulnes  conGrma  le  fait,  qui 
répoadait  aux  désirs  de  sou  maître,  et  remarqua  qu'Alexandre  VU  l'écoutait 
&vec  un  air  d'incrédulité.  Le  pape,  comme  à  Tordinaire,  était  exactement  in- 
formé par  Roberti  et  savait  que  la  nouvelle  était  coatrouvée.  Lionne  fut  obligé 
d'avouer  bientôt  uue  seconde  et  plus  grave  défaite  des  Hollandais  ;  il  écrivait 
le  U  août  :  M.  HoberU  n  aura  eu  aujourd'hui  une  matiéiT,  bien  agréable  d*é« 
S>yer  àa  plume,  mais  le  mal  des  UoUaudais  n'est  ni  si  grand  qu'il  le  fera,  ni 
Buiaisé  à  guérir.  >'  (A  Retz  Home,  177.)  —  Chaulues  so  plaignit  formellemeut 
au  roi  que  le  nonce  fiU  trop  vite  et  trop  bien  infornu^  et  que  le  pape  reçût  de 
lui»  toutes  les  semaines,  des  nouvelles  exactes,  plus  fraîches  que  celles  do 
luDbassade  française  :  celle-ci  était  embarrassée  pour  les  démentir,  ou  pour 
It^Mouroer  à  son  avantage.  (Chaulues  au  roi,  21  septembre  1666.  Rome^  178.) 

il;  20  juilleL  Home,  177. 

(-)  11  promet  à  Lionne  de  lui  donner  des  nouvelles  de  toutes  choses,  «  saus 
oublier  »  ce  qui  regarde  sa  curiosité  ou  son  plaisir.  U  donne  des  détails  fort 
^léressants  sur  l'intérieur  de  Chaulnes,  sur  M^'"  de  Murinais,  M"^*  de  la  Buis- 
*i^re,  les  filles  de  la  duchesse,  etc.,  etc. 


64  CHAPITRE   TREIZIÈME 

laquelle  est  ici  un  ministre  du  roi,  les  déférences  qu*ontpour 
lui  les  cardinaux,  la  grande  soumission  dans  laquelle  sontceox 
du  parti,  Testime  et  la  vénération  que  lui  vouent  toutes  les 
personnes  de  qualité,  Tamour  dont  les  peuples  sont  prévenus 
pour  tout  ce  qui  le  regarde,  enfin,  les  égards  dont  le  palais  ne 
se  dépari  jamais  quand  il  y  pressent  de  la  douceur  ^  qu'il  recon- 
naît qxCon  vient  ici  avec  des  manières  raisonnables  et  avec  des 
sentiments  d entretenir  avec  eux  quelque  commerce  agréable. 
Toutes  ces  choses,  qui  sont  solides  et  essentielles  et  qui  con- 
tribuent assez,  comme  vous  pouvez  croire,  à  se  déprendre  de 
ces  appréhensions  qu'on  aurait  pu  avoir,  ont  raffermi  les 
esprits.  On  a  pris  aussitôt  une  autre  route,  dans  laquelle  chacun 
chemine  agréablement (1).  »  Labbé  de  Bourlemont  n'est  pas 
moins  favorable  à  la  cour  pontificale  (2).  Chaulnes  s'exprime 
dans  les  mêmes  termes;  mais,  comme  il  a  le  secret  de  sa  mis- 
sion, il  prédit  à  coup  sûr  que  cette  bonne  intelligence  ne  durera 
pas,  et  il  écrit  au  roi  :  «  Les  réflexions  qu'on  fait  ici  rempli- 
raient un  volume;  mais  ce  qu'il  y  a  de  certain  est  qu'à  toutes 
ces  choses  l'on  remarque  Taugmentation  de  la  grandeur  de 
Votre  Majesté  par  le  plus  grand  respect  que  Ton  porte  à  son 
nom...  Sa  Sainteté  a  été  plus  satisfaite  qu'elle  ne  s'y  est  atten- 
due. Dieu  veuille  qu'il  en  soit  toujours  de  même!  »  —  «  Enfin, 
dit-il  à  Lionne,  je  montai  samedi  sur  le  théâtre  et  vous  assure 
que  la  scène  fut  fort  belle;  mais,  comme  toutes  les  pièces  ne 
s'estiment  que  par  la  conclusion,  j'appréhende  fort  le  dénoue- 
ment; ce  que  je  puis  vous  dire  est  que  tout  le  monde  m'a  paru, 
à  mon  entrée,  fort  bien  intentionné  (3).  » 

En  arrivant  à  Rome,  le  nouvel  ambassadeur  y  trouva  une 
dépêche  royale,  expédiée  pendant  son  voyage,  et  qui  n'était 
pas  de  bon  augure  :  elle  lui  prescrivait  de  réclamer  encore  la 
promotion  de  Mercœur,  devenu  duc  de  Vendôme  par  la  mort 
de  son  père,  et  de  s'entendre  avec  les  ministres  de  Vienne  et 
de  Madrid  pour  exiger  l'attribution  aux  princes  des  quatre 
chapeaux  réservés  in  petto  :  le  roi  espérait  que  le  pape,  voyant 
cette  union  des  couronnes,  «  appréhenderait  davantage  les 

(1)  A  Lionne,  6  et  20  juillet  i666.  Rome,  177. 

(2)  Au  môme,  12  juillet.  Rome,  177. 

(3)  13  juillet.  Rome,  177. 


DÉBUT    DE    L^AMBÂSSADl!:    DE   CHAULNES  65 

dites  de  cette  affaire  (1).  »  Mais  il  fallut  renoncer  une  seconde 
ois  à  cette  folle  démarche.  L*ambassadeur  français  en  Espagne 
nforma  Louis  XIV  que  la  reine  ne  voulait  pas  chercher  que- 
elle  au  pape  sur  la  promotion,  et  qu'au  contraire  elle  avait 
éfendu  au  cardinal  Sforza,  chargé  de  ses  affaires,  «  d'employer 
es  paroles  qui  ne  fussent  du  dernier  respect  et  d'une  grande 
éférence  pour  les  volontés  de  Sa  Sainteté.  »  Louis  XIV  retira 
onc  ses  ordres,  mais  en  suggérant  à  son  ambassadeur  une 
es  fourberies  familières  à  Lionne  :  «  //  ne  sera  pas  mal  cepen- 
dant, lui  dit-il ,  que  vous  fassiez  pénétrer  sous  main,  par  quelque 
loyen,  au  cardinal  Chiqi  que  vous  avez  été  recherché  de  vous 
oindre  et  que  vous  favez  refusé;  mais  cela  même  lui  doit  être 
it  en  sorte  qu'il  ne  puisse  pas  bien  démêler  si  la  raison  de  votre 
efus  a  été  ou  pour  obliger  le  pape,  ou  pour  me  réserver  en 
Qon  particulier  le  ressentiment  que  j'ai  du  tort  qu'il  a  fait  aux 
couronnes  (2).  » 

Louis  XIV  chercha  aussitôt  un  autre  prétexte  de  stimuler  le 
zèle  de  son  ambassadeur.  Quelque  importune  que  lui  fut  la 
vigilance  du  nonce,  ce  n'était  pas  un  grief  qui  permit  d'inviter 
le  pape  à  le  retirer  de  Paris.  Il  espéra  que  Chaulnes  pourrait 
faire  naître  à  Rome  la  pensée  d'une  révocation;  c'est  dans  cette 
vue  qu'il  intéressa  personnellement  le  duc  au  rappel  de  Ro- 
berli,  en  prêtant  à  Tarchevèque  de  Tarse  des  discours  et  des 
manœuvres  absurbes,  où  l'on  ne  reconnaît  que  le  fertile  esprit 
et  la  perfidie  ordinaire  de  Lionne.  Louis  XIV  affecte  de  croire 
que  le  nonce  a  fait  ses  confidences  lï  un  ambassadeur  étranger^ 
qui  est  allé  aussitôt  livrer  au  roi  le  secret  de  Roberti  !  Bien 
enlendu,  ce  ministre  imaginaire  n'est  pas  nommé.  Voici,  écrit 
Louis  XIV,  le  langage  que  tient  le  nonce  :  On  a  cru  m'ôter  la 
connaissance  des  affaires  entre  les  deux  cours,  en  accréditant 
à  Rome  un  ambassadeur  qui  les  traitera  toutes;  «  mais,  si  j'é- 
tais homme  à  songer  à  me  venger,  je  me  vanterais  bien  de 
réduire  en  fumée  avec  une  seule  page  d'écriture  tout  le  beau 
projet  des  ministres  du  roi  qui  ne  m'aiment  pas,  et  non  seule- 

(1)  Première  lettre  du  roi  à  Chaulnes,  11  juin  1666.  Home,  176.  Louis  XIV 
commeoce  par  dire  que,  ^elon  son  calcul^  cette  dépêche  doit  arriver  à  Rome 
preiqae  en  mAme  temps  que  le  duc. 

(-}Le  roi  au  duc,  19  juiu  1666.  Borne,  176. 

U)1'1S  XIV  KT  LB  SAI.NT-SIÊGK.  —  U.  'i 


66  CHAPITRE    TREIZIÈME 

ment  ruiner  toutes  les  négociations  que  le  duc  de  Chaulnes 
voudra  faire  à  Rome,  mais  le  mettre  d*abord  aussi  mal  avecle 
pape  que  le  duc  de  Créquy  y  a  jamais  été.  El,  comme  le  ministre 
à  qui  il  parlait  témoigna  quelque  curiosité  desavoir  par  quels 
moyens  il  se  prendrait  à  faire  ce  qu'il  disait,  le  nonce,  avec  non 
moins  d'ingénuité  que  d'impriidenco,  lui  repartit  qu'il  n'aurait 
qu'à  mander  au  secrétaire  d'Etat  ou  au  cardinal  Pallavicino 
qu'il  a  pénétré,  à  n'en  pouvoir  douter,  par  des  personnes  qni 
ont  grande  habitude  chez  le  sieur  de  Lionne,  que  le  roi  se  lasse 
d'être  mal  avec  le  pape,  qu'il  croit  même  avoir  un  absolu  be- 
soin pour  de  grands  intérêts  de  regagner  sa  bonne  volonté,  à 
quelque  prix  que  ce  soit,  et  que,  pourvu  que  Ton  sache  et 
veuille  tenir  bon  de  delà,  ils  tireront  tout  ce  qu'ils  voudront  du 
duc  de  Chaulnes,  lequel  a  ordre  de  tout  offrir  et  de  tout  donner, 
c'est-à-dire  non  seulement  sel  d'Avignon,  abattement  de  la 
pyramide,  rétablissement  des  Corses,  qui  sont  choses  moins 
importantes,  mais  môme  tout  ce  que  Sa  Sainteté  peut  désirer 
sur  le  point  de  Castro  par  l'annulation  du  traité  de  Pise  en  ce 
chef-là.  »  Alors,  de  deux  choses  l'une,  ou  l'ambassadeur  cédera 
sur  tous  les  articles,  et  on  louera  ma  perspicacité;  ou  il  refu- 
sera, et  le  pape  le  maltraitera.  —  Réglez  donc  votre  conduite 
là-dessus.  «  Vous  remarquerez  que  j'ai  dit  que  le  nonce  n'a 
parlé  à  ce  ministre  que  de  ce  qu'il  pourrait  faire  s'il  voulait; 
mais,  connaissant  son  humeur,  je  juge  qu'on  ne  s'abuse  pas  de 
croire  fermement  que  c'est  une  chose  ou  quil  a  déjà  fait*", 
ou  quil  fera  (i)  infailliblement.  Voilà  le  mal,  c'est  à  vous 
maintenant  à  v  chercher  le  remède.  » 

Le  duc  de  Cliaulnes  saisit  avec  empressement  toutes  les  oc- 
casions de  montrer  aux  Romains  lo  bout  de  cette  virga  fertea^ 
avec  laquelle  Louis  XIV  se  flattait  de  les  conduire.  Le  pape 
allait  lui  assigner  un  jour  pour  la  première  audience  d'affaires, 
lorsqu'il  en  fut  empêché  par  un  des  plus  violents  accès  de  son 


(1)  Uohf^rli  n»i  l'avait  pas  laite  et  ne  lu  fit  jutnais.  (Le  roi  à  Chaulucs,  17  juil- 
let KiBG.  Rouie. j  177.)  Le  roi  dit  eu  termioant  :  «  Ayez  égard  à  ne  commettre 
part,  sans  gran.lr  riécesâité,  le  ministre  auquel  le  nonce  a  parlé.  »  Comment 
Chaulnes  aurait-il  pu  commettre  quclqu^un,  puisqu'un  ne  lui  désignait  per- 
sonne ni  directement  ni  indirectement?  C'est  une  des  roueries  de  style  qui 
abondent  dans  les  depôches  rédigées  par  Lionne. 


DÉBUT    DE   l'ambassade   DE   CHAULNES  67 

.1.  Ses  officiers  en  instruisirent  le  duc  dans  les  formes  les 
is  polies.  Ce  fut  un  premier  grief  :  le  pape  feignait  d'être 
lade,  pour  ne  pas  voir  l'ambassadeur  de  France!  D'après 

usage  constant,  les  ministres  étrangers  ne  visitaient  les 
imbres  du  sacré  collège  qu'après  une  audience  ordinaire  du 
iverain  pontife;  mais  Chaulnes  est  gracieusement  informé 
'il  peut  se  mettre  sans  délai  en  rapport  avec  tous  les  cardi- 
us  :  il  se  rend  donc  chez  \epadrone  Chigi,  chez  le  secrétaire 
iltatRospigliosietlcs  entretient  librement.  Il  écrit  à  sa  cour 
ec  une  odieuse  ironie  :  «  Je  ne  sais  si  nous  aurons  bientôt 

malheur  de  voir  finir  ce  pontificat^  la  continuation  des  in- 
mmodités  de  Sa  Sainteté  faisant  ici  craindre  à  tout  le  monde 
le  Dieu  ne  veuille  châtier  la  chrétienté  de  la  perte  d'un  si 
and  homme!...  »  Il  annonce  même  qu'on  a  vu  le  cardinal 
tiigi  quitter  tout  en  pleurs  la  chambre  de  son  oncle,  et  que 
alarme  est  à  Monte-Cavallo;  mais,  pourjustifier  des  instances 
tus  pressantes,  il  affecte  de  croire  à  une  légère  amélioration. 
Q  lui  promet  de  le  mander,  dès  que  le  pape  reparaîtra  en 
ttblic.  Son  émissaire  s'étant  servi  de  termes  menaçants,  ou  du 
loins  équivoques,  le  palais  s'en  émeut  et  attend  des  expiica- 
ions  :  M  Je  les  laisse,  dit-il,  dans  leur  embarras,  dont  je 
ompte  profiter.  »  Alexandre  lui  fait  porter  ces  paroles  :  «  J'ai 
lus  d'impatience  de  voir  M.  l'ambassadeur  que  lui-même; 
arsque  j'aurai  un  moment  de  relâche,  je  l'emploierai  pour  le 
ecevoir.  »  Les  plaintes  de  Chaulnes  étaient  d'autant  moins 
xcusables  que  sa  dernière  dépèche  s'exprimait  ainsi  :  «  Il  y  a, 
'ire,  grande  apparence  d'un  conclave  (1).  »  Cette  brutalité  ré- 
olla  Bourlemont,  qui  écrivit  à  Lionne  :  «  Lorsqu'on  sut  que 
I.  l'ambassadeur  devait  commencer  la  visite  du  collège  des 
ardinaux  avant  que  d'avoir  vu  le  pape,  quelques-uns  de  ceux 
ui  croient  que  tout  ce  qui  vient  du  palais  doit  être  pris  en 
mivaise  part  disaient  que  M.  l'ambassadeur  ne  devait  pas  se 
ontenter  de  la  réponse  du  cardinal  Chigi,  et  que  la  maladie 
lu  pape  était  simulée;  et  que,  si  Sa  Sainteté  avait  quelque 
^disposition,  elle  n'était  pas  suffisante  à  l'excuser  d'une  au- 
lienco.  Je  vous  avoue,  Monseigneur,  que  je  suis  dun  aviscon- 

lOSO,  %k  et  27  juillet  1666.  Rome,  177. 


^>'arf*.  *^t  j*  diic.'sr'if  --tr  '*  -fàj'^:  'ifs^t^int  ph.i<  librement  mù 
i^fuifaeidi  /'if»  mfK'jft^^-ftu:^ yTïi  r*»  t^undr,  ne  me  peut  reprocha 
n  at^jir  fXiiiê  ri^A  tnt^^^ieur^.  o-i  *ihlr^  préi>ccupé  de  lendresi 
•;.i  '^r  taaavaî.'ïe  vo!.ori*ê  env^r*  eax.  Il  me  semble  donc  qui 
cAîx^  »:ai  not  .'ir-^nirrrî:  :;«!raL  Ii  chimbre  :  qui-  ne  se  coDtentai 
ji^^  -i-e  i'a**k^tan:e  d»^  sjq  m-^iecia  •jr-linaire.  est  visité  par  h 
D-'iA  famecuL  m«î^l»:rcins  de  la  vî.le  d»:  Rome,  le  Fonsecael 
lî**^.  y  aiiant  tous  i»e>j'.»ur^:  qui,  drr  >on  nalurel,  est  porté  à  \ 
fH^ir^z  voir  aux  f>a::ion>  publiques  et  d'apparat  et  s'en  abstiei 
^  [ftKrftxii:  q;ii  faii  assurer  M.  ramba>sadeur,  par  son  nevei 
'îu  *i  fj  V^t  pas  en  état  de  lui  pouvoir  donner  audience  à  eau. 
u-  %  n  indisposition  et  permet  qu'on  visite  le  sacré  collè§ 
i  •  ^nl  Uï\  ;  Urne  y.emhU.  dh-je,  qu'il  en  doit  être  cru  jusquesà( 
•jiifî.  par  d's  act*"»  po-îtifs.  il  appjinil  du  contraire  à  ce  qu 
'i  fait  dire,  et  que  M.  l'ambassadeur  peut,  sans  préjudice  d( 
'iifain:-»  du  roi.  acjuiescer  pour  un  temps  à  ce  que  désire  S 
'^;iifit':t<'.  pui?;que.  ayant  la  liberté  de  visiter  le  collège  des  ca 
'iiriaux  et  par  r:onséquent  le  cardinal  Chigi.  il  a  une  porte  oi 
M'tii:  pour  la  né^'ociatiou...  J;.  •» 
Mai-ï  ri<;ri  n'arrête  l'ambassadeur.  Il  sait  et  il  répèle  lu 


/i 


!,  2'  .rji.I'-t  [^,^A.  li'jfft^y  HT.  —  Ctiauloes.  qui  sait  n'être  pas  approuvé  p* 
IV/iif  l«îf/r>fit.  f'îtrir'j*',  .Ma.h.'iut  d'appuyer  ce  qu'il  écrit  à  la  cour  :  n  II  est  aas 
*  riftht'iihitïn'.,  f-crii  cet  abbé,  «i»'  voir  les  démarches  dont  cette  cour  s'e 
'f>;«î  pour  c«:  qui  coucepue  M.  l'umbassadour;  car  il  est  certaio  que  le  pap 
'Itii*  \H»ifUi'W:f'.  pré';ipitée  qu'il  doooa  pour  «on  eutrée,  voulait  faire  conoafl 
q'i  il  '^'tait  f.u  /:tat  d<:  faire  toutes  les  fonctions  du  souverain;  qu'il  affecta  ( 
•ifftiwr  ij/i  jour  que  l'on  put  écrire  par  toute  l'Italie  qu'il  agissait,  qu'il  écoi 
il  *  'i  qu  il '-f/iit  vivant.  Aujourd'hui,  parune  politique  toute  contraire  et  asi 
pf-u  pntiqué''.  d<'  touH  leA  papes,  dan?  la  liberté  qu'il  adonnée  à  M.  Tambai 
>'i'i<:ur  d".  f/'iire  h<*«  vinlleH  srms  avoir  eu  sa  première  audience,  il  fait  voirv 
nlahlt'rni'nt  tfuil  rnt  liuiH  fi*'  conifjftt,  qu'il  est  inhabile  auf/ouvememenl^quti 
jiii  il.  flonnp.  lif'u  f/e  rroin*  qu'il  suit  rnournnl.  S'il  est  vrai  que  les  pareots  i 
**:  ■'ouriiïfjt  jia-*  de  tout  ce  qu'on  puisse  dire,  pourvu  qu'il  échappe  ces  det 
ifioU  d<'  cliaW'ur  hariH  voir  ui  les  ambassadeurs,  ni  les  ministres,  il  faut  aus 
qu  iln  le  eii'-licnt  lolleunuit.  qu'ils  déguisent  à  un  point  l'état  de  sa  san 
qu'un  chacun  n'aperçoive  qu'elle  est  comme  réduite  à  Textrémité;  car,  dm 
h'  uuiindn:  jitur  rpie  M.  de  Chaulnes  aura  que  le  pape  sera  en  état  de  rec( 
Voir  www  iiudli'uce,  vous  ne  devez  pas  douter  yw'//  ne  le  presse  et  quit  ne  fas 
ktH  iHslanreH  d'une  manière  qui/  sera  comme  impossible  que  fon  la  puisse  r 
f'u.irr...  Ju  vourt  mande,  encore  une  fois,  qu'il  est  comme  impossible  de  voi 
niiiudiT  \tit'n^hiu'.ui  en  quel  état  est  la  santé  du  pape.  Il  a  pris  du  lait  cl  1 
hdnnA  auHHÎlrM.  Il  pàtit  dans  les  excessivps  chaleurs  que  nous  avons  ici.  Toi 
tefoin  nouit  Hnvons  que  ses  bouffons  spirituels  le  vont  entretenir  tous  les  jour 


♦ 


DÉBUT    DE    l'ambassade   DE    CHAULNES  69 

même  à  Louis  XIV  que  la  maladio  du  pape  a  suspendu  toutes 
les  affaires;  que  «  Sa  Sainteté  ne  reçoit  pas  même  les  visites 
de  ses  confidents.  »  Cependant  il  lui  faut  son  audience  ou  la 
promesse  solennelle  qu'elle  sera  la  première  fonction  publique 
du  pape!  Il  emploie  à  ce  traité  le  P.  Oliva,  général  des  Jésuites, 
qui  lui  fait  des  objeclions.  L^habitude  était  de  porter  un  avis 
anij  ministres  étrangers  la  veille  d'une  audience  extraordi- 
naire :  les  officiers  du  palais  informent  le  duc  que,  cette  fois, 
il  ne  recevra  le  billet  que  dans  la  matinée,  parce  qu^il  «  se 
pouvait  que  Sa  Sainteté,  ayant  mal  passé  la  nuit,  ou  ne  se  trou- 
vant pas  bien  lorsqu'il  serait  parti  pour  se  rendre  à  Monte- 
Cavallo,  elle  serait  forcée  de  lui  envoyer  faire  des  excuses 
peut-être  sur  son  chemin  et  de  remettre  son  audience.  Sur 
quoi,  ajoute  le  duc  de  Chaulnes,  je  témoignai  au  P.  Oliva  que 
j'aurais  tout  le  respect  que  je  dois  à  Sa  Sainteté,  mais  qu'il 
lui  serait  bien  difficile  de  me  faire  faire  un  pas  en  arrière^  et 
qu'étant  en  marche^  fauraia  t  honneur  de  voir  Sa  Sainteté  en 
quelque  état  quelle  fût  ^  on  pour  lui  faire  des  compliments,  ou 
pfiur  r  assister  à  la  mort^  si  elle  était  à  F  agonie;  mais  que, 
voulant  éviter  ces  incidents  fâcheux  en  considération  de  la 
maladie  de  Sa  Sainteté,  l'on    pourrait  ne  m'avertir  que  le 
matin...  »  Et,  dans  la  même  dépêche,  l'ambassadeur  énumère 
Ions  les  signes  d'une  fin  prochaine,  sans  qu'on  surprenne  sous 
sa  plume  la  plus  légère  trace  de  Sympathie  ou  de  respect  : 
«  Votre  Majesté,  dit-il,  jugera  de  Pextrémité  oii  est  le  pape, 
laquelle  sera  encore  confirmée  à  Votre  Majesté  par  des  avis 
sùrs.quej'ai,  qu'il  ne  peutpas  aller  bien  loin.  Les  douleurs  qu'il 
souffre  sont  si  continuelles  et  lui  ont  causé  une  si  grande  fai- 
blesse qu'il  est,  selon  le  rapport  des  gens  qui  le  voient,  dans  une 
atténuation  incroyable,  dans  un  abattement  qui  se  porte  même 
quelquefois  au  cerveau,  et  je  doute  que  cet  eiïet  de  son  mal 
n  ait  plus  contribué  au  retardement  de  mon  audience  que  son 

Qui  e«t  assurément  uue  marque  qu'il  n'est  pars  dans  le  poinl  que  l'on  le  von» 
'i^U.  »  (A  Lionne,  27  juillet  1666.  Home,  m.)  —  Houffom  spirituels!  tel  c:*tlo. 
Dora  donné  par  les  Français  à  ces  réunions  dont  l'âme  était  le  Père  Bona,  ^u- 
D^ral  des  Feuillants,  religieux  aussi  austère  que  lettré,  théologien  profond, 
wteur  d'écrits  spirituels  qui  ont  mérité  d'être  comparés  à  Vlmitalion,  décoré 
^e  la  pourpre  sous  le  pontificat  suivant,  et  l'un  des  candi<iats  désignés  par  la 
^oix  publique  pour  succéder  à  Clément  IX  ! 


70  CHAPITRE    TREIZIÈME 

mal  même Les  médecins  et  sa  famille  no  savent  où  ilseo 

sont...  »  Et  il  expose  ses  plans  pour  le  conclave,  qui  ne  peut 
manquer  d'être  prochain  (1).  Le  même  jour,  le  cardinal  de  j 
Retz  écrit:  «  Sa  Sainteté...  tomba  jeudi  dans  une  si  grande  ; 
faiblesse  que  son  maître  de  chambre,  qui  la  soutenait,  la  oral 
morte...  Elle  ne  peut  aller  sans  miracle  jusqu'à  la  fin  du  mois 
d'août  (2).  »» 

La  cour  de  France,  loin  de  modérer  Tambassadeur,  s'ap- 
pliquait à  irriter  sa  susceptibilité  :  c(  Si  vous  vous  aperceviez, 
lui  écrivait  le  roi  (3),  que  le  retardement  de  cette  première 
audience  fut  moins  causé  par  indisposition  de  Sa  Sainteté 
que  par  un  dessein  de  vous  donner  quelque  mortification,  en 
vous  la  faisant  longtemps  attendre,  vous  ne  vous  tiendriez  plus 
si  serré,  et  feriez  voir  au  palais  que  vous  attendez  à  la  vérité, 
mais  sans    vous    incommoder  et  sans  retarder  mes  autres 
aiïaires,  qui  se  peuvent  faire  saùs  eux.  »  —  «  Je  n'ai  pas  occa- 
sion de  vous  rien  dire  sur  les  discours  que  le  pape  vous  a 
tonus  (4);  j^y  ai  seulement  remarqué  qu'il  8*est  étudié  à  vous 
bien  traiter  et  à  ne  laisser  rien  échapper  qui  marquât  quelque 
aigreur  dans  son  esprit.  Je  suis  assuré  que  les  autres  audience» 
ne  se  passeront  pas  de  même  (o).  »   C'est   le   7  août  que 
Louis  XIV  s'exprimait  en  ces   termes.    La  veille,  6  août, 
Alexandre  VII  avait  pu  donner  au  duc  de  Chaulnes  une  au- 
dience qui  démentait  encore  une  fois  ces  malveillantes  pré- 
dictions. 

Les  soulTrances  du  pape  étant  un  peu  calmées,  Tambassa- 
dour  Fut  averti  et  se  rendit  à  Monte-Cavallo  avec  trois  voiture» 
à  six  chevaux  ets(»pt  do  suite,  dix  prélats  et  un  nombre  infini 
de  carrosses.  Etait-co  donc  pour  entretenir  le  souverain  pon- 
tife d'affaires  considérables  qu'il  réclamait  si  impatiemment 
cette  audience?  Xon;  il  n*avait  à  porter  au  palais  que  de 
banales  protestations  de  respect,  dont  il  était  le  premier  à  se 
moquer  :  ses  instructions  lui  défendaient  de  solliciter  aucune  des 

II)  3  août  ifiôfi.  Borne,  Ml. 
{2}  A  Lioiiue.  Ibid, 
(3)  31  juillet  1666.  Home,  177. 
^4)  Dau»  l'autlionce  d'apparat. 
(5)  7  août  HîOC.  liorne,  177. 


DÉBUT    DE    l'ambassade    DE    CHAULNES  71 

grâces  que  le  roi  avait  espéré  recevoir  du  légat,  et  il  se  présen- 
tait devant  lepapeavecla  prétention  que  les  induits,  les  bulles, 
les  brefs  désirés  par  son  maître  fussent  aussitôt  mis  à  ses 
pieds.  Il  commence  sa  relation  par  railler  le  pape,  qu'il  trouva, 
suivant  la  coutume,  sous  le  dais  et  non  au  lit,  «  ayant  fait 
cet  effort  pour  détruire  les  bruits  de  sa  maladie.  »  Je  l'informai 
dit-il,  des  dispositions  favorables  de  Voire  Majesté.  «  Sur  ce 
que  je  coulai  quelque  chose,  dans  la  fin  de  mon  discours,  des 
audiences  qui  s'étaient  passées  les  années  précédentes.  Sa 
Sainteté,  voyant  ce  champ  ouvert,  prit  tant  de  plaisir  de  dire 
tout  ce  qu'elle  avait  sur  le  cœur  que,  si  son   mal  eût   été 
dans  la  rate,  elle  m'eût  sans  doute  eu  Tobligation  de  sa  santé. 

—  Elle  commença  sa  réponse  par  les  témoignages  de  la  joie 
quelle  recevait  d'apprendre  les  bons  sentiments  de  Votre 
Majesté,  etqu'ellen'avait  point  douté  de  ses  bonnes  intentions, 
mais  qu'elles  n  avaient  jamais  été  exécutées  dans  leur  pureté, 
et,  sur  ce  sujet,  elle  n'oublia  pas  de  parler  de  M.  le  duc  de 
Cré]uy,  et  de  M.  de  Bourlemont,  sans  qu'il  lui  échappât  une 
fois  d'honorer  le  premier  du  titre  de  monsieur;  pour  le  dernier 
elle  n'en  parla  que  sous  le  titre  de  ministre  de  Votre  Majesté 
en  italien.  —  Je  ne  crus  pas  de  me  devoir  opposer  à  ce  torrent, 
ellni  dis  seulement  que  j'estimais  M.  le  duc  de  Créquy  bien 
malheureux  de  n'avoir  pu  lui  rendre  sa  conduite  agréable... 

—  Et,  après  le  récit  que  Sa  Sainteté  me  fit  de  tous  les  désordres 
passés,  je  pris  la  liberté  de  lui  dire  que  je  craindrais  d'anticiper 
sur  la  charge  de  M.  le  cardinal  Chigi,  si  j'entrais  dans  le  détail 
de  tous  ces  malheurs,  puisqu'il  aurait  rendu  compte  à  Sa 
Saiateté  do  toutes  choses,  et  que,  par  son  voyage  en  France 
et  KOQ  retour,  tout  avait  été  consommé,  de  manière  que  l'on  no 
^devait  souvenir  de  ces  incidents  que  comme  de  ces  malen- 
tendus qui  altèrent,  dans  le  commencement,  les  amitiés  et  qui 
od:  quelque  apparence  de  rupture,  mais  qui,  dans  la  suite,  en 
resserrent  plus  fortement  les  nœuds  et  les  affermissent  de 
sorte  que  rien  ne  les  peut  ébranler.  Sur  cela.  Sire,  Sa  Sainteté 
Die  dit  qu'il  était  vrai  que  M.  le  cardinal  Chigi  avait  été  fort 
stlisfait,  quoique,  dans  les  commencements,  on  lui  eût  fait  des 
difficultés  contre  les  formes;  qu'il  lui  avait  dit  qu'il  était  im- 
possible d'avoir  l'honneur  de  voir  Votre  Majesté  et  lui  parler 


72  CHAPITRE   TREIZIÈME 

en  particulier  sans  avoir  beaucoup  d'estime  pour  elle  et  de 
respect.  Je  le  crois,  me  dit-elle,  et  alors,  se  penchant  un  peu 
sur  son  siège,  comme  pour  parler  plus  bas,  Sa  Sainteté  me  dit: 
M.  l'ambassadeur,  je  veux  vous  parler  avec  franchise.  Pour 
avoir  la  paix  dans  le  temps  de  la  guerre  des  Turcs,  nous  avons 
voulu  faire  tout  ce  que  nous  pouvions;  mais,  eu  égard  aus 
bulles,  on  nous  a  forcé  à  loul  ce  que  nous  ne  pouvions  pas.  — 
CiOmmc  les  ordres  de  Votre  Majesté  vont  à  rétablir,  s*il  se  peu!, 
une  bonne  correspondance  avec  Sa  Sainteté,  et  qu'il  ne  sa- 
gissait  pas  en  cetle  audience  de  la  conclusion  de  l'affaire  le 
Castro,  je  ne  crus  pas  la  devoir  pousser  comtne  je  ferai  dans 
la  suite  selon  l'état  des  choses,  et  je  répondis  qu'il  n'y  aviil 
point  de  bornes  à  son  pouvoir;  qu'elle  pouvait  tout  et  qu'elle 
savait  qu'Une  s'était  ?ien  fait  qui  ri  eût  été  signé  d  Centreim 
de  Votre  Majesté  et  du  roi  d  Espagne^  comme  pour  le  bien  de 
la  paix.  —  Sur  quoi.  Sa  Sainteté  me  répondit  :  Ne  savez-vous 
pas,  M.  lambassadeur,  que  le  cardinal  Mazarin  le  fil  sigier 
pour  me  strapasser  (4),  ce  fut  le  terme  dont  elle  se  servit;  qiil 
a  fait  toujours  tout  ce  qu'il  a  pu  contre  moi,  jusqu'à  m'oblijer 
de  donner  des  bulles  a  Ondedei  (2)  pour  lévêché  de  Fréjis, 
ce  que  je  n'aurais  jamais  fait,  le  connaissant  bien,  mais  eue 
la  reine-mère  m'écrivit  qu'elle  chargeait  sa  conscience  de  cdte 
alfaire  dont  elle  me  répondait;  et  sur  cela  me  parla  de  la  lé- 
cessilé  de  choisir  de  dignes  sujets  dans  l'Eglise.  »  —  Je  ré- 
pondis en  métcndant  sur  les  choix  de  Votre  Majesté.  J'ameiai 
l'entretien  sur  le  refroidissement  qui  suivit  le  relour  de  M. le 
ir*gat,  et  sur  la  modération  de  Votre  Majesté  qui,  pouvant  se 
plaindre  delà  dernière  promotion,  n'en  avait  rien  dit.  —  «  Sur 
cela,  Sire,  Sa  Sainteté  me  répondit  :  Quand  on  verra  les  autres 
pontificats,  l'on  connaîtra  qu'ils  ont  toujours  eu  la  liberté  d'ï- 
lever  les  sujets  qu'ils  avaient  crus  capables;  et,  comme  elle  ne 
panit  embarrassée,  elle  embarrassa  aussi  son  discours  sur  trois 
ou  quatre  promotions,  de  manière  que,  n'ayant  pas  ordre  (.e 
parler  à  fond,  n'étant  pas  même  encore  le  temps,  »  j'éludai  h 
discussion,  et  me  répandis  en  protestations  de  respect  filial,  ai 

(1)  De  flrapazzare,  mortifier,  insulter. 

(2)  Zongo  Ondod^U,  parent  et  secrétaire  de  Mazarin,  chargé  spécialement  de <> 
affaires  ecclésiastiques,  perdu  de  réputation,  pour  les  mœurs  surtout. 


DÉBUT    DE   l'ambassade    DE    CHAULNES  73 

Je  Votre  Majesté.  —  Sa  Sainteté  les  accepta  et  promit  la 
•ocité.  —  «  Pour  mieux  réussir  dans  le  dessein  de  mettre 
oses  en  état  de  rétablir  un  commerce,  je  lui  donnai  plus 
ens  qu'il  n'en  eut  jamais  à  l'autel  (l).  » 
îxandre  VII  avait  risqué  sa  vie  pour  recevoir  plus  tôt  le 
e  Chaulnes  ;  l'ambassadeur  avoue,  en  effet,  que  le  pape 
ne  rechute  daus  la  nuit  qui  suivit  cette  longue  audience  : 

maladie,  ajoute- t-il,  étant  un  amas  de  méchantes  hu- 
s,  ou  pour  mieux  dire  du  pus  formé  par  un  abcès,  selon 
s'amasse,  il  produit  plus  ou  moins  de  douleur,  qui  lui 

la  fièvre.  A  son  âge  et  dans  les  incommodités  de  ses 
5,  il  ne  faut  que  quelque  continuation  de  douleur  pour 
ar//'r(2)))  Le  souverain  ponlifo  n'interrompit  pas,  pendant 
nouvelle  crise,  les  attentions  délicates  dont  il  comblait  le 
sentant  de  Louis  XIV.  Le  lendemain  de  Taudience  accor- 
u  duc,  il  chargea  un  des  premiers  personnages  de  sa 

M.  délia  Ciaia,  son  parent  et  son  maître  de  chambre,  de 
r  un  beau  présent  à  la  duchesse,  ce  qui  était  contre  Tusago 

fort  remarqué  :  «  Je  croyais  bien,  écrivit  Tambassa- 
que  Sa  Sainteté  pourrait  me  donner  quelques  marques  de 
3nnes  intentions;  mais  je  ne  me  persuadais  pas  qu'elles 
nt  si  fortes  quelles  ont  été,  par  tous  les  discours  qui  me  sont 

out  prétexte  était  bon  pour  se  moquer  du  pape  en  flattant  Louis  XIV. 
t  par  là  que  Chaulnes  plaisait  tant  au  roi  et  à  Lionne  :  «  Il  faut  même 
vous  mande  jusqu'à  qnel  point  je  suis  italianisé  pour  les  circonspec- 
Tavaisfait  faire  ici  un  fort  beau  tableau  du  roi  pour  mettre  avec  celui  do 
inaif»,  comme  il  s'est  rencontré,  par  la  disposition  des  deux,  que  le  roi 
irdait  pan  le  pape,  j'en  ai  fait  faire  un  aulre.  Le  premier  était  d'une 
ière  et  autaut  rapportante  qu'il  se  peut  à  celle  de  S.  M.;  et,  dans  le 
,  cette  6erté  naturelle  du  roi  est  adoucie  de  manière  que  S.  M.  fait  les 
eux  à  S.  S.  N'est-ce  pas  là  une  belle  action  pour  m'immortaliser  eu 
Que  si  S.  S.  ne  répondait  pas  aux  bonnes  intentions  du  roi,  je  pense 
pourrais  bien  remettre  le  premier  au  jour.  »  (Chaulnes  à  Lionne,  20  jnil- 
5.  Rome,  177.) 

lème  dépér^he  du  10  aoAt  au  roi.  L'abbé  de  Macbaut  écrivait  de  son 
I  L'indisposition  de  S.  S.  venant  de  la  pierre,  qui  lui  cause  des  douleurs 
evables  et  mémf^  quelque  petite  altération  |délire|,  l'on  peut  dire  qu'elle 
lu  relAche.  D'ailleurs  on  voit  visiblement  qu'il  n'y  parait  pas  aussitôt 
mal  cesse.  Elle  a  autant  de  chaleur  naturelle  qu'un  Jeune  homme  de 
nnq  ans  ;  enfin  on  dit  qu'elle  peut  manquer  en  deux  jours,  mais  aussi 
peut  aisément  vivre  quelques  années.  »  (A  Lionne,  10  août  1666.  Rome, 


74  CHAPITRE    TRKntÈME 

revenus  et  par  ses  actions  dans  les  rencontres.  »  Il  écrivit  le  même 
jour  à  Lionne  que  I  autorité  du  roi  était  aussi  grande  à  Rome 
qu'on  pouvait  le  souhaiter.  Abandonné  à  ses  inspirations,  il  au- 
rait peut-être  fléchi  devant  ces  marques  de  bienveillance  et  de 
loyauté;  mais  il  connaissait  l'implacable  orgueil  de  son  mailre 
et  il  ajouta  aussitôt  :  «  Cependant,  Sire^  j*ai  bien  raison  de 
croire  que  l'exécution  du  traité  de  Pise  détruira  bientôt  toutes 
ces  apparences  à  un  rétablissement  de  correspondance,  et  que 
la  seconde  partie  de  mon  ambassade,  dont  la  première  était  de 
regagner  les  esprits  (i),  ce  que  je  crois  au  point  que  Votre 
Majesté  peut  désirer,  que  cette  seconde,  dis-je,  qui  sera  pleine 
de  toute  sorte  de  difficultés  dans  les  demandes,  pourra  bien 
changer  la  face  des  choses  présentes.  Cependant  il  faudra 
tâcher  de  traiter  Sa  Sainteté  en  malade  et  de  lui  faire  avaler 
les  pilules  le  plus  doucement  quil  se  pourra,  souhaitant  fort 
que,  dans  une  troisième  partie  que  Ton  pourrait  faire,  il  n'ar- 
rive pas  des  mécontentements  et  des  ruptures  qui  senties 
suites  ordinaires  des  refus.  »  Pour  hâter  cette  rupture,  il  pro- 
met de  s'appliquera  faire  rappeler  le  nonce  Roberti,  et  il  écrit 
îi  Lionne  :  «  Un  mot  tourné  de  votre  façon  me  donnerait  lieu 
de  le  pousser  hors  de  France  (2)  !  » 

Louis  XIV  regarda  comme  un  effet  delà  peur  le  bon  accueil 
que  son  ministre  trouvait  à  Monte-Cavallo  et  dans  toute  la  ville, 
et  il  résolut  de  mettre  a  profit  un  sentiment  qui,  on  le  verra, 
était  bien  étranger  à  tous  les  membres  de  la  famille  Chigi.  Il 
écrivait  au  duc  de  Chaulnes  :  Les  parents  du  pape  n'ont  pa« 
ces  nianières  quand  il  se  porte  bien.  Le  voyant  à  sa  fin,  «  ils 
ont  considéré  qu'après  la  perte  de  tout  crédit,  ils  pourraient  se 
trouver  accablés  sous  d'autres  plus  grandes  ruines,  si  j  appe- 
santissais ma  main  sur  eifx  par  ressentiment  de  tant  d'indignes 
traitements  que  j'ai  reçus  à  Rome,  pendant  toute  la  durée  de 
ce  pontificat.  Quoique,  par  vos  instructions,  je  vous  aie  défendu 
de  demander  au  pape  aucune  grâce  et  que,  présentement  aussi, 
je  n'entende  pas  révoquer  cette  défense,  j'ai  fait  réflexion 
néanmoins  que,  dans  l'état  où  est  Sa  Sainteté,  ou  quand  il 

(t)  Od  a  vu  que  rambas^adeur  D'avaii  eu  aucun  effort  à  faire,  et  que  les 
e^pritii  étaient  parfaitement  bien  diRponé^,  môme  avant  son  arrivée. 
(2)  CbaulueB  au  roi  et  à  Lionne,  10  août  1666.  Humej  177. 


DÉBUT  DE  L* AMBASSADE  DE  CHAULNES  7B 

deviendra  plus  mauvais,  sans  me  commettre  à  la  bassesse  (l) 
d'une  demande  ni  à  l'incertitude  d'un  refus,  vous  pourriez 
peut-être  facilement  réussir  à  obtenir  de  ce  pape  même,  avant 
que  sa  mort  arrive,  les  deux  induits  d'Artois  et  de  Roussillon 
et  le  supplément  de  celui  des  Trois-Évèchés.  Je  dis  même  que, 
plus  l'étal  de  sa  santé  sera  désespéré,  plus  il  y  aura  d'espé- 
rance de  les  emporter,  pourvu  que  le  cardinal  Chigi  ait  du  bon 
sens  et  de  l'application  avec  quelque  vigueur.  Il  n'y  aurait,  ce 
semble,  pour  cela  qu'à  lui  faire  mettre  devant  les  yeux  bien 
fortement  le  grand  intérêt  qu'il  a  de  ne  pas  laisser  mourir  son 
oncle  sans  accomplir  les  paroles  qu'il  me  donna  à  son  dé* 
part  d'auprès  de  moi,  dont  il  n'en  a  tenu  aucune (3);  que  ce 
n'est  pas  à  un  prince  de  mon  rang  et  de  ma  puissance  et  aussi 
sensible  que  je  le  suis,  que  Ton  peut  s'engager,  et  après,  ne  te- 
nir compte  de  ses  promesses;  qu'il  ne  faut  pas  s'excuser  sur  le 
défaut  de  son  crédit,  puisqu'il  est  venu  à  bout  de  choses  in- 
comparablement plus  difficiles,  quand  il  les  a  bien  et  ferme- 
ment voulues,  témoin  le  cardinalat  de  Nini  (3),  contre  lequel 
tous  les  autres  parents  s'étaient  ligués;  que,  quand  il  voudra 
témoigner  au  pape  de  bonne  sorte  combien  importe  à  tous  les 
siens  qu'il  ne  laisse  pas  les  choses  avec  la  France  en  Téta! 
qu'elles  sont,  ni  occasion  à  un  autre  pape  de  persécuter  la  fa- 
mille Chigi  sous  prétexte  de  m'obliger.  Sa  Sainteté  ne  lui  re- 
fusera rien  ;...  »  il  obtiendra  tout  du  pape,  «  soit  en  intéressant 
sa  conscience  à  n'avoir  et  ne  faire  paraître  aucune  rancune 
contre  moi  en  partant  de  ce  monde,  soit  enfin  en  lui  donnant 
j     à  entendre  que  lui,  cardinal,  a  fait  une  espèce  de  traité  avec 
■     vous,  par  lequel,  en  échange  des  satisfactions  que  vous  avez 
\     promis  que  je  donnerais  à  Sa  Sainteté,  il  s'est  engagé  d'obte- 


(1)  Rien  n*étalt  plus  bas  que  de  chercher  à  extorquer  ces  grâces  par  l'inli- 
nidiUoQ;  rien  n'eût  été  plus  honorable  que  de  demander  respectueusement 
«1  chef  de  rÉglise  ce  qu'il  doit  être  libre  d'accorder  ou  de  refuser. 

(2)  Le  cardinal  Chigi  n'avait  pas  le  pouvoir  d'engager  son  oncle,  et  d'ailleurs 
il  o'avtit  faU  qu'une  promesse  banale  de  bons  offices. 

\3)itcopo  Fîlippo  Nini  était  an  ecclésiastique  slennois  de  bonne  naissance, 
qu'Alexandre  VII  avait  attaché  à  sa  personne  lorsqu'il  était  secrétaire  d'État 
«008  Innocent  X,  et  qui  était  devenu  successivement  secrétaire  des  mémoriaax, 
B^tre  de  chambre  et  majordome.  L'amitié  du  pape,  qui]  méritait  par  ses  ser* 
^cesetsa  fidélité,  lui  donnait  beaucoup  d'envieux. 


76  CHAPITRE   TREIZIÈME 

nîr  d'elle  Texpédition  des  trois  iadults.  »  Ainsi,  le  roi  prenait 
sous  son  nom  tous  les  artifices  qu'inventait  la  fourberie  de 
Lionne;  mais  le  duc  de  Chaulnes  ne  voulut  point  en  accepter 
la  complicité,  et  il  écrivit  au  secrétaire  d'Etat  :  «  Par  la  dé- 
pêche du  20  août,  vous  marquez  que  j  ai  fait  un  traité  aveclo 
cardinal  Chigi,  qu'en  lui  procurant  la  vérification  de  ses  facul- 
tés (i)  il  s'engageait  de  donner  l'expédition  des  trois  induits, 
ce  que  je  n'ai  pas  bien  compris,  les  facultés  ayant  été  accordées 
auparavant  de  voir  mondit  sieur  le  cardinal,  avec  lequel  je  n  ai 
fait  aucun  traité  (2).  »  Le  roi  et  le  ministre  subirent  le  dé- 
menti et  imaginèrent  une  autre  supercherie  :  «  .Fai  rovn,  ré- 
pondit Lionne,  la  dépêche  du  roi  du  20  août,  où  Sa  Majesté 
n^a  pas  prétendu  dire  que  vous  eussiez  fait  un  traité  avec  M.  le 
cardinal  Chigi,  sachant  bien  que  cclan^est  pas,  mais  bien  que, 
si  le  cardinal  avait  véritablement  intention  de  tirer  du  pape 
les  trois  grâces  des  induits,  il  avait  un  bon  moyen  de  le  faire, 
nonobstant  la  répugnance  de  Sa  Sainteté  à  les  accorder,  en 
lui  donnant  k  entendre,  c'est-à-dire  en  lui  faisant  croire  qu'il 
avait  fait  une  espèce  de  traité  avec  vous  par  lequel  il  vousle^ 
avait  promises,  dont  il  espérait  que  Sa  Sainteté  ne  le  désavoue- 
rait pas.  Voilà  le  sens  de  Tarticle  de  la  dépèche  qu'il  est  vrai 
qu'il  fallait  un  peu  plus  étendre,  pour  ne  laisser  lieu  à  aucun 
équivoque  (3).  » 

Lionne  avait  écrit  à  Tambassadeur  :  J*ai  deux  raisous  de 
souhaiter  que  vous  réussissiez  dans  cette  négociation  :  1°  votre 
gloire,  car  «  vous  auriez  par  votre  adresse  su  tirer  de  l'huile 
d'un  mur  »;  2®  si  nous  n'obtenons  ces  grâces  que  d'un  autre 
pape,  il  les  fera  valoir,  ce  qui  nuira  aux  autres  choses  que  le 
roi  entend  exiger  de  Rome.  —  Puis,  croyant  déjà  tenir  à  ses 
genoux  la  famille  Chigi,  il  ajoutait  :  Demandez  pour  mon  fils 
Tabbé  Tindult  lui  permettant  de  conférer  en  commende  les 
bénéfices  dépendants  de  ses  abbayes  et  prieurés  (Marmoutier, 
Saint-Mélaine  de  Rennes,  Cercamp  et  Sain  t-Martin-des-Champs 
de    Paris,   qui  avaient  des  collations  immenses),  sans  «  être 
obligé  de  faire  le  circuit  de  les  donner  d'abord  à  des  moines» 

(1)  Pour  la  légation  d'Avignon. 

(2)  14  septembre  1666. 

(3)  8  octobre.  Rome,  178. 


DÉBITT    DE    l'ambassade    DE   CHAULNES  77 

eQ  quoi  j'ai  quelque  scrupule.  »  Faites  «  comprendre  à  M.  le 
cardinal  Chigi  qu'il  est  peut-être  de  son  service   d'acquérir 
celle  obligation  sur  moi.  »  Je  voudrais  Tobtenir  de  ce  pape-ci  ; 
car  j'aurai  à  solliciter  de   son  successeur  une  autre  grâce 
'(  pour  mon  (ils  le  cbevalicr,  qui  est  de  l'habiliter  aux  corn* 
manderies  dans  toutes  les  langues  et  grands  prieurés   du 
rovaume.  Pour  vous  expliquer  bien  ma  pensée,  je  ne  vou- 
drais pas  que  l'on  parlât  de  mon  aiïaire  que,  dans  le  cas  de  la 
santé  du  pape  déplorée,  et,  qu*on  la  portât  alors  comme  une 
insinuation  que  Ton  fait  à  M.  le  cardinal  Chigi  pour  son  propre 
service.  »  —  Demandez  un  induit  semblable  pour  le  fils  de 
M.  Colbert,  et  avertissez  «  Son  Eminence  qu'il  est  de  sa  pru- 
dence de  ne  laisser  pas  ce  mérite  certain  à  un  nouveau  neveu 
de  pape,  »  mais  finissez  d  abord  mon  affaire  (1). 

Le  roi  et  Lionne  s'étaient  gravement  mépris  (2),  et  les  dé- 
pèches de  Chaulnes  leur  apprirent  bientôt  que  les  parents 
d'Alexandre  VU  ne  sacrifiaient  point  leur  honneur  à  la  bien- 
veillance des  couronnes.  L'ambassadeur  écrivait  :  Quand  la 
santé  du  pape  donne  des  inquiétudes,  le  cardinal  Chigi  ne  re- 
(;oit  plus  personne  et  ne  s'occupe  d'aucune  affaire.  Le  cardinal 
Pallavicino  et  le  P.  Oliva  ne  sont  môme  «  pas  assez  forts  pour 
le  tirer  de  son  assoupissement.  »  Je  puis  pénétrer  jusqu'à  lui, 
un  jour  que  le  pape  a  moins  souffert^  et  je  lui  demande  les 
induits  :  il  me  promet  seulement  de  faire  son  devoir  en  par- 
lant à  son  oncle.  Je  le  presse  comme  son  ami,  et  non  de  la 
part  du  roi  ;  mais  il  se  borne  à  répondre  «  qu'il  fait  toute 
l'estime  qu'il  doit  de  la  protection  de  Votre  Majesté  et  qu'il 
ne  manquera  pas  de  lui  en  donner  des  marques  en  toute  ren- 
contre. »  Je  sollicite  de  nouveau  les  bulles  de  Reims  pour  le 
cardinal  Antoine  :  il  me  rappelle  qu'un  évèché  français  est 
incompatible  avec  la  charge  de  camerlinofuc,  sans  me  dire  seu- 
lement s*il  transmettra  mes  instances  au  pape.  —  Impartial 
comme  son  oncle,  Chigi  ne  déférait  pas  davantage  auximpor- 

(1)  LioDoe  â  Chaulnes,  20  et  *27  août  1666.  Rome,  177.  —  Le  cardinal  Chifri 
i^  écouta  ni  Lionne  ni  Colbert. 

(2)  Loais  XIV  disait  encore  le  3  septembre  1666  :  Si  la  vie  du  pape  est  en 
P^l,  TOUS  obUendrez  par  ses  parents  et  dans  leur  intérêt  ce  qu'if  yous  refu- 
«rail  en  bonne  sauté.  (A  Chaulnes.  ««»we,  178.) 


78  CHAPITRE   TREIZIÈME 

tunités  de  la  maison  d'Autriche.  La  nouvelle  impératrice,  fille 
de  Philippe  IV,  devant  traverser  le  Milanais  pour  se  rendre  à 
Vienne,  il  avait  été  décidé  que,  suivant  Tusage,  elle  serait  com- 
plimentée par  le  cardinal  neveu,  revêtu  pour  cette  occasion 
du  titre  de  légat.  Mais,  la  maladie  d'Alexandre  VII  retenaul 
Chigi  au  palais,  ce  cardinal  se  fit  remplacer  par  son  parent, 
le  cardinal  Antonio  Bichi.  Les  Espagnols,  dit  Chaulnes^  sont 
indignés  qu'il  ne  soit  pas  allé  à  Milan  :   ils  menacent  de 
le  «  faire  venir  à  Vienne.  Votre  Majesté  croira  bien  que  je  ne 
jetterai  pas  de  l'eau  dans  le  feu,  faisant  au  contraire  connaître 
à  M.  le  cardinal  Sforza  (i)  que  ce  sont  de  ces  mépris  que  Ton 
ne  peut  souffrir,  pour  trouver  plus  de  facilité  dans  Tesprit  de 
M.  le  cardinal  Chigi,  dans  la  conjoncture  qui  Taura  brouillé 
avec  l'Espagne  (2).  »  Machaut  écrit  à  son  tour:  «  Dans  la  vrai- 
semblance d'une  chute,  le  pape  n'a  pas  même  épargné  les  Es- 
pagnols, ni  la  maison  de  Médicis  :  il  refuse  à  ceux-ci  un  cha- 
peau de  cardinal  qu'il  leur  a  promis  deux  ou  trois  fois;  aux 
autres,  il  leurcnvoic  un  bref  dans  lequel  il  donne  sa  bénédic- 
tion à  l'impératrice  et  s'étend  extrêmement  sur  la  nécessité 
qu'il  a  eue  de  retenir  le  cardinal  Chigi  auprès  de  sa  per- 
sonne. »  —  c(  Les  Espagnols,  répond  le  roi,  ne  peuvent  être 
que  très  mal  satisfaits  du  cardinal  Chigi,  qui  s'est  exempté 
sans  beaucoup  de  raison,  depuis  la  convalescence  du  pape, 
d'aller  rendre  ses  respects  à  l'impératrice  selon  l'usage  qui 
veut,  en  pareilles  occasions,  que  les  neveux  des  papes  mar- 
chent eux-mêmes,  et  non  d'autres  cardinaux.  Ledit  cardinal 
pouvait  faire  cette  fonction,  et  être  de  retour  à  Rome  en  moins 
(le  quinze  jours,  prenant  laposteouse  servant  de  relais  de  car*- 
rosses,  et  en  cela  il  a  témoigné  peu  de  considération  pour 
toute  la  maison  d'Autriche.  C'est  à  vous  maintenant  à  voir  quel 
parti  vous  en  pourrez  tirer  (3).  » 

Mécontent  de  la  fermeté  du  pape,  le  duc  de  Chaulnes  ne 
put  cependant  alléguer  aucun  grief  personnel,  et  chacune  de 


(i)  Chargé  des  affaires  de  l'Empereur. 

(2)  Bourlenioul  a  LioDue,  27  juillet  1666.  Aome,  177.  —  Chaulnes  au  roij 
14  septembre.  Home,  17K. 

(3)  Machaut  à  Liouuc,  ii  t>epteiuljr(\  —  Le  roi  û  ChaulncB,  24  septembre. 
Home,  178. 


DÉBUT   DE   l'ambassade    DE    CUAULNES  79 

ses  dép6che8^  au  contraire,  vante  la  considération  dont  il  jouit 
à  Rome.  La  fête  de  saint,  Louis  vient  d'y  être  solennisée  avec 
un  éclat  inconnu  sous  le  duc  de  Créquy.  Le  chapitre  de  Saint- 
Jean  de  Latran  célèbre  pompeusement  le  service  d'Anne  d'Au- 
triche :  le  mausolée  touche  à  la  voûte  de   la  basilique  et 
Voraison  funèbre  de  la  reine-mère  est  prononcée  en  latin  devant 
le  duc  de  Chaulnes,  qui  s'y  est  rendu  avec  un  cortège  de  douze 
prélats  et  de  cent  cinquante  carrosses  (1).  La  cour  pontificale 
se  prête  de  bonne  grâce  aux   démonstrations  publiques  qui 
peuvent  flatter  un  grand  prince  et  son  représentant.  Ce  chan- 
gement dans  les  rapports  extérieurs  des  deux  puissances  con- 
venait à  Torgueil  du  roi  et  même  à  ses  desseins  politiques. 
Le  pape  avait  répondu  aux  lettres  en  créance  sur  M.   de 
Chaulnes  en  termes  qui  avaient  touché  Louis  XIV;  il  annon- 
çait rintention  de  saisir  les  occasions  de  lui  complaire,  et  le 
roi  avait  invité  le  duc  à  profiter  de  cette  ouverture.  Mais 
l'ambassadeur  avait  compté  sur  un  prompt  succès,  et  sa  vanité 
ne  souffrait  pas  de  retard.  Au  moment  où   il  attendait  une 
5econde   audience^  il  fut  averti,  comme  tous  les  ministres 
étrangers,  que  la  santé  du  pape  ne  lui  laissait  pas  la  force  de 
les  entendre.  Alexandre  VII  ne  put  pas  même  quitter  Monte- 
Cavallo  pour  Castel-Gandolfo,  où   il  passait  une  partie  de 
Tautomne.  La  correspondance  des  Français  présents  à  Rome 
atteste  clairement  le  péril  imminent  du  pape.  Machaut  écrit  le 
*21  septembre  (2)  :  «  M.  Tambassadeur  se  voit  à  la  veille  de 
se  trouver  dans  une  belle  conjoncture,  étant  certain  que  le  pape 
ne  peut  pas  vivre  longtemps  et  qu'il  serait  en  état  de  pouvoir 
rendre  des  services  considérables,  s'étant  acquis  une  grande 
réputation  auprès  de  MM.  les  cardinaux  et  ayant  gagné,  et 
par  son  esprit  et  par  sa  civilité,  les  cœurs  de  tout  le  monde.  » 
Le  duc  de  Chaulnes^  à  son  tour,  écrit  :  «  Beaucoup  me  con- 
firment que  les  douleurs  du  pape  lui  causent  souvent  des 
transports  au  cerveau,  pendant  lesquels  il  ne  serait  pas  bon 
^luHl  donnât  audience.  «Et,  le  même  jour,  Tabbé  de  Bourlemont 
ajoute  :  «  Je  crois  vous  mander  dans  cet  article  le  véritable 


\i)  Au  roi,  31  août.  Rome,  177.  —  5  octobre  1666.  Home,  178. 
(î)  Rome,  178. 


80  CHAPlTRl!:  TREIZIÈME 

état  de  la  santé  du  pape.  11  est  certain  qu'il  n'a  pas  seulement 
la  pierre  dans  la  vessie  ;  mais  il  a  un  ulcère  dans  un  des  reins, 
et  delà  vient  la  boue  et  le  sang  qu'il  pisse  ordinairement  avec 
beaucoup  de  douleur.  De  plus,  ce  pus  qui  descend  de  ce  rein 
sur  de  petites  veines  du  ventre  lui  cause  beaucoup  de  douleur 
et  souvent  des  insomnies  :  cela  fait  qu'il  a  quelque  altération 
le  jour  et  que,  quand  il  est  dans  un  discours,  il  le  quitte  souvent 
pour  passer  à  un  autre,  et  il  recommence  la  même  note  trois 
ou  quatre  fois  par  jour.  Voilà  le  fondement  du  bruit  qui  a 
couru  que  l'esprit  pâtissait  plus  que  le  corps  (1  ).  »  Le  S  octobre, 
Tabbé  de  Machaut  écrit  de  nouveau  (2)  :  «  L'on  vous  mandait, 
dans  le  dernier  ordinaire,  que  le  pape  se  portait  mieux  ;  qu'il 
avait  admis  le  gouverneur  et  d'autres  officiers;  mais  nom 
savons  d'original  que  ces  audiences  ont  été  controuvées,  et  qu'il 
est  dans  le  plus' misérable  état  qu'il  se  soit  trouvé  depuis  le 
commencement  de  sa  maladie.  Un  fort  honnête  homme  faisant 
la  profession  de  médecin...  m'assure  que  l'ulcère  était  dans 
la  vessie  et  non  pas  dans  les  reins,  et  d'autant  plus  que  la  pierre 
qu'il  a  dans  la  vessie  n'ayant  pas  pris  do  situation  lui  cause 
des  douleurs  inconcevables...  Assurez- vous  que  c'est  un 
homme  confisqué.  Ses  parents  se  désespèrent...  »  Le  médecin 
voit  <c  des  signes  très  mauvais  »  et  défend  le  voyage  à  Castel- 
Gandolfo...  »  La  santé  du  pape  est  désormais  en  état  qu'il 
faudrait  .suspendre  toute  sorte  de  ressentiment,  et  il  y  aurait 
à  craindre  que,  voulant  gagner  quelque  point  de  réputation 
dans  la  conjoncture  présente^  l'on  ne  déchut  extrêmement  si 
Ion  s  attaquait  à  un  cadnvrcy  qui  est  plutôt  digne  de  compas- 
sion que  d'autre  chose. ..  »  Cependant,  à  la  même  date,  le  duc 
de  Chaulncsne  craint  pas  d'écrire  à  Louis  XIV  :  «  Sa  Sainteté 
est  un  jour  bien,  un  jour  mal,  et,  selon  les  remèdes  qu'elle 
prend,  elle  souffre  plus  ou  moins  de  douleurs,  n'étant  guère 
de  temps  sans  s'en  ressentir.  Elle  entendit  la  messe  dimanche, 
ce  qui  est  un  grand  effort...  Pasquin  a  fort  bien  expliqué  l'état 
présent  des  choses  en  deux  mots,  en  disant  que  Rome  était 
sans  pape  et  sans  siège  vacant..   Je  sais  bien,  Sire,  que  Votre 


(1)  A  Lionne.  Aonte,  178. 

(2)  A  Lionne.  Aome,  178. 


DÉBUT  DE  l'âMBASSSADE  DE  CH AULNES  81 

lajeslé  n'y  étant  pas  seule  intéressée  ;  que,  rien  ne  se  faisant 
lème  pour  l'État  ecclésiastique^  elle  a  moins  à  se  plaindre  ; 
lais  aussi  que  Votre  Majesté  ait  un  ambassadeur  auprès  de 
i  personne  de  Sa  Sainteté  et  que  rien  ne  se  fasse,  c'est  une 
hose  qui  sonne  mal  ;  et,  après  toute  sorte  de  circonspection 
ae  j'ai  eue,  et  avoir  attendu  avec  tant  de  patience  dans  la 
haleur,  je  crois.  Sire,  que  la  même  tranquillité  ne  serait  pas 
.  propos  en  cette  saison,  et  que,  si  Ton  ne  témoignait  rien  sur 
es  retardements  si  extraordinaires  de  nos  audiences,  cette 
acilité  ne  ferait  que  les  confirmer  dans  leur  conduite,  m'étant 
iperçu  qu'il  faut  faire  souvent  des  personnages  différents  en 
Me  cour,  et,  selon  leur  manière  d'agir,  leur  faire  avaler  des 
pilules,  ou  toutes  douces,  s'ils  en  usent  bien,  ou  mêlées  de 
quelque  aigreur,  s'ils  retombent  dans  leur  léthargie.  »  Je  vais 
faire  en  sorte  que  Sa  Sainteté  reprenne  nos  audiences,  «  ou 
qu'elle  se  remette  à  M.  le  cardinal  Ghigi  et  tels  autres  qu'il  lui 
plairait  pour  examiner  et  résoudre  les  affaires,  pendant  que 
ses  incommodités  l'empêchent  d  y  vaquer.  ))  L'ambassadeur 
ajouta,  dans  une  lettre  particulière  à  Lionne  :  «  Depuis  ma 
lettre  écrite,  je  viens  d'avoir  avis  qu'il  s'est  fait  une  consulta- 
tion sur  la  passion  que  Sa  Sainteté  a  de  sortir,  et  qu'il  a  été 
conclu  que,  si  elle  passe  bien  la  nuit,  elle  pourra  se  faire  porter 
à  la  Rotonde  ;  j'aurais  bien  de  la  joie  qu'elle  y  allât,  et  je  pren- 
drais ce  prétexte  pour  faire  un  peu  de  bruit  si  vendredi  nous 
n  avions  pas  d'audience.  » 

M.  de  Chaulnes  n'eut  pas  k  faire  de  bruit  ce  jour-là.  Après 
avoir  essayé  ses  forces,  dans  cette  visite  au  Panthéon  où  il 
ea'retint  le  cavalier  Bemin,  le  pape  fit  intimer  les  ministres 
étrangers  et,  le  8  octobre,  il  reçut  l'ambassadeur  français.  Le 
duc  de  Chaulnes,  pour  obéir  au  roi,  n'aurait  rien  eu  à  dire  (4), 
si  l'affaire  de  M.  de  Vendôme  n'eût  pas  changé  de  face.  La 
dernière  promotion  appartenant  au  pape  seul,  Louis  XIV  n'au- 
rait pu  y  prétendre  un  chapeau,  qu'à  titre  de  faveur  et  d'a- 
^ce,  et  c'est  bien  sous  cette  réserve  que  la  présentation  de 

(li-UsrépoDses  polies  du  cardinal  Cbigi  sont  encore  bien  vagues  :  Ne  faileâ 
<t«  demandes  positives  que  si  ce  cardinal  vous  promet  qu'elles  serout  accordées. 
Uisfes  entendre  qu'un  refus  mettrait  les  choses  eu  plus  mauvais  état  qu'au- 
Pvavaot.  (Le  roi  à  Chaulnes,  17  septembre  1666.  Rome,  178.) 

LOUIS  ZIV  R  Ll  SAINT-SiftOB.  —  II.  6 


82  CHAPITRE   TREIZIÈME 

cet  indigne  candidat  avait  été  faite  originairement.  Mais,  le 
tour  des  couronnes  étant  revenu,  le  roi  de  France,  comme  les 
autres  princes  catholiques,  pouvait  cette  fois  user  du  privilège 
autorisé  par  l'usage.  Chaulnes  apportait  en  conséquence  une 
nouvelle  lettre  (1)  :  le  nom  du  candidat  évoqua  bien  vite  le 
souvenir  des  troubles  d'Avignon,  du  rôle  qu*y  avait  joué  Ven- 
dôme, de  Tévasion  de  Chasteuil  avec  sa  connivence.  Alexandre 
fut  amené  à  rappeler. qu'il  n'était  pas  en  reste  avec  le  roi,  puis- 
qu'il n'avait  rien  reçu  de  lui,  depuis  qu'il  avait  accordé  l'induit 
des  Trois-Évêchés.  —  L'ambassadeur  répondit  que  cette  grâce 
n'était  pas  complète,  puisqu'il  ne  comprenait  que  les  évèchés 
et  non  les  abbayes.  —  Ce  sera  l'objet  d'un  autre  induit  qu'il 
faut  attendre,  répliqua  le  pape  «  assez  fièrement  ».  —  J*espère, 
dit  le  duc,  l'obtenir  bientôt  comme  une  preuve  que  Votre  Sain- 
teté désire  vivre  en  bonne  intelligence  avec  le  roi.  —  «  Sur  cette 
réponse,  le  pape  dit  :  Le  roi  ne  me  rend  nucnne  justice  depuis 
deux  ans  :  je  veux  même  vous  en  dire  une  qu'il  m'a  toujours 
refusée.  11  vaque  une  abbaye  in  curid  (2j  :  je  la  donne  confor- 
mément aux  concordats.  A  qui?  à  une  personne  de  qualité. 
Quel  est  cet  homme?c'csl  un  Français.  Pourquoi  la  lui  donné- 
je?  parce  qu'il  a  changé  de  religion.  Nonobstant  mon  droit  par 
les  concordats,  le  roi  la  donne,  à  qui?  je  n'en  sais  rien,  ou  je  ne 
le  veux  pas  nommer  :  à  un  revendeur  de  tableaux  (3)  !  y  a-t-il 
justice?  puis-je  faire  des  grâces?  qu'avez-vous  à  dire,  Mon- 
sieur l'ambassadeur?  »  —  Le  précédent  abbé  avait  obtenu  un 


(1)  Le  roi  au  pape,  17  septembre  1666.  Home^  178.  —  Lionne  à  Chaalnes, 
même  jour  :  «  Pour  pouvoir  rendre  cette  lettre  à  Sa  Sainteté  sûrement,  ilfa^^ 
la  surprendre,  parce  qne  autrement  elle  pourrait  bien  vous  faire  une  promo- 
tion en  face,  avant  que  vous  accorder  Taudieuce,  si  elle  pénétrait  tant  «oit 
peu  que  vous  voulusàiez  toucher  cette  corde.  » 

(2)  L'abbaye  d'Aumale. 

(3)  L'abbé  Elpidio  Benedetti,  si  souvent  nommé  dans  ce  récit,  rancifû 
factotum  de  Mazarlu,  devenu  agent  du  roi;  que  le  supérieur  de  la  maison  <18 
Saint-Louis  appelle  un  marchand  à  la  toilette,  et  la  reine  Christine  un  coO' 
missionnaire  en  essences,  dont  Machaut  lui-môme  ne  parle  qu'en  terme* 
flétrissants,  par  exemple  dans  sa  lettre  du  17  août  1066  &  Lionne  (Romef  177)  • 
«<  On  a  averti  M™*  de  Chaulnes  de  prendre  garde  ((ue  M.  l'ambassadeur  ne 
bût  pas  dans  le  verre  de  Tabbatc  Elpidio.  L'on  le  croit  entaché,  et  Ton  coornit 
risque  de  gagner  beaucoup  avec  lui.  L'avis  vient  de  bon  lieu  et  d'un  de  vot 
bons  amis.  » 


DÉBUT  DE  L  AMBASSADB   DE  CHAULNËS  83 

non  vacando  (l),  et  la  nomination  appartient  au  roi.  — 
le  bref?  »,  dit  le  pape,  qui  d'ailleurs  ajouta,  en  recevant 

de  nomination  :  «  Faremo  nella  prima  promotione; 

»  Puis  il  interrogea  l'ambassadeur  sur  la  santé  du  roi, 
Tossesse  de  la  reine.  —  Nous  aurons  bientôt  «  un  troi- 
rotecleur  du  saint-siège.  »  —  «  A  quoi  Sa  Sainteté  ré- 

Je  le  souhaite,  et  m'ayant  dit  ensuite  :  Comme  nous 
pas  encore  la  tête  bien  forte...  Alors,  sans  attendre  la 
iscours,  je  me  levai  et  ayant  porté  seulement  trois  ou 
fi^râces  des  particuliers,  selon  la  coutume,  je  les  lui 
ii,  et  en  les  prenant  elle  me  dit  :  J*en  aurai  soin  et  les 
rerai  non  seulement  comme  de  M.  l'ambassadeur,  mais 

du  duc  de  Chaulnes,  je  répondis  par  trois  révérences 
int  accompagnées  de  trois  bénédictions.  »  Je  passai  chez 
irdinal  Chigi,  qui  me  demanda  si  j'avais  parlé  au  pape 
ces  pendantes  :  «  Je  lui  dis  qu'il  me  faisait  un  grand 
pouvoir  croire  que  j'exposasse  Votre  Majesté  à  des  re- 
ains,  et  sur  cela  je  lui  confirmai  que  je  ne  parlerais 
de  rien  au  pape  qu'il  n'eût  donné  à  Votre  Majesté  des 
s  d'un  véritable  rétablissement  d'intelligence.  Alors  il 
[u'il  y  contribuerait  toujours, et  qu'il  n'avait  pas  manqué 
tr  au  pape,  mais  que  Sa  Sainteté  prétendait  d'être  créan- 
1  sel  d'Avignon  et  du  jugement  de  l'affaire  de  M.  de  Mo- 
-Ce  que  je  puis  recueillir.  Sire,  de  ces  deux  audiences 
1  m'a  semblé,  par  le  discours  de  M.  le  cardinal  Chigi, 
Sainteté,  comme  par  point  d'honneur,  souhaiterait  que 
lajesté  fît  quelque  petite  chose  pour  agir  après  de  son 
ant  le  terme  dont  il  s'est  servi,  et  ce  qui  me  le  confirme 

Sa  Sainteté  ne  me  parla  point  du  monte  Estense  ni  du 
vignon]  (2).  » 

ces  deux  affaires  comme  dans  celle  de  Tabbave  d'Au- 
Louis  XIV  causait  un  grave  préjudice  au  pape,  et 
dre  VII  avait  eu,  en  effet,  la  délicatesse  de  ne  les  pas 
r  au  duc  de  Chaulnes.  Elles  se  rattachaient  l'une  et 

I  nV'taii  pas  vrai  :  ChaulDes  le  savait  bien,  puisque  raffaire  était  en 
)D   depuis   deux  ans,  et  le  roi  le  lui  rappela  dans  sa  réponse  du 
)re,  que  ouus  verrous  plus  loiu.  {RomCt  179.) 
12  octobre  1666.  Rome,  178. 


84  CHAPITRE   TREIZIÈME 

l'autre  au  traité  de  Pise,  si  fidèlement  observé  par  la  cour  pon- 
tificale, et  dont  Louis  XIV  refusait  d'exécuter  deux  articles.  Le 
monte  Estense  était  un  des  points  en  litige  entre  le  duc  de  Mo- 
dène  et  le  saint-siège  :  pour  en  finir  avec  les  prétentions  de  la 
maison  d'Esté,  le  pape  s'en  était  remis  à  l'arbitrage  du  roi,  qui 
avait  accepté  la  mission,  mais  qui  ajournait  sa  décision,  parce 
qu'elle  ne  pouvait  manquer  d'être  défavorable  au  prince  son 
protégé.  Le  sel  d'Avif/non  motivait  encore  mieux  les  plaintes 
d'Alexandre  VII  :  Avignon  et  le  Comtat-Venaissin  devaient 
être  restitués  au  pape  avec  tous  les  droits  et  toutes  les  fran- 
chises dont  jouissait  Tenclave  pontificale  avant  Tinvasion  fran- 
çaise. Or  la  France  refusait  d'ôter  les  gabelles  qui  n'avaient 
été  introduites  dans  ces  deux  États  qu'avec  la  domination 
royale.  Sur  ces  trois  points,  le  roi  avait  adressé  à  son  ambas- 
sadeur des  instructions  qui  ne  lui  permettaient  pas  de  donner 
satisfaction  au  pape. 

1.  Dîtes,  écrivait  Louis  XIV,  que  je  suis  prêt  à  juger  le 
différend  de  la  Chambre  apostolique  avec  le  duc  de  Modène 
pour  le  monte  Estense  vincolato^  après  avoir  pris  l'avis  de 
gens  de  robe  qui  entendront  les  deux  parties,  suivant  la 
proposition  du  nonce.  —  Mais  ce  n'était  là  qu'une  promesse, 
sans  délai  fixé  pour  son  accomplissement.  —  2.  Je  maintiens 
les  gabelles  d'Avignon  :  je  m'engagerai  seulement  à  donner 
au  cardinal  Chigi  une  indemnité  de  30,000  livres  par  an,  tant 
qu'il  demeurera  légat  de  cette  province.  Ce  sera  un  précédent 
dont  pourront  se  prévaloir  les  cardinaux  neveux  ses  succes- 
seurs, et  qui  les  obligera  de  mieux  vivre  avec  moi.  —  Une 
condition  aussi  injurieuse  ne  fut  pas  même  prise  en  considéra- 
tion parla  cour  pontificale  (1).  —  3.  «  Quant  à  la  plainte  que 
Sa  Sainteté  vous  a  faite  avec  tant  d'exagération  de  ce  que  je 
lui  refuse  une  justice  touchant  l'abbaye  d'Aumale,  il  est  vrai 
que  le  bref  rfe  wo«  vacanûf(?,qu'on  prétendait  qu'a  eu  lesieurde 
Nozet,  ne  s'étant  pu  trouver  ni  dans  ses  papiers  ni  dans  les  re- 
gistres do  la  daterie,  Sa  Sainteté  est  fondée  en  droit  d^y  potif- 
voir,  »  —  On  croit  sans  doute  que  le  roi  va  s'engager  à  ne  plus 
entraver  la  prise  de  possession  de  l'abbaye  par  M.  de  Senas, 

(1)  Le  roi  à  Chaulues,  5  septembre  et  24  décembre  1666.  Romef  179. 


DÉBUT  DE    l'ambassade  DE  CHAULNES  85 

qui  en  a  été  pourvu  par  le  pape?  Non,  il  a  développé,  dans  ses 
instructions  à  M.  de  Chaulnes,  une  théorie  particulière  sur 
l'interprétation  du  Concordat  :  «  Pour  les  brefs  de  nonvacando 
in  curiây  que  jamais  aucun  pape  avant  Innocent  X  n'avait  re- 
fusés à  la  seule  première  instance  qui  lui  en  était  faite,  Sa 
Sdajesté  a  trouvé  facilement  le  remède  à  la  dureté  de  cette 
nouvelle  introduction  (1),  par  laquelle  il  semble  qu'on  veuille 
r>ler  le  moyen  de  gratifier  d'aucun  bénéfice  des  cardinaux  ita- 
liens ou  d'autres  de  la  même  nation  (en  quoi  pourtant  la  cour 
de  Rome,  considérée  soit  en  général  ou  en  particulier,  a  un  in- 
térêt directement  contraire),  ou  qu'on  veuille  s^établir  comme 
par  force  un  droit  de  pourvoir  à  toutes  pareilles  vacances,  dont 
néanmoins  les  autres  papes  se  sont  toujours  si  aisément  relâ- 
chés en  accordant  les  dits  brefs  de  non  vacando  au  premier  qui 
les  demandait,  Sa  Majesté,  comme  on  a  dit,  y  a  déjà  trouvé  le 
remède  en  défendant  auxdits  cardinaux  de  faire  expédier  au- 
cunes bulles  des  abbayes  qu'elle  leur  a  données,  qu'ils  n'aient 
auparavant  obtenu  le  bref  de  non  vacando  in  curid.  Cependant 
jouissant,  comme  ils  ont  fait,  du  revenu  temporel,  ni  Sa  Ma- 
jesté, ni  eux  n'en  reçoivent  aucun  préjudice,  mais  la  seule  da- 
lerie  de  Rome,  qui  perd  ses  émoluments  de  l'expédition  des 
bulles  (2).  »  En  définitive,  Louis  XIV  veut  bien  retirer  sa  no- 
mination, mais  seulement  si  le  pape  rétracte  la  sienne.  Et  qui 
!hoisira  le  nouveau  titulaire?  le  roi,  qui  lui  permettra  de  de- 
nander  à  Rome  Tinstitution  canonique  !  Et  encore  cetle  pré- 
;endue  concession  n  est  pour  Louis  XIV  que  le  prix  d'un 
contrat  do  lit  des  :  il  y  met  comme  condition  que  le  pape  lui 


(1)  Le  pape,  ayant  un  droit  formel,  pouvait  en  user  avec  ou  sans  dureté^  et 
a  cour  de  France  n'avait  rien  à  y  voir.  La  dureté  prétendue  d'Innocent  X  est 
l'ailleurs  trop  facile  à  justiûer.  Jamais  les  biens  do  l'Église,  en  France,  n'ont 
ft^  gaspillés  avec  plus  de  scondale,  jamais  le  trafic  des  consciences  n'a  été 
>li2s  éhonté  que  sous  le  ministère  de  Mazarin  :  archevêchés,  évôchés,  abbayes, 
léDétices  de  toute  nature,  pensions  sur  bénéfices  étaitîut  prodigués  par  lui  à 
[ui  voulait  se  vendre,  comme  Grimaldi,  Antoine  Barberini,  Renaud  d'Esté, 
«aidalchiui,  Orsino,  Michel  .Mazarini,  Mancini.  Bichi,  pour  ne  parler  que  des 
ardinaux  :  Innocent  X  voulut  opposer  à  cette  corruption  un  obstacle,  le  seul 
[ui  dépendit  de  lui,  et  la  royauté  employa  tous  les  moyens  possibles  pour 
euJre  inefficace  lu  juste  résolution  du  saint-siège. 

(2)  Romey  116. 


86  CHAPITRE    TREIZIÈME 

accordera  toutes  les  grâces  qu*il  lui  a  plu  d^inscrire  dans  le 
mémoire  du  légat  ! 

A  peine  le  duc  de  Chaulnes  est-il  sorti  do  l'audience  du 
8  octobre  qu'il  lui  en  faut  une  autre  :  il  veut  étonner  Rome 
par  son  activité  et  arracher  au  pape  sans  délai  ce  qu'il  ne  venl 
même  pas  avoir  la  peine  de  solliciter.  Alexandre  VII  a  pu  se 
faire  porter  pour  quelques  semaines  à  Castel-Gandolfo  où,  de- 
puis que  les  crises  de  son  mal  sont  plus  fréquentes,  il  n'admel 
pas  les  envoyés  des  princes,  et  n'appelle  que  les  cardinaux, 
ses  ministres  et  ses  officiers.  On  apprend  bientôt,  en  ville,  que 
le  repos  et  Tair  de  la  montagne  ont  rendu  quelque  force  au 
pontife.  C'est  pour  le  duc  de  Chaulnes  une  nouvelle  occasion 
de  se  railler  du  pape  (1),  de  Taccuser  d'indifférence  pour  les 
grands  intérêts  de  TÉglise,  de  mépris  pour  les  couronnes  et 
en  particulier  pour  la  France.  Il  demande  que  le  roi  refuse 
l'audience  au  nonce  Roberti  ;    il   presse    confidentiellement 
Lionne  de  lui  faire  donner  des  instructions  plus  vigoureuses: 
«  Je  prétends  les  tarabuster  de  manière  que,  si   je  ne  gagne 
rien,  je  n'aurai  pas  le  regret  d'avoir  manqué  en  rien  de  ce 
qui  aura  pu  dépendre  de  mes  soins  (2).  »  Chaulnes  charge 
ensuile  Machaut  de  développer  les  projets  qui  défraient  les 
entretiens  du  palais  Farnèso  :  Le  pape,  écrit  cet  abbé  au 
ministre,  est  «  un  pédant  présomptueux,  un  chimérique  qui 


(1)  Sorti  de  Rome,  le  16  octobre,  lo  pape  descendit  de  !«a  chaise  «  pour  aller 
quelque  temps  à  pied,  puis  se  remit  eu  crenan  et  fit  une  lieue  dedans  l'ayant 
trouvé  fort  commode.  Si  iM.  de  Crenan  voulait  présentement  demander  quelque 
grâce,  de  la  manière  que  sa  chaise  a  réussi,  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  l'obUenne. 
Mais  s'il  est  sans  intérôt,  il  ne  sera  pas  du  moins  sans  gloire  que  Ton  puisse 
parier,  dans  les  histoires,  du  grand  Alexandre  assis  dans  la  chaise  de  saint 
ÏMerre  et  de  Crenan.  »  (Au  roi  19  octobre  16()6.  P^ome,  178.)  —  Si  Alexandre  VU, 
nn  des  hommes  les  plus  lettrés  de  son  temps,  relève  une  citation  inexacte  de 
Martial,  (ce  quiu>st  môme  qu'un  propos  en  l'air),  l'ambassadeur  français  écrit 
au  roi  que  le  pape  s*occupe  à  corriger  l'impression  de  Martial,  et  que  «  là- 
dessus  les  savants  battent  des  mains,  eu  disant  :  0  le  grand  pape  I  n  (A  Lionne, 
2  novembre.  HomCf  179.)  —  L'abbé  de  Machaut,  qui,;non  plus  que  Tambassa- 
deur,  n'a  mis  le  pied  à  Castel-Gandolfo,  envoie  à  Lionne  les  fables  les  plus 
ineptes  sur  la  vie  que  le  pontife  malade  m(>ne  à  la  campagne.  Notez  qu'U 
résulte  de  la  correspondance  même  des  Français  qu'Alexandre  VII  mande  suc- 
cessivement auprès  de  lui,  pour  l'expédition  des  affaires,  tous  les  membres  du 
sacré  collège  et  de  sa  cour. 

(2)  2  novembre  1666.  Rome,  179. 


DÉBUT  DE  l'ambassade  DE  CHAULNES  87 

o'a  pas  d'autre  pensée  que  de  réformer  la  langue  latine,  qui 
n'aura  jamais  de  scrupule  de  précipiter  les  intérêts  du  public 
pour  faire  injustement  éclater  son  ressentiment  contre  les  par- 
ticuliers; qui  vraisemblablement  n'aura  plus  d'autre  applica- 
tion désormais  chea  fare  solamente  quello  cKè  accommodato 
per  la  sua  salute,  per  l interesse  dei  suoi;  qui  a  pris  une  certaine 
route  rft  coglionare  fieramente  tuUo  ilmondo,  e  che  hamagran 
pruriio  di  coglionarlo  ancora  a  fadvenire.  Il  est  indubitable, 
quelque  flegme  et  quelque  habileté  qu'ait  votre  ambassadeur^ 
quelque  autorité  même  que  vous  lui  donniez,  il  ne  peut  pas 
qu'il  n'ait  de  grands  chagrins  et  des  mortifications,  comme  di- 
sent les  Italiens...  »  M.  de  Gbaulnes  est  réduit  à  «  traiter  avec 
des  gens  sans  parole  et  sans  honneur...  Vous  êtes  obligé,  dans 
les  occasions,  d'en  toucher  quelque  chose  à  Sa  Majesté...  L'on 
s'attend  que  vous  prendrez  désormais  des  résolutions  de  vivre 
avec  un  homme  mal  intentionné...  Il  faut,  Monseigneur,  par 
ces  expédients  dont  vous  êtes  si  fertile,  faire  au  moins  con- 
naître qu'il  est  impossible  de  le  retirer  de  saléthargie;  il  faut 
par  quelque  coup  de  politique  qui  lui  soit  imprévu,  lui  faire 
faire  des  démarches  qui  lui  seront  honteuses  pour  jamais.  » 
—  «  Pour  vous  engager,  il  serait  nécessaire  de  donner  les 
moyens  à  M.  l'ambassadeur  de  les  piquer  sensiblement  et  de 
les  embarquer  dans  quelque  intrigue  où  on  eût  lieu  de  publier 
leurs  manières  d'agir.  Vous  pourrez  bien  mortifier  M.  le  nonce 
quand  vous  lui  ferez  comprendre, une  fois  pour  toules,que  vous 
n'aurez  jamais  aucun  égard  à  ce  qu'il  vous  pourra  proposer; 
que  vous  êtes  déterminé  de  n'écouter  jamais  quoi  que  ce  soit 
qui  ne  vienne  par  la  voie  et  par  l'organe  de  M.  l'ambassadeur. 
Il  faut  faire  en  sorte  qu'il  l'écrive  et  qu'il  l'inculque  à  ces 
messieurs,  qui,  reconnaissant  l'autorité  dans  laquelle  sera 
M.  de  Chaulnes,  prendront  sans  doute  une  autre  politique,  ou, 
s'ils  ne  la  changent,  ils  ne  seront  pas  exempts  de  recevoir  dos 
marques  de  son  esprit  et  de  sa  résolution.  Je  sais  de  bonne 
part  che  fhanno  in  concetto  didolce.  Il  a  fallu  même,  après  ce 
qui  était  arrivé  de  M.  de  Créquy,  qu'il  s'établit  sur  ce  pied. 
Maintenant  qu'il  est  au  comble  de  cette  réputation  qu'il  était 
besoin  d'acquérir,  il  est  de  nécessité  de  leur  faire  qualche 
hravala;  de  leur  faire  sentir  de  ces  traits  imprévus  qui  les 


88  CHAPITRE   TREIZIÈME 

étonnent,  d'avoir  une  politique  plus  ferme  et  plus  vigoureuse... 
Il  ne  faut  pas  barguigner  là-dessus.  J'en  prévoirais  autrement 
des  conséquences  si  fâcheuses  qu'elles  discréditeraient  absolu- 
ment un  ambassadeur.  Ce  vous  doit  être  un  grand  repos  d'es- 
prit de  mettre  des  armes  dans  les  mains  d'une  personne  qui  a 
autant  de  flegme  et  qui  ne  s'en  servira  jamais  que  fort  à  pro- 
pos... Vous  voyez,  Monseigneur,  comme  quoi  il  y  a  peu  de 
chose  à  espérer  du  palais.  Il  serait  plus  utile  de  songer  à  faire 
un  parti  considérable  dans  Rome,  et  c'est  le  seul  succès  que 
vous  pouvez  espérer  de  cette  ambassade  qui  finira  assurément 
dans  ce  pontificat-ci.  Jamais  homme  du  monde  n*a  été  si 
propre  pour  des  conquêtes  que  M.  de  Chaulnes  et  chacun  voit 
visiblement  qu'il  fera  ici  des  progrès  admirables^  pourvu  qu'il 
soit  aidé  (1)  :  avec  toutes  ses  belles  qualités,  il  ne  peut  avoir 
celles  de  la  création  (2).  » 

Louis  XIV  calma  cette  impatience  qui  pouvait  amener  un 
incident  prématuré,  et  sa  réponse  prouve  qu'il  ne  prenait  pas 
lui-même  au  sérieux  ses  récriminations  contre  le  souverain 
pontife  :  «...  Ne  vous  donnez  aucun  chagrin  ni  du  relard  des 
audiences,  ni  du  refus  des  grâces  :  ce  sont  deux  choses  aux- 
quelles je  me  suis  attendu,  si  le  pape  vivait,  lorsque  je  vous  ai 
choisi  pour  l'emploi  que  vous  avez.  Témoignez  plutôt  une 
grande  indifférence  et  pour  les  unes  et  pour  les  autres;  et  en 
effets  quand  Sa  Sainteté,  ne  voulant  d'ailleurs  rien  accorder 
de  tout  ce  qu'on  lui  demande,  se  prive  volontairement  d'un 
moyen  de  voir  à  ses  pieds  un  ambassadeur  de  France  qui  fait 
le  plus  grand  lustre  de  sa  cour^  on  peut  dire,  sans  offenser  sa 
dignité,  qiCihj  perd  plus  que  vous^  qui  n'y  allez  que  pour  lui 

(1)  C'est-à-dire,  pourva  que  tous  lui  envoyiez  de  l'argent.  La  suite  de  ces 
récits  nous  montre  le  duc  et  la  duchesse  de  Chaulnes,  au  milieu  de  leur  splen- 
deur, plus  faméliques  que  le  duc  de  Créquy  ;  et  Tabbé  de  Machaut  était  spécia- 
lement chargé  de  mendier  pour  eux  aupr(^s  du  roi  et  de  Lionne. 

(2)  19  octobre  et  2  novembre  1666.  Rome,  178  et  179.  Ces  dépêches  et  d'autres 
de  môme  style  attirèrent  à  leur  auteur  Testime  et  la  confiance  du  ministre, 
qui  lui  destina  remploi  d'auditeur  de  rote  pour  la  France,  afin  de  le  charger 
des  afTaires  du  roi,  comme  Bourlemont,  pendant  la  var.ance  de  Tambassade  : 
u  II  faut  que  vous  m'aidiez  à  faire  cet  abbé  auditeur  de  rote;  mais  il  faut  que 
vous  soyez  ici  pour  cela,  que  l'on  n'en  parle  point  de  delà,  et  que  cependant 
il  étudie  le  droit  canon  avec  application.  »  (Lionne  à  Chaulnes,  25  mars  1667. 
Rome,  182.) 


DÉBUT  DE  l'ambassade  DE  CIIAULNES  89 

rendre  du  respect  et  de  Thonneur;  et  je  ne  sais  si,  au  lieu  de 
prendre  la  chose  comme  un  mauvais  traitement  dont  il  ne  sert 
de  rien  de  se  plaindre,  vous  n'embarrasseriez  pas  davantage 
le  palais  de  ne  le  regarder  que  comme  un  lieu  où  vous  n'avez 
aucune  affaire,  laissant  niême parfois  et  souvent  passer  les  jours 
des  audiences  ordinaires  des  autres  ministres  étrangers,  sans  y 
aller  ni  même  la  demander,  comme  li ayant  aucune  chose  à 
y  traiter;  et  voyant  d'autant  plus  fréquemment  les  cardinaux, 
et  particulièrement  les  plus  habiles  et  les  plus  accrédités, pour 
prendre  avec  eux  des  mesures  pour  d'autres  temps  plus  favo- 
rables, qui  est  ce  qui  se  peut  faire  présentement  de  plus  ulile, 
à  Rome,  pour  le  bien  de  mes  affaires.  Car,  pour  les  grâces, 
qui  est  l'autre  point  qui  fait  quelque  peine  à  votre  zèle,  si  je 
prétendais  de  Sa  Sainteté  quelque  ligue  ou  chapeau  hors  de 
ma  nomination  ordinaire  pour  quelque  personne  que  j'eusse 
dessein  de  favoriser,  une  faculté  de  vendre  des  biens  ecclésias- 
tiques, comme  il  en  a  été  accordé  à  des  rois  mes  prédécesseurs 
pour  subvenir  aux  nécessités  de  leur  État,  et  autres  choses 
semblables,  extraordinaires  et  avantageuses,  je  pourrais  être 
touché,  et  vous  aussi,  des  continuels  refus  de  Sa  Sainteté;  mais 
je  suis  bien  aise  de  vous  dire  que  tout  ce  dont  f  avais  chargé  vos 
instructions  7ie  mérite  pas  que  je  m'en  inquiète  un  seul  instant; 
et  que  ces  grâces  me  seront  aussi  bonnes  en  un  nouveau  pon- 
tificat qu'en  celui-ci,  pourvu  que  ma  conscience  ne  soit 
point  chargée,  comme  certainement  elle  ne  le  peut  plus 
être,  de  la  longue  vacance  des  évêchés  d'Elne  et  d'Arras  (1), 
et  de  ce  qui  se  passe  dans  les  Trois-Evêchés  à  l'égard  de 
quelques  bénéfices  qui  y  sont  même  en  très  petit  nombre.  » 
—  Cette  dépêche  royale  recevait  toute  sa  signification  de  la 
lettre  particulière  de  Lionne  qui  l'accompagnait  (2)  :  «  Ne 
vous  inquiétez  nullement,  disait  le  ministre,  sur  le  fait  des 
audiences  et  des  grâces.  Vous  embarrasserez  bien  davantage 

li)  MazariQ  et  le  roi  étaient  seuls  responsables  de  ces  vacances  prolongées. 
U  dooDioatioa  espagnole  ayant  cessé  dans  ces  diocèces,  et  le  Concordat  n'y 
étant  pas  applicable,  ils  étaient  soumis  au  droit  commun.  L'élection  apparte- 
Qiit  aax  chapitres  et,  par  dévolution,  au  pape.  Mais,  le  roi  menaçant  de  ne 
{AS  laisser  les  nouveaux  titulaires  entrer  en  possession,  les  chapitres  et  le 
pape,  pour  éviter  un  plus  grand  mal,  ajournaient  Tezercice  de  leur  droit. 

(2)  26  novembre  1666.  Rome,  179. 


90  CHAPITRE    TREIZIÈME 

les  gens  à  qui  vous  avez  à  faire,  quand  vous  témoignerez 
mépriser  fort  les  unes  et  les  autres, et  qu'on  vous  verra  souvent 
pratiquer  les  cardinaux.  Un  de  nos  amis  veut  ici  brûler  tous 
les  livres  d'astrologie  5?  le  seigneur  ne  décampe  au  mois  de  fé- 
vrier prochain.  Je  n'ajoute  pourtant  nulle  foi  à  cela  :  mais  il 
faut  aller  son  chemin  avec  hauteur  et  grande  indifférence,  et 
principalement  après  avoir  mis  les  gens  dans  leur  tort(i).  » 

Alexandre  YII  ôta  bientôt  à  l'ambassadeur  tout  prétexte  de 
plainte  :  il  revint  à  Rome  dans  les  derniers  jours  do  novembre 
et  fit  avertir  les  ministres  étrangers  (2).  Le  3  décembre,  le 
duc  de  Chaulnes  se  rendit  au  palais  avec  plus  de  cent  cin- 
quante carrosses,  pour  fatiguer  encore  le  pape  des  sollicitations 
royales  en  faveur  de  M.  de  Vendôme,  et  bien  inutilement, 
puisque  la  nomination  était  admise  en  principe  et  qu'il  n  y 
avait  pas  de  nouvelle  vacance  dans  le  collège  :  «  Sa  Sainteté, 
raconle-t-il,  me  répondit  d'une  manière  de  sourire,  et  ensuite 
me  demanda  si  M.  de  Vendôme  n'avait  pas  pris  la  soutane^  ) 
et,  sur  mes  instances  réitérées,  ajouta  :  «  11  faut  faire  peui 
peu  et  contenter  tout  le  monde.  »  —  Je  lui  représentai  que  \\ 
France  n'avait  qu'un  cardinal  national,  comme  TEspagne,  e 
que  TEmpire  en  avait  deux.  —  Mais  ne  comptez-vous  pa 
comme  Français  les  cardinaux  Antoine  Barberini,  Orsino 
Maidalchini  et  Mancini  (3)? —  Ce  sont  des  Italiens  rangés  dan 
le  parti  de  France,  mais  M.  le  cardinal  de  Retz  est  seul  fran 
çais.  —  «SurquoiSaSaintetéme  répondit:  Monsieur  Tambassa 
deur,  ce  n'est  pas  ma  faute,  car  je  voulais  en  faire  encore  pou 
la  France;  mais  M.  le  cardinal  Mazarin  voulut  absolumen 
son  frère  (4),  et  me  cria  tant  :  Mon  frère  !  mon  frère  !  qu'il  fal 

(1)  Â  quoi  le  duc  de  Chaulnes  répondit  :  «  Si  Pami  dont  vous  m'écrivez  vei 
brûler  ses  livres  en  cas  que  le  pape  ne  rende  pas  un  grand  service  à  toute  l 
chrétienté  avant  la  fin  de  février,  et  s'il  a  une  bibliothèque,  je  pense  qu'il  e 
bon  qu'on  prenne  quelque  précaution  pour  empocher  que  le  grand  feu  qu 
fpra  bientôt  ne  cause,  comme  on  l'a  vu  à  Lou<lres,  un  grand  embrasement. 
(22  décembre.  Rome,  179.) 

(2)  «  l\  ne  s'est  pas  rét^ibli  comme  l*ann('^c  passée,  ayant  assez  souvent  d 
petits  ressentiments.  »  (Chaulnes  au  roi,  30  novembre.  Rome,  179.) 

(3)  11  aurait  pu  ajouter  les  cardinaux  d'Esté  et  Grimaldi. 

(4)  Il  ne  s'agit  pas  ici  da  propre  frère  de  Mazarin,  nommé  cardinal  par  In 
noceut  X  en  1647,  et  mort  en  1648.  mais  de  Mancini,  frère  de  son  beau-frèn 
Lorenzo  Mancini,  qui  avait  épousé  sa  sœur  cadette. 


DÉBUT   DE    l'ambassade  DE  CHAULNES  91 

lut  le  faire  :  ce  n'est  pas  qu'il  ne  soit  un  bon  homme,  pourvu 
qu'il  ne  fasse  rien.  »  Sa  Sainteté  me  lit  observer  que  M.  de 
Vendôme,  ayant  porté  les  armes,  ne  pouvait  être  promu  sans 
une  dispense,  et  répéta  :  «  Peu  à  peu.  —  Sur  quoi,  lui  ayant 
répondu  que  je  croyais  que  Sa  Sainteté  considérerait  que  c'é- 
tait même  une  salisfaction  si  grande  aux  couronnes  qu'à  l'égard 
de  Votre  Majesté  elle  pourrait  passer  pour  un  commencement 
du  rétablissement  d'une  bonne  intelligence,  là,  Sire,  la  con- 
versation commença  de  changer  de  face,  et  de  douce  qu'elle 
avait  été,  elle  se  tourna  en  aigreur.  —  Le  pape  m'ayant  dit 
que  Votre  Majesté  ne  faisait  rien  pour  la  rétablir,  puisque  son 
nonce  ne  pouvait  obtenir  une  grâce  ;  que,  depuis  dix-huit  mois, 
tout  ce  qu'il  avait  demandé  lui  avait  été  refusé,  et  sur  cela 
s'emporta  dans  une  longue  discussion  de  toutes  les  choses 

passées,  sur  l'affaire  de  M.  de  Créquy Quoi!  dit-il,  le  roi 

me  voudra  toujours  faire  faire  les  choses  haut  Le  bras  et  à  la 
lêle d'une  armée  !...  hé  bien!  Monsieur  l'ambassadeur,  je  ne 
veux  plus  rebattre  ces  choses.  Je  vous  dirai  seulement  :  Que 
le  roi  me  fasse  une  grâce,  j'en  ferai  quatre...  »  L'entretien 
porta  ensuite  sur  la  répression  des  jansénistes,  qui  jusqu'alors 
avait  été  le  sujet  de  conférences  directes  entre  le  nonce  et  la 
conr  de  France,  mais  dont  le  duc  de  Chaulnes  venait  d'être 
saisi. 

Alexandre  VII  avait  pris  part,  comme  secrétaire  d'Etat  sous 
Innocent  X,  au  décret  qui  condamna  les  cinq  propositions^  et 
il  avait  lui-même  publié  contre  les  novateurs  la  bulle  du 
15  février  1665.  Nul  n'apercevait  mieux  que  lui  le  danger  de 
cette  doctrine  et  ne  mettait  plus  d'énergie  à  défendre  l'inté- 
grité de  la  foi;  mais  il  avait  toujours  usé  envers  les  personnes 
des  tempéraments  conciliables  avec  la  justice,  et  il  avait  prévu 
dès  Torigine  combien  nuirait  aux  intérêts  de  la  religion  l'in- 
tervention trop  active  du  pouvoir  civil  dans  une  question  spi- 
rituelle. Sans  doute  il  fallait  bien  que  la  royauté  connût  les 
constitutions  pontificales  qui  définissaient  l'hérésie  pour  qu'elle 
ne  présentât  pas  de  janséniste  à  l'épiscopat,  et  pour  qu'elle 
concourût  à  Texécution  des  jugements  canoniques  qui  pour- 
raient déposer  de  leurs  sièges  des  évoques  convaincus  d'er- 
reur :  aussi  le  pape  avait  il  applaudi  au  prompt  enregistrement 


92  CHAPITRE   TREIZIÈME 

de  sa  bulle  au  Parlement,  dans  la  solennité  d*un  lit  de  justice; 
mais  il  redoutait  les  tendances  de  la  couronne  à  empiéter  sur 
la  juridiction  des  ordinaires  et  même  sur  celle  du  saint-siège, 
sous  prétexte  de  les  protéger.  Il  s*éiait  justement  inquiété  des 
premières  mesures  prises  par  Louis  XIV,  lorsque  quatre  évê- 
ques(l)  eurent  refusé  de  signer  le  formulaire  prescrit  parla 
bulle   Regimini,   et  que  six  de  leurs  collègues  (2)  parurent 
approuver  cette  résistance.  Sans  concert  avec  le  saint-siège, 
le  roi  fit  casser  les  dix  mandements  par  des  arrêts  de  sonCon- 
seil,  renouvelant  ainsi  l'usurpation  flagrante  qu'il  avait  déjà 
commise  lorsqu'en  1654  le  Conseil  d'Étal  avait,  par  son  ordre, 
cassé  les  actes  du  cardinal  de  Retz,  archevêque  de  Paris, 
déclaré  ouverte  la  vacance  d'un  siège  et  réglé  Tadministralion 
spiriluelle   d'un  diocèse.   Après  plus  mùro  délibération,  il 
daigna  s'adresser  à  Rome;  mais,  comme  dans  l'affaire  du 
cardinal  de  Retz,  il  entendit  que  le  sainl-siège  se  conformât 
aveuglément  à  ses  décisions,  et  ne  fît  que  leur  donner  les 
formes  canoniques.  Le  pape  connaissait  bien  le  caractère 
français,  les  variations  de  la  cour,  rattachement  notoire  des 
trois  principaux  ministres,  le  Tellier,  Colbert  et  Lionne,  à  la 
secte,  rindiscipline  gallicane,  la  passion  que  plusieurs  adver- 
saires des  jansénistes  mêlaient  à  un  zèle  sincère  pour  la  foi,  et 
il  refusa  de  mettre  la  suprématie  papale  au  service  de  la  cou- 
ronne. Il  annonça  l'intention  de  donner  un  bref  de  censure 
contre  les  actes  épiscopaux  :  la  cour  de  France  répondit  aus- 
sitôt qu'elle  voulait  «  une  bulle  on  plomb  qui  condamnerait 

les  mandements,  sans  parler  toutefois  de  distinction  de 

fait  et  de  droit.  »  Ces  temporisations  si  légitimes  et  si  sages 
irritèrent  le  roi  qui  ne  souffrait  nulle  part  la  contradiction  et 
qui,  voulant  pousse?'  à  bout  les  quatre  évêques,  invita  le 
pape  à  désigner  dos  juges  pour  leur  faire  le  procès.  «  L'am- 
bassadeur trouva  des  difficultés,  de  la  part  du  pape,  à  exposer 
son  autorité,  qu'il  commettait  avec  le  clergé  de  France  dans 


(1)  Met,  Angers,  Beaurais  et  Pamiers. 

(2)  Vence,  CoDimioges,  Noyon,  Saiutes,  Coi)seraD9,  Luçod.  Pour  tous  les 
incidents,  je  renvoie  aux  histoires  spéciales;  je  ne  nrattache  qu'à  éclairer 
d'un  jour  nouveau,  d'après  les  documents  les  ])lus  authentiques,  la  conduite 
du  roi,  si  contraire  à  celle  du  souverain  pontife. 


DÉBUT  DE  l'ambassade  DE  CHAULxNES  93 

ce  jugement,  lequel  lui  paraissait  délicat  au  dernier  point; 
et  le  roi  dépêcha  un  courrier  exprès  pour  presser  l'exécution 
de  la  demande,  qu'il  faisait  au  saint-père,  de  nommer  des 
commissaires  pour  ce  jugement, qui  tardait  trop  au  gré  de  son 
zèle  et  de  Timpatience  qu'il  avait  pour  en  voir  la  conclusion(i  ).  » 
Le  duc  de  Chaulnes  eu  avait  avisé  le  pape  pendant  le  séjour 
à  Castel-Gandolfo  ;  il  aurait  voulu  être  mandé  aussitôt  dans 
celte  résidence;  mais  Alexandre  VII,  sur  le  point  de  revenir 
à  Rome,  renvoya  l'examen  de  la  requête  à  une  Congrégation 
spéciale,  qui  prépara  la  décision  (2).  Le  roi  avait  prétendu 
régler  la  procédure  :  il  voulait  douze  juges,  pas  un  de  plus, 
pas  un  de  moins.  Il  avait  emprunté  ce  chitfre  à  d'anciens 
canons  qui  prévoyaient  le  jugement  d'un  évêque  par  son  mé- 
tropolitain. Vainement  on  objectait  que  c'était  Taiïaire  du 
souverain  pontife  :  «  La  députation  de  douze  commissaires, 
disait  le  cardinal  Âlbizzi,  a  trop  de  rapport  à  une  assemblée 
du  clergé  et  l'expédient  parait  plus  long  et  plus  difficile,  par- 
ce qu'il  semble  que  plus  il  y  a  de  monde,  plus  il  y  a  de  diffi- 
culté de  s'accommoder  et  de  s'unir  dans  le  même  sentiment, 
et  il  semble  que  ce  serait  le  compte  des  quatre  évèques  pour 
pouvoir  gagner  quelqu'un  des  douze,  et  empêcher  l'effet  du 
jugement  ou  le  jugement  même.  L'ordre  établi  en  cour  de 
Rome  est  de  donner  des  décisions.  Quand  il  s'agit  de  faire 
souscrire,  comme  en  cette  occasion,  qui  ne  souscrit  pas  n'est 
pas  seulement  criminel,  mais  condamné,  et  il  ne  reste  qu'à 
exécuter  la  peine  :  ainsi,  des  évoques  n'ayant  pas  signé,  il 
n'est  pas  besoin  de  leur  faire  le  prpcès,  mais  d'exécuter  la 
punition.  »  Le  cardinal  Pallavicino  déclarait  également  que 
le  pape  n'accorderait  rien  qui  ne  fût  dans  les  formes  accou- 
tumées.—  Le  duc  de  Chaulnes  répondit  que,  s'il  en  était  ainsi, 
«  il  ne  manquerait  pas  de  féliciter  les  quatre  évêques  inté- 
ressés de  leur  faveur  en  cette  cour,  et  de  ce  qu'ils  pouvaient 
ajouter  à  leur  titre  d'évéque  par  la  grâce  de  Dieu,  celui  de 

(1)  Mémoii^s  du  Père  Rapin,  t.  IH,  p.  373,  393  et  4^3.  Ce  religieux  n'est 
poiul  un  apologiste  du  saint-siège,  qu'il  accuse  de  faiblesse  coupable  envers 
les  jansénistes. 

(2)  Chaulnes  au  pape,  7  novembre;  au  P.  Oliva,  9  novembre;  au  roi,  16  et 
ti  novembre.  Le  roi  à  Chaulnes,  26  novembre  1666.  Romej  179. 


94  CHAPITRE   TREIZIÈME 

janséniste  par  la  permission  du  pape;  —  et  qu'il  n'y  aurait 
pas  de  termes  assez  forts  pour  dire  ce  que  c'était  d'un  pape 
qui  voulait  s'appuyer  d'une  secte  hérétique  contre  unKoi  1res 
chrétien.  » 

Louis  XIV  ne  savait  traiter  que  de  ce  ton  impérieux  :  «  Je 
ne  demande  en  ceci  aucune  grâce,  disait-il,  et  je  prétends  au 
contraire  qu'on  me  soit  plutôt  obligé  des  procédés  que  je 
tiens  pour  faire  exécuter  les  bulles  et  rétablir  l'unité  de  senti- 
ments dans  l'Église.  Sur  quoi,  je  vous  ai  chargé  de  faire  com- 
prendre à  Sa  Sainteté  la  sincérité  de  mes  intentions,  et  jus- 
qu'où je  puis  aller,  sans  blesser  les  droits  de  ma  couronne  ni 
les  libertés  et  privilèges  de  TEglise  gallicane,  ni  me  départii 
des  mœurs  et  usages  de  mon  royaume.  »  C'est  donc  avec 
raison  que,  dans  l'audience  du  3  décembre,  Alexandre  VU  dii 
au  duc  de  Chaulnes  «  qu'il  était  fâché  de  voir  Sa  Majeslt 
prendre  des  expédients  si  contraires  à  la  véritable  manièn 
d'éteindre  cette  hérésie,  et  qu'il  était  étrange  qu'elle  ne  1( 
voulut  jamais  croire.  »  —  Le  roi  craignait  de  passer  poui 
avoir  peur  des  jansénistes  ;  il  écrivait  à  son  ambassadeur 
«  Quand  vous  entretiendrez  le  pape  de  l'affaire,  il  ne  sera  qm 
bon  que  vous  tourniez  enridiciileypar  quelque  raillerie  piquante 
les  judicieux  auteurs  de  semblables  avis,  et,  pour  le  fonds 
vous  témoignerez  à  Sa  Sainteté....  que  j'ai  cru  être  obligé  ei 
conscience  de  contribuer  de  ma  part  à  abattre  entièrement  h 
secte  du  jansénisme  par  le  châtiment  des  quatre  chefs  les  plus 
qualifiés  qu'ils  ont,  ou  en  les  ramenant  à  la  saine  doctrine;., 
que  si  Sa  Sainteté  n'estime  pas  à  propos,  pour  des  considéra 
tions  où  je  ne  veux  point  entrer,  de  devoir  suivre  celte  voie 
ma  conscience  étant  satisfaite  par  les  diligences  que  j'aura 
faites,  j'en  demeurerai  là  sans  aucune  peine  et  vous  ai  donn< 
ordre  de  ne  lui  en  plus  parler;  ajoutant  même  que,  si  Si 
Sainteté  considère  mon  instance  comme  une  grâce  que  je  lu 
demande  plutôt  que  pour  un  désir  de  lui  complaire  en  faisant 
observer  ici  ses  constitutions,  vous  en  révoquez  vous-même 
l'instance,  ne  voulant  jamais  lui  faire  de  propositions  dont  elb 
se  tienne  importunée  (1).  »  Excité  par  ce  langage,  le  duc  d( 

(1)  lO^décembre  1666.  Ronie^  119. 


DÉBUT  DE  l'ambassade  DE  CIIAULNES  95 

Chaulnes  se  répandait  en  plaintes  contre  les  prétendues  len- 
teurs du  saint-siège,  et,  le  cardinal  Pallavicino  lui  étant  venu 
dire  avec  quelle  sollicitude  le  pape  personnellement  et  la  cour 
poQtificale  examinaient  la  requête  royale,  il  eut  Tinsolence, 
c'est  lui-même  qui  s'en  vanta,  do  «  traiter  cette  affaire  en 
plaisanterie.  »  Je  lui  dis,  écrit-il,  que  je  ne  sais  plus  ce  qu'il 
va  dans  ma  requête,  tant  il  y  a  longtemps  que  je  l'ai  pré- 
sentée ;  la  couscience  du  roi  est  en  repos  ;  une  hérésie  de  plus 
ou  de  moins  importe  peu  au  pape.  Pour  moi^  je  l'ai  oubliée, 
«sur  ce  que  j'avais  cru  que  M.  le  cardinal  Chigi  et  Sa  Sainteté 
l'eussent  oubliée  les  premiers.  »  —  Le  cardinal  Chigi  tient 
l'ambassadeur  au  courant  des  travaux  de  la  Congrégation  et 
du  pape  lui-même  :  J'ai  vu  ce  cardinal,  dit  Chaulnes;  je  lui 
réponds  que  le  palais  cherche  des  difficultés;  «  que  Votre  Ma- 
jesté était  mieux  instruite  des  expédients  qui  étaient  à  prendre 
que  les  Italiens,  et  qu'ainsi  ron  ne  pouvait  travailler  qti*à 
rendre  obscure  une  affaire  claire  et  mettre  des  ombres  à  la  lu- 
mière, non  pas  de  celles  qui  font  mieux  paraître  les  objets  dam 
leurnaturely  mais  des  autres  qui  les  obscurcissent  tellement 
fion  ne  les  voit  que  dans  la  confusion  (1).  »  —  Louis  XIV  écrit 
de  son  côté  :  «  Dans  une  affaire  qui  doit  s'exécuter  dans  mon 
royaume,  lequel  a  ses  mœurs,  ses  lois  et  ses  privilèges,  dont 
je  ne  puis  jamais  me  départir,  la  raison  voudrait  que  Sa  Sain- 
leté  eût  agréable  d'ajouter  plutôt  foi  à  ce  que  je  lui  fais  repré- 
senter, aprèsavoir  consulté  les  plus  habiles  gens  en  ce  fait-là, 
que  de  suivre  des  sentiments  qui  lui  sont  suggérés  par  des 
personnes,  qui  ne  peuvent  avoir  toutes  les  connaissances  qui 
sont  nécessaires  pour  prendre  un  bon  avis.  Comme  ce  qui  re- 
garde ma  conscience  sera  pleinement  à  couvert,  je  m'en  met- 
trai facilement  l'esprit  en  repos.  Je  connais  mieux  aussi  que 
Sa  Sainteté  l'esprit  et  les  mouvements  des  personnes  dont  je 
me  sers  dans  mes  affaires,  et  j'ai  déplaisir  de  la  voir  si  mal  in- 
formée, par  les  fausses  suggestions  de  son  nonce  imprudent, 
qu  elle  considère  comme  les  plus  grands  fauteurs  du  jansé- 
nisme ceux  qui  me  parlent  le  plus  tous  les  jours  de  sa  destruc- 
tion. —  Quant  à  l'autre  prétention  que  la  cour  de  Rome  peut 

\)  Aa  roi,  i'8  décembre  1666.  Rome^  179. 


96  CHAPITRE   TREIZIÈME 

avoir  sur  cette  affaire,  qui  serait  de  commettre  seulement  des 
députés  pour  l'instruire,  se  réservant  la  faculté  de  décider  sur 
leurs  rapports,  elle  serait  fort  absurde^  contraire  ànos  mœurs 
aux  concordats  et  aux  privilèges  de  l'Eglise  gallicane,  voire  au 
droit  qu'ont  tous  mes  sujets,  soil  laïques,  soit  ecclésiastiques, 
de  ne  pouvoir  être  jugés  que  dans  mon  royaume, sans  pouvoir 
être  traduits  au  dehors,  et  c'est  pour  cette  raison  que,  dans 
les  causes  majeures  des  ecclésiastiques  qui  peuvent  être  réser- 
vées au  pape  par  le  Concordat,  f  ai  accoutumé àe  demander  au 
pape  qu'il  délègue  des  commissaires  pour  juger  souveraine- 
ment m  po/'//Aî/s  (1)  ces  sortes  d'affaires  (2).  » 

Les  prétentions  royales  préoccupaient  justement  la  Congre, 
gation  :  Alexandre  VII,  pour  lui  donner  plus  d'autorité,  y  fit 
entrer  les  cardinaux  Rasponi  et  Celsi^  ce  dernier  déjà  papable. 
Le  cardinal  Cliigi  ayant  informé  le  duc  de  Chaulnes  que  la 
délibération  approchait  de  sa  fin,  l'ambassadeur  écrivit  :  Je 
répondis  «  qu'après  tant  de  soin  que  l'on  prenait  de  ramas- 
ser partout  des  difficultés  et  de  les  appuyer  par  de  nou- 
veaux secours  dans  celte  assemblée,  il  était  difficile  que  Sa 
Sainteté  ne  réussît  dans  le  maintien  de  cette  hérésie,  vu  même 
les  ordres  que  j'avais  de  n'en  plus  parler,  si  Sa  Sainteté  faisait 
quelque  difficulté.  »  Les  cardinaux  donnèrent  bientôt  leur  avis 
au  pape,  qui  proposa  de  députer,  comme  exécuteurs,  l'arche- 
vêque de  Paris,  ou  trois  évoques  agréés  par  le  roi,  pour  or- 
donner aux  quatre  évoques  de  souscrire  le  formulaire  dans  un 
délai  de  doux  mois,  et,  en  cas  de  refus,  les  déclarer  suspens 
diponti/kali,  privés  de  la  juridiction  épiscopale  et  de  Tentrée 
à  Téglise.  Marescotti,  secrétaire  de  la  Congrégation  et  asses- 
seur du  saint-office,  fut  chargé  de  notifier  cette  décision  à 
l'ambassadeur  :  c'était  un  prélat  qui  devait  à  sa  science,  à 
SOS  charges  et  à  Tantique  noblesse  de  sa  famille  une  grande 
considération  dans  Rome;  il  était  destiné  au  cardinalat,  et  la 

(1)  Rieo  n'eet  moins  exact,  âucuu  évêque  ne  fut  mis  cd  jugement  sooa 
Louis  XIV.  Ce  prince  n*a  demandé  qu'uucfois  des  jupes  inpnrlibusy  c'est  dans 
rafTairc  du  cardinal  de  iletz  et  le  pape  les  avait  refusés,  parce  que  la  pré- 
tention du  rui  était  contraire  aux  lois  écrites  de  TÉglise  et  de  TËtat  et  à  une 
coutume  de  plusieurs  siècles. 

(2)  Le  roi  à  Chaulnes,  31  décembre  166G.  Home,  179.  —  7  janvier  1067,  Rome, 
ISi. 


DÉBUT   DE    l'ambassade  DE  CHAULNES  97 

suite  de  ces  récils  nous  montrera  en  lui,  pendant  plus  de  cin- 
quante ans,  un  des  plus  brillants  ornements  du  collège.  Voici 
comment  il  fui  reçu  au  palais  Farnèse.  Le  duc  de  Chaulnes 
écrivit  au  roi  (1)  :  «  Votre  Majesté  m'ordonnait,  par  sa  der- 
nière dépêche,  de  décrier  la  conduite  du  palais  par  des  raille- 
ries piquantes  :  m'étant  trouvé  plus  fort  qu'auparavant,  M.  Ma- 
rescotli  a  été  obligé  d'en  essuyer  beaucoup.  »  Je  tournai  en 
dérision  Thabileté  du  nonce  qui  fait  tomber  les  ministres  du 
roi  dans  ses  panneaux  et  qui  obtient  tant  de  crédit  auprès  du 
pape.  Je  lui  déclarai  «  qu'en  cette  occasion  j'étais  convaincu 
de  ce  que  l'on  m'avait  toujours  dit  que  je  trouverais  dans  ce 
ponlificat  le  raffinement  véritable  de  la  plus  fine  politique, 
puisque  assurément  rien  n'était  plus  conforme  aux  belles  maxi- 
mes d'État  que  de  maintenir  une  hérésie  terrible,  comme  est 
celle  des  jansénistes  en  France,  qui  y  bafoue  si  fort  l'autorité 
royale;  que  d'ordinaire  l'on  avait  vu  des  révoltes  éclater  lors- 
qu'elles avaient  pu  mettre  un  seul  chef  à  leur  tête,  et  que 
celle-ci  en  avait  quatre  capables  de  conduire  chacun  un  parti; 
et  qu'il  ne  serait  pas  peu  glorieux  pour  Sa  Sainteté  de  faire 
voira  tout  le  monde  une  hérésie,  persécutée  en  France,  trouver 
on  asile  à  ses  pieds  ;  et  ensuite  lui  fis  voir  en  détail,  »  les  hési- 
tations et  les  relards  qu'on  avait  apportés  à  me  répondre, 
ajoutant  «  que  je  me  consolais  de  l'état  des  affaires  temporelles 
parla  manière  dont  Sa  Sainteté  traitait  celles  de  la  religion. 
Sur  quoi,  Je  sieur  Marescotli  ayant  voulu  dire  pour  excuse 
qu'étant  arrivé  des  choses  nouvelles  depuis  l'ordre  qu'il  avait 
reçu  et  plusieurs  autres  méchantes  raisons,  et  dites  même 
avec  beaucoup  de  confusion,  je  lui  dis  que,  nonobstant  la 
confiance  que  Sa  Sainteté  témoignait  avoir  de  moi,  je  lui 
témoignerais  encore,  en  ce  rencontre,  plus  de  respect  qu'en 
tout  autre,  et  lui  donnerais  des  marques  d'être  dans   ses 
^Dtiments,  puisque  si,  à  la  lecture  de    cet  écrit  qu'il  me 
donnait,  quelqu'un  voulait  dire  qu'il  est  clair  comme  le  jour 
que  Sa  Sainteté  ne  crût  pas  cette  opinion  si  hérétique  qu'au- 
paravant, je  ne  laisserais  pas  de  maintenir  le  contraire,  quel- 
que bonnes  raisons  qu'ils  eussent,  mais  que  je  ne  pourrais 

(i)4JaaTier  1667.  Rome^  181. 

LOOIS  XIV  R  Ll  8AIRT-8IÈOI.  ~~  H.  7 


98  CHAPITRE   TREIZIÈME 

pas  m'empêcher  de  demander  quelques  lettres  de  recomman- 
dation à  ces  messieurs  les  évêques  pour  appuyer  les  grâces 
que  j'aurais  à  demander  en  cette  cour;  et,  après  quelques  autres 
pareils  discours,  m'ayant  toujours  prié  de  vouloir  être  persuadé 
des  sentiments  de  Sa  Sainteté,  il  n*a  pas  perdu  de  temps  de 
prendre  congé  le  plus  tôt  qu'il  a  pu.  » 

Louis  XIV  répondit  :  «  Vous  ne  pouviez  mieux  parler  que 
vous  Tavez  fait  au  sieur  Maroscotti,  quand  il  vous  a  porté  cette 
belle  réponse,  et  j'ai  entendu  avec  grand  plaisir  la  relation  que 
vous  avez  faite  de  la  manière  dont  vous  avez  traité  ce  prélat 
ou  plutôt  le  sujet  de  sa  mission.  »  — Il  semble  que  le  gallica- 
nisme ne  puisse  aller  plus  loin  dans  l'expression  du  mépris 
pour  le  saint-siège  :  cette  mesure  fut  cependant  dépassée.  Le 
roi  ne  voulut  plus  entendre  le  nonce,  et,  renouvelant  un  pro- 
cédé usité  au  temps  de  Créquy,  il  exigea  que  la  soumission 
du  pape  fût  faite  entre  les  mains  de  son  ambassadeur  :  «  foi 
défendu  à  Lionne,  disait-il,  d'écouter  le  nonce  sur  aucune  chose 
qui  regarde  cette  alîaire.  »  Si  on  vous  en  parle,  dites  que  je 
m'en  tiens  à  mes  premières  demandes;  si  Ton  ne  cède  pas, 
cessez  toute  démarche  (1).  Mais  Roberti  ne  souffrit  pas  que 
celte  injure  fût  faite,  en  sa  personne,  au  chef  de  l'Église  :  il 
força  bientôt  Lionne  de  Técouter  et  de  lui  répondre.  Le  ministre 
français,  prévoyant  les  plaintes  que  Roberti  allait  porter,  elle 
retentissement  qu'elles  auraient  à  Rome,  prépara  aussitôt  ses 
moyens  de  défense  et  rédigea  de  sa  main,  pour  l'envoyer  à 
Chaulnes,  une  longue  relation  de  la  conférence  qu'il  avait  eue 
le  1"  février  1667  avec  rarchcvêque  de  Tarse.  On  a  vu  plus 
haut  l'ambassadeur  obéissant  à  Tordre  de  décrier  la  conduite 
de  la  cour  pontificale  :  Lionne  joignait  l'exemple  au  précepte. 
Fidèle  à  sa  coutume  de  décrier  Roberti,  il  le  représenta  soos 
des  traits  ridicules  et  lui  prêta  des  discours  extravagants; 
mais  la  vérité  est  facile  h  retrouver  sous  ses  fictions,  et  il 
constatait  sa  défaite  par  la  vengeance  même  qu'il  essayait  d'en 
tirer  (2). 

Les  deux  adversaires  avaient  épuisé  plusieurs  sujets  et  le 

(1)  28  janvier  1(367.  Ilomc,  181. 

(2)  «  Uolalion  de  ce  qui  s'est  paasù  entre  M.  le  nonce  et  moi,  le  l"  février 
1G67  »,  envoyée  à  Cbaulues  avec  une  dépêche  du  i  février.  RomCy  181. 


j 


DÉBUT    DE  l'ambassade  DE  Cil  AULNES  99 

nonce  abordait  l'affaire  des  quatre  évèques, lorsque  le  ministre 
Tinterrompit  pour  lui  dire  :  Ce  n'est  pas  Sa  Majesté  qui  a  pro- 
posé au  pape  de  commencer  des  procédures  (1),  mais  le  pape 
qui  a  sollicité  Sa  Majesté  d*appuyer  ce  qu'il  ferait;  au  surplus, 
toute  Talfaire  est  renvoyée  à  Rome  devant  l'ambassadeur.  «  Il 
me  serait  mal  aisé,  dit  Lionne,  d'exprimer  dans  quels  empor- 
tements de  colère,  et  je  puis  dire,  de  fureur,  se  jeta  d'abord 
M.  le  nonce.  Il  était  tout  en  feu  et  écumant  comme  un  san- 
glier, criant  à  se  faire  entendre  de  la  basse-cour,  battant  des 
pieds,  s'en  prenant  à  son  cbapeau  et  à  sa  chaise,  sans  que  j'al- 
térasse le  moins  du  monde  le  son  de  ma  voix^  et  jetant  seule- 
ment quelques  reparties  de  fois  à  autre,  qui  allumaient 
davantage  son  courroux.  La  plus  douce  parole  qu'il  me  dit  et 
qu'il  répéta  souvent  fut  que  le  roi  traitait  le  pape  comme  un 
coquin,  mais  qu'il  ne  le  souffrirait  pas;  qu'il  en  crierait  jus- 
qu'au ciel  et  s'en  plaindrait  hautement  dans  toutes  les  rues 
de  Paris;  que  le  roi  était  trompé  et  moi  aussi  (à  quoi  je  repartis 
que  c'était  le  pape  et  lui)  ;  qu'il  était  sans  exempte  quun  prince 
toultU  empêcher  un  prince  de  lui  faire  dire  ses  raisons  par  son 
propre  ministre^  et  qu'on  ne  ferait  pas  ce  traitement  à  la  répu- 
blique de  San-Marino.  »  Mais,  quelque  dur  que  soit  l'aveu 
pour  l'orgueil  de  Lionne,  il  lui  faut  bien  constater  que  le 
nonce  l'obligea  d'accepter  un  débat  sérieux  sur  les  offres  du 
pape,  la  délégation  de  trois  ou  de  douze  évêques,  etc.  Six  se- 
«.aines  plus  tard,  le  pape,  affligé  des  progrès  que  faisait  l'hé- 
résie et  sentant  ses  forces  diminuer,  envoya  de  nouveau 
Marescotti  au  palais  Farnèse  pour  renouer  la  négociation. 
Le  duc  de  Chaulnes,  encouragé  par  les  éloges  décernés  à  sa 
dépêche  du  4  janvier,  fit  de  son  nouvel  entretien  avec  le  pré- 


;1)  Il  eit  impossible  de  meulir  plus  audacieusemenl  et  Tou  couçoit  TAtou- 

nement  où  cette  assertion  jeta  Roberti.  C'est  le  roi  qui,  voulant  pousser  à 

^v/  les  janiéDistes,  a  le  premier  demandé  su  nonce  si  le  pape  concourrait  à 

leur  châtiment;  qui  a  fait  présenter  sa  requête  au  pnpe  par  le  duc  de  Chaui- 

DM:  qui  a  réglé  avec  ses  conseillers  la  procédure  à  suivre;  qui  a  sollicité  deux 

breCi ^Toirnotamment  la  lettre  du  8  octobre  au  duc  de  Chaulnes,  Rome,  178); 

lui  a  euvojé  un  courrier  extraordinaire  pendant  qu'Alexandre  Vil  était  à 

C««tei-Gandolfo;  qui  a  pressé,  menacé;  qui  déclare  que  ni  le  pape,  ni  le»  Ita- 

iiriu  ne  peuvent  rien  entendre  à  cette  affaire,  et  qui  ne  laisse  au  pape  que  le 

pouvoir  de  ratifier  ce  qu'il  a  décidé. 


400  CnAPlTRI   TREIZIÈMB 

lat  un  récit  fmi  nous  montre  encore  Marcscotti,  un  des  premier 
canonistes  du  temps,  confondu  pai'  la  science  supérieure  d 
rambassadôur  et  déconcerté  par  ses  moindres  objections  {[] 
La  maladie  du  pape  s'açgravant,  la  Congrégation  hâta  so 
travail  et  chargea  le  cardinal  Albizzi  de  conférer  avec  le  du 
de  Chaulnes  :  ce  prélat  lui  annoni^a  que  le  pape  persistait  dar 
son  dessein  de  ne  déléguer  des  commissaires  que  pour  ex( 
cuter.  On  se  rappelle  que  c'était  Topinion  personnel  le  d'Albizz 
si  favorable  pourtant  aux  vues  des  Français,  et  c'est  par  cet 
double  raison  que  ses  collègues  l'avaient  choisi  pour  leur  ii 
terprète.  Sa  raison  principale,  écrivit  le  duc  de  Chaulnes,  fi 
«  que  les  décisions  des  opinions  de  foi  appartiennent  au  pa] 
seul,  et  si  Sa  Sainteté  donnait  des  juges,  ilne  se  pourrait  qui 
n'entrassent  en  partage  de  cette  autorité  réservée  au  pap 
puisque  les  juges  étant  obligés  de  juger  sur  les  défenses  d< 
quatre  évêques,  lesquelles  étant  sur  la  distinction  du  fait  et  d 
droit  qu'ils  appuieraient  de  toutes  leurs  forces,  les  juges  s< 
raient  obligés  d'en  décider,  ce  qui  serait  entrer  en  partage  d 
l'autorité  du  pape.  »  —  Je  répondis  que  c'est  impraticable  e 
France,  et  que  d'ailleurs  il  ne  s'agit  pas  de  juger  des  artick 
de  foi,  mais  le  fait  de  la  désobéissance  aux  ordres  qu'on  allen 
du  pape.  —  Soit,  reprit  le  cardinal;  le  pape  donnera  un  bn 
dans  lequel,  après  avoir  nommé  les  commissaires,  il  bornei 
leur  mission  au  jugement  de  cette  désobéissance.  —  «  Comni 
je  vis,  ajoute  l'ambassadeur,  que  cet  expédient  pouvait  cli 
concerté  et  tirer  à  quelque  conséquence,  par  ce  qu'il  sera: 
déshonorable  aux  évoques,  en  mémo  temps  qu'ils  seraien 
nommés,  de  voir  leur  prescrire  des  bornes  étroites,  quoiqu'ei 
ellet  ce  ne  fût  pas  leur  dessein  de  les  passer,  et  de  traiter  i 
décider  en  ce  rencontre  sur  ce  qui  regardait  la  foi  ;  et  qu 
môme  cette  clause  pourrait  être  désavantageuse  au  clergé  d 
France,  parce  qu'en  l'admettant  la  cour  de  Rome  pourrai! 
dans  d'autres  temps,  en  vouloir  tirer  avantage,  comme  si  le 
^•vêques  eussent  reçu  dos  défenses  de  juger  de  ce  qui  pei 
regarder  la  religion,  dont  ils  ont  droit  en  certains  cas,  oudaD 
leurs  diocèse*  ou  par  les  assemblées  nationales  »,  je  proloi 

(1)  Au  roi,  n  mars  1667.  Rome,  182. 


DÉBUT  DE   l'ambassade   DE  CH AULNES  101 

geai  la  discussion,  j'éludai  tout  engagement,  et,  pour  amener 
le  cardinal  à  chercher  d'autres  voies,  je  le  flattai  de  Tespoir 
dépendre  bientôt  lui-même  des  décisions  souveraines  sur  ces 
controverses  :  je  ne  lui  dissimulai  pas  que  j'avais  Tordre,  en 
cas  de  conclave,  de  concourir  à  son  exaltation,  et,  avant  de 
nous  séparer,  nous  convînmes  de  mesures  à  prendre  pour  faire 
réussir  ce  projet  (1).  Alexandre  VII  chercha  sans  relâche  les 
expédients  qui,  en  conservant  les  droits  du  saint-siège  (2),  le 
rapprocheraient  le  plus  de  la  requête  royale,  et,  quelques  se- 
maines avant  sa  mort  (avril  1667),  il  commit  neuf  évêques 
français  pour  juger  leurs  quatre  collègues  «  désobéissants  au 
saint-siège.  »  Le  duc  de  Chaulnes,  transmettant  au  roi  les  brefs 
par  lui  obtenus,  se  félicitait  qu'il  n'en  fût  «  pas  encore  sorti 
de  cette  cour  avec  des  clauses  si  considérables.  »  Ces  mesures, 
dont  le  roi  se  déclara  lui-même  satisfait  (3),  suffisaient  pour 
procurer  la  soumission  ou  la  déposition  des  évêques  rebelles, 
si  le  roi,  selon  sa  promesse,  y  avait  joint  loyalement  la  sanc- 
tion de  son  autorité.  Mais  on  verra  bientôt  l'union  des  galli- 
cans et  des  jansénistes  justifier  toutes  les  craintes  du  pontife 
mourant,  et,  avec  la  complicité  de  la  couronne,  forcer  l'Eglise 
de  France  à  garder  dans  son  sein,  impunis  et  triomphants,  les 
hérétiques  les  plus  dangereux. 

Nous  avons  quelque  peu  devancé  l'ordre  des  temps  pour  en 
finir  avec  cette  négociation  sur  le  jansénisme  :  nous  reprenons 
notre  récit  à  Taudience  pontificale  du  3  décembre  1666,  où  lo 
duc  de  Chaulnes  venait  de  réclamer  avec  tant  d'arrogance  la 

;i)  29  mars  1667.  ^ome,  182. 

(2)  Quelqu'un  fort  au  courant  du  palais  m'assure  que  Tou  s'y  occupe  très 
activement  du  jansénisme,  mais  que  le  pape  veut  choisir  u  des  évoques  incon- 
iamxTkaii  »,  dont  il  enverra  les  noms  a  M.  l'ambassadeur.  Il  veut  agir  lui-mùmo 
et  ne  pas  laisser  à  S.  M.  la  liberté  qu'elle  exi^'e.  (Macbaut  à  Lionne,  28  décem- 
bre 1666.  flowe,  179.)  —  «  CeUe  cour  gîtait  dan»  de  grandes  alarmes  que 
letKiits  juges  ne  vonlusseut  entrer  dans  les  matières  du  droit  et  du  fait,  ce 
que  S.  S.  même  éviterait  de  décider;  mais  tout  s'est  assuré  en  spéciûaat  et 
urdounaut  les  signatures.  »  (Chaulnes  à  LiouuCi  26  avril  16G7.  IKome^  183.) 

(3)  «  11  me  semble,  Monseigneur,  que  M.  de  Chaulnes  doit  être  préconisé 
d'avoir  arraché  de  ce  pays- ci  un  chapeau  de  cardinal  et  des  brefs  contre  les 
jansénistes,  en  la  manière  que  vous  Vavez  svuhaité.  »  (Machaut  à  Lionne, 
23  aTTll  1667.  Rome^  183).  —  Le  roi  est  content  des  brefs  contre  les  quatre 
évêques,  et  pense  «  que  ce  coup  important  est  principalement  dû  à  votre  indus- 
trie. M  (Lionne  à  Chaulnes,  6  mai.  RomCy  183.) 


102  CHAPTRE   TREÎZTÈSrK 

promotion  de  M.  de  Vendôme.  Quelques  semaines  s'étaient  à 
peine  écoulées,  que  Louis  XIV  sollicitait  un  autre  chapeau 
pour  un  homme  dont  la  présentation  n'était  pas  moins  inju- 
rieuse pour  le  sacré  collège  que  pour  TEglise  gallicane.  Il 
était  passé  en  coutume  que  les  papes  donnassent  un  chapeau 
à  la  Pologne,  au  début  d'un  nouveau  ri^gne  ou  d'un  nouveau 
pontificat.  Comme  les év/'^qucs  polonais  recherchaient  rarement 
une  dignité  qui  donnait  lieu  k  des  querelles  de  préséance  dans  . 
les  turbulentes  assemblées  de  leur  république,  les  rois  s'en 
remettaient  au  pape  qui,  de  concert  avec  eux,  choisissait  le 
plus  souvent  le  dernier  nonce  accrédité  à  leur  cour;  mais  ils 
n'avaient  ni  ne  réclamaient  le  droit  de  substituer  à  un  Polo- 
nais, sans  la  permission  du  saint-siège,  le  sujet  d'un  autre 
prince.  Or,  au  cours  des  intrigues  nouées  entre  la  Pologne  et 
la  France,  Louis  XIV  obtint  la  nomination  du  roi  Jean-Casi- 
mir pour  son  ambassadeur  à  Varsovie,  Pierre  de  Bonsy, 
évêque  de  Béziers  (1),  précédemment  ambassadeur  à  Venise, 
créature  de  Mazarin.  Il  se  prévalait  de  l'origine  italienne  de  ce 
prélat  et  le  désavouait  comme  sujet,  pour  introduire  dans  le 
sacré  collège  un  cardinal  dévoué  à  ses  volontés.  —  Il  écrivit 
au  duc  do  Chaulnes  :  «  Le  pape  n'aurait  pas  raison  de  le  vou- 
voir  exclure  comme  Français  (il  est  né  à  Florence),  non  plus 
que  s'il  voulait  se  servir,  à  la  même  fois,  du  prétexte  de  quelque 
opposition  des  Espagnols.  Car  le  roi  de  Pologne  a  accoutumé 
de  nommer  toujours  des  Italiens,  ses  propres  sujets  ne  voulant 
pointeux-mfemosd'une  dignité  qui  les  exclut  des  diètes,  où  leurs 
intérêts  domestiques  leur  font  préférer  la  séance  à  celle  dans  le 
sacré  collège.  Le  dernier  cardinal  que  le  roi  de  Pologne  anommé 
a  été  Vidoni;  il  avait  été  précédé  par  Santa-Croce,  par  Torrez 
et  plusieurs  autres.  Vidoni  (2)  est  milanais,  évoque  de  Lodi  ;  je 

(1)  Les  BoDsy  avaient  été  amenés  en  France  par  Cattierine  de  Médicis.  Us 
avaient  déjà  donné  plusieurs  évoques  au  siéf^c  de  Béziers.  et  l'un  d'eux  était 
devenu  cardinal  sous  le  règne  de  Henri  IV.  J'écris  Bonsy  et  non  Bonzl,  pour 
me  conformer  à  l'usage  même  de  ce  prélat. 

(2)  Pierre  Vidoni,  né  à  Crémone  ou  1610,  tour  à  tour  gouverneur  de  Rimini 
et  de  Spolétc,  vice- légat  de  Romagne.  vice-préfet  de  Fermo,  président  de  la 
Marche,  nommé  évAque  de  Lodi  en  16i4  par  Urbain  VllI,  nonce  en  Pologne 
par  Innocent  X,  n'avait  jamais  servi  que  le  saint-siège.  —  Les  cardinaux 
Antonio  et  Marcello  Santa-Croce,  oncle  et  neveu,  tous  deux  nonces  en  Pologne 


DÉBUT  DE    l'ambassade   DE  CHAULNES  103 

ne  me  sais  pas  opposé  à  sa  promotion  que  j'ai  sue  longtemps 
auparavant.  Par  quelle  raison  l'Espagne  s'opposerait-cllc  au- 
jourd'hui à  celle  d'un  Florentin^  parce  que  je  l'emploie  dans 
mes  afifaires?  Yidoni  était  nonce  en  Pologne,  ce  qui  ne  lui  don- 
nait pas  plus  d'avantage  auprès  du  roi  de  Pologne  que  d\v  èlro 
mon  ambassadeur.  »  Louis  XIV  devinait  bien  que  co  trafic,  de 
chapeaux  entre  des  princes  catholiques  serait  réprouvé  par  le 
pape(l':  aussi  eul-il  soin  d'avertir  son  ambassadeur  qu'il  pre- 
nait fort  à  cœur  cette  promotion.  Lionne  l'appuyait  avec  un  zèle 
suspect,  qui  présageait  de  nouvelles  difficultés  :  «  ...  C'est  au- 
tant mon  affaire,  disait-il,  que  celle  de  M.  Tévéque  de  Béziers... 
En  y  travaillant  avec  votre  application  et  votre  adresse  accou- 
tumée, et  vos  soins  ayant  un  bon  succès,  comme  je  l'espère, 
vous  aurez  sinon  fait  deux  cardinaux  en  une  même  personne, 
du  moins  que  deux  personnes  vous  auront  la  même  obligation 
d'un  seul  bonnet.  Après  cette  expression  qui  est  très  véritable, 
selon  les  sentiments  et  la  tendresse  do  mon  cœur  envers  un 
dier  ami,  à  qui  Je  dois  d'ailleurs  Vabbaye  de  Marmofitle?'  et  le 
prieuré  de  Saint'Martin'[deS'Champs]/]Q  n'ai  plus  rien  à  vous 
dire  sur  TafTaire  même  et  crois  qu'il  n'y  a  qu'à  vous  laisser 
faire  (2).  »  Alexandre  Vil  put  écarter  jusqu'à  sa  mort  la  de- 

et  présentés,  comme  Vidoni,  au  cardinalat  par  celte  coiiroune,  étaient  l'un  et 
lintre  romains,  et  n'avaient  jamais  rempli  de  charges  qui  ne  leur  eussent  été 
conférées  par  les  papes.  —  Cosimo  Terrez,  noble  romain,  appartenait,  comme 
WD  oncle  le  cardinal  Ludovico  Torrez,  à  une  famille  d'origine  espagnole,  mais 
dont  rétablissement  à  Rome  était  déjà  ancien. 

(!)  «  La  reine  de  Pologne  m  ayant  fait  fort  obligeamment  offrir  la  disposition 
do  chapeau  de  cardinal  qui  doit  être  donné,  dans  la  prochaine  promotion,  à 
la  nomination  du  roi  son  mari,  j'ai  accepté  »  pour  M.  de  Bcziers.  (Le  roi  à 
Chiidnes,  24  décembre  1666.  /?ome,  179.) 

(2)  Le  roi  et  Lionne  à  Chanlnes,  24  décembre  1666.  fîowe,  179.  La  reconnai?- 
sance  et  ramilié  ne  suffisent  pas  pour  expliquer  le  zèle  que  mit  Lionne  ;\ 
.«oiitenir  les  intérêts  de  Bonsy.  La  négociation  dura  longtemps,  ot  voici  la  note 
que  le  président  Rose,  secrétaire  du  roi,  a  écrite  eu  ujarge  d'une  lettre  de 
recommandation  adressée  par  Louis  XIV  à  Michel  Wiesnowski.  successeur  <le 
Jean-Casimir,  le  22  août  1669  :  «  Je  ne  sais  si  M.  de  Lionne  ne  reçut  point  de 
^^ratification  de  Bonsy,  aussi  bien  que  la  mère  du  roi  de  Pologne.  »•  {f)i\uvrcs 
de  lj>uis  XIV,  édition  (îrimoard,  t.  V,  p.  448,  note.)  —  Une  Idtre  de  M.  de 
Cbaulnes,  du  26  septembre  1666  (fiowe,  178),  nous  apprend  que  le  ministre 
H>llicitait  pour  son  allié  et  ami  le  lucratif  gouvernement  de  Bretagne  :  le  duc 
fat  en  effet  pourva  de  cet  emploi,  où  il  s'indemnisa  des  grandes  dépenses  qu'il 
arait  faites  à  Rome.  Sa  cupidité  aggrava  singulièrement  les  charges  qui  pesaient 


104  CHAPITRE   TREIZIÈME 

mande  du  roi  Jean-Casimir  sans  donner  le  motif  qui  aurait 
blessé  davantage  les  Français  :  le  cardinal  Chigi  informa  le  duc 
que  a  Sa  Sainteté  avait  accepté  la  lettre  de  nomination  pour 
sMnstruire  plus  à  fond  de  cette  affaire,  et  qu'après  Tavoîr  dis- 
cutée, il  avait  trouvé  que  les  papes  ne  pouvaient  faire  plus  de 
grâces  aux  rois  de  Pologne  que  de  leur  donner  un  chapeau  à 
leur  avènement  et  un  à  Texaltation  du  pape,  et  que.  Sa  Sain- 
teté ayant  satisfait  à  Tun  et  à  Tautre,  il  n*avait  pu  remporter 
sur  son  esprit  (1).  » 

sur  les  malheureux  Bretons,  et  il  réprima  avec  une  elTroyable  cruauté  les  troubles 
qui  signalèrent  le  cours  de  son  administration.  Au  défaut  de  la  Bretagne. 
Lionne  demandait  pour  M.  de  Ghaulnes  la  place  de  gouverneur  du  dauphin. 
(Il  février  1667.  Rome,  181.) 
(i)  Ghaulnes  au  roi,  12  mars  1G67.  iiome,  182. 


CHAPITRE  QUATORZIÈME 

PPKL  D'ALEXANDRE  VII  AUX  PRINCES  CATHOLIQUES  CONTRE  LES  TURCS  : 
LOUIS  XIV  RESSERRE  SON  ALLIANCE  AVEC  LE  SULTAN.  —  EMPIÉ- 
TEMENTS DE  LA  COURONNE  SUR  LES  DROITS  ET  SUR  LES  LIBERTÉS  DE 
L'ÉGLISE  :  RÉSISTANCE  D'aLEXANDRE  VIî.   NONCIATURE    DE    ROBERTI, 

1665-1667. 


NoQT«aux    efforts  d'Alevandre  VII  en  faveur  de  Candie  :  bref  au  roi  du  il  décembre  16AG. 
Suites  de  la  campagne  de  Hongrie  et  de  la  victoire  de  Saint-Ciothard.  Les  assurances  données 
u  pape  par  Louis  XIV  sont  démenties  par  la  correspondance  do  ce  prince  avec  sos  agents  à 
Coiubntinuple.  Instructions  données  à  l'ambassailcnr  Denis  de  la  Haye  :  le  roi  de  France  ejit  le 
ph* grand  et  U plu-f  parfait  ami da  sultan;  sa. patience  à  supporter  les  insultes  des  Turcs.  — 
Cappella  de  Nœl   1660.  —  Lettres  odieuses  de  Chaulnes  nt  de  Machaut  sur   la  maladie  d'A- 
Inaodre  VII.  — Quatrième  audience,  il  février  1667  :  conduite  grossière  et  cruelle  de  Chaul- 
BN.  —  Consistoire  du  7  mars   1667.  l'romotion;  les  créatures  du  pape   et  les   candidats  des 
ronronnes  :  le  duc  de  Mercœur;  finnsy,  évéque  de  Réziers.  —  Activité  déployée  par  Alexan- 
<lre  VII.  malgré  sa  maladie.  —  Fin  de  la  nonciature  de  Roberti.  Ses  luttes  avec  la  cour  de 
Fnne«  :  fêtes  supprimées  par  le  roi  et  par  les  évéques,  h  l'insu  du  pape  ;  projet  d'édit  sur 
les  utnx  de  religion;  trouble  porté  par  la  couronne  dans  le  régime  des  monastères;  entraves 
ttiatt  an  développement  des  réformes  dans  les  ordres    religieux,  et  ik  la  fondation  de  nou- 
veau! couvents;  extension  de  la  commende;  conflscation   déguisée  des  biens  ecclésbstiques. 
ABairv  d#»  l'abbayi.'-chef  d'ordre  de    Prémonln'î  :  bref  au    roi  du  9  novembre   1660.  Derniers 
loddeDts  de  la  nonciatare  de  Roberti  :  sa  promotion  ot  son  départ  de  France. 


La  présentation  de  M.  do  Bonsy  inspirait  d'autant  plus  de 
répugnance  à  Rome  que  cet  évêquc,  comme  tous  les  am- 
bassadeurs français  à  Varsovie,  s'appliquait  à  y  combattre 
1  influence  des  nonces  pontificaux,  et  à  détourner  les  rois  de  Po- 
logne de  s'opposer  aux  progrès  si  effrayants  des  infidèles.  Pré- 
cisément dans  ce  même  mois  de  décembre  1666,  Alexandre  VII 
jela  un  nouveau  cri  d'alarme  et  supplia  particulièrement  le 
roi  de  France  d'assister  la  ville  de  Candie  menacée,  pour  la 
campagne  suivante,  d'un  assaut  plus  terrible  que  les  précé- 
dents :  «  Les  politiques  les  plus  éminents,  disait-il  (1),  ont  de 


(i)  •'  lusalain  Cretam  Dedum  Graeci»  principatui,  sed  universi  MediterraDei 
Dari»  imperio  natam,  jam  oliin  reram  clTilium  auctores  prœstaDtissimi  cen- 
aerout.  Hanc  porro  in  ChristianoruiD  potestate  retineri,  nec  immeDsis  Turca- 


106  CHAPITRE    OUATORZIÈBIE 

tout  temps  proclamé  l'île  do  Candie  le  bouievard,  non  seule- 
ment de  la  Grèce,  mais  de  toute  la  Méditerranée.  Votre  iMa- 
jcsté  sait  combien  il  importe  aux  nations  chrétiennes  quelle 
demeure  en  leur  possession  et  que  les  Turcs  ne  l'ajoutent  pas 
à  leur  puissance  déjà  si  formidable.  Mais  ces  ennemis  achar- 
nés, les  yeux  attachés  sur  cette  proie,  enivrés  de  haine  et 
d'orgueil,  après  avoir  envahi  sans  droit  et  conquis  la  plus 
grande  partie  de  celte  île,  préparent  aujourd'hui  un  puissant 
et  suprême  eiïort  de  leurs  armes  pour  emporter  la  ville  de 
Candie  qui  nous  reste,  et  menacent  visiblement  d'étendre  leur 
domination  sur  ce  royaume  tout  entier.  Aussi,  quoique  nous 
nous  promettions  do  votre  générosité  et  de  votre  piété  que 
vous  assisterez  de  tout  votre  pouvoir  la  république  de  Venise 
dans  la  lutte  qu'elle  poursuit  depuis  si  longtemps  et  avec  un 
courage  indomptable  pour  le  salut  de  cette  île,  notre  ministère 
pastoral,  en  une  crise  qui  intéresse,  avec  les  Vénitiens,  la  se* 
curité  et  le  salut  de  la  chrétienté  tout  entière,  nous  impose  le 
devoir,  même  après  dos  instances  plusieurs  fois  répétées, 
d'exhorlor  encore  les  princes  catholiques  et  spécialemcntle  Roi 
très  chrétien  h  entreprendre  et  à  soutenir  courageusement  la 
défense  commune  ot  la  cause  de  Dieu  :  nous  sommes  persuadés 
d'ailleurs  que  Votre  Majesté  ne  voudra  pas  donner  sujet  à  la 
postérité  do  s'étonner  quo  le  peuple  chrétien  ait  été  affligé  d'un 


rum  opihus  acceJere  quanti  totius  CliristiaDitaUs  interftit  Majettatem  Taam 
profecto  DOQ  latet.  Scd  liostis  infcnsissimus  hoc  ipsum  provideDs  et  in  nos 
odio  impotent],  snperhiàqne  fiir^ns,  cum   ejus  niajorem  partem  iojaste  ae 
yiolcnter]amoccupavorit,hodiccivitateni  Candiflp,quH>  reliqua  est,  sepropedien 
collecto  maximarura  virinm  robore  potenter  aggreRsurum,  sibique  regnam 
illud  omne   subjectunioi  nsse  non  obscure    minatur.   Quapropter,  elsi  noa 
dubitamus  quin,  ob  inclytam  animi  ^cnerosi  magnitudineoi  atque  pietatem, 
Venetrp  Heipublirœ  in  illiiiB  insu  Ire  dofensionfîm  tamdlu  Btrenoe  et  incompa- 
rabiii  virtuteconslantiaqueincumbenti,  roruni  omnium  opo,  quantum  maxims 
poteris,  prîpsto  esse  velis,  tamen  in  re  tantd  ncc  ad  solos  Venetox^sed  adunivena 
reipuhiicfe  christinn.r  tuielam  et  srcurifatem  imprimi s  pertinente j  ut  etiam  post 
repetifa  pluries  officia  novis  iitteris  principes  orthodoxos  omnes  et  in  tpecie 
Hegem  chrisiianissimum,  ad  communis  boni  Deiqiie  cauKam  serio  suscipiendtOÊ 
et  pro  virili  prnpugnnndam  hnrlemur.  muneria  ponlificii   deôitum  plane  fOiR- 
pellit;  ciim  pnpsertim  tanta»   potcntiîp,    virtutis   glorireque  principem    haud 
paesnrum  essecredamus  ut  suit  florentissimis  tcmporifms  Christianitali plagam 
inflictnm  fuiste  pos  1er i tas  admire tur...  »  (Bref  à  Louis  XIV,  2i  décembre  1666. 
Home,  179.) 


LOTUS    XÎV    ET    LE    SULTAN  107 

pareil  désastre  sous  le  règne  florissant  d'un  prince  si  puissant, 
si  magnanime,  si  glorieux.  Notre  nonce  expliquera  plus  lon- 
guement nos  intentions,  etc.  » 

Les  Vénitiens  ayant,  au  même  moment,  imploré  Tassislance 
des  Français,  Louis  XIV  écarta  d'abord  leurs  supplications  en 
rappelant  qu'il  venait  de  déclarer  la  guerre  aux  Anglais  :  Nous 
compatissons  à  votre  danger,  leur  dit-il,  comme  «  votre  meil- 
leur et  plus  ancien  ami,  à  qui  vos  intérêts  seront  toujours  très 
chers.  Nous  nous  promettons  cependant  de  labonté  divine  que 
le  ciel  continuera  àprotéger  les  armes  et  la  cause  de  la  religion, 
qui  est  la  sienne  propre,  contre  toutes  les  insultes  des  infidèles^ 
et  cette  considération  est  seulement  ce  qui  nous  peut  un  peu 
consoler  de  Texlrême  déplaisir  que  nous  ressentons  de  ne 
nous  trouver  pas  présentement  en  état  de  vous  donner  les 
mêmes  marques  effectives  de  notre  affection  que  nous  vous 
avons  données  par  le  passé  en  de  semblables  occasions  (1).  » 
—  Il  écrivit  le  même  jour  au  duc  de  Chaulnes  (2)  :  «  J'ai  en- 
core la  considération  de  ne  ruiner  pas,  comme  il  arriverait 
infailliblement  par  une  déclaration  si  publique,  tout  le  com- 
merce de  mes  sujets  aux  Échelles  du  Levant,  lequel  est  do  la 
dernière  conséquence  à  mon  royaume.  »  Il  répondit  ensuite 
au  pape  que  la  situation  des  affaires  ne  lui  permettait  pas 
d'aider  la  Seigneurie:  nous  le  forons  cependant,  ajoutait-il, 
dès  que  nous  le  pourrons  «  sans  être  excité  par  aucun  exemple 
ni  par  un  aussi  puissant  motif  que  lo  sera  toujours  à  notre  égard 
larecommmidation  de  Votre  Sainteté.  »  Cet  hommage  apparent 
aux  sentiments  véritables  d'Alexandre  VII  cachait  un  odieux 
sarcasme;  car  le  même  jour.    Lionne  écrivait  au   duc  de 
Chaulnes  (3):  «  Pour  leur  gagner  le  fort  de  Tépée,  vous  ne 
devez  pas  manquer  le  coup  de  leur  parler  aussitôt  des  deux 
cent  mille  écus  que  feu  M.  le  cardinal,  par  son  testament,  mit 
à  la  disposition  de  Sa  Sainteté  et  qui  leur  ont  été  effective- 
ment payés  pour  être  employés  à  la  défense  de  la  chrétienté 
contre  le  Turc,  »  et  que  les  Chigi  ont  gardés  pour  eux!  Or, 
pendant  que  le  courrier,  porteur  de  ces  deux  dépêches,  était 

(ij  Le  roi  à  la  république  de  Venise;  14  janvier  1667.  Venise,  87. 

(2)  Home,  181. 

(3)  28  Janvier  1667.  Home,  181. 


108  CHAPITRE   QUATORZIÈME 

encore  sur  la  route  de  Rome,  le  pape,  pressé  de  donner  aussi 
des  secours  aux  Polonais,  convoquait  les  cardinaux,  «  pour 
se  disculper  en  plein  consistoire,  dit  Chaulnes,  s'il  ne  pouvait 
pas  assister  ce  royaume  comme  il  souhaiterait;  et  en  effet  Sa 
Sainteté  y  porta  un  long  mémoire,  qu'il  lut,  de  toutes  les  dé- 
penses qu'elle  avait  faites  en  Allemagne  et  pour  la  république 
de  Venise  contre  les  Turcs,  qu'il  fit  monter  à  cinq  millions  {{), 
compris  les  frais  de  la  guerre  contre  M,  le  duc  de  Créquy,  ce 
fut  ainsi  qu'elle  la  nomma,  et  conclut  en  exhortant  le  sacré 
collège  de  contribuer  chacun  en  son  particulier  pour  cette 
guerre  et  qu'elle  verrait  ce  qu'elle  pourrait  faire  de  son 
côté  (2j.  »  Pendant  que  l'ambassadeur  accusait  le  pape  de  ne 
songer  qu'à  enrichir  ses  parents,  ceux-ci  donnaient  l'exemple 
des  sacrifices  personnels  pour  la  défense  de  la  chrétienté. 
Alexandre  VII,  de  son  côté,  préparait  une  nouvelle  conversion 
ou  extinction  de  luoghi  di  monte  et  déposait  au  château  Saint- 
Ange,  à  côté  du  trésor  de  Sixte-Quint,  une  somme  considé- 
rable dont  une  partie  fut  envoyée,  au  printemps,  dans  les  pro- 
vinces les  plus  menacées  par  les  infidèles,  et  dont  le  reste 
servit  à  racheter  plusieurs  gabelles  dans  l'État  ecclésiastique. 
Louis  XIV  était  si  éloigné  de  jamais  déférer  à  «  la  recom- 
mandation de  Sa  Sainteté  »,  qu'il  avait  désavoué,  à  Constanti- 
nople,  comme  nous  l'avons  vu,  la  gloire  acquise  par  ses  troupes 
dans  la  campagne  de  Hongrie,  pour  réclamer  celle  d'être  le 
plus  ancien  et  le  plus  sincère  allié  des  sultans.  Ses  agents  sou- 
tenaient qu'il  n'avait  porté,  sur  les  rives  du  Raab,  qu'une  «  as- 
sistance purement  défensive  à  ses  amis,  sans  aucune  pensée 
ni  dessein  d'agression  contre  les  Etats  qui  appartiennent  au 
Grand  Seigneur.  »  —  Par  l'occupation  de  Gigeri  (1665),  di- 


(1)  Cinq  millions  d'écus  romains.  L'écu  romain  valait  3  livres,  iO  sons, 
8  deniers  de  celte  époque  :  Je  prends  cette  évaluation  dans  des  mémoires  en- 
voyés au  roi  par  l'ambassade  française.  Le  Vénitien  Lando,  présent  à  Rome 
en  1683,  convenait  que,  sur  les  42  millions  d'écus  dus  par  la  Chambre  aposto- 
lique, 15  sono  andati  nei  socconn  del  crUitianesimo,  (Relazioni  di  Roma,  t.  Il, 
p.  415.)  Mais  ce  n'est  qu*un  minimum,  bien  inférieur  à  la  vérité,  car  les 
Vénitiens  dissimulaient  les  bienfaits  des  papes,  dont  ils  jalousaient  également 
le  pouvoir  spirituel  et  le  pouvoir  temporel.  V.  d'ailleurs  ci-dessus  tout  ce  que 
nous  avons  dit  sur  l'exécution  du  legs  de  Mazarin. 

(2)  Chaulnes  au  roi,  8  février  1667.  Romey  181. 


LOUIS    XIV   ET    LE    SULTAN  109 

saient-i!s  encore,  on  n'avait  voulu  que  remplacer  un  autre 
poste  que  la  France  tenait  autrefois  sur  la  côte  barbaresque  au 
vu  et  au  su  de  la  Porte,  appelé  le  Bastion  de  France,  et  d'où  ce- 
pendant les  Français  avaient  été  chassés  contrairement  aux 
traités  :  quand  le  roi  s'en  était  plaint  à  la  Porte,  elle  en  avait 
imputé  la  faute  aux  seuls  corsaires,  et  répondu  qu'on  pouvait 
repousser  la  force  par  la  force.  «  Au  reste,  écrivait  Lionne  (1), 
Sa  Majesté  désire  que  vous  assuriez  le  grand  vizir  que  son  in- 
tention est  de  conserver,  entretenir  et  même  cttltiver  avec  soin 
[ancienne  amitié  et  bonne  coirespondance  que  les  glorieux  em- 
pereurs, ses  prédécesseurs,  ont  toujours  eues  avec  les  glorieux 
empereurs  ottomans,  » 

Les  instructions  emportées  par  le  nouvel  ambassadeur  (2) 
sont  plus  précises  encore  :  elles  établissent  les  principes  de 
cette  politique  à  jamais  déplorable  qui  fit  des  Turcs  le^  auxi- 
liaires de  Louis  XIV  dans  ses  agressions  répétées  contre  la 
paix  -de  l'Europe,  et  qui,  avant  que  vingt  ans  fussent  écoulés, 
les  amena  dans  les  provinces  héréditaires  de  Léopold.  Si  les 
plans  qu'y  dévoile  le  roi  de  France  s'étaient  réalisés,  jamais 
roi  de  Pologne  n'aurait  arraché  Vienne  aux  armes  de  Ma- 
homet IV.  Denis  de  la  Haye  doit  déclarer  au  Sultan  «  que, 
comme  Sa  Hautesse  na  pas  de  plus  grand  et  plus  parfait  ami 
que  r empereur  de  France,  aussi  n'y  a- 1- il  point  de  prince  au 
monde  qui  souhaite  plus  que  Sa  Majesté  de  lui  faire  connaître 
quelle  est  son  affection  vers  sa  personne  et  son  empire^...  et  que 
son  maître  et  elle  sont  aujourd'hui  les  deux  plus  puissants  et 
plus  riches  motmrques  du  monde,  »  —  Il  est  contraire  aux  in- 
térêts de  la  France  que  la  guerre  de  Candie  prenne  fin,  et  la 
résolution  de  ne  point  assister  les  Vénitiens  est  à  peine  dissi- 
mulée sous  quelques  formules  hypocrites  :  «  L'ambassadeur 
doit  savoir  qu'encore  que  la  maxime  ordinaire  de  la  Républi- 
que soit  de  vouloir  tenir  l'équilibre  entre  les  puissances  de 
TEurope  et  pour  cet  effet  d'embrasser  toujours  le  parti  du  plus 
faible  pour  empêcher  qu'il  ne  devienne  trop  inférieur  à  l'autre, 


(1)  A  Roboly,  résident  de  France  à  Constantinopley  pendant  la  vacance  de 
l'ambassade,  \K  novembre  1664.  Turquie,!. 

(2)  22  août  1665.  Turquie,  7. 


110  CUAPITRE    QUATORZIÈME 

et  que  Sa  Majesté  connaisse  parfaitement  bien  que,  si  elle  e$i 
une  fois  dégagée  de  cette  guerre  qui  consomme  toutes  ses  forcei^ 
elle  ne  manquerait  pas^  à  son  accoutumée,  de  les  employer 
contre  Sa  Majesté  à  l'avantage  des  Espagnols  comme  étant 
aujourd'hui  le  parti  le  plus  faible,  sous  prétexte  de  la  liberté 
de  ritalie,  en  cas  qu'il  arrivât  quelque  changement  dans  le 
monde  qui  donnât  lieu  â  des  nouveautés  ou  à  la  prise  d'armes, 
Sa  Majesté  néanmoins,  préférant  toujours  par  le  motif  de  9ê 
piété  singulière  les  intérêts  de  la  chrétienté  et  ceux  de  la  religion 
aux siefis  particuliers,  désire  que  le  sieur  ambassadeur  ne  laisse 
pas,  pour  cette  considération  politique,  de  promouvoir  sincè- 
rement, autant  qu'il  sera  en  son  pouvoir  et  en  gardant  lesme* 
sures  de  bienséance,  l'accommodement  (1)  de  la  Porte  avecla 
République...  »  La  Haye  devra  faire  comprendre  aux  ministres 
de  Sa  Hautesse  «  que  le  véritable  intérêt  de  la  Porte  à  tégard 
de  la  chrétienté  7iest  autre  que  d'établir  une  ferme  et  sincère 
amitié  et  bonne  correspondance  avec  cette  couronne ,  parce  que 
les  desseins  des  autres  princes  chrétiens  ne  lui  sauraient  beaU' 
coup  nuire,  s  ils  ne  sont  aidés  et  appuyés  de  Sa  Majesté,  »  Le 
Grand  Seigneur  étant  en  contact  avec  la  chrétienté  du  côté  de 
la  Hongrie,  doit  éviter  que  la  Pologne  soit  sous  la  dépendance 
de  la  maison  d'Autriche, et  son  intérêt  est  donc»  d'appuyer  de 
sa  faveur  et  de  son  pouvoir  l'élection  d'un  prince  français  et 
de  s'opposer  fortement  à  celle  d'un  Autrichien;  et  on  effet, 
avec  les  suffrages  de  la  Porte  qui  y  servirent  beaucoup,  le 
duc  d'Anjou,  frère  de  Charles  IX,  fut  élevé  sur  ce  trône-là.  » 
Les  mêmes  raisons  subsistent  aujourd'hui,  «  et  cela  d'autant 
plus  que,  l'amitié  se  confirmant  entre  les  deux  empires,  Sa 
Majesté  aura  tout  crédit  sur  ce  prince- là  devenu  roi  de  Polo- 

(1)  LouisXlV  savait  bieu  qu'aucun  accommodement  n'étaitpossible:  Jean  delà 
Haye,  père  et  prédécesseur  de  sou  ambassadeur,  lui  avait  dit,  daus  son  rapport 
déjà  cité  du  25  janvier  1662  {Turquie^  C)  :  Les  Turcs  m'ayaut  toujours  déclaré 
qu'ils  «  n'entendraient  point  à  la  paix  qu'en  leur  cédaut  le  royaume  de  Candie, 
et  les  Vénitiens,  de  leur  part,  témoigné  qu'ils  étaient  résolus  de  conserver  ce 
royaume,  sans  quoi  ils  n'eutcndraient  jamais  à  la  paii,  il  nest  pas  possible 
de  trouver  un  milieu  cjitre  res  deux  t\ilrLmil(}if,  et  il  faut  que  cela  se  décide 
par  la  voie  des  armes:  en  quoi  les  Vénitiens  n'étant  {tas  les  plus  forts,  il  faudra 
entin  qu'ils  succombent  et  que  ce  royaume  tombe  entre  les  raeius  des  infidèles, 
si  ce  nest  fjue  les  Vénitiens  soient  aidés  par  quvlqtie  ligue  des  autres  princes 
chrétiens,  ou  par  \\  M.  quipourrait  seule  contre  peser  toutes  les  forces  du  Turc,* 


lu. 


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La  P«-rr  t.:  ;li'.  i-r  :•  izmir  ims  linii'.ie  Jii  r^»:  ono.-o 
lui  d.. miri-ia..  <: -ï  .i  tcizir**^  i -ribiiir-rix.  tr;!i:o  v;ii<<;*  w:\ 

bi.'ni  :e*tra::T*  le*  Vtc.it's  à\v'  ".â  Franco,  lo  o:i:i:aî>v:u"'*.:i 
rtfiartii  .;-c  >i  Mi--:^:^  ivi:-:  ionn'.*  uii<ecoiir>  ;is>o.'00!is.- 
d»;rable  a  ^î ci-iirmi*. t..-  r-iuvait  bi^n  aussi  vi\  Aoiuwv  À  sv's 
ami«....  ê:  c:;^  rfi  Mi-T*:è.  -Vinl  si  hon  ami  Ar  Sa  ll:u::o>'iv'. 
eliea* ypjcvaî;  11*  rrius^rce::^  àHman'l»:'  i]niôtà::  :is>i  .•  iMis^ui- 
nai>»e.  »  E:  i  azrrn:  îrincais.  à  bout  i.l*ar^'unuM\îs.  rooiamait  imi 
toule  hâte  d-rs  iû*:::.r.:  ju*  1  .  —  L'anibassailour  L\  llayo.  i 
pi'iar  arrivé,  s^  conJuisit  avrin:  si  pou  -ie  ni.'suiv.  ipu*  \o  \\\v 
K' mil  aux  arr-^ts.  L>uîs  XIV  abaissa  ilovanl  K»  liraihl  \\\vc 
cçlorifu'.'il  l'.M..  î'iisait  s^nlir  loul  io  poiJ<  ansoîivtMMÎa  :/  en- 
tité. M.:i:o:ît»rntd*uD  in':ii»?nt  qui  pouvait  niiiri»  à  si**  iles<t*iiis. 
il  blâma  son  niîrii*tredcTi"avoir  pas  supportôasso/  paiii*'iuiuMit 
rarr.jzaace  du  vizir  :  Vous  aurit-z  dii.  lui  oorivail-il  v-\  m  i.:- 
furnier  Je  c»*  que  faisaient  ses  prédeOt-ssours,  ilaus  leurs  au- 
diences. Houfjeaient-Us  '^S.  ?  ••  *:ar,  ^i:.<  /<-•   hMCfr.tirnt  ;hi<  de 

\)  «  K'ilioly  à  Lioaae.  iî6  aoiM  !•'•".  Tui-'fUt-,  T. 

i   Le  :.'r4ij<i  vizir  Achmt.'t  Kiuperçli.  «{jL    is'iit  '^f  r  lu    l.i  li:;litli>'  .lo  >.ii'.ii 

'iothird...,  affecta  J«  le  recevinr  uvo»;  ho'i:i'  m:'  -h  îî-.tI''...  lVi:i>  iîm.-  -«••■•■ilf 

':UiJiPn»;o,  le  grand  TÎzir  r*'^lnnt  a-^sis  r-.'/j-î.'  '.^  ^'  f'vj.V*-!'  /"■■:".  Ii  11»>«'  -'.(•'■^il 

J»* lui-mêiue  ater  un  air  li'indigiiation  <'\v  \\u  til»iuir»'t.  >;ims  f.i.r«'  aui'iKi  -^ilul. 

'l  il  cuniMieuça  par  lui  lii'-f...  qu'il  n".i%Mil  pas  \on"..i  i*  Miipt'i*   j»our  un.-  »»>i 

•li-TiiiVCJ'Ile  qu'il  avait  l'uc  auparavant,  p.irt'o  qu'il  n'.nail  pa:*  ro«;u  l«'s  h.«niJtMM> 

■iiiâ  au  plu^  pni^Ktfaut  uinnirquc  di>  li  clirctiouti^  :  qu*ain:«i   il  .iv.iit   nrliv  ilo 

liiiroudre  \oi  cnpitulaliou?  il  de  t»Vn  rotnurucr  en  braiico.  I.à-dos?us.  lo  j:imi»'1 

vizir  sélaut  mÎ!'  eu  culére  et  ayant  dit  quelque^  iKiroles  pou   iuo#urtV*,    1.» 


112  aiAPlTRE   QUATORZIÈME 

leur  place ^  toute  la  plainte  se  réduirait  à  la  fierté  qu'a  témoi- 
gnée celui-ci  dans  ses  discours  et  au  peu  de  compte  qu'ila 
fait  des  seigneurs  français  que  vous  lui  avez  présentés...  Je 
vous  ferai  remarquer,  sur  la  qualité  des  menaces  que  vous  lui 
avez  faites  en  ce  rencontre,  que,  sans  en  avoir  auparavant  reçu 
des  ordres  exprès  de  moi,  vous  ne  devez  jamais  passer  jusque- 
là  de  dire  que  vous  partirez  et  vous  retirerez  de  la  Porte...  » 
—  Le  roi  de  France  avait  éconduit  sur-le-champ  le  pape  el 
Venise  ;  mais  il  eut  plus  de  considération  pour  les  Turcs,  et  il 
écrivit  à  la  Haye  :  Sur  leur  demande  de  vaisseaux  français 
«  je  pourrais  bien,  sans  parler  de  la  véritable  raison  qui  m'o- 
bligera toujours  de  ne  Taccorder  jamais,  qui  est  celle  de  ne 
donner  pas  des  secours  aux  infidèles  contre  des  princes  chré- 
tiens (1),  je  pourrais,  dis-je,  bien  vous  suggérer  dès  à  présent 
une  bonne  et  légitime  excuse  pour  vous  défendre  de  cette  ins- 
tance, qui  est  la  déclaration  de  guerre  que  j'ai  faite  aux  An- 
glais, au  mois  de  janvier  dernier,  qui  m'oblige  à  assembler 
pour  moi-même  le  plus  grand  nombre  de  vaisseaux  que  je 
pourrai  pour  combattre  des  ennemis  si  puissants  à  la  mer, 
mais  je  crois  qu'il  vaut  mieux  que  vous  lien  donniez  pas  da- 
bord  une  entière  exclusion  au  grand  vizir  et  que  vous  preniez 
plutôt  du  temps  pour  m'en  écrire  j  pendant  lequel  les  espérances 
quils  auront  d\)htenir  la  chose  le  rendront  vraisemblablement 
plus  facile  à  vous  en  accorder  d  autres.  » 

On  peut  juger  maintenant  avec  quel  à-propos  le  duc  de 
Chaulnes,  pour  narguer  les  parents  d'Alexandre  VII  (2),  faisait 
promener  dans  les  rues  de   Rome,  pendant    le  carnaval  : 

Haye  prit  de  la  maiu  de  soq  drogoian  les  capitulations  et  les  ayaat  jetées 
brusquement  aux  pieds  du  grand  vizir,  de  mauière  que  celui-ci  en  fut  frappé, 
il  se  leva  et  se  retira  sans  le  saluer  dans  Tanticbambre,  d*où  voulant  passer 
outre,  il  fut  arrêté.  »  (De  Flassan,  HiaLoire  de.  la  dip/omalie  française,  édit.  1811, 
t.  111,  p.  319.) 

(1)  11  oubliera  plus  d'une  fois  cette  raison,  notamment  en  1683,  lorsqu'il 
cuvabira  tout  à  coup  les  Pays-Bas  espagnols,  sans  déclaration  de  guerre, 
pour  retenir  sur  le  Rbinlcs  armées  allomandesqui  marcbaient  déjà  au  secours 
de  Vienne  assiégée. 

(2)  »  Ayant  su  que  Ton  préparait  au  palais  [de  don  Agostiuo  Chigi]  une 
mascarade  considérable  pour  le  lundi  gras,  je  crus  devoir  faire  ce  que  je 
pourrais  pour  lobscurcir.  Aiusi,  ayant  fait  travailler  avec  diligence,  etc.  » 
(Chaulnes  au  roi,  22  février  1667.  Rome,  181.) 


EMPIÉTEMENTS    SUR    LES   DROITS    DE   L  ÉGLISE  113 

*<  Douze  sibylles  dans  tm  char  de  triomphe  qui  prédisaient  à  la 
France  y  sous  la  figure  de  Pallas^  relevée  beaucoup  au-dessus 
dans  un  trône ^  la  destruction  de  l'empire  ottoman  sous  le  règne 
de  Sa  Majesté^  le  tout  accompagné  de  force  pages  et  cavaliers 
àla  tête  desquels  étaient  les  trompettes.  Cette  mascarade,  dit 
Tambassadeur,...  réussit  de  manière  que  les  spectateurs  en 
furent  fort  satisfaits;  mais  ceux  qui  étaient  sur  le  char  le 
furent  bien  davantage  lorsque,  paraissant  sous  le  nom  de  la 
France,  tous  les  peuples  firent  dans  sa  marche  retentir  toute 
la  rue  de  cris  de  :  Vive  le  roi!  comme  au  milieu  de  Paris.  » 

Alexandre  VU  s'était  hâté  de  faire  partir  (21  décembre  1666) 
pour  la  France  son  bref  en  faveur  de  Candie  :  il  pressentait 
sa  fin  prochaine,  et  il  espérait  voir,  avant  de  mourir,  se  former 
contre  les  Turcs  une  ligue  des  princes  catholiques,  le  rêve  de 
toute  sa  vie.  Quelques  jours  après  revenait  la  grande  fête  de 
Noël:  il  voulut  tenir  chapelle,  et,  au  prix  de  grands  efforts, 
il  put  supporter  jusqu'au  bout  la  fatigue  de  ces  longs  offices. 
Les  Français  prétendirent  qu^il  n'avait  paru  en  public  que 
'<  pour  donner  mille  déplaisirs  à  tous  les  vieux  cardinaux,  » 
et  le  contemplèrent  avec  dépit  «  plus  jeune,  plus  frais,  mar- 
chant sans  s'appuyer,  montant  con  incredibile  disinvoltura^ 
chantant  comme  un  homme  de  vingt-cinq  ans,  enfin  excitant 
dans  l'assemblée  tout  autre  sentiment  que  ceux  de  la  pitié  (1).  » 
Leduc  de  Chaulnes  remplit  ce  jour-là,  pour  la  première  fois, 
la  fonction  qui  lui  était  réservée  par  le  rituel,  et,  au  témoi- 
gnage de  Machaut  lui-même,  reçut  du  pape  le  meilleur  traite- 
ment. 

Dès  la  nuit  suivante,  l'état  du  pape  donna  de  nouvelles  in- 
quiétudes et,  pendant  les  cinq  mois  qu'il  vécut  encore,  son 
mal  ne  lui  laissa  presque  plus  de  relâche.  Mais  chaque  jour 
aussi  les  Français  du  palais  Famèse  devenaient  plus  impa- 
tients de  voir  finir  ce  pontificat,  et  donnaient  à  leur  aversion 
pour  Alexandre  VU  une  expression  plus  odieuse.  Les  lettres 
de  M.  de  Chaulnes  et  de  l'abbé  de  Machault  au  roi  et  à  Lionne 
sont  remplies  de  plaisanteries  ignobles  sur  la  maladie  du  pape, 
le  propos orduriers  auxquels  ils  mêlent  des  noms  de  cardinaux, 

J)  Machaut  à  Lionne,  2S  décembre  1666.  Home,  179. 

Loom  XIV  KT  LB  ftàurr-sBoi.  —  U.  8 


1^  CHAPITRE   UUATOnziÈME 

on  peut  juger  de  cette  abominable  correspondance  (!)  par  le 
passage  suivant  :  «  Sua  Santità  non  patisce  pià  di  que/la  /tus- 
sions coglionesca^  nia  ha  mossa  nella  sua  testa  e  gode  a  l'estremo 
di  coglionare  tutti  quanti,  »  Mais  il  faut  bien  avouer  que,  si  le 
pontife  n'a  pas  quitté  le  lit  depuis  quinze  jours  et  s'il  a  déjà 
commencé  de  faire  ses  adieux  à  des  familiers,  il  ne  cesse  pas 
de  travailler  k  l'expédition  des  affaires;  qu*il  donne  toutes  les 
audiences  à  ses  officiers  et  qu'il  ne  se  retranche  que  le  plaisir 
d'entretenir  6^.ç  5a«an/5.  C'est  ce  moment  que  M.  de  Chaulnes 
choisit  pour  se  signaler  par  un  exploit  dont  il  fait  sa  cour  à 
Louis  XIV  :  J*ai  reçu  un  courrier  de  cabinet,  dit-il,  chose  rare 
et  toujours  émouvante  à  Rome  ;  je  profite  de  l'incident  pour 
clfrayer  le  palais  et  en  tirer  quelques-unes  de  nos  grâces  ;  mais, 
comme  je  n'obtiens  rien,  je  crains  d'avoir  commis  Tautorilé 
de  Votre  Majesté  en  laissant  croire  qu'il  m'est  arrivé  des  ordres 
importants  et  que  je  ne  les  exécute  pas.  «  Du  ciel  où,  Votre 
Majesté  s'est  élevée,  fon  7ien  doit  point  voir  les  éclairs^  sam  que 
la  foudre  parte  aussitôt.  »  J'explitjue  alors  l'envoi  du  courrier 
par  une  raison  vulgaire,  et  je  me  ris  de  l'inquiétude  où  je  les 
ai  jetés!  —  «  On  croit,  écrit-il  encore,  que  Sa  Sainteté  tiendra 
consistoire  lundi  et  qu'elle  exhortera  le  sacré  collège  de  sou- 
tenir envers  et  contre  tous  l'honneur  de  la  dignité  de  cardinal; 
mais  si  le  sacrécollègc  l'exhortait  ensuite  de  bien  soutenir  l'hon- 
neur du  pontificat,  ferait-il  trop  (2)?  »  —  Cette  activité,  qui  se 
portait  sur  toutes  les  parties  du  gouvernement,  n'était  qu'un 
sujet  de  moquerie  pour  les  Français  :  Cette  semaine,  écrit 
M.  de  Chaulnes,  le  pape  a  reçu  ses  officiers  et  le  cavalier 
Bernin,  «  la  passion  des  bâtiments  étant  plus  forte  que  jamais... 
Il  no  faut  pas  s'étonner  si,  le  pape  ne  songeant  plus  qu^aux 
pierres,  son  cœur  pour  le  reste  des  choses  devient  à  la  fin  de 
marbre  (3).  »  Depuis  le  retour  de  Castel-Gandolfo,  les  aU'aircs 
et  surtout  celles  qui  intéressaient  la  France  avaient  marché 
rapidement,  et,  pour  éviter  un  plus  grand  mal,  Alexandre  VU 
avait  eu  la  condescendance  de  ne  pas  insister  sur  l'insertion 

(1)  Cbaulncs  au  roi  et  à  Lionne,  4  et  l'i  janvier  1667.  — Chaulnes  et  Machaat 
à  Lionne,  18  janvier.  Rome,  181  ;  etc.,  etc. 

(2)  15  et  18  janvier  1667. 

(3)  Chaulnes  au  roi,  8  février. 


EMPIÉTEMENTS   SUR   LES    DROITS    PE  l'ÉGLISB  115 

dans  certaines  provisions  de  clauses  propres  h  mieux  marquer 
la  subordination  des  évèqucs  au  saint-siège  :  «  Toutes  nos 
affaires  épiscopales  sont  enfin  terminées,  disait  le  duc  de 
Cbaulnes  (1).  L^s  bulles  de  Périgueux  qui  étaient  arrêtées  par 
la  prétention  de  faire  rendre  compte  aux  évêques  sont  expé- 
diées sans  cette  condition  et  seront  envoyées  par  ce  oourrier  (2). 
L'évéque  de  Rodez  fut  aussi  préconisé  au  dernier  consis- 
toire, les  droits  de  Sa  Majesté  ayant  été  conservés,  c'est-à-dire 
sans  que  la  cession  ait  été  examinée  (3)  et  approuvée  dans  la 

(1)  A  Lionne,  22  décembre  1666.  Rome,  179. 

(2)  Ainsi,  an  yeux  de  Louis  XIV,  c'était  uueprélention  et  non  un  droit  pour 
le  saint-siège  de  demander  compte  aux  évêques  de  leur  administration  et  de 
leurs  diocèses I  Mais,  comme  le  roi  ne  pouvait  pas  supprimer  du  Pontifical 
l'engagement  exprès  que  prend  l'évêque,  dans  son  sacre,  de  remplir  cette 
obligation  essentielle.il  n'était  pas  absolument  nécessaire  de  la  mentionner  dans 
les  buUes.  Alexandre  VII  savait  déjà  que  le  roi  défendait  aux  évoques  d'aller  ou 
d'écrire  à  Rome  sans  sa  permission  :  il  leur  offrait  son  appui  pour  s'affranchir  do 
cette  servitude  royale,  mais  ils  ne  répondirent  pas  au  vœu  des  papes,  et,  s'ils 
ont  violé  les  engagements  de  leur  sacre,  ils  sont  seuls  responsables  de  tous 
les  maux  qui  en  ont  été  la  suite. 

(3)  Le  roi  à  Chaulnes,  8  octobre  1666.  Rome,  118  :  «  Le  nonce  a  voulu  iutro- 

doire  ici  une  nouveauté  dout  il  dit  d'avoir  les  ordres  de  Rome,  c'est  touchant 

Texpédition  de  la  coadjutorerie  de  l'archevêque  d'Arles,  qui  est  dans  le  cas 

de  droit,  parce  que  l'archevêque  est  notoirement  aveugle,  comme  le  cardinal 

Chigi,  qui  la  va  et  non  pas  lui  le  cardinal,  le  peut  attester  à  S.  S.  Cependant 

le  Donce  a  refusé  de  faire  le  procès- verbal  de  vitd  et  morihus  de  l'abbé  de 

Grignan,  et  celui  de  l'incommodité  de  son  oncle,  jusqu'à  ce,  dit-il,  que  S.  S. 

lit  jagéque  la  coadjntorerie  doit  être  admise  et  qu'elle  ait  admis  la  cession  de 

rarchevèque,  car  toute  coadjutorerie  porte  cession.  Cela  était  arrivé  de  delà 

eo  l'affaire  de  la  démission  de  l'évêché  de  Rodez,  comme  vous  l'avez  appris  par 

les  expéditionnaires.  Tout  ceci  n'est  qu'une  pure  chicane  que  la  cour  de  Home 

n'avait  jamais  eu  la  pensée  de  faire  depuis  l'établissement  du  Concordat  :  et, 

en  effet,  soit  que  le  procès  de  vitd  et  moribus  se  fasse  devaut  ou  après,  ue 

doit-il  pas  toujours  être  porté  à  S.  S.  et  ne  demeure-t-elle  pas  la  maîtresse 

•d  y  avoir  ou  n'y  avoir  pas  égard,  selon  qu'elle  en  juge  en  sa  conscience?  Vous 

devez  déclarer  hautement  de  delà  que  je  ne  souffrirai  point  cette  nouveauté 

et  que  j'ai  défendu  à  l'arcbevôque  d'Arles  et  à  son  neveu  de  rien  demander  an 

pape,  que  les  procès-verbaux  n'aient  été  faits  par  le  nonce,  suivant  la  coutume 

observée  de  tout  temps.  Je  crois  que,  pour  faire  révoquer  l'ordre  que  le  uonce 

dit  d'avoir  reçu,  [il  convient]  de  dire  que  c'est  une  innovation  que  je  ne  veux 

point  tolérer,  d'autant  plus  que,  par  les  termes  mêmes  du  Concordat,  j'ai  droit 

de  nommer  aussi  bien  aux  archevêchés  et  aux  évêchés  qui  vaquent  par  la 

cetsioD  des  possesseurs  qu'à  ceux  qui  vaquent  par  leur  mort;  et  si,  contre  mon 

opinion,  on  persistait  encore  de  delà  à  vouloir  soutenir  cette  nouveauté  de 

oAant,  cela  pourrait  m'obliger  à  songer  de  remédier  à  celles  que  les  nonces, 

depuis  quelques  années  seulement,  ont  introduites  do  faire  seuls  ces  sortes 


116  CHAPITRE   QUATOlZtàME 

Congrégation.  Ainsi  M.  le  nonce  n'aura  plus  lieu  de  faire 
difliculté  sur  Texpédilion  des  atleslalions  nécessaires...  »  Ud 
peut  maintenant  travailler  «  à  celles  de  M.  Tabbé  de  Grigoan 
et  de  M.  Valat  pour  l'archevêché  d'Arleset  Tévêchéde  Nevers. 
A  l'égard  de  M.  Tabbé  de  Hocquincourt,  son  péché  n'est  pas 

de  n'avoir  que  vingt-sept  ans, mais  d'avoir  présidé  à  Tacte 

de  M.  le  Tellier  :  par  là,  vous  verrez  que  Sa  Sainteté  n'en  veut 
pas  seulement  à  ce  dernier,  mais  à  tous  ses  adhérents,  qui 
ont  été  infectés  de  ses  pernicieuses  opinions.  » 

Alexandre  VU  se  crut  bientôt  en  état  de  recevoir  les  minis- 
tres étrangers,  et  il  fit  mander  l'ambassadeur  français  pour 
le  vendredi  11  février.  Le  duc  de  Chaulnes  vit  là  un  sujet  de 
risée  publique.  L'abbé  de  Machaut  écrivit  à  Lionne  (!)  : 
«  Comme  Ton  parlait,  l'autre  jour,  des  divertissements  du 
carnaval  à  M.  l'ambassadeur,  il  demanda  quand  il  com- 
mencerait. Aussitôt  quelque  Romain  répondit  que  ce  serait 
samedi,  e  lui  [Chaulnes]  rispose  con  gran  flemma  che  potreMe 
cojninciar  la  mascherata  venerdi  [11  léw'iQr],  presupponendo 
che  ne  farebbe  una  bellissima  al  palazzo,  il  giorno  délia  sua 
udieiiza.  »  —  L'ambassadeur  s'était  plaint  jusque-là  d'être 
admis  trop  rarement  auprès  du  pape,  il  le  blâme  maintenant 

de  procès-verbaux  au  préjudice  des  ordinaires,  à  qui  le  droit  cd  appartient 
bien  mieux  qu'auxdits  nonces  et  qui  en  avaient  toujours  joui.  >•  —  Ni  le  pape 
ni  le  nonce  n'avait  réclamé  un  nouveau  droit.  Mais  les  translations  d'un  siège 
à  un  autre,  qui  sont  contraires  àTespritde  TÉglise  et  qui  étaient  autrefois  très 
rares,  devenaient  plus  nombreuses,  et  c'était,  par  exemple,  un  des  movcDS 
employés  pour  rendre  certains  évôchés  comme  héréditaires  dans  les  families. 
La  procédure  fort  simple  proposée  par  le  nonce  avait  le  grand  avantage  d'ar- 
rêter tout  de  suite  etsaus  éclat  une  Lraualatiou  dépourvue  de  motifs  canonique*, 
sans  attendre  que  Tiustance  eu  fiU  portée  à  Rome,  oi\  les  contestations 
prennent  plus  de  gravité.  Du  moment  que  Louis  XIV  reconnaît  qu'en  définitive 
le  dernier  mot  appartient  au  pape,  aux  termes  mômes  du  Concordat  qui  lui 
réserve  \*t  jugement  des  causes  majeures,  Alexandre  Vil  peut,  sans  abdiquer 
son  droit,  renoncer  à  la  précaution  projetée  :  il  ne  manquera  pas  des  moyens 
de  s'éclairer  avant  de  prendre  une  décision  suprême.  —  D'un  autre  côté,  retirer 
aux  nonces  les  procès  de  vitd  et  moribus  pour  les  donner  à  des  évêqaes 
nationaux,  c'eût  été  accroître  dangereusement  l'iuiluence  du  roi  sur  la  com- 
position de  l'épiscopat.  D'ailleurs  le  droit  du  pape  et  de  ses  nonces  sur  ce 
point  était  si  bien  protégé  par  la  coutume,  par  les  constitutions  ponUficales 
et  même  par  le  concile  de  Trente  que  Louis  XIV  échoua  toujours  dans  cette 
entreprise. 
(1)  15  février  1667.  Rome,  181. 


EMPIÉTEMENTS    SUR    LES    DROITS    DE   l'ÉGLISE  117 

le  son   empressement   à   donner  audience,  et   il  refuse   de 
.'écouler  :  J'avais,  dit-il,  un  cortège  plus  nombreux  encore  que 
les  autres  fois,  en  prélats  et  en  personnes  de  condition.  L^ 
pape  était  au  lit,  «  en  malade  »,  en  simple  camisole^  accoté 
mr  un  bras.  Après  quelques  paroles  sur  Vos  Majestés  et  sur  son 
état.  Sa  Sainteté  me  dit  que  son  nonce  est  mal  traité  en  France. 
Je  fais  semblant  de  ne  la  pas  comprendre  et  je  la  presse  sur 
nos  affaires.  —  J'attends  toujours,  Monsieur  l'ambassadeur, 
répondit-elle,  que  le  roi  me  restitue  le  sel  d'Avignon,  me 
rende  justice  sur  les  monti  de  la  maison  d'Esté,  rétracte  ce 
qu'il  a  fait  contre  le  Concordat  (abbaye  d'Aumale  (1),  etc.),  et 
donne  satisfaction  à  M.  Roberti.  —  (ije?ie  crus  pas,  8ive,  devoir 
discuter  ces  vieilles  demandes,  »  —  Alexandre  VII,  fatigué, 
s'était  renversé  sur  le  lit,  pendant  que  le  duc,  sans  prêter  la 
moindre  attention  à  ses  justes  griefs,  recommençait  d'impor- 
tunes sollicitations.  ^  Sa  Sainteté,  ajoute  M.  de  Chaulnes,  se 
voyant  ainsi  pressée,  se  releva  et  s'étant  mise  dans  la  même 
posture,  passa  sa  main  deux  ou  trois  fois  sur  son  front  et  me 
dit  :  Monsieur  Tambassadeur,  nous  n'avons  pas  la  tête  assez 
forte  pour  tant  parler  d'affaires.  Je  vous  dirai  seulement  qu'il 
faut  que  le  roi  me  rende  justice  à  Paris,  et  puis  je  ferai  des 
grâces,  et  se  recoucha.  »  Après  quelques  propos  indifférents. 
Sa  Sainteté  détourna  l'entretien  sur  la  guerre  des  Turcs.  «  Elle 
me  dit  qu'elle  prêtait  ses  galères  aux  Vénitiens  ;  qu'elle  leur 
entretenait  des   troupes  ;   qu'elle  envoyait  l'étendard  et  son 
neveu, qui  avait  déjà  commandé  les  galères  sept  fois, et  qu'elle 
faisait  tous  les  efforts  qu'elle  pouvait.    —  Sur  quoi  je  ne 
répondis  pas  un  mot.  —  Elle  me  dit  ensuite  que  les  Turcs 
menaçaient  encore  la  Pologne,   mais  qu'il  était  difficile  de 
subvenir  à  tout.  —  Et,  comme  je  voyais  qu'il  voulait  con- 
sommer le  temps  d'une  assez  longue  audience,  pour  ne  pas 

[{)  J'approuve  que  vous  n'ayez  rieu  cédé  sur  l'abbaye  d'Aumale,  quoique  je 
TOUS  aie  donné  pouvoir  de  le  faire,  »  sans  une  assurance  réciproque  d'obtenir 
one  autre  grâce,  et  que  vous  vous  proposiez  encore  d'en  user  de  même  à  Té- 
^rd  du  cardinal  Chigi  touchant  le  sel  d'Avignon.  »  (Le  roi  à  Chaulnes,  18  fé- 
vrier 1667.  Rome,  181.)  Encore  une  fois  le  sel  d'Avignon  et  l'abbuye  d*Aumale 
n'étaient  que  des  restitutions,  dues  au  pape  depuis  longtemps  en  justice  ab- 
»*Aue,  tandis  que  les  grâces  demandées  par  le  roi  dépendaient  uniquement  du 
U  Vf>louté  du  pape. 


118  CHAPITtlE   QUATORZIÈME 

laisser  raisonner  le  monde  sur  la  brièveté  de  la  mienne,  j  af- 
fectai de  ne  pas  vouloir  entrer  en  conversation  pour  F  obliger 
de  77ie  licencier.  Sa  Sainteté  me  donna  ensuite  sa  bénédiction, 
après  laquelle  je  descendis  chez  M.  le  cardinal  ^'^higi,  chez 
lequel  n'ayant  fait  à  dessein  qu'entrer  et  sortir  (l),  je  rendrai 
compte  aussi  à  Votre  Majesté  en  peu  de  mots  de  celle 
audience.  »  M.  de  Ghaulnes  exprimant  le  déplaisir  que  lui 
causent  les  sentiments  du  pape  envers  le  roi,  lo  cardinal  lui 
répond  qu'en  ce  moment  le  souverain  pontife  est  afQigé  de  la 
nouvelle  qu'on  projette  en  France  uh  édit  contre  les  vtjcux  de 
religion,  ce  qui  était  exact.  «  Le  duc  lui  répondit  que,  si  le  roi 
faisait  cette  ordonnance,  ce  serait  avec  justice  et  que  pour  lui, 
rCétant  pas  d^ humeur  à  perdre  le  temps^  il  aimail  mieux  ne  lui 
en  rien  dire  davantage  sur  les  intentions  du  pape  et  sur  le  peu 
de  soin  de  Son  Éminence  à  les  faire  changer,  et  sur  cela  il 
se  relira  (2).  » 

En  quittant  Monte-Cavallo,  l'ambassadeur  va  raconter  dans 
la  ville  sa  nouvelle  insolence  envers  le  pape,  et  Fabbé  de 
Machaut  envoie  en  France  un  chant  de  triomphe  ;  il  écrit  à 
Lionne  (3)  :  «  L'on  met  ici  M.  de  Chaulnes  dans  les  cieux 
d'avoir  si  judicieusement  et  glorieusement  porlé les  intérêts  de 
Sa  Majesté,  et,  comme  la  plus  sensible  passion  du  pape  e.st  une 
extraordinaire  présomption,  celte  manière  d'indifférence  pour 
ne  pas  dire  mépris,  dont  l'ambassadeur  s'est  servi,  l'aura 
fierito  semibilmente ,  »  Le  duc  de  Chaulnes  ne  se  lasse  pas  de 
dénoncer  la  conduite  du  palais:  «  Le  pape,  dil-il,  est  persuadé, 
comme  un  et  un  font  deux,  qu'il  gouverne  avec  plus  de  soin, 
de  justice  et  d'honneur  qu'un  pape  ait  jamais  fait,  et  que, 
quand  il  aura  achevé  la  place  de  Saint-Pierre,  l'histoire  aura 
sujet  de  parler  de  lui  comme  de  saint  Grégoire,  ne  prenant 
point  ce  qu'il  ne  fait  pas  pour  une  inapplication,  mais  pour 
une  fermeté  de  ne  vouloir  prêter  l'oreille  à  toutes  les  affaires, 
lesquelles,  par  sa  pente  à  refuser,  n'étant  pas  conformes  à  son 
inclination,  û  prend  pour  autant  de  demandes  injustes;  de 
manière  qu'il  ne  considère  les  minisires  de  tous  les  princes 

(1)  Chaulnes  au  roi,  15  février  1667.  Home,  181. 

(2)  Analyse  de  Saini-Prél.  Rome,  papiers  et  documeots,  24 . 

(3)  !•' février.  Rome,  181. 


EMPIÉTEMENTS    SUR  LkS    DROITS    DE    l'ÉGLISB  ll^ 

que  comme  des  séducteurs  qui  nont  rien  à  Itii  deinànder  que 
pour  augmenter  f  autorité  de  leurs  maîtres  par  la  dimiyiutiofi 
de  rhonneur  du  saint-siège,  ce  qui  fait  qiie,  quand  on  com- 
mence à  lui  parler,  on  remarque  facilement  qu'il  se  met  siir 
ses  gardes,  comme  pour  se  défendre  d!un  ennemi  (1),  prêt  à  la 
négative,  ou  tout  au  moins  à  éluder  sans  jamais  entrer  en 
matière  ou  discuter  une  affaire,  ne  voulant  pas  dire  qii'il 
pourrait  se  méfier  aussi  de  ses  forces  (2).  » 

Le  moment  était  en  vérité  bien  choisi  pour  faire  ces  ré- 
flexions !  Alexandre  VII  délibérait  sur  une  promotion  à  laquelle 
les  couronnes  devaient  participer.  Or,  sur  les  quatre  candidats 
des  princes  catholiques,  trois  étaient  tout  à  fait  indignes  ou 
incapables  de  porter  la  pourpre  avec  honneur  et  utilité  poiii' 
rÉglise,  tandis  que  tous  les  noms  proclamés  spontanément  par 
le  souverain  pontife  furent  salués  par  des  applaudissements 
unanimes.  Une  nouvelle  crise  de  sa  maladie  fit  même  avancer 
le  consistoire.  Alexandre  VII  travaillait  assidûment  avec  ses 
ministres  (3)  :  le  !•'  mars,  il  sortit  très  fatigué  d'une  Congré- 
gation tenue  devant  lui  pour  l'examen  des  évêques  ;  le  lende- 
main il  eut  une  hémorragie  qui  épuisa  ses  forces  et  Ton  crut 
qu'il  ne  passerait  pas  la  nuit.  Il  ordonna  lui-même  l'exposition 
du  Saint-Sacrement  et,  dès  qu'il  fut  mieux,  il  assembla  exlra- 
ordiiiairement  le   sacré  collège  (7  mars).  Il  déclara  d'abord 
les  quatre  candidats  réservés  inpetto  :  c'étaient  les  trois  nonces 
de  Vienne,   de  Paris  et  de   Madrid,    Giulio  Spinola,  Carlo 
Roberti  de'  Vittorii,  Vitaliano  Visconti,   et  Tauditeur  de   la 
Chambre,  Innico  Caracciolo.  Trois  chapeaux  furent  donnés 
aux  candidats  des  couronnes  :  le  comte  de  Thun,  prince-arche- 
vêque de  Salzbourg,  nommé  par  l'Empereur;  Luigi  Guglielmo 
Moncada,  des  ducs  de  Montalto,  par  l'Espagne,  et  le  duc  de 
Vendôme,  par  la  France.  Bonsy,  évêque  de  Béziers,  fut  écarté 
de  la  huitième  vacance  remplie  par  le  Vénitien  Delfino.  «  Le 
pape,  écrivit  l'abbé  de  Bourlemont,  a  voulu  que  la  promotion 
qu'il  vient  de  faire  et  que  Ton  tient  devoir  (^tre  la  dernière  qu'il 


(1)  Tout  cela  est  strictement  vrai. 

(i)  Au  roi,  !•»  mars  1607.  Rome,  181. 

(:);  Chauloes  au  roi,  22  février  1667.  Home,  181. 


120  CHAPITRE    QUATORZIÈME 

fera,  parût  désiatéressée,  tant  à  TégarJ  de  son  sang,  n'ayant 
fait  aucun  ni  de  ses  parents,  ni  de  leurs  proches,  quoiqu'il  y 
en  eût  qui  y  prétendissent,  qu*à  l'égard  même  de  leurs  confi- 
dents de  qui  ils  pouvaient  tant  tirer  d'aide  au  futur  conclave, 
Sa  Sainteté  ayant  déclaré  publiquement,  ainsi  qu'on  me  vient 
tout  présentement  de  dire,  qu'elle  avait  voulu  récompenser  ses 
ministres  vers  les  couronnes  et  ne  les  pas  laisser  à  la  discrétion 
d'un  successeur  qui  souvent,  ne  les  ayant  pas  mis  en  charge, 
oublie  leurs  services...  Sa  Sainteté  s'était  déclarée  qu'elle  les  a 
préférés  à  tout  intérêt  et  de  son  sang  et  de  sa  maison,  pour  aug- 
menter le  zèle  et  la  fidélité  des  ministres  du  saint-siège  par  cotte 
prompte  récompense,  ce  sont  les  mêmes  mots  que  le  pape  a 
dits  ce  matin  en  parlant  de  la  promotion  qu'il  fit  hier,  ce  qui 
s'est  aussitôt  publié  par  Rome,  de  quoi  Ton  a  loué  fort  Sa 
Sainteté  !...  »  Quant  à  l'auditeur  de  la  Chambre,  Innico  Carac- 
ciolo,  «  d'une  maison  illustre  du  royaume  de  Naples,  il  avait 
été  vingt  ans  clerc  de  la  Chambre,  sans  s'avancer  durant  les 
pontificats  d'Urbain  VIII  et  d'Innocent  X,  nonobstant  les 
continuels  services  qu'il  rendait  dans  la  charge  où  il  avait 
longtemps  été  fort  assidu...  Le  pape  le  nomma  en  même 
temps  archevêque  de  Naples  et  le  remplaça  par  M.  Acciajolo, 
Florentin,  clerc  de  la  Chambre,  qui  était,  dit  encore  Bourle- 
mont,  «  un  prélat  de  grand  mérite  et  qui  servait  depuis  long- 
temps avec  estime  (1).  » 

Le  duc  de  Chaulnes  ne  pouvait  applaudir  à  rien  de  ce  que  fai- 
sait Alexandre  VII  :  «  Toute  cette  cour,  dit-il,  est  dans  la  plus 
grande  consternation  du  monde  de  la  promotion  des  nonces, 
aussi  bien  que  tous  les  neveux  qui  n'ont  pu  y  servir  leurs 
amis.  La  vatiité  et  la  superbe  du  pape  lui  a  fait  prendre  cette 
résolution  pour  faire  dire  qu'il  ne  se  laisse  pas  gouverner,  et 
cette  action  justifie  un  peu  les  parents  de  ne  pas  faire  tout  ce 
qu'ils  devraient  (2).  »  Il  espérait  détourner  sur  lui-même  une 
partie  des  louanges  que  le  choix  des  nouveaux  cardinaux  at- 
tirait au  souverain  pontife.  Il  s'attribua  l'honneur  d'avoir  assez 
intimidé  le  pape  pour  lui  faire  écarter  ses  parents  et  des  amis 
personnels  :  il  n*en  croyait  rien  lui-mênu;,  puisque  les  trois 

(1)  A  LiooDe,  7  et  8  mars  1667.  Home.  181. 

(2)  A  Liuuuts  8  mars.  Romf.  181. 


EMPIÉTEMENTS    SUR    LES    DROITS    DE    L*ÉGL1SE  i2i 

nonces  et  Caracciolo  étaient  créés  inpetto  depuis  le  15  février 
de  l'année  précédente  et  que,  le  tour  des  couronnes  étant  re- 
venu, leur  part  était  réglée  d'avance.  Mais  le  duc  voulait  pré- 
venir le  reproche  de  n'avoir  rien  obtenu  pour  Bonsy  et  il  s'ex- 
cusait d'avoir  sacrifiéce  prélat,  dont  ilconsidéraitlanomination 
comme  impossible,  ajoutant  que  des  instances  plus  vives  au- 
raient inutilement  compromis  l'autorité  du  roi  (1).  Louis  XIV 
renvoya  sur-le-champ  le  courrier  avec  Tordre  d'employer  tous 
les  moyens  pour  arracher  au  pape  la  promotion  de  Bonsy  et 
dy  faire  concourir  le  cardinal  Chigi  par  promesses  de  protec- 
tion ou  menaces  de  ressentiment  (2);  et  voici  toute  la  recon- 
naissance que  la  promotion  de  Vendôme  lui  inspira  :  «  J'ai 
trouvé  assez  curieux,  écrivait-il  le  29  avril  (3),  ce  que  le  car- 
dinal Chigi  a  dit  à  Bigorre{4),  qui  lui  parlait  de  votre  part,  que, 
Sa  Sainteté  ayant  promu  le  cardinal   de   Vendôme,  c'était 
maintenant  à  moi  à  faire  quelques  pas  sur  le  sujet  des  grâces, 
ayant  plus  de  sujet  de  me  plaindre  de  la  dernière  promotion, 
pour  l'exclusion  de  M.  de  Béziers  et  pour  la  création  de  divers 
cardinaux  sujets   d'Espagne,  que  de  me  louer  de  celle  d'un 
Français  qui  m'était  due  par  justice  (o).  » 

(1)  A  Lionne,  7  mars;  au  roi  8  mar?.  îiome^  181. 

(2)  18  mars  1667.  Rome,  182. 

(3)  A  Chaulnes.  Borne,  183. 

(4)  L'un  des  secrétaires  de  M.  de  Chaulnes  :  la  plupart  des  dépêches  de 
l'ambassade  sont  de  sa  main.  C'est  Tabbé  de  Bigorre,  bien  connu  par  les  let- 
tres de  M">«  de  Sévigné.  Il  travaillait  auparavant  dans  les  bureaux  de  Lionne  ; 
mais  après  le  jugement  et  l'exécution  du  copiste  la  Panse,  employé  sous  ses 
ordres  et  convaincu  d'avoir  vendu  des  dépêches  à  un  ministre  étranger,  l'abbé 
de  Bigorre,  dont  la  vigilance  avait  été  en  défaut,  fut  disgracié.  (V.  Fiassan, 
Histoire  de  la  diplomatie  française,  t.  III,  p.  314).  Une  lettre  de  Lionne  lui- 
même,  du  21  mars  1664,  publiée  par  M.  Ulysse  Chevalier  {Lettres  inédites  de 
Hugues  de  Lionne,  Valence,  1879),  contient  un  récit  très  intéressant  de  cette 
affaire. 

(5i  Louis  XIV  ne  put  se  dispenser  d'un  remerciement  banal  pour  le  chapeau 
de  MercŒur,  mais  il  ajouta  :  <c  Nous  ne  pouvons  cependant  omettre  de  témoi- 
gner à  V.  B.  que  ce  ressentiment  aurait  été  complet  de  tout  point,  si  elle  eût 
en  agréable  de  comprendre  dans  la  môme  promotion  le  prélat  italien  que  le 
roi  de  Pologne  lui  avait  aussi  nommé,  parce  que  ledit  prélat  est  d'ailleurs 
fi  aflectiooné  pour  notre  service  qu'après  lui  avoir  donné  un  évêché  dans  ce 
royaume,  nous  l'employons  encore  dans  nos  propres  affaires  aux  pays  étran- 
gers... »  (I^  roi  au  pape,  1*^  avril  1667.  Rome,  182.)  —  Lionne,  dans  une  lettre 
du  môme  jour  au  cardinal  Chigi,  désigne  également  M.  de  Bonsy  sous  le  titre 
de  prélat  italien! 


122  CHAft>tTtiÉ    QUATdltZIÈMË 

Le  pape  désirait  consommer  son  œuvre  sans  délai  :  «Il  sem- 
blerait, dit  Machaut,  que  le  saint-père  voulût  se  réveiller  sur  la 
fin  (le  sesjourset  mourir  en  agissant.  Il  prétend  faire  un  consis- 
loire  samedi  pour  donner  le  chapeau  au  cardinal  Caracciolo... 
S'il  en  prend  la  résolution,  personne  au  monde  ne  le  pourra 
empêcher  de  Texécuter.  L'élat  de  sa  santé  est  très  mauvais  et, 
quoique  des  cardinaux  m'aient  dit  qu'il  paraissait  assez  de 
netteté  et  de  vivacité  dans  ce  qu'il  fit  et  ce  qu'il  dit  du  consis- 
toire, ils  ont  remarqué  que  son  corps  paraissait  être  celui  d'un 
cadavre,  les  yeux  morts,  enfin  les  signes  d'un  homme  qui  a 
peu  de  temps  à  vivre  (1).  »  Le  duc  de  Chaulnes  en  prenait  son 
parti  avec  son  cynisme  habituel  :  Le  pape  a  de  nouveaux  ac- 
cidents, écrivait-il  (2);  le  Saint-Sacremont  est  exposé.  «  Sa 
Sainteté  s'est  trouvée  plus  mal  depuis  deux  heures.  Elle  a 
communié  ce  matin  debout,  et,  en  qualité  de  vicaire  de  Jésus- 
Christ,  elle  s'est  servie  des  mêmes  paroles,  lorsqu'on  lui  a  de- 
mandé comment  elle  se  portait,  ayant  répondu  :  Consimimattm 
est!  Dans  peu  de  jours,  on  verra  la  fin  de  sa  prophétie.  » 

Le  nonce  Roberti,  élevé  au  cardinalat,  allait  donc  quitter  la 
cour  de  France,  à  laquelle  son  zèle  le  rendait  si  importun. 
Lionne  faisait  sans  cesse  au  duc  de  Chaulnes  des  contes  ridi- 
cules sur  ce  prélat,  espérant  qu'ils  se  répandraient  deFarnèse 
au  palais  et  dans  la  ville,  et  finiraient  par  affaiblir  son  crédit, 
mais  il  n'y  réussit  pas  :  aussi,  lorsque  l'ambassadeur,  encore 
peu  habitué  aux  procédés  de  Lionne  et  croyant  à  ses  fables, 
annonça  qu'il  travaillait  à  pousser  le  nonce  hors  de  France, 
mais  que,  pour  obtenir  sa  révocation,  il  avait  besoin  de  pro- 
duire une  plainte  formelle  du  roi  ou  du  secrétaire  d'État  (3), 

(1)  A  Liounc,  10  mars.  Home  y  182. 

(2)  Au  roi,  mtîiiio  jour.  Hotue,  182. 

(3)  Chaulnes  au  roi,  10  août  1U66  et  le  mémoire  joint  à  cette  dépèche. 
Home^  177.  —  Voici  une  Douvelle  et  curieuse  preuve  de  cette  perspicacité  qoi 
valait  '\  Roberti  la  liaiuc  de  Lionuc.  Le  duc  de  Chaulues  écrivait  à  ce  iiiiui«- 
tre,  le  2  mai  1670,  peu  de  jours  après  le  conclave  où  fut  élu  Clément  X  :  «•  Il 
faut  que  je  vous  didc  que  j'ai  été  surpris  des  lumières  du  cardinal  Roberti 
qui,  mot  pour  mot,  a  toujouis  dit  au  cardinal  Chigi  ce  qui  lui  arriverait^  mais 
/e  plus  surprenant  et  qui  était  le  plus  fâcheux^  est  qu'il  venait  dire  à  MM.  nos 
cardinaux  ce  qu'il  disait  au  cardinal  Ciiigi,  et  il  est  vrai  qu'il  parlait  si  juste 
de  nous  qu'il  semblait  qu'il  eût  vu  nos  lettres,  et  dans  tous  les  détours  il  lie 
s'i*st  pas  perdu  au  momeut.  »  (/<ome,  209.) 


EMPIÉTEMENTS   ^tlt    LES  DROITS   DE    l'ÉGLTSE  123 

LooisîlY  rSpdtidit  quô  Robcrti  a  se  bondilisait  mieux  et  plus 
modérément  »  ;  que  âa  présence  dans  le  royaume  ce  lui  était 
eotièremenl  indifférente  »  ;  que  la  demande  de  son  rappel  se- 
rait sans  doute  suivie  d*un  refus,  ou  ne  servirait  qu'à  le  faire 
nommer  plus  tôt  cardinal  (1),  et  qu'il  fallait  garder  le  silence 
sur  ce  sujet  (2).  Et,  lorsque  Tavis  de  la  promotion  parvint 
en  France,  Lionne  essaya  do  faire  oublier  son  attitude  hos- 
tile envers  un  «  homme  d'esprit,  agissant,  et  qui  savait  bien 
maintenir  en  France  Tautorité  et  les  droits  du  saint-siège  » , 
étroitement  lié  avec  le  plus  ancien  âtni  d'Alexatidre  VII,  le 
cardinal  PallaVicino  (3),  et  qui  allait  rentrer  à  Rome  avec  une 

(1)  Par  une  de  ces  distractioas  et  contradictions  qui  sont  fréquentes,  sous 
la  plume  rapide  et  prolixe  de  LioDoe,  il  écrit,  dans  la  même  dépêche^  que,  si 
le  DODce  est  devenu  plus  sage,  c'est  qu'il  «  voit  sa  fortuue  à  deux  doigts  de 
tt  perte.  >*  Or,  il  n'ignorait  pas  qu'il  était  créé  cardinal  in  petto  depuis  le  15  fé- 
Trier  1666. 

(2)  Le  roi  à  Chaulnes,  3  septembre  1666.  Rome,  178. 

(3)  Lionne  n'avait  jamais  cessé  de  courtiser  le  cardinal  Pallavicino,  ancien 
jétuite,  qu'il  avait  connu  autrefois  à  Rome.  Le  19  janvier  1662  {Rome,  144),  il 
ehirgeail  le  Père  Duneau  de  ses  compliments  c  les  plus  expressifs  »  pour  ce 
rardinal  :  «  J'ai  lu,  disait-il^  depuis  trois  mois,  deux  fois  de  suite  tout  son 
ouvrage  [VHistoire  du  concile  de  Trente]  et  je  Tai  trouvé  si  à  mou  goût  que  je 
ffl'eu  vais  le  recommencer  pour  la  troisième.  Je  ne  m'endors  plus  que  sur 
cette  lecture,  car  je  n'ai  pas,  à  mon  grand  regret,  d'autres  heures  a  y  donner. 
Je  TOUS  avoue  que  je  ne  croyais  pas  qu'il  y  eût  aujourd'liui  homme  vivant 
qai  écrivit  de  cette  force,  avec  une  si  grande  pureté  pour  la  diction,  si  grande 
netteté,  et  en  même  temps  de  vigueur  pour  les  conceptions.  Je  tiendrais  un 
bumme  fort  savant  qui  aurait  assez  de  mémoire  pour  ne  laisser  rien  échapper 
de  ce  qui  est  dans  cet  admirable  ouvrage.  Il  était  nécessaire  pour  le  public, 
et  pour  moi  en  avais-je  autant  de  besoin  qu'aucun  autre  pour  les  mauvaises 
iiopressions  que  m'avait  laissées  la  lecture  de  Fra  Paolo  que  je  confesse  qu'a- 
Taut  cela  je  tenais  pour  un  héros  d'érudition.  »  Lionne  promit  ensuite  au 
cardinal  de  lui  procurer  un  traducteur  français  de  son  livre.  11  lui  proposa 
Ittbbé  Gaudon,  qui  avait  élevé  et  instruit  ses  enfants  et  fait  deux   voyages 
en  Italie.  Le  11  avril  1665  {Rome,  168),   il  lui    apprend  qu'il  va  essayer  le 
talent  de  cet  abbé  en  lui  foisant  traduire  plusieurs  cahiers  :  «  M.  le  nonce, 
ajouta-t-il,  aura  sans  doute  déjà  fait  savoir  &  V.  E.  l'insolente  audace  d'un 
petit  écrit  volant  qui  se  faisait  ici  toutes  les  semaines  et  se  donnait  au  pu- 
blia, intitolé  le  Journal  des  savants.  Il  était  /'chappé  à  ce  téméraire  de  porter 
lossi  son  jugement  sur  l'ouvrage  de  V.  E.,  avec  la  plus  impnidfînte,  scanda- 
leuse et  injoste  critique  qui  se  puisse  concevoir;  mais,  dès  que  S.  .M.  eut  ap- 
pris k  chose  par  la  plainte  que  je  lui  en  fis,  elle  en  eut  tant  d'indignation  et 
de  courroux  qu'elle  interdisit  sur-le-champ  pour  l'avenir  la  continuation  dudit 
Journal,  qui  est  la  plus  sensible  mortification  qu'elle  pouvait  donner  à  Tau- 
Ceur.  •  —  Le  31  décembre  1666  {Rome,  117),  le  même  ministre  écrivait  en  ces 
termes  au  duc  de  Chaulnes  :  «  Ce  cai*diual  est  un  des  pliis  grands  hommes 


124  CHAPITRE  Ol'ATORZIÈME 

si  haute  dignité.  Le  courrier  de  l'ambassadeur  ayant  devancé 
celui  du  pape,  le  minisire  porta  lui-même  la  nouvelle  à  Ro- 
berti,  qui  était  encore  au  lit  et  qu'il  (ilréveiller  :  «  Nous  nous 
réchauffâmes  d'amilié,  écrit-il  au  duc  de  Chaulnes,  avec  quelle 
sincérité  de  sa  part,  je  vous  en  laisse  le  jugement.  Pour  moi, 
je  suis  d'une  humeur  à  être  toujours  bien  aise  que  tout  le 
monde  soit  content,  et  particulièrement  quand  je  n'ai  pas  oc- 
casion d'envier  la  forlune  de  personne  (1).  »  Le  roi  voulut  que 
le  présent  d'usage  qu'il  lui  destinait  fût  d'un  prix  supérieur  à 
ce  qu'on  y  mettait  jusque-là  (2),  et  l'ambassadeur  reçut  l'ordre 
d'entretenir  avec  lui  des  relations  courtoises.  Dîtes  au  cardinal 
Pallavicino,  écrivit  Louis  XIV  (3),  que,  quoique  mécontent  de 
son  ami  le  cardinal  Roberli,  je  veux  qu'il  parte  d'ici  satisfait. 
—  Mais  une  difficullé  de  cérémonial,  amenée  par  une  méprise 
de  l'introducteur  des  ambassadeurs,  ou  plutôt  par  la  malveil- 
lance persistante  de  la  cour,  l'empêcha  de  prendre  congé.  Ap- 
pelé à  Rome  en  toute  hâte,  il  ne  souffrit  pas  qu'après  avoir  été 
averti  de  sa  promotion  par  le  secrétaire  d'Etat  lui-même,  on 
lui  refusât  le  traitement  de  cardinal  chez  le  roi  et  chez  la  reine, 
sous  prétexte  que  le  bref  qui  accompagnait  la  barrette  n'était 
pas  encore  arrivé  :  il  exposa  respectueusement  mais  avec  fer- 
meté pourquoi  il  ne  laissait  pas  créer  un  précédent  préjudi- 
ciable à  ses  successeurs.  Lionne  craignit  que  le  sacré  collège 
ne  s'offensât  de  cet  incident,  et  recommanda  au  duc  de  Chaul- 
nes de  ne  rien  négliger  pour  prévenir  une  rupture  avec  ce 
cardinal,  mais  donna  cours  en  même  temps  à  son  ressentiment 
contre  lui  :  «  Il  a  voulu,  dit-il,  finir  son  emploi  comme  il  l'avait 
commencé  et  continué,  c^est-à-dire  aussi  mal  qu'il  se  puisse. 

de  ce  siècle,  et  pour  lequel  j'ai  la  dernière  considération.  U  me  semble  que, 
quand  vous  vous  conuaitrez  l'uu  l'autre,  vous  deviendrez  grands  amis,  et  trou- 
vez bon  que  je  vous  dise  que  vous  y  devez  faire  tous  vos  etlorls.  Vous  en  tire- 
rez mille  utilités,  et  pour  les  affaires,  et  pour  augmenter  et  coniirmcr  votre 
réputation  qui  est  déjà  fort  graude.  Certaineï;  clefs  de  montre  dans  les  coun 
doivent  être  gagnées  à  quelque  prix  que  ce  soit.  Je  mets  dans  ce  raDg-lù,  pré- 
férablement  à  tous  les  autres,  le  cardinal  Pallavicino,  le  Père  Cliva,  général 
des  Jésuites,  et  le  cavalier  Beruini.  Certains  accueils,  honneurs  et  distinctions 
faites  à  ce  dernier  vous  le  gagneront  entièrement.  » 

(1)  18  mars  16G7.  Rome,  182. 

(2)  Louvois  à  Lionne,  18  avril.  Ho7ne,  182. 

(3)  A  Cbaulues,  8  avril  IGtiT.  Hotne,  182. 


EMPIÉTEMENTS  SUR    LES    DROITS   DE    i/ÉGLISE  125 

et  avec  autant  d'impétuosité,  d'emportement  et  de  folie  qu'il 
se  puisse.  Il  ne  laisse  pas  d'être  fort  malin  et  je  comprends, 
par  les  discours  qu'il  tient  et  qui  me  reviennent,  qu'il  voudrait 
bien  tâcher  d'intéresser  le  sacré  collège  dans  sa  cause,  comme 
si  on  lui  avait  fait  ici  injure,  et  il  est  même  assez  plaisant  que, 
quand  il  a  commis  des  fautes  inexcusables  et  d'une  extrême 
imprudence,  il  prétend  avoir  matière  d'un  triomphe,  ou  tout 
au  moins  d'une  occasion,  en  arrivant  à  Rome,  comme  s'étant 
sacrifié  et  tout  méprisé  pour  la  gloire  et  Tinlérêt  du  corps 
dont  il  a  l'honneur  d'être,  quoique  indignement  (1).  »  La  cour 
de  France  ne  pouvait  cependant  lui  reprocher  que  d'avoir  été 
un  fidèle  ministre  du  saint-siège  et  ne  lui  avoir  fourni  que 
trop  d'occasions  d'exercer  sa  vigilance.  Indépendamment  des 
usurpations  déjà  signalées,  il  avait  eu  tous  les  jours  à  com- 
battre de  nouveaux  empiétements  du  pouvoir  séculier  sur  l'É- 
glise. 

Ainsi,  tout  en  sollicitant  des  induits  pour  étendre  aux  der- 
nières conquêtes  le  Concordat  de  1315,  le  roi  dérogeait  à  la 
loi  sous  laquelle  ces  pays  étaient  placés  et  mettait  des  intrus 
en  possession,  sans  attendre  que  le  pape  se  fût  déclaré. 

Louis  XIV,  à  l'instigation  de  Colbert,  qui  devançait  les  éco- 
nomistes, avait  ordonné  aux  évOques  de  supprimer  un  certain 
nombre  de  fêtes,  et  les  prélats,  se  pliant  peu  à  peu  à  la  supré- 
matie royale,  avaient  obéi,  sans  consulter  le  pape.  Chaulnes 
avertit  la  cour  de  l'éclat  produit  à  Rome  par  cette  nouvelle  : 
('  Il  est  vrai,  répondit  Louis  XIV  (i),  que  j'ai  exhorté  tous  les 
évêques  de  mon  royaume  à  retrancher  le  grand  nombre  de 
fêtes  qui  s'est  introduit  )>  ;  ce  sont  des  occasions  de  débauche 
et  qui  ôtent  au  peuple  la  liberté  de  gagner  sa  vie.  «  Tous  les 
évêques  ont  reconnu  ces  vérités  et  ont  déjà  satisfait  à  mon 
désir,  ut  le  nonce  ni  la  cour  de  Rome  ne  peut  rien  avoir  à  dire 
à  cela,  lo  pape  Urbain  Vlll,  par  une  de  ses  bulles,  ayant  avoué 


;1)  La  correspondance   entre  Robert! ,  Lionne  et  le  roi,  sur  cette  affaire 

Home,  183),  mérite  dt^tre  lue,  ai  Ton  vent  savoir  ce  que  Lionne  traite  d'impé- 

tuotnt^i  iï emportement  et  de  folie!  V.  notamment  :  Koberti  au  roi,  2:{  avril; 

Lionne  au  roi  et  au  nooce,  2-1  avril  ;  Lionne  au  nonce  et  à  Cliaulncs,  25  avril  ; 

Roberii  à  Lionne,  môme  jour. 

(2)  1  janvier  1667.  Ko/ne,  181. 


12fii  GHAPITRIi:   QUATORZIÈME 

que  ce  pouyoïr-là  appartenait  dans  chaque  diocèse  à  son 
évèque,  qui  en  reconnaîtra  d'ailleurs  mieux  que  personne  les 
besoins  et  les  scandales  (1).  » 

C*était  le  moment  où  Colbert  poursuivait  aussi  avec  le  plus 
d'ardeur  ses  entreprises  contre  les  ordres  religieux,  aux 
dépens  desquels,  en  attendant  leur  destruction,  il  enrichis- 
sait son  innombrable  parenté.  Il  avait  notamment  conseillé 
au  roi  de  prévenir  un  grand  nombre  de  vocations  monasti- 
ques en  retardant  rémission  des  vœux,  a  M.  Roberti,  disait 
rambassadeur  (2),  a  écrit  fortement  au  pape  contre  une  dé- 
claration que  Votre  Majesté  veut  faire  pour  que  dorénavant 
les  hommes  ne  fassent  plus  profession  qu'à  vingt-cinq  ans 
et  les  filles  à  vingt...  »  Lionne  écrivait  de  son  côté  :  Le 
nonce  me  parle  encore  «  d'un  prétendu  projet  d'édit  »  contre 
le  concile  de  Trente  et  Tordonnance  de  Blois.  S'il  y  a  des 
abus,  dit-il,  le  pape  y  considérera  «  pour  contenter  Sa  Ma- 
jesté; autrement,  si  on  voulait  mettre  la  main  à  Tencensoir, 
Sa  Sainteté  ne  le  souiïrira  point,  et  cela  serait  même  capable 
de  produire  un  schisme.  Voilà  la  substance  de  ce  qu'il  m'a  dit.  » 
Je  réponds  qu'il  a  eu  tort  d'envoyer  à  Rome  un  papier  volant, 
quoique  en  forme  d'édit:  c'est  un  simple  projet.  Le  roi  ne  s'est 
déterminé  à  rien  et  ne  veut  faire  que  ce  qui  est  en  son  pouvoir. 

Le  nonce  était  exactement  informé,  et  le  projet  n'était  que 
trop  sérieux.  Au  mois  de  décembre  1666,  Olivier  d'Ormesson 

(1)  Urbaiu  VIU  n  a  jamais  dit  que  les  ordioaires  pussent  abroger  des  ca- 
DODs  do  discipliue  géuérale,  mais  «^ouiement  que  chaque  évêque  a  le  droit 
d'accorder  rcrtaines  dispenses,  suivaDt  les  temps,  les  lieux  et  les  personnes, 
et  qu'il  a  des  pouvoirs  plus  étendus  sur  rétablissement  et  le  maintien  de 
fêtes  purement  locales.  —  11  n'y  avait  pas  alors  jusqu*à  Lionne  qui  ne  voulût 
régler  par  l'autorité  du  roi  le  comput  eccléMasIique  :  «  J'ai  vu,  écrivait*il  k 
Retz  le  5  mars  1666  {Wrmey  \T6),  le  raisonnement  de  Franccsco  Lenora  sur  le 
calcul  de  Clavius  [l'un  des  auteurs  du  calendrier  grégorien],  touchant  le 
temps  de  la  célébration  de  Pâques,  et  il  me  partit  si  convaincant  pour  obliger 
à  avancer  celle  année  le  commencement  du  carême  dun  mois  entier^  que  je 
pris  la  liberté  d'en  parler  fortement  en  ce  sens-là  à  S.  A/.,  présupposant 
qu'il  était  certain,  comme  le  soutient  ledit  Lenora,  que  le  soleil  doive  entrer 
dans  le  premier  degré  d'Aries  six  heures  avant  la  pleine  opposition  de  la  lune 
à  son  corps;  et,  à  dire  vrai,  je  ne  vois  pas  comment  les  Jésuites,  pour  soute- 
nir un  calcul  fnit  par  un  de  leurs  pères  [Claviusj,  voudront  on  oseront  s'op- 
poser a  la  véritable  intention  du  concile  de  Nicce.  » 

(2)  Au  roi,  1"  février  1667.  Borne,  181. 


EMPIÉTEMEtfTS   SUR    LES   DROITS    QB   l' ÉGLISE  127 

notait,  d{^ns  son  Journal,  pne  déclaration  royale,  affranchis- 
sant de  la  taille  les  pères  roturiers  qui  auraient  dix  enfants, 
«  pourvu  qu'il  n'y  en  eût  aucun  ni  prêtre  ni  religieux  »,  et  il 
ajoutait  :  «  L'on  consulte  présentement  comment  on  dressera 
une  déclaration  pour  retarder  les  vœux  des  religieuses  et  reli- 
gieux, etc.  C'est  encore  pour  en  diminuer  le  nombre,  comme 
de  gens  inutiles.  Von  a  allégué  sur  cela  les  exemples  d Angle- 
terre et  ffollande(i),  où  ilnyapoint  de  religieux.  Cela  étonne 
quelques  g^n$.  »  Peu  de  temps  après,  le  même  magistrat  con- 
signait encore  un  souvenir  précieux:  Le  P.  Cossart,  jésuite, 
«  me  dit  que  M.  le  nonce  était  venu  voir  le  P.  Annat  (2);  qu'il 
Tavait  entretenu  et  que  M.  le  nonce  était  fort  emporté  sur  la 
déclaration  des  vœux;  qu*il  était  résolu  de  dire  au  roi  que  si, 
comme  prince  trè3  chrétien,  il  ne  voulait  pas  déférer  aux  con- 
ciles et  à  rÉglise,au  moins  il  suivît  les  exemples  d'Angleterre, 
où  le  roi,  qui  se  prétendait  chef  de  TÉglise,  consultait  néan- 
moins les  évèques  sur  les  affaires  spirituelles;  les  Hollandais 
leurs  ministres;  le  Turc,  le  moufti,  et  qu'au  moins  le  roi  devait 
considérer  le  pape  comme  le  moufti  ;  que  fon  soutenait  en 
France  que  le  concile  était  au-dessus  du  pape,  mais  qu'il  fallait 
ajouter  le  roi  au-dessus  du  concile;  que,  pour  une  affaire  pure 

(1)  V.  dans  les  Mémoires  du  Père  R&pin^  t.  UI,  p.  385  et  s.,  Thistoirô  des 
relations  de  Colbert  avec  le  Hollandais  protestant  Caron,  qui,  mécontent  de 
9on  pays,  entra  au  service  du  roi  et  fut  nommé  directeur  général  de  la  Com- 
I>agnie  des  Indes  orientales  :  '<...  Ce  fut  dans  ces  longueurs  d'entretiens  à  Paris 
et  à  Saint-Germain,  que  pe  ministre  lui  ayant  demandé  par  où  le  commerce 
avait  si  bien  réussi  eu  Hollande  et  par  où  il  pouvait  réussir  de  la  sorte  eu 
France,  cet  homme,  qui  avait  peu  de  religion,  lui  dit  qu'il  fallait  commencer 
par  abolir  en  France  le  nombre  énorme  des  religieux,  ce  qui  ne  serait  pas 
•iifficile  en  retardant  les  vœux  de  religion  et  les  faisant  dififérer  jusqu'à  vingt- 
cinq  et  trente  ans  par  ordonnance  du  roi,  diminuer  le  nombre  des  ecclésias- 
tiques et  supprimer  les  fêtes,  lesquelles  ne  servaient,  au  compte  du  bourgeois 
de  Hollande,  qu'à  entretenir  l'oisiveté  et  la  fainéantise  daus  un  Étal.  Colbert, 
rbarmé  de  ce  raisonnement  conforme  à  son  esprit  né  au  travail,  formait  déjà 
de  grands  projets  de  réforme  dans  la  religion,  el^  comme  il  sentait  sa  force 
auprès  de  son  mattre,  qui  lui  avait  déjà  abandonné  une  partie  de  son  auto- 
rité, «ans  prendre  conseil  de  personn»*,  il  fit  proposer  à  l'archevêque  de  Pa- 
ri^, de  la  part  du  roi,  s'il  n'y  avait  pas  moyen  de  retrancher  les  fêtes  et  de 
faire  on  modèle  de  cette  réforme  qui  put  servira  tous  les  prélats  du  royaume. 
Ce  secret,  avec  celui  du  retardement  des  vœux,  ne  fat  pas  plus  tôt  su  qu'on 
en  murmura...  » 

(2)  Confesseur  du  roi. 


128  CHAPITRE  QUATORZIÈME 

spirituelle,  le  roi  ne  consultait  que  des  personnes  laïques  ;  que 
Ton  aurait  le  schisme  ;  car  assurément  le  pape  le  ferait,  et  lui 
se  retirerait;  qu'il  l'avait  dit  à  M.  Tarchevêque,  qui  devait  en 
parler  au  roi  (1).  »  Le  duc  de  Chaulnes  écrivait  :  «  M.  Roberti 
n'a  pas  aussi  écrit,  mais  fulminé  contre  la  déclaration,...  et 
n'a  pas  oublié  de  parler  de  M.  Talon,  comme  étant  Tauteur 
de  toutes  les  délibérations  de  Votre  Majesté,  et  une  personne 
qui  voulait  établir  sa  réputation  sur  le  débris  de  l'autorité  du 
saint-siège  (2).  »  C'était  encore  vrai  :  les  énergiques  protes- 
tations de  Roberti  arrêtèrent  cette  entreprise.  Le  premier  pré- 
sident Lamoignon,  invité  h  donner  son  avis  par  écrit,  «  sur 
le  dessein  de  la  réduction  des  vœux  des  religieux  et  reli- 
gieuses, »  répondit  «  que  le  roi  n'y  pouvait  toucher  (3)  »,  et 
Louis  XIV  parut  abandonner  une  partie  de  ses  projets  :  «  Je 
fus  arrêté,  dit-il  dans  ses  Mémoires,  par  ces  sentiments  de 
respect  que  nous  devons  toujours  avoir  pour  TEglise,  en  ce 
qui  est  de  sa  véritable  juridiction,  et  je  me  résolus  de  ne  dé- 
terminer ce  point  que  de  concert  avec  le  pape,  et  néanmoins 
en  attendant  que  je  l'en  eusse  informé,  je  voulus  empêcher  le 
mal  de  croître  par  tous  les  moyens  qui  dépendaient  de  moi... 
Ainsi,  je  défendis  tous  les  nouveaux  établissements  de  monas- 
tères; je  pourvus  à  la  suppression  de  ceux  qui  s'étaient  faits 
contre  les  formes,  et  je  fis  agir  mon  procureur  général  pour 
régler  le  iiombre  des  religieux  que  chaque  couvent  pouvait 
porter  (4).  » 

Ne  pouvant  pas  détruire  les  ordres  religieux,  la  puissance 
civile  subordonnait  leur  régime  à  ses  caprices.  Elle  donnait 
en  ce  moment  même  aux  abus  de  lacommendo  une  extension 
qui  équivalait  à  une  confiscation  partielle  du  patrimoine  ecclé- 
siastique. Voici  ce  que  Lionne  écrivait  comme  une  chose  toute 
simple  au  cardinal  de  Retz  (5)  :<(...  Puisque  je  suis  tombé  sur 
les  moines,  je  m'estimerai  infiniment  heureux  si,  dans  la  dé- 
cision d'un  grand  procès  que  j'ai  gagné  contre  qu^  celte  se- 

(1)  T.  II,  p.  480  et  499. 

(2)  Au  roi,  8  février  1667.  Home,  181. 

(3)  0.  d'Ormessou,  p.  486  et  490. 

(4)  Edit.  de  1806,  t.  II,  p.  270. 

(5)  3  juillet  1666.  Rome,  177. 


EMPIÉTEMENTS    SUR   LES    DROITS    DE    LÉGUSE  129 

maine  au  Grand  Conseil,  j'avais  quelque  chose  dont  Votre 
Eminence  pût  retirer  de  l'avantage  en  son  abbaye  de  Saint- 
Denis.  Le  fait  était  que  les  religieux  de  Marmoulier,  de  leur 
propre  aveu,  jouissaient  de  cinquante  mille  livres  de  rente 
depuis  une  transaction  qu'ils  firent  avec  M.  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu, et  Tabbé  seulement  de  dix  mille.  Jusqu'ici  tous  les 
moines  ont  prétendu  qu'il  n'y  avait  qu'eux  qui  pussent  de- 
mander la  partition  quand  ils  étaient  lésés.  V arrêt  que  j'ai 
obtenu,  qui  va  servir  de  loi  à  tout  le  royaume ^  a  décidé  que  les 
abbés  commendataires  ont  le  même  droit  :  la  transaction  faite 
avec  M.  le  cardinal  de  Richelieu  a  été  cassée, et  il  sera  fait  une 
partition  en  trois  lots  de  tout  le  revenu  de  l'abbaye,  dont  il  en 
appartiendra  deux  à  l'abbé,  à  condition  d'acquitter  les 
charges...  Les  moines  ne  sont  pas  à  se  repentir  d'avoir  laissé 
pousser  l'affaire  jusqu'au  bout  sans  l'accommoder  à  quelque 
prix  que  ce  pût  être,  car  on  juge  que  le  même  jour  de  leur 
condamnation  27«  ont  perdu  cent  mille  livres  de  rente.  » 

La  couronne  ne  respectait  pas  plus  la  discipline  des  ordres 
religieux  que  leurs  biens.  Le  roi,  disait  Lionne  dans  la  même 
lettre  que  nous  venons  de  citer,  s'oppose  absolument  à  l'érec- 
tion d'une  nouvelle  congrégation  de  chanoines  réguliers  de 
Saint- Augustin,  sollicitée  à  Rome  par  Tévêque  de  Cahors  :  c'é- 
tait le  we/o  royal  mis  au  développement  de  la  belle  réforme  de 
Chancelade,  commencée  par  Alain  de  Salminhiac,  évêque  de 
Cahors,  mort  en  1659,  et  continuée  par  son  successeur. 

Louis  XIV  avait  récemment  forcé  les  moines  de  Prémontré 
d'élire  pour  abbé-général  un  parent  de  Colbert,  et  il  exigeait 
que  Rome  validât  une  élection  entachée  des  vices  les  plus 
criants  :  !<"  Tabbaye  dépendait  immédiatement  du  saint-siège 
et  le  P.  Lescellier,  ancien  général,  aurait  dû  se  démettre  entre 
les  mains  du  pape  ;  2®  l'élection  avait  eu  lieu  en  présence  d'un 
commissaire  royal,  ce  qui  était  défendu  même  par  le  concile 
de  Trente;  3*  elle  avait  été  imposée  parle  P.  Lescellier  et  faite 
par  compromis;  i""  elle  était  simoniaque,  l'cx-abbé  ayant  sti- 
pulé une  pension:  5*  enlin  le  P.  Colbert  n'avait  pas  l'âge  ca- 
nonique. Notre  demande,  écrivait  le  duc  de  Chaulnes,  est  en- 
travée par  «  ce  démon  de  P,  Caret,,.  Un  exemple  est  nécessaire, 
parce  qu'il  y  aura  toujours  des  oppositions  dans  ces  sortes 

LOUIS  XIT  R   LE  SAIFIT-SIÈOB.  —  l\.  9 


i3Û  CHAPITRE  OUATORZIÈMK 

d'aifaires,  cl  que  V impunité  donnera  des  forces  conlre  les 
volontés  du  roi...  Je  croirais  que,  dans  le  dessein  de  Texéculer 
ou  non,  il  faudrait  faire  savoir  à  M.  le  nonce  que,  sur  le  refus 
de  cette  grâce,  il  est  facile  de  maintenir  en  justice  (1)  le  R.  P. 
Colbert;  que  cela  pourrait  faire  ici  beaucoup  d'effet,  parce 
qu*ils  se  verront  hors  d'espérance  d'une  nouvelle  élection  (2).  » 
Vainement  le  pape  supplia  le  roi  de  ne  pas  donner  suite  à  une 
entreprise  qui  bouleversait  un  institut  répandu  dans  plusieurs 
Étals:  (t  Lorsque  nous  avons  reçu,  dit-il,  la  lettre  de  Votre 
Majesté  du  17  février  dernier  sur  raffairede  Prémontré,  nous 
avons  tout  de  suite  reconnu  qu'il  s'était  passé  dans  celte  élec- 
tion des  choses  qui  sont  un  empêchement  grave  à  ce  qu'elle 
soit  confirmée  :  cependant  nous  avons  confié  à  une  commis- 
sion spéciale  de  prélats  aussi  pieux  que  savants  le  soin  d'exa- 
miner s'il  y  aurait  quelque  moyen  légitime  de  répondre  favo- 
rablement à  la  requête  et  à  vos  instances.  En  même  temps 
nous  avons  résolu  de  consulter  des  hommes  d'une  fidélité  et 
d'un  zèle  éprouvés,  qui  ont  une  connaissance  approfondie  de 
cette  matière  et  de  tout  ce  qui  regarde  Tordre  de  Prémontré, 
dont  les  maisons  sont  établies  dans  plusieurs  Etats  et  pro- 
vinces de  la  chrétienté,  et  les  réponses  obtenues  nous  ont 
convaincu  qu'une  élection  ainsi  faite  ne  saurait  être  validée 
sans  un  grand  scandale  et  sans  exposer  cet  ordre  religieux  à 
une  grave  perturbation  :  notre  nonce,  l'archevêque  de  Tarse, 
en  dira  les  raisons  à  Volro  Majesté.  En  conséquence,  noUî» 
aimons  à  croire  que  votre  piété  insigne  et  si  naturelle  à  votre 
âme  royale  ne  voudra  pas  sacrifier  à  des  intérêts  particuliers 
le  repos  et  la  prospérité  d'un  ordre  tout  entier,  d'autant  plus 
que  le  requérant  peut  conserver  Tcspoir  d'arriver  à  cette  dignité 
par  une  meilleure  voie,  en  sûreté  de  conscience  et  avec  ac- 
croissement de  considération.  Notre  nonce  a  l'ordre  de  vous 
exposer  verbalement  notre  pensée,  et  nous  vous  prions,  cher 
fils,  d'avoir  en  lui  une  entière  confiance.  Cependant  nous 
prions,  etc.  (3). . .  »  Le  jour  où  partait  ce  bref,  l'abbé  de  Machaul 

(1)  C*e»t-à-(liru  par  un  arrêt  du  ConHcil  el  par  la  Torce  publique. 

(2)  Chaulnos  à  Liouiic,  27  sopleuibro  16G0.  Home^  178. 

(3)  Le  pape  au  roi,  de  Gaslcl-Gaudoifo,  t)  iioyeiiibrc  1G66  :  »  Ubi  primum 
pcrlegiaius  litteras  Majcslati»  Tu(c    de  negoUo  fratrum  PreBmoustratentiatD 


EMPIÉTEMENTS    SUR   LES   DROttB   DE    L  ÉGLISE  131 

écrivail  à  Lionne  pour  en  détourner  TefTet  (1)  :  «  Si  M.  le  nonce 
a  quelque  réponse  fâcheuse  sur  les  propositions  qu'il  vous  doit 
faire  touchant  la  grâce  de  M.  de  Prémontré,  il  est  certain  que 
cela  fera  un  effet  admirable,  et  non  seulement  le  ressentiment 
doit  rester  sur  sa  personne,  mais  il  serait  nécessaire  qu'on  sût 
ici  publiquement  qu'il  eût  été  porté  avec  éclat.  Ce  leur  serait 
des  matières  dures  à  digérer  :  ce  seraient  des  coups  à  vous 
attirer  des  bénédictions  de  tout  le  monde>  si  Ton  savait  combien 
peu  de  cas  on  fait  d'un  pape  qui  n*agit  que  par  passion  (2)...  » 
Et  en  effet  Lionne  écrivait  aussitôt  à  Tambassadeur  :  u...  Il  se 


die  xvu  febr.  dalas,  etai  staUm  electionis  forma  et  alla  secus  io  eA  gesta  con- 
firmaUoDi  petitœ  noQ  paruia  adversari  Tidebantur,  tameu,  ut,  si  quA  ratione 
recti  posset,  postulatts  studloque  tuo  satisfleretf  rem  banc  divertis  pietate  aô 
doctriuà  prsttaDtium  prœlatorum  coDgregatioQlbuSj  ad  id  specialiter  députai 
tis,  accurate  discutiendam  commisimus.  Proeterea  uonouUos  alios  indubiœ  flde- 
xelique  tItos,  qaibus  tam  hujusmodi  causa  quam  uniyersae  res  ordinis  Prtn- 
monstrateosit  per  varia  régna  et  provincias  cbristlanas  diffusi  penitus  co- 
gDits  perspeotffique  foreut,  audire  voluimus,  et  ex  omoi  parte  comperimus  elec- 
tiouem  ita  peractam  absque  gravi  scaudaio  et  religionis  illius  magnA  pertur- 
batione,  rationibus  a  venerabili  fratre  arcbiepiscopo  Tarsensi  ountio  nostro 
MajestaU  Tu»  signlficandis,  confirmari  non  posée.  Porro  non  dubitamus  quiu 
eximia  et  ingenita  pietas  animi  regii  tui  quietem  et  booum  totius  illius  ordi- 
nis privalis  electi  rationibus  anteferri  malit;  eoque  sane  magis  quod  ipsi  spes 
Donauferatur  dignilatis  hujus  potiore  via  cum  animœ  securitate  et  incremento 
existimatioois  obtln^ndee.  Sed  cuncta  coram  latins  nuntius  edisseret  cul  fl- 
dem  ooinem  a  te,  carissime  fili  noster,  babere  plane  cupimus.  Intérim  assi- 
duam  divinœ  clementiee  protectionem  et  cnstodiaui  Majcstatis  Tuae  preca- 
mur...  •  {Rome,  119.) 

(i)  9  novembre  1666.  Rome,  179. 

(2)  Macbaut  nous  apprend  le  mobile  du  zèle  que  le  duc  de  Chaulnes  déploya 
dans  cette  affaire  :  «  L'on  nous  mande  de  Paris  et  de  plusieurs  endroits  que 
M.  Colbert  a  quelque  pensée  de  marier  sa  fille  avec  M.  de  Cbevreusc,  et  qu'od 
avait  jeté  les  yeux  sur  M.  de  Chaulnes  pour  être  gouverneur  de  M.  le  dauphin. 
An  sortir  de  Tambassade,  ce  serait  une  a^çréable  chute.  »  (A  Lionne,  2  novem- 
bre 1666.  Romey  179).  —  M.  de  Chevreuse  était  le  neveu  et  l'héritier  de  M.  de 
Chaolnei,  et  le  mariage  se  fit  eu  effet.  L*ardeur  de  Tambassadeur  à  défendre 
la  scandaleuse  élection  du  Père  Colbert  dut  être  encore  singulièrement  sti- 
mulée par  la  lettre  suivante,  déjà  publiée  dans  les  Œuvrea  de  Louis  XIV,  t.  V, 
p.  402  :  Le  roi  an  duc  de  Chaulnes,  i«r  janvier  1667  :  «  .Mon  cousin,  j*ai  conclu 
le  mariage  du  sieur  de  Chevreuse  avec  la  fille  atnée  du  sieur  Colbert,  et 
comme  j'attache  par  ce  moyen  le  chef  et  seul  héritier  mâle  de  votre  maison  à 
celle  d*un  homme  qui  me  sert  dans  mes  plus  importantes  affaires  avec  le  zèle 
et  le  succès  que  (ait  ledit  sieur  Colbert,  j'ai  bien  voulu  vous  donner  moi-même 
avis  dé  cette  alliance,  et  je  m'assure  que  vous  prendrez  part  à  la  satlsfacUon 
qae  les  denx  familles  en  témoignent.  » 


132  CHAPITRE    QUATORZIÈME 

voit  clairement  que  le  pape  ne  veut  point  changer  de  conduite 
en  aucune  chose  à  Tégard  du  roi.  Sa  Majesté  ne  soaffrira  pas 
que  l'on  remette  TaiFaire  à  une  nouvelle  élection  et  proté- 
gera celle-ci,  dont  les  moyens  ne  lui  manqueront  pas,  jusqu  à 
ce  que  nous  ayons  un  pontificat  plus  favorable,  et  où  on  aime 
mieux  contenter  et  obliger  un  grand  roi  que  de  découvrir  les 
fautes  des  impressions  de  Martial  (1) ...  » 

Lorsque  l'archevêque  de  Tarse  fut  rappelé  à  Rome  pour  re- 
cevoir le  chapeau,  il  se  préparait  à  défendre  les  institutions 
monastiques  contre  les  nouveaux  coups  dont  la  couronne  les 
menaçait.  C'est  le  18  avril  que  le  cardinal  Roberti  écrivit  la 
lettre  suivante  aux  deux  ministres  le  Tellier  et  Lionne  :  «  Je 
viens  do  lire  un  arrêt  du  Parlement  qui  parait  avoir  été  rendu 
le  i  de  ce  mois,  et  dont  l'intitulé  est  ainsi  conçu  :  Arrêt  de  la 
cour  du  Parlement  ordonnant  qu'il  sera  procédé  à  la  réforme 
des  quatre  ordres  des  religieux  ordinairement  appelés  Meti- 
diants  et  faisant  défense  aux  supérieurs  et  supérieures  de  tous 
les  monastères  de  recevoir  aucunes  choses  pour  la  réception  des 
novices  à  f  habit  et  à  la  profession,  etc.  11  est  imprimé,  et  quoi- 
que Ton  m'ait  dit  qu'il  ne  sera  pas  publié,  je  crois  néanmoins 
do  mon  devoir  <le  prier  de  nouveau  Votre  Excellence  de  me 
procurer  une  audience  de  Sa  Majesté,  afin  que  je  l'informe 
des  sentiments  de  Sa  Sainteté  sur  les  inconvénients  et  les 
graves  p<»rturbations  qu'entraînerait  infailliblement  la  publica- 
tion d'un  pareil  arrêt.  En  attendant,  je  ne  veux  pas  tardera 
informer  Votre  Excellence  que,  si  Sa  Sainteté  est  résolue, 
conmieje  le  sais,  à  ne  permettre  en  aucune  manière  que  le 
pouvoir  séculier  détermine  l'Age  nécessaire  pour  la  profession 
religieuse,  elle  tolérera  encore  moins  qu'on  imprime,  à  la 
suite  d'un  libelle  dilTamatoire  contre  le  clergé  français,  une  dé- 
fense expresse  de  recevoir  des  religieux  de  quelque  âge  que 
ce  soit.  Je  supplie  Votre  Excellence  de  solliciter  pour  moi  une 
audience  de  Sa  Majesté.  Je  connais  la  grande  piété  et  bonté 
du  roi.  et  je  me  promets  que,  quand  il  saura  mes  raisons  el  les 


Vl)  AHu»loii  aux  ciiuiiorio8  intimes  du  ^uipe  avec  quelques  amis  lettrés.  (Tesl 
daué  ctUe  mt'^moa^pècho  queLiouue  exprimait lespéMnce  de  voir  le  seigneur 
décamfter  hieuliM.  {K  Cliaulues,  26  novembre  1666.  Rome,  179.) 


EMPIÉTEMENTS    SUR    LES    DROITS   DE   L'ÉAUSE  133 

dangers  d'une  pareille  publication,  il  voudra  bien  commander 
au  Parlement  d'abandonner  cette  entreprise  (i)...  » 

(1)  Le  cardinal  Roberti  à  le  Tellier,  18  avril  1667.  «  Illastriesimo  et  Eccel- 
lenUasimo  Signore,  baveodo  letto  un  arresto  délia  corte  del  Parlameoto  che 
si  BuppoDe  fatto  sotto  li  K  aprile,  il  cui  titolo  è  :  Arrest  de  la  cour  du  Parle- 
ment, etc.,  ilquale  ë  stampatci,  benche  mi  vengbi  supposto  che  non  sia  pub- 
biicato,  bo  perd  stimato  mio  débite  pregare  di  nuovo  Vostra  Eccellenza  d'im- 
petrarmi  l*udienza  dalla  M.  S.  per  rappresentargli  li  sentimenti  di  Sua  Santità 
e  gli  incoDvenienti  e  disturbi  grandi  che  sono  indubitabilmente  per  nascere, 
le  tal  arresto  si  publicà.  In  tanto  non  voglio  tralasciare  di  dire  a  Vostra  Ec- 
cellenza che,  sapendo  io  cbe  la  Santità  Sua  non  havrebbe  in  alcun  modo 
sofferto  che  da  podestà  secolare  si  volesse  prescrivere  gli  anni  per  fare  le  pro- 
feftsioni,  mollo  meno  potrà  soffrire  che  si  veda  impresso  doppo  un  libello  in- 
famatorio  contre  gli  ecclesiastici  di  Francia,  un  ordine  e  prohibitione  di  non 
potere  ricever  religiosi  di  alcun  età.  Supplico  perô  Vostra  Eccelleuza  ad  im- 
petrarmi  Tudienza  dalla  M.  S.  perche  confido  nella  somma  pietà  e  bontà  délia 
medesima,  che,  quando  bavera  sentito  le  ragioni  e  gli  inconvenienti  grandi 
che  potrebbe  portare  la  pubblicatione  di  un  simil  arresto,  si  degnara  comman- 
dare  al  parlamento  che  désista  da  uoa  simil  impresa,  etc.  ».  —  Même  jour,  lettre 
IdeoUque  à  Lionne. 


CHAPITRE  QUINZIÈME 

CE  qu'il  y  avait  sous  hk  POLITESSE  SI  VANTÉE  DE  LOUIS  XIV.  — 
MALADIE  D'ALEXANDRE  VU  :  SES  ADIEUX  AU  SACRÉ  COLLÈGE  *.  SA 
MORT,  22  MAI  1667. 


Leduc  et  la  duchesse  deChaolnes  comblée  d'hunneurR  et  do  grâces  par  Aletandre  Vfl  :  coronrat 
ils  y  ont  répundu  l'un  et  Tautro.  Ipcideot  det  fruit»  dé  cire  onvoyrs  par  le  pape  à  TambuM- 
drice.  Caractère,  mœurs  et  langago  des  habitués  du  palais  Farnëse.  —  PraachiMs  et  quartiers  : 
Chaulnos  renonce  bieuUil  à  la  modération  den  premiers  jours.  Suisse  Uie  en  pluiu  Vatican  : 
le  netirtrier  recelé  à  Famèsc.  Sbires  tués  et  blessa  par  los  Français  :  mauvaise  foi  et  cmanté 
de  l'ambassadeur  ;  aveui  de  l'ablié  do  Mâchant.  —  Le  duc  de   Chaulnes  réveille  l'affaire  de 
Castro  :  il  y  cherche  un  prétette  de  menacer  le  cardinal  Chigi  et  de  persécuter  Alexandre  VII 
jusqu'à  son  entrée  en  agonie.  —   Par  ordre  du  roi ,  les  cardiu.iut  de   la   fkction   française 
tiennent  à  Rome  poiu*  le  oonclaTe,  du  vivant  d'Alexandre  Vil.  Revue  de  ces  cardinaux.  — 
Nouvelles  calomnies   des  Français  contre  la  famille  Cliigi  ;  ce  que  doit  être  un  prélat  renais 
pour  plaire  ù  la  cour  de  Franre  :  Altaviii,  nonrc  à  Venisie.  —  Soins  donnés  jusqu'à  la  fin  par 
le  pape  aut  affaires  spirituelles  et  temponOles.  Con^ii-tiùres  et  fonctions  publiques.  Cappella 
de  Pâques  1667.  Adieux  et  instruclionn  d*.\lc\audre  Vil  au  sacré  collt»gc,  15  «t  18  avril.  Im- 
patience et  colère  des  Français.  —  Mort  d'Alexandre  VU.  —  I^es  pr^'^visions  de  ce  pape  sont 
réalisées  aussitôt  après  sa  mort  :  invanion  des  Pars-Ras   espagnols  par  Louis  XIV  ;  l'ordre  d'en 
donner  avisa  Rome  est  du  15  mai.  —  Déception  de <  Français  qui  avaient  prédit  une  insurrec- 
tion à    Rome.   Hommages  rendus  à   la  mémoin»  d'Alexandre  V|l  et  .^  sa  famille.  Union  des 
cardinaux,  au  moment  où  ils  vont  entrer  au  ronclav*;. 


Au  moment  où  Roberli  quittait  la  France,  après  une  non- 
ciature si  laborieuse,  il  y  avait  huit  mois  que  le  duc  de  Chaul- 
nes était  arrivé  à  Rome  avec  des  instructions  si  peu  dignes 
d'un  prince  catholique.  On  doit  être  déjà  frappé  do  Tanimo- 
sité  apportée  par  cet  ambassadeur  dans  Texécution  de  ses 
ordres  :  cependant  on  ne  le  connaîtra  entièrement  que  lorsque 
nous  aurons  mené  ce  récit  jusqu'à  la  mort  d'Alexandre  VII. 
Le  palais  et  le  quartier  Farnèse  demeuraient,  comme  au  temps 
de  M.  de  Créquy,  un  camp  ennemi,  drossé  dans  la  ville  même 
du  pape.  Alexandre  VII,  quelqu'un  de  ses  ministres  ou  de  ses 
parents  avaient-ils  jamais  eu  pour  le  duc  ou  pour  la  duchesse 
de  Chaulnes  un  procédé  offensant,  qui  expliquât  une  haine  si 
implacable?  Non,  et  il  est  pou  de  dépc^ches  où  lambassa- 
deurne raconte  avec  complaisance  les  honneurs,  les  politesses. 


MORT    D*ALEXANDRE   VU  43f( 

les  régals  prodigués  à  sa  femmo  ou  à  lui  par  le  souverain  pon- 
tife. Le  nom  de  la  duchesse  de  Créquy  n'avait  été  prononcé 
qu'une  fois,  à  Toccasion  du  danger  qu'elle  avait  couru  dans 
la  soirée  du  20  août  1662.  La  duchesse  de  Chaulnes  (i)  aimait 
moins  l'obscurité  :  elle  correspondait  avec  Lionne  et  ses  lettres, 
conservées  avec  celles  de  son  mari^  étaient  montrées  au  roi.  Il 
est  intéressant,  pour  l'histoire  de  la  langue  comme  pour  celle 
des  mœurs,  de  savoir  comment  s'exprimait  une  amie  intime 
de  M"*  de  Sévigné,  une  ambassadrice  de  France,  qui  reven- 
diquait un  rôle  personnel  dans  la  mission  publique  de  M.  de 
Chaulnes.  Elle  écrivait  à  Lionne  (2)  :  «  La  lettre,  monsieur, 
que  vous  m'aves  fait  Ihonneur  de  mecrire  ma  extrêmement 
surprise  davoir  apris  que  la  mienne  a  esté  voue  par  un  sy 
grand  roy;  moi  quy  avois  pretandu  quelle  ne  sortist  pas  de 
vostre  cabinet.  Puisque  vous  voules  que  je  vous  mande  libre- 
mant  mes  santimant  sus  Romme,  je  vous  dire  que  quy  aime 
le  faste,  la  grandeur  et  ce  que  Ion  apelle  régner  qui  ne  fost 
qnestre  ambassadeur;  que  le  palais  Farnese  est  plus  beau  que 
les  maisons  de  la  place  roialle,  mes  que  la  liberté  dy  voirs  les 
damroe  ny  est  pas  sy  grande,  et  comme  nous  avons  toujours 
asses  bonne  compagnie,  les  jours  se  passe  fort  agréablement 
a  jouer,  se  promener  dans  les  vigne  et  voirs  les  plus  belle 
antiquités  du  monde.  Mes  je  vous  avoue  quy  ny  a  quune  chose 
quy  me  fait  de  la  pêne  et  que  je  me  suis  doné  Ihonneur  de 
vous  dire  plusieurs  fois,  quy  est  lincertitudo  du  succès  des  af- 
ferede  cette  cour  ycy,  et  que  souvent  Ion  oublie  les  apsant. 


(1)  Elisabeth  le  Féron,  lillo  unique  de  Dreux  le  Féron,  couseiller  au  Parle- 
ment, et  de  Barbe  Servien^  et  par  conséquent  proche  parente  de  Lionne.  Elle 
était  veave  de  Jacques  Stuer  de  Caussade,  raarquis  de  Saint  Mé^rin,  tué  au 
combat  de  la  porte  Saint-Antoine.  *<  C'était,  dit  Saint-Simon,  pour  la  figure 
extérienre  un  soldat  aux  gardes  et  même  un  peu  suisse,  babillé  en  femme. 
Elle  en  avait  le  ton  et  la  voix  et  des  mots  du  bas  peuple  ;  beaucoup  de  dignité, 
beaaconp  d'amis,  nne  politesse  choisie  ;   un  sens  et  un  désir  d'obliger  qui 
teoaient  lieu  d'esprit,  sans  jamais  rien  de  déplacé  ;  une  grande  vertu,  une  libé- 
ralité naturelle  et  noble  avec  beaucoup  de  magnificence,  et  tout  le  maintien, 
les  (àçant,  l'état  et  la  réalité  d'une  fort  grand  dame...  »  {Mémoirest  édit.  Bois- 
lisle,  t.  VI,  p.  91.)  Elle  était  dans  un  âge  avancé,  quand  Saint  Simon  la  vit 
pour  la  première  fois  :  11  était  né  en  i675,  dix  ans  après  la  première  ambas- 
sade de  M.  de  Chaulnes. 
(I)  6  octobre  1666.  Rome,  178.  Lettre  autographe. 


136  CHAPITRE    QUINZIÈMG 

Du  rcsle  je  ne  vous  et  donne  quune  petite  malédiction  le  pre- 
mier jour  que  je  resus  la  nouvelle  du  commandemant  que  le  roy 
avoit  fait  à  Monsieur  le  duc  de  Chaulnes  :  encore  ne  valtet  telle 
pas  la  pêne  de  san  confesser  :  vous  man  donneres  lapsolution  sy 
vousvoules.  Nous  travaillons  a  nostre  livrée.  Monsieur  le  duc 
de  Chaulnes  na  point  voulu  prandre  !es  carosse  de  Monsieur  de 
de  Crequy  et  dans  la  vérité  cela  neut  pas  fait  un  bon  efect  dans 
ce  lieu  ycy.  Je  ne  veux  pas  finir,  monsieur,  sans  vous  assurer 
que  jay  toute  sorle  de  satisfaction  de  ma  cousine  de  Murinest(i). 
Cest  une  très  jolie  fille,  bien  sage  et  quy  est  fort  estimée  de 
tout  le  monde.  Je  vous  suplie  deitre  persuadé  que  Ion  ne  peut 
estre  plus  véritablement,  etc.  La  duchesse  de  Chaulnes.  —  Vous 
reyeres  sy  vous  plais  la  calité  doxellance  et  les  autre  cérémonie 
de  vostre  lettre.  »  Au  moment  de  Noël,  la  duchesse  sollicitait 
la  faveur  d'être  conduite  auprès  du  souverain  pontife  par  doua 
Bérénice,  femme  de  don  Mario  Chigi,  et  voici  dans  quelles 
dispositions  elle  se  présentait  à  l'audience,  si  l'on  s'en  rap- 
porte à  une  lettre  de  labbé  de  Machaut  à  Lionne  :  «  M"**  de 
Chaulnes  ira  au  premier  jour  vers  le  pape  avec  la  femme  de 
don  Mario.  Nous  lui  faisons  la  guerre  qu'elle  a  dit,  devant  moi 
et  M.  de  Bourlemont,  que  c'était  tiîi  fripon^  et  que,  [le  pape] 
l'ayant  su,  elle  doit  s'attendre  à  de  grandes  excommuni- 
cations. Elle  n*est  pas  ici  trop  édifiée  de  la  dévotion,  et  nous 
pourrions  dire  quelle  en  fait  la  meilleure  partie.  »  Pour  mon- 
trer sans  doute  sa  compétence  et  celle  de  la  duchesse  en 
matière  de  piété,  Tabbé  ajoute  aussitôt  :  «  M°*®  de  Chaulnes 
veut  envoyer  des  odeurs  à  M""  do  Lionne  (2)  et  vous  veut 


(1)  La  dachesse  de  CbaulQee  avait  autour  d'elle  un  cortège,  fort  mêlé,  d'amies 
ou  de  suivantes,  qu'elle  voulait  mettre  sur  le  pied  des  filles  d'honneur  d'une 
princesse,  mais  qui  lui  suscitèrent  bien  des  ennuis  et  n'ajoutèrent  rien  à  sa 
considération  :  «  M™«  la  duchesse  de  Chaulnes,  écrivait  Mâchant,  n*a  ici  aucun 
chagrin  que  celui  que  lui  donnent  ses  filles,  qui  sont  ou  caquettes  ou  imperti- 
nentes :  elles  voudraient  être  en  sa  place,  et  aiusi  la  chose  pourrait  s'ajuster 
aisément.  »  (A  Lionne,  17  août  1666.  Rome,  177.)  —  La  plus  remuante  était 
M^i*  Lebrun,  dont  il  est  souvent  parlé  dans  les  lettres  de  Machaut.  Voici  Tune 
des  histoires  le  moins  compromettantes  pour  sa  réputation  :  «  M^i*  Lebrun  me 
prie  de  lui  faire  faire  quelque  affaire,  comme  de  faire  avoir  les  bulles  de 
Périgueux  gratis,  moyennant  qnoi  on  lui  a  promis  trois  mille  écus...  »  (A 
Lionne,  7  décembre  1666.  Rome,  179.) 

(2)  Dont  les  mœurs  étaient  plus  décriées  encore,  s*il  est  possible,  que  ceUes  de 


MORT    d'aLEX ANDRE    VII  137 

faire  un  régal  d'une  Galatée  qu'elle  a  fait  copier  dam  son  pa- 
lais par  un  des  meilleurs  peintres  de  Rome.  Il  est  vrai  que 
vous  aurez  quelque  satisfaction  de  voir  dans  son  naturel  la 
plus  belle  et  la  plus  agréable  figure  que  j'aie  jamais  vue  :  da- 
rebbe  stimoli  délia  carne  a  un  capuchinissimo  et  certosis- 
simo(l).»  C'est  au  même  témoin  que  nous  demanderons  com- 
ment Alexandre  VII  et  sa  famille  se  vengeaient  des  propos 
([\ïi\s  savaient  être  tenus  publiquement  sur  eux  dans  le  salon 
du  palais  Farnèse  :  «  Le  lendemain  de  Noël,  M"'  de  Chaul- 
nes,  qui  soupirait  pour  se  jeter  aux  pieds  de  Sa  Sainteté,  fut 
satisfaite;  car  les  princesses  la  vinrent  prendre  chez  elle,  la 
mirent  dans  leurs  carrosses  et  la  conduisirent  à  cette  audience 
qu'elle  avait  tant  désirée...  Elle  est  fort  contente  de  Thonnêteté 
avec  laquelle  on  la  reçut,  de  Taccueil  que  lui  fit  le  pape,  et  de 
la  superbe  collation  qu'on  lui  fit;  mais  tout  se  fût  passé  ad- 
mirablement si  Sa  Sainteté  eût  voulu  parler  français,  mais 
c'est  un  langage  qu'il  n'entendra  jamais  (2).  » 

Le  trait  suivant,  qui  se  place  quelques  semaines  plus  tard, 
nous  montre  l'ambassadeur  et  l'ambassadrice  unis  dans  la  plus 
étroite  communauté  de  sentiment  et  de  passion.  Le  duc  écri- 
vait à  Lionne  (3)  :  «  Étant  hier  le  jour  bienheureux  de  la  nais- 
sance du  pape,  le  cardinal  Pallavicino  a  de  coutume  de  donner 
àdlner  à  tous  les  beaux  esprits  qui  entretiennent  Sa  Sainteté 
et  de  lui  faire  un  présent  qu'il  lui  envoya  dans  quatre  bassins 
remplis  de  fruits  de  cire.  »  Le  pape  eut  aussitôt  la  pensée  d^of- 
frirà  la  duchesse  ces  fruits  si  bien  imités,  «  et  les  fit  porter, 
comme  en  triomphe,  pour  faire  connaître  à  tout  le  monde  que 
tout  est  bien  entre  nous  ;  mais  Monsignore  Altemps,  qui  les 

»0D  mari  :  «  Sa  sorte  de  malhoDoêteté  était  une  infamie  scandaleuse.  Il  y  a 
longtemps  que  je  l'avais  chassée  du  nombre  des  mères.  »  (M™«  de  Sévigné  à 
M«*  de  Grignan,  2  août  1671.)  Sa  vie  désordonnée  et  la  dissipation  qu*eUe  faisait 
de  son  bien  forcèrent  Lionne  de  la  faire  arrêter  par  la  police  et  enfermer  dans 
QD  couvent  Q'uillet  1671).  Un  mois  après,  il  mourut  subitement,  non  sans 
loopçon  d*avoir  été  empoisonné  par  sa  femme,  liée  avec  plusieurs  complices 
de  la  marquise  de  Brinvilliers.  Mise  en  liberté  quelques  semaines  après  la  mort 
de  son  mari,  elle  fut  réintégrée  au  couvent  le  15  décembre  suivant,  à  la 
requête  même  de  ses  flls.  (Th.  Jung,  La  vérité  sur  le  masque  de  fer^  p.  282.) 

(1)7  décembre  1666.  Bome^  179. 

(2)  Machaut  à  Lionne,  28  décembre  1666.  Rome^  179. 

(8)  15  février  1667.  Borne,  181. 


13H  CBAPÎTBE   OUINZIÈWE 

devait  présenter,  n'étant  pas  arrivé  aussitôt  que  les  palefre- 
niers du  pape  (1),  je  fis  sortir  M"'  de  Chaulnos  plus  tôt  qu'elle 
n'avait  résolu,  pour  faire  aussi  connaître  que  l'on  ne  s'en  sou- 
ciait guère.  »  Le  prélat  et  les  serviteurs  du  pape  revinrent  le 
soir  à  Farnèse.  «  Je  fus  bien  aise  que  M"*  de  Chaulnes  reçût 
le  présent  dune  manière  qui  ne  peut  pas  fort  leur  plaire. 
Ainsi,  elle  dit  au  prélat  que,  ne  pouvant  par  bienséance  le  re- 
fuser et  dautant  plus  que  Ton  ne  pouvait  pas  douter  qu il  ne 
vînt  de  la  part  de  Sa  Sainteté,  puisqu'il  était  de  choies  si  bien 
feintes  que  l'on  ne  pouvait  pas  croire  que  ce  ne  fussent  de  vé- 
ritables fruits  de  son  jardin;  qu'ils  étaient  si  bien  faits  qu'il 
était  impossible  que  Ton  n'y  fût  trompé;  que  cependant  elle 
n'aurait  pas  le  plaisir  de  m'y  attraper  parce  que  j'y  étais  ac- 
coutumé depuis  longtemps.  Le  prélat,  qui  ne  s'attendait  pas 
à  ce  compliment,  fut  un  peu  étourdi  et  répondit  plus  sérieuse- 
ment par  les  assurances  de  l'estime  que  Sa  Sainteté  faisait  de 
moi  et  quelques  discours  qu'il  lui  avait  ouï  faire.  A  quoi  elle 
répondit  que  je  m'étais  expliqué  à  tant  de  monde,  depuis  ma 
dernière  audience,  du  peu  d'edels  des  paroles  de  Sa  Sainteté, 
qu'elle  ne  croyait  pas  lui  rien  apprendre  sur  ce  sujet,  et  ainsi 
le  prélat  se  retira.  »  Lionne  fit  une  réponse  ordurière  que  la 
duchesse  de  Chaulnes  était  digne  de  lire  (2)  :  «  Madame  Tam- 

(1)  Palafreniere  o  parafreniere  :  «  Hestando  poscia  il  nome,  pon  raatico 
uffizio  Ji  palafrenieri,  e  ancora  lo  porta  FoUanto  una  claisse  di  famigliari  pou- 
tiflcii,  che  stanoo  io  sala  del  pupa,  vanDo  dietro  o  avant!  la  di  lui  carroiza, 
coi  sediari  Io  porlano  in  sedia  gestatorla  e  in  lettiga  o  portant! na,  e  prestano 
diversi  ufûzi  domestici.  »  {Dictionnaire  de  Moroni.) 

(2)  Il  suffit  de  parcourir  quelques  lettres  de  l'abbé  de  Machaut  pour  jngei 
de  l'effroyable  liberté  de  langage  et  de  mœurs  qui  régnait  parmi  les  famllien 
de  Farnèse.  Ces  misérables  se  disputaient  la  faveur  de  Tambassadeur  et  di 
l'ambassadrice.  Dos  l'arrivée  de  M.  de  Chaulnes,  l'abbé  de  Machaut  avait  signai) 
à  Lionne  ces  rivalités  indisciplinables  :  r  Je  vois  nos  amis  aigrit  les  uns  contr 
les  autres.  Je  les  ai  avertis  de  suspendre  leur  chagrin  et  leur  jalousie,  et  qu'il 
ne  doivent  songer  qu'à  concourir  tous  ensemble  pour  le  service  et  les  avan 
Uges  de  M.  l'ambassadeur,  m  (20  juillet  1666.  Borne,  177.)  Chacun  d'eux  accusai 
les  autres  de  trahison  et  leur  imputait,  sans  ménager  les  termes,  toute  sort 
de  débauches.  C'est  par  l'entremise  de  M»»  Lebrun  qu'ils  faisaient  parveni 
leurs  délations  à  M»*  de  Chaulnes,  quand  ils  ne  la  prenaient  pas  eUe-mèm 
poqr  confidente.  Le  style  courant  de  l'ambassade  était  celui  de  Lionne  et  d 
iMachaut.  (V.  notamment,  Machaut  &  Lionne,  26  octobre  i666.  Rome,  178;  — 
et  9  novembre,  7  décembre.  Home,  179;  --  26  mai,  27  septembre  1667.  Hanu 
183,  186,  etc.  etc.) 


MOBT   D* ALEXANDRE    VII  139 

bassadrice,  disait-ii  (1),  a  fait,  d  son  accoutumée,  des  mer- 
veilles avec  Monsignorc  Altemps  sur  les  fruits  du  jardin  du 
pape.  On  ne  peut  pas  nier  que  le  choix  de  ce  prélat  n'ait  été 
fort  bon  pour  faire  ce  beau  présent,  puisqu'engloutissant  sou- 
vent le  dieu  des  jardins  avarUi  e  dietro  pasto^  l'emploi  était 
fort  convenable  (2).  » 

On  peut  juger  encore  des  discours  qui  se  tenaient  chez 
l'ambassadeur,  par  les  rapports  que  les  habitués  de  Famëse 
adressaient  fréquem^ment  à  Lionne,  et  où  personne  n'était 
épargné,  depuis  le  pape  jusqu'au  dernier  clerc  de  sa  cour. 
Quels  étaient  donc  ces  hommes  dont  Lionne  lisait  les  lettres 
au  roi  pour  justifier  ses  détestables  conseils,  et  dont  les  déla- 
tions se  retrouvent  dans  les  dépèches  de  Louis  XIV  et  de  son 
ministre,  précédées  de  ces  mots  :  On  m  écrit  de  Rome^  etc.  — 
Vn  avis  très  sûr  que  fai  reçu  de  Rome  y  etc.?  Quel  est  celui 
d'entre  eux  qui  ne  méritât  pas  d'être  exclu  de  Tantichambre 
la  moins  bien  famée?  Est-ce  Elpidio  Benedetti,  le  ricamatore, 
l'ancien  brocanteur  de  Mazarin,  à  qui  son  brevet  d'agent  du 
roi  assure  une  place  distinguée  à  la  table  et  dans  le  carrosse 
de  l'ambassadeur  (3)?  est-ce  Domenico  Yagnozzi,  tenu  en  ha- 
leine par  la  promesse  de  gratifications  (4)  qui  allaient  peut- 
être  à  quinze  cents  livres  par  an?  Ugo  Maffei,  chargé  par  le  roi 
de  surveiller  deux  cardinaux  italiens  de  la  faction  française, 
Maidalchini  et  Orsino,  et  qui  se  fait  en  outre  passer  pour  un 
confident  du  cardinal  Pallavicino  (5)  ?  le  P.  Ripa,  dont  nous 

(1)  11  mars  1667.  Borne,  182. 

(2)  Je  De  pe  souyieus  de  rien  qui  juBtifie  ou  explique  cet  horrible  propos. 
L'imagiDaUoQ  dévergondée  du  miaislre,  excitée  par  M-  et  M"^"  de  Chaulues, 
D'aora  pas  résisté  au  plaisir  d'écrire  une  plaisanterie  obscène,  qui  devait  être 
•pplaudie  tu  palais  Farnèse.  Aucune  réputation  n*ôtait  épargnée  par  Uonne, 
<rai  Tirait  notoirement  dans  une  débauche  abjecte. 

(3)  «  Cinq  ou  six  personnes  de  qualité  me  persécutent  de  prendre  toujours 
Is  meilleure  place  dans  le  carrosse  de  M.  Tambassadeur,  avant  M.  Tabbé  Elpidio  ; 
mis  comme  il  a  un  caractère  du  roi,  je  ne  yeux  pas  seulement  y  penser^  que 
lonqoe  vous  me  mettrez  dans  un  poste  où  naturellement  je  le  devrai  pré- 
féder.  h  (Machaut  à  Lionne,  10  août  1666.  Romey  177.) 

U)  Oa'il  aurait  voulu  consolider  ep  un  brevet  de  pension-  (Lionne  à  Qhaulnes, 
ISjalQ  1666.  Borne,  176.) 

(3)  «  La  reine  de  Suède  dit  hautement  que  MaCTei  n'est  qu'un  fripon  :  M.  d'A- 
libert  me  Ta  dit,  et  il  est  certain  qu'il  n'est  pas  ici  en  trop  bonne  réputation. 
'U  Buissière  à  Lionne,  12  janvier  1666.  Rome,  174.)  Ugo  Mftffei  était  propre  à 


140  CHAPITRE   QCINZIÈBCE 

avons  déjà  raconté  quelques  traits  infâmes  et  pour  qui  Tabbé 
de  Machaut,  par  compassion,  demande  un  don  de  cinquante 
pistoles  (i)?  le  P.  Duneau,  trop  souvent  nommé,  et  dont  le 
P.  Oliva  sera  bientôt  réduit  à  solliciter  Texpulsion?  le  P.  de 
Neuillan  qui,  toujours  protégé  par  Lionne,  continue  de  tyran- 
niser le  couvent  de  la  Trinité  du  Mont  (2)?  Est-ce  l'abbé  Gallo 
destiné  pour  conclaviste  au  cardinal  de  Vendôme  par  le  duc 
de  Chaulnes;   prôné  naguère  par  Mâchant  (3)^  maintenan 


tous  les  rôles  :  il  rcpréstntBit  une  des  sibylles  dans  la  mascarade  prophëtisan 
la  prise  de  ('.oustantinople  par  Louis  XIV. 

(1)  «  Sans  mentir,  dit  son  protecteur,  Ton  lui  devrait  donner  quelque  chose. 
Il  se  trouverait  obligé  d'aller  mendier  à  d'autres  cours!  »  (Macbaut  à  Lionne 
6  et  20  Juillet  1666.  Home,  177.) 

(2)  Ce  moine  indigne  reprenait  alors  l'exécution  d'un  projet  cher  à  Lionni 
mais  qui  n'avait  pas  encore  été  réalisé  :  c'était  la  suppression,  sur  la  façad 
du  couvent,  des  mots  indiquant  qu'il  avait  été  fondé  piorum  eleemosynU  au»! 
bien  qu'avec  les  libéralités  d'un  roi  de  France.  Pendant  sa  mission  de  1655 
Rome,  Lionne  avait  trouvé  ce  rapprochement  injurieux  pour  la  couronne  : 
reconnaissait  pourtant  que,  quoi  qu*on  lise  dans  certains  titres,  ces  religieu 
n'avaient  Jamais  reçu  d'elle  qu'une  légère  aumône  de  800  livres,  remontant 
Charles  VIII  !  Le  Père  de  Neuillan  propose  de  faire  disparaître  les  syllabt 
offensantes  sous  les  armes  du  roi,  prétendu  protecteur  du  monastère.  On  ol 
Jecte,  dit-il,  que  cette  suppression  empêchera  de  nouveaux  dons,  a  Quai 
cela  serait,  il  est  mieux  de  se  priver  volontairement  de  telles  aumônes  qi 
de  les  recevoir  au  préjudice  des  droits  de  notre  très  auguste  monarque,  do 
la  piété  est  plus  que  suffisante  pour  en  donner  le  centuple,  à  l'exemple  de  n* 
rois  ses  prédécesseurs.  »  (Septembre  1666.  Rome,  178.)  Lionne  approuva 
proposition:  mais,  dit-il,  «  je  crois  que,  pour  ne  se  faire  point  d'affaire  ou  p 
lais,  il  faudrait  n'exécuter  la  chose  que  pondant  un  conclave.  «  (Lionne 
Chaulnes,  15  octobre  1666.  Rome,  178.)  A  peine  Alexandre  VU  fut-il  mort  q< 
le  Père  de  Neuillan  fit  son  coup,  etChaulnes  en  informa  le  roi.  (26  juillet  16^ 
Rome^  185.)  A  l'heure  où  j'écris  (1886),  rien  ne  cache  les  mots  piorum  eleem 
gynis.  —  Voici  encore  un  des  traits  habituels  de  la  correspondance  de  ce  re 
gioux  :  •«  Plusieurs  Italiens  m'ont  dit  qu'on  s'étonnait  qu'il  ne  prît  envie 
notre  grand  monarque  d'acheter  le  port  de  Montalto  au  duc  de  Parme,  leqi 
S.  M.  pourrait  aisément  remettre  [restaurer]  et  y  tenir  quelques  vaisseaux 
gamimm  française  avec  laquelle  on  serait  plus  considéré  dans  Rome  qu'on  n 
tait  autrefois,  tenant  Porto-Lougone  [sous  Innocent  X].  Personne  ne  peut 
plaindrt^  ouvertomont  et  toute  l'Italie  tremblerait,  notamment  Rome  et  le  pa} 
qui  act^onlerait  ocrtainemont  plus  de  grâces  qu'il  ne  fait  aux  Français,  p 
craluto.  •  (A  Liouut\  15  juin  1666.  Rome,  176.) 

(3)  A  Lionne,  âO  juillet  1666.   Rome,  177.  «   L'abbate  Gallo  voudrait  av( 
quoique  résolution  sur  sou  snjot.  Comme  il  a  une  grande  passion  pour  les  i 
tén'^ts  de  la  Kranci\  Il  serait  dans  la  disposition  de  s'engager,  de  quelque  m 
nl*re  que  ce  pût  ^ire.  Vous  pouvci  retenir  cet  homme  pour  peu  de  chose, 
vous  ou  sériel  AiVn  sei^i,  * 


MORT  d'aLEXANDRI!:   VII  141 

brouillé  avec  lui,  ci  dont  cet  abbé  parle  ainsi  à  Lionne  :  «  Je 
vous  en  avais  écrit  avec  assez  d'empressement,.,,  étant  per- 
suadé de  son  mérite  par  les  rapports  de  M.  de  la  Buissièrc  et 
par  ceux  du  P.  Ripa,  qui  ne  vaut  pas  mieux  que  ce  galant 
homme...  C*est  le  plus  infâme,  le  plus  méchant  et  le  plus 
fourbe  courtisan  qui  fût  à  Rome,  passant  au  surplus  pour  un 
^emale  di  />...,  et  de  fait  on  l'a  trouvé  au  b...,  y  menant 
un  sous-secrétaire  de  l'ambassadeur  qui  se  nomme  des  Mor- 
tiers (1).  »  Lionne  lui-même  détournera  le  cardinal  de  Vendôme 
de  remmener  au  conclave,  en  disant  de  lui  :  «  C*est  un  trop 
dangereux  compagnon  que  je  connais  il  y  a  longtemps;... 
esprit  double,  intrigant  et  très  dangereux  ;  de  fort  mauvaise 
vie  et  d'une  pire  estime  dans  toute  la  cour.  »  La  vénalité  de 
ces  hommes,  que  Tabbé  de  Machaut  désignait  lui-même  sous 
le  nom  de  nostri  furhoniam  et  dont  la  correspondance  était 
accueillie  avec  tant  de  bienveillance  à  Saint-Germain,  leurs 
querelles  incessantes,  leurs  turpitudes  notoires,  étaient  un  des 
scandales  de  Rome. 

Parmi  les  visiteurs  de  l'ambassade,  un  seul  se  détachait  sur 
celle  tourbe,  c'est  l'auditeur  de  rote  pour  la  France,  l'abbé 
de  Bourlemont.  Quoiqu^il  eût  secondé  avec  trop  de  passion  la 
politique  delà  cour  contre  le  saint-siège,  il  n  avait  la  sympa- 
thie ni  du  roi  ni  de  Lionne  :  il  ouvrait  d'utiles  avis  et  signalait, 
àToccasion,  les  fautes  où  la  passion  entraînait  les  conseillers 
de  Louis  XIV.  Adversaire  décidé  mais  intelligent  des  pontifes 
romains,  il  combattit  quelquefois  les  prétentions  du  gallica- 
nisme. Il  était  instruit  et  laborieux.  Ses  mœurs  paraissent 
avoir  été  irréprochables.  Il  avait  le  respect  de  son  habit  et  de 
ses  fonctions.  Lorsqu'il  paraissait  à  Farnèse,  il  ne  dissimulait 
pas  son  mépris  pour  les  familiers  du  lieu.  <(  Il  ne  pratique  ja- 
mais un  de  ces  messieurs,  disait  l'abbé  de  Machaut,  et  même, 
connaissant  leur  tempérament,  il  ne  les  saurait  souffrir; 
quand  il  en  parle,  il  leur  donne  toujours  un  coup  de  bec... 
Quand  l'abbé  Benedetti  tombe  dans  ses  mains,  il  est  admi- 

(1)  CtiaulDes  à  Lionne,  7  mars.  Kome^  181.  —  Liouoe  à  Chaulnes,  18  mars, 
ÀYeodôme,20  mars.  —Machaut à  Lionne,  12  avril  1667.  Kome^  182.  V.  encore, 
«ur  ces  coquins,  Machaut  à  Lionne,  6  juillet  1666.  Kome^  177;  12  mars  1667. 
^o^s  182;  26  mai  1667.  Romt^  183,  et  presque  toutes  les  lettres  de  ce  temps. 


142  CHAPITRE   QriNZIÈME 

rable  (1).  »  Aassi  Lionne,  voyant  en  lui  un  juge  et  quel 
quefois  un  censeur,  cspérait-il  le  faire  rappeler,  et  le  succès 
seur  qu'il  lui  destinait  était  précisément  le  libertin  Ma 
chaut  (2)  ! 

Le  successeur  de  iM.  de  Gréquy  sétait  bientôt  lassé  de  h 
modération  qu'il  avait  dabord  montrée  dans  l'usage  desfran 
chises  et  quartiers.  Dès  l'origine,  Tabbé  de  Machaut  avait  prévi 
ce  qui  arriva  ;  le  20  juillet  1666,  il  écrivait  à  Lionne  :  «  M.  e 
M"*  de  Chaulnes  auront  quelque  traverse  du  côté  de  leur  fa 
mille  qui  est  ici  prévenue  qu'on  leur  peut  procurer  leur  forluni 
aisément.  Us  demandent  avidement  qu'on  établisse  ici  de 
droits  pour  eux.  L'instruction  qu*ils  ont  prise  des  gens  d 
M.  de  Gréquy  et  la  bonté  que  leurs  maîtres  ont  pour  eux  con 
tribuent  beaucoup  à  cela  (3).  » 

L'ambassadeur  français  ne  causait  pas  seulement  un  grav 
dommage  à  la  Chambre  apostolique  :  il  tenait  aussi  on  éche 
la  police  et  la  justice  pontificales,  et  les  provocations  de 
Français  pouvaient  amener^  à  tout  instant,  des  événement 
semblables  à  celui  du  20  août  1662.  Ainsi,  le  jeudi  sain 
1667,  un  Suisse  ayant  été  tué  de  deux  coups  d'épée,  en  pleii 
Vatican,  par  un  Allemand  qui  force  sa  consigne,  le  meur 
Irier  échappe  au  milieu  du  tumulte  et  va  se  réfugier  «  dan 
un  palais  où  Sa  Majesté  a  quelque  pouvoir,  »  comme  di 
Tabbé  de  Machaut  ;  car  tout  le  monde  sait  qu'il  n'y  a  pa 
de  plus  sûr  asile  que  Farnèse  pour  les  malfaiteurs  (4).  —  S 

(1)  26  mai. 

(2)  Nous  avoua  cité  plus  haut  la  dépt^che  du  2.';  mars  où  Lionne  fait  parte 
sou  projet  à  l'ambassadeur.  Mais  les  deux  compaj^uons  de  débauche  se  broui 
lèrent  bientôt  et  voici  comment  le  ministre  parle  de  l'abbé  au  cardinal  c 
Retz  dans  une  lettre  du  10  décembre  1609  (Romr,  208)  :  «  Je  supplie  V.  E.  dai 
une  intime  confidence  et  avec  la  conûauce  culiènî  que  je  sais  de  pouvo 
prendre  en  sa  bonté,  que,  si  l'abbé  de  Machaut  s'adressait  à  elle  pour  la  8U| 
plier  de  vouloir  bien  qu'il  eût  l'honneur  dtHre  l'un  de  ses  conclavistes,  el 
ne  lui  accorde  pus  cette  grâce,  à  moins  qu'il  ne  lui  parût  (ce  que  je  ne  cro 
pas  qui  arrive),  que  le  roi  lui-même  le  désirât.  C'est  un  garçon  qui  en  a  ui 
si  mal  avec  moi  depuis  quelque  temps  et  si  mal  reconnu  les  obligaUons  qu 
m'avait,  que  je  serais  fâché  que  V.  E.  s'exposât  à  être  quelque  jour  pay« 
d'une  pareille  ingratitude.  >• 

(3)  Rome,  177. 

(4)  Chaulnes  au  roi;  Bourlemont  et  Machaut  ù  Lionne,  12  avril  1667.  liom 
lo2« 


MOAt  D*ALEXÂ!«DRE  Vtl  143 

les  criminels  étrangers  y  sont  bien  accueillis  on  devine  quelle 
protection  y  trouvent  les  Français.  A  quelques  jours  de 
là^  une  femme  est  arrêtée^  bien  loin  du  palais,  dans  la 
maison  qu^habite  la  blanchisseuse  de  Tambassadeur,  place 
d'Espagne,  u  Quoique  le  gouverneur,  dit  M.  de  Chaulnes, 
ne  idl  pas  instruit  ni  que  c'était  chez  une  Française,  ni 
que  mes  armes  fussent  sur  la  porte,  je  crus  être  obligé  de 
pousser  l'affaire,  et  envoyai  Tabbé  Santis  (1)  au  gouverneur 
pour  lui  dire  que  si,  dès  le  soir,  il  ne  réparait  ce  qu'il  venait 
défaire,  je  lui  déclarais  être  hors  d'intrigue  avec  lui  et  que  je 
saurais  bien  me  satisfaire.  Le  gouverneur  fut  fort  étonné  et 
fortfâché,  en  ayant  totijoun  bien  usé  avec  moi,  et  me  renvoya 
un  de  ses  officiers  deux  heures  après,  pour  m'informer  comme 
la  chose  s'était  passée,  pour  se  justifier  de  n'avoir  rien  su,  ni  pu 
savoir  même^  parce  que  celte  servante  était  sortie  de  la  mai- 
son où  il  la  croyait  et  entrée  dans  Tautre  ;  mais,  itii  ayant  té^ 
moigné  que  je  n'avais  quune  réponse  à  recevoir^  if  me  dit  que 
je  visse,  après  cet  éclaircissement,  ce  que  je  souhaitais,  qui 
fui  que  la  prisonnière  fût  renvoyée  dans  le  môme  lieu  où  elle 
avait  été  prise,  que  les  principaux  sbires  fussent  arrêtés  et 
que  j'attendrais  la  réponse  jusqu'à  huit  heures  du  soir  (2).  » 
Le  gouverneur  intimidé  cède,  et  M.  de  Chaulnes  appelle  cela 
défendre  les  droits  du  roi!  Cet  incident  eut  des  suites  horribles. 
Mâchant  écrit  à  Lionne  :  «  Beaucoup  de  Français  qui  sont  dans 
la  place  d'Espagne  ont  eu  quelque  honte  d'avoir  souffert  qu'on 
enlevât  à  leur  barbe  celle  qui  demeurait  chez  la  blanchisseuse 
du  palais.  »  Pour  s'en  venger,  une  nuit,  plusieurs  d'entre  eux, 
parmi  lesquels  étaient  un  abbé  Pajot  et  un  marquis  du  Bor- 
dage,  se  jetèrent  sur  un  groupe  de  sbires,  «  en  blessèrent  deux 
à  mort,  abattirent  l'oreille  à  un  autre...  Je  me  suis  laissé  dire 
qu*il  était  impossible  que  ces  sbires  n'eussent  été  attaqués  de 
l/nel-apetis  dam  ledit  cabaret, el  il  est  fort  vraisemblable  que, 
s'ils  eussent  eu  quelque  envie  de  se  battre,  ils  n'auraient  pas 
attendu  d'être  sortis  du  lieu  d'où  ils  furent  comme  chassés. 
D'ailleurs  il  y  en  a  un  de  mort  qui  avait  cinq  coups  d'épée  au 

.1)  Labbê  Ludovico  de  Sanctis  fut  longtemps  le  secrétaire  italien  de  l'am- 
basiade  française  à  Rome  ;  il  avait  alors  un  brevet  de  pension  de  1,200  livres. 
(2)  Chaulnes  an  roi  et  à  Lionne,  3  mai  1661.  Home,  183. 


144  CHAPITRE    QUINZIÈME 

travers  du  corps,  qui  est  une  marque  infaillible  qu'ils  ont  été 
attaqué;,.  Nonobstant  cela^  M.  l'ambassadeur,  étant  averti  du 
fait,  envoya  aussitôt  sp  plaindre  n  M.  le  gouDerneur  de  finso- 
lence  des  sbires.  L on  prétexta  qtCil s  avaient  été  les  agresseurs,  » 
Ces  Français  et  d'autres  nationaux  s'attroupent  dans  les  rues 
«  et,  le  soir,  portant  des  pistolets,  vont  se  promener  disant, 
comme  vous  pouvez  vous  imaginer,  de  belles  choses...  Ils 
sont  bien  heureux  que  cet  accident  leur  fût  arrivé  à  la  fin  d'un 
pontificat;  car  il  est  certain  que  du  palais  ils  auraient  porté  les 
choses  à  l'extrémité.  Cela  sans  doute  vous  sera  rapporté  diver- 
sement; mais  vous  en  savez  la  vérité  par  ce  récit  (1).  »  Il  n'y 
avait  pas  une  seule  blessure  du  côté  des  Français!  «  Cet  acci- 
dent, dit  à  son  tour  l'ambassadeur,  ayant  fait  beaucoup  de  ru- 
meur, y>  crus  quil  fallait  commencer  le  premier  à  se  plaindre 
et  à  demander  justice;  et,  comme  les  Français  s'unissaient 
ensemble  et  ne  marchaient  qu'en  peloton  dans  Rome,y7/i/t- 
midai  le  go^iverneur  sur  les  suites  qui  en  pouvaient  arriver  ; 
et,  pour  dissiper  ces  imions,  j'ai  traité  avec  le  gouverneur  que 
je  ferais  venir  pour  quelques  jours  lès  six  Français  dans  ce 
palais^  pourvu  qu'il  apaisât  le  reste;  et,  comme  trois  de  ces 
gentilshommes  partaient  le  lendemain,  je  lui  ai  fait  valoir 
leur  départe  comme  si  c*était  pour  une  manière  de  satisfaction 
et,  en  Tétai  qu'est  présentement  l'atTaire,  j'espère  qu'elle  ne 
produira  aucun  méchant  effet  que  pour  les  morts  (2).  » 

Ce  n'était  pas  assez  do  réveiller,  à  Rome,  par  ces  sanglantes 
scènes,  les  souvenirs  de  la  précédente  ambassade.  Louis  XIV 
et  le  duc  de  Chaulues  appliquèrent  tous  leurs  soins  à  tirer  des 
conventions  de  Pise  les  conséquences  les  plus  offensantes  pour 
le  pape,  et  à  le  mettre  dans  la  nécessité  de  rendre  au  duc  de 
Parme  le  duché  de  Castro  et  le  comté  de  Ronciglione.  Le  traité 
donnait  au  prince  la  faculté  d'acquitter  sa  dette  en  deux  termes 
égaux  de  800,000  éous,  et  une  restitution  partielle  devait  suivre 
le  prtunier  paiement,  t>r,  le  duo  de  Parme  ne  pouvait  ni  ne 
voulait  se  libérer  envers  la  Chambre  apostolique  et  il  jouait 
double  jeu  outre  son  suïorain,  dont  il  désirait  ne  pas  s'aliéner 
la  bienvoillanoo,  et  le  roi  do  France,  son  dangereux  protecteur. 

,1^  A  l.uuiuo.  10  nui  liît»":,  Kiwr,  ISî 
V-*)  Au  rxM.  10  tUAi  U^î7   Homt,  IW. 


MORT    d'aLEXÂNDRE   Vil  J45 

D'ailleurs  il  ne  loi  aurait  pas  suffi  de  payer  la  somme  stipulée  ; 
car  il  avait  «  manqué  notablement  à  la  teneur  des  investitures 
de  ses  Etats,  en  imposant  beaucoup  de  charges  sur  ses  sujets, 
qui  lui  étaient  expressément  défendues  »  et  le  pape  réclamait, 
avec  la  suppression  de  ces  taxes,  la  restitution  in  integrum 
des  parties  lésées,  afin  quen  cas  de  réversion  au  saint-siège, 
te  suzerain  ne  trouvât  pas  ses  fiefs  soumis  à  des  conditions 
non  approuvées  par  lui  (1).  Peu  importe  :  le  duc  de  Chaulnes 
presse  les  ministres  du  prince  de  rassembler  l'argent  et  il  en 
accepte  le  dépôt  à  Farnèse;  mais  il  avertit  le  roi  qu'il  n'y  a 
que  200,000  écus(2),  et  il  ajoute  :  «  Comme  les  derniers  sacs 
sont  les  plus  difficiles  à  tirer,  je  doute  que  le  prince  puisse 
lenir  sa  parole.  »  —  Il  a  encore  laissé  passer  les  délais  qu*il 
m'avait  demandés.  «  Son  résident  me  témoigna  que  les  mar- 
chands n'avaient  pas  été  si  exacts  qu'il  croyait.  Une  me  donna 
point  de  terme;  il  ne  me  dit  pas  la  somme  qu'il  avait,  mais 
seulement  que  Ton  travaillait;  je  lui  fis  voir  que  ce  retarde- 
ment faisait  perdre  les  conjonctures  les  plus  favorables  (3)...  » 
Le  roi  mécontent  de  ces  retards  écrivait  à  son  ambassadeur  : 
«Je  liens  pour  un  mauvais  signe  cette  circonstance  que  vous 
mandez  que  les  gens  du  duc  de  Parme  allèrent  publiquement 
chez  les  notaires  à  son  nom  pour  recevoir  de  l'argent.  Il  semble 
qu'ils  ont  voulu  par  cette  conduite  faire  naître  quelque  inci- 
dent de  la  part  du  pape,  sur  lequel  //  eût  pu  s  excuser  de  n'avoir 
pu  assembler  la  somme  dont  il  a  besoin;  et,  d'ailleurs,  comme 
vous  ne  voyez  encore  que  200,000  écus  de  prêts,  quoiqu'il 
y  travaille  depuis  deux  ans,  il  n'y  a  guère  d'apparence  qu'il 
puisse,  comme  il  dit,  trouver  dans  la  lin  de  ce   mois  les 
600,000  écus  qui  lui  manquent  (4).  »  Après  de  longs  efforts, 
M.  de  Chaulnes  obtint  du  prince  la  promesse  de  compléter  pro- 
chainement les  800,000  écus  ;  mais  alors  il  parut  avoir  quelque 
honte  de  sa  conduite;  il  craignit  un  éclat  contraire  au  service 
<lu  roi  et  dont  on  le  rendrait  responsable  :  «  Cette  conclusion 

(Ij  Le  roi  et  Liooue  à  Chuulues,  21  août  1666.  Home^  177. 
(2)  La  suite  de  la  correspondance  prouve  que  le  duc  n'avait  pas  même  cette 
somme. 
13;  Au  roi,  17  août.  —  5  octobre  1666.  Romej  178. 
(^)  10  septembre  1666.  Rome,  178. 

LOUIS  XIV  IT  LE  SÂlNT-5lÉtiI.  —  11.  lU 


H6  CHAPITRB    OflNZlÈMB 

d'affaire,  dit-il,  vient  dans  une  conjoncture  très  fâche 
les  poursuites  ne  peuvent  produire  que  de  méchauts  e 
obligeant  peut-être  le  cardinal  Chigi  de  prendre  quelqi 
contraire  aux  intérêts  de  Votre  Majesté,  les  faction: 
rentes  pouvant  prendre  cette  occasion  d'attirer  ce  c 
par  le  dégoût  qu'il  recevra  à  la  fin  du  pontificat  de  son 
auquel  ce  sera  même  comme  donner  le  coup  de  la  mor 
Ces  scrupules  ne  l'arrêtèrent  pas,  et,  affectant  de  cro 
tout  l'argent  du  premier  terme  était  prêt,  il  alla  son 
cardinal  Chigi  d'accepter  les  offres  du  prince  et  de  lui  n 
la  moitié  de  l'Etat  de  Castro.  «  Pour  le  presser  d'une  c 
sion,  raconte-t-il,  je  lui  dis  que,  depuis  plusieurs  jours 
chargé  d'en  venir  faire  la  déclaration;  mais  que,  quoi 
Sainteté  n'eût  qu'à  dire  un  mot  pour  remettre  lexécu 
l'affaire  à  la  Chambre,  j'avais  différé  d'en  parler  jusqi 
que  Sa  Sainteté  fût  en  meilleur  état,  et  qu'ainsi  je  venai 
lui  faire  les  offres  nécessaires,  de  livrer  toute  la  somme 
par  ledit  traité  (2).  Un  coup  de  foudre  n'aurait  pas  plus 
le  cardinal  que  cette  déclaration,  sur  laquelle  il  me  dit 
savais  bien  que  c'était  une  affaire  sur  laquelle  il  ne  pou^ 
me  répondre  sans  avoir  parlé  à  Sa  Sainteté.  Je  le  priai 
loir  recevoir  ses  ordres  au  plustôt,  et  lui  représentî 
n'ayant  voulu  donner  aucune  facilité  pour  faire  l'amas 
argent,  M.  le  duc  de  Parme  souffrait  un  grand  préjud 
le  retardement  de  cette  affaire, et  qu'ainsi  je  le  priais  de  ^ 
la  presser,  puisqu'elle  ne  dépendait  que  d'un  moindre  s 
Sa  Sainteté,  si  elle  ne  voulait  pas  dire  une  parole.  Lee 
n](»  dit  qu'il  en  parlerait  au  plus  tôt  et  que,  dans  le 
temps,  il  m'en  ferait  savoir  la  réponse...  Il  adonné  la 
d'agir  aux  ministres  de  M.  le  duc  de  Parmes,  qui,  ét£ 
en  peine  de  la  manière  dont  ils  en  devaient  user,  sont 
(le  prendre  le  parti  qu'ils  voudront...  Cependant,  Sire 
vois  pas  qu'il  puisse  avoir  assez  de  temps  pour  finir  a 


(V  a  mai.  nomf\  IS3. 

(2^  I.i>  li)  mai.  le  dur  do  Parme  lit  promener  dans  Romef  juaqu'aiu 
(le  U  Chamluv,  dir  rdi-rosnes  qu'il  disait  pléius  d'argent,  mais  le  ducd 
noi»  avoua  au  roi  que  c't^tail  une  pure  comédie  et  que  le  prince  nV 
pu  réunir  la  somme  nuuoncoe.  ^X\\  roi,  23  mai.  Rome,  183.) 


MORT    D^ALEXANDRE    VII  147 

lire,  étant  tout  ce  qu'on  pourrait  espérer  si  Sa  Sainteté  la 
ouhaitait;  mais  ne  la  voulant  pas  et  la  voyant  tous  les  jours 
lia  veille  de  sa  mort,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  aucune  appa- 
rence de  la  finir  ;  en  quoi  ledit  duc  a  bien  plus  de  tort  de  n'avoir 
pris  aucun  soin  de  la  presser,  nonobstant  toutes  les  sollicita- 
ticms  que  Je  lui  en  ai  faites  et  les  avis  pressants  que  je  lui  ai 
donnés  sur  l'incertitude  de  la  santé  du  pape,  »  — Si  nous  nous 
adressons  aux  officiers  de  la  Chambre,  ils  sont  «  assez  bien 
fondés  de  ne  rien  faire  sans  ordre...  Je  crois,  Sire,  que  M.  le  duc 
de  Parme  n'aura  qu'à  se  plaindre  de  ses  propres  lenteurs  (i  ).  '> 
Ainsi  Louis  XIV  était  Tunique  promoteur  de  cette  affaire, 
qui  n'intéressait  en  rien  la  France  et  où  il  ne  voyait  que  le 
moyen  de  satisfaire  sa  haine  personnelle  contre  Alexandre  VII  : 
il  s'acharna  sur  sa  victime  jusque  dans  les  angoisses  de  la 
mort.  «  Vous  verrez  par  la  dépèche  du  roi,  écrivait  l'ambas- 
sadeur à  Lionne  le  17  mai  (2),  que  je  traite  le  pape  comme 
bien  vivant,  ayant  commencé  l'alfaire  de  Parme,  qui  me  fait 
faire  des  vœux  pour  la  longue  vie  du  pape;  mais,  selon  mes 
supputations,  ladite  affaire  ne  se  pouvant  terminer  en  deux 
mois,  je  vous  laisse  à  penser  combien  je  peste  souvent  contre 
M.  le  duc  de  Parme  de  ne  m'avoir  pas  donné  lieu  de  la  com- 
mencer plus  tôt.  »  Voici  enfin,  d'après  le  récit  do  M.  de  Chaul- 
nes,  ce  qui  se  passa  dans  la  soirée  du  *21  mai^  quelques  heures 
datant  la  mort  d'Alexandre  VII.  J'ai  prié,  dit-il,  M.  le  cardi- 
nal Rasponi  do  représenter  à  M.  le  cardinal  Chigi  qu'il  devait 
«  profiter  de  ces  derniers  moments  pour  me  donner  lieu  de  le 
servir  plus  utilement  auprès  de  Votre  Majesté  en  faisant  signer 
UQ  chirographe  à  Sa  Sainteté  sur  TalTaire  de  Parme;  que  je 
^cais  qu*elle  était  en  état  de  ne  point  trop  entendre  parler  daf- 
faireSy  mais  qu'il  ne  s'agissait  que  d'une  signature  et  que  je 
^ignorais  pas  que  la  main  des  papes  était  la  partie  qui  mourait 
la  dernière.  Le  cardinal  Rasponi  se  chargea  d'une  minute  du 
chirographe,  mais^  Sa  Sainteté  étant  entrée  en  agonie  depuis 
ce  temps,  il  n'y  a  point  eu  lieu  d'en  pouvoir  tirer  aucun  avan- 
tage (3).  « 

UjChaulues  au  roi,  .10  et  17  mui  1667,  Home.  183. 
.      't)  U  pape  mourul  le  22. 
[     i^)  Au  roi,  23  mai.  Rome,  183. 


448  CHAPITRE   QUINZIÈME 

Le  pontife  était   frappé  à  mort,  mais   sa  grande  intel- 
ligence était  encore  dans  toute  sa  plénitude  lorsqu'il  reçut  de 
la  France  une  autre  et  suprême  humiliation.  Dès  le  mois  de 
mars  1667,  les  cardinaux  de  la  faction  française,  sur  les  ins- 
tances de  Tambassadeur  (1),  reçurent  Tordre  de  se  rendre  à 
Rome  et  de  se  préparer  à  un  conclave.  Cette  nouvelle  a  blessé 
le  cardinal  Chigi,  dit  Tabbé  de  Mâchant;  mais  les  parents  ont 
donné  si  peu  de  contentement  à  la  France  qu'il  n'y  a  pas  lieu 
do  les  ménager,  quand  il  s*agit  du  service  du  roi.  —  La  pré- 
sence du  cardinal  d'Esté  et  la  prochaine  arrivée  des  cardinaux 
français  mortifient  extrêmement  Sa  Sainteté.  «  Affligono  som- 
mamente  ranima  sua^  non  poteva  esser  ferito  in  parie  più 
viva.  »  —  «  Ce  pape-ci.  répond  Louis  XIV,  n'a  pas  vécu  avec 
moi  d'une  manière  qui  doive  m'obliger  à  ménager  ou  cacher 
beaucoup  les  diligences  qui  se  font  à  Rome,  dans  l'occasion 
d*un  conclave  imminent,  et  qui  sont  toujours  fort  désagréables 
à  ceux  qui  gouvernent  (2).  » 

Ktait-il  donc  si  urgent  et  si  glorieux  d'étaler  sous  les  yeus 
des  Romains  les  misères  du  parti  français  ?  Son  chef,  le  car- 
dinal d'Esté,  à  qui  Sixte-Quint  aurait  justement  fait  trancher 
la  iHiy  devant  le  château  Saint-Ange,  était  odieux,  on  sait 
pourquoi,  à  tout  le  collège  et  surtout  à  ses  membres  les  plus 
pieux  ol  les  plus  intelligents  (3).  —  Le  cardinal  de  Rela^ 
demeurait  aussi  suspect  au  roi  qu'au  pape  (4).  Le  zèle  affecté 
et  inusité  qu'il  avait  naguère  déployé  pour  les  intérêts  de  la 
couronne,  avait  pu  lui  attirer  quelque  compliment  emphati- 
(|ue  de  Lionne  et  de  Louis  XIV,  mais  nul  n'ignorait  qu'il 
n'aurait  jamais  leur  confiance.  —  Le  cardinal  Orsino  avait  du 
porter  ses  soumissions  jusqu'à  Saint-Germain,  pour  obtenir 

\\\  Au  ri>i«  1  mars.  Home,  181. 

\â^  MAoliHut  à  Lioimo.  l*'  o(  5  avril  1G67.  —  Le  roi  à  Chaulnes,  15  avril. 
Homt,  [$il. 

(i\)  Jo  ;^ui»  (î\cbi^  que  vou:»  ayei  besoin  de  VEncadt-on^  avec  lequel  le  cardinal 
d'Kslo  uVî^i  |»A:»  en  bonne  iulolliconco.  ,Le  roi  à  Chauloes,  26  mars  1667. 
Ko'Mf.  IS:V^ 

V«^  Il  nvait  quiUo  Rouie  au  nuM>  de  i^epleuibre  précédent,  sans  y  laisser  de 
ivfiivt  :  U  na  p.i^  pu,  ootivait  Bourleniout.  obtenir  du  pape  une  audience  de 
oooi:*^.  nialjjre  !»e*  vive*  ui$tanoe».  •  ce  qui  a  sembla  assex  étrange  ici,  S.  S- 
notant  pas  plu;!^  malade  qu  a  I  ordinaire,  ne  tenant  pas  le  lit  et  cheminant  par 
se»  ehaiulvre».  ^  (A  Lionne»  :îl  septembre  I6<>ô.  Aoaie,  178.) 


MORT   d'aLEXANDRE   Vil  149 

que  la  comprotection  de  France  lui  fût  rendue  :  il  joignait 
aux  libéralités  du  roi  les  propines  attachées  à  la  protection  de 
Pologne  et  de  Portugal,  sans  avoir  ni  talent  ni  vertu  pour 
se  relever  du  mépris  où  des  dettes  immenses  avaient  alors 
plongé  sa  maison.  —  Le  cardinal  Mancini    était   toujours, 
comme  disait  le  pape,  «  un  bon  homme  pourvu  qu'il  ne  fit 
rien.  »  —  Le  cardinal  Antoine  Barberini  ne  comptait  plus 
à  Rome  parmi  les  créatures  de  son  oncle  Urbain  VIII,  et  se 
rendait  de  jour  en  jour  plus  importun  à  la  cour  de  France.  — 
Le  cardinal  Grimaldi  commençait  à  faire  oublier  qu'il  avait 
trop  longtemps  mérité  la  faveur  de  Mazarin  ;  mais  sa  réputa- 
tion était  encore  bien  équivoque  dans  le  sacré  collège.  —  Le 
cardinal    Maidalchini   ne  scandalisait  pas   moins   le  palais 
Farnèse  que  le  reste  de  la  ville  (1),  et  il  imaginait  fréquem- 
ment ce  que  Ton  appelait  des  maidalchinades  pour  escroquer 
des  gratifications  royales  (2).  »  Le  nouveau  cardinal  de  Ven- 
dôme allait-il  donner  du  relief  à  la  faction  française?  le  roi  le 
fit  entrer  précipitamment  dans  les  ordres  pour  qu'il  pût  voter 
au  conclave  (3).  A  peine  arrivé  à  Rome,  il  demanda  des  instruc- 

(1)  Je  suis  embarrassé  d'un  incident  que  provoque  le  cardinal  Maidalchini. 
lia  «  pris  un  confesseur  (voilà  peut-ôtre  encore  une  nouvelle  pour  vous  quMl 
▼Q  à  confesse)  d'un  ordre  dont  M.  le  cardinal  Carlo  Barberini  est  protecteur»  ; 
mais  ce  moine  n*a  sollicité  ce  titre  que  pour  se  dispenser  d*obéir  à  son  géné- 
ral, etc.  (Chaulues  à  Lionne,  16  novembre  1666.  Rome^  179.)  — -  o  11  est  vrai 
qu'il  ne  me  serait  jamais  tombé  dans  Tesprit  que  les  confessions  de  M.  le 
cardinal  Maidalchini  eussent  pu  vous  faire  une  atfaire  embarrassante.  »  (Lionne  à 
Chauines,  10  décembre.  Rome^  179.) 

(2)  <t  n  y  a  quelque  temps  qu'il  me  demanda  mille  écus  pour  sa  cellule 
dont  n'ayant  point  ordre,  je  les  lui  fis  donner  sur  les  trois  premiers  mois  de 
cette  année,  et  priai  M.  Colbertde  vouloir  lui  faire  toucher  eucore  le  second 
quartier  par  avance,  ce  que  m'ayant  accordé,  lorsque  le  cardinal  Maidalchini 
&  en  ces  6,000  livres,  il  m'a  envoyé  demander  4,000  francs  pour  son  ameublement 
et  toate  son  année  par  avance...  »  Je  le  remis  après  le  conclave,  mais  «  il 
m'eavoya  hier  au  soir  MafTei  pour  me  dire  qu'il  n'avait  pas  besoin  d'argent 
etqa'il  saurait  bien  où  en  trouver...  En  vérité,  si  je  me  croyais  et  si  je  con- 
cilierais seulement  le  bien  des  affaires  du  roi  sans  en  attendre  les  ordres,  je 
lui  aurais  dès  hier  donné  son  congé;  et  quand  je  songe  que  son  vœu  coUte 
^0,000  écus  à  S.  Af.,  qui  seraient  employés  bien  plus  utilement  en  quelque  autre 
^ujet  qui  ferait  honneur  à  la  faction,  je  vous  assure  que  cela  méfait  bien  de  la 
peine,  n  (Chaulnos  à  Lionne,  23  mai  1667.  Rome,  183.) 

(3)  Chauines  et  Bourlemont  à  Lionne,  8  mars.  Rome^  181.  —  «  Le  pape  a 
refusé  au  cardinal  Moncada,  ainsi  que  S.  S.  a  fait  au  cardinal  de  Vendôme,  la 
dispense  limitée  pour  prendre  les  ordres,  sans  lesquels  ils  ne  peuvent  avoir 


b 

L 


1  îiO  CHAPITRE  OriNZIÈME 

lions  à  Lionne  sur  ses  devoirs  de  cardinal,  «  en  sorte,  dit-il. 
quftje  ne  fasse  rien  qui  nait  raveu  du  maître  et  le  vôtre [\\  » 
On  lui  imposa  d'avance  pour  conclavistes,  avec  l'abbé  de  Mâ- 
chant, un  Italien,  l'abbé  Buli.  ancien  affidé  de  Mazarin  et 
d'Ondedei,  qui  touchail  lous  les  ans  <(  un  acquit  patent  de 
3,000  francs  (2)  »,  et  qu'on  fil  revenir  en  toute  hâte  de  Paris. 
Votre  Éminence,  lui  écrivait  Lionne,  apprendra  toutes  les 
intentions  du  roi  de  la  bouche  de  M.  l'ambassadeur  avant  son 
entrée  au  conclave.  «  Il  faudra  seulement  qu'avant  de  s'enfer- 
mer elle  prenne  les  mesures  avec  lui  pour  lui  donner  tous  les 
jours  deux  fois  des  nouvelles  de  ce  qui  se  passera  dans  le  con- 
clave, et  M.  Buti  peut  lui  suggérer  les  moyens  dont  il  se  ser- 
vait lui-même  pour  m'en  donner  journellement,  au  conclave 
où  ce  pape-ci  fut  élu  (3). 

Le  26  mars,  Machaut  exprimait  cyniquement  l'impatience 
de  l'ambassadeur,  partagée  depuis  longtemps  par  le  roi  et  par 
Lionne  :  «  Von  commence,  disait-il,  à  s'ennuyer  ici  de  vous 
écrire  par  les  ordinaires,  et  je  ne  sais  quand  il  y  aura  lieu  de 
le  pouvoir  faire  autrement  (4).  »  En  attendant,  le  duc  de 
(Ihaulnes  cherchait  à  nouer  des  intrigues  avec  divers  cardinaux, 
demandait  de  l'argent  à  sa  cour  pour  acheter  des  cons- 
ciences (iJ)  et  se  vantait  do  tromper  toutes  les  factions  (6);  mais 
il  no  réussissait  qu'à  contristor  le  palais  par  ses  démarches 
imprudentes  et  n'obtenait  d'éloges  que  de  son  secrétaire  (7). 

voix  active  ni  passive  au  conclave,  ce  qui  s'était  toujoars  donné  facilement 
aux  cardinaux  qui  n'étaieut  pas  in  sacris  pour  on  an  ou  deux,  la  faisant 
renouveler  dedans  le  besoiu.  »  (Bourlemont  à  Lionne,  29  mar9.  Homt^  182.)  — 
VendiNmo  reçut  le  sous-diaconal  le  9  avril  et  le  diaconat  le  lendemain.  (Vendôme 
à  Lionne,  9  avril.  Home,  IS2.^ 
(t)  24  mars,  linme.  1S2. 

(2)  l>irti(mnaîrr  //rv  bienfaits  liu  roi,  par  Tabbé  Dangeau.  Bibl.  nat..  m&i. 
fr.  HVM  et  sniv. 

(3)  Le  roi  d  Chaulnes,  18  mars;  à  VendcNuie  20  mars.  —  Lionne  à  Cbaulnes, 
25  mars;  ù  Vendôme,  8  avril  ICtH.  /{orne,  182. 

^4)  t:'est-à-dire  d'envoyer  uu  courrier  extraordinaire,  annonçant  la  mort  du 
pape.  ^A  Lionne,  2(>  mars.  Home,  182.) 

(j)  S  mars.  Home,  181.  2t>  avril  Home,  183. 

vt'O  .\u  roi,  15  nurs;  a  Lionne,  S  et  22  mars,  26  avril.  Rontêy  181,  182  et  183. 

{i)  «  .Monseii?neur,  on  no  vous  saurait  ass^ez  faire  connaître  l'application 
continuelle  et  infatigable  de  M.  l'ambassadeur  dans  cette  occatioo.  Le  pape 
ost  réduit  à  rextrémitè...  S.  M.  sera  admirablement  senrie...  1|.  rambasMidear... 


MORT    d'aLEXANDRE    VIT  <5l 

Le  15  mars,  Tabbé  dcBourlemont  écrivait(l)  :  «Après  le 
insistoire  que  le  pape  fit  pour  la  promotion.  Sa  Sainteté,  se 
cuvant  pressée  de  son  mal,  communia  pour  viatique,  vêtue 
L  avec  Télolc,  en  une  grande  résolution  et  pour  ainsi  dire  une 
itrépidilé  de  samort,que  Sa  Sainteté  dit  avoir  toujours  eue  en 
ensée  et  devant  les  yeux.  »  -  M.  de  Chaulncs  ne  s'exprime 
as  autrement  :  v  ...  Sa  Sainteté  témoigne.  Sire,  une  grande 
?rmeté  d'esprit,  ou,  pour  mieux  dire,  une  ferme  opiniâtreté 
iisques  au  bout,  parlant  de  sa  mort  sans  alarme  et  donnant 
DUS  ses  ordres  avecunegrande  tranquillité.  Elle  ordonnahier 
les  sièges  pour  MM.  les  cardinaux  qu'elle  veut  voir  avant  sa 
mort,  et  Votre  Majesté  peut  croire  si  la  harangue  sera  étudiée; 
mais  souvent  l'on  compose  et  Ton  apprend  par  cœur,  et  Ifi 
ffeiir  manque  dans  Texéculion.  »  —  Pour  cacher  son  état  dé- 
sespéré, il  parle  d'aller  visiter  les  travaux  qu'on  exécute  à 
Saint-Pierre,  à  Castel-Gandoifo;  mais  il  finit:  on  le  compare 
-  à  une  chandelle  qui  s*éteint  et  qui,  dans  sa  fin,  fait  paraître 
ncore  plus  de  lumière.  Voilà,  Sire,  le  sentiment  de  ceux  qui 
Ift  voient  et  qui  le  traitent  (2).  »  —  Le  saint-père,  écrit  à  son 
iftiir l'abbé  de  Machaut,  appelle  cinq  ou  six  fois  par  jour  auprès 
'le  lui  le  P.  Bona  (3),  qu'il  a  choisi  pour  l'assister  à  la  mort, 
elqui  <f  esta  deux  mains,  car  il  sera  pour  soulager  l'esprit 
par  SOS  belles  et  agréables  conversations,  et  pour  disposer 
son  âme  à  un  départ  en  cas  qu'il  en  soit  besoin...  »  Et  le  mi- 
sérable ajoute  :  «  Toutes  ses  actions  ont  fait  dire  de  bons  mots  : 
onTonvoioaux  limbes  enseigner  la  grammaire  aux  enfants 
morts-nés  (4).  » 

L'exercice  de  sa  double  souveraineté  ne  souffrit  pas  de  son 
affaiblissement.  On  sait  déjà  que  c'est  précisément  à  cotte 
époque  qu'il  donna  le  plus  de  soin  aux  affaires  ecclésiasti- 
ques de  France.  La  maladie  le  forçant  do  suspendre  pour 
quelques  jours  son  travail  personnel  avec  ses  ministres  et  ses 


''t  ici.  dans  une   considéraUon  et  daus  uue  entime  auprès  df*  tous  MM.  les 
ciriiioaux  etc.  etc.  »  (x\  Lionne  lU  mars.  Home,  182.) 

1)  A  Lionne.  Rome^  182. 

i)  12  et  15  mars.  Rome,  182. 

(3;  Général  des  Feuillants. 

4)  A  Lionni',  12  iuari>.  Rome^  182. 


.152  CHAPITRE    QUINZIÈME 

officiers,  le  cardinal  Chigi  reçut  de  lui  une  délégation,  dite  le 
concessum,  pour  signer  certains  actes,  Auneépoque  où  le  duc 
de  Chaulnes  se  flattait  encore  d'intimider  ce  prélat  et  d'obtenir 
de  lui  ce  que  refusait  son  oncle,  il  avait  été  le  premier  à  solli- 
citer pour  lui  de  pleins  pouvoirs  (l)  :  comme  il  ne  put  profiter 
de  cette  délégation,  il  prétendit  qu'on  en  avait  abusé,  que  les 
parents  avaient  pillé  la  daterie!  Mais  ce  sont  les  dépêches 
françaises  qui  constatent  le  mieux  la  vigilance  avec  laquelle 
le  pape  gouverna  sa  famille  jusqu'à  la  dernière  heure.  Dès 
qu'il  sentit  ses  forces  revenir,  il  retira  le  coticesstfm  et  demanda 
compte  de  l'usagequi  en  avait  été  fait  :  «  Il  semble,  dit  Machaut, 
qu'il  épie  les  moments  pour  surprendre  ses  parents  dans  quel- 
que manquement  ;  il  a  de  la  joie  de  les  mortifier,  marque 
assurée  d'un  mauvais  intérieur  (2).  »  Le  récit  de  Bourlemont, 
encore  malveillant  et  inexact,  permet  de  reconstituer  la  vérité 
entière  :  «J'ai  su,  dit-il,  que  lorsque  le  pape,  dedans  le  fort  de 
sa  maladie,  remit  au  cardinal  Chigi  le  coficesstim  pour  distri- 
buer les  bénéfices  et  grâces  vacantes,  il  f  avisa  de  prendre  soin 
de  récompenser  ceux  qu'il  savait  avoir  le  mieux  servi  le  saint- 
siège;  et  à  ce  titre,  M.  Ravizza  (3)  a  eu  plusieurs  bénéfices  et 
pensions  tant  pour  lui  que  pour  de  ses  domestiques.  L'on  en 
a  aussi  donné  à  plusieurs  officiers  de  cette  cour  ;  mais  le 
meilleur  et  le  plus  grand  est  allé  au  profit  des  parents,  de 
façon  que  le  pape,  ayant  su  que  son  intention  n'avait  pas  été 
entièrement  suivie,  a  témoigné  en    ressentir    du   déplaisir. 
M.  Altoviti  étant  venu  me  voir  »  se  plaint  de  n'avoir  rien  eu.  — 
On  le  devine  tout  de  suite,  l'ambassadeur  et  Bourlemont  ré- 
pètent les  plaintes  que  ne  manque  pas  d*exciter  la  plus  équi- 
table distribution  de  grâces.  Puisque  Bourlemont  cileTun  des 
mécontents,  je  montrerai  quelle  confiance  méritait  M.  Altoviti. 
C'était  l'indigne  neveu  du  feu  cardinal  Sacchetti,  dont  le  pa- 
tronage lui  avait  ouvert  la  carriera.  Il  avait  été  demandé  par 
le  roi  pour  la  nonciature  de  France  ;  mais,  envoyé  d'abord  à 
Venise,  il  y  était  encore  pendant  le  démêlé  des  Corses,  et  voici 

(1)  Chaulnes  au  roi,  5  octobre  1666.  Rome,  178. 

(2)  A  Lionne,  12  mars  1667.  Rome,  182. 

(3)  Qui  avait  accompagné  en  France  le  cardinal  Chigi  et  s'y  était  conduit 
avec  lant  de  distinction. 


MORT    d'aLEX ANDRE    Vlï  153 

comment  il  y  servait  Alexandre  VII.  L'évèquo  de  Béziers, 
ambassadeur  auprès  de  la  Seigneurie,  écrivait  à  Lionne,  le 
30  décembre  1662  :  «  Le  nonce  [Altovili]  m'a  fort  parlé;...  il 
me  dit  qu'il  vous  avait  mille  obligations;  que  vous  Taviez 
voulu  nonce  en  France,  et  qu^il  faudrait  que  le  roi  se  servit  de 
cette  conjoncture  pour  modérer  le  gouvernement  temporel  des 
papes  et  qu*il  se  rendrait  aussi  glorieux  que   les  Pépin  et  les 
Charlemagne,   s'il  obligeait  Sa  Sainteté  à  remettre   aux  six 
cardinaux  les  plus  anciens  la  direction  principale  de  l'Etat  ec- 
clésiastique; que  tout  ce  qu'on  ferait  bors  de  cela  ruinerait 
l'Église  et  enrichirait  les  parents,  et  que  le  reste  les  mortifierait 
et  mettrait  tout  le  monde  du  côté  du  roi.  Il  m'a  prié  instam- 
ment de  vous  écrire  tout  ceci  en  chiffre  (1) »  —  Les  Véni- 
tiens ayant  offert  leur  médiation  entre  Rome  et  la  France, 
Alloviti  vit  là  pour  lui  une  occasion  de  pousser  sa  fortune  en 
trahissant  le  saint-siège.  L'évêque  de  Béziers  écrivit  encore  : 
«  Le  nonce  dit  que,  si  l'affaire  de  Rome  se  doit  accommoder 
en  quelque  lieu  et  que  vous  la  fassiez  venir  ici,  il  prendra  plus 
(l'autorité  qu'on  ne  lui  en  donnera  pour  la  terminer  à  la  satis- 
faclion  du  roi.  Je  pense  bien  qu'il  le  ferait  comme  il  le  dit; 
car  il  est  persuadé  que  les  Chigi  n'oseraient  gronder  quand  il 
excéderait  ses  commissions,  et  qu'il  serait  le  plus  glorieux 
homme  du  monde  de  l'avoir  fait  (2).  »  Voilà  les  auteurs  de 
c<?s  accusations  acceptées  sans  contrôle  au  palais  Farnèse,  qui 
allaient  flatter  la  rancune  de  Lionne  et  du  roi,  et  qui,  à  ma 
connaissance,  ne  sont  confirmées  par  aucun  témoignage  dé- 
sintéressé. Prises  à  la  lettre,  elles  se  réduisaient  au  tort  de 
Q  avoir  pas  entièrement  suivi  les  iiitentions  du  pape;  mais  elles 
vont  trouver  bientôt  un  éclatant  démenti  dans  la  sympathie 
exlraordinaire  dont  toutes  les  classes  de  l'État  entoureront  la 
famille  Chigi,  après  la  perte  de  son  chef. 

Malgré  la  défense  des  médecins,  Alexandre  VII  tint  un  nou- 
veau consistoire,  le  16  mars,  avec  une  pompe  affectée^  dit 
M.  de  Chaulnes,  pour  proposer  des  églises  et  pour  donner  le 
chapeau  à  Caracciolo.  Il  ne  pouvait  <i  tenir  en  place  »,  ni  au 


(1)  ï'ewwe,  82. 

(2)  A  Lioune,  2«  lettre  du  0  octobre  16C3.  Venise^  83. 


154  CHAPITRE   QUINZIÈME 

lit,  qui  lui  échauiïait  les  reins,  ni  debout,  ni  assis,  à  cause  de 
sa  pierre.  L'abbé  de  Machaut  écrivait  à  Lionne  (1)  :  «  Il  est 
blessé  à  mort;...  c'est  un  homme  mort.  »  Cependant,  ajoute- 
t-il,  «  l'on  disait  aujourd'hui  que  le  saint-père,  qui  veut  finir 
son  pontificat  avec  le  même  zèle  et  la  même  application  que 
vous  lui  avez  vu  commencer,  fera  faire  demain  examen  des 
évèques  dans  sa  chambre,  et  qu'il  prétendrait  lundi  faire  un 
consistoire.  Depuis  le  3  de  ce  mois  qu'il  eut  son  premier  acci- 
dent, il  a  fait  beaucoup  d'actions  publiques.  Sa  passion  con- 
tinue pour  faire  les  fonctions  (2)  »,  et  plusieurs  congrégations 
délibèrent  autour  de  son  lit  sur  des  affaires  qu'il  réserve  à  son 
examen  personnel! 

Sa  vie  se  prolongea  jusqu'à  la  fête  de  Pâques,  qu'il  célébra 
pontificalement,  et  il  voulut  bénir  son  peuple  une  dernière 
fois.  L'ambassadeur  écrivit  :  «  Sa  Sainteté  ayant  été  élevée 
dans  sa  chaise  sur  les  épaules  de  huit  hommes,  elle  fut  portée 
jusqu'à  un  balcon  qui  regarde  sur  la  place  du  palais,  et,  étant 
restée  sous  la  porte  dudit  balcon  dans  la  même  élévation,  elle 
lut  deux  oraisons,  la  première  assez  bien;  mais  la  voix  lui 
baissa  un  peu  à  la  seconde,  et  ensuite  se  leva  pour  donner  la 
bénédiction,  et,  comme  j'étais  devant  sa  chaise  et  que  je  l'exa- 
minais assez,  je  remarquai  qu'elle  appuya  son  bras  droit  de 
sa  main  gauche.  Il  est  vrai  que  l'on  nous  dit  la  veille  que  Sa 
Sainteté  avait  ressenti  quelque  manière  de  goutte  au  bras  droit, 
et  ensuite,  les  indulgences  ayant  été  lues  par  deux  cardinaux. 
Sa  Sainteté  redonna  une  seconde  bénédiction;  mais  elle  ne 
se  lova  qu'à  demi,  ce  qu'elle  avait  fait  avec  apparence  d'une 
grande  force  la  première  fois,  ne  s'élant  pas  appuyée  sur  le 
bras  (le  sa  chaise,  et  fut  rapportée  dans  la  salle  de  paramenti 
où.  après  avoir  été  déshabillée,  elle  reçut  le  compliment  des 
bonnes  fMes,  selon  la  coutume,  par  M.  le  cardinal  Barberini 
au  nom  du  sacré  collège,  lequel  lui  en  ayant  fait  un  sur  sa 


(I)  Cliftulnoï»  uu  roi,  10  cl  22  mars»  lOOT.  —  Mâchant  à  Lionne,  19  mari. 
Honi0,  i82. 

(:2)  Mnl^rMoH  tortures  qu'il  endurait  alors,  au  témoignage  même  de  Machaat: 
y>  i\\\  haniio  applicatl  certi  cerotti  soprali  reni,  li  quali  essendo  tntti  scarnificati, 
non  hn  potuto  ancho  «ofriro  per  una  hora.  »  (\  Lionne,  22  et  26  mars  1667. 


MORT  d'alexandre  yii  itiS 

onne  santé  et  sur  la  fonclion  présente,  il  répondit  que  l'es- 
•rit  était  prompt,  mais  que  la  chair  était  infirme...  A  l'égard 
le  la  manière  dont  je  le  trouvai,  je  puis  dire  à  Votre  Majesté 
[ue  je  fus  surpris  d'abord  de  voir  son  visage  et  que  Tambas- 
ladeur  de  Venise  fut  dans  le  même  sentiment,  parce  que,  si 
^a  Sainteté  eut  fermé  les  yeux,  Ton  aurait  pu  ne  la  pas  compter 
[larmi  les  vivants  (1).  »  Cet  effort  fut  immédiatement  suivi 
Tune  crise  qui  causa  les  plus  vives  alarmes. 

Aussi,  pendant  qu*il  se  sentait  encore  toute  sa  liberté  d'es- 
prit et  de  parole,  Alexandre  VII  résolut  de  faire  ses  adieux  au 
sacré  collège.  Le  vendredi  15  avril,  dans  la  matinée,  trente-six 
cardinaux  se  réunirent  dans  sa  chambre,  et,  après  qu'il  eut 
reçu  le  viatique  des  mains  du  cardinal  Nini,  il  leur  adressa  un 
discours  qu'il  répéta,  le  lundi  suivant  [18],  à  cinq  de  leurs  col- 
lègues qui  n'avaient  pas  pu  répondre  au  premier  appel.  Je  ne 
ronnais  qu'un  récit  authentique  de  cette  scène,  conservé  dans 
k  Diario  du  maître  des  cérémonies  Servatio  qui  était  pré- 
sent (2)  :  u  Les  cardinaux  étaient  debout  autour  du  lit  (3);  le 
pape,  s'exprimant  d'une  voix  assez  faible,  leur  fit  connaître 
ses  souffrances  et  le  péril  où  il  était.  Il  exprima  le  regret  que 
le  temps  lui  manquât  pour  réparer  les  fautes  où  l'infirmité 
l'avait  probablement  fait  tomber,  et  leur  en  demanda  pardon. 
Il  leur  recommanda  instamment  la  Sainte  Église  Romaine, 
qui  allait  être  privée  de  son  pasteur  :  il  les  pressa  de  mettre 
ile  côté  tout  intérêt  de  famille  et  toute  considération  humaine  ; 
de  ne  regarder  que  Dieu  seul  et  de  lui  donner  un  chef  digne 
d'elle,  qui  lui  apportât,  dans  ses  besoins  présents,  le  secours 
de  toute  sa  vigilance^  de  tout  son  zèle,  de  toute  sa  charité.  Il 
s'éleva  de  toutes  ses  forces  contre  ceux  d'entre  eux  qui  ne 
traignent  pas  de  se  vendre  eux-mf*mes  et  l'Eglise  aux  princes 
^cxdiers  (4).  Il  donna  de  grandes  louanges  à  sa  famille  et  la 

1)  12  avril,  Rome,  182. 

(2)  Archifes  du  Vaticaa  :  Servaniii  diaria,  1665  à  1668. 

(3)  Les  cinq  cardinaux  préseots  le  18  avril  étaient  Orsino,  Impériale,  Palla- 
^icïDo,  Paaluzxi  et  Rondanini.  Azzolino,  qui  était  au  nombre  des  trente-six, 
^Qiit  voir  Alexandre  VII,  le  18,  lorsque  furent  Introduits  les  cinq  :  il  fut  témoin 
<ie  It  seconde  scène  commn  de  la  première. 

(^)  •  Cardinales  lllos  omni  conatu  increpare  curavit,  qui  se  ipsos  et  Ecole- 
Mam  Dei  principlbus  sœcularibus  vendere  prœsumunL  » 


i 


156'  CHAPITRE    QUINZIÈME 

leur  recommanda  avec  d'autant  plus  de  confiance  qu*il  ne 
l'avait  appelée  qu'avec  leur  approbation  et  qu'elle  s'était  cou- 
duite  avec  modestie,  sans  mériter  un  reproche,  comme  il  con- 
vient aux  neveux  et  aux  parents  d'un  pontife.  Enfin  il  les  ad- 
jura de  procéder  à  l'élection  avec  l'esprit  de  paix,  l'union, 
l'intelligence  et  l'attention  qu'exigeaient  les  nécessités  de 
l'Église.  II  dit  plusieurs  autres  choses  qu*il  serait  long  de  ra- 
conter et  qui  ne  sont  pas  arrivées  jusqu'à  mon  oreille.  Les 
cardinaux  étaient  tellement  serrés  et  pressés  (ctrcum  circa 
autour  du  lit  que  personne  n'en  pouvait  approcher,  et  derrière 
eux  on  ne  percevait  pas  les  paroles  mais  seulement  le  son  d'une 
voix  faible  et  basse.  J'étais  venu  là  cependant  avec  l'intontioc 
de  recueillir  autant  que  possible  ses  paroles  textuelles  ({).  Le 
cardinal  Barberini,  doyen,  répondit  au  nom  de  tous  que  le 
sacré  collège  déplorait  la  maladie  de  Sa  Sainteté;  quil  ne 
cesserait  pas  de  prier  pour  sa  conservation;  que  si  Dieu,  danî 
ses  desseins  impénétrables,  ne  daignait  pas  les  exaucer,  ils 
garderaient  le  souvenir  de  ses  commandements  et  y  obéiraient; 
que  cependant  ils  lui  rendaient  grâces  de  ses  avertissement^ 
paternels  et  imploraient  pour  eux  sa  sainte  bénédiction.  Sa 
Sainteté  les  bénit  :  la  plupart  versaient  des  larmes  et  baisaient 
les  couvertures  qui  cachaient  ses  pieds  (2).  Le  saint-père  pro 
nonça  ensuite  la  profession  de  foi  dont  la  formule  futluepai 
notre  collègue  M^^'  Febei,  pendant  que  je  tenais  le  flambeau; 
et  Sa  Sainteté,  la  main  étendue  sur  le  crucifix  d'un  missel  que 
lui  présentait  M^  Pedacchia,  le  baisa,  puis  jura  en  disant: 
Que  Dieu  me  soit  en  aide  !  Après  quoi,  tous  sortirent  et  le  pape 
demeura  seul  avec  les  siens  (3).  Nous  étions  présents,  nous 
maîtres  des  cérémonies  et  plusieurs  personnes  de  Tintiine 
familiarité  du  pape.  Il  y  avait  aussi  les  parents  de  Sa  Sainteté, 


(1)  «  lutereram  tamen  totum  seriuonem  ad  Yerbom  si  ejas  transsumptan 
babcre  potuero.  »> 

(2)  «...  Quain  poDtifex  clargituâ,  pluribus  lacrymas  effundenUbas  et  stra 
gula  »ub  quibus  pedes  existebaut  deoscuIaDlibus.  »  —  L*abbé  de  Machautei 
convient  iiialgrt^  lui.  eo  son  grossier  langage  :  a  U  y  en  eut  pourtant  parmi  1' 
troupe  cfte  singhiazzarono  hene^  e  fra  gli  a/tri  Borromeo.  Tons  lui  baisèreo 
la  main  en  sortant.  •  (A  Lionne,  23  avril.  Homey  182.)  —  Le  cardinal  Borrooie* 
u^assista  qu'à  la  scène  du  13  avril. 

(3)  k  His  expletis  onines  abienint,  et  papa  remansit  solus  cum  sois.  » 


MORT   D*ÂLEXANDRË   Vil  157 

aais  presque  incognito  (1).  Les  cardinaux  étaient  au  nombre 
ie  Irente-six...  Dans  la  chambre  qui  précédait  celle  où  le  pape 
était  couché,  on  voyait  le  cercueil  de  plomb,  que  Sa  Sainteté 
avait  fait  faire  au  commencement  de  son  pontificat  (2).  » 
Cette  relation  est  évidemment  incomplète  (3);  non  seule- 

(1)  «  AderaDt  etiain  coosanguinei  sed  fere  ignote.  » 

(I)  Celte  action  avait  donné  lieu  aux  moqueries  de  Lionne  et  du  cardinal 
de  Ret2,  en  1663  :  elle  avait  cependant  paru  fort  naturelle  à  tout  le  monde. 
Âlexaudre  VII,  qui  avait  été  taillé  avant  son  exaltation,  croyait  avoir  peu  de 
temps  à  vivre.  Les  fatigues  du  conclave  et  des  cérémonies  qui  suivirent  l*c- 
lectioD  furent  une  grosse  épreuve  pour  sa  santé.  Voulant  que  la  splendeur  de 
iOQ  nouveau  rang  ne  lui  fit  pas  oublier  un  instant  la  pensée  de  la  mort,  il 
iTaitfait  mettre  un  cercueil  sous  son  lit  :  u  ûal  primo  giorno,  dit  le  cardinal 
Pallavicino  dans  ses  fragments  sur  la  vie  de  son  ami,  prese  per  consigliere 
iodivisibile  a  lutte  Tazioni  délia  vita  il  pensier  délia  morte,  collocando  sotto 
al  8U0  letto  la  m%desima  cassa,  ove  destinava  che  giacesse  il  suo  cadavere.  » 
(Lib.  111,  c.  II,  p.  269.)  Pour  éviter  tout  reprocbe  d'affectation,  quand  les  symp- 
tômes les  plus  inquiétants  eurent  disparu,  il  ne  garda  pas  le  cercueil  dans  sa 
cliambre.  Dès  que  le  péril  revint,  on  vit  à  ses  côtés  l'objet  qui  lui  rappelait 
I&I18  cesse  le  prochain  jugement  de  Dieu.  «  Le  jeudi  au  soir  [14  avril],  dit 
Machhut,  il  avait  fait  venir  sa  bière,  qui  est,  comme  je  crois,  de  votre  con- 
naissance, mais  qui  a  été  plus  de  onze  ans  fort  poudreuse  et  fort  abandonnée 
dans  un  grenier.  »  (A  Lionne,  23  avril.  Romet  183.)  —  Ce  cercueil  reparaît 
dans  tous  les  pamphlets  français,  publiés  contre  Alexandre  VII.  U  était  réservé 
âChanteiauze  de  dépasser  tous  ses  prédécesseurs  :  u  Le  jour  do  son  élection, 
dit-il,  Alexandre  VU  commanda  son  tombeau  au  cavalier  Bernin  et  il  le  fit 
placer  dans  sa  chambre  à  coucher!  »  {Retz  et  ses  missions  à  Rome,  page  77.) 
Faut-il  demander  à  l'auteur  si  c'o.<^t  le  même  tombeau  qui  est  aujourd'hui  dans 
Qoe  des  chapelles  de  Saint-Pierre? 

(3)  Je  n*ai  pu  me  procurer  un  texte  sûr  de  ces  discours.  Étant  à  Rome, 
j'ippris  qu'ils  avaient  été  imprimés,  et  je  pus  en  effet  consulter  une  bro- 
chure publiée  à  Modèue,  en  1881,  sous  le  titre  de  Omaggio  desultanza  per 
lefauslissime  nozze  (21  luglio  1881),  à  Toccasion  du  mariage  d'un  membre 
de  la  famille  Chigi,  le  marquis  Pietro  Schedoni  di  Camazzio  avec  la  prin- 
cesse Caterina  Manoukbey.  On  a  donné  place,  dans  cette  brochure,  à  di- 
verses pièces  concernant  la  maison  Chigi,  et  en  particulier  la  personne  et 
^  poQtificat  d^Alexandre  VII.  J'y  ai  trouvé,  pages  57  et  suivantes,  une  »  vera 
relazione  dell'  intirmità  e  délia  morte  del  summo  poutefice  Alexandro  VU», 
data  in  luce  da  Francesco  Moneta  »  qui  était  un  imprimeur  romain  du 
l'ni*  siècle.  Cette  relazione  comprend  une  traduction  italienne  de  l*allocutiou 
ialioe  prononcée  par  le  pape  devant  les  cardinaux,  dont  l'éditeur  avoue  qu'il 
cireolait  des  copies  infidèles  :  «  E  andata  attorno  molto  guasta  o  dall'  igno- 
ruixa  0  dalla  malignità.  »  Mais  l'auteur  de  VOmaggio  parait  lui-même  bien 
pra  compétent  pour  constater  l'authenticité  de  la  pièce  qu'il  réimprimait;  car 
lOD  abrégé  du  pontificat  d'Alexandre  VIL  et  surtout  son  récit  de  l'affaire  des 
Cônes  contiennent  des  erreurs  à  peine  croyables.  Ainsi,  il  suppose  que  le 
lomnlte  des  Corses  dura  deux  Jours,  C'est,  selon  lui,  dans  la  soirée  du  21  août, 
^ftktera  del  successive  giorno  ^/,  que  des  soldats  de  cette  milice  auraient 


188  CHAPITRE   QUINZIÈME 

ment  Alexandre  VII  a  donné  plus  détendue  aux  diverses  par 
ties  de  son  discours,  mais  il  a  traité  plusieurs  sujets,  et  de  trè: 
graves,  dont  Servatio  ne  dit  pas  un  mot.  Les  deux  allocutiooi 
n'étaient  pas  pour  plaire  aux  agents  français,  qui  en  parleni 
avec  une  extrême  irritation  :  a  Sa  Sainteté,  dit  Ghaulnes,  eût 
bien  fait  d'en  retrancher  la  moitié  (1)  ;  »  mais  Servatio  avait  po 
entendre  et  noter  Tendroit  capital,  et,  si  le  pape  tint,  malgré 
sa  faiblesse,  à  redire  ce  long  discours  aux  cinq  cardinaux  le 
18  avril,  c'est  qu'il  y  avait  parmi  eux  un  cardinal  vendu  à 
Louis  XIV,  Orsino^qui,  sous  l'influence  de  la  première  colère, 
communiqua  au  roi ,  credeiido  che possa  essere  co$a  di  suo  gusto^ 
un  récit  de  «  le  belle  scène  delpapa  fatte  iielV  iiltimo  delta  sm 
viia  e  Finvettive  fatte  ai  cardinali  sotto  specie  di  paterni  ri- 
cordi,.,  »  L'indigne  cardinal  ajoute  :  «  Ne  il  collegio  havera 
da  s  tare  malinconico,  mentre  che  si  ha  dato  la  hcrta  [2]  anche 
morejido  (3).  »  On  s'explique  le  courroux  excité  dans  la  faction 
française  par  ces  harangues.  A  qui  en  effet  s'appliquaient  le 
mieux  leurs  passages  les  plus  sévères,  si  ce  n'est  au  cardinal 
Antonio  Barbcrini  qui,  après  avoir  cherché  un  refuge  auprès 
de  Mazarin  contre  les  justes  poursuites  d'Innocent  X,  avait 
perdu  toute  considération  à  Rome  sans  se  faire  estimer  en 
France  (4)  ;  aux  cardinaux  Orsino  et  Renaud  d'Esté,  dont  nous 

reticoulré  et  arquebuse  le  carrosse  de  Tambassadrice  !  Il  ne  cooDatt  pas  mieax 
la  fiu  de  celte  affaire  que  sou  commenceoient,  car  il  écrit  qu'elle  fut  accom- 
modée, à  Paris  par  uu  pléDipoteatiaire  du  pape!  Ou  ne  peut  donc  pas  s'éloo- 
uer  de  lire,  daus  VOmaggiOj  la  version  de  Monela,  sans  rectification  ni  additioQ* 
On  conçoit  d'ailleurs  que  Moneta  n'ait  imprimé  à  Rome  que  ce  qui  pouvail 
être  livré  alors  sans  inconvénient  à  la  publicité,  et  qu'il  ait  exclu  les  paroles 
sévères,  ricordi  paterni^  dont  la  divulgation  intéressait  rhonneur  de  plutieur* 
cardinaux.  Je  ne  suis  pas  parvenu  à  savoir  si  Ton  a  conservé  les  registres  dfi 
Febci,  préfet  des  cérémonies,  qui  était  dans  la  chambre  du  pape  le  i5  et  ^ 
18  avril.  Je  n'ai  pu  consulter  que  le  journal  du  maître  des  cérémonies  Servatio 
(Servantius),  qui  assistait  Febei  le  13  avril,  et  qui  n'a  pu  entendre  qu'«iu« 
partie  de  l'allocution.  Heureusement  le  passage  le  plus  grave,  où  le  pape  flé- 
trissait les  cardinaux  qui  vendent  l'Église  aux  princes,  parvint  à  ses  oreille»» 
mais  Monela  n'en  a  donné  qu'un  écho  tellement  affaibli  qu'on  n'y  distingue 
plus  la  pensée  véritable  du  mourant. 

(1)  Au  roi,  16  et  19  avril.  Rome,  182. 

(2)  Fare  ou  dare  la  herta,  deridere,  ingannare,  etc. 

(3)  A  Lionne,  19  avril  1661.  Home,  182. 

(4)  Voici  comment  Louis  XIV  en  parlait  encore  à  son  ambassadeur  dansuoe 
lettre  du  25  février  1667  (Home,  181)  :  «  Le  cardinal  Antoine  e&t  un  liocDiD< 


MORT    d'aLIùXANDRE    Vil  {«H9 

ivons  si  souvent  parlé  ;  au  cardinal  Albizzi,  qui  exigeait  avec 
lant  d^âpreté  le  payement  intégral  de  sa  pension  secrète  (1),  et 
qui  se  concertait  avec  le  duc  de  Chaulnes  en  vue  du  futur  con- 
clave (2)  ;  enfin  au  cardinal  Maidalchini  dont  le  pontife  mourant 
flétrit  le  libertinage  et  la  vénalité?  Mais  Tambassadeur  fran- 
çais avertissait  lui-même  sa  cour  que  la  faction  espagnole  n  a- 
vait  pas  été  plus  épargnée  que  les  Français  :  «  Le  cardinal 
Ra^gi,  disait-il,  ne  futpas  moins  fâché  du  chapitre  de  ceux  qui 
se  vendaient,  Sa  Sainteté  s'étant  expliquée  dans  les  mêmes 
Icrmes  qu'elle  battait  souvent  ledit  cardinal,  lequel,  comme 
vous  aurez  pu  savoir,  ne  s'engagea  avec  l'Espagne  qu'après 
avoir  demandé  seulement  2,000  écus  au  pape  pour  vivre,  que 
Sa  Sainteté  lui  avait  promis,  et  un  beau  jour  lui  dit  qu*elle 
voulait  exécuter  ses  paroles  et  avait  trouvé  un  fonds  qui  était 
que  le  cardinal  vendit  une  maison  qu'il  avait  à  Frascati,  et 
que  de  cet  argent  et  de  l'épargne  qu'il  ferait  de  n'y  point  réga- 
ler ses  amis  si   souvent,  il  épargnerait  plus  de  deux  mille 
écus  (3).  » 

qui  (ait  oa  qui  médite  toutes  les  auuées  des  retraites  telles  que  celle  doot  il 
▼0Q3  a  parlé,  à  dessein,  dit-il,  de  satisfaire  à  ses  créanciers.  Cependant  il  a 
tant  d'indulgence  pour  tous  ses  domestiques  dont  il  est  toujours  pillé,  qu'en 
qoelque  lieu  qu'il  aille,  à  mesure  quMl  acquitte  une  dette,  il  en  crée  une  nou- 
velle, et  il  Y  a  plus  de  vingt  ans  qu'il  doit  toujours  une  même  somme  de 
qaalre-viogts  à  cent  mille  écus  qu'il  aura  peut-être  acquittée  déjà  plus  de  dix 
foi*.  Le  pape  Urbain,  sou  oucle,  lui  avait  laissé  un  revenu  à  peu  près  égal  à 
celle  somme,  et  il  tient  de  moi  celui  de  la  charge  de  grand  aumôuicr,  de  l'ar- 
''heTèché  de  Reim.-*,  et  l'abbaye  de  Saint- Evroul  qui  vaut  seize  mille  livres  de 
fink.  Après  cela,  quand  il  se  plaint  que  ses  afTuires  sont  en  mauvais  état,  je 
demanderai  volontiers  à  qui  en  est  la  faute.  U  faut  pourtant  que  vous  vous 
«rcoiuiuodiez  à  la  portée  de  son  esprit,  et  je  crois  qu'il  vaut  mieux  témoigner 
<)Q'nu  compatit  à  :^cs  quérimonies  que  d'entrer  en  aucune  contestation  avec 
lui  pour  lui  faire  counattre  qu'il  a  tort  ou  qu'il  n'a  pas  toute  la  raison  qu'il  s'i 
««gine.  » 

(i)  Le  cardinal  Âlbizzi  se  plaiut  d'un  retranch«'.ment  sur  sa  pension  depuis 
^^•tre  arrivée  à  Rome.  S'il  vous  reste  de  l'argent  libre,  complétez  et  faites-le 
'ui  porter  par  Vagnozzl  avec  des  excuses  sur  la  méprise.  On  lui  a  toujours 
promis  et  payé  six  cents  pistoles  effectives.  (Lioune  à  Chaulnes,  Il  février 
'«1.  Borne,  181.) 

'X.  Parlant  du  jansénisific  à  ce  cardinal,  je  le  flalte  de  l'espoir  de  décider 
hieoiôt  de  tout  cela  souverainement  comme  pape...  Je  lui  parle  des  ordres 
que  j'ai  de  concourir  à  son  exaltation.  Nons  convenons  que  son  nom  ne  sera 
pu  proposé  dans  les  commencements  du  conclave,  mais  seulement  à  un  mo- 
meDt  favorable.  (Chaulnes  au  roi,  29  mars  1667.  Rome  y  182.) 

(3)  Â  Lionne,  26  avril  1667.  Rome,  183. 


l 


KiO  aiAPITRK    (QUINZIÈME 

I/pfwiroit  relatif  aux  candidats  des  couronnes  ne  ménageait 
piiH  pliiH  TKnpa^ne  que  la  France.  Alexandre  VII  disait (1): 
*'  Darihladernii're  promotion^  nous  avons  donné  satisfaction  aux 
iiiMlatir<!H  des  princes,  quoiqu'on  nous  présentât  des  laïques, 
dcH  Vf'ufs,  des  irréguliers.  Nous  aurions  dû  répondre  qu'on  de- 
vrait hieii  auparavant  les  exercer  pendant  un  mois  à  la  récita- 
lion  du  bréviaire;  mais  nous  les  avons  acceptés,  puisqu'onTa 
voninl  »  lie  zèle  do  Itourlemont  s'enflamma  en  faveur  des  car- 
dinan.\  farfiannnirrs  des  princes^  et  vanta  «  le  crédit  qu'ils  ont 
V(«rH  les  potentats  de  la  chrétienté  qui  emploient  si  souveot, 
ù  leur  considération  et  prière,  leur  puissance  et  autorité  aux 
lH»soinH  de  TK^Iist»  et  protègent  la  liberté  aux  élections  des 
souverains  pontifes  contre  les  cabales  et  intrigues  des  neveux 
(|ni«  s'étant  acquis  durant  les  pontificats  la  plupart  des  Italiens 
qu'ils  appellent  leurs  créaturesjes  obligeraient  à  suivreaveu- 
glemoni  leurs  désirs  à  l'élévation  de  tel  qu'il  leur  plaît,  si  les 
factionnaires  des  couronnes  ne  s'y  opposaient  dedans lebe- 
soin  avec  intrépidité,  étant  soulenusde  rautoritédes  roisdoot 

ils  sont  les  dépositaires  aux  conclaves Et  si,  parmi  lescar- 

dinanx.  il  no  doit  point  avoir  de  parti  ni  de  faction,  il  faut 
commencer  par  la  suppression  de  celle  des  neveux  comme  la 
plus  à  craindre  et  la  moins  utile  au  saint-sièire  2  .  •»  Mais  les 
remontrAuces  paternelles  d'Alexandre  YIl  ne  s'adres^ient  pas 
à  un  seul  cO^le  du  collège,  comme  i*i;is:nue  Boarlemont.  Eo 
uîo;:.in:  les  cardinaux  italiens  en  garde  contiv  I«ir  propre 
fa.^.osso,  ii  rappelai:  avec  raison  que  ie  principal  danferire- 
n^i;  a\  r>  ,i.  <  c >iir,^uues.  Quel  esi  donc  le  o^riin^  -ie  \kbtr 
;:o:;  trA^s^-M^  C"-ii  ai:  jamAÎs  :»r;e  L.^uis  XIV  .i*.f*wj. /♦'fr ^ 
w:  ,,'■•  t:  .;  .;  -r;r    :•,-  Vv  •'  >   :'  TE'ZÎis^^  il  ie  sncH'^i^ 


•  ':^        '   ^  ••*  : .'  '    ;  ".    1  L.:  ..:-f .  i'     vjc^if;    ooit  m    -■  ^^^'* 


1 

1 

I 


MORT  d'alezandre  vti  161 

traire,  sous  ce  poDlificat  comme  sous  les  suivants,  les  plus 
serviles  complices  des  usurpalîons  séculières;  et,  daos  les 
conclaves  ea  particulier,  ils  ont  été  les  premiers  à  provoquer 
la  séduction  des  consciences,  les  partis  simoniaques,  les  me- 
naces,  et  même  k  solliciter  l'envoi   des  (lottes  françaises  à 
Cività-Vecchia  pour  intimider  les  élections  1  Si  les  cardinaux 
nationaux  semblaicnl  alors  exclus  de  la  chaire  de  saint  Pierre, 
les  détestables  choix,  faits  généralement  par  les  princes  et 
par  le  roi  de  France,  en  étaient  cause,  et  c'est  parmi  les  car- 
dinaux italiens  que  s'était  formée,  sous  Innocent  X,  celte  fac- 
tion indépendante,  l'Escadron,  qui  avait  déterminé  l'élection 
d'Alexandre  VII  et  dont  l'inlluence  domina  encore  lesconclaves 
snivants.  Alexandre  VII  oubliait  si  peu  le  danger  des  factions 
pontificales,  qn'ii  avait  fait  une  allusion  sévère  à  l'alliance 
conclue,  sous  Innocent  X,  entre  les  familles  Pamphili  et  Bar- 
Iwrini,  et  b  leurs  brigues  menaçantes  pour  la  liberté  des  élec- 
tions futures.  C'est  cela  qu'il  avait  en  vue  lorsqu'il  exhortait 
le  sacré  collège  à  se  régler  dans  le  prochain  conclave  sur 
l'exemple  du  précédent,  et  qu'il  disait  :  Tout  s'y  est  fait  ouver- 
tement, sans  pactes  d'aucune  sorte,  sans  promesses  de  ma- 
ria^ (t).«  M.  le  cardinal  [François]  Barberini,  dit  Bourle- 
inoat{2},  resta  fort  oITcnsé  de  ce  que  Sa  Sainteté  avait  dit  en 
face  de  tout  le  sacré  collège  que  son  assomption  au  pontifical 
Bivftil  point  été  sollicitée  ni  ménagée  par  des  promesses  de 
mariage  et  d'alliance.  Ce  cardinal  sortit  tout  bouffant  de  la 
chambre  du  pape,  et  les  cardinaux  Antoine  et  Curlo  [Barbe- 
rini] lut  dirent  conlidcmment  qu'il  jugeât,  par  ce  dernier  trait 
qoeie  pape  lui  faisait,  Tassurance  qu'il  devait  prendre  en  la 
fiction  du  cardinal  Chigi.  Le  cardinal  Antoine  m'a  ditconfi- 
demmenl  que  cela  fait  bien  songer  le  cardinal  [François]  Bar- 
lerini.  Je  lui  repartis  que  Dieu  avait  permis  que  le  pape  dé- 
couvrit de  son  vivant  la  haine  qu'il  laisse  héréditaire  de  sa 
naigoD  avec  celle  des  Barberini,  et  qu'il  y  allait  de  leur  pru- 
dtnce  de  prendre  leurs  mesures  contre  l'orage  que  la  faction 
^Chigi  leur  préparait,  et  il  mo  semble  que  les  cardinaux 

(I)  <  Omnia  candiJe  geit&  aunl;  duIIx  intercassere  pacttonaa,  Dutts  cod- 
^WiiULct  matrlmoDii.  •  {Rome,  183.) 
Il)  A  UoDoe,  19  «Trll.  Romt,  182. 

laojt  UT  n  u  unrr-Bitoi.  —  II.  Il 


i 


162  CHAPITRE   QUINZIÈME 

Antoine  et  Carlo  en  sont  à  présent  persuadés,  ce  que  j'ai  rap- 
porté à  M.  Tambassadeur.  »  Le  duc  de  Chaulnes  voyait  déjà 
la  guerre  déclarée  entre  ces  deux  factions,  et  il  écrivait  (1): 
«  Le  cardinal  Barberini  était  enragé  de  l'article  du  mariage. 
Personne  n'entendit  la  réponse  qu^il  fit  au  pape  au  nom  du 
sacré  collège,  et  par  là  je  juge  qu'il  lui  chanta  des  injures  au 
lieu  de  lui  faire  des  remerciements.  »  Le  journal  de  Servatio 
réfute  cette  insinuation.  Tout  Rome  d'ailleurs  savait  qu'il  n'y 
avait  plus  rien  dans  le  cardinal  François  Barberini  qui  rappe- 
lât Tancien  protégé  de  Mazarin.  11  avait  soutenu  Alexan- 
dre VII  pendant  toute  l'affaire  des  Corses;  loin  de  s'associer 
aux  calculs  du  cardinal  Antoine,  son  frère,  et  du  cardinal 
Carlo,  son  neveu,  il  demeura  fidèle  à  la  parole  par  lui  donnée 
au  pape,  et  s'unit  plus  étroitement  que  jamais  à  l'Escadron  et 
au  cardinal  Chigi.  L'autorité  croissante  des  Indépendants,  qui 
faisaient  chaque  jour  des  recrues  dans  les  deux  grandes  fac- 
tions d'Urbain  VIII  et  d'Alexandre  VII,  causa  une  violente  ir- 
ritation au  palais  Farnèse,  et  l'abbé  de  Machaut  démentait 
d'avance  la  prophétie  de  l'ambassadeur.  Les  Escadronistes, 
dit-il,  devraient  en  vouloir  aux  Chigi  de  tous  les  malheurs  de 
ce  pontificat,   et  voilà  qu'au  contraire,  pour  leurs  fins,  ils 
entrent  présentement  dans  les  intérêts  de  cette  faction,  et 
paraissent  se  rapprocher  de  la  famille.  «  Quelques  paroles 
que  m'a  dites  le  cardinal  Impériale,  leurs  démarches,  leurs 
fréquentes  négociations,  leurs  empressements  de  concourir 
avec  Barberini  et  les  Chigi,  la  loro  sfacciatagine  (2)  et  intolera- 
bile  petulancia  font  assez  voir  ce  qu'ils  ont  dans  le  cœur  et  ce 
que  l'on  doit  attendre  de  leur  présomption  (3).  w 

Le  parti  français  affectait  encore  de  s'indigner  quA- 
lexandrc  VIÏ  se  fût  permis  d'invoquer  le  témoignage  des  car- 
dinaux contre  les  calomnies  dont  sa  famille  était  l'objet.  Le 
pape  rappela  en  effet  qu'il  ne  l'avait  fait  venir  auprès  de  lui 
qu'avec  l'approbation  du  sacré  collège  ;  «  que  ses  parents 
avaient  de  bonnes  inclinations;  que  don  Mario  avait  les  inten- 
tions droites  et  était  bon  économe  ;  que  don  Augustin  avait 


(1)  A  Lionne,  26  avril.  Rome,  183. 

(2)  Effronterie,  impudence. 

(3)  A  Lionne,  23  avril.  Rome,  183. 


j 


MORT   d'aLEXANDRE  VII  163 

rhumeur  douce  ;  que  don  Sigisniond  promettait  beaucoup,  et 
qu'il  ne  dirait  rien  du  cardinal  Chigi,  remettant  à  la  connais- 
sance qu'en  avait  le  sacré  collège,  auquel  il  les  recommanda 
tous,  en  cas.pourtant  qu^ils  fussent  honnêtes  gens,  et  qu'ils 
méritassent  sa  protection.  »  Et,  comme  l'accusation  le  plus 
souvent  portée  contre  eux,  dans  les  gazettes  et  dans  les  pam- 
phlets français,  était  de  s'être  enrichis  par  la  ruine  de  la 
Chambre  apostolique,  il  annonça  «  qu'on  trouverait  beaucoup 
plus  d'argent  dans  le  château  Saint- Ange  que  son  prédécesseur 
n'en  avait  laissé;  qu'il  Tavait  toujours  dissimulé  de  peur  qu'on 
ne  lui  en  demandât  pour  la  guerre  contre  les  Turcs,  mais  qu'il 
en  aurait  beaucoup  davantage  sans  les  troubles  qui  étaient 
arrivés,  dont  de  grands  princes  s'étaient  mêlés;  que,  pour  les 
apaiser,  il  avait  donné  toute  liberté  au  sacré  collège  de  dire 
leurs  sentiments;  que  c'étaient  ceux-là   qu'il   avait  suivis, 
quoique  son  inclination  le  portât  à  exposer  les  habits  pontifi- 
caux et  sa  vie  même  pour  les  intérêts  du  saint-siège.  »  Ces 
ligues  sont  empruntées  à  une  relation  de  M.  de  Chaulnes  (1) 
etilest  permis  de  croire  que  l'ambassadeur,  sous  le  ressenti- 
ment de  cette  allusion  à  l'affaire  de  M.  de  Créquy  et  au  traité 
de  Pise,  ne  se  sera  pas  piqué  d'une  fidélité  trop  favorable  au 
souverain  pontife.  En  admettant  qu'Alexandre  VII  ait  dit  sim- 
plement qu'il  avait  caché  l'état  prospère  de  ses  finances  pour 
écarter  des  demandes  indiscrètes,  les  cardinaux  n'y  trouvaient 
rien  à  reprendre,  car  ils  avaient  appris  du  pape,  dans  un  con- 
sistoire du  mois  de  février  précédent,  que  Venise,  la  Pologne 
6t  l'Empereur,  pour  lesquels  il  avait  déjà  dépensé  près  de 
dominions  de  livres,  sollicitaient  sans  cesse  de  nouveaux 
subsides,   et  que  les  sommes  dissimulées  étaient  réservées 
pour  secourir  celle  de  ces  puissances  qui  serait  le  plus  tôt  at- 
^quée  par  Tennemi  commun. 

Le  duc  de  Chaulnes  a  supprimé  encore  les  lignes  remar- 
quables où  le  pontife  annonçait  qu'une  partie  de  ses  épargnes 
«lait  destinée  à  éteindre  plusieurs  impôts  dans  les  États  ro- 
ïnains  et  que,  si  le  temps  lui  manquait  à  lui-môme,  il  enten- 
du que  son  successeur  exécutât  sa  volonté  :  et  en  effet,  dès 

tt)  Aa  roi,  2«  avril.  Rome,  183. 


164  CHAPITRE   QUINZIÈME 

les  premiers  jours  de  son  pontificat,  Clément  IX  dégagea  la 
parole  du  mourant  (1). 

Tandis  que  le  sacré  collège,  après  les  grandes  scènes  du  13 
et  du  18  avril,  se  pressait  avec  plus  d'amour  et  de  respect  au- 
tour d'Alexandre  VU  et  prenait  toutes  les  dispositions  néces- 
saires pour  protéger,  quand  il  ne  serait  plus  là,  sa  mémoire  et 
sa  politique,  les  agents  français  s^attachaient  à  dénigrer,  jus- 
qu'à la  dernière  heure,  sa  personne  et  ses  actes.  Le  18  avril 
avait  ramené  l'anniversaire  de  son  couronnement  :  la  veille, 
qui  était  un  dimanche,  cette  date  avait  été  fêtée  par  les  Ro- 
mains avec  un  grand  éclat.  Le  lundi  matin,  le  cardinal  Chigi 
avait  célébré  la  messe,  et  ses  instances  seules  avaient  empêché 
les  cardinaux  de  porter  au  pape  le  compliment  ad  multos  an- 
nos.  Alexandre  VII  avait  autour  de  lui  le  P.  Bona,  le  P.  Oliva, 
et  son  confesseur  ordinaire.  «  Le  P.  Oliva  m'a  dit,  écrivait 
l'abbé  de  Machaut  (2),  qu'il  n'est  pas  concevable  ce  qu'il 
souffre.  Il  souhaite  la  mort  et  élève  souvent  la  voix  en  disant: 
Dio  mio!  Un  Père  jésuite  me  disait  qu'une  des  raisons  pour 
laquelle  il  désirait  la  mort  était  per  non  fare  nientè  di  scom- 
posto  e  indigno  d'un  gran  papa.  Il  faut  avoir  une  grande  cré- 
dulité pour  donner  là  dedans;  car  enfin  il  faut  seulement  re- 
garder le  discours  qu'il  a  fait,  et  puis  je  trouve  de  fort  bon 
sens  ce  qu'on  a  dit  de  lui.  L'on  a  débité  plusieurs  choses  assez 
triviales,  que  je  ne  vous  écris  pas  :  Maximade  se  dtxit;optima 
de  parentibus;  turpissima  de  cardinalibus ;  iniqua  de  princi- 
pibtts,  parum  aut  mala  de  regibus  ;  caeterum  de  Deo  nihildixU.  » 
L'ambassadeur   recueillait  les  choses  les  plus  triviales,  qu* 
étaient  toujours  bien  reçues  de  Lionne  :  «  Je  ne  sais,*disait-il 
que  vous  mander  du  pape;  et  en  vérité  c'est  une  chose  hors 
do  Timagination.  Pasquin  s'en  est  fort  bien  expliqué,  en  ré- 

(1)  «  Ex  pecuniis  in  Castro  Sancti  Ao^eli  depositis,  Dosirœ  intenUoDis  fuit 
Impojkiliono)»  «tiiptT  frmnento  a  Dobi»  nupcr  iiupositas  aufeire  :  ideo  nosi^^ 
iuvces<ons  conacientiam  agfjravumus.  »  —  0^9  le  leudeuiaiu,  le  uouTeau  p&P^ 
H  (ii^  plu^  do  :>Q0.000  t^ciis  d'impôts  et  établi  la  liberté  du  comiuerce  des  bl^^* 
^Chaulne'4  à  I.iouno.  5  juillet  I6in.  Home,  184.)  —  «  Ne  voile  perd  che  nell' 
rditto  di  qiiost'  ultime  beuefizio  comparisse  il  uome  suc,  tna  «i  çuello  del 
;»»ri/r<Y,"<.*<>rf  Aleasamir  »  VU^,  il  guale  avea  ijiaaditnato  ildenaro  per  restinâooe 
di  »ilTaita  ^alu>ll«.  »  \^nizionano  di  Moroui,  vo  Clémente  IX:) 

{£\  A  Liounc,  23  avril.  Rome.  183. 


MORT    D*  ALEX  ANDRE   VII  165 

3ondant  à  ceux  qui  lui  demandaient  ce  que  faisait  le  pape  : 
Iriuoca  altoccay  e  quando  è  entrato  nella  morte^  ritorna  dal 
^apo,  Yoilà  la  pure  vérité  (1).  » 

Le  même  jour  cependant  le  duc  de  Ghaulnes  avouait  à 
liOuis  XIV  que  le  pape  usait  ce  qui  lui  restait  de  forces  à  rem- 
plir les  devoirs  du  ponliOcat,  et  que  les  rapports  de  la  France 
vec  le  saint-siège  occupaient  particulièrement  son  attention, 
l  écrivait  :  «  Il  est  vrai  que  depuis  quelque  temps  Sa  Sainteté 
l'a  pas  été  en  état  qu'on  lui  ait  pu  parler  d'aiïaires;  mais,  celle 
es  jansénistes  en  étant  une  de  conscience  et  par  conséquent 
lus  proportionnée  à  la  conjoncture  présente,  bien  loin  de 
abandonner,  je  Tai  pressée  plus  que  je  n'avais  fait,à  mesure 
iiefai  vu  Sa  Sainteté  s  affaiblir,  »  et  Alexandre  VII  prit  en 
tret  une  part  personnelle  à  la  rédaction  des  brefs  attendus 
lour  le  procès  des  quatre  évêques. 

C'est  d'ailleurs  à  tout  moment  qu^l  lui  venait  de  France  une 
louvelle  cause  de  soucis.  Il  lui  fallut  prémunir  les  cardinaux 
tt  son  successeur  contre  les  intrigues  liées  par  le  duc  de 
Ghaulnes  avec  le  résident  de  Parme  ;  et  le  cardinal  Pallavicino 
écrivit  pendant  deux  jours,  sous  sa  dictée,  ses  instructions 
lernières  sur  le  traité  de  Pise  et  sur  Tarticle  de  Castro  (2). 
—  Il  n'avait  plus  que  quelques  jours  à  vivre  lorsque  arriva  le 
cardinal  de  Vendôme  pour  prendre  part  au  conclave.  S'il  ne  le 
eçoit  pas,  quelles  plaintes  n'en  fera  pas  le  palais  Farnèse? 
I  Taccueille  aussitôt  :  les  Français  prétendent  que  c'est  «  par 
.a  démangeaison  de  parler!  »  Le  duc  de  Chaulnes  ajoute  : 
:  En  Tétat  qu'il  est,  on  a  trouvé  fort  plaisant  ici  que  le  pre- 
nier  discours  qu'il  fait  à  un  cardinal  qui  le  vient  remercier  de 
a  promotion  soit  de  parler  de  sa  femme,  comme  il  a  fait  à 
A.  de  Mercœur,  et  qu'à  la  vue  du  crucifix  qui  parait  toujours 
i  côté  de  son  lit,  lorsqu'il  donne  audience,  il  n'ait  parlé  que 
les  choses  du  monde  (3).  »  Eût-on  préféré  que  le  pape  lui 
lemandât  le  véritable  motif  de  son  voyage  à  Rome?  —  Il  n'y 
L  rien  qui  ne  devienne  un  sujet  de  dérision  sous  la  plume  de 
lionne  et  de  l'ambassadeur.  Ce  dernier  écrit  au  ministre  : 

(t)  A  Lionne,  26  avril.  Rome,  183. 

(2)  Au  roi,  26  avril.  Rome,  183. 

(3)  An  roi,  17  mai.  Romt,  183. 


166  CHAPITHE    QUINZIÈME 

«  J'ai  été  furieusement  scandalisé  de  vos  dernières  lettres, 
et  de  celles  que  vous  avez  écriles  à  MM.  les  cardinaux  sur 
la  mort  prétendue  du  pape.  Je  les  ai  priés  de  brûler  lesdites 
lettres,  parce  que,  dans  un  lieu  où  c'est  un  crime  que  d'a- 
voir des  écrits  contre  le  pape,  une  lettre  sur  sa  mort  pour- 
rait faire  excommunier  un  cardinal  et  Tempêcher  d'entrer 
au  conclave  (1).  » 

Les  sarcasmes  des  agents  français  ne  respectent  pas  même 
les  suprêmes  entretiens  du  mourant  avec  ses  conseillers  spi- 
rituels, et  je  regrette  d'avoir  trouvé  le  nom  du  P.  Oliva,  gé- 
néral des  Jésuites,  mêlé  d'une  manière  fâcheuse  à  ces  récils 
des  derniers  moments.  M.  de  Chaulnes  écrivait  dès  le  29  mars 
4667  (2)  :  «  Le  P.  Oliva  a  la  rancune  dans  le  cœur  de  ce  que 
l'on  ne  Ta  pas  envoyé  chercher  dans  tout  le  mal  du  pape,  et 
est  ainsi  peu  en  état  d'être  écouta  présentement  :  il  ost  vrai 
qu*après  avoir  assisté  deux  papes  à  la  mort,  le  troisième  lui 
fait  un  grand  affront  (3).  »  Alexandre  VII  ne  pouvait  pas  igno- 
rer les  relations  si  étroites  que  le  P.  Oliva  entretenait  avec 
Lionne,  depuis  la  mission  de  ce  ministre  à  Rome,  en  1655. 
Témoin,  pendant  huit  années,  des  outrages  infligés  au  saint- 
siège  par  le  gouvernenjent  français,  le  P.  Oliva,  dans  la  plu- 
part  de  ces   lettres,    prodigua  les  plus  basses  flatteries  à 
Louis  XIV  (4),  à  Lionne  et  au  duc  de  Chaulnes.  On  ne  peut 
donc  être  surpris  du  refroidissement  témoigné  par  le  souverain 
pontife  à  ce  religieux,  quoiqu'il  demeurât  le  protecteur  le  plus 


(1)  13  mai  1667.  Homey  183.  Voici  une  de  ces  lettres  :  «  Mun  cousin,  ayant 
appris  par  mou  cousin  le  duc  de  Ctiaulnes,  mou  aiubassadeur  extraordinaire 
à  Rome,  les  bons  seutiments  que  vous  lui  avez  fait  témoigner  pour  mes 
iutérêts  daus  cette  conjoncture  de  l'apparence  d'uu  prochain  conclave,  j'y  ai 
pris  d'autant  plus  de  contiauce  qu'outre  que  je  fais  une  singulière  estime  de 
votre  mérite,  je  ue  désirerai  jamais  rien  de  vous  qui  ne  soit  le  plus  grand 
bien  de  TÉglise.  J'ai  voulu  cepeudaut  vous  tômoiguer  par  cette  lettre  le  gré 
particulier  que  je  vous  sais  de  la  conduite  obligeante  que  vous  tenez  à  mon 
égard,  et  vous  assurer  que  je  serai  très  aise  de  coutribuer  sincèrement  atout  ce 
qui  sera  en  mon  pouvoir  pour  vos  satisfactions  et  vos  avantages  particuliers.  » 
(Le  roi  au  cardinal  Rossetti,  22  avril  1G67.  Home,  183.) 

^2)  A  Liouue.  Home,  182. 

(3)  11  eut  pour  confesseur  pendant  tout  son  poutiflcat  un  autre  jésuite,  le 
p.  Giambattista  Cancelldti. 
^4}  Nous  en  avons  déjà  cite  un  exemple,  à  l'occasion  du  traité  de  Pisc. 


MORT    d'aLEXANDRE   Vil  467 

constant  et  le  plus  actif  de  sa  compagnie.  Le  duc  de  Chaulnes 
disait  encore  :  «  Le  P.  Oliva  a  eu  ordre  de  ne  lui  pas  parler, 
à  Tarticle  de  la  mort,  comme  il  avait  fait  aux  autres  papes, 
en  les  appelant  par  leur  nom  de  baptême,  et  de  ne  lui  rien 
dire  qu'avec  respect,  voulant  que  Ton  "garde  le  décorum  jus- 
qu'au bout  ».  A  supposer  que  Tordre  fût  véritable,  qui  donc 
avait  pu  faire  cette  confidence  à  l'ambassadeur  français?  Le 
2  mai,  le  P.  Oliva  écrivait  lui-même  à  Lionne  (4)  :  «...  Je 
crie  plus  haut  que  jamais  qu'il  n'y  a  pas  en  Europe  un  homme 
supérieur  au  marquis  de  Lionne  pour  l'étendue  de  Tintelli- 
gence,  pour  la  bonté  du  cœur,  et  pour  la  noblesse  du  style. 


(1)  Home,  183.  Cette  lettre  est  ainsi  cotée  daoB  la  table  de  ce  volume  :  «  Du 
P.  Oiiva  à  M.  de  Lionne ^pow  le  louer  et  le  duc  de  Chaulnes  »  :  —  u  Grido  con 
Toci  più  alte  di  primli  :  non  ha  uomo  l'Europa  che  saperi  il  marchese  di 
Lionne  in  capacità  di  meute,  in  amorosità  di  cuore  e  in  genUlezza  di  penna. 
Ur'  ella  mi  confunda  se  puo,  e  non  potra  mai,  se  uon  lascia  d'essere  quel 
gran  persouaggio  che  Vostra  Ecccilenza  si  è  renduta,  suil' appoggio  del  nasci- 
meuto  00*  chiarïori  délie  qualità  acquistate.  Altrettanto  replico  deU'  incomparabile 
signore  duca,  che  veramente  si  tira  ueil' anima  i  cuori  di  tutti,  e  riluce  cou  si 
ammirabill  doti  di  prudenza  e  di  pietà,  che  nou  lascia  libertà  a  nessuna  liugua 
0  di  tacciarlo  anche  leggiermente  in  cosa  minima,  o  di  non  celebrarlo  in 
qualsisia  maneggio  deisuo  ministerio  o  successo  délia  suafamigUa,  il  che  non 
è  poco  iu  circostanze  si  ardue  di  un  pontefice  chi  ne  vive  ni  muore,  e  d*una 
corte  ch*  esce  di  se,  per  che  nou  s'entra  nel  couclave,  e  pure,   a  mio  parère, 
non  vi  si  entrera  forse  pcr  mesi.  »  Ce  u'est  malheureusement  pas  la  seule 
lettre  de  ce  genre  que  le  P.  Oliva  eût  écrite  à  Lionne.  Voici  une  réponse  que 
ce  ministre  lui  faisait  à  la  date  du  5  octobre  1666  {Rome,  178)  :  «  Mon  très 
révérend  Père,  j'ai  reçu  avec  une  joie  iudicibie  la  lettre  dont  V.  P.  R.  m'a 
fdvorisé  sur  le  sujet  des  bonnes  qualités  et  de  la  conduite  de  M.  l'ambassadeur. 
Je  l'ai  louée  anssitôt  au  roi  avec  grand  empressement  et  je  puis  assurer  avec 
vérité  V.  P.  H.  que,  si  toute  la  cour  de  Rome,  compris  même  le  sacré  collège, 
avait  écrit  de  deçà  la  môme  lettre,  elle  ne  nous  aurait  poiut  si  bien  persuadé 
ui  été  si  avantageuse  à  M.  l'ambassadeur,  à  l'égard  de  S.  M.,  qu'étant,  comme 
elle  Test,  signée  du  seul  P.  Oliva.  J'en  adresse  aujourd'hui  une  copie  à  Son 
Eicelleuce,  tant  afin  qu'elle  n'ignore  pas  la  qualité  de  l'obligation  qu'il  a  au  pins 
digue  général  qui  ait  jamais  régi  un  grand  ordre,  qu'afin  qu'il  puisse  profiter 
de  868  bons  avis...  »  —  11  est  fâcheux  pour  la  mémoire  du  P.  Oliva  d'avoir 
si  souyent  obtenu  les  compliments  des  ugeuts  de  Louis  XIV  :  c  Le  P.  Oliva 
«est  surpassé  sur  un  sujet  assez  délicat  :  car  sa  prédication  a  été  euUèrement, 
pour  le  pape,  sur  ce  qu'il  était  obligé  de  ne  pas  suivre  en  beaucoup  de  choses 
1  exemple  de   ses  prédécesseurs,   et  il  a  marqué  même  beaucoup  d'actions 
d'Alexandre  VU.  S'il  edt  prêché  devant  lui  avec  la  même  liberté,  je  ne  fais 
pas  de  doute  qu'ayant  autant  de  vanité  qu'il  en  avait,  il  n'eût  pas  pu  s'empêcher 
de  l'ioterrompre  et  de  fulminer  contre  lui ...  »  (Maohaut  à  Lionne,  13  décem- 
bre 1661.  ilonie,  187.) 


168  CHAPITRE   QUINZIÈME 

Démentez-moi,  si  vous  pouvez,  mais  vous  ne  le  pourrez  jamais, 
à  moins  que  vous  ne  cessiez  d'être  le  grand  personnage  que 
vous  êtes  devenu,  grâce  à  votre  naissance  et  à  Téclat  plus 
grand  encore  de  vos  talents!  J*en  dis  autant  de  l'incomparable 
duc,  qui  véritablement  a  conquis  ici  tous  les  cœurs,  et  qui  dé- 
ploie, avec  de  si  admirables  qualités,  tant  de  prudence  et  de 
piété  qu*on  ne  saurait  trouver  le  moindre  prétexte  à  la  plus 
légère  critique,  ni  se  refuser  à  célébrer  son  habileté  dans  Fac- 
complissement  de  tous  les  devoirs  de  sa  charge  et  le  gouver- 
nement de  sa  maison  :  ce  qui  n'est  pas  peu  de  chose,  dans  la 
circonstance  d^un  pape  qui  ne  vit  ni  ne  meurt,  et  d*une  cour 
qui  est  hors  de  soi,  parce  qu*on  n'entre  pas  en  conclave,  et 
cependant^  à  mon  avis,  on  n'y  entrera  peut-être  pas  de  quelques 
mois.  »  Qui  s'étonnerait,  après  avoir  lu  cette  lettre,  de  trouver 
ce  qui  suit  dans  une  dépêche  de  l'ambassadeur  (i)?  «  Le  pape 
est  dans  un  état  fort  pitoyable,  mais  toujours  dans  la  même 
dureté^  et  le  nom  de  France  ne  peut  être  prononcé  sans  lui 
faire  peine.  J'ai  tenté  tovte  sorte  de  voies  par  ses  confesseurs 
pour  amollir  son  cœur,  et  j'envoie  à  Votre  Majesté  une  co- 
pie (2)  de  la  lettre  du  P.  Oliva  qui  marque  assez  la  situation 
de  son  esprit,  »  On  s'explique  trop  bien  l'information  donnée 
à  Lionne  par  l'abbé  de  Machaut  (3)  :  «  Quand  j'ai  demandé 
aujourd'hui  à  un  Jésuite  comment  le  pape  traitait  le  P.  Oliva, 
il  a  secoué  la  tête,  et,  par  ce  que  je  sais  d'ailleurs,  je  crois  qu'il 
est  seulement  spectateur  et  non  pas  directeur.  » 

La  haine  des  ministres  de  France  poursuivit  Alexandre  Vil 
jusque  sur  son  lit  de  mort.  A  les  entendre,  il  mandait  tous  les 
jours  autour  de  son  lit  «  ses  confesseurs  et  confortateurs  qu'on 
appelle  ici  »,  mais  pour  ne  leur  parler  que  de  «  bagatelles  » 
et  ne  leur  tenir  que  «  des  discours  en  l'air  ».  La  mort  vint 
enfin  combler  des  vœux  impies  et  l'ambassadeur  put  écrire  au 
roi  (4)  :  «  Sa  fin  a  été  ferme;  il  ne  s'est  laissé  surprendre  à 
aucune  faiblesse  de  la  nature,  et,  s'il  fut  mort  à  la  tète  d'une 
armée,  il  aurait  pu  rendre  son  nom  recommandable  ;  mais  je 

(1)  3  mai.  Rome,  183. 

vâ>  Je  u'ai  pas  trouTê  cette  pi^oe  aux  ArchiTes  de»  Affaires  étraDgères. 

^3*  10  mai.  Rome,  183. 

^4)  Cbaolues  au  roi,  11  et  23  mai.  Rome,  1S3. 


MORT   d' ALEXANDRE   VIT  169 

puis  prendre  la  liberté  de  dire  à  Votre  Majesté  que,  comme 

chef  de  TÉglise,  il  pouvait  édifier  par  des  sentiments  plus  pieux 

que  ceux  qu'il  a  témoignés,  ses  confesseurs  ayant  été  les  plus 

surpris  du  monde  de  voir  la  confiance  qu'il  avait  sur  le  mérite 

de  toutes  ses  bonnes  actions,  ayant  paru  qu'il  allait  demander 

justice  à  Dieu,  mais  point  de  grâce.  Ihie  s'est  pas  souvenu  de 

fûirp  rien  dire  aux  ambassadeurs  (1),  et,  par  cette  conduite, 

je  ne  sais  pas  si  Votre  Majesté  n'a  point  fait  de  tort  aux  autres 

couronnes,   ou  si,  comme  souvent  il  faisait  des  vertus  à  sa 

* 

mode,  il  a  cru  ne  pouvoir  témoigner  un  plus  grand  mépris  du 
monde  qu'en  ne  voulant  pas  songer  à  tout  ce  qui  en  fait  l'hon- 
neur et  Téclat.  Lorsque  ses  confortateurs,  un  peu  plus  hardis 
à  lui  parler,  dans  le  commencement  de  son  agonie  qui  pouvait 
affaiblir  sa  fierté,  le  mirent  sur  le  gouvernement  général  de 
l'Église,  il  leur  dit  que  ses  intentions  avaient  toujours  été 
droites,  et  qu'il  mourait  content,  parce  qu'il  avait  été  assez 
heureux  pour  faire  la  canonisation  de  saint  François  de  Sales, 
ayant  toujours  réglé  ses  actions  sur  le  modèle  de  sa  vie.  Par 
ses  dernières  parole»,  Votre  Majesté  me  dispensera  d'entrer 
dans  tout  le  détail  de  sa  mort.  L'envie,  qu'a  toujours  eue  Sa 
Sainteté,  de  produire  au  dehors  ses  belles  conceptions  la  fit 
résoudre  de  voir  encore  une  fois  le  sacré  collège,  qu'elle  fit 
intimer  pour  le  20  de  ce  mois  à  sept  heures  du  matin  ;  et, 
lorsque  MM.  les  cardinaux  furent  tous  arrivés,  M.  le  cardinal 
Chigi  leur  fit  quelques  excuses  s'ils  ne  pouvaient  voirie  pape, 
Sa  Sainteté  s'étant  trouvée  plus  mal,  ayant  empiré  considéra- 
blement jusques  au  soir;et  comme  c'est  la  coutume  que  les  car- 
dinaux de  la  faction,  et  d'autres  même,  vont  dans  Tanticham- 
bre,  beaucoup  s'y  trouvèrent  le  2i ,  plus  pour  se  parler  que  pour 
la  considération  de  la  casa  (2},  entre  lesquels  ayant  été  MM.  les 
cardinaux  d'Esté  et  de  Retz,  on  les  introduisit  dans  la  chambre 
du  pape  qu'ils  virent  entrant  dans  l'agonie  et  n'ayant  pas  assez 
de  connaissance  pour  leur  donner  la  bénédiction,  ou  assez  de 
force,  ne  voulant  pas  dire  de  volonté;  et,  son  mal  ayant  tou- 
jours  augmenté,  il  est  mort  sans  avoir  été  regretté  et,  pour 
^out  dire  en  un  mot,  comme  il  a  vécu.  » 

(M  U  aurait  dû  charger  le  duc  de  Chaulnesde  demander  pardoo  à  Louis  XIV! 
i^)  De  la  fàmUle  Chigi. 


170  CHAPITRE    QUINZIÈME 

Dans  une  lettre  à  Lionne,  le  duc  de  Chaulnes  doi 
plus  libre  cours  à  ses  bons  sentiments  :  «  Je  ne  sais  con 
lui  dit-il,  vous  annoncer  le  funeste  sujet  du  voyage  de  co 
sachant  à  quel  point  vous  sera  semible  la  nouvelle  de  h 
du  pape,  arrivée  hier  au  soir.  Cependant  connaissant 
autre  côté,  la  force  de  votre  esprit,  je  crois  pouvoir, 
autre  précaution,  vous  dire  qu'il  a  fini  le  cours  gl 
de  sa  belle  vie  comme  il  Tavait  commencé,  non  p 
Alexandre  VII,  mais  en  Alexandre  le  conquérant, 
point  d'abord  appréhendé  la  mort,  parce  qu'il  ne  croyf 
qu'elle  eût  aucun  pouvoir  sur  lui,  et,  jusques  au  d 
jour,  il  a  espéré  quelque  miracle  pour  le  remettre  si 
trône.  » 

Alexandre  YII  était  mort  le  22  mai^  à  22  heures  se 
style  italien  (i),  c'est-à-dire  à  6  heures  du  soir,  suivant 
manière  de  compter.  L*ambassadeur  français  voulut 
croire  que  la  dépouille  mortelle  d'Alexandre  VII  n'ava 
été  traitée  avec  respect,  et  qu'on  l'aurait  enlevée  de  S 
Cavalio,  comme  à  la  dérobée,  pendant  la  nuit,  sous  la  p 
tîon  inaccoutumée  d'une  escorte  militaire,  qui  n'aura 
même  empoché  qu'un  des  gardes  suisses  fût  blessé  p 
attroupement  hostile  :  «  Il  fut  porté  hier  à  minuit  à  J 
Pierre,  dit-il,  dans  une  litière  découverte,  hors  un  petil 
La  pompe  de  cette  cérémonie  fut  médiocre,  sa  marche  n 
été  éclairée  que  de  trente  flambeaux.  Son  escorte  était  sa 
pagnie  de  Suisses  et  ses  deux  de  lanciers  et  cuirassiers, 
tablement  Tépée  à  la  main,  et  Tarrière-garde  était  sou 
de  sept  pièces  de  canon,  traînées  chacune  sans  beauco 
peine  par  deux  chevaux  (2).  »  L*abbé  de  Machaut  ajoi 
«  Ce  courrier  peut  raconter  le  misérable  appareil  avec  I 
on  a  porté  le  pape  ce  soir  à  6  heures  de  nuit  à  Saint-P 
Sans  mentir,  cela  fait  compassion  et  est  capable  de  fain 
de  grandes  réflexions  là-dessus.  Être  ouvert  aussitôt  qu 
mort,  et,  quatre  heures  après,  être  porté  à  Saint-Pierre, 

(l)  u  11  iiiaio  :  1  ore  3  q.  24  maio  :  8  ore.  L'Ave  Maria,  seconda  ro 
iittliaiio,  è  seiupre  aile  ore  24.  —  Tabella  pei  suoao  deU*  Ave  Maria,  a 
medio  astrouomico.  »  (Diario  romano.) 

2)  A  Lioime,  23  mai.  Home,  183. 


MORT    D*ALEXANDRË   vn  I7i 

semble  que  cela  est  brusque  (i)  ...  »  —  La  vérité  est  qu'il  ne 
s'était  rien  passé  que  de  strictement  conforme  aune  coutume 
antérieurement  établie  et  qui  s*est  maintenue  sous  les  pontifi- 
cats suivants.  Les  obsèques  solennelles  ne  pouvant  être  célé- 
brées qu*au  Vatican  et  à  Saint-Pierre,  le  transport  du  cadavre  à 
la  chapelle  Sixtine,  quand  le  pape  est  mort  au  Quirinal,  a  un 
caractère  privé  (2).  On  le  diffère  aujourd'hui  jusqu*à  la  soirée 
du  troisième  jour  :  au  xvii®  siècle,  il  se  faisait  le  soir  même  du 
décès (3).  Dès  que  la  mort  avait  été  constatée  par  le  cardinal  An- 
toine Barberini,  camerlingue.  On  avait  procédé  à  Tembaume- 
ment  ;  puis,  sous  les  yeux  d'une  foule  respectueuse,  s'était  formé 
le  cortège  qui  devait  accompagner  le  corps  jusqu'au  Vatican. 
L'ordre  dans  lequel  on  rangea  Tescorte  militaire  prouve  que 
Ton  ne  supposait  même  pas  que  la  sécurité  du  convoi  pût  être 
mise  en  péril,  et  il  n'y  avait  que  le  nombre  de  troupes  réglé 
par  un  ancien  usage  et  suffisant  pour  la  dignité  de  la  cérémo- 
nie. U  n  y  avait  devant  la  litière  pontificale  traînée  par  deux 
mules  conduites  à  la  main,  que  deux  chevau -légers  en  ca- 
saque, deux  soldats  de  la  garde  suisse,  et  le  fnatlre  des  céré- 
monies  Servatio  monté  sur  une  mule.  Autour  et  à  la  suite  du 
corps,  marchaient  en  longues  files  (ordiue  longo)  les  péniten- 
ciers de  Saint-Pierre,  en  manteau,  portant  des  cierges  et  ré- 
citant des  prières,  des  parafrenieri  By^o,  des  torches  allumées, 
et  des  Suisses.  La  marche  était  fermée  par  d'autres  Suisses  à 
pied,  conduisant  sept  pièces  de  canon  attelées,  des  chevau- 
légers  et  une  compagnie  de  cuirassiers  créée  par  le  feu  pape. 
On  suivit  une  route  bien  connue,  la  strada  papale^  à  travers 
les  quartiers  populeux,  et  Servatio,  dont  la  fonction  était  de 
noter  tous  les  incidents  (4),  ne  trouva  rien  à  signaler  que  Taf- 
fluence  extraordinaire  des  curieux  de  toute  condition  dans 
les  rues  et  aux  fenêtres  (5). 

(1)  A  LioQue,  22-23  mai.  Hovie^  183. 

(2)  Privaio.  (Dizionario  di  Moroui,  l.  VIU,  p.  186.) 

(3)  Ibid.  et  les  registres  ci-après  cités  des  matlres  de  cérémonies. 

(4)  <«  ...Tautus  fuit  coucursus  per  totam  viam  et  in  fenestris  ut  ego  non 
pvam  admiratussim  houiiuum  etiam  nobilioruui  curiositateni,  cum  in  feues- 
tris,  ut  pluriniiim  viderentur,  utriusque  sexus  stragiilis  alii  cooperli,  alii  fere 
nndiabeadeui  curiositiite  alcctis,  quibusjam  se  dederant  dormituri,  ad  feues- 
trattocati...  ».  (Arcb.  Vatic,  Seroantii  Diaria,  1665  À  1668-81.) 

(5)  Innoceut  X  était   mort  aussi  à  Moute-Cavailo,  le  7  jauvier  1653,   vers 


172  CHAPITRE  QUINZIÈME 

On  s'était  empressé  d'écrire  de  Farnèse  à  la  cour  de  FraDce  : 
«  Un  est  pas  concevable  la  joie  qui  paraît  déjà  dans  Rome:  »> 

quatorze  heures  trois  quarts,  ou  huit  heures  du  matin.  Aussitôt  après  la  re- 
connaissaiic«^  de  sod  identité  par  le  cardinal  Antoine  Barberini,  qui  était  déjà 
camerlingue,  son  corps  fut  embaumé  {de  more,  dit  le  registre  de  Senratio). 
et  disposé  sur  une  iitière  portée  h  la  chapelle  Sixtine,  et  cest  par  respeet 
pour  l'usage  que  Ton  attendit  la  tombée  de  la  nuit,  sans  vouloir  uéanmoiD$, 
malgré  le  mauvais  temps,  remettre  jusqu'au  lendemain.  En  effet  un  om^e 
épouvantable,  qui  commença  lorsque  le  convoi  sortait  du  Quirinal,  atteignit 
sa  plus  grande  fureur  au  moment  où  Ton  arrivait  prope  Pasquinujn  (à  côté 
de  la  place  Navone)  a.  On  s'était  mis  en  marche  à  deux  heures  après  l'Are 
Maria,  hord  secundd  noclis  puisatd^  c'est-à-dire  sept  heures  du  soir,  et  il  eo 
était  huit  lorsque  l'on  franchit  la  grande  porte  du  Vatican.  Sauf  quelques  pré- 
cautions prises  contre  la  tempête,  l'ordre  du  convoi  était  ce  qu*Ll  sera  en  1667. 
On  paraît  s'être  demandé  si  Ton  exposerait  à  l'orage  les  canons  et  lears  cais- 
sons, et  l'on  en  prit  qnatre  au  lieu  de  ftept^  qui  est  le  nombre  usité  jusqu'à 
nos  jours  h  :  «   Milites  helvetii,  dit   Servatio.  secum   conducere  voluerunt 
ahsque  retnedio  quatuor  carros  cum  tormentis  feneiset  capsam  munitiouum...  ■ 
Mais,  comme  en  1667,  le  corps  du  pontife  est  porté  dans  sa  litière,  précédé 
seulement  de  quelques  cavaliers  d'avant-garde,  et  suivi  des  pénitenciers  de 
Saint-Pierre,  des  parafrenieri,  des  Suisses  et  des  chevau-légers. 

Les  deux  successeurs  immédiats  d'Alexandre  Vil  moururent  comme  lui  au 
palais  du  Quirinal.  Le  premier.  Clément  IX,  expira  le  9  décembre  1669,  au 
point  du  jour.  Dès  que  la  nuit  fut  arrivée,  son  corps  fut  porté  à  la  chapelle 
Sixtine,  et  nous  retrouvons  le  même  cortège  :  deux  chevau-légers;  deux 
Suisses  formant  avant-garde  ;  le  maître  des  cérémonies  Bona  précédant  la  li- 
tière pontiflcale,  qui  est  entourée  des  pénitenciers,  des  parafrenieri  avec  cier- 
ges et  flambeaux;  les  gardes  suisses,  et  d'autres  Suisses  conduisant  sept 
pièces  de  canons  sur  leurs  affûts  attelés,  les  chevau-légers  et  les  cuirassiers 
de  la  garde  c.  —  Le  pape  Clément  X  rendit  le  dernier  soupir,  le  22  juillet 

a.  *>  Exeunte  porta  palatii,  cœpit  a  cielo  radcro  pluvia.  et  ideo,  mîhi  ipse  consulcus,  ab  equo 
dcscendi  et  in  curru  cum  H*  D*  Mcrislû  palatiuni  potii  Vaticanum...  Accedente  corpore  prop< 
Pa^quinom,  ca'lum  cœpit  itcrum  plucrc,  tonnrc  et  fulgurarc,  et  pluvia  fuit  ita  impetuon  nt 
omuibus  torrorcni  intulerit,  et  duravit  donec  corpus  pontem  et  arcem  Sancti  Augeli  traofierit.  * 
(Arch.  Valic,  Scrvanlii  iHaria,  lfJ52  à  16fi5-77.) 

b,  Dizionario  de  Mnroni,  t.  VIII,  p.  186  et  ».  c  Si   chiude  il  ronTOglio  funèbre  ...  col  tnoo 
d'artiglierie,  composlo  di  sette  pezzi  di  caunoui.  b  Y.  Artaud,  ffistoire  du  pape  Pie  V7/,  éd. 
1839,  III,  i89  :  Pie  VU  meurt  le  âO  à  Monte  Cavallo;  il  est  tran5porté  au  Vatican  Je  troi«i^e 
jour,  le  ii^  à  neuf  heures  du  matin  :  c'c»i  évidemment  une  faute  d'impression,  car  plus  bas  l'au- 
teur parle  des  torches  portées  par  Icj^  scrTitetirs  et  ne  répai  dant  qu'une  lumière  insuffisaïUt- 
Artaud  ajoute  :  <>  i^'ept  pi{>c«'H  d'artillerie,  avec  Icur^  cai^sons,  étaient  trainées  à  la  suite  <-,  ^ 
fait  une  réllexiou  qui  rappelle  la  di'pêchc  du  duc  de  Cbaulnes  :  «  C'est  au  bruit  d'une  mosiqo^ 
guerrière,  et  dans  un  appareil  qui   paraissait  annoncer  les   funérailles  d'un  général  d'aro^ 
plutôt  que  celles  d'un  souverain  pontife,  que  Pie  VII  entra  dans  le  temple;  mais  tel  eut  Cutagt* 
—  Moroni  dit  bien  forniellement,  comme  le^  autres  historiens  et  comme  a  touIu  dire  Artawlt 
que  le  transport  de  Montc-Cayallo  au  Vatican  eut  lieu  nella  tera  del  i2  :  t.  IV,  p.  170,  t*  co- 
lonne. 

a* 

e.  «  Milites  hehetii,  sub  eorum  ductorilms,  sequebantur  corpus  pap».  Alli  milites  hehet*^ 
deducentes  tormenta  bellica  numéro  xeptem  ab  equis  super  curriculos  raptata  ex  cito  génère  qoo*' 
vocant  artiglierie,  et  deindc  equitei»  levis  armaturap  et  alii  quos  vocant  le  coraze,  quv  iant  à^ 
cttvtodiâ  corpons  pontiGcii.  «>  (Arch.  Vatic.,  Senrantii  Diana,  16M-xii.) 


MORT   D* ALEXANDRE    Vit  173 

et  Ton  se  flattait  d'annoncer  bientôt  une  émeute  contre  la  fa- 
mille Chigi  :  «  Hanno  sporcato  (1)  qiiesta  notte^  dit-on,  le  case 
di  don  Mario  e  tirato  passi  aile  fenestre  del  palazzo  del  cardi- 
nale.  Si  sentiranno  délie  belle  cose  contro  qiiesti  signori  :  è  una 
gran  bestia  cfi  ilpopolo  di  Roma  infuriato!  »  L'ambassadeur 
français  complaît  assez  d'avenluriers  et  de  malfaiteurs  dans 
son  quartier  pour  prédire  à  coup  sur  quelques  désordres, 
plus  graves  même  que  des  cailloux  lancés  dans  les  fenêtres 
du  cardinal  Chigi  et  des  fioles  d'encre  noire  cassées  sur  les 
murs  du  logis  de  don  Mario  !  L'anecdote,  fùt-elle  vraie,  et  il  n^y 
en  a  aucun  indice  sérieux,  établirait  seulement  que  l'insulteur, 
en  choisissant  la  nuit,  quesia  notte,  ne  comptait  pas  trouver 
d'approbation  ailleurs  qu'au  palais  Farnèse.  Ces  prophéties 
tournèrent  à  la  confusion  des  agents  français,  qui  changèrent 
bientôt  de  langage  (2).  Dès  le  premier  jour,  Tabbé  de  Machaut, 
n'ayant  pas  pris  le  temps  de  se  concerter  avec  M.  de  Chaulnes, 
démentait  la  nouvelle  donnée  par  l'ambassadeur  que  le  pape 
ne  laissait  pas  de  regrets  :  «  Les  cardinaux  même  les  plus 
maltraités,  disait-il,  ont  rendu  des  devoirs  au  pape  mourant 
qui  ne  s'étaient  jamais  pratiqués.  »  Les  démonstrations  étaient 


1^6,  à  dix-sept  heures,  c'est-à-dire  entre  dix  et  onze  heures  du  matin.  Trois 
heures  après,  horâ  vigesimâ^  ou  achevait  les  apprêts  accoutumés,  et,  un  peu 
ploà  d'uue  heure  après  l'Ave  Maria,  post  pulsalam  primam  noclis  horam^  en 
d'autres  termes  à  ueuf  heures  du  soir,  le  convoi  sortait  de  Moate-Cavallo, 
«  dans  le  même  ordre,  dit  le  diarista^  et  suivant  le  même  chemin  décrits  dans 
le  même  journal,  à  la  date  du  9  décembre  1669,  après  la  mort  du  pape  Clé- 
meot  1\,  avec  cette  seule  différence  que  M^''  Mattei,  préfet  du  palais  aposto- 
lique, venait  eu  carrosse  immédiatement  après  la  litière  pontificale  et  avant 
W  chevau -légers  rf. 

i.  «  Po9t  pulsatam  voro  primam  noctis  horam  dlsce^^um  a  palatio  Qiiirînali  et  cadavor  de- 
^ti  pootificLf  lecUciî  TOi'tum  fuit  ad  palatium  apostolicum  Vaticanum  eodem  ordioo  et  per 
Moidein  Wain  jaxta  ou  qua;  descripsi  de  anno  166U  8ub  die  0  decembris  in  obitu  Mocta;  roe- 
»on«  démentis  papa*  IX,  hoc  tamen  adjecto  quod  Re?.  D.  Matthaeus,  prsrectus  sancti  palatii 
tposlolici,  carru  >ectus  immédiate  scquebatur  lecticam  ante  milites  equitos  levis  armalura;.  » 
lArrb.  Vat.,  Diaria  di  Bona,  1670.) 

•1)  Sporcai'€j  salir.  C'est  bien  vague  :  une  lettre  postérieure  parle  de 
■plusieurs  bouteilles dVncre  jetées  coulre  les  murailles  delà  maison  de  don 
Mirio,  ce  qui  esl  ici  la  plua  ffrande  marque  d'infamie  dont  Von  peut  noircir  la 
^^putation  d'une  maison!  »  (Chaulnes  au  roi,  4  juin  1667.  Rome^  184.) 

-)  Chaulnes  au  roi  et  à  Lionne,  23  mai.  Rome^  183;  —  4  et  7  juin.  Rome^ 
184.  —  Machaut  à  Lionne,  22,  23,  26  mai.  —  Retz  et  Bourlemont  au  même, 
3i  nui.  Rome,  183. 


[ 


171  CnAriTRF.   OUlNZTfcME 

si  tVlatantOvH  et  si  unanimos  qiio  \o  parti  du  roi  n'osa  p»a>  >ii{! 
ttMur  «i*v  prtMulro  part.  Mâchant  dit  encore  :  <(  M.  Tamb^s!^ 
«tour,  do  qui  les  démarche*  ont  toujours  été  fort  juste*  eifv 
saires,  proposa,  d^s  lo  samedi  matin,  à  MM.  les  cardinaiix<l 
la  faction  d  y  aller  les  premiers.  Parmi  eux,  MM.  lescardinao 
d*Ksle  et  de  Retz  s'y  sont  fait  remarquer  par  leur  honnèteu 
et.  comme  ils  devaient  y  avoir  plus  de  répugnance  que  U 
autres,  il  semble  que  leur  mérite  en  est  plus  grand.  Lecard 
nal  Antoine  n*a  pu  s'emptVher  d'avoir  des  égards  pour  lecai 
dinal  Ohici  qni^  tous  oesjour?-ci  que  le  pape  a  été  à  l'agonie 
Ta  fait  prier  de  ne  j^^s  fain*  sonner  la  o.tmpanaccia  la  notte..» 
Le  depii  dos  Français  alla  orvnssanl  chaque  jour.  Machau 
écrit  le  ;h'^  mai  :  .  .  Il  iMrait  une  grande  inquiétude  pendao 
le  s^^ie  NAcant.  c:  îe  duc  'c  Ohauines  ne  se  console  pasdi 
naxvMr  3^  raov^aior  i;::e  sa  f.îblo  des  îv.^uteilles  d'encre  :  «  Loi 
at;endan  de  vvs  vvmmeaoemer.:*.  di:-iU  des  suites  proportion 
we^^s  dans  -e  ^^.^urs  vies  A?A:res.  aijùs  elles  se  sont  trouvée* 
Meu  vvn:ra;r\*s  à  *a  vrji:sz''v.blxa:e  c:  i  toutes  les  opinions,  r 
l.o  v^Ar\l-na.  .:,'  R;**j,  c,::  am::  vru  voir  le  peuple  éclater ec 
turvur  .v:*.r^  .a  :iti'::v.rv  i  V.t^xa:^!^  VU  et  poursuivre  se! 
ivAr\*:*,s  .'.a-'s  .;'<  --«fs^  ;s:  ;>.^v  iiv.vi-er  sa  déception: 
A  .  Icsj.  i;-^  s,;  ^Av:.>^  ivr  :-:  ,  :  -t'  ":*  c^:'Hr  *ans^xc^pt'm 
f  -  Yije  I  V»  *x  /  ■  ^  'H.  •  ^-'^i  :.r-"C->  /f  'xwwV.V  ^f  pnpenei 
/  .  M,  .s  -.  i  \;v>  r-::rfr':\:  i^r  ,1  •A:ueai«»a:  que  noui 
v'/*  *.',*>  ixr,v  xvi  r*4x>  :•::  .  •-  •-'  :-TfTOC,e  Kir  la  passion.  * 
l  ». •  •  ,-.•,  «v.  ii  ^vTri-v  ^.v^c-f-fr  .1  -.'o^r  de  la  familh 
^V^  i  i-;  .  -*  .-tA-Cwi.  1-7 7^  in  i^'^  ch-?:.  Mais  1« 
,\ '*  't  \  r-     A^i.«r.    M    Tt  f  ifa«;cvfjL*.?îxi*f«;  îe  cardinal- 

>itv^  -    -1  .    ^  .i>,t.  ,>*•.  njuv      t-^:i»?     m  ur  i  totos*  le* 


m 


MORT    d' ALEXANDRE   Vil  175 

matières  qui  se  sont  traitées  aux  Congrégations  préli- 
minaires du  conclave  où  le  cardinal  Chigi  a  pris  intérêt,  tant 
pour  soi  que  pour  la  mémoire  de  so?i  oncle^  le  plus  grand 
nombre  de  toutes  les  factions  s'est  empressé  do  lui  rendre 
office,  et  de  faire  passer  les  choses  ainsi  qu'il  a  désiré... 
Cela  donne  dedans  les  yeux  à  bien  du  monde  et  fait  dis- 
courir comme  si  le  cardinal  Chigi  devait  se  rendre  Tarbitre 
du  conclave;  mais  les  plus  avisés  »  pensent  que  ces  dé- 
monstrations ne  dureront  pas.  Cela  dura,  et  le  duc  de 
Chaulnes  tient  le  même  langage  :  «  Don  Mario  a  été  con- 
firmé dans  son  emploi,  ainsi  que  le  prieur  Bichi,  tout  d'une 
voix;  et,  lorsque  le  cardinal  Chigi  a  souhaité  quelque  chose 
dans  les  Congrégations,  ayant  fait  tourner  d'un  clin  d'œil 
toute  sa  faction,  ceux  qui  ont  vu  ici  plusieurs  changements  de 
pontificat  ont  été  surpris  d'avoir  vu  les  cardinaux  neveux 
d'Urbain  arrêtés  par  ses  créatures  dans  les  premières  démar- 
ches, après  les  avoir  comblés  de  grAces,  et  de  voir  le  cardinal 
Chigi  suivi  dans  tous  ses  desseins  sans  qu'il  ait  le  moindre 
dég[OÙt,  dajii^  le  peu  de  satisfaction  quil  a  donné  à  toutes  les 
créatures  de  son  oncle,.,  »  Un  incident,  cité  par  l'ambassadeur 
lui-même,  montre  combien  le  sacré  collège  approuvait  la  con- 
duite du  feu  pape  envers  la  France.  Le  cardinal  Orsino  avait, 
comme  prolecteur  de  Pologne,  apporté  à  ses  collègues  une 
lettre  du  roi  Jean-Casimir  qui.  à  l'instigation  de  Louis  XIV, 
se  plaignait  que  le  Français,  M.  de  Bonsy,  n'eût  pas  été  com- 
pris dans  la  dernière  promotion  :  les  cardinaux  chargèrent  l'un 
d'entre  eux,  Pallavicino,  l'ami  du  feu  pape,  de  préparer  une 
réponse  vigoureuse,  et  ce  fut  le  cardinal  Chigi  qui  modérateur 
mécontentement.  Le  duc  de  Chaulnes  écrivit  encore  :  «  La 
conduite  dece  cardinal,  ou  lobonhcur  qu'il  aest  surprenant  ;  sa 
faction  est  dans  une  tranquillité  incroyable,  et  pas  un  cardinal 
ne  se  démont.  »  On  verra  se  perpétuer,  sous  le  pontificat  sui- 
nnl,  la  même  vénération  pour  la  mémoire  de  Fabio  Chigi,  la 
même  fidélité  à  ses  inspirations,  le  même  attachement  pour  sa 
famille. 

11  s'en  fallut  do  quelques  jours  seulement  qu'Alexandre  VII, 
avant  de  fermer  les  yeux,  ne  reçût  do  la  France  une  nouvelle 
^t  grande  affliction;  mais  il  ne  devait  pas  lire  la  lettre  du 


176  CHAPITRE   QllNZIÈMK 

m  mai  (1),  par  laquelle  Louis  XIV  lui  annonçait  rouveriure 
de  la  guerre  dite  des  Droits  de  la  reine,  el  son  prochain  départ 
pour  la  campagne  de  Flandre.  Les  craintes  qu'avait  éprouvées 
l'ancien  médiateur  de  Munster  se  réalisaient  :  les  Français 
déchiraient  le  traité  des  Pyrénées  et  rendaient  à  jamais  impos- 
sible celle  ligue  européenne  contre  les  Turcs,  poursuivie  avec 
un  si  grand  zèle  par  Alexandre  VIL  Et  quelles  raisons  don- 
naient-ils pour  prendre  les  armes?  Personne,  en  Europe  ni  en 
France,  ne  croyait  aux  droits  de  la  reine,  et,  quand  Louis  XIY 
s'était  déjà  jeté,  sans  déclaration  de  guerre,  sur  les  provinces 
de  Charles  II,  son  neveu,  il  prenait  Tunivers  à  témoin  que  Ten- 
f an t-roi  était  son  agresseur  et  son  spoliateur!  Cette  odieuse 
entreprise  avait  été  conseillée  par  le  même  ministre  qui  diri- 
geait les  rapports  de  la  France  avec  le  saint-siège,  et  Lionne 
se  vantait  au  duc  de  Chaulnes  de  ses  manœuvres  machiavé- 
liques :  «  Vous  trouverez,  je  m'assure,  lui  disait-il  (2),  qu'on 
a  donné  un  assez  bon  tour  à  l'affaire  d'Espagne  pour  se  dé- 
charger de  quelque  blâme  de  déclarer  la  guerre  à  un  pupille; 
cela  pourra  fort  embarrasser  tous  les  conseils  d'Espagne  dans 
la  délibération  qu'ils  feront,  de  quelle  manière  ils  auront  à  se 
conduire,  ou  à  continuer  à  vivre  en  paix  en  se  tirant  de  bons 
coups  de  canon,  ou  à  nous  déclarer  eux-mêmes  la  guerre  ;  car, 
par  les  instructions  que  j'envoie  à  M.  l'archevêque  d'Embrun, 
il  a  ordre  de  demeurer  ou  de  se  retirer  sitôt  que  la  reine  d'Es- 
pagne lui  témoignera  désirer  l'un  ou  l'autre...  En  échange 

(1)  ««  ...  Je  vous  renvoie  votre  courrier  eu  toute  diligence  pour  vous  faire 
savoir  la  résolution  que  j'ai  prise  d'entrer  en  personne  à  la  fin  de  ce  mois 
dans  les  Pays-Bas  a  la  tête  de  mon  armée,  pour  tâcher  de  me  mettre  en  pos- 
session des  pays  et  places  qui  m'appartiennent  du  chef  de  la  reine,  après  que 
l'on  m'a  refusé  à  Madrid  non  seulement  de  me  faire  raison,  mais  même  de 
vouloir  se  laisser  informer  de  mes  droits.  Si  S.  S.  a  vécu  jusqu'à  rarrivéc 
dudit  courrier  et  que  vous  puissiez  la  voir,  mon  intention  est  que  vous  lui 
présentiez  la  lettre  que  je  lui  écris  sur  ce  sujet,  une  copie  de  celle  que  j'ai  écrite 
le  8  de  ce  mois  à  la  reine  d'Espagne  et  un  exemplaire  du  manifeste  que  j'ai 
fait  publier  pour  faire  connaître  à  toute  la  chrétienté  les  fondements  et  l'évi- 
dence de  mes  droits.  Si  Dieu  avait  appelé  à  soi  S.  S.,  vous  présenterez  la  même 
lettre  et  les  mômes  pièces  au  sacré  collège...  départirai  demain  de  ce  château 
pour  aller  à  Amiens,  d'où  je  sortirai  le  26  de  ce  mois  pour  entrer  dans  lei 
Pays-Bas,  où  j'espère  que  Dieu  donnera  ses  bénédictions  à  la  justice  de©» 
cause...  »  (Le  roi  à  Chaulnes,  13  mai  166T.  Romey  183.) 

(2)  6  mai.  Rome,  183. 


MORT   d'aLEX ANDRE   VU  177 

des  brefs  que  vous  nous  avez  envoyés  pour  attaquer  des  évé- 
qoes  (1),  nous  vous  renvoyons,  par  votre  môme  courrier,  des 
manifestes  et  déclarations  sur  lesquelles  nous  prétendons  at- 
taquer les  Espagnols  pour  leur  faire  souscrire  notre  droit,  ou 
pour  les  déposséder  des  bénéfices  qu'ils  nous  usurpent.  Avouez- 
moi,  Monsieur,  que  les  mains  vous  démangeront  furieusement 
quand  vous  apprendrez  qu'avant  la  fin  de  ce  mois,  le  roi  sera  à 
la  campagne  et  commencera  à  faire  entendre  ses  raisons  par 
la  bouche  de  ses  canons. . .  Je  ne  sais  pas  ce  que  Dieu  nous  garde , 
mais  les  préparatifs  sont  beaux  et  la  consternation  est  grande 
chez  nospariies.  Voilà  parler  juste,  car  ceci  est  un  procès  et  non 
pas  une  guerre,  si  ce  n'est  que  nos  adversaires  se  trouvent  plus 
braves  que  nous  et  qu'ils  veuillent  être  les  premiers  à  rompre 
la  paix.  Je  ne  vous  dirai  pas  là-dessus  comme  un  prédicateur 
de  l'abbé  Buti  :  Signori^  non  è  pensier  miOy  è  di  Cirillo  ilsanto. 
Au  contraire,  je  vous  dirai  :  che  c  stato  pensier  mio  di  non 
far  guerra  al pupillo  ed  alla  vedoa^  et  je  crois  que  les  conseils 
d'Espagne  seront  plus  embarrassés  de  leur  contenance  et  sur 
la  résolution  qu'ils  devront  prendre  que  si  on  avait  rompu 
contre  eux  de  tout  côté  et  défendu  tout  commerce...  (2).  » 
Ainsi  s'ouvrait  la  série  de  ces  guerres  d'ambition  et  de  con- 
quête, trop  applaudies  par  la  nation,  qui  provoquèrent  plu- 
sieurs coalitions  européennes  et  furent  suivies  de  si  terribles 
revers.  Ce  n'était  pas  être  l'ennemi  de  la  France  que  de  ne  pas 
favoriser  de  pareils  desseins,  et  cependant  ce  fut  la  cause 
unique  de  la  haine  implacable  vouée  au  pape  Alexandre  VU 
par  Mazarin  et  ses  continuateurs  ! 

(1)  AUnsioD  aux  brefs  demandés  pour  faire  le  procès  aux  quatre  ëvèqucs 
jansénistes . 

(2)  6  et  15  mai.  liome^  18'J.  —  Et  pour  bien  montrer  que  Louis  XIV  avait 
pour  seules  pensôesd*attirer  sur  lui-même  les  bénédictions  de  Dieu  et  de  défendre 
les  droits  de  la  reine.  Lionne  ajoutait  dans  la  môme  lettre  :  «  Nous  avons  ici 
une  nouvelle  duchesse  et  une  princi^sse  reconnue  ûlle  du  roi,  S.  M.  ayant 
acheté  750,000  francs  la  terre  de  Vaujour  qu'il  a  jointe  à  celle  de  la  Vallière,  et 
l'a  érigée  en  duché-femelle  pour  M"«  de  la  VuUière,  à  condition  qu'elle  pas- 
sera à  une  fille  de  S.  M.  et  d'elle  qui  n'a  encore  que  huit  mois  :  le  tout  fut 
enregistré  hier  au  Parlement.  >< 


LOUIS  XIV  KT  LE  SAINT-SIÂOB.   —  H.  12 


LIVRE  II 


PONTIFICAT   DE   CLÉMENT   IX 


20  juin  1667  ~  9  décembre  1669 


CHAPITRE  PREMIER 


LE  CONCLAVE  DE  CLÉMENT   IX   :    JUIN   1667 


libtnictionï  de  Louis  XIV  au  duc  de  Chaulnos  pour  le  conclave.  Sa  mod(^ration  apparente,  dé- 
BKolif  par  les  faits.  11  reconnaît  que  V exclusion  nVst  pas  un  droit;  qu'elle  est  une  .simple 
prétention,  qui  peut  commettre  la  dignité  de  la  couronne;  mais  il  voue  d'avance  son  inimitié 
^  toat  pape  dont  Télection  ne  datlera  pas  son  orgueil.  Il  pose  en  principe  que  le  roi  de  France 
»*s  pu  besoin  du  pape,  mais  bien  le  pape,  du  roi  de  France.  —  Déclamations  de  Louis  XIV 
<^*Atre  le  népotisme  dans  l'espoir  de  flatter  la  faction  pr«''pondérante  des  Indépendants.  Flan 
<<•'  campagne  du  duc  de  Chaulncs  ;  il  se  proposa  de  n'employer  que  dent  moyens  pour  réns- 
^  :  mentir  et  corrompre.  Aboiementt  répétés  des  ficnsioniiairos  du  roi.  —  Dès  le  premier 
i^  les  Cactions  Rarbcrini,  Pamphili  et  Chigi  acceptent  la  direction  des  Indépendants,  qui 
ont  deui  principaux  objets  en  vue  :  1*  prolonger  le  moins  possible  la  vacance,  au  moment 
<Hi  la  France  vient  de  recommencer  la  guerre  ;  2*  choisir  un  pape  qui  approuve  les  actes 
<i  Alexandre  Vil  et  continue  sa  pulitiqne.  —  Le  conclave  est  fermé  le  i  juin.  La  pratique  de 
nMpigliofti  commence  le  7,  et  il  est  élu  le  iO,  sans  qu'uu  autre  nom  lui  ait  été  sérieusement 
^Ppoaé.  —  I/e  duc  de  Cbaulnes  attribue  l'élection  à  sa  seule  habileté  :  le  roi  a  fait  le  pape 
^^'nuûè  il  fait  le  prêtât  des  marchands.  Louis  XIV  fait  voler  les  dépêches  de  l'ambassadeur 
*fE<pagne,  et  apprend  que  ce  ministre  et  le  sien  ont  suivi  seulement  l'impulsion  des  cardi- 
1^1  Auolino  et  Cliigi.  Mécontentement  rècipnxfuo  du  roi,  de  Tumbassadeur  et  do  la  fac- 
tiOD  française.  Juste  discrédit  où  était  tombée  celte  faction  :  les  cardinaux  Antoine  Barbe- 
ribi,  Maidalcbini,  d'Esté,  Orsino,  de  Vendôme.  —  L'élecliou  de  Clément  IX  conserve  aux  In- 
dépcBdtnta  l'influence  qu'ils  exercent  depuis  le  pontificat  d'Innocent  X. 


Iln'y  avait  pas  eu  d'élection  pontificale  depuis  que  Louis  XIV 
exerçait  seul  le  pouvoir;  mais  un  an  à  peine  après  la  mort  de 
Ihzarin,  il  avait  indiqué,  dans  ses  instructions  au  duc  de  Gré- 


180  CHAPITRE    PREMIER 

quy  (1),  les  règles  de  la  conduite  qu'il  prétendait  suivre  lorsque 
le  saint-siège  deviendrait  vacant.  Il  avait  une  conception  exacte 
du  rôle  discret  qui  appartient,  dans  cette  rencontre,  à  un  prince 
catholique,  et  il  se  rappelait  que  Tambition  et  les  rancunes 
personnelles  du  feu  cardinal  avaient  exposé  la  couronne  à 
d'humiliants  échecs  dans  deux  conclaves.  Mais  l'orgueil  da 
jeune  roi  troublait  la  rectitude  de  son  jugement,  et,  sous  l'em- 
pire de  la  jalousie  qu'on  lui  avait  inspirée  contre  la  chaire 
pontificale,  il  mêlait  toujours  quelque  mépris  aux  hommages 
qu'il  ne  pouvait  lui  refuser.  A  plus  de  quatre  ans  d'intervalle, 
les  ordres  donnés  au  duc  de  Chaulnes  (2)  furent  presque  lit- 
téralement copiés  sur  ceux  qu'avait  reçus  le  précédent  ambas 
sadeur.  Lionne  écrivait  :  «  Le  roi,  après  une  mûre  délibéra- 
tion, et  se  souvenant  surtout  de  ce  qui  s'est  passé  aux  deu: 
derniers  conclaves,  a  pris  la  résolution  cette  fois-ci  de  ne  fain 
l'exclusion  formelle  et  ouverte  à  aucun  cardinal  que  le  plui 
grand  nombre  des  autres  cardinaux  veuille  exalter;  et  ains 
Sa  Majesté  ne  charge  point  ledit  sieur  duc  ni  les  cardinau: 
de  sa  faction  de  se  déclarer  contre  l'avancement  de  qui  que  c< 
soit,  ni  de  Tempècher  formellement  en  son  nom...  »  Quels  son 
les  motifs  de  cette  résolution?  1®  «  En  premier  lieu,  ce  parties 
bien  plus  sûr  pour  la  conscience  du  roi  qui,  dans  un  si  gran( 
éloignement,  ne  peut  assez  savoir  à  fond  les  bonnes  ou  mau 
vaiscs  qualités  d'un  cardinal  pourjuger  s'il  est  digne  ou  indigni 
de  régir  l'Église  de  Dieu;  et,  comme  pieusement  Sa  Majest 
en  doit  croire  capables  tous  ceux  que  les  deux  tiers  du  coUèg 
en  estiment  dignes^...  il  est  donc  plus  sûr  de  ne  pas  décide 
une  chose  de  ce  tte  importance  de  si  loin,  et  comme  à  yeux  clos,  e 
d'en  laisser  toute  la  conduite  au  Saint-Esprit,  se  conformant 
la  providence  divine  qui  sait  mieux  que  nous  ce  qu'il  nous  faut 
et  si  la  chrétienté,  pour  son  plus  grand  bien,  a  besoin  de  grâce 
ou  de  châtiment.  »  2°  a  II  y  a  môme  plus  de  hauteur,  de  réputa 
tion  et  de  dignité  pour  le  roi  d'en  user  de  cette  sorte,  Sa  Ma 
jesté  n'étant  pas.  Dieu  merci,  dans  la  même  nécessité  qu*on 
la  plupart  des  autres  princes  et  rois  qui  souffrent  dans  leurs  in 

(1)  Inslructious  «  ca  cas  de  conclave  »,  13  avril  1662.  HaDotauz,  Recueil  de 
instructions  aua:  ainba$sadeurs^  vol.  VI,  Rome^  t.  I,  p.  123-133. 

(2)  10  mai  1066.  Ibid.,  p.  214-225. 


LB    CONCLAVE    DE  CLÉMENT  IX  181 

térêts  des  préjudices  extrêmes,  quand  ils  n'ont  pas  la  cour  do 
Rome  favorable.  La  France  peut  beaucoup  mieux  se  passer 
de  cette  faveur  que  les  papes  eux-mêmes  ne  peuvent  tenir  pour 
indifférents  (1)  Taffection  et  le  respect  du  roi  et  de  son  royaume, 
lequel,  en  tout  temps,  mais  particulièrement  en  celui-ci,  est  sans 
contredit  le  pôle  principal  sur  lequel  roulent  tous  les  intérêts  do 
la  chrétienté  et  de  tous  les  princes.  »  Innocent  X  n'a  fait  de  mal 
qu'à  lui-même;  son  pontificat  a  été  «  malheureux,  sans  gloire, 
plein  d'épines  et  de  transes...  A  plus  forte  raison,  en  l'état  de 
gloire  où  sont  aujourd'hui  les  affaires  de  Sa  Majesté,  on  peut 
juger  si  elle  a  si  grand  intérêt  à  avoir  un  pape  plutôt  qu'un 
aulre,  qu'elle  doive  compromettre  sa  réputation  en  hasardant 
de  voir  élever  quelque  sujet  contre  sa  volonté  déclarée.  » 
3*  «  Et  c'est  ici  la  troisième  considération  qui  doit  encore  obli- 
ger Sa  Majesté  à  y  procéder  avec  grande  circonspection  et 
retenue,  pour  ne  pas  s'exposer  aux  mi^mes  inconvénients  qui 
lui  arrivèrent  pendant  sa  minorité,  au  conclave  dudit  Inno- 
cent X,  où  Ton  porta  au  pontificat  le  seul  sujet  qu'elle  avait 
déclaré  d'en  vouloir  exclure.  Il  est  certain  que,  si  les  choses 
passaient  par  la  raison,  les  cardinaux  devraient  bien  se  gar- 
der de  jamais  élire  pour  pape  un  sujet  qui  serait  formellement 
exclu  par  un  roi  de  France,  ni  même  par  celui  d'Espagne, 
pour  les  grands  maux  qui  pourraient  arriver  k  la  religion  si 
Tune  ou  l'autre  n'acquiesçait  pas  à  l'élection;  mais...  il  est 
évident  qu'en  de  pareilles  occurrences  les  deux  tiers  du  col- 
lège ne  considèrent  que  leur  propre  intérêt  ou  leur  passion 
particulière  de  favoriser  celui  de  qui  ils  attendent  plus  do 
bien,  sans  avoir  le  moindre  égard  à  l'inclusion  ou  à  l'exclu- 
sion d'un  roi,  ni  se  donner  aucun  soin  de  ce  qui  arrivera  dans 
les  affaires  du  monde  quand  ils  feront  une  élection  qui  ne  lui 
soit  pas  agréable.  C'est  pourquoi  Sa  Majesté,  joignant  tous  ces 
motifs  ensemble,...  »  veut  seulement  que  l'élection  se  fasse 
«  avec  réputation  et  dignité  de  cette  couronne,  et  que  la  fac 
lion  française  y  ait  la  part  qu'elle  y  doit  avoir.  »  —  Le  roi  ne 
veut  pas  «  violenter  par  des  moyens  illicites  les  suffrages  du 
sacré  collège,  »  mais  «protéger  sa  liberté  ». — Cette  modération 

(1)  Variante  qui  se  trouve  (laDs  les  instructioDS  de  M.  de  Chau1nes(MiV/.,  p.  219). 


182  CHAPITRE   PREMIER 

de  langage,  déjà  si  rare  chez  Louis  XIV,  ne  lui  est  pas  inspirée 
par  la  faiblesse  de  sa  faction;  il  résulte,  au  contraire,  des  ins- 
tructions données  au  duc  de  Créquy  que  les  plaintes  du  roi 
contre  Ja  prétendue  partialité  du  sacré  collège  ue  sont  pas  sé- 
rieuses. Il  avoue  que  jamais,  depuis  cent  ans,  le  parti  français 
n*aura  été  aussi  nombreux  qu*il  le  sera  au  prochain  conclave: 
on  y  compte  déjà  sept  cardinaux  (i)  et  il  en  aura  huit,  si  le 
duc  de  Mercœur  est  nommé^  comme  il  le  fut  en  effet  :  «  Celui 
de  la  maison  d'Autriche  ne  les  surpassera  pas  en  nombre,  les 
Napolitains  et  Milanais  n'ayant  pas  accoutumé  de  s*y  joindre, 
mais  de  suivre  le  chef  à  qui  ils  ont  obligation  de  leur  cardi- 
nalat. » 

Louis  XIV,  qui  reproche  si  volontiers  aux  autres  princes  den 
régler  leur  conduite  que  sur  leurs  intérêts  ou  sur  leurs  passions: 
déclarait  ne  redouter  qu'un  choix,  celui  du  cardinal  Françoi 
Barberini,  neveu  d'Urbain  VIII,  que  Mazarin  avait  autrefoi 
protégé  contre  Innocent  X,  par  haine  contre  ce  dernier  por 
tife,  et  que  les  Français  avaient  ensuite  abandonné  parce  qu 
ce  prélat  refusait  de  servir  leurs  rancunes  contre  le  sain 
siège.  Depuis  la  mort  du  cardinal  Sacchetti,  qui  avait  étéleu 
candidat  préféré  en  1644  et  en  ifirjr;,  ils  mettaient,  enpremièi 
ligne,  dans  leurs  inclusions,  le  cardinal  Albizzi,  «intime  ami  < 
confident  de  feu  M.  le  cardinal  Mazarin,  personnage  de  grand 
érudition,  fort  habile  et  adroit  à  traiter  les  plus  grandes  a 
faires,  homme  résolu,  actif  et  hardi,  de  grande  vigueur  < 
force  d'esprit,  qui  a  depuis  bon  nombre  d'années  témoigné  u 
zèle  particulier  pour  tous  les  intérêts  de  cette  couronne  < 
pour  toutes  les  satisfactions  et  avantages  de  Sa  Majesté.  » 
méritait  cesu  éloges,  et  il  est  juste  d'ajouter  que,  malgré  s( 
liens  avec  la  cour  de  France  et  la  pension  secrète  (600  piî 
tôles)  qu'il  en  recevait  exactement,  il  s*était  toujours  monti 
l'inflexible  adversaire  des  doctrines  jansénistes  et  gallicane 
Mais,  il  avait  en  sa  personne  une  cause  d'exclusion  :  il  ava 
été  marié,  et  il  lui  restait  plusieurs  enfants.  Si  les  déclamatioi 
de  Louis  XIV  et  de  ses  ministres  contre  les  parents  du  paj 
avaient  été  sincères,  Albizzi  n'aurait  pas  même  figuré  sur  I 

(!)  Antoine  Barberini,  Grimaldi,  Orsiao,  Este,  Maidalcbini,  Retz  et  Mancii 


LE    CONCLAVE    DE  CLÉMENT  IX  183 

liste  de  leurs  candidats  :  mais  sa  situation  particulière  lui  avait 
précisément  valu  leur  préférence,  car  ils  étaient  toujours  prêts 
à  favoriser  le  népotisme  dont  ils  espéraient  profiter.  Aussi, 
dépêchèrent-ils  de  Paris  à  Rome  un  abbé  Buti,  ancien  agent 
de  Mazarin,  qu'ils  imposèrent  comme  conclaviste  à  Tun  des 
cardinaux  du  parti  français,  avec  la  mission  défavoriser,  dans 
le  sacré  collège,  l'élection  d'Albizzi  :  «  Pour  vous  dire  main- 
tenant, écrivit  Lionne  au  duc  de  Chaulnes  (1),  le  véritable  se- 
cret de  l'envoi  de  cet  abbé,  sans  quoi  on  n'y  aurait  pas  pensé, 
c'est  le  cardinal  Albizzi  qui  Ta  désiré  du  roi,  espérant  qu'il 
pourrait,  dans  un  rencontre  de  lassitude  du  conclave,  ména- 
ger ses  aiïaires  avec  les  cardinaux  de  TEscadron,  dont  les 
principaux  arcs-boutants  ont  estime  et  affection  pour  lui. 
Vous  n^en  témoignerez,  s'il  vous  plaît,  rien.  » 

Le  second  candidat  de  Louis  XIV  était  Tancien  secrétaire 
d'État  d'Alexandre  VII,  le  cardinal  Giulio  Rospigliosi  qui,  en 
i66i,  on  se  le  rappelle,  avait  eu  la  faiblesse  de  se  laisser  of- 
frir l'appui  de  Louis  XIV  en  vue  d'une  future  élection.  Averti 
par  les  froideurs  du  pape  qu'il  lui  devenait  suspect,  il  avait 
bientôt  rompu  la  négociation  et  recouvré  toute  sa  liberté.  Le 
roi  nous  apprend  lui-même  qu'il  n'y  avait  d'engagement  ni  de 
part  ni  d'autre,  et  les  écrits  les  plus  confidentiels  attestent  les 
regrets  sincères  et  la  délicatesse  du  cardinal  (2).  Six  ans  s'é- 

(1)  6  mai  1667.  Romey  183. 

(2)  Oq  a  lu  plus  haut  (chap.  vu  du  livre  !«<'),  la  lettre  de  Louis  XI V  (17  oc- 
tobre 1661)  au  cardioal  Antoine  Barberini,  destinée  à  rester  entre  les  mains 
de  Rospigliosi  jusqu'à  la  mort  du  pape,  et  ordonnant  à  la  faction  française 
de  voter  pour  ce  cardinal.  Il  est  difficile  de  savoir  exactement  jusqu'où  Ros- 
pigliosi s'était  avancé.  L'intermédiaire  dont  se  servaient  ce  prélat  et  la  cour 
de  France  était  Atto  Melani,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  originaire  de  Pistoie 
comme  le  cardinal,  admis  dans  sa  familiarité  à  titre  de  compatriote  et  de 
musicien  habile,  espion  et  pensionnaire  de  Mazariu,  de  Foucquet  et  du  roi, 
prenant  de  toutes  mains  et  trahissant  tout  le  monde.  Ce  misérable  exagérait 
les  complaisances  du  cardinal,  qui  renvoya  bient(H  à  Louis  XIV  la  lettre  du 
17  octobre  166t.  Le  19  septembre  précédent,  Melani  écrivait  à  Lionne  une 
lettre  qui  fut  déchiffrée  par  le  ministre  lui-même,  et  dont  voici  quelques  pas- 
sages :  «  Il  (Rospigliosi)  a  été  très  aise  de  voir  que  vous  ne  vous  soyez  servi 
d^autrc  secrétaire  que  de  vous-même  et  a  reçu  cela  pour  une  marque  de  votre 
affection  envers  lui  et  de  la  sincérité  avec  laquelle  le  roi  veut  procurer  son 
élévation.  U  ne  saurait  assez  vous  exprimer  les  obligations  qu'il  vous  a  de  tous 
les  offices  que  vous  lui  rendez  auprès  de  S.  M.,  et,  quoiqu'il  m'ait  répliqué  ce 
qu'il  me  dit  l'autre  fois  qu'il  y  a  ici  cinquante  cardinaux  plus  habiles  et  plus 


184  CHAPITRE    PREMIER 

taient  écoulés  depuis  cet  événement  :  Rospigliosi  avait  recon- 
quis la  confiance  d'Alexandre  VII;  il  était  aimé  et  respecté  de 

propres  de  lui  pour  celûf  néanmoiDs  que,  comme  il  est  du  nombre  de  ceux 
qai  doiveut  être  élus  à  cettn  dignitéi  que,  si  jamais  il  y  parvient,  qu'il  ne  sera 
pas  ingrat  à  S.  M.  et  à  ceux  qui  l*ont  favorisé,  à  moins  que  Dien  ne  lui  ôte 
l'esprit,  et  que  ce  soit  un  châtiment  de  Dieu  pour  les  papes  que  cette  dignité 
fasse  perdre  le  jugement!...  11  se  serait  donné  volontiers  l'honneur  de  re- 
mercier S.  M.  et  lui  écrire  en  des  termes  qui  servissent  à  S.  M.  de  contrôle 
de  tout  ce  que  je  vous  mande;  mais  les  lettres  courent  ici  trop  de  hasard  et, 
par  cette  raison,  il  vous  écrira  seulement  en  peu  de  mots  les  obligations  qn'ii 
vous  a,  et  ce  compliment  s'adressera  au  roi,   quoiqu'écrit  à  vous.  »  —  U 
3  octobre  suivant,  nouvelle  lettre  de  Melani  à  Lionne  qui  en  fait  lui-mèiD( 
l3  déchiffrement  :  »  Pour  ce  qui  est  d'écrire  une  lettre  au  cardinal  AntolDi 
et  que  cette  lettre  ait  à  être  remise  entre  les  mains  du  cardinal  Rospigliosi 
pour  la  faire  rendre  seulement  quand  il  sera  question  de  faire  le  coup^  il 
mieux  songé  depuis  que,  comme  le  cardinal  Antoine  lui  a  procuré  loujouri 
vivant  môme  le  pape  Urbain,  tous  les  honneurs  et  avantages  qu*il  a  eus,  et  qu 
depuis  il  a  continué  toujours  à  lui  témoigner  toute  l'amitié  possible,  il  U 
semble  donc  que  ce  serait  lui  faire  un  grand  tort  à  le  surprendre  avec  ladi 
lettre  et  ne  lui  confier  la  chose  que  sur  la  fln,  et  plutAtque  lui  faire  ce  tort, 
veut  courir  le  risque  d'être  trompé  par  un  ami.  Il  supplie  donc  le  roi  d'avo 
la  bonté  de  disposer  les  choses  autrement  de  ce  que  vous  m'avez  mandé,  ; 
remettant  pourtant  à  ce  que  S.  M.  jugera  le  meilleur,  c'est-à  dire  que  le  r 
écrivit  de  sa  muin,  afin  que  nul  autre  en  eût  connaissance,  au  cardinal  A: 
toine,  par  laquelle  il  mandat  qu'étant  assuré  de  se  pouvoir  promettre  de 
personne  et  de  tous  les  parents  de  Rospigllosi,  il  souhaite  son  exaltation  pr 
férablcment  à  tous  autres...  »  (Rome,  142.)  —  Le  roi  écrivît  donc  la  lettre  ( 
11  octobre,  mais  Rospigllosi  la  rendit  aussitôt  qu'il  ont  trouvé  moyen  de 
faire  rentrer  sûrement  daus  les  mains  du  roi.  Le  10  juin  1662  il  écrivit  It 
même  à  Lionne  :  «  Non  ho  stimato  bene  d'inviare  al  signore  Atto  la  letie 
ben  nota  aV.  E.,  per  baver'  io  voluto  aspettare  occasione  molto  secnra,  coc 
l'ho  havuta   di   présente,   poiche  sensa  tal   diligenza  sarei  restato  con   u 
somma  apprensione  in  avventurarla  ai  pericoli  di  potersi<*marrire.  Laman 
hora  al  suddito  signore  Atto,  conservaudo  nel  più  vivo  del  mio  animo  qi 
sentimenti  d'  una  iuimensa  e  perpétua  gratitudine,  che  rechiedono  le  mie  ii 
pareggiabili  obligationi.  Non    ho  ardito  di  rappresentarli  con  una  lettera 
S.  M.,  riputando  che  sia  espressione  di  maggior  venerenza  verso  le  reali  s 
gratie  un'  ossequioso  silentio.  Supplico  ,perô  Vostra  Eccellenza  ad  insinua 
alla  M.  S.  con  ogni  più  devota  espressioue  del  mio  humilissimo  ossequio  c 
persuader  se  medesima  che  a  questo  e  a  tanti  altri  favori   che  mi  dériva 
dalla  singolare  humanità  sua,  siconie  bramo  di  poter  corispondere  col  serv 
air  E.  V.  in  qualunque  occasione,  cosi  mi  riconoscero  fuor  di  modo  favori 
sempre  che  si  compiacera  di  porgermene  Topportunità  col  mezzo  di  suoi  < 
mandi.  »  (Home,  145.)  —  La  table  de  ce  volume,  rédigée  sons  le  règne  mêi 
de  Louis  XIV,  rappelle  que  cette  lettre  fut  érrite  par   le  cardinal  «  en  n 
voyant  la  lettre  du  roi  pour  son  exaltation.   »   —  Chanteiauze  prétend  (\ 
Rospigliosi  recevait  une  pension  de  Louis  XIV  :  «  Ce  fait,  dit-il   (page  45 
nous  a  été  révélé  par  les  Archives  du  Ministère  des  Affaires  étrangères  »,  m 
sans  renvoyer  ni  à  un  document,  ni  même  à  un  volume  particulier;  je  l 


LE  CONCLAVE   DE   CLÉBCBNT    IX  185 

ses  collègues,  et  sa  réputation  de  bienveillance  et  d'impartia- 
lité attirait  sur  son  nom  les  suffrages  de  toutes  les  couronnes. 
Louis XIV,  dans  ses  introductions,  disait  au  duc  de  Chaulncs  : 
«C'est  un  sujet  qui  a  joint  aux  sciences  acquises  et  à  une  grande 
littérature  beaucoup  de  connaissance  des  affaires  du  monde,  qui 
est  une  des  qualités  les  plus  requises  pour  un  bon  pape,  ayant 
eu  occasion  de  se  rendre  un  des  plus  capables  sujets  du  sacré 
collège,  tant  pour  les  emplois  qu^il  a  eus  au  dehors  que  depuis 
son  retour  à  Rome  dans  Texercice  do  sa  charge ...  Il  s*est  si  bien 
conduit  en  toutes  rencontres  envers  Sa  Majesté  et  lui  adonné 
de  telles  preuves  et  assurances  de  sa  passion  pour  ses  intérêts 
qu'elle  ne  s'arrête  point  à  cette  considération  [qu'il  a  été  nonce 
enEspagne]  et  lui  souhaite  toutes  sortes  d'avantages.  Sa  Majesté 
avait,  il  y  a  quelques  années,  écrit  une  lettre  de  sa  main  à 
M.  le  cardinal  Antoine  pour  n'être  ouverte  que  dans  le  con- 
clave, par  laquelle  elle  témoignait  aux  cardinaux  de  son  parti 
le  désir  qu'elle  avait  de  l'exaltation  de  ce  sujet,  et  avait  fait 
tenir  ladite  lettre  au  cardinal  Rospigliosi  même^  afin  qu^il  pût 
la  faire  rendre  dans  la  conjoncture  qu'il  jugerait  la  plus  favo- 
rable pour  lui  ;  mais  il  en  usa  en  fort  homme  de  bien^  et,  après 
avoir  fait  témoigner  au  roi  une  parfaite  reconnaissance  de 
cette  obligation,  il  supplia  Sa  Majesté  d'agréer  qu'il  renvoyât 
ladite  lettre,  ne  pouvant  en  conscience,  à  cause  des  censures, 
avoir  la  moindre  part  à  une  pareille  chose  (1).  »  Après  Albizzi 
et  Rospigliosi,  le  roi  désignait  comme  ayant  ses  préférences, 
les  cardinaux  Brancaccio,  Ginetti,  Famèse,  Palotto,  Carpe- 
gîia,  Ceisi,  Litta  et  Maculano. 

Depuis  son  arrivée  à  Rome,  Chaulncs  avait  cherché  à  nouer 
diverses  négociations  en  vue  du  futur  conclave.  Croyant  que 
les  Indépendants  partageaient  les  préventions  des  Français 
contre  Alexandre  VII  et  sa  famille,  il  n'avait  rien  imaginé  de 
mieux,  pour  s'insinuer  dans  leur  confiance,  que  de  se  présen- 
ter comme  l'adversaire  inflexible  du  népotisme.  Chargé  d'of- 
frir secrètement  aux  Chigi  argent,  bénéfices,  provinces,  prin- 
cipautés^ s'ils  voulaient  se  vendre  à  Louis  XIV,  et  de  soutenir 

rien  trouvé  qui  confirmât  cette  assertion.  En  revanche,  la  négociation  secrète 
de  1661-1662  a  complètement  échappé  à  cet  écrivain,  comme  à  loua  les  autres. 
(1)  10  mai  1666.  Recueil  des  instructions,  p.  222. 


186  CHAPITRE    PREMIER 

comme  le  plus  digne  de  la  papauté  un  cardinal  qui  avait  de$ 
enfants,  l'ambassadeur  français  avait  affiché  le  rigorisme  1( 
plus  intraitable,  et  le  roi  lui  adressa  des  dépèches  ostensibles 
auxquelles  les  Romains  ne  se  laissèrent  pas  tromper:  «  J'ai  ton 
jours  tant  blâmé,  disait  Louis  XIV,  l'excessive  autorité  quelef 
papes  ont  accoutumé  de  donnera  leurs  neveux,  la  dissipatioE 
qu'ils  font  ordinairement  du  patrimoine  de  saint  Pierre  pour  le? 
combler  de  richesses  avec  un  scandale  qui  donne  de  grands 
avantages  aux  hérétiques,  et  l'anéantissement  où  ils  jettent 
tout  le  sacré  collège,  avec  un  très  grand  mépris  de  la  dignité  de 
cardinaux  qui  sont  néanmoins  leurs  conseillers  naturels  {{) 
que,  sans  hésiter  ni  délibérer  un  moment  sur  les  considération 
très  judicieuses  que  vous  faites  sur  les  qualités  d'un  nouvea 
pape  qui  me  serait  ou  favorable  ou  contraire,  je  désire  qu 
vous  promettiez  une  haute  assistance  à  mon  nom  et  mon  er 
tier  appui  à  ceux  desdits  cardinaux  qui  témoignent  aujou: 
d'hui  assez  de  courage  pour  vouloir,  dans  l'occasion  d'un  coi 
clave,  tâcher  d'apporter  les  remèdes  convenables  à  de  si  granc 
abus  et  désordres,  diminuer  le  pouvoir  du  népotisme,  donn< 
des  règles  et  do  justes  bornes  à  l'autorité  temporelle  des  pape 
et  rétablir  et  affermir  celle  qui  appartient  de  droit  au  saci 
collège;  car,  encore  que  je  sache  assez  que  de  pareils  proje 
demeurent  ordinairement  sans  exécution  dans  la  suite,  ou  pj 
la  faiblesse  des  cardinaux  mêmes  qui  sont  les  premiers  à  voi 
loir,  pour  des  intérêts  particuliers,  gagner  les  bonnes  grâc( 
du  palais  par  des  flatteries  et  des  bassesses  à  leur  propre  préji 
dice,  —  ou  par  la  grande  autorité  des  papes  qui  joignent  h 
deux  puissances  et  les  font  servir  l'une  à  l'autre  —  et  par 
maxime  qu'ils  tiennent  presque  tous  de  n'olre  point  obligé 
après  leur  exaltation,  h  tenir  ce  qu'ils  ont  promis  dans  un  coi 
clave,  —  il  me  sera  toujours  glorieux  d'appuyer  le  parti  de 
raison  et  celui  de  la  décharge  de  ma  conscience  et  du  bien  de  l'I 
glise,  quoi  qu'il  en  arrive  après  par  la  corruption  ou  la  faiblesî 
de  ceux  qui  y  ont  le  principal  intérêt.  Cependant  vous  aun 
beau  champ,  dans  Tordre  que  je  vous  donne,  de  faire  valo 

(1)  Quel  respect  avait  donc  le  roi  pour  ces  conseillers  naturels  du  pap 
lorsqu'ils  lui  donoaient  leurs  conseils  eu  Congrégations? 


LE   CONCLAVE   DB    CLÉMENT   IX  187 

beaucoup  mes  sentiments  et  ma  résolution  aux  cardinaux  qui 
veulent  entreprendre  ce  grand  ouvrage,  et  les  assurances  que 
vous  leur  donnerez  de  ma  protection  vous  seront  des  moyens 
certains  pour  lier  avec  eux  une  étroite  confidence  dans  les  af- 
faires du  conclave,  qui  peut  m'étre  fort  avantageuse  pour  Télec- 
lion  qui  sV  fera  (i).  »  Pour  que  la  comédie  fût  complète,  Taus- 
lère  cardinal  de  Retz  fut  chargé,  concurremment  avec  Chaulnes, 
démener  à  bonne  fin  le  grand  ouvrage  (2)  :  l'ancien  chef  de 
la  Fronde  s*était  lié,  par  hypocrisie,  avec  les  Indépendants  et 
notamment  avec  le  cardinal  AzzoHno,  surintendant  des  afi'aires 
de  Christine,  et  le  roi  comptait  sur  Retz  pour  affermir  l'union 
de  son  ambassadeur  avec  «  les  cardinaux  particuliers  de  la 
reine,  qui  se  trouvent  être  les  principaux  directeurs  de  l'Esca- 
dron, comme  étant  sans  difficulté  les  plus  habiles  do  cette  fac- 
tion, laquelle  se  rendra  vraisemblablement  l'arbitre  du  pro- 
chain conclave  (3).  »  Retz  attribuait  la  même  influence  à  ce 
parti  qui  faisait  «  profession  d'une  indépendance  pleine  et  en- 
tière de  toutes  les  couronnes  (4).  »  Le  duc  de  Chaulnes  croyait 
peu  au  succès  de  ses  propres  manœuvres  ;  car  il  pria  le  roi  de 
lui  donner  d'autres  movens  de  séduction.  Il  lui  écrivait  :  «  Je 
puis  dire  à  Votre  Majesté  (3)  qu'il  y  a  beaucoup  de  cardinaux 
sur  qui  les  raisons  que  l'on  leur  compterait  feraient  plus  d'effet 
que  celles  que  l'on  leur  dirait,  y  en  ayant  beaucoup  d'incom- 
modés qui  attendent  le  conclave  comme  une  moisson.  Ce  que 
je  vois  encore  de  fAcheux  en  ce  cas  est.  Sire,  que  quelquefois 
ils  moissonnent  sur  plusieurs  champs  et  bien  différents,  et  que 

(1)  17  septembre  1666.  Rome,  178. 

(2j  -  Cette  croisade  si  habilemeot  conduile  par  le  cardinal  de  Retz  contre 
lun  des  abns  les  plus  graves  et  les  plus  invétérés  de  la  cour  de  Rome  lui  fai' 
iait  le  plus  grand  honneur.  >»  (Cbantelauze,  page  459  )  Comment  supposer 
<iuà  Rome  personne  fAt  dupe  du  cardinal  de  Retz.  En  dépit  de  ses  elTort.^ 
pour  dissimuler  sa  profonde  corruption,  il  n'y  avait  aucun  crédit.  Tl  n'était 
r^çu  avec  bienveillance  par  Alexandre  VII  quo  lorsqu'il  allait  lui  parler  des 
affaires  du  roi;  et  récemment  encore,  au  moment  de  partir  pour  lu  France,  il 
û'avait  pu  obtenir  une  audience  de  congé,  malgré  ses  instances  pressantes. 
-  ce  qui  a  semblé  assez  étrange  ici,  dit  Bouricmont,  S.  S.  n'étant  pas  plus 
malade  qu'à  Tordinaire,  ne  tenant  pas  le  lit  et  cbeminaut  par  ses  chambres.  » 
(A  Lionne,  21  septembre  1666.  Rowe,  178.) 

(3)  Le  roi  à  Chaulnes,  24  septembre  1666.  Rome,  178. 

(4)  A  Lionne,  5  novembre  1666.  Rome,  179. 
(5j  Au  roi,  8  mars  1667.  Rome^  181. 


188  CHAPITRE    PREMIER 

souvent  Ton  sème  en  terre  ingrate  par  la  facilité  qu'ils  ont  de 
tromper  sans  pouvoir  être  découverts.  »  En  attendant  Targenl 
qu  il  demandait  et  qui  ne  lui  fut  pas  envoyé,  il  usa  des  plus 
puérils  artifices  pour  se  ménager  Talliance  des  diverses  fac- 
tions, et  se  vantait  au  roi  des  promesses  contradictoires  qui 
prodiguait  au  cardinal  Chigi  et  à  ses  collègues  :  «  Comm( 
nous  entrons,  disait-il,  dans  le  temps  de  ne  pas  dire  tout  o 
que  Ton  pense,  et  de  ne  pas  découvrir  ou  ceux  que  Ton  veut 
ou  ceux  que  Ton  ne  veut  pas,  je  crus,  Sire,  devoir  parler  e 
ces  termes.  »  Mais  il  ne  réussit  qu^à  se  convaincre  de  1 
prépondérance  assurée  aux  cardinaux  créés  par  Alexandre  VI 
et  aux  Indépendants.  Il  écrivitau  roi  :  «  Pour  ne  pas  finir  ceti 
dépôche  sans  mander  à  Votre  Majesté  ce  que  je  crois  en  gén< 
rai  du  conclave,  je  suis  persuadé,  Sire,  que  Ton  ne  poun 
sortir  des  créatures  de  Chigi,  parce  que,  Tunion  s'afîerraissai 
quand  il  s'agira  de  leur  intérêt  (qui  sera  d'exclure   les  suje 
papables  des  autres  factions),  il  ost  certain  qu'il  faut  quelqi 
chose  d'extraordinaire  pour  l'élection  d'un  pape  d*une  aut 
faction,  si  peut-être,  dans  la  longueur  d'un  conclave,  le  chî 
grin  de  plusieurs  sujets  ensemble  et  la  jalousie  de  se  voir  pr 
férer  un  autre  sujet  dans  la  même  faction,  ne  les  en  fait  prend: 
un  d'une  autre  faction  ;  et  par  ce  qui  me  parait,  Sire,  il   e 
difficile  de  juger  des  bizarreries  qui  arrivent  souvent  dans  1^ 
conclaves.  »  Il  correspondait  avec  les  Indépendants  par  l'ei 
tremise  d'Azzolino,  mais  il  avouait  qu'il  n'avait  pas  pénét 
leur  secret  :  son  ignorance  élaitbien  plus  grande  qu'il  n'osî 
en  convenir  ;  mais  le  sentiment  et  la  honte  de  son  impuissan 
éclataient  malgré  lui^  et  il  suppliait  le  roi  de  lui  pardonner 
confusion,  les  expressions  embarrassées  de  ses  dépêches  {\ 
Son  dépit  et  sa  crainte  d'un  échec  se  révélaient  encore  mieu 
dans  ses  lettres  particulières  à  Lionne,  par  de  stupides  inve 
tives  contre  les  Romains  :  «  Par  ce  qui  m'a  paru  déjà,  disait- 
je  suis  persuadé  que  Rome  deviendra  une  grande  forêt  de  bi 
gands  où  les  paroles  et  la  bonne  foi  seront  peu  établies,  et  • 
la  fourbe  et  la  tromperie  régneront  fort  en  l'absence  du  pape  (2) 


(1)  15  mars  1667.  Rome,  182. 

(2)  22  mars  1667.J  «orne,»  182. 


LE   CONCLAVE   DE   CLÉMENT   IX  189 

Je  n*ai  pas  Irouvé  d'aulres  fourberies  que  celles  dé  Tam- 
bassadcur  français  et  do  son  entourage.  Non  content  de 
solliciter  des  subsides  pour  acheter  des  voix  dans  le  sacré 
collège,  il  réclamait  de  la  cour  les  libéralités  accoutumée- 
pour  les  habitués  du  palais  Famëse.  «  La  meute  des  pensions 
naires,  disait-il,  aboie  tous  les  jours  après  moi  pour  faire 
curée  :  vous  savez  qu'on  leur  doit  plus  d'une  année  au  moins 
à  chacun  ;  voici  le  temps  qu'il  les  faut  employer  (1).  »  — 
»  Les  pensionnaires  aboient  tous  les  jours  à  ma  porte  pour  ce 
qui  leur  est  dû,  aux  uns  de  1665,  et  aux  autres  de  1666^  et  le 
bruit  qu'ils  feraient  produirait  assurément  de  méchants  effets 
dans  un  temps  où  l'intérêt  fait  prendre  des  partis  ;  ainsi,  je 
suis  obligé  de  vous  en  écrire  encore,  parce  qu'il  y  va  du  ser- 
vice du  roi  (2).  )>  Lionne  appuyait  vainement  ces  instances, 
auxquelles  résistaient  la  parcimonie  de  Colbert,  et  on  voudrait 
le  croire,  quelques  scrupules  de  Louis  XIV.  Le  roi  répondait  : 
Je  ne  vous  envoie  pas  d'argent,  «  mais,  si  vous  voyez  la  né- 
cessité de  dépenser  quelque  chose  pour  faire  un  coup  bien 
décisif,  ou  une  grande  utilité  pour  m'assurer  entièrement 
contre  l'élection  de  Barberin,  j'approuverai  tout  ce  que  vous 
résoudrez  (3).  »  —  «  J'ai  parlé,  écrivait  Lionne,  de  l'aboie- 
ment des  pensionnaires,  mais  on  est  demeuré  froid  comme 
marbre  :  mandez-moi  ce  que  vous  aura  répondu  M.  Colbert... 
—  On  a  toujours  fait  la  sourde  oreille,  quand  j'ai  parlé  de 
quelque  remise  de  delà  pour  les  pensions,  et  ce  que  vous  au- 
rez trouvé  depuis  peu,  dans  une  lettre  du  roi,  sur  cette  matière 
d'argent  dans  l'occasion  du  conclave,  aété  imaginé  pour  votre 
service  par  votre  serviteur,  et  néanmoins  fort  approuvé  par 
le  maître  lorsque  je  lui  en  fis  la  lecture  (4).  »  Le  duc  de 
Chaulnes  eut  beau  faire  écrire  par  Machaut,  et  même  par  la 
duchesse,  que  le  nouvel  ambassadeur  d'Espagne  avait  soixante 
mille  écus  chez  les  banquiers  pour  le  même  usage  (5),  et  qu'il 

(l)Chaalnei  à  Lionne,  8  mars  1(>67.  Rome,  181. 

(2)  26  aTiil  1667.  Rome,  183. 

(3)  25  mard  1667.  Rome,  182. 

(4)  25  mars  et  8  avril  1667.  Rome,  182. 

(5)  Machaut  à  Lionne,  23  avril  1667.  Rome,  188.  —La  duchesse  de  Chaulnes 
au  môme,  3  juin  1667.  Rotne,  184.  —  On  verra  plus  loin  que  c'était  une  Ikbie 
et  un  prétexte  de  solliciter  des  gratifications  pour  i*ambassadeur  lui-même. 


190  CHAPITRE  PREMIER 

fallait  rétablir  entre  les  deux  ministres  Tégalilé  des  armes, 
Lionne  lui  déclara  que  la  guerre  avec  TEspagne  était  décidée, 
que  M"*  de  la  Vallière  venait  d*èlre  nommée  duchesse,  et 
qu'on  avait  déjà  trop  de  charges  à  Paris  pour  envoyer  encore 
de  Targent  à  Rome  (1).  Au  surplus,  mis  par  le  roi  en  de- 
meure d'indiquer  un  coup  départie  qui  justifierait  une  pa- 
reille dépense,  il  répondit  que  «  ces  occasions  étaient  assez 
difficiles  à  trouver  »  parmi  les  cardinaux,  et  que  tout  ai 
plus  espérait-il  faire  accepter  des  présents  à  des  conclavisles 
pour  agir  sur  l'esprit  de  leurs  patrons  (2).  En  définitive,  les 
intrigues  de  Tambassadeur  avaient  été  si  peu  efficaces  que 
son  plus  intime  confident,  Tabbé  de  Machaut,  désigné  par  lu 
pour  être  l'un  des  conclavistes  du  cardinal  de  Vendôme,  écri- 
vit à  Lionne  quelques  jours  seulement  avant  la  mort  du  pape 
«  Plus  je  vais  en  avant,  plus  je  m'aperçois  que  les  papes  ne  st 
peuvent  faire  que  dans  le  conclave  (3).  » 

Les  cardinaux  s'enfermèrent  au  Vatican  le  2  juin  et  le  2( 
du  même  mois,  dans  Tapres-midi,  Rome  apprenait  qu'Alexan 
dre  VII  avait  pour  successeur  son  ancien  secrétaire  d'Etat 
le  cardinal  Giulio  Rospigliosi.  dont  le  nom  avait,  dès  le  pre 
mier  jour,  paru  obtenir  la  préférence  du  sacré  collège.  Lava 
cance  du  saint-siège  s'était  ouverte,  le  22  mai,  dans  des  cir- 
constances critiques  pour  l^Europo.  Quatre  jours  après,  h 
26  mai,  Louis  XIV  se  mettait  à  la  tête  de  son  armée  pour  enva 
hir  la  Flandre.  Il  importait  donc  de  donner  sans  relard  à  TE 
glise  un  nouveau  chef,  dont  la  personne  eut  les  sympathie 
de  la  France  et  de  l'Espagne,  pour  que  sa  médiation  fût  plu 


Le  duc  employa  d'abord  Machaut,  puis  rambassadrioe,  pour  mendier  à  so: 
proût,  et  en  appareuce  à  son  iusu  :  Nos  dépeuses  sout  énormes,  disait  cd 
core  M^^  dp  Chaulnes  le  3  juin  ;  nos  gardes  seuls  coûtent  10  pistoles  pa 
jour.  Nous  avons  mangé  28,000  pistoles  pour  l'équipage.  Mou  mari  ne  vou 
parle  pas  de  ses  affaires  domestiques  <i  parce  qu'il  ne  les  veut  point  savoir. 
Nous  espérons  que,  le  pape  fait,  on  nous  renverra  dans  nos  terres  pour  paye 
nos  dettes.  —  Nous  entendons  là  les  ahoiemenls  do  Cbaulncs  lui-même. 

(1)15  mai  160".  liomc^  183.  —  L*ambassadeur  répondit  aigrement  qu'il  n'é 
tait  pas  dupe  des  prétextes  qu'on  lui  donnait,  «  puisque  le  roi  avait  bien  eu 
voyé  vingt  mille  francs  pour  mouler  des  ligures  »  de  la  colonne  Trajane,  etc 
(A  Lionne,  4  juin.  Rome,  184.) 

(2)  Chaulnes  au  roi,  2(>  avril  1667.  Rome,  183. 

(3)  10  mai  1667.  Rome,  183. 


LE    COiNCLAVE    DE   CLÉMENT    IX  191 

utile  et  la  paix  plus  promptement  rétablie.  On  sait  déjà  quelles 
étaient  les  dispositions  de  Louis  XIV  pour  Rospigliosi.  D'un 
autre  côté,  ce  cardinal,  ancien  nonce  à  Madrid,  s'était  attiré, 
pendant  son  séjour  en  Espagne,  une  estime  et  une  bienveil- 
lance que  son  ministère  ne  lui  avait  pas  aliénées.  En  môme 
temps,  les  Indépendants  savaient  que,  sous  ses  manières  con- 
ciliantes, il  cachait  la  ferme  résolution  de  continuer  la  politi- 
que d'Alexandre  VII,  dont  l'exaltation  avait  été  leur  œuvre. 
Tous  les  princes  catholiques  devaient  s'applaudir  également 
de  ce  choix  ;  mais  cela  ne  suffisait  pas  à  la  vanité  de  l'ambas- 
sadeur français  ;  il  voulut  prouver  au  roi  qu'il  n'était  pas  né- 
cessaire d'être  à  l'armée  de  Flandre  pour  battre  les  Espagnols, 
et  qu'il  venait  de  remporter  à  Rome  une  victoire  éclatante 
sur  le  marquis  d'Astorga.  Le  conclave  avait  été  aussi  une  opé- 
ration militaire,  dans  laquelle  Ghaulnes  avait  conduit  les 
troupes  de  Sa  Majesté  :  il  énumérait  ses  mines,  ses  contre-bat- 
teries pour  ruiner  les  entreprises  de  Tennemi  (1).  «  Je  ré- 
glai les  rangs  et  les  emplois,  dit-il.  Je  donnai  le  soin  de  l'es- 
cadron à  M.  le  cardinal  de  Retz,  celui  des  Espagnols  à  MM.  les 
cardinaux  Antoine  et  d'Esté  ;  celui  des  vieux  à  Grimaldi  et 
Ursin  ;  à  M.  le  cardinal  de  Vendôme  de  voir  ce  qui  se  passe- 
rait parmi  les  Chigi,  m'étant  réservé  de  prendre  soin  du  traité 
que  j'avais  fait  avec  ledit  cardinal  pour  ne  point  sortir  de  sa 
faction,  ce  qui  excluait  indirectement  le  cardinal  Barberin  et 
rompait  les  pratiques  de  quelques  autres  que  voulaient  les 
Espagnols,  lesquels  n'auraient  pas  été  agréables  à  Votre  Ma- 
jesté. M.  le  cardinal  Maidalchini  prit  son  parti  ordinaire  de 
battre  la  campagne  et  d'aller ,  selon  sa  coutume,  dans  tous  les 
Cûmps,  le  sieur  Maffei  étant  avec  lui  pour  empêcher  qu'il  ne 
s'engageât  dans  aucun,  et  je  donnai  la  charge  au  sieur  abbé 
de  Machaut  de  maintenir  toutes  choses  en  cet  état...  »  Au 
cours  de  la  bataille,  le  duc  de  Ghaulnes  ordonne  «  une  fausse 
attaque  »>,  exécutée  par  le  cardinal  de  Vendôme,  tandis  que 
la  véritable  est  menée  par  le  cardinal  de  Retz  ...  Enfin  le  capi- 
^an  français  s'empare  de  la  tiare  et  la  pose  lui-même  sur  la  tête 


(1)  V.  Notamment  les  dépêches  aa  roi,  4  et  7  juin  et  6  juillet  1667.  {Rome, 

184.) 


192  CHAPITRE    PREMIER 

de  Rospigliosi.  «  Les  déclarations,  écrit-il,  que  j'ai  faites^dans 
les  conjonctures,  des  bonnes  intentions  de  Votre  Majesté  pour 
le  dit  cardinal,  ont  seules  causé  les  résolutions  de  son  exalta- 
tion... Le  roi  ne  fait  pas  plus  absolument,  à  Paris,  le  prévôt 
des  marchands  qu'il  a  fait  le  pape.  »  Pour  devancer  les  autres 
ministres  des  princes  aux  pieds  du  nouveau  pontife,  il  fait 
enfoncer  une  porte  murée  (1)  !  Nous  n'insisterions  pas  sur  ces 
hâbleries,  si  elles  n'avaient  été  récemment  prises  au  sérieui 
par  des  écrivains  trop  crédules  (2),  qui  ont  associé  le  cardinal 
de  Retz,  leur  étrange  héros,  au  prétendu  triomphe  de  Tam- 
bassadeur  français.  Or,  la  vérité  est  que  ce  cardinal  et  le  duc 
de  Chaulnes  se  sont  simplement  rangés  à  la  suite  de  TEscadroD 
et  du  cardinal  (ihigi.  Nous  avons  déjà  cité  les  dépèches  où. 
avant  la  mort  d'Alexandre  VII,  les  agents  du  roi  à  Rome  lui 
annonçaient  que  les  arbitres  du  conclave  seraient  les  Indé- 
pendants et  les  cardinaux  nommés  par  le  pape  régnant  :  or 
M.  de  Chaulnes  lui-même  déclarait,  dès  le  15  mars,  «  qu'oi 
ne  pourrait  sortir  des  créatures  de  Chigi  »,  et  signalait parm 
elles,  comme  souhaité  par  le  plus  grand  nombre,  le  cardina 
Rospigliosi  (3).  Le  23  avril,  Machaut  rédigeait,  sous  les  yeu: 
de  Tambassadeur,  une  longue  diatribe  contre  l'Escadron  qu 
commettait  le  crime  d'entrer  présentement  dans  les  intérêt 
de  la  faction  Chigi  et  de  s'unir  étroitement  à  la  famille  di 
pape  (4),  lorsqu'il  devrait  lui  reprocher  d'avoir  causé  tous  le 
malheurs  de  ce  pontificat  !  Le  22  mai,  en  annonçant  la  mor 
d'Alexandre  VII,  le  même  abbé  écrivait  en  toute  hâte  qu 
Rospigliosi  était  «  dans  un  grand  prédicament,  »  et  le  lende 
main  l'ambassadeur  le  nommait,  avec  les  cardinaux  Famèse  e 
Buonvisi,  au  premier  rang  des  papables  (5).  On  a  vu  plu 
haut  comment  la  prépondérance  de  la  faction  Chigi  se  mani 
festa,  pendant  les  obsèques,  par  le  zèle  du  sacré  collège  à  dé 
fendre  les  actes  du  feu  pape  dans  les  occasions  qui  s'en  pré 

(1)  Au  roi  et  à  Lionne,  21  juin  1667.  Rome^  184. 

(2)  Chantelauze,  livre  déjà  cité.  —  M.  i'abbé  fiozon,  Le  cardinal  de  ReL 
à  ïiome^  ou  sa  vie  politique  depuis  sa  réconciliation  avec  Louis  XIV,  d*aprè8  les 
documents  inédits.  Pion,  1878. 

(3)  Home,  182. 

(4)  A  Lionne,  Rome,  183. 

(5)  Mactiaut  à  Lionne,  22  mai  1667.  —  Ctiaulnes  au  roi,  23  mai.  Rome,  183. 


LE  CONCLAVE    DE   CLÉMENT    IX  l93 

sentèrent.  Il  était  donc  naturel  que  ses  suffrages  se  réunissent 
sur  le  cardinal  qui  connaissait  le  mieux  les  pensées  d'Alexan- 
dre VU  et  les  secrets  des  cours  européennes  ;  dont  le  neveu 
était  internonce  à  Bruxelles  sur  le  théâtre  même  de  la  guerre, 
et  qui  était  notoirement  le  plus  capable  de  faire  prévaloir  les 
vues  du  saint-siège  dans  Tétat  troublé  où  la  chrétienté  allait 
retomber.  Cependant  le  duc  de  Chaulnes  racontait  à  sa  cour 
que  l'ancien  secrétaire  d'Etat  avait  été  maltraité  par  le  feu 
pape,  et  qu'il  avait  fallu  déployer  au  nom  du  roi  des  prodiges 
d'habileté  pour  imposer  au  cardinal  Ghigi  un  candidat  dont 
ce  prélat  pouvait  craindre  le  ressentiment.  A  l'entendre,   il 
avait,  de  concert  avec  le  cardinal  de  Retz,  proposé  le  choix 
imprévu  de  Rospigliosi  trois  jours  seulement  avant  la  fin  du 
conclave,  et,  «  en  deux  fois  vingt-quatre  heures  »,  le  sacré 
collège  aurait  obéi,  avec  une  docilité  unanime,  aux  exigences 
de  l'ambassadeur  et  du  cardinal  français  !  Ce  sont  des  fables 
imaginées  pour  justifier  des  mensonges.  D'une  part,  il   n'y 
avait  pas  de  mésintelligence  entre  Rospigliosi  et  la  maison 
Chigi.  L'incident  de  1661  n'avait  laissé  aucune  trace.  Tout  ce 
qu'un  auteur  moderne  (1)  raconte  de  l'opposition  faite  par  le 
cardinal  Rospigliosi  au  pape  dans  raifaire  des  Corses  ;  dé  la  dis- 
grâce qui  l'avait  alors  frappé  ;  de  ses  conférences  clandestines 
avec  M.  de  Chaulnes  sous  le  dernier  pontificat,  est  controuvé. 
Qui  empochait  Alexandre  VII  de  congédier  un  ministre  sus- 
pect? Jamais  leur  accord  ne  fut  plus  complet  que  sur  le  traité 
de  Pise.  Le  neveu  du  secrétaire  d'Etat,  l'abbé  Jacopo  Rospi- 
gliosi, avait  été  l'un  des  mandataires  du  pape  à  San  Quirico, 
6t,  après  avoir  accompagné  le  cardinal  Chigi  dans  sa  légation 
en  France,  il  avait  été  nommé  à  l'internonciature  de  Bruxelles, 
inarchaut  avec  rapidité  dans  une  carrière  qui  le  conduisait  à 
la  pourpre,  quand  même  son  oncle  ne  serait  pas  arrivé  au 
pontificat.  Aucun   membre  du  sacré  collège  n'avait  montré 
plus  d'indignation  que  le  cardinal  Giulio  Rospigliosi  contre 
larticle  de  Castro  :  il  est  si  peu  vrai  qu'il  eût  fait  espérer 
l'abandon  de  ce  duché  (2)  que  nous  allons  le  voir  inaugurer  son 

(1)  Chantelauze,  p.  431. 

(2)  Chantelauze,  p.  452,   où   il   reuvoie  simplement  à  la  Correspondance  de 
Romef  pasiim. 

LOUIS  XIV  BT  LB  SALM-dlÈUB.  —  II.  13 


194  CHAPITRE    PREMIKR 

règne  en  déclarant  à  l'ambassadeur  de  France  qu'il  ne  cédera 
jamais  sur  ce  point,  et  qu'il  ne  le  peut  faire  c(  ni  en  conscience, 
ni  en  honneur,  »  —  sans  qu  on  trouve  dans  les  dépèches  de 
Louis  XIV  ou  de  son  ministre  la  moindre  allusion  à  une  pré- 
tendue promesse  de  l'ancien  secrétaire  d'Étal.  Si  les  espions 
deFarnèse,  cherchant  à  diviser  la  cour  pontificale,  répandent 
le  bruit  de  dégoûts  donnés  par  Alexandre  VII  à  Rospigliosi, 
le  duc  de  Chaulnes  montre  une  crédulité  sans  égale  en  prenant 
comme  signes  de  défaveur  les  marques  les  plus  fortes  d'un 
redoublement  de  confiance.  Il  écrit  naïvement  à  Louis  XIV  : 
«  Le  pape  lui  envoie  plus  d'aiïaires  qu'il  n'avait  accoutumé, 
pour  lui  faire  connaître  qu'il  n'est  plus  en  état  de  s'acquitter 
de  sa  charge  et  l'obliger  à  s'en  défaire  ;  mais  ledit  cardinal  a 
pris  son  parti  de  ne  point  demander  son  congé  et  d'attendre 
que  l'on  [le]  lui  donne  (I).  »  Le  duc  de  Chaulnes  raconte 
précisément,  dans  la  même  dépêche,  que  la  maladie  du  pape 
s'aggrava,  tandis  que  la  santé  de  Rospigliosi,  longtemps 
ébranlée,  se  raffermit,  et  les  lettres  suivantes  annoncent  le 
rétablissement  complet  du  ministre  (2).  Or,  le  cardinal  Chigi, 
quoique  padrone,  recherchait  peu  les  affaires,  dont  le  fardeau 
tout  entier  se  partageait  entre  le  pape  et  le  secrétaire  d'Élat. 
Les  forces  abandonnant  Alexandre  en  même  temps  qu'elles 
revenaient  à  son  principal  conseiller,  le  pape  se  déchargeait 
nécessairementsur son  ministre  d'une  partie  du  gouvernement. 
L'union  intime  des  Chigi  et  des  Ilospigliusî  était  un  fait  si 
certain,  et  elle  semaintintsibien  après  la  mort  d'Alexandre  VII, 
que  les  agents  français,  au  lieu  d'avouer  Tinexactitudc  de 
leurs  informations,  aimèrent  mieux  inventer  un  autre  conte 
et  dire  que  le  feu  pape,  pour  les  tromper,  avait  simulé  une 
mésintelligence  entre  lui  et  le  secrétaire  d'Etat  (3).  Il  n'est 


(1)  25  janvier  1667.  «owtî,  181. 

(2)  Bourloniont  à  Lioiiuo,  o  avril  1667.  /îome,  182. 

(:t)  «  Ce  gruiid  cardinal  Cliij^i  est  le  plus  heureux  des  mortels  :  pendant  sa 
maladie,  il  a  toujours  eu  daus  son  autichamhre  viogt-ciuq  ou  trente  cardi- 
naux, le  frère  du  pape,  ses  neveux,  des  lettres  régulièrement  toutes  les  se- 
maines et  par  tous  les  extraordinaires  de  Monseigneur  [Jacopo]  Rospigliosi  : 
enlin  il  a  paru  qu'il  était  encore  neveu  de  pape,  et  certainement  il  est  plus 
heureux  que  sous  le  pontificat  d'Alexandre  VII.  >'  Comment  le  pape  actuel,  qui 
ne  paraissait  pas  bien  traité  par  le  précédent,  est-il  le  protecteur  et  le  bien- 


LE    GOiNCLAVE    DE   CLÉMENT   IX  195 

donc  pas  véritable  que  le  choix  de  Rospigliosi  fût  redouté  de 
son  chef  de  faction.  Peut-ôtre  Chigi  eùt-il  préféré  un  autre 
cardinal  ;  mais  la  preuve  qu'on  en  donne  n'est  pas  sérieuse.  On 
dit  qu'il  appuyait  d'Elci  dans  les  premiers  scrutins  ;  mais  il  est 
notoire  que  les  noms  qui  réunissent  d'abord  le  plus  de  votes 
ne  sont  pas  ceux  qui  doivent  obtenir  la  majorité  canonique  : 
il  faut  quelque  temps  aux  partis  pour  se  compter,  se  mesurer, 
s'observer,  se  concerter  :  on  attend  les  cardinaux  absents,  et 
l'on  tient  à  s'informer  des  dispositions  qu'auraient  les  couron- 
nes pour  tel  ou  tel  candidat.  Les  premiers  jours  du  conclave 
de  Clément  IX  furent  troublés  par  la  mort  du  cardinal  Ban- 
dinelli,  allié  aux  Chigi,  et  du  cardinal  Pallavicino.  Ce  dernier 
était  le  plus  ancien  et  le  plus  intime  confident  d'Alexandre  VII 
et  de  sa  famille,  et  bien  intentionné  pour  la  France  :  aussi 
servait-il  d'intermédiaire  entre  Chigi  et  Chaulnes,  et  il  ne  se 
serait  pas  prêté  à  ces  démarches  conciliantes,  si  elles  avaient 
eu  pour  but  l'élection  d'un  pape  opposé  à  la  politique  ou  à  la 
personne  d'Alexandre  VII.  L'ambassadeur  français  le  savait 
bien,  car  il  crut  qu'au  défaut  de  ce  cardinal  le  désordre  allait 
se  mettre  dans  la  faction  Chigi  ;  mais  il  fut  bientôt  obligé  d'é- 
crire que  «  la  conduite  ou  le  bonheur  de  Chigi  était  surpre- 
nant ;  que  sa  faction  était  dans  une  tranquillité  incroyable,  et 
que  pas  un  cardinal  ne  se  démentait  (1).  »  Dos  que  les  scrutins 
sérieux  commencèrent,  le  nom  de  Rospigliosi  fut  mis  en  avant, 
et  gagna  chaque  jour  des  suffrages  jusqu'à  ce  qu'il  réunit 
enfin  l'unanimité.  Chaulnes  prétend  qu'il  en  aurait  été  parlé 
«  deux  fois  vingt-quatre  heures  »  seulement  avant  Télection, 
c'est-à-dire  le  18  juin;  or,  dès  le  7  juin,  le  mieux  informé  et 
le  plus  intelligent  des  Français  de  Rome,  l'abbé  de  Bourlemont, 
écrivait  à  Lionuc  :  Le  conclave  a  commencé  aujourd'hui  la 
pratique  du  cardinal  Rospigliosi  (2). 

faiteur  de  ceUe  famille?  Quelques-uos  peuseut  quUl  y  avait  entre  eux  un  ac- 
cord secret.  (Machaut  à  Lionne,  29  novembre  1661.  Rome^  187.)  «  Le  cardinal 
Chi^i  est  dans  uoe  grande  intelligence  avec  le  cardinal  neveu;  cela  fait  dire 
à  tout  le  monde  que  ie  cardinal  Rospiyliofti  tHail  d'accord  avec  /«/,  et  re/a  doit 
bien  faire  ouvrir  les  ycu.i',  en  cas  qu'il  arriverait  ici  quelque  changement,  » 
(Le  même  au  même,  10  janvier  1668.  HoniCy  18U.] 

(1)  Au  roi,  7  juin  1667.  Home,  184. 

(2)  Rome,  184. 


196  CHAPITRE    PREMIER 

Les  autres  obstacles  dont  Tambassadeur  se   vanta  d'avoir 
triomphé  ne  sont  pas  moins  imagioaires  :  «  Les  quatre  fac- 
tions où  il  y  a  des  chefs,  dit-il  (1),  ont  fait  un  pape,  tous  les 
chefs  lui  étant  contraires,  Barberin  [faction  d'Urbain  VIIl] 
comme  prétendant;  Sforze  [faction  espagnole],   qui   n'aime 
pas  Rospigliosi  et  qui  voulait  d'Elci;  d'Esté  [faction  fran- 
çaise]^ pour  deux  ou  trois  cents  chimères  parmi  lesquelles 
il  ne  laissait  pas  d'avoir  quelque  solide  dans  son  commerce 
avec  Barberin;  et  Chigi,  qui  le   voulait  si  peu  qu'il  n'avait 
gardé  aucune  mesure  de  civilité  avec  lui.  Mais  ce  sont  heu- 
reusement aussi  toutes  ces  choses  qui  ont  contribué  à  la 
gloire  du  roi,  parce  que,  toutes  les  contrariétés  ne  pouvant 
être  vraisemblablement  surmontées  Tune  après  l'autre,  l'on 
prit  le  parti  de  ne  combattre  que  Chigi,  qui  céda  à  la  décla- 
ration que  je  lui  lis,  de  la  part  du  roi,  en  faveur  de  Rospigliosi. 
Le  secret  était  demeuré  entre  le  cardinal  Chigi,  Retz,  Azzolino 
et  moi,  et,  lorsque  nous  fumes  d'accord  ensemble,  j'envoyai 
l'abbé  de  Machaut  au  cardinal  d'Esté  pour  lui  donner  part  de 
Tétat  des  choses  et  de  la  volonté  du  roi  :  le  cardinal  Borromeo 
fut  vers  Sforze  lui  inspirer  les  sentiments  qu'il  devait  avoir. 
Impériale  fut  vers  Barberin,  qu'il  pressa  si  vigoureusement 
qu'il  ne  s'en  put  défendre,  et  ainsi,  la  seule  satisfaction  de 
Sa  Majesté  a  eu  part  à  cette  exaltation,  ou,  pour  mieux  dire, 
sa  seule  déclaration  a  déterminé  le  cardinal  Chigi,  sans  la- 
quelle rien  n'eut  été  fait.  »  Le  duc  de  Chaulnes  voulait  flatter 
le  roi  de  la  pensée  que  le  cardinal  Chigi  et  l'Escadron  avaient 
besoin  de  la  faction  française  pour  réunir  les  deux  tiers  des 
suiïrages  ;  mais  il  avoue  lui-même  que  le  cardinal  d'Esté,  chef 
de  cette  faction,  votait  pour  François  Barberini,  et  il  est  si  peu 
sûr  des  autres  cardinaux  qu'il  leur  cache  le  secret  du  roi  jus- 
qu'à la  veille  du  dernier  scrutin  !  Est-ce  que  les  Indépendants 
et  Chigi  ne  pouvaient  pas,  en  se  concertant  avec  le  parti  espa- 
gnol plus  nombreux  et  moins  divisé,  emporter  l'élection  sans 
eux  et  môme  contre  eux?  Mais  ils  étaient  trop  sages  pour  vou- 
loir engager  une  lutte  dans  laquelle  il  y  aurait  eu  des  vaincus 
et  des  vainqueurs,  et  ils  n'avaient  en  vue  que  de  procurer  une 

(1)  A  Lionne^  GjuUlet  1C67.  Rome,  184. 


LE   CONCLAVE  DE   CLÉBfENT   IX  197 

élection  également  agréable  aux  deux  puissantes  couronnes 
]ui  venaient  de  rentrer  en  guerre.  Au  surplus,  ils  n'avaient 
3as  à  s'en  cacher,  et  le  duc  de  Chaulnes,  prévoyant  ce  résultat, 
cherchait  à  s'en  attribuer  l'honneur .  11  avait  écrit  au  roi,  lo 
10  mai  :  «  J'ai  formé  un  dessein  pour  ce  conclave  de  faire  avoir 
i  Votre  Majesté  la  gloire  de  Texaltation  du  pape  par  des  voies 
m  peu  extraordinaires,  qui  est  par  l'union  de  la  faction  d'Es- 
)agne  à  celle  de  Votre  Majesté  (1).  »  Et  les  deux  écrivains  qui 
)rennent  au  mot  ses  vanteries  ne  peuvent  se  dispenser  de  con- 
jure dans  les  mêmes  termes  :  «  Quant  aux  Espagnols,  disent- 
Is  (2),  ce  fut  une  des  rares  occasions  où  ils  se  trouvèrent 
l'accord  avec  la  France  pour  l'élection  d'un  pape.  »  Mais  ils 
ie  sont  bien  gardés  de  révéler  h  leurs  lecteurs  les  documents 
>i  curieux  qui  démentent  leurs  récits  et  qui  réduisent  à  sa  juste 
mesure  le  rôle  de  la  faction  française  dans  le  conclave  de  Clé- 
fnent  IX  :  ce  sont  les  dépêches  de  l'ambassade  espagnole  sur 
l'élection  pontificale,  interceptées  par  les  Français,  et  que  le 
roi  fit  aussitôt  déchiffrer  et  copier  (3). 

On  les  dirait  rédigées  au  palais  Farnèso,  sauf  la  substitution 
d'une  nationalité  à  Taulre.  Retz  et  Chaulnes  avaient  écrit  : 
<' ...  MM.  les  cardinaux  Chigi  et  Azzolino  y  ont  aussi  agi  d'une 
manière  qui  marque  qu'ils  ont  eu  une  très  forte  passion  de 
plaire  en  ce  rencontre  à  Sa  Majesté...  — Le  cardinal  Chigi  en  a 
usé  en  ce  rencontre  comme  aurait  pu  faire  un  cardinal  de  la  fac- 
tion de  Votre  Majesté.  —  M.  le  cardinal  Azzolino  a  fait  tout  ce 
qu'un  cardinal  national  pouvait  pour  le  service  du  roi  :  il  vit 
avec  moi  comme  s'il  était  français  (4).  »  —  «  Je  me  réjouis  assez, 
disait  à  son  tour  Machaut,  quand  j'entends  dire  que  l'ambas- 
sadeur d'Espagne  est  extrêmement  satisfait  de  cette  exaltation  ; 
car  il  est  naturel  d'avoir  de  la  joie  de  ce  que  les  uns  et  les 
autres  trouvent  leur  avantage  dans  une  mrme  affaire  à  laquelle 
ils  croient  avoir  également  contribué.  Plus  je  fais  de  réflexions 
aux  choses  qui  se  sont  passées  et  plus  je  suis  obligé  de  vous 


(1)  Rome,  183. 

(2)  Cbantelanze,  page  470. 

(3)  Rome,  184. 

(4)  Retz  à  Lionne,  20  juin.  —  Chaulnes  au  rui  et  à  Lionne,  21  et  22  juin  1667. 
Home,  184. 


198  CHAPITRE    PREMIER 

représenter  le  bonheur  que  vous  avez  eu  d'avoir  ici  M.  l'an 
bassadeur  et  M.  le  cardinal  de  Retz  et  sur  le  tout  M.  le  card 
nal  Azzolino.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  ces  trois  personne 
seules  ont  mis  le  cardinal  Rospigliosi  dans  la  chaire  de  sai 
Pierre...  Je  suis  aussi  obligé  de  vous  faire  connaître  qi 
beaucoup  de  sujets  qui  devaient  aveuglément  porter  nos  int 
rets,  sans  de  grandes  précautions  pour  ne  pas  dire  autremet 
auraient  sans  doute  troublé  une  des  plus  belles  négociatio 
qui  se  soient  faites  dans  ces  sortes  de  conjonctures,  si,  d'à 
leurs,  M.  l'ambassadeur  n*eùt  trouvé  des  expédients  un  p 
violents  pour  les  remettre  en  leurs  devoirs  (1)...  » 

Or,  le  marquis  d'Astorga,  dans  sa  relation  à  la  régente  d'I 
pagne,  s'applaudit  d'avoir  forcé  les  Français,  par  crainte 
François  Barberini,  de  s'allier  au  cardinal  Cliigi,  aux  Ind 
pendants  et  aux  Espagnols.  Il  se  loue  de  Chigi,  dont  il  exal 
à  la  fois  le  zèle  et  le  désintéressement.  J'estime,  dit-iJ,  qi 
Votre  Majesté  doit  le  récompenser,  mais  comme  il  n'est  p 
homme  à  accepter  une  pension  et  que  la  protection  d'Espagi 
a  un  titulaire,  j'avoue  à  Votre  Majesté  que  je  ne  sais  qiiei 
gratification  proposer  pour  lui  (2).  Le  cardinal  Azzolin 
ajoute-t-il,  a  fait  des  merveilles  eu  cette  occasion  el  Ton  pe 
compter  sur  lui  en  l'avenir.  Il  est  plein  d'entrain,  d'aclivi 
et  de  grâce  et  je  ne  puis  m'empécher  de  faire  connaître  à  Vol 
Majesté  ce  qu'il  me  dit  en  me  serrant  la  main,  au  moment  > 
s'enfermer  dans  le  conclave  :  «  Courage,  marquis,  il  s'aj 
dans  ce  conclave  de  revêtir  l'Esprit-Saint  de  la  golille  (3)! 
Dans  une  dépèche  du  même  jour,  l'ambassadeur  espagn 
rendait  ausvsi  hommage  à  l'intégrité  des  cardinaux,  et  d 
mandait  pardon  à  sa  souveraine  de  lui  avoir  précédemme 
conseillé  d'acheter  quelques  suffrages  (4).  Il  expliquait  qu 
peine  arrivé  de  Madrid  et  ne  connaissant  pas  Rome,  il  av^ 

(1)  A  Lionne,  22  juin  1G67.  Rome,  184. 

(2)  Le  marquis  d'Astorga  à  la  reine  d'Espagne,  13  juillol  1667.  Rome,  184. 

(3)  La  golille,  sorte  do  haui»se-col  en  carton  recouvert  de  linge«  était  u 
des  pièces  caractéristiques  du  costume  espagnol.  (Voy.  Mémoires  de  Sai, 
Simon,  édit.  Boislisle,  t.  VIII,  p.  183,  note  7.) 

(4)  Ce  qui  avait  sans  doute  donné  lieu  à  Chuulnes  d'écrire  au  roi  que  la  co 
d'Espagne  avait  mis  60,000  livres  chez  les  banquiers  de  Rome  à  la  dispositi 
d'Astorga,  pour  déterminer  Louis  XIV  à  lui  ouvrir  le  même  crédit. 


LE   CONCLAVE   DE   CLÉMENT   IX  199 

eu  le  tort  de  former  son  opinion  sur  le  sacré  collège  d'après 
deux  membres  de  la  faction  espagnole,  Sforza  et  Raggi, 
qui  l'avaient  aussitôt  circonvenu  et  dont  la  vénalité  avait  été 
sijustement  flétrie  dans  les  derniers  discours  d'Alexandre  VIL 
Astorga  se  confond  en  excuses  et  proteste  énergiquement  de 
n'avoir  employé  que  des  moyens  dignes  de  Dieu,  de  l'Eglise 
et  de  la  majesté  royale,  ainsi  que  le  démontre  d'ailleurs  le  ré- 
sultat du  conclave. 

Lionne,  annonçant  au  duc  de  Chaulnes  la  saisie  des  dépèches 
espagnoles,  résumait  ainsi  les  informations  qu'il  y  trouvait  : 
«  M.  Rossignol  (1)  est  venu  à  bout  de  déchiffrer  les  lettres  in- 
terceptées de  l'ambassadeur  d'Espagne;  mais  vous  direz,  s'il 
vous  plaît,  de  delà  qu'on  n'y  a  pu  mordre,  afin  qu'il  ne  change 
pas  son  chiffre  et  qu'il  s'en  tienne  plus  assuré...  «J'yai  vu«que 
le  cardinal  Âzzolino,  par  le  moyen  du  cardinal  Borromco,  a 
toujours  fait  jouer  auprès  des  Espagnols  tout  le  môme  jeu 
qu'il  jouait  avec  vous,  c'est-à-dire  d'obliger  le  cardinal  Chigi 
à  se  déclarer  pour  une  de  ses  créatures  qui  fût  agréable,  et  que 
ledit  cardinal  Chigi  a  aussi  fait  faire  les  mêmes  compliments  à 
l'ambassadeur  d'Espagne  qu'à  vous,  c'est-à-dire  qu'en  consi- 
dération du  Roi  catholique  il  élèverait  Rospigliosi,  quoiqu'il  en 
dût  appréhender  les  ressentiments...  Il  m'a  paru  aussi,  par  cette 
relation,  que  les  Espagnols  ne  désiraient  pas  l'exaltation  de 
Famèse,  ni  d'Albizzi,  quoi  qu'il  soit  leur  pensionnaire,  ni  de 
Brancaccio(2).  wM.  de  Saint-PrOt,  à  son  tour,  analysant  cette 
correspondance  d'Astorga,  s'exprime  ainsi  :  «  2  juin  (jour  de 
l'entrée  au  conclave).  L'ambassadeur  d'Espagne  fut  aussi,  ce 
même  soir  ,  dans  le  conclave  aussi  tard  que  le  duc  de  Chaul- 
nes, et,  dans  une  relation  du  conclave  qu'il  envoya  à  la  reine 
d'Espagne  et  qui  fut  interceptée  par  les  Français,  il  lui  mar- 


(1)  Commis  des  affaires  étrangères,  «  si  recommandable  par  sou  mérite  et 
par  ses  services,  et  par  le  secret  si  estimé  qu'il  avait  trouvé  pour  déchiffrer 
toutes  sortes  de  lettres  et  pour  eu  écrire  avec  de  certains  chiffres  dont  lui  seul 
pouvait  donner  la  clef,  sous  le  ministère  du  cardinal  de  Richelieu  dont  il  avait 
acquis  l*estimc  et  la  confiance  :  il  continua  les  mêmes  services  sous  le  règne 
présent  Jusqu'à  sa  mort  (1682).  n  Son  iils  lui  succéda  et  mourut  en  1705,  ré- 
puté aassi  «  le  plus  habile  déchiffreur  de  l'Europe  ».  {Journal  de  Dangeau, 
t.  X,  page  446  et  la  note.) 

(2)  Lionne  à  Chaulnes,  12  août  1661.  Rome,  185. 


200  CHAPITRE   PREMIER 

qua  qu'il  avait  pris  avec  les  chefs  de  chacune  des  factions  à 
peu  près  les  mftines  mesures  que  nous  venons  de  voir  que  le 
duc  de  Chaulnes  avait  aussi  prises  avec  eux,  car  il  avait  une 
correspondance  secrète  :  premièrement,  avec  le  cardinal  Bar- 
berini,  môme;  en  second  lieu,  avec  le  cardinal  Azzolino  parle 
moyen  du  cardinal  Borromeo,  qui  était  celui  qui  donnait  avis 
à  cet  ambassadeur  de  tout  ce  qui  se  passait  dans  le  conclave. 
Il  se  loue  fort  du  cardinal  Impériale  dans  cette  relation  et  indi- 
que  que,  le  soir  que  Ton  s'enferma  dans  le  conclave,  le  cardi- 
nal Azzolino  lui  dit  qu'il  eût  bon  courage,  et  que  le  Saint- 
Esprit  y  porterait  assurément  la  golille^  c'est-à-dire  serait 
espagnol.  En  troisième  lieu,  cet  ambassadeur  entretenait  cor- 
respondance avec  le  cardinal  Chigi  par  le  moyen  du  cardinal 
Corsini  et  avait  aussi  fait  un  traité  par  lequel  celui-ci  lui  avait 
promis  de  ne  point  concourir  qu'à  une  de  ses  créatures,  sans 
que  cet  ambassadeur  pût  l'obliger  de  se  déclarer  pour  une 
en  particulier,  et  ce  qu'il  y  eut  encore  de  pareil  dans  la  con- 
duite des  deux  ambassadeurs  fut  que,  de  même  que  le  duc  de 
Chaulnes  n'avait  point  confié  le  secret  du  conclave  au  cardinal 
d'Esté,  qui  était  le  chef  de  la  faction  française  et  duquel  il  se 
défiait  à  cause  de  son  alliance  et  de  son  amitié  avec  le  cardi- 
nal Barberin,  le  marquis  d'Astorga  »  avait  caché  son  secret 
au  cardinal  Sforza,  chef  de  la  faction  espagnole  (i). 

Aussi  Louis  XIV  aiïecta  bien,  en  public,  d'ajouter  foi  à  des 
relations  qui  flattaient  l'orgueil  national  ;  mais,  sachant  que  son 
ambassadeur  et  le  cardinal  de  Retz  s'étaient  bornés  à  suivre 
la  direction  donnée  par  les  Indépendants,  il  mesura  la  récom- 
pense aux  services  rendus.  Le  duc  de  Chaulnes  écrit  à 
Lionne  (2)  :  «  Entre  nous,  M.  le  cardinal  de  Retz  est  un  peu 
choqué  de  ce  que  vous  ne  lui  avez  fait  réponse  sur  la  lettre 
qu'il  vous  avait  écrite  par  Mancini  (3)  sur  le  sujet  de  l'Esca- 
dron (4).  Ecrivez-lui,  je  vous  prie.  »  —  «  M.  le  cardinal  de  Retz, 


{{)  Hoirie^  Papiers  el  Documents,  24. 

(2)  o  juillet  1667.  Homt>,  184. 

(3)  Coiirrier  tîu  roi. 

(4)  La  correspondaDco  de  cette  époque  nous  apprend  que  les  cardinaux  de 
l'Eifcadrun  n  aimaient  pas  à  être  désignés  sous  cette  dénomination.  Chaulnes 
invite  Lionne  à  lui  adresser  des  complimenta  pour  le  cardinal  AzzoUno  et 


LE  CONCLAVE  DE  CLÉBfENT   IX  201 

écrit  Machaui(l),  partit  samedi,  mortifié  de  n  avoir  aucune 
lettre  de  la  cour...  »  Le  roi  se  laissa  arracher  un  compliment 
54nal,  que  Retz  ne  trouva  qu'à  Commercy;  puis  il  le  gratifia 
l'un  mince  prieuré  en  Bretagne,  qui  aurait  à  peine  contenté  un 
onclaviste^  et  dont  le  cardinal,  »  pour  donner  indirectement 
ine  leçon  de  générosité  au  grand  roi  (2),  »  abandonna  le 
cvenu  au  neveu  d'un  de  ses  anciens  domestiques.  Le  duc  de 
ihaulnes  ne  fut  pas  mieux  traité  :  »  Il  ne  faut  pas  que  je  vous 
^le,  disait  Machaut  à  Lionne  (3)»  que  M.  l'ambassadeur  a  eu  de 
randes  mortifications  de  n'avoir  pas  eu  un  mot  de  remercie- 
lent  de  la  main  du  roi.  Dans  celle  qu'il  écrit  au  pape,  on  ne 
lit  aucune  mention  de  son  nom  et,  ce  qui  est  de  meilleur, 
est  que  Ton  parle  des  cardinaux  à  qui  Sa  Majesté  avait  confié 
)n  secret  sur  l'exaltation  du  pape  (4).  J'ai  tourné  cela  le  mieux 
lie  j'ai  pu,  mais  il  ne  s'en  contente  pas,  parce  qu'il  ne  peut 
is  avoir  la  satisfaction  de  faire  voir  cette  lettre.  M.  Rose  (5) 
Duvait  mettre  quelque  chose  à  la  louange  de  l'auteur.  »  Le 
ne  fut  également  blessé  de  n'être  pas  accrédité  auprès  du 
^uveau  pontife  comme  ambassadeur  d'obédience  (6). 

>ur  l'Escadron,  «  mais  pourUint,  s'il  vous  platt,  sous  uo  autre  uom,  le  terme 
Escadron  ne  leur  plaisant  pas.  »>  (5  juillet  1667.  ilome,  184.) 
fl)  12  juillet  1667.  Hoine,  184. 
(2}  Cbaiitclauze,  p.  478. 
(:{)  Machaut  à  Lionne.  Rome^  185. 
(4)  Ce  qui  était  un  mensonge. 

(o)  M.  Rose,  secrétaire  du  cabinet,  qui  avait  la  plume ^  c*est-à-dire  rédigeait 
plupart  des  lettres  de  Louis  XIV,  et  les  expédiait  ensuite  lui-même  eo 
litaut  récriture  et  môme  la  signature  du  roi.  (Voy.  Mémoires  de  Saint-Simon^ 
.  Boislisle,  t.  VUI,  p.  22etss.,  et  Appendice  U,  p.  407-420.) 
'6;  n  II  faudrait  songer  à  l'ambassade  d'obédience  pour  M.  de  Chaulne8;mais 
faudrait  l'aider;  il  mérite  assurément  d'avoir  cet  emploi...  Il  y  avait  plus  de 
liuze  jours  que  j'avais  envie  de  vous  parler  de  cette  ambassade  d'obédience, 
ais  enfin  je  n'ai  pas  pu  m'en  empêcher  cet  ordinaire.  Ce  serait  une  grande 
»uceur  pour  ce  pape-ci  qui,  comme  vous  le  pouvez  croire,  le  désirera  ar- 
mment.  »  (Machaut  a  Lionne,  13  juillet.  Rome,  184.)  —  Chaulnes  rendait  k 
ichaut  les  éloges  qu'il  en  recevait  :  L'abbé  «  a  fait  des  merveilles.  »  (A 
onne,  22  juin.)  —  «  Il  a  si  bien  ménagé  les  esprits,  etc..  »  (5  juillet.  Rome^ 
4.)  Mais  Machaut  n'obtint  rien  non  plus,  malgré  ses  plaintes  répétées  et 
telquefois  fort  vives.  (Voir  notamment  :  12  juillet.  Rome,  184,  et  9  août  1667. 
me,  1K3).  Peut-être  penserez-vous  enfin  à  moi,  dit-il  à  Lionne,  quand  vous 
mz  mis  20,000  livres  de  rente  sur  la  tête  de  votre  fils  le  chevalier,  racheté 
s  pensions,  et  pourvu  tous  vos  parents  et  serviteurs.  —  L'abbé  de  Bigorre, 
secrétaire  le  plus  occupé  de  l'ambassade,  ne  fut  pas  mieux  traité  :  il  est, 


202  CHAPITRE    PREMIER 

D'un  autre  côté,  le   ressenti menl  do  la  faction  française 
suscita  de  nombreuses  difPicutés  auxquelles  l'ambassadeur  ne 
pouvait  écbapper  que  par  son  rappel.  L'abbé  de  Machaut  écri- 
vait :  «  Madame  Tambassadrice  me  prie  aussi  de  vous  faire 
savoir  que  plusieurs  gens  qui  l'ont  appris  des  cardinaux  lui 
ont  dit ...  que  véritablement  M.  de  Cliaunes  était  venu  à  bout 
do  celte  intrigue,  et  qu'il  en  était  sorti  avec  une  grande  répu- 
tation, mais  qu'il  fallait  aussi  se  persuader  que,  dans  une 
semblable  conjoncture,  il  n*y  aurait  plus  rien  à  faire;  d'autant 
qu'il  avait  été  nécessité  de  se  servir  de  moyens  extraordinaires 
qu'on  avait  découverts  après  la  conclusion;  et  que,  tant  s'en 
faut  qu'on  y  eut  remédié  en  faisant  quelques  caresses  et  en 
ménageant  des  esprits,  qui  étaient  si  ulcérés,  par  de  belles  pro- 
messes, qu'il   semblait  qu'on  eût  tout  abandonné  et  qu'on 
prit  à  tâche  de  donner  des  mortifications  qui  étaient  capables 
de  désespérer,  après  celles  qu'ils  avaient  eues  dans  le  conclave 
et  dans  la  déclaration  qu'ils  furent  obligés  de  faire  lorsque 
l'affaire  fut  consommée.  Sur  ce  fondement  elle  croit  qu'il  n'y 
a  plus  rien  à  faire  ici  pour  M.  l'ambassadeur  ...  Tous  vos  car- 
dinaux languissent  dans  l'expectative  des  grAces  et  des  remer- 
ciements. Vos  pensionnaires  commencent  à  pressentir  qu'ils 
seront  obligés   d'attendre   un   autre  conclave  pour   toucher 
quelque  année  de  leur  pension  (i).  »  —  «  Il  ne  faut  pas  vous 
ramentevoir  les  dégoûts  et  les  chagrins  qu'on  a  été  nécessité 
de  leur  [à  vos  cardinaux]  donner  dans  le  conclave,  vu  qu'il 
était  absolument  impossible  de  leur  pouvoir  confier  le  secret, 
dans  la  mauvaise  situation  où  ils  étaient  tous  par  quelque 
négligence  qu'on  avait  eue,  du  côté  de  la  cour,  et  pour  leurs 
personnes  et  pour  leurs  intérêts.   »  lis  étaient  jaloux  du  car- 
dinal de  Retz;  ils  menaçaient  de  voter  sans  égard  pour  les 
désirs  du  roi,  et  ils  ont  fini  par  nommer  le  cardinal  Rospigliosi 
malgré  eux  et  presque  sans  le  savoir.  — L'état  de  votre  faction 

écrivait  Machaut.  «<  de  mauvaisse  humeur  »  de  ce  que  vous  avez  Tait  donuer 
une  abbaye  au  frère  de  M.  de  Gravcl  [agent  du  roi  en  Allemaguej  et  à  uu  se- 
crétaire de  M.  d*Embrun  [ambassadeur  à  Madrid J.  11  dit  «<  qu'il  serait  plui 
avantageux  d*étre  chez  soi  en  repos  que  d't^tre  deux  ou  trois  jours  de  la  se-, 
maioe  à  ne  se  point  couchpr  pour  écrire.  »  (A  Liouoe,  13  septembre  1667. 
Home,  186.) 
(1)  12  juillet  1667.  Rome,  184. 


LE   CONCLAVE   DE    CLÉMENT   IX  203 

est  déplorable.  —  Le  cardinal  de  Vendôme  est  méprisé  : 
ce  L*abbé  Buli  (1)  vous  fera  bien  rire  des  instructions  que  M.  de 
Vendôme  leur  faisait  pour  se  gouverner  dans  le  conclave.  Il 
serait  temps  qu  il  [ce  cardinal]  s'en  allât,  commençant  d'être 
découvert  par  ses  contes  jaunes.  »  —  «  Étant  tombé  pour  mon 
malheur  à  servir  M.  do  Vendôme,  qui  ne  m'a  jugé  capable 
que  de  tirer  ses  souliers  ou  vider  sa  chaise  et  de  faire  en  un 
mot  le  valet,  je  serais  mort  de  déplaisir  si  je  n'eusse  trouvé  des 
amis  »,  qui  m'ont  tiré  de  pair.  —  «  Sans  vous  exagérer  quoi 
que  ce  soit,  je  vous  puis  dire  qu'on  ne  peut  pas  faire  une  plus 
misérable  figure,  et,  s'il  excite  jamais  quelques  sentiments 
dans  le  cœur  de  ses  confrères,  ce  sera  ceux  de  la  compassion. 
Il  est  mélancolique,  abstrait,  surpris  dans  toute  sorte  de  ren- 
contre. Il  ouvre  mille  portes  à  des  gens  pour  le  battre,  qui,  par 
leur  esprit  et  leurs  lumières,  pénètrent  le  plus  souvent  jusques 
au  fond  du  cœur...  Quand  j'ai  eu  l'honneur  d'accompagner 
celte  Altesse  dans  les  cortèges,  je  n'ai  pu  m'empêcher  de  la 
comparer  à  quelle  vitelle  che  si  strascirono  almacello;  et  voyez, 
je  vous  prie,  quel  avantage  de  mettre  des  chapeaux  sur  la  tête 
de  ces  messieurs,  qui  se  croient  être  infiniment  au-dessus  de 
ce  j>oste,  et  qui,  en  abandonnant  tout  ce  qui  pourrait  contri- 
buer au  service,  croient  de  se  distinguer  des  autres  et  établir 
parla  leur  réputation  (2)!»  —  «Este  est  outréjusques  au  cœur, 
et,  outre  qu'il  ne  peut  pas  jamais  vous  rendre  aucun  service 
dans  un  conclave,  n  aj/ant  pas  unami.  à  parler  modestement  (S), 
il  faut  mettre  en  fait  qu'il  se  ressouviendra  do  la  manière 
dont  on  a  agi  civec  lui.  Antoine  [Barberini]  vivrait  mille  et 
mille  ans,  il  serait  à  vendre  et  à  dépendre  pour  les  intérêts  de 
rPrançois]  Barberini ...  Grimaldi  ne  viendra  plus  à  Rome  (4). 

(1)  Qui  aTait  été  conclaviste  de  ce  cardinal  avec  l'abbé  de  Machaut. 

(2)  Macliaat  à  Lionne,  22  juin,  19  juillet  et  9  août  1667.  —  Cbaulnesâ  Lionne, 
5  joiUet.  Rotne,  185. 

(3)  Témoignage  précieux  des  Français  contre  ce  prince  modénais,  transfuge 
(1h  la  faction  d'Âutiiche,  protégé  de  Mazarin  et  de  Louis  XIV,  qui  avait  provo- 
qué l'assassinat  des  sbires  en  1660,  et  dont  Créquy  avait  suivi  aveuglément 
les  détestables  conseils  en  1662. 

:4)  m  M.  le  cardinal  Grimaldi  partit  vendredi  assez  fâché  de  la  manière  dont 
les  choses  se  sont  passées.  Tenez  pour  indubitable  qu'il  n'y  a  pas  d'ordre 
qui  le  puisse  faire  revenir  dans  cette  cour.  Vous  aurez  été  informé  comme 
tout  s'est  passé  à  son  égard.  »  (Machaut  à  Lionne,  12  juillet  1667.  Rome,  184.) 


204  CHAPITRE    PREMfER 

Ursin  ne  peut  plus  subsister  sans  secours.  Maidalchini  prétend 
être  dédommagé  d'une  abbaye  de  quatre  mille  écus  de  renie 
qu'il  a  dans  le  royaume  de  Naples.  Vous  aurez  seulement 
Retz,  qui  ne  pourra  plus  payer  dorénavant  que  de  sa  voix  ». 
car  je  présume  que  vous  rechercherez  pou  TEscadron,  avec 
lequel  il  avait  des  liaisons.  «  Mancini  ira  toujours  son  train. 
Le  cardinal  Albizzi  se  déclare  qu'il  ne  portera  plus  vos  inté- 
rêts dans  les  Congrégations,  si  vous  ne  lui  payez  plus  régu- 
lièrement sa  pension  (1).  »  —  Les  Indépendants  avaient  si 
manifestement  dirigé  le  conclave  de  Clément  IX,  leur  autorité 
était  si  solidement  établie  dans  le  collège  que  déjà  Ton  cher- 
chait à  deviner  quels  seraient  leurs  candidats  après  le  nouveau 
pontife,  dont  la  santé  était  fort  délicate.  Dàs  le  mois  de  juillet 
1667,  on  désignait  pour  la  papauté  le  cardinal  Otthoboni,  qui 
devint  en  effet  Alexandre  VIJl,  et  qui  avait  été  de  tout  temps 
un  des  membres  les  plus  considérés  de  TEscadron;  —  et  le 
prélat  Altieri,  maître  de  chambre  de  Clément  IX,  qui  n'était 
pas  encore  cardinal  et  qui  lui  succéda  sous  le  nom  de  Clé- 
ment X  :  «  L'on  voit  visiblement,  écrivait  Machaut  (2),  que 
leur  but  est  d'avancer  le  cardinal  Otthoboni,  et,  en  cas  que  le 
pape  manquât  trop  tôt,  ils  destineraient  M.  Altieri,  maître  de 
chambre  du  pape,  fort  vieux,  qui  sera  cardinal  infailliblement, 
qui  laisserait  le  gouvernement  comme  il  est...  jusqu'à  ce  que 
leur  temps  fût  venu.  »  —  «  Nous  verrons  pape  »  Otthoboni, 
répétait-il  le  26  du  même  mois;  et,  au  mois  de  décembre 
suivant,  le  P.  Oliva,   général  des  Jésuites,  disait  au  même 
abbé  :  «  Quesli  signori  ne  sanno  pur  assai;  hanno  fatto  gia 
diiepapiegÎBi  potrei  dire  cou  qualche  confidenza  che  sono  a  la 
fucina  per  adesso,   lavorando  galliardamentc  per  un  terzo. 
Clément  IX  n'est  pas  pour  vivre  trois  ou  quatre  années.  Il  ne 
dort  pas  comme  il  faudrait;  il  a  une  soif  qui  lui  dure  conti- 
nuellement :  l'on  craint  la  récidive  de  son  mal.  Il  n'est  pas 
malaisé  de  pénétrer  que  ces  messieurs  de  l'Escadron  feront 
imaginablement  ce  qu'ils  pourront  pour  demeurer  les  maîtres 
d'un  pontificat,  et  étant  maîtres  des  cardinaux  Chigiet  de  leur 


(1)  Macbaut  à  LioDDe,  16  août  1667.  Rome,  185. 

(2)  A  Lionne,  12  juillet.  Rome,  184. 


LE   CONCLAVE   DE   CLÉMENT    IX  20S 

faction,  Barberini  étant  fort  do  leurs  amis,  lo  cardinal  Rospi- 
gliosi  ne  pouvant  pas  prendre  un  autre  parti,  vous  concevrez 
bien  che,  si  Ouhobuono  non  sia  maturo  bene  doppo  la  morte 
di  questo  papa^  non  riuscira  difficile  a  loro  di  concorrere  a 
lesaltatione  di  uno  cardinale,  il  quale  bavera  a  caro  per  sua 
gratiludine  e  per  il  poco  suo  genio  di  riniettere  tutto  le  cose 
del  governo  nelle  loro  mani...  (1).  » 

(1)  Machaut  à  Lionne,  13  décembre.  RomCf  187. 


CHAPITRE  DEUXIÈME 

CLÉMENT  IX  ET  L' AFFAIRE  DÉ  CASTRO.  —  GUERRE  DES  C  DROITS  DE 
LA  REINE  »  :  MÉDIATION  DE  CLÉMENT  IX.  —  PRÉSAGES  DE  NOU- 
VEAUX CONFLITS  ENTRE  LA  COURONNE  ET  LE  SAINT-SIÈGE.  1667-1668. 


Clément  IX  propose  sur-Ie  champ  une  suspension  d'armes  entre  les  Français  et  les  Espagnols, 
—  et  une  ligue  contre  le  Turc.  —  Ministres  du  nouveau  pape  :  Auolino  et  Otthoboni.  ClémeotlX 
déclare  qu'il  ni>  C4''dcra  jamais  Castro,  s'il  ne  voit  une  armée  française  aui  portes  de  Rome. 
L'abb<^  Jacopo  Rospigliosi  à  Saint-Germain.  RappoK  de  Lionne  au  roi  sur  Cagtro  :  $es  aveai 
sur  la  politique  suivie  par  la  cour  de  France  envers  Alexandre  VU.  Louis  XIV  obligé  de  re- 
culer. Son  mépris  pour  le  duc  de  Parme,  son  pn>tègé  :  Siri,  ministre  de  ce  prince,  meotcé 
de  la  Bastille.  —  Guerre  entre  les  deux  couronne<«  :  Louis  XIV  feint  d'accepter  la  médiation  du 
pape;  mais,  à  ce  moment  même,  il  médite  de  consommer  la  ruine  de  l'Espagne,  et  négocie 
avec  l'Empereur  le  premier  partage  do  la  succession  de  Charles  11.  Première  conquête  d«  U 
Franche-Comté.  liOuis  XIV  a  refusé  la  paix  aux  prières  et  aux  conseils  du  pape:  il  est  forcé 
de  l'accorder  aux  menaces  de  la  Triple  Alliance.  Traité  d'Aix-la-Chapelle.  Les  protestants  ont 
plus  de  déférence  que  Louis  XIV  puur  l'intervention  de  Clément  IX.  —  Ascendant  du  pape: 
son  impartialité,  son  désintéressement.  Le  duc  do  Cbaulnes  conseille  une  conduite  moioii  Ar- 
rogante envers  le  saint-siège:  il  propose  une  ambassade  d'obédience,  la  destruction  dcU 
pyramide  des  Corses.  —  Règlement  de  plusieurs  affaires  peudantes  :  Tarchevéché  de  Reinxl 
l'évôché  d'Orange.  Induits  des  provinces  conquises.  —  Prétentions  croisi^antes  de  Loui«  XIV. 
U  demande  à  la  fois  trois  chapeaux  pour   Bonsy,  évéquc  et  amba<»Radeur,  pour  le  prinre  d'A- 
vcrsperg  Autrichien,  et  pour  César  d'tstrées.  Les  abba>es  de  Cloni  et  de  Prémontré.  Influence 
désastreuse  de  la  couronne  sur  la  collation  des  bénédees  :  invasion  des  charges  et  des  bien* 
d'église  par  les  familles  de  le  Tellicr,  de  Colbert  et  de  Lionne  :  intrigues  de  Lionne   pour 
faire  arriver  un  <le  ses  fils  au  cardinalat.  —  Obstacles   mis  par  la  couronne  à  l'exercirt;  deU 
juridictiou  pontiflcale  en  France.  Affaire  des  quatre  évét^ues  ;  les  deux  brefs  du  23  décembre 
1667.  Le  gallicanisme  paralyse  la  répression  du  jansénisme.  La  lettre  des  dix-neuf  évéques  an 
roi.  Décrets  pontificaux  annulés  par  le  Parlement,  etc.  Entreprises  de   I^uis  XIV  rootro  les 
ordres  religieux  :  le  secret  du  roi  révélé  par  Lionne  au  duc  de  Chaulnes.  Arrêta  des  Parlements 
pour  défendre  la  réception  des  novices.  Le  général  des  Minimes  et  le  général  des  Jacobins. 


Ainsi  le  choix  de  Clément  IX  était  exclusivement  ToBuvre 
des  cardinaux  les  plus  dévoués  aux  intérêts  de  rÉglise,  et  le 
pontife  qu'ils  avaient  placé  sur  la  chaire  de  saint  Pierre  répon- 
dait aux  besoins  et  aux  vœux  de  la  chrétienté.  Le  lendemain 
même  de  l'élection,  le  pape  écrivant  de  sa  main(i),  suivant 
Tusage,  aux  princes  catholiques,  exprimait  les  pensées  qui 
allaient  inspirer  tout  son  pontificat.  Ses  lettres  au  roi  de  France 

(1)  2i  juin  1667.  fiomc,  184.  —  Ces  lettres  sont  écrites  sur  papier,  non  si- 
gnées et  en  lalien>  sauf  le  Salulem  du  commencement  et  le  Uatum  de  a  fin. 


CLÉMENT   IX   ET   l' AFFAIRE    DE  CASTRO  207 

et  à  la  régente  d'Espagne  étaient  conçues  en  termes  identi- 
jues(l)  :  après  les  avoir  remerciés  du  concours  qu'ils  avaient 
lonné  à  son  élévation  par  leurs  ambassadeurs  et  par  leurs 
ardinaux,  il  déplorait  la  guerre  qui  venait  de  recommencer 
nlre  les  deux  couronnes  «  in  tempo  clie  Tarmi  del  comune 
limico,  opprimendo  il  regno  di  Candia,  espongono,  anco  iu 
>almatia,  la  fede  a  gravissimi  pericoli...;  »  il  représentait 
ue  de  si  grands  périls  ne  pouvaient  être  conjurés  qu'avec  le 
icours  des  Français  et  des  Espagnols;  il  offrait  sa  médiation 
IX  deux  princes,  et  même  d'aller  en  personne  partout  où  il 
îrait  nécessaire  pour  procurer  la  paix;  et,  en  attendant  le 
îsullat  de  ses  offices,  il  réclamait  instamment  une  suspen- 
on  d'armes  :  «  Si  compiaccia  sospendere  la  Maestà  Vostra 
armi,  almeno  sin'  tanto  che  sperimenti  i  mezzi  più  proprii 
ella  sua  bonlà  e  dell'  opéra  nostra,  e  di  levare  con  questa 
enerosità  un  padre  che  Tama  si  tcneramente  del  rammarico 
le  gli  apporta  il  vedere  esposlo  il  Christianesimo  ad  irrcpara- 
île  rovine...  »  Mais  l'intervention  du  nouveau  pape  eût  été 
îrlainement  inefficace,  si  Ton  avait  pu  lui  supposer  quelque 
irtialité  en  faveur  de  Louis  XIV,  dont  les  conquêtes  sur  la 
?dova  eilepiffillo  irritaient  et  alarmaient  TEuropc  :  il  n*im- 
jrtait  pas  moins  à  son  autorité  spirituelle  que  Clément  IX 
e  fût  ni  ne  parût  intimidé  par  le  puissant  roi  de  France.  Tout 
1  comblant  de  prévenances  le  duc  do  Chaulnes  et  en  le  lais- 
mt  se  complaire  dans  la  pensée  d'avoir  mis  la  tiare  sur  la 
;le  du  cardinal  Rospigliosi,  il  était  urgent  que  le  père  com- 
lun  manifestât  clairement  son  indépendance.  Il  s'entoura 
es  cardinaux  les  plus  connus  pour  leur  opposition  aux  empié- 
inient  des  couronnes,  les  plus  estimés  et  les  plus  habiles  du 
Dllège.  L'abbé  de  Machaut  écrivait  :  «  Clément  IX  commence 
m  pontificat  par  une  glorieuse  action,  car  il  semble  qu'en 
lettant  le  cardinal  Azzolino  dans  la  charge  de  secrétaire  d'Etat 
i  le  cardinal  Otthoboni  dans  la  daterie,  il  se  veuille  servir  des 
crsonnes  de  mérite.  »  —  «  Nonobstant  les  grandes  obliga- 
ons  que  le  pape  vous  a,  il  est  certain  que  lui  ou  les  siens  s'ap- 
liquent  extrêmement  à  ne  montrer  aucune  partialité,  même 

',1)  Cest  ce  qui  résulte  dcd  dépèches  d'Espagne  interceptées. 


208  CHAPITRE  DEUXIÈME 

dans  les  moindres  choses.  »  —  «  Toutes  les  actions  el  les 
démarches  qu'a  faites  le  pape  jusqucs  ici  donnent  assez  à 
connaître  à  tout  le  monde  que  ses  passions  dominantes  sont 
la  justice,  la  clémence  et  la  libéralité  (1).  »  L'ambassadeur  de 
France  espérait  conserver  avec  le  cardinal  Azzolino  le  com- 
merce familier  qu'ils  avaient  eu  ensemble  avant  la  vacance  du 
saint-siège;  mais  le  nouveau  secrétaire  d'Etat,  exprimanlà 
Chaulnes  la  même  gratitude  qu'il  témoignait  à  Tambassadeur 
espagnol,  fit  comprendre  sans  retard  qu'il  avait  désormais 
d'autres  devoirs  et  ne  permit  plus  qu'on  se  présentât  librement 
devant  lui,  comme  par  le  passé  (2). 

Ce  qui  ôta  toute  illusion  au  duc  de  Chaulnes  et  au  roi,  ce 
fut  l'énergie  avec  laquelle,  dès  la  première  heure,  la  nouvelle 
cour  pontificale  résista  aux  prétentions  de  la  France  dans 
l'affaire  de  Castro.  Clément  IX  avait  été  le  témoin  indigné 
des  efforts  faits  par  Louis  XIV,  même  pendant  qu'Alexandre  VU 
était  à  l'agonie,  pour  lui  arracher  la  désincamération,  quoique 
le  duc  de  Parme  eût  encore  violé  ses  engagements.  Les  car- 
dinaux Rospigliosi^  Azzolino  et  Otthoboni  étaient  connus 
pour  partager  tous  les  sentiments  que  divers  articles  de  Pisc 
avaient  inspirés  au  feu  pape.  La  détermination  de  Clément  IX 
fut  prise  à  l'instant  :  jamais  il  n'exécuterait  volontairement 
une  clause  imposée  «  le  poignard  sur  la  gorge  ».  Les  Français 
pouvaient  reprendre  Avignon  et  envoyer  à  Rome  une  nouvelle 
armée.  Il  verrait  alors  ce  qu'il  aurait  à  faire,  mais  toute  la 
terre  saurait  qu'il  épousait  la  cause  sacrée  de  son  prédécesseur 
et  qu'il  résisterait  à  l'injustice  jusqu'à  l'extrémité.  L'abbé 
Jacopo  Rospigliosi,  internonce  à  Bruxelles,  reçut  Tordre  de 
revenir  en  Italie  par  la  France,  de  s'arrêter  à  Saint-Germain 
et  de  laisser  comprendre  au  roi  les  intentions  de  son  oncle. 

(1)  A  Lionne,  21  juin,  12  et  26  juiUet  1607.  Home,  184  et  185. 

(2)  a  Mi  duole  [solamente,  écrivit-il  sur-le-champ  au  duc  de  Chaulue;^,  cbr 
il  posto  medesimo,  chc  Vostra  Eccellenza  mi  ha  si  beu  ajutato  a  consegiiire 
mi  sia  d'impedimento  a  poter  continuare  qur!/a  /ieffreta  communicazione  che 
io  ho  finhora  tenula  con  Vostra  Eccelleuza...  ))(2i  juin  1667.)  —  Le  lendemain, 
refus  d'audience  :  «  Vostra  Eccelleuza  mi  toglic  il  modo  di  poter  oggi  ricevere 
le  sue  grazic,  pcr  che  mi  obliga  la  sua  udieuza  con  S.  Santità  a  scrivere,  ollre 
aile  altre  occupazioui  che  la  présente  spedizioncdaalle  mie  debolezze,  etc..  » 
(22  juin.  Romet  184.) 


CLÉMENT    IX   ET   L^ÂFFAIRE   DE   CASTRO  209 

Le  21  juin,  en  apprenant  à  Louis  XIV  le  choix  du  secrétaire 
d'Etat  et  du  dataire,  le  duc  de  Ghaulnes  ajoutait  :  «  J'en  au- 
rais bien  de  la  joie,  s'ils  n'étaient  pas  déclarés  contre  le  traité 
de  Pise  (1).  »  Il  crut  un  moment  à  des  dispositions  plus  favo- 
rables et  il  écrivit  à  Lionne  :  «  Il  n'a  paru  aucun  écrit  du  pape 
[Alexandre  VII]  ni  au  sacré  collège  ni  au  pape,  et  Ton  dit 
que  le  cardinal  Chigi  les  a  supprimés  pour  l'honneur  de  la 
mémoire  de  son  oncle  et  pour  son  intérêt  particulier  (2)  »  ; 
mais  ayant  abordé  ce  sujet  dans  son  audience  du  8  juillet,  il 
reconnut  que  la  volonté  de  Clément  IX  serait  inébranlable  : 
«  Je  crus,  Sire,  écrivait-il,  ne  devoir  parler  à  Sa  Sainteté  de 
l'affaire  de  Parme  que  comme  d'une  chose  faite,  et  lui  dis 
que,  le  pape  Alexandre  ayant  donné  tous  les  ordres  et  les 
chîrographes  nécessaires  pour  Tentière  conclusion  du  traité 
de  Pise,  le  seul  retardement  de  l'argent  de  M.  de  Parme  en 
avait  empêché  Texécution,  et  que,  comme  dans  les  nouveaux 
pontificats,  les  ordres  des  papes  morts  devaient  être  confirmés 
aux  officiers,  j'avais  à  lui  en  demander  pour  ceux  de  la  Cham- 
bre, afin  qu'ils  reçussent  l'argent  de  M.  le  duc  de  Parme.  — 
Dans  cet  instant,  Sire,  le  pape  changea  de  posture  et  rougit.  » 
Il  me  dit  que  l'affaire  est  de  grande  importance  et  peut  désho- 
norer le  commencement  de  son  pontificat;  que  d'ailleurs  il 
avait  chargé  son  neveu  d'en  parler  à  Votre  Majesté.  —  Je 
répliquai  que  j'attendrais  de  nouveaux  ordres,  mais  que  je  ne 
pouvais  laisser  dire  que  cette  allairc  fût  honteuse  pour  le 
saint-siège .. .  —  «  Sa  Sainteté  me  dit  que  je  savais  bien  comme 
les  choses  s'étaient  passées  ;  que  l'on  n'avait  jamais  demandé  la 
désincamération  de  Castro  au  feu  pape  que  pour  se  venger  de 
lui  ;  que  les  choses  passées  durant  l'ambassade  de  M.  le  duc 

(1)  Bomey  184. 

(2)  Le  cardinal  Chigi,  incapable  de  se  prêter  à  de  pareils  calculs,  demeura 
toujours  fidèle  à  la  mémoire  de  son  oncle.  Après  rélection  de  Clément  IX,  il 
écrivit  à  Louis  XIV  une  lettre  respectueuse  et  pleine  de  dignité  (23  juillet  1667. 
Rome,  184.)  Le  roi  lui  fit  une  réponse  que  Cliaulnes  ne  rendit  pas,  la  trouvant 
trop  bienveillante  pour  ce  cardinal  qui  «  faisait  le  pis  qu^U  pouvait  contre  le 
traité  de  Pise.  »  Lionne  approuva  l'ambassadeur  d'avoir  retenu  la  lettre  du 
roi,  et  lui  en  envoya  une  autre  «  moins  engageante  >'.  Ce  qui  est  une  nouvelle 
preuve  que  ie  duc  de  Cbaulnes  n'avait  pas  noué  avec  le  cardinal  Chigi,  pen- 
dant le  conclave,  cette  liaisou  équivoque  dont  il  s'était  vanté  dans  ses  pre- 
mières dépèches. 

LOOIS  XIV   ET  LB  9AINT-81È0E.   — '  II.  14 


210  CHAPITRE    DEUXIÈME 

de  Gréquy  avaient  sur  la  fin  donné  lieu  à  cette  demande,  mais 
qu'étant  changées  par  son  exaltation,  Sa  Sainteté  espérait 
que  Votre  Majesté  conserverait  d'autres  sentiments  pour  elle.  » 
—  L'ambassadeur  inquiet  chercha,  par  Tentremise  de  Retz,  à 
pénétrer  les  intentions  d'Azzolino  :  le  secrétaire  répondit  sans 
détour  «  qu'il  voyait  bien  ce  que  le  cardinal  de  Retz  lui  voulait 
dire  et  que,  voulant  peut  être  parler  de  l'affaire  de  Parme,  il 
souhaitait  de  s'en  éclairciravec  lui  et  avec  le  duc  de  Chaulnes, 
avec  la  même  netteté  qu'il  avait  agi  dans  le  conclave;  que 
l'ambassadeur  pouvait  bien  juger,  par  son  audience^  que  Sa 
Sainteté  n'était  nullement  disposée  de  l'achever,  et  qu'il  pou- 
vait l'assurer  qu'elle  ne  s'y  résoudrait  jamais,  parce  qu'elle 
croyait   ne   le  pouvoir  faire  ni  en  conscience,  ni   en  hon- 
neur; que  ce  qu'il  lui  disait  ne  partait  d'aucun  sentiment  par- 
ticulier, mais  par  la  connaissance  qu'il  avait  du  fond  de 
l'affaire  ;   que   les  sentiments  du  pape    pour  Sa  Majesté  et 
pour  la  France  étaient  admirables;  que   l'on  trouverait  sur 
toutes  les  autres  choses  de  très  bonnes  et  très  grandes  dispo- 
sitions dans  son   esprit,   mais  que^  pour  le  fait  particulier 
de  Parme,  Sa  Sainteté  n'y  contribuerait  jamais  rien  du  sien; 
que  Sa  Majesté  pourrait  faire  agir  son   autorité,  mais  que 
l'on  n'aurait  jamais  le  consentement  du  pape...  »  Le  duc  de 
Chaulnes  écrivait  en  même  temps  à  Lionne  (i)  :  «  Je  ne  doute 
pas  que  vous  ne  jugiez  la  matière  présente  de  Parme  d'une 
très  grande  importance,  parce  que  ce  sera  le  fondement  de  ce 
pontificat  ...  Je  voudrais  que  M.  le  duc  de  Parme  put  trou- 
ver quelque  royaume  au  lieu  de  (^aprarole,  craignant  avec 
raison  que  celte  affaire  ne  change  la  face  de  tout  ce  ponti- 
ficat ...  » 

Lionne  voyait  bien  lui-même  les  difficultés  que  la  France 
s'était  créées  par  le  traité  de  Pise  :  il  avouait  qu'il  n'espérait 
rien  de  Jacopo  Rospigliosi  avec  lequel  il  eut  plusieurs  confé- 
rences, à  Paris  :  Ce  prélat,  dit-il,  «  s'est  toujours  défendu  sur 
ledecoro  délia  sede  apostolica  et  la  considération  de  Tignonii- 
nie  de  ce  pontificat  comme  de  l'autre.  »  Aussi,  ce  ministre 
adressa- t-il  au  roi,  qui  était  alors  au  camp  devant  Douai,  un 

,1)  12  juillet  1607.  Home,  I8i. 


CLÉMENT    IX    ET  l'âFFAIRE  DE   CASTRO  211 

mémoire  qui  devait  être  lu  en  conseil  (1).  Clément  IX  avait  or- 
donné à  son  neveu  de  remontrer  à  la  cour  de  France  qu'elle 
avait  trois  raisons  principales  de  renoncer  à  l'article  de  Pise 
sur  Castro  :  «  Tune,  de  la  crainte  et  de  la  force  qui  furent  les 
seules  causes  du  traité  de  Pise  ;  la  seconde,  que  les  cardinaux 
en  signant  protestèrent  tous  qu'ils  n'en  avaient  pas  le  pouvoir 
à  cause  de  la  bulle  de  Pic  Quint  qu'ils  avaient  jurée  aupara- 
vant; et  la  troisième,  que  Sa  Sainteté  ne  pouvait  croire  qu'un 
grand  roi,  pour  qui  elle  avait  tant  d'estime  et  de  tendresse, 
voulût  que  son  pontificat  fût  ignominieux,  comme  celui  de  son 
prédécesseur,  pour  s'être  accommodé  à  cette  grande  violence.  » 
Le  pape  avait  donc  décidé  de  renvoyer  l'affaire  à  une  Congré- 
gation ou  à  la  Chambre  apostolique.  Le  duc  de  Parme,  pour 
se  procurer  de  l'argent,  avait  accablé  ses  sujets  d'impôts,  en 
violation  des  clauses  de  son  investiture,  de  sorte  qu'il  avait 
même  encouru  Tincamération  de  Parme  et  de  Plaisance.  Mais 
le  pape  proposait  un  accommodement  amiable,  dont  une  con- 
dition eût  été  le  paiement  au  prince  d'une  somme  d'argent 
égale  à  la  plus-value  de  Castro.  «  Je  me  suis  fort  tenu  par  mes 
répliques,  dit  Lionne,  dans  ce  retranchement  qu'il  y  avait  un 
bon  traité  signé  et  ratifié  de  la  main  du  feu  pape  même.  » 
Vainement  le  ministre  représentait  encore  à  l'abbé  Rospigliosi 
qu'on  peut  dire  de  tous  les  traités,  même  de  celui  des  Pyré- 
nées, qu'ils  sont  le  résultat  de  la  contrainte  ;  —  comme  si 
Alexandre  VU  avait  jamais  connu  la  fortune  des  armes,  et 
n'avait  pas  été  victime  du  plus  criminel  abus  de  la  force! 
Aussi  Lionne  a  peu  de  confiance  dans  son  argument^  et  il 
poursuit  en  ces  termes  :  «  Coite  affaire  est  fort  embarrassante, 
el  Sa  Majesté  en  verra  d'un  clin  d'œil  toutes  les  raisons  de 
part  et  d'autre  ;  car,  comme  d'un  côté  il  est  très  fâcheux  d'avoir 
éternellement  à  soutenir  une  affaire  contre  tous  les  papes  et 
toute  la  cour  de  Rome,  qui,  par  cette  raison,  sera  aussi  éter- 
nellement contraire  aux  intérêts  de  cette  couronne,  et  cela 
pour  un  prince,  duquel,  pour  la  faiblesse  de  ses  qualités  per- 
sonnelles, elle  ne  tirera  jamais  aucun  service,  et  lequel  même, 
par  sa  pure  faute  de  n'avoir  pas  assemblé  tout  son  argent  à 

(l)  21  juillet  Hi67.  —  A  Cliaulues,  21)  juillet,  liotfie,  185. 


212  CHAPITRE   DEUXIÈME 

temps,  a  laissé  perdre  et  corrompre  l'occasion  de  faire  exécu- 
ter le  traité  de  Pise  au  feu  pape  qui  Tavait  fait  et  ratifié,  »  il 
sera  fâcheux,  d'un  autre  côté,  que  le  roi  renonce  à  Texécution 
d'un  traité  solennel,  et  abandonne  un  prince  «  que  le  monde  a 
vu  que  Sa  Majesté  a  protégé,  quoique  sans  autre  motif  que  de 
choquer  le  feu  pape.  »  Le  roi  a  trois  partis  à  prendre  :  1°  «  Dé- 
clarer formellement  à  M.  Tabbé  Rospigliosi  »  que  le  traité  re- 
cevra son  exécution  ;  mais  le  roi  considérera  qu'il  «  entre  par 
là  dans  un  engagement  perpétuel  contre  la  cour  de  Rome  », 
et  qu'elle  ne  cédera  pas,  «  à  moins  que  Sa  Majesté  envoie  une 
nouvelle  armée  »  ;  2^  «  Conniver  secrètement  à  cette  voie  [de 
laisser  juger  le  différend  par  les  tribunaux  de  Rome]  que  veut 
prendre  le  pape,  en  disant  coniidemment  à  M.  Tabbé  Rospigliosi, 
et  le  priant  d'en  garder  le  secret  inviolable,  que  Sa  Majesté, 
aimant  mieux  les  satisfactions  de  Sa  Sainteté  et  l'avantage  du 
saint-siège  que  celui  d'un  prince  auquel  d'ailleurs  elle  n'a  au- 
cune obligation,  oui  bien  lui  à  elle,  ne  trouvera  rien  à  dire  que 
Sa  Sainteté  députe  quel  tribunal  elle  voudra  pour  connaître 
de  toute  l'affaire  ;  mais,  pour  ce  parti-ci,  j'avoue  que,  n'étant 
pas  dans  la  bonne  foi,  ni  par  conséquent  de  la  grandeur  d'âme 
de  Sa  Majesté,  de  mon  faible  sentiment  je  ne  le  prendrais 
pas  »;  3**  Envoyer  Tabbé  Siri(l)  au  duc  de  Parme  (en  lui 
payant  son  voyage  et  le  caressant  pour  l'animer)  et  lui  conseil- 
ler d'accepter  la  transaction  offerte  par  le  pape  ;  en  retour, 
exiger  de  celui-ci  des  grâces  publiques  et  considérables, 
comme  les  induits  d'Artois,  etc.,  et  un  chapeau  pour  M.  de 
Béziers. 

Le  mémoire  de  Lionne  est  du  21  juillet;  le  lendemain,  Clé- 
ment IX  déclarait  de  nouveau  à  l'ambassadeur  de  France  que 
jamais  il  n'exécuterait  volontairement  cet  article  de  Pise.  11 
me  dit,  écrivait  Chaulnes  (2),  «  que  Dieu  avait  peut-être  tiré 
du  monde  Alexandre  VII  dans  le  temps  que  cette  affaire  devait 
finir,  pour  que  le  saint-siège  ne  reçût  pas  cette  honte,  et  que, 
si  quelque  chose  avait  consolé  son  prédécesseur  à  la  mort, 

(1)  Villorio  Siri,  pamphlétaire  et  publicisle,  pris  aux  gages  de  la  France  par 
Mazariu,  vivait  à  Paris^  où  il  avait  le  titre  de  résident  du  duc  de  Parme^  soo 
souverain. 

(2)  20  juillet  1667.  Rome,  185. 


CLÉMENT    IX    ET   l'aFFAIRE  DE   CASTRO  213 

c'avait  été  Tespérance  que  cette  affaire  finirait  avec  lui,  et  de 
n'avoir  pas  reçu  ce  déplaisir  durant  sa  vie;  qu'aussi  Sa  Sain- 
teté avait  lieu  d'espérer  que,  puisque  Votre  Majesté  lui  avait 
mis  la  tiare  sur  la  tête,  elle  la  lui  conserverait  sans  tache.  » 
Je  répondis  que  «  je  ne  dissimulais  pas  à  Sa  Sainteté  que, 
dans  le  traité  de  Pise,  il  n'y  eût  eu  des  clauses  contre  la  per- 
sonne du  pape  Alexandre;  que  je  lui  dirais  même  qu'il  était 
certain  que  la  pyramide  n  avait  pas  été  une  chose  honorable 
pour  son  pontificat,  ni  le  voyage  de  M.  le  cardinal  Chigi  avec 
toutes  ses  circonstances,  mais  que  jamais  la  réintégration  du 
duc  de  Parme  dans  ses  Etats  n'avait  été  prise  pour  une  ven- 
geance des  choses  passées  ou  une  [autre]  satisfaction  à  Votre 
Majesté  que  celle  d'appuyer  la  justice  d'un  prince  opprimé; 
et  qu'à  l'égard  d'Alexandre  Vil,  je  pouvais  prendre  la  liberté 
de  dire  à  Sa  Sainteté  que  jamais  il  n'avait  témoigné  que  ce  fût 
une  affaire  qu  il  eut  à  contre-cœur,  puisque  Tinexécution  dé- 
pendait en  quelque  façon  de  lui  et  qu'il  n'avait  eu  qu'à  empê- 
cher sous  main  que  les  banquiers  ne  servissent  M.  le  duc  de 
Parme  pour  assembler  son  argent,  ce  qu'il  pouvait  faire  faci- 
lement par  les  ministres  qu'il  avait;  ...  mais  que  publiquement 
le  change  s'en  faisait;  ...  que,  quand  on  en  avait  parlé  au 
pape,  il  avait  toujours  répondu qu'il  ne  ferait  jamais  de  dif- 
ficulté d'exécuter  le  traité  de  Pise...  L'on  peut  inférer  [des 
paroles  de  Sa  Sainteté],  dit  l'ambassadeur  en  terminant,  qu'il 
faut  que  le  pape  Alexandre  VU  ait  fait  des  écrits  contre  le 
traité  de  Pise...  et  qu'ils  soient  entre  les  mains  du  pape.  » 

Quelques  jours  auparavant.  Clément  IX  avait  tenu  un  con- 
sistoire où  il  avait  «  juré  les  bulles  selon  la  coutume,  et  cela, 
dit  le  duc  de  Chaulnes,  a  bien  fait  parler  sur  l'affaire  de  Cas- 
tro. »  L'opinion  publique  était  agitée.  L'abbé  de  Bourlemont 
écrivait  :  Le  pape  n'a  fait  encore  des  grâces  qu'à  des  parti- 
culiers, il  faut  qu'il  rende  justice  aux  princes  et  surtout  au 
roi;  il  faut  qu'il  exécute  le  traité  de  Pise,  quoique  les  en- 
vieux de  la  France  prétendent  que  Clément  IX  doit  refuser 
satisfaction  sur  Castro  et  réclamer  la  destruction  de  la  pyra- 
mide (1).  —  L'abbé  de  Machaut  dit  à  son  tour  :  Tout  Rome 

(1)  A  LioDDe,  11  juillet.  Romc^  184. 


214  CHAPITRE    DEUXIÈME 

attend  ce  que  vous  allez  faire  pour  Castro.  Clément  IX  ne 
serait  pas  le  premier  pape  de  son  nom  à  exécuter  un  traité 
rigoureux  pour  le  saint-siège  :  on  peut  lui  rappeler  l'histoire 
de  Clément  VIL  «  Je  ne  sais  si  Ton  ne  vous  aura  pas  mandé 
de  certaines  paroles  qu'il  a  fait  mettre  à  Tentour  de  ses  mé- 
dailles, qui  me  feraient  croire  que  le  pape  se  propose  de  sou- 
tenir toute  sorte  d'adversités  pourvu  qu'il  persiste  dans  les 
sentiments  qu'il  croit  devoir  avoir  (1).  » 

Louis  XIV  était  à  la  tète  de  son  armée,  en  pleine  conquête 
delà  Flandre,  lorsqu'il  reçut  le  mémoire  de  Lionne.  Il  trouva 
le  pape  bien  hardi  de  remettre  en  question  un  traité  solennel; 
mais  le  cauteleux  le  Tcllier,  qu'il  avait  auprès  de  lui,  calma 
son  irritation;  et,  sous  le  contro-seing  de  ce  ministre,  le  roi 
répondit  à  Lionne  qu'il  préférait  le  troisième  parti  (2).  Un  inci- 
dent imprévu  rendait  d'ailleurs  impossible  toute  autre  résolu- 
lion  :  les  dépêches  françaises,  non  chiffrées,  où  était  rapporté 
l'entretien  du  ministre  avec  le  neveu  du  pape,  avaient  été 
interceptées  par  les  Espagnols  et  communiquées  aux  parties 
intéressées.  On  connut  ainsi,  à  Parme  et  à  Rome,  le  mépris 
professé  en  France  pour  le  prince  italien  et  les  aveux  de  Lionne 
sur  l'iniquité  des  articles  de  Pise.  Comment  le  roi  aurait-il  pu 
sérieusement  se  présenter  encore  au  pape  comme  le  protecteur 
magnanime  d'un  prince  opprimé,  et  poursuivre  une  revendi- 
cation qui  aurait  eu  pour  conséquence  la  descente  d'une 
armée  française  dans  les  États  romains  (3)?  Il  fut  donc  décidé 

(1)  A  Lionne,  16  août  1667.  Rome,  185.  —  Eu  effet,  Cléuienl  IX,  élu  le  20  juin, 
jour  où  se  célèbre  la  ft^tc  de  saint  Silvère,  pape,  martyr  de  sa  résislauce 
aux  prétentions  injustes  de  Justinicn,  avait  mis  son  pontificat  sous  les  aus- 
pices de  ce  grand  saiut.  Sa  première  médaille  porte  les  mots  :  <t  Constaniia 
Siiverii  ad  imitandum  proposiia.  *> 

(2)  «  ...  Je  ne  puis  donner  les  mains  aux  ouvertures  qui  vous  ont  été  faites 
sur  ce  sujet  (abandon  du  traité  de  Pise).  Que  si  notre  saint-père  le  pape  veut 
bien  faire  parler  à  mon  cousin  le  duc  de  Parme  au  même  sens  que  mon  cou- 
sin Rospigliosi  s*est  expliqué  avec  vous  sur  la  conduite  que  S.  S.  projette  de 
garder,  quand  on  le  pressera  de  la  désincamérntion,  j'engage  ma  parole  que, 
lorsque  mon  cousin  le  duc  de  Parme  réclamera  ma  protection,  j'emploierai 
mes  offices  auprès  de  lui  aussi  efficacement  qu'il  se  pourra  pour  le  porter  à 
quelque  accommodement  qui  soit  de  la  satisfaction  de  S.  S.  et  de  la  sienne 
particulière.  »  (Le  roi  à  Lionne,  de  Douai,  25  juillet  1667.  /{orne,  185.) 

(3)  Un  parti  espagnol  a  arrêté  le  courrier  qui  portait  mon  mémoire  sur 
Castro  et  la  réponse  du  roi,  non  chiffrés.  Le  marquis  de  Castel- Rodrigo,  gou- 


CLÉMENT    IX  ET    l' AFFAIRE   DE   CASTRO  215 

e  le  roi  exhorterait  son  protégé  à  transiger  avec  le  souve- 
n  pontife.  «  J'attends,  dit  le  duc  de  Chanlnes  à  Lionne  (1), 
ffet  de  quelqu'un  de  vos  tours  pour  faire  entendre  raison  h 
le  duc  de  Parme  :  je  crois  que  vous  n'aurez  pas  de  peine  à 
gner  l'abbé  Siri.  »  Mais  le  duc  de  Parme  fut  vivement  blessé 
m  pareil  traitement  (2),  et  son  irritation  redoubla  quand  les 
pagnols  eurent  publié  en  Hollande  le  mémoire  de  Lionne, 
ibbé  Siri  se  plaignit  au  ministre  :  «  Je  lui  répondis,  écri- 
it  Lionne  (3),  en  termes  sanglants  qui  lui  faisaient  voir  qu'il 
îtait  qu'un  fat  et  un  impudent.  »  Je  le  menaçai  de  la  Bas- 
ic :  «  il  en  était  plus  mort  que  vif  ».  11  est  venu  me  faire 
s  excuses  et  je  lui  pardonnai,  à  la  condition  «  qu'il  chante- 
it  la  palinodie,  »  en  recommandant  à  son  maître  cette  même 
ansaction.  II  le  fera,  «  je  lui  ai  même  dressé  la  première 
Ltre  qu'il  doit  écrire,  où  j'ai  établi  deux  fondements  :  Tun, 
le  M.  l'abbé  Rospigliosi  m'avait  déclaré,  par  ordre  du  pape, 
le  jamais  il  ne  rendrait  Castro,  qu'il  ne  vît  une  armée  fran- 
ise  aux  portes  de  Rome  ;  qu'alors  véritablement  il  le  ren- 
ait,  parce  qu'il  en  serait  disculpé  par  le  monde,  nul  ne  pou- 
nt  résister  à  une  force  supérieure  (4)  ;  l'autre,  que  Sa  Majesté 
enverrait  jamais*  cette  armée  contre  Clément  IX  et  qu'il  ne 
rait  pas  non  plus  en  volonté,  ni  peut-être  en  état,  de  le  faire 
ntre  tout  autre  pape;  que  c'était,  sur  ces  deux  principes,  à 
.  de  Parme  à  juger  »  ce  qu'il  avait  à  résoudre.  Chaulnes  eut 
dre  dlnsinuer  au  pape  qu'en  compensation  de  ces  bons  offi- 
s  le  rci  attendait  du  saint-siège  une  grâce  extraordinaire, 

'Dour  d(s  Pays-Bas,  les  cuvcrra  sans  doute  au  marquis  d'Astorga,  ambassa- 
jr  à  Roue,  qui  en  fera  part  au  duc  de  Parme.  «  A  cela  je  ue  vois  autre  re- 
!dc  que  le  nier  fortement,  et  que  ce  80Dt  des  chimères  qu'ils  ont  forgées  sur  le 
idemenlde  rinterception  d'une  dépêche.  »  (Lionne  à  Chaulnes,  19  août  1667. 
me,  185.  —  Le  6  septembre,  Chaulnes  répond  qu'il  «  craint  bien  les  suites  » 
la  saisit  de  ces  lettres.  {Rome,  186.) 

1)  17  jaivier  1668.  Home,  189. 

2)  11  ne  .'eut  pas  d'accommodement  :  je  lui  réponds  que  «  les  affaires  du 

.  ne  sont  pas  en  état  7//'//  puisse,  veuille,  ni  doive  prendre  les  armes  pour 
'cer  S.  s  à  la  prompte  et  fidèle  exécution  du  traité  de  Pise  et  que  ce  se- 
t  nous  T>uIoir  tromper  nous-mêmes,  si  nous  croyons  qu'a  moins  de  cela 
cour  de  Home  le  fasse.  »  (Lionne  à  Chaulnes,  24  février  1668.  Home,  IStl.) 

3)  A  Chailnes,  27  avril  1668.  Home,  190. 

4)  Ainsi  dément  IX  reprend  pour  lui-même  et  s'approprie  expressément  la 
ote&tatioi  secrète  d'Alexandre  VU  contre  le  traité  de  Pise. 


216  CHAPITRE   DEUXIÈME 

telle  que  Tavance  du  chapeau  pour  M.  de  Béziers  (1)  ;  mais  Clé- 
ment IX  rejeta  toujours  celte  demande  avec  mépris,  et  il  finil 
par  n'entendre  plus  parler  de  Castro.  Le  roi  voulut  seulement 
se  réserver  le  moyen  de  réveiller  ce  différend  sous  un  autre  pon- 
tificat, et  Lionne  écrivit  au  duc  de  Ghaulnes  :  «  En  cas  que  Son 
Altesse  (le  duc  de  Parme)  veuille  faire  quelques  protestations, 
vous  devez  lui  accorder,  s'il  le  souhaite,  d*y  faire  intervenirquel- 
qu'un  de  vos  domestiques  pour  en  autoriser  davantage  Tacte, 
ainsi  qu*il  a  été  ci-devant  pratiqué  en  d*autres  pareils  actes, 
qui  est  bien  le  moins  qu'on  lui  puisse  accorder,  sans  que  cette 
cour,  qui  a  la  substance  de  ce  qu'elle  peut  désirer,  puisse  rai- 
sonnablement rien  trouvera  dire  à  cette  intervention  (2).  » 

Rien  n  avait  plus  contribué  à  délivrer  Clément  IX  de  ce  dan- 
ger que  son  application  constante  à  défendre  le  souvenir  de  son 
prédécesseur.  Louis  XIV  voyait  la  preuve  de  sa  résolution 
invincible  dans  les  marques  d'attachement  et  de  respecf  qu'il 
prodiguait,  avec  toute  la  cour  pontificale,  à  la  maison  Chigi. 
Il  retarda  longtemps  son  entrée  au  Quirinal  où  le  feu  pape  élait 
mort,  et  le  duc  de  Chaulnes  apprit  avec  dépit  de  sa  propre 
bouche  que  le  seul  motif  était  «  la  considération  de  ne  pas  se 
trouver  si  tôt  dans  les  appartements  d'Alexandre  VII,  dont  la 
mémoire  lui  devant  être  chère,  la  vue  des  lieux  ne  pouvait 
que  lui  renouveler  beaucoup  de  sentiments  tendres  quil  avait 
pour  lui  (3).  »  Don  Mario  Chigi,  dona  Bérénice  et  leu:  fils,  le 
cardinal  Flavio  Chigi,  ayant  été  atteints  en  même  tenps  des 
fièvres  romaines,  les  deux  premiers  moururent  à  quelques 
jours  Tnn  de  Tautrc  :  «  Quelle  joie,  écrivait  l'ambassadeur  de 
France,  aura  le  pape  Alexandre  de  revoir  son  frère,  dappren- 
dro  par  lui  le  bon  traitement  que  sa  famille  reçoit  dan;  ce  pon- 
tificat, et  que  pas  une  de  ses  inscriptions  en  marbre  l'ont  été 
effacées  (4)  !  »  Le  cardinal  Chigi  guérit,  et  le  duc  écritencore  : 
«  Il  n'y  a  pas  desoins  que  le  pape  n'ait  pris  de  lui,  y  mvoyant 
tous  les  jours  deux  fois,  et  son  antichambre  ayant  été  peu, 


(4)  Lionne  à  Chaulnes,  19  août  1667.  Rome,  187.  —  Chaulnes  au  •©?,  15  mai 
1668.  Rome,  191. 

(2)  22  juin  1668.  Rome,  191. 

(3)  Chaulnes  uu  roi,  15  novembre  1667.  Rome,  187. 

(4)  A  Lionne,  15  novembre  1667.  Rome^  187. 


CLÉMENT   IX    ET    L*AFPAIRE    DE   CASTRO  217 

dans  le  fort  de  son  mal,  sans  quelqu'un  des  parents  de  Sa  Sain- 
teté, laquelle  ayant  été  touchée,  comme  d'un  de  ses  proches, 
de  la  mort  de  don  Mario,  dit  le  lendemain  la  messe  des  morts 
à  son  intention  (1).  »  A  la  grande  indignation  du  ministre 
de  Louis  XIV  (2),  Clément  IX  comprit  dans  sa  première  pro- 
motion (12  décembre  1667),  avec  son  neveu,  Tabbé  Jacopo 
Rospigliosi,  et  le  prince  Léopold  deToscane,  le  jeune  donSigis- 
mondo  Chigi  (3),  âgé  de  dix-neuf  ans,  sévèrement  élevé  parle 
feu  pape  son  oncle,  intelligent,  modeste  et  dont  la  mort  pré- 
maturée devait  être  une  grande  perte  pour  TÉglise.  L'ancien 
nonce  de  France,  le  cardinal  Roberti,  auxiliaire  si  dévoué 
d'Alexandre  VII,  reçut  l'importante  légation  desRomagnes(4). 
Ces  démentis  publiquement  donnés  aux  prédictions  et  aux 
calomnies  du  palais  Farnèse  excitaient  le  ressentiment  de 
l'ambassadeur  et  redoublaient  son  désir  d'être  rappelé. 

C'est  surtout  par  son  zèle  pour  le  rétablissement  de  la  paix 
mtre  la  France  et  l'Espagne  que  Tancien  secrétaire  d'Etat  se 
non tra  continuateur  d'Alexandre  VII.  Dût-il  être  injurieuse- 
nent  écarté  du  futur  congrès,  comme  son  prédécesseur  Tavait 
té  de  celui  des  Pyrénées,  il  réclama  le  droit  de  faire  entendre 
des  princes  catholiques  la  voix  de  leur  père  commun.  Dès  le 


(1)  Chaulnes  au  roi»  29  Dovembre.  Rome^  187.  —  Nous  avons  cité  plus  haut 
ne  lettre  de  Machaut  nous  apprenant  que  Chigi  avait,  outre  les  parents  de 
lèment  IX,  vingt-cinq  ou  trente  cardinaux  autour  de  son  lit,  pendant  sa  ma- 
idie. 

(2)  Chaulnes  s'imagine  puérilement  que  \e  peuple  voudrait  voir  «  le  cbAtiment 
u  passé  »,  tandis  que  le  pape  accable  de  bienfaits  la  famille  d'Alexandre  VII. 
l  ne  pardonne  pas  à  Clément  IX  d'avoir  rendu  à  don  Sigismondo  les  35  ou 
0,000  écus  de  charges  que  sa  promotion  avait  fait  vaquer.  (Au  roi,  18  dé- 
?mbre  1667.  Rome,  187.) 

(3)  «  Il  cardinale  Sigismondo  porta  nella  età  di  vinti  tre  anni  la  dignità 
3n  tal  forma  che  si  concilia  amor  e  stima,  e,  se  il  progresso  negli  anni  non 
>  pregiudica,  fa  creder  dover  essere  ai  suoi  giorni  uno  dei  più  rispleudenti 
ardinali  nella  virtù  e  nella  esperienza.  »  {Relazione  di  Roma,  de  Grimani, 
671.  Relazioniy  t.  II,  p.  351.)  — Le  cardinal  Flavio  Chigi  céda  bientôt  an  jeune 
rélat,  avec  le  consentement  du  pape,  la  charge  de  préfet  de  la  signature  de 
istice,  mais  sous  la  condition  qu'il  ne  Texercerait  pas  en  personne  avant 
u'il  eût  trente  ans.  Jusque-là,  il  y  serait  suppléé  par  un  autre  cardinal,  et 
ouB  savons  par  Bourlemont  lui-même  qu'il  travaillait  assidûment  à  se  rendre 
ipable  de  bien  remplir  ces  importantes  fonctions.  (A  Lionne,  10  janvier  1668. 
orne,  189.) 

(4)  Machaut  à  Lionne,  2  août  1667.  Rome,  185. 


218  CHAPITRE   DEUXIÈME 

22  juin  (i),  il  avait  averti  Tambassadeur  de  Louis  XIV  qu 
venait  d'écrire  une  longue  lettre  au  roi  pour  lui  offrir  sa  mi 
diation  personnelle,  en  sollicitant  une  suspension  d'armes,  < 
d'inviter  son  neveu  à  se  rendre  de  Bruxelles  à  Saint-Gerraaic 
Le  duc  écrit  :  «  Ayant  trouvé  le  zèle  de  Sa  Sainteté  fort  lom 
ble,  mais  un  peu  trop  ardent,  »  je  répondis  que,  Votre  Mfi 
jesté  étant  sortie  le  26  mai  de  son  royaume,  il  serait  bie 
difficile  d'arrêter  «  le  cours  de  la  justice  qu'elle  se  faisait., 
Comme  je  voyais  que,  par  cette  proposition  de  Sa  Sainteté 
elle  s'exposait  un  peu  trop,  et  que  le  refus  d'une  chose  qu'ell 
se  mettait  peut-être  en  tête  d'espérer  pourrait  la  surprendre 
je  passai  outre.  »  Le  pape  insista,  et  Chaulnes  rencontrant! 
même  jour  le  cardinal  Azzolino,  lui  «  dit  plus  à  découvert  que 
si  Sa  Sainteté  faisait  instance  à  Sa  Majesté  de  suspendre  se 
résolutions  étant  à  la  tête  de  son  armée,  il  ne  fallait  pas  quec 
fût  dans  l'espérance  que  ce  pût  être  une  chose  possible.  » 

Lorsque  l'abbé  Rospigliosi  renouvela  les  mêmes  instance 
au  nom  de  son  oncle,  les  Français  avaient  conquis  une  pa 
tie  de  la  Flandre  et,  après  avoir  pris  Douai  et  Courtrai,  i 
allaient  bientôt  mettre  le  siège  devant  Lille.  Déjà  les  Hollai 
dais,  alarmés  de  voir  le  roi  s'approcher  de  leurs  frontières,  1 
avaient  demandé  de  s'expliquer  sur  ses  desseins  :  leurs  inqui 
tudes  se  communiquaient  à  d'autres  pays,  et  la  réponse  i 
Louis  XIV  à  la  cour  pontificale  se  ressentit  des  préoccup 
tions  que  lui  donnait  l'état  des  esprits  en  Europe.  Tout  ( 
déclarant  qu'il  ne  pouvait  pas  interrompre  les  voies  de  k 
sans  se  causer  un  préjudice  irréparable,  et  qu'étant  déjà  ei 
gagé  envers  d'autres  puissances,  qui  s'intéressaient  au  rél 
blissement  de  la  paix,  il  ne  croyait  pas  opportun  de  chois 
Rome  pour  siège  du  congrès,  il  prenait  un  ton  moins  alti 
et  acceptait  l'intervention  du  souverain  pontife,  qui  serait 
chef  de  tous  les  médiateurs.  D'ailleurs,  disait-il  au  duc  < 
Chaulnes,  «  je  veux  donner  à  Clément  IX  autant  de  pouvo 
en  France  qu'en  a  eu  autrefois  le  dernier  pape  du  même  no 
sur  le  grand  roi,  mon  aïeul.  »  Et  Lionne,  dans  une  lett 
particulière,  chargeait  l'ambassadeur  de  lire  au  pape  la  dép> 

(1)  Chaulnes  an  roi,  22  juio  1667.  liomej  184. 


(;UERRE    DES    «    DROITS    DE   LA    REINE    »  *219 

cheduroi,  sans  laisser  soupçonner  cette  suggestion  (i).  Par 
un  bref  très  affectueux,  qui  devait  parvenir  à  Lionne  vers  le 
temps  où  Tabbé  Rospigliosi  passerait  à  Paris,  le  pape  pressa 
le  ministre  d'appuyer  ses  conseils  pacifiques  (2).  Après  Toccu- 
palion  de  la  Flandre,  et  quand  on  sut  que  la  médiation  ponti- 
ficale était  acceptée  aussi  à  Madrid,  les  Français  eurent  pour 
Rome  des  attentions  dont  l'habitude  était  depuis  longtemps 
perdue.  Le  roi  envoya  par  un  exprès  au  souverain  pontife  le 
projet  de  traité  qu'il  offrait  à  l'Espagne,  cette  célèbre  aller- 
native  des  conquêtes  faites  jusque-là  dans  les  Pays-Bas,  où 
d'un  équivalent  comprenant  le  Luxembourg,  la  Franche- 
Comté,  le  Cambrésis  et  un  certain  nombre  de  places  fortes. 
A  entendre  Louis  XIV,  il  voulait  confier  au  saint-père  ses  plus 
secrètes  pensées,  et  il  accordait  une  suspension  d'armes  pour 
permettre  aux  Espagnols  de  délibérer  et  aux  médiateurs 
d'interposer  leurs  offices.  Le  même  jour,  Lionne  écrivait  au 
duc  de  Chaulnes(3)  :  «  Le  roi  voit  bien  qu'il  est  temps  de 
songer  à  faire  le  baptême  de  M»*"  le  Dauphin  (4).  Si  le  feu  pape 
avait  vu  les  années  de  saint  Pierre,  et  qu'on  eût  dû  attendre 
le  poil  follet  au  menton  de  mondit  seigneur,  Sa  Majesté  ne 
lui  aurait  pas  donné  cette  gloire  d'être  son  parrain.  Il  m'a 
passé  par  l'esprit  de  la  procurer  aujourd'hui  à  Sa  Sainteté,  si 
vous  reconnaissez  de  delà  qu'on  l'estime  autant  qu'elle  vaut 
en  effet;  autrement,  rien  ne  nous  presse.  En  cette  cérémonie, 
il  y  a  la  déclaration  d'un  légat.  Il  me  semble  que,  quand 
Henri  le  Grand  voulut  que  Paul  Quint  fût  le  parrain  du  feu 
roi,  il  fit  légat  pour  cette  occasion-là  M.  le  cardinal  de  Joyeuse. 
Le  même  choix  se  pourrait  faire  à  présent  et  Sa  Sainteté  choi- 
sir ou  le  cardinal  de  Vendôme,  ou  le  cardinal  Antoine,  selon 
que  Sa  Majesté  agréera  plus  Tun  ou  l'autre.  »  Si  cependant 
M.  I  abbé  Rospigliosi  faisait  accepter  à  l'Espagne  Yalterfiative 
Pt  qu'il  n'y  eût  plus  qu'à  signer  le  traité,  il  pourrait  venir  en 
France  pour  ces  deux  cérémonies. 


(1)  Ise  roi  et  Lionne  à  Chaulnes,  18  juillet.  —  Lionue  au  roi,  21  juillet  1667. 
Home,  185. 
(2}  16  août.  Romey  185. 

(3)  1er  octobre  1667.  Rome,  1«6. 

(4)  Qui  avait  alors  près  de  six  ans  :  il  était  aé  le  i^^  novembre  1661. 


220  CHAPITRE   DEUXIÈBfE 

L'ambassadeur  répondit  :  L'offre  d'être  parrain  du  dauphin 
fera  vivre  le  pape  «  dix  ans  de  plus  ».  —  Il  a  «  pris  feu  »  sur  le 
baptême  et  dit  qu'il  recevra  avec  toute  la  joie  possible  celte 
preuve  de  Tamilié  du  roi  (4). —  Il  loue  le  roi  de  sa  disposition 
à  traiter^  «  et  comme  Sa  Sainteté  parle  bien  et  aime  à  parler» 
et  que  la  langue  italienne  a  encore  plus  de  force  que  la  nêtre 
et  des  manières  plus  touchantes,  je  ne  pourrais  rien  dire,  Sire, 
de  plus  à  Votre  Majesté  qui  ne  fût  beaucoup  au-dessous  des 
expressions  que  Sa  Sainteté  me  fit  (2).  »  —  Mais  le  pape  était 
trop  sensé  et  trop  bien  informé,  notamment  par  Tabbé  Jacopo 
Rospigliosi  (3),  pour  se  méprendre  sur  les  vrais  sentiments  de 
Louis  XIV.  11  devinait  fort  bien  que  la  proposition  de  tenir 
le  dauphin  sur  les  fonts  du  baptême  ne  serait  qu^un  acte  de 
déférence  simulée.  Il  se  faisait  lire  toutes  les  gazettes  de  Paris, 
sachant  que  l'article  de  Rome  était  rédigé  par  Lionne  lui-même 
ou  sous  son  inspiration  directe,  et  il  y  avait  vu  cette  nouvelle 
avec  la  désignation  précise  du  cardinal  de  Vendôme  comme 

(1)  A  Lionne,  17  octobre  et  27  décembre  1667.  Rome,  186  et  187. 

(2)  Au  roi,  !«'  novembre  1667.  Rome,  187.  C'est  alors  seulement  que  Lionne 
répondit  an  bref  du  16  août  :  «  Très-Saint  Père,  disait-il,  une  indisposition  qui 
me  tient  au  lit  depuis  huit  jours  me  force  à  no  pouvoir  que  par  le  secours 
d'une  main  étrangère  rendre  mille  actions  de  très  humbles  grâces  à  V.  S. 
de  rhonneur  incomparable  qu'elle  m'a  fait  de  me  déclarer  ministre  aposto- 
lique auprès  du  roi,  dans  un  rencontre  d*au8si  grande  importance  que  l'est 
sans  doute  tout  ce  qui  peut  regarder  le  rétablissement  du  repos  de  la  chré- 
tienté. J'ai  tâché  de  m'acquitter  le  mieux  que  j'ai  pu  de  ce  glorieux  ministère 
afin  de  la  convier,  par  l'accomplissement  de  ses  intentions,  à  m'honorer  sou- 
vent de  la  même  qualité;  car  non  seulement  elle  n'a  rien  d'incompatible  avec 
celle  de  ministre  du  roi,  mais  je  puis  dire,  dans  les  sentiments  où  je  vois  tous 
les  jours  S.  M.  d'une  profonde  vénération  pour  la  sacrée  personne  de  V.  B- 
et  d'un  très  ardent  désir  de  lui  complaire  en  toutes  choses  possibles,  que  cet 
emploi  de  leur  ministre  commun  pourrait  facilement  et  à  l'avantage  de  U 
chrétienté  être  toujours  exercé  par  une  même  personne.  »  (28  octobre  1667. 
Rome,  186.) 

(3)  «  ...  Niun  uipote  di  papa  è  comparsoin  tcatro  più  iuformato  di  lui;  meu  • 
tre  in  corte  Cattolica  fu  sempre  a  parte  délia  lunga  nunziatura  del  zio,  nella 
secreteria  di  Stato  in  Roma  era  l'unico  direttore,  formando  lettere  e  risposte 
negli  affarl  dei  principi.  Insorti  poi  li  turbini  per  le  pessime  rcsolutioni  con 
l'ambasciatore  Crequi,  fu  prima  epedito  a  San  Quirico  e  poi  a  Livorno  con  in- 
tcutioue  piuttosto  di  portar  le  lusinghe  di  palazzo  che  di  soddisfare  Tamba- 
sciatore  duca.  E,  aggiustato  in  fine  il  negotio,  fu  nella  legatione  di  Chigi  spe- 
dito  in  Francia  a  conceriare  le  formalità  del  irattamento,  e,  ritornato  in  Roma, 
con  titolo  d'internuntio  passai  in  Fiaudra,  etc.  »>  (Relazionef  de  Quirini,  t.  Il, 
p.  330.)  —  En  1667,  il  avait  trente-huit  ans. 


GUERRE  DES    «    DROITS   DE   LA    REINE    »  221 

égat^  avant  d'avoir  reçu  aucune  instance  formelle.  Louis  XIV 
'oulait  évidemment  que  l'acceptation  de  Clément  IX  parût 
ilutôt  imposée  que  sollicitée.  Le  duc  de  Chaulnes  lui-même 
»làma  ce  procédé  (1),  et  Lionne  lui  répondit  avec  beaucoup 
l'aigreur  :  <(  Le  roi  avait  dit  confidemment  à  Monsieur  sa 
»enséc  sur  le  baptême  deM^'  le  Dauphin,  et  Monsieur  a  laissé 
pancher  ce  secret  ;  mais  il  n'y  a  pas  en  cela  grands  inconvé- 
lients  ;  car,  si  ce  que  vous  en  direz  à  M.  l'abbé  Rospigliosi  n'y 
rouvait  pas  Testime  que  la  chose  mérite,  Sa  Majesté  pourrait 
trendre  d'autres  pensées  (2).  »  D'un  autre  côté  nous  lisons 
lans  la  relation  de  l'ambassadeur  vénitien  Quirini  :  <(  Sotto 
[uestc  nccessarie  apparenze,  ben  conosce  il  pontefice  che  la 
■"rancia  principià  laguerra  con  felice  temerità  e  che  la  média" 
ione  délia  pace,  dalla  stessa  corona  introdotta,  non  habbia 
iltro  oggetto  che  il  Rè  cattolico  lusingato  disarmij  e  disar- 
nato  s'opprima  (3).  » 

Aussi,  tout  en  remerciant  le  roi  de  sa  prétendue  confi- 
lencé,  Clément  IX  répondit  nettement  au  duc  de  Chaulnes 
]ue  depuis  quelque  temps  déjà  ses  nonces  lui  avaient  appris 
;es  conditions  léonines,  et  lui  représenta  l'impossibilité  de 
es  faire  accepter  à  Madrid.  L'ambassadeur  écrivit  :  Sa  Sain- 
eté  m*a  demandé  «  comment  les  Espagnols  proposeraient 
le  s'accommoder  sur  les  conquêtes,  laissant  toujours  le  môme 
iroit  à  Votre  Majesté  sur  le  Brabant  et  autres  lieux.  Elle  pour- 
suivit que,  pour  accommoder  les  affaires,  il  fallait  parler  contre 
;elui  qui  était  présent  et  en  faveur  des  absents,  et  qu'ainsi,  me 
roulant  aussi  parler  à  cœur  ouvert,  sans  que  cela  fit  consé- 
[uence,  elle  voyait  une  grande  difficulté  de  laisser  toujours  la 
nême  matière  de  reprendre  les  armes.»  Mais  toute  discussion, 
oute  remontrance  était  importune  à  Louis  XIV.  Le  pape  fut 
iverti  que,  si  les  Espagnols  ne  signaient  pas  dans  les  trois  mois, 
^s  instances  pour  la  prolongation  de  l'armistice  seraient  mal 
iccueillies  (4)  :  «  Vous  déclarerez  à  Sa  Sainteté,  disait  le  roi  (5), 


(l)  A  Lionne,  22  novembre  1667.  Rome^  187. 
(3)  A  Chanloes,  16  décembre  1667.  Rome^  187. 

(3)  /{e/asioni,  II,33i. 

(4)  Chaulnes  au  roi,  !•'  novembre  1667.  Romet  187. 

(5)  Le  roi  à  Chaulnes,  25  novembre.  Rome,  187. 


222  CHAPITRE   DEUXIÈME 

ce  qu'il  faudra  porter  doucement  en  manière  d*u(ie  seconde 
confidence  que  je  lui  fais,  qu^ii  n'y  aura  rien  à  augmenter  ni  à 
retrancher  de  part  ni  d'autre,  et  que  les  Espagnols  n'auront 
qu'à  accepter  ou  à  refuser  Tune  des  alternatives  que  j'offrirai, 
personne  ne  pouvant  me  donner  le  tort,  quand  je  voudrai  bien 
me  contenter  de  sacrifier  au  bien  public  toutes  les  espérances 
de  plus  grands  progrès,  par  la  simple  rétention  de  ce  que  me^ 
armes  ont  occupé  en  trois  mois  de  temps  et  que  l'on  ne  m'ôtera 
pas  facilement.  »  Pour  rendre  ses  offices  plus  efficaces. 
Clément  IX  avertissait  le  roi  qu'il  se  ferait  représenter  au  con- 
grès par  le  nonce  de  Cologne,  Franciolti  (1),  archevêque  de 
ïrébizonde,  qu'on  pouvait  soupçonner  de  quelque  prévention 
contre  les  Espagnols. 

La  régente  d'Espagne  avait  fait  observer  que  les  villes  pro- 
posées par  les  Français  pour  l'assemblée  des  plénipotentiaires, 
Liège  et  Cologne,  étaient  trop  près  de  Paris  ettroploinde 
Madrid,  et  que  Tune  des  deux  cours  aurait  les  nouvelles  trois 
semaines  plus  tôt  que  Tautre  ;  elle  demandait  Rome,  Tilc  des 
Faisans  ou  Venise.  Elle  désirait  que,  pendant  les  négociations, 
les  places  conquises  fussent  confiées  au  souverain  pontife  : 
Clément  IX  ne  voulut  pas  même  appuyer  cette  dernière  con- 
dition ;  mais  il  offrit  volontiers  Rome  pour  siège  du  congrèS; 
et  promit  toutes  les  dispenses  et  libertés  nécessaires  pour 
lever  les  scrupules  des  médiateurs  protestants.  Le  roi  affecta 
de  croire  à  une  entente  secrète  du  pape  avec  les  Espagnols, 
et,  lorsque  l'abbé  Vibo  (2),  que  le  cardinal  Roberti  avait 
laissé  comme  internonce  en  Franco,  communiqua  au  ministre 
la  proposition  pontificale.  Lionne  lui  répondit  avec  colère 
que   si   Ton  souhaitait  Rome,   l'Espagne  y   traiterait   toute 

(1)  M  Ce  nonce,  «'•crivit  Uourlcmout,  est  ncvou  «lu  cardinal  de  ce  nom.  qui 
mourut,  il  y  a  environ  deux  ans,  porsonnago  de  grand  mérite  et  d'uue  insigue. 
piét6;  c'rtalt  un  dos  papablcs  de  Tancien  colU'ge  et  les  Espagnols  lui  avaient 
fait  secrètement  l'exclusion  après  la  mort  «l'Innocent  X,  le  croyant  trop  sévère 
et  tropzéKipour  le  droit  du  saint-siège  et  le  maintien  delà  juridiction  ecclésias- 
tique ...  *>  L'archevêque  de  Trébizonde  avait  été  vice-légat  d'.Vvignon  et  il  était 
en  commerce  intime  avec  l'abbé  ilospi^Iiosi.  Bourlemout  le  jugeait  donc  peu 
favorable  à  l'Espagne.  (A  Lionne,  H  ««ctobre  16G7.  Hojnc,  186.) 

(2)  Michel-Antonio  Vibo  unissait  une  grande  fermeté  aux  manières  les  plus 
courtoises  et  puppléait  dignement  le  nonce  Iloberti;  il  mourut  arcbcvètiue  de 
Turin. 


GUERRE    DES    «    DROITS   DR   LA    REINE    »  223 

seule  (  1  ) .  Vainement  le  pape  avait  donné  au  duc  de  Chaulnes  les 
plus  franches  explications  :  Il  avait,  disait-il,  montré  sa  bonne 
volonté  en  acceptant  tout  de  suite  le  premier  lieu  qu'on  lui 
avait  désigné,  et  en  y  accréditant  un  nonce.  Puisqu'on  y 
voyait  des  difficultés,  il  ouvrait  un  nouvel  avis,  dont  le  duc  de 
Chaulnes  lui-même  faisait  valoir  les  avantages  (2)  :  le  choix 
de  Rome  serait  plus  favorable  à  la  rapidité  des  négociations  ; 
et  le  pape,  pour  obtenirles  moyens  de  secourir  à  temps  la  ville 
de  Candie,  pour  régler  sans  plus  de  retard  les  affaires  du  Por- 
tugal privé  d'évèques  depuis  un  grand  nombre  d'années, 
exercerait  en  personne  sur  les  Espagnols  une  pression  con- 
forme aux  désirs  et  aux  intérêts  du  roi.  D'ailleurs,  Clément  IX 
n'insistait  pas  pour  qu'on  traitât  chez  lui,  et  il  prenait  envers 
Tambassadeur  français  l'engagement  de  se  rendre  en  personne 
((  du  jour  au  lendemain  »  à  Venise  ou  dans  toute  autre  ville 
dont  on  conviendrait  (3). 

La  proposition  de  la  reine  d'Espagne  et  l'agrément  donné 
par  Clément  IX  au  choix  de  Rome  ne  déplaisaient  peut-être 
pas  à  la  cour  de  France  autant  qu'elle  le  fit  paraître  (4),  et  un 

(1)  Vibo  s'étaot  plaint  aa  pape  du  langage  violent  de  Lionne,  celui-ci  écrivit 
a  Ch&ulnes  :  «  Il  peut  fort  facilement  être,  quoique  je  ne  m'en  souvienne  pas 
précisément,  que,  lorsque  l'abbé  Vibo  me  parla  de  traiter  à  Rome,  je  lui  fis 
la  réponse  aussi  crue  qu'il  Ta  mandé  au  cardinal  Âzzolino  que  VEspagney  trai- 
terait donc  toute  seule.  »  Et  il  ne  se  défendait  guère  d'avoir  parlé  à  l'inter- 
oonce  «  avec  grande  sécheresse  ».  (27  janvier  1668.  Romej  189.) 

(2)  Chaulnes  exposait  d'abord  les  objections  :  Le  pape  est  bien  intentionné 
pour  la  France,  mais  les  cardinaux  Azzolino  et  Otthoboni  penchent  secrètement 
pour  l'Espagne  et  pourront  faire  incliner  le  pape  de  ce  côté.  Les  raisons 
d'accepter  sont  celles-ci  :  on  gagnera  beaucoup  de  temps.  Le  pape,  pour  sau- 
ver Candie,  pressera  l'Espagne  de  s'accommoder.  Les  affaires  de  Portugal  se 
termineront  plus  facilement  à  Rome  qu'ailleurs,  le  pape  y  étant  très  intéressé, 
à  cause  de  la  provision  des  évèchés.  —  Dans  une  dépèche  particulière  à 
Lionne,  le  duc  de  Chaulnes  demandait  que  le  roi  acceptât  Rome,  —  ou  qu'alors 
il  lui  donnât  de  belles  et  bonnes  raisons  pour  réfuter  celles  du  pape,  qui  s'é- 
tait avancé  fort  loin.  11  indiquait  même  le  moyen  d'écarter  les  difficultés  de 
forme  auxquelles  le  roi  paraissait  s'attacher.  Les  médiateurs  protestants,  di- 
sait-il, qui  ne  voudraient  pas  résider  en  permanence  à  Rome,  pourraient  s'é- 
tablir à  San  Quirico,  comme  on  l'avait  vu  déjà  sous  Urbain  VIIL  (8  décembre 
1667.  Rome,  187.) 

(3)  Chaulnes  au  roi  et  à  Lionne,  8  décembre  1667.  Rome,  187.  —  Au  roi, 
3  janvier  1668.  Rome,  189. 

(k)  Castel-Rodrigo,  «  ne  sachant  encore  rien  de  ce  gui  se  passait  entre  Madrid 
et  ie  pape,  a  donné  de  deçà  dans  un  terrible  panneau,  contre  l'intention  de 


224  CHAPITRE  DEUXlÈBfE 

document  authentique,  ignoré  jusqu'à  ce  jour,  semble  prouver 
qu'elle  fut  sur  le  point  d'accéder  aux  désirs  du  souverain 
pontife  :  c'est  la  minute,  écrite  par  Lionne  lui-même,  du  pou- 
voir donné  au  duc  de  Chaulnes  pour  traiter  de  la  paix  à  Rome; 
le  roi  s'y  félicite  «  que  la  paix  se  puisse  conclure  et  signer  à 
Rome,  aux  yeux  de  Sa  Sainteté  et  par  son  entremise.  »  Cet 
instrument  diplomatique  est  complet  et  daté  de  février  1668  : 
Lionne  n'avait  laissé  en  blanc  que  le  jour  du  mois,  et  il  a  écrit 
ensuite  de  sa  main,  en  tête  du  pouvoir,  qu'  «  il  ne  fut  ni  en- 
voyé ni  expédié  (i)  ». 

En  retardant  le  congrès  et  en  éludant  les  conseils  désinté- 
ressés de  celui  qu'il  avait  appelé  le  chef  de  tous  les  médiateurs, 
Louis  XIV  croyait  avoir  le  temps  de  consommer  ses  desseins 
contre  l'Espagne.  Par  l'habileté  sans  scrupule  du  chevalier  de 
Grémonville,  qu'il  appelait  lui-même  «  le  plus  effronté  mi- 
nistre »  qui  fût  au  monde,  il  venait  d'obtenir  à  Vieime  un 
succès  inespéré  :  le  19  janvier  1668,  la  succession  éventuelle 
du  roi  d'Espagne  Charles  II  avait  été  partagée  entre  le  roi 
de  France  et  la  branche  allemande  de  la  maison  d'Autriche. 
Le  lendemain,  Louis  XIV  informait  le  pape,  «  par  respect 
filial  »,  qu'il  allait  entrer  dans  dix  jours,  en  Franche-Comté, 
à  la  tête  d'une  armée.  Le  premier  des  motifs  que  j'en  ai,  di- 
sait-il, est  de  «  donner  plus  de  moyens  à  Votre  Béatitude,  par 
cette  expédition,  si  mes  armes  y  sont  heureuses,  de  disposer  les 
Espagnols  à  la  paix  (2).  »  Défiant  les  justes  alarmes  de  l'Europe, 
il  envahit,  le  2  février,  le  territoire  de  son  neveu,  et,  le  19  du 
même  mois,  il  achevait  la  conquête  de  la  Franche-Comté  «  en 
un  temps  plus  court,  a-t-il  dit  lui-même,  qu'il  n'en  faudrait 
peut-être  à  un  voyageur  pour  en  traverser  la  longueur  (3).  » 

Cependant  Clément  IX  pensait  qu'au  printemps  suivant 
Candie  aurait  besoin  de  nouveaux  renforts,  sans  lesquels  elle 


sa  mattreâse,  »  et  a  proposé  Aix-Ia-Chapclle  à  Franciotti.  Profilez  de  cela  pour 
faire  croire  au  pape  que  les  Espagnols  tiennent  deux  langages,  et  que  Castel- 
Rodrigo  n'a  pu  offrir  Aix-la-Chapelle  sans  l'ordre  exprès  de  sa  cour.  (Lionne 
et  le  roi  à  Chaulnes,  28  décembre  1667.  Home,  187.) 

(1)  Borne,  195. 

(2)  20  janvier  1668.  Rome,  189. 

(3)  A  Chaulne:",  16  mars  1668,  Rome,  190. 


GUERRE  DES    ((   DROITS    DE    LA    REINE   »  225 

uccomberait  infailliblement,  et  qu'après  la  perte  de  ce  royaume 
Italie  ne  tarderait  pas  à  être  menacée.  Le  duc  de  Chaulnes, 
•op  bien  instruit  des  intentions  de  son  maître,  n'avait  que  du 
édainpour  les  projets  militaires  du  souverain  pontife  :  «  Notre 
urenne,  écrivait-il  à  Lionne,  est  commandé  pour  le  secours 
e  la  Candie.  A  ce  nom,  ne  connaissez-vous  pas  le  marquis 
lattei  dont  le  feu  pape  menaçait  toute  la  France?  Ha  !  pauvres 
urcs  !  que  deviendrez-vous  ?  »  Raillerie  doublement  mal- 
eurcuse,  car  le  soldat  qui  en  était  l'objet  allait,  quelques 
)ois  après,  mourir  comme  Turenne  sur  le  champ  de  bataille, 
n  couvrant  d'une  gloire  nouvelle  un  nom  déjà  illustre  et  le 
rapeau  pontifical,  sous  lequel  il  combattait  (i)  !  Dès  lespre- 
liers  jours  de  Tannée  1668,  le  pape  avait  préparé  l'ouverture 
e  la  campagne  (2).  Aussitôt  qu'il  connut  l'expédition  de 
ranche-Comté,  il  écrivit  un  bref  pathétique  au  roi  en  fa- 
eur  de  la  paix  (3),  et,  trois  jours  après,  le  bruit  s'étant  répandu 

.1}  17  octobre  1667.  Home,  18G.  —  Alexuudre  VU  uavait  jamais  menacv  la 
'uuce  ;  menacé  lui-môme  par  Louis  XIV,  il  avait  simplement  char^'é  le  mur- 
lis  Mattei,  son  sujet,  qui  s'était  fait  une  brillante  réputation  dans  les  armées 
>  TEnipcreur,  de  préparer  la  défense  des  États  de  TKglise  tnnt  que  cette  dé- 
Qsc  avait  été  possible.  Le  18  juin  1668,  le  duc  de  Cbaulues  eut  la  mortifica- 
>n  d'écrire  à  Lionne  :  '<M.  Mattei,  qui  commandait  les  troupes  du  pape  en 
mdie,  y  a  été  tué.  »  (Home.  191.) 

(2)  «  Le  pape  donne  ses  galères  à  la  République  pour  le  secours  de  Candie, 
l'ambassadeur  fera  ce  qu'il  pourra  pour  obtenir  <{ue  S.  S.  demande  à  V.  M. 
même  grâce  qu  elle  fît,  l'année  passée,  au  pape  Alexandre  de  donner  la  liberté 
IX  f^alères  d'Espagne  de  pouvoir  être  employées  à  ce  secours,  »  en  promet- 
ut  de  ne  les  pas  faire  attaquer  dans  certains  parages.  (Chaulnes  au  roi, 
janvier  1668.  Rome,  189.) 

,:^)  11  et  U  février  1668.  Hotne,  189  :  '<  Quo  magis  enlxe  ac  Indcsineuter  cum 
Domino  petimus,  tum  etiani  eluboramus  ut,  reductA  Christianitati  pace, 
incipum  annaa  niutuis  cladlbus  in  hostem  communem  et  graviter  ho  iie  nos 
tpuguantem  convertantur,  eo  profecto  dolentius  audimus  nihil  adhuc  eorum 
i&e  tractatum  rerum  componcndarum  respioiuiit  actum  e:fsc:  cum  intérim 
ibatur  tempus  quod  hujusmodi  tractationi  et  optatîc  pacis  colligendo  fruc- 
i  Tel  maxime  opportunum  et  peridoneum  foret.  Verum  huic  tanto  mœrori 
ramen  aliquod  attulit  Majestatis  Tuiy  gravis  in  primis  atque  amstatis  asserlin 
là  notlis  ea  piano  confirmât  voluntatis  ad  pacem  propensuî  suie  studium. 
7»/e  uilo  rerum  sunrum  in  hnc  e.rpeditione  quautumvis  prospero  successit 
nditiones  (Y/s  {//im^^a/f/m //*/ quibur  couteutam  se  fore  hucusque  dcclaravif . 
"»*  equidem  ex  parte  nosln\  promoveudis  tractatibus  pacis  ac  stabilimento 
us  procurando  quantum  maxime  in  nobis  erit  incessanter  incumbemus,  ne- 
itj  intérim  rébus  Candiw  ad  extremum  discrimcn  rcilactis,  ac  pnrsentauoo 
ixilio  indigentibus,  qua  .'iTarii  proprii  reiiquiis  rolligiMidis  atque  corrodendis, 

LOUIS  XIV  ET  LE  .<*A1.^T-SIK0K.  —  U.  15 


226  CHAPITRE  DEUXIÈME 

que  les  Français  allaient  attaquer  Naples  ou  le  Milanais,  il  se 
plaignit  au  roi  lui-même  avec  autant  d'énergie  que  le  per- 
mettait la  nécessité  de  ménager  Torgueil  du  conquérant.  Il 
déplorait  la  lenteur  des  négociations  ;  il  rappelait  habilement 
la  promesse  faite  par  le  roi  de  s'en  tenir  à  V alternative ^  quel 
que  fût  le  succès  de  la  nouvelle  entreprise,  et  il  réclamait 
l'engagement  de  respecter  le  territoire  italien  pendant  une 
année  au  moins.  Louis  XIV  répondit  de  mauvaise  grâce  qu  il 
s'abstiendrait  d'attaquer  les  princes  italiens  qui  ne  lui  donne' 
raient  aucun  sujet  de  plainte,  réservant  toute  sa  liberté  contre 
les  Espagnols  (1).  Il  n'aurait  pas  déféré  à  la  médiation  pater- 
nelle et  impartiale  du  pape  ;  il  dut  subir  la  médiation  impé^ 
rieuse  et  intéressée  de  l'Angleterre,  de  la  Hollande  et  de  la 
Suède,  qu'appuyaient  les  princes  allemands  réunis  à  Cologne. 
«  La  Triple  alliance,  d'une  part  (23  janvier  1668),  et  la  défec- 
tion du  Portugal,  de  l'autre  (4  3  février),  étaient  les  conséquences 
de  la  guerre  de  Flandre  et  devaient  en  amener  promptemenl 
le  terme  (2).  »  Les  articles  de  paix,  d'abord  arrêtés  à  Saint- 
Germain  (15  avril),  furent  acceptés  et  confirmés  parle  congrès 
d'Aix-la-Chapelle  sous  la  présidence  du  nonce  Franciolli 
(2  mai  1668).  Estimant  encore  que  la  bienveillance  pontificale 
pouvait  servir  ses  projets,  Louis  XIV  espéra  se  la  concilier 
par  des  démonstrations  aiïectées  qui  ne  trompaient  plus  les 
Romains  :  «  Notre  modération,  écrivait-il  au  pape,  aura  procuré 
au  pontificat  de  Votre  Sainteté  l'éclatante  gloire  qui  le  doit 
rendre  si  rccommandable  au-dessus  de  tous  les  précédents,  en 
ce  que  l'autorité  de  Votre  Sainteté,  par  le  respect  filial  que 
nous  avons  porté  à  sa  seule  personne,  aura  mis  la  paix  entre 
tous  les  potentats  et  princes  chrétiens,  ce  qui  ne  s'était  pas  vu 


qiià  pênes  principes  ofBclis  ulld  in  re  certe  desumus.  Sed  qnoniam  dubiUtio 
de  gallicis  armis  in  Italiam  descedsuris  diversos  principes  a  fereodis  Candis 
quaiibuscumque  ^ubsidiis  rctrahere  iudubie  poicM,  quo  robur  aUquod  Tirium 
ex  bis  regionibus  cogère  possimus,  et  t)arbari9  illls  furentibus  opponere.  a 
MajestateTuA  vehemeuter  etiam  atquc  ctiam  pctimu-:  ut,  pro  eiitnlA  pletale  suA 
et  iinpeuao  religionis  cbri^liauaî  studio,  dubitalionem  hujunmodi  avfrrtt  rf- 
/i7,  securitaivm  îiobis  impcrltendo  dr  non  tran^mitlrndis  terrd  marive  io*o 
prœsentisanni  lempore  armis  in  lialiam...  » 

(1)  Le  roi  au  pape,  i6  mars  1668.  Home,  190. 

(2)  Mignet,  Succession  d'Espagne^  t.  II,  p.  577. 


GUERRE  DES    u    DROITS   DE   LA    REINE    »  237 

depuis  plusieurs  siècles.  »  Dites  à  Rome,  écrivait-il  en  même 
temps  à  son  ambassadeur,  que  le  traité  déQnitif  va  être  signé 
dans  l'assemblée  d'Aix-la-Chapelle  et  que  J'ai  disposé  toutes 
choses  pour  que  le  préambule  contienne  une  mention  hono- 
rable du  pape  et  de  son  neveu.  A  Tentendro  (1),  le  pape  était, 
de  tous  les  médiateurs,  celui  m  qui  avait  eu  le  plus  de  part  à 
promouvoir  la  paix  et  à  l'achever.  »  Quelles  louanges  n'étaient 
pas  dues  au  père  commun  «  qui  avait  pris  tant  de  soin  de  la  ré- 
conciliation de  sespremiersetpluschers  enfants(2)!...)) Lionne 
répotidait  au  cardinal  Rospigliosi  :  «  Si  je  n'écrivais  à  un  grand 
et  pieux  cardinal,  auquel  daillcurs je  dois  et  veux  rendre  tou- 
jours tant  de  respect,  je  me  hasarderais  à  lui  dire, pour  lui  mieux 
exprimer  la  qualité  de  ma  tendresse ,  que,  jamais  lettre  d'aucune 
maltresse  que  j'aie  bien  aimée,  pendant  les  bouillons  de  la  jeu- 
nesse) ne  m'a  cause  de  joie  si  sensible  et  si  touchante  qu'en  a 
produit  en  mon  cœur  celle  dont  il  a  plu  à  Votre  Éminence 
de  m'bonorer  le2"  de  ce  mois,  etc.  (3).  »  M.  de  Chaulnes  donna 
aux  Romains  le  spectacle  d'un  feu  d'artifice  dessiné  par  le  cava- 
lier Bernin  :  c(  Comme  tout  le  but  de  cette  fêle  était  de  faire 
voir  au  public  en  raccourci  ce  qui  s'était  passé  dans  la  négo^ 
ciation  de  la  paix,  de  laquelle  la  gloire  était  due  à  Sa  Sainteté, 
la  représentation  en  était  d'un  monde  en  l'air,  sous  lequel 
paraissaient  un  nombre  infmi  do  flammes  et  au-dessus  étaient 
trois  figures  :  l'une,  au  milieu  et  plus  élevée,  représentait  la 
majesté  pontificale,  et  les  deux  autres  la  victoire  et  la  guerre, 
Tune  de  ces  deux  dernières  soumettant  ses  palmes,  et  Tautre 
ses  armes,  aux  pieds  de  la  première,  laquelle  en  les  recevant 
sauvait  le  monde  de  Tembrasement  dont  il  était  menacé. ..(4).  » 
Mais,  quelques  jours  après  cette  fêle,  à  l'occasion  d'un  inci- 

(1)  Le  roi  au  pape  et  à  CbaulucA,  IG  avril  1668.  Hotnet  190. 

(2)  Chaulnes  à  Liouoe,  3  mai  :  «  Les  termes  de  lu  lettre  du  roi  où  il  est  dit 
que  les  armes  lui  sont  tombées  des  malus  lorsque  le  nonce  de  S.  S.  a  demandé 
à  S.  M.  la  suspension  jus^qu'ù  la  fin  de  mai,  a  fait  verser  plus  de  larmes  de 
joie  au  {lape  qu'il  n'en  répandra  dans  une  gruude  douleur  et  jd  crois  que  le 
roi  lui  a  prolongé  ses  jour:)  de  plus  de  dix  ans.  »  Mais  l'ambassadeur  sait  bien 
que  le  langage  royal  n'est  pas  sincère,  et  il  eu  félicite  Lionne  comme  d*un 
M  coup  de  mailre.  »  (Home^  191.) 

(:$)  Le  roi  au  pape,  et  Lionne  à  Rospigliosi,  27  mai  1668.  Rome,  191. 
(4)  27  juin  1668.  Roviey  19:2.  «  Divertissement  donné  par  le  duc  de  Chaulnes 
pour  la  paix.  » 


228  CHAPITRE   DEUXIÈME 

dent  auquel  donna  lieu  l'exécution  du  traité,  Louis  XI  Vs  ifaait 
signifier  au  pape  qu'il  eût  à  ne  pas  prendre  au  sérieux  son  rôle 
de  médiateur  :  Castel-Rodrigo  refusait  de  livrer  les  places 
fortes  de  Condé  et  de  Link,  non  dénommées  dans  les  articles, 
et  que  les  Français  réclamaient  comme  dépendances  de  lieux 
plus  clairement  désignés.  Van  Benningen,  ministre  des  Etals 
généraux,  proposa,  comme  il  était  naturel,  d'en  référerais 
Commission  des  limites  :  mais  le  roi  de  France  ne  permit  pas 
même  une  objection.  Lionne  écrivit  à  Chaulnes  (t)  :  «  Le  Hol- 
landais a  fait  ce  qu'il  a  pu  pour  se  décharger  d'écrire  [à 
Bruxelles  et  à  Madrid]  et  pour  jeter  M.  le  nonce  dans  Taffaire, 
se  flattant  sans  doute  que  la  considération  que  le  roi  a  tou- 
jours, et  en  toute  sorte  d'affaires,  pour  notre  saint-père  le  pape 
donnerait  peut-être  lieu  à  Sa  Sainteté  de  tirer  les  Espagnols 
de  celle-ci  sans  qu'il  leur  en  coûtât  rien  ;  mais  j'avertis  M.  le 
nonce,  quand  il  m'en  vint  parler  à  son  induction,  de  ne  donner 
pas  dans  ce  piège  et  de  laisser  courir  une  chose  où,  comme  je 
croyais  bien  que  Sa  Sainteté  ne  voudrait  pas  presser  le  roi  de 
rien  qui  lui  fût  préjudiciable,  je  voyais  aussi  d'autre  côté  que, 
si  elle  le  faisait  touchant  un  droit  si  clair  et  si  incontestable, 
Sa  Majesté,  à  son  grand  regret,  ne  pourrait  pas  avoir  pour  elle, 
en  ce  rencontre,  la  même  complaisance  qu'elle  aura  en  tout 
autre.  » 

Clément  IX  recueillit  pourtant,  dès  cette  époque,  quelque 
fruit  de  ses  cllorts  incessants  en  faveur  des  pays  chrétiens, 
occupés  ou  menacés  par  les  Turcs.  Louis  XIV  promit  d'assis- 
ter Candie  dans  son  extrême  détresse.  Le  8  mai  1668  (2),  il 
autorisa  le  duc  de  Chaulnes  à  déclarer  au  pape  que,  retenu  par 
la  crainte  de  ruiner  son  commerce  avec  le  Levant,  il  ne  pou- 
vait penser  à  secourir  ouvertement  les  assiégés;  mais,  disait- 
il,  «  je  ne  laisserai  pas  d'assister,  autant  qu'il  sera  en  mon 
pouvoir,  la  République,  pour  lui  donner  moyen  de  sauver  la 
Candie,  ou  par  des  secours  d'argent,  ou  par  la  permission  de 
faire  des  levées  secrètes  dans  mes  Etals,  à  quoi  ce  même  ar- 
gent pourra  être  employé,  étant  néanmoins  distribué  par  ses 
ofliciers,  sans  que  les  miens  y  paraissent.  »  On  verra  bientôt 

(1)  6  juillet  1668.  Rome,  102 

(2)  Rome,  191. 


GUERRE    DES    «    DROITS   DE   LA    REINE    »  229 

avec  quelle  persévérance  le  pape  s'appliquait  à  entretenir  cette 
nouvelle  disposition  dans  l'esprit  de  Louis  XIV. 

11  est  vrai  que,  tout  en  résistant  aux  prétentions  injustes  des 
princes,  il  ne  leur  refusait  aucune  des  marques  de  condescen- 
dance compatibles  avec  les  droits  de  l'Église:  encore  ne  concé- 
da-t-il  des  grâces  depuis  longtemps  sollicitées  qu'après  avoir 
assuré  à  son  pontificat  une  réputation  qui  défiât  tout  soupçon 
de  calcul  et  d'intérêt.  Sa  piété,  son  assiduité  aux  fonctions  pu- 
bliques de  sa  charge,  sa  tendresse  pour  les  pauvres,  sa  modes- 
tie rappelaient  les  plus  saints  de  ses  prédécesseurs.  On  peut 
ouvrir  au  hasard  les  dépèches  des  agents  français  ;  ils  ren- 
dent tous  le  même  hommage  à  sa  vertu  :  «  Le  pape  sortit 
dimanche  après  dîner  et  fut  visiter  trois  églises,  et,  ayant  dit 
hier  matin  qu'il  ne  sortirait  pas,  il  ne  laissa  pas  d'aller,  k 
l'improviste,  à  l'hôtel-Dieu  de  Saint-Jean  de  Latran,  visiter  et 
servir  les  malades.  »  —  Le  pape  a  fait  toutes  les  fonctions  de 
la  semaine  sainte,  «  et,  outre  quatorze  qu'il  en  a  fait  de  suite 
et  le  consistoire,  les  deux  seules  après-dînées  qu'il  avait  pour 
se  reposer,  il  les  employa  à  servir  les  pauvres  à  un  hôpital 
proche  de  ce  palais,  où  il  donna  à  souper  de  sa  main  à  plus  de 
quatre  cents  pèlerins,  et  où  le  chaud  et  la  poussière  que  la 
foule  du  monde  causa  fit  que  beaucoup  s'évanouirent;  Tau- 
Ire  fut  la  veille  de  Pâques,  qu'il  fut  confesser  dans  Saint- 
Pierre  trois  heures  et  demie,  y  ayant  entendu  vingt-neuf  con- 
fessions. »  —  «  Le  pape...  va  se  promener  souvent  hors  des 
portes,  aimant  d'y  aller  presque  seul  et  ne  le  disant  que  quand 
il  veut  partir,  ayant  joie  de  se  voir  quelquefois  encore  cardi- 
lal,  son  élévation  ne  lui  inspirant  que  les  sentiments  d'un  bon 
;i  véritable  pape...  Il  fit  retrancher  de  la  lettre  que  Votre  Ma- 
eslé  lui  a  écrite  [sur  le  traité  de  Saint-Germain] ,  pour  la  faire 
h're  au  consistoire,  l'endroit  où  il  est  exprimé  de  rendre  son 
pontificat  plus  glorieux  que  les  précédents.  »  —  «  Le  pape, 
continuant  ses  œuvres  de  charité  et  de  piété,  gagne  tellement 
e  cœur  et  l'affection  de  tout  Rome,  qu'il  ne  s'est  jamais  vu 
ant  d'acclamations  comme  il  on  reçoit  de  tout  le  peuple,  lors- 
|u'il  paraît  en  public  (1).  » 

(1)  ChaulDcs  au  roi,  8  novembre  1<;G7,  12  avril  et  8  mai  1C68.  Rome,  187, 
^0  et  191.  —  Bourlemoot  à  Lioune,  16  avril  1668.  Romey  191. 


230  CHAPITRE   DEUXIÈMK 

Lo  duc  de  Chaulnes  avait  ospéré  Iriompher  do  sa  fermeté 
par  des  procédés  contraires  ;i  ceux  dont  on  avait  usé  envers 
Alexandre  VU.  li  exprima  de  nouveau  le  vœu  qu'une  ambas- 
sade d'obédience  fût,  suivant  Tancicnne  coutume,  députée  à 
(ilément  IX  :  «  Le  parti,  disait-il,  que  les  Espagnols  prennent 
de  vouloir  envoyer  au  pape  une  ambassade  d'obédience  estun 
cfTet  de  leur  politique,  voulant  faire  voir  par  là  qu'il  est  de 
leurs  amis  et  le  ménager  par  cet  honneur  que  Ton  sait  qui 
lui  sera  fort  agréable.  Comme  vous  m'avez  permis  de  vous 
dire  librement  mes  sentiments,  je  vous  avouerai  qu'il  me  passe 
bien  des  choses  dans  la  tête  en  cas  que  le  roi  en  résolût  une, 
et  tout  roule  sur  ce  que  vous  croirez  bien  qu'il  ne  me  sérail 
pas  fort  plaisant  do  voir  venir  ici  un  Pierre  d'Aragon  fran- 
çais (1),  et  que  les  forces  me  manquent  pour  Tentreprendre,  à 
moins  de  grands  secours  de  la  cour.  Je  considère  d'un  autre 
côté  que  c*est  couronner  glorieusement  une  ambassade  par  cet 
honneur  ;2),  »  Mais  le  duc  ne  fut  pas  écouté.  —  Le  lendemain  de 
l'élection,  il  avait  écrit  à  Lionne,  dans  une  dépèche  officielle  : 
«  Trouvez  bon,  Monsieur,  que  je  vous  fasse  une  petite  ques- 
tion, savoir,  si  la  pyramide  que  le  roi  a  fuit  ici  dresser  a  été 
mise  contre  les  Chigi  ou  contre  Rome,  vous  laissant,  par  hu- 
milité, raisonner  sur  cette  curiosité.  »  Kt  il  ajoutait,  dans  un 
billet  autographe  et  conndentiel  :  a  J'ai  mis  un  mot,  dans  ma 
lettre,  de  la  pyramide,  et  il  est  certain  que,  n'ayant  été  élevée 
que  contre  les  (ihigi,  Sa  Majesté  ferait  une  belle  action  de 
donner  la  joie  de  la  voir  abattue  à  un  pape  qui  lui  est  agréa- 
ble, et  peut-être  n'aura-t-on  jamais  une  si  belle  occasion  de  le 
faire  avec  honneur,  et  c*ost  une  chose  qui   peut,  dans  des 
temps,  engager  bien  des  aifaires.  Vous  ferez  sur  cela.  Mon- 
sieur, do  meilleures  réflexions  que  moi  (3).  »  Mais  il  s'écoula 
plus  d'une  année,  avant  que  la  rancune  et  la  vanité  du  roi  se 
résignassent  à  ce  sacrifice  :  il  fallut  que  l'ambassadeur,  déjà 
inquiet  des  embarras  auxquels  Castro  pouvait  donner  lieu,  re- 

(1)  L'ambassadeur  ordinaire  d'Espagoe,  le  marquis  d'Astorga,  était  fort  mé- 
coQtcut  que  l'hoaneur  et  les  gros  appointcmeut»  do  l'ambassade  d'obédience 
eussent  été  donnés  non  à  lui,  mais  à  don  Pierre  d'Aragon,  vice-roi  de  Naples. 

(2)  Chaulnes  à  Lionne,  8  novembre  166".  Homc^  187.  Billet  autographe. 

(3)  21  juin  1667,  Rome,  184. 


GUERRE  DE8  «  DROITS  DE  LA  REINE  »  231 

nouvelftt  sea  instances.  Le  20  mars  1668,  il  faisait  écrire  au 
ministre  parTabbé  de  Machaut  :  «  Quelques  raisons  que  vous 
ayez  pour  laisser  ici  la  pyramide,  il  me  parait  qu'il  y  en  a  de 
plus  considérables  pour  la  faire  abattre;  et^  sans  mettre  en 
ligne  de  compte  la  grande  satisfaction  qu'en  aurait  un  pape 
qui  vous  oblige,  et  que  cela  ferait  un  coup  admirable  pour  re- 
gagner encore  davantage  M.  le  cardinal  Chigi,  vous  considé- 
rerez, s'il  vous  plaît,  qu'il  peut  arriver  que  deux  misérables 
coquins,  suscités  de  certains  esprits  dont  cette  cour  est  rem- 
plie, peuvent  l'abattre  dans  une  nuit.  Les  Espagnols  seraient 
morts  ici,  si  l'on  pouvait  se  résoudre  à  cela,  et  M.  l'ambassa- 
deur n*aurait  pas  une  médiocre  joie  d'avoir  servi,  dans  ce  ren- 
contre. Sa  Majesté.  »  Louis  XIV  donna  enfin  son  consentement, 
sans  bonne  grâce,  quelques  jours  autres  le  traité  d'Aix-la-Cha- 
pelle. J'y  (pets  deux  conditions,  dit-il  au  duc  de  Chaulnes  :  le 
décret  contre  les  Corses  sera  maintenu,  et  la  pyramide  sera 
détruite^  sous  vos  ordres,  par  des  gens  à  votre  livrée.  Le  pape 
ne  pourra  en  charger  ses  officiers,  que  s'il  vous  le  demande 
expressément  (1).  L'ambassadeur  fit  constater  la  permission 
du  roi  par  un  notaire,  et  le  sinistre  monument  disparut  le 
31  mai  1668.  «  La  démolition  de  la  pyramide,  écrivit  le  duc, 
devant  faire  un  grand  fracas  dans  tout  le  monde,  je  crois  que 
vous  Taurezplus  tôt  apprise  par  le  bruit  de  sa  chute  que  par 
cette  nouvelle  (2).  »  Chaulnes  ayant  essayé  de  persuader  au 
cardinal  Chigi  que  le  roi  avait  été  inspiré  par  le  désir  de  lui 
être  agréable,  le  neveu  d'Alexandre  VII  témoigna,  par  son  at- 
titude, qu'il  regardait  cet  acte,  non  comme  une  grâce,  mais 
comme  une  justice  due  à  la  mémoire  de  son  oncle,  et  il  reçut 
avec  une  froide  dignité  le  maladroit  message  dont  Machaut 
fut  chargé.  L'abbé  écrivit  :  «  Il  ne  me  nomma  pas  le  nom  do 
la  pyramide,  quoique  deux  ou  trois  fois  je  lui  représentasse 
avec  quelles  manières  on  l'avait  abattue.  Il  se  contenta  seu- 
lement de  me  faire  protestations  sur  protestations  (3).  » 

Clément  IX  avait  porté  sans  retard  son  attention  sur  les 
affaires  pendantes  entre  Rome  et  la  France,  et  dont  il  avait 

(1)  8  mai  1668  Rome^  191. 

(2)  A  LiOQDe,  31  mai  1668.  Home,  191. 

(3)  A  Lionne,  30  mai  1668.  Romty  191. 


«232  CHAPITRE   DEUXIÈME 

iléjîi  connu,  on  qualilé  de  secrétaire  d'Etat.  Les  difficultés  aux- 
quelles donnait  lieu  la  provision  des   évèchés  furent  apla- 
nies. Louis  XIV  défendait  toujours  au  cardinal  Antoine  Bar- 
berini,  nommé  depuis  si  longtemps  au  siège  de  Reims,  d'aban- 
donner le  camerlingal;  et  ce  prélat  qui,  malgré  le  refus  de 
ses  bulles,  avait  été  mis  en  possession  du  temporel  de  Tar- 
cbevèohê.  n'osait  désobéir  au  roi  qui  pouvait  le  lui  ôter,  avec 
lu  sjrande  aumônerie  et  d'autres  bénéfices.  Le  nouveau  pape 
ne  permit  pas  plus  que  son  prédécesseur  le  cumul  d'un  évêché 
framcais  avec  l'oflice  le  plus  important  de  TÉglise  romaine, 
srdt*  vttranh*:  mais  il  nomma  vice-camerlingue    le  cardinal 
l'.arlo  Itarborini,  avec  le  droit  d'exercer  seul  cette  charge,  en 
présence  comme  en  l'absence  de  son  oncle  ;  et  ce  dernier  ne 
porta  en  elïet  qu'un  litre  honorifique  pendant  la  longue  va- 
cance qui  suivit  la  mort  de  Clément  IX il);  ce  n'est  qu'à  celte 
condition  qu'il  obtint  les  bulles  de  Reims.  —  Celles  d'Orange 
otaiont  justement  refusées  depuis  sept  ans  à  l'abbè  Fabri,  an- 
cien aijent  de  Ma/arin,  dont  la  présentation  éta't  maintenue 
par  le  nù.  La  souveraineté  dOrange  appartenant  encore  à  la 
maison  do  Nassau,  le  patronasro  de  celte  église  pouvait  don- 
uor  lion  î^  dos  coutlits  qu'il  était  prudent  d'éviter   Fabri,  alors 
A::o  do  >oi\anto  ans,  était  mieux  préparé  pour  Pepiscopat.  Sa 
nomination  fut  ontin  vicrêôe  par  Clément  IX,  qui  exigea  préa- 
lablouiont  la  nn^onnaissanco  dos  droits  du  saint-sège,  et,  après 
^a  mvMl,  qui  no  tarda  pas,  il  tut  remplacé  par  ui  savant  doc- 
tour  do  SorlvMtno,  Jean  Jaoquos  .r*>boiih.  comm»:  l'avait  désiré 
MoxaudivYU  ;J  ■ 

j>  :»  ;  ••    •     x        •    '    V^»r,'v..  V*  i-r-  1  .   8.*'-^''-'irj union?,  ^i  Curlo  Ba'-' 

/  U^vÎA-'.u'.  -s*  ^v:  ■0;'  •  OrAi'*;  lv  r  rizr..  iv mesti-^je  de  feu  M*^  le 
xMuhu.tî  U  :V.i  iM*'^'  ^^-^'^  si  .iv  A  ::.:;?  .:^  i:.::^j-  i-i  S-.  r:::ne  jK>ur  uo  dio- 
x\"^  0  o'>,  »'  \  A  V  iVv"-  II'  .rh  -.:•  '•.:^'i.  i"i;*  ".^  r.  uy  :o"5^Ltinit  pu  et  c  ce 
*\M  \  \  w.w  !Mor  A  VkV"^'  ,;;„•  ô,»  s  A."-:*^- r  .■.■.:7  «•::..**  f.-:*  ^  4.  le  prince  d*0- 
i«r»<\*  jv,:î*  a\.»  r  >o..  A^*v:v-.-y:  v"  T  -..:  i::~  r.-r^n^-,'.  Le  pape  Alexan- 
v'iv  \  Il  :*.•  ^».i'i;"A-;  A.:<s  v;-.:\*-.'.  -i  \\  fit  :  :V,i  yrrfcv::  *»i::»a  cv^mme  d'un 
owV*'.»*  xî.'  ^^^^'  ^^^  »  ,"«  >•  •/.*  "'•'  'f  ;  -  :  :  :  :••*'.  :\i  "istjrx^  •  CoQseotex 
vK»'.»o  *j;k'  !o  -mv.'  a  '*vyos<.*  '.  v  •••■vv:f,  C^;  ..  :•  ,'5»  "_  i*  me*  meUJeurs 
Aiu'>.  »'i  î\vo'.rii»s'*.»i  \\  "'A  o\*ôe  -".^  .!.*  >-^*  -«?-:?*>«  r«:ir  ^u-i  e  pus^e  o."»nlen- 
toi  l'.t  '.lu'vi'/.Auv  oi  iv\'^Mr^.*«:r  u.'  rif«e::v.v  r.j*  coc-fiirnce  qui  aun't  pu 
«»  \V  lu i» |vr   ^  t  îo y  *,io  A  *.*iMku  l :î <^  l  >;.:.!;» c  !  :*  *    >.  me.  !  vî> 


PRÉSAGES  DE    NOUVEAUX    CONFLITS  233 

Depuis  la  mort  de  Mazarin,  la  droiture  personnelle  du 
roi  tendait  à  exclure  des  charges  ecclésiastiques  les  hommes 
sans  mœurs  ou  sans  talents  que  le  cardinal  y  introduisait 
sans  scrupule  :  le  jeune  roi  déclarait  en  toute  occasion  que 
la  piété,  la  vertu  et  le  savoir  auraient  ses  préférences.  Sans 
doute  il  ne  demeura  pas  toujours  fidèle  à  sa  résolution  de 
«  n'admettre  aux  év^chés  et  aux  autres  dignités  considé- 
rables que  ceux  qui  auraient  actuellement  servi  TEglise  du- 
rant un  certain  temps,  soit  dans  la  prédication  assidue  et  con- 
tinuelle aux  grandes  paroisses  de  Paris,  soit  dans  les  missions 
des  provinces...,  soit,  ce  qui  serait  le  plus  important,  en  faisant 
les  fonctions  de  curés  et  de  vicaires  qui  embrassent  toutes  ces 
choses  et  plusieurs  autres. ..  »  (1);  mais  il  était  manifeste  que, 
depuis  plusieurs  années,  le  haut  clergé  reprenait  dans  Testime 
publique  le  rang  que  lui  avaient  fait  perdre  les  mauvais  choix 
de  Mazarin.  Clément  IX,  bien  informé  par  ses  nonces,  jugea 
que  le  temps  était  venu  d'accorder  au  roi  Tampliation  de  Tin- 
dult  des  Trois-Évéchés,  et  les  induits  de  TArtois  et  du  Rous- 
sillon,  grâces  considérables  dont  Toctroi  avait  été  différé  avec 
raison  par  Alexandre  VII  (2).  —  Mais  il  opposa  une  résistance 
aussi  opiniâtre  que  légitime  à  Tabus  du  privilège,  que  la  cou- 
tume reconnaissait  au  roi  de  France  comme  à  d'autres  princes, 
de  désigner  des  candidats  pour  la  pourpre.  Ce  n'était  pas  assez 
pour  Louis  XIV  d'avoir  amené  le  roi  de  Pologne,  au  moyen 
de  je  ne  sais  quel  pacte,  à  lui  céder  son  droit  de  nomination 
en  faveur  du  Français  Bonsy,  évoque  de  Béziers,  ambassa- 
deur à  Varsovie  (3).  Il  obtint  que  la  cour  de  Portugal  présentât 


(1)  Mémoires  de  Louis  XIV,  pour  TanDée  1666  :  Choix  de  sujets  pour  les  béné- 
fices, 1. 1,  pp.  200  et  Buiv. — Lionne,  dans  tout  l'éclat  de  sa  faveur,  ne  put  pas  obte- 
nir de  Louis  XIV  ce  que  Mazarin  lui  eût  accordé  aussitôt,  Tévêché  de  Grenoble 
pour  son  proche  parent,  Charles  de  Lionne  de  Lesseins,  ancien  agent  du 
clergé,  qui  vivait  dans  le  désordre.  (Mémoires  du  Père  Rapin,  t.  III,  p.  448.) 

(2)  Chaulnes  an  roi.  12  avril  1668.  Home,  190. 

(3)  «  Le  roi  désire  qu'avant  voire  retour...  vous  mettiez  tout  en  œuvre  pour 
tirer  du  pape  un  engagement  sans  équivoque  sur  la  promotion  au  cardinalat 
de  M.  Tévéque  de  Béziers,  ou  sur  la  nomination  de  la  Pologne,  ou  en  partie 
aussi  par  les  motifs  des  facilités  que  le  roi  apportera,  en  cette  considération, 
h  ce  que  le  pape  peut  désirer  de  S.  M.  sur  Texamen  du  traité  de  Pise;  car 
S.  M.  prévoit  que,  si  vous  partez  de  Rome  sans  cette  assurance,  et  qu'il  fallût 
qu'un  autre  ambassadeur,  ou  peut-être  un  cardinal,  qui  ne  se  soucierait  pas 


934  CHAPITRE   DEUXIÈME 

aussi  un  Français,  César  d'Estrées  (i),  évèquenluc  deLaon, 
ot  il  demanda  lui-même  un  chapeau  pour  un  Autrichien,  un 
laïque,  le  prince  d'Aversperg,  ministre  de  l'Empereur,  avec 
lequel  le  chevalier  de  Grémonville  avait  négocié  le  partage 
secret  du  19  janvier  1668.  Pour  dissimuler  les  services  qu'on 
prétendait  payer  ainsi  aux  dépens  de  rÉglisc,  le  roi  écrivit  au 
pape  que  le  minisire  impérial  travaillait  plus  que  personne  au 
rétablissement  de  la  paix  (2),  et  le  duc  do  Ghaulnes  ajouta  de 
lui-même  qu*Aversperg  se  recommandait  aussi  à  la  bienveil- 
lance pontificale  par  l'intérêt  qu'il  prenait  au  secours  de  Can- 
die (3).  Enfin,  Louis  XIV  garantissait  que  le  pape  aurait,  en 
cet  Autrichien,  une  créature  aussi  dévouée  qu'un  cardinal  né 
en  Italie  (4).  Clément  IX  défendit  le  sacré  collège  contre  cette 
triple  intrusion;  mais  on  verra  quels  embarras  ces  prétentions 
du  roi  suscitèrent  au  pontificat  suivant. 

Il  était  plus  difficile  de  proléger,  en  France,  le  patrimoine 
ecclésiastique  contre  les  abus  du  patronage  séculier  ;  car,  dès 
qu'un  différend  s'élevait  à  ce  sujet,  la  couronne  mettait  toute 
sa  puissance  au  service  de  sa  volonté.  Rome  refusait-elle  des 
bulles  au  porteur  d'un  brevet  royal,  il  était  envoyé  par  le  Conseil 
d'Etat  en  possession  des  revenus  do  l'office  qu'il  ne  pouvait 
pas  remplir.  Au  contraire,  le  pape  conférait-il  une  des  charges 
dont  le  Concordat  lui  laissait  la  disposition  dans  le  royaume, 
le  roi  mettait  obstacle,  mrme  par  la  violence,  à  Tinstallation 
du  bénéficier  qui  ne  lui  plaisait  pas.  Certaines  abbayes,  les 

beaucoup  de  l'obtcDir,   fAt  chargé  do  la  môaagorj  la  chose  se  rendrait  de 
plus  eu  plus  difhclle.  »  (Lionne  à  Chaulncs.  11  février  1668.  Rome,  189.) 

(1)  Le  roi  au  pape,  12  juillet  1068.  Home,  102. 

(2)  «  La  paix  générale  va  bientôt  être  due  aux  seuls  soins  qu'il  a  pris  et 
qu'il  prendra  encore  de  la  promouvoir,  si  V.  S.  veut  bien  concourir  avec 
nous  à  l'y  animer  de  plus  en  plu^  on  le  plaçant  dans  le  sacré  collège.  >*  (2  fé- 
vrier 1668.  Home,  18i).)  —  Cette  promotiou  est  «  l'affaire  la  plus  difOcile...  La 
disposition  des  chapeaux  est  à  un  pape  ce  que  serait  à  un  prince  séculier  le 
démembrement  d'une  de  ses  provinces.  »»  Le  pape  me  répond  qu'il  a  besoio 
de  savoir  quels  services  Aversperg  est  en  état  de  rendre;  que  rien  ne  parait; 
que  la  guerre  se  poursuit,  etc..  (Chauloes  à  Lionne,  17  mars  1668.)  u  Je  ne 
puis  pas  présentement  m'expliquer  plus  avant...  Ne  philosophez  pas,  s'il  tous 
plaît,  là-dessus.  Car  vous  ne  trouveriez  rien  d'approchant  en  cent  ans  de  mé- 
ditation... »  (Lionne  à  Chaulnes,  23  mars  1668.  Home,  190.) 

(3)  Chaulnes  &  Grémonville,  28  avril  1668.  Homey  19U. 

(4)  Le  roi  à  Chaulnes,  8  mai  1668.  Home,  191. 


PRÉSAGES    DE   NOUVEAUX    CONFLITS  995 

chefs  d'ordre  par  exemple,  ne  pouvaient  recevoir  qu'un  abbé 
choisi  par  les  religieux  :  le  roi  conservait  les  formes  appa- 
rentes de  Télection,  mais  en  imposant  aux  moines  la  présence 
d'un  commissaire  laïque,  qui  supprimait  la  liberté  des  suf- 
frages. Delà  mille  conflits,  d'où  le  saint-siège  sortait  pénible- 
ment, en  sauvant  les  principes,  mais  en  transigeant  sur  les 
personnes,  au  grand  préjudice  de  la  religion.  Ainsi,  on  avait 
espéré  que  la  mort  de  Mazarin  permettrait  de  faire  cesser  la 
commende  de  Cluni,  et  de  replacer  ce  chef  d'ordre  sous  le 
gouvernement  d'un  de  ses  moines,  ou  toqt  au  moins  d'un  prélat 
postulé  par  eux.  Mais  un  brevet  du  roi  nomma  le  cardinal 
d'Esté  abbé  de  Cluni,  et,  après  avoir  forcé  les  religieux,  sous 
la  pression  d'un  de  ses  gentilshommes  ordinaires,  à  élire  le 
prince  modénois,  Louis  XIV  exigea  des  provisions  pontificales. 
Les  ministres  le  Tellier  et  Lionne,  qui  avaient  participé  à 
celte  œuvre  de  violence  et  de  corruption,  réclamèrent  au  car- 
dinal d*Este  le  prix  de  leur  complicité  :  ils  en  obtinrent,  la 
premier,  le  vicariat  général  de  l'ordre  de  Cluni,  avec  toutes 
les  collations  qui  en  dépendaient,  pour  l'abbé  le  Tellier,  futur 
archevêque  de  Beims;  et  le  second,  le  riche  prieuré  de  la  Cha- 
rité-sur^Loire,  pour  un  de  ses  enfants  (1).  Alexandre  VII 
ayant  refusé  d'approuver  ces  scandaleux  procédés,  le  cardinal 
d'Esté  n'en  eut  pas  moins  la  jouissance  delameqse  abbatiale. 
Clément  IX  donna  ses  bulles  (2),  mais  après  avoir  réservé 
pour  l'avenir  et  fait  conserver  expressément  par  la  couronne 
les  privilèges  de  Tordre  et  les  droits  du  saint-siège  (3). 

(1)  Mémoh'es  du  cardinal  d'Esté,  t.  U,  pp.  QA  et  s.)  80  et  Buiv. ;  234. 

(â)  Le  duc  de  Chaulnes  lui-mâme,  qui  voyait  de  prèi  le  cardinal  d'Esté, 
était  choqué  de:)  faveurs  dont  cet  indigne  prélat  était  comblé  par  Louis  XIV  : 
"  De  ODoi  seul,  écrivuit-il,  je  n'aurais  pas  trop  pressé  les  bulles  de  Cluni;  par 
ce  que,  moins  les  cardinaux  en  ont  et  plus  ils  sont  dépendants;  mais,  V.  M. 
commandant  autrement,  j'obéirai...  *»  (31  janvier  1668.  Romej  189.) 

(3)  V.  nos  Recherches  sur  V Assemblée  de  IfîSi,  2«  édition,  p.  57  et  suiv. — 
M.  Nicolas  de  Gaumont,  gentilhomme  ordinaire  de  la  maison  du  roi,  gouver- 
neur de  Montdidier,  avait  été  nommé  m  commissaire  député  pour  procéder  à 
l'électioDi  Domination  et  postulation  d'un  nouvel  abbé,  chef  et  général  de 
l'ordre  »,  c'est-à-dire  pour  imposer  aux  moines  le  choix  du  cardinal  d'Esté. 
Nous  avons  publié  une  partie  de  la  correspondance,  où  il  raconte  cyniquement 
par  quelles  odieuses  manœuvres  il  vainquit  la  résistance  énergique  et  prolon- 
gée des  moines  :  il  avait  chassé  les  uns,  intimidé  les  autres,  et  acheté  un  petit 
nombre.  Il  écrivait  en  ces  propres  termes  à  Colbert  i  «  H  est  certain  gu9y  »i 


236  CHAPITRE    DEUXIÈME 

On  se  rappelle  qu'un  semblable  abus  de  la  force  avait  fait 
élire  abbé-général  de  Prémonlré  le  P.  Colbert,  parent  du  mi- 
nistre. Sur  la  plainte  des  religieux,  la  Congrégation  des  Régu- 
liers avait  annulé  tous  les  actes  du  chapitre  qui  n*avait  pas  su 

les  religieux  sonl  capables  de  faire  Jamais  une  élection  au  préjudice  des  dé- 
fenses de  S.  M.,  ils  n  éliront  point  d'autres  guun  religieux.  »  Clèmeot  IX  fut 
prié  de  corriger  les  vices  de  l'élecUon.  Rome  fait  des  difficultés,  écrivait 
Lionne  à  Cbaulnes  (16  décembre  1667.  Romej  187),  parce  qae  le  procès-verbal 
mentionne  la  présence  du  commissaire  :  sans  doute,  il  vaudrait  mieux  n'en 
avoir  pas  parlé;  mais  on  ne  consentira  pas  ici  à  une  nouvelle  élection,  «  daus 
l'incertitude  de  ce  que  les  moines  feraient  aujourd'hui.  »  La  réponse  du  duc 
de  Cbaulnes  à  cette  lettre  fait  peine  à  lire  :  »  J*ai  fait  connaître  fortement  a 
M.  le  dataire  quil  n'y  aurait  jamais  d'élection  en  France  sans  commissait^, 
pour  que  Tautorlté  du  roi  empoche  tous  les  d<^8ordres  qui  arrivent  toujours 
autrement,  et  assure  la  liberté.  H  se  trouve  encore  que  le  même  procès-ver- 
bal porte  que  l'élection  [du  cardinal  d'Esté]  est  faite  par  voie  d'inspiration, 
et  il  y  a  des  traités  faits  précédemment  qui  font  voir  que  cette  inspiration 
est  à  peu  près  comme  celles  qui  descendent  dans  les  conclaves.  Cependant  je 
ferai  mon  devoir  et  pousserai  l'affaire  autant  qu'elle  pourra  aller.  »  (10  jan- 
vier 1668.  Home^  189.)  Le  pape,  laissant  de  côté  le  procès-verbal  de  postulation 
de  1662,  crut  devoir,  pour  éviter  un  plus  c^rand  mal,  user  de  son  droit  souve- 
rain et  nommer  le  cardinal  d'Esté  jure  devoluto  et  motu  proprio,  sous  la  con- 
dition formelle  qu'après  la  mort  de  ce  prélat,  l'abbaye  retournerait  en  règle. 
(Chauloes  à  Lionne,  31  mai  1668.  Rome,  191.)  Le  croirait-on?  c'est  Louis  XIV 
qui  accusa  le  pape  de  violer  la  liberté  des  religieux,  et  qui  revendiqua  l'hou- 
neur  de  l'avoir  protégée!  Une  déclaration  royale,  tenue  secrète  jusqu'à  ce 
jour,  porte  ce  qui  suit  :  «  Louis,  etc.,  salut.  L'intérêt  que  nous  avons  de  con- 
server aux  abbayes  de  notre  royaume,  qui  sont  chefs  d'ordre,  la  liberté  de 
l'élection  gui  leur  a  été  confirmée  par  les  ordonnances  de  nos  prédécesseurs 
row,  nous  a  obligé,  dans  la  vacance  de  l'abbaye  de  Cluni,  qui  est  chef  d'ordre, 
arrivée  par  le  décès  de  notre  très  cher  et  très  amé  cousin  le  cardinal  Maza- 
rini,  d'assurer  aux  religieux  de  ladite  abbaye,  par  les  moyens  qui  se  sonl 
pratiqués  de  tout  temps  en  notre  royaume,  le  droit  de  procéder  librement  à 
l'élection  ou  postulation  qu'ils  voudraient  faire,  empêcher  par  sa  présence  les 
factions  et  les  brigues  et  maintenir  la  liberté  des  suffrages,  si  bien  que  les- 
dits  religieux,  dans  la  plénitude  de  leur  liberté,  ayant  considéré  qu'ils  rece- 
vraient beaucoup  plus  de  protection  d'un  abbé  chef  et  général  de  leur  ordre, 
qui  serait  du  sacré  collège,  que  d'un  simple  religieux,  auraient  postulé  d'une 
commune  voix,  pour  abbé  de  ladite  abbaye,  notre  très  cher  et  très  amé  cou- 
sin le  cardinal  d'Esté...  »  Au  lieu  do  confirmer  purement  et  simplement  leur 
vœu,  les  bulles  du  28  mars  1668,  sont  données  motu  proprio^  ce  qui  peut 
servir  de  prétexte  pour  ôter  auxdits  religieux  cette  illustre  prérogative. 
«  Comme  îtous  avons  beaucoup  de  respect  pour  tous  les  l'escrits  émanés  de  Vau- 
torité  du  saint-siege^  lorsqu'ils  ne  blessent  pas  la  police  de  l'Église,  ni  les  droits 
de  notre  couronne^  nous  avons  estimé  devoir  distinguer  les  bonnes  et  justes 
iutentions  do  notre  saint-père  le  pape  d'avec  les  artitices  des  officiers  de  sa 
chancellerie...  »  En  conséquence,  le  roi  annule  et  supprime,  dans  lesdites 
bulles,  les  clauses  qui  lui  déplaisenL  (Octobre  1668.  France,  186.) 


PRÉSAGES    DE  NOUVEAUX    CONFLITS  237 

résister  à  la  volonté  royale.  L*ambassadeur  écrivît  :  «  L'affaire 
de  Prémontré  a  été  examinée  dans  la  Congrégation,  et  dos 
deux  points  de  la  difficulté,  à  savoir  si  la  révocation  de  Tan- 
cien  abbé  (i)  étaitbonne,  et  si  la  première  élection  (2)  était  va- 
lable, le  premier  a  été  gagnéet  la  révocation  a  été  jugée  nulle, 
ainsi  que  l'élection;  et,  sur  le  pied  de  tomar  ij  pedir  (3),  j'ai 
pris  ce  qui  était  de  bon  pour  nous  (4),  et  envoyé  arrêter  le  dé- 
cret, en  déclarant  qiiil  ne  se  ferait  jamais  d  autre  élection;  à 
quoi  je  ne  crains  pas  que  le  roi  doive  consentir,  par  la  consé- 
quence qu'il  laisserait  toujours  aux  mécontents  une  porte  ou- 
verte pour  troubler  le  repos  des  religions  dans  toutes  les  élec- 
tions :  ainsi  je  tiendrai  ferme  sur  ce  point  et  ferai  jusqu'à 
nouvel  ordre  tout  ce  que  je  croirai  pouvoir  contribuer  pour  la 
satisfaction  du  R.  P.  Colbert(o).  »  Louis  XIV  répondit  :  Comme 
je  prévois  que  les  confrères  du  P.  Colbert  choisiraient  tout 
autre  plutôt  que  lui,  représentez  «  qu'il  est  d'une  absolue  né- 
cessité que  Sa  Sainteté  ait  la  bonté  d'achever  elle-même  cette 
affaire  »,  en  autorisant  Télection  de  ce  religieux(6).  Et  le  pape, 
pour  ne  point  exposer  un  ordre  tout  entier  à  des  ressentiments 
dangereux,  consentait  à  lui  donner  pour  chef,  motu  proprio^ 
le  cousin  du  ministre  Colbert. 

Ces  entreprises  incessantes  sur  le  domaine  ecclésiastique 
pour  enrichir  les  ministres  et  les  courtisans  causaient  de  légi- 
times inquiétudes  à  Rome.  «  Mille  gens,  disait  le  duc  de 
Chaulnes  à  Lionne  (7),  ont  écrit  que  j'avais  ordre  du  roi  de 
demander  au  pape  que  le  tiers  des  bénéfices  fïit  mis  hors  de 
la  disposition  de  ceux  qui  les  possèdent,  et,  ayant  pris  Fa- 
larme  en  France  sur  la  connaissance  que  le  roi  a  voulu  avoir 
du  revenu  des  religions,  ont  été  bien  aises  de  la  donner  ici.  » 
(Chaque  jour  en  effet  le  souverain  pontife  reçoit  des  Fran- 
çais  d'impérieuses  requêtes.    L'abbé   le  Teliier,   écrit  Ma- 

(1)  C'est-à-dire  le  retrait  de  la  démissiou  doaaée  par  rauclea  abbé. 

(2)  Du  Père  Colbert. 

(3)  Proverbe  espagnol  :  prendre  cl  demander, 

(4)  C'est-à-dire,  j'ai  acquiescé  à  la  jwrtie  du  décret  qui  couflrme  la  démis- 
t^ioo  de  Tancieu  abbé  et  par  couséqucnt  maiutioat  la  vacauco  de  rabbaye. 

(5)  Chauloes  à  Lioaue,  13  mai  16GS.  Home^  191. 
(ti)  A  Chaulnes,  17  juin  1668.  Home,  191. 

{!)  22  février  1668.  Rome,  189. 


238  CHAPITRE   DEUXIÈME 

chaul(l),  vient  d'obtenir  du  roi  une  grande  abbaye  (Saint- 
Ëtienne  de  Caen),  capable  d*cxciter  i^envie  d'un  cardinal  el 
même  d'un  pape. a  Ce  prélat,  ayant  aussi  eu  l'avis  quel'évéque 
d*Avranches  était  mort  brusquement,  prit  aussitôt  date  de 
six  ou  sept  prieurés  et  de  trois  chapelles  dont  ledit  évoque  était 
pourvu.  » —L'ambassadeur  sollicite  pour  lui-même  comme 
pour  les  autres.  Le  célèbre  prieuré  des  Dominicaines  de  Poissy 
était  électif:  cependant  le  roi  y  avait  nommé  pour  supérieure 
M™^  de  Cossé-Brissac.  Celle-ci  ne  pouvant  obtenir  ses  buUesi 
on  crut  que  le  pape  agréerait  plus  facilement  la  prétention  du 
roi,  si  Ton  substituait  la  sœur  du  duc  de  Chaulnes  (2)  à  la  pre- 
mière protégée  de  la  cour.  Mais  Clément  IX  et  le  cardinal 
Olthoboni  opposèrent  les  règles  do  Tordre  (3)  :  ils  consentirent 
seulement  à  nommer  la  nouvelle  prieure  moffi  proprio,  sou» 
la  condition  qu'après  sa  mort  les  religieuses  exerceraient  leur 
incontestable  prérogative,  cl  sans  faire  une  concession  de  prin- 
cipe à  la  puissance  séculière.  —  Un  autre  jour,  c'est  le  roi  eu 
personne  qui  écrit  à  son  ambassadeur  :  »  Ayant  trouvé  bon 
que  mon  oncle,  le  duc  de  Verneuil  (4),  cxécutAt  le  dessein  qu'il 
a  fait  de  se  marier  avec  la  duchesse  douairière  de  Sully,  et  mon- 
dit  oncle  ne  pouvant  soutenir  sa  dignité  dans  ce  nouveau  genre 
de  vie  qu'en  se  conservant,  par  l'autorité  et  la  permission  du 
pape,  une  pension  convenable  sur  les  bénéfices  qu'il  possède^ 
lorsque,  par  sa  démission,  il  les  remettra  à  ma  disposition, 
j'ai  encore  trouvé  bon  qu'il  puisse  retenir  cent  mille  livres  de 
pension  sur  lesdits  bénéfices.  »  Demandez  les  bulles  néces'^ 
saires^  avec  la  dispense  pour  retenir  cette  pension  quoique 


(1)  A  Lionne,  19  décembre  1667.  Home,  187. 

(3)  Le  pape  et  le  dataire  répondeut  que  leur  conscieDcc  tie  permet  pas 
d'imposer  ma  sœur  à  Poissy  comme  supérieure  nommée  par  le  roi,  ce  prieuré 
étant  électif.  Henri  IV  y  avait  nommé  Louise  de  Gondi,  mais  elle  n'avait  pas 
eu  de  bulles,  et  le  pape  n'en  avait  accordé  qu'après  une  élection  fitite  par  les 
religieuBes.  Cette  cour  ne  veut  pas  se  mettre  un  ordre  entier  sur  les  bras. 
(Chaulnes  à  Lionne,  25  février  1668.  Home,  189.)  —  Luuls  XIV  persistera  dans 
ces  entreprises,  et  l'affaire  des  Urbanistes  sera  le  sujet  d'une  de  ses  plus 
grandes  querelles  avec  Innocent  XI. 

(3)  Chaulnes  à  Lionne,  25  février  1668.  Home,  189.  —  Voy.  l'étude  que  le 
H.  P.  Chapotiu  a  consacrée  à  cette  alTaire  sous  ce  titre  :  La  guerre  de  la  suc- 
cessioîi  de  Poissy^  Paris,  1892,  in-8o. 

(4)  Bâtard  de  Henri  IV. 


PRÉSÂGE8   DE   IfOUVEAUX   CONFLITS  239 

marié,  à  l'exemplo  du  duc  de  Joyeuse,  «  semblables  grâces 
s'accordanl  aisément  aux  princes  »^  et  le  gratis  entier  pour  la 
componendo(l). 

Ces  faveurs  si  dangereuses  étaient  arrachées  à  (élément  IX, 
comme  à  ses  devanciers,  par  la  crainte  d'exposer  la  religion  à 
de  plus  grands  malheurs.  Dans  cette  invasion  des  biens  ecclé' 
siastiques,  personne  ne  surpassait  en  indélicatesse  ni  en  ra- 
pacité le  ministre  chargé  de  la  correspondance  avec  le  saint- 
siège.  Le  résultat  du  dernier  conclave  était  à  peine  connu  à 
Saint-Germain,  que  Lionne  avait  adressé  au  duc  de  Chaulnes(2) 
ses  instructions  particulières  :  Ne  perdez  pas  de  temps  pour 
obtenir  deux  brefs  permettant  à  mon  fils  le  chevalier  de  Malte 
de  posséder  tous  prieurés  des  langues  de  France^  et  à  mon 
fils  Tabbé  de  nommer  à  tous  les  bénéfices  de  ses  collations, 
non  seulement  de  commende  en  commende,  mais  de  règle 
eu  commende;  ce  dernier  induit  semblable  à  celui  qu'A-> 
lexandre  VU  avait  accordé,  dans  la  première  année  de  son 
pontificat,  à  Tévéque  de  Bayeux,  mon  oncle,  et  devant  com- 
prendre toutes  les  abbayes  du  jeune  bénéficier  :  Marmoutier, 
Saint-Melaine  de  Rennes,  Cercamp  et  le  prieuré  de  Sainl- 
Marlin-des-Champs.  —  Lionne  avait  récemment  envoyé  à 
Rome*  pour  y  chercher  fortune,  un  abbé,  Hngues-Humbert 
Servient  (3),  son  parent  et  son  filleul,  dont  nous  aurons  sou- 
vent à  parler  :  Clément  IX  s'était  empresse  de  se  l'attacher 
comme  camérier  d'honneur  et  de  lui  donner  le  prieuré  de  Di- 
nan,  en  Bretagne,  dont  la  vacance  s'était  ouverte  dans  un 
mois  du  pape.  Lionne  osa  revendiquer  pour  son  fils  Tabbé 
cette  commende,  qui  valait  mille  écus  de  revenus,  et  menaça 
son  cousin  et  le  pape  d'un  procès  au  Parlement  (4)  !  Le  duc 


(1)  20  juillet  1668.  Home,  192. 

(2)  5  juillet  1667.  HothB,  184. 

(3)  Fils  de  r&mbassadeur  a  Turin,  et  ueveu  du  suriuteudant  Servidn,  Tan* 
cien  plénipotentiaire  au  congrès  de  Westphalic*  Ce  dernief  signait  8p)*vr>f}, 
du  moins  dans  les  lettres  qui  eut  passé  sous  mes  yeux;  son  ueTeu,  dont  nous 
parlons  ici,  signait  Servient. 

(4)  Lionne  à  ChaulUes,  18  juillet;  —  Macbaut  à  Lionne,  IG  août.  Hontes  185. 
—  Lionne  A  Chaulncs,  10  septembre  1067.  Rome,  18B  :  Je  soutiendrai  que,  le 
priearê  de  Dinan  dépendant  de  Marmoutier,  dont  mou  fils  est  abbé  et  qui 
est  en  France,  la  coUaUou  en  appartient  a  l'abbé,  métne  pendant  les  mois 


240  CHAPITRE    DEUXIÈME 

de  Chaulncs  lui  écrivait  le  3  mai  1668  :  «  J'eavoic  à  M.  Colbert 
un  bref  du  pape  pour  habiliter  M.  son  fils  le  chevalier  à  toutes 
les  commanderies.  Vous  avez  fait  là  une  étrange  planche,  le 
commandeur  de  Gaumont  m'ayant  dit  en  parlant  que  six 
grandes  croix  de  faveur  ne  feraient  pas  tant  de  tort  aux  che- 
valiers que  la  concession  de  celte  grâce  (1).  »  Et,  si  Ton  veut 
savoir  jusqu*où  allait  la  duplicité  de  ce  ministre,  à  quelle  bas- 
sesse de  flatteries  il  pouvait  descendre,  quelles  trames  son  in- 
térêt personnel  pouvait  ourdir  autour  de  la  chaire  pontificale, 
il  faut  lire  les  lettres  suivantes^  par  lui  adressées  au  signore 
Alto  Melani.  Le  20  juillet  1667,  un  mois  après  Texaltation 
de  Clément  IX,  il  écrivait  à  cet  abbé  :  «  J'ai  trouvé  admirable 
la  pensée  qui  vous  est  tombée  dansTespril  de  continuera  être 
Tentremetteur  (2)  de  me  faire  savoir  les  volontés  et  recevoir 


du  pape,  J*ai  Tusage  pour  moi  et  plusieurs  arrêts.  —  Dans  la  liste  des  points 
dont  Lionne  entretint  Tabbé  Jacopo  Rospigliosi,  à  sou  passage  en  France,  le 
ministre  a  inscrit  de  sa  main  :  «  Supplications  particulières  que  j'ai  pris  la 
liberté  de  lui  faire...  Faire  que  le  pape  ne  trouve  pas  mauvais  que  je  défende 
mon  droit  sur  le  prieuré  qu'il  m*a  fait  la  grAce  de  donner,  en  ma  considéra- 
tion, à  l'abDé  Scrvient,  mou  cousin.  >>  {liome^  185.) 

(1)  Rome,  191. 

(2)  On  se  rappelle  le  commerce  secret  et  bientôt  rompu  qui,  sous  le  ponti- 
iicat  d'Alexandre  VII,  s'était  établi  entre  le  cardinal  Giulio  Rospigliosi  et  la 
cour  de  France,  par  l'entremise  de  Melani.  Dès  les  premiers  jours  qui  suivi- 
rent l'élection  de  Clément  IX,  Atto  otfrit  ses  services  au  nouveau  pape  et  au 
roi,  comptant  recevoir  des  deux  mains.  Lionne  se  prêta  volontiers  à  ce  dou- 
ble jeu,  dont  il  espérait  tirer  tout  le  profit  pour  le  service  du  roi  et  pour  ses 
intérêts  personnels.  Les  lettres  de  Melani  au  ministre  et  au  roi  sont  innom- 
brables :  le  22  juin  1667,  deux  lettres  où  Melani  s'attribue  l'élection  du  pape, 
i)*exprime  avec  attendrissement  sur  Louis  XIV,  il  rè  inio,  et  se  met  à  la  dis- 
position de  la  cour  de  France.  —  Le  lendemain  23,  trois  rapports  :  1*  «  Rela- 
tion d'une  audience  que  le  sieur  Melani  ont  du  pape^  touchant  les  obligations 
qu'il  avait  au  roi  et  ses  intentions;  »  2<>  «  Relation  d'une  conversation  du 
même  avec  le  cardinal  Nini  pour  l'engager  à  se  mettre  sous  la  protection  du 
roi;  >  '<i^  M  Mémoire  du  même  au  pape  pour  s'offrir  à  la  manutention  de  la 
bonne  intelligence  entre  S.  S.  et  le  roi,  et  en  faveur  de  M,  de  Lionne,  »• 
(Rome,  184;  etc.,  etc.)  —  Le  18  juillet.  Lionne  s'empresse  d'avertir  le  duc  de 
Chaulues  que  le  roi  pardonne  à  Melani  ses  anciens  rapports  avec  Foucquet  ;v. 
ci-dessus,  chap.  vu  du  livre  I®'.  —  Chaulnes  à  Lionne,  5  juillet  1667.  Rome, 
184;  et  Lionne  à  Chaulnes,  18  juilleL  Ro7ne,  18:>.)  —  C'est  deux  jours  après,  le 
20  juillet,  que  Lionne  adresse  à  ce  misérable  les  deux  étranges  lettres,  citées 
dans  notre  texte.  En  même  temps,  le  ministre  cherche  à  le  faire  entrer  plus 
avant  dans  la  confiance  de  la  cour  pontificale,  espérant  bien  qu*il  la  trahira. 
Le  mémoire  des  aflfaires  dont  Lionne  a  entretenu  l'abbé  Jacopo  Rospigliosi, 


PRÉSAGES    DE   NOUVEAUX   CONFLITS  241 

les  ordres  de  Sa  Béatitude,  et  puisqu'elle  a  eu  la  bonté  de 
s*abaisser  jusqu'à  vouloir  bien  que  les  choses  se  passent  de  la 
sorte,  vous  la  pouvez  assurer  que  je  lui  dirai  toujours  fran- 
chement mes  sentiments  sur  les  choses  que  je  croirai  qui  se 
pourront  ou  ne  se  pourront  pas  obtenir  de  Sa  Majesté,  et  j'a- 
jouterai par  avance  que  Sa  Sainteté  obtiendra  toujours  tout, 
quand  il  ne  sera  pas  trop  directement  contraire  à  son  honneur 
ou  trop  préjudiciable  à  son  service.  Je  vous  rends  mille  grâces 
des  pensées  obligeantes  que  vous  avez  eues  pour  mon  fils 
Tabbé,  et  de  ce  que  vous  avez  bien  voulu  même  les  porter 
jusqu'à  Sa  Sainteté.  Je  vous  dirai  pourtant  que,  si  vous  en 
aviez  attendu  mon  avis,  vous  ne  l'auriez  pas  fait,  car  mes  pen- 
sées ne  volent  pas  si  haut,  et  je  serais  plus  content  des  bonnes 
grâces  de  Sa  Sainteté  que  de  toutes  les  élévations  de  ma  fa- 

daos  SOQ  passage  par  la  France,  est  de  sa  maia  et  intitulé  :  «  Points  dont 
j*ai  parlé  à  M.  Tabbé  Rospigliosi  de  la  part  du  roi,  et  dont  j'ai  pris  la  liberté 
de  le  supplier  en  mou  particulier  »  ;  Tod  y  trouve  Tarticle  suivant  :  «  Sup- 
plicatioDS  particulières  que  j'ai  pris  la  liberté  de  lui  faire...  Donner  quelque 
établissement  au  sieur  Alto  ou  auprès  de  S.  S.  ou  auprès  de  S.  E.  »,  c'est-à- 
dire  de  Rospigliosi  lui-même,  qui  va  recevoir  la  pourpre  en  rentrant  à  Rome. 
(AotU  1667.  Bomey  185.)  —  Melani  s'assura  la  bienveillance  du  duc  de  Chaulnes 
qui  écrivit  à  Lionne  :  '<  Atto  serait  un  bon  sujet.  11  a  perdu  son  patron,  le 
prince  Mathias  [de  Toscane].  Il  a  toutes  les  entrées  et  est  aussi  bien  avec 
Tabbé  Rospigliosi  qu'avec  le  pape.  Ainsi,  il  peut  tenir  la  place  de  deux  et 
Toas  le  pourrez  avoir  pour  un  demi;  car  si  S.  M.  lui  voulait  faire  avoir  une 
pension  seulement  de  2,000  livres  sur  quelque  bénéfice,  je  crois  qu'il  la  ga- 
gnerait bien.  En  au  mot,  vous  savez  ce  que  c'est,  à  une  cour  comme  celle-ci, 
d'avoir  une  personne  qui  puist^c  parler  au  pape  quand  on  veut.  >h(25  octobre 
1667.  Aome,  186.)  Mais  Melani  était  plus  ambitieux  que  ne  supposait  l'ambas- 
sadeur et  coûta  beaucoup  plus  clier  à  la  France  :  ses  pratiques  furent  bientôt 
pénétrées  par  la  cour  pontificale,  où  il  n'obtint  pas  Y  établissement  rêvé,  et  il 
finit  même  par  être  chassé  de  Rome,  malgré  la  protection  de  Louis  XIV,  au- 
quel il  se  donna  tout  entier  et  dont  il  fut  l'espion  jusqu'à  sa  mort.  On  lit 
dans  les  Mémoires  an  marquis  de  Sourches,  sous  la  date  du  7  décembre  1700: 
«  S.  M.  donna  encore  an  supplément  de  2,000  livres  à  l'abbé  Melani.  »  ^T.  IV, 
p.  331.)  L'annotateur  inconnu  de  Sourches  a  ajouté  :  <  Il  s'appelait  autrefois 
Alto,  et  était  un  chanteur  de  profession  que  le  cardinal  .Mazarin  avait  fait  venir 
pour  chanter  dans  les  opéras  italiens  qu'il  donnait  en  ce  temps-là;  mais  de- 
puis il  se  jeta  dans  les  négociations  secrètes  avec  les  ministres  des  princes 
italiens  qui  étaient  à  la  cour  et,  par  ce  moyeu  s'attira  les  bienfaits  du  roi.  » 
Le  comte  de  Cosnac,  éditeur  des  Mémoires  complète  ainsi  ces  renseigne- 
meiit«  :  «  Cet  abbé  cumulait  avec  son  rôle  dans  les  opéras  les  fonctions 
d'aumônier  auprès  du  cardinal  Mazarin,  scandale  qui  faillit  être  dénoncé  & 
l'assemblée  générale  du  clergé  de  France.  (Voy.  une  lettre  du  17  juillet  1656 
de  révèqae  de  Coutances  au  cardinal  Mazarin,  France,  vol.  161.)  » 

LOUIS  riv  BT  LB  SAiirr-sitoB.  —  IL  16 


2i2  CHAPITRE    DEUXIÈME 

mille,  outre  que  je  ne  suis  pas  assez  présomptueux,  ni  assez 
impertinent  pour  prétendre  qu*en  ma  considération  Sa  Sain- 
teté et  monsieur  son  neveu  se  privassent  d'un  chapeau  pourlc 
donner  à  mon  fils,  quoiqu'il  fût  vrai  de  dire  qu'ils  ne  pourront 
jamais  choisir  de  créature  qui  fût  plus  dépendante  d*euxet 
plus  reconnaissinle  d'une  si  grande  grAce,  et,  s'il  avait  jamais 
d'autres  sentiments,  je  Tctranglerais  de  ma  propre  main,  si 
j'étais  encore  en  vie;  mais  il  n'est  pas  question  de  cela;  car  je 
ne  pense  à  une  si  grande  chose,  ni  je  n'y  penserai  jamais,  à 
moins  que  Sa  Sainteté  le  commandât  absolument,  le  jugeant 
de  son  propre  service,  dont  je  n'oserais  me  flatter.  »  Il  y  pensait 
si  bien  que,  le  m^me  jour,  il  écrivait  à  Melani  une  lettre  plus 
confidentielle  sur  le  même  sujet,  examinant  et  discutant  sé- 
rieusement les  moyens  de  faire  parvenir  son  fils  au  cardina- 
lat :  «  Je  vous  écris  encore  ce  mot  à  part,  disait-il,  pour  vous 
dire,  sur  la  pensée  obligeante  que  vous  avez  eue  pour  mon  lils 
l'abbé,  qu'il  étudie  maintenant  en  Sorbonne  où  mon  intention 
est  qu'il  passe  docteur,  et  pour  cela  il  faut  qu'il  emploie  sept 
ans  entiers  de  continuelle  étude  pour  soutenir  tous  les  actes 
publics  qui  sont  nécessaires,  et  que  je  ne  pourrais  le  tirer  de 
là  et  l'envoyer  à  Rome,  pour  le  mettre  en  prélature,  sans  faire 
beaucoup  parler  le  monde  et  sans  commettre  un  peu  ma  ré- 
putation^ en  ce  que  Ton  dirait  que,  sur  les  incertitudes  d'un 
cardinalat  fort  éloigné  dont  je  me  serais  flatté  imprudemment, 
je  l'aurais  tiré  du  train  ordinaire  de  ceux  de  sa  condition  et  lui 
aurais  fait  abandonner  ses  études  sur  une  chimère  agréable  (1). 
Je  ne  dis  pas  que,  si  je  pouvais  assez  mériter  à  l'avenir  de  Sa 
Sainteté  par  mes  services  pour  l'obliger  à  me  faire  une  si 
grande  grâce,  dès  que  j'en  pourrais  être  assuré  et  que  la  pro- 
motion ne  fut  pas  bien  éloignée,  je  ne  fisse  abandonner  à  mon 
fils  tout  ce  qui  doit  le  retenir  et  qu'en  deux  ou  trois  [ans]  de 
temps,  je  ne  lui  achetasse  une  charge  dans  la  cour  de  Rome, 

(1)  Noue  avons  citi^  (chap.  m  du  livre  l^r)  une  icUre  du  18  décembre  16o6 
prouvant  que  Lionne  caressait  cette  chimère  depuis  longtemps.  Sur  ses  quatre 
liis,  il  n'eu  destinait  pas  moins  de  trois  à  l'état  ecclésiastique,  et  il  disait  de 
Tun  d'eux,  eu  termes  formel'^  :  «  Mon  dessein,  i\  je  puis,  est  de  faire  le  sei- 
gneur Pupo  [Paul-Luc,  le  troisième,  qui  mourut  fort  jeune]  auditeur  de  rote 
et  lui  faire  pousser  sa  fortune  à  Home...  >* 


PRÉSAGES    DE    NOUVEAUX    CONFLITS  243 

de  colles  qift  portent  le  plusordinairement  au  cardinalat,  pour 
mieux  mériter  cette  dignité  (1).  » 

La  réputation  do  douceur  et  de  boulé  que  s'était  faite  Clé- 
ment IX  encourageait  les  exigences  des  Français  (2)  :  il  fut 
cependant  averti  des  dangers  de  sa  condescendance.  Pour 
qu'on  ne  put  Taccuser  de  transformer  ses  grâces  en  conditions 
d'un  marché  avec  le  roi,  il  les  multiplia  imprudemment  sans 
s'assurer  d'aucune  réciprocité.  Lorsqu'il  résolut  d'accorder 
les  induits  des  pays  réunis  à  la  France  par  les  traités  de  West- 
phalic  et  des  Pyrénées,  plusieurs  cardinaux  et  particulière- 
ment le  dataire  Otthoboni,  le  futur  Alexandre  VIII,  déjà  con* 
sommé  dans  la  pratique  des  plus  grandes  affaires^  lui  repré- 
senta qu'il  semait  en  terre  ingrate  et  que  la  France  méprisait 
Rome(3).  Il  en  fit  bientôt  l'épreuve,  et  c'est  précisément  dans 
l'exercice  régulier  do  sa  juridiction  spirituelle  qu'il  rencontra, 
en  France,  le  plus  de  contradictions. 

Il  avait  à  cœur  d'en  finir  avec  les  quatre  évoques  jansénistes, 
contre  lesquels  Alexandre  VII  avait  donné  deux  brefs  quel- 
ques semaines  avant  sa  mort.  Ou  lit  dans  les  Mémoires  du 
P.  Rapin  :  «  Il  n'y  avait  personne...  si  instruit  du  fond  de 
TalTaire  du  jansénisme  que  Rospigliosi,  ayant  servi,  avec  bien 
de  l'assiduité,  pendant  tout  le  pontificat  d'Alexandre,  en 
qualité  de  secrétaire  et  de  ministre  d'État  (i).  »  Il  avait  donc 
partagé  les  appréhensions  de  son  prédécesseur  sur  les  obs- 
tacles que  l'autorité  apostolique  devait  trouver  dans  le  gal- 
licanisme. Mais,  la  couronne  s'étant  formellement  engagée 
à  procurer  Texécution  des  décrets  ponlilicaux,  et  la  sincérité 
personnelle  de  Louis  XIV  n'étant  pas  mise  en  doute,  il  fit 
expédier  volontiers  de  nouveaux  brefs,  sans  perdre  de  temps  à 
démontrer  que  ceux  d'Alexandre  VU  étaient  encore  en  vi- 


(1)  Rome,  185. 

(2)  Le  pape  uiiiie  à  faire  des  grâces  :  «  ]1  faut  lui  demander  hardimPDt;  il 
ue  pourra  jamais  rien  refuser.  »  (Machaut  à  Liounc,  '20  novembre  IHOl.  RomCf 
187.)  —  •»  (Télall  un  esprit  doux.  modArA,  raisonnable,  uft  bienfaisant...  Son 
mot  favori,  dans  tontes  les  occasions  où  on  lui  cjoinaudait  quelque  ^^àre. 
c'étaU  concediamo;  toujours  disposé  À  donner  et  à  faire  plaisir.  »  {Mcmnires-  du 
Père  Rapio,  t.  Ul,  p.  396.) 

(3)  Chaulnes  &  Lionne,  12  avril  1668.  Homr^  190. 

(4)  Mémoires,  t.  IH,  p.  395. 


244  CHAPITRE   DEUStÈBfE 

gueur  (1  ).  Pour  désarmer  plus  sûrement  le  mauvais  vouloir  des 
ministres  le  Tellier,  Colbert  et  Lionne,  il  poussa  Tespril  de 
conciliation  jusqu'à  observer  les  formes  les  moins  opposées  aux 
préjugés  gallicans  ;  on  lui  redemanda  des  clauses  dont  on  avait 
sollicité  et  obtenu  la  suppression  ;  il  ne  refusa  rien  de  ce  qui  ne 
touchait  pas  aux  règles  essentielles  de  TEglise  (2).  Enfin,  le 
23  décembre  1667,  il  donna  deux  brefs  commettant  des  évèques 
français,  agréés  par  le  roi  :  1®  pour  faire  signer  le  formulaire 
par  les  quatre  évèques  et  les  interdire  en  cas  de  résistance; 
2o  pour  les  inviter  à  supprimer  leurs  mandements  contre  le 
formulaire,  et  prononcer  contre  les  rebelles  les  censures  ca- 
noniques (3).  L'ancien  nonce  Roberti  n'avait  pas  encore  de 
successeur,  et  le  pape  se  proposait  de  confier  ce  poste  àTas- 
sesseur  du  Saint-Office,  Marescotti,  l'un  des  meilleurs  théo- 
logiens, d'un  caractère  indépendant,  et  dont  l'abbé  de  Bourle- 
mont  lui-même  faisait  l'éloge  (4).  Lionne  ne  négligea  rien 
pour  écarter  un  témoin  si  intelligent  du  procès  qui  allait  être 
instruit  contre  les  quatre  évèques,  et  Clément  IX,  afin  d'ôter 
aux  plaintes  des  Français  Tombre  même  d'un  prétexte,  trans- 
féra de  la  nonciature  de  Turin  à  celle  de  Paris  un  prélat  esti- 
mable, connu  surtout  pour  la  douceur  de  ses  manières,  Bar- 
gellini,  archevêque  de  Thèbes,  qui  entra  en  fonctions  au  mois 


(1)  M  Dawi  les  maximes  de  Rome,  ia  chose  serait  en  quelque  façon  soutenabU, 
mais  noD  pas  bien  sûre;  mais,  dans  les  maximes  de  France  et  selon  les  sen- 
timents du  clergé  de  France,  cette  écriture  est  insoutenable  en  toute  ma- 
nière. »  (François  de  Bourlemont,  archevêque  de  Toulouse,  à  Lionne,  12  juil- 
let 1667.  flome,  184.)  —  On  pense  que  les  deux  brefs  du  pape  ne  sont  plus 
valables  :  demandez-en  d'autres,  où  sera  supprimée  la  clause  omni  appellaiione 
remotâ.  (Lionne  à  Chaulucs,  19  août  1667.  Rome,  185.) 

(2)  Je  vous  ai  envoyé,  il  y  a  un  mois,  les  deux  brefs  contre  le  jansénisme  : 
je  n'ai  pas  réclamé  la  suppression  de  la  clause  omni  appellaiione  remotâ  : 
c*e.<«t  nous-mêmes  qui  eu  avions  sollicité  linsertion.  (Chaulnesà  Lionne,  27  sep- 
tembre 1667.)  Le  27  décembre,  Tambassadeur  expédia  les  deux  brefs  avec  le» 
rectifications  demandées  par  le  roi. 

(3)  Rome,  187. 

(4)  Bolonais,  àfi[é  de  cinquante  ans,  riche,  fort  judicieux,  n'a  pas  paru  ici  par- 
tial d'aucune  couronne,  fort  intelligent  dans  le  droit,  etc.  (A  Lionne,  6  décem- 
bre 1667.  Rome,  187.)  C'est  lui  qui,  secrétaire  de  la  Congrégation  du  jansénisme 
sous  Alexandre  VII,  avait  été  si  outrageusement  traité  parle  duc  de  Cbaulnes: 
V.  chap.  iv«  du  livre  !«'.  Il  ne  devait  pas  tarder  à  recevoir  la  pourpre,  et  c« 
fut  un  des  cardinaux  les  plus  distingués  du  xvu<>  siècle. 


PRÉSAGES   DE   NOUVEAUX   CONFLITS  245 

de  mars  1668  (1).  Mais  bientôt  toutes  les  prévisions  d'A- 
lexandre VII  se  réalisèrent.  La  lettre  des  dix-neuf  évoques 
fut  la  réponse  du  gallicanisme,  auquel  les  quatre  évèques 
avaient  fait  appel.  «  Nous  n  avons  pu,  disaient  ceux-ci,  nous 
persuader  que  Votre  Majesté  consentit  jamais  ni  à  un  si 
étrange  renversement  des  libertés  de  TÉglise  gallicane,  ni  à 
l'introduction  d'une  procédure  si  inouïe,  selon  laquelle  on 
commencerait  par  punir  ceux  que  Ton  n'aurait  pas  seulement 
ouïs,  bien  loin  de  les  avoir  jugés  et  convaincus  d'un  crime...  » 
Le  pape  a  nommé  non  des  juges,  «  mais  de  simples  exécuteurs 
qui  n'auraient  pas  d'autre  commission,  ni  d'autre  pouvoir  que 
de  nous  interdire  et  de  nous  chasser  de  nos  églises  (2).  »  Dix- 
neuf  évêques  réclamèrent  contre  une  procédure  qui  n'excédait 
assurément  pas  la  prérogative  pontificale  et  que  le  saint- 
siège  lui-même  jugeait  inopportune  et  périlleuse,  mais  que 
Louis  XIV  avait  exigée  comme  plus  conforme  aux  pratiques 
du  despotisme  royal  (3)!  Lorsque  cette  nouvelle  fut  parvenue 
à  Rome,  l'abbé  de  Machaut  écrivit  à  Lionne  :  «  Je  ne  com- 
prends pas  bien  avec  quelle  hardiesse  ces  prélats  [les  dix-neuf] 
vont  directement  contre  les  intentions  du  roi.  Je  me  souviens 
que,  du  temps  que  vous  pressiez  pour  avoir  ce  bref,  ces  mes- 
sieurs-ci [les  ministres  d'Alexandre  VII]  dirent  qu'il  ne  ser- 
virait de  rien,  d'autant  qu'ils  savaient  que  beaucoup  d'autres 
étaient  de  leurs  sentiments  (4).  »  Louis  XIV  fut  personnelle- 
ment irrité  de  cette  opposition  (5)  ;  mais  ses  conseillers  exci- 
tèrent sa  jalousie  contre  le  pape,  et  le  procès  des  prélats 
jansénistes  fut  ajourné.  Vainement  Clément  IX  pressa  l'exé- 
cution de  ces  décrets,  signalant  les  progrès  de  l'hérésie^ 
l'appui  qu'à  ce  moment  même  elle  trouvait  dans  une  cabale 
dirigée  par  la  duchesse  de  Longueville,  et  la  scène  scanda- 
leuse qui  venait  de  se  passer  (20  mai  1668),  dans  la  chambre 
du  roi,  entre   le   prince    de    Condé   et  l'archevêque  d'Ëm- 


(1)  LioDQe  à  Bargcllini  :  complioieDts  d'arrivée,  28  mars  1668.  Borne,  190. 

(2)  Les  quatre  évèques  au  roi^  janvier  16t>8.  France,  186.  C*est  l'origiDal  même, 
avec  les  quatre  signatures. 

(3)  Rapin,  t.  UI,  p.  394,  423,  etc. 

(4)  n  avril  1668.  Rome,  190. 

(5)  Lionne  ft  Chaulnes,  8  mai  1668.  Rome,  191. 


246  CHAPITRE   DEUXIÈME 

brun  (i).  «  Lepape^  écrivait  lo  duc  de  Chaulnes  (2),  m'exagéra 
fort  l'affaire  doB  jansénistes  et  la  conversatiou  de  M.  le  Prince 
avecM.  d'Embrun,  témoignant  que,  le  roi  souffrant  ces  libertés, 
les  jansénistes  en  prenaient  beaucoup  d'avantage.  Il  est  vrai  que 
ces  messieurs  ont  envoyé  ici  des  relations  de  cette  conversation 
un  peu  fortes.  »  Louis  XIV  répondit  dédaigneusement  que  Tal- 
tercation  du  prince  et  de  Tévêque,  en  sa  présence,  n'avait  été 
qu'un  jeu  d'esprit,  et  qu'il  l'aurait  interrompue  si  elle  avait 
dû  ôtre  un  sujet  de  triomphe  pour  la  secte  (3).  Il  répondait 
avec  hauteur  au  cardinal  Albizzi,  dont  la  prévoyance  lui  était 
devenue  importune  :  En  me  déclarant  contre  le  jansénisme, 
je  n'ai  eu  «  d'autres  motifs  que  le  bien  de  la  religion  et  le 
maintien  de  la  véritable  foi  et  de  Tautorité  du  saint-siège;  car, 
pour  ce  qui  regarde  mon  intérêt  particulier  dont  vous  me 
touchez  aussi  quelque  chose  dans  votre  lettre,  comme  si  c'était 
une  faction  que  je  dusse  fort  appréhender  dans  mon  royaume, 
je  vois  bien  que  c'est  le  cardinal  Roberti  qui  a  inspiré  de  delà 
ces  sortes  de  pensées,  lesquelles,  néanmoins,  sont  si  chimé- 
riques qu'elles  ne  me  causent  jamais   un  moment  de  la 
moindre  inquiétude  (4).  » 

Ce  qui  se  passait  en  France,  à  l'occasion  de  la  condamna- 
tion prononcée  à  Rome  contre  deux  livres  jansénistes,  le  fli- 
tiield'Aletei  le  Nouveau  Testament  de  Mom^  justifiaient  les 
plaintes  et  les  inquiétudes  du  pape  et  du  sacré  collège.  Le  roi 
avait  ordonné  que  le  Parlement  supprimât  les  décrets  pontifi- 
caux, sous  prétexte  qu'ils  empiétaient  sur  les  droits  de 
l'Église  gallicane!  Et  voici  ce  que  Lionne  avait  répondu 
aux  réclamations  du  nonce  Bargellini  :  «  Le  roi  ayant  de 
nouveau  examiné  la  matière  de  la  lettre  dontV.  S"*  Ill"«  m'a 
favorisé.  Sa  Majesté  no  juge  pas  à  propos,  pour  le  propre 
bien  du  service  do  Sa  Sainteté,  qu'elle  se  commette  aux  in- 
convénients que  j'ai  eu  l'honneur  de  lui  représenter,  et  parti- 
culièrement dans  une  conjoncture  où  on  voit  les  esprits  fort 


(1)  V.  tous  les  mémoires  et  é.cnU  du  temps.  —  Sainte-Beuve,  Port-Royal, 
t.  IV,  pp.  383  et  8. 

(2)  A  Lionue,  26  juin  1668.  Rome,  191. 

(3)  A  Chaulnes,  20  juillet.  Rome,  192. 

(4)  G  juillet.  Rome,  192. 


PRÉSAGES    DI    NOUVEAUX   CONFLITS  247 

ufTés  et  aigris  sur  la  manière  de  la  condamnation  du  /?t- 
d'Aletj  dont  il  a  paru  aussi  un  imprimé,  sans  avoir  cité, 
avoir  entendu  Tévêque,  sans  user  mémo  du  terme  donec 
if/atur,  en  quoi  sans  doute  tous  les  évêques,  et  même 
:  qui  blâmeront  d'ailleurs  le  livre,  prendront  grand  intérêt 
n  ait  condamné  à  être  lirûlé  un  livre  d'un  de  leurs  con- 
îs.  Je  ne  sais  pas  qui  peut  dire  à  V.  S"*  111™®  que  la  publica- 
de  bulle  contre  la  Versioîi  de  Mons,  en  la  manière  qu'elle 
îut  faire,  soit  une  chose  accoutumée  ;  j'ai  vu,  au  contraire, 
irlement  donner  toujours  des  arrêts  contre  ces  sortes  de 
ication,  parce  que,  selon  nos  maximes,  rien  n'est  reçu 
rance  qui  vienne  do  Rome,  si  on  ne  voit  le  plomb  et  que 
i  ne  Tait  autorisé  par  ses  lettres  patentes...  Je  supplie 
rio  j[[me  jg  prendre  tout  ce  que  j'ai  le  bien  de  lui  mander 
no  venant  d'un  serviteur  non  moins  zélé  qu'elle-même 
tout  ce  qui  peut  regarder  la  satisfaction  et  la  gloire 
a  Sainteté  (1).  » 

laquc  jour  s'accusait  plus  clairement  la  prétention  de 
ler  au  catholicisme,  en  Franco,  la  forme  d'une  Église  na* 
lie  et  d'y  régler^  sans  le  pape,  le  culte  et  la  vie  religieuse, 
lent  IX  blÂma  aussi  sévèrement  qu'Alexandre  VII  le  re- 
îhement  de  fêtes  prononcé,  comme  on  Ta  yu,  par  des 
ues  français,  sur  Tordre  du  roi,  sans  l'autorisation  du 
-siège  et  mOme  sans  l'avoir  consulté  :  ses  représentations 
jnrent  que  de  vaines  promesses  demeurées  sans  effet, 
s  XIV  écrivit  au  duc  de  Chaulnes  :  «  Je  m'en  vas  m'appli* 
à  terminer  à  son  contentement  Tairaire  du  retranchement 
êtes,  quand  j'aurai  su  plus  particulièrement  du  nonce  les 
dionts  qui  pourront  le  plus  le  satisfaire,  en  conservant  la 
tation  de  l'archevêque  de  Paris,  à  laquelle  je  dois  d'autant 
avoir  égard  qu'il  ne  s'est  engagé  à  ce  qu'il  a  fait  que  pour 
complaire  en  procurant  à  mes  sujets  l'avantage  d'avoir^ 
le  cours  de  l'année,  un  plus  grand  nombre  de  journées 
s  pussent  employer  à  leur  travail  (2).  »  Cesparolcs  n'étaient 


!3  mai  1668.  Rome,  191. 

\  mai  1668.  Home,  191.  Od  a  vu  plus  haut  que  la  répartUion  canonlqae 

)UToird  entre  le  pape  et  les  évêques  permettait  de  réformer  les  abus  et 


248  CHAPITRE    DEUXIÈME 

pas  plus  sincères  que  la  protestation,  contenue  en  la  même  dé- 
pêche, de  n'avoir  jamais  voulu  blesser  Tautorité  pontificale 
par  les  mesures  prises  contre  les  institutions  monastiques. 
On  sait  que  le  nonce  Roberti  avait  obtenu  par  son  énergie  que 
le  roi  renonçât  à  son  projet  d'édit  contre  les  vœux  ;  mais  les 
ministres  s'étaient  promis  de  tarir,  par  des  voies  indirectes, 
la  source  des  vocations  religieuses,  et  ils  espéraient  y  parve- 
nir en  revendiquant  pour  la  couronne  le  droit  de  s'immiscer 
dans  la  réforme  des  couvents,  commencée  et  poursuivie  avec 
tant  de  succès  sous  les  règnes  de  Henri  IV  et  de  Louis  XIU. 
Louis  XIV  écrivait  à  son  ambassadeur  :  «  Mon  intention  n'a 
jamais  été,  et  n'est  point  encore,  de  rien  faire  en  cela  qui  puisse 
tant  soit  peu  choquer  l'autorité  de  Sa  Sainteté,  mais  seulement 
apporter  un  ordre  aux  dérèglements  qui  se  sont  glissés...  pour 
la  multitude  des  couvents  et  des  religieux,  dont  le  revenu,  ou 
les  aumônes  qui  leur  sont  faites,  ne  peuvent  suffire  pour  leur 
subsistance.  »  La  vérité  est  que,  si  la  pauvreté  mettait  diverses 
maisons  en  péril,  la  cause  en  devait  être  surtout  cherchée 
dans  l'abus  de  la  commende,  auquel  la  royauté  donnait  une 
si  funeste  extension.  Mais  des  documents  inédits  vont  nous  ap- 
prendre que  la  couronne  poursuivait,  non  pas  rafTermissemenl 
de  la  discipline  dans  les  orilres  religieux,  mais  leur  destruction 
successive  :  aussi  s'appliquait-elle  à  tromper  la  vigilance  du 
saint-siège. 

Le  pape,  écrivait  le  duc  de  Chaulnes,  veut  qu'on  laisse  de 
cAté  les  moines  qui  sont  déjà  réformés.  Quant  à  ceux  qui  ont 
besoin  d'être  ramenés  à  la  règle,  il  n'approuve  pas  que  les 
évêques  en  soient  chargés  :  ils  se  doivent  à  leurs  fonctions 
épiscopales  ;  d'ailleurs  les  conflits  sont  fréquents  entre  eux  et 
les  réguliers,  et  ce  serait  faire  juger  une  des  parties  par  l'autre. 
L'ambassadeur  ayant  insinué  que  le  roi  pourrait  indiquer  et 
le  pape  commettre,  comme  sous  Louis  XIII,  un  cardinal  et  des 
particuliers  renommés  pour  leurs  vertus,  sans  caractère  d'é- 
vêque,  le  pape  aurait  pu  répondre  que  la  faction  française,  par 
la  faute  du  roi,  ne  comptait  personne  de  comparable  au  car- 

répondre  aux  besoins  légitimes  des  peuples,  et  ne  laissait  aucune  excuse  aux 
empiétements  du  roi  et  des  évêques  sur  les  droits  du  saint-siège. 


PRÉSAGES    DE   NOUVEAUX   CONFLITS  249 

dinal  de  la  Rochefoucauld  de  sainte  mémoire  ;  il  déclara  seu- 
lemenl  qu'il  préférait  les  généraux  d'ordre,  et  qu'il  les  enver- 
rait dans  le  royaume  avec  les  pouvoirs  nécessaires  (1).  Mais 
la  cour  de  France  avait  d'autres  desseins,  et  Lionne  écrivait 
au  duc  de  Chaulnes  :  «  Tenez  bon,  s'il  vous  plaît,  à  demander 
1  ouj  ours  la  députation  des  évoques  pour  laréforme  des  religieux  ; 
et  cherchez-en  les  meilleurs  prétextes  que  vous  pourrez  trou- 
ver. Des  cardinaux  ne  pourraient  être  qu'italiens  et  n'enten- 
dront pas  nos  moines;  des  généraux,  de  même  ;  leurs  vicaires 
français  ni  des  personnes  de  piété,  de  douceur,  n'auraient  pas 
l'auforité  nécessaire.  Cependant  je  m'en  vas  vous  dire  le  secret  : 
quand  on  a  fait  de  delà  cette  demande,  c'a  plutôt  été  pour  em- 
pêcher que  les  sujets  du  roi,  qui  le  peuvent  si  bien  servir  ail- 
leurs, ne  s'affublent  pas  d'un  froc,  et,. pendant  que  vous  con- 
testerez de  delà  sans  admettre  aucun  tempérament,  nous  y 
gagnerons  toujours  qu'il  ne  se  fera  aucune  réception  de  no- 
vices, qui  est  un  grand  point,  car  elle  a  été  interdite  par  l'arrêt 
du  Parlement  jusqu'à  la  réforme  (2).  »  La  lettre  suivante  du 
même  ministre  au  même  ambassadeur  nous  révèle  encore 
mieux  les  perfides  manœuvres  de  la  royauté  :  Le  nonce,  disait 
Lionne  (3),  s'est  plaint  d'un  arrêt  du  Conseil  d'État  défendant 
qu'on  reçoive  des  novices  dans  aucun  couvent  du  ressort  de 
Bordeaux,  et  a  dit  que  cette  défense  ne  peut  venir  que  de  la 
«  seule  autorité  du  pape  ».  Voici  le  fait  :  tous  les  Parlements, 
sauf  celui  de  Bordeaux,  ont  prononcé  des  arrêts  en  ce  sens,  la 
prohibition  devant  durer  jusqu'à  ce  que  les  ordres  religieux  jus- 
tifient qu'ils  sont  réformés,  selon  ce  qui  sera  réglé  par  les 
commissaires  demandés  au  pape,  et  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
fourni  l'état  exact  de  leurs  revenus.  Tous  les  ordres  ont  alors 
«  frauduleusement  »  envoyé  leurs  novices  prendre  l'habit  dans 
le  ressort  de  Bordeaux  :  c'est  à  quoi  le  roi  a  voulu  pourvoir. 
Le  nonce  prétend  que  les  Parlements  n'ont  pas  plus  le  droit 
de  porter  cette  défense  que  le  Conseil  d'Etat.  «  Nous  lui  avons 
répliqué  que  Sa  Majesté  était  satisfaite  des  Parlements  et  de  ce 


(1)  Chaulnes  au  roi,  17  janvier  1668.  ^omts  189. 

(2)  10  février  1668.  /iome,  189. 

(3)  20  juillet  1668.  Kome,  192. 


250  châpitbe  deuxièbcb 

qu'ils  avaient  fait,  et  qu'elle  ne  ferait  là-dessus  aucune  instance 
au  pape  ;  que  s'il  voulait  so  charger  de  faire  venir  les  mêmes 
ordres  de  Sa  Sainteté,  Sadile  Majesté  en  serait  bien  aise.  »  — 
Et,  pour  que  les  religions  ne  puissent  jamais  justifier  qu'elles 
sont  réformées,  ce  sont  encore  les  Parlements  que  le  roi  charge 
d'y  introduire  ou  d'y  entretenir  le  désordre.  Un  Français,  le 
P.  Sébastien  Quinquet,  général  des  Minimes,  ne  soupçonnant 
pas  encore  le  fameux  secret,  écrivait  en  ces  termes  à  Lionne 
en  lui  confiant  avec  candeur  les  inquiétudes  répandues  dans 
tout  rinstitut  monastique  (1)  :  «  Le  P.  général  des  Jacobins 
m'est  venu  trouver  et  m'a  parlé  de  la  demande  que  le  roi  fait 
au  pape  pour  la  réforme  des  religieux^  et  dit  que  tous  les  cou- 
vents de  son  ordre  qui  sont  en  France  seraient  déjà  réformés, 
n'était  le  recours  au  Parlement,  parce  qu'ayant  voulu  mettre 
en  eiïet  la  résolution  qu'il  avait  prise  pour  cet  établissement, 
ses  religieux  en  ont  appelé  au  Parlement  et  ont  arrêté  son 
bon  dessein*:  et  il  dit  que,  si  le  roi  lui  donne  sa  protection  et 
empêche  ce  recours,  il  s'oblige  en  très  peu  de  temps  d'intro- 
duire une  réforme  très  rigoureuse  dans  tous  les  couvents  de 
France.  J'ai  cru  être  obligé  de  faire  savoir  cela  à  Votre  Excel- 
lence, car  il  est  vrai  et  très  certain  que  ce  recours  est  la  source 
de  tout  le  libertinage  des  mauvais  religieux.  J'en  suis  à  pré- 
sent dans  Texpérience,  au  sujet  d'un  certain  religieux  de  la  pro- 
vince de  Tours  nommé  Spinose,  lequel  ayant.été  condamné  par 
le  chapitre  général  et  depuis  ayant  eu  recours  à  moi  et  m'ayanl 
prié  de  connaître  de  son  affaire  sur  quelque  incident  nouveau, 
je  me  suis  trouvé  obligé  de  le  condamner.  Il  avait  acquiescé  à 
la  sentence,  et,  voyageant  hors  de  France,  Ton  me  mande  qu'il 
a  appelé  de  ma  sentence  au  Parlement,  de  sorte  qu'il  n  y  a 
plus  lieu  de  pouvoir  réduire  les  religieux  à  leur  devoir,  se  ser- 
vaut  de  ces  sortes  d'appels  pour  vagabonder  hors  les  couvents.  » 
Au  cours  de  ces  entreprises,  qui  menaçaient  sur  tant  de 
points  à  la  fois  les  libertés  ecclésiastiques,  Louis  XIV  et  Lionne 
ourdirent  encore  une  intrigue  sacrilège  pour  faire  dissoudre, 
sans  le  pape,  le  mariage  d'Alphonse  VI,  roi  de  Portugal,  et 
provoquèrent  un  conflit  qui  pouvait  troubler  pour  longtemps 
les  rapports  du  saint-siège  avec  deux  royaumes  catholiques. 

(l)  12  décembre  1667.  Rome,  187. 


CHAPITRE  TROISIÈME 

LOUIS  XIV  ET  LE  «  DÉMAEIAGE  »  DE  MARIE  DE  SAVOIE,  HEINE  DE 
PORTUGAL  :  LUTTE  ENGAGÉE  PAR  LE  ROI  DE  FRANCE  CONTRE  LA 
JURIDICTION  SPIRITUELLE  DU   PAPE.   NOVEMBRE  1667   A   SEPTEMBRE 

1668. 


RéTolntion  de  noTembre  1667  en  Portugal.  Alphonse  VI  emprisonné»  et  son  frère,  l'infant  don 
Fèdre,  nommé  réf  ent.  LouU  XIV,  qui  avait  fait  épouser  Marit  do  Savoie  au  roi  AlpHonte  VI, 
eotrepr«Qd  d#  la  marier  au  régent  don  Pèdre  sans  rintervenlion  du  pape.  —  Sentence  de  Lis- 
bonne »or  le  premier  mariage.  Le  cardinal  de  Vendôme,  simple  li^gat  d'apparat  pour  le 
bapt<!^roe  do  dauphin,  forcé  par  Louis  XIV  de  donner  une  dispense  papale  à  la  reiee  Marie. 
Célébration  du  second  mariage.  —  Grand  fracoê  que  fait  à  Home  la  nouTcUo  de  cet  événe- 
ment. Scrupules  de  don  Pèdre  et  de  la  reine.  Mission  du  P.  de  Villes  eu  France  et  à  Rome. 
—  Louis  XIV,  théologien  et  casuiste,  défend  au  P.  de  Villes  d'exécuter  les  instructions  des 
princes,  et  d'obéir  au  pape.  Il  menace,  si  le  pape  ne  se  soumet  pas,  de  faire  attaquer  sou 
autorité  par  •  beaucoup  de  plumes  ».  Mémorables  dépêches  du  25  mal  et  du  3  août  1668. 


Le  27  juin  1666,  sur  un  vaisseau,  à  La  Rochelle,  Louise- 
Marie-Françoise-Élîsabeth,  arrière-petite -fille  de  Gabrielle 
d'Estrées,  petite -fille  du  bâtard  César  de  Vendôme,  fille  de 
Charles-Amédée  de  Savoie,  duc  de  Nemours  et  d'Aumale  (1), 
et  d'Elisabeth  de  Vendôme,  avait  été  mariée  au  roi  de  Portugal, 
Alphonse  VI,  par  César  d'Estrées,  évêque  de  Laon,  neveu  de 
Gabrielle  d'Estrées.  Elle  était  assistée  de  son  oncle  Louis  de 
Vendôme,  duc  de  Mercœur,  présenté  par  Louis  XIV  pour  le 
cardinalat.  Trois  jours  après,  elle  partit  pour  Lisbonne  sur  le 
vaisseau  le  Mercœur^  qui  naviguait  de  conserve  avec  le  Beau- 
fort  :  on  avait  ainsi  accumulé  autour  de  la  jeune  reine  tout  ce 
qui  rappelait  Torigine  ignominieuse  de  sa  maison  (2).  La  plus 
cruelle  déception  Tattendait  dans  son  royaume.  Le  mari  que 

(1)  Qui  fut  tué  en  duel  par  soq  beau-frère,  le  duc  de  Beau  fort. 

(2)  Quoique  ses  lettres  autographes  soient  signées  tantôt  Afarte,  tantôt 
.V.  Elisabeth,  nous  l'appelons  Marie  de  Savoie^  à  Texemple  du  P.  d'Orléans, 
•on  biographe,  dont  nous  aurons  occasion  de  citer  le  livre  :  Paris,  1696.  in-12o. 
—  EUe  avait  brillé  quelque  temps  à  la  cour  de  France^  sous  le  nom  de  Ma- 
demoiselle (TAumale,  —  Cf.  notre  article  de  la  Revue  des  Questions  historiques  : 
Louis  XIV  et  Clément  IX dans  V affaire  des  deux  mariages  de  Marie  de  Savoie^ 
janvier  i880. 


252  CHAPITRE    TROISIÈME 

lui  avait  imposé  la  politique  de  Louis  XIV,  et  qu'avait  refusé, 
deux  ans  auparavant,  M*^*'  de  Montpensier,  était  un  monstre 
au  physique  et  au  moral,  infirme  depuis  son  enfance,  aussi 
peu  propre  au  mariage  qu'à  la  royauté.  La  paix  des  Pyré- 
nées ayant  seulement  ajourné  le  dessein  de  ruiner  la  puis- 
sance espagnole,  Louis  XIV  n'avait  eu  «  aucun  scrupule, 
quoiqu'il  eût  pris  l'engagement  contraire,  de  prêter  une  assis- 
tance indirecte  au  Portugal  »,  dont  la  cour  de  Madrid  refusait 
toujours  de  reconnaître  l'indépendance.  L'or  français  main- 
tenait sur  pied  une  armée  portugaise,  commandée  par  le 
comte  de  Schomberg,  que  Louis  XIV  avait  fait  passer  de  son 
service  à  celui  d'Alphonse  VI,  avec  un  corps  d'ofliciers  et  de 
soldats  choisis.  La  cour  de  France  espérait  gouverner  celle 
de  Lisbonne  sous  le  nom  de  la  jeune  reine;  et,  en  effet,  au  mois 
de  mars  1667,  Alphonse  s'obligea,  par  un  nouveau  traité, 
à  ne  point  faire  de  paix  séparée  avec  l'Espagne.  Sans  nous 
arrêter  à  des  anecdotes  qui  peuvent  plaire  à  la  malignité  des 
curieux  et  qui  sont  presque  toutes  controuvées  (1),  nous  em- 
prunterons un  court  récit  de  la  révolution  de  1667  aux  mé- 
moires de  Pomponne  (2)  :  «  Le  21  de  novembre  1667, 
la  reine  de  Portugal  entra  dans  le  couvent  des  religieuses 
de  l'Espérance,  où  elle  avait  accoutumé  de  se  retirer  assez 
souvent;  mais  elle  dit  au  comte  de  Santa-Cruz,  son  grand 
chambellan,  qui  l'y  avait  accompagnée  ,  qu'elle  y  entrait 
pour  n'en  point  sortir.  Elle  lui  donna  en  même  temps  un 
écrit  par  lequel  elle  le  chargeait  de  dire  au  roi  que  leur 
conscience  leur  disait  assez  à  l'un  et  à  Tautre  qu'elle  n*était 
point  sa  femme;  que  Dieu  lui  était  témoin  que,  depuis 
qu'elle  était  avec  lui,  il  ne  lui  avait  point  fait  changer  Tétat 
auquel  elle  était  avant  son  mariage;  et  que ,  ne  pouvant 
sans  crime  demeurer  plus  longtemps  ensemble  en  cette  sorte, 

(1)  Les  plus  obstinés  chercheurs  ne  paraissent  avoir  rien  découTert  à  te 
charge  de  la  reine.  M.  Jal  a  consacré  a  cette  princesse  un  très  long  et  très 
curieux  article  de  son  Dictionnaire  critique  de  biographie^  p.  806,  et  Toici  sa 
conclusion  :  <c  Bien  des  bruits  courent  Thistoire  à  la  honte  de  cette  reine, 
complice  d*une  intrigue  qui  lui  conserva  le  trône...  Je  suis  sans  preuves  pour 
ou  contre  elle.  Sur  le  second  mariage  de  la  reine  il  y  a,  je  crois,  moins  de 
choses  connues  que  sur  l'autre.  » 

(2)  Édités  par  Mavidal,  1861,  in-S»,  t.  II,  p.  526. 


LE    (C    DÉMÂRIAGE    »    DE   MARIE   DE  SAVOIE  253 

le  le  priait  de  lui  rendre  son  bien  et  de  lui  permettre  de  re- 
urner  en  France.  Le  roi  fut  surpris  et  fort  fâché  de  ce  dis- 
>urs.  Il  courut  au  couvent  pour  y  entrer;  mais  l'abbesse 
étant  excusée  d*en  faire  ouvrir  les  portes,  dont  elle  disait 
ne  la  reine  avait  les  clefs,  il  se  préparait  à  les  faire  rompre, 
trsque  Tinfant  (don  Pèdre)  arriva,  suivi  d'une  grande  multi- 
ide  de  peuple;  et  ayant  prié  le  roi  de  ne  point  faire  de  vio- 
ince,  il.  le  porta  à  retourner  au  palais,  où  il  assembla  le  con- 
îil...  Le  roi  se  défendit  fort  de  Taccusation  de  la  reine;  mais, 
uelque  indignation  qu'il  en  fît  paraître,  le  conseil  ordonna  tout 
'une  voix  que  la  connaissance  de  la  nullité  ou  de  la  validité 
umariageseraitremiseauxjuges ecclésiastiques...  Les  États 
assemblèrent  le  lendemain  et  ne  proposèrent  pas  seulementau 
>i  de  vouloir  laisser  juger  cette  affaire  selon  les  formes  ordi- 
aires,  mais  de  trouver  bon  d'admettre  avec  lui  le  prince  infant 
la  participation  du  gouvernement  duroyaume.Leroi...  prit 
L  résolution  de  céder  à  la  fortune  et  au  désir  des  États  et 
landa  au  conseil  qu'il  approuvait  tout  ce  qu'il  ferait  en  faveur 
3  son  frère...  Il  convint  aussi  des  causes  légitimes  que  la 
line  avait  alléguées  de  la  nullité  de  son  mariage  ;  et  tout  ce 
langement^  qui  se  passa  sans  la  moindre  émotion  et  qui  ne 
,  pas  tirer  une  seule  épée,  fut  reçu  avec  d'autant  plus  de  joie 
î  tout  le  royaume  que  les  peuples  voyaient  autant  de  grandes 
lalités  dans  don  Pèdre  qu'ils  avaient  éprouvé  d'incapacité 
ins  don  Alphonse  (1).  » 

(l)Migaet,  qui  a^ait  sous  les  yeux  des  documents  aulheatiques  ignorés  de  Pom- 
tiiDe  lui-même,  est  plus  sévère  encore  pour  le  premier  mari  de  la  princesse 

Savoie.  «  Alphonse  VI,  dit-il,  avait  lassé  Tobéissance  de  ses  sujets  par  ses 
Lies  et  ses  violences...  11  agissait  en  brigand  et  non  en  roi...  Le  peuple  et  les 
aods  tournèrent  peu  à  peu  leurs  regards  vers  son  frère  don  Pedro,  qui  avait  un 
racière,  un  esprit,  des  goûts  toutà  fait  contraires  aux  siens...  La  révolution 
l'Alphonse  VI  avait  préparée  lui-même  depuis  si  longtemps  par  ses  excès  Ht  ses 
itravagances  s'accomplit,  etc.  »  {Négociations  relatives  à  la  succession  cfEs- 
igne^LUy  p.  565  et  suiv.)  Toutes  les  relations,  publiées  ou  inédites,  confirment 

aggravent  les  récits  de  Pomponne  et  de  Miguet.  —  «  Le  prince,  à  la  prière 
1  conseil,  de  la  noblesse,  des  tribunaux  et  du  peuple,  prit,  dans  le  palais  où  il 
!  logea,  le  gouvernement  de  l'État,  sous  le  titre  de  prince-régent,  et  le  roi, 
»n  frère,  ayant  voulu  se  sauver,  fut  enfermé  dans  sou  appartement  où  on  le 
irde  encore.  Ce  changement  s'est  fait  et  s'établit  si  doucement,  qu'on  ne 
en  aperçoit  quasi  pas.  Le  Conseil  d'État,  qui  conseillait  le  roi,  conseille  le 
ince,  et  les  mêmes  gardes,  qui  gardaient  le  roi  régnant,  le  gardent  prison- 


254  chàpitrk  troisième 

Cctto  révolution  fut  suivie  d'un  échec  considérable  pour 
Louis  XIV  en  Portugal  :  toutes  les  classes  de  la  nation  exi- 
gèrent que,  malgré  les  engagements  pris  envers  les  Français, 
on  acceptât  les  ouvertures  des  Espagnols,  et  bientôt  (13  fé- 
vrier 1668),  fut  conclu  un  accord  qui  assura  Tindépendance 
des  Portugais.  Vingt  jours  auparavant  (23  janvier)  avait  été  si- 
gnée la  Triple  Alliance.  Le  roi  de  France,  arrêté  et  menacé  au 
milieu  de  ses  triomphes,  ne  négligea  aucun  moyen  de  ressai- 
sir son  influence  à  Lisbonne,  où  on  Tavait  vu  déjà  sacrifier  les 
intérêts  de  la  foi  à  ceux  do  son  ambition.  Tant  que  la  maison 
de  Bragance  ne  fut  pas  alTermic  sur  le  trône  de  Portugal, 
Rome  avait  jugé  prudent  d'ajourner  Texpédition  des  bulles 
pour  les  évêques  nommés  par  la  nouvelle  dynastie.  Louis  XIV, 
qui  jugeait  la  séparation  des  deux  couronnes  utiles  à  sa  poli- 
tique, conseillait  à  son  protégé  de  forcer  la  main  k  ClémentlX 
par  la  menace  d'un  schisme,  et  Lionne  écrivait  au  duc  de 
Chaulnes  :  Si  Sa  Sainteté  tarde  encore,  <c  ils  recourront  entinà 
ces  moyens  extraordinaires  et  préjudiciables  à  Taulorité  du 
saint-siège,  comme  celui  de  suivre  l'exemple  de  la  primitive 
Église,  où  les  évoques  s'élisaient  par  le  peuple  et  étaient  sacrés 
par  dautres  évêques,  sans  avoi  r  besoin  des  bulles  de  Rome  (1  ).  » 
Le  projet  formé  par  la  reine  et  par  Tinfant  lui  fournit  l'occa- 
sion d'intervenir  dans  les  affaires  intérieures  du  royaume;  il 
imposa  ses  services,  promit  sa  protection,  fit  entendre  qu  elle 
suffirait  et  que  sans  elle  on  ne  pouvait  rien. 

César  d'Estrées,  évêque  de  Laon ,  qui  avait  négocié  et  célébré 
le  mariage,  fut  chargé  de  régler  les  formes  à  suivre  pour  en 
faire  prononcer  la  nullité.  Ce  prélat  débutait  alors  dans  la 
carrière  diplomatique,  où  il  devait  se  rendre  célèbre,  moins 
par  son  habileté  que  par  une  soumission  sans  scrupules  aux 
volontés  du  roi.  Son  intérêt  porsonnel  le  pressait  d'ailleurs  de 
se  prêter  aux  vues  de  Louis  XIV  pour  maintenir  sur  le  trône 

nier  et  riiifant  régnant  Jans  In  mrmo  phlai:*,  sans  qu'on  ait  changé  nn  seul 
homme  dans  ce  conseil  ni  <lnus  ces  gardes.  11  n'y  a  pas  deux  avis  pour  ce  qui 
regarde  le  gouvernement  de  rinTaut.  Tout  le  monde  est  persuadé  qu'un  ae 
pouvait  pas  autrement  soutenir  les  affaires  et  sauver  l'État.  »  (L*abh6  de  Saint- 
Romain,  envoyé,  puis  ambassadeur  de  Louis  XIV,  ù  Lionne,  29  novembre 
1CC7.  Portugal,  8.) 
Oj  19  août  166'?.  Rome,  183. 


LE    ((    DÉMâRIAGE    »    DE    MARIE   DE    SAVOIE  2K5 

le  Portugal  sa  parcnto,  par  le  crédit  do  laquelle  il  espérait 
)btenir  le  chapeau  de  cardinal.  Aussitôt  après  la  séquestration 
VAIphonse  VI,  Louis  XIV  et  le  prince  de  Bourbon-Vendôme 
envoyèrent  à  l'abbé  de  Saint-Romain,  ministre  de  France  à 
Lisbonne,  le  pouvoir  de  sif^ner  le  mariage  de  M"**  d'Aumale, 
ci-devant  reine  de  Portugal,  avec  le  prince  don  Pèdre.  La  lé- 
gitimité de  celle  union  élait  subordonnée  à  la  double  condition 
que  le  mariage  avec  Alphonse  VI  fût  annulé  par  Tautorité  com- 
pétente et  que  Marie  de  Savoie  obtint  une  dispense  pour  épou- 
ser son  beau-frère.  La  gravité  de  la  cause  et  la  qualité  des 
parties  exigeaient,  d'après  le  droit  et  la  coutume,  qu'on  recou- 
rût à  Rome  :  c'est  ce  que  la  cour  do  France  voulut  empêcher. 
Par  ses  conseils,  la  reine  et  l'infant  demandèrent  seulement 
aux  juges  ecclésiastiques  de  Lisbonne  une  sentence  qui  décla- 
rât nul  le  mariage,  pour  cause  d'impuissance  et  comme  n*ayant 
pas  été  consommé  (1).  Louis  XIV  trouva  malheureusement 
dans  le  confesseur  de  la  reine,  le  P.  de  Villes,  jésuite,  un 
auxiliaire  trop  docile  de  ses  manœuvres.  Ce  religieux  écrivait 
k  Lionne,  le  26  décembre  1667  :  «  On  procède,  dans  toutes  les 
formalités  et  vagares  [lenteurs]  du  pays,  au  jugement  de  la 
nullité  du  mariage  ;  à  quoi...  le  roi  a  douné  son  consentement 
par  une  déclaration  de  son  impuissance  signée  de  sa  main  (2). 

(r  Parmi  les  nombreuses  piëce^t  osteDsibles  ou  confidentielle?,  qui  ont 
lassé  sous  mes  yeux,  il  n'y  eu  a  pas  une  qui  infirme  les  faits  constatés  par 
A  sentence  de  Lisbonne.  L'ambassadeur  anglais,  sir  Robert  Soutbwell,  quicom- 
lattait  riofluence  française  en  Portugal,  écrivait  à  sa  cour  :  '<  What  I  fear 
ind  foresec  is  that,  should  Ihis  marriage  go  forward,  Portugal  will  undoab- 
.ediy  continue  longer  under  tbe  captivity  of  the  French.  »  (A  lord  Arlington, 
l3-â5  novembre  1667.)  Pour  empocher  cette  seconde  union,  qui  paraissait  si 
iréjudiciable  à  l'Anglelerre,  il  avait  donc  intôrôt  à  contester  et  à  nier  les 
Cluses  de  nullité  alléguées  contre  la  première  :  cependant,  après  avoir 
écouté  toutes  les  rumeurs  et  pesé  les  témoignages  dignes  de  foi,  après  avoir 
*era  les  confidences  de  la  reine  elle-même,  il  ne  parait  pas  mettre  eu  doute 
^u  elle  n'eût  éprouvé  :  "...  a  total  disappoiutmcut  in  her  bed...  It  appears 
Dv  the  sequel  tbat  au  accident  which  befelt  tbe  king  in  bis  childhood  ofbeing 
)lasted,  nnd  cver  sincc  paralytical  on  bis  whate  rigbt  side^  diJ  non  only 
;rack  and  shatter  bis  understanding,  but  madc  biui  impotent  as  to  the  use  ofa 
rirgin »  (10/20  décembre  1067  :  Tlie  hislon/  of  the  révolution  of  Portu- 
gal with  leiters  of  sir  [{offert  SouUuvell,  during  his  embassff  there  In  the  duke 
if  Ormorid,  (jivinfj  a  parlicu/ar  account  of  the  dcposing  A/fnnso  and  piacing 
Ion  Pedro  on  the  Ihrone,  London,  1740,  iu-8o.) 

(2)  «  ...  Por  detcargo  da  minha  conicienciai  declaro  que  nfto  consumei  com 


256  CHAPITRE    TROISIÈME 

Et  on  prend  cependant  toutes  les  mesures  et  précautions  né- 
cessaires pour  faire  sûrement  et  promptement  ce  qui  doit 
suivre,  sans  s'exposer  aux  délais  et  aux  embarras  que  Rome 
et  la  Castille  pourraient  apporter  à  Texécution  d'une  aussi  im- 
portante affaire^  si  on  ne  la  pressait.  Ah  !  Monseigneur,  que 
je  vous  ai  souhaité  de  fois  ici  auprès  de  la  reine  pour  être 
l'ange  de  son  conseil,  et  pour  me  tirer  des  peines  où  la  con- 
naissance que  j'ai  de  mon  insuffisance  m'a  mis  (i)  !  » 

Le  tribunal  ecclésiastique  remplit  son  office  avec  circons- 
pection et  fermeté.  Le  siège  de  Lisbonne  étant  vacant,  le  cha. 
pitre  de  la  cathédrale  avait  désigné  trois  juges  :  son  vicaire 
général,  Tévèque  de  Targa  et  le  président  de  Tlnquisition, 
évêque  nommé  d'Elvas,  ce  dernier  particulièrement  connu  pour 
sa  science  et  sa  rigidité  (2).  La  reine  répugnait  seulement  à 
un  examen  personnel,  mais  elle  redoutait  si  peu  les  informa- 
tions les  plus  étendues  qu'avant  même  le  commencement  de 
la  procédure,  elle  avait  fait  arrêter  et  mettre  sous  bonne  garde 
le  serviteur  le  plus  affidé  du  roi  et  les  complices  de  ses  orgies 
sans  nom  (3)  comme  les  témoins  les  plus  utiles  pour  confirmer 
les  aveux  écrits  d'Alphonse.  L'évèque  nommé  d'Elvas  étant 
mort  aumoisdedécembre,  l'enquête  fut  continuée  sans  précipi- 
tation, quoiqu'on  en  attendit  la  fin  pour  assembler  les  Gortès 
et  donner  à  la  révolution  une  sanction  légale  (4).  Il  n'est  pas 

ella  (a  rainha)  o  matrimonio  por  ser  domzeila.  Assim  o  juro  aos  Saatos  Evan- 
gelhos,  e  quero  qae  esta  declaraçûo  tenba  toda  a  força  e  Tigor  bastaote  pera 
se  julgar  por  duUo  o  matrimonio  que  celebranos.  »  (2  décembre  1667.  Portu- 
gal, 6.) 

(1)  Ibid. 

(2)  «  A  learued  rigorous  maii  without  mercy.  >>  (Soutbwell  à  lord  Ormond, 
18/28  novembre  1667.) 

(3)  «...  Before  tbeir  judgcs  werc  chosen,  there  were  scized  and  are  no'w  iQ 
hold  tbrec  of  those  wencbes  whicb  Ihe  king  commonly  made  use  of,  as  also 
a  young  man  who  tended  the  klng  below  the  girdle  in  tbose  cérémonies 
whicb  in  this  bot  country  was  accustomary  to  ils  inbabitauts,  and  thèse  wi>re 
provided  as  a  stock  uf  witnesscs,  to  put  a  final  décision  by  their  testimonies 
of  the  impotency  of  the  king  :  'whereby  Her  Majesty  mightcome  oGTthc  casier 
and  make  a  déclaration  to  commute  for  tliat  mecanic  way  of  inspection.  >•  (Ibid.) 

(4)  <c  On  croit  maintenant,  écrivait  le  P.  de  Villes  à  Lionne  le  26  décembre, 
que  dans  trois  semaines  au  plus  la  sentence  sera  donnée.  Après  cela,  les 
Etats;  dans  les  Etats,  à  ce  qu'on  pense,  la  déposition  du  roi  et  lacclamatioa 
du  prince  avec  le  titre  de  roi;  ensuite,  les  instances  des  Etats  à  la  reine  d'ac- 
cepter et  de  consentir  au  mariage  avec  le  nouveau  souverain.  »  (Portugal^  6.) 


LE   «    DÉMARIAGH:    »    DE    MARIE   DE    SAVOIE  2S7 

vrai  que,  comme  le  veut  faire  enteiulro  le  léger  Vertot  (1),  on 
s'empressîlt  ilc  satisfaire  les  désirs  de  la  reine,  «  au  moyen 
de  ces  formalilés  que  la  plupart  des  juges  savent  toujours  ac- 
commoder au  gré  de  ceux  (|ui  gouverueut.  »  La  sentence  ne 
Fut  rendue  que  trois  mois  plus  tard,  le  24  mars  (2).  Mais  il  ne 
suffisait  pas  à  Marie  de  Savoie  de  faire  rompre  les  liens  qui 
l'avaient  unie  au  roi  Alphonse;  un  enipèchement  lionestalis 
rmhliae  s'opposait  à  son  mariage  avec  don  Pèdrv?,  et  c'est  au 
pape  seul  qu'il  appartenait  de  lever  cet  obstacle.  Cependant  la 
CiMir  de  France  combattait  ce  recours  au  saint-siège;  dès  le 
22  décembre  i()()7,  Lionne  avait  écrit  à  l'abbé  de  Saint-Romain  ; 
"  Sa  Majesté  a  seulement  considéré...  que,  comme  par  toutes 
les  choses  passées,  on  peut  croire  assez  vraisemblablement 
ijue  le  prince  a  une  très  forte  inclination  pour  la  reine  et  que 
]»eut-êtro  aussi  elle  est  réciproque,  le  prince  aura  grande  pas- 
sion d'épouser  la  reine,  et  que,  croyant,  possible,  ne  le  pouvoir 
faire  valablement  sans  en  avoir  obtenu  la  dis})ense  de  Rome, 
il  est  bien  à  craindre  que  les  Espagnols  ne  se  mêlent  là  dedans... 
Vous  ne  devez  rien  omettre  pour  rompre  ce  coup  et  pour  faire 
connaître  au  prince  et  à  ladite  reine  qu*il  y  a  une  voie  bien 
plus  sûre  et  plus  courte  pour  avancer  leur  satisfaction,  qui  est 
cdle  de  la  dispense  de  Tévèque...  On  ne  doit  pas  croire  qu'un 
livéque,  assisté  de  tout  le  clergé  du  royaume,  dans  un  cas  pa- 
reil, n'ait  un  pouvoir  très  suffisant  pour  donner  ladite  dis- 
pense dont  vous  ollrirez  même  que  Sa  Majesté  se  chargera 
J'abondant  de  poursuivre  la  consommation  et  la  validation  en 
:our  de  Rome,  en  cas  qu'ils  le  désirassent  pour  leur  plus 
.•rande  satisfaction  (*J).  »  l^t  pnîS(iue  en  même  temps,  le  ca- 
iuiste  trop  zélé,  le  l*.  de  Villes,  écrivait  à  Lionne  :  a  On  tra- 
vaille fortement  de  divers  cotés  à  établir  l'opinion  probable 

il:  liérolulion  du  Pnrlut/aly  ûiiit.  1711,  iii-l2. 

(2)  «  Le  21  et  le  22,  le  ju;<t*incnt  du  itrot^ès  do  la  rvma  de  Portu^j'al  sur  l«i 
lullitt^  «le  sou  niariîifî»'  pjirut  j'uiharrassé  et  remi:*  après  les  fètcs;  mais  hier 
uatiu  Taffaire  cban^ra  tout  d'uu  coup  de  fare,  et  toutes  les  diflicultés  qui  s'y 
'«fiicoutraieiit  et  qu'on  croyait  affectées  et  lualij^ues  se  dissipèreut  soudaine- 
in-nt,  et,  cette  après-diuée,  les  ju^es  out  rendu  luur  sentence  telle  que  la 
viue  de  Portuf^al  pouvait  la  désirer.  »  (Saint-Komain  à  Lionne,  24  mars  1068. 
■'ortuyal,  1.) 

(3)  Portuyal,  6. 

LUUId    ZIV    ET    LB  SALM-SIKUK.    —    U.  17 


258  CHAPITRE   TROISIÈME 

qu*il  n*est  pas  besoin  d*aIlor  à  Rome  pour  avoir  la  dispense  de 
rempêchementderhonnêleté  publique,  et  par  là  on  évitera  au 
moins  des  longueurs  qui  ne  pourraient  être  que  très  fâcheu- 
ses (1).  »  Il  s'en  fallut  de  peu  que  les  jeunes  princes  n'écou- 
tassent ces  mauvais  conseils,  en  passant  outre  au  mariage, 
avec  la  dispense  d'un  évèque  portugais,  sauf  à  solliciter  en- 
suite à  Rome  la  légitimation  du  fait  accompli.  Le  jour  même 
du  jugement,  Saint-Romain  écrivait  à  Lionne  :  «  Tous  les 
gens  de  celte  cour  en  ont  fait  compliment  ce  soir  à  la  reine, 
et  j'y  suis  allé  aussi  faire  le  mien  avec  M .  do  Schonberg  el 
M.  Gravier.  Elle  nous  a  dit,  comme  un  secret,  que  son  contrai 
de  mariage  avec  le  prince  était  dressé  ;  qu'on  le  signerait  de- 
main matin;  que,  le  soir,  le  princcî  l'épouserait  secrëtemenl  à 
sa  grille,  et  que,  peu  de  jours  après,  l'abbé  Bttgni  partirait  pour 
aller  à  Rome  demander  leur  dispense  au  pape  (2).  »  Mais  des 
scrupules  de  diverse  nature  traversèrent  cette  entreprise,  et 
l'abbé  de  Saint-Romain  écrivit  bientôt  à  sa  cour  :  «...  Après 
que  la  sentence  fut  donnée  et  le  jour  même  que  la  reine  espé- 
rait que  son  mariage  se  devait  faire,  Jean  Correa,  précepteur 
du  prince,  Jean  de  Rojas,  son  secrétaire,  dirent  au  prince  en 
particulier  et  tout  haut  dans  le  monde  qu'on  ne  pouvait  pas 
en  conscience  faire  ce  mariage  qu'après  en  avoir  demandé  el 
obtenu  la  dispense  du  pape,  el  qu'il  fallait  pour  cet  effet  en- 
voyer à  Rome  incessamment.  Toute  la  cabale  d'Espagne  prê- 
cha la  même  doctrine,  cl  le  secrétaire  [d'État]  Macedo  ne  put 
pas  s'empêcher  de  dire  à  la  reine  que  le  marquis  de  Liche, 
appréhendant  que  cette  affaire  ne  reçût  quelque  difficulté  à 
Rome,  offrait  les  offices  d'Espagne  pour  l'y  faciliter  et  avan- 
cer... La  chose  paraissait  incertaine,  et  nous  retombions  in- 
sensiblement dans  nos  premières  craintes...  »  L'opinion  pu- 
blique s'indignait,  et  les  princes  n'osèrent  pas  la  braver  : 
«  On  commença,  dit  un  contemporain,  à  douter  que  ce  mariage- 
là  se  pût  légitimement  faire  ni  consommer  sans  dispense,  et, 
quoique  l'on  ne  soit  pas  fort  scrupuleux  en  ces  matières-là  en 
Portugal,   il  semblait  que   l'honnêteté  publique  demandait 


(1)  26  décembre  1661.  Portugal,  6. 

(2)  Portugal,  7. 


LE    «    DÉMARIAGE    »    DE   MARIE    DE    SAVOIE  25d 

juelque  formalité  plus  grande  qu*UQc  sentence  de  Tofficia- 
ité(l).  » 

Une  abominable  supercherie  de  Lionne,  approuvée  par 
L.OUÎS  XIV,  fournit  à  Tinfant  et  à  la  reine  le  moyen  de  préci- 
piter leur  mariage,  en  produisant  un  simulacre  de  dispense 
pontificale,  qui  trompa  un  moment  le  clergé  de  Lisbonne,  les 
)rinces  et  leur  cour.  Le  roi  avait  alors  auprès  de  lui  le  cardinal 
le  Vendôme,  oncle  maternel  de  Marie  de  Savoie,  que  le  pape 
ivait  décoré  du  titre  de  légat  a  latere  pour  tenir,  en  son  nom,  le 
lauphih  sur  les  fonts  du  baptême  (2).  Ces  missions  purement 
lonorifiques  ne  rappelaient  que  de  nom  celles  qui  avaient  au- 
. refois  exercé  une  si  grande  influence  sur  la  société  chrétienne. 
La  jalousie  de  la  puissance  séculière  leur  imposait  même  des 
întraves  qui  en  rendaient  l'usage  de  plus  en  plus  rare.  Les/a- 
:ultés  de  ces  envovés  étaient  vérifiées  au  Parlement  de  Paris, 
iprès  que  le  souverain  avait  délivré  des  lettres  d'attache.  Le 
gouvernement  français  y  proscrivait  toute  apparence  de  juri- 
diction ;  et  les  papes,  pour  éviter  les  conflits,  étaient  les  pre- 
miers à  renfermer  l'autorité  des  légats  dans  les  plus  étroites  li- 
mites. Clément  IX  d'ailleurs  n  aurait  pas  donné  de  pouvoirs 
étendus  au  cardinal  de  Vendôme,  dont  il  connaissait  l'ignorance 
et  la  docilité  absolue  aux  caprices  du  roi.  Ses  bulles  lui  permet- 
taient, pendant  sa  légation  éphémère,  de  lever  certains  empè- 


(1)  Mémoires  de  d'Abiancourl^  envoi/é  en  Portugais  [contenant  f histoire  de 
Portugal,  Amsterdam,  1701,  in-i2,  p.  313. 

(2)  Bref  au  roi,  16  janvier  1668.  On  ne  peut  lire  sans  douleur  le  passage  de 
i^e  bref,  où  Clément  IX  parle  de  ce  personnage  qui  réunit  «  prœter  sanguinis 
regii  decus,  insignes  etiam  animi  dotes!..  »  —  Le  duc  de  Chaulnes  et  Lionne 
faisaient  des  gorges  chaudes  de  cette  légation  :  «  Que  vous  allez  être  heureux,  écrit 
le  premier  au  second,  d'avoir  les  bénédictions  de  M.  le  cardinal  de  Vendôme  !  >» 
(17  janvier  1668.  Home^  189.)  En  môme  temps  Tambassadeur  se  vante  au  roi 
d'avoir  glissé  dans  son  discours  à  Clément  IX  une  aUusion  offensante  pour 
Alexandre  Vil  :  En  proposant  à  S.  S.,  écrit-il,  d*être  le  parrain  de  M**  le 
dauphin,  je  lui  ai  dit  «  que  le  litre  de  pape  n'avait  pas  été  suffisant  pour 
obliger  V.  M.  à  faire  cette  avance^  mais  qu'il  avait  fallu  qu'il  eût  été  accom- 
pagné de  toutes  les  qualités  que  nous  voyons  reluire  en  sa  personne...  »  (Même 
jour.)  —  Le  cardinal  de  Vendôme  ne  sut  pas  même  faire  rendre  à  son  carac- 
tère de  légat  les  honneurs  qu'il  avait  toujouri*  reçus  en.France  :  «  Dites  au  pape 
que,  si  je  n*ai  pas  rendu  moi-même  visite  au  légat,  comme  Henri  IV  l'avait 
fait  au  cardinal  de  Joyeuse,  (^'est  que  personne  ne  m'a  rappelé  ce  précédent.  » 
(Le  roi  à  Chaulnes,  27  avril  1668.  Rome,  190.) 


-■1  n  T-ir  -  n.jr.w-  -  -i.  r-  ■ -:.*  -..ii^^  a-î  regardîûl- 
*:.f  rir  -r?-  iî  r:*  'iï  -1  j'i.  :---..  -..  j.-  !  aceroiii-eiie  qoe  l6S 
Trun'iLs-,  —  =i:niîi-!î-  :.vr:  •!..>. -^  L^j;ixii±  îmaziai  de  faire 
in-  .i-zjit^  *^  j  ^-^  j-iT  -  xTîîiuL.  L  m  ii/iTîeWff.  d  des  princes 
'^r-fjiK"^'  -  *  î.;-'  -  ■-'  •  f.-^i/f;-  a  *a-^ir!KUiCA:a5i  il  coutume 
^rii-it  AU-  it?  jttL  -s^î^r  -■.  :-  -"---r-  air-  e*  loa^r?!  rf  des  envoyés  ] 
i-aiid.iun.  _  ,11^  XIT  r..  I  m  v-a  ri-if^a-wr  eacore  plus  i 
^Tr'"*'n«-!ii  -  i-^im-^K.^-.  .rx  f.,-  .jTQ  j^i  >ji:  à  oommeltre un 
mus-  :-  IL- IL  i-.a  1*  .:ïi-  ...'—m  h  :iriiji.ii  pour  en  obtenir  ' 
a  -:  uu:  ii  .r-  -.  a  ikui  :.i..  V'.î.:..tn.*  tftita  de  résister  (I).  • 
iLiL^  r  11:  .ij-ti  II. -a.  ■  :-  -'uir  l  *  ..ni- .-  ^.  "île.  M.  Verjus,  se- 
:r-'.xj-i  ir-  .1  -iiirr.  ..-;»«  :-  i  a  :  «ir  t^r  Frin:e,  fut  aussitôt 
••1  ■-  y^  •'!  ^  '"-i-ru  i  -■  j.  r-jr!i:Sd  II  l-e^i:.  r»è>Ie3I  mars, 
'^.i.n  -?v:iiid.a -:'i'.  -::-^--  i  I^.  aîi»^  t  M  V^r  js  r-aratheureu- 
-•-iii-ta"  i*— •  •  iT-'  i.-]:rLL-f.  ay-tn  £-*  **•  •*  - //4-r/'Ai/i//,  et  leva 
:.!:;?  .'f!*  s.Tiiii^'-^  -V  :  -  .i  ifi.:  i.  -i  .:i*  a  opposait  à  la  coq- 
:Li:?u.'a  le  -i^c-:;  tfii::*^.  r..!.  •  .i  riiole  perdît  la  parole  à  la 
'i-t  i-t  :ei:-  i:-7e:i>»f.  f.  f-r-rit  lî  Tirzi  eue  secrétaire  d'É- 
•..i:  -r-  f:^rZ-  ■  -x:i.  :  tiir-  :.  ..ii-e.'t.is  ÇQ^  l'évèque  l'ac- 
:^  :.i  j>izi^  7'~\r:-z:  i  i  :i.r  .i.  :  i:i;:ivr  i  voir  les  facultés 
:r  M.  '.-^  ^r.i:.  L-  z-  i.  >:  :  :  :e  M.  Verju-S  arriva,  on  lit  Icb 
::.ir.!ai-^-:S  -f:.  .r  .r-  :-.z:i^:i  .:i:r::r:\  le  mariaire   2  .  m 

•.  I>  M'iinii.  fi:  :  ^-  :  -i*  -r  i  ^  ii-r .  t;  :-?  i-î  3.>an^<  :-.»ur  5^  justifier, 
»:  :*r.iJ:.'  p-ir  :i*  i:  ^-"i*..  i  :-  — :-i-,  :  i'^  -  lî"*..:  ii.L«Tê  la  liispense  que 
•...•.•:.*-   :i  •-..   3-   -*  ^  i:  .1    i-.-...    .*  >rTCe.;;:^r^î .   L  oua^?   à  BourlemoDl, 

■  •••._•-  :>■•*.  ?.:  ■!■.■'  :  •-  —  Itî  ?.  :  .  •:  x::?.  :r-.-.'  x  j.iplai»dnt  hiàlorien  de 
.*.  --.!'.  i-  .*  ..>-■--_:-  :  :*  .t  .T-ri;  i. -.'.::  :  :  -  :'â;  donner  la  dispeostf 
**  : .-:  •-*  :  Vit-  !:i.ji  II  ^.n:  ^^Mr-i?...  •-  cIaî;  dans  crtte  perplexité 
j/rj-T.-»  jL  t-z  L::-!!-:  r;  M.  \  rr^  .«.  ^^^l::;  -i-ï^u-tle  ii  buUe  où  les  pouvoir* 
.  .  '.^j\i  eu.  .:.:  :.:l:.-:LI?.  y  :r.  :.-.  -^  -i'.  ••':  ^  vi:  ex:>ridiê  oelui  dout  on  avait 
r»>'0..'....  Or,  :.*  it.i-i  7  t5  J  lu-  .i  51. :t  ..  i'-.r  rucore  quelque  peine  à  Rome, 
o>i  . '»fi  pr^l'fiiit  q;e.  l^i '--;:-  -m:.:  ir  :-.?  ^.-i^es  mijeures  réservées  par  le 
'\fo.i  'Mj  i-iifii- ;--•■*.  ::i  1-î  ct-iiiT:  le  L-if':  '-.l'j.  ul  le  le-:at  uen  avaient  pa.* 
fl'i  A'ffirnîîfr:.  "  7>z  c>  /^/>  Af'i  ^  -:'•  ^:.  t.  :».  r>  ei  suiv.  LVnonciatioD  da 
p'/'i*o.r  't-ï  t  j»!  pt'j  n*?//-?  que  :-r?o:.--.  ^  Kôa:e,  ne  l'aperout,  et  que  le» 
nfffit<  ffiincii^  ou  p/>rtug.iis  Ti^i^reut  lu»  -ue  jauiàis  y  soutenir  cette  préten- 
tion. 

U,  l'ftrhi'fiil.  1.  —  H  Oniime  on  doutiit,  a  cause  do  l*honuêteté  publique,  si 
!*•  rri/irf>it<<:  pouvait  légitimement  et  valable lueul  être  contracté  et  consommé 
«»io<  /Ii«pTri«*t,  on  allait  choisir  qu»;lques  docteurs  pour  agiter  cette  question, 
l/ir«/|(i«)  M«  VfrrjuK  arriva  de  France  avec  le  bref  du  légat  qui  leva  le  doute  et 


LE    «    DÉMARTAGE    »    DE    MARTE    DE   SAVOIE  261 

Les  jeunes  princes  étaient  peut-^tre  de  bonne  foi,  mais  la 
iir  de  Franco  ne  recula  devant  aucun  mensonge  pour  assu- 
lo  succès  de  ses  menées.  Le  20  février,  Lionne  avait  donné 
istruclion  suivante  à  Saint-Romain  (1)  :  «  M.  Verjus  vous 
a  encore  quelle  pensée  m*est  tombée  dans  l'esprit  en  lisant 
bulles  de  la  légation  de  M.  le  cardinal  de  Vendôme  ;  mais 
rois  que,  quand  vous  en  parlerez,  vous  aurez  encore  moyen 
aire  valoir  l'avantage  de  Ja  chose,  en  insinuant  ou  laissant 
prendre  que  cela  se  soit  fait  par  un  concert  secret  entre  le 
?t  la  cour  de  Rome.  »  La  vérité  est  que,  dès  le  premier 
lent.  les  agents  français  ou  portugais  avaient  été  avertis 
le  pape  se  réservait  à  lui  seul  d'accorder  une  pareille  dis- 
e.  Le  20  janvier  1668,  Lionne  avait  informé  le  duc  de 
ilnes  que  le  souverain  pontife  recevrait  bientôt  de  Lisbonne 
louvelles  qui  ne  lui  plairaient  pas,  et,  sans  lui  révéler  le 
't,  le  chargeait  do  dissiper  les  ombrages  que  le  pape  pour- 
concevoir  :  «  Si  on  commençait,  disait-il,  à  faire  quelque 
[  H  Rome  sur  les  avis  qui  iront  des  procédures  qui  se  font 
d)onuo  pour  le  démariage  do  la  reine  de  Portugal,  je  crois 
LX  que  vous  pouvez  faire  de  mieux,  c'est  de  prier  SaSain- 
de  suspendre  son  jugement  et  toutes  résolutions,  jusqu'à 
le  vous  la  puissiez  particulièrement  informer  de  tout  ce  qui 
ra  fait,  et  de  la  manière  qu'on  s'y  sera  conduit,  et  des  motifs 
n  aura  eus;  et,  à  vrai  dire,  sans  cela, Sa  Sainteté  ne  saurait 
résoudre  qu'à  làtons  (2).  «  Le  duc  de  Chaulnes  s'en  ouvrit 
idemment  à  Clément  IX,  qui  promit  la  grâce  espérée,  dès 
serait  justifié  d'un  démariagp  en  bonne  forme.  L'ambas- 
ur,  en  transmettant  cet  avis  à  sa  cour,  désapprouvait  luî- 
ic  qu'on  voulût  se  passer  d'une  dispense  pontificale,  et 
chait  à  prévenir  un  éclat  fâcheux.  «  L'on  tient  ici,  écrit-il 
l  février  (3),  que  cet  empêchement  doit  être  ôté  par  une 
LMise,  et  je  crois  que  cette  reine  la  demandera  d'autant 
vohmtiers  qu'un  refus  même  la  met  à  couvert  de  tout  ce 

npulp,    etc.    »•   (Dt»    la    Clètle,  Uisloire  de  Porlut/ul,    1735,   Paris,  Id-4®, 
p.  7S5.) 
Portugal,  8. 
Home,  189. 
W,mf,  189. 


262  CHAPITRE   TROISIÈME 

que  l*on  pourrait  dire,  et  ne  peut  retarder  en  rien  son  mariage.» 
Le  13  mars,  il  renouvelle  ses  conseils  et  recommande  ce  parli 
comme  le  plus  honnête.  Il  est  inquiet  des  bruits  qui  se  ré- 
pandent déjà  :  on  lui  dit  que  le  mariage  doit  se  faire  «un  peu 
brusquement,  »  et  que  «  Ton  n^attendra  pas  la  bénédiction  do 
pape  ».  Mais  le  27  avril,  Lionne  lui  écrit  sèchement  et  sans 
entrer  dans  aucune  explication  :  «  Il  ne  sera  plus  nécessaire 
que  vous.  Monsieur,  ni  M.  le  cardinal  Ur8in{l),  parlent  à  Sa 
Sainteté  de  la  dispense  de  la  reine  de  Portugal,  parce  que  nous 
avons  déjà  pris  des  mesures  également  certaines  pour  n'en  avoir 
pas  besoin  (2).  » 

Le  triomphe  fut  de  courte  durée.  Marie  de  Savoie,  que  les 
Cortès  avaient  autorisée  à  conserverie  titre  de  reine,  quoique 
son  mari  prît  seulement  celui  de  régent,  était  assiégée  de 
scrupules.  Après  la  célébration  du  mariage,  Tévêque  de  Targa 
«  avait  désiré  de  revoir  la  dispense  et  Tavait  redemandée  avec 
empressement;  mais,  écrivit  Saint-Romain  (3),  comme  on 
jugeait  que  ce  pouvait  être  pour  la  faire  examiner  à  mau- 
vaise fin,  on  n'a  pas  voulu  la  lui  redonner  que  le  mariage 
n'ait  été  consommé.  »  La  reine  eut  hâte  de  se  mettre  en  règle 
avec  le  chef  de  l'Église,  et,  dès  le  20  avril,  elle  fit  partir  pour 
Rome  son  confesseur,  le  P.  de  Villes,  avec  ordre  de  passer 
par  la  France.  Ce  religieux  était  chargé  de  lettres  pour 
Louis  XIV  et  pour  ses  ministres.  Celle  que  la  reine  adressait 
à  Louvois  dévoile,  en  même  temps  que  sa  sincérité,  la  pression 
exercée  sur  elle  par  la  cour  de  France  (4)  :  «Mon  mariage,  dit- 
elle,  ayant  réussi  avec  le  prince  de  Portugal  de  la  manière  que 
le  souhaitait  le  Roi  très-chrétien  et  que  je  sais  que  vous  le  dé- 
siriez, j'ai  cru  qu'il  fallait  penser  à  Taffirmer  si  bien  du  côté  de 
Rome  qu'on  ne  puisse  jamais  en  d'autres  temps  y  donner  aucune 
atteinte.  Pour  cela,  je  crois  devoir  informer  le  pape  de  tout  ce 
qui  s'est  passé  ici  à  mon  égard  ;  et,  parce  que  je  n'ai  pu,  dans 


(1)  Comme  protecteur  de  Portugal. 

(2)  Rome,  190. 

(3)  «(  Cependant,  comme  il  paraissait  dans  tout  ce  qui  s'était  fait  et  surtout 
à  regard  du  mariage  quelque  sorte  de  précipitation,  il  fat  résolu  qu'on  enver 
ralt  à  Rome  le  P.  de  Villes.  »  (D'Ablancourt,  ibid.j  p.  375.) 

(4)  Jal,  Dictionnaire,  p.  808. 


LE    «    DÉMARIAGE    »    DE   MABTE    DE   SAVOIE  263 

une  affaire  de  coQscionce,  prendre  d'autre  conseil  ni  avoird'autre 
témoin  que  mon  confesseur,  j'ai  pensé  aussi  que  personne  ne 
pourrait  rendre  meilleur  compte  que  lui,  qui  a  eu  la  principale 
part  à  toutes  les  résolutions  que  j'ai  été  obligée  de  prendre...  » 
Les  dépèches  officielles  du  roi  au  duc  de  Chaulncs  se  taisaient 
sur  cette  affaire,  dont  Lionne  seul  avait  touché  quelques  mots 
dans  ses  lettres  particulières.  L'ambassadeur  ne  pouvait  donc 
engager  une  négociation  sans  Tordre  de  sa  cour;  mais,  informé 
de  ce  qui  se  passait  par  ses  amis  de  Paris  et  de  Saint-Germain, 
il  avertit  Lionne  des  difficultés  qu'on  se  préparait.  Il  reproche 
agréablement  au  ministre  (1)  «  d'avoir  fait  faire  le  pape  à 
M.  le  cardinal  de  Vendôme  pour  le  mariage  de  la  reine  de 
Portugal.  Du  moins,  ajoute-t-il,  je  ne  vous  avais  pas  soupçonné 
à  tort,  parce  que  l'on  a  su,  par  le  dernier  courrier,  que  la  reine 
était  mariée  sur  une  dispense  de  M.  le  légat,  ce  qui  fait  ici  un 
grand  fracas.  Le  pape  en  parla  hier  au  cardinal  Orsino,  au 
consistoire,  et  témoigna  qu'il  serait  fort  surpris  que  M.  de 
Vendôme  eût  fait  un  tel  pas  qui  no  se  pouvait  soutenir;  et, 
comme  le  cardinal  Azzolino  me  fit  demander  avant-hier  ce  que 
j'en  savais,  je  lui  fis  dire  que  l'affaire  dépendait  de  l'explica- 
lion  des  facultés;  que  ce  que  je  savais  était  que  M.  le  cardinal 
le  Vendôme  n'entendait  pas  trop  bien  le  latin,  et  qu'il  aurait 
cru  peut-être  de  faire  plaisir  au  pape,  en  lui  ôtant  l'embarras 
]u'aurait  eu  Sa  Sainteté  pour  cette  expédition,  à  laquelle  les 
lilspagnols  se  seraient  opposés,  selon  leur  coutume.  » 

Louis  XIV  n'essaya  de  se  justifier  à  Rome  que  quand  tous 
es  faits  furent  accomplis,  et  les  formes  obséquieuses  de  son 
ipologie  ne  dissimulent  pas  son  mépris  réel  pour  le  saint-siège  : 
I  écrivit  à  son  ambassadeur  (2)  :  «  La  dispense  accordée  par 
non  cousin  le  cardinal  de  Vendôme,  légat  a  latere  de  notre 
laint-père  le  pape,  de  l'empêchement  de  l'honnêteté  publique, 
»our  faciliter  la  célébration  du  mariage  de  la  reine  et  du  prince 
le  Portugal,  pouvant  avoir  paru  un  peu  extraordinaire  dans  la 
our  de  Rome,  j'ai  cru  qu'il  ne  suffisait  pas  d'avoir  agi  en  ce 
encontre  avec  toutes  les  circonspections  que  requiert  le  res- 


(1)  15  mai  1668.  Romey  i91. 
(2)25  mai  1668.  Home,  191. 


264  CHAPITRE   TBOISIÈME 

pect  filial  que  j'ai  toujours  eu  pour  le  saint-siège,  mais  qu'il 
fallait  encore  satisfaire  Sa  SainleU'»  en  lui  rendant  uu  fidèle 
compte  des  vérilables  motifs  qui  m'ont  obligé  à  désirer  celte 
dispense  de  mon  cousin  lo  cardinal-légat  et  des  moyens  que 
j'ai  employés  pour  l'obtenir  avec  la  célérité  qu'exigeaient  l'im- 
portance de  TalTaire  et  la  qualité  des  parties...  Je  fis  des  ins- 
tances très  pressantes  à  mon  cousin  le  cardinal-légat  pour 
faciliter  ladite  dispense;  et,  sur  les  divers  scrupules  et  diffi- 
cultés qu'il  y  forma,  alléguant  que,  dans  une  affaire  d'une  si 
grande  conséquence,  où  il  s'agissait  de  lintérèt  de  personnes 
d'un  si  haut  rang,  il  ne  pouvait  user  de  son  pouvoir  sans  en 
avoir  reçu  un  ordre  particuli<»r  de  Sa  Sainteté,  je  lui  fis  con- 
naître que  cette  affaire  était  d'une  nature  et  tellement  traversée 
par  les  Espagnols,  depuis  la  conclusion  de  la  paix  avec  .os 
Portugais,  qu'elle  pouvait  être  ruinée  par  le  moindre  retarlo- 
ment  et  qu'ainsi,  le  temps  ne  permettant  pas  de  recourir  à 
Rome,  il  était  de  la  dernière  nécessité  qu'il  se  rendit  facile  à 
accorder  celle  grûce,  sans  attendre  aucun  nouveau  pouvoii  du 
saint-siège,  et  que  j'étais  assuré  que  non  seulement  il  ne  ferait 
rien  contre  le  gré  de  Sa  Sainlelé,  mais  même  qu'il  pourrait  en 
cela  bien  mériter  du  saiut-siege  :  pn^mièrement,  en  ce  qu'il  était 
manifestement  de  rintérùl  et  de  la  dignité  de  Sa  Sainteté  qu'un 
mariage  de  cette  qualité  ne  fut  j)as  consommé  sans  une  dis- 
pense apostolique,  ce  qui  aurait  néanmoins  pu  arriver,  suivant 
l'opinion  commune  et  presque  générale  des  théologiens  et  juris- 
consultes français,  ainsi  que  de  nombre  de  docteurs  portugais 
qui  avaient  été  consultés  sur  celte  affaire  et  étaient  demeurés 
d'accord  que,  par  la  déclaration  de  la  nullité  du  premier  ma- 
riage de  la  reine,  elle  était  libre  cren  contracter  valablement 
un  second  sans  aucune  difficulté  et  snns  aucune  dispense,  ce 
qui  n'aurait  pu  être  exéiMilé  qu'au  mépris  et  très  grand  pré- 
judice de  l'autorité  du  saint-siègt»  ;  secondement,  en  ce  qu'il 
relevait  Sa  Sainteté  de  Tenibarras  .luquel  elle  se  serait  trouvée 
de  pouvoir,  selon  son  inclination  naturelle,  contenter  tout  le 
monde,  ce  qui  lui  aurait  été  impossible  dans  la  conjonctun» 
dudit  mariage,  à  cause  des  div(»rs  intérêts  qui  se  trouveront 
mêlés  dans  cette  affaire.  Sur  ces  présupposilions  et  celles  des 
assurances  que  vous  m'aviez  données  d'ailleurs  de  la  parok 


LE    «    DÉMARtAOB    »    DE   MARIE   DE  SAVOIE  265 

formelle  que  vous  aviez  de  Sa  Sainteté  qu'elle  traiterait  très 
favorablement  ladite  reine  et  avec  toute  la  bonté  et  facilité 
possible,  je  me  cbarp^eai,  auprès  de  mon  cousin  le  cardinal 
légrat,  de  faire  approuver  et  agréer  par  Sa  Sainteté  tout  ce  qu'il 
ferait  en  ce  rencontre.  En  sorte  que,  n'ayant  pu  se  défendre 
de  prendre  connaissance  de  cette  affaire,  il  se  fit  représenter 
les  principaux  actes  du  procès  de  la  reine,  et  y  ayant  trouvé 
des  preuves  convaincantes  et  incontestables  de  la  nullité  de 
son  premier  mariage,  connaissant  d'ailleurs  le  désir  extrême 
qu'avaient  les  Portugais  de  la  concluvsion  du  second,  et  joignant 
ces  considérations  à  celles  de  l'iutérAt  qu'avait  le  saint-siège 
de  ne  pas  souffrir  qu'une  alVaire  de  cette  qualité  se  terminât 
sans  interposer  son  autorité,  mon  cousin  aurait  été  convaincu 
qu'il  était  d'autant  plus  juste  d'accorder  ladite  dispense  que 
les  parties  intéressées  se  trouvaient  dans  l'un  des  cas  pour 
lesquels  le  saint-siège  accorde  le  plus  volontiers  ces  sortes  de 
grâces.  Néanmoins,  pour  ne  pas  engager  l'autorité  de  Sa  Sain- 
teté et  ne  se  départir  aucunement  de  la  règle,  mon  cousin 
n'aurait  accordé  cette  grAce  qu'avec  connaissance  de  cause, 
i»n  remettant  à  la  discrétion  de  l'ordinaire  des  lieux  la  con- 
cession de  ladite  dispense,  lorsqu'il  lui  serait  apparu  de  la 
vérité  de  ce  qui  avait  été  exposé  par  ladite  reine  et  par  ledit 
prince.  Après  toutes  ces  marques  de  soumission  et  de  respect, 
qut'  mon  cousin  a  fait  paraître  en  ce  rencontre  pour  Sa  Sain- 
teté, je  me  promets  non  seulement  que  Sa  Sainteté  n'aura  pas 
désagréable  ce  qu'il  a  fait,  mais  au  contraire,  qu'en  cas  qu'il 
s'y  soit  passé  quelque  cbose  dans  l'exécution  dont  la  forme  pût 
rtre  un  peu  extraordinaire,  elle  aura  la  bonté  d'y  suppléer  en 
approuvante!  autorisant  tout  ce  qui  se  sera  fait  dans  cette  occa- 
sion; et,  ne  doutant  pas  que  l'intérêt  que  j'ai  pris  dans  le  bon 
succès  de  cette  atîaire  ne  soit  encore  un  nouveau  motif  qui 
l'obligera  d'y  donner  son  agrément  et  sa  bénédiction  aposto- 
lique, je  désire  que  vous  les  demandiez  l'un  et  l'autre  en  mon 
ncmi  (1).  » 

Les  agents  français  à  Rome  manquaient  de  bonnes  raisons 

(1)  Cotte  «lépôchc  était  failo  pour  ^tre  lue  au  pape  par  rambassadenr  fran- 
caU.  Oïl  va  voir  dans  un  instant  le^  vrais  sentiments  qui  se  cachaient  sous 
cjRiie  -appareuce  de  respect. 


263  CHAPITRE  TROISIÈME 

pour  satisfaire  le  pape,  et  ce  n'est  pas  la  dépèche  du  25  mai 
qui  facilita  leur  tâche.  Machaut  écrivait  à  Lionne  (1)  :  «  Le 
cardinal  Azzolino  m'a  dit  que  le  pape  faisait  faire  une  petite 
instruction  par  M.  le  nonce,  afin  de  répondre  à  la  lettre  qu'il 
a  reçue  de  M.  de  Vendôme  ;  et  il  m'a  avoué  en  peu  de  mots 
qu'ils  étaient  mal  satisfaits  de  ce  légat,  d'autant,  disent-ils, 
avec  assez  de  sens,  qu'il  pouvait  leur  écrire  pour  demander 
les  ordres  de  Sa  Sainteté  et  non  pas  pour  mander  la  chose  faite, 
sans  d'ailleurs  qu'il  parût  ici  aucune  démarche  ni  aucune  ins- 
lance  des  parties  intéressées...  »  —  «  Le  pape,  disait  M.  de 
(ihaulnes(2),  n'a  pas  voulu  faire  la  réponse  à  M.  le  légat,  ...et 
le  nonce  a  ordre  de  la  lui  faire  de  vive  voix  ;  je  ne  la  crois  pas 
fort  douce,  le  pape  se  plaignant  de  deux  circonstances,  outre 
l'essentiel  de  la  dispense,  l'une  de  ce  que  M.  de  Vendôme  a 
été  le  dernier  à  lui  mander  ce  qu'il  avait  fait,  au  lieu  d'en  de- 
mander au  pape  la  permission,  la  voulant  même  donner  avant 
de  recevoir  les  réponses  ;  et  l'autre  de  ce  qu'en  écrivant  à  Sa 
Sainteté,  il  n'a  pas  joint  à  sa  lettre  les  pièces  justificatives  de 
sa  conduite.  » 

Au  premier  mot  de  l'ambassadeur,  Clément  IX  déclara  qu'il 
voulait  la  paix,  qu'il  mettait  son  bonheur  à  répandre  des  grâces, 
et  qu'il  serait  fâché  de  rencontrer,  dans  l'examen  de  la  cause, 
des  difficultés  sur  lesquelles  il  ne  pût  passer  en  conscience(3): 
du  reste,  il  attendait  le  confesseur  de  la  reine.  Rien  n'eût  été 
plus  aisé  que  d'éviter  le  différend  en  s'adressant,  dès  l'origine, 
au  saint-siège  :  le  conflit  une  fois  soulevé,  il  dépendait  de 
Louis  XIV  de  le  terminer  bientôt,  en  laissant  à  la  juridic- 
tion ecclésiastique,  seule  compétente,  toute  sa  liberté,  et  en 
ne  cherchant  pas  à  faire  le  pape  ;  mais  il  apporta  mille  entraves 
à  la  mission  du  P.  de  Villes.  La  reine  avait  confié  à  ce  religieux 
les  actes  authentiques  de  l'enqutHe  faite  à  Lisbonne  sur  son 
premier  mariage,  avec  la  sentence  qui  l'avait  annulé,  et  lui 
avait  enjoint  de  présenter  le  tout  au  souverain  pontife,  en  sol- 
licitant une  décision  suprême  sur  ce  quis'était passé.  LouisXIV 
défendit  au  P.  de  Villes  d'exécuter  cet  ordre  et  y  substitua  ce* 

(1)  30  mai  1668.  Borne,  191. 

(2)  3  juin  1668.  Rome,  191. 

(3)  Chauloes  au  roi,  26  juin  1668.  Rome,  191. 


LE    tt    DÉMARlAaE    »    DE   MARIE    DE    SAVOIE  267 

lui  d'exiger  que  Clément  IX  ratifiât  sur-le-champ  et  les  yeux 
fermés  l'acte  surpris  au  légal.  Le  7  juillet,  il  écrivit  à  son  am- 
bassadeur en  Portugal (1)  :  «  Je  ne  saurais  vous  bien  exprimer 
la  sensible  joie  que  j'ai  eue  de  la  grossesse  de  la  reine...  J'eus 
aussi  une  joie  extrême  d'apprendre  que  ce  qu2  je  pensai  ici  à 
son  avantage  lorsqu'on  examina  les  bulles  de  la  légation  du 
cardinal  de  Vendôme,  l'envoi  de  Verjus  et  son  arrivée  si  à  point 
nommé  ont  donné  lieu  de  delà  de  surmonter  en  un  instant  tous 
les  obstacles  qui  s'opposaient,  et  qui  pouvaient  encore  s'aug- 
menter avec  le  temps,  à  la  conclusion  de  son  mariage.  Le  car- 
dinal en  a  reçu  quelque  réprimande  de  Rome  ;  mais  j'ai  pris 
tout  sur  moi,  et  je  vous  adresse  la  copie  d'une  dépêche  que 
j'écrivis  dernièrement  sur  cette  matière  au  duc  de  Chauln^s, 
afin  que  vous  la  fassiez  voir  à  la  reine  et  à  qui  vous  res*ime- 
rez  à  propos.  Le  duc  me  mande  à  présent  que  tout  le  feu  que 
l'on  avait  pris  d'abord  est  éteint,  et  que  tout  se  passera  bien 
en  donnant  quelque  petite  satisfaction  au  pape.  Or,  je  vois 
que  le  P.  de  Villes  lui  en  porte  une  bien  plus  complète  qu'il 
ne  l'attendait,  et  j'ai  trouvé  même  qu'elle  était  trop  grande  ; 
car  on  ferait,  à  mon  sens,  une  faute  signalée  d'aller  produire 
à  Rome  tous  les  actes  du  procès  de  la  ili^solution  du  premier 
mariage  de  la  reine,  dont  on  pourrait  on  cette  cour-là  faire 
présentement  ou  avec  le  temps  une  grande  affaire,  et  particu- 
lièrement si  ce  pape,  qui  n'a  paô  beaucoup  de  santé,  venait  à 
mourir  et  que  son  successeur  eût  plus  do  propension  que  lui 
vers  l'Espagne.  Il  faut  que  le  P.  de  Villes  se  contente  et  res- 
treigne sa  commission  à  demander  la  confirmation  de  la  dis- 
pense qu'a  donnée  le  légat  de  l'empêchement  de  l'honnêteté 
publique,  et  qu'il  se  garde  bien  de  remettre  à  la  connaissance 
et  a  un  nouvel  examen  des  tribunaux  de  Rome  la  sentence 
qu'ont  donnée  les  juges  de  la  nullité  du  premier  mariage.  Au- 
trement, il  en  pourrait  arriver  avec  le  temps  de  tels  inconvé- 
nients qu'on  hasarderait  même  jusqu'à  la  légitimité  du  fruit 
que  la  reine  porte  aujourd'hui  et  sa  succession  à  la  couronne. 
Aussi  empêcherai-je,  autant  qu'il  dépendra  de  moi,  que  le  P.  de 
Villes  ne  fasse  ce  mauvais  pas,  et  j'enverrai  ordre  à  mon  am- 

(1)  A  Saint -Romain.  Portugal,  8. 


268  CHAPITRE   TROlStÈBfE 

bassadeur  de  diriger  sa  conduilo  et  d'appuyer  ses  instructions 
de  mon  nom  et  de  tout  mon  crédit,  qui  n'est  pas  médiocre  au- 
près de  ce  pape-ci,  par  la  bonté  paternelle  qu'il  a  pour  moi  et 
dont  il  me  donne  de  grands  effets  en  toutes  rencontres  (i).  » 
Ainsi  Louis  XIV  ne  permettait  pas  à  Clément  IX  d'exami- 
ner la  procédure  de  Lisbonne,  qui  devait  faire  loi  pour  le 
saint-siège  comme  pour  les  parties  !  Si  le  pape  refusait  d'en- 
registrer docilement  tous  les  actes  dictés  par  le  roi  de  Franco, 
on  devait  le  menacer  d'une  campagne  gallicane  contre  Tinler- 
vention  de  Rome  dans  les  causes  matrimoniales  des  princes (21. 

(1)  «  Je  De  doute  point  que  le  P.  de  Villes  ne  suive  ce  sentiment,  que  vous 
lui  avez  tant  inspirc^de  ne  point  entrer,  à  Rome,  dans  le  détail  des  affaires  de 
la  reine,  ni  en  communiquer  les  pièces  au  pape  et  à  ses  ministres.  »  (Verju?  à 
Lionne,  20  noi^t  16(18.  Portwjal,  7.) 

(2,  Cette  correspondance  fournit  un  exemple  de  plus  A  l'appui  de  la  remar- 
que faite  par  Ms'  AGTre  :  que  les  gallicans  sont  «  plus  ultraniontHins  que  le 
chef  de  l'Église  quand  ils  ont  quelque  intérêt  à  exagérer  celte  opinion.  >'  Dou 
Pèdre,  par  un  louable  scrupule,  ne  porta  que  le  litre  de  régent  tant  que  vé- 
cut Alphonse  VI,  malgré  les  instances  de  Louis  XIV. qui  le  pressait  de  prendro 
relui  de  roi  et  qui,  pour  obtenir  son  alliance  contre  l'Angleterre  et  TEspagoe. 
promettait  de  soutenir  son  usurpation.  Saint-Romain  écrivait  de  Lisbonii'*  : 
On  croit  que  l'Espagne  a  gagné  les  conseillers  du  prince  qui  résistaient  à  la 
prise  du  titre  royal.  «  Le  précepteur  propose  contre  son  couronnement  <los 
scrupules  de  conscience  et  d'iionneur,  et  rinconvénient  qu'il  y  aurait  d'«^- 
coutumer  les  peuples  à  donner  et  ôter  la  couronne.  »  (l®' juin  1G68.  Portvrjnl, 
T.)  Verjus  écrivait  dans  le  nii'me  sens  :  Il  est  ù  désirer  que  le  pape  cons»^il!eà 
l'infant  de  se  faire  déclarer  roi.  Et,  après  avoir  montré  les  avantages  de  ce 
parti  pour  la  France  et  pour  le  prinoi.',  il  ajoutait  :  «  .le  ne  marque  pas  ici 
l'intérêt  que  le  pape  et  les  Homains  peuvent  imaginer  en  prenant  part  à  uue 
atraire  de  cette  nature;  car,  quoique  cette  vue  les  puisse  toucher,  elle  ne  doit 
point  être  proposée  par  un  ambassadeur  de  France  ni  par  un  Français.  »  [Ibid.] 
CepMudant  le  roi  de  France,  oubliant  les  trois  premiers  articles  de  tG6S  qui 
devaient  former  le  premier  article  de  ^68:^^  invita  le  souverain  pontife  à  iu- 
tervenir  directement  dans  ce  difl'érend  politique,  sollicita  de  lui  une  nouvelle 
consultation  du  pape  Zacharie,  et  lit  dépendre  d'une  parole  de  Clément  IX  la 
translation  de  la  couronne  <]e  Portugal.  Le  20  juin,  Lionne  envoja  au  duc<le 
Chaulnes  des  instructions  à  cet  effet  :  Le  pape,  disait-il,  refusera  peut-être, 
comme  père  commun,  de  se  déclarer  contre  les  Espagnols  (qui,  dans  le  traité 
du  13  février,  n'avaient  pas  explicitement  renoncé  à  tous  leurs  droits  sur  la 
conquête  de  Philippe  11)  :  mais  obtenez  seulement  de  sa  bouche  «  ces  troi? 
mots  :  Le  prince  devrait  accepter  la  couronne.  On  lâcherait  de  les  faire  valoir 
à  Lisbonne,  peut-être  autant  qu'un  conseil  formel.  »  {Rome,  191.)  L'ambassadeur 
obéit,  mais  Clément  IX  ne  tomba  pas  dans  le  piège,  et  ne  conmiit  pas  son 
autorité  dans  les  intrigues  du  roi  de  France.  Je  lui  représentai,  dit  le  duc  de 
Chaulnes  (24  juillet  1668.  Rome,  192),  de  quelle  importance  il  serait  que  l'iu- 
fant  86  fit  roi.  L'entretien  se  poursuivit  sur  ce  sujet,  et  le  pape  me  dit  u  qu'il 


LE    «    DÉMAHlAGl!:    »    D£    MAKIE    Dis:    SAVOIE  269 

Le  p.  de  Villes  fut  retenu  longtemps  en  France;  et,  quand  il 
tuit  passé  les  Alpes,  il  s'arrêta  partout  avant  de  se  rendre  à 
Home,  où,  malgré  les  plaintes  répétées  de  M.  de  Chaulnes,  il 
n'arriva  que  le  5  septembre  ! 

Pendant  ces  délais  calculés,  Louis  XIV  fit  préparer,  autoui^ 
du  pape,  le  terrain  où  la  lutte  allait  désormais  se  poursuivre. 
Le  3  août,  il  écrivit  au  duc  de  C.haulnes  (1)  :  n  Comme  il  pa- 
raît, par  les  dernières  lettres  de  Rome,  que  le  pape  veut  con- 
naître des  preuves  de  nullité  du  premier  mariage  de  la  reine 
de  Portugal,  il  est  important  d'être  bien  préparé  sur  ce  point 
et  de  savoir  jusqu'où  l'on  peut  s'étendre,  sans  mettre  dans  le 
doute  et  dans  l'embarras  une  allaire  qu'on  doit  réputer  très 
bien  faite.  »  LeP.  de  Villes  donnera  au  pape  la  copie  desactes 
de  démariage.  «Il  est  vrai  cependant  que  le  prince  et  la  reine  de 
Portugal  n'ont  pas  eu  intention,  et  ne  l'ont  pas  du  avoir,  d'ex- 
poser leur  affaire  à  un  nouvel  examen,  quand  ils  ont  ordonné  au 
P.  de  Villes  d'en  rendre  un  compte  si  exact  et  si  particulier  à 
Sa  Sainteté,  mais  seulement  de  lui  témoigner  leurs  respects 
et  leur  déférence  et  se  procurer  par  cette  conduite  la  confir- 
mation et  l'approbation  de  tout  ce  qui  s'est  passé  (2).  C'est 
pourquoi  ledit  Père  doit  faire  attention  sur  deux  choses  pour 
se  conduire  suivant  l'intérêt  et  la  pensée  des  princes  qui  l'ont 
envoyé  :  l'une,  si  l'intention  du  pape,  dans  la  connaissance 
qu'il  demande  des  preuves  de  la  nullité  du  mariage,  est  seu- 
lement de  satisfaire  sa  conscience  et  d'accorder  l'approbation 
positive  que  ces  princes  désirent;  l'autre,  s'il  cherche  de  plus 
quelque  avantage  pour  son  autorité.  Si  c'est  seulement  pour 
satisfaire  sa  conscience,  il  est  vraisemblable  qu'il  sera  content 
tle  la  seule  exposition  véritable  de  toutes  les  nullités  qui  sont 
prouvées  au  procès  et  qui  sont  fort  claires  et  très  bien  établies. 

ctiit  vrdi  qii«i  1«;  prince  deviMït  preQ'lro  les  expédientâ  les  plus  propres  d'as- 
^urer  lo  repos  dans  co  royaume,  ce  que  je  rrois  la  mùine  chose,  puisque  ceUe 
réponse  fut  en  coaséqucuco  de  ce  que  je  pris  la  liberté  de  lui  dire  que  la  trun- 
quiliil»'  du  royaume  d'îpi.'n.lail  de  l'acce[it;itii)[i  du  titre  de  roi.  »  El,  le  oièuie 
joMr,  il  informe  Lionne  ({u'il  transmet  à  Saiut-Uomain,  le  récit  de  sa  couver- 
satiou  avec  le  pape,  pour  qu'il  en  tire  avantage,  (/tome,  i\i'2.) 

^l)  Home,  192. 

{2)  Ou  lira  plus  bas  uue  dépùciie  du  P.  de  Villes  lui-même,  où  il  avoue  for- 
mellement avoir  reçu  des  princes  portugais  les  iustructious  quli  a  vioiôea 
par  ordre  de  Louis  XI V. 


270  CHAPITRE  TROISIÈME 

Que  s'il  songe  à  ménager  quelque  chose  pour  rautorité  du 
saint-siège,  en  prétendant  qu'une  affaire  de  cette  conséquence 
(et  que  la  cour  de  Rome  voudra  mettre  entre  celles  qu'on  ap- 
pelle causœ  majores)  n'a  pu  ôtre  pleinement  terminée  sans 
l'intervention  du  saint-siège,  le  P.  de  Villes  doit  considérer  de 
quelle  manière  le  pape  voudra  établir  cette  sorte  d'autorité. 
Car,  s'il  prétend  qu'il  doit  le  faire  par  une  révision  de  tous  les 
actes  du  procès  el  dans  une  forme  purement  judiciaire,  c'est 
ce  que  le  P.  de  Villes  ne  doit  jamais  souffrir,  témoignant  que 
ses  maîtres  nont  aucun  lieu  de  douter  de  la  validité  de  tout  c« 
qui  a  été  fait  (  1  ),  et  que,  les  parties  ayant  aquiescé  au  jugement 
qui  a  été  rendu,  rien  ne  les  peut  obliger  d'en  souffrir  un  nou- 
veau; et  que,  quand  d'ailleurs  il  pourrait  s'y  accommoder,  la 
grossesse  de  la  reine  qui  a  suivi  le  second  mariage  et  qui  con- 
tinue heureusement,  outre  l'honneur  de  ces  princes  et  le  re- 
pos de  leurs  peuples,  achèverait  d'exclure  toute  sorte  de  tem- 
pérament; c'est  donc  un  point  essentiel  dont  le  P.  de  Villes 
ne  peut  et  no  doit  se  départir  sous  quelque  prétexte  que  ce 
soit.  De  plus,  quand  le  pape  ne  proposerait  pas  un  nouveau 
jugement  ou  une  révision  dans  les  formes,  mais  qu'il  aurait 
seulement  le  dessein  d'établir  une  congrégation  pour  y  exa- 
miner les  moyens  qu'on  peut  employer  dans  cette  affaire  el 
les  qualités  des  preuves  do  la  nullité,  comme  celte  voie  serait 
sujette  à  des  longueurs  (2)  et  à  des  difficultés  dangereuses,  et 
peut  donner  le  temps  aux  Espagnols  d'y  former  de  nouveaux 
obstacles  par  les  grandes  adhérences  qu'ils  ont  à  Rome,  le 
P.  de  Villes  doit  encore  rejeter  cette  proposition  avec  la  même 
fermeté,  disant  toujours  que  ses  ordres  l'obligent  seulement 
à  rendre  compte  à  Sa  Sainteté  de  toutes  choses  et  ne  lui  per- 
mettent pas  de  faire  un  pas  au  delà,  mais  d'attendre  seulement 
de  la  justice  de  Sa  Sainteté  et  de  sa  bonté  l'approbation  qu'elle 

(1)  C'est  précisémeDt  parce  que  ces  princes*  ont  des  doutes  qu'ils  ont  envoyé 
à  Rome  le  I».  de  Villes  1 

(2)  Des  longueurs!  Pourquoi  les  princes  portugais  etLodiis  XIV  ne  s'étaient- 
iU  pas  adressés  à  Rome  aussitôt  après  les  événements  de  novembre  16611 
Pourquoi,  le  P.  de  Villes  étant  parti  de  Lisbonne  le  20  avril,  Louis  XIV  ne 
lui  permet-il  d'arriver  à  Rome  que  le  W  septembre?  Le  roi  tient  à  écarter  Ta- 
vis  des  Congrégations  romaines,  dans  l'espoir  d'imposer  le  sien  au  pape»  saos 
discussion,  par  intimidation  ou  par  surprise. 


LE  «  DÉMARIAGE  »  DE  MARIB  DE  SAVOIE        271 

ne  peut  refuser  de  donner  à  la  conduite  juste  et  innocente  de 
ses  maîtres.  Comme  Sa  Sainteté  là-dessus  pourra  répondre, 
avec  quelque  apparence  de  raison,  qu'on  lui  demande  qu'elle 
approuve  une  affaire  de  grande  considération,  sans  en  exami- 
ner juridiquement  le  fondement,  ce  qu'elle  ne  doit  ni  ne  veut 
faire,  et  se  tenir  ferme  à  cette  réponse,  pourvu  d'ailleurs  que 
vous  puissiez  vous  bien  assurer  que  Sa  Sainteté  a  effective- 
ment intention  de  donner  cette  consolation  à  ces  princes,  sans 
que  toutes  les  oppositions  et  les  diligences  contraires  des 
Espagnols  soient  capables  de  Ten  détourner,  on  a  pensé  ici  à 
un  tempérament  par  lequel,  en  conservant  pleinement  toute 
Tautorité  du  saint-siège,  et  lui  donnant  peut-être  plus  qu'il  ne 
lui  est  dû,  on  pourrait  facilement  accommoder  toutes  choses; 
mais  il  est  à  observer  que  jamais  le  P.  de  Villes  ne  doit  faire 
la  proposition   dudit  tempérament,  ni   vous-même,  s'il  est 
possible  de  l'éviter;  mais  il  faudra  que,  par  votre  adresse  et 
vos  insinuations,  vous  tâchiez  d'obliger  Sa  Sainteté  ou  ses 
ministres  de  vous  le  proposer  eux-mêmes  et^  s'ils  le  font,  que 
vous  leur  témoigniez  que  vous  ferez  tous  vos  efforts  pour  dis- 
poser le  P.  de  Villes  à  y  donner  les  mains.  Ce  tempérament 
serait  que,  Sa  Sainteté  ayant  été  informée  par  une  voie  secrète 
ot  particulière  du  détail  du  procès  et  ayant  assez  connu  l'évi- 
dence et  la  bonté  des  preuves  de  la  nullité,  elle  expédiât  un 
kref  ou  une  bulle  où  il  fut  énoncé  que,  la  reine  de  Portugal 
lui  ayant  présenté  une  supplique  par  laquelle  elle  avait  exposé 
qu'ayant  été  nécessitée  par  des  raisons  qui  touchaient  sa  cons- 
cience, son  honneur  et  sa  vie,  de  poursuivre  une  sentence  de 
nullité  de  son  premier  mariage,  et  n'ayant  pu  pour  lors  recou- 
rir directement  à  la  ju^itice  et  à  la  protection  de  Sa  Sainteté, 
'élat  du  royaume  de  Portugal  (dont  la  communication  n'était 
point  encore  établie  avec  le  pape)  ne  l'ayant  pas  permis,  comme 
îlle  l'aurait  fait  bien  volontiers  sans  cet  obstacle,  son  affaire 
■ependant  n'ayant  pu  souffrir  aucun  retardement,  elle  avait 
ité  obligée  de  s'adresser  aux  juges  ordinaires  des  lieux,  les- 
|uels,  après  une  longue  et  exacte  discussion,  auraient  déclaré 
a  nullité  de  son  mariage.  Mais,  aujourd'hui  que  la  paix  de 
■Portugal  lui  a  donné  un  accès  libre  vers  Sa  Sainteté,  le  respect 
st  la  soumission  qu'elle  a  pour  le  saint-siège  et  la  vénération 


272  CHAPITRE   TROtSlÈMK 

qu'elle  a  pour  la  personne  de  Sa  Sainteté  Tobligent  à  s'adresser 
à  elle  pour  lui  rendre  compte  des  divers  motifs  de  sa  conduite, 
et  principalement  des  raisons  qui  ne  lui  ont  pas  permis  de  lui 
remettre  d'abord  la  connaissance  de  son  affaire  (comme  de 
très  grands  princes  Tout  fait  en  diverses  occasions,  ayant  es- 
timé ce  procédé  plus  convenable  à  leur  propre  dignité  el  à 
celle  du  saint-siège)  ;  et,  après  une  déclaration  si  respectueuse, 
elle  supplie  Sa  Sainteté  de  donner  son  approbation  au  juge- 
ment qui  a  été  rendu  en  sa  faveur,  et  d'honorer  de  sa  béné- 
diction apostolique  son  nouveau  mariage.  En  suite  de  quoi, 
après  toute  cette  énonciation,  Sa  Sainteté  confirmerait  et 
autoriserait  le  jugement  qui  a  été  rendu.  »  Mais,  si  le  pape 
refuse  d'en  passer  par  la  volonté  du  roi  de  France,  on  le  me- 
nacera de  soulever  «  beaucoup  de  plumes  »  pour  défendre  les 
princes  portugais,  et  d'entrer  «  peut-être  plus  avant  que  la 
cour  de  Rome  ne  voudrait  sur  la  matière  des  dispenses.  Ces 
mômes  choses  peuvent  être  encore  insinuées  adroitement,  dans 
l'occasion  présente,  touchant  l'autorité  du  saint-siège  et  des 
ordinaires  dans  les  affaires  des  mariages  qui  regardent  les 
princes...  »  On  saisirait  cette  «  occasion  d'attaquer  les  fonde- 
ments de  cette  prétention  et  de  faire  peut-être  voir  qu'ils  ne 
sont  pas  si  solides  qu'on  les  croit  à  Rome  (1).  Si  le  pape  en 
convient,  le  1\  de  Villes  devra  extrêmement  observer  si  les 
expressions  et  les  termes  du  bref  ou  de  la  bulle  sont  tels  qu'ils 
ne  puissent  blesser  en  aucune  manière  la  force  et  la  validité 
du  jugement  qui  a  été  rendu,  mais  qu'ils  le  confirment  et 
Tautorisent  par  le  pouvoir  du  saint-siège  comme  une  chose 
qui  a  été  agréable  au  pape  et  mérité  son  approbation.  Je  pré- 
suppose en  tout  ce  que  dessus  que  le  P.  de  Villes,  comme  il 
Ta  dit  ici,  ne  fera  pas  une  seule  démarche  que  par  vos  conseils 
et  par  votre  direction;  vous  devrez  lire  cette  lettre  à  son  arri- 
vée, et  il  y  verra  toute  ma  pensée  sur  la  meilleure  conduite 
que  je  crois  qu'il  peut  tenir  pour  le  service  de  ses  maîtres.  » 
Louis  XIV  ne  se  méprenait  pas  sur  les  dangers  de  sa  scan- 
daleuse entreprise  :  en  effet,  ses  dernières  instructions  se  croi- 

(1)  Nous  voilà  hi«Mi  loiu  de  la  dépêche  du  2*j  mai,  où  Louis  XIV  prétendait 
u'uvoir  exigé  la  dispense  du  légat  que  pour  couscrver  au  saint-siège  sa  juri- 
diction ancienne  sur  les  mariages  des  princes  I 


LE    «    DÉMARUGE    »    DE    MARIE   DE    SAVOIE  273 

sërent  avec  une  dépèche  où  le  duc  de  Chaulnes  lui  disait  : 
«  Il  n^y  a  point  à  douter,  Sire,  que  Ton  n'entre  ici  dans  toutes 
les  circonstances  des  mariages  passé  et  présent  de  la  reine  de 
Portugal,  parce  que,  depuis  que  Ton  a  donné  au  pape  le  placet 
d'une  affaire  qui  peut  regarder  la  conscience  ou  qui  soit  un 
peu  considérable,  il  la  remet  à  plusieurs  personnes  pour  Texa- 
miner,  dont  la  fonction  n'est  que  de  discuter  tout  le  détail  et 
d'en  trouver  les  difficultés  (d).  »  Quelques  semaines  plus  tard 
le  P.  de  Villes  arrivait  à  Rome  (2).  Mais  Tambassadeur  n'eut 
plus  à  s'occuper  de  cette  négociation,  car  c'est  à  ce  moment 
même  qu'il  fut,  sur  sa  demande,  relevé  d'une  mission  devenue 
très  pénible,  et  où  les  exigences  du  roi  lui  présageaient  de 
nouveaux  dégoûts. 

(1)  7  août  1668.  Rome,  192. 

(2)  Chaulnes  au  roi,  11  septembre  1668.  Rome,  193. 


L0U18  ZIT  IT  Ut  SiAINT-SIÈOI.  —  H.  18 


CHAPITRE  QUATRIÈME 

FIN  DE  l'ambassade  DU  DUC  DE  CHAULNES  :  NOUVEL  INTÉRIM  DE 
L*ABBÉ  DE  BOURLEMONT.  —  CONCLUSION  DE  L* AFFAIRE  DE  PORTU- 
GAL. —  JANSÉNISME  :  LES  QUATRE  ÉVÊQUES.  —  AFFAIRES  DIVERSES. 
4668. 


Manœuvres  du  roi  poar  rétablir  le  népotisme  à  Home,  au  proGt  de  sa  politique.  Offre  d'ab- 
bayes, de  mariages,  de  pensions,  aux  parents  du  pape.  Le  sel  d'Avignon.  Résistance  de  Clé- 
ment IX.  —  Querelles  du  duc  de  Chaulnes  avec  l'ambassadeur  d'Espagne.  —  Voyage  de  Tabbé 
le  Tellier  à  Rome.  Bon  accueil  qu'il  y  reçoit.  Plaintes  universelles  qu'il  y  excite,  même 
parmi  les  Français,  par  son  orgueil,  son  avarice,  son  ingratitude. —  Le  parti  du  roi&Roae: 
la  90ci<^té  du  palais  Farnèse.  Crédulité  inouïe  du  duc  de  Cbaulnes  :  histoire  étonnante  de  don 
Mario  Cbigi,  de  200,000  pisloles  en  or  et  des  douio  Césars! —  Le  duc  et  la  duchesse  sollici- 
tent leur  rappel  :  ils  se  plaignent  d'être  ruinés  par  les  dépenses  de  leur  ambassade.  Le  dac 
est  découragé  par  les  exigences  croissantes  du  roi  ;  il  prévoit  que  le  succès  en  est  imposa- 
ble :  il  obtient  la  permission  de  revenir.  Dernière  audience,  7  septembre  1668.  —  Boorle- 
mont  chargé  des  afiaires  du  roi.  Arrivée  du  P.  de  Villes  à  Rome.  Les  deux  mariages  de  U 
reine  do  Portugal  déférés  à  une  Congrégation.  Échec  complet  de  Louis  XIV,  qui  vent  alors 
désavouer  et  cacher  les  ordres  par  lui  donnés  au  P.  de  Villes.  Hommage  rendu  par  Boorie- 
mont  à  la  droiture  et  à  l'habileté  de  Clément  IX.  Le  pape  se  saisit  de  l'affaire  tout  entière  et 
la  juge  suivant  la  rigueur  du  droit.  —  Suite  et  fin  de  l'affaire  des  quatre  évéques  :  lear 
procès  est  entravé  par  le  gallicanisme.  Les  manœuvres  des  jansénistes  pour  tromper  le  nonce 
Bargellini  ont  été  connues  du  roi  et  do  ses  trois  ministres  Lionne,  Colbert  et  le  Tellier.  Ar- 
rêt du  Conseil  du  i3  octobre  1668.  Loi  du  silence.  L'autorité  spirituelle  usurpée  par  lapai»- 
sance  royale.  Lettre  inédite  de  César  d'Estréos,  évéque  de  Laoo,  à  Lionne  (7  décembre). 
Accommodement  dit  la  paie  de  l'Église.  Le  roi  défend  la  publication  des  brefs  du  19  janvier 
1669  :  le  pape  les  fait  répandre  dans  le  royaume.  Le  roi  et  ses  ministres  seuls  responsable* 
des  progrès  du  jansénisme  et  des  troubles  qu'il  causera. 


U  faut  rendre  cette  justice  au  duc  de  Chaulnes  qu'il  se  fût 
appliqué  volontiers  à  établir  entre  Clément  IX  et  Louis  XIV 
une  réciprocité  sincère  de  respect  et  de  bons  procédés  ;  mais, 
prévoyant  que  les  desseins  du  roi  et  de  ses  ministres  le  con- 
duiraient bientôt  à  reprendre  les  hostilités  qui  avaient  troublé 
le  précédent  pontificat,  il  avait  tenté  de  s'assurer,  par  la  séduc- 
tion, les  complaisances  qu'il  désespérait  d'obtenir  par  la  per- 
suasion ou  par  la  force.  Il  s'était  flatté  d'attirer  plusieurs  car- 
dinaux dans  le  parti  français.  Lionne  lui  écrivait  :  «  Le  roi  m'a 
mandé  qu'il  trouve  bon  que  vous  vous  appliquiez  à  gagner  les 
cardinaux  Gualtieri,  Cybo  et  Rossetli,  faisant  néanmoins  sa- 
voir àSaMajesté,  avant  querien  conclure,  laqualitéde  leurs  pré- 


FIN    DE   l'ambassade   DU   DUC    DE    CHAULNES  275 

tentions,  et  de  l'engagement  dans  lequel  ils  voudront  entrer 
...  Je  vous  dirai  aussi  confidemment  qu'il  y  a  quelque  temps 
que  Atto  m'écrivit  qu^il  avait  rompu  en  visière  au  cardinal 
Nini,  pour  lui  persuader  de  se  déclarer  serviteur  du  roi  et  qu'il 
ne  l'en  avait  pas  trouvé  éloigné.  Sa  Majesté  agrée  aussi  que 
vous  songiez  à  cette  aiïaire(l).  »  Mais  l'ambassadeur  fut  bien- 
tôt obligé  d'avouer  que  le  cardinal  Nini,  majordome,  n*écou- 
tait  aucune  proposition  ;  —  que  le  cardinal  Rossetti,  «  moins 
échauffé,  ...  avait  cru  de  son  honneur  de  se  retirer  un  peu,  » 
et  enfin  se  relirait  tout  à  fait  ;  —  et  qu'on  n'avait  rien  à  espé- 
rer du  cardinal  Gualtieri.  fort  estimé  des  cardinaux  Azzolino  et 
Otthoboni(2).  —  Il  ne  réussit  qu'auprès  du  cardinal  Alderano 
Gybo,  issu  d'une  maison(3)  qui  avait  donné  à  l'Église  le  pape 
Innocent  VIII,  membre  du  sacré  collège  depuis  vingt  ans, 
prélat  habile  et  pieux,  mais  qui  eut  l'inexcusable  faiblesse 
d'accepter  une  pension  secrète  de  Louis  XIV. 

C'est  principalement  sur  la  famille  de  Clément  IX  que  le  duc 
de  Chaulnes  et  la  cour  de  France  avaient  fondé  leur  espoir. 
Ils  s'appliquèrent  à  faire  renaître  ce  népotisme  contre  lequel, 
naguère  encore,  ils  déclamaient  si  bruyamment.  L'abbé  Jacopo 
Rospigliosi  ayant  traversé  le  royaume  pour  se  rendre  de 
Bruxelles  en  Italie,  Lionne  n'avait  épargné  ni  compliments  ni 
promesses  pour  le  gagner  aux  projets  de  son  maître  ;  mais  la 
droiture  de  Clément  IX  fit  échouer  toutes  ces  manœuvres.  Vai- 
nement le  duc  de  Chaulnes  pressa  le  pape  de  conférer  la 
pourpre  à  son  neveu,  avant  qu'il  fût  à  Rome  :  la  promotion 
fut  retardée  jusqu'au  12  décembre  1667  ;  le  titre  de  padrone  ne 
fut  pas  joint  à  celui  de  cardinal  et  les  autres  membres  de  la 
famille  ne  prirent  ni  le  don  ni  la  qualité  de  princes  (4).  Clé- 
ment IX  avait  logé  ses  nombreux  parents  dans  un  seul  palais, 
où  ils  continuèrent  à  mener  une  vie  simple  et  réglée.  Le  duc 
de  Chaulnes  écrivit  :  Voilà  les  nouveaux  acteurs  de  notre 
théâtre,  «  l'intrigue  de  la  pièce  qu'ils  représenteront  ne  se  peut 


(1)  2  septembre  1667.  Rome,  186. 

(2)  Chauloes  aa  roi,  27  septembre;  à  Lionne,  15  novembre  1667.  Rome^  186 
et  187. 

(3)  Princes  de  Massa  et  Carrare. 

(4)  Chaulnes  an  roi,  15  novembre  ;  à  Lionne,  27  décembre  1667.  Romitt  187. 


.«. 


276  CHAPITRE  QUATRIÈME 

encore  savoir.  L'on  ne  fait  qu'allumer  les  bougies,  et,  quand 
Tabbé  sera  ici,  l'on  tirera  la  toile...  J'ai  fait  quelque  réQexi(»n 
que  Sa  Sainteté  ne  pouvant  établir  tant  de  personnes  recevrait 
peut-être  des  bienfaits  des  couronnes  ainsi  que  du  temps  d'Ur- 
bain... Si  cela  était,  il  me  semble  qu'il  ne  faudrait  pas  que  les 
Espagnols  commençassent  :  premièrement,  parce  qu'il  serait 
bon  d'en  avoir  l'honneur,  et  secondement,  parce  qu'ils  choi- 
siraient les  sujets  qui  leur  plairaient  et  qui  pourraient  plus  leur 
servir.  Dans  mon  sens,  l'abbate  Felice  (i)  serait  le  meilleur, 
tant  par  son  mérite  que  parce  que  les  grâces  des  bénéfices  sont 
les  plus  faciles  au  roi,  comme  aussi  parce  que  cela  décharge- 
rait le  pape  de  lui  faire  part  des  bénéfices  qu'il  donnerait  à 
l'abbé  Jacopo  Rospigliosi...  »  A  peine  ce  dernier  fut-il  rentré 
à  Rome  que  le  duc  de  Chaulnes  lui  prodigua  les  flatteries,  les 
protestations  de  dévouement,  avec  quelle  sincérité  on  peut 
en  juger  quand  on  l'entend  se  vanter  lui-même  au  roi  des  four- 
beries qu'il  employait  pour  surprendre  le  neveu  du  pape.  Au 
•cours  de  ses  entretiens,  il  tirait  de  sa  poche  une  dépêche  du 
roi  en  confirmation  de  ses  paroles  et  la  lui  lisait  avec  des  in- 
terpolations apprises  par  cœur  :  Je  lui  racontai,  écrivait  le 
duc,  comment  j'avais  fait  élire  son  oncle,  d'après  vos  ordres. 
<c  Je  lui  dis  qu'ils  étaient  si  précis  que  je  n^avais  fait  qu'obéir 
ponctuellement  et  que  je  voulais  même  1  ui  en  donner  des  preuves 
en  lui  faisant  voir  l'article  de  mes  instructions  que  je  lui  lus, 
m'étant  assez  fié  à  ma  mémoire  pour  y  ajouter  que  la  connais- 
sance que  Votre  Majesté  avait  eue  des  mérites  de  sa  personne 
augmentait  encore  le  désir  de  l'exaltation  de  son  oncle  (2)...  » 
Clément  IX  ne  répondit  pas  à  l'attente  de  l'ambassadeur 

(1)  Chaulnes  à  Lionne,  15  novembre  1667.  Rome^  187.  —  Chaulaas  dit  ea- 
core  du  môme  abbé,  dans  la  même  lettre  :  <<  11  a  beaucoup  de  bonnes  quali- 
lités,  il  a  bien  de  l'esprit  ;  il  sait  ;  il  est  assez  universel  dans  toute  sorte  de 
sciences,  et  l'on  peut  dire  que  c'est  un  bon  sujet.  » 

(2)  Chaulnes  au  roi,  27  décembre  1667.  Rome,  187.  —  Louis  XIV,  imitant 
son  ambassadeur,  tenta  de  persuader  au  nouveau  cardinal  qu'il  ne  devait  la 
pourpre  qu'à  sa  royale  protection  :  il  lui  vaula  «  les  pressantes  instances  et 
supplications  que  son  cousin  le  duc  de  Chaulnes,  son  ambassadeur  extraor- 
dinaire auprès  de  notre  saint-père  le  pape,  avait  faites  et  souvent  réitérées, 
par  sou  ordre,  à  S.  S.,  de  su  promotion  au  cardinalat,  comme  d'ane  affaire  qui 
regardait  sa  satisfaction  particulière  et  le  bien  de  son  État..,  »  (Le  roi  à  Ros- 
pigliosi, 13  janvier  1668.  Home,  189.) 


FIN    DE    l'ambassade    DU    DUC    DE    CH AULNES  277 

français,  dont  les  lettres  attestèrent  bientôt  le  dépit  :  «  Il  a 
vaqué  une  abbaye  du  pape  par  son  exaltation.  A  qui  croyez- 
vous  qu'il  Ta  donnée?  au  cardinal  son  neveu?  Non,  au  cardi- 
nal Spinola,  avec  une  pension  de  trois  cents  écus  au  cardinal 
Vidoni.  Il  en  a  vaqué  encore  deux  qu'il  a  données  à  d'autres, 
et  je  crains  que  Sa  Sainteté  ne  fasse  trop  voir  qu'elle  ne  veut 
pas  agrandir  ses  parents.  »  —  Le  cardinal  Pallotto  est 'mort; 
le  pape  devait  conférer  ses  abbayes  (cinq  à  six  mille  écus  de 
rente)  à  son  neveu,  dont  le  revenu  ne  dépasse  pas  cinq  mille 
écus,  et  qui  doit  plus  de  soixante  mille  livres.  —  «  M.  le  car- 
dinal Rospigliosi  a  eu  huit  cents  écus  des  pensions  de  M.  le 
cardinal  Farnè8e(i),  et  l'abbé  Rospigliosi  trois  cents  écus.  Sa 
Sainteté  n'ayant  pas  voulu  disposer  en  leur  faveur  d'une  abbaye 
de  deux  mille  écus,  qu'elle  réserve  pour  quelques-uns  des  car- 
dinaux qu'elle  fera.  »  —  «  Cette  cour  commence  à  prendre 
quelque  figure,  mais  ce  n'est  pas  celle  qu'on  devrait  souhaiter, 
paraissant,  au  moins  à  mes  yeux,  que  M.  le  cardinal  Rospigliosi 
ne  prend  pas  le  dessus  ni  du  pape  ni  des  ministres (2).  » 

Si  la  conscience  de  quelques  parents  est  vulnérable,  celle  du 
pape  demeure  inaccessible  :  Clément IX  «  songe  àl'établîssement 
de  tout  le  monde,  hors  à  celui  de  sa  famille...  Je  crois,  écrit 
Chaulnes,  que  ce  que  Ton  offrirait  pour  les  parents  ne  sera  pas 
accepté, et  que  le  pape  ne  voudra  rien  que  pour  le  saint-siège  (3).» 
L'ambassadeur  demande  instamment  que  le  souverain  pontife 
élève  sa  famille  à  un  rang  digne  de  lui,  ou  permette  du  moins 
au  roi  d'en  prendre  soin.  «  Sur  cela,  dit  le  duc,  le  pape  étant 
entré  en  matière,  il  me  fit  deux  réponses  :  l'une,  que  quand  il 
avait  fait  venir  ses  parents,  il  leur  avait  fait  entendre  ses  sen- 
timents, qui  étaient  de  subsister  honorablement  aveclescharges 
qu'ils  pouvaient  avoir,  mais  qu'il  fallait  retrancher  toutes  les 
pensées  des  grandeurs  ou  par  les  litres  ou  par  les  grands  éta- 
blissements, et  que  son  dessein  était  qu'après  lui  ils  retour- 

(1)  Rappelous  en  pasaaut  les  louanges  décernées  par  les  plus  sévères  Frau- 
çah>  aux  membres  italiens  du  sacré  collège  :  Bourlemunt  annonce  à  Lionne, 
le  21  février  1668,  la  mort  du  cardinal  Farnèse,  «  universellement  regretté  de 
cette  cour,  ({ui  connaissait  le  mérite  et  la  fermeté  de  ce  grand  cardinal.  » 
{Rome,  489.) 

(2)  10  et  24  janvier;  1  et  22  février  1668.  Rome,  180. 

(3)  Chaulocs  à  Lionne,  11'  avril  et  15  mai  1668.  Rowe,  190  et  191. 


278  CHAPITRE    QUATRIÈMK 

nassentgentilhommes,  comme  ils  étaient,  à  Pistoie  ;  la  seconde, 
que  la  gloire  des  pontificats  était  d*ètre  libres  pour  se  main- 
tenir avec  honneur  entre  les  princes,  et  que  souvent  ils  n'avaient 
pas  bonne  opinion  des  parents  d*un  pape  qui  recevraient  des 
présents  de  cette  nature  (1).  » 

Les  offres  de  Louis  XIV  furent  précisées  dans  un  mémoire 
adressé  par  Lionne  au  duc  de  Chaulnes  (2)  :  «  Sa  Majesté,  di- 
sait le  ministre,  m'a  commandé  de  vous  dire  encore  que,  vou- 
lan  t  donner  au  pape  des  marques  effectives  de  sa.  reconnaissance^ 
et  particulièrement  en  la  personne  de  M.  le  cardinal  Rospi- 
gliosi,  par  l'estime  qu'elle  fait  de  son  mérite  et  de  sa  vertu,  elle 
lui  destine  les  abbayes  dont  elle  vous  a  écrit,  et  elle  souhaite 
que  vous  tâchiez  à  faire  en  sorte  que  cet  effet  de  la  gratitude 
et  de  l'affection  de  Sa  Majesté  soit  bien  reçu  de  Sa  Béatitude 
et  du  cardinal,  et  que  Sa  Majesté  n*ait  pas  le  déplaisir  de  se 
voir  refusée.  Et,  parce  que  la  pensée  de  Sa  Majesté  regarde 
toute  la  famille  du  pape,  elle  olFre  encore  à  Sa  Sainteté  tout 
ce  qui  se  peut  trouver  en  son  royaume  pour  accommoder  un 
ou  plusieurs  de  ses  neveux  par  le  moyen  de  mariages  qui  leur 
portent  des  États,  de  la  parenté  et  des  rentes  de  grande 
considération,  que  vous  savez  qui  se  peuvent  trouver  ici  en 
grand  nombre.  Sa  Majesté  se  porte  à  faire  ces  offres,  non 
seulement  par  reconnaissanco  et  par  gratitude  envers  Sa  Sain- 
teté, mais  principalement  pour  lui  tenir  la  promesse  qu'elle 
lui  a  faite  de  s'intéresser  tout  à  fait  dans  la  gloire  de  son  pon- 
tificat et  le  service  du  saint-siège.  Sa  Majesté  voyant  clairement 
que,  jusqu'à  ce  que  la  famille  de  Sa  Béatitude  soit  pourvue  de 
revenus  et  Etats  convenables  au  rang  qu'elle  tient  aujourd'hui, 
Sa  Sainteté  ne  se  pourra  jamais  faire  honneur  de  ses  saintes 
intentions,  de  laisser  à  ses  successeurs  un  exemple  de  modé- 
ration envers  l'Eglise  et  glorieux  pour  Sa  Sainteté.  Et,  les 
princes  devant  régler  leurs  actions  non  pas  par  la  seule  in- 
tention mais  par  l'effet  et  l'opinion  qu'elles  produisent  dans 

(1)  Cbaulaes  au  roi,  3  et  18  juin.  Le  roi  à  Chaulnes,  17  juin  1668.  Rome,i9i. 

(2)  Juin  1668.  Rome,  192.  Plusieurs  pièces  fort  louches  tendraient  à  faire 
croire  que  la  démarche  de  Lionne  était  concertée  avec  le  cardinal  JacopoRos- 
pigliosi  dont  Tinfluence  était  d  ailleurs  annulée,  dans  tout**»  les  affaires  graves, 
par  celle  des  cardinaux  Otlhoboni  et  Azzoliuo. 


FIN   DE    l'ambassade    DU    DUC    DE   CHAULNES  279 

Tespril  des  peuples  qui  les  reçoivent,  le  roi  qui  sait  tout  ce  qui 
se  dit,  tout  ce  qui  s'apprend  et  tout  ce  qui  s'écrit  à  Rome,  est 
obligé  de  dire  à  Sa  Sainteté  avec  combien  de  déplaisir  elle  a  ap- 
pris que  la  conduite  de  Sa  Sainteté  sur  ce  sujet  ne  produit  pas 
l'effet  et  Tapplaudissement  que  méritent  ses  saintes  volontés, 
puisque  sa  même  pieuse  libéralité  et  celle  do  ses  neveux,  et  ce 
que  Sa  Sainteté  donne  si  médiocrement  pour  leur  entretien, 
se  prend  pour  une  facilité  d'ôterle  bien  au  public;  et  les  peuples, 
se  trouvant  extrêmement  oppressés,  sont  faciles  à  croire,  bien 
que  faussement,  que,  s'ils  ne  sont  pas  soulagés,  c'est  que  Ton 
divertit  dans  la  famille  de  celui  qui  règne  ce  qui  devrait  être 
employé  à  leur  soulagement,  d'où  vient  que  chacun  se  récrie 
que  le  pape  devrait  établir  ses  parents  par  quelque  mariage  ; 
que  Sa  Sainteté  ne  correspond  point  en  quelque  façon  aux  oc- 
casions que  Dieu  lui  envoie;  — et  disent  que  les  princes  et  le 
sacré  collège  lui  devraient  faire  connaître  que  les  biais  et  les 
moyens  dont  s'est  servie  jusqu'à  présent  Sa  Béatitude  ne  sont 
ni  utiles  ni  propres  à  sa  (in...  Et,  afm  que  Ton  voie  que  Sa  Ma- 
jesté lui  rapporte  lesdits  sentiments  avec  toute  sorte  d'indiffé- 
rence et  sincérité,  éloignée  de  tout  autre  intérêt  propre,  elle 
sera  très  satisfaite  que,  dans  le  même  temps  que  Sa  Béatitude 
fera  pour  un  de  ses  neveux  un  mariage  en  France,  elle  en  fasse 
encore  un  pour  un  autre  neveu  en  Espagne  ou  ailleurs,  dans 
les  États  du  Roi  catholique...  »  Clément  IX  déclina  ces  ouver- 
tures, et  le  duc  de  Chaulnes  écrivit  :  Le  pape  me  dit  qu*il  a  lu 
le  mémoire  sur  les  intérêts  de  sa  maison.  Il  est  pénétré  de  gra- 
titude, mais  il  ne  peut  vaincre  son  penchant  :  si  quelqu'un  l'en 
pouvait  faire  changer,  c'est  le  roi  (i).  —  Le  cardinal  Jacopo 
Rospigliosi,  sensible  à  la  grandeur  de  sa  famille  (2),  encoura- 


(1)  Au  roi,  26  juin  1668.  Rome,  191. 

(2)  «  J'ai  fort  approuvé  que  vous  m'ayez  envoyé  un  courrier  exprés  afiu  que 
vous  pussiez  recevoir  plus  diligemment  le  mémoire  que  le  cardinal  Rospi- 
gliosi a  désiré  que  j'ordonne  à  Lionne  de  vous  écrire  sur  les  intérêts  de  la 
famille  du  pape,  s'étnnt  promis  que,  par  mes  offices  et  parla  considération  de 
mes  sentiments...,  il  aurait  plus  de  Heu  de  porter  S.  S.  à  donner  à  ses  frères 
les  mêmes  établissements  que  ses  prédécesseurs  ont  toujours  donnés  à  leurs 
parents.  Lionne  vous  adresse  aujourd'hui  ce  mémoire  qu'il  a  écrit  de  sa  main 
par  mon  ordre,  et  j'écris  aussi  à  S.  S.  la  lettre  qu'on  a  désirée  en  créance  sur 
vont  pour  cette  affaire,  et  elle  est  datée  du  9  mai.  Je  souhaite  extrêmement 


280  CHAPITRE   QUATRIÈME 

geait  secrètement  le  duc  à  ne  point  abandonner  le  projet  de 
mariage  en  France  pour  un  de  ses  frères  ;  mais  l'ambassadeur 
répéta  bientôt:  «Je  tiens  qu'il  sera  très  difficile  ou,  pour  mieux 
dire,  impossible  de  faire  changer  une  résolution  qui  platt  si 
fort  au  pape,  parce  qu'elle  est  conforme  et  à  son  inclination 
et  à  son  genre  de  vie  (1).  » 

La  cour  de  France  offrait  certaines  grâces  avec  d'autant 
plus  d'insistance  qu'elle  prévoyait  un  refus,  et  comptait  sur 
le   profit  de  propositions  qui  ne  lui  coûtaient    rien.    Mâ- 
chant écrivait  :  «  L'on  me  dit  de  bon  lieu  que  Toffre  que 
vous  avez  faite  à  M.  le  cardinal  Rospigliosi  [sia  un  tiro  di 
Mom,  di  Lionne^  lequel  fait  admirablement  les  honneurs  de  son 
maître,  et  dans  le  même  temps  veut  établir  solidement  les 
avantages  de  Sa  Majesté  ;  car  si  M.  le  cardinal  eût  pris  l'ab- 
baye, vous  l'engagiez  infailliblement  ;  s'il  ne  la  prend  pas,  on 
satisfait  à  l'obligation  qu'on  avait  de  reconnaître  les  services 
qu'il  a  rendus  (2).  '>  Au  surplus,  Louis  XIY  se  flattait  de  tenir 
toujours  en  réserve  contre  Rome  cette  virga  ferrea^  à  laquelle 
il  attribuait  ses  prétendues  victoires  sur  les  deux  derniers  pré- 
décesseurs de  Clément  IX,  et  il  écrivait  à  son  ambassadeur  : 
<i  Je  serai  bien  plus  aise  d'avoir  moins  de  cardinaux  de  ma  fac- 
tion que  de  la  fortifier,  si  la  faiblesse  d'un  parti  est  ce  qui  oblige 
le  plus  lesdits  cardinaux  de  s'y  engager,  parce  qu'ils  espèrent 
d'y  être  plus  considérés  qu'ils  ne  le  seraient  dans  un  autre  qui 
n'a  pas  tant  de  besoin  de  leurs  services.  Après  tout,  quand 
deux  papes  consécutivement  ont  voulu  mal  vivre  avec  moi,  ils 
se  sont  fait  du  préjudice  au  centuple  de  quelque  petit  déplaisir 
ou  embarras  qu'ils  m'ont  pu  causer,  et  aucun  de  leurs  succes- 
seurs ne  saurait  avoir  un  pontificat  tranquille  et  glorieux  qu'au- 
tant qu'ils  sauront  prudemment  se  prévaloir  de  mon  extrême 
dévotion  envers  le  saint-siège  (3).  » 
La  cour  pontificale   n'avait  pas  encore    obtenu  que  les 

que  l'une  et  l'autre  puissent  ôtre  utiles  aux  parents  de  S.  S.  Cependant  vous 
témoignerez  au  cardinal  que  je  lui  sais  beaucoup  de  gré  de  la  confiance  qull 
a  prise  en  ce  rencontre  à  mou  affection,  et  avec  raison...  »  (Le  roi  à  Chaulnes, 
17  juin  i668.  ïiome^  191.) 

(1)  Au  roi,  4  août  1668.  Rome,  192. 

(2)  A  Lionne,  18  juin  1668.  Rome,  191. 

(3)  2  décembre  1667.  Rome,  187. 


FIN   DE  l'ambassade   DU   DUC   DE   CHAULNES  281 

Français  fissent  disparaître  d'Avignon  et  du  Comlat  toutes  les 
nouveautés  introduites  pendant  leur  invasion  :  les  réclama- 
tions de  Clément  IX  n'étaient  pas  plus  écoutées  que  celles 
d'Alexandre  VII.   Ainsi,  contrairement  au  traité  de  Pise, 
Louis  XIV  continuait  de  soumettre  les  sujets  du  pape  «  au 
payement  d'une  traite  domaniale  [sur  le  sel]^  quoiqu'ils  en 
eussent  toujours  été  exemptés,  et  qu'ils  eussent  joui  de  la  qua- 
lité de  régnicoles  depuis  Charles  IX  (1).  »  Chaulnes  appuyait 
vainement  leurs  plaintes  (2).  Louis  XIV  et  Lionne  virent  là 
l'occasion  de  tendre  un  nouvel  appât  à  la  cupidité  présu- 
mée du  cardinal  Rospigliosi,  légat  d'Avignon.  Je  veux  bien, 
écrivit  le  roi  (3),  permettre  au  légat  de  «  vendre  à  son  profit 
du  sel  de  France  dans  Avignon  et  dans  cet  État-là  jusqu'à 
la  quantité  de  quatre  mille  minots  de  sel  par  année  »,  et  à  cet 
effet,  il  touchera  de  mes  fermiers  un  abonnement  de  trente 
mille  francs.  Le  ministre  ajoutait  :  «  Quoique  Tintention  du 
roi  soit  de  donner  les  trente  mille  francs  à  M.  le  cardinal  Ros- 
pigliosi^ sous  le  prétexte  de  la  vente  des  quatre  mille  minots  de 
sel,  autant  de  temps  que  sa  légation  d'Avignon  durera,  néan- 
moins, afin  que  les  autres  neveux  de  pape  puissent  tirer  moins 
à  conséquence  cette  grâce,  Sa  Majesté  estime  à  propos  que, 
quand  vous  la  déclarerez,  vous  ne  parliez  que  de  deux  années, 
c'est-à-dire  que  Sa  Majesté  lui  a  accordé  la  permission  de 
vendre  à  son  profit  dans  l'Etat  d'Avignon  huit  mille  minots  de 
sel  en  deux  années  :  il  devra  savoir  néanmoins  qu'après  qu'ils 
seront  expirés.  Sa  Majesté  lui  renouvellera  la  même  grâce, 
et  plût  à  Dieu  que  ce  put  être  d'ici  à  trente  ans!  »  Mais  ni 
Clément  IX  ni  son  neveu  ne  voulaient  recevoir  comme  grâce 
ce  qui  était  dû  au  saint-siège,  ni  tirer  un  profit  personnel  d'une 
taxe  injustement  exigée  des  provinces  pontificales.  Machaut 
écrivait  à  Lionne  :  «  M.  le  duc  de  Chaulnes  vous  aura  mandé 
qu'il  ne  faut  pas  songer  à  des  abbayes,  à  des  pensions,  à  des 
mariages  ou  à  quelque  autre  établissement  que  ce  soit  pour 
les  parents  du  pape.  Les  seuls  sels  d'Avignon,  qui  leur  sont 
dus  par  justice,  qui  ont  été  promis  dans  d'autres  temps  pour 

(1)  Mémoire  de  Lionoe,  21  juillet  1667.  ftome,  185. 

(2)  A  Lionne,  12  avril  1668.  Rome,  190. 

(3)  A  Chaulnes,  17  juin  1668.  Aome,  191. 


282  CHAPITRE    QUATRIÈME 

les  moindres  grâces  accordées,  les  peuvent  accommoder  (1).  » 
L'ambassadeur  répondit  :  La  proposition  du  roi  est  une  «  pen- 
sion déguisée  »  qui  offenserait  «  la  délicatesse  des  esprits  ». 
Je  suis  informé  que  le  cardinal  Rospigliosi  ne  veut  rien  rece- 
voir directement  ni  indirectement  (2). 

Les  sages  conseils  donnés  par  le  duc  de  Chaulnes  étaient 
dédaignés,  et  son  séjour  à  Rome  ne  flattait  plus  sa  vanité. 
Pendant  la  campagne  de  Flandre,  il  avait  cru  relever  son  pres- 
tige en  cherchant  toutes  les  occasions  de  disputer  le  pas,  dans 
les  rues  de  Rome,  au  marquis  d'Astorga.  A  la  suite  d'une  ren- 
contre où  il  avait  fait  reculer  son  adversaire,  il  écrivait  triom- 
phalement à  Lionne  :  «  Voilà  comme  nous  pouvons  répondre 
à  vos  prises  déplaces...  Si  l'ambassadeur  d'Espagne  n'est  pas 
sage  et  qu'il  m'échauiïc  la  bile,  il  pourra  bien  payer  le  chagrin 
que  j'ai  de  n'être  pas  auprès  du  roi,  et  lui  ferai  voir  qu'il  ne 
trouvera  pas  mieux  son  compte  ici  que  Castel-Rodrigo  en 
Flandre  (3).  »  Mais  ces  rodomontades  n'aboutissaient  qu'à  des 
querelles  de  cochers  (4),  et,  comme  c'était  principalement  en 


(1)  18  juin  1668.  Rome,  191. 

(2)  Au  roi,  15  juillet  1668.  Rome,  192. 

(3)  A  LioDoe,  23  et  28  août  1661.  Rome,  185. 

(4)  Il  n*y  a  pas  de  règlement  à  Rome  sur  le  rang  des  carrosses  dans  les  cor- 
tèges, u  Les  carrosses  des  cardinaux  et  ceux  des  ambassadeurs,  princes,  ducs, 
gentilshommes,  etc.,  prennent  tels  postes  qu'ils  peuvent  avoir,  et  il  dépend  de 
Tadresse  des  cochers  et  de  la  bonté  des  carrosses  et  des  chevaux  de  le  main- 
tenir, étant  libre  à  qui  que  ce  soit  de  le  leur  disputer  et  de  l'enlever,  jusqu'à 
fracasser  les  carrosses  s'ils  peuvent,  sans  que  jamais  l'on  ait  vu  prendre  au- 
cun intérêt  pour  ces  débats  de  cochers,  non  pas  même  ceux  qui  se  trouvent 
dans  les  carrosses  brisés,  et  c'est  une  loi  si  universellement  suivie  à  Rome  gu  il 
y  aurait  grande  honte  d'entrer  en  tiers  entre  le  débat  des  chevaux  et  des  cochers.  » 
(Bourlemout  à  Lionne,  16  août  1667.  Rome,  185.)  Le  duc  de  Chaulnes  eu  fait 
lui-môme  Taveu  :  «  L'abus  est  venu  même  à  ce  point  qu'un  cocher  n'obéit 
point  à  son  maître  en  ces  occasions  et  que  Ton  n'en  trouverait  pas  à  Rome  à 
condition  de  n'être  pas  libre  de  combattre.  Ainsi  le  rang  dépend  seulement 
des  meilleurs  chevaux  et  voitures.  »  (Chaulnes, /î<»/fl/;on  rfe /a  querelle  des  car- 
rosses^ août  1667.  Rome,  185.)  —  La  lettre  suivante  de  Lionne  à  Chaulnes 
donne  encore  une  idée  des  scènes  que  recherchait  l'ambassadeur  de  France  : 
«  Que  vous  coûtait,  Monsieur,  un  pauvre  petit  compliment  à  un  ambasdadeur 
à  (]ui  vous  «l'es  tué  an  cheval  et  peut-être  un  cocher,  k\\x\f  di«-je,  qui  vous  avait 
fait  de  si  grandes  excuses  d'une  simple  irruption  sur  l'un  de  vos  carrosses? 
Je  veux  dire  tout  de  bon  que,  quand  vous  auriez  fait  ce  compliment,  on  n'j 
aurait  pas  ici  trouvé  à  dire;  mais  il  Test  aussi  sans  doute  que,  si  vous  en 
avez  pu  sortir  sans  cela,  il  a  été  encore  mieux.  »  (20  janvier  1668.  Rome,  189.) 


FIN    DE    L  AMBASSADt:    OU    DUC    DE    CHAULNES  283 

se  rendant  au  palais  pontifical  que  le  duc  et  le  marquis  met- 
taient leurs  cortèges  aux  prises,  le  pape  les  menaça  tous  deux 
de  supprimer  leurs  audiences,  et  le  calme  se  rétablit  (1). 

Parmi  les  Français  qui  visitaient  Rome  à  cette  époque, 
ceux  qui  approchaient  la  personne  du  roi  étaient  rares,  et  ne 
contribuaient  pas  à  resserrer  les  liens  d'amitié  entre  le  palais 
Farnèse  et  les  Romains.  Le  duc  de  Chaulnes  eut  à  présenter 
au  pape  le  jeune  abbé  Charles-Maurice  le  Tellier,  dont  l'arri- 
vée avait  été  annoncée  comme  celle  d'un  prince;  que  les  Ro- 
mains comblèrent  de  soins  et  de  gn\ces,  et  qui  laissa  derrière 
lui  les  plus  fâcheux  souvenirs.  Voici  ce  qu'il  disait  lui-même 
secrètement  à  son  père  de  l'accueil  qui  lui  était  fait  :  «  Par 
l'ordinaire  qui  partit  hier  de  cette  ville,  vous  aurez  vu  avec 
quelle  honnêteté  le  pape  et  toute  sa  famille  continuent  de  me 
traiter.  Cela  ne  se  peut,  en  vérité,  pas  exprimer,  et  cela  esta  un 
point  que,  quand  je  me  réveille  tous  les  matins,  j'ai  de  la  peine 
à  croire  que  ce  que  je  vois  tous  les  jours  soit  vrai,  etc.  (2).  » 
Les  lettres  de  Chaulnes  attestent  que,  jusqu'au  dernier  moment, 
il  reçut  partout  les  traitements  les  plus  courtois  ;  mais,  à  peine 
âgé  de  vingt-cinq  ans,  le  nouveau  docteur  de  Sorbonne  avait 
déjà  la  morgue  et  la  brutalité  qui  distinguèrent  toute  sa  vie 
l'archevêque  de  Reims.  Sa  principale  occupation  à  Rome  fut 
de  solliciter  des  bulles  et  des  brefs  ratifiant  la  concession  de 
nombreux  et  riches  bénéfices  que  son  père  et  son  frère  avaient 
fait  accumuler  sur  sa  tête  par  Louis  XIV  (3).  «  Je  le  menai 
dimanche  au  Cours,  écrivait  le  duc  de  Chaulnes  à  Lionne,  et 
le  fis  mettre  à  mon  côté,  et  vous  savez  que  les  Français  ne  s'y 
mettent  point  sans  les  titres  nécessaires  qui  règlent  ici  les 
rangs;  mais  j'ai  cru  devoir  passer  par-dessus  les  autres  consi- 
dérations (4).  »  Les  honneurs  rendus  en  sa  personne  aux  deux 
puissants  ministres  le  Tellier  et  Louvois  ne  firent  qu'exalter 
son  orgueil,  et,  quand  il  prit  congé,  Romains  et  Français 


(1)  Chaulaes  au  roi,  6  septembre  1667.  Rome^  186. 

(2)  14  décembre  1667.  —  V.  uos  Recherches  sur  V Assemblée  de  l6Bi,  2«  édil., 
pp.  221  et  suiv. 

(3)  Machaut  à  Lionne,  19  décembre  1667.  Rome,  187  :  lettre  citée  ci-dei>sii!<, 
chap.  H  du  livre  II. 

(4j  8  novembre.  Rome,  187. 


284  CHAPITRE   QUATRlÈBfE 

étaient  ulcérés  de  ses  procédés  (1).  Chaulnes  écrivit  aussitôt  à 
Lionne  :  «  Enfin,  M.  Tabbé  le  Tellier  est  parti  et  j'ai  enterré 
la  synagogue  avec  honneur.  Après  cela,  je  n*ai  rien  à  vous 
dire,  sinon  que  je  me  crois  capable  d'aller  ambassadeur  à  la 
Porte  et  traiter  tête-à-tête  avec  le  Grand  Turc.  J'aurais  bien 
souhaité  pour  lui  qu'il  eût  cru  conseil  ;  mais,  quand  il  a  eu 
fait  ses  visites,  il  s'est  imaginé  connaître  cette  cour,  et  a  voulu 
se  conduire  selon  qu'il  lui  a  plu,  et  vous  pouvez  croire  com- 
bien l'on  fait  de  faux  pas.  Il  était  parmi  des  espions,  quand  il 
croyait  n'être  que  parmi  des  amis.  Aussi,  tous  les  soirs,  il  y 
avait  des  amples  relations  de  lui  au  palais.  Il  est  vrai  qu'il  no 
s'est  pas  trop  déguisé  et  qu'il  a  dit  le  bien  ou  le  mal  fort  libre- 
ment, et,  en  un  mot,  il  est  parti  mécontent  de  cette  cour,  et  cette 
cour  fort  de  lui,  sans  pourtant  qu'il  ait  rien  pai'u  et  qu'il  me  l'ail 
dit  même.  Son  chagrin  a  été,  à  ce  que  j'ai  su,  que  le  cardinal 
Rospigliosi  ne  l'est  pas  venu  voir,  ne  s'étant  pas  trouvé 
d'exemple  de  particulier  sans  caractère,  et  de  ce  qu'il  ne  Ta 
pas  fait  asseoir,  mais  seulement  promener  avec  lui;  mais  le 
mépris  qu'il  a  fait  de  tout  ce  qui  est  à  Rome  Ta  fort  ruiné, 
ayant  poussé  l'alfaire  jusqu'à  n'avoir  pas  voulu  voir  une  anti- 
quité et  s'être  moqué  de  ceux  qui  les  voyaient;  enfin  il  est  venu 
ici  comme  un  Messie;  il  y  a  reçu  des  traitements  extraordi- 
naires; il  a  trouvé  tous  les  bras  ouverts,  et  son  ambition 
ne  lui  a  rien  fait  concevoir  de  moins  que  l'ambassade  et  le 
chapeau,  et  s'en  est  allé  avec  une  besace.  Il  s'est  fait  dos 
gazettes  contre  lui  et  des  vers  satiriques,  et  je  vous  prierai  de 
prendre  un  peu  garde  aux  petites  gazettes  que  l'on  lit  au 
roi;  aussi   a-t-il   fait  ici  des  vilenies  qui  ne  se  conçoivent 

(1)  Les  dépèches  parlent  souvent  de  son  insolence  envers  les  feuim«>>  <]u 
palais  Farnèse.  Machaut  raconte,  le  15  novembre,  une  première  scène  entre  le 
Tellier  et  la  duchesse  de  Chauhies.  •<  Les  dames,  dit  le  duc  lui-môme,  ont  eu 
un  peu  de  peine  à  s'y  accoutumer,  mais  tout  va  pr<^seutement  le  mieux  du 
monde.  Sa  cour  est  un  peu  è[»ineuse  et  il  lui  faut  des  courtisans  bien  sounii;^. 
Je  vous  en  écrirai  quelque  jour;  ce  sera  alors  qu'il  ne  sera  plus  ici,  et  ue 
ra])pellerai  que  V homme  nons  nom.  »  (Billet  autographe,  2"  décembre  i66'. 
Rojne,  187.;  Un  autre  jour,  M"®  Lehruu,  dont  nous  avons  parlé  pins  haut, 
ayant  «  envoyé  quérir  deux  lettres  qu'elle  écrivait  à  M.  d*Amiens  et  à  M.  labbé 
Testu,  M.  l'abbé  le  Tellier,  s'en  saisit.  11  est  vrai  qu'elles  étaient  pleines  de 
petites  satires  contre  cet  abbé.  11  les  lut  brusquement  et  les  jeta  au  feu.  » 
(Mâchant  à  Lionne,  9  janvier  1668.  Rome,  189.) 


FIN    DE    l'ambassade    DU    DUC    DE    CHAULNES  285 

pas  { 1  ).  »  Quelques  mois  plus  tard ,  le  roi  lui  ayant  donné  la  coad- 
jutorerie  de  Reims  rambassadeurécrivitàLionne  :  «  Je  ne  crai- 
gnais qu'une  chose  avant  mon  départ,  et  elle  est  arrivée,  qui  est 
que  M.  l'abbé  le  Tellier  eût  un  évéché.  Il  me  prépare  à  deman- 
der trente  mille  écus  de  gratis,  et  je  ne  crois  pas  même  pouvoir 
obtenir  une  composition;  et,  s'il  donne  un  sou,  il  ne  m'aura 
pas  d'obligation;  il  s'est  décrié  ici  pour  Tavarice,  de  manière 
que  MM.  les  cardinaux  lui  feront  peu  de  plaisir  (2).  »  Chaulnes 
se  trompait  :  les  Romains  ne  répondirent  aux  impertinences 
de  l'abbé  que  par  de  nouveaux  bienfaits.  Le  pape  fit  remarquer 
combien  ces  exemptions,  réclamées  par  ceux  qui  n'en  avaient 
pas  besoin,  blessaient  les  convenances  et  la  justice.  L'ambas- 
sadeur écrivait  :  Sa  Sainteté  «  me  répondit  que  je  savais  bien 
ce  que  c'était  des  gratis,  de  la  misère  d'un  grand  nombre  de 
cardinaux,  de  la  destination  de  ces  droits  pour  des  officiers 
qui  achètent  leurs  charges  sur  cette  espérance...  »  Mais  bien- 
tôt le  duc  informa  sa  cour  que  le  sacré  collège  avait  accordé 
de  bonne  grâce  l'exemption  de  vingt  mille  écus  sollicitée  pour 
les  bulles  de  Reims  et  pour  la  rétention  des  abbayes  dont  le 
Tellier  était  déjà  pourvu  (3).  Clément  IX  répondit  de  sa  main 
à  la  recommandation  de  Louis  XIV  (4)  et  forma  le  vœu  que  le 
jeune  prélat  se  montrât  digne  de  sa  bienveillance  en  consacrant 
toute  sa  vie  à  la  défense  de  l'Église  et  des  bonnes  doctrines. 
Or,  on  sait  que  Charles-Maurice  le  Tellier,  tout  en  faisant  dans 
son  intérêt  personnel  une  cour  assidue  au  P.  Oliva,  général 
des  Jésuites  (5),  favorisa  clandestinement  le  jansénisme;  qu'il 
fut  l'un  des  plus  violents  adversaires  du  saint-siège,  et  qu'il 
partagea  même  avec  Ilariay  de  Champvallon  la  présidence  de 
TAssemblée  de  1682  :  il  avait  eu  pour  compagnons  de  son 


(1)  Billet  autographe,  7  février  1668.  Rome,  189. 

(2)  18  Juin  1668.  Rome,  191. 

(M)  A  Lloone,  15  juillet  1668.  Rome,  192. 

(4)  10  juillet  1668.  Rome,  192. 

(5)  V.  DOS  Recherches  sur  VAssemblée  de  1682,  2«  édit.,  p.  370.  —  Chaulnes 
à  Lionne,  15  novembre  16G7.  Rome,  187  :  L*abbé  le  Tellier  a  dit  la  messe  aux 
Jésuites;  j'y  suis  allé  «  en  fioc.  »  Il  y  a  eu  grand  concours  de  monde.  —  Ma- 
chaut  «i  Lionne,  9  juillet  1668.  Rome,  192  :  «  J'ai  vu  le  P.  Oliva,  qui  m'a  chargé 
de  vous  faire  des  compliments.  Il  a  eu  une  grande  joie  de  la  coadjutorerie  de 
M.  Tabbc  le  Tellier  :  il  voit  par  là  un  de  ses  bons  amis  dans  nn  grand  poste.  » 


286  CHAPITRE   QUATRIÈME 

voyage  à  Rome  un  cousin  de  Colbert,  l'abbé  de  Saint-Pouange 
de  Villacert(i),  destiné  à  devenir  évêque  de  Monlauban  el 
archevêque  de  Toulouse,  cl  l'abbé  Gerbais  qui  publia,  sur  les 
maximes  gallicanes,  un  livre  condamné  par  le  pape  :  l'un  el 
l'autre  devaient  aussi  faire  partie  de  TÂssemblée  où  furent 
dressés  les  Quatre  Articles. 

L^ambassadeur  de  France  n'était  pas  plus  content  de  ses 
nationaux  établis  à  Rome  que  des  Italiens  composant  la  faction 
du  roi.  La  cupidité  des  cardinaux  Orsino  (2),  d'Esté  et  Mai- 
dalchini  était  insatiable  :  le  duc  de  Bracciano  donnait  toujours 
avec  plus  de  dépit  que  de  gratitude  une  quittance  de  vingt 
mille  livres  pour  une  pension  de  dix  mille  (3).  L'abbé  Servient, 
envoyé  par  Lionne  pour  être  son  espion  à  Farnèse  comme  au 
palais  pontifical,  excitait  des  plaintes  qui  ne  déplaisaient  pas  à 
son  parent.  Le  duc  de  Chaulnes  écrivait  au  ministre  :  <i  J'ai 
peine  à  vous  parler  d'une  chose  fâcheuse^  mais  aussi  bien  faut- 
il  que  vous  la  sachiez,  qui  est  que  Tabbé  Servient  se  conduit 
très  mal.  M.  Bigorre  l'avait  fort  bien  gouverné;  mais,  depuis 
qu'il  s'est  vu  camérier,  il  s'est  moqué  de  ses  avis  :  ses  maximes 
sont  qu'il  ne  doit  qu'à  son  mérite  son  élévation.  Il  s'est  mis  en 
tète  que  personne  que  lui  ne  devait  être  chargé  de  mes  com- 
missions vers  le  pape;  el,  en  ayant  donné  quelques-unes  à 
Atto  [Melani],  je  me  suis  bien  aperçu  qu'il  lui  a  rendu  de  mé- 
chants offices...  Jugez,  s'il  vous  plaît,  delà  conséquence...  Je 
lui  ai  lavé  la  tête  comme  il  faut. . .  Mais  le  pis  est  qu'il  croit  que 

(1)  L'abbé  Colbert  est  arrivé  aujourd'hui.  «<  Ce  sont  des  Messieurs  qu'on  est 
trop  heureux  d'avoir  :  eu  sod  particulier,  il  aura  sujet  d*être  content,  n  L'abbé 
le  Tellier  était  à  Rome  depuis  lu  veille.  (Machaut  à  Lionne,  6  novembre  1667. 
Rome,  187.) 

(2)  L'évêque  de  Bayeux  continue  de  chicaner  au  cardinal  Orsino  sa  pension 
sur  cet  évêché  :  il  ne  veut  payer  que  «  par  lambeaux  » .  Il  est  vrai  que  cet 
évoque,  lorsqu'il  a  fait  sa  dernière  réponse,  n'avait  pas  encore  entendu  «votre 
voix  tonnante  »  lui  ordonnant  de  payer.  (Chaulnes  à  Lionne,  3  mai  1668. 
Roîne,  191.) 

(3)  «  M.  le  duc  de  Bracciano  aura  bien  de  la  joie  de  ressentir  les  effets  des 
grâces  de  V.  M.  Je  le  disposerai  aies  recevoir,  parce  qu'il  me  paraît  quï/ya 
si  longtemps  qu'il  n'a  vu  iVargenl  comptant  que  j'appréhenderais  que  la  pre- 
mière vue,  le  surprenant,  ne  lui  fttmal.  Il  a  depuis  peu  beaucoup  de  ses  biena 
en  vente  malgré  lui,  ainsi  que  le  cardinal  [Orsino,  sou  frère],  ses  meubles  en- 
gagés. »  (Chaulnes  au  roi,  8  novembre  1GG7,  Rome,  187.  Le  même  à  Lionne, 
13  mars  1668,  Rome^  190.) 


FIN   DE    L^AMBASSÀDG    DU    DUC    DE   CHAULNES  287 

le  pape  Télévera  jusqu^au  cardinalat.  Ainsi,  il  s'attache  au  pa- 
lais et  il  ne  ferait  pas  sur  de  lui  rien  confier.  Usez,  s'il  vous 
plaît,  de  remèdes  fort  doux,  car  c'est  un  esprit  qui  ferait  du 
fracas  :  il  parlerait  au  pape  et  ferait  un  éclat  fâcheux.  »  — 
«  Il  n'y  a  pas  de  mesure  avec  ledit  abbé,  ayant  l'esprit  fort  mal 
tourné;  je  crois  que  vous  voulez  bien  que  je  vous  en  parle  à 
cœur  ouvert...  Par  la  rigueur,  ce  serait  un  esprit  à  prendre 
Tessor...  Je  crains  bien  qu'il  ne  vous  donne  bien  des  affaires 
en  cette  cour  (1).  »  —  Les  jalousies  et  Tavidité  de  \difamiglia  de 
Farnèse  ne  cessèrent  jamais  d'être  pour  le  duc  de  Chaulnes 
une  cause  d'embarras.  Il  écrivait»  par  exemple,  à  Lionne  : 
«  M"*'  de  la  Buissiëre  a  fait  ici  un  peu  des  siennes;...  elle  a 
gagné  un  gentilhomme  italien  que  son  mari  avait  pris  pour 
moi  et  lui  faisait  faire  mille  petites  choses  dans  ma  juridiction.  » 
J'ai  supprimé  la  maison  de  jeu  qu'ils  avaient  ouverte  dans  mon 
quartier;  mais  ils  l'y  ont  rétablie  sous  prétexte  de  jeu  de 
paume.  M.  do  la  Buissière  nous  a  déclaré  «  que,  depuis  fort 
longtemps,  sa  femme  était  obsédée  de  Vagnozzi,  du  P.  Ripa  et 
de  l'abbé  Gallo  (2)  »,  en  vue  de  a  débusquer...  l'abbé  Santis  (3) 
et  son  frère.  »  Tout  est  calmé  aujourd'hui,  ajoute  l'ambassa- 
deur. —  Mais  les  désordres,  les  querelles  et  les  scandales  re- 
naissaient le  lendemain. 

Ces  méprisables  agents  trompaient  sans  cesse  par  leurs 
rapports  le  maître  du  palais  Farnèse.  Le  cardinal  Azzolino 
déplore  devant  l'abbé  de  Machaut,  qui  Técrit  à  Lionne,  que  le 
duc  se  laisse  hanter  par  de  «  méchants  esprits  »,  comme  Ripa 
et  Gallo,  qui  servent  et  trahissent  tout  le  monde  (4).  Lionne 
lui-même  signale  quelquefois  à  Chaulnes  la  mauvaise  réputa- 
tion des  gens  dont  il  aime  à  s^entourer  (5)  :  «  Dans  la  dépêche 


(1)  27  septembre  et  4  octobre  1667.  Romey  186.  Servieat  fut  maiatenu  à 
Rome  par  la  cour  de  France  dans  une  situation  subalterne,  pendant  près  de 
Tingt  ans.  Ses  déclarations  et  ses  intrigues  envenimèrent  souvent  les  diffé«- 
rends  de  Louis  XIV  avec  le  saintrsiège. 

(2)  Pensionnaires,  agents  secrets  et  correspondants  de  la  cour  de  France. 
(18  juin  1668.  Romef  191.  V.  ci-dessus  passim  et  notamment  chap.  xii  et  xvi  du 
liv.  I«t.) 

(3)  Secrétaire  italien  de  Tambassade. 

(4)  18  juin  1668.  Rome,  191. 

(5)  19  août  1667.  Rome,  185.  —  14  février  1668.  Rome,  189. 


288  CHAPITRE   QUATRIÈME 

interceptée  de  l'ambassadeur  d'Espagne,  lui  écrivait-il,  il  s'est 
trouvé  une  lettre  et  un  discours  qu'il  mande  lui  avoir  été 
donné  par  un  de  vos  confidents.  Il  vous  sera  peut-être  aisé  de 
découvrir  qui  est  celui  qui  a  un  si  particulier  commerce  avec 
nos  ennemis^  après  quoi  vous  ne  lui  confierez  pas  des  choses 
de  grande  importance...  —  ...  Pour  M.  Ripa,  je  vous  prie  de 
me  mander  le  jugement  que  vous  en  faites;  car  je  sais  bien 
que  Ton  faisait  des  railleries  de  M.  de  Créquy  de  ce  qu'il  avait 
gagné  l'affection  pour  la  couronne  d'un  homme  de  néant  et 
qui  n'est  en  aucune  estime  à  Rome  (i).  »  —  Défiez-vous  du 
«  petit  Scarlati(2)  »,  que  je  connais  depuis  longtemps  comme 
«  un  homme  dangereux  ».  La  crédulité  de  l'ambassadeur, 
développée  par  le  désir  de  paraître  bien  informé  et  de  décrier 
le  précédent  pontificat,  n'avait  pas  de  bornes,  et  ses  familiers 
le  rendirent,  à  cette  époque,  victime  de  la  mystification  la  plus 
humiliante.  Le  27  août  1667,  dans  une  dépêche  entièrement 
chiffrée,  le  duc  de  Ghaulncs  annonce  sérieusement  à  sa  cour 
un  coup  monté  par  don  Mario  Chigi ,  frère  aîné  d'Alexandre  VII, 
père  du  cardinal  Flavio,  que  l'ambassadeur  vénitien  Sagredo 
appelait  déjà  un  septuagénaire  dans  sa  Relazione  de  1661  (3), 
retiré  avec  sa  femme  dona  Bérénice  au  dernier  étage  du  palais 
de  la  place  Colonna,  et  qui  allait  mourir  quelques  mois  plus 
tard  (novembre  1667),  accablé  d'infirmités  aussi  bien  que  d'an- 
nées. Ce  vieillard  a  noué  des  rapports  ténébreux  avec  les  Es- 
pagnols :  il  achète  des  biens  en  Sicile  et  dans  le  royaume  de 
Naplcs,  et  il  vient  d'envoyer  à  la  cour  de  Vienne,  pour  l'aider 
à  lever  des  troupes  contre  la  France,  deux  cent  mille  pistoles 
en  or  (4),  cachées  dans  les  bustes  des  douze  Césars,  qui  si- 
mulent un  présent  adressé  à  l'Empereur  !  Le  duc  de  Ghaulnes 
en  est  bien  sûr,  car  il  tient  le  fait  de  l'ouvrier,  mal  payé,  qui 
a  placé  l'or  dans  les  bustes,  et  du  voiturier  Nicolas  Usson, 
Lorrain,  qui  transporte  le  trésor  à  Vienne,  en  passant  par 

(1)  A  quoi  Chaulnes,  uo  peu  honteux,  répondit  :  «  M.  Ripa  ne  fait  pas  ici 
grande  figure  ;  je  ne  m*en  soucie  que  parce  qu'il  fait  nombre  dans  mon  cortège 
de  prélats,  et  à  cause  des  services  qu'il  aurait  rendus  au  duc  de  Créquy.  • 
(27  mars  1668.  Rome,  190.) 

(2)  16  avril  1668.  Rome,  190. 

(3)  Relazioiii,  t.  11,  p.  236. 

(4)  Deux  millions  de  livres  I 


FIN   DE    l'ambassade    DU   DUC    DE    ClfAULNES  289 

lan,  Côme,  le  Saint-GotharJ,  Altorf,  Lucerne,  Bâle  et  le 
I  du  Bonhomme  «  où  il  veut  être  pris  (1)!  »  Louis  XIV 
pond  gravement  que  l'histoire  n'estpas  très  vraisemblable, 
lis  qu'il  va  donner  Tordre  de  guetter,  sur  le  grand  che- 
in,  les  millions  de  don  Mario  (2).  En  effet  les  agents  fran- 
is  vont  jusqu'à  Milan  au  devant  du  roulier,  mais  sans 
?a  rencontrer  (3).  Bientôt  le  duc  de  Chaulnes  annonce  que  le 
lof  du  convoi  s'est  cassé  le  bras  au  Saint-Gothard,  puis,  qu'il 
t  mort  à  Milan  et  qu'on  ne  sait  pas  ce  que  sont  devenus  les 
istes  (4)  !  Cette  correspondance,  peu  honorable  pour  la  diplo- 
aiie  française,  se  clôt  par  cette  réflexion  ridicule  de  Lionne  : 
Quelqu'un  aura  vu  emballer  des  bustes  de  cuivre  pour  en  faire 
1  régal  à  orner  une  galerie,  et  se  sera  imaginé  qu'ils  devaient 
re  rembourrés  d'un  autre  métal  plus  précieux (5)!  » 
L*ambassade  de  Rome  rapportait  au  duc  de  Chaulnes  moins 
^  profit  que  de  gloire.  Il  se  plaignait  sans  cesse  des  dépenses 
normes  qu'il  s'imposait  pour  faire  oublier  l'avarice  de  Créquy, 
l  pour  dépasser  en  faste  les  ambassadeurs  espagnols.  Vaine- 
lent  il  avait  conseillé  d'envoyer  à  Clément  IX  un  ambassade 
'obédience,  dans  l'espoir  qu'il  serait  lui-même  chargé  de  cette 
lission  lucrative  :  quand  il  fut  assuré  que  Louis  XIV  ne  ren- 
rait  pas  cet  hommage  au  nouveau  pape^  il  exposa  sa  détresse 
u  roi  et  à  Lionne  et  sollicita  son  rappel  (6).  Il  obtint  une  gra- 
fication  extraordinaire,  mais  insuffisante,  de  trente  mille  li- 
res (7).  Le  duc  et  la  duchesse  firent  écrire  par  Tabbé  de  Ma- 
haut  qu'ils  étaient  ruinés  et  sans  crédit  ;  le  duc  répéta  lui- 
lême  au  ministre  qu'il  était  accablé  de  dettes  en  France  et  à 
tome,  le  suppliant  d'en  informer  secrètement  le  roi  (8).  Au 

(1)  Home,  185. 

(2)  9  septembre  1667.  liotney  186. 

Ci)  Lionne  &  Chaulnes,  25  novembre  16(>7.  Itomc,  187. 

(4)  A  Lionne,  20  décembre  1667  et  7  février  1668.  Rome,  187  et  189. 

("i)  A  Chaulnes,  10  avril  1668.  Rotne,  190. 

T))  V.  notamment  :  Le  duc  et  la  duchesse  à  Lionne,  12  juillet  1667.  HomCf 
84  :  ff  J'ai  tout  abandonné  pour  obéir  aux  ordnts  du  roi  et  il  y  va  de  ma 
ulnc  entière.  »  —  Le  duc  h  Lionne,  2i  septembre  1667.  Home,  186  :  Il  a  apporté 

Home  1^8,000  pistoles  et  il  n'en  a  plus  que  pour  deux  mois.  —  31  janvier  et 
2  avril  1668.  Home,  180  et  lî)0. 

(7)  Le  roi  à  Chaulue.^,  8  mai  1668.  RomCy  191. 

(8)  30  mai  et  2  juin  166K.  Rome,  191. 

LOl'IS    XIV  KT  LE  SAINF-SIKOR.  —  IL  10 


290  CHAPITRE    QUATRIÈME 

mois  de  mai  1668,  Louis  XIV  se  défendit  de  le  rappeler  sous 
prétexte  de  ne  pas  déplaire  au  pape,  qui  pouvait  s'oflFenser 
d'être  laissé  sans  ambassadeur  (1);  quelques  semaines  s'étaient 
à  peine  écoulées,  il  n'avait  plus  de  scrupules  :  il  invitait  le 
duc  à  mettre  les  négociations  en  état  de  se  passer  de  sa  pré- 
sence, et  à  revenir  «  après  les  chaleurs  »  (2).  Le  3  a!oùt,  il  ia- 
formait  le  pape  qu'il  relevait  Chaulnes  de  ses  fonctions  et  que 
l'abbé  de  Bourlemont  serait  chargé  des  communications  delà 
couronne  avec  le  saint-siège(3).  Ce  rappel, brusquement  décidé, 
sans  que  rien  annonçât  Tintention  d'envoyer  un  autre  ambas- 
sadeur, émut  et  inquiéta  justement  les  Romains.  L*abbé  de 
Mâchant  écrivait  :  «  Songez  à  donner  ici  un  ambassadeur  qui 
ait  de  la  douceur  dans  ses  manières  d'agir  et  qui  ne  se  laisse 
pas  prévenir  :  ayant  ces  deux  parties,  tout  ira  a^dmirablement. 
Le  contre-pied  donne  seulement  de  la  peine,  quand  on  y 
songe.  »  —  On  sera  mortifié,  si  vous  n'envoyez  pas  ici  un  nou- 
vel ambassadeur  au  printemps  prochain  (4). 

Le  duc  lui-même  tenta  de  dissiper  les  appréhensions  de 
Clément  IX.  «  Comme  il  savait  qu'après  son  départ,  on  don- 
nerait une  sinistre  interprétation  au  retardement  de  la  nomi- 
nation d'un  successeur,  il  voulut  prendre  les  devants,  disant 
au  pape  que  Sa  Sainteté  no  se  devait  pas  arrêter  aux  appa- 
rences, mais  au  fond  et  à  l'essentiel,  et  ainsi,  ne  pas  prendre 
ce  retard...  pour  un  mépris  qu'on  ferait  de  la  cour  de  Rome, 
après  en  avoir  obtenu  les  grâces  qu'on  souhaitait,  mais  plutôt 
l'attribuer  à  la  circonspection  que  le  roi  voulait  apporter  pour 
faire  un  bon  choix  (5).»  C'était  un  mensonge  :  Louis  XIV 
laissa  vaquer  l'ambassade  jusqu'à  la  mort  de  Clément  IX,  et 
c'est  le  duc  de  Chaulnes  qui  fut  renvoyé  à  Rome  pour  le  con- 
clave. D'ailleurs  la  désignation  de  l'abbé  de  Bourlemont  était 
de  mauvais  augure ,  et  le  duc,  dans  ses  derniers  entretiens, 
invita  le  cardinal  Azzolino  à  ne  pas  s'effrayer  de  l'exactitude 
qu'apportait  cet    abbé   dans   l'exécution   de  ses   ordres  (6). 

(1)  8  mai  1668.  Rome,  i91. 

(2)  n  juin.  Rome,  191. 

(3)  Rome,  192. 

(4)  A  Lionne,  9  juillet  et  29  août  1668.  Rome,  192. 

(5)  Analyse  de  Sainl-Prèt,  Rome^  Papiers  et  documents,  24. 

(6)  Chaulnes  au  roi;  Machaut  à  Lionne,  29  août  1668.  Rome,  192. 


FIN    DE   l'ambassade    DU    DUC    DE  CHAULNES  291 

Mais,  précisément,  Louis  XIY  ne  tenait  pas  à  rassurer  la  cour 
pontificale  sur  ses  intentions.  Il  venait  de  faire  entrer  la  né- 
gociation du  mariage  portugais  dans  une  phase  critique,  où  il 
aurait  peut-être  besoin  d^intimider  Rome.  Il  avait  à  cœur  la 
promotion  de  MM.  de  Bonsy,  d'Aversperg  et  d'Estrées,  et  il 
entendait  l'emporter  de  haute  lutte  (l).Il  avait  formé  son  plan 
pour  régler  au  gré  de  ses  caprices  les  différends  d'ordre  spi- 
rituel qu'il  avait  provoqués  dans  le  royaume  :  la  suppression 
de  certaines  fêles  chômées  (2);  la  liberté  des  religieux  (3)  ;  la 
révision  des  décrets  pontificaux  par  les  juges  séculiers  (4)  et 

(i)  Clément  IX  ayant,  le  12  décembre  1667,  donné  trois  des  six  chapeaux 
▼acants  à  son  neven  Tabbé  Jacopo  Rospigiiosi,  au  prince  Leopoido  Medici  et  à 
don  Sigismondo  Chigi,  Louis  XIV  prétendit  que  le  pape  avait  épuisé  son  droit 
et  que  le  tour  dos  princes  était  reyenu.  Lioune  écrivit  au  duc  de  Chaulnes  : 
Soutenez  que  «  voilà  une  promotion  complète  et,  partant,  que  la  première  que 
Sa  Sainteté  fera  doit  être,  suivant  la  coutume,  pour  les  couronnes,  et,  cela 
étant,  il  n'y  aurait  plus  de  difficulté  à  y  faire  comprendre  M.  de  Béziers,  elc...  » 
(30  décembre  1667.  Rome,  187.)  Le  duc  lui  répondit  :  Il  ne  faut  pas  espérer  de 
réussir  ici  dans  la  prétention  que  le  pape  a  fait  sa  promotion.  La  restitution 
du  chapeau  [à  la  maison  du  feu  pape]  et  Télévation  d'un  prince  jointe  à  celle 
d'un  neven  sont  hors  rang,  surtout  quand  on  laisse  encore  trois  chapeaux 
vacants.  S'il  faut  insister,  envoyez- moi  des  ordres.  (Au  roi,  24  janvier  1668. 
Rome^  189.)  Cest  ce  que  l'abbé  de  Bourlemont  avait  déclaré  dès  le  premier 
joar  :  Restent  trois  chapeaux  qui  serviront,  avec  d*autres,  à  la  prochaine  pro- 
motion dn  pape,  car  celle-ci  ne  compte  pas  comme  telle,  suivant  Tusage  de 
cette  cour.  (A  Lionne,  13  décembre  1667.  Rome^  187.)  —  J*ai  peu  d'espoir 
pour  Avereperg  et  cette  nouvelle  demande  nuira  à  celle  de  M.  de  Béziers. 
(Chaulnes  à  Lionne,  27  mars  1668.  RomCy  190.) 

(2)  «  Quelques  évoques,  à  l'imitation  de  M.  l'archevôque  de  Paris,  ont  ôté  les 
fêtes  d'apôtres.  Je  crois  que  S.  S.  en  fera  du  bruit,  et  j'aurais  bien  voulu  que 
M.  l'archevêque  m'eût  fait  savoir  ses  raisons  pour  répondre  à  S.  S.  »  (Chaul- 
nés  à  Lionne,  30  août  1667.  Rome,  185.)  —  Le  pape  m'a  parié  du  retranche- 
ment des  fêtes  ordonné  par  l*drchevèque  de  Paris,  auquel  il  reproche  de 
vouloir  uniquement  <<  choquer  le  saint-siège  ».  (Chaulnes  à  Lionne,  8  décem- 
bre 1667.)  •—  «  A  rai?on  du  retranchement  des  fêtes,  répondit  Lionne,  vous 
n'avez  qu'à  tirer  de  longue,  sans  entrer  dans  la  matière  ni  en  aucun  expé- 
dient, vous  excusant  que  vou»  n'êtes  pas  suffisamment  instruit  et  nous  ren- 
voyant cet  esteuf  à  démêler  avec  le  nonce.  »  (26  décembre  1667.  Rome,  187.) 

(3)  Le  pape  et  le  cardinal  Rospigliosi  sont  «  aigris  »  par  Varrél  suspendant 
la  réception  des  novices  dans  tous  les  ordres  religieux.  (Mâchant  à  Lionne, 
12  août  1668.  Rome,  192.) 

(4)  On  se  plaint  à  moi  des  arrêts  du  Parlement  contre  les  censures  faites 
à  Rome  du  Rituel  dAlet  et  de  la  Version  de  Mons,  Je  réponds  «  que,  quant  à 
la  censure  que  l'on  avait  faite  à  Rome  desdits  deux  livres,  cela  était  très  à 
propos  puisque  le  débit  s'en  pouvait  faire  hors  de  France  et  par  toute  la 
chrétienté,  la  cour  de  Rome  qui  doit  veiller  sur  la  pureté  des  dogmes  ecclé- 


292  CHAPITRE    QUATRIÈME 

surtout  le  procès  des  quatre  évêques  jansénistes  (1).  Il  avait 
reconnu  dans  le  nouveau  nonce  Bargellini,  archevêque  de 
Thèbes  (2),  un  esprit  faible  et  vaniteux,  prêt  à  favoriser  ses 
desseins.  Si  la  persuasion  ne  suffisait  pas,  il  avait,  en  Bour- 
lemont,  Tagent  le  mieux  disposé  à  remettre  sur  le  tapis  l'affaire 
de  Castro  (3)  et  les  querelles  d'ordre  temporel  que  les  ran- 
cunes françaises  avaient  toujours  en  réserve.  Trois  semaines 
avant  la  dernière  audience,  le  duc  de  Chaulnes  écrivait  à 
Lionne  :  Le  cardinal  Rospigliosi  me  charge  de  signaler  au 
roi  la  prétention  du  Parlement  à  examiner  les  censures  pro- 
noncées ici  contre  le  Rituel  d Ahi  et  la  Version  de  Mons,  — 
et  la  défense  faite  aux  ordres  religieux  de  recevoir  des  no- 
vices (4).  —  L'abbé  de  Machaut  que  j'avais  envoyé  chez  les 
cardinaux  Rospigliosi  et  Azzolino  pour  réclamer  l'induit  des 
conquêtes  «  les  a  trouvés  non  pas  tout  à  fait  changés  mais 
beaucoup  altérés  sur  le  peu  de  considération  que  Ton  fait  du 
pape  en  France  et  le  peu  de  pente  de  l'obliger  dans  les  moin- 
dres bagatelles,  dans  le  temps  qu'il  s'épuise  pour  complaire  au 
roi.  »  Ils  font  dos  difficultés  sur  cet  induit  à  l'occasion  des  dé- 
pendances. «  Ce  que  je  puis  vous  dire  est  qu'il  faut  qu'on  aitécril 
au  pape  quelque  chose  de  bien  fort  pour  qu'il  ait  permis  à  ses 
ministres  de  s'ouvrir  et  faire  des  plaintes  sur  ces  matières  (5).  »— 

siastiques  devant  y  apporter  les  remèdes  généraux  et  universels  au  susdit 
cas,  sans  qu'il  fût  besoin  de  les  appliquer  particulièrement  en  France,  oit  le 
clergé  est  en  droit  de  censurer  de  semblables  livres,  par  les  libertés  de  l'E- 
glise gallicane  fou(iées  sur  les  saints  canuns,  sur  le  consentement  des  papes 
et  sur  un  continuel  usage  aussi  ancien  que  la  religion  catholique  dedans  la 
monarchie  française.  »  (Bourlemont  à  Lionne,  21  août  1668.  Rome,  192.)  Lionne 
approuve  ce  langage  et  proclame  de  nouveau  la  maxime  schismatique  que  U 
France  ne  reçoit  que  les  bulles  plombées  et  revêtues  des  lettres  royales  d'at- 
tache. (A  Bourlemont,  14  septembre  1668.  Rome,  193.) 

(1)  Le  pape  est  inquiet  du  jansônisme,  qui  «  a  repris  dans  sa  racine  en 
Flandre  et  fait  voir  ses  progrès  en  Franco,  etc..  >»  (Chaulnes  au  roi,  26  juio 
1668.  Rome,  101;  et  4  août  1668.  Rome,  192.) 

(2)  Arrivé  à  Paris  au  mois  de  mars  1668. 

(3)  «  En  la  finissant  et  en  l'accommodant  [rafFaire  de  Castro],  Ton  tarirait 
la  source  de  quelques  grands  embarras  qui  sans  doute  s'en  ensuivront:  mais 
qui  sait  qu'il  ne  soit  pas  avantaiçeux  de  laisser  un  levain  dont  on  se  puisse 
servir  dans  l'occasion  qu'on  cherchera  d'avancer  ses  affaires?  »  (.Machaut  à 
Lionne,  15  mai  1668.  Rome,  191.) 

(4)  Aa  roi  et  à  Lionne,  13  août. 

(5)  14  août.  Rome,  192. 


nN  DE  l'ambassade  du  duc  de  chaulnes  293 

Machaut  lui-même  écrivait  :  Pourquoi  ne  pas  donner  sa- 
/isfaclion  à  cette  cour  sur  Tarrêt  du  Conseil,  sur  la  sup- 
pression des  fêles,  etc.?  Pourquoi  M.  le  Tellier  et  son  fils 
3nl-ils  si  peu  d'égards  pour  le  pape  ?  <v  Notre  cher  ami 
VI.  l'abbé  Melani  vous  déduira  d'autres  griefs  plus  considé- 
ables,  et,  avec  une  même  sincérité,  il  vous  représentera 
'état  de  cette  cour,  lequel,  sans  doute,  si  vous  ne  vous  y  ap- 
)liquez  autrement,  changera  d'une  façon  qui  vous  surpren- 
Ira  (1).  »  —  «  Quand  le  pape  et  M.  le  cardinal  Rospigliosi  par- 
ent de  ce  qu'on  n'a  pas  encore  rien  fait  pour  les  fêles,  pour  les 
Tîoines  ;  que  qui  que  ce  soit,  qui  a  des  provisions  de  bénéfices 
ivant  que  Sa  Sainteté  eût  donné  les  induits  des  évêchés  et 
les  abbayes,  n'est  venu  à  Rome  pour  se  pourvoir  de  nouveau 
iepuis  ladite  cassation;  qu'il  serait  à  propos  de  terminer  pré- 
;ontement  Taffaire  des  jansénistes  et  celle  de  Parme,  ils  ne 
âennent  pas  avec  des  sentiments  de  personnes  intéressées  et 
[ui  sembleraient  avoir  quelque  prérogative  pour  demander 
les  décisions  sur  tous  ces  chefs,  mais  bien  avec  les  expressions 
lu  monde  les  plus  honnêtes  et,  s'il  se  peut  dire,  les  plus 
lumblcs  et  les  plus  pressantes;  ils  entrent  dans  les  intérêts 
le  Sa  Majesté  comme  vous  pourriez  le  faire  vous-même;  ils 
l'ont  pas  de  plus  forte  raison  que  celle  qui  leur  est  suggérée 
les  empressements  qu'ils  ont  pour  son  service.  Je  vous  as- 
sure que  vous  seriez  touché  de  leurs  maximes  et  vous  avoue- 
rez que  le  roi,  sans  même  faire  de  réflexion  sur  ce  qui  le 
egarde,  est,  en  quelque  façon,  obligé  de  leur  donner  toute  la 
satisfaction  qu'ils  peuvent  souhaiter  (2).  »  La  cour  de  France 
Hait  décidée  à  traiter  avec  le  dernier  mépris  les  remontrances 
?t  les  conseils  qui  lui  venaient  de  toutes  parts,  même  d'hommes 
lussi  serviles  que  Alto  Melani  et  l'abbé  de  Machaut.  Lionne 
•épondit  à  Melani  :  «  Quand  des  oisifs  ou  spéculatifs  des  an- 
ichambres  (3)  voudront  vous  porter  quelque  botte  sur  le  peu 
le  reconnaissance  qu'on  a  eue  de  la  profusion  de  grâces  que 


(i)  A  Lionne,  1-4  aoîit.  liojtic,  i02. 

(2)  Au  môme,  7  septembre  1()68.  Rornc,  193. 

(3)  Ou  la  vu  plus  haut,  Lionne  était  averti  par  le  duc  de  Cbaulncs  lui-mdme 
|ue  telle  était  Topiniou  de  toute  la  cour  pontificale,  et  que  le  cardinal  Otthoboni, 
lataire,  avait  siguulé  û  Clément  IX  le  danger  de  semer  dans  une  ten^  ingrate. 


29i  CIIAPITKE    QUATRIÈME 

Sa  Saintelé  a  versées,  il  est  vrai,  avec  abondance  sur  Sa  Ma- 
'  jeslé  et  sur  ses  ministres,  vous  pourrez  leur  fermer  la  bouche 
jpar  un  mot  sans  réplique  on  leur  faisant  remarquer  la  con- 
duite que  Sa  Majesté  lient  cl  tiendra  dans  l'exécution  du  trailé 
de  Pise  dans  T affaire  de  Castro [K),  »  Mais  ne  donnez  celle 
raison  ni  au  pape,  ni  au  cardinal  Rospigliosi,  «  car  le  roi  veut 
leur  témoigner  sa  reconnaissance  par  une  continuelle  suite  d'ac- 
tions réelles  de  complaisance  pour  Sa  Béatitude,  et  non  pas  lui 
faire  valoir  qu'elle  ne  fasse  rien  qui  la  puisse  choquer  (2).  » 

Le  duc  de  Chaulnes  voulut,  avant  de  partir,  persuader  à  sa 
cour  que  son  habileté  avait  fait  disparaître  toute  difficulté 
entre  les  deux  puissances,  et  il  cherchait  à  reprendre  quelques- 
unes  de  ses  dernières  nouvelles;  mais  il  s'embarrassa  et  ag- 
grava ses  aveux  :  «  Quelque  petite  inquiétude  »  dontj  ai  parlé 
a  disparu,  dit-il.  Cela  n'a  pas  dépassé  les  ministres,  ou  pour 
mieux  dire  le  cardinal  Otlhoboni,  «  tout  ce  qui  touche  les 
moines  lui  étant  très  sensible  :  rien  ne  m'a  paru  changé  ni  du 
côté  du  pape  ni  du  côlé  du  cardinal  Rospigliosi.  Il  est  vrai  que, 
Sa  Saintelé  me  parlant  des  affaires  des  jansénistes  et  de  toutes 
les  autres  qui  regardent  la  religion,  elle  me  dit  qu'elle  m'en 
parlerait  plus  au  long  une  autre  fois,  et  je  m'imagine  qu'elle 
remet  à  m'en  parler  à  ma  dernière  audience  comme  de  ces 
choses  les  plus  chères  que  Ton  réserve  à  la  fin,  sachant  qu'elles 
lui  tiennent  fort  au  cœur  (3).  »  Heureux  d'échapper  à  des  dif- 
ficultés sans  nombre,  l'ambassadeur  fut  comblé  d'attentions  et 
de  grâces  par  le  pape  et  par  tous  les  Romains.  Jusqu'au  der- 
nier jour.  Clément  IX  lui  renouvela  les  plus  pressantes  ins- 
tances en  faveur  de  l'Église,  et,  suivant  le  propre  langage  du 
duc,  «  fit  voir  pour  le  roi  une  tendresse  qu'un  père  n'aurait 
pas  pour  un  enfant  (4j.  » 


(1)  Ce  seul  mot  prouve  riDgraliiudc  et  la  niauvaige  foi  de  la  cour  de  Frauce. 
Elle  De  faisait  aucune  grâce  à  Clcmeut  IX  sur  l'article  de  Castro.  Cest  elle,  au 
contraire,  qui  tourmeutait  sans  droit  Alexandre  VII  et  Clément  IX  :  car  le  cas 
prévu  par  le  traité  de  Pise  ne  s'était  môme  pas  réalisé.  Le  délai  étant  expiré, 
rincamération  antérieure  reprenait  sa  force  et  tout  était  consommé. 

(2)  14  septembre  1668.  Rome,  193. 

(3)  A  Lionne,  20  août.  Rome,  192. 

(4)  Chaulnes  au  roi  et  à  Lionne,  11  septembre  1668.  Rome,  193.  —  Le  duc 
eut  sa  dernière  audience  le  7  septembre  et  partit  de  Rome  le  12. 


CONCLUSION    DE    l'aFFAïRE    DE    PORTUGAL  293 

L'abbé  de  Bourlemonl  renoua  sans  retard  et  poursuivit  ac- 
ivement  la  négociation  relative  au  mariage  de  la  reine  do 
^orlugal.  Le  P.  de  Villes,  qui  avait  quitté  Paris  depuis  six 
einaines,  ralentissait  sa  marche,  afm  do  n'être  pas  longtemps 
;êof>  à  Rome  par  un  ambassadeur  qui  n'a]q)rouvait  pas  entië- 
enienl  la  conduite  des  cours  de  Lisbonne  et  de  Saint-Germain, 
.^f  ndant  que  le  duc  de  Chaulnes  faisait  ses  derniers  prépara 
ifs,  le  confesseur  de  la  reine  se  détourna  encore  une  fois  de 
a  route  sous  prétexte  d'un  pèlerinage  à  Lorette  :  enfin  il  prit 
i  bien  ses  mesures  qu*il   entra  dans  la  ville  quarante-huit 
icures  avant  le  jour  publiquement  indiqué  pour  l'audience  de 
•ongé.  Il  se  fit  présenter  par  le  duc  au  pape  et  attendit  son 
lépart  pour  se  mettre  à  l'œuvre  avec  Bourlemont  (1).  Celui-ci 
essaya  d'abord  de  faire  réussir  le  projet  formé  par  Lionne  et 
Toblenir  que  le  pape  se  contentât  d'une  communication  offi- 
lieuse  des  actes  de  Portugal,  sans  rendre  aucun  jugement.  11 
iavait  bien  que  cette  demande  était  téméraire  et  il  écrivit  au 
oi  :  Je  concerte  avec  le  P.  de  Villes  les  moyens  de  ne  pas 
»oumettre  à  la  Congrégation  le  procès-verbal  de  ce  qui  s'est 
kassé  à  Lisbonne,  ou  du  moins  de  n'en  montrer  que  des  ex- 
raits  et  sous  la  condition  du  secret.  Mais  on  n'ignore  pas  que 
e  religieux  est  porteur  des  pièces  et  on  les  exigera.  Une 
rrande  difficulté  vient  de  ce  que  le  roi  Alphonse  VI  était  privé 
le  sa  liberté  quand  la  procédure  eut  lieu.  Le  pape  a  a  déclaré 
ésolument  qu'il  fallait  lui  remettre  tous  les  actes  des  infor- 
nations  faites  en  Portugal  pour  les  communiquer  à  tel  et  si 
rand  nombre  de  personnes  qu'il  lui  plairait...  »  Il  ne  veut 
•as  valider  la  dispense  du  légat  sans  en  avoir  vérifié  le  fon- 
lement.  Le  P.  de  Villes  se  serait  passé  de  cette  confirmation 
dutôt  que  «  d'en  faire  la  poursuite  avec  le  péril  de  voir  en 
iiëme  temps  donner  quelque  atteinte  à  la  sentence  et  à  la  dis- 
lense,  si  le  pape  ne  trouvait  pas  assez  de  quoi  se  satisfaire  el 
ur  l'un  et  sur  l'autre.  »  Mais  il  sentait  bien  que,  s'il  obéissait 
Lionne  et  à  Louis  XIV,  il  méconnaissait  les  intentions  de  la 
eine  et  du  régent.  Il  exposa  au  ministre  fran(;ais  l'embarras 
ù  le  jetaient  les  ordres  contradictoires  de  Lisbonne  et  de 

1)  Cbauloe:^  au  roi,  29  août,  {•*  et  U  septembre  166S.  Homey  192  et  193. 


296  CHAPITRE    OUATBIÈME 

Sainl-Gcrmain,  et  lui  écrivit  (i)  :  «  Mes  instructions  de  Portu- 
gal m^ordonnent  non  seulement  de  donner  au  pape  tous  les 
actes  et  tous  les  papiers  sans  mettre  de  condition,  mais  encore 
de  lui  demander  confirmation  par  écrit  et  par  bulle  des  trois 
principales  affaires  dont  je  suis  envoyé  pour  Tinslruire,  qui 
sont  :  la  dissolution  du  premier  mariage,  la  célébration  da 
second,  et  Temprisonnement  du  roi  avec  la  régence  du  prince... 
Je  vois...  des  périls  de  tous  côtés.  En  n'apportant  pas  avec  moi 
les  actes,  ou  en  refusant  de  les  donner,  le  pape  s'est  déclaré 
nettement  à  moi  qu'il  n'eût  jamais  rien  fait,  et  que  c'était,  dil- 
il,  comme  qui  viendrait  au  baptême  sans  l'enfant  ou  sans  eau. 
En  les  lui  donnant  pour  revoir  et  pour  examiner,  c'est  risquer, 
comme  nous  ne  voulons  pas,  qu'on  révoque  jamais  en  doule 
touchant  la  validité  de  la  sentence  donnée  par  les  juges  com- 
pétents. En  les  lui  donnant  avec  conditions,  comme  M.  Tam- 
bassadeur  Tavait  voulu,  et  comme  MM.  le  cardinal  de  Ven- 
dôme et  de  Laon  m'avaient  dit  à  Paris  qu'il  fallait  faire,  c'est 
encore  risquer,  puisqu'il  en  sera  le  maître  quand  il  les  aura, 
de  quelque  manière  qu'il  les  ait,  pour  les  faire  examiner  se- 
crètement... Je  supplie  Votre  Excellence,  au  nom  de  Dieu  et 
de  la  reine  qu'elle  a  si  avantageusement  servie  jusqu'à  pré- 
sent, de  m'ordonncr,  le  plus  tôt  qu'elle  pourra,  la  conduite 
que  j'ai  à  tenir,  et  comme  je  dois  répondre  au  Saint-Père... 
D'ailleurs  l'affaire  presse,  comme  je  lui  ai  assez  représenté, 
par  l'état  et  le  temps  de  la  grossesse  de  la  reine,  pour  songer 
au  futur...  »  —  Les  princes  portugais  enjoignirent  au  P.  de 
Villes  d'obéir  au  roi  de  France. 

Clément  IX  avait  déféré  la  cause  à  une  Congrégation  de 
neuf  membres,  qui  comptait  au  premier  rang  les  trois  cardi- 
naux-ministres Rospigliosi,  Azzolino  et  Otthoboni  :  a  Leur 
mérite  et  habileté,  dit  Bourlemont(2),  sont  bien  connus  du 
roi...  Il  me  semble  qu'ils  cheminent  bien  jusqu'à  présent... 
Il  est  vrai  qu'ils  cherchent  l'avantage  du  saint-siège,  et  en 
cela  ils  sont  louables,  l'adresse  et  la  subtilité  étant  à  estimer 
dedans  les  termes  d'équité  et  d'honneur...  Pour  les  prélats, 

(1)  Bourlemont  au  roi,  18  et  25  septembre.  —  Le   P.   de   Villes  à  LioDue, 
2:i  septembre  1608.  Home,  193. 

(2)  9  et  30  octobre,  et  4  décembre  1668.  Rome,  193  et  194. 


CONCLUSION    DK   L* AFFAIRE    DE    PORTUGAL  297 

e  sieur  Fagnano  est  sans  contredit  un  des  meilleurs  canonistes 
!e  noire  temps  (1.);  c'est  un  vieux  prélat  de  plus  de  quatre- 
•ingts  ans,  qui  a  perdu  la  vue  entièrement  aux  continuelles 
eclures  qu  il  a  faites,  et  no  laisse  pas,  nonobstant  cet  accident 
jiii  lui  est  arrivé  depuis  vingt  ans  environ,  d'être  employé  aux 
dIus    considérables  Congrégations  de  Rome.  Le  mérite  du 
^ieur  de  Vecchis  est  assez  connu  de  Sa  Majesté,  lui  ayant 
envoyé  son  portrait  en  une  boite  de  diamants  que  lui  donna 
M.    le  duc  de  Chaulnes  après  l'expédition  des  induits;  et  le 
sieur  de  Rossis  est  un  des  plus  habiles  et  des  plus  employés 
prélats  de  cette  cour.  Le  maître  du  sacré  palais,  le  P.  Libelli, 
outre  sa  grande  capacité,  est  un  fort  honnête  homme  et  qui 
n'a  pas  les  défauts  de  certains  moines  de  cloître;  le  P.  Tarta- 
glia  est  un  bon  théologien,  et  le  P.  Conti,  frère  du  cardinal 
de  ce  nom,  est  d'une  insigne  dévotion...  Sans  contredit,  ce 
sont  des  plus  habiles  et  intelligents  de  cette  cour,  chacun  de- 
dans son  ordre,  et  qui  n  ont  aucun  apparent  attachement  aux 
factions  des  couronnes.  »  Peu  de  temps  après,  la  Congrégation 
s*accrul  de  deux  autres  théologiens,  bien  dignes  de  siéger 
parmi  les  premiers,  et  destinés  Tun  et  Tautro  à  recevoir  la 
pourpre  :  le  P.  Bona,  général  des  Feuillants,  et  le  P.  di  Lauria, 
Conlelier  conventuel,  consulteur  du  Saint-Office  :   elle  fut 
d*avis  que  le  légat  avait  dépassé  ses  pouvoirs  (2)  ;  que  dès  lors 
\o  pape  devait  examiner  la  validité  du  premier  mariage  et 
exiger  la  production  des  actes.  Bourlemont  savait  combien 
cette  sentence  était  juste;  mais  pour  épargner  au  roi  un  affront 
trop  mérité,  il  retrouva  toute  la  passion  qu'il  avait  déployée 
dans  l'affaire  des  Corses,  et  il  écrivit  à  sa  cour  :  Il  faut  dire 
nettement  au  nonce  que,  si  Rome  fait  trop  de  difficulté,  on  se 
passera  d'elle  ;  qu'en  définitive  il  y  a  un  jugement.  S'il  demande 
pourquoi  ces  princes  sollicitent  cette  dispense,  répondez  que 

;i)  Od  peut  ajouter  aujourd'hui  :  Kl  de  tous  les  temps.  C'est  l'auteur  du  fa- 
meux commentaire  sur  les  D^cr^talcs.  V.  ci-dessus  chapitre  vu  du  livre  !•'. 

(2)  «  On  ne  putjamais  trouver  à  Rome  d'avocats  qui  voulussent  entreprendre 
de  soutenir  que  le  cardinal  de  Vendôme  n'eût  pas  excédé  ses  pouvoirs,  à  cause 
que  les  bulles  des  papes,  la  pratique  de  cette  cour  et  les  d^^crets  des  Congré- 
gations sur  CHS  semblables  étaient  entièrement  contraires,  outre  que  la  restric- 
tion qvoad  $ponsaiia  duntajat  était  expresse  dans  ses  pouvoirs,  m  {Analyse  de 
M,  deSaitU-Pret;  Rome^  Papiers  et  documents^  24.) 


298  CHAPITRE    OUATRIÈME 

des  «  consciences  timorées  et  scrupuleuses  veulent  abonder 
en  caulèle...  Parce  tranchant,  l'on  coupe  le  nœud  gordien,  qui 
se  rend  tous  les  jours  plus  difficile  à  délacer  ici  par  mille  in- 
cidents. »  Faites  menacer  cette  cour  par  celle  de  Lisbonne  de 
n'y  pas  envoyer  d'ambassadeur,  et  de  ne  pas  demander  de 
provisions  pour  les  évêchés,  tant  que  cette  affaire  ne  sera  pas 
terminée  (t)! 

Louis  XIV  avait  compris  qu'il  allait  trop  loin,  et,  après  avoir 
commis  les  princes  portugais  avec  le  saint-siège,  il  voulait 
que  son  intervention  demeurât  ignorée.  Lionne  écrivit  :  «  Sa 
Majesté  a  été  très  fâchée  que  ce  bon  religieux,  se  voyant  pressé, 
ait  dit  qu*il  lui  était  défendu  par  ses  instructions  de  donner 
les  actes,  mais  qu'il  en  écrirait  au  roi  et  suivrait  ses  senti- 
ments... Sa  Majesté  ne  veut  point  être  mêlée  là-dedans,  et  par- 
ticulièrement son  avis  étant  qu'on  ne  communique  point  les 
actes,  et  elle  ne  veut  pas  que  le  pape  puisse  penser  qu'elle  est 
la  cause  du  refus  qu'on  lui  fera.  »  Redressez  cela,  invitez  le 
P.  de  Villes  à  déclarer  que  ses  premières  instructions  étaient 
de  refuser,  et  que  les  derniers  ordres  les  ont  confirmées. 
Lionne  ajoutait  que  c'était  «  la  plus  importante  affaire  que 
Ton  eût  à  traiter  de  delà  et  à  laquelle  Sa  Majesté  prenait  une 
entière  part,  comme  si  elle  lui  était  propre  (2).  » 

Le  P.  de  Villes  se  prêta  volontiers  aux  nouveaux  mensonges 
que  lui  suggérait  la  cour  de  Franco.  L'év(>que  de  Laon  ayant  en- 
voyé à  Rome  un  projet  d'expédient,  aux  termes  duquel  le  pape 
aurait  fait  faire  une  seconde  enquête  par  des  commissaires  in 
partihus,  choisis  entre  les  confidents  les  plus  sûrs  des  princes, 
comme  étaient  les  Inquisiteurs  de  Lisbonne,  le  P.  de  Villes 
écrivit  à  Lionne  que  cette  concession  rendrait  les  Romains 
«  bien  plus  fiers  ou  plus  fermes  »,  énumérant  les  inconvénients 
qui  résulteraient  «  des  longueurs  ;  du  choix  des  commissaires^ 
n'en  pouvant  pas  avoirde  pires  que  les  Inquisiteurs  qui  sont  tota- 
lement dévoués  au  saint-siège...  ;  de  la  révision  du  procès  sur 
les  lieux;  des  interrogatoires  à  faire  du  roi. ..(3)  »  La  jalousie 
seule  inspirait  au  P.  de  Villes  ces  soupçons,  qui  n'étaient  pas 

(1)  2a  et  30  octobre  1668.  Rome,  193. 

(2)  29  et  26  octobre  1668.  Rome,  193. 

(3)  6  novembre  1668.  RomCf  194. 


CONCLUSION    DE    L  AFFAIRE    DE    PORTUGAL  299 

fondés,  car  Lionne  répondit  :  «  L'agenl  de  Portugal  en  cette  cour 
a  témoigné  un  très  sensible  déplaisir  de  ce  que  le  P.  de  Villes 
n'a  pas  poursuivi  Teffet  du  mémoire  de  M.  de  Laon,  assurant 
qu'à  quelque  Inquisiteur  de  ceux  qui  sont  en  Portugal  que  Sa 
Sainteté  eût  adressé  la  commission  de  reprendre  l'affaire  de  la 
reine  en  l'état  qu'elle  se  trouve,  et  de  la  finir  par  son  autorité, 
c'était  une  chose  qui  ne  pouvait  pas  durer  vingt-quatre  heures, 
et  qui  eut  passe  à  l'entière  satisfaction  de  la  reine  et  du  prince  ; 
ce  qu'il  eût  été,  disent-ils,  fort  à  propos  d'être  fait  avant  les 
couches  de  cette  princesse.  Dans  cette  diversité  d'avis,  le  roi 
ne  veut  point  prendre  de  parti  pour  rien  ordonner  ou  décider, 
d'autant  plus  que  M.  de  Laon  écrivit  en  Portugal  et  y  en- 
voya son  mémoire  le  même  jour  qu'il  l'adressa  aussi  au 
p/de  Villes  (1).  »> 

Celte  idée  est  écartée;  mais  le  temps  s'écoule  et  tout  de- 
meure en  suspens.  Le  roi  de  France  a  si  mal  conduit  l'affaire 
des  princes  portugais  qu'il  faut  craindre  d'obtenir  une  décision 
conforme  à  leur  dernière  requête.  Il  désire  que  le  pape  n'exa- 
mine pas  le  premier  mariage  :  soit,  mais  alors  la  nouvelle 
dispense  ne  produira  d'effet  qu'à  partir  de  sa  date.  La  validité 
du  second  mariage  ne  sera  certaine  que  pour  l'avenir;  et,  la 
grossesse  de  la  reine  remontant  àTépoque  intermédiaire,  qui 
osera  défendre  sa  réputation  et  la  légitimité  de  l'enfant  qu'elle 
porte?  Le  savant  Bourlemont,  qui  vit  le  péril,  en  informa  la 
cour  et  multiplia  les  démarches  pour  la  conjurer.  Il  proposa  de 
nouveaux  expédients  qui  n'atteignaient  pas  encore  le  but.  Le 
pape  lui  fit  dire  «  qu'il  avait  un  sensible  déplaisir  que,  jusqu'à 
cette  heure,  l'affaire  eût  été  traitée  par  des  biais  qui  n'étaient 
pas  praticables  (2).  »  Si  Clément  IX  n'avait  pas  encore  décidé, 
c'est  qu'il  attendait  le  résultat  des  recherches  prescrites  par  lui 
sur  le  premier  mariage.  Le  cardinal  Orsino,  protecteur  de  cette 
nation,  avait  alors,  h  Lisbonne,  un  secrétaire  que  la  reine 
consultait  sur  les  difficultés  les  plus  délicates  de  sa  si  tuation  (3). 
Mais  c'est  surtout  par  la  duchesse  de  Savoie  (4)  que  le  souve- 

(1)  30  novembre.  Rome^  194. 

(2)  Bourlemont  à  Lionne,  4  décembre  1668.  RomCj  194. 

(3)  Southwell  à  lord  Ormond,  2/12  décembre  1667. 

(4)  Femoie  de  Charles-Emuiauuel  lU 


300  CHAPITRE  QUATRIÈME 

rain  ponlife  connaissail  les  secrets  les  plus  cachés  de  la  cour 
de*[Lisbonne.  Cette  'princesse  ne  cachait  pas  son  irritation 
contre  le  P.  de  Villes,  et  voulait  que  sa  sœur  obéît  scrupuleu- 
sement aux  ordres  de  Rome  :  Saint-Romain  et  Bourlemontse 
plaignirent  à  plusieurs  reprises  de  la  cour  de  Turin  (1).  Quand 
il  fut  prouvé  pour  le  pape  et  pour  ses  conseillers  qu'Alphonse  VI 
était  depuis  longtemps  infirme,  et  que  le  premier  mariage 
n'avait  pas  été  consommé,  ils  n'hésitèrent  pas  et  la  décision 
suprême  fut  aussitôt  préparée.  La  droiture  de  Clément  IX  fui 
loyalement  attestée  par  Bourlemont  lui-même  dans  la  rela- 
tion d'une  de  ses  audiences.  J'avais  demandé,  dit-il,  une 
nouvelle  dispense  pour  un  mariage  ratum  et  non  consumma- 
tum,  afin  de  mettre  la  seconde  union  «  à  couvert  de  toutes  les 
mauvaises  suites  ou  sinistres  jugements;  car,  le  premier  ma- 
riage n'ayant  point  été  consommé,  comme  il  est  très  constant 
qu'il  ne  l'a  point  été,  la  dispense  aurait  pu  contenir  quelque 
clause  tendant  à  approuver  le  second  mariage.  »  Le  pape  ré- 
pondit qu'il  ne  fallait  pas  «  plâtrer  une  affaire  de  cette  impor- 
tance-là, de  laquelle  il  devrait  rendre  compte  à  Dieu  et  satis- 
faire la  connaissance  des  hommes;  qu'il  ne  refusait  point 
de  donner  une  dispense  sur  les  fondements  que  j'avais  exami- 
nés avec  M.  le  cardinal  dataire;  mais,  s'adressant  à  moi,  il  me 
dit  :  Et  si  je  vous  fais  voir  que  cola  ne  suffit  point  pour  mettre 
à  couvert  l'honneur  et  la  conscience  de  la  reine,  et  la  succes- 
sion des  enfants,  ne  conviendrez-vous  pas  avec  moi  qu'il  faut 
en  ce  cas  faire  ce  qui  peut  remédier  à  tout  cela?  et  je  vous  dis 
que  je  suis  prêt  à  le  faire  ;  et,  si  le  P.  de  Villes  ne  veut  pas  ou- 
vrir les  yeux  à  cela,  n'aiderez-vous  pas  à  les  lui  dessiller?)» 
Le  pape  ajouta  «  qu'il  voulait  faire  ce  qu'il  fallait  pour  ces 
princes  et  que,  s'il  ne  leur  voulait  pas  tant  de  bien  et  à  leur 
salut  et  à  leur  Etat,  il  se  contenterait  peut-être  de  donner  ce 
qu'on  lui  demande,  sans  rien  rechercher  de  plus.  —  Je  connus 
aussitôt  où  le  pape  voulait  venir  et  qu'il  avait  pénétré  le  point 
dont  j'avais  parlé  au  P.  de  Villes  pour  y  faire  réflexion  et 
l'induire  à  faire  couler  un  mot  dedans  la  dispense  qui  mît  à 


(1)  Bourlemont  à  Lionne,  10  octobre  et  2  novembre  IG08.  Home^  193  et  194. 
—  Saint-Romain  au  même,  4  janvier  iCCU.  Portugal,  9. 


CONCLUSION    DE    l'aFFAIRE    DE    PORTUGAL  301 

couvert  cet  endroit  si  délicat;...  mais  le  Père  n'j\avait  pas 
voulu  entendre.  »  — Clément  IX  releva  justement  une  faute 
de  la  sentence  de  Lisbonne  qui  ne  visait  que  l'impuissance 
qnoad  virgines,  discutant  ces  choses  brièvement,  avec  une  pu- 
deur et  une  majesté  admirables,  et  observant  «  que  cela  lui 
faisait  peine  de  les  dire,  aussi  bien  qu'à  moi  de  les  entendre, 
mais  que  le  salut  des  âmes  l'y  obligeait...  »  Le  pape  termina 
l'audience  en  invitant  Bourlemont  à  conférer  avec  les  cardi- 
naux Azzolino  et  Otthoboni,  et  à  chercher  ensemble  les  moyens 
de  placer  le  second  mariage  à  Tabri  de  toute  critique.  — 
L'abbé  se  réjouit  du  tour  nouveau  que  prenait  Taffaire.  Il  n'y  a 
pas  lieu,  dit-il,  de  regretter  le  temps  perdu  :  si  le  pape  délivre 
la  dispense  inradice^  Tclfet  remonte  au  mariage  même  :  s'il  ne 
peut  pas  la  donner,  le  mal  est  depuis  longtemps  irréparable, 
puisqu'elle  aurait  du  précéder  la  conception  (1). 

Bourlemont  put  bientôt  apprendre  au  roi  que  Clément  IX 
accordait  la  double  dispense  du  mariage  ratum  et  non  consuma 
matiim  et  de  Tempêchement  de  publique  honnêteté  in  radice 
matrimoniiy  «  c'est  à-dire,  comme  si  la  dispense  eût  précédé 
le  mariage,  qui  est  tout  ce  que  Ton  pouvait  demander  au  pape 
pour  rendre  le  second  mariage  incontestable  et  le  mettre  à 
couvert  de  toutes  exceptions.  »  x\utrement,  dans  le  cas  où, 
<(  par  changement  de  complexion,  l'impuissance  du  roi  Al- 
phonse put  cesser,  en  quel  pitoyable  état  se  trouverait  Thon- 
neur  d'un'î  princesse  si  vertueuse  et  si  sage!  De  quel  malheur 
se  verraient  accabler  ses  enfants!...  Parce  moyen,  il  n*y  a 
point  de  révision  judiciaire;  la  sentence  rendue  sur  l'impuis- 
sance du  roi  Alphonse  prouve  constamment  que  le  premier 
mariage  n*a  point  été  consommé;  et,  quand  le  roi  Alphonse 
changerait  de  complexion.  Ton  ne  peut  jamais  prétendre  au- 
cune validité  de  son  premier  mariage...  L'on  fait  mention  de 
la  dispense  de  M.  de  Vendôme,  sans  la  ûétrir  (2).  » 

(1)  À  Lionne,  23  décembre  1668.  Rome,  194. 

(2)  Au  roi  et  à  Lionne,  («'  et  2  janvier  1669.  Rome,  196.  —  Nous  avons  re- 
trouvé »lcd  Obsenmliona  sur  le  bref,  rédigées  par  le  P.  de  Villes  et  où  ce  reli- 
gieux, s'inclinant  trop  tard  devant  la  justice  et  la  bonté  de  Clément  IX,  recon- 
naît aussi  qu'eu  cette  circouAtauce,  malgré  les  efforts  de  Louis  XIV,  le  pape 
déploya  librement  la  piiis^^ance  pontificale,  dans  toute  sa  plénitude  ;  «  On  a 
fait  au  monde,  dit-il,  tout  l'impossible  pour  se  passer  d'une  nouYolle  dispense 


302  CHAPITRE    013ATRIÈME 

Le  26  février  1669,  le  pape  écrivant  au  roi  de  France  se  fé- 
licitait d'avoir  pu  lui  accorder  cette  grâce,  ordine  justiivt 
servato  (1).  Tel  fut  en  effet,  pour  le  saint-siège,  le  premier  cl 
le  dernier  mot  de  cette  affaire.  Que  resle-t-il  des  calomnies  de 
Voltaire  (2)?  Peut-on  imaginer  une  conduite  plus  paternelle 
et  plus  ferme,  plus  impartiale  et  plus  prévoyante?  D'un  autre 
côté,  parmi  les  documents  que  nous  avons  étudiés,  depuis  la 
révolution  du  21  novembre  1667  jusqu'au  bref  du  26  fé- 


et  pour  obtenir  seulement  l'approbation  de  celle  de  M.  le  légat;  mais,  le  pape 
ne  voulant  point  avoir  d*égard  à  toutes  nos  raisons,  ni  à  toas  nos  écriu, 
quoique  très  forts  et  très  solides,  et  étant  inflexiblement  résolu,  dès  devant 
même  que  j'arrivasse  à  Rome,  à  ne  la  point  accorder,  pour  ne  pas,  disait-il,  pré- 
judicier  à  ses  droits  et  à  ceux  de  cette  cour-ci, ...  il  fallait  de  nécessité,  après 
avoir  longtemps  et  inutilement  combattu  sur  ce  point,  ou  se  séparer  sans 
rien  faire  ou  prendre  Texpédient.  qu'il  me  fit  proposer,  d*accepter  ane  ooavelle 
et  seconde  dispense...  Dieu  qui  a  toujours  un  soin  très  spécial  et  quasi  mir&- 
culcux  de  toutes  les  affaires  de  la  reine,  a  inspiré  son  vicaire  de  faire  de  lui- 
même  et  de  son  propre  mouvement,  par  une  étendue  de  charité  et  de  provi- 
dence digne  d'un  aussi  saint  et  grand  pontife  que  lui  ;  et   c^est  ce  qu'il  me 
disait  et  me  faisait  dire  souvent  pour  me  témoigner  la  sincérité  de  ses  bonnes 
intentions,  et  que  je  ne  concevais  pas  pour  lors,  qu'il  me  voulait  faire  plus  de 
bien^  ou  plutôt  à  mes  princes^  que  Je  ne  lui  en  avais  demandé.  Il  a  donc,  eu  re- 
connaissant positivement  et  approuvant  la  validité  de  la  sentence  des  juge» 
de  Lisbonne,  fait  une  ampliation  ou  extension  qui,   sans  rien  préjudicier  à 
celle-là,  apporte  le  remède  aux  craintes  qu'elle  n'empêchait  pas  pour  Taveuir. 
Car,  le  pape  pouvant  seul  dispenser  d*un  mariage  fait  comme  il  tamt  et  valide, 
pourvu  qu'il  n'ait  pas  été  consommé,  et  rompre  à  jamais  son  lien,  en  supposaut 
la  vérification  du  fait  exposé,  qui  se  fera  par  commissaires,  non  pas  de  Tmi- 
puissauce  du  roi,  comme  l'ont  déjà  fait  et  déclaré  les  juges  de  Lisbonne  par 
leur  sentence,  mais  de  l'acte  non  consommé  par  lui,  qui  est  un  motif  nouveau 
et  tout  différent  de  l'autre,  il  use  de  son  droit  et  de  la  plénitude  de  son  pouvoir 
pour  rompre  derechef  ce  mariage  déjà  rompu,  en  cas  même,  disent  les  termes 
du  bref,  qu'il  pût  jamais  paraître  de  quelque  façon  que  ce  soit,  ou  sembler  qu'il 
eût  été  ou  qu'il  fût  bon  et  valide...  Sa  Sainteté  na  rien  omis  pour  faire  con- 
naître  à   toute  la  terre  qu'il  n'y  a  eu  ni  raison  ni  considération  humaine  qui 
Vailempécfiè  de  faire  son  devoir...  >i  {Portwjal^  6.) 

(1)  Home,  196. 

(2)  Marie  de  Savoie  «  osa  concevoir  le  projet  de  détrôner  son  mari  et  d'épou- 
ser son  amant...  Elle  obtint  bientôt  de  Rome  une  bulle  pour  épouser  son  beau- 
frère...  Ce  que  Jules  II  avait  accord»^  sans  difficulté  au  roi  d'Angleterre 
Henri  VIII,  Clément  IX  l'accorda  à  l'épouse  d'un  roi  de  Portugal.  La  plus  pe- 
tite intrigue  fait  dans  un  temps  ce  que  les  plus  grands  ressorts  ne  peuvent 
opérer  dans  un  autre.  11  y  a  toujours  deux  poids  et  deux  mesures  pour  tous 
les  droits  des  rois  et  des  peuples,  et  ces  deux  mesures  étaient  au  Vatican  de- 
puis que  les  papes  influèrent  sur  les  alTaircs  de  l'Europe.  »  (Sikcle  de  Louis  XiK, 
chap.  x). 


JANSÉNISME    :    LES   QUATRE   ÉVÊQUES  303 

vrîer  1669,  yen  a-t-il  un  seul  qui  justifie  la  défiance  et  Thosli- 
lité  de  la  cour  de  France  contre  Rome?  L'altitude  de  Louis  XIV, 
dans  cette  rencontre,  serait  inexplicable  sans  les  doctrines 
gallicanes  qui  avaient  déjà  fait  tant  de  progrès  autour  de  lui» 
et  qui  dissimulaient  à  peine  la  négation  formelle  de  la  supré- 
matie papale.  N'est-ce  pas  cependant  à  une  décision  analogue 
du  pontife  romain  que  Louis  XIV  lui-même  devait  son  exis- 
tence et  celle  de  sa  dynastie (1)?  Henri  IV  n'avait-il  pas  obtenu 
de  Rome  une  exacte  justice  quand  il  avait  demandé  Tannula- 
tion  de  son  premier  mariage,  et  n'a-t-on  pas  lieu  d'être  surpris 
de  l'ingratitude  de  son  petit-fils  ? 

C'est  précisément  à  la  même  époque  que  se  négociait  à  Paris 
raccommodement  des  quatre  évèques  jansénistes,  protégés 
par  les  gallicans  ecclésiastiques  et  séculiers.  On  ne  trouvera 
pas  ici  l'histoire  de  la  célèbre  Paix  de  f  Église  y  qui  est  partout; 
nous  voulons  seulement  prouver  par  des  pièces  authentiques 
et  inédites,  que,  si  cet  événement  n'a  pas  produit  les  heureux 
eifetsque  s'en  promettait  Clément  IX;  si  les  jansénistes  ont  pu 
en  abuser  pour  fortifier  clandestinement  leur  parti  et  préparer 
la  lutte  qui  troubla  TÉglise  et  l'État  pendant  le  xvni''  siècle, 
la  royauté  en  est  seule  responsable.  On  connaît  aujourd'hui 
l'aversion  profonde  des  trois  ministres  les  plus  influents,  le 
Tellier,  Lionne  et  Colbert,  contre  le  saint-siège,  et  les  liens 
secrets  qui  les  rendaient  favorables  aux  novateurs.  On  sait 
comment  Lionne  fit  naître  dans  l'esprit  du  nonce  Bargellini  la 
pensée  d'éviter  le  procès  bruyant  des  quatre  évoques  en  obte- 
nant d'eux  une  soumission  complète  aux  décrets  du  saint- 
siège,  et  que  cette  proposition  fut  agréée  de  Clément  IX,  dont 
la  bonté  répugnait  aux  voies  de  rigueur.  Mais  l'histoire  ignore 
encore  quels  obstacles  la  cour  de  France  opposa  au  pape  dans 
l'exercice  de  son  autorité  suprême,  et  jusqu'oîi  elle  porta  sa 
connivence  avec  les  prélats  rebelles,  qui  démentaient  par  des 
rétractations  connues  des  ministres  et  du  roi,  leurs  promesses 
ostensibles  d^obéissance  et  de  fidélité  au  souverain  pontife* 
Si  les  évêques  d' Alet ,  de  Pamiers,  de  Beauvais  et  d'Angers  eus- 

(I)  Voir  uotàumu'ut  :  La  nuilité  du  mat'iafje  de  Henri  IV  avec  Marguerite 
de  Valois ^  par  M.  Féret,  Revue  des  Questions  hisloriques^iVLÏiXei  1876. 


304  CHAPITRE  QUATRIÈME 

sent  été  sincères  dans  leur  fameuse  déclaration  du  1"  sep- 
tembre i668,  tout  était  terminé  sans  retour  :  mais  le  pardon 
qu'ils  sollicitaient  n'avait  pas  d'autre  motif  que  la  présomption 
de  leur  bonne  foi.  Comme  il  s'agissait  d'une  matière  purement 
spirituelle,  c'est  au  pape  seul  qu'il  appartenait  de  régler  le  fond 
et  la  forme  de  raccommodement,  et  le  projet  accepté  par  le 
nonce  ne  pouvait  être  valable  qu'après  avoir  été  librement  ra- 
tifié à  Rome.  Ce  n'était  pas  ainsi  que  l'entendait  Louis  XIV. 
L'acte  des  quatre  évèques  porte  la  date  du  1®'  septembre  1668; 
mais,  ce  jour-là,  il  réunissait  trois  signatures  seulement  :  Pa- 
villon, évèque  d'Alet,  ne  donna  la  sienne  que  le  10  du  même 
mois,  dans  son  diocèse  (1),  et  c'est  le  17  au  plus  tôt  que  le 
roi  put  transmettre  la  déclaration  au  pape.  Lionne  écrivait  en 
même  temps  à  Tabbé  de  Bourlemont  (2)  :  «  Je  dois  seulement 
vous  dire,  pour  votre  information,  que  le  roi  a  laissé  conduire 
à  M.  le  nonce,  comme  il  était  juste,  toute  sa  négociation  sanâ 
s'en  mêler  d'autre  manière  que  de  savoir  ce  qui  s'y  passait, 
c'est-à-dire  sans  le  requérir  de  rien,  ni  même  lui  donner  aucun 
conseil  (3). . .  Et  comme  il  faut  non  seulement  présumer,  mais  te- 
nir pour  indubitable  qu'il  ne  se  sera  avancé  à  rien  en  une  affaire 
si  délicate  et  si  importante  dont  il  n'ait  eu  et  le  pouvoir  et 
Tordre  de  Sa  Sainteté,  et  qu'enfin  il  n'aura  travaillé  [que]  sur 

(1)  Sainte-Beuve,  PoW-/{o^/,  t.  IV,  p.  390. 

(2)  17  septembre  1668.  Rome,  193. 

(3)  Rien  ne  s'était  dit,  écrit  ou  fait  qu'à  la  connaissance,  sous  TinspiratioD 
et  par  l'ordre  de  Louis  XiV  et  des  ministres  ;  il  suffit  de  renvoyer  à  Sainte- 
Beuve,  qui  résume  tous  les  écrivains  du  parti  :  «  Le  plus  actif  et  le  plus  utile 
promoteur  et  négociateur...  fut  M.  de  Goudriu,  archevêque  de  Sens,  prélat  de 
qualité,  do  grand  air,  autorisé  en  cour,  ayanl  Pareille  du  roi  et  des  ministres  et 
très  affectionné  h  nos  Messieurs...  »  (t.  IV,  p.  304).  «  Les  négociations,  pour- 
suivies par  M.  de  Gondria  auprès  du  nonce  et  du  pape  avec  i*agrémenl  de 
M.  de  Lionne  et  de  M.  le  Teliier,  se  menaient  très  secrètement...  »  (p.  388).  — 
Le  roi,  en  laissant  faire  le  procès  des  quatre  évoques  en  vertu  des  brefs  poDli- 
ficaux,  «  ouvrait  plus  d'accès  à  la  cour  de  Rome  dans  ses  propres  affaires  qn'il 
ne  convenait  à  la  politique  française.  II  le  sentait  et  ses  ministres  aussi  ;  c'était 
l'avis  de  Colbert,  de  Lionne,  de  le  Teliier,  de  celui-ci  notamment,  qui  estimait 
l'affaire  mal  enfournée^  et  qui  désirait  avant  tout  qu'on  la  terminât  en  Franc" 
et  par  autorité  royale;  qu'on  ne  la  laissai  point  aller  toute  à  Rome,  où  c'était 
une  belle  occasion  d'empiéter  sur  les  libertés  gallicanes  »  (p.  363).  —  «  Le 
leœte  projeté  [de  la  lettre  des  quatre  évoques]  fut  communiqué  à  MM.  le 
Teliier^  de  Lionne,  Colbert,  au  roi  même,  puis  au  nonce  qui,  dans  l'intervalle, 
avait  reçu  du  pape  pleins   pouvoirs,  etc.  »  (p.  389). 


JANSÉNISME    :    LES    QUATRE    ÉVÊO^ES  305 

le  bonnes  et  amples  instruclions  qui  lui  auront  été  d'abord 
invoyées  et  depuis  rafraîchies  successivement  sur  le  compte 
[u'il  rendait  de  son  travail,  il  no  faut  pas  moins  lenir  pour  in- 
luhitable  qu'on  ne  voudra  pas  aujourd'hui  de  delà  former  la 
noindre  imaginable  difficulté  à  tout  ce  qu'il  a  déclaré  des  in- 
entions de  Sa  Sainteté,  et  sur  quoi  lui-même  a  dit  au  roi  que 
tfM.  les  quatre  évêques  lui  avaient  donné  toute  la  satisfaction 
ju'il  leur  avait  demandée.  Si  néanmoins,  contre  toutes  ces 
3résomptions  ou  plutôt  certitudes,  il  arrivait  que  l'on  voulût 
le  delà  regratter,  comme  on  dit,  la  moindre  chose  à  ce  qui  a 
Hé  arrêté  ici  entre  le  nonce  et  les  évêques,  dont  vous  devez 
:)our  plus  grande  sûreté  vous  enquérir  de  M.  le  cardinal  Ros- 
[)igliosi,  si  vous  en  avez  quelque  doute,  en  ce  cas-h\  vous  devrez 
[aire  fortement  connaître  au  nom  du  roi,  et  mettant  là-dessus 
en  avant  et  principalement  le  repos  et  le  propre  service  du 
pape,  que,  s'il  fallait  songer  à  reprendre  ici  la  pensée  et  le 
dessein  de  faire  le  procès  aux  quatre  évoques,  on  serait  si 
éloigné  de  trouver  l'affaire  dans  les  mêmes  dispositions  où  elle 
eût  pu  être  avant  que  M.  le  nonce  eut  traité  et  conclu  l'accom- 
modement, que  ce  serait  exposer  manifestement  le  pape  et  le 
roi  à  recevoir  ici  un  affront  dans  h»  succès.  Je  ne  sais  pas  même 
si  on  pourrait  seulement  parvenir  h  former  simplement  le  tri- 
bunal ;  car,  comme  M.  le  nonce  a  consenti  lui-même,  sur  l'ins- 
tance des  évêques  médiateurs,  que  Sa  Majesté  congédiât  les 
commissaires  aussitôt  que  l'avis  sera  venu  ici  des  nouvelles 
signatures  du  formulaire  qui  auraient  été  faites  dans  les 
quatre  diocèses;  que  cet  avis  ne  peut  pas  tarder  d'arriver  plus 
de  cinq  ou  six  jours,  et  qu'ensuite  les  commissaires  auront  été 
renvoyés  chacun  à  son  diocèse,  il  serait  très  difficile,  pour  ne 
pa.s  dire  impossible,  de  les  rassembler,  puisqu'avant  même 
tout  ce  qui  vient  de  se  passer,  trois  ou  quatre  d'entre  eux  té- 
moignaient déjà  de  grandes  irrésolutions  sur  l'acceptation  de 
leur  commission.  » 

Clément  IX  écrivit  à  Louis  XiV,  le  28  septembre,  un  pre- 
mier bref  dans  lequel  il  prenait  acte  de  ce  que  les  quatre  évo- 
ques s'étaient  engagés,  sous  la  caution  du  roi,  à  signer  et  à 
taire  signer  le  formulaire  purement  et  simplement  [simpliciac 
purâ  suhscriptionp),  et  se  félicitait  d'une  soumission  et  d'une 

LOUIS  XIV  ET  LB  SAlNT-SlftOR.   —  II.  20 


306  CHAPITRE   QUATRIÈME 

obéissance  [obedientiam  et  obsequium)  qui  le  dispensaient  de 
recourir  à  la  rigueur  (1).  Mais,  deux  mois  plus  tard,  le  pape 
interrogeait  sévèrement  Bourlemont  sur  un  bruit  parvenu 
jusqu'à  Rome,  que  les  quatre  évoques  se  seraient  rétractés 
dans  des  actes  clandestins,  et  l'agent  français  répondait  avec 
embarras  qu'il  n'en  était  pas  informé  (2).  La  cour  de  France 
ne  fut  pas  moins  émue  quand  elle  vit  sa  fraude  découverte. 
Elle  avait  tenté  vainement  d'étouffer  la  vérité,  au  moyen  d'un 
arrôt  du  Conseil  d'Etat  (23  octobre)  qui,  par  une  usurpation  de 
l'autorité  doctrinale  appartenant  à  l'Église,  plaçait  sur  la 
même  ligne  Thérésie  et  la  foi  orthodoxe  (3),  et  imposait  un 
égal  silence  aux  défenseurs  et  aux  adversaires  du  jansé- 
nisme (4).  Si  Ton  hésitait  encore  à  croire  que  le  roi  et  ses  con- 
seillers fussent  dans  le  secret  de  la  fourberie  des  quatre  évè- 
ques,  les  derniers  doutes  seraient  dissipés  par  la  lettre  suivante 
qu'adressait  à  Lionne  César  d'Estrées,.évêque  de  Laon,  l'un  des 

(1)  Rome,  193. 

(2)  Au  roi,  27  novembre  1668.  home,  194. 

(3)  Le  vol.  Rome,  193  renferme,  cuire  autres  pièces  intéressantes:  l"  ordres 
du  roi  à  la  Reynie,  lieutenant  de  police  :  interdire  les  écrits  sur  les  matières 
controversées;  saisir  les  presses;  arrêter  les  contrevenants (23  octobre  1668]: 
20  ordre  du  roi  aux  intendants  :  faire  exécuter  Tarrèt  prescrivant  le  sileocp 
(6  novembre  1668).  —  C'est  l'origine  de  cette  loi  du  silence  qui,  remise  en  vi- 
gueur  sous  Louis  XV,  causa  des  troubles  si  funestes  à  TEglise  et  à  la  monar- 
chie. 

(4)  Le  brouillon  de  l'arrêt  du  Conseil,  avec  des  corrections  de  la  main  Ht 
Lionne,  est  dans  les  papiers  de  France,  180  et  187,  aux  Archives  des  Affaire? 
étrangères.  —  L'expédition  de  l'arrêt  {Rome,  193)  est  contresignée  par  Lionne, 
qui  en  est  évidemment  le  rédacteur.  En  voici  les  principales  dispositions  :  «  Le 
roi,  ayant  été  informé  par  le  bref  que  notre  saint-père  le  pape  a  érrit  à 
S.  M.,  du  28  septembre  dernier,  et  par  la  vive  voix  da  sieur  archevêque  d^ 
Thèbes,  son  nouce  ordinaire...,  que  S.  S.  est  demeurée  pleinement  satisfaite 
de  l'obéissance  que  les  évoques  d'Alct,  de  Pamiers,  d'Angers  et  de  Beauvii^ 
ont  rendue  aux  constitutions  des  papes  Innocent  Xet  Alexandre  VII  des  31  du 
mois  de  mai  1653  et  16  octobre  1650,  tant  par  la  signature  sincère  qu'eux-mêmes 
ont  faite...,  que  par  les  lettres  que  lesdits  sieurs  évêques  ont  écrites  au  mois 
de  septembre  dernier  à  S.  S.  pour  l'assurer  de  leur  soumission  auxdites 
constitutions,  ...  »  pour  le  bien  de  la  paix,  il  est  ordonné  aux  archevêques  et 
évêques  d'exécuter lesdites  bulles  et  coustitutions,  et  «que  les  contraventions 
et  inexécutions  faites  auxdites  constitutions  et  à  la  déclaration  de  S.  M.  da 
mois  d'avril  1055  demeureront  comme  non  avenues  m;  il  est  défeudu  de  Itt 
renouveler  et  à  tous  les  sujets  du  roi  »  de  s'attaquer,  provoquer,  usant  de» 
termes  d'héritiques,  jansénistes  et  semi-pélagiens  ou  autres  noms  de  parti, 
de  publier  libelles,  etc.  ». 


JANSÉNISME    :    LES   QUATRE   ÉVÊQUES  307 

légociateurs  de  raccommodement  (i  )  :  «  Vous  savez  ce  que  je 
rous  ai  toujours  dit  sur  les  égards  qu'il  fallait  avoir  à  ne  lais- 
•er  point  connaître  évidemment  les  procès-verbaux  (2)  dans  le 
e  public  ou  les  avouer  trop  franchement.  En  cela,  nos  amis, 
e  dis  M.  de  Chàlons  (3),  devaient  être  plus  précautionnés.  J'es- 
3ère  pourtant  que  l'arrôt  du  Conseil  fera  un  bon  effet  :  car,  à 
Rome,  on  ne  veut  que  Tapparencc,  et  elle  y  est  très  bien  mé- 
aagée,  grâce  à  votre  habileté.  D'ailleurs,  votre  dernière  Icl- 
:re  (i),  leur  ôtant  toute  espérance,  leur  ôtera  aussi,  à  mon  avis, 
toute  envie  de  remuer.  Si  pourtant  les  choses  tournaient  au- 
.rement,  je  tiendrais  mes  plumes  prêles  pour  écrire  mes  sen- 
timents à  M.  le  cardinal  Rospigliosi  quand  vous  me  l'ordon- 
lercz.  Je  tiendrai  dans  le  dernier  secret  ce  que  vous  me  faites 
l'honneur  de  me  mander  sur  cela.  » 

Rome  était  si  éloignée  de  vouloir  seulement  r apparence  que, 
sur  le  simple  soupçon  de  ces  restrictions  déloyales,  elle  retint 
pendant  trois  mois  les  brefs  préparés  pour  les  quatre  évêques 
st  pour  les  prélats  médiateurs  :  ils  ne  furent  expédiés  que  le 
19  janvier  1669  (5),  après  que  Tévêque  de  Châlons  et  Antoine 
\rnauld  lui-même  eurent  envoyé  une  attestation  que  la  signa- 
ture des  quatre  évêques  avait  été  donnée  sans  restriction  ni 
réserve  et  conformément  à  l'esprit  des  bulles  d'Innocent  X  et 
l'Alexandre  VII  !  Ces  déclarations  mensongères  furent  ap- 


(i)  7  décembre  1668.  Rome,  194. 

(2)  Ce  30Qt  les  procès  verbaux  secrètement  dressés  par  les  quatre  évêques, 
it  renouvelant  la  distinction  du  fait  et  du  droit  que  le  saint-siège  avait  con- 
iamoée  ! 

(3)  Vialard,  évêque  de  Chàlons,  médiateur  de  raccommodement. 

(4)  Lettre  du  17  septembre  citée  plus  haut. 

(5)  «  M.  le  cardinal  Rospigliosi  m*a  dit  que  le  pape  espérait  de  la  part  des 
quatre  évêques  et  des  autres  ecclésiastiques  qu'ils  se  comporteraient  de  façon 
]ae  ni  les  paroles,  ni  les  écrits  ne  dédiraient  point  la  déclaration  qu'ils  ont 
'aite  d'avoir  signé  sincèrement  le  formulaire  ;  autrement,  qu'ils  confirmeraient 
;c  qu'on  publie  ici  contre  eux  d'avoir  voulu  tromper  et  obligeraient  le  pape 
l'y  remédier.  »  (Bourlemont  à  Lionne,  20  janvier  1669.  Rome,  196.)  —  La  cour 
pontificale  observait  avec  une  vive  perplexité  ce  qui  se  passait  en  France  : 
I  Ce  qui  a  été  résolu  sur  l'affaire  des  jansénistes,  écrivait  encore  Bourlemont, 
sst  tenu  extrêmement  secret.  On  sait  seulement  que,  dans  une  Congrégation 
qui  fut  faite  quelques  jours  avant  le  départ  du  valet  de  Votre  Excellence,  il 
/  eut  des  voix  qui  allaient  à  révoguer  sur-le-champ  M.  le  nonce,  »  (5  février  1669. 
Rom«,  196.) 


308  CHAPITRE    QUATRIÈME 

puyées  auprès  du  pape  et  du  nonce  par  Tévêque  de  Laon,  Cé- 
sar d'Eslrées,  par  rarchcvêque  de  Rouen,  Ilarlay  de  Champ- 
vallon,  et  par  les  dépêches  du  roi.  Lionne  osa  même  conseiller 
à  Louis  XIV  d'employer  Tintimidation.  Dès  le  14  décembre 
1668(1),  il  avait  ordonné  à  Bourlcmonl  d'annoncer  au  pape 
que,  s'il  n'acceptait  pas  Técrit  des  quatre  prélats  et  qu'il  per- 
sistât à  demander  leur  procès,  il  aurait  contre  lui  soixante- 
dix  à  quatre-vingts  évoques  «  auxquels  même,  si  les  autres  ne 
se  joignaient  pour  le  fond,  ils  sV  joindraient  infailliblement 
pour  la  forme,  si  on  entreprenait  de  pousser  quelques-uns  de 
leurs  confrères,  et  en  foraient  une  cause  commune,  et  peut- 
être  même  les  voudraient  porter  jusqu'à  la  poursuite  d'un 
concile  national .  »  Le  ministre  ajoutait  une  menace  de  schisme, 
qu'il  renouvela  plus  hardiment  dans  une  dépêche  écrite  six 
semaines  plus  tard,  lorsque  les  brefs  du  19  janvier  n'étaient 
pas  encore  parvenus  en  France.  Si  la  réponse  attendue  de 
Home,  disait-il  (2),  n'est  pas  conforme  à  nos  désirs,  il  peut  en 
résulter"  un  schisme  formel  et  très  considérable  dans  l'Église... 
Si  le  malheur  voulait  que  le  courrier  extraordinaire  que  le 
nonce  débuta,  au  commencement  de  décembre,  pour  porter 
nue  déclaration  que  les  évêquos  médiateurs  et  M.  Arnauld  ont 
signée  au  nom  des  quatre  évêquos,  contenant  leurs  véritables 
sentiments  sur  les  cinq  propositions  et  sur  la  condamnalion 
du  livre  de»  Jansénius,  si  ledit  courrier,  dis-je,  revenait  sans 
qu'ori  s(;  fut  contenté  de  delà  de  cette  déclaration,  après  quoi 
il  n'y  a  plus  rien  à  faire  auprès  d'eux  sur  cette  matière,  ilsonl 
déjà  tellement  fait  entrer  le  plus  grand  nombre  de  leurs  col- 
loijuos  dans  leurs  sentiments  qu'ils  pourront  désormais  en- 
voyer, quand  ils  voudront,  la  même  déclaration  à  Rome,  si- 
gnée de  quatre-vingts  évêqut^s,  qui  certifieront  de  n'avoir  point 
d'autre  croyance  que  la  leur...  » 

Les  brefs  du  19  janvier  arrivèrent  enfin  :  en  acceptant  la 
soumission  des  quatre  prélats,  le  pape  condamnait  sévère- 
ment les  explications  et  restrictions  secrètes  dont  ils  étaient 
soupçonnés,  et  imprimait  à  leur  duplicité  une  flétrissure  éter- 


(1)  iîome,  194. 

(2)  A  Bourlemont,  1"  février  1669.  Home,  196. 


JANSÉNISME    :    LES   QUATRE   ÉVÊQUES  309 

nelle.  En  efifet,  il  déclare  aux  médiateurs  qu'il  apprend  d'eux 
avec  une  joie  sensible  que  les  évêques  d'Angers,  de  Beauvais, 
de  Pamiers  et  d*Alet  lui  ont  donné,  et  au  saint-siège,  des  mar- 
ques d'une  parfaite  et  entière  soumission,  en  souscrivant  le 
formulaire  de  bonne  foi  et  selon  qu'il  est  prescrit  par  la  cons- 
titution apostolique...,  et  qu'ils  ont  rendu  l'obéissance  au 
vicaire  de  Jésus-Christ  en  terre  et  au  chef  visible  de  l'Église 
avec  une  pleine  et  sincère  exécution  des  bulles.  Le  bref  aux 
quatre  évêques  rappelle  leur  propre  lettre,  par  laquelle  ils 
faisaient  connaître,  avec  de  grandes  marques  de  soumission, 
que,  conformément  aux  décrets  apostoliques  d'Innocent  X  et 
d'Alexandre  VII,  ils  avaient  souscrit  sincèrement  et  fait  sou- 
îîicrire  le  formulaire  contenu  dans  les  lettres  du  même  pape 
Alexandre  VII;  et  Clément  iX  ajoute  qu'à  cause  de  certains 
bruits  qui  avaient  couru,  il  avait  cru  devoir  aller  lentement, 
parce  qu'il  n'aurait  jamais  admis,  à  cet  égard,  ni  exception, 
ni  restriction  quelconque^  «  étant  très  fortement  attaché  aux 
constitutions  de  ses  prédécesseurs.  » 

La  cour  de  France  prohiba  la  publication  de  ces  brefs  si  dés- 
honorants pour  tous  ceux  qui  avaient  connu  et  favorisé  les 
manœuvres  des  jansénistes;  et  en  même  temps  Lionne,  avec 
son  impudence  habituelle,  affecta  de  ne  pas  comprendre  la 
portée  des  paroles  pontilicales;  il  loua  emphatiquement  la 
beauté  dubrefde  Sa  Sainteté,  t<  qui  est  sans  doute,  la  plus  belle 
pièce  qui  soit  venue  de  Rome,  il  y  a  plus  de  cent  ans  :  il  y  a 
de  la  majesté,  de  l'habileté,  de  l'honnêteté;  pour  la  prudence, 
elle  est  incomparable.  MM.  les  évêques  de  Châlons  et  de  Laou 
ne  se  peuvent  lasser  de  louer  cet  ouvrage  (i).  »  Il  écrivit  le 
même  jour  au  cardinal  Bospigliosi  :  «  Il  ne  m'est  pas  possible 
de  bien  exprimer  à  Votre  Emirence  la  joie  que  les  derniers 
oracles  de  Sa  Sainteté...  ont  donnée  au  roi  et  à  toutes  lesper- 
sonnes  zélées  pour  le  bien  do  l'Eglise  et  non  prévenues  de  trop 
de  passion  ou  d'intérêt...  Que  pourrais-je  dire  à  Votre  Émi- 
nence  sur  cette  grande  action  que  Sa  Sainteté  vient  de  faire, 
qui  pût  être  tant  soit  peu  proportionné  au  mérite  qu'elle  en  a 
acquis  envers  Dieu  et  envers  les  hommes  et  à  la  gloire  immor- 

(i)  A  BourlemoDt,  8  février  1669.  Rome,  196. 


310  CHAPITRE   QUATRIÈMC 

telle  qui  en  rejaillira  sur  son  pontificat?  J'assure  Votre  Émi- 
nence  que,  depuis  larrivée  du  courrier,  il  ne  s'est  passé  jour  que 
ceux,  qui  ont  vu  le  bref  de  Sa  Béatitude  aux  quatre  évèques, 
et  moi  par-dessus  tous  les  autres,  n*ayons,  moi  surtout,  donné 
d*extrômes  louanges,  puis  véritablement  admiré  cet  ouvrage 
dans  toutes  ses  parties,  considérant  que,  même  voulant  user 
de  rindulgence  qu'elle  a  eue,  ce  bref  n'était  pas  bien  aisé  à 
dresser  pour  tant  d'égards  qu'il  requérait  de  part  et  d'autre. 
Cependant  ses  moindres  paroles  sont  des  chefs-d'œuvre  ;  enfin 
il  est  rempli  par  tant  de  majesté,  d'habileté  et  d^honnèteté!  Les 
évéques  médiateurs  en  sont  charmés,  et  n'y  ont  rien  trouvé  a 
désirer  de  trop  ni  de  trop  peu,  ni  M.  Arnauld  lui-même,  qui 
le  doit  envoyer  à  son  frère  (1)...  »  —  Le  pape  et  le  cardinal 
Rospigliosi,  aussi  peu  sensibles  aux  flatteries  qu'aux  menaces, 
enfoncèrent  le  trait  plus  avant.  Clément  IX,  non  content  de 
faire  répandre  les  copies  de  ses  brefs  dans  le  royaume,  félicita 
de  nouveau  Louis  XIV  de  s'être  chargé  de  faire  rendre  par  les 
quatre  évêques  une  obéissance  sincère  au  saint-siège,  et  lui 
déclara  que,  s'ils  tentaient  quelque  nouveauté,  il  appartenait 
à  l'autorité  royale  d'en  procurer  la  répression  et  la  suppression 
complète  (2).  Le  cardinal-neveu  engagea  plus  précisément  en- 
core, s'il  est  possible,  la  conscience  et  la  bonne  foi  du  roi,  et  il 
écrivit  à  Lionne  :  a  Quanto  verso  i  quattro  vescovi  si  ë  operato 
da  Sua  Santità,  deve  allribuirsi  alla  divina  grazia,  laquale  gli 
ha  indotti  a  merilar  con  la  sincera  h  totale  obbedienza  da  loro 
dovuta  la  clemenza  di  Sua  Beatitudine,  e  Vesser  di  cio  assicu- 
rata  specialmente  dal  Rè  christianissimo  ha  mosso  ranimo  pU" 
terno  di  Sua  Santità  a  quanto  ha  ella  fatto(3).  » 
Quand  les  conseillers  du  roi  connurent  TefiFet  produit  dans 


(1)  8  février  1669.  RomCj  196. 

(2)  (( ...  Vebementer  gaudomas  quod  eximiâ  pictate  ac  iDsigni  zelo  Majestatii 
Tam  effectum  fuerit  ut  sincera  obedientia  a  quatuor  episcopU  nobis  ac  sanclse 
htiic  Sedi  prisslita  aditum  sollicitudiai  nostrae  apcruerit  cum  Ecclesis  tum 
etiam  istius  regni  ratioDibas  opportune  consuleodi;  pro  certo  enim  habui- 
mus  quody  sialiquid  forte  novi  in  hoc  eodem  génère  puUiiIaverit,  id  omneauc- 
toritate  regia  et  spectato  religionis  orthodoxœ  studio  tuo  observantiam  consti- 
tutionum  apostolicarum  coadjuvante  repressum  ac  penitus  extinctum  iri.  » 
(Bref  au  roi,  26  février  1669.  Rome,  196.) 

(3)  Smarâ  1669.  Rome,  197. 


JANSÉNISME  :  LES  QUATRE  ÉVÊQUES  311 

le  public  par  la  divulgation  inattendue  des  brefs,  ils  imagi- 
nèrent de  nouvelles  manœuvres  pour  surprendre   au  saint- 
siège  un  désaveu  implicite  des  condamnations  portées  contre 
les  jansénistes.  Bourlemont  présenta  au  pape  une  explication 
mensongère  des  obstacles  mis  par  le  roi  à  la  publication  des 
lettres  pontificales.  Lionne  lui  avait  écrit  le  26  mars  :  «  Le 
pape  n*ayant  pas  parlé  expressément  dans  ses  brefs  de  la  dé- 
claration de  M.  l'évêque  de  Châlons  et  de  M.  Arnauld  qui 
contient  Téclaircissement  des  sentiments  des  quatre  évoques, 
on  ne  la  devait  pas  exposer  au  public^  sans  être  auparavant 
informé  si  Sa  Sainteté  l'aurait  agréable.  En  second  lieu,  on 
n'a  pas  cru  devoir  publier  ces  brefs  tant  quils  paraîtront  déta- 
chés de  cette  déclaration  à  laquelle,  dans  la  vérité,  ils  sont  re- 
latifs; qui  a  servi  de  fondement  à  la  réponse  que  Sa  Sainteté 
a  faite  à  ces  évoques  etqu'elle  avait  suspenduejusqu'àl'examen 
de  cette  déclaration  qui  contient  leur  profession  de  foi  et  leur 
soumission  au  saint-siège.  »  Ces  excuses  hypocrites  se  termi- 
naient par  l'ordre  donné  à  Bourlemont  de  réclamer  l'abolition 
du  formulaire;  de  déclarer  que  beaucoup  d'ecclésiastiques 
offraient  de  signer  dans  le  sens  des  quatre  évèques  ;  et  que 
la  signature,  au  lieu  de  prouver  la  soumission  de  ceux  qui 
la  donnaient,  était  désormais  «  une   pierre  de  scandale  », 
propre  seulement  à  «  faire  renaître  les  divisions  passées  ». 
Lionne  pressa  sans  relâche  Tabbé  de  Bourlemont.  Le  19  avril, 
il  lui  écrivait  encore  :  «  On  voit  maintenant  ici  la  copie  du 
bref  aux  quatre  évêques,  laquelle  est  venue  de  Rome,  et, 
depuis  que  les  Jésuites  l'ont,  quoiqu'ils  n'aient  point  encore 
la  déclaration  signée  de  M.  de  Châlons  et  de  M.  Arnauld  sur 
laquelle  ledit  bref  s'est  principalement  fondé  (ces  deux  pièces 
ne  pouvant,  ce  semble,  aller  Tune  sans  l'autre),  ils  se  laissent 
non  seulement  entendre  à  leurs  confidents  que  la  paix  n'est 
poibt  faite,  mais  qu'ils  obtiendront  à  Rome  une  nouvelle  cons- 
titution. Je  ne  crois  pas  que  cela  soit  à  craindre,  ou  au  moins 
que  Sa  Sainteté  en  prît  la  résolution  sans  concert  et  sans  par- 
ticipation de  Sa  Majesté  ;  mais,  à  toute  fin,  j'ai  estimé  vous  de- 
voir  donner  cet  avis.  Le  vrai  moyen  d'empôcher  que  nous  ne 
retombions  dans  d'aussi  grandes  divisions  que  celles  dont  on 
vient  de  sortir,  serait  un  ordre  de  Sa  Sainteté  pour  la  sup- 


312  CHAPITRE    OUATRIÈME 

pression  de  la  signature  suivant  les  amples  mémoires  que  je 
vous  en  adressai  dernièrement  (i).  » 

Mais  Clément  IX  déclina  toutes  les  instances  qui  lui  furent 
adressées  à  ce  sujet  par  le  roi,  et  sa  douceur  accoutumée 
s'altérait  h  la  seule  pensée  que  les  jansénistes  interprétaient 
en  faveur  de  leurs  doctrines  un  pardon  accordé  seulement 
aux  assurances  formelles  et  répétées  d'une  obéissance  sans 
réserve.  Son  indignation  trouvait  les  termes  les  plus  éner- 
giques pour  protester  contre  le  soupçon  d'une  capitulation 
avec  les  hérétiques.  Un  abbé  de  lionfils  lui  avait  été  envoyé 
pour  donner  des  explications  sur   la  conduite   du   cardinal 
de  Vendôme   dans   Talfaire   de  Portugal  (2),  et  pour  solli- 
citer la  promotion  de  Tévèque  de  Laon  ;  Clément  IX  mil 
l'entretien   sur  le  jansénisme ,   sachant   qu'un  pareil  audi- 
teur rapporterait  ses  moindres  paroles  au  roi  et  à  Lionne, 
et  cet  abbé  écrivit  en  effet  (3)  :  Sa  Sainteté  me  dit  «  qu'elle 
espérait  de  la  piété  du  roi,  qui  est  le  fils  aîné  de  l'Église, 
et  de  celle  de   MM.  les  ministres...  que  Sa  Sainteté  empê- 
chera qu'il  ne   s'imprime  ni    lettre,    ni  livre,   et  qu'il  n'y 
ait  pas  des  médailles  de  la  paix  entre  les  papes  et  les  é\v- 
ques(4).  Elle  me  parla  de  ces  imprimés  et  de  cette  médaill»* 
avec  le  dernier  sentiment;  à  quoi  je  répondis  que  ça  ne  pou- 
vait venir  que  do  la  part  dos  ennemis  de  ces  Messieurs  et  de 
ceux  qui  ne  travaillent  qu'à  rendre  Sa  Sainteté  mécontente 
d'eux,  et  que  je  n'en  avais  pas  ouï  parler.  Elle  me  dit  que 
cela  pouvait  être,  mais  que   les  imprimés  et  les  médailles 
étaient,  où  le  mot  concordia  se  trouvait;  qu'on  disait  qu  elle 
avait  modéré  ce  que  les  papes  Innocent  et  Alexandre  avaient 
fait  et  déterminé  après  une  très  exacte  discussion  réitérée  par 
plusieurs  fois;  que  toute  l'Europe  en  parlait,  et  qu'elle  était 
abreuvée  de  cotte  concorde^  qu'elle  n'en  avait  pas  fait,  mais 
seulement  recules  évéqucs  qui  n'avaient  pas  encore  souscrit 


(1)  Home,  197. 

(2)  Bourlemout  au  roi,  28  septembre  1G68.  /iowt»,  193. 
;3)  HoiifiU  à  Liouue,  4jiiiu  1669.  l\ome,  198. 

(4)  Voir  notammeut  sur  l'histoire  d'une  nn^daillo  mi-^e  on  pirculation  par  les 
jansénistes,  Ob  restilutiun  Ecclesim  cuncovdhnny  les  Mtnnoirea  iiu.  1*.  Kapin,  t.  lHi 
p.  488. 


JANSÉNISME  :  LES  QUATRE  ÉVÊQUES  3(3 

le  formulaire,  auxquels  elle  n'avait  pas  voulu  tout  à  Tabord 
répondre,  quoique  les  lettres  qu'ils  lui  avaient  écrites  fussent 
pleines  de  soumission  et  de  sincérité,  à  cause  qu'on  lui  avait 
écrit  qu'ils  n'avaient  souscrit  le  formulaire  que  sous  de  cer- 
taines protestations:  mais  qu'ayant  reçu  du  depuis  par  eux  de 
nouvelles  assurances  de  leur  candeur  et  des  témoignages  des 
évêques  leurs  amis,  elle  leur  avait  répondu  d'une  manière  à 
leur  faire  voir  qu'elle  n'avait  jamais  entendu  porter  préjudice 
aux  constitutions  des  papes  Innocent  et  Alexandre,  mais  bien 
les  maintenir  au  prix  de  sa  vie,  auxquelles,  pour  mille,  elle  ne 
voudrait  pas  avoir  préjudicié,  et  pour  l'honneur  du  saint-siège 
qui  ne  saurait  errer,  et  pour  le  sien  propre,  étant  certain 
que  si  elle  avait  fait  ce  qu'on  publie,  elle  serait  indigne  de 
vivre...  » 


CHAPITRE  CINQUIÈME 

SECOURS  DE  CANDIE.   DÉSASTRE  DU  25  JUIN  1669.    ÉaiEC  DU  24  JUIL- 
LET.   RETRAITE  PRÉCIPITÉE   DU   DUC   DE  NAVAILLES.   1669. 


Efforts  de  Clément  1\  pour  porter  les  princes  clirétienfl  et  particulièreroent  le  roi  de  France  î  li 
défense  de  Candie.  Élan  de  l'esprit  militaire  et  de  l'esprit  religieux,  reconnu  et  comprimé  pu 
Louis  XIV.  Inquiétudes  de  la  Porte  calmées  par  les  agents  du  roi,  qui  prêtent  des  Taisseaoi 
français  pour  transporter  des  troupes  turques  en  Candie.  Duplicité  du  langage  tenu,  au  nom  de 
LouisXlV,à  Coustautinopleetà  Venise.  —  Permission  donnée  à  la  Feuillade  de  passer  en  Candie 
avec  un  petit  corps  de  troupes  sotts  la  bannière  de  Malte.  Caractère  réel  do  cet  armement.  FoUf 
conduite  delà  Feuillade.  son  échec  et  son  prompt  retour.  Novembre  l(»68^anTier  1609.  —  Nou- 
yelles  instances  de  Clément  IX.  Mouvement  de  l'opinion  publique.  Louis  XIV^  consent  à  secou- 
rir Candie,  mais  soux  le  nom  et  le  drapeau  du  pape  et  sans  interrompre  ses  rapports  diploma- 
tiques avec  la  Porte.  —  Instructions  données  aux  ducs  de  Navailles  et  de  Beaufort  et  an  ronit^ 
de  Vivonne.  Les  Français  descendant  k  Candie  et  non  à  la  Canée,  comme  le  pape  et  les  Véni- 
tiens le  demandaient  :  les  assiégeants  toujours  libres  de  recevoir  tous  leurs  renforts.  Procédés 
indignes  de  Vivonne  envers  le  bailli  Rospigliosi.  Les  généraux  français  refusent  de  se  concerter 
uvec  le  général  vénitien  et  W  général  pontiflcal  :  ils  ne  >' entendent  même  pas  entre  eui,  et 
vont  au  devant  d'un  désastre.  llunteu«ij  déroute  du  i5  juin  :  mort  héroïque  de  Beaufort,  aban- 
donné par  ses  troupes.  Action  du  24  juillet,  résolue  par  Navailles  contre  tous  les  avis  :  nouvel 
échec.  —  Départ  inattendu  des  Français,  31  août.  Conséquences  fatales  de  leur  retour.  Capi- 
tulation de  Candie,  3  8ept«îmbrc.  KlT^l  produit  en  Europe  par  ces  évéuements.  Noble  comiull".' 
du  bailli  Rospigliosi,  général  pontifical,  et  de  Clément  IX.  —  Louis  XIV  désavoue  le  duc  de 
Navailles  et  l'exile.  Doutes  bur  la  sincérité  du  rui.  Il  refuse  son  assistance  à  Clément  IX,  qui 
veut  réparer  la  perte  de  Candie  et  former  une  ligue  chn'tiennc.  Humiliations  auquel  Loui:»  XIV 
se  soumet  pour  conserver  l'amitié  du  sultan  :  honneurs  extraordinaires  rendus  à  Mustaph<i- 
Racu,  oiticier  subalterne  de  la  Porte. 


Cependant  la  France,  qui  donnait  tant  de  soucis  au  souve- 
rain pontife,  allait  peut-Otre  lui  apporter  quelque  consolation. 
Louis  XIV  semblail  moins  indifférent  au  sort  de  Candie,  dont 
la  chute  imminente  devait  entraîner  la  perte  de  Tîle  tout  en- 
tière. On  se  rappelle  les  efforts  d'Alexandre  VII  pour  épargner 
cette  honte  et  ce  danger  à  Venise  et  à  l'Europe  :  Clément  IX 
était,  comme  son  prédécesseur,  obsédé  de  cette  pensée;  depuis 
le  premier  jour  de  son  pontifical,  il  adjurait  sans  cesse  les 
princes  catholiques  de  se  liguer  contre  les  infidèles,  et  nul  sou- 
verain n'avait  reçu  plus  souvent  que  Louis  XIV  ses  exhorta- 
tions et  ses  prières  (1).  Mais  le  Roi  très-chrétien  se  complaisait 

(1)  Sans  parler  des  supplications  que  le  duc  de  Chaulues  et  le  nonce  étaient  char- 
gés de  transmettre,  nous  pouvons  citer  notamment  :  !<>  (21  juin  1667,  lendemain 


SECOURS    DE  CANDIK  315 

dans  le  spectacle  des  progrès  faits  par  Tennemi  séculaire  de 
TEmpereur,  et  il  était  si  peu  touché  de  l'épreuve  subie  par  les 
rivaux  du  commerce  français  au  Levant  que,  pour  éviter  leurs 
trop  pressantes  sollicitations,  il  avait  cessée  depuis  quatre  ans, 
d'avoir  un  ambassadeur  auprès  de  la  Seigneurie  (1).  Il  finit  ce- 
pendant par  céder  à  un  mouvement  de  Topinion  publique,  ré- 
veillée par  les  pontifes  romains.  Le  vieil  esprit  des  Croisades, 
un  moment  ranimé  par  la  trop  courte  campagne  de  Hongrie 
en  1664  et  bientôt  étouffé  par  la  politique  égoïste  du  roi,  agi- 
lait  de  nouveau  notre  pays.  Longtemps  avant  que  Louis  XIV 
décidât  Texpédition  de  Candie,  une  foule  de  volontaires  fran- 
çais, grands  seigneurs,  officiers,  soldats  et  matelots,  s'enga- 
gèrent sur  les  flottes  et  dans  les  régiments  de  la  République. 
La  défense  même  de  la  ville  assiégée  était  conduite,  sous  le 
commandement  suprême  du  capitaine-général  Morosini,  par 
des  Français  de  race  ou  de  naissance.  Le  Savoyard  marquis 
Ville  ayant  été  remplacé  par  le  Dauphinois  marquis  de  Saint- 
André  Montbrun,  la  renommée  exagéra  le  nombre  de  compa- 
triotes que  ce  dernier  amenait  avec  lui,  et  Tambassadeur  Denis 
de  la  Haye  écrivait,  de  Constantinople,  à  Louis  XIV  :  Le  Grand 
Seigneur  veut  que  le  vizir  prenne  Candie  cette  année;  mais, 
H  si  M.  de  Saint-André  Montbrun  vient  commander  en  Candie 


de  rélectioo)  lettre  autographe,  déjà  citée,  déplorant  la  guerre  qai  vient  d*éclater 
entre  la  France  et  FEspagne  «  io  tempo  che  Tarmi  del  comune  inimico,  opprl- 
mendo  il  regno  di  Candia,  espongono  auco  in  Dalmatia  la  santa  fede  a  gravis- 
timi  pericoll.  n  Le  pape  prie  le  roi  de  lui  épargner  «  il  rammarico  che  gli 
apporta  il  vedere  esposto  il  christianesimo  ad  irreparabile  rovine...  »  ;  2<>  (4  oc- 
tobre 1667)  bref  au  roi  sur  la  paix  qui  est  si  nécessaire,  «  dum  Turcarum  ar- 
mi^  civitate  Candiœ  in  extremum  discrimon  addictà,  et  eoruindem  potenter 
invadendffi  Poloniae  minis  urgeutibus,  nullum  sanctœ  religion!  tuendœ  reme- 
dium  adhiberi  potest,  nisi  principam  christianorum  animis  et  opibus  coDjunc- 
Um  unitis.  »  {Rome,  184.);  3°  (11  février  1668)  bref  très  pathétique  à  Lionne; 
4<*  (14  février  1668)  bref  au  roi,  demandant  qu'il  s'engage  à  ne  pas  attaquer 
lltalie  cette  année,  pour  permettre  à  tous  les  princes  italiens  de  secourir 
Candie,  sans  craindre  pour  leur  sécurité.  {Rome,  189.);  5o  (l«rinai  1668)  lettre 
autographe  :  a  Preghiamo  ora  la  M.  V.  col  più  vivo  dell*  animo  a  volger  la 
grandezza  degli  spiriti  e  della  potenza  sua  contro  il  comune  inimico,  per  sot- 
trarre  il  regno  di  Candia  al  giogo,  etc.  »  ;  6o  (12  juin  1668)  lettre  autographe  au 
roi.  {Rome,  191.);  7o  (7  juillet  1668)  bref  au  roi.  (Rome,  192.) 

(1)  Bonsy,  évèque  de  Béziers,  transféré  de  Venise  à  Varsovie,  au  mois  de 
novembre  1664,  ne  fut  remplacé  auprès  de  la  Seigneurie  qu'à  la  fin  de  Tannée 
1668. 


316  CHAPITRE    CINQUIÈME 

avec  trois  mille  Français,  ainsi  que  Ton  me  Técrit,  M.  le  ma^ 
quis  Ville  m'a  fait  entendre  qu'il  n*appréhendait  point  toute 
la  puissance  du  Grand  Seigneur^  et  (]ue  la  ville  de  Candie  était 
en  très  bon  état  (1).  >>  La  campagne  de  Franche-Comté  rendit 
bon  espoir  à  la  Porte  :  «  J'ai  vu,  écrivait  la  Haye,  une  lettre 
de  Candie  écrite  par  Païanoti,  où  sont  ces  paroles  :  Nous  espé- 
rons prendre  Candie  cette  année,  parce  que  les  Vénitiens  au- 
ront peu  de  secours,  à  cause  que  la  France  fait  la  guerre  à  la 
chrétienté  (2).  »  Le  même  ambassadeur  laissait  s'accréditer 
en  Orient  le  bruit  d'une  guerre  entre  la  France  et  l'Empire,  et 
il  disait  au  roi  :  «  Il  parut  à  mon  drogman  que  le  caïmacan  pre- 
nait plaisir  à  ce  discours...  Ces  questions  font  connaître  que 
cette  cour...  serait  bien  aise  de  voir  l'Allemagne  en  une  guerre 
contre  les  armes  victorieuses  de  Votre  Majesté  (3).  »  La  Haye 
cherchait  ainsi  à  désarmer  le  ressentiment  des  Turcs,  irrités 
de  rencontrer  tant  de  Français  parmi  les  Vénitiens,  surtout 
depuis  le  licenciement  qui  avait  suivi  les  traités  de  Saint-Ger- 
main et  d'Aix-la-Chapelle  (4).  Avant  la  paix  et  dès  le  4  fé- 
vrier 1668,  il  rendait  compte  à  sa  cour  des  clameurs  dont  il  était 
assailli  :  les  ministres  ottomans  se  plaignaient  de  trouver  des 
Français  partout.  «  A  Malte,  disaient-ils,  tous  Français  ;  en  Can- 
die tous  Français  ;  tous  Français  à  la  mer;  en  un  mot  les  Fran- 
çais sont  plus  ennemis  que  nos  ennemis  mî^mes.  »  Le  8  juil- 
let, il  donnait  encore  avis  qu'on  se  déchaînait,  à  Andrinople, 
autour  du  Sultan,  contre  les  sujets  du  roi:  on  y  apprenait  avec 
indignation  «  que  celui  qui  était  venu  en  Candie,  à  la  place  du 
Savoyard,  était  Français  (5);  qu'il  avait  amené  avec  lui  un 

(1)3  avril  1668.  Turquie,  9. 

(2)  Au  roi,  30  avril  1668.  Turquie,  9. 

(3)  10  juiu  1668.  Turquie,  9. 

(4)  a...  Dans  Tattente  de  succès  plus  brlilaots  encore,  Topinion  publique,  eu 
France,  avait  mal  accueilli  la  paix...  Dans  l'armée  surtout,  la  douleur  était 
violente  :  un  grand  nombre  d'officiers,  atteints  par  la  réforme,  et  mis  à  la 
suite  des  réf^imcnts  conservés,  enviaient  la  bonne  chance  de  leurs  cama^ade:^. 
qui  avaient  au  moins  un  commandement  à  exercer  sur  des  compagnies  ré- 
duites, tandis  qu'eux-mêmes,  privés  d'emploi,  n'avaient  plus  à  jouer  que  le 
triste  rôle  d'officiers  sans  troupes.  Ils  se  plaignaient,  etc.  »  (Rousset,  Histoire: 
de  Louvois,  t.  1",  p.  257  et  suiv.) 

(5)  Le  marquis  de  Saint-André  Montbrun,  <«  très  ancien  maréchal  de  camp, 
mais  toujours  jugé  digne  d'un  rang  encore  plus  élevé  sans  y  être  parvenu,  à 


SECOURS    DE   CANDIE  317 

^rand  nombre  de  Français;  h  la  mer,  tous  corsaires  français; 
plaintes  de  tous  côtés  contre  les  Français.  »  L'ambassadeur 
répondait  que  le  roi  comptait  tant  de  sujets  qu'il  n'était  pas 
étonnant  de  les  voir  courir  le  monde,  et  chercher  fortune  où  ils 
pouvaient.  Malheureusement,  il  avait  été  obligé,  pour  fléchir  la 
colère  du  divan,  do  faire  des  concessions  plus  humiliantes  : 
il  avait  prêté  les  vaisseaux  du  roi  pour  transporter  des  Turcs 
on  Candie,  il  écrivait  à  Louis  XIV  :  «  Le  caïmacan  et  le  capi- 
tan-pacha  m'ont  demandé  les  trois  vaisseaux  qui  étaient  ici 
pour  faire  un  second  voyage  en  Candie.  Un  des  trois  vaisseaux 
est  heureusement  de  retour  depuis  trois  jours,  après  avoir  été 
poursuivi  par  les  Vénitiens  avant  que  d'arriver  en  Candie,  où, 
la  veille  de  son  départ  pour  ici,  était  arrivé  un  des  deux  autres 
vaisseaux;  mais  le  troisième  a  été  pris  par  un  corsaire  ligour- 
nois  (1)  avec  tout  son  chargement  de  quatre  cents  Turcs  et 
quelques  provisions.  Le  capitaine  et  son  vaisseau  ont  été  re- 
lâchés par  le  corsaire  :  ledit  capitaine  a  été  blessé  en  combat- 
tant. J'en  ai  fait  [plainte]  aux  ministres  d'ici,  qui  nV)nl  répondu 
autre  chose  sinon  que  c'était  un  malheur  :  je  voudrais  bien 
quil  les  obligeât  à  ne  me  plus  demander  de  vaisseaux.  »  Le 
garde  du  trésor  m'assura  «  que  Ton  était  fort  satisfait  de  moi, 
particulièrement  d'avoir  accordé  de  bonne  grâce  les  trois  der- 
niers vaisseaux  pour  Candie;  que  le  capitan-pacha  l'en  avait 
entretenu,  et  qu'il  le  dirait  au  Grand  Seigneur,  qui  le  savait  déjà, 
mais  que  Ton  se  plaignait  de  ce  qu'il  y  avait  trop  de  Français 
parmi  les  Vénitiens  (2).  » 

La  parole  du  pape  avait  trouvé  des  échos  retentissants  dans 
tous  les  diocèses  de  France,  et  les  chaires  chrétiennes  y  firent 
entendre,  pendant  plusieurs  années,  de  pressants  appels  en 
faveur  des  fidèles  de  TOricnt  (3).  Nul  orateur  ne  plaida  plus 


quoi  sa  religion  protestante  servait  môme  d'obstacle.  »  (Pcllisson,  Histoire  de 
Louis  XIW  t.  Hî,  p.  n,) 

(1)  De  Livourne. 

(2)  30  avril  1668.  Turquie,  9. 

(3j  Les  religieux  de  la  Merci  et  de  la  Trinité,  voués  au  soulagement  et  à  la 
rédemption  des  captifs  faits  par  les  musulmans,  redoublaient  de  zèle  pour 
exciter  celui  do  toutes  les  classes  de  la  société  :  leurs  prédications,  et  les 
processions  des  esclaves  rachetés  par  leurs  soins  les  rendirent  si  populaires, 
surtout  à  cette  époque,  que  Louis  XIV  entraîné  par  la  piété  publique,  de- 


318  CHAPITRE   CINOUIÈME 

éloquemment  que  Bossuet  une  cause  si  chère  au  saint-siège. 
Dès  le  31  janvier  1665,  à  Paris,  prononçant  le  panégyrique  de 
saint  Pierre  Nolasque,  fondateur  de  la  Merci,  il  exposait  les 
dangers  de  l 'Europe  et  de  l'Eglise  en  termes  qu'il  répéta  presque 
textuellement,  une  année  après,  devant  Louis  XIV  et  sa  cour: 
«  0  Jésus,  disait-il.  Seigneur  des  seigneurs,  arbitre  de  tous  les 
empires  et  prince  des  rois  de  la  terre,  jusqu'à  quand  endure- 
rez-vous  que  votre  ennemi  déclaré,  assis  sur  le  trône  du  grand 
Constantin,  soutienne  avec  tant  d'armées  les  blasphèmes  de  son 
Mahomet,  abatte  votre  croix  sous  son  croissant  et  diminue 
tous  les  jours  la  chrétienté  par  des  armes  si  fortunées?...  Je 
regarde  la  puissance  mahométane  comme  un  océan  indomp- 
table, toujours  prêt  à  inonder  toute  TÉglise,  sa  force  n*étanl 
arrêtée  que  par  des  digues  entr'ouvertcs,  ce  sont  les  puissances 
chrétiennes,  toujours  cruellement  divisées  !  (1)...  » 

Ainsi  la  ferveur  religieuse  s'unissait  à  Tesprit  militaire  de 
la  nation  pour  seconder  les  intentions  de  Clément  IX;  mais, 
pour  arriver  au  but  de  ses  efforts,  le  pontife  eut  bien  des  obs- 
tacles à  vaincre,  et  il  est  juste  de  dire  que  Louis  XIV  n'était 
pas  le  seul  dont  il  eùL  à  redouter  Tinsouciance  ou  le  mauvais 
vouloir.  Les  Génois,  sous  je  ne  sais  quel  prétexte,  avaient  re- 
fusé leurs  galères  pour  la  campagne  de  1668.  Venise  elle- 
même  venait  de  soulever  un  conflit  violent  avec  les  autorités 
papales  au  sujet  des  digues  du  Pô  et  des  frontières  deFerrare. 
Le  duc  de  Chaulnes  communiqua  au  roi  les  confidences  de 
Clément  IX  :  Il  me  retint,  dit-il,  «  pour  me  faire  savoir  Tin- 
gratitude  avec  laquelle  la  républi«jue  de  Venise  (2)  en  usait. 

maïKla  au  pape  que  l'oftico  des  deux  fondateurs  de  la  Trinité,  les  saints  Jean 
de  Matha  et  Félix  de  Valois,  ne  fût  plus  réservé  à  leur  ordre  seulement,  mais 
établi  dans  rÈgllse  entière,  et  que  le  corps  du  premier  fût  transféré  à  Paria, 
dans  le  couvent  où  résidait  habituellement  le  général,  «  afin  que  tout  le  culte 
qui  lui  est  dû  lui  fût  rendu  principalement  dans  le  même  lieu  où  sa  piété  et 
ses  vertus  ont  éclaté  pendant  qu'il  a  vécu.  »  (Le  roi  au  pape,  16  novembre 
1669.  Rome,  201.) 

(1)  Sermon  pour  le  jeudi  de  la  deuxième  semaine  de  Carême,  1666,  à  Saint- 
Germain. 

(2)  Elle  savait  qu'elle  ne  trouverait  jamais  cbez  aucun  pape  Tégoïsme  dont 
elle  avait  fait  preuve  taut  de  fois,  pendant  et  depuis  les  Croisades,  et  au  début 
môme  de  la  guerre  présente.  En  effet,  lorsque  la  flotte  ottomane,  qui  devait 
attaquer  l'île  de  Candie,  sortit  des  détroits,  on  crut  en  Italie  qu'elle  se  diri- 


SECOURS    DE   CANDIE  319 

11  commença  soq  discours  par  me  dire  qu'il  avait  toujours 
reconnu  les  maximes  de  cette  République  très  méchantes,  mais 
qu'il  avait  voulu  s'attacher  à  surmonter  ses  malignités  ;  que, 
pour  cela,  il  l'avait  accablée  de  bienfaits;...  que,  dans  ce 
temps-là,  sans  aucune  considération,  cette  République  avait 
fait  prendre  ses  vaisseaux  dans  le  golfe,  et  qu'elle  avait  cru 
beaucoup  faire  que  de  les  rendre;  que,  dans  le  commerce  de 
la  mer,  tous  les  marchands  italiens  avaient  reçu  mille  déplai- 
sirs, mais  qu'il  avait  passé  sur  tout  pour  les  pousser  à  bout; 
que,  du  depuis^  il  les  avait  assistés  de  toutes  choses  et  de  ses 
pressantes  instances  auprès  des  t6tes  couronnées  et  autres 
princes;  et  que,  dans  un  temps  où  il  devait  recevoir  des  remer- 
ciements des  Vénitiens,  ils  avaient  envoyé  deux  mille  hommes 
travailler  pour  détourner  le  cours  de  la  rivière  du  Pô,  ce  qui 
pouvait  facilement  causer  la  ruine  de  tous  les  pays  d'alentour 
et  l'inondation  de  Ferrare...  Comme  je  crus,  Sire,  que  cette 
afTaire  pouvait  être  avantageuse  à  Votre  Majesté,  tant  parce 
que  je  ne  vois  rien  à  craindre  des  ligues  que  par  les  Vénitiens, 
quoique  affaiblis  par  la  guerre  des  Turcs,  que  parce  que  Votre 
Majesté  pourrait  se  servir  de  cet  incident  pour  leur  refuser  la 
liberté  des  galères  d'Espagne  et  la  levée  des  soldats  en  France, 
par  la  considération  même  du  pape,  qui  en  aurait  toujours 
reçu  le  refus  avec  déplaisir,  je  crus  devoir  pousser  encore  à 
la  roue  en  faisant  ma  cour  au  pape...  »  Clément  IX  discerna 
les  sentiments  cachés  sous  ces  protestations  de  sympathie  qui 
furent  encouragées  par  Louis  XIV  (1),  et  il  annonça  publique- 
ment sa  résolution  de  secourir  la  Seigneurie,  dût-elle,  comme 
il  le  craignait,  «  attaquer  l'Etat  ecclésiastique  du  côté  de  Fer- 

geait  sur  Malte.  Veuise  se  réjouit  et  se  promit  de  laisser  les  chevaliers  sou- 
tenir seuls  leur  querelle;  mais  elle  changea  de  langage  aussitôt  que  les  Turcs 
furent  débarqués  à  laCanée.  uU  leur  semble,  écrivait  fambassadeur  de  France 
auprès  de  la  Seigneurie,  que  toute  la  chrétienté  doive  faire  une  croisade  en 
leur  faveur;  et  cependant  il  est  bien  vrai  ({ue,  lort^qu'ou  croyait  que  Malte 
pouvait  être  attaquée,  ils  dataient  que  ceux  de  la  religion  le  méritaient  bien 
pour  s  être  attiré  volontairement  cet  orage,,.  C'est  une  chose  assez  plaisante 
de  voir  ces  gens-ci  réduits  a  mendier  le  secours  de  ceux  de  Malte,  qu'ils 
avaient  publié  hautement  devoir  être  abandonnée  au  juste  ressentiment  du 
tore.  »  (Le  chevalier  de  Grémonville,  i6  septembre  1645.  —  Daru,  Histoire  de 
Venise,  t.  V,  livre  XXXHl,  4*  édition.) 
(1)  Chaalnes  au  roi,  6  mars.  Le  roi  à  Chaulnes,  30  mars  1668.  Aome,  190. 


320  CHAPITRE    CINQUIÈME 

rare,  dès  qu'il  serait  dégarni  de  troupes  {\),  »  Le  pape  n'ob- 
tint d*abord  du  roi  que  la  promesse  d'une  assistance  indirecte; 
il  le  pressa  de  faire  mieux  encore  :  «  Adhuc  majora  quaiqae 
superaddere  et  accumulare  [Majestas  Tua]  dignetur,  donec 
tota  illa  insula,  a  faucibus  Turcarum  erepta,  orbi  christiano 
simul  cum  securitate  publicà  restituatur  (2).  »  En  même  temps 
il  invita  tous  les  évêques  de  France  à  solliciter  de  nouveau  les 
libéralités  des  fidèles.  Des  nouvelles  plus  fâcheuses  étant  ve- 
nues de  la  ville  assiégée,  «  il  tint  un  consistoire^  où  il  repré- 
senta, la  larme  h  l'œil,  le  péril  de  Candie  (3).  »  A  la  cour  et 
dans  tout  le  royaume,  on  se  prononçait  en  faveur  des  chrétiens 
orientaux;  mais  Louis  XIV  eût  préféré  que  les  Vénitiens  ca- 
pitulassent avec  les  Turcs,  et  il  rétablit  alors  un  ambassadeur 
auprès  d'eux,  pour  leur  en  insinuer  le  conseil  :  telle  est  la 
vérité,  trop  clairement  démontrée  par  les  documents  inédits 
qui  sont  sous  nos  yeux.  La  Haye  lui  écrivait  le  16  juin  :  Un 
officier  du  caïmacan  s'informe  de  mon  drogman  si  Votre  Ma- 
jesté consentirait  à  secourir  la  Porte  contre  Candie,  et  regrette 
que  personne  n*osc  faire  celte  proposition  au  Sultan.  Si  on 
m'adressait  une  pareille  demande,  ne  devrais-je  pas  répondre 
que,  les  Vénitiens  étant  amis  de  Votre  Majesté,  elle  ne  peut 
que  les  obliger  à  faire  la  paix  avec  le  Grand  Seigneur  (4)?  Le 
t  octobre  suivant,  le  nouvel  ambassadeur  à  Venise,  M.  de 
Saint-André,  président  au  Parlement  du  Dauphiné,  recevait 
l'ordre  de  représenter  Louis  XIV  comme  «  le  plus  assuré,  plus 
sincère  et  véritable  ami  qu'eût  la  République  entre  tous  les 
princes  et  potentats.  »  La  guerre  de  Candie,  soutenue  par  elle 
depuis  vingt-quatre  ans,  était  «  le  miracle  de  ce  siècle!  »  C'est 
dans  rintérôt  de  Venise  que  le  roi  avait  conclu  déjà  deux  fois 
une  paix  désavantageuse  avec  les  Espagnols;  mais  ceux-ci 
avaient  refusé  de  concourir  aux  projets  formés  par  lui  en  vue 
de  recouvrer  la  Canée,  etc.  !  Depuis  la  paix  d'Aix-la-Chapelle, 
sa  première  pensée  avait  été  de  rappeler  son  ambassadeur  de 

(1)  Chaulnes  au  roi,  3  mai  1668.  Home,  191. 

(2)  Bref  du  7  juillet  1668.  Rome,  192. 

(3)  Chaulnes  au  roi  29  août.  Borne,  192;  Bourlemont  à  Lionne»  18  septem- 
bn».  1668.  Rome,  193. 

(4)  Turquie,  9. 


SECOURS   DE    CÂNDIK  321 

la  Porte  «  il  se  peut  dire  dans  la  seule  vue  de  Tavantage  de  la 
République  »  (1)  :  il  voulait  maintenant  complaire  aux  désirs 
des  Vénitiens  comme  à  ceux  du  pape  :  il  leur  donnait  cent 
mille  écus,  avec  la  permission  de  lever  des  soldats  et  des 
munitions,  et  il  autorisait  le  duc  de  Rouannez  à  conduire  un 
corps  de  volontaires  au  secours  des  assiégés.  Voilà  ce  que  le 
président  de  Saint- André  devait  déclarer  à  la  Seigneurie,  mais 
il  avait  ordre  en  même  temps  de  l'exhorter  à  traiter  et  à  subir 
les  conditions  imposées  par  la  nécessité  :  c'était  le  dernier 
mot  de  ses  instructions  (2). 

La  Feuillade,  portant  alors  le  titre  de  duc  de  Rouannez, 
mena,  en  effet,  à  Candie  «  cinq  ou  six  cents  gentilshommes 
d'entre  les  officiers  réformés,  à  une  paie  égale  ou  plus  grande 
que  celles  qu'ils  tiraient  en  France,  non  pas  pour  un  long 
temps,  à  quoi  ses  forces  n'auraient  pu  suffire,  mais  pour  ten- 
ter, en  deux  ou  trois  mois  de  temps,  quelque  action  de  vi- 
gueur qui  fît  craindre  aux  infldëles  de  pareils  efforts  de  toutes 
les  nations  chrétiennes,  chacune  à  son  tour  (3).  »  On  lit  par- 
tout que  cette  levée  était  faite  aux  dépens  de  la  Feuillade  ; 
mais  il  faut  bien  rabattre  de  cette  générosité,  dont  Thonneur 
revient  encore  à  Clément  IX  et  à  TEglise.  Pellisson  nous  ap- 
prend que  le  roi  fit  au  chef  des  volontaires  un  présent  do 
dix  mille  écus,  indépendamment  des  trois  vaisseaux  qu'il  mit 
à  ses  ordres.  On  peut  croire  aussi  que  ces  volontaires  qui  ap- 
partenaient généralement  à  la  plus  haute  noblesse,  le  comte 
de  Saint-Pol,  futur  duc  de  Longueville,  le  duc  de  Château- 
Thierry,  cadet  de  la  maison  de  Bouillon,  le  duc  de  Caderousse, 

(1)  Voici  la  vérité  :  DeDis  de  la  Haye  Vautelet,  gui  (Vailleursne  guiita  Cous» 
laniittople  quA  la  fin  de  1670^  fut  rappelé,  parce  que  le  roi  êlait  mécontent 
de  lai.  Le  souvenir  des  querelles  que  son  père  et  lui  avaient  eues  avec  plu- 
sieurs grands  vizirs  nuisait  au  maintien  des  bons  rapports  que  Louis  XIV 
voulait  conserver  avec  le  Grand  Seigneur.  Il  n'était  pas  môme  parvenu,  de- 
puis trois  ans,  à  faire  renouveler  Irs  ancionnu?  capitulations.  D'un  autre  côté, 
les  commerçants  français  du  Levant  uc  trouvaient  pa^  auprès  de  lui  une  pro- 
tection efficace  contre  les  avanies  et  les  violences  des  Turcs,  et  lui  reprochaient 
à  lui-même  de  graves  concussions.  V.  toute  la  correspondance,  et  notamment 
te:)  deux  lettres  du  roi  à  la  Haye,  du  5  août  1668,  et  les  instruction?  à  M.  de 
Nointel,  son  successeur,  du  21  juillet  1670.  {Turquie^  9  et  10.) 

(2)  Venise,  88. 

(3)  Pellissoo,  t.  lU,  p.  94  et  suiv. 

LOOISXIV  IT  LK  SAL1T-SIÊ(iE.   —   U.  2i 


322  CHAPITRE  CI?ÏQUIÈMB 

les  marquis  de  la  Mottc-Fénelon  et  de  Sévigné,  les  Chamilly, 
les  Viliemor,  les  Matignon  et  tant  d*autres,  coûtèrent  pea  à 
la  Feuillado  :  le  seul  comte  de  Sainl-Pol  reçut  de  son  frère 
aîné  vingt  mille  livres  «  pour  aider  à  sa  subsistance  en  Can- 
die (1).  »  Mais  quelle  qu*ait  été  la  part  de  la  Feuillade  daas 
les  frais  de  cette  courte  expédition  (2  novembre-5  janvier), 
Tadroit  courtisan  avait  su  so  ménager  des  ressources  impor- 
tantes sur  les  biens  de  l'Eglise,  qui  subvenait  alors,  sous  tact 
de  formes  et  dans  une  si  large  mesure,  aux  besoins  de  l'Etat. 
La  Feuillade  puisa  sans  scrupule  à  cette  source  si  abondante  des 
pensions  sur  abbayes,  des  économats  et  des  bénéfices  simples; 
et  il  fil  même  demander  à  Rome  des  dispenses  qui  rendissent 
encore  plus  faciles  les  bienfaits  du  roi.  Clément  IX,  en  souve- 
nir de  la  campagne  de  Hongrie  et  comme  gage  de  services 
nouveaux,  donna  son  consentement  a  pour  plus  de  trente 
mille  livres  de  rente  ».  Le  duc  de  Chaulnes,  en  annonçant  au 
roi  cette  faveur,  ajoutait  :  «  Mais,  Sire,  j'espère  que  Votre 
Majesté  ne  voudra  pas  que  son  nom  soit  employé  souvent 
pour  des  grâces  de  cette  nature,  lesquelles,  étant  très  difficiles 
et  extraordinaires,  ne  pourraient  peut-être  avoir  toujours  le 
succès  que  Votre  Majesté  désirerait  (2).  » 

Du  reste,  rien  ne  fui  moins  bien  concerté  que  ce  petit  ar- 
mement. Le  duc  de  Rouannez  portait  la  bannière  de  Malte,  et 
non  celle  de  France.  En  touchant  à  la  Valette,  il  aurait  pu 
frrossir  sa  troupe  d'un  bon  nombre  de  chevaliers  ;  mais  sa 
vanité  souleva  des  difficultés  pour  le  commandement,  et  les 
Français  repartirent  presque  seuls.  Ils  ne  voulurent  ou  ne 
surent  s'entendre  ni  avec  les  auxiliaires  italiens,  ni  avec  les 
galères  d'Espagne.  Une  fois  débarqués,  ils  se  querellèrent 
avec  ceux  qu'ils  venaient  défendre.  L'attaque  et  la  résistance 
étaient  dirigées  avec  un  courage  qui  n'a  jamais  été  dépassé, 
et  avec  une  habileté  consommée^  :  les  ingénieurs  turcs  et  véni- 
tiens étaient  de  dignes  adversaires,  et»  à  cette  époque,  il  n'y 
avait  pas  en  Europe  une  armée  qui  en  comptât  de  plus  sa- 
vants. Les  compagnons  de  la  Feuillade  affichèrent  un  grand 


{{)  Bourleuiout  à  Lionne,  2  janvier  16r)9.  Home,  196. 
(2)  22  f.Wrier  1668.  Home,  189. 


SECOURS    DE  CANDIE  323 

mépris  pour  les  assiégés  comme  pour  les  assiégeants,  ne 
voulant  suivre  aucun  conseil,  ni  tenir  compte  d'aucune  expé- 
rience :  ils  ne  consentaient  qu'à  risquer  leur  vie  avec  autant 
de  bravoure  que  d'élourderie.  Ils  dédaignaient  les  armes  défen- 
fensives,  et  la  Feuillade  marchait  contre  les  Turcs,  un  fouet  à 
la  main.  A  Malte,  «  quelques-uns  des  principaux  )>  d'entre  eux 
avaient  dit  »  qu'ils  allaient  passer  le  carnaval  seulement  en 
Candie,  pour  s'en  retourner  au  printemps  (1).  »  Ils  n'eurent 
pas  môme  la  patience  d'attendre  jusque-là.  Réduits  à  un  petit 
nombre  par  le  feu  de  Tennemi  ou  parla  maladie,  ils  se  lassèrent 
tout  de  suite  de  leur  inutilité,  et  quittèrent  la  ville  dans  les  pre- 
miers jours  de  1669,  emportant  la  peste  sur  leurs  vaisseaux  (2). 

C'était  un  grand  malheur  que  Louis  XIV  aidât  si  peu  les 
Vénitiens  dans  cette  année  1668,  qui  fut  décisive.  Et  cepen- 
dant que  de  ressources  s'offraient  à  lui  dans  son  royaume! 
Le  duc  de  Rouannez  et  ses  volontaires  n'étaient  pas  les  seuls 
qui  fussent  prêts  à  s'enrôler  pour  une  si  belle  cause.  Le  duc 
de  Navailles  dit  dans  ses  Mémoires  (3)  :  «  J'eus  la  pensée  de 
faire  un  régiment  de  deux  mille  hommes  pour  le  mener  au 
secours  de  Candie...  J*en  fis  demander  la  permission  au  roi, 
qui  ne  jugea  pas  à  propos  de  me  la  donner,  parce  que  M.  de 
la  Feuillade,  qui  avait  eu  dessein  avant  moi  d'aller  à  Candie, 
se  disposait  à  partir.  »  Le  maréchal  de  Bellefonds  offrait  aussi 
à  Venise  et  au  souverain  pontife  de  lever,  pour  leur  service, 
quatre  régiments  qui  marcheraient  sous  ses  ordres  (4).  «  Toute 
la  jeune  noblesse  la  plus  qualifiée,  dit  Pellisson,  eût  suivi  en 
foule,  si  le  roi  n'eût  borné  sa  permission  à  un  petit  nombre  de 
ceux  qui  s'étaient  présentés  les  premiers  (5).  » 

L'enthousiasme  public  croissant  toujours.  Clément  IX 
redoubla  ses  supplications  à  tous  les  Etats  catholiques,  et 
Tannée  4669  lui  donna  bientôt  de  meilleures  espérances.  Son 

(1)  Bigorre  à  LioDoe,  1"  janvier  1669.  Rome,  196. 

'2,  Voy.  A.  de  Boislisle,  Notices  historiques  sur  ia place  des  Victoires  et  sur  ia 
place  de  Vendôme,  dans  les  Mém.  de  la  Soc.  de  VHist.  de  Paris,  t.  XV,  1888, 
pp.  18-19. 

(3)  Édit.  Moreau»  chez  Techener,  1861  :  pp.  140  et  suiv. 

(4)  Bibl.  nat.,  mas.  ilal.  Dépôches  des  ambassadeurs  TénlUens,  1668-1669, 
filze  144  et  143. 

(5)  Bistoire  de  Uuis  XIV,  t.  m,  p.  97. 


324  CHAPITRE   CINQUIÈME 

dessein  était  «  de  ramasser  une  armée  de  vingt  mille  hommes 
de  pied  et  mille  chevaux,  des  forces  des  princes  chrétiens, 
pour  faire,  au  printemps,  descente  en  Candie  et  attaquer  la 
C?inée,  et  essayer  avec  ces  troupes  de  chasser  les  Turcs  de 
nie  (1.  »  Un  nouvel  ambassadeur  de  Venise,  Jean  Morosini, 
était  arrivé  à  la  cour  de  France  :  toutes  ses  dépèches  signaleat 
à  la  reconnaissance  de  la  Seigneurie  le  zèle  infatigable  du 
nonce  en  faveur  de  ce  projet  do  ligue  (2)  ;  mais  comment  faire 
marcher  ensemble  les  Espagnols  et  les  Français?  La  paix  d'Aix- 
la-Chapelle  étant  déjà  troublée  par  les  contestations  sur  les 
dépendances ,  TEspagne  demanda,  pour  envoyer  ses  galères  à 
Candie,  que  Louis  XIV  promit  de  ne  point  Tattaquer  pen- 
dant une  année.  Le  roi  de  France  refusait  cette  parole,  allé- 
guant de  prétendus  préparatifs  de  guerre  dans  les  Pays-Bas  (3). 
Clément  IX  intervint  encore.  Enfin,  le  il  janvier,  Lionne 
informa  le  cardinal-neveu  de   la  résolution   que  venait  de 
prendre  Louis  XIV  :  «  Monseigneur,  disait-il,  sur  le  dernier 
bref  de  Sa  Sainteté  et  sur  les  offices  que  M.  le  nonce  a  été 
chargé  de  passer  à  son  nom  auprès  du  roi  touchant  le  secours 
de  Candie,  Sa  Majesté  a  résolu  que  j^écrirais  directement  et 
confidemment  à  Votre  Éminence  ses  intentions  pour  les  faire 
savoir  ànotre  saint-père,  sans  s'en  expliquer  ici  à  M.  le  nonce, 
ni  à  l'ambassadeur  de  la  République,  pour  les  raisons  que  je 
déduirai  plus  bas  dans  cette  lettre.  J'aurai  donc  Thonneur  de 
lui  dire  que  Sa  Majesté,  pour  le  bien  de  la  chrétienté,  mais 
non  moins  sans   doute  pour  complaire  à  notre   saint-père 
qu'elle  sait  ne  souhaiter  rien  en  ce  monde  si  ardemment  que 
le  salut  de  ce  royaume-là,  a  résolu  de  faire  toute  la  dépense 
nécessaire  pour  composer  un  armement  de  quatorze  vais- 
seaux et  de  quinze  galères,  et  de  les  entretenir  pendant  la  cam- 
pagne prochaine  pour   servir  à  transporter  des  troupes  en 
Candie  et  les  en  rapporter,  et  y  agir  même  à  la  mer  contre 
les  Turcs;  qu'outre  tout  ce  qui  sera  nécessaire  pour  fournir 
les  vaisseaux  et  galères  de  vivres,  victuailles,  munitions  de 
guerre  et  pour  le  paiement  des  soldats  et  matelots  qui  les 

(1)  BourlemoLit  à  Lionne,  4  décembre  1668.  Home,  194. 

(2)  Filza  144. 

(3)  Jean  Morosini,  8  janvier  166D.  Fltza  144. 


SECOURS    DE   CANDIE  325 

devront  monter,  et  qui  seront  au  nombre  qu'il  faut  pour  pou- 
voir combattre  vigoureusement  Tennemi,  Sa  Majesté  fait  état 
de  faire  embarquer  dessus  d'autres  troupes  réglées,  des  meil- 
leurs corps  qu'elle  ait,  et  en  nombre  suffisant  pour  pouvoir 
débarquer  dans  la  place  de  Candie  quatre  mille  hommes  ef- 
fectifs, qui  y  serviront  six  mois  entiers,  s'il  est  nécessaire  qu'ils 
y  demeurent  tout  ce  temps-là^  et  la  solde  des  quatre  mille 
hommes  courra  toujours  sur  son  compte,  en  sorte  qu'ils  ne 
seront  à  charge  en  rien  à  la  République,  qui  devra  seulement 
prendre  le  soin  par  avance  de  leur  faire  avoir  des  vivres  pour 
leur  argent  à  prix  raisonnable.  Outre  tout  cela,  pour  rendre 
plus  utile  à  la  République  cet  armement,  qui  pourra  partir  des 
ports  de  Provence  au  premier  jour  d'avril,  Sa  Majesté  fera  em- 
barquer dessîis  cent  milliers  de  poudre,  trente  milliers  de 
mèches,  vingt  milliers  de  plomb,  dix  mille  sacs  à  terre,  six 
mille  outils,  vingt  mille  grenades,  cinq  cents  mousquets,  trois 
cents  pertuisanes  et  cinquante  cuirasses  à  l'épreuve  du  mous- 
quel.  Les  troupes  qui  devront  débarquer  seront  commandées 
par  un  lieutenant  général  des  armées  du  roi,  deux  maréchaux 
de  camp,  et  deux  brigadiers  d'infanterie.  Sa  Majesté  a  jugé  à 
propos  que  tout  l'armement  se  fasse  sous  le  nom  de  Sa  Sain- 
teté, et  cela  pour  trois  raisons  :  la  première,  pour  la  plus 
grande  gloire  de  Sa  Sainteté;  la  seconde,  pour  ôter  autant 
qu'il  se  pourra  le  prétexte  aux  Turcs  de  prendre  occasion  de 
ce  secours  pour  ruiner  le  commerce  que  ses  sujets  font  en  Le- 
vant (i);  et  la  troisième,  afin  que  les  Espagnols  ne  puissent 
prendre  sujet  de  l'envoi  des  galères  du  roi  en  Levant  pour  n'y 
envoyer  pas  les  leurs,  sur  la  difficulté  qu'ils  feraient  peut- 
être,  quoique  très  injustement,  de  donner  ordre  à  leurs  ga- 
lères de  céder  le  rang  qui  serait  dû  à  celles  de  Sa  Majesté,  si 
elles  naviguaient  à  son  étendard...  Voilà  le  projet  que  fait  le 
roi  et  qu'il  se  promet  devoir  être  d'autant  plus  agréable  à  Sa 
Sainteté  qu'il  est  certain  que  c'est  principalement  la  considé- 
ration de  sa  personne  et  de  la  gloire  de  son  pontificat  qui  le 

(1)  L'ambassadeur  de  Venise  écrivait,  le  22  janvier  1669,  à  la  Seigneurie 
que  le  roi  tenait  au  concours  des  autres  États  chrétiens  dans  la  défense  de 
Candie,  surtout  «  per  non  esporsi  unicamente  aUa  colera  e  aUa  vendetta  dette 
ottomane  barlmrie.  »  (Fiiza  144.) 


326  CHAPITRE  CINOUIÈME 

porte  à  faire  de  si  graods  eiïorls  en  toutes  manières,  et  même 
dans  une  conjoncture  où  il  semble  que  les  Espagnols  n'ont 
d'autre  pensée  et  d'application  qu'à  lui  jeter  toute  la  chré- 
tienté et  même  les  protestants  sur  les  bras  (1)...  »  Lionne 
passe  ensuite  aux  garanties  réclamées  par  les  Espagnols,  el 
ses  longues  explications  manquent  de  clarté  :  la  cour  de  Ma- 
drid eut  été  imprudente  de  s'y  fier.  Louis  XIV  le  comprit  cl 
fit  bientôt  la  promesse  attendue  (2). 

Mais  il  ne  voulut  jamais  revenir  sur  le  refus  de  donner  le 
drapeau  de  la  France  à  ses  troupes  de  terre  et  de  mer  :  il  prit 
soin  d'éviter  toutes  les  apparences  d'une  guerre  formelle  avec 
la  Porte,  et  ces  réserves  peu  loyales  eurent  des  conséquences 
funestes  pour  le  succès  de  l'expédition .  Les  instructions 
données  au  duc  de  Beaufort,  amiral  de  France,  lui  rappellent 
avant  tout  «  que  Tarmée  est  destinée  pour  le  secours  de 
Candie;  que,  Sa  Majesté  ne  voulant  pas  déclarer  ouvertement 
la  guerre  au  Grand  Seigneur,  elle  a  résolu  qu'elle  agirait  sous 
le  nom  du  pape  et  prendrait  l'étendard  de  Sa  Sainteté,  à  quoi 
le  duc  se  doit  conformer  (3).  »  Le  roi  ne  rompit  pas  ses  rela- 
tions diplomatiques  avec  la  Turquie.  Le  chef  de  l'escadre  du 
Levant,  M.  d' Aimeras,  reçut  ordre  de  ne  pas  attaquer  le  pre- 
mier^ et  par  suite  la  flotte  musulmane  eut  la  liberté  de  porter 
des  renforts  aux  assiégeants  (4).  Les  calculs  de  Louis  XIV 

(1)  Rome,  1%. 

(2)  Le  roi  au  pape,  13  février  1669.  ItUi.  —  -  ...  Nous  déclarous  par  celtf' 
leUre  à  V.  S.  que,  pendant  toute  l'année  présentement  courante,  qui  ert  ct> 
que  la  reine  a  désiré,  nouia  entretiendrons  inviolablement  le  traité  de  paix 
signé  à  Aix-la-Chapelle,  sans  y  contrevenir  par  aucune  hostilité  on  vuie  de 
fait  contre  aucun  des  États,  pays  ou  places  de  la  domination  de  la  couronne 
d'Espagne  pour  quelque  cause,  occasion  ou  prétexte  que  ce  puisse  ètro,  i'o 
quelque  endroit  que  lesdits  pays  ou  places  soient  situés.  Cest  de  quoi  nooft 
donnons  a  V.  S.  notre  parole  royale,  sur  laquelle  elle  pourra,  si  elle  Ta  agréable, 
donner  la  sienne  a  la  reino  d'Espagne.  » 

(3;  Archives  de  la  Marine.  Ordres  du  roi  pour  la  Marine ^  1669. 

(4)  Le  13  avril,  le  roi  avertissait  Beau  fort  que  le  Grand  Seignear  avait  mandé 
à  Larisse  ramb:îssHdeur  français  :  «  Quoique  je  sois  persuadé,  ajoutait-il,  que 
ce  voyage  n'a  été  résolu  à  la  Porte  que  pour  me  donner  satisfaction  sur  le 
renouvellement  des  capitulations  que  j'ai  fait  ci-devant  demander  par  mondil 
ambassadeur,  je  suis  bien  aise  de  prendre  les  précautions  nécessaires  pour 
empêcher,  autant  qu'il  sera  possible,  que  le  secours  que  J'eavoîe  en  cûdii 
ne  donne  quelque  envie  à  la  Porte  d'arrêter  mes  vaisseaux.  »  Le  mêmejov,  , 
il  ordonne  à  .M.  d'Alméras  de  s'approcher  secrètement  du  Ueu  où  Miml^P'  ^ 


SECOURS    DK    CANDIF.  327 

.'auraient  pas  échappé  même  a  dos  politiques  moins  clair- 
oyants  ot  moins  bien  informés  que  le  sénat  de  Venise.  La 
République  n'ignorait  pas,  et  nous  le  lisons  dans  les  dépêches 
le  Jean  Morosini  comme  dans  celles  de  la  Haye,  que  Tambas- 
saJeur  du  roi  à  la  Porte  n'eut  alors  rien  à  craindre  pour  sa 
sùroté  personnelle,  que  jamais  h»  roi  n'avait  été  plus  considéré 
en  Orient,  et  que  le  Grand  Seigneur  venait  do  faire  partir  pour 
la  France  un  agent  chargé  d'une  mission  suspecte  (1).  Aussi 
les  Vénitiens,  de  leur  côté,  ne  se  faisaient  pas  scrupule  d'en- 
tretenir avec  la  Porte  des  relations  secrètes  qu'ils  ne  purent 
cacher  aux  agents  français.  Jean  Aforosini  avertit  fréquem- 
ment la  Seigneurie  que  les  principaux  personnages  de  la  cour 
lui  adressent  des  questions  embarrassantes  à  ce  sujet.  Le  che- 
valier de  Grémoriville,  ministre  <lu  roi  à  Vienne,  l'informe 
que  Venise  ne  sollicite  le  secours  des  princes  chrétiens  que 
pour  se  procurer  des  avantages  particuliers,  en  faisant  pi'ur 
aux  Turcs  des  puissances  européennes  (2). 

La  distribution  des  commandements  ne  permettait  pas  d'es- 
pérer une  bonne  direction  de  Tenlreprise.  Les  trois  généraux 
français,  entre  lesquels  était  répartie  la  conduite  des  troupes 

bassadeur,  soit  à  ConstantiDople,  soit  à  L'irisée,  rie  le  faire  embarquer  aver 
Mi  fauiiUe  el  de  revenir,  u  Vous  devez  observer,  dit  lu  roi,  que,  si  Taïubassa- 
deur  n'est  poiut  à  Constauliiioplc  lorsque  vous  incUroz  ù  la  voile,  vous  du 
d**vrez  poiut  faire  couD.ittre  que  ce  soit  par  aucuu  motif  de  rupture  entre 
moi  et  le  (irand  Seigneur,  mais  seulement  que,  le  retour  de  l'ambassa- 
deur étant  incertain,  j'enverrai  d'autres  vaisseaux  pour  le  prendre  quand  il 
sera  en  état  de  partir.  >•  M.  d'AIméras  est  informa  en  même  tt>m[).s  que,  si  le 
Grand  Seigneur  veut  empêcher  son  passage  iuw  Chdteniix  (des  Dardanelles), 
Beaufort  a  reçu  Tordre  de  l'assister  de  toutes  ses  forces.  (Archives  de  la  Ma- 
rine, ifjifl.) 

(1)  Jean  Morosini,  29  mai  et  12  juin  1C69.  Filzu  144.  —  La  Haye  au  roi, 
17  avril  et  15  mai  1669.  de  Larissc  :  Le  sultan  envoie  »  un  ambassadeur  à  V. 
M.  )'.  et  offre  le  renouvellement  des  capitulations.  Il  me  retient  «  par  un  sen- 
timent de  vouloir  toujours  [vivre]  en  bonne  intelligence  avec  V.  M.  >*  Je  reste 
dnuc.  —  Je  me  félicite  d'avoir  obtenu  IVnvoi  de  l'Hmbas>adeur  turc.  «  Le 
Gmud  Seigneur  aura  recherché  V.  M.  pour  arbitre  de  la  guerre  de  Candie.  •• 

Voici  en  quels  termes  équivoques  Lionne  s'exprimait,  dans  ses  instructions 

au  marquis  de  Nointel,  sur  le  retard  mis  par  la  Haye  à  rentrer  en  France  : 
m  Soit  qu'il  crût  de  faire  mieux  le  service  de  S.  M.,  soit  dans  la  vis»'>e  de  se 
maintenir  dans  son  emploi,  il  entra  dans  une  négociation  ou  qui  lui  fut  pro- 
posée par  le  calmacan,  ou  peut-être  que  lui-mAme  suggéra.  »  Louis  XIV  ne 
rappela  définitivement  la  Haye  que  le  12  juilhl  1670.  (Turquie,  9  et  10.) 

(Q  Jeao  Morosini,  15  et  t9  mars  et  5  juin  1GG9.  f'i73(f  144. 


328  CHAPITRE   CtNOUlÈMK 

royales  de  terre  et  de  mer,  ne  s'entendirent  ni  entre  eui  ni 
avec  les  assiégés.  Le  duc  de  Beaufort,  qui  avait  spécialement 
les  vaisseaux  sous  ses  ordres,  (Commandait  aussi  aux  galères 
quand  les  deux  flottes  étaient  réunies:  mais  leurs  allures  diffé- 
rentes les  tenaient  souvent  séparées,  et  le  comte  de  Vivonne, 
capitaine-général  des  galères,  ne  mettait  aucun  empressement 
à  rallier  les  vaisseaux.  Le  duc  de  Navailles,  chef  des  troupes 
de  débarquement,  effacé  par  Tamiral  pendant  la  traversée,  ne 
devait  plus  dépendre  de  lui  quand  il  serait  à  terre,  et  Beaufort, 
au  contraire,  était  obligé  de  demeurer  avec  la  flotte  à  sa  vue 
et  à  disposition.  Les  attributions  de  ces  deux  oFficiers  avaient 
été  d'abord  exactement  définies.  Les  lettres  de  service  de 
Beaufort  portent  que  a  la  seule  intention  de  Sa  Majesté,  pour 
remploi  de  sou  armée  navale  pendant  la  présente  campagne, 
étant  le  secours  de  Candie,  Sa  Majesté  veut  aussi  que  le  duc 
règle  toute  sa  conduite  à  bien  faire  réussir  cette  importante 
entreprise.  »  En  conséquence,  il  doit  conserver  les  vaisseaux 
près  du  rivage  pour  recevoir  et  embarquer  les  troupes  de  terre, 
«  soit  en  cas  que  les  Turcs  soient  chassés  et  que  le  siège  soit 
levé  et  la  place  en  sûreté,  soit  en  cas  d'accident  contraire  ou 
que  la  place  soit  prise  par  composition  ou  par  force  (1).  »  Et 
Colbert,  dans  une  lettre  séparée,  avait  ajouté  (2)  :  «  En  cas  que 
la  nécessité  ou  les  diverses  actions  de  guerre  qui  se  présente- 
ront ou  pourront  être  exécutées  contre  les  Turcs  assiégeants 
obligent  à  commander  un  corps  composé  des  équipages  des 
vaisseaux  et  des  galères.  Sa  Majesté  n'estime  pas  que  vous 
puissiez  ni  deviez  mettre  pied  à  terre,  tant  pour  éviter  toute 
sorte  de  contestation  dans  le  commandement,  que  parce  que 
votre  personne  est  absolument  nécessaire  et  ne  peut  pas  aban- 
donner les  vaisseaux.  »  Le  roi  voulait  en  outre  que  l'officier  à 
qui  Tamiral  confierait  ce  commandement  obéît  au  duc  de  Na- 
vailles.  Ce  rôle  ne  suffît  pas  à  l'ambition  de  Beaufort.  Il  se 
plaignit  au  roi  d'être  ainsi  condamné  d'avance  «  à  garder  les 
manteaux  »  pendant  que  les  autres  combattraient  :  il  témoigna, 
en  termes  chaleureux  et  certainement  sincères,  son  désir  de 


(1)  30  mars  1669.  Ordres  du  roi  pour  la  Marine,  1669. 

(2)  26  avril  1669.  Ibid. 


SECOURS    DE    CANDIE  329 

ne  pas  perdre  celte  «  occasion  de  s*iiiustrer  (1  )  »  ;  et  Louis  XJV 
lui  donna  l'autorisation  «  de  mettre  pied  à  terre  et  de  comman- 
der le  détachement  qui  pourrait  être  fait  des  troupes  des  vais- 
seaux et  galftres  pour  le  secours  de  Candie  (2).  »  Vainement 
le  roi  lui  imposait  la  condition  de  se  concerter  avec  Rospigliosi 
et  Navailles,  et  de  ne  quitter  les  vaisseaux  que  «  pendant  le 
temps  de  l'action  ».  L'événement  démontra  bientôt  l'impru- 
dence de  ces  ordres  contradictoires. 

Le  règlement  des  rangs  entre  les  Français  et  les  autres  auxi- 
liaires de  Venise  tint  en  éveil  toutes  les  susceptibilités  de 
Louis  XIV,  et  consuma  des  jours  précieux.  Le  roi  cachait  son 
drapeau  pour  ne  pas  encourir  le  ressentiment  du  Grand  Sei- 
gneur; mais  en  même  temps  il  était  humilié  d'abriter  ses 
troupes  sous  les  couleurs  pontificales.  Pour  satisfaire  la  vanité 
gallicane,  il  exigea  que  le  bailli  Rospigliosi,  neveu  du  pape, 
généralissime  (3)^  arborât,  non  pas  la  bannière  de  TÉgliso  ro- 
maine, avec  les  clefs  etles  images  des  saints  Pierre  et  Paul,  mais 
un  étendard  rappelant  seulement  la  chrétienté  et  ne  portant 
qu'un  crucifix  (4).  Le  27  février,  Lionne  informa  le  cardinal 
Rospigliosi  que  la  France  voulait  bien  ne  pas  insister  sur 


(1)  Jal,  Abraham  du  Quesne,  t.  !•',  pp.  569  et  suiv, 

(2)  17  mai  1669.  Ordres  du  roi  pour  la  Marine,  1669. 

(3)  Louis  XIV  teuta  même  d'abord  de  faire  donner  ce  commandement  k  un 
Français,  ce  qui  aurait  blessé  ou  peut-être  écarté  les  auxiliaires  étrangers,  ce 
général  eût-il  été  d'une  habileté  et  d'une  réputation  incontestées;  mais  le  roi 
avait  proposé  le  cardinal  de  Vendôme.  «...  H  était  tombé  dans  Tesprit  de  S.  M.^ 
écrivit  Lionne  au  cardinal  Rospigliosi  le  18  janvier  (Romey  196),  une  pensée 
qui  pourrait  peut-être  concilier  toutes  choses,  qui  serait  que  S.  S.  donnât  sa 
commission  de  commander  toutes  les  armées  auxiliaires  à  M.  le  cardinal  de 
Vendôme,  avec  lequel  M.  son  frère  s*accommoderait  aisément.  Les  Espagnols 
n'auraient,  ce  semble,  rien  à  dire  sur  le  commandement  d'un  cardinal.  Je  ne 
sais  même  si,  pour  un  emploi  de  cette  nature,  on  ne  pourrait  pas  lui  donner 
le  caractère  de  légat  qui  Tautoriserait  davantage  et  ferait  plus  de  bruit  dans 
le  Levant:  et  cette  qualité  ne  Tempècherait  pas  de  descendre  dans  la  place  et 
d'y  faire  toutes  les  fonctions  d'un  bon  capitaine  avec  le  courage  et  l'expérience 
qu'il  a  acquise  dans  le  commandement  des  armées.  S.  M.  soumet  toutes  ces 
pensées  au  sublime  jugement  de  S.  B.,  n'ayant  même  aucune  connaissance 
de  la  manière  dont  ont  accoutumé  de  se  passer  les  choses  en  Candie  entre 
les  armées  auxUiaires,  quand  elles  appartiennent  à  divers  potentats,  ni  entre 
lesdites  armées  et  celles  de  la  République.  »  11  ne  fut  donné  aiiruue  suite  k 
rétrange  proposition  du  roi. 

(4)  Jean  Morosini,  22  janvier  1669.  Filza  144. 


.'{30  ŒAPlTmE 

r*:X'r;iJi»I-  d»-  Lapant»/,  ou  don  Marc -Antoine  Colonna,  général 
A'r  rK:^iise.  oh*fit  à  don  Juan  d'Autriche,  qui  n'était  pas  de 
plus  grande  naîs^^inr.;  .:i:.-  B»?iuf.Tt.  ce  dernier  étant  de  plus 
amiral  d^  France  f  :  le  roi  ordonnait  au  duc,  commandaDt 
de  s'-s  vaisseaux  et  «ral^^ros.  de  •  reconnaître  comme  supérieur 
le  général  de  Sa  Sainteté,  pourvu  que  Tétendard  qu'il  porterait 
fûl  celui  de  l'Église,  c'est-à-dire  le  crucifix.  Sa  Majesté  dési- 
rait aussi  que  ses  galères  et  vaisseaux  qui  porteraient  Télen- 
dard  du  pape  eussent,  en  toutes  rencontres  et  occasions, 
quelles  qu'elles  pussi/nt  èlre,  le  rang:  et  la  préséance  sur  celles 
d^Kftpagne.  quelque  étendard  que  portassent  celles-ci,  ou  de 
Sa  Sainteté  ou  le  leur  jiropre  ;...  et  cela,  Sa  Majesté  le  mettait 
si  indispensable  que  M.  de  Beaufort  aurait  ordre,  ou  de  se  re- 
tirer s'il  y  rencontrait  la  moindre  difficulté,  ou  de  forcer  les 
Kspagnols  de  faire  ce  qui  est  de  la  raison,  auquel  cas  elle  ne 
doul;iit  pas  que  le  général  du  pape  n'embrassât  aussi  son 
parti  {'2j,  •>  Le  pape  y  consentit  aussitôt.  Comment  réponJit- 
oriîï  sa  complaisance?  Quand  les  galères  françaises  arrivèrent 
au  rendez-vous  de  Zante.  où  Rospigliosi  les  attendait,  le  comte 
(II*  Vivonne,  approchant  du  mouillage,  prétendit  que  le  bailli 
vint  au  devant  de  lui  avec  Tétendard  déployé  du  crucifix.  Le 
^'^énéral  de  TKglise  s'était  excusé  d'abord  «  sur  ce  que  le  cru- 
ridx  ne  doit  jamais  aller  au  devant  d'aucun  étendard,  ni  même 
celui  du  pape  qui  lui  est  inférieur,  ainsi  qu'il  pourrait  savoir 
de  beaucoup  de  personm's,  de  MM,  les  Espagnols  et  de  MM.  de 
Vrnisr,  avrc  lescjuels  il  s'était  trouvé  Tannée  dernière  et  au 
devant  desrjuels  il  n'alla  pas.  M.  de  Vivonne,  ir étant  pas  sa- 
tisfait de  cette  excuse,  lui  dépêcha  de  nouveau  pour  lui  dire 

(I)  Il  y  avait  ijinîlquc  lém^*rilé  à  riij»pel«^r  la  bataille  de  Lt'pante,  où  la  Franc»' 
ne  fi^Mirait  {>art  parmi  Icit  chrûliciis,  Chnrie?  IX  ctaut  alors,  au  contraire,  Talliè 
du  sultan.  Si  Colonna  ronsontit  à  rocevoir  les  ordres  de  don  Juan,  il  montra 
une  condoscondance  que  Louis  XIV  uni  bien  fait  d'imiter;  d'ailleurs  le  géné- 
ral ])ontitical  n'avait  fias  cach^soii  drapeau  comme  fit  Beaufort,  mais  ille  dé- 
ploya à  r<M6  des  »';h'ndardî*  de  V<*nisc  et  de  l'Espagne 

{'2)  <«  iNeir  aftliicnza  de'  soccorsi  rh'  io  spero  e  desidero  incessantameute  da 
niiiù  parte  alla  Si^uoria  Vostra,  puô  accadere  il  solito  sconcerto  pregiudicia- 
lissimo  didia  divi.tione  de'  raj)!  di  taute  nazioui  per  l'honore  del  commando. 
Si  puô  crudere  baatante  a  toglicre  ogni  amarezza  la  concessione  che  si  facesse 
dal  Poutiflcio  del  staudardo  del  Crocifisso...  »  (Jean  MorosinI,  12  février  1669. 
FUza  144.  —  Home,  196.) 


SECOURS    DE    CANDIE  331 

que  Sa  Majesté  souhaitait  que  cela  fût,  et  que  le  crucifix  vint 
au  devant  de  sa  galère.  Alors  M.  le  bailli,  pour  sa  décharge 
auprès  du  pape  et  du  sacré  collège  et  pour  marquer  sa  sou- 
mission à  la  volonté  du  roi,  lui  fit  répondre  qu'il  lui  suffirait 
d'obéir  à  Sa  Majesté,  mais  qu'il  le  priait  de  lui  donner  sa  vo- 
lonté par  écrit,  ce  qui  étant  fait,  il  lui  envoya  Télendardpour 
le  recevoir.  »  L'agent  français,  auteur  de  ce  récit,  ajoute  que 
Rospigliosi  fît  cette  concession  «  pour  ne  point  porter  de  pré- 
judice à  une  expédition  aussi  importante  que  celle  de  Candie.  )> 
Vîvonne  eut  encore  pour  le  généralissime  d'autres  procédés  qui 
paraissent  à  peine  croyables  dans  un  siècle  si  renommé  pour 
sa  politesse,  et  que  le  bailli  souffrit  avec  une  dignité  parfaite(l). 
Le  frère  de  M"'  de  Montespan,  le  gros  crevé,  se  croyait  tout 
permis,  et  il  en  fut  quitte  pour  un  simulacre  de  réprimande. 
Louis  XIV  lui  écrivit  (2)  :  «  Notre  saint-père  le  pape  s'étant 
plaint  à  moi  par  son  nonce,...  je  me  suis  expliqué,  tant  audit 
nonce  qu'à  Sa  Béatitude  à  Rome,  qu'à  l'égard  de  l'envoi  de 
toutes  les  galères  au  devant  de  vous,  même  de  celle  qui  por- 
tait Tétendard  du  crucifix,  je  ne  pouvais  approuver  que  vous 
eussiez  désiré  une  civilité  si  extraordinaire;  et,  quoique  je 
fusse  bien  aise  d'en  apprendre  la  vérité  par  vous-même,  je  ne 
laisserais  pas  de  vous  faire  savoir  mes  sentiments  sur  ce 
point  (3).  »  Cette  arrogance  envers  le  crucifix  contraste  péni- 

(1)  Bonfilfl  à  Lionne,  23  juillet  1669.  Home,  199. 

(2)  21  août  1669  :  Ordres  du  roi  pour  la  Marine,  1669. 

(3)  L'abbé  Servieot  raconte  que  le  pape  et  la  cour  de  Rome  furent  vive- 
lueut  affligés  de  ces  procédés,  mais  que  personne  ne  voulut  en  faire  du  bruit  : 
H  En  vérité,  M.  de  Vivoune  ne  peut  pas  trop  se  tirer  d'affaire  à  moins  qu'il 
n'ait  un  ordre  préûx;...  car,  s'il  commande  comme  général  du  pape,  disent-ils^ 
c'est  à  tort  qu'il  prétend  que  le  généralissime  le  vienne  rencontrer...  Si  en- 
suite il  est  vrai,  comme  ils  l'avancent,  qu'après  avoir  demandé  de  la  neige  à 
M.  le  builli,  il  la  lui  ait  renvoyée  à  cause  de  ce  différend,  disant  qu'il  ne  vou- 
lait rien  de  lui  et  que  de  véritables  soldats  n'avaient  pas  besoin  de  ces  dé- 
lices; et  que  M.  le  bailli  ait  répondu  sans  se  f&cber  que,  si  c'était  l'intention 
du  roi  que  le  général  des  galères  fût  ainsi  traité,  il  le  ferait  volontiers,  et 
que,  pour  ne  pas  déconcerter  une  si  grande  affaire,  il  lui  donnerait  même  le 
commandement  général;  et  que,  d'abord  qu'il  a  vu  que  M.  de  Vivonne  s'en- 
gageait par  un  billet  à  dire  que  c'était  la  volonté  du  roi,  il  ait  cédé,  on  peut 
dire  qu'il  a  fait  au  delà  de  ce  qu'on  en  devait  attendre  et  que  M .  de  Vivonne 
n'a  pas  soutenu  ce  qu'il  avait  si  bien  commencé  &  Cività-Vecchin.  Le  pape  a 
le  billet  de  M.  de  Vivonne,  où  le  nom  du  roi  est,  dit-on,  mêlé;  il  y  a  plusieurs 
rolaUons  de  toute  cette  conduite,  et  ron  a  vu  une  lettre  de  ScariaU  [un  des 


332  CHAPITRE   aNQUlÈME 

blement  avec  les  humbles  ménagemeDts  observés,  à  la  même 
heure,  envers  l'étendard  de  Mahomet,  Voici  les  ÎDstructions 
récemment  données  par  le  roi  au  chef  de  l'escadre  du  Levant: 
«  M.  d'Alméras  ne  devait  pendant  son  voyage  porter  aucuDe 
marque  de  commandement  dans  les  mers  du  Levant,  pour 
éviter  les  difficultés  des  saluts  en  cas  de  rencontre  avec  les 
vaisseaux  du  Grand  Seigneur  (1).  » 

On  ne  s'étonnera  pas  que  les  peuples,  qui  désiraient  secou- 
rir les  Vénitiens,  eussent  peu  de  goût  pour  la  compagnie  des 
Français.  Les  Espagnols  en  particulier,  si  maltraités  dans  les 
campagnes  de  Flandre  et  de  Franche-Comté,  ne  pouvaient  vé- 
ritablement pas  fournir  un  secours  considérable  à  Candie  :  la 
régence  de  la  reine-mère  traversait  une  crise  menaçante,  cl 
les  troubles  domestiques  ne  permettaient  pas  de  rétablir  les 
finances  épuisées,  ni  de  reconstituer  les  armées  et  les  flotte> 
à  peu  près  détruites  dans  les  défaites  antérieures.  Louis  XIV 
cependant  dénonçait  au  pape  Tinaction  de  la  cour  de  Madrid  (2) 
comme  une  marque  d'ingratitude  criminelle,  et  ne  cherchait 
que  des  occasions  de  conflit.  Il  se  plaignit  bruyamment  de  la 
défense  mise  par  le  gouverneur  de  Bruxelles  au  passage  d'un 
bateau  de  charbon  destiné  à  la  France  :  c'était  un  attentat  contre 
le  repos  de  TEurope!  Par  son  ordre,  Lionne  invita  le  nonce  (3j 
à  en  informer  sans  relard  le  souverain  pontife,  dépositaire  de 
la  promesse  de  ne  point  attaquer  TEspagne,  et  à  lui  dire  qu'il 
allait  exercer  des  représailles.  Lionne  promettait  «  une  bonne 
étrcnne(i)  »  à  qui  lui  apporterait  le  premier  la  nouvelle  de 
véritables  hostilités.  Les  Espagnols  s'excusèrent  à  Rome  de 
ne  pas  se  joindre  aux  Français  sur  Timpossibilité  de  vivre  en 
borme  intelligence  avec  eux,  et  Ton  ne  peut  les  en  blâmer. 
L'agent  français  qui  les  raillait  comme  ayant  eu  honte  de  n'en- 
voyer «  qu'un  secours  délabré  et  chélif  ))(S),  manquait  à  la 

familier.^  de  l'ambassade  française]  gtii  taxe  M,  de  VUvonne  de  superbe^  dt 
vain  et  d'emporté^  en  propres  termes.  »  (Servient  à  Lionne,  27  juUiet  166S: 
Horne,  199.) 

(1)  Jal,  Abraham  Du  Quesne,  t.  I«^  p.  532. 

(2)  Lionne  à  Rospigliosi,  22  mars  1669.  Rome,  197. 

(3)  24  mai  1669.  Rome,  198. 

(4)  Lionne  à  Bourlemont,  21  juin,  1669.  Rome,  198. 

(5)  Bourlemont  à  Lionne,  4  juin  1669.  Home,  198. 


I 


SECOURS    DE   CANDIE  333 

fois  de  jastice  et  de  générosité.  La  France  ne  sut  pas  mieux 
se  concerter  avec  la  Bavière,  ni  avec  les  pelits  princes  d'Italie 
qui  envoyèrent,  Tune  deux  mille  Allemands,  et  les  autres,  un 
nombre  à  peu  près  égal  dltaliens  :  dédaignés  ou  écartés  par 
la  présomption  des  Français,  ces  auxiliaires  furent  absolument 
inutiles. 

Cette  politique  équivoque  de  Louis  XIV,  ces  procédés  hau- 
tains envers  les  autres  membres  de  la  ligue  chrétienne  retar- 
dèrent les  préparatifs.  Lionne  avait  annoncé  au  pape,  le  i  1  jan- 
vier, que  l'expédition  partirait  «  au  premier  jour  d'avril  »• 
Beaufort  quitta  Paris  le  24  février  seulement,  et,  le  31  mai, 
Colberl  lui  écrivait  encore  que  le  roi  attendait  avec  impatience 
la  nouvelle   de   l'appareillage  (i).   Il  est   vrai  que   Teffectif^ 
avait  été  porté  de  quatre  à  six  mille  hommes  (2),  mais  rien  ne 
pouvait  réparer  ce  temps  perdu  pour  les  assiégés,  et  si  bien 
employé  par  les  Turcs.  Sa  décision  une  fois  prise,  Louis  XIV 
s'appliqua  du  moins  à  mettre  sous  les  ordres  de  trois  chefs 
médiocres  des  officiers  et  des  soldats  choisis  avec  le  plus  grand 
soin  dans  la  foule  immense  de  volontaires  qui  s'offraient  de 
toutes  parts.  L*approvisionnement  des  troupes,  si  important 
dans  une  pareille  campagne,  avait  été  confié  au  célèbre  muni- 
tionnaire  Jacquier  (3),  qui  avait  rendu  tant  de  services  dans 
les  guerres  précédentes.  Chacun  se  rendit  avec  empressement 
à  son  corps  dans  le  délai  fixé,  et  il  n*y  eut  pas  un  seul  déser- 
teur. Lionne  lui-môme  était  ému  lorsqu'il  annonçait  à  Rome 
le  départ  prochain  de  l'armée,  et  qu'il  décrivait  la  joie,  Pen- 
thousiasme  «  inimaginable  »  des  soldats  et  des  matelots  (4). 


(1)  Ordres  du  roi  pour  la  Marine, 

(2)  Lionne  à  Rospigiiosi,  26  février  1669.  Rome,  196. 

(3)  «  Qu*on  me  donne,  disait  Turenne,  Chamlay,  Jacquier,  Saint-Hilaire  et 
trente  mille  hommes  de  vieilles  troupes  ;  il  n'y  a  point  de  puissance  que  je 
ne  force  à  se  soumettre.  Jacquier  était  unique  pour  les  vivres,  Saint-Hilaire 
]>our  I*artillerie,  Chamlay  pour  les  campements.  »  (Mémoires  du  chanoine  le 
Gendre,  p.  136.  —  V.  aussi  Roussel,  Histoire  deLouvois^t.  !•',  p.  250  et  259.) 

(4)  Lionne  à  Bourlemout,  21  juin  1669.  Rome,  198.  —  «  Ce  fut,  dit  C.  Rous- 
90t  d'après  les  pièces  des  Archives  de  la  Guerre,  à  qui  solliciterait  de  faire 
parUe  de  l'expédition.  Le  nombre  des  candidats  écunduits  surpassa  de  beau- 
coup celui  des  élus.  »  (Histoire  deLouvois,  t.  l•^  p.  258.)  —L'ambassadeur  de 
Venise  rend  compte  À  la  Seigneurie  d'une  conférence  avec  les  ministres  Lionne 
et  te  Tellier,  «  chi  disse  che  la  pronta  volontà,  dimostrata  da  soldait  nelV  m- 


334  CHAPITRE    CINQUIÈME 

Vivonne  et  les  galères  avaient  quitté  les  côtes  de  Provence, 
le  21  mai(l);  Bcaufort  et  les  vaisseaux  mirent  à  la  voile  le 
3  juin  (2).  En  passant  à  Gività-Vecchia,  les  Français  reçurenl 
les  meilleurs  traitements  des  officiers  pontificaux,  et  le  pape 
fut  charmé  de  tout  de  ce  qu'on  lui  raconta  de  la  beauté  des 
troupes,  de  leur  discipline  et  des  marques  de  piété  qu^elles 
donnèrent  dans  les  églises  (3).  Il  écrivit  aussitôt  de  sa  main  à 


traprendre  la  mossa  presenlfi^  riese  testimoiiio  infallihiU  délia  toro  otlima  iu- 
•lenlione  di  persevtfrare  e  di  riuscire  di  prof  fit  to  alla  publica  casa  :  vedenenf 
pattnli  rjCe/fclti  nella  regoiala  marchia,  sinora  praticala,  de/le  imppe  mede- 
sime^  cfte  avanzale  digia  in  poca  di/ttanza  dal  luoyo  deW  imbarco  non  re$tan»^ 
pur  di  un  solda  to  minorate^  non  accadute  deserzioni,  ogn*uno  vedendosi  infiopi- 
mato  perdiffesa  cosi  importante.  »  (Jeaa  Morosini,  10  avril  1669.  Filza  114.)  — 
La  correspoadnnce  d(*  Bussy-Uabutin  (édit.  Lalauoe)  reaferme  plnaieurs  let- 
tres fort  iotéressantes  d'un  officier,  M.  de  la  ProTeochère,  mouté  sur  an  de^ 
▼aisseaux  de  Beuuforl  :  eu  voici  une  qui  mérite  d'être  citée^  même  après  le^ 
pièces  inédites  qu'un  vient  de  lire  :  «  Toulon,  27  mai   1669...  Noua  sommei 
sur  le  point  de  mettre  à  la  voile  ;  toutes  les  choses  nécessaires  pour  le  voyage 
de  Candie  sont  arrivées,  après  les  avoir  si  longtemps  attendaes.  M.  de  Vivonoe 
partit  de  ce  port  avec  les  galères,  il  y  a  huit  jours;  mais,  la  nuit  saivante  du 
jour  qu'il  commença  sa  route,  il  s'éleva  un  veut  si  fâcheux  qu'il  fut  obligé  de 
relâcher  vers  les  lies  d'IIyèrcs...  Ce  qui  a  retardé  le  départ,  c'est  que  les  vi- 
vres n'étaient  pas  arrivés,  bien  que  Jacquier,  depuis  un  mois  qu'il  est  ici,  n'ait 
pas  eu  un  faraud  repos.   Les  derniers  vaisseaux  destinés  pour  les  victuailie^ 
sont  entrés  ce  matin  dans  eu  port...  Lan  ne  peut  pas  prendre  plus  de  précautions 
pour  une  affaire  (jue  celles  que  nous  voyons  prendre  pour  celle-ci.  Vous  cod- 
naissez  le  général  dont  le  mérite  satisfait  fort  les  troup<*s.   L'on  dit  qu'il  y  a 
bien  de  l'argent  et  des  ordres  pour  le  distribuer  très  honnêtement  à  c^uxqoi 
serviront  bien.  L'on  donnera  lu  subsistance  aux  officiers  et  soldats  sur  la  terre 
comme  sur  la  mer;  il  y  en  a  pour  huit  moia.  M.  de  la  Croix,  intendant,  est 
un  très  honnête  homme  et  fait  mille  offres  aux  officiers.  Il  faut  que  je  vous 
dise.  Monsieur,  que  Ton  ne  peut  voir  un  plus  beau  vaisseau  que  celui  que 
montera  M.  Tamiral  [le  Monarque,  premier  capitaine  M.  Forant,  et  second  capi- 
taine, le  chevalier  de  la  Fayette).  Il  est  percé  pour  quatre-vingts  canons,  et 
est  enrichi  par  sa  dorure  et  ses  figures  de  sculpture  de  la  valeur  de  cent  mille 
écus.  C'est  ici  sa  première  sortie  ..  L'armée  est  composée  de  six  à  sept  mille 
hommes  pour  le  moins...  Les  quatre  pavillons  de  l'amiral  sont  d'une  grandeur 
extraordinaire  :  ils  ont  été  faits  sur  le  modèle  de  celui  que  Sa  Sainteté  envoya 
à  M.  l'amiral,  qui  est  au  fond  de  damas  rouge  cramoisi,  avec  ses  armes  sou- 
tenues de  saint  Pierre  et  do  suint  Paul.  Ces  pavillons  sont  si  grands  qu'il  y  a 
pour  cinq  mille  franco  de  damas.  La  peinture  coûte  ici  cent  pistoles,  et  il  y  a 
autour  du  grand  pavillon  une  frange  d'or  qui  en  coûte  deux  cents  :  il  n'y  a 
rien  de  si  grand  que  cet  appareil.  »  (T.  1",  p.  169.) 

(1)  Lionne  à  Bourlcmont,  7  juin  1669.  Rome,  198. 

(2)  Le  même  au  même,  21  juin  1669.  Ibid, 

(3)  Bourlemont  à  Lionne,  18  juin  1669.  Ibid. 


SECOURS    DE    C4N0IE  335 

Louis  XIV,  lui  prodiguant,  avec  les  témoignages  touchants  de 
sa  joie,  ses  vœux  et  ses  bénédictions. 

Si  du  moins  ce  petit  corps  de  six  à  sept  mille  Français  avait 
eu  des  chefs  habiles  et  prudents,  il  aurait  pu  prolonger  la  lutte 
pendant  toute  l'année  1669,  et  donner  le  temps  à  Clément  IX 
de  former  cette  ligue  imposante  dont  il  poursuivait  toujours 
le  dessein.  Le  pape  désirait  qu'avant  le  débarquement  les  alliés 
concertassent  un  plan  d'action  avec  le  capitaine-général  Mo- 
rosini,  à  qui  ses  grands  talents  et  son  expérience  de  cette  guerre 
auraient  dû  assurer  une  autorité  décisive.  C'est  après  l'avoir 
consulté  que  le  cardinal  Rospigliosi  d'abord,  et  ensuite  le  pape, 
dans  une  lettre  autographe  (1),  avaient  pressé  Louis  XIV  de 
prescrire  une  descente  à  la  Canée,  mal  défendue  parles  Turcs, 
et  d'intercepter  les  renforts  envoyés  aux  assiégeants  :  cette 
diversion  aurait  en  outre  procuré  aux  assiégés  le  répit  dont 
ils  avaient  besoin  pour  rebâtir  une  partie  do  leurs  murailles 
et  se  préparer  à  d'autres  assauts.  Le  roi  fît  simplement  répondre 
que  l'attaque  de  la  Canée  était  d'une  exécution  difficile,  mais 
quïl  en  avait  conféré  avec  le  duc  de  Navailles,  et  que  celui-ci 
aviserait  lorsqu'il  serait  sur  les  lieux  (2).  Or,  Navailles  avait 
pris  son  parti  avant  de  quitter  les  côtes  de  France;  il  fit  mettre 
le  cap,  non  sur  la  Canée,  mais  sur  la  place  assiégée,  et  c'est 
là  qu'il  descendit,  sans  même  laisser  aux  galères  le  temps  de 
rejoindre  les  vaisseaux. 

Nous  n*avons  pas  à  raconter  en  détail  cotte  malheureuse 
campagne  :  Pellisson,  Daru  et  C.  Rousset  no  laissent 
presque  rien  à  dire  sur  les  opérations  militaires  des  Français. 
Il  nous  suffira  de  rappeler  que  les  vaisseaux  arrivèrent  en 
vue  de  Candie  le  19  juin,  et  qu'à  peine  Navailles  fut-il  entré 
en  rapport  avec  Morosini,  qu*il  sembla  prendre  à  lâche  de  com- 
battre tous  les  projets  du  général  vénitien.  Les  Français  ayant 
décidé  de  se  jeter  dans  la  ville,  les  Vénitiens  leur  conseil- 


Ci)  Le  cardinal  Hospigliosi  à  Lionne»  19  mars  1669.  —  Le  pape  au  roi,  22  mar^. 
Home,  197.  «  Ben  conoscendosi,  dit  le  pape,  dalia  sua  real  prudenza  che  la 
félicita  deir  evenlo  dipende  dai  preoenire  ed  impedire  i  soccorsi  aspellali  dal 
campo  nemico,  »  Et  il  ajouta,  d'après  le  conseil  de  Morosiui,  qu'eu  se  portant 
rapidement  sur  la  Canée,  on  s'en) parerait  de  la  clef  de  Plie. 

(2)  Lionne  au  cardinal  Rospigliosi,  26  avril  1669.  Rome,  197. 


336  CHAPITRE   CINQUIÈME 

laient  sagement  de  ne  tenter  une  action  qu'après  s^ètre  fami- 
liarisés avec  un  pays,  un  ennemi  et  des  dangers  inconnus.  Na- 
vailles,  débarqué  le  22  juin,  exigea  une  sortie  générale  pour 
le  lendemain,  croyant  que  tout  céderait  devant  lui,  et  que  les 
Turcs  allaient  aussitôt  lever  le  siège.  II  évitait  ainsi  d'être 
commandé  par  Rospigliosi,  et  ne  partagerait  avec  personne  la 
gloire  de  la  délivrance  (i  ) .  Les  vaisseaux,  favorisés  parles  vents, 
avcdent  devancé  les  galères,  qui  ne  parurent  que  dans  les  pre- 
miers jours  du  mois  de  juillet  :  comme  elles  portaient  envi- 
ron trois  mille  hommes  de  troupes  de  marine^  dont  deux  mille 
Français,  Morosini  voulait  qu'on  ajouruât  la  sortie  :  Navailles 
consentit  avec  peine  à  la  différer  jusqu'au  25  juin,  et  il  ne  sut 
même  pas  choisir  un  moment  où  l'état  de  la  mer  eût  permis 
à  l'artillerie  des  vaisseaux  de  prendre  part  à  Faction.  Les 
Français  commencèrent  par  tirer  sur  des  Allemands  auxiliaires 
qu'ils  ne  reconnaissaient  pas.  Lorsqu'ils  arrivèrent  sur  les 
tranchées^  ils  montrèrent  leur  bravoure  et  leur  furie  accou- 
tumée; mais  leur  succès  ne  dura  qu^un  instant.  La  solidité 
des  Turcs  les  étonna;  l'explosion  des  poudres  d'une  batterie 
ennemie  suffit  pour  les  mettre  en  désordre.  Nos  soldats, 
w  nouveaux  en  cette  guerre  de  Candie,  mais  remplis  de  tout 
ce  que  la  renommée  en  répandait  en  France,  ou  en  exagérait 
sur  les  lieux  )>  (2),  furent  saisis  d'une  terreur  panique,  et  leur 
déroute  fut  bientôt  complète.  Par  surcroît  de  témérité,  le  duc 
de  Beaufort  usa,  contre  Tavis  de  iNavailles,  de  la  liberté  qu  il 
avait  reçue  de  descendre  avec  les  troupes  de  marine.  11  mar- 
cha au  feu  avec  une  ardeur  chevaleresque,  mais  sans  regarder 


(1)  «  M.  de  Navailles,  par  un  faux  zèle  de  religion,  ou  par  une  avidité  d't- 
voir  seul  la  gloire  d'avoir  levé  le  siège  à  propos,  ayant  précipité  Tattaque  des 
tranclièes  des  Turcs...  »  (Note  de  M.  Rose,  secrétaire  du  cabinet  :  CEuvres  de 
Louis  XIV,  t.  V,  p.  451.) 

(2)  Pellissou,  t.  m,  p.  155.  —  La  fin  précipitée  de  la  campagne  de  Hongrie, 
en  1664,  et  la  faute  commise  par  Louis  XIV  en  réduisant  l'Empereur  à  con- 
dure  la  paix  de  Temeswar,  avaient  eu,  sous  tous  les  rapports,  des  cons^ 
quences  regrettables.  Il  résulte  des  dcpôcbes  comme  des  Mémoires  de  Colignj 
que  son  corps  d'armée,  si  bien  recruté  cependant,  aurait  eu  besoin  de  rester 
plus  longtemps  eu  face  des  Turcs,  pour  étudier  leur  tactique  et  leur  straté- 
gie. Dès  que  ses  troupes  reconnurent  Tarmée  musulmane,  il  fut  frappé  da 
trouble  où  aa  seule  vue  les  jetait.  Il  écrivit  à  Louvois  :  «  Je  trouve  à  notre 
infanterie  une  fort  grande  estime  pour  les  Turcs,  et  peut-être  plus  grande 


SECOURS    DE   CANDIE  337 

s'il  était  suivi.  M.  de  Martel  (1)  écrivit  à  Colbert  :  «  M.  de  Beau- 
fort,  qui  était  fort  avancé  sans  être  appuyé,  y  est  demeuré  sans 
que  Ton  ait  pu  savoir  de  quoi  il  était  devenu,  et  son  malheur  est 
arrivé  par  sa  précipitation,  et  qu*il  n'a  pas  été  suivi  des  siens, 
qui  Tout  abandonné.  Et  comme  je  vous  écris  fort  à  la  hâte,  je  ne 
puis  vous  faire  le  détail  de  cette  malheureuse  sortie,  sinon  que 
toutes  les  troupes  ont  très  mal  fait,  sans  en  excepter  aucune  (2).  » 
a  Dans  cet  état  de  trouble,  dit  une  autre  relation,  Msrr  l'amiral 
commanda  ses  aides  de  camp  de  porter  Tordre  pour  rétablir 
les  choses.  Les  officiers  se  mirent  en  devoir  de  lui  obéir.  Son 
Altesse  même  cria  :  Saint  Louis,  mot  de  ralliement,  et  dit  :  A 
moi,  mes  enfants,  je  suis  votre  amiral;  ralliez-vous  près  de  moi! 
Mais  la  confusion  fut  telle  qu*il  fut  impossible  d'en  venir  à  bout. 
Ne  pouvant  réussir  en  un  endroit,  il  se  porta  en  d'autres  pour 
la  même  chose  et  trouva  partout  le  même  mal.  Ne  pouvant 
encore  se  résoudre  à  se  retirer,  il  envoya  en  divers  lieux  les 

qu'il  ne  conviendrait  pour  leur  conserTation.  »  Il  fallut  recourir  aux  plus  ter- 
ribles séTérités  de  la  loi  militaire  pour  arrêter  les  désertions.  «  Je  trouve,  di- 
sait-il un  antre  jour,  les  officiers  un  peu  mélancoliques  et  chagrins.  »  —  «  Vous 
ne  sauriez,  répondait  Louvois,  rien  faire  de  plus  utile  au  service  de  S.  M.  et 
an  bien  de  la  cause  commune  que  d*ôter  de  l'esprit  des  officiers,  cavaliers  et 
soldats,  la  terreur  qu'il  semble  qu'ils  avaient  des  Turcs.  Ils  ne  sont  pas  plus 
à  craindre  que  d'antres  hommes.  »  Et,  après  que  la  petite  armée  chrétienne 
eut  remporté  une  victoire  longtemps  incertaine,  Coligny  écrivit  au  ministre 
le  TeUier  :  «  Je  voudrais  bien  qu'on  nous  laissât  aguerrir  encore  une  couple 
(Tannéeij'AÛaf  après  cela,  de  ne  trouver  jamais  d'ennemis  devant  nous  que 
nous  n'exterminassions  ;  car  qui  bat  le  Turc  en  peut  bien  battre  d'autres,  et 
qaand  ce  ne  serait  qu'on  accoutume  la  vue  à  une  effroyable  multitude  et  que  les 
armôes  chrétiennes  ne  nous  paraîtront  plus  que  des  partis  envoyés  à  la  guerre.  >» 
Au  moment  où  cette  dépêche  parvenait  au  roi,  et  comme  pour  en  démontrer 
rexactitude,  échouait  misérablement  l'expédilion  de  Gigeri  sur  la  côte  barba- 
resqae,  où  Louis  XIV,  à  l'instigation  de  Colbert,  avait  voulu  fonder  un  éta- 
blissement français.  La  descente  s'était  heureusement  opérée,  et  Louis  XIV  en 
avait  informé  Coligny  en  toute  hâte,  pour  rendre  la  confiance  à  ses  troupes  : 
u  Je  vous  donne  nouvelle,  disait-il,  que  M.  de  Beaufort  a  fait  sa  descente  à 
Gigeri,  dont  il  s'est  rendu  maître  après  quelque  combat;  je  crois  que  ce  bon 
succès  ne  fera  pas  un  mauvais  effet  parmi  les  troupes  que  vous  commandez, 
puisquHi  confirme  que  les  Turcs  sont  faits  comme  d'autres  hommes.  »  Mais  bien- 
tôt les  difficultés  d'un  nouveau  genre  de  guerre  découragèrent  les  soldats,  et 
commencèrent  le  désastre,  qui  fut  achevé  par  les  divisions  des  chefs.  (Rousset, 
Histoire  de  Louvois,  t.  !•%  p.  44  à  65.  —  Œuvres  de  Louis  XJV,i,  V,  p.  210.) 

(1)  Lieutenant  général  des  armées  du  roi,  remplissant  les  fonctions  de  vice- 
amiral. 

(2)  4  Juillet  1669.  Archives  de  la  Marine^  1669. 

Locn  XIV  rr  li  f»A«NT-»rè(»B.  —  H.  22 


338  CHAPITRE  a5C*C1ÈXE 

officiers  qui  étaient  près  de  lui,  pensant,  toujours  par  soi 
exemple  et  par  ses  ordres,  remettre  le  cœur  aux  fuyards  ;  mais 
l'épouvante  fut  si  universelle  et  si  extraordinaire  que  ses  efforts 
furent  vains.  On  plia  de  toute  part  en  même  temps  (i).  »  Aucoa 
autre  récit,  à  notre  connaissance  du  moius,  ne  rapporte  le  cri  de 
ralliement  poussé  par  Beaufort  dans  son  dernier  combat.  Des 
historiens  ont  choisi  ce  moment  pour  le  traiter d'areii/tfrt^/  (3). 
Quelles  qu'aient  été  les  fautes  de  sa  vie,  n'oublions  pas  qa'il 
est  mort  en  combattant  pour  la  chrétienté,  et  en  invoquant  le 
nom  du  saint  roi  dont  le  sang  coulait  dans  ses  veines  :  qne 
ce  grand  nom  protège  sa  mémoire! 

Quelques  jours  avant  ce  désastre,  Louis  XIV  donnant  au- 
dience à  Jean  Morosini,  lui  disait  sorridendo  :  «  Monsieur 
l'ambassadeur,  je  vous  ajourne  à  bientôt  pour  venir  m^annon- 
cer,  avec  un  visage  joyeux  et  riant,  Theureuse  nouvelle  d*une 
grande  victoire  remportée  sur  les  Turcs  par  Tarmée  chrétienne; 
et  je  vous  assure  que  ni  vous,  ni  la  République,  ne  vous  en 
réjouirez  plus  que  moi-même,  non  seulement  pour  la  gloire 
qu'auront  acquise  mes  armes,  mais  pour  l'avantage  qaen 
recueillera  toute  la  chrétienté  et  en  particulier  la  république 
de  Venise  (3).  »  La  première  fois  que  Lionne  revit  ce  ministre, 
il  lui  dit  coTi  amarezza  :  «  Je  suis  obligé  de  vous  dire  réellement 
que  les  troupes  de  Sa  Majesté  n'ont  pas  répondu  à  son  attente, 
ne  se  sont  pas  conduites  avec  leur  courage  accoutumé,  en  un 
mot,  pour  parler  sans  phrase,  n'ont  rien  fait  qui  vaille  (4).  »  Le 
roi  lui  tint  le  même  langage  ;  et  à  sa  demande  d'autres  renforts 
il  répondit  qu'il  comptait  que  Candie  tiendrait  jusqu'au  prin- 
temps; que  Navaillcs  reviendrait  sans  doute  prendre  ses  quar- 
tiers d'hiver  en  France,  selon  la  coutume  de  la  nation,  mais 
qu'on  allait  se  préparer  à  quelque  chose  de  plus  considérable  et 
de  plus  efficace  pour  la  campagne  suivante  (5). 

(1)  Archives  de  la  Marine,  ibid. 

(2)  Henri  Martin,  Histoire  de  France^  t.  XIII,  p.  363.  —  Noas  regrettons  qoe 
C.  IlouBset  tienne  le  môme  langage  que  H.  Martin  :  «  Le  duc  de  Beaufort 
avait  voulu  combattre  en  aventurier;  il  périt  en  aventurier  »  (p.  263). 

(3)  Jean  Morosini,  12  juin  1669.  Fdza  144. 

(4)  Le  même,  29  août  1669.  —  Ibid,  u...  In  sommo,  per  dirlo  senza  fraie, 
non  hanno  operato  niente  che  vagli.  » 

(5)  «  M'averto  precisameute  che  se  le  ^egoziati  délia  pace  non  si  stabilisconoi 


SECOURS   DE   CâNDIË  339 

Le  pape,  informé  de  révéaement  avant  le  roi,  avait  versé 
des  larmes  (1).  Louis  XIV  voulut  le  rassurer  sans  retard 
sur  ses  dispositions  :  il  commençait  à  comprendre  qu'il  n'a- 
vait pas  mesuré  toutes  les  difficultés  de  Tentreprise.  Lionne 
écrivit  au  cardinal  Rospigliosi  :  «  Il  faut  se  tourner  du  côté 
de  Dieu  et  de  notre  saint-père,  en  considérant  qu'ils  ont 
sacrifié  leur  vie  pour  la  défense  de  la  foi  et  sous  les  étendards 
de  Sa  Sainteté,  pour  trouver  quelque  matière  de  consolation... 
Le  roi  néanmoins,  ayant  toujours  en  vue  la  considération 
de  Sa  Béatitude  et  ses  plus  ardents  désirs,  ne  relâche  rien 
de  sa  première  Ferveur  à  sauver  ce  boulevard  de  la  chré- 
tienté, soit  en  continuant  à  sacrifier^  s'il  en  est  besoin,  le 
reste  de  son  armée,  soit,  quand  elle-même  sera  toute  périe, 
en  songeant  dès  à  présent  à  lui  substituer  d'autres  troupes 
et  un  nouveau  chef  au  commencement  de  Thivcr,  ainsi  que 
Votre  Eminence  le  pourra  plus  particulièrement  apprendre 
des  lettres  de  M.  le  nonce.  »  Le  même  ministre  invita  Bourle- 
mont  à  instruire  le  pape  des  préparatifs  comntencés  (2)  :  «  Le 
roi,  disait-il,  ayant  su  la  disposition  où  était  M.  le  maréchal 
de  Bellefonds  d'offrir  de  nouveau  au  pape  sa  personne  et  son 
service  pour  aller  commander  en  Candie  les  troupes  que  Sa 
Sainteté  pourrait  résoudre  d'y  envoyer,  au  commencement  de 
rhiver,  pour  être  substituées  au  corps  que  commande  M.  le 
M.  le  duc  de  Navailles  quand  il  s'en  reviendra,  suivant  la  pro- 
messe que  Sa  Majesté  fit  à  tous  les  officiers  de  les  retirer  en 
ce  temps-là,  lorsqu'il  fut  question  de  les  engager  à  cette  ex- 
pédition, Sa  Majesté  a  non  seulement  agréé  et  loué  cet  effet 
du  zèle  du  maréchal  et  trouvé  bon  qu'il  en  fit  la  proposition 
à  M.  le  nonce,  lequel  en  aura  donné  part  à  Rome;  mais 
elle  s'est  déclarée  qu'elle  voulait  épargner  à  Sa  Sainteté 
et  au  saint-siège  la  plus  grande  partie  de  cette  dépense,  et  la 
peine  et  l'incommodité  d'avoir  à  fournir  tout  le  nouveau  corps 
de  troupes  qui  devra  été  envoyé,  Sa  Majesté  ayant  résolu  et 

e  che  la  piaxza  reâistl  (corne  spera)  fino  al  primo  tempo,  8i  disporra  la  Maestà 
Sua  di  fare  cosa  più  considerabile  e  di  peso  maggiorc  Tanoo  veniente.  » 

(1)  Il  pleura  c  comme  un  enfant»,  écrivait  l'abbé  de  Bonfils  à  Lionne, 9  août 
iM9.  Rome,  199. 

(2)  20,  30  et  31  août.  R(me,  199. 


340  CHAPITRE   CniQUlÈME 

déjà  ordonaé  une  levée  de  quinze  cents  hommes  effectifs  dans 
son  royaume,  qui  se  fait  à  ses  dépens,  et  qu*elle  fait  état  de 
payer  et  d'entretenir  pendant  six  mois;  dont  ledit  sieur  nonce 
et  M.  l'ambassadeur  de  Venise  lui  ont  témoigné  que  le  pape 
et  la  République  lui  auraient  une  extrême  satisfaction^  et  que 
c*élait  la  meilleure  nouvelle  qu*ils  pussent  écrire  à  leurs  mû- 
très.  » 

Pourquoi  Louis  XIY  n'avait-il  pas  réuni  tous  ces  petits  corps 
en  une  puissante  armée  sous  la  conduite  de  Turenne  ou  de 
ses  meilleurs  lieutenants?  Mais  son  zèle,  quoique  tardif^  pa- 
rait avoir  été  sincère  :  dès  le  7  août,  avant  de  connaître  la 
perte  de  Beauforl,  il  avait  prescrit  au  chevalier  de  Valbelle  de 
partir,  à  la  tète  d'une  escadre,  «  pour  fortifier,  disait-il,  mon 
armée  navale  qui  est  à  présent  en  Candie,  y  porter  des  muni- 
tions de  guerre  et  rafraîchissements,  et  faire  en  même  temps 
la  guerre  aux  corsaires  d'Alger,  Tunis  et  Tripoli  (1).  »  Au 
premier  avis  de  la  mort  de  Tamiral,  il  pressa  Valbelle  de  re- 
joindre Vivonne,  qui  avait  pris  le  commandement;  et,  pres- 
crivant à  ce  dernier  de  ne  faire  revenir  ses  galères  qu'avec 
celles  du  pape  pour  rhivernage,  il  lui  annonça  Tonvoi  d'une 
seconde  escadre  de  ravitaillement,  qui  serait  prèle  au  com- 
mencement d'octobre,  sous  les  ordres  du  capitaine  d' Aimeras: 
les  vaisseaux,  qui  portaient  déjà  des  vivres  pour  subsister 
jusqu'au  15  novembre,  allaient  en  recevoir  un  mois  de  plus, 
en  argent;  et  la  dépêche  royale  se  terminait  par  ces  paroles 
qui  n'expriment  nullement  la  pensée  que  la  campagne  touche 
à  sa  fin  :  Donnez  mes  troupes  de  marine,  quand  le  duc  de 
Navailles  les  demandera,  mais  ne  descendez  pas  à  terre,  «  vou- 
lant que  vous  vous  appliquiez  uniquement,  comme  je  suis  as- 
suré que  vous  aurez  fait,  à  faire  sentir  aux  Turcs  la  force  de 
mes  vaisseaux  et  de  mes  galères  jointes  ensemble  par  le  feu 
de  mon  artillerie;  espérant  que  vous  les  aurez  obligés  d'aban- 
donner leur  tranchées,  et  qu'avec  l'assistance  divine  et  la  jus- 

(!)  Commission  du  chevalier  de  ValbeUe,  7  août  1669.  —  Môme  jour,  Instruc- 
tions au  même  :  Aller  à  Malte,  «  d*où  il  s'en  ira  droit  en  Candie,  où  il  exécu- 
tera les  ordres  qui  lui  seront  donnés  par  M.  le  duc  de  Beau  fort,  tant  pour  le 
débarquement  de  tout  ce  qu'U  aura  porté,  que  pour  tout  ce  qu'il  aura  à  faire 
pendant  le  reste  de  la  campagne.  »  (Ordres  du  roi  pour  la  Marine^  1669.) 


À 


SECOURS    DE   CANDIE  341 

tice  de  mes  armes  vous  aurez  remporté  quelque  considérable 
avantage  sur  eux...  {{).  » 

Que  faisaient  cependant  Navailles  et  Vivonne  pour  réparer 
le  malheur  du  25  juin?  La  campagne  n*était  pas  perdue  si  les 
Français  avaient  reconnu  leur  faute.  La  funeste  sortie  leur 
avait  coûté,  il  est  vrai,  deux  cent  cinquante  (2)  officiers  tués 
ou  blessés,  mais  ils  ne  comptaient  que  cent  soixante  soldats 
mis  hors  de  combat.  Les  galères  avaient  amené  deux  mille 
hommes  qui  ne  furent  pas  mieux  employés  que  le  reste;  et  Vi- 
vonne, qui  succéda  au  duc,  ne  s*ententendit  pas  mieux  avec 
Rospigliosi  que  Navailles  avec  Morosini,  Aucun  effort  sérieux 
ne  fut  fait  pour  relever  l'esprit  des  troupes,  ni  pour  les  aguer- 
rir, et  la  plupart  des  officiers  passaient  leur  temps  à  dénigrer 
les  Vénitiens,  à  leur  reprocher  la  détresse  où  les  avaient  ré- 
duits vingt  années  de  siège!  A  les  entendre,  on  leur  avait 
dissimulé  l'état  réel  de  Candie,  comme  si  la  Feuillade  (3) 
et  ses  volontaires  n'avaient  pas  récemment  constaté  de  leurs 
yeux  et  révélé  au  roi  et  à  toute  la  France  les  misères  des 
Candiotes  et  la  destruction  si  avancée  de  leur  ville!  Refusant, 
malgré  les  incessantes  prières  de  Morosini  et  de  Saint-André 
Montbrun,  d'opérer  une  diversion  sur  un  point  quelconque  de 
l'île,  les  Français  attirèrent  autour  de  la  place  toute  l'armée 
du  grand  vizir,  tous  les  renforts  qu'elle  recevait,  et  ne  surent 
rien  faire  pour  l'éloigner  ni  la  disperser.  Ils  ne  tentèrent  au- 
cune action  importante  jusqu'au  24  juillet.  Ce  jour-là  ils  firent 
canonnerle  camp  turc  par  toute  la  flotte;  mais,  comme  le  dit 
Pcllisson,  qui  écrivait  sous  les  regards  du  roi,  et  qui  avait  en- 
tendu des  témoins  oculaires,  «  ce  fut  une  voix  unanime  qu'il 
n'y  avait  pas  de  temps  moins  favorable  pour  attaquer.  »  L'ar- 
tillerie n'atteignait  point  les  infidèles,  parfaitement  bien  abri- 
tés par  des  ouvrages  déterre;  mais  elle  portait  jusqu'aux  for- 
tifications de  la  ville  dont  elle  élargit  les  brèches  (4)  !  En  même 


(1)  21  août  1669.  Ordres  du  roi  pour  la  Marine,  1669. 

(2)  D'autre»  relations  portent  350;  je  crois  que  le  chiffre  vrai  est  250. 

(3)  c  Le  duc  de  Roannës  en  particulier  faisait  consister  un  des  plus  grands 
fruits  de  son  voyage  à  pouvoir  rapporter  au  roi  pendant  i*hiver  le  Téritable 
état  de  la  place.  »  (Pellisson,  t.  H1,  p.  119.) 

\k)  H  Ceux  de  la  ville  avaient  déjà  fait  connaître  plusieurs  fois  par  leur  si- 


342  CHAPITRE  r.iNonfeME 

liMiips  im  incondio  s'élant  décKinî  à  bord  do  la  Thvrèsp,  ce 
vaisseau  di»  cinqiianto-qiialro  canons  saula  en  l'air  avec  son 
capitaine  cl  quatre  cents  hommes;  ses  éclats  mirent  dans  le 
phis  i^rand  péril  la  £;^alèrc  réale,  blessèrent  Vivoiine  avec  tous 
ses  officiers  et  firent  encore  anlourde  lui  un  grand  nombre  <ie 
victimes.  C'est  Xavailles  qui  avait  fait  décider  cette  tentative 
dans  un  conseil  de  guerre,  contre  les  avis  du  bailli  Hospigliosi 
et  de  Vivonne  lui-m«>me.  Bourlemonl  écrivît  à  Lionne  1)  : 
u  Sa  Sainteté  nie  dit  aussi  que  le  bailli  Uospitîliosi,  général  de 
sainte  Église,  ni  M.  de  Vivonne  n'avaient  [)as  été  île  l'avis 
de  l'entreprise  qui  s'était  failf  peu  à  propos  do  canonner  le 
camp  des  Turcs,  et  qu'ils  ne  s'étaient  résolus  à  cela  que  par 
la  pluralité  des  voix  des  autres  chefs  généraux  qui  obstiné- 
ment l'avaient  voulu;  qu'enfin,  dedans  cette  entreprise.  les 
chrétiens  avaient  canonné  de  la  terre  et  des  retranchements 
d'un  camp,  pendant  que  les  Turcs  canonnaient  des  hommes  cl 
des  vaisseaux  à  découvert.  » 

Un  mois  ne  s'était  pas  écoulé,  et.  dès  le  20  août,  au  déses- 
poir des  Vénitiens,  à  la  suri)rise  de  IduI  le  monde,  le  duc  de 
Navailles  ordonnait  le  rembarquement  des  troupes.  J)ans  la 
nuit  du  ÎM  août  au  ^*"'  septembre,  il  reprit  la  roule  de  France 
avec  les  vaisseaux  sous  le  commandement  de  Martel.  Celle 
détermination  de  Navailles,  suivie  de  la  capitulation  do  Can- 
die, excita  dans  toute  TKurope  ime  vive  émotion;  elle  fut  de- 
savouée par  Louis  XIV,  qui  défendit  au  duc  de  se  présenter 
devant  lui  elle  tint  en  exil  pendant  trois  années.  On  s'est  sou- 
vent demandé  si  le  mécontenlemeut  du  roi  était  injuste  ou 
mérité,  et  même  s'il  était  réel  ou  simulé.  Houssel  pense 
que  la  disgnlce  de  Xavailles  esl  «  une  comédie  d'intrigue  où 
le  personnage  de  Louis  XIV  ih»  se  dislingue  pas  assez  j)eul- 
élre  par  la  suite  des  idées  ni  par  la  fermeté  du  caractère  (2).  » 
Le  roi,  dit-il,  ««  circonvenu,  obsédé,  forcé...,  avo!iail  en  confi- 
dence "  son  général,  dont  le  sacrilico  ne  fut  obtenu  que  par 

1a  cabale  vénitienne,...  le  nonce  et  l'ambassafleur  de  Venise, 

....  .'*■-'  .-anon  lie  l'armée  navale,  portant  tn'a  souvent  ^ians  leure  muraille?. 
•fc*4Î  *.-î.^"*  *^"  plu*  de  mal  qu'à  l\'nriemi.  »  (Pellissou,  p.  163.) 
.-  J.^»;î^^^•  Kowe,  199. 
icit/».-.-  Àr  \  ^'f'oix,  t.  l".  p.  268  et  aniv. 


SECOURS    DE    CANDIE  343 

tous  les  envieux,  tous  les  rivaux,  tous  les  esprits  chagrins,  tous 
les  critiques  de  cour  (1).  »  Les  pièces  connues  avant  la  publi- 
cation de  V Histoire  de  Louvois,  et  celles  qui  ont  paru  pour  la 
première  fois  dans  ce  livre,  auraient  dû,  ce  semble,  conduire 
Tauleur  à  des  conclusions  différentes.  Des  preuves  nouvelles 
et  catégoriques  permettent  aujourd'hui  d'affirmer  que,  si 
Louis  XIV  commit  la  faute  d'envoyer  en  Candie  des  troupes 
trop  peu  nombreuses  et  de  leur  choisir  un  général  incapable^ 
Je  duc  deNavailles  ne  peut  être  disculpé  d'avoir  abandonné  la 
ville  contrairement  à  ses  instructions,  et  rendu  la  capitulation 
inévitable. 

Personne  en  France,  dit  C.  Rousset,  «  si  ce  n'est  Louvois 
peut-être,  ne  s'attendait  à  un  si  prompt  retour  (2)  »,  et  le  même 
historien  invoque,  pour  justifier  Navailles,  un  passage  de  son 
instruction  lui  laissant  la  liberté  de  revenir,  «  en  cas  que  la 
place  fût  réduite  à  pouvoir  être  emportée  d'assaut,  et  qu'il  n'y 
eût  aucune  apparence  que  le  nombre  d'hommes  qui  serait 
dedans  pût  résister  à  ceux  qui  l'attaqueraient.  »  Il  semble,  d'a- 
près ce  plaidoyer  un  peu  confus,  que  la  mission  donnée  au  duc 
fût  vague  et  obscure,  et  qu'on  eût  préparé  à  ses  fautes  l'excuse 
trop  complaisante  d'un  malentendu.  Loin  de  là,  les  ordres  regus 
par  Navailles  étaient  fort  clairs;  et,  comme  ils  étaient  visés  et 
cités  dans  l'instruction  de  Beaufort,  leur  interprétation  ne  pou- 
vait être  incertaine.  Ils  prévoyaient  deux  hypothèses  :  si,  à  l'ar- 
rivée des  Français,  Candie  n'était  plus  tenable,  l'armée  devait, 
sans  même  débarquer,  repasser  aussitôt  en  Provence.  Si  la 
place  était  encore  en  état  de  résister,  les  troupes  du  roi  de- 
vaient être  mises  à  terre,  et  rombarquées  seulement  lorsque, 
malgré  leur  présence  et  leur  concours,  il  y  aurait  imminence 
d'un  assaut  certainement  victorieux,  ou  capitulation  déci- 
dée. Or,  le  duc  de  Navailles  n'était  dans  aucun  de  ces  deux 
cas,  lorsqu'il  ordonna  le  départ.  Voici  le  texte  de  son  instruc- 
tion :  «...  Que  si  la  place  était  réduite  à  une  telle  extrémité 
que  le  débarquement  des  troupes  de  Sa  Majesté  ne  put  en 
faire  différer  la  prise  que  de  quelques  jours,  ou  qu'elle  courût 


(1)  Page»  272  et  273. 

(2)  Page  2G8. 


344  CHAPITRE   aNQUIÈME 

risque  d*ètre  emportée  d'assaut.  Sa  Majesté  ne  désire  pas  que 
le  duc  de  Navailles  fasse  débarquer  les  troupes,  mais  bien 
qu'il  demande  au  duc  de  Beaufort  de  les  faire  repasser  ei 
Provence  ;  et  afin  que  cette  retraite  puisse  être  bien  reçue  pv 
toute  l'Europe  et  particulièrement  de  Sa  Sainteté,  sous  Tétei- 
dard  de  laquelle  doit  agir  le  secours  que  sa  Majesté  envoie 
en  Candie,  le  duc  de  Navailles  observera  d'appeler  à  la  visite 
qu*il  fera  de  la  place  tant  les  officiers  commandant  les  troupes 
de  Sa  Sainteté  que  de  la  religion  de  Malte,  et,  s'il  se  peut,  le 
général  des  galères  du  pape  et  de  celles  de  Malte,  s'ils  se  trou- 
vent sur  les  lieux...  Que  si  le  duc  trouve  la  place  en  étatde 
tirer  avantage  du  secours  que  Sa  Majesté  y  envoie,  elle  désire 
qu'il  concerte  avec  le  capitaine-général,  ou  celui  qui  se  trou- 
vera commander  en  Candie,  les  postes  que  les  troupes  deS& 
Majesté  devront  occuper...  »  Si  les  Turcs  lèvent  le  siège,  les 
troupes  françaises  ne  devront  partir  qu'après  que  les  ouvrages 
des  assiégeants  auront  été  détruits,  les  brèches  de  la  ville  répa- 
rées, et  les  dehors  rétablis.  «...  Que  si  tous  les  secours  que 
Ton  envoie  eu  la  place  n'empêchaient  pas  les  Vénitiens  de 
prendre  la  résolution  de  capituler,  dès  le  même  moment  que 
le  duc  en  aura  avis,  Sa  Majesté  désire  qu'il  fasse  rembarquer 
ses  troupes;  qu'il  en  use  aussi  de  même  en  cas  que  la  place 
fût  réduite  à  pouvoir  être  emportée  d'assaut,  et  qu'il  n'y  eût 
aucune  apparence  que  le  nombre  d'hommes  qui  serait  dedans 
put  résister  à  ceux  qui  l'attaqueraient.  Que  si  les  Turcs  s'obs- 
tinaient  à  continuer  le  siège  et  à  demeurer  dans  leurs  postes 
sans  faire  des  progrès  considérables,  t intention  de  Sa  Majesté 
est  que  le  duc  fen  infof^me  promptement,  afin  que,  sur  les  avis 
quil  lui  en  donnera^  elle  lui  fasse  savoir  ce  quil  aura  à  faire 
soit  pour  le  plus  long  séjour  des  troupes  e?i  Candie,  soit  pour 
leur  retour  dans  le  royaume.,,  »,  les  vaisseaux  emportant  de 
quoi  «  les  payer  et  faire  subsister  pendant  six  mois  »  (1).  C'est 
précisément  cette  dernière  hypothèse  qui  s'était  réalisée  quand 
Navailles  se  retira  précipitamment. 

D'un  autre  côté,  le  roi  disait  expressément,  dans  l'instruc- 
tion de  Beaufort  :  «  En  cas  qu'après  que  le  duc  de  Navailles 

(t)  2  avril  1669.  Archives  de  la  Guerre,  vol.  238. 


SECOURS  DE  c^ndIe  345 

aura  reconnu  Tétat  auquel  sera  la  place  de  Candie  lorsque 
Tarmée  de  Sa  Majesté  y  arrivera,  il  estimera  qu'elle  ne  fût  plus 
en  état  d'être  secourue,  et  qu'il  fût  d'avis  de  repasser  les  troupes 
en  France,  Sa  Majesté  veut  qu'en  ce  cas  le  duc  de  Beaufort 
suive  l'avis  du  duc  de  Navailles,  et  qu'il  reprenne  la  roule  de 
Franceavec  toutes  les  troupes  qui  serontsur  lesvaisseaux(l).» 
Mais  si  Navailles  entreprend  la  défense  de  Candie,  il  ne  peut 
repartir  pour  la  France  que  :  «  soit  en  cas  que  les  Turcs  soient 
chassés  et  que  le  siège  soit  levé  et  la  place  en  sûreté^  soit  en  cas 
(T accidents  co7itraires,  ou  que  la  place  soit  prise  par  composi- 
tion ou  par  force  (2).  » 

Si  Louis  XIV  avait  entendu  laisser  au  duc  de  Navailles  une 
liberté  absolue,  on  ne  s'expliquerait  pas  que  le  premier  avis 
du  retour  eût  excité  à  un  si  haut  point  l'étonnemcnt  et  l'indi- 
gnation. La  note  précieuse  du  président  Rose,  dont  nous  avons 
extrait  déjà  quelques  mots,  peint  à  merveille  le  trouble  véri- 
table où  cette  nouvelle  jeta  le  roi  et  les  ministres  (3)  :  «  Le 
roi  la  reçut  à  Châtres-sous-Montlhéry;  il  en  fut  extrêmement 
surpris,  mais  il  ne  prit  aucune  résolution  jusqu'à  son  arrivée 
à  Chambord,  où  il  allait  passer  une  partie  de  l'automne,  et  où 
le  nonce  et  l'ambassadeur  de  Venise  lui  écrivirent.  Il  est  cer- 
tain qu'à  l'époque  où  le  roi  leur  répondit,  il  aurait  fallu  que 
M.  de  Navailles  alléguât  des  raisons  sans  réplique  pour  justi- 
fier sa  conduite...  Il  y  eut  un  des  ministres,  car  ils  étaient 
demeurés  à  Paris,  qui  conseillait  au  roi  par  ses  dépêches  de 
faire  arrêter  M.  de  Navailles  au  port  de  Toulon  et  de  l'envoyer 
sous  bonne  garde  au  pape,  pour  en  faire  telle  justice  qu'il  lui 
plairait  :  c'était  l'avis  de  M.  de  Lionne.  Mais  M.  le  Tel  lier 
para  le  coup^  remontrant  de  quelle  conséquence  il  serait  de 
soumettre  les  sujets  du  roi,  et  même  ceux  de  cette  qualité,  à 
la  juridiction  du  pape...  »  Lionne  écrit  en  toute  hâte  au  cardi- 
nal Rospigliosi  (4)  qu'il  obéit  à  un  ordre  venu  de  Chambord 
en  expédiant  au  pape  un  courrier  extraordinaire,  avec  une 
lettre  de  la  main  du  roi,  pour  exprimer  ses  sentiments  sur  «  la 

(1)  30  mars  1669.  Ordres  du  roi  pour  La  Marine,  1669. 

(2)  Ibid. 

(3)  Œuvres  de  Louis  XIV,  t.  V,  p.  451. 

(4)  25  septembre  1669.  Home,  200. 


346  CHAPITRE   ailQUlÈME 

nouvelle'si  imprévue  qu'il  a  reçue  du  retour  de  M.  le  duc  de 
Navailles  et  des  troupes  qu'il  commande^  et  la  résolution  que 
Sa  Majesté  a  aussitôt  prise  de  faire  de  nouveaux  efforts  pour 
le  secours  de  la  Candie...  Selon  toutes  les  relations  qui  me 
viennent  de  Cbambord,  ajoute  Lionne,  il  y  a  plus  de  dix  ans 
que  Sa  Majesté  n'a  ressenti  un  si  cuisant  déplaisir  que  celai 
que  lui  a  causé  la  nouvelle  si  surprenante  du  retour  de  ses 
armées  de  terre  et  de  mer  dans  les  ports  de  Provence,  lors- 
qu'elle venait  d'envoyer  un  nouvel  ordre  à  M.  de  Navailles  de 
demeurer  dans  la  place  assiégée  jusqu'au  20  de  novembre.  Ce 
duc  a  néanmoins  tant  de  prudence  et  de  zèle  pour  la  religion, 
et  acquis  d'ailleurs  tant  d'estime  par  sa  valeur,  qu*il  est  à  croire 
qu'il  donnera  à  Sa  Majesté  de  bonnes  raisons  pour  justifier  qu  il 
n'en  a  pu  ou  dû  user  autrement  qu*il  a  fait,  et,  s'il  ne  le  faisait 
pas,  je  ne  doute  point  que  Sa  Majesté  ne  lui  en  témoignât  un 
ressentiment  extraordinaire.  » 

Le  duc  de  Navailles,  qui  essaie  de  se  justifier  dans  sesMé- 
moireSy  se  garde  bien  d'invoquer  les  termes  de  son  instruction. 
II  se  plaint  de  la  diminution  de  son  effectif  par  le  feu  de  Ten- 
nemi  ou  par  les  maladies  :  il  prétend  à  la  fois  qu'il  n'avait  plus 
que  deux  mille  cinq  cents  combattants  (1)  et  qu'il  était  me- 
nacé de  manquer  de  vivres.  Il  semble  que,  s'il  avait  moins  de 
bouches  à  nourrir,  ses  magasins  devaient  suffire  pour  un  plus 
long  délai.  «  M.  de  Vivonne,  dit-il,  me  faisait  avertir  tous  les 
jours  que  les  vivres  diminuaient  sans  que  Ton  en  pût  trouver 
ailleurs,  et  que  l'armée  navale,  aussi  bien  que  celle  de  terre, 
était  en  danger  de  périr  si  on  demeurait  plus  longtemps  (2).  » 
Mais  aucune  de  ces  allégations  n'était  exacte,  ni  même  vrai- 
semblable. Au  grand  scandale  de  l'administration  militaire,  il 
ramena  quasi  autant  d'hommes  valides  qu'il  en  avait  embar- 
qué; les  vaisseaux  avaient  en  abondance  des  vivres,  des  mu- 

(1)  C'cet  aussi  le  chiffre  donné  par  Pellisson,  t.  UI,  p.  165.  —  Camille 
Roussel  cite  un  rapport  de  Navailles  au  roi,  du  20  août,  où  il  disait  :  a  J'ai  fait 
faire  une  revue  des  troupes  qui  nous  restent;  j'ai  trouvé  trois  mille  hommei 
en  état  de  servir,  quinze  cents  blessés  ou  malades;  le  reste  a  été  tué.  »  (P.  267.) 
Mais  le  5  octobre,  Navailles  annonce  au  roi  avec  complaisance  qu'il  lui  ramèoe 
plus  de  quatre  mille  hommes  d'excellentes  troupes  qui  sont  en  étal  de  lui  rendre 
de  trts  bons  services  ! 

(2)  Page  162. 


SFXOURS    DE  CANDIE  347 

nitions  et  de  l'argent;  et,  peu  de  jours  après  leur  départ  de 
Candie,  l'escadre  de  Valbelle  y  était  arrivée,  portant  à  Na- 
vailles  un  mois  d'approvisionnements  qui,  d'après  les  calculs 
du  roi,  devaient  lui  permettre  de  rester  dans  la  ville  au  moins 
fusquau  13  ou  au  20  novembre  (1).  Le  1"  octobre,  quand  le 

(1)  Le  duc  avait  reocootré  Valbelle  dans  les  environ  de  Malte.  Le  21  et 
le  27  septembre,  Colbcrt  écrivait  à  M.  d'Infreville,  intendant  de  la  marine  à 
Toulon  :  «  Le  retour  de  l'armée  vous  va  donner  de  roccupation,  mais  il  faut 
redoubler  votre  vigilance  et  votre  application  pour  en  bien  sortir,  et  pour  en 
faire  le  désarmement,  en  sorte  que  le  tout  se  passe  pour  le  plus  grand  avan- 
tage du  service  de  Sa  Majesté...  Il  est  surtout  nécessaire  que  vous  fassiez  exac- 
tement vérifier  combien  de  vivres  il  restera  aux  capitaines^  lors  de  leur  arrivée, 
d'autant  qu'ils  ont  dit  en  Candie  qu'ils  n'en  avaient  que  jusqu'au  dernier  oc- 
tobre, et  vous  savez  qu'ils  en  ont  pris  pour  sept  mois  gui  n'ont  commencé  quau 
15  d'avril,  et  que  les  capitaines  en  embarquent  toujours  plus  qu'il  ne  leur  en 
faut:  que  leurs  équipages  sont  rarement  complets,  et  qu'il  en  périt  toujours 
soit  par  la  désertion,  soit  par  la  mort,  en  sorte  que  vraii«emblablement  ils  en 
avaient  pour  le  moins  pour  un  mois  davantage;  c'est  ce  que  vous  devez  véri- 
fier avec  application.  »  —  «<  Le  fonds  des  vaisseaux  de  l'armée  qui  est  en  Can- 
die, qui  ont  été  armés  eu  Levant,  est  fait  pour  sept  mois  de  vivres  et  six  mois 
de  solde  qui  ont  commencé  au  15  avril,  en  sorte  que,  s'ils  achèvent  leur  qua- 
rantaine au  15  octobre,  comme  il  y  a  beaucoup  d'apparence,  les  capitaines  de- 
vront tenir  compte  d'un  mois  de  vivres  et  seront  payés  de  toute  leur  solde.  » 
{Dépêches  de  la  Marine j  1669).  —  Les  prévisions  de  Colbert  furent  dépassées  : 
M.  d'Infreville  lui  écrivait  le  28  :  «  ...  Comme  nous  étions  ici  à  l'attente  de  l'ar- 
mée arrivant  de  Candie,  nous  vîmes  le  signal  qu'on  a  accoutumé  de  mettre  à  la 
tour  lorsqu'il  parait  des  voiles  à  la  mer.  M.  le  premier  président  et  moi  nous 
nWmes  en  chaloupe  pour  aller  au  devant  de  cinq  vaisseaux  qui  paraissaient, 
le  premier  étant  l'un  des  vaisseaux  nolisés  a  Marseille,  dans  lequel  est  M.  Jac- 
quier, qui  nous  dit  que  le  reste  de  l'armée  suivait,  et  que  le  lendemain  nous 
les  aurions  tous  à  la  rade,  comme  en  effet,  co  matin,  nous  avons  vu  entrer  dix 
ou  douze  vaisseaux,  de  trente-six  dont  cette  flotte  est  composée.  Le  sieur  Jac- 
quier a  trouvé  toutes  choses  en  bon  état  pour  les  recevoir;  et,  si  ce  qu'il  nous 
a  dit  est  vrai,  i7  nous  ramène  quasi  autant  d'hommes  comme  il  en  était  parti.  Ce 
qu'il  nous  assure  est  qu'il  y  a  cinq  mille  hommes  dont  Carmée  de  terre  est  com- 
posée, et  qu'en  cette  quantité  il  n'y  a  que  trois  cents  malades.  Il  veut  qu'il  y 
ait  plus  de  maladies  parmi  les  équipages  des  vaisseaux  que  dans  leur  infanterie. 
A  leur  débarquement,  nous  connaîtrons  mieux  la  vérité...  Ils  rentrent  avec 
sir  semaines  de  vivres  dont  ils  consommeront  trois  semaines  ou  un  mois  en 
quarantaine...  M.  de  Valbelle  n'a  point  rencontré  l'armée;  quand  il  la  saura 
partie  de  Candie,  il  pourra  revenir  et  nous  rapporter  le  mois  de  victuailles  en 
argeut  qu'il  a  embarqué.  Je  crois  qu'il  ne  fera  pas  son  retour  sans  aller  débar- 
quer les  poudres  si  Candie  en  a  encore  besoin,  de  quoi  l'on  peut  douter,  puisque 
M.  Jacquier  assure  que  cette  place  ne  peut  plus  résister  aux  ennemis  et  qu'il 
la  croit  rendue.  Chacun  vous  écrira  en  quel  état  ils  l'ont  laissée  et  en  pourront 
parler  plus  certainement  que  moi.  J*ai  appris  du  sieur  Jacquier  qu'il  nous  rap- 
porte cent  milliers  de  poudre,  de  farine,  de  grenades  et  de  charbon.  Il  me 
semble  quU  devait  laisser  ces  munitions  de  guerre  en  celte  place  qui  en  a  be- 


'm 


Il  •' 


débaraaemrnt  fa:  oc^ré.  dlnfreville  écrivii  à  I>3avois  :  h 
n^oni p*7i  7»#»;:>  C^indi^ parn*^.*<.iiu  d^  rirre*.  paisqa'ils  raj- 
p-oreût  <if  ri/,.  #/f  farina  et  auUf*  f:h'><^*  en  assez  tonne  quûk- 
tii^  an^û  hi^ft  que  àe  ^omiron.^  de  Querre.  ayant  ce-nt  millùrt 
de  poudre  oh  i/«  n  on:  poin:  lou'c^te,  for^e  grenades..,  »  D 
ajoute  «jue  M.  Jicquier  •i'r>ire  .:i:'«:n  >e  serve  rf?  ee^  fariimtl 
dey  autres  ricu*ie-  t  quil  n  rap^'jrtêes.  Xavaîlles  lui-même 
dit.  dans  ^»ii  ra:>por:  du  3  cnriMbre  2  :  c  Les  troupes  qovje 
ramène  s*jrjl  :rê?  bonne*.  p3rîicu!ièrem»?nt  l'infanlerie:  je  crois 
qu'il  y  a  pha  de  quatre  mille  h-ymmes.  f  y  a  plusieurs  blessés 
et  molade>;  eli^s  yont  <ur  un  tm  bon  pied,  et  je  crois  que  ce 
petit  corps-ia  serait  en  état  de  rendre  de  trè<  b^jns  services  à 
Voire  Majesté. 

GDmment  le  duc  de  Navailles.  malgré  les  vides  faits  dans 
sf:^  ranes  parmi  les  divers  événements  de  la  campagne,  pul- 
il  ramener  plus  de  quatre  mille  ou  même  cinq  tnillp  soldats, 
lorsque,  dans  ses  Mémo-re^.  il  réduit  son  etTectif  à  deux  mille 
cinq  ceuts  homm^<  yf'ulement?  Une  parole  de  Clément  IX  à 
l'abbé  de  Boiirlemonl  n'~>!is  a  mis  sur  la  voie.  Cet  abbé  avant 
été  chargé,  apr^s  les  éch».'Os  liu  25  juin  et  du  24  juillet,  d'an- 
noncer que  le  r«"ii  allait  envoyer  «le  nouveaux  secours,  le  pape 
demanda  troi^  chost'*;  :  1*  que  B»'llefonds  et  ses  troupes  arri- 
vassent en  Candie  avant  le  départ  de  Navailles;  2*  que  celui- 


.*  oin.  // V  ^QW'jnt  fa»  rf  co  i  •:  ':  j .'  rv  <rf  ç  </  :  U-^  /i  obligés  à  rapporter  ct;i  m  u  •:  iti  ;n  s.  ■ 
Ih'jpécttei  de  la  M'irine.  l»j»:.9.   —  Jacquier  ii'avail  pas  quiUé  la  flotte  nu  <eul  jour, 
et  peT-^ouQf'.  ne  «av.iit  mieux  que  lui  U  vérité.  Nous  aTon»  sous  les  yeux  I'ids- 
tructioudoDuée*  a  M.  Jaci^uier,  ci-ievaut  commissaire  général  «les  vivres  diui 
l'année  du  roi.  s'eu  alLtut  a  Touloii  et  eu*>aite  eo  Caoïiie  pour  faire  la  fjumi- 
nire  des  vivres  aux  troii>.'?  que  Sa  Majtîstê  fait  passer  en  cette  lle-lA,  »•  pen- 
dant le  passafje^  ie  S'^j'>ur  et  le  retour  de   l'armée.   Ce  n'est  qu'au  défaut  de* 
capitaines  que  M.   Jacquier  sVn  chargera.  ■  Quant  au   fouds  nécessaire  puur 
la  fourniture.  S.  M.  a  fait  le  fonds  de  la  subsistance  des  troupes  pour  le  trajet 
de  Provence  en  Candie  pendant  diux  7/io/<,  comme  aussi  pour  le  pain  de  mu* 
uition  pendant  trui*   mois  de  S'jjour  eu  l'ile.  sur  le  pied  de  6,500  rations  par 
jour:  elle  fera  de  plus  un  pareil  fonds  de  deux  rtwi.i  pour  le  retour.  »  (10  mars 
ir»69.  Ordres  du  roi  pour  tu  Marine.    —  Jacquier  avait,  comme  à  l'ordinaire, 
répondu  à  tous  les  désirs  du  roi  et  de  Colhert.  et  il  fut  choisi  immédiatement 
pour  remplir  le  même   oftice  dans  lu  nouvelle  expédition   préparée  sous  les 
ordres  du  maréchal  do  Bellefouds. 

(1)  Viandes  avait  aussi  le  sens  général  de  vivres. 

(2)  Archives  de  la  Guerre,  vol.  238. 


Secours  de  candie  349 

ci  déclarât  que  le  roi  permeltait  de  rester  à  ceux  qui  en  au- 
raient le  dessein;  et  3**  quilne  rembarquât  que  ceux  qu'il  avait 
amenés.  Il  avait  ét^  informé  par  le  bailli  Rospigliosi  et  par  les 
Vénitiens  que  Tappât  d'une  paie  plus  régulière  avait  attiré 
parmi  les  Français  des  soldats  et  des  matelots,  tant  de  la  gar- 
nison de  Candie  que  des  flottes  et  des  troupes  alliées  :  et  les 
correspondances  conservées  aux  Archives  de  la  Marine  justi- 
fient les  réclamations  du  souverain  pontife.  Ainsi  Navailles 
n*enlevait  pas  seulement  aux  assiégés  le  concours  des  Fran- 
çais; il  débauchait  leurs  autres  défenseurs!  11  allègue  que  la 
République  traitait  en  secret  avec  les  Turcs,  et  n'avait  plus 
dintérèt  au  salut  de  Candie^  le  reste  de  Tîle  étant  au  pouvoir 
de  Tennemi.  Mais  son  instruction  ne  lui  permettait,  en  ce  cas, 
de  revenir  qu'après  le  traité  conclu,  et  sa  présence  devait  pré- 
cisément garantir  aux  Vénitiens  des  conditions  plus  favorables, 
tandis  que  son  départ  les  laissait  à  la  merci  du  grand  vizir.  La 
France  aurait  pu  se  plaindre  sans  doute  si  Venise  avait  traité 
à  son  insu;  mais  il  est  certain  que,  dès  le  27  juillet,  la  Répu- 
blique chargea  son  ambassadeur,  Jean  Morosini,  de  porter  à 
la  connaissance  de  Louis  XIV  les  propositions  faites  par  le 
Grand  Seigneur  depuis  l'arrivée  des  flottes  alliées  devant  la 
place,  en  déclarant  néanmoins  que  le  sénat,  persistant  dans 
ses  résolutions  et  dans  ses  engagements  antérieurs,  comptait 
toujours  sur  la  puissante  protection  des  Français  (1).  Le  roi 
remercia  la  République  de  sa  confiance  et  se  réjouit  avec  elle 
de  voir  les  Turcs  persuadés  qu'il  ne  s'agissait  pas  seulement 
d'une /wr/a  francese,  mais  d'un  dessein  arrêté  de  la  défendre 
énergiquement.  L'ambassadeur  insistant  pour  que  les  Fran- 
çais restassent  à  Candie  jusqu'à  la  fin  des  négociations,  «  le 
roi  répondit  avec  bonté  que  les  instructions  données  par  son 
ordre  à  Beaufort  et  à  Navailles  portaient  de  ne  quitter  l'île 
qu'après  que  tout  serait  bien  et  solidement  établi  par  une  bonne 
paix  ou  par  une  issue  heureuse  de  la  guerre  (2).  »  Jean  Moro- 

(1)  5  août  1669.  Filza  145. 

(2)  «  Al  che  il  rè  beoigaamente  disse  oelle  istrazioni  date  per  suo  ordine  a 
Bofort  e  NavagUa  ^i  ë  di  non  staccarsi  da  quelle  parti,  se  prima  il  tulto  ooo  è 
bene  a  fermamente  stabiiito,  o  con  uDa  buona  pace,  o  con  ona  fortaoata 
guerra.  » 


380  CHAPITRE   CINQUIÈME 

sinii  rendant  compte  de  cette  audience  à  la  Seigneurial  ajou- 
tait que  le  roi  avait  tenu  un  conseil  sur  cette  affaire,  et  qu'on 
y  avait  approuvé  ce  projet  de  paix  qui,  avantageux  aux  Véai- 
tiens,  délivrerait  la  France  d'une  guerre  longue  et  difficile. 
Louis  XIV  était  d'autant  moins  fondé  à  critiquer  ces  négocia- 
tions, qu*il  avait  lui-même  laissé  l'envoyé  du  sultan  débarquer 
à  Toulon  pour  se  rendre  à  la  cour,  et  que  Colbert  venait  d'ex- 
pédier Tordre  de  lui  faire  partout  Taccueil  le  plus  honorable  (1). 
Navailles  n'avait  passé  que  soixante  jours  en  Candie,  du 
22  juin  au  21  août!  Le  capi laine-général  vénitien  et  ses  lieu- 
tenants, le  bailli  Rospigliosi,  le  clergé,  la  garnison  et  les  ha- 
bitants l'avaient  supplié  vainement  de  demeurer  et  de  leur 
accorder  au  moins  quelque  délai.  Il  savait  que  Tescadre  de 
Valbelle  était  en  roule  pour  le  rejoindre;  il  attendait  un  corps 
de  deux  mille  Italiens  qui  se  formait  à  Zante  et  qui  arriva  en 
effet  le  jour  même  de  son  embarquement.  Les  forces  qu'on 
avait  alors  sous  la  main,  et  celles  que  préparaient  encore  la 
France  et  d'autres  pays  suffisaient,  sinon  pour  faire  lever  le 
siège,  du  moins  pour  prolonger  la  résistance  jusqu'à  la  pro- 
chaine campagne.  Pour  expliquer  à  ses  troupes  ce  départ 
précipité,  le  commandant  en  chef  avait  répandu  dans  leurs 
rangs  le  bruit  que  les  vivres  étaient  épuisés;  le  gros  de  l'armée 
le  crut,  comme  nous  l'apprend  le  correspondant  de  Bussy  : 
«  Enfin,  écrivait  M.  de  la  Provenchère,  le  temps  ayant  con- 
sommé les  vivres  qu'on  avait  portés  pourTarmée  tant  de  mer 
que  de  terre,  il  a  fallu  prendre  le  parti  de  s'en  revenir  et  laisser 
la  ville  de  Candie  sur  le  point  de  se  rendre  (2).  »  Mais,  parmi 
les  principaux  chefs  de  l'armée  ou  de  la  flotte,  on  entendait 
bien  laisser  à  Navailles  seul  la  responsabilité  de  sa  conduite. 
Le  maréchal  de  camp  Colbert  (3),  partageant  sur  la  direction 
de  cette  campagne  l'opinion  de  Saint- André  Montbrun  et  du 
capitaine-général,  s'empressa  d'écrire,  le  21  août,  au  ministre 
son  frère,  qu'il  n'avait  rien  su  du  retour  qu'après  la  résolution 

(t)  Jean  Morosiui,  12jain,  1  et  20  août  1669;  fiize  iH  et  145. 

(2)  «  Des  environs  de  Toulon,  en  quarantaine,  6  octobre  1669.  •  Tome  K 
p.  209. 

(3)  Colbert  de  Maulevrier  était  jalousé  par  Navailles,  qui  se  plaignait  de  lu 
à  Louvois,  dans  une  lettre  citée  par  C.  Rousset,  p.  272. 


SECOURS   DS  CANDIE  351 

prise,  et  que,  s'il  y  avait  gloire  ou  blâme  à  recueillir,  il  voulait 
n'y  avoir  aucune  part  (1).  Une  lettre  de  Vivonno  à  Colberl, 
du  même  jour,  atteste,  avec  son  aversion  contre  le  général  de 
l'Église  et  les  Vénitiens,  sa  volonté  de  demeurer  étranger  à 
une  décision  qui  avait  cependant  son  approbation  secrète  (2)  : 
il  fut  fort  dépité  de  voir  Rospigliosi  moins  sensible  que  les 
Français  à  la  crainte  de  la  mauvaise  saison  ou  de  la  famine. 
Il  écrivit  au  roi  :  Les  troupes  françaises  et  M.  de  Navailles 
s'étant  rembarques  malgré  les  prières  des  Vénitiens,  ceux-ci 
veulent  du  moins  me  garder  avec  mes  galères.  M.  Rospigliosi 
cherche  aussi  à  me  retenir;  pour  lui  persuader  plus  aisément 
de  quitter  Candie,  je  lui  propose  d'aller  croiser  sur«  l'île  du 
Mil,  le  cap  Saint-Ange  et  les  Cérigues  (3),  »  et  je  lui  fais  es- 
pérer que  nous  rencontrerons  et  combattrons  les  galères 
turques  en  marche  pour  ravitailler  la  Canée.  «  J'ai  été  obligé 
d'en  user  ainsi  et  de  consentir  même  à  quelque  peu  de  retar- 
dement, quoique  la  saison  soit  déjà  fort  avancée,  pour  leur 
fermer  la  bouche  et  pour  les  empêcher  de  se  vanter  d'avoir 
proposé  quantité  de  choses  auxquelles  les  Français  n'auraient 
pas  voulu  donner  les  mains.  »  Au  surplus,  peut-être  rencon- 
trerons-nous des  voiles  turques,  et  finirons-nous  la  campagne 
par  un  combat  glorieux  (4). 

L'abandon  de  Candie  par  les  Français  fut  jugé  sévèrement 
dans  toute  l'Europe.  Si  Louis  XIV  fut  troublé  et  indigné,  le 
pape  et  le  sacré  collège  furent  consternés.  Bourlemont  écrivait 
à  Lionne  (5)  :  L'ambassadeur  de  Venise  se  plaint  ici  que 
M.  de  Navailles  ait  «  refusé  d'attendre  huit  jours  à  la  prière  que 
lui  en  faisait  instamment  le  général  Morosini, pour  pouvoir  faire 
avant  son  départ  une  capitulation  avec  le  Turc  qui  sauvât  la 
vie  et  la  liberté  à  ce  qu'il  y  a  de  chrétiens  en  Candie  ;  que  son 
départ  avait  fait  mutiner  la  plupart  de  sa  garnison,  se  voyant 
abandonnés,  et  que  le  général  avait  eu  toutes  les  peines  pos- 

(1)  Galères^  1669.  Archives  de  la  Marine. 

(2)  «  A  TEstantier,  à  bord  de  la  capitaae,  »  21  août  1669  ;  Galères,  1669.  =i 
L*EstaDtier  est  la  rade  de  Staodia,  où  la  flotte  était  mouillée. 

(3)  L*lle  de  Milo  ;  le  cap  Saint-Ange,  à  l'extrémité  de  la  Morée,  et  Ttle  de 
Cérigo  avec  son  groupe. 

(A)  Galères,  1669. 

(5)  24  septembre  1669.  Rome,  200. 


3S2  CHAPITRE    CINQUIÈME 

sibles  de  les  apaiser;  qu*il  était  assuré  que  ce  départ  précipité 
était  contre  Tintention  du  roi  et  contre  ce  que,  par  ordre  de 
Sa  Majesté,  M.  le  président  de  Saint-André  avait  déclaré  au 
sénat...  Il  eût  été  bien  à  propos  que  M.  le  duc  de  Navailles, 
partant  de  Candie,  eût  écrit  ici  des  motifs  de  son  départ  pour 
fermer  la  bouche  à  ceux  qui  en  parlent  si  désavantageusemaQl 
pour  lui...  Il  y  a  des  principaux  de  cette  cour  qui  disent  qu'il 
y  a  eu  de  Timpalience  dans  son  départ  de  n^avoir  pas  régules 
ordres  du  roi,  mais  que  les  traitements  peu  favorables  qu'il  a 
reçus  des  Vénitiens  Tout  chagriné  (1).  Le  pape  a  un  extrême 
déplaisir  de  ce  départ  si  prompt.  » 

Malgré  cette  cruelle  déception,  il  ne  sortit  de  la  bouche  de 
Clément  IX  aucune  plainte  contre  Louis  XIV.  Bourlemont  écri- 
vait encore  (2):  «  Le  pape  reçut  la  lettre  du  roi  avec  tant  d'expres- 
sion de  tendresse  et  d*amitié  pour  SaMajesté  qu'ilne  se  peut  rien 
désirer  de  plus  afTectueux  (3).  Sa  Sainteté  me  dit  qu'elle  ne  veut 
pas  accuser  M.  de  Navailles,  mais  qu'on  lui  mandait  de  toutes 
parts  qu'il  avait  eu  de  la  grande  dureté  envers  les  pauvres  chré- 
tiens de  Candie,  leur  ayant  refusé  jusqu'aux  moindres  choses 
qu'ils  lui  avaient  demandées  pour  leur  défense  ;  qu'il  priait  Dieu 
de  lui  pardonner.  »  II  exprima  le  désir  de  voir  Vivonne,  et  lui  fil 
le  meilleur  accueil.  «...  Je  n'ai  pas  cru,  dit  le  comte  lui-même (4}, 
me  devoir  dispenser  de  donner  à  Sa  Sainteté  cette  marque  de 
mon  obéissance,  surtout  depuis  que  Votre  Majesté  m'a  or- 
donné de  m'appliquer  à  gagner  ses  bonnes  grâces  (S),  celles 
de  ses  parents,  et  nommément  celles  de  M.  le  bailli  de  Rospi- 
gliosi,  qui  en  a  témoigné  en  son  particulier  une  passion  in- 
croyable. Il  souhaitait  que  je  débarquasse  avec  lui  à  Nettuno, 
à  soixante  milles  de  Civilà-Vecchia.  »  Je  suis  arrivé  hier  à 
Rome.  A  peine  étais-je  descendu  chez  M.  de  Gastaldi,  que 
le  pape  m'envoya  chercher.  «  Je  me  suis  rendu  ce  matin 

(1)  Les  pièces  qui  ont  passé  sous  mes  yeux  ne  justiûent  nallemeot  cette 
plainte. 

(2)  8  octobre  1669.  Rome,  200. 

(3)  C'est  la  lettre  datée  de  Chambord,  dont  Lionne  parle  dans  sa  dépèche  da 
25  septembre  citée  plus  haut. 

(4)  Au  roi,  21  octobre  1669.  Galères,  1669. 

(5)  Dans  la  lettre  où  le  roi  lai  reprochait  de  s'être  fait  saluer  par  Tétendard 
da  crucifix. 


SECOURS   DE   CANDIE  353 

à  son  lever,  et  j'ai  reçu  de  Sa  Sainteté  tous  les  honneurs 
et  toutes  les  honnêtetés  possibles.  Sa  Sainteté  voulait  savoir 
de  moi  comme  les  choses  s'étaient  passées  en  Candie...  » 
Vivonne  ajoute  qu*il  a  été  traité  de  même  par  le  cardinal  et 
par  le  bailli.  Ce  dernier  ne  rappela  pas  les  torts  que  s'était 
donnés  envers  lui  le  général  des  galères  françaises.  Il  décla- 
rait en  toute  occasion  qu'il  n'oublierait  jamais  Thonneur  que 
lui  avait  fait  la  France  de  placer  sous  ses  ordres  tant  de  braves 
guerriers.  La  seule  allusion  au  passé  qu'il  se  permît,  c'était, 
en  célébrant  les  mérites  des  officiers  français,  de  dire  qu'il  se 
louait  principalement  du  maréchal  de  camp  Colbert  (i). 

Louis  XIV  paraissait  disposé  à  réparer  la  faute  de  Navailles.  Il 
avait  écrit  au  nonce  (2)  :  « . . .  Pressé  par  mon  zèle  pour  la  défense 
de  la  chrétienté  et  pour  la  consolation  et  la  gloire  de  notre  saint- 
père,  plus  encore  que  pour  la  mienne  propre,  j'ai  donné  mes 
ordres  pour  faire  passer  incessamment  en  Candie  les  troupes 
dont  vous  trouverez  le  mémoire  ci-joint,  et  je  me  promets  de 
votre  affection  envers  moi  que  vous  serez  bien  aise  d'en  infor- 
mer Sa  Sainteté  d'une  manière  aussi  officieuse  que  le  mérite 
la  passion  que  j'ai  de  lui  complaire.  »  Trois  jours  après,  il  au- 
torisait le  maréchal  de  Bellefonds  à  prêter  au  pape  le  serment 
de  général  pontifical,  et  il  lui  écrivait  en  même  temps  (3)  : 
«  Si  vous  avez  beaucoup  de  joie  de  l'augmentation  des  troupes 
quej'ai  résolu  de  joindre  à  celles  de  Sa  Sainteté  que  vous  devez 
conduire  en  Candie,  je  n*ai  pas  moins  de  confiance  que  vous 
les  emploierez  d'une  manière  dont  j'aurai  lieu  d'être  satisfait.  Il 
ne  me  reste  qu'à  prier  Dieu  qu'elles  arrivent  à  temps.  »  Colbert 
mit  la  plus  grande  diligence  aux  préparatifs  (4).  La  flotte  de 
transport,  composée  de  neuf  vaisseaux,  trois  brûlots  et  un 
magasin,  devait  être  commandée   par  le  marquis  de  Mar- 

(1)  Bourleinoat  à  Liouaef  12  novembre  1669.  Rome^  201. 
{'2) Œuvres  de  LouisXlV,  t.  V,  p.  451. 

(3)  23  septembre  1669.  Œuvres  de  Louis XIV,  t.  V,  p.  455. 

(4)  Colbert  à  Louvois,  21  septembre  1669.  —  «  J'ai  reçu  par  mon  courrier 
votre  billet  du  jour  d'hier  en  exécution  des  ordres  du  roi  qu'il  contient.  Je 
travaille  au  projet  d'armement  qui  est  nécessaire  pour  porter  3,500  hommes 
en  Candie,  et  donnerai  ensuite  tous  les  ordres  nécessaires  pour  que  les  vais- 
seaux soient  prêts  à  les  embarquer  au  15  novembre  prochain.  »  (Ordres  du  roi 
pour  la  Marine,  1669.) 

LOUIS  XIV  BT  LB  SAINT-SIÈGE.  —  U.  23 


CHAPITU  ciHgciÈn 

tel  (1),  et  le  soin  des  approvisioimeinents  pour  les  marins  et  le« 
soldats  était  encore  confié  à  Jacquier.  Mais  on  reçut  la  nouvelle 
que  Candie  avait  capitulé  le  5  septembre;  et,  le  il  octobre, 
Golbert  contremanda  Tarmement.  Le  désastre  causé  par  le  due 
deNavailles  était  consommé  :  s'il  eût  attendu  jusqu'au  mois  de 
novembre,  comme  le  portaient  les  ordres  du  roi  ;  si  le  maréchal 
de  Bellefonds  était  arrivé  à  temps,  les  assiégés  eussent  tenu 
jusqu'à  la  campagne  suivante,  et  il  y  a  lieu  de  croire  que  les 
princes  chrétiens,  déjà  ébranlés  en  1669  par  les  exhortations 
et  l'exemple  du  souverain  pontife,  eussent  enfin  formé  une 
ligue  assez  puissante  pour  délivrer  la  ville  et  peut-être  Tlle  de 
Candie.  Louis  XIV  comprit,  dès  le  premier  moment,  que  c'était 
une  tache  pour  sa  réputation  militaire;  et,  s*il  pressa  le  dé- 
part de  Bellefonds  avec  tant  d'activité,  c'est  que,  comme  Lou- 
vois  récrivait  de  Chambord  à  son  père,  il  crut  «  ne  pouvoir  se 
disculper  avec  succès  dans  le  monde  du  retour  de  M,  de  Xa- 
vailles  qu  en  faisant  aller  ses  troupes  en  Candie  (2).  »  Lionne 
avait  avoué  à  Tambassadcur  de  Venise  «  que  la  douleur  et  les 
regrets  causés  au  roi  par  ce  retour  inattendu,  contraire  à  son 
intention,  à  ses  ordres,  à  sa  gloire  même,  étaient  les  plus  sen- 
sibles qu'il  eût  éprouvés  de  toute  sa  vie  (3).  »  Pour  calmer  les 
esprits,  Louis  XIV  avait  d'abord  permis  de  répandre  la  fable 
de  l'insuffisance  des  vivres  (4);  mais,  quand  il  fallut  renoncer 
à  l'espoir  de  sauver  Candie,  il  disgracia  publiquement  son 
général  plus  incapable  encore  qu'indocile.  La  justice  voulait 
qu'il  s'en  expliquât  franchement  avec  le  pape,  qui  avait  été  le 
promoteur  et  l'âme  de  l'entreprise  :  pour  en  procurer  le  succès. 


(1)  Ordres  du  roi  pour  la  Marine  :  le  roi  au  marquis  de  Martel,  27  septembre 
i699.  —  V.  aussi  Dépêches  de  la  Marine  :  Colbert  à  Jacquier,  à  dlofrevUle  et 
au  marquis  de  Martel . 

(2)  Lettre  du  20  septembre,  citée  par  Rousset,  p*  270. 

(3)  «  Accepta udomi  cbe,  nel  corso  degli  anni  del  rè,  non  haveva  mai  la  Maestà 
sua  rissentito  afflizioue  e  rammarico  più  seusibili  di  quello  cbe  al  présente 
havrebbe  per  questaimpeupata  partenza,  seguiti  cootro  la  sua  iateniione,  contro 
il  8U0  ordine  e  contro  la  sua  gloria  medesima.  » 

(4)  Le  16  septembre.  Louvois  écrit,  par  ordre  du  roi|  à  son  père,  demeuré  à 
Paris,  que,  si  le  nonce  et  l'ambassadeur  de  Venise  se  plaignent,  »  il  leur  faut 
répondre  que>  les  galères  et  les  vaisseaux  n'ayant  plus  de  vivres  que  ce  qu'il 
leur  en  fallait  pour  revenir,  M.  le  duc  de  Na vailles  n*a  pas  pu,  aaivant  ses 
instractions»  s'empêcher  de  f:e  rembarquer.  »  (Rousset,  p.  269.) 


SECOURS   DE   ÇANDIB  355 

imcnt  IX  avait  épuisé  à  ce  point  le  trésor  poatifiçal|  que  la 
ambre  apostolique  en  était  réduite  à  payer  ses  dépenses  au 
•yen  de  ce  qui  rentrait  «  au  jour  la  journée  »  (1),  ce  qui  ne 
npôcha  pas  de  donner  au  roi  (2)  une  délégation  de  trente 
Ile  écus  sur  les  revenus  d*Avignon  pour  la  levée  préparée 
*  le  maréchal  de  Bellefonds  (3).  Le  1*'  novembre,  Liojine 
irgea  Tabbé  de  Bourlemont  d'informer  le  souverain  pon- 
!  du  contre-ordre  donné  à  la  nouvelle  expédition,  u  la  cause 
étant  maintenant  cessée  par  la  capitulation  de  la  place  et 
3aix  que  le  capitaine-général  de  la  République  a  faite  avec 
arand  Seigneur(4)...Iln'écherraplus,  ajoute-til,de  parler 
cette  affaire  qu'en  ce  qui  pourra  regarder  M.  le  duc  de  Na- 
i/esn  duquel  Sa  Majesté  a  sujet  dêtre  d'autant  plus  mal  sa* 
ait  fi  qu  il  s  est  vu,  par  f  événement  et  par  les  conditions  de 
te  paix^  que  les  Turcs  considéraient  encore  leur  entreprise 
iteuse^  même  après  la  sortie  des  troupes  du  roi  de  la  place^ 
Il  l'on  peut  tirer  la  conséquence  quelle  se  pouvait  sauver 
quà  t hiver  et  peut-être  jusqu'au  printemps,^  si  le  sieur  duc 
se  fût  pas  tant  pressé  de  revenir.  »  Et  Lionne  annonce  qu'il 
*lera  encore  à  fond  de  ce  sujet,  lorsque  Navailles  aura  été 
endu  dans  sa  défense.  Louis  XIV  exprima,  en  ces  termes, 
is  une  lettre  à  Bourlemont,  son  jugement  définitif  sur  la 
iduite  de  Navailles  :  «  Je  vous  dirai,  que,  n'ayant  pas  été 
'fisamment  satisfait  des  justifications  que  le  duc  de  Navailles 
pu  m'apporter  et  qui  ne  consistaient  principalenient  que 
is  les  avis  qu'il  prétendait  avoir  que  le  capitaine-génér^ 
la  République  avait  commencé  à  traiter  avec  le  grand  vizir 

I  )  BooflU  à  Lioane,  3  septembre  1669.  Home,  200. 

\)  Bourlemont  à  Lionne,  3  septembre  1669.  Ibid. 

\)  U  n'en  était  pas  plus  épargné  dans  les  stupides  propos  des  boargeoit 

licans  de  Paris  :  «  On  dit  ici,  écrivait  Gui  Patin,  que  le  roi  a  mandé  à 

de  Navailles  qu'il  revienne  de  Candie,  et  qu'il  ramène  les  troupes,  puisque 

Vénitiens  et  le  pape  n  y  font  pas  leur  devoir  pour  en  chasser  le  Turc,  On  dit 

irtant  que  le  pape  avait  envoyé  pour  cet  effet  des  pardons  et  des  bulles  : 

Quidquid  Roma  dabit,  nugas  dabit;  accipil  aurum. 

Turcs  ne  sont-ils  pas  de  mécbantes  gens,  bien  incrédules,  de  ne  rien  dé- 
ir  à  ces  bulles,  inventions  italiennes  et  papalinesî  »  (26  septembre  1669.  — 
très  choisies,  édit.  Rotterdam,  1725.) 
0  Borne  y  201. 


356  CHAPITRE    CINQUIÈMC 

de  remettre  la  place  au  Turc,  à  quoi  il  n'a  point  voulu  assister, 
et  en  d*autres  raisons  auxquelles  je  n'ai  pas  trouvé  un  fonde- 
ment suffisant  pour  excuser  la  résolution  qu'il  a  prise,  de  son 
chef  et  contre  mes  ordres^  de  faire  rembarquer  mes  troupes  et 
de  revenir,  j'ai  pris  celle  d'envoyer  ledit  duc  à  sa  maison  de 
la  Valette,  ce  que  je  désire  que  vous  fassiez  entendre  de  nu 
part  à  Sa  Sainteté,  y  ajoutant  que  tout  le  monde  connaîtra  bien 
clairement  Tintention  que  j'avais  en  cette  affaire,  quand  on 
aura  vu,  peu  de  jours  après  le  départ  de  mon  armée  navale  des 
rades  de  Candie,  y  arriver  l'escadre  de  vaisseaux  que  j'y  avais 
envoyée  sous  le  commandement  du  chevalier  de  Yalbelle  poar 
y  porter  abondamment  de  l'argent,  des  vivres  et  les  autres 
provisions  de  guerre  et  de  bouche  dont  madite  armée  et  mes 
troupes  auraient  pu  bientôt  manquer,  dontmème  ledit  chevalier 
a  pourvu  la  Suda  (1),  sur  la  première  réquisition  du  capitaine- 
général  de  la  République,  ce  qui  ne  servira  pas  dans  le  monde 
à  la  justification  du  duc  de  Navailles;  mais^  comme  il  n'a  pas 
manqué  de  cœur  ni  d*a(Tection  pour  mon  service,  mais  qu'il 
s'est  seulement  mépris  à  avoir  mal  jugé  de  mes  intentions  sur 
la  considération  du  reste  de  mon  corps  de  troupes,  je  n'ai  pas 
cru  devoir  pousser  plus  loin  contre  lui  mon  ressentiment  qu'eo 
témoignant  au  public,  par  sa  relégation,  combien  sa  résolu- 
tion m'a  déplu  (2).  » 

Clément  IX  ressentit  la  perte  de  Candie  en  chef  et  en  père 
de  la  chrétienté.  «  Ce  quia  le  plus  affligé  Sa  Sainteté,  dit  Bour- 
lemont  (3),  est  la  paix  des  Vénitiens  avec  les  Turcs,  qui  assure 
leurs  conquêtes  et  les  fera  pensera  attaquer  la  chrétienté  d'une 
autre  part.  »  Il  connaissait  bien  Tétat  de  l'Europe  et  la  division 
profonde  de  ses  princes,  si  favorable  aux  progrès  des  infidèles. 
Le  jour  même  où  il  apprit  toute  l'étendue  de  la  catastrophe, 
il  eut  un  long  évanouissement  qui  présagea  une-  fin  prochaine. 
Louis  XIV  en  prit  aisément  son  parti,  et  se  sépara  bientôt  de 
la  ligue  chrétienne  pour  regagner  les  bonnes  grâces  du  sultan, 
avec  lequel  ses  rapports  diplomatiques  n'avaient  pas  cessé.  Pen- 
dant qu'il  laissait  la  Haye  prolonger  son  séjour  à  la  Porte  sous 

(1)  Forteresse  de  l'Ile  de  Candie. 

(2)  15  novembre  1669.  Rome,  201. 

(3)  A  Lionne,  29  octobre  1669.  Rome,  200. 


SECOURS   DE    CANDIE  357 

divers  prétextes,  il  s'apprêtait  à  recevoir  cet  émissaire  turc, 
dont  le  voyage  mystérieux  avait  inquiété  les  Vénitiens  et  qui 
avait  été  d'abord  retenu  à  Toulon  (1).  Tant  que  le  sort  de  Can- 
die fut  en  suspens,  on  retarda  sa  marche,  mais  en  le  traitant 
avec  distinction,  comme  l'avait  recommandé  Colbert.  Des  que 
le  roi  eut  appris  la  fatale  capitulation,  il  pressa  l'arrivée  de  cet 
agent,  quoiqu'il  ne  connût  ni  sa  vraie  qualité,  ni  Tobjet  de  sa 
mission.  Au  milieu  des  splendeurs  du  règne,  entre  la  cam- 
pagne de  Flandre  et  la  guerre  de  Hollande,  on  remarque  peu 
cette  apparition  d'un  envoyé  de  Mahomet  IV.  Soliman-aga 
Mustafa-Raca,  officier  inférieur  de  la  chambre  du  sultan,  n'a- 
vait pas  d'autre  pouvoir  que  de  rendre  à  Louis  XIV  une  lettre 
insignifiante  de  son  maître.  Vainement  Jean  Morosini  avait 
informé  le  roi  que  jamais  TEmpereur  ne  daignait  admettre 
devant  lui  un  ministre  du  sultan  qui  ne  fût  pas  qualifié  d'am- 
bassadeur, encore  moins  un  chiaoux^  un  capigibasst,  tel  que 
Soliman-aga  (2).  On  le  fit  d'abord  venir  à  Issy,  puis  à  Suresnes  ; 
on  l'installa  dans  un  logis  somptueux,  où  il  fut  visité  des  plus 
grands  personnages.  Pour  sauver  la  dignité  royale,  on  eut 
l'air  de  croire  qu'il  était  accrédité  comme  ambassadeur  par  la 
lettre  dont  il  était  chargé;  mais  il  n'en  était  rien.  Louis  XIV 
lui  donna  audience  dans  la  grande  galerie  de  Saint-Germain, 
et  déploya  en  cette  occasion  toutes  les  pompes  de  la  royauté. 
La  cour  vit  avec  surprise  de  si  grands  honneurs  prodigués  à 
un  homme  de  basse  condition,  qui  fut  d'une  insolence  inouïe 
envers  les  ministres  et  envers  Louis  XIV  lui-même  (3). 

(1)  Jean  MoroMni,  42  juin  et  7 août  4669,  etc.  Filze  144  et  145. 

(2)  12  juin  1669. 

(3)  <«  L*on  |>arle  souvent,  dit  Olivier  d'Ormesson  dans  son  Journal,  dc«  au- 
diencep  de  l*ambap»adeur  turc.  11  est  arrivé  à  Paris  sur  la  fin  du  mois  d'octobre  : 
il  a  été  logé  chez  M.  de  la  Bazinière,  au  village  d'Issy,  où  beaucoup  de  gens  le  vont 
voir  par  curiosité...  Il  a  vu  deux  fois  M.  de  Lionni*,  qui  Ta  reçu  de  la  manière 
que  le  grand  vizir  reçoit  les  envoyés  de  France;...  qui  lui  parla  de  la  manière 
de  gouverner  du  roi,  qu'il  n*y  avait  point  de  graud  vizir  on  France,  et  s'éten- 
dit fort  sur  les  louanges  du  roi...  L'on  dit  que  le  Turc  lui  répondit  7ii*i7  n'a- 
vait point  à  faire  de  savoir  s'il  //  avait  un  grand  vizir  en  France^  ni  quel  en 
était  le  gouvernement;  qu'il  était  venu  pour  donner  une  lettre  de  l'empereur 
son  maître  à  l'empereur  de  France;  qu'il  Hait  prêt  à  la  présenter,  si  l'oji  vou- 
lait la  recevoir;  que  si  l'on  ne  voulait  point  la  recevoir,  on  n'avait  qu'à  le  lui 
dire  et  qu'il  s'en  retournerait...  Pour  le  recevoir  avec  plus  de  magnificence,  le 
roi  s'était  fait  faire  un  babit  tout  couvert  de  diamants^  et  l'on  disait  quil  y  en 


358  CHAPITRE  aUQUIÈBIE 

Telle  fut  la  conclusion  de  la  campagne  de  Candie.  Louis  XIY 
sera  désormais  indifférent  aux  dangers  de  la  chrétienté  :  il 
laissera  aux  Vénitiens,  à  la  Pologne,  à  rAUemagne  la  gloire 
de  celte  lutte  contre  Tennemi  commun,  dont  il  deviendra 
même  Fauxiliaire  et  Tallié.  Un  siècle  auparavant,  la  prise  de 
Rhodes  (1571)  avait  été  suivie  d'un  effort  généreux  ;  une  ligae 
chrétienne,  qui  malheureusement  ne  comptait  pas  la  France 
dans  ses  rangs  (1),  répondait  à  la  voix  de  saint  Pie  V  et,  sou- 
tenue par  l'argent,  les  soldats  et  les  vaisseaux  du  pape,  rem- 
portait la  mémorable  victoire  de  Lépante  (1572).  Après  la 
perte  de  Candie,  il  ne  tint  pas  à  Clément  IX  qu'il  ne  se  formât 
une  nouvelle  alliance;  mais  la  France  se  tint  à  Técart,  et  l'Es- 
pagne déjà  vaincue,  menacée  encore  par  Louis  XIV^  réduite k 
se  défendre  elle-même,  ne  put  qu'assister  impuissa:::te  aux 
progrès  des  musulmans.  Les  successeurs  de  Ciémen^  IX  sui- 
vront fidèlement  son  exemple;  l'un  d'eux  surtout.  Innocent  XI, 
dévouera  au  même  dessein,  et  avec  plus  de  succès,  son  éner- 
gie, ses  trésors  personnels  et  ceux  de  TÉglise,  et  ce  sera  une 

avait  pour  quatorze  millions.  Je  vis  de  près  son  chapeau,  où  étaient  les  plai 
gros  diamants.  Monsieur  était  aussi  vêtu  et  paré  de  pierreries  et  de  perles,  et 
M.  le  duc,  de  diamants  seulement.  Pour  recevoir  le  Turc,  Ton  avait  préparé  an 
trône  au  bout  de  la  galerie  du  château  neuf.  Cette  galerie  était  meublée  de 
très  belles  tapisseries  et  entre  antres  de  certaines  étoffes  de  soie  peintes,  à  per- 
sonnages, comme  les  tapisseries.  M.  Le  Brun  les  avait  retouchées...  Tous  les  cabi- 
nets, les  tables,  les  vases,  les  cuvettes  et  les  guéridons  d'argent  y  étaient.. 
Dans  la  place  entre  .les  deux  châteaux  étaient  les  deux  compagnies  de  moos- 
quetaires  â  pied,  ayant  tous  des  justaucorps  de  velours  noir  avec  des  boutoDs 
de  cuivre  doré.  Après,  les  gardes  suisse  et  française  en  haie.  Derrière  eux  étaieui 
les  gardes  du  corps,  les  gendarmes  et  les  chevau-légers  faisant  huit  escadron» 
de  chaque  côté;  les  gardes  de  la  porte,  les  cent-suisses  et  beaucoup  de'gardes 
du  corps  étaient  au  dedans.  Sur  les  ipois  heures,  le  Turc  arriva  à  cheval, 
précédé  de  vingt  Turcs,  tous  avec  des  robes  vertes  ;de  serge 'et  des  torbans 
fort  sales,  lui,  avec  une  veste  rouge  de  camelot  au  plus,  car  il  u*y  parut  point 
d'or  ni  de  soie,...  et  après  suivaient  sept  ou  huit  autres  à  cheval,  aussi  mal  vëta» 
que  les  autres.  Rien  ne  parut  si  pauvre  ni  si  misérable...*JSo\ïS  sûmes  qu*il  était 
entré  assez  fier  dans  la  galerie,  tenant  à  deux  mains  un  sac  de j  toile  d'or  où 
était  sa  lettre;  il  fit  trois  révérences  baissant  seulement  la  tête,  et  donna  sa 
lettre  an  roi  et  demanda  qu'elle  fût  lue.  Le  roi  la  fit  ouvrir,  et,  comme  elle 
était  longue,  il  dit  qu'il  la  verrait  et  ferait  réponse.   Le  Turc  se  plaignit 
que  le  roi  ne  s'était  pas  levé  pour  recevoir  sa  lettre,  et  dit  qu'on  le  traitait 
mal.  Le  roi  répliqua  qn*il  en  usait  comme  11  avait  accoutumé,  et  le  Turc  se 
retira  mal  content.  »  (Tome  II,  p.  576  et  sulv.  —  Novembre-5  décembre  1669.) 
(1)  Charles  II  était  l'aUié  du  sultan. 


SECOURS   DE   CANDIE  359 

des  causes  principales  de  la  haine  que  lui  portera  Louis  XIY  : 
le  roi  de  France  laccusera  d*ètre  son  ennemi,  d'être  autrichien, 
parce  que  les  subsides  pontificaux  entretiendront  les  armées 
de  Léopold  et  de  Sobieski  combattant  pour  le  salut  de  TEu- 
rope  et  délivrant  Vienne  au  détriment  de  la  politique  française  ! 
Si  l'expédition  provoquée  par  Clément  IX  avait  eu  un  autre 
succès,  les  traditions  remontant  à  François  P'  auraient  peut- 
être  été  abandonnées;  la  défaite  du  grand  vizir  et  la  levée  du 
siège  eussent  amené  une  rupture  avec  la  Porte  :  Louis  XIY 
n'aurait  pu  se  démentir  ni  tromper  l'attente  de  la  chrétienté,  et 
il  est  permis  de  croire  qu'il  eût  été  détourné  de  ces  guerres 
d'ambition  et  de  conquête,  dont  les  suites  furent  si  fundstes  à 
la  France  et  à  toute  l'Europe. 


CHAPITRE  SIXIÈME 

NOUVELLES    AGRESSIONS    DE    LA   COURONNE  CONTRE    l' AUTORITÉ   PON- 
TIFICALE.   MORT  DE  CLÉMENT  H.   1669. 


Inquiétude!  données  à  Client  IX  parla  p«>litique  religiense  deLoait  XIV.  Projets  de  ramener 
les  protestants  de  France  à  l'unité  sans  consulter  le  saint-iiège.  —  L'abbé-duc  d'Albrel  prèscntr 
pour  le  cardinalat.  Missions  de  Tabbé  de  Bigorre.  Sollicitations  iopérieuses  do  roi  et  do  cas- 
didat.  Promotion  do  l'abbé-duc  (cardinal  de  Bouillon).  —  Chapeaux  demandés  pour  le  prince 
d'Averspcrg  et  pour  César  d'Estrées.  Mission  do  l'abbé  de  Bonfils  et  de  M.  Foucher.  Concert 
de  Césir  d'Estrées  avec  Lionne  :  leurs  roaiinpuvre!t  pour  Tainere  la  rèsif  tance  du  pape.  Clé- 
ment IX  maintient  ses  refus.  Promotion  du  10  novembre  1669.  —  Obstacles  opposés  par  le  roi  à 
la  juridiction  du  saint-si6ge  :  le  Hituel  d'Alet  et  la  Vernion  de  Mont  Suppression  de  fét0 
chAmée^.  Knlrave»  apportées  par  le  roi  à  l'autorilé  des  généraux  d'orJres  religieux.  Augustin:. 
Dominiraiuï.  Célèbre  arrêt  d'Ay^-n  (4  mars  1669)  :  théorie  de  la    suprématie  du  roi  (Uns 
rt'gliso.  Atteinte  à  l'autoritA  des  nonces.  —  Mesures  oppressires  de  Louis  XIV  contre  les  babi 
tants  d'Avignon  et  du  Comtat  :  leurs  conséquences  funestes.  Aveux  remarquables  de  Vhisiiy 
rien  de  Colbert.  —  Louis  XIV,  embarrassé  par  ses  prétentions  sur  Ict  dépendances  (traité 
d'Aix-la-Chapelle),  flnit  par  s'en  remettre  à  l'arbitrage  de  Clément  (X  :  le  pape  évite  le  piège. 

—  Louis  XIV  multiplie  les  difficultés  entre  le  saint-siège  et  la  couronne.  Présages  de  conAiU. 

—  Mort  prématurée  de  Clément  IX. 


Trompé  dans  les  espérances  que  lui  avait  données  Texpédi- 
lion  de  Candie,  et  forcé  de  ramener  toute  son  attention  sur  ce 
qui  se  passait  plus  près  de  lui,  Clément  IX  ressentit  plus  vive- 
ment toutes  les  atteintes  portées  par  Louis  XIV  aux  droits  de 
la  puissance  spirituelle.  Après  s'être  interposée,  comme  on  l'a 
vu,  entre  Rome  et  les  jansénistes,  la  royauté  française  avait 
conçu,  dès  cette  époque,  le  projet  d'en  finir  avec  le  protestan- 
tisme, en  ne  réclamant  du  saint-siège  que  l'approbation  silen- 
cieuse de  tous  ses  actes.  Un  ébranlement  profond  se  manifes- 
tait parmi  les  réformés  français,  dont  un  grand  nombre,  dans 
toutes  les  classes  de  la  population,  reprenaient  sans  contrainte 
et  avec  bonheur  les  croyances  de  leurs  pères.  Ces  conquêtes  pa- 
cifiques de  notre  foi,  auxquelles  l'abjuration  de  Turenne  (1668) 
venait  de  donner  un  si  grand  éclat,  étaient  dues  au  zèle  etàla 
science  du  clergé,  qui  avait  fondé  ou  rétabli  tant  d'institu- 
tions étroitement  unies  au  saint-siège.  11  était  sans  doute  na- 
turel que  Louis  XIV  conçût  l'espoir  de  rendre  un  jour  à  la 


NOUVELLES    AGRESSIONS   CONTRE    l' AUTORITÉ    PONTÎFICALE    364 

ance  le  bienfait  de  l'unité  religieuse;  mais  un  si  vaste  des- 
in  ne  pouvait  réussir  qu'avec  l'assistance  et  sous  la  conduite 

pontife  romain.  Or,  le  roi  avait  été  élevé  dans  cette  pensée 
'il  est  t<  dangereux  de  fournir  à  Rome  des  exemples  de  juri- 
:^tion  dont  elle  puisse  après  tirer  de  mauvaises  consé- 
ences  (1).  »  C'est  en  conformité  de  cette  doctrine  qu'il 
itait  fréquemment  avec  ses  ministres  un  plan  général  de 
nversions  où  il  faisait  lui-même  la  part  du  pape,  lui  réser- 
nt,  ou  plutôt  lui  imposant^  la  dispense  de  quelques  pratiques 
ligieuses  en  faveur  de  calvinistes  opiniâtres  (2).  Il  laissa  voir 

pensée  au  nonce  Bargellini,  qui,  rendu  plus  vigilant  par 

procès  des  quatre  évoques  jansénistes,  s'empressa  de  de- 
ander  des  explications  sur  le  projet  royal  et  d'avertir  le 
iHverain  pontife.  Clément  IX  s'inquiéta  justement  de  voir 
3UÎS  XIV  tenter  de  son  chef  une  entreprise,  dont  le  résultat 

plus  certain  était  d'exposer  les  catholiques  à  de  nouveaux 
;rils  dans  tous  les  pays  où  dominaient  les  protestants.  Alors 
ouvraient,  de  l'autre  côté  du  Rhin,  avec  l'assentiment  du 
ipe,  les  négociations  qui,  sous  les  pontificats  suivants,  illus- 
èrent  les  noms  de  Leibniz  et  du  Cordelier  Christophe  de 
ojas-Spinola,  évéque  de  Tina  (3),  et  qui,  selon  toute  appa- 
nce,  auraient  ramené  à  l'Eglise  une  partie  des  États  alle- 
ands,  sans  les  guerres  engagées  par  Louis  XIV  contre  toute 
Europe,  et  sans  ses  agressions  répétées  contre  Innocent  XL 
ionne  répondit  aux  plaintes  de  Bargellini  par  de  hautaines 
ïcriminations,  ne  niant  pas  la  suprématie  nominale  du 
linl-siège,  mais  bien  décidé  h  repousser  son  intervention 
Tective.  Il  écrivit  ensuite  au  cardinal  Rospigliosi  (4)  :  «  M.  le 
once  m'ayant  témoigné  être  en  quelque  inquiétude  sur 
iielques  papiers  qu'il  remit  dernièrement  entre  les  mains 
u  roi  touchant  le  grand  dessein  de  la  conversion  des  héré- 
qnes  et  nommément  sur  ce  que,  dans   iesdits  papiers,  qui 


(1)  aCuvres  de  hwis  XIV,  l.  W,  p.  IM. 

(2)  Mirf.,  t.  VI,  p.  3ri5. 

(3)  Ou  Tionia  (Knin),  eD  Croatie.  Spinola  fut  transféré  au  siège  de  Neustadt, 
1  IfîSi.  V.  cot  épisode,  aussi  iotéressant  que  peu  connu  en  France,  dans  les 
Cuvres  liiî  Leibniz,  éiiit.  Foucher  de  Careil. 

(4)  8  mars  1609.  Home,  197. 


362  CHAPITRE   SIXIÈME 

est  un  prétendu  projet  de  feu  M.  le  cardinal  de  Richelieu,  fl 
y  est  fait  mention  d'une  conférence  ou  congrès  entre  les  catho- 
liques et  les  hérétiques,  j*ai  dit  au  sieur  nonce,  et  pour  li 
vérité  et  pour  le  repos  de  son  esprit,  qu'il yaplus  de  deux  am 
que  Sa  Majesté  avait  en  main  le  même  projet  du  cardinal  de 
RicheUeu,  en  quoi  il  ne  lui  avait  rien  apporté  de  nouveau; 
mais  qu'elle  avait  toujours  traité  de  chimérique  la  pensée  de 
cette  conférence,  et  que,  quand  elle  serait  plus  solide^  jamais 
Sa  Majesté  n'en  prendrait  la  résolution  qu'avec  la  participa- 
tion, le  consentement  et  l'emploi  de  Tautorité  de  notre  saint- 
père  le  pape  (i);  mais  qu'il  était  bien  vrai  que  Sa  Majesté 
ferait  un  reproche  au  sieur  nonce  de  ce  que  Ton  avait  un  peu 
trop  divulgué  à  Rome  le  secret  de  son  dessein,  qu  il  ne  lui 
avait  confié  que  pour  Sa  Sainteté  et  pour  Votre  Ëminence, 
d'autant  plus  que  le  succès  dépend  principalement  de  la  con- 
servation exacte  de  ce  secret.  Cependant  il  en  est  arrivé  qu'il 
s'est  répandu  un  grand  bruit  dans  le  monde  que  le  roi  a  pro- 
mis à  Sa  Sainteté  de  faire  un  grand  coup  et  capital  contre  les 
huguenots,  et  en  détruire  quelques-uns,  et  que  Sa  Majesté  en 
a  déjà  reçu  des  plaintes  et  des  reproches  de  divers  princes  et 
potentats  protestants,  comme  s*ils  craignaient  que  Sa  Majesté 
put  être  capable  de  former  le  dessein  d'une  seconde  Saint- 
Barthélémy.  »  11  ne  convenait  au  pape  de  prêter  son  nom  ni  à 
dos  conférences  théologiques  tenues  par  l'ordre  et  sous  l'auto- 
rité du  roi,  ni  à  des  manœuvres  occultes  dont  ce  prince  l'aurait 
ensuite  requis  de  sanctionner  les  effets.  Lu  réponse  du  cardinal- 
neveu  louait  en  bons  termes  la  piété  de  Louis  XIV  et  son  désir 
de  rétablir  l'unité  de  créance,  mais  surtout  sa  promesse  de  ne 
prendre  jamais  aucune  résolution  intéressant  la  foi,  sans  le 
concours  du  pape,  qui  avait  droit  à  celte  déférence  comme 
vicaire  de  Jésus-Christ  (2),  leçon  qui  ne  fut  pas  écoutée.  Rome 

(1)  H  csl  d'ailleurs  douteux  que  Liounef  daus  âOQ  entreUen  avec  l'archevêque 
de  Thèbes,  se  soit  exprimé  si  respectueusemeut  pour  la  puissance  pooUficale: 
nous  u'avous  ici  que  la  relatiou  faite  par  lui  de  sa  conférence  avec  le  nonce 
dans  une  lettre  qui  a  pour  but  «le  prévenir  les  reproches  du  pape  et  d'endor- 
mir sa  vigilauce. 

(2)  «  .  .  Non  prenrfïY,  in  simili  affari  di  religione,  rizoiuzione  alcuna  che 
con  participazione  di  Sua  Santità,  allaquale^  corne  vicario  di  Chrislo,  e  dovuta 
(fuesta  dcferenza.  >>  (1  mai  1669.  Rome,  198.) 


NOUVELLES    AGRESSIONS    CONTRE   L* AUTORITÉ    PONTIFICALE    363 

le  connut  les  entreprises  de  Louis  XIV,  même  la  révocation 
le  redit  de  Nantes,  qu'après  Tévénement  accompli. 

L'expédition  de  Candie  n'élait  encore  qu'un  projet,  lorsque  le 
oi  avait  réclamé  le  cardinalat  pour  Tabbé-duc  d'Albret,  à  peine 
igé  de  vingt-cinq  ans.  Clément  IX  devait  mourir  sans  avoir 
lonné  la  pourpre  à  Bonsy  ni  au  prince  d*Aversperg  :  il  lui  était 
)lus  difficile  de  la  refuser  au  neveu  de  Turenne,  qui  avait  an- 
loncé  lui-même  au  pape  la  conversion  de  son  oncle  (1),  et  dont 
es  intérêts  furent  soutenus  par  un  agent  spécial,  Tabbé  de  Bi- 
jorre,  ancien  secrétaire  du  duc  de  Chaulnes,  renvoyé  à  Rome 
30ur  cette  unique  affaire  (2).  La  première  promotion  apparte- 
lait  de  droit  au  pape  ;  mais  le  roi  demanda  Tavance  d*un  cha- 
leau  sur  le  tour  des  couronnes.  Vainement  le  souverain  pontife 
jpposa  le  danger  d'abord  de  violer  la  coutume.  On  lui  représenta 
]u'il  importait,  en  ce  moment,  de  ménager  la  bienveillance  du 
roi.  Bigorre  écrivait  :  «  Sa  Sainteté  s'échauffa  un  peu  là-dessus, 
3t  joignant  ses  mains  :  Dieu  sait^  dit-elle^  si  nous  voudrions 
:ien  refuser  au  roi  ;  mais  que  diraient  nos  successeurs  quand 
ils  verraient  que  nous  aurions  perverti  les  ordres  établis  et 
mis  la  confusion  où  nous  aurions  trouvé  la  règle?  —  Je  lui 
répondis  d'une  voix  plus  basse  qu'à  l'ordinaire,  pour  lui  mon- 
trer plus  de  respect,  que  son  pouvoir  n*ayant  point  de  bornes, 
elle  trouverait  peut-être  à  propos  de  s*en  servir  à  déroger  pour 
une  fois  et  sans  conséquence  à  ces  règles,  en  vue  d'un  inté- 
rêt si  puissant  pour  la  religion  en  général  et  pour  celle  de  la 
France  en  particulier.  —  Elle  me  répliqua  que  c'était  une 
affaire  de  religion  que  de  maintenir  les  coutumes  établies  par 
les  papes  (3).  »  —  L*abbé  de  Bigorre  invita  le  roi  à  «  rechar- 
ger un  peu  sur  sa  première  recommandation,  »  et  à  écrire 
«  de  nouvelles  lettres  avec  quelques  motifs  ou  des  secours  de 
Candie,  ou  do  l'avancement  de  la  religion  en  France  (4).  » 
Lionne  lit  valoir  le  zèle  déployé  par  Toncle  du  candidat  en  fa- 


(1)  Liooue  à  Bourleuioat,  25  octobre  1668.  Rome,  493. 

(2)  Lu  roi  au  pape,  18  novembre  1668,  à  BourlemoQt;  Lionne  à  Rospigliosi, 
l«r  décembre;  Bigorre  à  Lloune,  28  décembre.  Romey  194. 

(3)  A  Lionne,  1*'  et  8  janvier  1669.  Rome.  196. 

(4)  A  Lionne,  8  et  15  Janvier  1669;  ie  roi  au  pape,  18  janvier;  Lionne  àRot- 
pigliosi,  11  et  18  janvier.  Rome,  196. 


364  CHAPITRE    SIXIÈME 

veur  de  Texpédition  projetée  :  «  Si  M.  le  cardinal  Rospigliosi, 
dit-il  (1),  pouvait  voir  par  lui-même  tout  ce  que  M.  deTurenne 
fait  ici  tous  les  jours  auprès  du  roi  en  faveur  du  salut  delà 
Candie,  pour  aplanir  ou  surmonter  les  obstacles  sur  la  qualité 
du  secours,  et  détruire  toutes  les  considérations  qui  pourraient 
s'opposer  à  cette  résolution,  je  suis  assuré  que  Son  Émi- 
nencc  serait  plus  échauiïée  qu'aucun  autre  à  supplier  Sa  Sain- 
teté de  l'avancement  de  cette  promotion.  »  Le  ministre  écri- 
vit au  cardinal  Rospigliosi  lui-même  :  c(...  J'assure  aussi 
Votre  Éminencc  que  M.  de  Turcnne  y  a  fait  des  merveilles  et 
qu'il  a  donné  les  plus  grands  coups  (2).  »  Le  pape  eut  beau 
prier  le  roi,  par  deux  lettres  de  sa  main,  de  ne  pas  le  presser 
et  «  di  riflettere  a  quoi  grandi  rispetii  liqttali  delta  tnateria  de- 
vono  considerarsi,..  »  — Il  ajoutait  :  «  Se  le  gravi coîisiderationi 
che  abbiamo  in  queuta  materia  ci  daran  Inogoa  farlo^  non  aara 
minore  il  nosiro  contento  che  quello  di  Vostra  Maesià  [3),,.  ^^ 
Lionne  écrivit  coup  sur  coup  des  dépèches  impérieuses  (i), 
d'après  le  projet  que  Tabbé-duc  en  avait  dressé  lui-même  en 
ces  termes  :  «  La  lettre  que  M.  de  Lionne  prendra  la  peine 
d'écrire  à  M.  le  cardinal  Rospigliosi  est  la  principale  pièce 
de  notre  batterie  et  l'unique  fondement  de  mes  espérances...  » 
Il  devra  dire  que  le  roi  est  surpris  que,  sur  la  seule  nouvelle 
du  secours  destiné  à  Candie,  le  nonce  ne  lui  ait  pas  apporté 
le  chapeau;  «  que  le  déplaisir  du  roi  fut  tel  qu'il  ne  voulut 
pas  dire  le  moindre  mot  touchant  cette  promotion  à  M.  le  nonce, 
se  réservant  d'en  écrire  à  Sa  Sainteté  même,  croyant  qu'il 
était  en  quelque  façon  indigne  de  lui  de  rebattre  si  souvent 
la  même  chose  à  ce  ministre,  sans  en  voir  l'exécution  »  ;  qu'en 
conséquence  il  prend  le  parti  d'envoyer  ce  courrier  exprès 
pour  faire  connaître  l'impatience  du  roi  et  son  chagrin 
incroyable  de  ce  que  l'affaire  n'est  pas  déjà  consommée  ;  que  la 
simple  promesse  du  secours  de  Candie  suffit  pour  tirer  du 

(1)  A  Bourlemont,  18  janvier  1661).  «owc,  196. 

(2)  12  février.  /?ofwe,196. 

(3)  19  janvier  el  19  f«^vrier  1669.  Rome,  196. 

(4)  Lionne  à  Rospigliosi  et  à  Bourlemont.  13  mars  1669.  Rome,  197.  Le  brouil- 
lon autographe  de  l'abbé  est  dans  le  mémo  volume.-— Le  roi  et  Lionne  a  Ros- 
pigliosi, 20  et  22  mars  ;  Lionne  à  Bigorre,  22  mars.  Rome,  197.  Lionne  à  Ros- 
pigliosi, 26  juin  et  12  juillet.  Rome,  198  et  199. 


NOUVELLES    AGRESSIONS   CONTRE    l'âUTOHITÉ   PONTinCALE     365 

pape  «  cette  marque  de  sa  généreuse  reconnaissance  »;  qu'en- 
fin il  «  ne  croit  pas  pouvoir  rendre  un  plus  grand  service  à 
Son  Éminence  et  à  toute  sa  maison  qu*en  la  suppliant  de 
faire  en  sorte,  par  son  crédit,  que  cette  affaire  ne  traîne  pas 
sn  de  plus  grandes  longueurs...  Tout  ceci  serait  peu  de  chose 
si  M.  de  Lionne  n'avait  la  bonté  de  se  servir  de  ces  pièces  dar^ 
tillerie  dont  lui  seul  est  l'ouvrier  et  dont  le  coup  porte  si  à  pro- 
pos. »  L'abbé  de  Bigorre  prenait,  à  Rome^  une  attitude  con- 
forme à  cet  indigne  langage  (i)^  et  accusait  le  pape  de  vouloir 
régler  sa  décision  sur  l'issue  de  la  campagne  (2). 

Rien  ne  pouvait  plus  offenser  Clément  IX  que  le  soupçon 
le  mettre  une  condition  à  un  acte  qui  devait  émaner  de  sa 
Jbre  volonté,  et  Bourlemont  avait  depuis  longtemps  éclairé 
a  cour  sur  les  véritables  dispositions  du  pontife.  Il  avait  écrit 
jës  le  9  avril  1669  :  Le  cardinal  Rospigliosi  m'a  déclaré  «  qu'il 
:ic  croyait  pas  avoir  rien  dit  à  M.  Bigorre  ni  à  qui  que  ce  fût 
]ui  put  être  expliqué  en  ce  sens-là  (3),  et  que  M.  le  cardinal 
Vzzolino  que  Ton  citait  n*avait  point  eu  cette  pensée-là  non 
)lus  que  lui;  que  ce  n'était  pas  le  génie  du  pape  ni  le  sien 
le  capituler  pour  les  grâces;  que  Sa  Sainteté  allait  au  devant 
le  celles  qu'il  pouvait  faire  et  principalement  vers  le  roi  pour 
]ui  il  a  tant  d'amilié  et  do  tendresse  ;  qu*il  osait  me  dire  qu'une 
pareille  pensée  était  contre  le  roi  et  le  pape  que  Sa  Sainteté  eût 
/oulu  marchander  sesgrùces  et  le  roi  les  voulût  acheter;  que 
:es  deux  monarques  travaillent  pour  la  belle  gloire  et  Thon- 
leur  de  Dieu,  et  par  le  lien  d'amitié  qui  les  unit  pour  le  bien 
le  la  chrétienté.  » 

L*abbé  de  Bigorre  ruina  son  crédit  par  ses  discours  extra* 
^'agants  :  personne  ne  prenait  au  sérieux  un  agent  qui  se 
^-antait,  dans  Tantichambre  du  pape,  de  se  faire  bientôt  un 


(1)  Liouoe  cepeudaut  prévoyait  le  daugor  des  formes  Irop  brutales  :  Faites 
'aloir  uoa  raisous  avec  force,  disait-il,  tuais  •<  représentez-les  doucement, 
espectueuscment  et  sans  uieuaces  positives  qui  pussent  donner  un  prétexte  à 
les  gens  tiui  seraient  peut-ôlre  bien  aises  d'en  trouver.  >>  (22  mars  1669.  Rome^ 
97.) 

(2)  Bourlemout  à  Lionne,  1)  avril  16G9.  Home,  197. 

(3)  Ce  que  l'on  appelait  «  la  respectivité  d'&yiiUceT  la  promotion  de  M.  le  duc 
TAlbrct  si  les  puissants  secours  que  le  roi  envoie  en  Candie  ont  un  heureax 
.ucoès.  '»  ^Homf,  l'J7.) 


366  CHAPITRE    SIXIÈME 

matelas  avec  les  moustaches  des  Turcs,  tués  par  le  duc  de 
Beaufort(i].  Lionne  vint  à  son  secours  en  faisant  appel  à  la 
libéralité  du  souverain  pontife.  Il  répéta  au  cardinal  Ros- 
pigliosL  que  le  roi  avait  des  raisons  ce  très  fortes  et  très  consi- 
dérables »  de  souhaiter  cette  grùce,  et  Tinvita  de  nouveau  à 
«  supplier  Sa  Béatitude  de  son  entière  consommation.  Je  puis, 
disait-il^  ajouter  à  cela  que  Sa  Majesté  s'attendait  à  en  recevoir 
la  nouvelle  huit  jours  après  la  Pentecôte  (2),  croyant  que  Sa 
Sainteté  aurait  appris  en  ce  temps-là  le  départ  des  armées  et 
ne  pouvant  se  persuader  que  Sa  Béatitude  voulût  attendre  le 
succès  de  leur  action  on  Candie,  comme  si  elle  ne  regardait 
la  chose  que  par  l'événement  heureux  ou  malheureux»  laquelle 
pensée  Votre  Éminence,  aussi  bien  que  tout  le  monde,  a  jugé 
elle-même  peu  conforme  à  la  générosité  naturelle  de  Sa  Béa- 
titude (3).  »  L'abbé  de  Bigorre  écrivit  au  ministre  :  «  Sans 
vos  manières  d'une  adresse  consommée,  le  secours  de  Candie 
n'aurait  pas  été  suffisant  pour  nous  mener  à  notre  fin,  et  les 
armées  de  Sa  Majesté,  après  avoir  arraché  des  mains  des  Turcs 
le  royaume  de  Candie  et  épouvanté  l'Orient,  s'en  seraient 
retournées  à  Marseille,  sans  avoir  tiré  des  mains  des  prêtres  le 
bonnet  rouge  dont  Votre  Excellence  m^avait  commis  lasolli- 
ritation  (4).  »  Mais  ces  manœuvres  auraient  été  vaines  sans 
la  mort  de  Boaufort  et  le  désastre  du  23  juin,  dont  la  nouvelle 
ne  fut  rec^^ue  à  Rome  que  le  i*'  août  suivant  (îi).  Dès  le  5  août, 


(i)  Servieut  à  Lionne,  16  juillet  166î).  Home,  11»9. 

(2)  Qui,  cette  aiiu6e-Ià,  tombait  le  9  juin. 

(3)  26  juin  1669.  Lionne  uotc  lui-même  qu'il  a  écrit  de  sa  main  le  brouillon 
et  rexpéilitiou  de  cette  lettre. 

(4)  9  juillet  1669.  Home,  199. 

(3)  Le  30  juillet.  Bourlemont  écrit  encore  que  le  pape  ne  lui  donne  aucune 
espérance;  qu'il  n'y  a  pas  d'exemple  qu'on  ait  avancé  la  promotion  d'un  car- 
dinal national  pour  une  ?eule  couronne,  et  qu'il  y  a  trop  peu  de  vacances 
pour  satisfaire  à  la  fois  tous  les  droits  et  toutes  les  prétentions.  Le  môme  jour, 
le  pape  répond  lui-même  dans  lo  môme  sens  à  une  lettre  récente.  [Rome, 
199.)  —  3  août,  Servient  à  Lionne  :  On  a  ici  depuis  trois-  jours  la  nouvelle  des 
événements  de  Candie.  —  fl  aoAl,  lo  papo  au  roi  :  lui  annonce  la  promotioa 
faite  dans  la  matinée  du  même  jour.  —  6  aoùl,  Bourlemont  à  Lionne  :  «  Je 
dois  vous  dire  que  je  tiens  pour  indubitable  que  la  résolution  prise  au  palais 
tout  à  coup  de  faire  la  promotion  eu  un  jour  de  fête  [Notre-Dame  des  Neiges, 
grande  solenoité  à  Saiule-Marie  Majeure],  et  lors  mèmeque  toute  la  maison  du 
pape  était  en  deuil  [don  Tommaso  Rospigliosi.  ueveu  de  Clément  IX,  mort  la 


NOUVELLES    AGRESSIONS   CONTRE    l' AUTORITÉ   PONTIFICALE     367 

le  pape  assembla  un  consistoire  et,  «  déclarant  la  promotion, 
il  dit  qu'il  tirait  deux  chapeaux  de  sa  promotion  pour  les  cou- 
ronnes, Tun  pour  M.  d'Albret,  pour  le  chapeau  national  de 
France,  et  Tautre  pour  le  chapeau  national  d'Espagne  qu'il 
réservait  in  petto  (1).  »  La  cour  de  France  était-elle  satisfaite? 
Les  remerciements  ampoulés  de  la  première  heure  (2)  furent 
bientôt  suivis  de  nouvelles  exigences.  Louis  XIV  trouva 
mauvais  que  l'Espagne  reçût  la  même  faveur  que  lui,  sans 
qu'on  l'eût  étendue  au  prince  d'Aversperg,  et  il  provoqua  des 
explications  qui  mirent  en  relief  la  délicatesse  du  pape.  Bour- 
lemont  écrivit  :  On  s'est  conformé  à  l'usage.  «  Le  cardinal 
Rospigliosi  médit  confidemment  qu'outre  ce  motif  le  pape  en 
avait  encore  un  plus  fort  de  ne  s*en  pas  dispenser  en  faisant 
seul  M.  de  Bouillon,  qui  est  la  compassion  vers  la  reine  d'Es- 
pagne^ dont  la  régence  est  si  traversée  et  si  mal  obéie  ;  et  que,  si 
le  pape  l'eût  oubliée,  en  avançant  la  promotion  pour  la  France, 
cela  lui  aurait  beaucoup  diminué  son  estime,  et  l'on  eût  cru 
que  le  pape  la  considérait  peu  dedans  ses  afflictions  et  ses  tra- 
verses; que  toutes  ces  considérations-là  ne  se  trouvaient  pas 
en  Télat  où  était  présentement  TEmpereur  (3).  »  Celte  atten- 

veiUe,  4  août],  a  eu  pour  principal  motif  la  perte  de  M.  de  Beaufort  que  l'on 
apprit  vendredi  par  des  lettres  de  Malte,  mais  que  vraisemblablement  Ton  a 
voulu  dissimuler  au  palais  pour  rendre  la  promotion  apparemment  plus  gé- 
ûéreuse.  » 

(1)  Bourlemont  à  Lioune,  6  août  iG69.  Romej  199. 

(2^  Le  20  août,  Lionne  écrivit  au  cardinal  Rospigliosi  :  Le  roi  m'ordonne  de 
vous  dire  «  que  bien  loin  que  V.  E.  ait  perdu  un  ni  deux  chapeaux,  qaand  mAme, 
par  un  malheur  qui  me  fait  horreur  à  y  penser,  V.  E.  no  les  pourrait  regagner 
dans  la  promotion  que  S.  S.  feru^s'il  plaît  à  Dieu,  pour  les  couronnes  et  plu- 
sieurs aatrcs  ensuite,  il  veut  et  entend  au  contraire  que  V.  E.,  dans  cette  seule 
action  si  désintéressée  qu'elle  a  faite  par  le  seul  motif  de  lui  plaire,  ait  gagné 
rix  ou  sept  autres  chapeaux  à  son  entière  disposition  en  tout  temps,  parce 
que  la  faction  de  ses  serviteurs  dans  le  sacré  collège  aura  un  ordre  perpétuel 
d(*  s'attacher  inséparablement  aux  intérêts  de  V.  E.  et  &  ses  volontés,  voire 
de  la  reconnaître  comme  leur  véritable  chef  dans  les  conclaves  et  y  suivre 
tous  les  mouvements  qu'elle  estimera  do  son  avantage  de  leur  donner,  et  pour 
autant  que  Dieu  me  prêtera  de  vie  et  a  mon  Ûls,  j'ose  dès  a  présent  répondre 
à  V.  E.  que  cet  ordre  sera  aussi  ponctuellement  exécuté  de  delàpar  MM.'nos 
cardinaux  que  S.  M.  le  leur  aura  donné  d'ici  avec  la  dernière  sincérité,  n'étant 
pas  à  présumer  qu'aucun  d'eux  veuille,  on  y  manquant,  s'exposer  à  encourir 
l'indignation  et  la  disgrâce  de  S.  M.  »  (20  août.  Home,  199.) 

(3)  Lionno  k  Rospigliosi,  25  septembre;  Bourlemont  à  LioDne,  8  octobre  1669, 
Rome^  200. 


368  CHAPITRE   SIXIÈME 

lion  généreuse  de  Clément  IX  n'excita  que  de  la  colto  i 
Saint-Germain.  Lionne  répondit  à  Bonrlemont  (i)  :  Quand  le 
pape  nous  accorde  un  chapeau,  pourquoi  se  croit-il  obligé 
d*en  donner  aussitôt  un  autre  à  rEspagne?Les  Espagnols  ont- 
ils  fait  tuer  leur  amirante  en  Candie?  cet  amirauté  avait-il  ud 
frère  cardinal,  qui  «  a  dépensé  toutes  ses  forces  dans  le  ser- 
vice du  saint-siège  et  en  soit  mort  (2)?  » 

Louis  XIV  s  appliqua  dès  lors  à  emporter  une  nouvelle  pro- 
motion, celle  de  César  d*Estrées,  évèque  de  Laon,  au  nom  du 
régent  de  Portugal.  Cependant  tout  excluait  ce  prélat  du  sacré 
collège.  Non  seulement  il  ne  rendait  aucun  service  à  Féglise 
de  Portugal  ni  à  celle  de  France,  mais  il  venait  de  participer 
très  activement  à  toutes  les  machinations  concertées  entre  la 
cour  et  les  quatre  évêques  jansénistes  pour  tromper  le  saint- 
siège  (3).  D'ailleurs  Tadmission  périodique  du  Portugal  aux 
promotions  des  princes  n  était  point  passée  en  coutume;  ot 
enfin,  quand  venait  le  tour  de  cette  couronne,  les  ecclésiasti- 
ques nationaux  devaient  être  préférés  aux  étrangers.  Voici  les 
manœuvres  employées  par  Lionne  pour  écarter  les  rivaux  du 
prélat  français.  Il  écrivait  à  Tabbé  de  Saint-Romain,  ambas- 
sadeur à  Lisbonne  :  «  J'ai  donné  avis  à  M.  Tévèque  de  Laon, 
de  la  peine  que  vous  font  quelques  ecclésiastiques  portugais 
des  grandes  maisons  pour  la  concurrence  avec  lui  au  chapeau 
de  cardinal...  Quant  au  prince,  il  est  aisé,  ce  me  semble,  de 
lui  faire  connaître  qu'un  des  plus  grands  intérêts  qu'il  a  pour 
pouvoir  gouverner  son  Etat  plus  souverainement,  est  de  n'a- 
voir jamais  de  cardinaux  portugais,  à  moins  que  ce  ne  fùtuQ 
de  ses  propres  enfants,  à  cause  de  la  vénération  extraordinaire 
qu'ont  les  peuples  pour  tout  ce  qui  regarde  le  pape  et  rautorilc 
de  la  cour  de  Rome,  et  qu'un  cardinal  présent  partagerait  la 
sienne  dans  le  royaume  et  lui  causerait  bien  des  embarras,  s'il 
voulait,  en  tant  de  diverses  occasions  qui  peuvent  s'ofifrir(4).» 

(l)  11  octobre.  Rome,  200. 

(2j  Allusion  au  cardinal  de  Vendôme,  frère  de  Beaufort,  qu'une  maladie  avait 
emporté,  à  Aix,  quelques  semaines  après  la  mort  de  l'amiral.  —  11  faut  ua 
rare  degré  d'impudence  pour  transformer  ce  misérable  personnage  eu  ser- 
viteur du  saint-siège,  victime  de  son  dévouement  à  rÉglise  ! 

(3)  V.  plus  baut  sa  lettre  à  Lionne,  du  1  décembre  166S. 

(4)  12  mai  1669.  Portugal,  8. 


NOUVELLES    AGRESSIONS    CONTRE    l'aUTOKITÉ    PONTIFICALE    369 

Le  pape  représentait  du  reste  avec  douceur  qu'avant  d'as- 
pirer à  de  nouvelles  grAces,  la  cour  do  Lisl>onne  devait  lui 
témoigner  quelque  reconnaissance  de  ce  qu'elle  avait  déjà  reçu 
du  saint-siège.  II  traitait  avec  le  régent;  il  lui  avait  accordé 
les  dispenses  pour  son  mariage;  il  agréait  sa  nomination  aux 
évèchés;  il  promettait  de  recevoir  son  ambassadeur,  et  le 
régent  ne  faisait  rien  ni  pour  le  pape  ni  pourTËglise  {i)  ! 

L*abbé  de  BouPiIs,  accrédité  à  Home  comme  agent  du  roi  et 
de  la  maison  de  Vendôme,  ne  craignit  pas  de  rappeler  comme 
un  titre  de  César  d'Eslrées  à  la  pourpre  le  lien  honteux  qui 
Tunissait  au  duc  de  Beaufort  :  Le  sang  de  Tamiral  doit  «  rou- 
gir l'habit  de  M.  de  Laon  »  (2),  dit-il  au  cardinal  Rospi- 
gliosi  (3).  Le  cardinal  de  Vendôme  étant  mort  peu  après 
(6  août  16G9),  la  cour  de  France  tenta  également  d'exploiter, 


(1)  BouûU  à  Liooue,  16  juillet  1660.  Rome,  19'J.  —  La  correspoudance  du 
temps  U0U8  apprend  luême  que  le  pape  avait  à  se  plaiudre  des  obstacles  ap- 
portés par  le  réfçent  au  ministère  des  missionnaires  envoyés  dans  les  Indes 
par  la  Propagande. 

(2)  Ce  méprisable  évoque,  qui  n'était  encore  connu  que  par  ses  galanteries, 
avait  depuis  longtemps  pris  la  résolution  de  mettre  à  prutit  le  triomphe  aussi 
bien  que  la  mort  de  ramiral.  Voici  un  mémoire  qa'il  avait  chargé  son  frère 
aiué,  le  marquis  de  Cœuvrcs,  de  présenter  à  Lionne  :  «  J'ai  fait  réflexion  sur 
le  bruit  que  l'abbé  Bouûls  me  mande  qu'on   avait  répandu  dans  Rome  que 
M.  le  duc  de  Beaufort  aurait  ordre,  en  revenant  de  Candie,  de  faire  l'ambas- 
sade d'obédience  auprès  du  pape,  et  j'ai  pensé  que  ce  serait  un  (jrand  coup 
pour  Vavancemenl  de  mes  affaires  si  cette  vue  réussissait.  Dans  la  bonté  que 
M.  de  Lionne  a  pour  moi,  jo  vous  prie  ihi  lui  faire  cette  ouverture  et  de  lui 
dire  qu'eu  cela  comme  en  toutes  choses  j'espère  tout  de  sa  bonté.  M.  de  Beau- 
fort,  y  séjournant  un  mois  ou  six  semaines,  aurait  uu  cortège  admirable  de 
Varmée  navale,  et,  de  cette  sorte,  le  secours  qu'il  en  tirerait  et  le  peu  de  séjour 
rendrait  la  dépense  bien  moins  considérable.  Ainsi,  il  n'en  coûterait  pas  ex- 
trêmement au  roi.  et  la  chose  serait  d'une  satisfaction  infinie  pour  le  pape. 
M.  de  Beaufort  irait  liéharquer  proche  de  Rome,   et  je  ne  sais  même  si,  dans 
la  rencontre  du  succès  de  Candie,  il  ne  pourrait  pas  faire  comme  une  entrée 
uavale  par  le  Tibre,  et  aller  immédiatement  débarquer  proche  de  Saint-Pierre. 
La  plus  grande  dépense,  ce  serait  celle  d'une  livrée  et  de  quelques  attelages  ; 
encore  peut-être  que,  <lansune  conjoncture  si  extraordinaire,  on  pourrait  tden 
l'éviter...  Je  suis  persuadé  que  cette  résolution  serait  décisive  pour  mes  affaires. 
En  cas  qu'il  fût  à  propos  de  procurer  quelques  diligences  du  ciMé  de  Home 
pour  demander  un  ambassadeur  d'obédience,  on  attirerait  des  ordres  qui  obli- 
geraient le  nonce  d'en  faire  des  instances.  Je  supplieinstammeutM.de  Lionne 
de  considérer  avec  sa  bonté  accoutumée  ces  proposiUoas.  Ce  6«  juillet  1669, 
à  Paris.  »  {Home,  204.^ 

['3}  BonUUà  Lionne.  9  août  1660.  Home,  199. 

LOUIS  XIV  BT  LB  SA1NT-Si60l.   —  11.  24 


370  CHAPITRE   SIXIÈME 

en  faveur  de  son  indigne  protégé,  sa  parenté  avec  Gabrielie 
d^Ëstrécs  et  la  mort  des  deux  frères  issus  de  cette  courtisane. 
Elle  envoya  au  pape  une  nouvelle  supplique  signée  par  les  deui 
enfants  que  le  cardinal  de  Vendôme  avait  eus  de  son  mariage 
avec  une  nièce  de  Mazarin,  et  Lionne,  rompu  à  tous  les  rôles 
et  à  tous  les  mensonges,  prit  le  style  dévotieux  pour  sur- 
prendre la  complaisance  du  cardinal  Rospigliosi.  Il  lui  écrivait: 
«  M.  le  duc  de  Vendôme  a  cru  ne  pouvoir  rencontrer  de 
plus  solide  consolation  à  l'excès  de  sou  mal  qu'en  recourant 
à  la  source  en  terre  de  tous  les  plus  grands  biens,  qui  est  sans 
doute  la  main  toute-puissante  et  si  bienfaisante  du  vicaire  de 
Jésus-Christ.  Il  prend  la  liberté  de  continuer  les  mêmes  res- 
pectueuses instances  à  Sa  Sainteté  que  les  deux  princes  que 
nous  regrettons  lui  avaient  faites  pour  la  promotion  au  cardi- 
nalat de  M.  Tévêque  de  Laon,  son  plus  proche  parent  et  son 
meilleur  ami  (  i  ). . .  »  L'ardcu r  passionnée  que  déploya  le  ministre 
dans  la  poursuite  de  cette  promotion  s*expliquait  parle  projet 
de  mariage  arrêté  entre  sa  fille  Madeleine  et  le  comte  de  Nan- 
teuil,  neveu  de  Tévêque  (2).  Il  dépêcha  en  Italie  un  second 
agent,  M.  Foucher,  pour  solliciter,  de  concert  avec  Tabbé  de 
Bonlils,  une  nomination  que  le  roi  avait  «  infiniment  à  cœur  ». 
Ildisait  àBourlemont(»l)  :  u  En  mon  particulier, j'ai  des  raisons 
si  puissantes  pour  souhaiter  à  M.  de  Laon  toute  sorte  d'avan- 
tages et  d'accroissement  d'honneurs  que  je  ne  puis  jamais,  en 
aucune  autre  occasion,  de  quelque  nature  qu'elle  soit,  quand 
ce  serait  pour  mes  propres  enfants,  vous  avoir  tant  d'obliga- 
tion qu'eu  celle-ci,  si  vous  voulez  bien,  comme  je  vous  en 
conjure  très  instamment,  donner  vos  soins  et  une  particulière 
application  au  bon  succès  de  ralîairo.  »  L'abbé  do  Bourlemont 
conduisit  l'abbé  de  Bonfils  et  Foucher  à  l'audience  du  pape 

(1)  30  août.  Home,  199. 

(2)  Le  comte  de  Nauteuil  était  fils  du  marquis  de  Cœuvrea,  qui  devint  duc 
d'Estrôes,  eu  J670,  par  la  mort  de  sou  père,  et  qui  fut  ensuite  ambassadeur  à 
Rome.  Le  mariage  fut  célébré  le  10  février  1G70.  «  Les  malins  Taccusèpent 
[l'évoque  de  Laou]  d'avoir  fait  dans  la  vue  du  chapeau  le  mariage  de  son  neveu 
avec  la  fille  du  célèbre  Lionue; ...  sur  quoi  il  courut  d  assez  plaisantes  chaii- 
sous,  dont  il  se  divertit  le  premier.  »  {Mémoires  de  Saint-Simon,  êdit.  Chéruel, 
t.  X,  p.  350.) 

(3)  30  août  1669.  Rome^  199. 


NOUVELLES   AGRESSIONS   CONTRE   l' AUTORITÉ    PONTIFICALE     371 

et  sollicita  la  promotion  de  César  d'Estrées  comme  a  la  ré- 
compense de  la  mort  de  deux  grands  princes  pour  le  service 
de  rÉglise.  »  Clément  IX  répondit  de  sa  main  au  roi  que  cette 
grâce  était  impossible  (1),  etTabbé  de  Bourlemont  écrivait  : 
«  Sa  Sainteté  me  répéta...  que,  n'ayant  pas  encore  fait  de 
promotion  pour  lui,  étant  déjà  dans  la  troisième  année  de  son 
pontificat,  il  est  obligé,  et  par  honneur  et  par  conscience,  de 
récompenser,  en  la  première  promotion,  des  prélats  de  cette 
cour  qui  consument  depuis  si  longtemps  leurs  biens,  le  meil- 
leur de  leur  âge  et  leur  vie  au  service  actuel  du  saint-siège; 
qu*il  ne  devait  pas  leur  faire  ce  tort  d'aller  prendre  des  étran- 
gers et  les  laisser  vieillir,  eux,  sans  récompense,  et  qu'il  ne 
manquerait  jamais  de  gratitude  vers  eux  en  ce  qui  lui  serait 
possible;  et  que,  pendant  que  Dieu  lui  accordait  quelque  peu 
de  vie,  il  fallait  songer  à  eux  et  faire  que,  par  leur  récom- 
pense, les  autres  de  cette  cour  prissent  courage  de  s'employer 
totalement  au  service  de  TÉglise  et  du  saint-siège;  que  Dieu 
même  à  qui  nous  devons  tout,  comme  ses  créatures,  veut  bien 
encore  nous  animer  à  faire  notre  devoir  par  ses  immenses 
bienfaits;  enfin  que  l'on  considère  qu'il  n*a  que  six  cha- 
peaux à  disposer  pour  sa  promotion,  et  que,  jetant  les  yeux 
sur  la  cour  de  Rome,  il  la  voit  remplie  de  tant  de  prélats  qui 
ont  vieilli  au  service  du  saint-siège  que  ce  serait  cruauté  de 
ne  les  pas  consoler  selon  son  pouvoir  (2).  » 

Ces  réponses  exaspéraient  Tévéque  de  Laon^  ses  agents  et 
ses  protecteurs;  l'abbé  de  Bonfiis  écrivait(3)  :  «  Je  ne  sais  plus 
que  dire.  Je  suis  au  bout  de  mon  latin...  Je  suis  en  vérité  outré 
de  voir  une  insensibilité  pareille  à  celle-ci,  et,  si  je  n'étais 
chrétien  et  prêtre,  je  souhaiterais  quelque  mortification  à  cette 
cour,  qui  fit  M^**  de  Bouillon  cardinal  quand  on  sut  la  mort  de  S. 
A.  de  Beaufort,  et  qui  parle  absolument,  se  voyant,  parla  red- 
dition de  Candie,  hors  de  besoin...  »  Bourlemont  tâchait  de 
modérer  ce  zèle  :  Il  faut  prendre  garde,  disait-il,  de  faire  con- 

(1)  «  ...  Sono  taoti  e  si  gravi  i  respetti,  cbe  vi  si  oppoagouo  ed  ë  si  prcciso 
iu  Doi  Tobligo  di  considerarli  che  nou  ci  ë  perinesso  di  sperar  quel  la  cousola- 
ztoDe.  »>  (24  leptembre  1669.  Rome,  200.) 

(2)  A  Lioane,  17  septembre  et  8  octobre  1669.  Rome,  200. 

(3)  A  Lioiuie,  22  octobre  1669.  Rome,  201.  Dépêche  classée  par  erreur  sous 
U  date  du  22  novembre. 


372  CHAPITRE    SIXIÈME 

naître  à  cette  cour  «  que,  si  M.  de  Laon  D*a  pas  le  chapeau  en 
cette  première  promotion,  il  s*eQ  sentira  désobligé,  parce  que 
Ton  ruinerait  sa  prétention  pour  tout  ce  pontificat,  vu  qaelt 
nomination  de  Portugal  n'est  pas  établie  en  façon  que  le  pape 
ne  puisse  favoriser  celui  qui  Faura,  passant  sur  certaines  for- 
malités, ou  le  chicaner  s'il  lui  déplaisait  (4).  »  Mais  César 
d'Estrées  voulait  entrer  au  sacré  collège  de  gré  ou  de  force. 
Il  préparait  le  texte  des  dépèches  que  la  cour  expédiait  à  Rome  : 
ce  Sa  Majesté,  disait-il,  réglera  jusqu'où  elle  limitera  TelTort 
de  ses  instances;  mais  il  est  sans  doute  que,  quoique  les  rai- 
sons du  Portugal,  et  surtout  dans  la  conjoncture  présente, 
soient  grandes  et  spécieuses,  un  engagement  ferme  et  cons- 
tant que  Sa  Majesté  aura  pris  et  quelle  fera  voir  fondé  sar 
une  jalousie  et  sur  un  sentiment  de  gloire  et  de  réputation 
fera  une  plus  grande  et  plus  forte  impression.  »  Il  faut  faire 
entendre  que  le  roi  ne  voudra  jamais  «  s'en  départir...  M.  de 
Lionne  sait  ce  que  l'abbé  Melani  marque  dans  toutes  ses  lettres 
de  ce  mélange  délicat  qu*il  faudrait  faire  de  Vamaro  coldolce, 
en  sorte  que  toutes  les  paroles  de  douceur  fussent  expresses 
et  formelles  et  qu'à  travers  de  ses  honnêtetés  on  fît  entendre 
un  peu  d'amertume  et  de  chagrin  pour  Tex primer...  Quand  il 
plaira  à  Sa  Majesté  d'entrer  dans  l'affaire  de  Portugal  de  celte 
sorte  et  de  faire  sentir  qu'il  Tembrasse  comme  un  intérêt 
propre  et  personnel,  il  est  sans  doute  que  l'établissement  d'une 
nomination  nouvelle  dans  un  royaume,  quelque  légitime 
qu'elle  soit,  est  sujet  à  de  grandes  et  de  longues  oppositions, 
mais  ce  qui  peut  arriver  de  la  fermeté  vigoureuse  avec  laquelle 
Sa  Majesté  témoignera  y  entrer,  c'est  que  le  pape,  comprenant 
que  ce  ne  sont  point  des  offices  de  bienséance  qu'elle  rend  au 
Portugal,  mais  des  démarches  essentielles  et  qui  le  commet- 
tent même  en  quelque  façon,  ou  qui  dans  la  suite  le  peuvent 
commettre,  avec  Sa  Majesté,  trouvera  peut-être  si  incommode 
la  discussion  de  ce  droit  qu'il  sera  obligé  de  faire  non  seule- 
ment avec  le  Portugal  mais  avec  le  roi  même,  que,  pour  évi- 
ter les  suites  d'une  telle  contestation,  étant  pressé  d'ailleurs 
par  beaucoup   d'autres  motifs,  il  fera  des  ouvertures  pour 

(1)  A  Lionne,  5  novembre  1669.  Rome,  201. 


NOUVELLES    AGRESSIONS    CONTRE    l' AUTORITÉ   PONTIFICALE    373 

donner  quelque  satisfaction  au  roi  et  au  Portugal,  et  aura 
moins  de  peine  à  donner  un  chapeau  qui  lui  est  demandé  par 
lanl  d'endroits,  sans  rien  décider  pour  ou  contre  le  droit  du 
royaume  de  Portugal,  quand  il  comprendra  par  les  pas  que 
feront  les  ministres  de  Sa  Majesté  qu'il  ne  peut  s'empêcher 
d'avoir  à  démêler  avec  Sa  Majesté  comme  avec  le  Portugal  le 
droit  de  nomination,  sur  lequel  il  y  a  véritablement  beaucoup 
de  choses  très  apparentes  à  représenter,  quand  une  aussi 
grande  autorité  et  aussi  révérée  que  celle  de  Sa  Majesté  les 
soutiendra,  comme  je  le  vois  par'toutes  les  lettres  qui  me 
viennent  de  Rome(i).  » 

Ni  Vamaro  ni  le  dolce  ne  touchèrent  Clément  IX,  qui  refusa 
constamment  la  pourpre  à  César  d'Estrées,  comme  au  prince 
d'Aversperg  et  à  Bonsy  :  mais  il  fitbientôt  (29  novembre  1661) 
une  promotion  comprenant  les  plus  éminents prélats  de  Rome 
et  où  le  futur  conclave  devait  trouver  son  successeur  :  Altieri, 
maître  de  chambre  du  pape,  âgé  de  soixante-dix-neuf  ans, 
«  et  encore  vigoureux,  vu  son  grand  âge  »  ;  «  d'un  insigne 
mérite  et  probité  »  ;  et  qui  allait  être  Clément  X  ;  —  le  P.  Bona, 
général  des  Feuillants,  Tami  d'Alexandre  VII,  «  théologien 
insigne  »  et  dont  le  savoir  était  égalé  par  la  piété;  —  Nerli, 
archevêque  de  Florence,  longtemps  secrétaire  des  brefs  aux 
princes,  dont  l'esprit  ne  pliait  pas  sous  le  poids  de  soixante- 
seize  années;  —  Cerri,  doyen  de  la  rote,  Romain,  «  d'un 
grand  savoir  et  d'un  grand  mérite  »  ;  —  Pallavicini,  doyen  des 
clercs  de  chambre,  ancien  nonce  en  Espagne;  —  Bonaccorsi, 
trésorier  de  la  Chambre  apostolique,  qui  avait  accompagné  le 
légat  Chigi  en  Frauce,  Tun  et  l'autre  sans  partialité;  —  Ac- 
ciajoli,  auditeur  de  la  Chambre,  «  prélat  de  mérite,  »  déjà  en 
possession  d'une  renommée  dont  l'éclat  ne  fit  que  s'accroître, 
—  et  Porto-Carrero,  Espagnol,  doyen  de  Tolède,  réservé  in 

(1)  «  Mémoire  de  M.  révoque  de  Laon  sur  sa  promotion.  »  Novembre  1669. 
Rome^  201.  —  Il  est  curieux  de  comparer  à  ce  raémoiro  la  supplique  adressée 
par  César  dTstrées  au  pape,  le  6  avril  précédent  :  «  ...  Nou  scribo  postulatu- 
ms  beneficium,  sed  obsequium  duntaxat  approbaturus  meum.  Venlo  adorons, 
Don  petens;  adorans  quidem,  ut  decet,  in  le  culminis  apostolici  majestatem, 
non  voro  petens  societatem  eminentissimi  coUegii.  Ego  essem  quam  parsit 
eoofidentior,  si  meritis  quœ  in  me  nulia  sunt...  »  Mais  il  est  recommandé  par 
deoz  grands  princes.  {Rome,  197.) 


374  CHAPITRE   SIXIÈME 

petto  dans  la  promotion  où  le  cardinal  de  Bouillon  avait  été 
proclamé  (1).  On  voit,  par  cette  comparaison,  si  le  pape  était 
fondé  à  défendre  le  sacré  collège  contre  Tinvasion  des  créa- 
tures de  Louis  XIV. 

Clément  IX  continua  de  réclamer,  dans  la  troisième  année 
de  son  pontificat,  contre  les  obstacles  mis  par  les  tribunaux 
séculiers  à  la  publication  en  France  des  censures  dont  Rome 
avait  frappé  le  Rituel  d  Aie  tel  la  Version  de  Mons^  œuvres  des 
jansénistes;  mais  le  roi  maintint  cette  prohibition  en  procla- 
mant des  principes  qui  détruisaient  Tunité  catholique.  Lionne 
écrivit  an  cardinal  Rospigliosi  (2)  :  «  M.  le  nonce  m'a  fait  en  di- 
vers temps  do  grandes  instances  sur  la  publication  de  ce  qui 
a  été  fait  à  Rome  sur  le  sujet  du  Nouveau  Testament  de  Mons 
et  du  Rituel  cTAlet;  j'ai  toujours  cru  et  je  suis  encore  persuadé 
que  le  plus  grand  service  du  pape,  en  ces  deux  affaires,  con- 
sistait à  se  contenter  de  ce  qui  s'est  fait  de  delà,  dont  tout  le 
monde  ici  a  assez  de  connaissance,  sans  entrer  en  de  plus  grands 
engagements  qui  causeraient  mille  embarras   et  pourraient 
même  donner  atteinte  à  la  paix  que  Sa  Sainteté  vient  de  réta- 
blir dans  rÉgliso,  avec  une  gloire  immortelle  de  sa  personne 
et  de  son  pontificat...  Que  si  Sa  Sainteté  se  trouvait  être  dans 
d'autres  sentiments,  outre  que  le  sieur  nonce  devrait  toujours 
en  attendre  de  nouveaux  ordres  pour  ne  commettre  point  de 
faute,  il  faudrait  nécessairement  que,  préalablement  à  toutes 
choses,  on  changeât  de  delà  la  forme  qui  a  été  prise  d'abord 
et  que  l'on  nous  envoyât  dos  bulles  avec  du  plomb,  sur  les- 
quollos  le  roi  aurait  après  à  donner  ses  lettres  d'attache,  tel 
étant  l'usage  constant  et  les  lois  du  royaume  que  le  roi  ne 
peut  enfreindre  sans  se  faire  trop  de  préjudice  et  sans  s'attirer 
des  remontrances  de  tous  les  Parlements,  qui  ne  seraient  qu'une 
occasion  de  fAcherio  à  Sa  Sainteté,  outre  le  péril  que  Ton  cour- 
rait, touchant  le  Rituel  dAlet^  de  soulever  tous  les  évèques 
du  rovaume  en  faveur  de  leur  confrère,  dont  on  a  ordonné  de 
delà  que  le  livre  serait  brillé,  avant  que  l'avoir  cité  et  entendu 
ce  qu'il  peut  dire  pour  sa  justificalion.  Enfin  je  supplie  Votre 


(1]  Boiirlemont  à  Lionne,  30  novembre  1669.  Rome^  201. 
(2)  8  mars  1669.  Rome,  191. 


NOUVELLES    AGRESSIONS   CONTRE   l'aUTORITÉ   PONTIFICALE   375 

Eminence  do  croire  que  le  roi  fait  ce  qui  est  le  plus  du  service 
de  Sa  Sainteté,  quand  Sa  Majesté  refuse  d'accorder  là-dessus 
Jos  demandes  que  lui  a  faites  M.  le  nonce...  » 

Le  roi  persistait  également  à  empêcher  les  évêques  de  ré- 
tracter les  ordonnances  par  lesquelles,  sur  Tinjonction  de  la 
couronne  et  sans  consulter  le  saint-siège,  ils  avaient  supprimé 
un  certain  nombre  de  fêtes  chômées,  et  malheureusement  les 
prélats  étaient  plus  dociles  à  la  voix  de  Louis  XIV  qu  à  celle 
du  pape.  Clément  IX  disait  un  jour  à  l'abbé  de  Bonfils  :  «  Si 
MM.  les  évêques  de  France  voulaient,  ils  pourraient  assuré- 
ment faire  les  choses  au  gré  de  tous  et  d'une  autre  manière 
qu'ils  ne  les  font,  et  n'entreprendre  pas  à  tous  moments  sur 
Tautorité  du  saint-siège...  Si  ces  messieurs,  qui  font  souvent 
les  choses  par  imitation,  parce  qu'un  de  leurs  confrères  les  a 
faites,  eussent  considéré  la  demande  du  roi  et  leur  pouvoir, 
ils  en  auraient  usé  autrement.  Sa  Majesté  a  demandé  la  modé- 
ration des  fêtes  qui  sont  en  trop  grand  nombre  ;  elle  a  eu 
raison,  et  MM.  les  ministres  aussi,  qui  connaissent  la  néces- 
sité des  peuples;  mais  pour  cela  je  suis  assuré  qu'ils  n*ont 
jamais  entendu  strapasser  (1)  l'autorité  du  saint-siège,  à  qui 
MM.  les  évêques  pouvaient  recourir:  et,  connaissant  comme 
ils  font  ses  intentions,  ils  savent  bien  qu'ils  auraient  eu  satis- 
faction comme  encore  tous  les  Français,  que  nous  aimons  ten- 
drement; mais  de  se  dispenser,  de  supprimer  les  fêtes  que 
les  papes  qui  sont  les  chefs  de  l'Eglise  et  les  vicaires  de  Jésus- 
Christ  ont  établies  depuis  si  longtemps,  nous  ne  pouvons  que 
nous  ne  nous  en  plaignions  et  d'autant  mieux  que  chaque  évê- 
que  veut  être  le  pape  ! ...  Ils  peuvent  bien  dispenser  et  permettre 
de  travailler  les  jours  des  fêtes,  selon  la  nécessité  des  saisons 
et  des  personnes,  mais  non  pas  les  supprimer,  étant  du  seul 
pouvoir  du  pape  et  non  des  évêques,  et  enfin  [Sa  Sainteté  a 
dit]  qu'elle  espérait  de  la  piété  du  roi,  qui  est  le  fils  atné  de 
rÉglise,  et  de  celle  de  MM.  ses  ministres,  toute  sorte  de  sa- 
tisfaction là-dessus  (2).  »  Clément  IX  n'aurait  pas  manqué  de 
réprimer  ces  excès  de  pouvoir  par  un  acte  de  sa  juridiction 


(1)  De  slrapazzare,  mépriser,  maltraiter. 

(2)  BoDfils  à  Lionne,  4  juiu  1669.  Rome,  498. 


376  CHAPITRE    SIXIÈME 

suprême,  s'il  n'avait  été  informé  que  la  piété  des  peuples  ne 
ratifiait  pas  ces  retranchements  et  que  les  ordonnances  épis- 
copales  étaient  bientôt  oubliées  :  à  Paris,  sous  les  yeux  du  roi 
et  (le  Tarchev^que,  les  fidèles  et  le  Parlement  chômaient  les 
fêtes  supprimées  (i).  D^un  autre  coté,  Louis  XIV  n'a  jamais 
appuyé  plus  fréquemment  qu'à  cette  époque  les  vœux  des  laï- 
ques et  du  clergé  pour  obtenir  du  saint-siège  l'établissement 
de  nouveaux  offices  et  la  canonisation  de  nouveaux  saints  (2). 
Il  est  à  remarquer  que  la  plupart  des  bienheureux  auxquels 
la  reconnaissance  populaire  souhaitait  de  rendre  un  culte  so- 
lennel avaient  porté  Thabit  monastique,  et  que  Louis  XIV 
poursuivait  en  même  temps  les  hostilités  contre  ce  clergé  ré- 
gulier qui  couvrait  le  royaume  de  ses  bienfaits.  Lacommende 
lui  permettant  déjà  d'étendre  chaque  jour  son  pouvoir  sur  les 
instituts  les  plus  riches,  il  s'étudiait  alors  à  placer  également 
sous  sa  main  les  grands  ordres  mendiants,  Âugustins,  Domi- 
nicains, Franciscains  et  Carmes,  que  leurs  règles  et  leurpau* 
vreté  avaient  mieux  protégés  jusque-là  contre  les  usurpations 
séculières.  Clément  IX  refusait  les  commissaires  m  partibua 
qui  lui  étaient  demandés  moins  pour  réformer  que  pour  sup- 


(1)  «  Le  roi  a  envoyé  au  Parlement  une  lettre  de  cachet  pour  l'informer  de 
l'ordonnance  de  M.  l'archevôque  de  Paria  et  le  Parlement  l'a  reçue,  sinon  pour 
les  fêles  de  saint  Nicolas,  des  Innocents  et  de  saint  Barthélémy^  patron  de  la 
paroisse  du  palais.  Le  Parlement  n'entrera  pas  ces  jours-là,  quoiqu'il  ne  foit 
pas  fôte.  >i  {Journal  de  d'Ormesson,  t.  Il,  p.  478.)  —  Le  mardi  40  août  (1661), 
fôte  de  saint  Rocb,  tout  le  peuple  ff^ta^  nonobstant  le  retranchement  de  cette  fête. 
M.  le  chancelier  donna  conseil,  et  le  Chûtelet  entra,  inais  non  le  Parlement.  • 
{Ibid.^i.  n,  p.  517.) 

(2)  Notamment  :  17  juin  1668,  le  roi  au  pape;  demande  l'introduction  delà 
cause  de  Robert  d'Arbrissel.  fondateur  de  Fontevrauld;  — 29  juin  1668,  le  roi  au 
pape  :  supplique  pour  la  canonisation  de  quarante  Jésuites  martyrs  au  Brésil; 

—  1668,  id.  pour  Rose  de  Lima,  Dominicaine;  13  juillet  1668,  présentatioD 
par  le  duc  de  Cbaulnes  des  lettres  du  roi  et  de  la  reine  pour  la  canonisation 
de  Madeleine  de'  Pazzi,  Carmélite,  18  décembre  1668,  supplique  du  roi  au  pape 
pour  la  canonisation  de  François  de  Borgia,  duc  de  Gandie,  général  des  Jé- 
suites; —  lomars  1669,  le  roi  au  pape,  pour  la  canonisation  de  Jean  Cantius; 

—  17  mai  1669,  le  roi  au  pape  pour  la  n  béatification  de  deux  Capucins,  les 
PP.  Âgathange  de  Vendôme  et  Cassian  de  Nantes,  prêtres,  religieux  profès  et 
missionnaires  en  Ethiopie,  où  ils  ont  été  pendus  et  lapidés,  en  1638,  avec  une 
grande  cruauté  »  ;  —  16  novembre  1669,  le  roi  au  pape  :  demande  rextensiou 
du  culte  rendu  auxBB.  Jean  de  Matha  et  Félix  de  Valois,  fondateurs  de  Tordre 
des  Trinitalres.  {Rome,  190,  191, 192,  195,  201,  204,  etc.) 


NOUVELLES   AGRESSIONS   CONTRE    l'aDTORITÉ   PONTIFICALE   377 

primer  un  grand  nombre  de  couvents.  Mais,  afin  de  meltre  à 
l'épreuve  la  sincérité  du  roi,  il  avait  prescrit  aux  généraux  de 
se  rendre  dans  le  royaume  et  d'y  visiter  toutes  leurs  mai- 
sons (i  ).  Les  dépêches  françaises  n*ont  que  des  hommages  pour 
les  vertus  et  les  talents  de  ces  religieux.  Bourlemont,  annon- 
çant que  le  général  des  Augustins  se  mettra  en  route  le  len- 
demain, ajoute  :  «  C'est  une  personne  de  grand  mérite.  Il  est 
milanais  ;  toutefois  tous  les  religieux  français  de  son  ordre  que 
j*ai  vus  ici  se  louent  de  lui.  »  L*un  des  plus  éminents  était  le 
général  des  Dominicains  qui,  dans  une  lettre  précieuse^  nous 
révèle  les  désordres  déjà  provoqués  par  la  couronne  au  sein 
de  ces  grandes  communautés  :  c'est  lui  qui  écrivait  à  Lionne  (2)  : 
«...  Bien  que  le  mal  ne  soit  ni  si  grand  ni  si  général,  comme 
ceux  qui  n'aiment  pas  les  religieux  ont  tâché  de  persuader  à 
Sa  Majesté  pour  les  décrier  et  avancer  leurs  desseins  à  leurs 
dépens,  ayant  dans  la  France  cinq  provinces  ou  congrégations 
réformées  et  où  on  vit  fort  bien,  je  députe  aussitôt  trois  com- 
missai  res  français,  pris  des  corps  les  plus  réformés  de  la  France 
et  personnes  de  grande  probité,  prudence  et  expérience,  ne 
pouvant  moi-même  vaquer  à  ce  bon  œuvre  et  exécuter  ses 
commandements  à  cause  de  mon  âge  et  de  mes  infirmités... 
Pour  faciliter  ce  bon  œuvre  et  le  faire  avec  moins  de  temps  et 
de  frais,  attendu  la  grande  pauvreté  des  couvents  de  France, 
j'avais  divisé  la  France  en  trois  portions  et  donné  à  un  chacun 
de  ces  commissaires  la  sienne,  savoir  :  au  P.  Jean-André 
Faure,  provincial  de  la  province  de  Toulouse,  la  Provence  et 
le  Dauphiné  et  tous  les  couvents  qui  sont  entre  le  Rhône,  les 
Alpes  et  la  mer  Méditerranée;  au  P.  frère  Jean  le  Pul,  second 
commissaire  et  ci-devant  provincialde  la  province  de  Toulouse, 
tout  le  Languedoc  et  l'Aquitaine  et  en  général  tous  les  cou- 
vents compris  entre  le  Rhône,  la  mer  Méditerranée,  les  Pyré- 
nées, la  mer  Océane  et  la  Loire  ;  et  enfin  au  troisième  com- 
missaire le  P.  frère  Antoine  Mousset,  vicaire  général  de  la 
congrégation  de  Saint-Louis,  tous  les  couvents  situés  entre  la 
rivière  de  Loire,  l'Océan,  la  Flandre  et  le  Rhin  et  la  Saône,  y 

(1)  Bourlemout  au  roi  et  à  Lionoe,  18  et  29  i^eptembre,  et  2  octobre  1668. 
Rome,  1U3.  —  il  juia  1609.  Home,  i9^. 

(2)  Octobre  1668.  Home,  193. 


378  CHAPITRE   SIXIÈME 

mettant  encore  la  comté  de  Bourgogne,  qui  est  au  deçà  de  la 
Saône;  ayant  donné  à  tous  et  un  chacun  tout  mon  pouvoir 
pour  visiter  et  réformer  tous  et  un  chacun  des  couvents  de  leur 
ressort,  autant  que  besoin  en  sera,  selon  rautorité  que  j'en  ai 
du  côté  de  Tordre,  et  de  la  part  de  Sa  Sainteté,  afin  de  pouvoir 
seconder  les  saintes  intentions  du  roi  de  toute  Tétendue  de 
mes  forces  et  de  mon  autorité.  Mais  comme  ceux  qui  avaient 
inspiré  ce  dessein  (1)  à  Sa  Majesté  pour  affaiblir  et  décrier  plu- 
tôt l'état  régulier  que  pour  lui  procurer  son  ancien  lustre  et 
éclat,  qu'il  a  perdu  parmi  les  troubles  de  TÉtat  causés  par  la 
rébellion  et  Thérésie,  virent  qu'ils  ne  pouvaient  pas  réussir,  si 
le  rétablissement  de  la  réforme  était  laissé  entre  les  mains  des 
généraux  ou  de  leurs  commissaires,  ayant  suggéré  au  roi  de 
demander  des  commissaires  apostoliques  àSa  Sainteté,  comme 
il  fit,  mes  commissaires  sont  demeurés  jusques  à  présent  sans 
rien  faire,  Sa  Majesté  attendant  réponse  de  Rome  sur  ses  de- 
mandes... A  présent,  comme  Sa  Sainteté  a  fait  trouver  bon 
au  roi  (2)  de  se  contenter  que  la  réforme  fût  mise  par  les  gé- 


(1)  De  diriger  la  prétendue  réforme  des  monastères  sons  le  nom  de  com- 
missaires apostoliques. 

(2)  Ce  n  était  qu'un  Jeurre,  et  le  roi  se  réservait  de  ne  permettre  l'exécution 
des  nouveaux  règlemeuts  que  s'ils  étaient  conformes  à  sa  volonté.  Les  commis- 
saires furent  forcés  de  relâcher  les  liens  de  la  subordination  entre  les  coq- 
vcuts  français  et  le  général,  et  d'enlever  ainsi  à  ce  dernier  le  moyen  de  les 
défendre  contre  l'omnipotence  laïque.  Lorsqu'un  siècle  plus  tard^  sous  Louis  XV, 
la  Commission  royale  des  Réguliers,  préludant  à  Tœuvre  de  TAssemblèe 
constituante,  chercha  des  prétextes  pour  bouleverser  Tinstitut  de  saint  Domi- 
nique, elle  les  trouva  dans  les  effets  du  régime  imposé  par  Louis  XIV;  mai» 
la  piété  n'avait  jamais  fléchi  dans  les  maisons  où  le  général  avait  conservé  son 
empire  :  c'est  ce  que  démontrent  les  documents  authentiques,  publiés  par 
nous  pour  la  première  fois,  et  notamment  le  rapport  suivant,  dont  Brieoue 
lui-mcme,  président  de  la  fatale  commission,  n'a  pas  contesté  TexacUtude  : 
«  ...  Tout  Paris  est  édifié  de  la  modestie  et  de  la  piété  qui  règne  dans  cette 
maison  [le  noviciat  général  du  faubourg  Saint-Germain,  aujourd'hui  la  paroisse 
de  Saint-Thomas-d'Aquin]...  Elle  s'est  soutenue  jusqu'ici  dans  la  méine  ferveur 
que  dans  les  commencements,  c'est-à-dire  depuis  près  de  cent  trente  ans.  Si  l'on 
en  cherche  la  raison,  il  n'est  pas  possible  d'en  trouver  d'autre  que  Cautorilé 
immédiate  que  le  P.  général  y  exerce  et  qui  lui  est  acquise  par  les  lettres 
patentes  de  Louis  XIII  enregistrées  au  Parlement.  Il  choisit  dans  tout  l'ordre 
en  France,  et  principalement  dans  la  province  de  Toulouse,  les  religieux  qui 
composent  la  communauté  :  il  y  nomme  le  prieur  et  les  autres  officiers... 
La  brigue,  l'intérêt,  la  passion,  l'esprit  de  relâchement  peuvent  bien  influer 
dans  les  élections  que  l'on  fait  dans  chaque  communauté;  mais  quel  autre 


NOUVELLES    AGRESSIONS    CONTRE  L* AUTORITÉ    PONTIFICALE    379 

néraux  de  chaque  ordre  ou  par  leurs  commissaires,  et  que  Sa 
Sainteté  a  trouvé  bons  les  ordres  que  j'avais  donnés  pour  ce 
sujet,  et  que  j'y  travaillasse  par  mes  commissaires,  me  dispen- 
sant de  le  faire  moi-même,  à  cause  de  mon  âge  et  de  mon  peu 
de  santé,  je  ne  manquerai  pas  d*ordonner  de  nouveau  à  mes 
commissaires  de  faire  leur  devoir  et  y  tiendrai  la  main.  » 
Si  Clément  IX  avait  pu  croire  que  le  roi,  en  renonçant  aux 

intérêt,  quelle  autre  passion  peut  avoir  le  général  que  de  choisir  les  sujets 
qu'il  connaît  les  plus  capables  de  maintenir  la  discipline  régulière  et  le  bon 
ordre  dans  une  maison  deotiuéc  à  former  ceux  qui  doivent  perpétuer  Tordre 
dont  il  a  l'honneur  d'être  le  chef?  »  Louis  XIV  n'avait  pas  osé  toucher  à  des 
règlements  si  récemment  approuvés  par  son  père,  mais  il  avait  fait  introduire 
dans  d'autres  maisons,  par  exemple  dans  le  célèbre  collège  de  la  rue  Saiut- 
Jacqucs,  des  nouveautés,  dont  le  même  rapport  nous  révèle  les  conséquences  : 
il  obligea  le  P.  Jean  le  Pul,  commissaire,  à  placer  ce  collège  sous  le  gouverne- 
ment de  seize  conventuels,  choisissant  leur  prieur  et  leurs  officiers,  se  dési- 
gnant leurs  successeurs,  soumis  seulement  à  la  visite  de  religieux  français,  et 
ne  relevant  plus  du  général  que  pour  Tordre  des  études.  Or,  «  l'expérience 
qui  est  la  pierre  de  touche  de  tous  les  règlements  politiques,  n'a  que  trop 
fait  voir  l'insuffisance  de  ceux  que  le  P.  le  Pul  dressa  pour  le  collège...  Il  ne 
prévit  pas  que  la  place  de  conventuel  et  de  modérateur  du  collège  pourrait 
devenir,  dans  la  suite,  un  objet  d'ambition  pour  des  sujets  qui  auraient  plus 
d'intrigue  que  de  mérite;  qu*ils  la  regarderaient,  selon  Texpression  de  Tun 
d*entre  eux,...  comme  un  petit  évèché  de  province;  qu'en  conséquence^  ils  se 
donneraient  des  mouvements  à  la  cour  pour  obtenir  des  lettres  de  cachet  ou  de 
recommandation  équivalentes^  qui  leur  procureraient  ces  places  dont  ils  s'an- 
nonçaient évidemment  indignes  par  de  pareilles  voies  d'y  parvenir.,.  Il  y  aurait 
cependant  un  moyen  aussi  simple,  aussi  court,  aussi  aisé  qu'efficace  pour 
rétablir  les  choses  et  le  bon  ordre  dans  le  collège  ;  et  tout  Tordre  en  France 
s'en  ressentirait  bientôt,  et  aurait  la  consolation  de  voir  une  génération  nou- 
velle qui  réparerait  ses  ruines.  Ce  moyen  serait  d'établir  à  Saint-Jacques  le 
mime  régime  qu'au  noviciat  général  de  Saint-Germain,  »  Le  P.  de  Bojadors, 
général  des  Dominicains  sous  Louis  XV,  avait-il  dégénéré  de  ses  prédécesseurs? 
Non  assurément,  et  Brienne  lui-môme  lui  rendit  cet  hommage  :«  Nous  devons 
cette  justice  au  Père  général  de  Tordre  qu'aussi  distingué  par  sa  vertu,  sa 
sagesse  et  ses  lumières  que  pur  sa  naissance,  il  jouit  de  la  considération  la  plus 
étendue  et  la  plus  méritée;  que  le  gouvernement  a  toujours  trouvé  en  lui  la 
condescendance  et  la  modération  désirables;  que  les  religieux  qu'il  protège  en 
France  sont  les  plus  éclairés  et  /es  plus  réguliers^  etc.  »  Aussi,  que  fit  la  Com- 
oiissiou  des  Réguliers  sous  l'inspiration  de  Brienne?  Elle  acheva  de  ruiner 
Tantique  régime  des  Dominicains  et  surtout  la  juridiction  de  leur  général  : 
elle  reprit  et  consomma  Tœuvre  de  Louis  XIV.  —  V.  Rapport  de  Tarchevèque 
de  Toulouse  à  la  Commission  des  Réguliers,  25  février  1771,  et  autres  docu- 
naents  conservés  à  la  Bibliothèque  nationale,  mss.  fr.  13851,  et  aux  Archives 
nationales,  G*  519  et  suiv.  — Cf.  notre  article  sur  Les  Augustins  et  les  Domini- 
cains en  France  avant  1789,  dans  la  Revue  des  Questions  historicités^ ianvier 
1877. 


380  CHAPITRE   SIXIÈME 

commissaires  apostoliques,  entendait  reconnaître  les  droits  du 
saint-siège  et  la  liberté  des  religieux,  il  fut  bientôt  tiré  de  son 
illusion  par  un  arrêt  du  Conseil  d'État  qui^  même  pour  le  spi- 
rituel, soumettait  les  réguliers  aux  évéques  français,  et  ceux- 
ci  à  la  couronne  :  c'est  le  célèbre  arrêt  d'Agen  (1).  ainsi  nommé 
parce  qu'il  fut  rendu  à  l'occasion  d'un  différend  entre  Tévèque 
d'Âgen  et  certains  religieux  de  son  diocèse  (4  mars  1669). 
Louis  XIV  n'ignorait  pas  la  gravité  de  cette  innovation,  et 
Lionne  fut  chargé  d'écrire  aussitôt  à  Bourlemont  :  «  Le  roi  a 
résolu  ces  jours-ci  de  donner  un  arrêt  solennel  sur  le  grand 
différend  qui  est  entre  les  évéques  et  les  réguliers,  à  quoi  l'af- 
faire de  M.  l'évèque  d'Agen  a  donné  lieu.  Comme  les  réguliers, 
quoique  l'arrêt  ne  soit  pas  encore  expédié,  ont  déjà  pénétré 
quelque  chose  de  sa  teneur,  qui  ne  leur  plaît  pas  en  beaucoup 
de  points,  il  se  pourra  faire  qu'aucuns  d'entre  eux  en  écriront 
à  Rome  aujourd'hui  et  parleront  de  la  chose  comme  si  le  roi 
avait  porté  la  main  à  Tencensoir,  ainsi  qu*ils  le  disent  ici,  et 
que  Sa  Majesté  eût  prononcé  sur  une  affaire  qui  appartenait 
plutôt  à  Tautorité  du  saint-siège.  Si  cela  est  ainsi,  vous  sup- 
plierez Sa  Sainteté  et  M.  le  cardinal  Rospigliosi  de  suspendre 
leur  jugement  jusqu'à  l'arrivée  des  lettres  de  l'ordinaire  pro- 
chain, par  lequel  je  vous  adresserai  plusieurs  pièces  qui  prou- 
veront clair  comme  le  jour  que  Sa  Sainteté,  en  cette  occasion, 
a  plutôt  à  se  louer  du  roi  qu'aucun  sujet  imaginable  de  s'en 
plaindre,  Sa  Majesté  n'ayant  fait  autre  chose  que  faire  valoir 
les  règles  de  l'Eglise  établies  par  les  papes,  ce  que  même  les 
Parlementsfont  tous lesjours,  etc.  )>(2).  Clément  IX  ne  se  laissa 
pas  abuser  par  ces  hypocrites  excuses,  et  le  cardinal  Rospi- 
gliosi, en  ordonnant  au  nonce  de  réclamer  sans  délai  la  rétrac- 
taction  de  l'arrêt,  chargea  Lionne  d'avertir  le   roi    que  de 
pareils  attentats   n'étaient  pas   moins  périlleux  pour    l'Etat 
que   pour  la  religion  :  «...  Cio  che,  nel  causa   del  vescovo 

(1)  On  en  trouvera  le  texte  complet  au  tome  V  des  Acles  et  procès-verbaux 
du  Clergé,  Pièces  justificatives,  pages  21  et  suiv.  :  il  ne  couvre  pas  moins  de 
cinquante  colonnes  in-foiio,  petit  texte,  sous  le  titre  suivant  ;  Arrêt  du  Con- 
seil d'État  du  roi,  intervenu  sur  les  contestations  formées  par  quelques  régu' 
liers  du  diocèse  d'Agen ,  tant  au  sujet  de  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu 
que  de  V  administra  lion  du  sacrement  de  pénitence. 

(2)  8  mars  1669.  Rome,  197. 


ÎJOUVELLES    AGRESSIONS  CONTRE   l'aUTORITÉ   PONTIFICALE   381 

d'Agen  co'  rcgulari  si  è  fatlo  costi,  richiede  efficace  e  pronto 
rimedio  dalla  giustizia  e  bonlà  singolare  del  rè.  Sua  Santità 
lo  sente  molto  e  spera  che  Sua  Maestà  sara  per  sollevarla  dî 
questa  pungente  soliicittidine,  et  Vostra  Eccellenza  per  scgna- 
larvi  l'usala  sua  virlù,  parendo  che,  mentrc  la  Maestà  Sua 
iavia  le  sue  armi  sotto  le  bandiere  della  Santa  Sede,  non  deva 
permetter  ch'  cUa  riceva  costi  prejudizi  si  grandi  nella  sua  au-- 
torità^  che  non  possono  finalmente  partorir  altri  effetti  che 
dannosi  anco  aile  convenienze  medesime  della  Maestà  Sua  (1) .  » 
Aux  plaintes  répétées  de  Clément  IX,  Louis  XIV  se  contenta 
de  répondre  que,  «  si  Sa  Sainteté  voulait  bien  expédier  une 
bulle  qui  contînt  les  mêmes  règlements  portés  dans  l'arrôt..., 
il  la  ferait  recevoir  dans  son  royaume  en  l'autorisant  de  ses 
lettres  patentes  (2).  » 

La  jalousie  tracassi^.re  de  la  couronne  prétendait  intervenir 
jusque  dans  le  chois  des  confesseurs  de  religieuses,  et  Clé- 
ment IX  était  réduit  à  défendre  contre  cette  inquisition  civile 
le  domaine  inviolable  de  la  conscience.  Bourlemont  écrivait 
à  Lionne  (3)  :  J*ai  parlé  au  pape,  suivant  vos  ordres,  de  la  di- 
rection des  couvents  de  filles;  il  m'a  répondu  que,  s'il  y  a  des 
abus,  il  les  réformera,  «  mais  aussi  qu'il  fallait  considérer  la 
réputation  des  ordres  religieux  et  la  volonté  des  religieuses 
qui  avaient  fait  profession  en  ces  règles;  que,  si  on  leurôlait 
d'abord  et  malgré  eux  ces  directions,  le  monde  en  serait  scan- 
dalisé et  leur  réputation  serait  entachée;  qu'il  avait  éprouvé, 
depuis  qu'il  était  pape,  qu'ayant  fait  pressentir  le  sentiment 
de  certains  couvents  de  filles  pour  les  remettre  à  la  direction 
des  évéques,  elles  y  avaient  témoigné  telle  répugnance  qu'elles 
avaient  déclaré  qu'en  faisant  profession,  elles  avaient  consi- 
déré d'entrer  dans  des  maisons  où  la  direction  spirituelle  fût 
es  mains  de  religieux  de  leur  ordre...  » 

Quoique  les  courriers  de  France  n'apportassent  plus  au 
souverain  pontife  que  des  nouvelles  aftligeantes,  il  accueillait 
avec  la  même  bonté  tous  ces  agents  subalternes  qui  suppléaient 
si  mal  un  ambassadeur.  Le  P.  de  Villes,  les  abbés  de  Bigorre 

(1)  26  mars  1669.  Borne,  197. 

(3)  Lionne  à  Bourlemont,  13  septembre  1669,  Romet  200. 

(3)  19  février  1669.  Rome,  196. 


382  CHAPITRE   SIXIÈME 

et  de  Bonfils,  M.  Foucher  étaient  traités  avec  plus  de  con- 
sidération que  n*en  méritaient  leurs  missions  équivoques.  La 
douceur  inaltérable  de  Clément  IX  trouvait  grâce  devant  la 
morgue  gallicane  de  Bourlemont,  que  lassaient  les  exigences 
de  sa  cour  et  qui  conseillait  parfois  une  conduite  plus  modé- 
rée :  «  Il  ne  s*est  point  vu  depuis  longtemps,  disait-il,  un  pape 
plus  généreux  ni  plus  bienfaisant  que  celui  d'à  présent,  ni 
qui  accorde  plus  volontiers  les  grâces  qu*il  peut  faire;  mais 
j'ai  remarqué  qu'il  ne  veut  pas  être  pressé  et  qu'il  veut  que  Ton 
croie  que  ce  que  Ton  a  de  lui  vient  librement  de  sa  grâce,  et 
que  rimportunité  ne  le  lui  a  pas  tiré  des  mains;  et,  quand  il 
prend  cette  opinion,  il  n*y  a  plus  rien  à  faire  avec  lui,  et  Ton 
obtient  plus  en  louant  sagénérosilé  qu'en  lui  demandant  prcs- 
samment  les  choses  (1).  »  Toute  la  correspondance  de  cet 
abbé  atteste  que  Rome  ne  lui  refusa  aucune  des  concessions 
qui  n'étaient  pas  manifestement  contraires  aux  devoirs  et  à  la 
conscience  du  pape  (2). 

Cependant  les  dégoûts  et  les  mortifications  essuyés  en  France 
par  le  nonce  auraient  justifié  des  représailles.  La  personne  de 
Tarchevêque  de  Thèbes  avait  été,  comme  on  sait,  désignée  cl 
souhaitée  par  le  roi  (3)  :  ce  prélat  défendait  avec  si  peu  d'é- 
nergie les  droits  du  saint-siège  que,  seul  de  tous  les  nonces 
qui  vinrent  dans  notre  pays  sous  ce  long  règne,  il  fut  rappelé 
à  Rome  sans  être  élevé  à  la  pourpre.  Mais  la  présence  d'un 
ministre  pontifical  était  si  importune  à  Louis  XIV  que  ce 
prince  disputa  môme  à  Bargellini  la  plus  légitime  et  la  plus 
nécessaire  de  ses  attributions,  le  droit  de  faire  les  informations 
canoniques  sur  les  évoques  nommés.  Rome  contestait  un 
procès-verbal,  que  l'évêque  de  Châlons  avait  dressé  à  Paris  sans 
alléguer  l'absence  ou  rempèchement  du  nonce.  Bourlemont 
écrivit  à  Lionne  :  L'affaire  est  difficile,  parce  qu'elle  soulève  la 
grande  question  de  savoir  si,  d'après  le  concile  de  Trente,  les 


(1)  A  Lionne,  5  février  1669.  Home,  lUG. 

(2)  Après  tous  les  exemples  déjà  cités,  voir  encore  toutes  les  dépôclies  à 
Lionne,  des  mois  de  juillet  et  août  1669.  {Home,  199.) 

(3)  L*abbé  Rospigliosi,  à  son  passage,  m'a  promis  de  faire  envoyer  ici 
M.  Bargellini,  nonce  à  Turiu.  N'en  dites  rien.  (Lionne  à  Chaulnes,  5  août  1667. 
Rome,  185.) 


NOUVELLES   AGRESSIONS    CONTRE  l'aUTORITÉ   PONTIFICALE   383 

évoques  ont  ce  droit  concurremment  avec  les  nonces  ou  à  leur 
défaut  seulement,  comme  Ta  décidé  Urbain  YIII.  Mais  Tabbé 
ajoutait  lui-même  que  le  consistoire  offrait  d'accepter  pour  cette 
fois  ce  qui  avait  été  fait,  pourvu  qu'on  revînt  à  la  règle  et  à  la 
coutume  (4).  —  Les  dispositions  étaient  moins  conciliantes  à 
Saint-Germain,  et  Lionne  répondit  (2)  :  «  On  ne  peut  jamais 
demeurer  d'accord  ici  que  les  évèques  diocésains  ne  puissent 
faire  lesdils  procès-verbaux  que  subsidiairemcnt,  au  défaut  des 
nonces,  selon  Tinstruction  du  pape  Urbain,  que  nous  ne  re~ 
cowiaissons  point  en  ce  cas-là.  Je  ne  crois  pas  aussi  que 
fan  ose  hasarder,  au  lieu  où  vous  êtes,  une  déclaration  de  celte 
nature,  laquelle,  laissant  môme  à  part  l'intérêt  du  roi  qui  y  est 
si  grand,  leur  mettrait  sur  les  bras  tout  le  clergé  de  France.  » 
Nous  verrons  plus  tard  la  couronne,  pour  ôter  au  saint-siège 
l'examen  des  sujets  destinés  par  elle  à  Tépiscopat,  tenter  encore 
d'attribuer  aux  évêques  français  la  même  compétence  qu'au 
nonce,  et  même  d'en  réserver  le  privilège  à  l'archevêque  de 
Paris.  Empruntant  aux  princes  qui  se  sont  séparés  de  l'Église 
une  des  maximes  les  plus  contraires  à  la  conservation  de  Tu- 
nité  catholique,  Louis  XIV  assimilait  la  nonciature  pontificale 
à  la  légation  d'un  souverain  étranger,  et  jamais  cette  qualifica- 
tion ne  fut  donnée  aux  papes  plus  souventque  sous  son  règne. 
Habitué  dès  lors  à  considérer  cet  étranger  comme  un  ennemi, 
Louis  XIV  était  trop  peu  généreux  pour  trouver,  dans  la  fai- 
blesse de  sa  principauté  temporelle,  une  nouvelle  raison  d'ob- 
server la  justice  envers  lui  :  Clément  IX  n'échappa  point  au  sort 
commun  des  papes  de  ce  temps,  et  il  ne  put  soustraire  ses 
propres  sujets  à  la  politique  oppressive  de  Lionne  et  de  Col- 
bert.  Ainsi,  la  cour  de  France  avait  fait  un  crime  au  pape 
Alexandre  VII  d'un  bando  ou  édit  publié,  le  21  février  1667, 
par  le  trésorier  de  la  Chambre  apostolique,  pour  protéger 
les  manufactures  des  Etats  romains,  en  prohibant  l'entrée 
des  draperies  et  étoffes  de  laine  étrangères,  sauf  certains  tissus 
de  Flandre,  d'Espagne,  de  Hollande,  de  Milan  et  de  Venise  (3). 


(1)  25  juiu  1669.  Rome,  198. 

(2)  18  juillet  1669.  Rome,  199. 

(3)  Rome,  181. 


384  CHAPITRE   SIXIÈME 

• 

Le  roi  et  ses  ministres  étaient  cependant  forcés  d*avouer,' 
dans  leurs  dépèches  confidentielles,  que  le  gouverneur  pon- 
tifical usait  d*un  droit  incontestable,  et  ne  faisait  qu'imiter  la 
France!  Lionne  écrivait  au  duc  de  Chaulnes  (1)  :  «  Le  pape 
est  le  premier  qui  a  osé  défendre  Tintrodjuction  des  étoffes  des 
manufactures  de  France;  mais,  entre  vous  et  moi,  selon  ce 
qui  me  revient  de  divers  pays,  je  crains  bien  que  son  exemple 
ne  soit  suivi  par  beaucoup  d'autres  États,  parce  que  nous  leur 
apprenons  nous-mêmes  ce  qu'ils  doivent  faire.  »  Clément  IX 
ayant  maintenu  le  bando  malgré  les  réclamations  des  Français, 
Colbert  y  répondit  par  une  mesure  dont  l'injustice  et  Tinhuma- 
nité  sont  réprouvées  par  les  apologistes  mêmes  de  ce  minis- 
trc  :  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  ferma  tout  à  coup  le  royaume 
à  toutes  les  marchandises  d'Avignon  et  du  Comtat.  Clément  IX 
rappela  vainement  que  ces  provinces,  à  titre  d'enclaves,  exer- 
çaient et  subissaient  plusieurs  servitudes  dans  l'intérêt  com- 
mun des  Français  et  des  sujets  pontificaux;  que^  par  une  con- 
séquence nécessaire,  le  droit  des  gens,  les  traités  écrits  et  une 
coutume  immémoriale  avaient  toujours  placé  les  habitants 
des  terres  papales  sur  le  même  pied  que  les  regnicoles,  et  les 
affranchissaient  d'une  réciprocité,  à  laquelle  restaient  d'ail- 
leurs soumises  les  possessions  italiennes  du  saint-siège.  Clé- 
ment IX  était  prêt  à  souffrir  la  prohibition  des  cires  d'Ancône 
et  de  tous  les  autres  produits  des  Etats  romains  ;  il  consentit 
même,  à  titre  de  transaction,  à  n'apporter  d'abord  que  peu  de 
rigueur  dans  l'application  du  bandOy  et  à  l'abroger  pour  les 
draperies  de  Carcassonne,  de  Sedan  et  d'Amiens.  Louis  XIY 
en  exigea  la  suppression  complète  et  Lionne  écrivit  à  Bour- 
lemonl  (2)  :  «  Vous  devez  savoir,  pour  votre  instruction, 
et  vous  réserverez  cette  particularité  à  votre  seule  connais- 
sance, que  ceci  importe  au  royaume  de  sept  à  huit  cent  mille 
francs  que  l'on  débitait  toutes  les  années  en  ces  sortes  de 
marchandises  dans  l'Etat  du  pape...  Je  dois  vous  dire  encore, 
pour  vous  seul,  que,  si  le  roi  renouvelle  ses  défenses  aux  Avi- 
gnonnais,  il  passera  d'abord  en  France,  par  une  absolue  né- 


(1)  25  mars  1667.  Rome,  182. 
(2J  25  janvier  1669.  Rome,  196. 


NOUVELLES   AGRESSIONS    CONTRE    L*  AUTORITÉ    PONTIFICALE    385 

cessité,  plusieurs  milliers  d'ouvriers  et  leurs  familles,  pour  y 
venir  établir  leurs  manufactures,  en  quoi  le  royaume  gagnera 
incomparablement  plus  qu'il  ne  perd  aujourd'hui  par  la  cessa- 
tion du  trafic  des  étoffes  de  laine  de  TEtat  ecclésiastique...  » 
Colbert  répète  lui-même  ces  menaces  :  «  En  maintenant  ledit 
bandOy  il  est  certain  que  le  commerce  des  petits  étoffes  cessera 
dans  rÉtat  ecclésiastique,  mais  aussi  que  le  royaume  profitera 
de  toutes  les  manufactures  qui  se  font  en  Avignon,  et  peut-être 
de  vingt  mille  sujets  de  cet  Etat  qui  seront  obligés  de  passer 
en  France  par  le  défaut  de  moyens  de  gagner  leur  vie  (i)...  » 
Vainement,  pour  faciliter  les  rapports  avec  les  Français, 
on  envoyait  de  Rome  en  Avignon  les  prélats  les  plus  estimés 
et  les  mieux  intentionnés.  Clément  IX  y  nomma  vice-légat  et 
archevêque  Azo  Ariosto^  «  personne  d'un  grand  mérite  »,  qui 
eut  pour  successeur,  dans  ces  deux  charges,  le  P.  Libelli,  Do- 
minicain, dont  Bourlemont  vantait  aussi  la  science  et  la  vertu, 
et  qui  joignait  «  la  prudence  et  Thabileté  »  à  un  penchant 
marqué  pour  la  France  (2).  Voici  encore  les  aveux  qu'est  obligé 
do  faire  le  plus  savant  historien  de  Colbert  :  «  Le  nonce  agis- 
sait à  Paris,  donnant  d'excellentes  raisons  qui  durent  embar- 
rasser, mais  qui  ne  touchèrent  pas  «  un  ministre  peu  généreux 
envers  les  faibles  et  les  vaincus.  «La  menace s'exécula....  », 
et  le  conclave  qui  suivit  la  mort  de  Clément  IX  fut  troublé 
par  l'avis  d'une  révolte  «  qui  avait  pensé  arriver  à  Avignon, 
par  suite  des  défenses  que  Sa  Majesté  avait  fait  faire  des  ma- 
nufactures de  serges.  »  Le  nouveau  pape,  «  réduit  à  ses  propres 
forces,  sacrifia  l'industrie  des  Étals  romains,  et  c'est  peut-être 
à  cette  circonstance  qu'il  faut  attribuer  leur  infériorité  ac- 
tuelle (3).  )> 


(!)  DeppÎDg,  Coïrespondance  administrative  sow  Louis XIV,  t.  III,  p.  463. 

(2)  Bourlemont  à  Lionne,  il  juin  et  30  juillet  1669.  Rome,  198  et  199. 

(3)  Pierre  Clément,  Histoire  de  Colbert,  io-8%  1874,  t.  I",  p.  305  et  306.  — 
Les  agents  français,  sûrs  d'ôtre  appuyés  par  le  roi  lorsqu'ils  s'attaquaient 
à  des  États  plus  faibles  et  surtout  à  des  sujets  pontiûcaux,  se  portaient  fré- 
quemment à  des  exactions  et  à  des  violeuces  qui  révoltaient  même  nos 
oationanz,  témoin  Bourlemont,  qui  écrivait  à  Lionne,  le  26  mars  1669  (Rome, 
191)  :  m  Tout  présentement,  .M.  le  cardinal  Rospigliosi  m*a  envoyé  son  secré- 
taire me  dire  que  le  courrier  du  pape,  qui  est  retourné  d*Espagne,  nommé 
Lachesino,  se  plaint  des  mauvais  traitements  qu'il  a  reçus  des  douaniers  de 

LOCIS  XIV  KT  LB  SAINT-SitOE.  —   IL  23 


386  CHAPITRE   SIXIÈME 

La  bionveillanco  de  Clément  IX  ne  se  déoienlit  jamais; 
Louis  XIV  crut  y  voir  une  partialité  secrète  et  assurée  pour 
sa  couronne,  et  il  tenta  de  la  faire  servir  au  succès  de  sa  poli- 
tique. Il  cherchait  alors  les  moyens  de  sortir  avec  honneur 
des  difficultés  qu'il  avait  soulevées  sur  Texécutiou  du  traité 
d*  Aix-la-Chapelle  :  s'il  en  coûtait  à  son  orgueil  de  renoncer 
aux  dépendances^  la  Triple  Alliance  était  encore  trop  récente 
pour  qu'il  osât  risquer  déjà  une  nouvelle  guerre.  Espérant 
trouver  à  Rome  un  juge  prévenu  en  sa  faveur^  il  proposa  de 
s'en  remettre  à  l'arbitrage  de  Clément  IX.  Mais  le  pape  évita  le 
piège  (1),  et  oiïrit  seulement  sa  médiation,  que  le  roi,  voyant 
SCS  calculs  déjoués,  s'empressa  de  décliner.  Lionne  écrivit 
au  cardinal  Rospigliosi  :  «  Le  différend  des  dépendances  des 
conquêtes  »  donne  lieu  de  craindre  la  reprise  des  hostilités; 
mais  le  roi  «  a  pris  enfin  hier  la  résolution  de  faire  la  personne 
sacrée  de  Sa  Sainteté,  c'est-à-dire  seulement  Clément  IX,  ar- 
bitre souverain  et  juge  de  ce  différend,  et  de  se  soumettre  à  la 
décision  de  ce  qu'il  en  prononcera  après  avoir  ouï  les  raisons  des 
parties.  »  Seulement,  le  roi  ne  veut  pas  paraître  intimidé  par 
«  ce  funiciilui  triplex  hœreticorinyï  qu'on  appelle,  comme  par 
un  épouvantai!,  la  Triple  Alliance^  et  qui  ne  lui  fera  pourtant 
jamais  ni  peur,  ni  mal,  quand  elle  grossirait  encore  au  dou- 
ble... Sa  Sainteté  pourrait  dépêcher  en  même  temps  deux  cour- 
riers, l'un  ici,  l'autre  à  Madrid  »,  et  suggérer  aux  deux  cours 
la  pensée  d'un  arbitrage  ;  le  roi  y  consentirait  et  ferait  choix 


Lyon,  où  Fon  lui  a  ouvert  ses  valiaes  et  voulu  expier  de  Cargent  de  lui.  Ce  que 
je  vous  puis  diro,  c'est  que  les  courriers  de  France  qui  viennent  ici  ne  sont  en 
aucune  manière  inguiélds  des  douanes  de  Rome,  quoique  l'on  sache  quih 
portent  ce  qu'ils  veulent^  et  sans  cette  liberté  ils  ne  pourraient  pas  subsister, 
naijnnt  point  de  gages  que  ce  qu'ils  gagnent  on  leur  petit  comm»?rce.  M.  le 
cardinal  Rospigliosi  a  désiré  que  j'en  écrive  à  M.  l'archevêque  de  Lyon,  et  ce 
d'autant  plus  que,  ledit  courrier  retournant  préscuteiueut,  dépôcbô  par  ordre 
du  pape  au  vir«;-légat  d'Avignon,  il  no  reçoive  pas  ces  rudes  traitements, 
vu  la  liberté  qu'ont  les  onlinair^îs  do  Lyon  et  tous  les  courriers  qui  viennent 
do  Franco  ici.  >» 

(1)  Ou  se  rappelle  qu'à  l'origine  du  conflit,  les  Hollandais  avaient  eux- 
niéuies  ouvert  l'avis  de  s'adresser  au  pape  pour  prévenir  une  nouvelle  rupture 
de  la  paix;  mais  Louis  XIV  avait  fait  déclarer  à  Home  que  son  droit,  «  clair 
et  incontestable  »  ne  souffrait  pas  la  discussion  et  que  toute  iatercession  du 
pape  était  superflue.  V.  ci-dessus,  cbap.  ii  du  livre  il. 


MORT    DE  CLÉMENT    IX  387 

du  souveraia  pontife.  — Le  plus  profond  secret  était  exigé  (1). 
La  réponse  de  Clément  IX  força  le  roi  de  dévoiler  ses  vrais 
sentiments,  et  Lionne  écrivit  au  cardinal  neveu  (2)  :  «...  Sa 
Majesté  entrera  fort,  à  mon  sens,  dans  les  prudentes  considéra- 
tions que  Sa  Sainteté  a  eues  de  n'accepter  pas  Toffre  du  roi, 
pour  ne  se  point  charger  delà  nécessité  de  désobliger  par  son 
jugement  ou  l'aîné  ou  le  cadet  de  ses  deux  plus  chers  enfants 
et  peut-^^tre  tous  les  deux;  mais,  pour  la  médiation  que  Sa 
Sainteté  oiïrc  pour  l'accommodement  amiable  de  tels  différends, 
comme  elle  emporterait  avec  soi  la  nécessité  de  former  une 
assemblée  de  députés  et  d*y  faire  trouver  plusieurs  ministres, 
ce  qui  irait  à  de  grandes  longueurs  et  ne  serait  en  effet  rien 
de  nouveau,  hors  l'intervention  du  ministre  de  Sa  Sainteté, 
que  ce  qui  se  passe  fort  inutilement  à  Lille  en  Flandre  depuis 
plus  d*un  an,  je  ne  crois  pas  que  Sa  Majesté  accepte  cette 
offre  de  Sa  Sainteté,  d'autant  plus  que  tous  les  autres  princes 
et  potentats  négligeraient  pas  ce  nouveau  congrès  un  remède 
proportionné  à  bien  guérir  les  vives  appréhensions  des  Espa- 
gnols, et  celles  qu'ils  auront  eux-mêmes,  que  Sa  Majesté  m* 
voulût  se  servir  de  la  formation  de  ladite  assemblée  pour  sur- 
prendre mieux  au  dépourvu  la  couronne  d*Ëspagne  ;  et  c*esl 
pour  cette  raison  que  lesdits  potentats  font  ici  de  continuelles 
instances  pour  porter  le  roi  à  consentir  de  remettre  le  diffé- 
rend à  un  arbitrage,  suivant  la  disposition  du  traité  des  Pyré- 
nées, ce  que  Sa  Majesté  n'a  point  voulu  faire  jusqu'à  présent, 
et  n*en  aurait  pu  prendre  la  pensée  que  dans  la  vue  de  donner 
celte  nouvelle  gloire  à  la  personne  de  Sa  Sainteté  et  à  son  pon- 
tilicat...  » 

Sur  ces  entrefaites,  TËurope  apprit  que  la  santé  de  Clé- 
ment IX  déclinait  rapidement.  «  On  tient,  a  dit  Pellisson,  que 
la  perte  de  Candie  et  le  déplaisir  qu'il  en  eut  contribuèrent 
beaucoup  à  sa  mort  (3).  »  Déjà,  au  commencement  de  celte 


(i)  Lionne  àRospigliosl,  20  aoiU  1669.  Home,  496. 

(2)  23  septembre  1669.  Hoine,  200. 

l'S)  Histoire  de  Louis  A7K,  t.  III,  p.  178.  —  C'est  uussi  1  opinion  de  tous  les 
coiitemporaiDS  :  ••  Uisseuti  umauauieute  quel  buou  poutefice  il  termine  dell' 
ullima  campagua,  e  fu  creduto  che  quel  colpo  lo  gcttaese  nel  aepolcro.  m 
( Relation  de  l'ambassadeur  vénitien  Grimaui.  Helazioni^  t.  II,  p.  353.) 


388  CHAPITRE   SIXIÈME 

année,  I*abbé  de  Bigorre  avait  écrit  à  Lionne  :  c<  Sa  Sainteté 
prend  extrêmement  les  choses  à  cœur,  et  on  remarque  qae, 
toutes  les  fois  qu'elle  s'émeut,  elle  souffre.  Si  bien  que  plusieurs 
personnes  qui  l'approchent  particulièrement  sont  persua- 
dées que,  si  Sa  Sainteté  éprouvait  un  chagrin  un  peu  fort,  on 
la  pourrait  perdre  en  peu  de  temps  (i).  »  Les  alarmes  de  la 
cour  pontificale  étaient  continuelles  depuis  la  fin  du  mois  d*oo- 
tobre,  «  tant  à  cause  de  quelques  excès  que  Sa  Sainteté  avait 
faits  en  des  exercices  de  dévotion  que  du  chagrin  qu'elle  avait 
reçu  à  la  nouvelle  de  la  reddition  de  Candie  et  de  la  paix  que 
les  Vénitiens  avaient  faite  avec  le  Turc  (2).  » 

Clément  IX,  sachant  sa  vie  menacée,  n'en  mit  que  plus  d'em- 
pressement à  régler  les  affaires  de  l'Église  et  à  ranimer  le  zèle 
des  princes  catholiques  contre  Tennemi  commun.  Les  princi- 
paux membres  du  sacré  collège  étaient  fréquemment  appelés 
autour  de  lui  pour  aviser  au  danger.  L*abbé  de  Bonfils  écrivait 
à  Lionne  (3)  :  «  On  songe  ici  aux  moyens  d'éviter  les  suites  de 
Candie,  et,  pour  cela,  le  pape  a  fait  une  Congrégation  composée 
de  MM.  les  cardinaux  Rospigliosi,  qui  en  est  préfet,  Azzolino, 
Otlhoboni,  Barberini,  Chigi,  Spinola,  Borromeo  et  Impériale, 
et  M.  Albriccio  en  est  le  secrétaire.  Je  crois  quêteurs  décrets, 
s'ils  ne  sont  soutenus  d'une  très  grande  armée  et  d*un  général 
comme  Mgr  de  Bellefonds,  ne  serviront  pas  de  grand'chose. 
S'ils  ne  l'ont  pas,  ils  auront  du  moins  montré  leur  bonne  vo- 
lonté et  leur  intention.  »  Le  lendemain,  Bourlemont,  mieux 
informé,  mandait  que  cette  Congrégation,  «  faite  pour  la  dé- 
fense de  la  chrétienté  »,  venait  d'apprendre  l'accession  du 
roi  de  Pologne  à  une  ligue,  «  moyennant  que  le  pape  fournît 
de  l'argent  à  cet  effet.  L'on  dit  môme,  ajoutait  Tabbé,  que 
l'Empereur  y  doit  entrer  (4).  »  Le  roi  de  France  s'irritait  de  ces 
préparatifs  d'une  croisade  à  laquelle  il  avait  résolu  de  n'avoir 
aucune  part  :  il  était  humiliant  pour  lui  que  d'autres  puis- 
sances entreprissent  de  réparer  ses  fautes  et  de  venger  un 
désastre  que  son  intervention  avait  rendu  plus  éclatant.  Dès  le 

(1)  5  février  1689.  Rome,  196. 

(2)  Analyse  de  Saint-Prêt.  Rome,  papiers  et  documents,  24. 

(3)  26  novembre  1669.  Rome,  201. 

(4)  27  noyembre.  Rome,  201* 


MORT   DE   CLÉMENT   IX  389 

mois  de  septembre,  le  président  de  Saint-André,  son  ambas- 
sadeur à  Venise,  écrivait  à  Lionne  :  «  Je  me  crois  obligé  de 
vous  dire,  par  ce  que  je  vois  et  par  ce  que  j'entends,  que  la 
réputation  des  armes  de  France  a  grand  besoin  d'être  rétablie 
dans  l'estime  des  étrangers...  Mon  devoir  m'oblige  de  vous 
écrire  que  le  départ  de  M.  de  Navailles  avec  toute  Tannée, 
que  Ton  considère  ici  pour  un  abandonnement  dans  une  ex- 
trême nécessité,  a  effacé  des  cœurs  des  Vénitiens  tout  le  res- 
sentiment des  assistances  que  le  roi  leur  avait  données,  et  s'ils 
perdent  la  Candie  sans  que  les  Français  fassent  autre  devoir, 
ils  les  accuseront  toujours  d'être   cause  de  la  perte  de  ce 
royaume  (1).  »  Les  événements  étant  maintenant  bien  connus 
en  Europe,  la  conduite  des  Français  était  jugée  partout  avec 
sévérité,  et  Técho  de  tous  les  discours  revenait  à  Saint-Ger- 
main. Louis  XIV  aurait  voulu  étouffer  les  plaintes  et  les  cen- 
sures, et  c^est  à  Rome  surtout  qu'il  tenta  d'imposer  silence. 
Il  ne  lui  eût  guère  coûté  de  rompre  bien  vile  avec  ces  démons- 
trations de  confiance  et  d'amitié,  qui  n'avaient  pas  longtemps 
abusé  Clément  IX.  Qui  pouvait  croire  à  l'attendrissement 
de  Louis  XIV  et  de  Lionne  sur  la  maladie  du  pape?  Le  22  no- 
vembre, le  ministre  écrivait  au  cardinal  Rospigliosi  (2)  :  i<  Les 
cheveux  me  dressent  encore  d'horreur  à  songer  au  péril  que 
nous  avons  tous  couru,  le  25**  de  l'autre  mois,  en  la  personne  si 
précieuse  de  notre  très  saint-père...  »  Mais,  huit  jours  après. 
Lionne  prenait  avec  Bourlemont  un  stylo  plus  conforme  aux 
vrais  sentiments  de  son  maître  :  «  Le  roi,  disait-il  (3),  a  su  de 
bon  lieu  que,  dans  les  antichambres  du  palais,  on  parle  publi- 
quement avec  beaucoup  d'indiscrétion  et  d'injustice  du  retour 
de  Candie  de  Tarmée  de  Sa  Majesté.  L'un  dit  que,  si  les  Français 
n'y  fussent  pas  allés,  la  place  se  serait  encore  défendue  jusqu'au 
printemps;  d'autre,  qu'ils  ne  sont  revenus  que  sur  un  ordre 
exprès  de  Sa  Majesté  ;  d'autres,  qu'aussitôt  qu'on  a  eu  ici  ce 
qu'on  voulait  pour  le  cardinal  de  Bouillon,  Sa  Majesté  a 
dépêché  un  courrier  exprès  pour  faire  revenir  ses  armées.  A 
la  vérité^  voilà  une  belle  rétribution  d^une  dépense  de  plus  de 

(1)  25  et  28  septembre.  Venise ,  90. 

(2)  Rome,  201. 

(3)29  DOTembre.  Romet  201. 


390  CHAPITRE  SIXIÈME 

trois  millions  et  du  sacrifice  d*un  amiral  et  de  tant  de  brave» 
gens,  et  Tavancemcnt  d'un  chapeau  en  était  une  belle  récom- 
pense, si  Sa  Majesté  d'ailleurs  n'eût  eu  pour  seul  et  unique 
motif  d'obliger  le  pape  !  Elle  désire  que  vous  parliez  de  tout 
ceci  à  M.  le  cardinal  Rospigliosi  et  que  vous  lui  fassiez  con- 
naître le  vif  déplaisir  qu'elle  en  ressent  et  que  certainement 
elle  n'a  pas  mérité.  » 

Lorsque  cette  dépèche  fut  reçue  à  Rome,  Clément  IX  n'était 
plus.  Après  la  mémorable  promotion  du  29  novembre,  il  avait 
fait  ses  adieux  au  sacré  collège.  Les  cardinaux  «  s'étant  tous 
rendus  en  sa  chambre  et  assis  à  Tentour  de  son  lit.  Sa  Sain- 
teté leur  avait  fait  un  petit  discours  latin,  prononcé  d'une 
voix  assez  intelligible,  vu  sa  faiblesse  et  son  abattement,  leur 
demandant  excuse  do  ses  manquements  et  les  exhortant  à 
être  unis  pour  l'élection  d'un  pape,  selon  les  inspirations  de 
Dieu  et  leur  conscience.  »  Il  allait  intimer  un  autre  consis- 
toire pour  donner  le  chapeau  à  plusieurs  de  ses  créatures, 
mais  les  forces  lui  manquèrent,  et  le  Français  qui  observait 
les  phases  de  celte  crise  suprême  rendait  un  nouvel  hommage 
à  rinlrépidité  du  pontife  :  u  Comme  il  se  sent  hors  d'espé- 
rance de  guérir,  disait-il,  il  ne  veut  plus  se  ménager  :  ses 
grands  dangers  sont  les  défaillances  qui  le  prennent  de  temps 
en  temps,  et  il  reste  pArné.  »  Les  évanouissements  se  répéttî- 
rent  et  la  fièvre  survint.  Clément  IX  reçut  les  derniers  sacre- 
ments, et  l'abbé  de  Hourlemont  écrivit  à  Louis  XIV  :  «  Co 
matin,  au  point  du  jour,  le  pape  a  expiré  après  trente  heures 
d'agonie  et  un  travail  épouvantable.  Votre  Majesté  y  perd  beau- 
coup et  toute  la  chrétienté  (1).  » 

Si  ce  pontificat  se  fût  prolongé,  il  n'aurait  pas  été  moins 
troublé  par  les  prétentions  de  Louis  XIV  que  ceux  d'Alexan- 
dre VII,  de  Clément  X  et  d'Innocent  XI. 

(1)  Bourlemont  à  Llonue,  30  uovcmbro  :  deux  dépêche».  —  Au  roi,  9  dé- 
cembre. RumBy  201. 


LIVRE  m 


PONTIFICAT   DE   CLÉMENT  X 


29  avril  1670  —  22  Juillet  1676. 


CHAPITRE  PREMIER 

CONCLAVE  DE  CLÉMENT  X.  —  CARACTÈRE  DE  CLÉMENT  X  ET  DE  SES 
MINISTRES.  —  PRÉTENTIONS  MENAÇANTES  DE  LOUIS  XIV.  —  AVRIL- 
DÉCEMBRE  1670. 


Coaclate.  Iiitluence  croissante  des  lodépendanU.  Iiutractions  données  au  duc  de  Chaulnos,  am- 
bassadeur de  France.  Candidats  préfères  pur  le  roi  :  raison  de  ses  préférences  :  il  veut  avant 
tout  un  pape  qui  fasse  cardinal  l'évAque  de  Laon  !  Projet  de  lettre  antidatée  imn^iné  par 
I.iunnc.  Le  cardinal  Hospigliosi  refuse  de  se  prêter  à  cette  fourberie.  Atto  Melani»  conclavistc 
du  cardinal  de  Bouillon,  en  lutte  avec  le  duc  de  Cliaulnes  :  le  roi  donne  raison  i\  Melani  ;  il 
n'appuig  Buonvisi  que  dan^  l'espoir  do  suborner  son  neveu.  Pratiques  mullionnôtcs  de  la  fac- 
tion française,  qui  est  forcée  de  se  rallier  au  nom  d'Emilio  Altieri,  proposé  par  les  Indépen- 
dants. —  Portraits  de  Clément  X  et  du  cardinal  Paluzzi,  adopté  pour  neveu  sous  le  nom 
d'Altieri.  Borromeo,  secrétaire  d'Etat,  Carpegu.i,  dataire,  etc.  Le  uouvoiu  pape  et  .«on  gou- 
Temement  bien  intentionnés  pour  la  France  :  dispositions  hostiles  do  Louis  XIV.  —  Lo  due 
de  Chaulnes  quitte  Rome  six  semaines  après  l'élection.  Présages  do  nouveaux  conflits.  Jan- 
sénisme :  le  nonce  Bargellini  ;  le  formulaire.  Chapeaux  de  César  d'Entrées  et  de  Bonsy.  Vues 
opposées  de  Homo  et  du  roi  sur  lu  guerre  contre  lo  Turc.  Ou&r^lcr  do  l'ambassadeur  de 
France  :  assassins  recelés  au  palais  Farnèso.  —  L'abbé  do  Bourleniont  chargé  des  affaires  du 
roi.  Autres  agents  de  Fr;uice  h.  Home  :  Fouchor,  les  abbés  de  Bonflls  et  de  Bigorre.  Manœuvrrs 
pour  emporter  la  promotion  de  (!!ésur  d'Ëstrées  :  intérêt  personnel  do  Lionne  dans  cette  affaire. 
Supposition  d'un  marrhé  simoniaquc  pendant  lo  conclave  entre  Chaulnes  et  Rospigliosi  : 
dépêches  de  Lionne,  rédigérs  par  César  d'Estréo*.  —  Première  promotion  de  Clément  X, 
ii  décembre  1070.  Césur  d'Estrécs  n'y  est  pas  compris.  Colrrc  du  roi  :  son  discours  au  nonce, 
ses  menaces  au  cardinal  Altiori. 


Le  conclave  fut  fermé  le  20  décembre  1669,  et  tout  annonçait 
que  la  majorité  obéirait  aux  mômes  inspirations  qui  avaient 


392  CHAPITRE   PREMIER 

fait  choisir  Alexandre  VII  et  Clément  IX.  Dès  qu'on  avait  pu 
craindre  une  prochaine  vacance,  Bourlemont  avait  mandé  à 
sa  cour  que  les  membres  du  sacré  collège  cités  avec  le  plus  de 
faveur  par  leurs  collègues  étaient  véritablement  dignes  de  la 
tiare.  C'étaient  :  Scipion  d*Elci,  Siennois,   ancien    nonce  à 
Vienne,  d'une  famille  affectionnée  à  la  France  et  universelle- 
ment honoré  pour  sa  «  vertu  et  probité  »  ;  —  Vidoni,  «  parais- 
sant d'un  naturel  assez  farouche,  »  c'est-à-dire  fort  zélé  pour 
les  libertés  ecclésiastiques,  mais  «  témoignant  être  fort  bon 
serviteur  du  roi  »;  —  Buonvisi,  Lucquois,  «  fort   honnête 
homme  »,  sans  partialité;  —  Celsi,  «  homme  droit,  fin  et  tout 
à  fait  Romain  ».  Bourlemont  ajoutait  à  ceux  que  la  voix  pu- 
blique désignait  ainsi   :   Odescalchi,   âgé  de   soixante   ans, 
Milanais,  «  fort  dévot  et  pieux  »;  —  Brancaccio,  u  homme 
d'honneur  »;  —  Bona,  savant,  pieux,  désintéressé,  qui  venait 
encore  de  refuser  Tévèché  d'Assise,  et  dont  les  inclinations 
méritaient  la  confiance  des  Français  (1).  On  reconnaissait  dans 
cette  disposition  générale  des  esprits  Tinfluence  de  TEscadron, 
dont  Bourlemont  disait  :  a  Cette  faction,   quoique  petite  en 
nombre,  s'est  rendue  considérable  par  la  valeur  de  ceux  qui 
la  composent  et  par  le  crédit,  ayant  des  amis  et  des  partisans 
dans  toutes  les  autn^s  factions,  et  en  ce  conclave  plus  qu'aupa- 
ravant  J'ose  avancer  que,  si  Chigi,  Rospigliosi  et  l'Esca- 
dron sont  d'accord  pour  faire  un  pape,  il  n'y  aura  pas  de  fac- 
tion qui  les  puisse  empêcher  par  elle-même  de  trouver  le 
supplément  de  voix  qu'il  leur  faudra,  qu'eu  faisant  une  exclu- 
sion formelle  dune  couronne  puissante.  »  Or,  on  sait  quelles 
preuves  Azzolino  oi  Rospigliosi  avaient  données  de  leur  sym- 
pathie pour  la  France,  et  Chigi  venait  de  déclarer  à  Bourlemont 
que  le  roi  pouvait  compter  sur  ses  offices  dans  le  prochain 
conclave  comme  dans  le  précédent  (2).  Au  moment  même  où 
Clément  IX  fermait  les  yeux,  le  sacré  collège  avait  montré  aux 
couronnes  quelle  déférence  elles  pouvaient  attendre  de  lui.  Le 
cardinal   Chigi  qui,    pour   être  bien   intentionné  envers  les 
Français,  n'était  pas  ennemi  d(;s  Espagnols,  avait  exprimé  au 

(1)  A  Lionne,  30  novembre  et  9  décembre  10C9.  Rome,  201. 

(2)  J'ai  su  que  le»  cardinaux  Cbi^çi  et  Uo!itpi<,'liosi  ne  veulent  pas  d'un  pape 
qui  me  serait  désagréable.  (Le  roi  ii  Cbaulnes,  17  janvier  1670.  Rome^  208.) 


CONCLAVE    DE  CLÉMENT   X  393 

marquis  d'Astorga  les  mêmes  sentiments  qu'à  Bourleraont 
Le  ministre  d'Espagne,  abusant  des  paroles  de  ce  cardinal, 
annonça  qu'avec  le  concours  de  la  grande  faction  Chigi,  il 
serait  l'arbitre  de  l'élection;  mais  l'altitude  des  cardinaux 
écarta  d'eux  aussitôt  tout  soupçon  de  partialité,  et  Bourlemont 
put  écrire  à  sa  cour  (1)  :  «  L'imprudence  de  l'ambassadeur 
d'Kspagne  l'ajeté  dedans  un  grand  embarras.  Cet  ambassadeur 
s'éiant  vanté  que  lui  et  le  cardinal  Chigi  avaient  fait  un  pape, 
toutes  les  autres  factions  se  sont  unies  contre  ledit  Chigi.  » 
D'ailleurs  le  neveu  d'Alexandre  VII  se  joignit  à  ses  collègues 
pour  ne  point  presser  les  opérations  du  conclave  en  l'absence 
des  cardinaux  étrangers. 

Le  duc  de  Chaulnes,  nommé  ambassadeur  auprès  du  sacré 
collège,  ne  put  arriver  à  Rome  que  le  16  janvier  1670,  accom- 
pagnant les  cardinaux  de  Retz  et  de  Bouillon,  qui  composaient 
la  faction  française  avec  les  Italiens  Antoine  Barberini,  Renaud 
d'Esté,  Orsino,  Maidalchini  etMancini  :  Grimaldi,  archevêque 
d'Aix,  âgé  de  soixante-treize  ans  et  malade^  demeura  dans 
son  diocèse.  Le  roi  demandait  ostensiblement  (2)  aux  cardinaux 

<c  ses  serviteurs  (3) une  élection  désintéressée  et  qui  n'eût 

d'autre  égard  que  celui  du  service  de  Dieu  (4),  de  son  Eglise 
et  du  bien  public,  et  enfin  que  l'on  pût  avoir  un  pape  dont  les 
intentions  fussent  détachées  de  toute  passion  particulière  ;  qui 
aim&t  la  justice,  l'avantage  du  saint-siège;  eût  les  sentiments 


(1)  Au  roi,  10  décembre  1669.  Rome,  201. 

(2)  Instructions  au  duc  de  Chaulnes,  22  décembre  1669.  Hanotaux,  Recueil 
aux  ambassadeurs  y  vol.  VI,  Rome,  t.  1,  p.  230,  d'après  le  volume  des  Affaires 
étrarifçères  coté  Rome,  204,  qui  contient  la  minute,  tout  entière  de  la  main  de 
Lionne,  et  une  copie. 

(3)  Voici  ce  que  le  roi  entendait  par  serviteurs.  Le  cardinal  Orsiuo  et  son 
frère,  le  duc  de  Bracclano,  s'étant  permis  d'appuyer  un  candidat  à  la  noncia- 
ture de  France,  Lionne  écrivit  à  Bourlemont  :  Parlez  fortement  à  ce  cardinal, 
a  étant  juste  qu'il  s'accommode  aux  désirs  et  intérêts  du  roi,  et  non  pas  S.  M. 
aux  9iens,  et  S.  É.  s'étonne  après  cela,  quand  ils  demandent  le  payement  de 
leurs  pensions  on  de  nouvelles  grâces,  qu'on  fasse  quelquefois  la  sourde  oreille. 
C'e9tqae  S.  M.  sait  très  bien  distinguer  ceux  qui  biaisent  dans  son  service  ou 
qui  s'y  jettent  à  corps  perdu  sans  aucune  considération,  »  (19  octobre  1669, 
Rome,  200.) 

(4)  Lionne  a  bien  écrit  le  service  de  Dieu;  mais  le  copiste  a  substitué  roi  à 
Dieu,  ce  qui  était  certainement  plus  conforme  &  la  pensée  de  Louis  XIV  et  de 
son  ministre. 


394  CHAPITKE    PREMIER 

d'un  vrai  père  commun;  qui  connût  la  sincérité  et  la  piété  de 
ceux  (lu  roi  pour  l'avantage  de  la  religion,  et  lequel  enfin,  ayanl 
toutes  les  parties  requises  pour  être  aimé,  estimé  et  honoré 
des  princes  chrétiens,  put  régner  et  gouverner  la  sainte  Église 
avec  fruit  et  édification  de  tous  les  fidèles  et  s'employer  effi- 
cacement et  utilement  pour  la  défense  de  la  chrétienté  conde 
Tennemi  commun.  »  Louis  XIV  protestait  en  outre  de  son 
dévouement  au  saint-siège,  de  son  respect  pour  la  liberté  do 
conclave,  défendant  toute  exclusion  publique,  sauf  du  cardinal 
François  Barberini,  qu'il  regardait  à  tort  comme  un  ennemi 
personnel  de  sa  couronne;  mais  il  permettait  l'usage  des  voies 
secrètes  contre  d'autres  noms,  et  il  terminait  par  ces  paroles 
qui  démentaient  brutalement  les  pieuses  déclarations  de 
Texorde  :  «  On  a  oublié  de  faire  remarquer  audit  sieur  duc  que, 
pour  tenir  éloignés  du  pontificat  ceux  pour  lesquels  Sa  Majesté 
n'a  pas  d'inclination  et  plus  encore  ceux  qu'elle  voudrah 
exclure,  c'est  une  très  bonne  pièce  à  faire  jouer  dans  le  con- 
clave que  d'y  parler  adroitement  de  l'exécution  du  traité  de 
Pise,  comme  faisant  entendre  que  tel  sujet  pourra-t-on  élire 
que  Ton  tomberait  bientôt  en  de  grandes  contestations  avec 
la  France  sur  la  désincamération  de  Castro,  solennellement 
promise  par  ledit  traité.  »  On  verra  que  ce  post-scriptum  seul 
révélait  la  pensée  intime  du  roi,  dont  la  conduite,  pendant 
tout  ce  conclave,  fut  inspirée  parles  vues  les  moins  élevées  et 
les  moins  conformes  aux  vrais  intérêts  de  son  Etat. 

Son  premier  candidat  était  alors,  comme  en  1667  (1),  le  car- 
dinal Albizzi,  son  pensionnaire  secreL(2),  ancien  ami  de  Maza- 


(1)  Cf.  les  iuslruclioQs  du  10  mai  166G,  chap.  i»'  du  livre  H.  Colle?  du  22  dé- 
cembre 1G69  diseut  encore  :  «  Le  premier  en  raog  que  S.  M.  souhaiterait  dp 
voir  élevé  au  pontificat  est  M.  le  cardinal  Albizzi,  personnage  de  grande  érn- 
ditiou  et  fort  adroit  et  habile  à  traiter  les  plus  grandes  affaires,  qui  a  reça 
secrèlemeut,  toutes  les  aun<^es,  des  bienfaits  du  roi,  homme  résolu,  actif  et 
hardi,  de  grande  vigueur  et  force  d'esprit.  Les  difficultés  xde  son  exaltation 
seront  vrai.^emblablement  grandes,  tant  parce  qu'il  a  des  ennemis  particuliers 
que  sa  liberté  de  parler  lui  a  faits,  qu'à  cause  qu'ayant  été  autrefois  marié, 
il  se  trouve  avoir  bon  nombre  d'enfants,  et  par  ce  aussi  que,  pour  rordinaire, 
le  collège  en  général  ne  se  porte  guère  à  élever  un  homme  ferme  et  hardi.  » 

(2j  «  Faites  savoir  par  quelque  moyen  au  cardinal  Albizzi  que  le  duc  de 
Chaulnes  lui  porte  la  gratification  que  j'ai  accoutumé  de  lui  faire  toutes  les 
années,   et  que  les  cardinaux  de  ma  faction  auront  ordre  de  U;  servir  pour 


CONCLAVE    DE   CLÉMENT    X  395 

rin,  dont  la  partialité  lui  semblait  assurée  :  le  calcul  n'était 
cependant  pas  plus  habile  qu'honnête;  car  Albizzi,  coupable 
de  félonies  envers  le  pape  Alexandre  VII  (1),  ne  s'était  pour- 
tant pas  jeté  à  corps  perdu  dans  le  service  du  roi;  et  à  ce 
moment  même,  il  blâmait  avec  une  extrême  vivacité  de  lan- 
gage les  intrigues  qui  s'étaient  nouées  en  France ,  autour  de 
Louis  XIV,  pour  favoriser  les  jansénistes  dans  le  procès  des 
quatre  évëques(2).  Il  louait  comme  le  plus  beau  trait  de 
Clément  IX  d'avoir  refusé  la  pourpre  au  nonce  Bargellini,  qui 
avait,  selon  lui,  fait  plus  de  mal  que  Luther,  et  le  roi  expédia 
au  duc  de  Chaulnes  Tordre  de  traverser  son  élection  (3).  Les 
instructions  royales  nommaient  ensuite  Buonvisi,  «  la  plupart 
de  ses  ancêtres  et  de  ses  parents  ayant  suivi  le  parti  de  France 
et  s'y  étant  avancés  dans  des  charges,  et  le  cardinal  ayant  tou- 
jours témoigné  la  même  inclination,  étant  d'un  esprit  doux, 
aimé  de  tout  le  monde;...  »  Vidoni,  de  la  faction  Chigi;  Bran- 
caccio,  Ginetti,  Carpegna,  créatures  d'Urbain  VIII ;CeIsi,Litta, 
d'Alexandre  VII;  et  Odescalchi,  dlnnocentX.  Quand  les  car- 
dinaux étrangers  furent  entrés  dans  le  conclave,  les  scrutins 
donnèrent  un  grand  nombre  de  suffrages  à  Scipion  d'Ëlci,  qui 
aurait  bientôt  obtenu  l'unanimité,  si  le  duc  de  Chaulnes  n'eût 
fait  savoir,  par  les  voies  secrètes,  que  ce  choix  exciterait  le 
ressentiment  de  son  maître.  Le  sacré  collège  eut  la  condescen- 
dance d'écarter  ce  nom,  et  Louis  XIV,  dans  ses  vues  indignes 
d*uQ  catholique  et  d'un  homme  d'État,  entrava  les  aspirations 
du  conclave  pendant  quatre  mois.  Il  avoue  lui-même  qu'il 
voulait  seulement  frayer  la  voie  à  la  candidature  de  Buonvisi^ 
parce  que  ce  cardinal  avait  un  neveu  (4)  dont  on  pouvait  ache- 

ton  exaltation  préférablcment  k  tout  autre  sujet  du  sacré  collège.  »  (Le  roi  à 
BoarlemoQt,  10  décembre  1669.  Rome^  201.) 

(1)  V.  chap.  VIII  du  livre  I. 

(S)  «  Comme  M.  le  cardinal  Albizzi  ne  peut  retenir  sa  langue,  il  est  plus  dé- 
chaîné que  jamais  contre  l'accommodement  avec  les  jansénistes.  »  (Bourlemont 
au  roi,  17  décembre  1669.  Rome,  201.) 

(3)  3  janvier  1670.  Rome,  20S. 

(4)  «...  Le  pins  grand  obstacle  qui  se  trouvera  à  Vexai tation  du  cardinal 
Buonvisi,  généralement  aimé  et  estimé  de  tout  le  sacré  collège,  sera  celui  que 
lui  forme  son  propre  neveu,  dont  la  cour  de  Rome  craint  l*hameur  fiëre  jointe 
à  une  habileté  non  médiocre  et  qu'elle  a  remarqué  qu*il  fait  profession  des 
maximes  de  Tacite  et  Machiavel,  dont  assez  imprudemment  il  cite  souvent  des 


396  CHAPITRE  PREMIER 

ter  un  jour  les  complaisances.  Les  instructions  disaient  :  L*abbé 
François  Buonvisi  «  a  pris  des  mesures  en  France,  au  temps 
de  la  légation  du  cardinal  Chigi  et  depuis  avec  le  sieur  doc, 
et  connaît  très  bien  que  son  oncle  ne  peut  parvenir  au  ponti- 
ficat que  par  Tobligation  qu'il  aura  à  Sa  Majesté  d*en  avoir 
tenu  éloigné  le  cardinal  d'Elci  (1).  »  Et  quel  service  la  France 
attendait-elle  du  futur  padrone?  La  promotion  de  Tévéquede 
Laon!  L'âme  de  cette  intrigue  devait  être  Atto  Melani,  imposé 
comme  conclaviste  au  jeune  cardinal  de  Bouillon  !  Le  roi  voo- 
lait  accréditer  le  bruit  d'un  engagement  que  le  feu  pape  aurait 
pris  en  faveur  de  César  d'Estrées;  il  comptait,  pour  cela,  sur 
la  connivence  du  cardinal  Rospigliosi,  qui  recevait  de  lui,  en 
retour,  l'assurance  que  la  faction  française  marcherait  d'accord 
avec  les  créatures  de  Clément  IX  (2)  ;  et  enfin  il  espérait  que 
Tabbé  Buonvisi  déterminerait  son  oncle,  avant  ou  apr^s  le 
conclave,  à  promettre  d'acquitter  la  prétendue  dette  du  der- 
nier pape.  Ces  manœuvres,  imaginées  pour  ouvrir  le  collège  à 


paBsages  qu'il  applique  aux  sujets  dont  il  parle.  »  (loBtructioos  du  22  décembre. 
Recueil  des  instructions^  p.  237.) 

(1)  Ibid.  —  a  Dites  à  l'abbé  BuoQvisi  que  je  souhaite  avec  passion  rélévatioD 
du  cardinal  sou  ouclo,  »  et  qu'une  des  priucipales  raisons  qui  a  détermîD^ 
l'envoi  d'un  ambai-sadeur  est  «<  de  servir  plus  utilement  le  cardinal  Buonriài, 
qui  est  le  sujet  qui  tient  le  premier  rang  dans  les  souhaits  que  je  fais.  »  (L« 
roi  à  Bourlemont,  10  décembre.  Rome,  201.)  —  «  Je  connais  fort  bien  dequelb 
gloire  et  de  quelle  réputation  ma  été  le  coup  que  vous  avez  porté  au  cardinal 
d'Elci  pour  le  tirer  du  trône  sur  les  degrés  duquel  il  était  déjà  si  avancé,  et 
je  vous  eu  sais  tout  le  gré  que  vous-même  pouvez  désirer;  et  en  effet  ce  n'a 
pas  été  une  affaire  ordinaire  qu'une  seule  faction,  indépendante  et  sans  udIod 
comme  est  la  mienne,  ait  ruiné,  par  un  seul  mot  que  vous  avez  fait  dire,  tous 
les  projets  d'une  triple  alliance  formée  depuis  trois  mois  pour  Texaltation  d'un 
sujet  également  désiré  de  tous  les  trois  chefs  de  la  confédération,  et  eutiu  doaaé 
l'exclusion  au  chef  du  parti  d'Espagne,  après  vingt-huit  jours  de  conclave  qui 
avaient  donné  temps  d'affermir  ce  parti.  »  (14  mars  1670.  Borne,  209.)  C'e^t 
deux  jours  plus  tard,  le  16  mars,  que  la  cour  de  France  envoya  un  courrier 
extraordinaire  pour  faire  recommander  le  nom  de  Buonvisi  aux  cardinaui 
François  Barberini  et  AzzoUdo.  (V.  ci-après  la  lettre  de  Lionne,  du  16  mars. 
Rome^  209.)  Le  cardinal  d'Elci  mourut  dans  le  conclave,  du  chagrin,  dit-oD, 
que  lui  avait  donné  cette  exclusion  imméritée. 

(2)  Le  roi  désire  <«  que  le  nouveau  pape  soit  plutôt  élu  dans  la  faction  du 
cardinal  Rospigliosi  que  dans  aucune  autre,  par  le  seul  égard  qu'il  a  aux  avan- 
tages dudit  cardinal.  »  (Instructions  du  22  décembre  1669,  Recueil  des  iNi- 
Iruc lions.)  V.  Revue  des  Questions  historiques^  1*'  juillet  1881  :  Le  cardvuU  di 
Retz  au  conclave. 


CONCLAVE  DE   CLÉMENT    X  397 

l'un  de  ses  plus  indignes  membres,  ont  élé  ignorées  jusqu'ici. 
Pour  mieux  gagner  Rospigliosi  à  son  dessein,  Lionne  avait 
simulé  une  tendresse  filiale  pour  Clément  IX  :  «  Si  quatre  ans 
que  je  m'ôterais  de  ma  vie^  disait-il,  pouvaient  prolonger  au- 
tant de  celle  de  Sa  Sainteté,  je  les  donnerais  de  tout  mon 
cœur  (i).  »  Et,  le  lendemain  il  écrivait  à  Tabbé  Atto  :  «  Je  ne 
sais  plus  ce  que  je  suis  ni  ce  que  je  fais  depuis  que  cette  mau- 
vaise nouvelle  est  arrivée...  Faites  voir  cette  lettre  à  M.  le 
cardinal  Rospigliosi  quand  vous  pourrez...  Je  crois  que,  s'il 
avait  pu  disposer  à  son  gré  de  la  promotion  (2),  plusieurs  sujets 
sont  vêtus  de  rouge  qui  le  seraient  encore  de  noir;  mais  il  a 
été  sans  doute  obligé  de  laisser  satisfaire  le  pape  sur  ses  vieux 
amis.  Hors  de  cette  nécessité  où  la  santé  déplorée  de  son  oncle 
Ta  jeté,  je  crois  que  Son  Éminence  aurait  bien  autant  aimé 
M.  de  Laon  cardinal  que  le  P.  Bona,  comme  certainement  il 
en  aurait  tiré  incomparablement  plus  de  services .  Son  Éminence 
pourrait  encore  m'obliger  en  la  personne  de  M.  de  Laon, 
presque  aussi  sensiblement  que  s'il  Tavait  fait  promouvoir; 
mais  je  ne  sais  s'il  le  voudra  faire,  ou  si  même  je  n'aurais  pas 
trop  de  hardiesse  à  le  lui  demander.  Je  vous  dirai  ma  pensée 
et  vous  laisserai  faire  le  reste,  remettant  tout  à  votre  prudence 
et  à  votre  discrétion  :  ce  serait  que  M.  le  cardinal  voulût  bien 
me  faire  la  grâce  de  m'écrire  une  lettre  datée  dun  mois  ou 
deux  avant  la  mort  du  pape,  par  laquelle  il  lui  plût  marquer 
que,  venant  de  parlera  Sa  Sainteté  de  l'affaire  de  M.  de  Laon, 
elle  l'avait  chargé  de  faire  savoir  confidemment  au  roi  par 
mon  moyen  que  Tintention  de  Sa  Béatitude  était  de  faire  car- 
dinal M.  de  Laon  à  la  promotion  qu'elle  ferait  pour  les  cou- 
ronnes, à  la  nomination  de  celle  de  Portugal,  ou,  s'il  ne  voulait 
pas  user  de  ce  terme,  à  sa  réquisition,  ou  contemplation  ou 
considération.  Cela  nous  pourrait  servir  beaucoup  auprès  du 
nouveau  pape,  et  ne  saurait  faire  aucun  préjudice  au  cardinal, 
non  pas  même  auprès  des  Espagnols  auxquels  il  pourrait  dire 
que  c'était  le  sentiment  de  Sa  Sainteté  et  sa  volonté,  non 
moins  pour  complaire  à  la  maison  de  Savoie,  rendre  un  cha- 
peau à  la  maison  de  Vendôme,  qui  s'était  toute  sacrifiée  pour 

(1)  10  décembre  1669.  Rome,  201. 

(2)  Du  29  Doyembre. 


398  CHAPITRE   PREMIER 

servir  le  saiot-siëge,  que  pour  conteuler  le  Portugral.  Je  vous 
prie  cependant  de  ne  jamais  rien  dire  de  tout  ceci  à  M.  Foucher, 
ni  à  qui  que  ce  soit,  car  M.  de  Laon  ne  sait  pas  seulement  que 
cette  pensée  me  soit  venue,  ou,  s'il  le  sait,  je  ne  lui  ai  pas  dit 
positivement  que  jen  voulusse  écrire;  car,  si  je  suis  refuséi 
je  ne  désire  pas  que  personne  découvre  que  j*cn  aie  fait  rini- 
tance.  Adieu^  mon  cher  ami^  votre  considération  et  l'état  où 
vous  demeurez  augmentent  encore  notablement  ma  douleur 
de  la  perte  que  nous  avons  tous  faite  (1)  et  que  je  ne  liens  pas 
qu*on  puisse  jamais  réparer.  Assurez-vous  que  je  ferai  de  deçà 
tout  mon  possible  pour  vous  servir  auprès  du  roi  (2)...  »  Hais 
Rospigliosi  ne  se  prêta  pas  à  ces  projets,  et  lorsque,  les  scru- 
tins ne  donnant  plus  de  voix  à  d*Elci,  on  agita  concurrcroment 
les  noms  de  Buonvisi  et  de  Vidoni,  il  s*allia  aux  Indépendants 
et  à  la  faction  Barbcrine  contre  le  premier  de  ces  candidats, 
par  appréhension  d'un  pontificat  auquel  aurait  part  Tabbé 
Buonvisi. 

Toutes  les  factions  se  seraient  rapidement  accordées  sur  le 
nom  de  Vidoni,  qui  iigurait  même  sur  la  liste  française;  mais 
le  duc  de  Ghaulnes,  qui  l'appuyait,  était  combattu  par  Mclani, 
qui  voyait  dans  Télection  du  cardinal  Buon>»isi  le  moyen  le 
plus  sur  de  procurer  la  pourpre  à  César  d*Ëstrées.  Une  lulte 
scandaleuse  s'établit  entre  Tanibassadeur  et  le  conclaviste,  et 
c'est  à  celui-ci  que  Louis  XIV  donna  raison.  Lionne  écrivit  au 
duc  :  «  Atto  me  mande  que,  quand  le  roi  voudra,  il  fera  faci- 
lement et  certainement  Vidoni  pape.  Il  me  semble  qu'il  fau- 
drait auparavant  essayer  d'avoir  mieux  en  la  personne  de 
Buonvisi  ou  en  celle  de  Bona,  présupposé  que  vous  puissiez 
bien  prendre  vos  sûretés,  dans  le  conclave  même,  de  la  recon- 
naissance de  ce  dernier,  et  particulièrement  sur  le  fait  du  car- 
dinalat de  M.  de  Laon  (3).  »  Le  duc  de  Chaulnes  se  plaignit 

(1)  Le  roi  n'avait  t'ncorc  rerii  que  les  dépêches  du  30  novembre  et  du  3  d»*- 
cembre,  où  Bourlcmout  auuouçait  les  évanouissements  prolongés  et  la  mort 
iminiueute  de  Ciémeul  IX. 

(2)  11.  décembre  1669.  Jiomet  201. 

(3)  'S\  janvier  1670.  Rome,  208.  —  H  lui  avait  déjà  écrit,  le  24  du  même  mois  : 
«  Je  vous  conjure,  Monsieur,  comme  s'il  Hait  question  de  l'inlérèt  de  mon 
propre  fils  Tabbé,  de  voir  avec  votre  dextérité  accoutumée,  quand  la  cloche 
86  fondra,  dans  quels  engagements  favorables  pour  M.  Tévèque  de  Laou  vuu? 


CONCLAVE    DE   CLÉMENT   X  399 

à  Lionne  (1)  :  u  Vous  allez  tomber  de  haut,  lui  dit-il.  L'abbé 
Melani  en  a  usé  le  plus  mal  du  monde  à  Tégard  du  cardinal 
Rospigliosi,  se  plaignant  hautement  de  lui,  et  cela  lui  a  bien 
fait  tort  :  son  entrée  dans  le  conclave  n'a  pas  été  approuvée, 
et,  si  j'avais  pu  Tempècher  honnêtement,  sous  prétexte  de  lui 
donner  ici  quelque  confidence,  je  l'aurais  fait,  et  ne  m'en 
serais  pas  repenti,  parce  qu'entre  nous  il  n'en  use  pas  bien 
dans  le  conclave,  et  je  n'aurais  jamais  cru  qu'il  eût  eu  si  peu 
de  jugement.  Il  est  au  désespoir  de  l'union  de  Rospigliosi  avec 
TEscadron  et  Barberin,  et  m'en  a  écrit  rage,  prétendant  que 
c'est  Azzolin  qui  a  empêché  sa  fortune...  Vous  jugerez  par 
là  de  son  entrée  au  conclave.  Il  avait  fondé  toutes  ses  espé- 
rances sur  Buonvisi;  il  en  avait  parlé  à  Rospigliosi,  qui,  sa- 
chant ses  liaisons,  crut  lui  devoir  répondre  honnêtement  :  il 
en  conçut  de  belles  espérances,  et,  lorsqu'il  en  a  su  l'exclusion, 
je  ne  puis  vous  dire  ce  qu'il  n'a  pas  dit  contre  Rospigliosi  et 
contre  l'Escadron,  et  nous  a  pensé  tout  déconcerter,  et  je  n'ai 
jamais  vu  tant  d'emportement...  »  Je  lui  parlerai  '<  des  grosses 
dents...  J'aurai  pourtant  toute  sorte  de  circonspection,  sachant 
que  vous  l'honorez  de  votre  amitié.  »  —  Je  lui  ai  parlé,  «  mais 
il  a  pris  du  depuis  Tcssor  plus  que  jamais,  et  il  ne  peut  souffrir 
que  l'on  ait  commerce  avec  l'Escadron  et  Rospigliosi.  Il  rôde 
la  nuit  tout  seul;  il  entre  en  commerce  avec  qui  veut,  et  j'ap- 
préhende bien  qu'il  ne  nous  gâte  tout,  voulant  en  tm  mot  faire 
seul  wipapey  et  que,  pour  cela,  je  quitte  Rospigliosi  pour  me 
lier  avec  Chigi.  »  —  «  Je  suis  au  désespoir  de  Melani,  et  ne 
puis  vous  exprimer  à  quelles  extravagances  il  se  porte  (2).  » 

pourriez  faire  entrer,  dans  le  conclave  uiùnic,  le  sujet  que  vous  aurez  résolu 
d'exalter.  C'est  dans  ces  coujonctures-lA  que  MM.  les  cardinaux  sont  libres  à 
promettre,  et,  pourvu  que  nous  ayons  des  promesses  faites  au  roi,  nous  trou- 
▼eroDs  peut-être  bien  les  moyens  de  les  faire  tenir  quand  on  ne  voudrait  pas. 
Vous  voyez  Tintérêt  que  je  dois  maintenant  prendre  eu  cela,  et  pour  le  ser- 
vice de  S.  M.,  et  pour  mon  avantage  et  pour  ma  gloire  particulière,  et  jugez 
de  dolà  de  quelle  qualité  sera  Tobligation  que  je  vous  en  aurai  toute  ma  vie.  n 
—  La  mic  de  Lionne  était  fiancée  au  comte  de  Nanteuii,  neveu  de  César  d'Es- 
trées.  Le  10  jauvier  1670,  Lionne  écrivait  à  Chaulnes  :  Le  roi  me  donne 
200,000  livres  pour  marier  ma  Ûlle.  —V.  une  autre  lettre  du  31  janvier.  Romej 
208. 

(1)  4  février  1670.  Rome,  208.  La  lettre  est  tout  entière  autographe,  ce  qui  est  rare. 

(2)  H  et  18  février  1670.  Rome,  208. 


400  CHAPITRE   PREMIER 

—  Le  ministre  répond  qu'il  n'est  pas  surpris  de  la  «  passion 
de  Melani  pour  l'exaltation  du  cardinal  Buonvisi  »  ;  il  ajoate: 
a  A  dire  vrai,  le  service  du  roi  s'y  trouverait  mieux  qu'en  tort 
autre.  »  Puis,  il  rappelle  à  l'ambassadeur  les  mesures  prises 
avec  Atto  en  faveur  de  Tévèque  de  Laon  et  dont  le  succès  ne 
peut  être  assuré  que  par  le  concert  de  Rospigliosi  avec  l'abbé 
Buonvisi  :  «  J*avais  chargé  Atto,  dit-il  (1),  de  prier  M.  le  car- 
dinal Rospigliosi  de  m'écrire  une  lettre  datée  des  derniers  joors 
du  pontificat  de  son  oncle  sur  TafTaire  de  M.  de  Laon,  dont 
nous  pussions  nous  servir  avec  le  nouveau  pape  pour  lui  faire 
voir  que  son  prédécesseur  avait  intention  de  faire  valoir  la 
nomination  de  Portugal  et  de  le  faire  cardinal  pour  ce  motif- 
là,  auquel  se  joignait  encore  celui  des  vives  recommandations  de 
la  maison  de  Vendôme...  Atto  en  a  parlé  dans  le  conclave  audit 
cardinal,  qui  a  commencé  par  lui  en  faire  de  grandes  difficultés, 
qui  m'ont  fait  connaître  qu'il  n'est  pas  dans  le  fond  du  cœur 
aussi  bon  ami  qu*il  veut  qu'on  le  croie  et  qu'on  le  lui  a  été  ;  car. 
si  j'étais  en  sa  place,  celte  lettre-là  ne  me  coûterait  guère,  on 
quelques  termes  qu'on  me  la  demandât...  »  Déjà,  le  21  février, 
le  roi  avait  écrit  au  duc  de  Ghaulnes  en  faveur  du  cardinal 
Buonvisi  (2).  Ce  n'était  pas  assez  :  l'abbé  Buonvisi  supplia 
Louis  XIV  de  faire  recommander  son  oncle  aux  cardinaui 
François  Barberini  et  Azzolino,  et  de  cacher  cette  démarche 
à  l'ambassadeur  français,  dont  il  se  savait  peu  estimé.  Lionne 
écrivit  en  effet  au  duc  (3)  :  «  Je  vous  envoie,  dans  la  dernière 
confidence,  Toriginai  môme  d'une  lettre  que  je  reçus  par  le 
dernier  ordinaire  de  monsignore  Buonvisi  et  la  copie  de  la 
réponse  que  j'y  fais.  Le  roi  a  cru  ne  devoir  pas  lui  refuser  ce 
qu'il  demandait,  de  vous  dépC'cher  un  courrier  exprès,  quand 
même  son  oncle  devrait  sortir  cardinal  du  conclave,  comme 
il  n'y  a  que  trop  d'apparence,  ne  s'agissant  que  de  deux  mille 
francs  pour  le  paiement  d'un  courrier  qui  pourrait  produire 
tant  de  gloire  et  d'avantage  à  Sa  Majesté,  si  le  cardinal  Bar- 
berin  se  voulait  laisser  fléchir,  ou  même,  sans  lui,  si  le  car- 
dinal Azzolin  pouvait  se  laisser  gagner  par  quelque  moyen. 

(1)  28  février  1670.  Rome,  208. 

(2)  Rome,  208. 

(3)  16  mars  1670.  Rome,  209. 


CONCLAVE   DE   CLÉMENT    X  401 

II  n'est  pas  si  aisé  d'élevôr  un  sujet  au  pontificat  qui  n'a  aucune 
exclusion  que  d'exalter  celui  qui  en  a,  dès  qu'onlapeutfaire le- 
ver. Cela  se  voit  au  conclave  dlnriocent  et  en  celui  d'Alexandre. 
Je  vous  conjure  à  genoux  que  monsignore  Buonvisi  ne  puisse 
jamais  pénétrer,  ni  directement  ni  indirectement,  que  je  vous  aie 
communiqué  sa  lettre  ni  la  demande  de  Tenvoi  d'un  courrier... 
Je  vous  prie  de  faire  rendre  ma  réponse  à  monsignore  Buon- 
visi en  sorte  qu'il  ne  puisse  découvrir  que  vous  en  ayez  eu 
connaissance,  ni  de  sa  lettre  par  le  retour  do  ce  porteur.  » 
Vainement  le  duc  de  Chaulnes  avait  averti  Louis  XIV  que 
l'abbé  Buonvisi  le  trompait  et  traitait  en  même  temps  avec 
l'Espagne  :  le  roi  réitéra  l'ordre  d'appuyer  la  candidature  de 
son  oncle  (1);  mais  les  mêmes  raisons,  qui  portaient  les  suf- 
frages des  Français  sur  le  cardinal  Buonvisi,  éloignaient  de  lui, 
malgré  ses  qualités  personnelles,  les  cardinaux  qui  connais- 
saient son  neveu  et  qui  avaient  le  plus  à  cœur  les  intérêts  du 
saint-siège. 

Le  nom  de  Vidoni,  qui  venait  dans  les  scrutins  après  celui  de 
Buonvisi,  ayant  soulevé  quelques  objections,  TEscadron, 
uni  aux  factions  d'Urbain  VIII  et  de  Clément  IX,  en  présenta 
un  autre,  fort  estimé  de  tous  les  partis  dans  le  collège  et 
agréé  en  même  temps  par  la  France  et  par  TEspagne,  celui 
du  cardinal  Benoit  Odescalchi.  Mais  le  désir  de  plaire  au  roi 
et  à  Lionne,  en  persistant  à  soutenir  Buonvisi,  porta  Chaulnes 
à  entraver  une  élection  qui  allait  réunir  toutes  les  voix. 
Quoique  ses  instructions  rangeassent  ce  cardinal  parmi  les 
papabili  désirés  par  le  roi,  le  duc  prétendit  que  le  ministre 
espagnol  approuvait  trop  bruyamment  cette  proposition,  et 
que  la  gloire  de  Louis  XIV  ne  pouvait  permettre  un  choix  qui 
u'humilierait  pas  assez  la  maison  d'Autriche!  Le  25  mars,  il 
informa  la  cour  de  cette  candidature,  à  laquelle  toutes  les 
factions  s'étaient  sur-le-champ  ralliées,  «  parce  que  Odescalchi 
était  un  sujet  plein  de  dévotion  ;...  »  mais,  dit-il,  le  marquis 
d*Astorga  s'y  prit  de  telle  sorte  que  son  adhésion  éclatante 
ressemblerait  à  un  ordre,  et  que  Texaltation  de  ce  cardinal 
serait  un  triomphe  pour  l'Espagne.  L'élan  était  tel  que  les 

(1)  A  Chaulnes,  21  mars  1670,  Home,  209. 

LOUIS  XIV  IT  LE  SAINT-tlBOS.  —  11.  2G 


402  OIAPITBE    PRRMIER 

cardinaux  do  Rolz  et  de  Bouillon,  si  peu  dévots,  allaient 
céder,  lorsqu'ils  trouvèrent  moyen  d*avertir  Fambassadeur  de 
ce  qui  se  passait,  et  celui-ci  ajoute  :  «  Je  leur  mandai  que, 
Odescalcbi  étant  un  sujet  qui  était  agréable  à  Votre  Majesté, 
il  fallait  voir  si  le  torrent  était  assez  violent  pour  nous  devoir 
emporter,  ou  si,  eu  parlant  à  Barberin,  à  l'Escadron  et  à 
Rospigliosi,  l'on  pouvait  Tarr^^'ter;  que  le  premier  parti  était 
le  plus  sûr,  mais  le  moins  glorieux;  que  le  second  était  plus 
difficile,  mais  plus  rapportant  à  la  justice  qui  était  due  à  Yolro 
Majesté  d'avoir  plus  de  part  que  personne  à  Texaltation  du 
pape,  et  qu'ainsi  tout  dépendait  de  Tctat  dans  lequel  seraient 
les  affaires  lorsqu'ils  recevraient  mon  billet.  Ils  agirent.  Sire, 
en  conséquence  de  celte  réponse,  et,  ayant  trouvé  beaucoup 
de  disposition  à  ne  pas  concourir,  ils  dirent  qu*ils  ne  savaient 
pas  mes  sentiments,  étant  une  affaire  nouvelle  dont  on  u Sa- 
vait pas  encore  ouï  parler,  et,  mettant  ainsi  l'affaire  en  négo- 
ciation^ firent  connaître  que  ces  emportements  gâtaient  quel- 
quefois plus  les  affaires  qu'ils  ne  les  accommodaient.  Ils 
temporisèrent  du  malin  au  soir,  et  me  donnèrent  lieu,  non 
pas  de  parler  contre  Odescalcbi,  mais  de  me  plaindre  de  la 
manière  dont  cette  alfaire  s'était  traitée,  et,  sur  ces  négocia- 
tions, de  Téluder  d'autant  plus  facilement  que,  le  matin  du 
lendemain,  l'on  courut  au  conclave  comme  pour  un  pape  fait; 
que  l'on  y  lit  l'ordonnance  publique  do  ne  rompre  aucune 
cloison,  sous  peine  de  la  vie,  qu'après  la  proclamation  du 
pape,  et  qu'un  prédicateur,  le  même  jour  en  cliaire,  recom- 
manda le  pape  que  Ton  faisait,  dit-il,  aux  prières  des  assis- 
tants, parce  que  c'était  Tlioure  du  scrutin.  L'affaire  ainsi  sus- 
pendue, l'ambassadeur  d'Espagne,  ayant  vu  manquer  son 
coup,  prit  un  parti  assez  extraordinaire,  qui  fut  de  demander 
audience  à  la  reine  Christine,  qu'il  n'avait  pas  vue  il  y  a  plus 
de  trois  mois,  et  la  vint  prier  d'interposer  ses  bons  ofticos 
pour  que  je  voulusse  bien  concourir  à  Odescalcbi.  »  Il  semble 
que  celte  démarclie  publique  d'Astorga  donne  une  satisfaction 
complète  à  l'ambassadeur  de  France;  mais  celui-ci  répond 
qu'il  prendra  les  ordres  de  sa  cour,  et  le  sacré  collège,  ne  se 
trouvant  pas  dans  uu  de  ces  cas  où  sou  devoir  est  de  braver 
le  ressentiment  d'un  grand  prince,  ajourne  encore  sa  décision. 


CONCLAVE   DE  CLÉMENT    X  403 

L*ambassadeur  écrit  :  «  A  Téganl  de  la  personne  dudit  car- 
dinal, sa  grande,  et  l'on  peut  même  dire  la  seule  qualité  qu'il  a, 
est  d'être  homme  de  bien,  n'ayant  nulle  pratique  des  alFaires 
du  monde  ni  des  intérêts  des  princes(l).  11  donna  sur  Theure 
des  marques  considérables  et  extraordinaires  de  cette  pre- 
mière vertu,  ayant  dit  à  tous  les  cardinaux  espagnols,  qui  le 
furent  féliciter,  qu'il  ne  se  croyait  pas  digne  de  ce  poste  dans 
lequel  il  y  avait  tant  de  réformes  à  faire  présentement  ;  que 
l'on  devait  faire  un  meilleur  choix;  et  Votre  Majesté  verra  bien 
qu'après  une  pareille  déclaration  dans  ce  temps.  Ton  ne  peiit 
pas  douter  de  sa  bonté,  ni,  de  l'autre  côté,  que  Talarme  qu'en 
curent  bien  des  gens  ne  les  rendit  pas  trop  faciles  à  y  concourir. 
De  ce  compte  que  je  rends  à  Votre  Majesté  sur  cet  incident, 
j'espère  qu'elle  jugera  qu'il  n'en  est  jamais  arrivé  un  dans  un 
conclave  si  surprenant  et  si  embarrassant,  et  j'avoue  à  Votre 
Majesté  que  je  ne  serai  en  repos  sur  ma  conduite  que  quand 
je  pourrai  apprendre  le  sentiment  de  Votre  Majesté.  Il  m'eût 
été  aisé,  Sire,  de  finir  ainsi  le  conclave,  et  j'aurais  peut-être  pu 
me  vanter  de  l'exaltation  d'un  sujet  dans  le  nombre  de  ceux 
qui  sont  agréables  à  Votre  Majesté  ;  mais,  les  formes  étant  con- 
traires à  sa  gloire,  j'ai  cru  qu'un  sujet  ne  devait  pas  être 
exalté  sans  en  avoir  au  moins  une  partie  de  l'obligation  à 
Votre  Majesté(2).  »  L'ambassadeur  ayant  ajouté,  dans  une 
autre  dépêche  :  «  Il  n'y  a  nulle  stipulation  à  faire  avec  lui 
[Odescalchi] ,  étant  dans  la  dévotion  la  plus  scrupuleuse  que 
l'on  puisse  imaginer(3;y  »  le  roi  approuva  la  conduite  de  son 
ministre,  qui  descendit  aux  plus  honteuses  pratiques  pour  re- 
mettre sur  le  tapis  le  nom  de  Buonvisi. 

Le  duc  de  Chaulnes  avait  ménagé  entre  le  neveu  de  ce  can- 
didat et  M.  Foucher,  agent  de  César  d'Estrées,  une  conférence 
secrète  dont  il  rendit  compte  à  la  cour,  en  l'informant  que  le 
sacré  collège  manifestait  de  plus  en  plus  sa  répugnance  pour 

(1)  NouB ▼errons  Odcsculchi,  devenu  Inuoceut  XI,  iluiiucr  un  éclataut  dôuieuU 
à  ce  jugement.  Aucun  homme  d'État,  dans  ce  siècle,  ne  connut  mieux  les 
desseins  et  les  intérêts  des  cours,  et  ne  di^ploya  plus  d'éuergie  pour  conjurer 
Ie«  malheurs  que  la  politique  de  Louis  XIV  attira  sur  la  France  et  sur  l'Eu- 
rope, pendant  la  seconde  moitié  de  son  rèune. 

(2)  25  mars  1610.  Rome,  209. 

(3)  31  mars.  Rome,  209. 


404  CHAPITRE    PREMIER 

ce  choix.  Il  écrivit  (1)  :  «  Pour  finir  la  conversation,  le  sieur 
Foucher  lui  demanda  de  ma  part  s'il  ne  connaissait  pas  quelque 
cardinal  papable  qui  dût  plus  tôt  mourir  que  les  autres  et  que, 
s'il  voulait  consulter  les  médecins,  je  lui  promettais,  de  la  part 
de  Votre  Majesté,  d'y  concourir,  pour  placer  bientôt  Buonvisi 
dans  la  même  place.  »  Mais  M.  Foucher  n'obtint  de  Tabbéque 
des  compliments  sans  aucune  promesse.  Cette  conduite  des 
Français  fit  bientôt  disparaître  tout  dissentiment  entre  les 
factions.  Les  cardinaux  Chigi,  Azzolino,  François  Barberini 
et  Rospigliosi  s'entendirent  «  de  manière,  dit  Chaulnes  lui- 
même,  que  tous  ces  chefs  parurent  avoir  beaucoup  de  salis- 
faction  les  uns  des  autres.  »  L'ambassadeur  de  Louis  XIV 
chercha  encore  à  les  désunir,  appuyant  toujours  Buonvisi  (2): 
tons  les  intérêts  de  la  France  et  de  TEglise  se  réduisaient 
pour  lui  à  faire  cardinal  un  César  d'Estrées(3)!  «  Je  prendrai, 
écrivait-il  encore  à  Lionne  le  17  avril,  ce  qui  s'appelle  gros- 
sièrement des  mesures  pour  M.  de  Laon,  parce  que  je  sais  que 
le  neveu  ne  ferait  pas  la  sourde  oreille  par  principe  de  cons- 
cience. »  Mais  les  cardinaux  avaient  résolu  de  ne  plus  se  lais- 
ser diviser,  et  bientôt  ils  se  mirent  d'accord  sur  Tune  des  der- 
nières créatures  de  Clément  IX,  Emilio  Altieri,  qui,  dès  le 
pontifical  de  son  protecteur  Alexandre  VII,  avait  été  désigné 
pour  la  pourpre,  et  même  pour  la  tiare,  par  les  Indépendants 
et  par  la  voix  publique  :  le  i2  juillet  1667,  après  rexaltalion 
de  Clément  IX,  l'abbé  de  Machaul  avait  écrit  à  Lionne  (4),  en 
parlant  de  l'Escadron  qui  avait  décidé  les  deux  précédentes 
élections  :  «  L'on  voit  visiblement  que  leur  but  est  d'avancer 
le  cardinal  Ollhoboni,  et,  en  cas  que  le  pape  manquât  trop 
tôt,  ils  destineraient  M.  Altieri,  maître  de  chambre  du  pape, 


(1)  Au  roi,  15  avril  1670.  Rome,  209. 

(2)  «  Comme  la  tranquillité  qui  paraissait  dans  chaque  parti  et  l^assuraDce 
des  exclusions  que  chacun  d'eux  avait  causait  les  longueurs  du  conclave,  k 
duc  de  Chaulnes  crut  que,  pour  les  abréger,  il  fallait  semer  quelque  zizanif 
parmi  les  factions.  Dans  ce  dessein,  il  rendit  à  Tumbasëadeur  d'Espagne  une 
visite  accompagnée  de  plusieurs  circonstances  qui  pouvaient  donner  martel 
en  tête  aux  cardinaux  Chigi  et  de  Mêdicis  :  ils  eu  furent  extrêmement  alar- 
mais... >'  [Analyse  de  Saint-Prêt.  RomCt  Papiers  et  documents^  25.) 

(3)  Rome,  209. 

(4)  Rome^  184.  Lettre  citée  plus  haut.  Livre  II,  chapitre  i«r. 


CONCLAVE    DE    CLÉMENT    X  40. " 

qui  est  fort  vieux,  qui  sera  cardinal  infailliblement,  qui  lais- 
serait le  gouvernement  comme  il  est jusqu'à  ce  que  leur 

temps  fût  venu.  »  L'élévation  d'Altieri,  qui  prit  le  nom  de 
Clément  X,  était  donc  due  à  cette  faction,  qui  n'avait  jamais 
cessé  de  compter  pour  adhérents  les  meilleurs  sujets  de  toutes 
les  autres,  et  le  parti  français  n'essaya  même  pas  d'une  oppo- 
sition, qui  d'ailleurs,  au  point  où  était  arrivé  le  conclave, 
n'aurait  plus  modifié  ni  retardé  le  scrutin  définitif  (29  avril 
4670). 

Le  duc  de  Chaulnes  s'empressa  d'écrire  à  Louis  XIV  (1)  que 
c'était  «  Touvrage  des  seules  mains  de  Sa  Majesté  »,  et  que, 
«  dans  Texallalion  de  Clément  X,  Sa  Majesté  avait  eu  sans 
comparaison  plus  de  part  et  plus  d'honneur  que  dans  celle  du 
feu  pape  (2).  »  Admis  à  l'audience  du  nouveau  pontife,  il  «  lui 
dit  que  ses  ordres  étaient  de  préférer  la  faction  Rospigliosi  h 
toutes  les  autres,  et  que  le  roi.  n'avait  pu  souhaiter  que  lui  dans 
celte  faction,  sur  toutes  les  relations  qu'il  avait  faites  à  Sa 
Majesté  de  son  mérite  et  de  toutes  les  grâces  qu'il  en  avait 
reçues.  »  Il  lui  rappela  qu'en  1667,  prenant  congé  et  lui  adres- 
sant des  compliments  déjà  faits  à  vingt  autres^  il  lui  avait 
prédit  son  élévation,  et  «  cela  donna  lieu  à  ce  duc  de  lui  pré- 
senter une  lettre  du  roi  qui  était  écrite  d'une  manière  qui  con- 
venait fort  bien  à  ce  que  l'ambassadeur  venait  de  lui  dire  (3).  » 
C'était  une  de  ces  lettres  sans  nom  ni  date,  dont  chaque  mi- 
nistre étranger  est  toujours  muni  et  qui  prévoient  diverses 
hypothèses.  Chaulnes  savait  bien  qu'il  mentait  :  «  Ces  petites 
menteries,  dit-il  ailleurs  (4),  servent  quelquefois  et  ne  coûtent 
pas  beaucoup  à  un  ambassadeur  dans  le  temps  d'un  conclave, 
qui,  par  le  dû  de  sa  charge,  ne  fait  presque  que  mentir  (5).  » 


(1)  Au  roi,  1"  mai  1670.  Rome,  200, 

(2)  Ce  qui  était  assez  difficile,  puisque  le  duc  de  Ctiaulnes  avait  écrit  à 
Loait  XIV  après  l'élection  de  Clément  IX  :  «  Le  roi  ne  fait  pas  plus  absolu- 
ment, à  Paris,  le  prévôt  des  marchands  qu*ii  a  fait  le  pape.  >  V.  ci-dessus 
cbap.  i*'  du  livre  H. 

(3)  Analyse  de  Saint-Prét.  Rome^  Papiers  et  documents,  23. 

(4)  A  Lionne,  31  mars  1670.  Rome,  209. 

(5)  Le  duc  de  Chaulnes  était  d'ailleurs  fatigué  du  rôle  que  sa  cour  lui  faisait 
jouer.  Cent  passages  de  ses  dépèches  révèlent  le  peu  de  confiance  qu*il  avait 
dans  le  résultat  de  ses  intrigues  :  Le  conclave  ii*avance  pas,  disait-il;  on  sait 


406  CHAPITRE   PREMIER 

Des  écrivains  modernes  ont  pris  au  sérieux  et  répété  les  van- 
tories  de  M.  de  Chaulnes,  avec  celle  variante  que  le  cardinal 
de  Retz  aurait,  par  son  habileté,  réduit  le  sacré  collège  à  sabir 
les  volontés  du  roi  (1).  Peut-on  appeler  candidat  de  Louis  XlViî, 
un  cardinal  auquel  il  n'est  pas  même  fait  allusion  dans  les 
instructions  originaires  de  Tambassadeur,  ni  dans  la  corres- 
pondance échangée  pendant  le  conclave,  et  dont  la  pratique 
fut  proposée  par  les  Indépendants  vingt-quatre  heures  seule- 
ment avant  le  dernier  scrutin (3)?  Pourquoi  Altieri  aurait-il 
été  désiré  par  la  faction  française?  Il  avait  précisément  les 
qualités  et  les  vertus  qu'elle  avait  proscrites  dans  les  cardi- 

bien  qui  ue  sera  pas  élu  ;  mais  no  uc  sait  pas  qui  le  sera.  (Au  roi,  4  février  1670. 
Home,  208.)  —  Ailleurs,  longs  rdisoDOcmeuts  et  suppositions  ^e  termioaDt 
ainsi  :  «  Les  projets  que  Ton  peut  faire  sur  Tavenlr  sont  si  incertains,  enca» 
de  coucluve!...  Je  tâcherai  de  faire  tomber  le  sort  sur  quelqu'un,  s'il  se  peut, 
le  plus  agréable  à  V.  M.,  devant  tout  espérer  du  pouvoir  de  V.  >l.  en  cette 
cour,  etc.  »  (12  mars  1670.  Rome,  200.)  —  Tout  y  est  (au  conclave)  dans  la  der- 
nière incertitude.  (Au  roi,  15  mars  1670.  Rome,  209;  etc.) 

(1)  Le  récit  de  Chantelauze  et  de  M.  Bozon  est  des  plus  extravagants.  Retz, 
qui  était  déjà  pour  ces  auteurs  le  plus  étonnant  des  cardinaux,  le  plus  accom- 
pli dfis  diplomates,  s'est  surpassé  lui-môme  en  1670.  A  peine  paralt-il  au  sacrr 
collège,  «  les  principaux  chefs  des  factions  sont  attirés  vers  lui  comme  par 
un  aimant  irrésistible,  ...  et  sentout  qu'il  est  appelé  entre  tous  à  désigner  un 
pontife...  Il  semblait  ccpondaut  qu'aucime  force  humaine  ne  pût  dissiper 
l'union  de  rE?pagne  avec  les  factions  de  Chigi  et  de  .Médicis.  »  (Chantelauze, 
p.  .^)03,  508  vX  suiv.)  —  <*  Le  poutificat  était  entrf»  les  mains  de  Retz.  »»  (M.  Boiod. 
p.  \  18.)  Voyez  notre  article  de  la  Revue  des  Questioris  historiques,  !•'  juillet  1881. 

(2)  Cliantolanze,  p.  510.  —  Cet  auteur  va  jusqu'à  diro  (p.  489)  que  Chauluc? 
avait  r»çn  l'ordre  de  faire  rk^nsS'ir par-dessus  tout  l'élection  du  chef  de  la  fac- 
tion de  Clément  IX,  c'est-à-dire  de  son  propre  neveu.  Dans  quelle  pièce  a-t-illu 
pareille  absurdité?  Les  neveux  d'un  pape  étaient  virtuellement  et  rigoureuse- 
mont  exclus  :  qui  donc  aurait  jamais  fait  une  proposition  qui  eût  semblé 
reii'lrel.i  papauté  héréditaire?  Chanlclauzo  avaucc  que  Louis  XIV  avait  mis  cinq 
cardinaux  de  la  faction  Rospigliosi  sur  la  liste  donnée  à  sou  ambassadeur  : 
««  L'î  roi,  dit-il  (p.  491),  déclarait  à  son  envoyé  que,  s'il  y  avait  de  trop  grands 
obstacles  pour  l'élection  d'Albizzi,  de  Buonvisi  ou  de  Vidoni,  il  serait  très  aise 
de  voir  nommer,  dans  la  faction  Rospiffliosi,  Brancaccio  ou  Ginetti,  Carpe^na 
ou  Ccl?i,  ou  Litta.  »  Or,  Brancaccio,  Carpegna  et  Ginetti  étaient  créature> 
d'Urbain  Vllï,  et  l«*s  deux  autres  d'Alexandre  Vil! 

(3)  M  Quant  aux  inclusions,  je  serais  bien  en  peine  de  vous  dire  de  si  loin 
(|nel  tour  vous  pouvez  donner  à  l'affaire  sur  les  fondements  que  vous  posez, 
c'est-à-dire  :  premièrement  que,  parle  propre  aveu  du  cardinal  Rospigliosi,  il 
n'//  a  aucun  sujet  dans  sa  faction  qui  pf fisse  réussir;  eu  second  lieu,  que  dan? 
le  vieux  collège,  il  n'y  a  que  deux  sujets  papables,  Brancaccio  et  Fachinetti, 
dont  je  ne  puis  désirer  le  dernier  et  les  Espagnol  excluent  l'autre.  »•  (Le  roi 
à  Chaulnes,  21  février,  Rome,  208.) 


CONCLAVE    DE   CLÉMENT    X  4U7 

naux  d'Elci  et  Odescalchi.  Est-ce  que  le  cardinal  de  Retz  se 
souciait  de  donner  à  rÉglîse  un  chef  dîgno  d'elle?  Lorsque  le 
duc  de  Chaulnes  avait  traversé  réleclion  d'Odescalclii,  Retz 
avait-il  résisté?  avait-il  rappelé  l'agrément  donné  par  le  roi 
à  ce  cardinal,  et  réclamé  la  liberté  de  son  suffrage?  Non,  elle 
dernier  des  conclavisles  n'aurait  pas  exécuté  sa  consigne  plus 
servilement  que  Tancien  chef  de  la  Fronde.  Quoique  les  élec- 
teurs d*Altieri  ne  fussent  pas  inspirés  par  une  pensée  hostile 
à  la  France,  le  duc  de  Chaulnes  sentait  si  bien  que  ce  choix 
ne  contenterait  pas  Louis  XIV,  qu'il  cherchait  à  se  le  fa^re  par- 
donner en  signalant  l'Age  avancé  du  nouveau  pape  comme  le 
présage  assuré  d'un  prochain  conclave,  d'où  sortirait  peut-être 
Buonvisi.  Il  écrivait  (1)  :  «  L'avantage  considérable  que  Votre 
Majesté  tire  encore  de  cette  exaUalîon  est.  Sire,  que  Tôge  du 
pape  donne  à  espérer  à  tout  le  monde,  et  que  j'ai  fait  valoir  à 
monsignore  Buonvisi  ce  que  je  lui  avais  mandé,  que  j'avais 
ordre  de  Votre  Majesté  de  concourir  à  un  vieux  cardinal  pour 
servir  son  oncle,  et  que  tous  ceux  qui  sont  dans  Tintérôt  do 
Votre  Majesté  en  ont  été  très  satisfaits.  » 

Clément  X  réalisait  si  peu  Tidéal  frauçais  d'un  pape  com- 
plaisant et  timide,  entouré  d'une  famille  vénale,  que  les  pré- 
tentions du  roi  firent  naître  aussitôt  entre  les  deux  cours  une 
nfîésinteHigence  qui  dura,  en  s'aggravant,  jusqu'au  dernier 
jour  du  pontiGcat;  et  cependant  je  prendrai  les  seuls  agenis 
do  Louis  XIV  à  témoin  des  qualités  que  les  Indépendants  et  la 
majorité  du  collège  recherchaient  dans  leurs  candidats.  CVsl 
d'abord  le  duc  de  Chaulnes  quiécrit(2):  «  A  Tégard  de  stipula- 
tion, il  n'y  en  a  pas  à  faire  avec  le  pape (8),  qui  refusa  dix  fois 
le  pontificat  et  qui,  en  présence  de  tout  le  sacré  collège,  lors- 
que le  cardinal  Brancaccio  entra  dans  sa  cellule,  dit  à  tous 
MM.  les  cardinaux  que  c'était  ledit  cardinal  qu'il  fallait 
exaller.  11  poussa  le  refus  si  loin  que  l'on  proposa  de  le  mener 

(1)  1"  mai  1670.  Home,  209. 

(2)  A  Lionne.  2  mai  1670.  Rome,  209. 

(3)  Cela  Atait  hi  yrai  que  CUmucuI  X  ne  rendit  pas  la  daterie  ni  la  pccrétai- 
rorie  d*K(at  aux  cardinaii.x  Otthoboni  et  Azzolino,  quoique  ces  deux  ministres  de 
Cl^meut  IX  eussent  pris  la  part  principale  à  .^on  exaltation  ;  et  ils  en  conçurent 
si  ppQ  de  ressentiment  que  Cliaulues  lui-même  atteste  rétroite  union  du  pa- 
lais a^ec  les  Indépendants.  (Au  roi,  7  juin  1670.  Rome,  209.) 


408  CffAPIT    RE    PREMtRR 

par  force,  ce  qui  fut  exécuté  :  personne  n'a  cru  qu'il  jouât  li 
comédie.  »  —  «  Le  pape  a  été  un  dos  sujets  de  cette  cour  le 
plus  employé  et  qui  a  eu  le  plus  de  réputation  dans  toutes  ses 
charges.  Sa  famille  a  toujours  penché  pour  la  France,  qui 
avait  souhaité  de  porter  son  frère  au  pontificat,  s'il  ne  fût  pas 
mort  au  conclave  où  fut  exalté  Alexandre  VIL  II  a  beaucoup 
de  jugement,  une  humeur  fort  douce  et  obligeante^  se  faisant 
d'ailleurs  un  point  d'honneur  d'imiter  la  conduite  de  Clé- 
ment IX,  à  quoi  il  aura  [d'autant]  moins  de  peine  que  sou  na- 
turel le  porte  h  faire  dos  grAces.  Il  serait  difficile  que  son 
grand  Age,  de  quatre-vingts  ans  dans  un  mois,  lui  eût  laissé 
la  même  vivacité  qu'il  avait  auparavant,  l'ayant  beaucoup  usée 
dans  le  travail  assidu  des  principales  Congrégations  et  parti- 
culièrement dans  celle  des  Réguliers  dont  il  a  soutenu  lonj:- 
lemps  le  fardeau.  Je  ne  me  suis  pas  aperçu  du  manquement 
de  sa  mémoire(t),  ainsi  que  les  bruits  en  couraient,  ce  quipeul 
r^lre  aussi  un  effet  de  la  tiare,  qui  guérit  facilement  tous  les 
maux  des  cardinaux  lorsqu'elle  est  mise  sur  leurs  têtes.  Il 
n^aura  pas.  Sire,  les  mOmes  ambitions  de  Clément  IX  d'agir 
par  lui-même.  Il  voudra  bien  tout  savoir,  mais  il  charg^era 
sans  peine  le  cardinal  Altieri  des  discussions  plus  épineuses. 
Il  est  réglé  dans  toutes  ses  actions  ;  il  est  sobre  ;  il  se  lève  tous 
les  jours  avant  quatre  heures.  11  se  couche  avec  le  soleil,  au 
grand  regret  de  ceux  du  palais.  Il  s'habille  et  déshabille  seul 
et,  le  malin,  emploie  deux  heures  ou  à  ses  prières  ou  écrire, 
avant  d'appeler  «es  gens.  Il  est  robuste  et  d'une  forte  com- 
plexion.  11  a  le  teint  bon  et  n'est  sujet  à  aucune  indisposition, 
ce  qui  peut  faire  espérer,  selon  toutes  les  apparences,  un 
assez  long  pontificat (2).  » 

(1)  Le  pape  m*a  parlé  de  vous  et  deB  nfTairesqa'il  a  traitées  avec  vous,  aprè!^ 
le  conclave  d'Alexaodre  VII.  «  Si  je  ne  savais  quels  cfTetf^  peut  produire  la 
tiare,  jo  serais  tombé  de  mon  haut  d'entendre  le  pape  entrer  iIhds  toutes  les 
matières  de  vos  négociations  de  ce  temps-là  et  se  ressouvenir  de  tout  ce  qui 
se  passa  dans  les  différends  entre  le  gouverneur  de  Milan  et  le  prince  de  >1o« 
dène,  mais  avec  des  particulnrités  si  recherchées  dans  toutes  vos  nép^ociation» 
que  je  ne  sais  si  M.  de  Montmort  en  eût  pu  faire  autant,  n  (Chaulnes  à  Lionne. 
3  juin  1670.  Home,  209.) 

(2)  7  juin  1670.  Home,  209.  —  «  Le  pape  est  en  parfaite  santé,  et  il  y  a  très 
grande  apparence  que  de  bien  plus  jeunes  passeront  devant  lui,  étant  de  race 
à  vivre  longtemps,  son  père  n'étant  mort  qu'à  cent  cinq  ans.  Il  fait  une  chose 


CARACTÈRE    DE   CLÉMENT   X  409 

Clément  X  prit  pour  priacipal  ministre  le  cardinal  Paluzzo 
Paluzzi  degli  Albertoni(l),  au  neveu  duquel  il  avait  marié  sa 
nièce,  et  lui  donna  son  propre  nom  avec  le  rang  de  cardinal- 
neveu.  Ce  prélat,  disait  le  duc  de  Chaulnes,  «  a  environ  qua- 
rante-cinq ans;  il  a  passé  par  tous  les  degrés  de  la  prélalurc, 
dont  le  dernier  a  été  Tauditorat  de  la  Chambre,  par  où  il  a 
monté  au  cardinalat.  lia  beaucoup  d*esprit;  il  aime  les  aiïaires 
et  les  entend,  et  il  veut  savoir  jusques  aux  moindres  choses  et 
est  fort  décisif.  Il  a  acquis  beaucoup  d'estime  dans  tous  ses 
emplois,  et  son  naturel  le  porterait,  à  ce  que  Ton  dit,  à  s'é- 
chaufTer  facilement;  mais  il  se  gouverne  si  prudemment  que 
l'on  ne  se  peut  apercevoir  de  ce  défaut.  Il  aura,  selon  les  ap- 
parences, beaucoup  de  crédit  dans  ce  pontificat,  pour  la  tran- 
quillité duquel  il  travaillera  avec  beaucoup  de  soin,  ce  qui 
n*est  pas  une  méchante  circonstance  pour  ceux  qui  auront 
quelque  autorité  de  lui  parler  fortement  et  de  le  toucher  par 
cette  partie  sensible.  Comme  il  s'est  vu  dans  un  état  assez  mi- 
sérable par  la  perte  de  sa  place  d'auditeur  de  Chambre  pour 
monter  au  cardinalat,  sa  pente  ira  à  se  mettre  hors  et  loin  de 
la  nécessité,  mais  par  les  voies  honnêtes  et  légitimes.  Son 
neveu  est  un  jeune  homme  de  vingt-deux  ans,  qui  n*a  jamais 
paru  et  qui  n*aura  nul  crédit (2).  » 

bien  différemment  de  Clément  IX,  qui  est  qu'il  commence  à  donner  aadieutc 
à  cinq  heareB  du  matin,  après  avoir  déjà  dit  sa  messe.  >•  (Chaulnes  à  Lionne. 
6  mai  1670.  Rome,  209.)  —  «  Pour  la  santé  du  pape,  elle  est  d'une  fratcheur 
et  d'une  vigueur  fort  au-dessus  de  son  âge.  »  (César  d'Estrécs,  évoque  de  Laon, 
au  roi,  7  juillet  1671.  Romey  203.) 

(1)  Créature  d'Alexandre  Vil. 

(2)  7  juin  1670.  Rome^  209.  —  11  faut  entendre  encore,  sur  le  pape  et  sur 
Altieri,  un  autre  Français,  qui  se  déchaînera  ensuite  contre  eux  lorsqu'ils  ré- 
sisteront aux  insoutenables  prétentions  de  Louis  XIV  :  «  ...  S.  S.,  après  m'a- 
voir  beaucoup  parlé  du  roi  et  des  obligations  qu'elle  et  sa  maison  lui  avaient 
depuis  longtemps,  me  fit  l'honneur  de  me  dire  qu'elle  espérait  de  la  piété  dn 
S.  M.,  aussi  bien  que  de  sa  générosité,  un  secours  dans  ses  besoins,  un  appui 
pour  soutenir  le  poids  de  l'Église  ;  qu'elle  avait  fait  ce  qu'elle  avait  pu  pour 
ne  l'avoir  pas,  n'étant  nullement  propre  à  un  homme  de  son  Age  et  qui  ne 
songeait  qu'À  finir  sa  vie  en  repos...  J'eus  l'honneur  de  répondre  à  cela  que 
S.  S.  pouvait  faire  fond  sur  S.  M.  et  être  pleinement  persuadée  de  la  corres- 
pondance, et  même  qu'elle  n'aurait  pas  moins  de  passion  pour  la  gloire  de 
son  pontificat  que  pour  celui  du  feu  pape  Clément  IX,  dont  la  mémoire  sera 
toujours  très  sainte  et  très  illustre  par  tout  ce  que  S.  M.  avait  fait  à  sa  prière 
et  à  sa  considération,  et  cela  par  la  bonne  correspondance  qui  se  passait 


410  CHAPITRK   PREMIER 

Clément  X  s*cntoura  de  minisires  qui  étaient  bien  vus  des 
couronnes.  Les  agents  de  Louis  X[V  n'ont  que  des  louanges 
pour  les  prélats  Carpegna,  dataire,  et  Borromeo^  secrétaire 
d'État,  parents  assez  éloignés  du  pape.  Si  son  maître  (fc 
chambre  Massimi,  ancien  nonce  à  Madrid,  paraît  ôlre  d'incli- 
nation espagnole,  le  gouverneur  de  Rome  est  BeviIacqua,doDt 
le  roi  désire  la  nomination  à  la  nonciature  de  France.  Le  pape 
ne  craignait  même  pas  de  faire  des  avances  publiques  à  la 
cour  ombrageuse  de  Saint-Germain.  Le  duc  de  Chaulne? 
écrivait  (4):  «  Sa  Sainteté  vient  de  donner  une  marque  considé- 
rableet  extraordinaire  de  sa  pente  vers  la  France,  ayant  donné 
à  l'abbé  Baglioni  la  charge  de  secrétaire  des  chiffres  et  du 
général  de  TElat  ecclésiastique.  Ce  projet  du  pape  a  reçu 
d*abord  beaucoup  d'opposition,  et  même  avec  quelque  justice, 
de  confier  au  secrétaire  d'un  cardinal  national  (2)  le  secret  de 
toutes  les  affaires,  non  seulement  de  TEtat  ecclésiastique,  mais 
même  de  tous  les  princes  étrangers.  Cependant  le  pape  ni 


entre  elle  et  lui,  co  que  S.  S.  devait  aussi  alteudre,  étant  dans  la  disposition 
où  elle  était  et  daus  laquelle  elle  ne  devait  pas  r.eulement  domcnrer,  mai^ 
njftiiio  Taugmontor,  si  elle  pouvait,  S.  M.  ne  se  laissant  jamais  vaincre  en  quoi 
quecr  s^oit.  Elle  m'assura  qu'elle  n'oublierait  rien  pour  satisfaire  le  roi.  duquel 
elle  espérait  qu'il  serait  content  eucore  dft  M'^»'  le  cardinal  Altieri,  et  qup  oc 
qui  l'ohli^'oait  d«'  le  croire.  cVtait  de  voir  comme  quoi  S.  M.  Tavait  traitt^  dan? 
la  lettre  quVlle  lui  avait  fait  l'honneur  de  lui  écrire;  qu'il  n'était  pas  comm»* 
les  autres  nevrux  «1»»  papes  qui  vouaient  neufs  <lans  Ip  gouvernement,  a^nr^i 
fXisst^  par  les  plus  (jvandes  charges^  étant  dt^jà  consommé  et  s^apptiquant  forte- 
ment aux  affaires.  Ma  répouse  fut  que  je  ne  faisais  nul  doute  que  S.  M.  n'eût 
fort  agréé  le  choix  que  S.  S.  avait  fait  et  qu'elle  ne  fût  très  satisfaite  de  S.  É.. 
n'étant  pas  possible  d'en  mieux  user  qu'elle  faisait:  qu'assurément  depuis  quatr»* 
sièclrs  ou  n'avait  pas  vu  dans  ce  poste  un  homme  plus  juste,  plus  civil,  plii' 
appliqué  et  plus  expéditif  ;  qu'en  cette  rencontre  on  avait  reconnu  les  grand?* 
lumières  de  S.  B.,  et  que,  pour  sa  consolation,  je  voudrais  qu'elle  put  se  trou- 
ver dans  les  endroits  où  je  me  trouve,  «'t  entendre  ce  que  j'en  entends  dire.  En 
effet,  jamais  on  n'a  mieux  parlé  d'un  neveu  qu'on  fait  de  celui-ci,  qui  donno 
plus  d'audiences  dans  une  matinée  et  qui  dépèche  plus  d'affaires  que  M^'  le 
cardinal  Hospigliosi.  sans  lui  faire  tort,  ne  faisait  dans  quinze  jours.  Il  parle 
à  tous;  il  reçoit  Ips  mémoriaux  de  tous,  et  même  passant  dans  les  rues,  et  don- 
nant à  tous  des  marques  de  sa  caf/antc  et  de  sa  justice.  Personne  ne  .sentit 
capahte  dr  lui  faire  faire  un  pas  contre  ce  qui  est  dû  à  chacun^  pas  même 
MM.  ses  parents,  qu'il  tient  asspz  bas,  ne  voulant  pas  qu'ils  se  mêlent  «Ip* 
alTaires.  »  (Bonfils  à  Lionne,  Sjuilb't  IHIO.  Home,  210.) 

(1)  Au  roi,  f)  mai.  Rome^  209. 

(2)  Antoine  Barberini,  archevêque  de  Reims. 


CARACTÈRE   DE    CLÉMENT    X  4H 

M.  le  cardinal  Altieri  n'y  ont  eu  aucun  égard  et  ledit  abbé  fut 
t>îen  établi  dans  ce  poste,  dans  lequel  il  peut  être  fort  utile  à 
Votre  Majesté  et  pousser  peut-être  bien  loin  sa  fortune.   » 
Comment  le  roi  ne  sut-il  pas  vivre  en  paix  avec  Rome, 
pendant  un  pontificat  qui  s'ouvrait  sous  de  tels  auspices?  Il 
commença  par  rappeler  M.  de  Chaulnes^  sans   annoncer  ni 
ambassade  ordinaire  ni  ambassade  d'obédience.  Il  s'en  était 
même  fallu  de  peu  que  le  duc  ne  parût  pas  du  tout  :  ses  ins- 
tructions, prévoyant  le  cas  otiil  apprendrait  en  chemin  Télec- 
tion,  lui  ordonnaient  de  revenir  s'il  n'avait  pas  dépassé  Gênes, 
et  de  ne  poursuivre  que  si  une  faible  distance  le  séparait  de  la 
frontière  romaine.  L'ambassadeur  quitta  Farnèse,  le  9  juin, 
six  semaines  après  l'ouverture  du  conclave,  et  non  sans  laisser 
derrière  lui  les  germes  de  plusieurs  conflits. 

Louis  XIV  entendait  réclamer  de  Clément  X,  comme  de  ses 
prédécesseurs,  une  soumission  absolue  à  ses  volontés,  même 
en  matière  spirituelle.  «  Vous  feriez  un  coup  digne  de  vous, 
écrivait  Lionne  au  duc  de  Chaulnes  (1),  si  vous  emportiez  du 
nouveau  pape  la  suppression  du  formulaire,  ce  qui  ne  consis- 
terait qu'en  un  bref  de  douze  lignes  aux  évéques  de  France, 
et  je  puis  dire  que,  dans  TalTaire  du  jansénisme,  il  ne  reste 
plus  rien  de  bon  à  faire  à  la  cour  de  Rome  que  ce  coup-là, 
comme,  au  contraire,  elle  se  jetterait  d'elle-même  dans  des 
embarras  inextricables,  si  elle  voulait  tant  soit  peu  toucher, 
à  la  suscitation  des  Jésuites,  à  ce  qu'a  fait  le  défunt  pape  dans 
l'accommodement  des  quatre  évêques,  sur  la  foi  duquel  nous 
vivons  tous,  Dieu  merci,  dans  un  plein  repos.  M.  le  cardinal 
de  Retz  peut  encore  être  un  grand  acteur  à  conseiller  de  delà 
le  parti  de  la  suppression  du  formulaire.  »  Le  roi  en  personne 
chargea  le  duc  de  déclarer  «  qu'il  ne  pourrait  pas  appuyer  de 

(1)  17  janvier  1670.  Borne,  208.  —  Déjà,  le  3  janvier  1670,  le  roi  lui-même 
avait  écrit  a  CbauloeB  :  ><  Dès  que  le  nouveau  pape  pcrn  élu,  vous  lui  ferez 
connattre  l'embarras  où  il  se  mettrait  lui-même  s'il  écoutait  sur  cette  matière 
ou  suivait  les  sentiments  du  cardinal  Albixzi  ou  d'autres,  qui  que  ce  soit,  qui 
voudrait  lui  persuader  de  toucher  à  ce  qu'a  fait  Clément  IX,  et  qu'en  un  besoin 
vous  lui  fassiez  entendre  et  lui  déclariez  avec  fermeté  qu'il  serait  mal  appuyé 
de  mol,  s'il  se  laissait  aller  à  de  pareils  couseilsde  troubler  en  ce  fait  la  tran- 
quillité que  son  prédécesseur  a  si  glorieusement  rétablie  dans  l'Église  de 
France.  »  {Rnme,  308.  J 


412  CHAPITRE    PREMIER 

son  autorité  aucune  nouveauté  que  Ton  vonlûl  faire  de  deH 
aux  dernières  dispositions  de  Clément  IX,  »  et  d'exiger  «pi- 
role  de  ne  rien  innover  »  (1).  En  même  temps  Lionne  el 
Chaulnes  se  faisaient  confidence  de  leur  mépris  pour  le  nonce 
Bargellini,  dont  la  bonne  foi  avait  été  surprise  par  les  jansé- 
nistes et  par  la  cour  de  France.  L'ambassadeur  écrivait  aa 
ministre  (2)  :  «  Il  ne  m'a  point  paru  que  M.  le  cardinal  Altieii 
eût  une  grande  estime  pour  M^'  Bargellînî,  ce  qui  vous  don- 
nera peut-être  meilleure  opinion  de  ce  cardinal;  et,  comme  je 
me  suis  aperçu  en  France  que  Ton  était  assez  de  ce  même 
sentiment,  je  n*ai  pas  témoigné  audit  cardinal  que  Sa  Majeslé 
souhaiterait  qu*il  rostAt.  »  Lorsque  l'abrogation  du  formulaire 
fut  demandée  pour  la  première  fois  à  Clément  X  «  il  se  sou- 
vint fort  bien,  dit  le  duc  de  Chaulnes  (3),  de  l'affaire  qu'il  dis- 
cutait, me  disant  qu'il  avait  été  consulté  sur  cette  affaire  sons 
les  deux  derniers  pontificats,  mais  qu'il  ne  savait  pas  si  le  mal 
était  bien  gueri  ;  de  quoi  Tayant  assuré,  lui  rapportant  les  sou- 
missions que  les  évoques  soupçonnés  avaient  faites  au  pape 
Clément  IX,  Sa  Sainteté  me  dit  qu'il  fallait  voir  comment  cetlo 
suppression  se  pourrait  faire  avec  honneur  pour  le  saint- 
siège.  »  Le  cardinal  Alticri  «  me  fit  connaître  par  tous  ses  dis- 
cours qu'il  était  encore  moins  persuadé  que  le  pape  que  le 
mal  fut  guéri,  ce  qui  m'obligea  d'entrer  plus  avant  en  ma- 
tière avec  lui,  lui  disant  que,  quand  il  serait  vrai,  dontjo 
ne  convenais  pas,  ladite  suppression  serait  encore  très  né- 
cessaire pour  éviter  de  plus  grands  maux  qui,  dans  la  suite, 
se  rendraient  irrémédiables  et  que  le  seul  formulaire  cau- 
serait. » 

Leduc  de  Chaulnes  ne  vil  pas  une  seule  fois  Clément  X 
sans  le  presser  d'accorder  la  pourpre  à  l'évêque  de  Laon,  sur 
les  prétendues  instances  du  régent  don  Pèdre;  et  cependant 
il  avouait  lui-même  à  Lionne  que  «  les  sentiments  de  M.  l'am- 

(1)  7  mars  1670.  Home,  209. 

(2)  3  juin  1670.  Rome,  209. 

(3)  «  Le  duc  parla  au  pape,  dans  toutes  ses  audiences,  de  la  suppression  da 
formulaire,  disant  que  cet  acte  avait  Hè  demandé  comme  le  seul  remède  qui 
pouvait  guérir  le  mal  causé  par  l'hérésie;  que  ce  remède  .ivait  produit  tout 
reffet  qu'on  pouvait  souhaiter;  que  la  plaie  était  ffuérie,  cpie  la  partie  étiit 
saine  et  que  l'emplâtre  n'y  pourrait  plus  faire  que  du  maL  » 


CARACTÈRE    DE    i  LÉMENT    X  il3 

assad«^ur  de  Portugal  1 .  étaient  nou  seuit*ment  peu  favo- 
aiblos,  mais  tout  à  fait  contraires  à  faire  jouir  de  celte  grâce 
o  sujet  qui  ne  fût  pas  ua'ional.  »  N'ayant  encore  obtenu  du 
ape  que  des  réponses  polies,  mais  dilatoires.  le  duc  essaya 
.e  le  surprendre.  Je  brusquai  TaBaire,  dit-il,  en  le  remerciant 
omme  d*une  chose  faite  ou  du  moins  promise  :  il  ne  me  con- 
redil  pas,  «  ce  qui  était  beaucoup,  ce  me  semble  2  .  v 

Le  sacré  collège  n'avait  pas  cessé,  dans  le  conclave,  de  por- 
er  son  attention  sur  les  armements  faits  par  les  Turcs  en  vue 
le  la  prochaine  campagne.  Les  Vénitiens  lui  signalèrent  les 
.roubles  de  la  Hongrie  et  de  la  Croatie,  où  le  comte  Serin,  pour 
échapper  au  joug  impérial^  menaçait  de  se  rendre  tributaire 
le  la  Porte  :  ils  sollicitèrent  une  prompte  élection  afin  qu'un 
nouveau  pape  put  provoquer  une  ligue  des  princes  catholiques 
contre  les  infidèles,  et  rappelèrent  avec  frayeur  que  les  armes 
ottomanes^  introduites  en  Croatie»  ne  seraient  plus  qu*à  cent 
cinquante  milles  de  Venise.  Le  duc  de  Chaulnes  protesta  aussi- 
tôt^ quoique  sans  ordre,  du  dévouement  de  son  maître  au  salut 
de  la  chrétienté,  et  se  vanta  au  roi  des  fausses  espérances  qu'il 
avait  données,   sachant  bien,  dit-il,  «   que  les  effets  de  ces 
avances  dépendaient  de  tant  d'autres  circonstances,  tant  du 
c6té  de  TEmpereur  que  du  côté  de  ces  alTaires  de  Hongrie  et 
de  Croatie,  que  cen*étail  engager  Voire  Majesté  qu  a  ce  qu'elle 
Test  et  naturellement,  et  par  ses  propres  inclinations  [V.   - 
Mais  il  fut  moins  fier,  quelques  jours  après,  lorsque  le  sacre 
collège  reçut  un  courrier  du  nonce  de  Varsovie,  dévoilant  ks 
intrigues  de  M.  de  Bonsy,  archevêque  de  Toulouse,  ambassa- 
deur du  roi  en  Pologne,  et  qu'il  devint  manifeste  à  tous  les 
yeux  que  la  protection  de  l'Europe  contre  les  Turcs  était  le 
moindre  souci  de  Louis  XIV  :  c'était  précisément  le  temps 
oii  Lionne  préparait  les  instructions  d'un  nouvel  ambassadeur, 
envoyé  à  la  Porte  pour  apaiser  le  rossoniimonl  que  le  secours 

(1)  Ces  scnUmenU  éUiieiil  depuiâ  loufitemps  couuus  :  i  J'ai  tu  deux  foi* 
raiuba«tad<iur  de  Portugal.  Je  pris  le  parti  la  première  fois  de  traiter  avec  iu- 
diSëreuce  TatTaire  de  M.  de  Laou  pour  découvrir  les  seutimeuts  de  ce  uiiuistre. 
et  je  mettraid  bien  ma  main  au  feu  qu'il  est  contraire  aM.  de  Laou.  »  (Chaulues 
a  LioDUC,  28  jauTÎer  1670.  /toute,  208.) 

(â)  Au  roi,  7  juiu  1670.  Rome,  209. 

(J)  Au  roi,  15  aviil  1670.  Home,  209. 


414  CHAPITRE    PRKMIKR 

de  Candie  avait  laissé  dans  Tesprit  du  sultan  (1).  a  Vdiciaoe 
assez  plaisante  rencontre,  écrivait  le  duc  à  Lionue  (2}  :  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  s'étant  trouvé  chef  d*ordre  les  trois  de^ 
niers  jours,  pendant  lesquels  Ton  a  reçu  les  paquets  d'Alle- 
magne et  de  Pologne,  il  a  assisté  à  Touverture  des  paquets  et 
a  lu^  dans  les  avis  du  nonce  de  Pologne,  deux  choses  que  j'ai 
cru  vous  devoir  faire  savoir  :  Tune,  que  Ton  croyait  que  c'était 
la  France  qui  excitait  les  Turcs  à  faire  la  guerre  en  ces  con- 
trées, et  l'autre,  que  les  esprits  se  tournaient  du  côté  de  la 
France  par  le  peu  de  satisfaction  que  Ton  avait  du  gouverne- 
ment et  la  mésintelligence  qui  régnait  partout.  11  ne  perd  pas 
aussi  l'occasion  de  dauber  M.  l'archevêque  de  Toulouse  (31... 
L'esprit  du  seigneur  nonce  paraît  en  ses  nouvelles,  et  il  est 
assez  plaisant  que  cela  se  soit  trouvé  juste  aux  jours  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon.  » 

La  présence  d'un  ambassadeur  français  à  Rome  avait  rendu 
à  ses  nationaux  leur  insolence  habituelle,  et,  quels  que  fussent 
leurs  méfaits,  le  duc  de  Chaulnes  prétendait  que  l'honneur  de 
son  maître  leur  assurât  l'impunité.  Une  nuit,  durant  le  con- 
clave, un  Français  blessa  mortellement  un  des  gardes  du  Va- 
tican :  il  devait  être  exécuté  le  lendemain,  «  le  cas  étant  pré- 
votable  ».  —  «  Comme  l'action  ne  se  pouvait  pas  approuver, 
que  c'était  un  crime  de  lèse-majesté,  le  Vatican  étante  dans  le 
temps  du  conclave,  un  lieu  sacré,  il  n'eut  pas  été  honnête  de 
soutenir  ce  procédé;  mais,  conimo  il  l'eut  été  moins  de  voir 
rcxéculion  d'un  Français,  »  le  duc,  secondé  notamment  jiar 
le  cardinal  d'Esté,  suborna  des  témoins,  surprit  une  sentence 
qui  bannissait  le  criminel,  lui  donna  rhospilalité  dans  sa  mai- 
son, et  le  public  fut  indigné  «  de  voir  que  l'on  ne  punissait  pas 
un  crime  de  cette  nature  parce  que  c'était  un  Français  (4).  j» 
Avant  de  quitter  Rome,  le  duc  de  Chaulnes  proposa  au  roi  de 
substituer  à  Farnèse,  qui  n'était  que  prôté  ou  loué  par  le  duc 


(1)  Les  instructions  du  marquis  de  Noiulel  sont  datées  du  21  juillet  1670. 
Turquie,  10. 

(2)  A  Lionne,  18  avril  1670.  Home,  209. 

(3)  Bonsy  venait  d'être  transféré  de  Béziers  à  Toulouse,  et   Louis  XIV  rc- 
clamait  pour  lui  le  cardinalat  au  nom  du  roi  de  Pologne. 

(♦)  Au  roi,  8  avril  1670.  -Rome,  209. 


PRÉTENTIONS    MENAÇANTES    DE    LOUIS    XIV  415 

de  Parme,  uu  palais  national  semblable  à  ceux  d'Espagne  et 
de  Venise;  «  et  dans  ces  palais,  ajoute-t-il,  Ton  y  peut  mettre 
des  armes  et  des  munitions,  ce  qui  est  très  important  (1);  » 
paroles  qui  présagent  la  fameuse  ambassade  de  Lavardin.  Ce 
sont  précisément  les  excès  commis  par  les  ambassadeurs,  sous 
le  pontificat  de  Clément  X,  qui  rendront  inévitable  la  querelle 
des  quartiers,  sous  celui  d'Innocent  XL 

Tels  sont  les  sentiments  que  le  représentant  de  Louis  XIV  reni- 
porlait  en  France.  Uaos  quelles  dispositions  laissa-t-il  toutes 
les  fractions  du  sacré  collège  et  le  souverain  ponlife  lui-même? 
11  écrivait  au  roi  :  «<  Je  no  crois  pas  devoir  finir  cette  dépêche 
que  par  où  j'ai  fini  mes  audiences  avec  le  pape  et  le  cardinal 
Altierî,  Sa  Sainteté  m'ayant  chargé,  trop  expressément  pour 
y  manquer,  d'assurer  Voire  Majesté  que  les  obligations  qu'elle 
lui  avait  du  poste  où  elle  se  trouvait  seraient  toujours  em- 
preintes dans  son  cœur,  pour  en  faire  sortir,  dans  toutes  les 
occasions,  les  marques  de  son  affection  paternelle.  Sa  Sainteté 
m^ordonna  ensuite  de  recommander  en  son  nom  à  Votre  Ma- 
jesté tous  les  intérêts  de  la  chrétienté,  comme  au  prince  le  plus 
puissant,  et  qui  avait  déjà  donné  tant  de  preuves  de  son  zèle 
pour  le  maintien  de  la  religion.  Elle  me  fit  ensuite  quelques 
compliments  obligeants  sur  le  déplaisir  de  mon  départ;  elle 
m^ordonna,  dans  mon  absence,  de  prendre  en  elle  la  même 
confiance  qu'elle  savait  que  m'avait  ordonnée  le  feu  pape.  Elle 
me  commanda  de  lui  écrire  avec  toute  sorte  de  liberté  et  sur- 
tout de  lui  demander  des  grâces,  ce  qu'elle  recevrait  comme 
des  marques  de  Tintérêl  (jue  je  voudrais  prendre  en  sa  per- 
sonne. Elle  me  voulut  faire  ensuite  elle-même  des  présents  de 
chapelets,  en  attendant  un  régal  plus  considérable,  qu'elle 
m'envoya  deux  heures  après,  d'un  fort  beau  reliquaire  qu'elle 
fit  accompagner  d'un  corps  saint;  ayant  reçu  ensuite  ses  trois 
bénédictions^  après  les  deux  embrassements  que  les  papes 
font  aux  ambassadeurs  à  la  première  et  dernière  audience. 
M.  le  cardinal  Altieri  me  témoigna  ensuite,  dans  la  visite  que 
je  li:i  rendis,  que  rien  ne  lui  serait  si  cher  que  la  protection 
de  Votre  Majesté,  qu'il  tâcherait  de  mériter,  et  me  pria  fort, 

(1)  Mémoire  autographe,  joiut  a  la  dépôche  du  7  juiu.  iiome,  209. 


416  CHAPITRE   PnEtflER 

en  attendant  qu*il  s*cn  fût  rendu  digne,  de  lui  vouloir  pro- 
curer souvent  les  commandements  de  Votre  Majesté.  Ilm'i 
témoigné  les  mêmes  sentiments  dans  deux  visites  qu'il  m'a 
rendues  du  depuis,  et  conclurai,  Sire,  par  les  assurances  que 
l'on  ne  peut  rendre  plus  d^ïonneur  qu'en  a  reçu  mon  caractère 
dans  le  cours  de  mon  ambassade  (i).  » 

Le  duc  de  Chaulnes  laissa  les  affaires  du  roi  aux  soins  de 
Tabbé  de  Bourlemont,  auditeur  de  rote.  Lionne  se  défiait  ud 
peu  de  ce  prélat,  dont  le  gallicanisme  sec  et  hautain  ne  des- 
cendait pas  aux  basses  pratiques  :  il  Taurait  vu  sans  regreb 
accepter  Tévêché  de  Lavaur;  mais  Bourlemont  dédaigna  ce 
siège,  et^  en  attendant  mieux,  fut  maintenu  à  Rome  avecla 
commende  de  la  Grâce  (ordre  de  Saint-Benoît),  valant  au  moins 
seize  mille  livres  de  revenu  (2).  Aussi  le  ministre,  tout  en  le 
félicitant  de  Tbabileté  qu'il  déployait  dans  les  vacances  de 
l'ambassade,  compta  principalement,  pour  emporter  la  promo- 
tion de  M.  de  Laon,  sur  cette  tourbe  de  Français  et  d'Italiens, 
familiers,  habitants  ou  pensionnaires  de  Farnèse,  auxquels 
on  pouvait  demander  tous  les  services,  sans  se  heurter  jamais 
à  aucun  scrupule  :  Atto  Melani,  UgoMaffei,  Elpidio  Benedelli, 
de  Sanctis,  Gallo,  Vagnozzi,  Ripa;  l'abbé  Servient,  que  Clé- 
ment X  nomma  camérior  secret,  avec  logement  à  Monte-Ca- 
vallo  (3)  ;  Tabbé  de  Bonfîls  et  M.  Foucher,  accrédités  Tun  el 
l'autre  par  le  roi  et  par  la  maison  de  Vendôme,  ayant,  le  secmi 
surtout,  le  secret  de  la  négociation,  et  l'abbé  de  Bigorre  qui. 
chargé  de  solliciter  le  chapeau  pour  M,  de  Bonsy,  au  nom  de 


(i)  1  juin  1670.  lioinr,  209. 

(2)  ((  Je  crois  qu'il  fait  une  bonne  afTuire,  car  quand  la  maladie  des  Suiss<!â 
le  prendra  de  revoir  sa  patrie,  étant  plus  avancé  en  âge,  il  y  a  grande  appa- 
rence qu'il  aura  l'argent  et  le  drap,  c'est-à-dire  un  évôché  et  l'abbaye.  »»(Liotti» 
à  Cbauhi^^.s  28  mars  1(170.  Piome,  209.) 

(3)  Remerciements  de  Lionne  au  pape  et  au  cardinal  Altieri,  13  juin  161fi 
pour  «  la  grâce  si  considérable  que  S.  S.  a  accordée  à  l'abbé  Servient  ",eoi« 
nommant  son  camérier  secret.  {Romi%  207.)  —  Bourieuiout  au  roi,  7  o** 
tobre  1670.  liome^  211  :  «  J'ai  dit  à  celui  qui  fait  ici  les  affaires  de  M.  l'abbé 
Servient  de  lui  faire  accommoder  les  chambres  que  le  pape  lui  douneâMoLt^ 
Cavallo  comme  camérier  secret.  Il  y  eu  aura  assez  pour  lui  et  pour  ceux  q^i 
sont  proche  de  sa  personne,  et  il  n'aura  plus  quà  faire  prendre  quelque  re- 
mise et  écurie  pour  son  carrosse  et  ses  chevaux  le  plus  proche  de  Monle-Ci- 
vailo  qu'il  se  pourra.  >' 


PRÉTENTIONS    MENAÇANTES    DE   LOUIS    XIV  417 

Louis  XIV  el  du  roi  de  Pologne,  pouvait  servir  indirectement 
les  intérêts  de  M.  d'Estrées.  Lionne  ayant  insinué  maladroi- 
tement à  l'abbé  de  Bourlemont  qu'il  ferait  bien  de  régler  ses 
démarches  sur  celles  de  M.  Foucher,  l'auditeur  de  rote  ne 
dissimula  pas  sa  mauvaise  humeur,  et  il  fallut  l'assurer  que 
M.  Foucher  lui  était  soumis  (1). 

Dès  le  mois  de  juin  1670,  Bourlemont  eut  ordre  de  déclarer 
à  Clément  X  que  l'amitié  de  la  France  était  au  prix  de  la 
pourpre  exigée  par  l'évêque  do  Laon  :  «  Disposez  le  pape, 
lui  écrivit  Lionne,  j'ose  dire  par  le  propre  intérêt  de  son  ser- 
vice et  de  sa  gloire,  à  ne  pas  laisser  échapper  ni  corrompre  une 
si  belle  occasion  d'obliger  essentiellement  Sa  Majesté  dans  la 
seule  chose,  comme  j'ai  déjà  dit,  qui  lui  peut  fournir  la  ma- 
tière de  donner  à  Sa  Majesté  des  preuves  de  sa  bonté  pater- 
nelle, avec  quelque  distinction  des  autres  princes,  qui  n'ont  pas 
lanl  de  moyens  qu'elle  d'y  bien  correspondre,  à  l'avantage 
même  du  sainl-siège  et  de  la  religion  catholique.  » — Pour  com- 
muniquer son  ardeur  à  Bourlemont,  il  ajoutait  :  «  Je  sais  par 
mille  épreuves  que,  dès  que  vous  voyez  le  service  et  la  satis- 
faction du  roi  en  quelque  affaire,  vous  vous  y  appliquez  avec 
un  soin  inexprimable;  mais  je  me  flatte  de  plus  qu'en  celle-ci, 
par  rintérêt  que  j'y  dois  prendre  et  que  j'y  prends  effective- 
ment depuis  notre  alliance^  aussi  grand  que  si  je  vous  parlais 
pour  mon  fils  Tabbé  lui-même  et  sans  différence  aucune,  vous 
aurez  la  bonté  de  prendre  même  un  singulier  plaisir  de  vous 
y  employer,  avec  une  chaleur  extraordinaire  dont  je  vous  aurai 
la  dernière  obligation,  et  il  ne  sera  jour  de  ma  vie  que  je  ne 
recherche  les  moyens  de  me  revancher(2).  »  Ce  n'était  pas 
assez  que  Clément  X  n'écarlût  point  absolument  César  d'Es- 
trées.  Le  duc  de  Chaulnes  avait  écrit  à  Lionne  :  «  Pour  repar- 
ler de  l'affaire  de  M.  de  Laon...,  je  suis  persuadé  que  Ton  peut 
attendre  autant  du  nouveau  pape  que  de  Clément  IX,  et  du 
cardinal  Altieri...  que  du  cardinal  Rospigliosi  (3).  »  Le  roi 
n'admettait  ni  objection  ni  délai.  Cependant  l'évêque  de  Laon 

(1)  Lionne  à  Boarlcmout^  li  février,  2o  avril,  30  mai  et  12  septembre  1610. 
Rome,  207. 

(2)  30  mai  1670.  Rome,  207. 

(3)  2  mai.  Rome,  209. 

LOUIS  XIV  BT  LB  SAINT-SIÂGB.  —  11.  27 


418  CHAPITRB  PREMnm 

cûi-il  réuni  tous  les  mérilcSy  les  règles  établies  rejetaient» 
promotion  à  une  époque  assez  éloignée.  A  supposer  qu'il  fiât 
vraiment  présenté  par  la  cour  de  Lisbonne  et  que  le  papete- 
ceptàt  du  Portugal  la  nomination  d'un  Français,  il  falkû 
attendre  le  tour  des  couronnes,  et  surtout  qu'il  y  eût  dans  le 
collège  assez  de  vacances  pour  tous  les  candidats  des  princes. 
Or,  deux  chapeaux  seulement  étaient  alors  à  donner,  ceux  da 
cardinal  d'ËIci,  mort  en  conclave,  et  de  Clément  X,  qui  réservait 
le  sien  à  un  parent  du  feu  pape,  son  créateur.  Le  successeurde 
Lionne,  M.  de  Pomponne,  qui  épousa  les  rancunes  de  MM.  d'Es- 
trées  contre  la  maison  Allieri,  reconnaît  lui-même  quel  était 
Tusage  en  celte  matière  :«  Un  pape,  dit-il  dans  ses  Mémoires'ijj 
aussitôt  après  son  élection,  donne  son  chapeau  et  ceux  qaisc 
trouvent  alors  vacants  à  ses  neveux  et  dans  sa  famille  :  cette 
promotion  n*cst  tirée  à  aucune  conséquence.  Celle  qui  suit  est 
pourlui,  sans  que  les  princes  y  prétendent,  et  la  troisième  doit 
être  pour  les  couronnes.  Les  autres  qui  se  font  après  sont  alter- 
nativement pour  le  pape  et  pour  elles.  »  Le  même  ministre 
avoue  également  que  la  prétendue  nomination  de  Portugal 
était  sans  précédents  (2)  :  d'ailleurs,  si  don  Pèdre  n'avait  pu  la 
refuser  aux  obsessions  de  Louis  XIV,  il  voulait  que  son  am- 
bassadeur ne  fît  rien,  à  Rome,  pour  en  assurer  le  succès  (3). 

Pour  vaincre  tant  d'obstacles,  Lionne  comptait  toujours  sur 
le  cardinal  Rospigliosi  :  il  espérait  mettre  à  proGt  le  dépit  que 
la  perte  du  pouvoir  donnait  au  neveu  de  Clément  LK  et  son 

(1)  M  Mémoire  sur  l'état  de  l'Europe  en  1679  •»,  t.  H,  p.  48. 

(2)  T.  Il,  p.  4. 

(3)  J'ai  vu  Tambassadeur  de  Portugal  :  «  il  De  scnrira  pas  bien  M.  de  Laon 
et  je  l'ai  trouvé  si  Portugais  et  si  attaché  aux  lois  prétendues  de  ce  royaume 
de  ue  couférer  aucuue  charge  ni  honneur  aux  étrangers  que,  quoiqu'il  m'ait 
usituré  de  faire  son  devoir,  jo  suis  persuadé  qu'il  ne  le  fera  que  faiblemput.  > 
(Cliaulncs  à  Lionne,  6  mai  1670.  Rome,  2U9.)  —  M.  Foucher  pense,  comme  moi, 
que  cet  ambassadeur  «  no  chemine  pas  de  bon  pied  en  cette  affaire.  »  (Bour* 
lemont  au  roi,  29  juillet  1670.  Roinct  210.)  —  Le  cardinal  Orsino,  protecteur 
de  Portugal,  déclare  à  Bourlcmont  que  l'ambassadeur  du  régent  a  Pavait  re- 
tenu et  empêché  qu'il  n'eu  parlât.  >>  (A  Lionne,  2  septembre.  Rome,  211.)  " 
(I  Vous  dites  fort  bien  qu'il  ne  faut  pas  se  reposer  sur  l'ambassadeur  de  Po^ 
tugal  seul  des  choses  qui  regarderont  la  promotion  dudit  sieur  évèque.  J*-' 
crois  niêuic  au  contraire  qu'tV  faut  avoir  l'œil  de  bien  près  à  sa  conduite  pour 
empêcher  <fuil  n';/  nuise.  »  (Lionne  à  Bourlcmont,  12  décembre  1670.  Rome, 
207.) 


PRÉTENTIONS    MENAÇANTES   DE    LOUIS    XIV  419 

LiiachemcQl  aux  iAéréls  de  sa  famille.  Mais,  quoique  ce  prélat 
'echerchàt  avec  trop  d'empressement  les  bonnes  grâces  de 
LfOuis  XIV,  Lionne  le  trouva  moins  complaisant  qu'il  ne  s'y 
àllendait.  Le  ministre  n'osait  plus  reparler  du  faux  billet  qu'il 
Bivaii  fait  solliciter  de  Rospigliosi  pendant  le  conclave,  mais 
il  essaya  de  l'engager  dans  les  intrigues  qu'il  nouait  autour  du 
pape.  Déjà  le  duc  de  Chaulnes  avait  été  chargé  de  lui  offrir, 
s'il  voulait  se  déclarer  ouvertement  serviteur  du  roi  :  pour  sa 
personne,  une  abbaye  de  30,000  livres  de  rente  ;  et  pour  son 
Frère  don  Jean-Baptiste,  le  collier  de  Tordre  du  Saint-Esprit 
avec  une  pension  de  4,000  écus  sur  l'épargne  (1).  Rospigliosi 
Q*avait  rien  accepté  :  «  Cet  honnête  refus  (2),  répondit  l'am-r 
bassadeur,  attire  à  Votre  Majesté  les  mêmes  obligations  dudit 
cardinal  et  de  toute  sa  famille  (3).  »  Prévoyant  que  le  pape 
opposerait  d'abord  à  la  promotion  de  M.  d'Eslrées  la  nécessité 
de  garder  le  chapeau  de  gratitude  pour  un  parent  de  Clé- 
aient  IX,  le  ministre  de  Louis  XIV  obtint  que  le  cardinal  Ros- 
pigliosi renonçât  à  cette  priorité  en  faveur  de  l'évèque  fran- 
çais (4).  Mais  cette  manœuvre  ne  pouvait  réussir  qu*à  la 

(1)  Le  roi  à  Chaulnes,  21  mars  1610.  Rome,  209. 

(2)  Ce  n*e8t  pas  le  premier  refus  que  Rospigliosi  eût  opposé  aux  offres 
malhoDDètee  de  M.  de  Chaulnes.  Voici  ce  que  ce  doc  écrivait  au  roi  pendant 
le  coDclaTe  :  «  ..  Je  crois.  Sire,  par  toute  la  conduite  de  Rospigliosi,  que  ce 
ne  serait  pas  une  chose  impossible  que  de  le  faire  déclarer  pour  V.  M.,  et  toute 
sa  maison,  ne  se  pouvant  imaginer  avec  combien  do  détachement  il  entre  dans 
les  intérêts  de  V.  M.  Son  frère  Jean-Baptiste  en  use  mieux  avec  moi  qr/un 
véritable  Français,  et  Je  ne  doute  pas  que  V.  M.,  avec  quelque  marque  de  sou 
estime  et  de  son  amitié,  n'attachât  cette  maison  à  ses  intérêts,  et,  comme, 
dans  le  pontificat  de  Clément  IX,  V.  M.  offrit  audit  cardinal  Rospigliosi  une 
abbaye  de  30,000  livres  de  rente  qu'il  refusa,  étant  alors  dans  un  posta  où  il 
ne  poQvait  pas  honorablement  s*engager,  je  ne  sais  si  quelques  négociations  sur 
ce  sujet  ne  pourraient  pas  avoir  un  bou  succès...  »  (25  février  1670.  Rome,  208.) 

(3)  7  Juin  1670.  Bome,  210. 

(4)  Lionne  à  Rospigliosi,  2o  juillet  1670.  Rome,  210  :  «  M.  le  duc  de  Chaulnes 
m*a  confié  sous  le  sceau  du  secret,  que  je  garderai  Inviolablcment,  la  géné- 
reuse et  tout  à  lait  extraordinaire  bonté  que  V.  É.  veut  avoir  pour  assurer, 
s'il  est  nécessaire  d'employer  ce  moyen-là,  l'affaire  de  M.  Tévèque-ducdc  Laon... 
Pour  ee qui  me  regarde  en  cette  générosité  de  V.  É.,  j'en  suis  si  pénétré  et  même 
si  confus  qae»  ne  pouvant  trouver  aucunes  paroles  qui  approchent  à  cent  lieues 
de  la  qoalité  da  ressenUment  que  mon  cœur  eu  conservera  tant  qu'il  respirera 
le  Jour,  je  me  contente  d'admirer  cette  actiou  héroïque  de  V.  E.  et  de  rassu- 
rer que  je  donnerais  ma  vie  avec  plaisir  pour  sou  service,  voire  pour  le  moindre 
de  ses  avantages...  » 


420  CHAPITRE    PREMIER 

condition  d'être  cachée  au  souverain  ponCue,  dont  elle  avait 
pour  but  de  gêner  laliberté  :  ce  secret  fut  trahi  avant  Theureil,. 
Lionne  informa  le  cardinal  que  le  Teliier,  coadjuteur  de 
Reims,  on  avait  parlé  devant  de  nombreux  témoins  :  Ce  pré- 
lat, disait-il,  n'a  pu  le  savoir  de  son  père,  car,  dans  ce  cas,  il 
«  n*auraitpasoséIe  révéler,  quoiqu^il  ait  toujours  une  étrange 
évaporation  des  qu'il  entend  parler  de  faire  cardinal  un  autre 
Français  que  lui.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  me  proteste  qui! 
n'a  dit  la  chose  à  personne,  et  je  le  crois,  si  ce  n'est  qu'avant 
que  je  lui  eusse  pu  recommander  le  secret,  il  l'eût  déjà  confié 
à  M.  de  Turenne  et  que  celui-ci  reùt  dit  à  une  certaine  dame, 
la  meilleure  amie  qu'il  ait  au  monde  (2),  et  qui,  n'aimant  pas 
M.  de  Laon,  aurait  sans  doute  été  bien  aise,  pour  lui  nuire,  de 
le  divulguer...  De  quelque  source  que  cela  provienne,  on  a 
coupé  la  gorge  audit  sieur  de  Laon  (3).  » 

Cet  échec  n'arrêta  pas  Lionne,  qui  inventa  aussitôt  d'autres 
mensonges  :  il  conseilla  au  cardinal  Rospigliosi,  <c  pour  sauver 
rintérêt  et  l'union  de  Son  Eminence  avec  MAI.  ses  frères  >•: 
1®  de  nier  qu'il  eut  oITert  l'ajournement  du  chapeau  de  grati- 
tude, et  de  dire  seulement  «  qu'il  avait  témoigné  sa  reconnais- 
sance au  roi  pour  ses  bontés  dans  le  conclave  en  termes  si 
vifs  que  le  roi  avait  pu  croire  que  le  cardinal  ne  lui  refuserait 
pas  cette  grAcc,  si  elle  lui  était  demandée  (4);  »  2"  de  déclarer 
au  pape  et  au  cardinal  Altieri  que,  pendant  le  conclave,  il  s'é- 
tait porté  garant  de  cette  promotion (5).  En  même  temps  Lionne 
écrivit  à  Foucher  :  «  Faites,  s'il  vous  plaît,  de  très  vifs  remer- 


(1)  Liouue  au  môme,  12  septembre.  —  A  Foucher,  19  septciubre  lôlO- 
Home,  211. 

(2)  M™*^  (le  Coetqiieii.  —  Une  anecdote  racontée  par  Sainl-SimoQ  (édil. 
CliérueJ,  t.  XVII,  p.  SG)  montre  en  otlelque  Turcoue  ne  pouvait  guère  compter 
sur  la  (liscnHion  de  son  amie. 

(3)  10  octobre  1070.  home,  211. 

(4)  «  V.  Ë.  voit  bien  que,  comme  1  al)br>  Huti  aura  sans  doute  écrit  la  cho«c 
à  l'abbé  Ha^lioni  <'l  que  par  lui  M.  le  cardinal  Altieri  aura  été  prévenu,  iUera 
presque  impossible  de  pratiquer  à  l'avenir  l'expédient  que  V.  É.  avait  elle- 
même  proposé  par  son  extrême  bonté,  parce  que  lé  pape  n*aura  garde  de 
répondre  à  Tambassadenr,  quand  même  il  aurait  omis  de  le  faire,  qu'il  vt>i]ili<^ 
rendre  dans  la  première  occasion  le  chapeau  qu'il  doit  à.  la  maison  de  V.  E« 
et  sera  fort  en  garde  sur  cette  matière  pour  n'être  pas  pris  au  mot.  » 

(5)  21  novembre  1670.  nome,  211. 


PRÉTENTIONS    MENAÇANTES    DE   LOUIS   XIV  42 i 

nmenls  de  ma  part  à  Son  Eminence  de  la  boulé  qu'elle  a  eue, 
en  \ous  disant  les  biais  qu'elle  veut  tenir  pour  faire  réussir 
son  dessein,  de  vous  offrir  de  suivre  encore  ceux  que  je  lui 
proposerai.  Cela  m'a  donné  la  hardiesse  de  lui  faire  savoir, 
par  votre  moyen,  qu'il  me  semble  que,  pour  nous  favoriser 
jusqu'au  comble,  il  pourrait  nous  faire  la  grâce  de  dire  au  pape 
que,  s'étant  autant  engagé  qu'il  a  fait  à  M.  le  duc  de  Chaulues, 
lorsqu'ils  convinrent  d'exalter  Sa  Sainteté,  que  Sa  Majesté  se- 
rait satisfaite  sur  l'affaire  de  M.  de  Laon,  qui  élait  la  seule  que 
le  sieur  duc  avait  ordre  d'assurer  et  dont  il  lui  avait  fait  parler 
incessamment  durant  le  conclave,  et.  Sa  Majesté  lui  deman- 
dant aujourd'hui  instamment  l'effet  de  ses  paroles,  il  se  sent 
forcé  de  représenter  à  Sa  Sainteté  l'état  embarrassant  où  il  se 
trouve,  n'ayant  nullement  hésité  de  s'engager  à  tout  pour  assu- 
rer son  exaltation  et  ne  pouvant  y  manquer  sans  préjudice  de 
son  honneur  et  sans  hasarder  de  perdre  les  bonnes  grâces  et  la 
protection  du  roi,  à  qui  il  a  des  obligations  infinies  ;  qu'il  espère 
que  Sa  Sainteté  aura  la  bonté  de  considérer  l'embarras  où  il 
s'est  mis  pour  tâcher  de  la  sei*vir;  que  Sa  Majesté  demande  et 
attend  une  prompte  satisfaction  et  qu'elle  déclare  que  c'est  la 
seule  grâce  considérable  qu'elle  prétendra  de  l'affection  pater- 
nelle de  Sa  Béatitude,  dans  tout  le  cours  de  son  règne;  que 
Sa  Sainteté  connaît  d'ailleurs  de  quelle  conséquence  il  lui  est 
d'obliger  un  roi  si  puissant  et  si  reconnaissant,  qui  a  même 
désiré  son  élévation  préférablement  à  celle  de  tout  autre  sujet, 
et  qui  peut  tout  faire  pour  la  gloire  de  son  pontificat.  M.  le 
cardinal  Rospigliosi,  ayant  la  bonté  de  parler  de  cetle  sorte  au 
pape,  satisfera  pleinement  aux  engagements  que  Son  Eminence 
a  bien  voulu  prendre  avec  les  cardinaux  français  et  avec  M.  le 
duc  de  Chaulnes,  et  ce  discours,  réitéré  deux  ou  trois  fois  au 
pape,  lui  donnerait  lieu,  pour  soulager  Sa  Sainteté  même,  de 
lui  faire  agréer  l'expédient  de  son  chapeau, ...  lequel  il  repren- 
drait après,  dans  une  autre  promotion.  Ce  moyen  me  parait  si 
naturel  et  si  utile  pour  la  fin  que  Son  Eminence  a  la  bouté  de 
poursuivre  d'obliger  le  roi  et  nos  deux  familles,  que  je  me  tien- 
drai infiniment  redevable  à  Son  Eminence,  si  elle  veut  bien 
s'en  servir...  » 

Mais  le  neveu  de  Clément  IX  ne  se  prêta  pas  davantage  à 


422  CHAPITRE   PREMIER 

cette  fiction  d*un  pacte  simoniaque,  qu*il  aurait  rejeté  avec 
horreur  et  qu^aucun  membre  de  la  faction  française  ne  se  fât 
permis  de  lui  proposer.  Foucher  répondit  (1)  :  «  J'ai  fait  toat 
mon  possible  pour  Teng^ager  à  représenter  au  pape  et  aa  ca^ 
dinal-patron  que,  pour  le  roi,  ils  n'ont  que  cette  seule  chose-li 
au  monde  à  faire,  et  que  lui,  M.  le  cardinal  Rospigliosi,  sen 
est  rendu  le  garant  envers  M.  de  Chaulnes.  Il  n'y  a  pas  moyeo 
de  le  résoudre  à  cette  démarche,  »  c*est-à-dire  à  cette  fourberie. 
Bourlemont  écrivait  de  son  côté  (2)  :  «  Pour  M.  le  cardinal 
Rospigliosi,  qui  devrait  être  le  principal  auteur  de  cette  pro- 
motion par  la  gratitude  qu'il  doit  à  Votre  Majesté^  il  est  si 
irrésolu  que  tous  les  expédients  vont  à  s'exempter  de  parler 
autant  qu'il  devrait  au  pape  et  au  cardinal-neveu.  »  Clément! 
faisait  déclarer  par  le  cardinal-patron  ou  par  le  nonce,  et  ré- 
pétait lui-même  que,  par  égard  pour  le  roi,  il  pourrait  donner 
un  jour  la  pourpre  à  M.  de  Laon,  mais  que  ce  serait  une  pure 
grâce  qui  viendrait  «  dans  son  temps  »,  et  il  ne  sortait  pas 
«  des  termes  généraux  ».  Allieri  écrivait  au  roi  :  «  Le  istanzc 
portate  dalF  ambasciatore  di  Portugallo  a  favore  di  monsignorc 
il  vescovo  di  Laon,...  no7i  essendo  sostenute  da  titolo  alcuno  di 
raf/iofie,  rimarrebbono  dentro  i  limiti  délie  considerazioni  di 
convenienza,  se  dagli  nffici  e  dalle  premure  di  Vostra  Maestà 
non  rîcevessero  quella  forza  che  per  se  stesse  non  hanno  (3).  » 
Rien  n*élait  plus  conforme  au  droit  comme  au  devoir  du  sou- 
verain pontife,  et  rien  ne  pouvait  marquer  plus  de  déférence 
pour  le  roi.  Cependîyit  Bourlemont  reçut  bientôt,  pour  le  lire 
au  cardinal  Altieri,  un  mémoire  insolent  (4)  où  Louis  XIV 


(1)  A  Lionne,  19  août  1670.  Rome,  210. 

(2)  Au  roi,  23  Doveoibrc  1670.  Rome,  211. 

(3)  Bourlemont  au  roi,  2  septembre  1670.  Rome,  210.  —  Le  pape  et  le  car- 
dinal Altieri  au  roi,  9  septembre.  Rome,  211. 

(4)  L'envoi  de  ce  mémoire  avait  été  provoqué  par  une  lettre  de  Foucher  : 
Il  faut,  disait  cet  ageut,  que  M.  de  Bourlemont  •<  parle /lati/ement  et  chaudement 
sur  rétoniiemcnt  qu'aurait  le  roi  de  savoir  la  promotion  faite  sans  que  M.  de 
Laon  y  fût  compris^  après  tant  d'espérances  que  le  pape  et  le  cardiual  Altieri 
ont  fait  concevoir  au  roi,  par  beaucoup  de  différentes  personnes,  de  considérer 
M.  de  Laon  pour  Tamour  du  roi  et  du  prince  et  de  la  reine  de  Portugal,  qui 
ont  toutes  les  plus  fortes  raisous  de  s'attendre  à  un  des  chapeaux  pour  M.  de 
Laon.  »  (A  Lionne,  23  novembre  1670.  Rome,  211.) 


PRÉTENTIONS    MENAÇANTES    DE   LOUIS    XIV  423 

prétendait  que  le  pape,  n'ayant  été  nommé  que  pa**  Tappui  de 
la  France,  lui  devait  par  reconnaissance  la  promotion  d'un 
évoque,  «  oncle  de  la  reine  de  Portugal  et  de  la  duchesse  de 
Savoie,  allié  de  doux  souverains!  »  Le  roi  «  s'apercevait  avec 
beaucoup  de  déplaisir,  disait-il,  qu'il  n'avait  nulle  grâce  à  pré- 
tendre de  Sa  Sainteté  et  peu  de  fondement  à  faire  sur  tout  ce 
qui  lui  avait  été  dit  de  sa  part,...  et  il  ne  pouvait  attribuer 
qu'à  rindiiïérence  du  cardinal  Altieri  à  lui  complaire,  si  cette 
satisfaction  lui  était  refusée  (1).  »  Lionne  revenait  en  même 
temps  à  la  charge  pour  arracher  au  cardinal  Rospigliosi  )a 
fausse  attestation  d'un  marché  passé  dans  le  conclave,  et  lui 
écrivit  la  lettre  suivante,  dont  la  minute  entière  est  de  la  main 
de  César  d'Estrées  (2)  :  Votre  Eminence,  disait-il,  ne  doit  pas 
oublier  «  rengagement  où  elle  s'est  mise  envers  le  roi  pour 
procurer  au  saint-siège  et  à  toute  l'Église  un  si  digne  chef.  » 
Il  vous  importe  de  «  faire  connaître  à  Sa  Béatitude  que  Votre 
Eminence  pourrait  se  trouver  commise  avec  le  roi,  pour  avoir 
servi  Sa  Sainteté  et  à  sa  seule  considération,  si  Sa  Majesté  ne 
recevait  pas,  dans  la  promotion  présente  de  M.  de  Laoû,  la 
seule  satisfaction  qu'il  attend  du  pape.  Votre  Eminence  peut 
savoir  de  M.  Foucher  si  M.  le  cardinal  de  Retz  sortant  du  con- 
clave  ne  lui  dit  pas  que.  Votre  Eminence  s'étant  si  fort  en- 
gagée dans  l'affaire  de  M.  de  Laon,  il  n*avait  plus  de  heu 
d'en  douter,  et  que  le  pape,  devant  toutes  choses  à  Votre  Emi- 
nence, manquerait  d'honneur  et  de  reconnaissance  s'il  ne 
dégageait  vos  paroles.  Je  suis  très  persuadé,  Monseîgoeur, 
que  Votre  Eminence  ne  s'est  abstenue  de  faire  ces  offices  que 
par  des  considérationsjqu'elloa  crues  justes;  mais  puisqu'elle 
veut  bien  me  faire  la  grâce  de  me  consulter  sur  la  manière 
dont  elle  doit  agir,  je  ne  puis  m'empùcher  de  lui  dire  que  ces 
movens  me  semblent  fort  naturels  et  fort  convenables  à  Taf- 
fection  de  Votre  Eminence  et  à  l'appui  que  Sa  Majesté  lui  a 


(1)  Le  roi  à  Bourlcmont,  4  décciubre.  Mémoire^  5  décembre  1670.  Rome, 
201. 

(2)  4  décembre  1610.  Home,  212.  Lioune,  dau8  une  leUrc  du  19  septembre  à 
Foticheff  avoue  que  le  duc  d'Ë:«lrûi:s  et  1  evô(iue  de  Luou  déchiUraicut  eux- 
mêmes  les  dépOches  venues  de  Uome  sur  cetle  affaire  et  |iar  couséquent  les 
Toyaieol  avant  lui!  (Romey  211.) 


424  CHAPITKE  PREMIER 

donné...  »  Ce  sacrifice  est  <r  une  suite  fort  naturelle  des  enga- 
gements que  Votre  Émincnce  a  pris  awc  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  et  M.  le  duc  de  Chaulnes  et  de  la  teconnaissance 
qu*elle  voudra  bien  rendre  à  Sa  Majesté...  Si  M.  de  Bourle- 
mont  n'obtient  pas  présentement  cette  grâce,  le  roi  n'entend 
pas  qu'il  lui  demande  plus  rien.  » 

Affligé,  mais  non  intimidé,  le  pape  tint,  le  22  décembre, 
un  consistoire  où  il  créa  cardinaux  le  secrétaire  d'État  Bor- 
romeo,  le  dataire  Carpegna  et  le  maître  de  chambre  Massimi. 
Mécontent  de  Rospigliosi,  il  ne  comprit  dans  cette  promotion 
aucun  membre  de  la  famille  de  Clément  IX  (1).  A  cette  nou- 
velle, Louis  XIV  manda  le  nonce  auprès  de  lui  et  lui  adressa 
les  paroles  suivantes,  dont  le  texte  avait  été  rédigé  par  Lionne: 
«  Le  cardinal  Rospigliosi  a  fait  une  action  généreuse,  dont  je 
lui  serai  obligé  toute  ma  vie,  ayant  préféré  mon  contentement 
à  Tavantage  de  son  propre  frère  et  à  tous  les  intérêts  de  sa 
maison.  Le  cardinal  Altieri  a  fait  tout  le  contraire  :  je  lui  avais 
fourni  un  expédient  qui  ne  lui  faisait  aucun  préjudice,  et  où 
la  réputation  du  pape,  du  côté  de  la  gratitude,  eût  été  plus  à 
couvert;  mais  il  a  mieux  aimé  obliger  un  simple  prélat  que 
moi.  Je  sais  que  tout  a  dépendu  de  lui.  Vous  voyez  donc  bien 
si  je  puis  ("^Ire  content  do  ce  qu'il  vient  de  faire;  c'est  à  lui  à 
chercher  les  moyens  de  le  réparer  promptement,  s'il  en  alin- 
tonlion:  sinon,  il  doit  bien  s'attendre  que  je  vivrai  à  son  égard 
comme  il  a  fait  an  mien.  >>  Le  faible  Bargollini,  dont  la  révo- 
cation était  depuis  longtemps  décidée  à  Home,  manqua  en- 
core celte  occasion  de  défendre  son  maître,  et  le  roi  résohil 
d'exiger  son  maintien  dans  la  nonciature  de  France  (2). 

Les  agents  français  rejetèrent  les  uns  sur  les  autres  la  res- 
ponsabilité de  cet  échec  :  leur  propre  correspondance  atteste 
en  quel  discrédit  ils  étaient  tombés.  L'abbé  de  Bonfils,  man- 
dataire dos  princes  de  Vendôme  et  de  MM.  d'Estrées,  dé- 
nonça le  scandale  donné  par  Fouchor  qui  allait  partout  se 
déchaînant  contre  le  pape  et  le  sacré  collège.  A  l'instigation 


(l)  Bourlemont  au  roif  23  décembre.  Foiicher  et  UonHIs  à  Lionne,  30  dé- 
cembre. Romef  212. 
{2)  Le  roi  à  Bourlemont,  16  janvier  1671.  Rojne^  207. 


PRÉTENTIONS   MENAÇANTES   DE    LOUIS   XIV  425 

le  Bourlemonl,  il  écrivit  à  Lionne  :  M.  le  cardinal  Altieri 
n'apprend  que  M.  Foucher  «  avait  fait  tort  à  bien  des  gens; 
[u*il  avait  misM^''le  cardinal  Rospigliosi dans  un  élat  pitoyable, 
kl^*"  le  cardinal  Buonvisi  dans  une  réputation  de  simoniaque; 
[u'il  avait  dit  que  M.  de  Chaulnes  s'était  servi  de  lui  pour 
)orter  les  paroles  du  conclave,  etc.  Je  voulus  l'excuser,  mais 
e  n'y  réussis  pas,  Son  Eminence  me  disant  que,  qui  voulait 
nénager  les  grâces,  il  fallait  qu'il  se  rendit  agréable  et  n'être 
>as  si  dangereux...  M.  l'abbé  Buglioni  me  dit  qu'il  fallait  que 
Js^deLaon  tirât  M.  Foucher  d'ici...  M.  deBourlemontavoulu 
[ue  j'aie  écrit  tout  ceci  à  Votre  Excellence  :  je  vous  avoue 
[ue  j'ai  eu  de  la  peine  à  m'y  résoudre^  mon  naturel  répugnant 
L  rendre  mauvais  office  aux  gens  {\  ).  »  Le  pape  même  n'ignora 
>as  les  menées  de  Foucher,  et  dit  un  jour  à  Tabbé  de  BouPils  : 
Dio  guardi  duna  talpersona  pressa  il  signore  ambasciatore  ! 
iprès  quoi,  ajoute  cet  abbé.  Sa  Sainteté  se  jeta  sur  Mff'  le  car- 
inal  Rospigliosi  et  me  dit  qu'elle  s*était  étonnée  qu'il  eût 
oulu  céder  ce  qu'il  n'avait  pas  (2).  » 

(1)  30  décembre  1670.  Rome,  212.  «  M.  1  abbé  Bonfils  mande  ici,  par  tous  les 
rdioaires.ce  qu'on  Pa  chargé,  au  palais,  d'écrire  cootre  .M.  Foucher.  Je  vous  prie 
e  l'avertir  que  ce  sont  tout  autaut  de  lettres  de  recommaniiation  qu'il  envoie 
our  le  sieur  Foucher,  et  qu'il  ue  se  saurait  faire  plus  de  préjudice  à  lui-même 
ue  lorsqu'il  voudra  blâmer,  ou  par  ses  propres  sentiments  ou  par  ceux 
autrui,  la  conduite  do  ce  sage  gentilhomme.  Ledit  abbé  ne  sait  pas  encore, 
)muie  moi  qui  ai  èlé  sept  ans  à  Rome,  ce  que  c'est  que  il  ripiglio.  Il  se  re- 
ait  de  paroles  générales  ou  énigmatiques  et  les  veut  faire  passer  ici  pour 
oune  monnaie.  11  vaudrait  mieux  qu'il  ne  se  mêlât  plus  de  cette  affaire.  Si  on 
vait  boune  intention  de  delà,  on  vous  parlerait  et  non  pas  à  un  homme  qui 
'a  ;i(  n'aura  jamais  là  dessus  aucune  mission.  »  (Lionne  à  Bourlemont,  6  fù- 
ricr  1671.  Rome,  212.)  —  Lionne  feignait  d'oublier  que  c'est  lui-même  qui 
rait  accrédité  successivement  l'abbé  de  Bonfils  et  M.  Foucher  au  nom  du  roi 
L  comme  agents  particulier  des  Vendôme  et  de  M.  d'Estrées.  Voy.  plus  haut, 
vre  H,  chap.  vi.  11  y  avait  entre  eux  cette  différence  que  l'abbé  de  Bonfils 
7ajt  été  dépêché  le  premier  à  Rome,  comme  agent  du  roi  et  des  Vendôme,  pour 
>lllciter  en  faveur  des  princes  de  celte  maison  et  de  l'évèque  de  Laou;  — et 
\ie  Foucher  fut  spécialement  adjoint  au  premier  par  le  roi,  sur  la  demande 
Q  Lionne,  quand  ce  ministre  prit  un  intérêt  personnel  à  la  promotion  de  César 
E^strées.  Voy.  toute  la  correspondance  des  volumes  Rome,  199  et  200.  Bonfils 
:ait  si  bien  en  fonctions,  à  la  date  du  6  février  1671,  que  Tévêque  do  Laon 
?nait  d'élever  son  traitement  à  1000  écus.  (Bonfils  à  l'cvôque  de  Laon,  10  février 
J7I.  Rome,  212.) 

(2)  A  Lionne,  13  janvier  1671.  RoniCf  212.  —  Il  est  certain  que  ce  faible  car- 
na),  n'ayant  plus  Clément  IX  pour  le  soutenir,  se  prêta  trop  facilemeot  aux 


426  CHAPITRE   PREMIER 

Les  artifices  les  plus  grossiers  semblaient  bons  à  Louis  XIV 
pour  effrayer  la  cour  pontificale  :  il  lui  tit  déclarer  qu'il  savait, 
à  n'en  pouvoir  douter^  qu'elle  travaillait  à  former  une  ligoe 
des  princes  italiens  contre  la  France,  sous  prétexte  de  gaerre 
contre  le  Turc,  mais  que  Rome  trouverait  un  adversaire  ca- 
pable de  déjouer  un  pareil  complot.  11  écrivit  à  Bourlemont: 
«...  Je  suis  fort  entré  dans  le  même  sentiment  que  vous  me  té- 
moignez d*avoir,  qui  est  que  c'est  une  ruse  des  Espagnols  qui 
ont  surpris  la  piété  du  pape,  lequel,  sous  prétexte  d'une  ligoe 
contre  l'ennemi  commun  où  m^me  il  m'inviterait  d'entrer, 
voudrait  parvenir  à  une  ligue  des  princes  chrétiens  contre  moi, 


Intrigues  des  Français.  Il  n*alla  certainement  pas  aussi  loio  que  le  préteDil 
Foucher;  mais  il  n*eut  pas  le  courage  de  désavouer  hautement  les  discourt 
ni  les  démarches  que  ce  méprisable  agent  lui  attribuait.  Lionne  abusa  indi- 
gnement de  sa  confiance.  Atto  Melani,  ulcéré  d'avoir  été  négligé  par  Clémentll 
et  par  son  neveu,  leur  avait  voué  une  proronde  haine  et  faisait  circuler  ud 
écrit  où  il  déchirait  le  précédent  pontificat.  Il  se  vantait  publiquement  dèlre 
u  le  confident  de  M.  de  Lionne  »,  montrait  les  lettres  de  ce  ministre,  et  allait 
«  déclamant  partout  que  le  roi  avuit  été  trahi  et  comme  vendu  par  Taoïbas- 
sadeur  et  les  cardinaux  qui  n'avaient  pas  voulu  servir  Buonvisi,  conmie  il  leur 
était  aisé,  et  comme  le  roi  le  désirait.  »  (Foucher  à  Lionne,  26  août  et  7  oc- 
tobre 1670. /)ome,  210  et  211.)  Ilospigliosi,  instruit  des  rapports  de  Melaniavec 
la  cour  de  France,  comptait  sur  «lie  pour  réduire  son  enurini  au  silence: 
u  Pour  qu'il  fût  content  sur  le  sujet  de  Melani,  il  faudrait  qu'il  sût  qu'on  lui 
eût  coupé  le  poing  et  la  laujj ue.  »  (Foucher  à  Lionne,  7  octobre  1G70.  Rome,  211.) 
11  n'y  a  presque  pas  une  dépêche  de  cette  époque  où  il  ne  s.»it  question  du 
resseutiment  qu'inspire  à  ce  cardinal  la  conduite  de  son  ancien  domestique. 
Miiis  Lionne  ne  songeait  qu'à  se  servir  de  Rospigliosi  dans  l'iulérèt  de  M.  de 
Laon  et  continuait  a  couvrir  Melani  de  sa  protection.  Le  passage  suivant  d'une 
lettre  au  neveu  de  Clément  L\  dévoile  une  fois  de  plus  les  roueries  habituelles 
du  ministre  français  :  «  Je  me  suis  servi  utilement,  disait  Lionne,  de  la  pré- 
sence de  l'abbé  Melani  en  cette  cour  pour  faire  écrire  cent  choses  au  palaif, 
sous  prétexte  qu'il  me  les  entendait  dire.  Ou  les  y  a  prises  pour  des  menaces 
qu'il  leur  faisait,  et  cela  n'a  pas  fait  un  bon  effet  pour  lui,  et  je  crois  qu'il 
s'en  apercevra  à  son  retour.  Du  reste  V.  É.  doit,  s'il  lui  plaît,  avoir  l'esprit  en 
repos  que  je  me  suis  très  bien  souvenu  de  tout  ce  qu'elle  m'a  ordonné  sur  le 
sujet  duJit  abbé,  et  qu'encore  qu'il  ait  un  accès  fort  libre  dans  ma  maison,  je 
ne  lui  ai  jamais  fait  aucune  contideuce,  ni  ne  ferai,  de  la  moindre  chose  où 
V.  É.  puisse  avoir  quelque  intérêt  môme  indirect ..  »  (20  mars  1671.  Home,  213.) 
—  C'est  dans  cette  môme  lettre  que  Lionne,  remerciant  Rospigliosi  du  con- 
cours compromettaut  que  ce  cardinal  donnait,  en  certain  cas.  à  l'agent  fran- 
çais Foucher,  s'exprime  ainsi  :  «  Je  n'ai  qu'à  dire  à  V.  É.  que,  si  unquam  im- 
inemor  sui  fuero^  oblivioni  Iradalur  anima  mca.  Ce  passage  d'un  ancien  Père 
m'est  venu  bien  à  propos  pour  exprimer  à  V.  É,  avec  quelle  passion  et  com- 
bien de  reconnaissance,  etc...  » 


PRÉTEiNTlONS    MENAÇANTES    DE  LOUIS    XIV  427 

et  j'ai  même  reçu  cet  avis-là  d'un  endroit  assez  bon.  »  —  «  J'ai 
vu,  dit  à  son  tour  Lionne,  une  lettre  de  Rome...  qui  porte  que 
M.  le  cardinal  Allicri  (1),  de  concert  avec  les  ministres  d'Es- 
pagne, veut  promouvoir  une  ligue  des  princes  d'Italie,  en 
apparence  contre  le  Turc,  mais  en  effet  contre  le  roi.  J'ose- 
rais bien  répondre  que  ce  dessein  ne  lui  réussira  pas,  et  il  est 
même  assez  étrange  que  le  neveu  d'un  pape  plus  qu'octogé- 
naire puisse  avoir  formé  un  pareil  projet.  Il  ne  serait  pas  mal 
que  vous  lui  fissiez  connaître  que  le  roi  en  est  informé  (2).  » 
Le  roi  n'osa  pas  persister  dans  cette  accusation  extravagante, 
mais  il  écrivit  encore  quelques  semaines  plus  tard  :  «  Je  ne 
vous  dis  plus  rien  sur  \si  prétendue  ligue  des  princes  d'Italie. 
Ce  que  le  cardinal  Âltieri  fera  dans  l'affaire  de  l'évêque  de 
Laon  me  déterminera  à  juger  quelles  sont  intérieurement 
à  mon  égard  ses  intentions  sur  toutes  les  autres  matières,  et 
elles  me  détermineront  aussi  à  la  conduite  que  je  dois  tenir 
avec  lui  (3).  » 

Avant  que  ces  menaces  parvinssent  à  Rome,  Clément  X 
avait  pris  une  résolution  qui  aurait  dû  apaiser  la  colère  de 
Louis  XIV  :  il  acceptait  la  présentation  de  César  d'Ëstrées, 
mais  sans  s'imposer  aucun  délai  (4).  Ce  ne  fut  pas  assez  pour 

(1)  U  aurait  fallu,  pour  plaire  à  Louis  XIV,  mettre  le  cardinal-neveu  au  ban 
du  sacré  collège.  Le  cardinal  Orsino  encourut  Tindignation  royale  pour  avoir 
marié  le  dac  de  Grovina,  son  parent,  à  une  nièce  d*AUieri  :  «  Vous  ne  pou- 
vez ignorer,  lui  dil-il,  le  ressentiment  que  j*ai  du  traitement  que  ]*ai  reçu  dans 
la  dernière  promotion...  Je  me  serais  plutôt  promis  de  votre  zèle  et  de  votre 
attention  que  vous  n'eussiez  pas  achevé  une  affaire  de  cette  importance,  sans 
m'en  avoir  auparavant  consulté  et  su  de  moi  si  elle  pouvait  m'ôtre  agréable 
on  non.  C'est  tout  ce  que  je  puis  vous  dire  sur  une  affaire  où  ma  considéra- 
Uon  n'est  entrée  en  rien  et  qui  est  aujourd'hui  sans  remède.  Le  temps  pourra 
la  rectifier,  quand  le  crédit  que  vous  avez  eu  principalement  en  vue  d'ac- 
quérir dans  le  palais  du  pape  vous  donnera  lieu  de  m'y  faire  considérer  pour 
ce  que  je  suis...  »  (27  mars  1671.  liomey  213.)  Il  semble  que,  cette  lettre  partie, 
on  trouva  trop  fort,  en  France  môme,  de  blâmer  un  cardinal  pour  s'alliera  la 
famille  du  pape  régnant;  car  Lionne  retira  uue  partie  de  ces  indécents 
reproches  :  «  Ce  n*est  pas  !a  matière,  écrivit-il  à  Orsiuo,  mais  seulement  la 
forme,  qui  a  donné  sujet  à  S.  M.  de  se  plaindre.  »  (21  mai  1671.  /{orne,  213.) 

(2)  20  février  1671.  Rome,  207. 

(3)  17  avril  1671.  Rome,  207. 

(4)  Bonflls  à  Lionne,  13  janvier  1671.  /tome,  212.  —  Le  pape  me  dit  qu'il  satis- 
fera plus  tard  le  roi.  Le  cardinal  Altieri  dit  un  peu  plus,  mais  sans  se  lier  : 
«  Cela  me  fiiit  juger,  Sire,  que,  quand  ils  feront  M.  de  Laon  cardinal,  ils  veu- 


428  CHAPITRE   PREMCER 

le  roi.  Le  cardinal  Ginclli  étant  mort,  Bourlemont  réclama  sur- 
le-champ  son  chapeau  et  une  promotion  spéciale  pour  Tévëque 
de  Laon  :  «  M.  le  cardinal  Altieri,  écrivait  Tabbé,  me  dit  qu'il 
s'avançait,  mais  avec  bon  fondement^  de  m'assurcr  que  Us 
premiers  cardinaux  que  fera  le  pape,  si  Dieu  lui  conserve  la 
vie,  seront  :  un  de  la  maison  Bospigliosi,  et  M.  de  Laon.  Je 
lui  dis  qu'il  y  avait  un  chapeau  vacant  dont  le  pape  pouvait 
contenter  Votre  Majesté  en  le  donnant  à  M.  de  Laon  :  il  me 
répliqua  aussitôt  qu'il  ne  pourrait  résoudre  le  pape  à  faire  un 
cardinal  seul,  ni  d'en  faire  aucun,  qu'il  n'en  fasse  un  de  la 
maison  Rospigliosi  (1).  »  Le  cardinal-neveu  «  se  déclarait 
toujours  plus  de  vouloir  contenter  le  roi  en  ce  qu'il  désirait 
pour  M.  de  Laon,  mais  sans  se  déclarer  pourtant  de  le  faire 
dans  une  promotion  de  trois  (2).  »  Et  cependant  les  procédés 
des  Français  étaient  blâmés  de  tous,  même  du  cardinal  Bor- 
omeo,  secrétaire  d'État,  si  favorablement  disposé  pour  cette 
couronne  (3). 

ent  raccompagoèr  de  quelque  autre.  »  (Bourlernoot  an  roi,  24  février  1671. 
RomCf  212.) 

(1)  24  mars  1671.  Rnrue^  212.  — Je  ne  publie  cette  dépêche  qu*avec  réserre. 
Le  volume  des  A  flaires  étraugères  n'eu  coutient  qu'un  extrait^  donné  en  coyie 
par  l'évèque   de  Laon  lui-même,  qui  parait  en  avoir  gardé  roriginal.  J'ai  eu 

'  sous  les  yeux  assez  de  preuves  de  la  mulbouuèleté  de  ce  prélat,  pour  que  je 
me  d^fie  de  sou  témoi^'ua^e. 

(2)  Bonfils  à  Lionne,  21  avril  1671.  /lome,  213. 

(3)  L*i  cardinal  Borromeo  t>st  toujours  bien  intentionné,  mais  il  me  déclare 
qu'il  no  pt^ut  prendre  d'engagement  envers  M.  de  Laon,  et  blàme  verlenieut 
la  chaleur  avec  laquelle  le  cardinal  Altieri  est  censuré  en  France,  au  sujet  de 
la  dernière  promotion.  (Font*her  à  Lionne,  14  avril  1671.  Rome^  213.)  —  -  Vou* 
devez  tâcher  do  vous  maintenir  dans  la  possession  de  voir  souvent  le  c^mlinal 
Borromeo.  Vous  ne  pourriez  lui  mieux  parler  que  vous  avez  fait  à  cette  pre- 
mi«^re  fois,  lorsqu'il  voulait  blâmer  que  l'on  fût  tombé  si  furl  ici  sur  lecnrps 
du  cardinal  Altieri...  »  (Lionne  à  Kouchcr,  12  mai  1671,  Rome^  205.) 


CHAPITRE  DEUXIÈME 

PREMIÈRES  HOSTILITÉS.    LE  CHAPEAU  DE  CÉSAR    d'eSTRÉES.   MORT   DE 
LIONNE.    LE  DUC   d'ESTRÉES  AMBASSADEUR  A  ROME.   1671-167'2. 


Cénar  d'Estrées,  évéqoe-duc  de  Laon,  est  ncramé  enroyé  extraordinaire  du  roi  à  Rome,  poar  négo- 
cier iai-méme  sa  promotion  :  il  n'est  chargé  d'aucune  autre  aflaire.  Son  voyage,  son  arrivée 
k  Rome.  Sa  vanité  :  VErcetlence  et  VÉminence.  Bon  accueil  que  lui  font  le  pape  et  les  Ro- 
mains. II  avoue  que  le  pape  n'était  pas  engagé  :  il  a  été  trompé  par  les  rapports  des  agents 
français.  —  24  août  1671  :  il  a  été  créé  cardinal  m  petto  ;  il  exige  une  déclaration  publique  ot 
immédiate.  Discours  do  Louis  XIV  à  l'internonce  Vibo  :  graves  menaces  au  pape  et  au  car- 
dinal Altieri.  —  Mot  do  Tévéquâ  de  Laon  :  Comment  le  pape  résiste-t-il  à  un  roi  qui  a  deux 
cent  mille  soldats  snr  pied?  —  Mort  subite  de  Lionne,  1*'  septembre  1C7I.  Louvois  chargé  de 
l'intérim  jusqu'à  l'arrivée  de  Pomponne.  La  négociation  prend,  du  cAté  delà  France,  un  carac- 
tère pins  brutal  encore.  L'évéquc  de  Laon  et  Melani  conseillent  au  roi  de  soulever  les  princes 
catholiques  contre  le  gouvernement  poutiQcal,  de  faire  chasser  et  chûlier  Altieri,  d'envoyer 
vaisseaux  et  gtlôres  pour  forcer  le  pape  de  céder.  —  Le  roi  menace  de  ne  pas  recevoir  le  nou- 
veau nonce  Nerli.  Rupture  imminente.  Promotion  du  ti  février  1672,  qui  comprend  Bonsy, 
archevêque  de  Toulouse.  Fureur  de  César  d'Bstréos,  qui  conseille  au  roi  de  no  pas  tolérer  que 
Bonsy  reçoive  la  barrette.  Louis  XIV  témoigne  do  nouveau  son  indignation  au  cardinal  Altieri. 

—  Le  duc  d'Estrces,  ambassadeur,  arrive  à  Kome  et  le  nonce  Nerli  part  pour  la  France  (avril 
1672).  —  16  mai  :  Cosar  d'Estrécs  est  déclaré;  querelle  faite  par  ce  prélat  à  Bonsy  qui  se 
plaint  au  roi,  et  prédit  le  rùle  funeste  que  jouera  le  cardinal  d*Ëstrées  entre  le  roi  et  le  pape. 

—  Citation  du  cardinal  d'Ossat.  —  César  d'Estréos  reçoit  l'ordre  de  rester  à  Rome  comme 
envoyé  extraordinaire  et  cardinal  national  :  il  habite  le  palais  Farnèse  avec  son  frère  :  leurs 
agents,  leurs  confidents,  leurs  amis.  —  Faction  française  :  le  cardinal  Cybo  devient  pension- 
naire secret  de  Louis  XIV.  —  Peinture  du  gouvernement  de  Clément  X. 


C'est  alors  que  Louis  XIV  exécuta  un  dessein  depuis  long- 
temps formé,  mais  ajourné  par  prudence,  et  dont  la  seule 
pensée  révèle  quelle  passion  animait  les  conseillers  de  ce 
prince  :  à  Tinstigation  de  Lionne  (1),  Tévèque  de  Laon  fut 
dépéché  à  Rome  pour  y  négocier  lui-même  sa  promotion  !  Le 
roi  avertit  le  pape  que  le  duc  d'Estrées  était  nommé  son  am- 
bassadeur auprès  du  saint-siège,  mais  que,  n'étanl  pas  prêt  à 
partir,  il  serait  précédé  par  son  frère,  Tévèque-duc  de  Laon, 
en  qualité  i'envoj/é  extraordinaire  {2).  L'abbé  de  Bourlemont 

(1)  a  Lioune  crut  que  la  présence  de  Tévèque  de  Laon  à  Rome  serait  plus 
puissante  que  toutes  choses  pour  y  avancer  ses  affaires.  II  fil  prendrelà  réso- 
lotion  au  roi  de  Vy  envoyer,  etc..  (Pomponne,  Mémoires^  t.  II,  p.  8.) 

(2)  Le  roi  au  pape,  5  mai  lC7i.  Rome,  205. 


430  CHAPITRE   DEUXIÈME 

fut  avisé  conridentiellcmcnt  de  la  résolution  royale  et  de  ses 
motifs  :  On  a  voulu,  lui  dit  Lionne  (i),  «  donner  à  M.  de  Laos, 
pendant  ce  petit  intervalle  de  temps,  plus  de  poids,  plus  de 
créance  et  d'autorité  dans  son  affaire  propre  que  vous  satez 
être  assez  considérable  pour  obliger  à  n'y  rien  négliger;... 
afin  que,  s'il  n'y  recevait  pas  de  M.  le  cardinal  Altierî  toute  la 
satisfaction  que  Sa  Majesté  a  lieu  d'espérer,  il  pût  s'adresser 
au  pape  même,  pour  lui  parler  quand  il  lui  plaira  et  qu'il  le 
jugera  nécessaire,  sans  qu'on  puisse  lui  refuser  les  audiences 
de  Sa  Sainteté,  lorsqu'il  aurait  droit  de  les  demander  soit  ordi- 
naires, soit  extraordinaires  pour  les  affaires  du  roi  dont  il  se 
trouvera  chargé...  »  Mais  ces  prétendues  affaires  du  roi  se 
réduisent  à  une  seule  :  imposer  au  pape  la  promotion  d'oo 
Français,  sous  le  nom  du  régent  de  Portugal»  qui  n'y  a  pas 
droit  et  qui  n'en  veut  pas,  contrairement  aux  privilèges  des 
autres  couronnes  et  sans  attendre  les  vacances  suffisantes  pour 
leurs  candidats  !  On  lit  dans  les  instructions  de  Tévèque-duc: 
«  Comme,  par  le  nombre  et  la  qualité  des  grandes  grâces  que 
Sa  Majesté  a  obtenues  dans  le  pontificat  de  Clément  IX,  il  se 
rencontre  aujourd'hui  qu'elle  n'en  peut  désirer  aucune  consi- 
dérable de  ce  pape-ci  que  cette  promotion,  et  qu'elle  soit  faite 
avant  le  temps  de  celle  qui  sera  due  aux  couronnes,  c'est  aussi 
à  ce  seul  objet-là  que  Sa  Majesté  trouve  bon  que  le  sieur 
évêque,  quoique  dans  une  matière  où  il  est  si  fort  intéressé, 
puisse  tourner  toutes  ses  pensées  et  agir  pour  la  faire  réussir, 
parce  que  la  gloire  et  le  service  de  Sa  Majesté  aussi  bien  que 
la  mortification  de  ses  ennemis  ne  s'y  rencontrent  pas  moins 
que  rintérêt  particulier  dudit  évoque.  »  Si  le  pape  lui  donne 
tout  de  suite  le  chapeau  du  feu  cardinal  Ginetti,  ou  s'il  le  lui 
promet,  dès  qu'il  y  aura  une  deuxième  ou  une  troisième  va- 
cance, ce  chapeau  équivaudra  pour  le  cardinal  Altieri  à  si.K 
chapeaux  italiens,  car  l'évêque-duc  est  autorisé  à  lui  assurer 
l'appui  de  la  faction  française  dans  le  prochain  conclave,  et  le 
roi,  reconnaissant  envers  lui  pendant  tout  ce  pontificat,  le 
protégerait  encore  après  la  mort  de  son  oncle,  s'il  était  persé- 
cuté comme  l'ont  été  d'autres  neveux;  sinon,  «  les  ressenli- 

(1)  5  mai.  Rome^  205. 


LE  CHAPEAU  DE   CÉSAR   d'bSTRÉES  431 

ments  que  Sa  Majesté  a  témoignés  de  la  dernière  promotion 
contre  le  cardinal  Altieri  revivraient  avec  justice,  puisqu'il 
est  aujourd'hui  au  pouvoir  du  cardinal  de  ne  pas  mettre  au 
hasard  la  satisfaction  de  Sa  Majesté.  »  Le  pape  avait  laissé 
entendre  qu'il  nommerait,  avec  M.  de  Laon,  un  prince  de  Baden, 
Bénédiclin,  abbé  de  Fulde,  désigné  depuis  longtemps  par  l'Em- 
pereur. Le  roi  ne  tolérera  pas  cela  :  s'il  n'obtient  pas  une  pro- 
motion unique^  extraordinaire,  sans  précédents,  pour  la  mor- 
liGcation  de  ses  envieux,  il  veut  que  le  pape  attende  une 
troisième  vacance,  et  que,  sur  les  trois  chapeaux,  deux  soient 
attribués  à  des  Français,  Tun  à  M.  d'Estrées,  et  l'autre  à  M.  de 
Bonsy,  archevêque  de  Toulouse,  ambassadeur  en  Pologne, 
dont  la  nomination  a  élé  surprise  au  roi  Jean-Casimir,  comme 
celle  de  l'évèque  de  Laon  a  été  arrachée  au  régent  de  Portu- 
gal. Si  le  cardinal  Altieri  ne  satisfait  pas  le  roi,  l'évèque-duc 
ira  se  plaindre  directement  au  pape  ;  le  roi  «  lui  laisse  même 
la  faculté  de  cesser  de  voir  le  cardinal  Altieri  et  de  négocier 
avec  lui^  s'il  en  fallait  venir  à  cette  extrémité-là  pour  redresser 
la  conduite  qu'il  tiendrait  dans  son  affaire  (1)...  » 

César  d'Estrées  prit  la  route  de  terre  et  s'arrêta  dans  plu- 
sieurs cours  de  la  Haute-Italie,  qu'il  choqua  par  ses  préten- 
tions vaniteuses  :  c'est  chez  le  duc  de  Parme^  peu  sensible  aux 
avantages  du  traité  de  Pise,  qu'il  fut  reçu  avec  le  moins  de 
considération  (2).  Arrivé  sur  les  terres  papales  où  l'attendait 
le  plus  bienveillant  accueil  (3),  il  se  préoccupait  d'une  seule 
chose  :  quels  honneurs  rendrait-on  au  titre  de  second  duc  et 


(i)  «  Mémoire  du  roi  au  aieur  évoque  de  Lioa  s'en  allant  à  Rome.  »  6  mai 
1671.  {Recîieii  des  instructions ^  p.  254.) 

(2)  L*évêque  de  Laoo  au  roi,  17  juio  1671.  de  Bologne.  —  RelaUoa  de  ce  voyage 

par  l'abbé  Servient,  qui  accompagnait  l'évoque  de  Laoa,  18  juin.  —  Je  vais 

faire  écrire  au  duc  de  Parme  par  l'abbé  Vittorio  Siri,  sou  résident  à  Paris, 

pour  qu'il  vous  fasse  des  excuses.  (Lionne  à  Tévéque  de  Laon,  17  juillet  1671. 

•  Aome,  214.) 

(3J  «  M.  le  cardinal  Altieri  a  fait  ordonner,  partons  les  lieux  de  l'État  ecclé- 
siastique où  M.  de  Laon  passera,  qu'on  lui  reudc  tous  les  honneurs  dus  à  an 
personnage  de  sa  qualité.  »  (Bourlemont  au  roi,  16  juin  1671.  Rome,  214.)  — 
m  II  est  coustant  que  ce  procédé  est  extraordinaire;  et,  comme  on  m'assure 
que  la  cour  romaine  ne  le  pratique  pas  sou  vent,  j'ai  dît  beaucoup  de  fois  qu'il 
De  pouvait  avoir  de  fondement  que  sur  la  grandeur  du  maître  que  j'avais  l'hon- 
near  de  servir.  »  (Au  roi»  30  juin.  Rome,  214.) 


432  CHAPITBE   DHlUÈn 

pair  attaché  à  soo  siège  épiscopal  «  1}?  II  roagissail  de  soac«' 
ractëre  ecclésiastiqne,  qa'il  trouvait  trop  répaDdu  à  Romel, 
et  sa  mission  diplomatique  ne  lui  assurait  pas  on  rang  égali 
son  ambition.  Voulait-on  lui  plaire,  on  ne  l'appelait  que  •«  M.  le 
duc  de  Laon  >»  3'.  Il  entra  incognito  à  Rome  le  24  juin,  eU 
peine  installé  au  palais  Famëse.  il  prit  le  lit  pour  se  sooi- 
traire  à  certaines  règles  de  l'étiquette  romaine.  L'abbé  de  Bour* 
lemont,  qu'il  avait  aussitôt  relevé  de  sa  charge,  lui  conseilla 
vainement  de  renoncer  à  des  distinctions  inconnues  des  Ro- 
mains, et,  par  exemple,  à  \ Excellence  ;  il  ajoutait  :  a  Us  ne 
l'accorderaient  pas  et  ils  diraient  que  ce  titre-là  n'est  pas  ec- 
clésiastique; que  les  nonces  ne  le  donnent  point  et  ne  le  pren- 
nent point  ;4  .  » 

Lionne  lui-même  lui  reprocha  une  vanité  qui  menaçait, 
avec  la  violence  notoire  de  sou  caractère  (5),  de  lui  aliéner 
aussitôt  la  cour  pontificale;  il  lui  écrivit  :  «  Je  ne  crois  pas 
que  vous  deviez  vous  mettre  dans  une  prétention  absolue 
de  recevoir  de  tous  les  cardinaux  le  traitement  d'Ejccel/ence. 
Cela  vous  ferait  peut-être  trop  d'affaires.  »  —  «<  Je  vous  avoue 


(I,  Il  renvoie  aux  cardiulux  Cerri  et  GabrioUi  leurs  leUres  oh  ils  ne  lui  dnn- 
Dcntqiio  Je  Vlllu.sfriifsime.  >•  S.  M.  aura  saus  doute  de  la  satisfactioa  de  voir 
relever  la  dignité  des  durs  et  pairs,  couime  ou  la  fait  en  cette  occasion  fort 
hf-ureusi-ment  ju?ques  ici.  II  est  à  souhaiter  qu'il  en  soit  autant  à  Rome,  où  h 
v/'iiération  qu'où  a  pour  la  grandeur  et  la  puissance  de  V.  M.  ne  doit  pas  èir? 
fuoiudre  qu'elle  n'a  paru  dans  les  lieux  do  notre  passage.  »  (Relation  de  Vàbbi 
Scrvicut.  liomcj  214.) 

(2^  Je  lue  servirai  des  honneurs  que  j'ai  obtenus  sur  ma  route  pour  m'i'la- 
blir  ici  «  dans  un  raufç  bien  ditlorcntde  la  foule  des  prélats,  qui  sont  peucoa- 
hidi'îr/'H,  et  dauri  lequel  j'ai  bien  compris  que  cette  cour  aurait  voulu  me  pou- 
voir réduire  eu  m'insinuaut  les  complaisances  et  les  facilités  que  je  devaiî 
avoir.  ».  (  Au  roi,  30  juin.  Home,  214.)  —  Le  pape  me  fait  offrir,  pour  siiopli- 
fier  le  r/jj^lement  des  prés/ances,  le  titre  d'évùque  assistant  au  trône  poutificil. 
J'«':liide,  nllé^uant  la  nécessité  d'attendre  la  réponse  de  la  cour.  Je  désirent 
p«H  recevoir  l'autorisaliou  d'accepter.  (A  Lionne,  7  juillet.  Home,  205.) 

(.'«)  Serviifit  à  Lionne,  18  juin.  Home,  214.  Au  même,  7  juillet,  nome,  205. 

(4;  A  Lionne,  30  juin.  Home,  2U. 

(.'i;  Lionne  reprochait  durement  à  Ugo  Maffei,  l'un  des  pensionnaires,  d'avoir 
écrit  à  un  ami  d«;  Paris  que  les  Romains  «  avaient  une  grande  aversion  à 
Invanceinent  diidit  sieur  évêque,  parce  qu'où  craignait  il  sua  spirito  iortidù 
HimiUa  fjudlo  dd  padrc.  »  (8  août.  /i'yme,215.)  Cf.,  sur  la  brutalité  du  maré- 
chal d'Kslrées,  ambassadeur  à  Rome,  les  exemples  que  nous  en  aTons  cités» 
livre  l«f,  chap.  u. 


Le   CHAt^EAÙ    DE    CÉSAR  D^ESTRÉES  43^ 

que  je  ne  m'étais  point  attendu  qu'après  avoir  été  déjà  cinq 
ou  six  jours  à  Rome,  vous  n'eussiez  encore  à  nous  entretenir 
que  du  titre  A' Excellence,  Buli  demande  fort  agréablement  si 
vous  êtes  allé  à  Rome  pour  avoir  vous-même  de  VÉminence, 
ou  pour  établir  YExcellence  pour  les  pairs  ecclésiastiques,  qui 
n'est  pas  contestée  aux  séculiers  que  vous  précédez;  et,  à  vous 
parler  franchement^  si  j'étais,  moi  indigne,  en  Tétat  où  vous 
êtes,  je  donnerais  pour  cinq  sols  le  choix  aux  autres  de  me 
traiter  A' Excellence ^  de  Lei  ou  de  Vostra  Signoria  Illustrù' 
sima,  etc.  Permettez-moi  de  vous  dire  que  vous  avez  poussé  la 
chose  un  peu  loin  et  que  vous  la  pouviez  traiter  de  plus  grande 
bagatelle...  J'aurais  voulu  que  vous  eussiez  d'abord  autant  em- 
porté l'amour  de  toute  votre  cour,  grands  et  petits,  que  je  suis 
assuré  que  vous  en  remporterez  l'estime.  Voyez  comme  vous 
pourrez  remédier  à  cela  con  disinvoltura  et  moins  de  50s- 
siego{\).  C'est  ce  qui  gagne  les  cœurs  et  je  voudrais  que  vous 
les  eussiez  tous.  L'abbé  Vibo  (2)  m'est  venu  communiquer  un 
long  mémoire  qu'il  a  reçu  sur  cette  matière  :  les  raisons  m'en 
on  t  paru  incontestables.  Car  si  le  palais  ni  les  cardinaux  ne  don- 
nent aux  princes  souverains  même  ni  aux  ambassadeurs  des 
têtes  couronnées,  quand  ils  sont  ecclésiastiques,  de  Y  Illustris- 
sime^ je  ne  vois  pas  comment  ils  peuvent  se  départir  de  cette 
règle  pour  un  évêque-pair,  sans  se  faire  bien  des  affaires  avec 
les  autres.  Je  n'ai  pas  laissé  de  soutenir  audit  abbé,  autant 
que  j'ai  pu,  le  droit  de  votre  prétention;  mais  je  lui  ai  dit  enfin 
que  vous  me  mandiez  que  vous  la  sacrilieriez  à  tout  ce  que 
M.  le  cardinal  Altieri  désirerait  de  vous,  ce  qui  Ta  fort  contenté, 
et  j'ai  ajouté  la  réserve  :  pourvu  que  le  roi  trouvât  bon  ici  dans 
la  suite  que  vous  en  eussiez  usé  de  la  sorte,  ce  qui  nous  don- 
nerait lieu  de  revenir  suivant  votre  pensée,  si  vous  n'étiez  pas 
d'ailleurs  satisfait  dudit  cardinal.  J'ai  dit  les  mêmes  choses  à 
Buti,  qui  m'a  dit  qu'il  manderait  aujourd'hui  à  son  ami  que, 
si  la  grande  affaire  allait  bien,  tout  le  reste  serait  approuvé; 

(1)  C'est  bien  ainsi  que  Lionne  a  écrit  ce  mot  dans  l'original  :  cest  Tespa- 
guol  so^iegOi  flegme,  Iranquiilitû,  pris  ironiquement. 

(2)  Mictiei-Aaloiue  Vibo,  andileur  de  la  nonciature,  «  chargé  de  faire  les 
affaires  du  saint-siège  par  iutôrmi  »  (Lionne  à  Vibo,  5  juiu  1071.  Rome^  214), 
déjà  nommé  au  chapitre  i***  du  livre  11. 

LOt'lS  ZIV  BT   U£  SAl.Nr-SlÈUE.    —  II.  i8 


434  CHAPITRE    DEUXIÈME 

sinon  7ious  prétendrions  que  tout  aurailclé  mal  fait  (i).  »  Mais 
le  pape,  le  cardinal  Allieri  et  Ions  les  membres  du  sacré  collège 
comblèrent  de  prévenances  le  prélat  français  et  ne  pensèreni 
qu'à  écarter  toules  les  causes  de  conflit.  11  écrivait  au  roi  :  Les 
honneurs  qu'on  me  rend  sont  supérieurs  à  ceux  dont  j'aurais 
pu  me  contenter.  Je  ne  témoigne  pas  en  èlre  satisfait,  et  on 
m'enoiïre  encore  davantage.  —  Il  lui  plaisait  déjà  de  croire 
que  tout  le  momie  tremblait  devant  lui  :  «  J*ai  connu,  disail-il, 
par  la  joie  qu'ils  ont  eue  de  voir  mes  traitements  réglés,  qu'il 
n'est  pas  difficile  de  les  embarrasser  (2).  »  —  Dès  la  première 
audience,  Clément  X  fut  avec  lui  bon,  alTectueux,  simple,  fa- 
milier et  s'exprima  sur  Louis  XIV  et  sur  la  maison  royale  avec 
une  tendresse  paternelle. 

L'évôque-duc  dressa  aussitôt  son  plan  de  campagne,  et  il 
écrivit  à  Louis  XIV  :  u  La  conduite  que  je  me  propose,  quand 
je  verrai  le  cardinal  Altieri,  ce  sera  d'écouter  ses  ofires;  de 
montrer  une  enlière  confiance;  d'exagérer  mon  extrême  re- 
connaissance, s'il  me  promet  cette  élévation  ;  de  lui  faire  sentir 
délicatement  que  Votre  Majesté  ne  se  propose  pas  d'attendre 
longtemps  ce  contentement  et  que  l'efTet  de  toutes  les  vues 
qu'il  pourrait  avoir  sur  la  protection  de  Votre  Majesté  en  dé- 
pend. »  J'inviterai  le  cardinal  Borromeo,  secrétaire  d'État,  à 
«  faire  entendre  bien  clairement  que  Votre  Majesté  veut  la 
promptitude  et  la  certitude  entière  en  cette  afTaire  (3)...  »  — 
Le  succès  ne  répondit  pas  à  sa  présomption.  Il  feignit  d'abord 
de  croire  que  Clément  X  était  aux  portes  du  tombeau,  gou- 
verné par  des  conddenls,  et  que  le  cardinal-neveu,  inquiet  de 
l'avenir,  serait  trop  heureux  d'ofîrir  au  roi  de  France  Tunique 
chapeau  qui  vaquerait  avant  la  mort  de  son  oncle.  Il  se  pré- 
senta devant  Clément  X  comme  le  protégé  du  prince  qui,  à 

(1)  24  juillet  1671.  Home,  214.  Lionne  se  repentit  bicDtôt  d'avoir  fait  ce 
reproche  an  vauiteni  pn'îlat,  et  il  Ini  écrivit  par  le  courrier  suivant  :  a  Je  me 
rétracte  de  tout  ce  que  je  vous  mandai  il  y  a  huit  jours,  avec  peut-être  Iro;» 
de  liberté  sur  vos  né{;oeidtious  touchant  les  traitement!»...  que  vous  prétendez. 
Je  trouve  mainteniut  que  vous  avez  conduit  la  chose  adiuirablement  bien  et 
que  vous  eu  Oies  sorti  avec  lous  les  avantajjres  ({uon  pouvait  désirer.  »  (31  juillet. 
Home,  2U5.) 

(2)  7  juillet.  Pxomc,  205. 

(3)  30  juin  1G71.  Home,  21  i. 


LE   CHAPEAU    DE   CÉSAR  D*EbTRÉES  43S 

Ten  croire,  avait  disposé  de  la  tiare  dans  le  dernier  conclave  ; 
il  aborda  le  cardinal  Altieri  en  homme  qui  comptait  sur  une 
promesse  spontanée  de  la  pourpre  :  ni  le  pape  ni  Altieri  ne 
lui  en  ouvrirent  la  bouche.  Il  reconnut  bientôt  que  Clément  X 
avait  une  volonté  propre,  et  qu'il  n^avait  livré  à  personne  le 
secret  des  promotions  futures  :  «  La  santé  du  pape,  dit-il,  est 
d'une  fraîcheur  et  dune  vigueur  fort  au-dessus  de  son  Age,  el, 
par  Celte  raison,  il  est  pardonnable  à  M.  le  cardinal  Altieri  de  se 
flatter  qu'il  peut  faire  plusieurs  promotions  (1).  »  Il  espéra 
tirer  quelque  éclaircissement  du  cardinal  Borromeo,  qui  n'a- 
vait pas  le  pouvoir  d'engager  le  pape,  et,  procédant  comme 
un   huissier,  il  dressa  une  sorte   de   procès-verbal  de  leur 
entretien  (2),  pour  l'envoyer  au  roi.  Il  écrivit  :  Le  secrétaire 
d'Etat  croit  que  le  pape  me  réserve  le  premier  rang  dans  la 
prochaine  promotion  et  que  le  cardinal  Altieri  est  prêt  à  em- 
ployer ses  bons  offices  pour  que  cette  promotion  ait  lieu  lors- 
qu*il  y  aura  deux  vacances.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  reprendre 
cette  nouvelle  :  Le  cardinal  Borromeo,  dit-il,  m'a  écrit  sur 
mon  affaire  «  quelque  chose  de  vague  et  ambigu,  qui  me  pa- 
raissait affecté  et  non  seulement  peu  conforme  au  mémoire 
qu'il  avait  approuvé  Tordinaire  précédent,  mais  aux  assurances 
précises  qu'il  avait  lui-même  fait  donner  à  Votre  Majesté,  avant 
que  je  partisse.  »  J'ai  répondu  à  ce  ministre  avec  force  pour 
accroître  l'inquiétude  causée  par  «  les  relations  sèches  et  déci- 
sives que  l'abbé  Bonfiis,  Tabbé  Melani  et  Vagnozzi  leur  avaient 
faites  de  mes  discours  et  de  mes  intentions.  »  Le  cardinal  Bor- 
romeo et  l'abbé  Baglioni  (3)  me  font  avertir  (|ue  je  risque  do 
«  gâter  mon  affaire  par  cette  dureté  ;  »  mais  je  demeure  ferme. 
J'ai  revu  le  cardinal  Altieri,  qui  ne  promet  rien  de  plus  que 
par  le  passé.  Je  fais  tout  ce  que  je  peux  pour  Teffrayer  ;  mais 
il  réserve  formellement  la  résolution  où  peut  èlre  le  pape  d'at- 
tendre une  troisième  vacance,  pour  rendre  le  chapeau  à  la 
famille  de  Clément  IX  (4). 

L'évèque  de  Laon  s'en  prit  de  ces  premières  déceptions  aux 

(1)  Au  roi,  1  juillet.  Rome,  203. 

(2)  L'expresdion  e8t  de  lui. 

(3)  Secrétaire  des  ctiiffres. 

(4)  14  et  28  juillet.  Rome,  214. 


436  CHAPITRE    DEUXIÈME 

agents  que  Louis  XIV  el  Lionne,  disciples  de  Mazarin,  mé- 
laienl  dans  toutes  l<^urs  négociations  avec  Rome,  et  surtout 
aux  Italiens,  Ugo  Maiïei,  Vagnozzi,  Ripa,  Melani  et  autresqai 
avaient  annoncé  ces  assurances  précises  (1).  Foucher  lui-même 
signalait  dt^puis  lonjjlemps  le  danger  de  leurs  faux  rapports, 
el  il  écrivait  :  «  Vagnozzi  affecte  de  me  paraître  passionné 
pour  M.  de  Lionne,  M.  de  Laon  et  M.  Tambassadeur  (2).  Ce- 
pendant il  n*est  pas  imaginable  combien  de  tort  tels  discours  et 
telles  gens  font  aux  afTaires  dans  lesquelles  mal  à  propos  ils 
se  font  de  fête  (3).  »  Les  récriminations  de  l'évèquc  de  Laon 
ne  furent  pas  moins  vives  :  ce ...  J'ai  tiré,  dit-il,  peu  de  secours 
de  tous  les  pensionnaires  français,  et  je  m*aperçois  tous  les 
jours  qu*ils  gagnent  assez  indignement  Targent  qu'on  lear 
donne,  je  dis  ces  trois  ou  quatre  Italiens.  Melani  vaut  mieux  (1) 
que  pas  un,  mais  le  palais  ne  Taime  pas,  et  Baglioni  lui  est 
contraire,  et  par  cette  raison  il  est  fort  opposé  à  Baglioni  : 
ainsi,  il  peut  quelquefois  exagérer  les  méchantes  intentions  de 
celui-ci  au  delà  de  ce  qu'elles  sont  en  effet  (5).  » 

L'éveque  de  Laon  avoua  enfin  à  Louis  XIV que  Topposilion 
venait  du  pape  lui-même  et  non  d'Allieri.  Sa  dépêche  du 
28  juillet,  déjà  citée,  ne  s'accorde  plus  avec  le  discours  si  vio- 
lent tenu  par  le  roi  au  nonce  Bargellini.  Il  écrivait  :  «  Je  ne 
puis  croire,  Sire,  que  le  cardinal  AUieri  n'ait  pas  parlé  sincè- 

(1)  Au  roi  et  ^  Lioune,  7  juillet.  Rome^  205. 

(2)  Le  duc  d'Es^trée?,  ambassadeur  désigué. 

(3)  A  Liooue,  28  avril  4671.  Rome,  203. 

(4)  C'est  moins  qu'il  faut  dire.  M.  de  Laon  le  préfère,  parce  que  c'est  en  loi 
qu'il  trouvera  le  plus  de  passion  et  le  moins  de  scrupules. 

(5)  Au  roi  et  à  Lionne,  7  juillet  1671.  /{orne,  205.  Tous  ces  llalieas  se  dé- 
noncent mutuellement,  comme  nous  l'avons  vu  tant  de  fois;  ils  dénoncent  les 
agents  français  et  sont  dénonc<^8  par  ceux-ci.  L'abbé  Servient,  qui  ne  vaut  pas 
mieux,  voudrait  les  supplanter  tous,  i>t  se  plaint  de  ne  pas  recevoir  un  prix 
sufUsant  de  ses  services.  «  11  n'y  a  pas,  dit-il,  un  Italien  qui  ait  étéenFrauce, 
sans  être  même  appuie,  qui  n'ait  obtt^nu  quelque  grâce  du  roi.  L'abbé  Bt*oe- 
deiti  vu  revint  avec  une  ubbnye,  de  l'argunt  comptant,  uu  portrait  de  diamauls 
de  100  pistoles  et  une  pension  ;  Maffei,  à  peu  près  de  la  même  manière,  et 
i'abbô  .Melani,  en  dernier  Heu,  n'a  pas  été  moins  bien  traité.  »  (A  Lloone, 
uiômu  jour.  —  «  Le  palais  lui-même  (qu'il  trahit  après  y  avoir  obtenu  un  poste 
de  couOaoce)  a  fait  connaître  qu*on  y  souhaitait  que  ce  fût  par  mon  canal  qoe 
passassent  à  l'avenir  les  affaires  qu'on  voudrait  être  secrètes.  »  (Le  même  aa 
môme,  18  août  1671.  Rome,  213.) 


LE    CHAPEAU    DE   CÉSAR  D^ESTRÉES  437 

remcnt,  car  je  lui  ai  vu  tant  de  marques  de  crainle  de  demeurer 
brouillé  avec  Votre  Majesté  que  sans  doute  il  recherchera 
toutes  les  voies  possibles  pour  Téviter,  et  ce  n'est  que  par  cetle 
machine  que  j'ai  tiré  de  lui  toutes  ces  déclarations  qu  il  ne 
voulait  pas  faire  lui-même  et  dont  il  se  serait  défendu,  si  je  ne 
l'avais  extraordinaircment  pressé.  »  Lorsqu'il  interrompait 
SCS  déclamations  contre  la  cour  pontificale  pour  représenter 
confidentiellement  au  roi  et  à  Lionne  la  situation  vraie  des 
choses,  il  ne  donnait  plus  pour  des  assurances  précises,  mais 
pour  ce  qu'elles  valaient  en  réalité,  les  lettres  courtoises  du 
cardinal  Borromeo  à  Lionne,  et  de  l'abbé  Ba^lioni  à  l'abbé 
Buti,  l'ancien  secrétaire  de  Mazarin,  conservé  dans  les  bureaux 
des  A ITaires  étrangères.  Ainsi,  après  avoir  raconté  longuement 
au  roi  un  entretien  oii  il  avait  opposé  au  cardinal  Altieri  ces 
correspondances  purement  personnelles,  il  s'arrête  pour  dire 
avec  simplicité  :  «  Ce  n'est  pas  que,  n'ayant  pas  dit  précisément 
le  temps  de  cette  promotion  (i),  ils  n'aient  quelque  chicane 

(1)  Voici,  par  ordre  de  datet,  les  avif  traosmis  de  Rome  à  Saiat-G^rmnja 
par  les  agents  du  roi  et  les  aveox  de  Lionne  lui-même  :  Bonfils  à  Liouue, 
13  janvier  i67i.  Rome,  212  :  Le  pape  et  Altieri  expriment  leur  bon  vouloir 
pour  révèquH  de  Laon,  mais  sans  fixer  d'époque.  —  Bourlemont  au  roi,  24  fé- 
vrier. Rome,  212  ;  Je  me  plniuti  encore  au  pape  de  la  promotion  du  22  décembre  ; 
il  me  répond  que  sa  résolution  était  arrêtée  avant  l'arrivée  du  courrier  du 
roi,  que  d'ailleurs  il  y  avait  trois  vacances  seulement  :  il  satisfera  plus  tard  le 
roi.  Le  cardinal  Altieri  en  dit  un  peu  plus,  mais  sans  se  lier,  n  Cela  me  fait 
juger.  Sire,  que,  quand  ils  feront  M.  de  Laon  cardinal,  ils  veulent  raccompa- 
gner de  quelque  autre.  »  —  Lionne  à  Itospi^liosi,  20  mars  i6'<i.  Rome,  213: 
«  ...  On  ne  nous  paye  au  palais  que  d'insinuations,  ^l'espérances  fort  générales 
qn*on  donne  à  l'abbé  Bonfils  eu  termes  même  sujets  à  diverses  interprétation^^ 
mais  on  ne  veut  rien  dire  de  précùt  à  M.  de  Bourlemont,  m  —  Bourlemont  à 
Lionne,  14  avril.  Rome,  'J13  :  Le  cardinal  Altieri  me  promet  que  le  candidat  de 
l'Empereur  ne  sera  pas  nommé  pans  M.  de  Bousy,  candidat  du  roi  de  Pologne, 
et  que  l'évèque  de  Laon  Fera  de  la  première  prom(>tion.  (Mais  quand  aura- 
t-elle  lieu?  Le  pape  n'atteudra-t-il  pas  qu'il  y  ait  as^icz  de  chapeaux  pour  eu 
donner  a  l'Espagne,  à  Venise,  et  à  ses  propres  créatures  ?|  —  Foucber  à  Lionne, 
même  date  :  Le  cardinal  Borromeo  manifeste  de  la  bonne  volonté,  mais  répond 
nettement  qull  ne  peut  prendre  d'engagement  pour  M.  de  Laon.  —  Bonfils  à 
Lionne,  21  avril.  Rome,  213  :  Le  cardinal  Altieri  «  se  déclare  toujours  plus  de 
vouloir  contenter  1«  roi  en  ce  qu'il  désire  pour  M.  de  Laon,  mais  f&Hs  se  dé- 
clarer pourtant  de  le  faire  dans  une  promotion  de  trois.  ■  — •  Lionne  a  Fou- 
cher,  12  mal.  Rome,  205  :  «  ...  Je  ne  doute  nullement,  comme  l'a  dit  le  cardi- 
nal Rospi^lioH,  que,  »:i  l«  cardinal  Alturi  pouvuit  s'érliHp|i«T  par  qu«  Ique 
purte  dunt  il  crût  ne  devoir  recevoir  hucuu  préjudice,  il  ne  le  fit,  et  cVst  pour 


438  cifAPiT::E  decxièmk 

à  faire;  maÎA  il  faut  s'en  plaindre  comme  d'une  surprise,  qoi 
ne  se  pratiqtio  pas  avec  un  tel  prince  que  Votre  Majesté  M.;.  »• 
Au  surplus,  renvoi  de  (iésar  d'Estrées  &  Rome,  où  il  y  avait 
déjà  pour  arracher  sa  promotion  l'abbé  de  Bourlemont,  assisté 
do  deux  agents  spéciaux,  et  où  il  allait  être  rejoint  par  son 
frère,  revôtu  de  la  qualité  d'ambassadeur  et  porteur  des  mêmes 
ordres,  surPh^mit  h  prouver  que,  dans  la  pensée  du  roi,  il  dc 
s'agissait  pas  encore  de  recueillir  les  fruits  d'une  victoire  dé- 
clarée, mais  seulement  d'tme  bataille  à  engag'er.  C'est  bien 
ainsi  que  Tentendait  révr?qne-duc  lui-même  :  «  Vous  verrez, 
écrivait-il  à  Lionne,  comme  j'assiège  M.  le  cardinal  Aliieri  et 
comme  il  se  retranchi»  (2).  » 

La  mort  du  cardinal  Antoine  Barberini  (3  août  iGU]  ayant 
ouvert  une  nouvelle  vacance,  le  pape  chen  ha  un  expédient 
qui  lui  permît,  sans  violer  aucune  règle,  de  ne  pas  irriter  trop 
profondément  un  prince  dont  la  politique  altière  inquiétait  on 
ce  moment  même  toute  TEtirope,  et  qui  venait  de  faire  en 
pleine  paix,  k  la  tête  de  trente  mille  hommes,  ce  mémorable 
voyage  de  Flandre,  prélude  de  la  campagne  de  Hollande  (3). 

crli  qui/  évitera  tou<  les  eii'jnffemfnt^  positifs  ..  Non»  ne  pourrions  montrer 
(1  .-i<  repter  ici,  quand  ou  nous  la  ferait,  la  proposiliou  de»  trois  chapfaux  dont 
M  de  (jion  aurait  l'un.  La  raison  est  que  nous  ne  sommes  pas  a,isun*s  que  le 
pap"  puisse  roir  seulement  la  vacance  du  second.  C'est  pourquoi  il  faut  s'atta- 
cher loujoiirg  à  prétendre  et  demander^  mais  honnêtement,  celui  qui  vaqae. 
piMir  mettre  le  cardinal  Allicri  dans  son  tort  et  ne  le  tirer  point  du  péril  qu'il 
aurait  à  craiudrf*  du  resftentimeni  de  S.  M.,  s'il  laisse  mourir  son  oncle  saos 
avoir  fait  M.  de  Laon  cartiiual...  » 

(1)  6.  7.  8  aoftt  ifiTl.  Rome,  215. 

(2)  14  juillet,  nome,  214. 

(3)  Dès  le  rommoncLMnont  de  l'année.  Louis  XIV  avait  cher.'h»'?  à  prévenir 
les  justes  alirmes  du  pape  :  «  Je  vis  hier  M.  le  cardinal  Altieri  et  lui  dis 
la  résolution,  qu'avait  prise  V.  M.,  d'aller  faire  un  v ovaire  en  Flandreà  ceprin- 
tt^mi)?,  aux  pays  de  s  s  cnuqurte*.  et  «l'y  mener  un  corps  de  trente  mille 
hi>iuuies,  V.  M.  faisant  état  d'y  s^'jouriM'r  quatre  ou  cinq  mois,  et  que  V.  M. 
me  cliarj:»'uit  d'as-ur^r  tie  sa  part  1^  papo  et  le  CHniinal  qu'il  n'a  aucun  des- 
sein d«»  cimhvvenir  en  rien  au  traili^  d'Aix-la-Chapelle,  V.  M.  se  proposant,  en 
c»'tte  expédition,  d'employer  ses  troupes  à  finir  promptement  et  en  sa  pré- 
soure  les  forlilioatious  de  ses  pla-^es  et  des  applanissements  dc  hauteur  dnns 
les  lieux  qui  appartiennent  à  V.  M.,  ce  qui  ne  se  pourrait  faire  sans  une  puis- 
sance égale  A  celle  que  V.  M.  y  veut  conduire.  M.  le  cardinal  Allier!  m»»  dit 
qu'il  donnerait  cette  honiie  nouvelle-là  au  pape  dès  le  m^me  soir  et  avant  que 
je  voie  S.  S...,  que  S.  S.  s'assure  tant  en  la  sincère  et  géuéreuse  volonté  qu'a 
V.  M.  de  maintenir  le  repos  de  la  chrétienté,  qu'elle  n'a  nulle  appréhensiou 


LE    CHAPEAU   DE    CÉSAR    d'eSTUÉES  439 

Li'évêqiie  de  Laon  écrivit  :  «  Le  pape  m'a  fait  quelques  ques- 
tions sur  le  retour  de  Votre  Majesté  de  Flandre,  sur  l'état  de 
ses  places  et  de  ses  troupes  et  sur  les  grandes  levées  quon 
croit  partout  qu'elle  fait  faire.  J'ai  lAché  de  répondre  surtoutes 
ces  choses  proporlionnémeut  à  la  grandeur  de  Votre  Majesté, 
el  je  Tai  assuré  beaucoup  de  fois  qu'elle  sera  toujours  prête 
d'employer  celte  grande  puissance  pour  le  service  de  la  reli- 
gion et  pour  l'avantage  du  saint-siège;  et,  comme  il  est  entré 
de  lui-même  sur  le  sujet  de  feu  M.  le  cardinal  Antoine,  dont 
il  a  parlé  avec  beaucoup  de  regret,  cela  m'a  donné  lieu  de  lui 
insinuer  que  Votre  Majesté  perdait  en  lui  un  serviteur  très 
considérable,  mais  qu'elle  espérait  que  Sa  Sainteté  se  servi- 
rait de  la  place  qu'il  alaissée  vacanle  pour  la  réparer  en  quel- 
que sorte.  Il  a  bien  compris  ce  que  je  lui  voulais  dire,  et  m*a 
répondu  que  son  intention  était  de  satisfaire  Votre  Majesté, 
et  que  je  ne  doutasse  pas  qu'il  ne  le  voulût  et  qu'il  ne  le  fît  ; 
qu'il  m'assurait  qu'il  songeait  à  ma  satisfaction.  11  me  redit 
encore  quelque  chose  do  semblable,  ijuand  je  pris  congé  de  lui, 
et  cela  fait  voir  que  sa  disposition  est  très  favorable  et  que  ces 
messieurs  trouveront  moyen  de  le  persuader,  s'ils  se  mettent 
bien  en  peine  de  le  chercher.  »  Or,  le  même  jour,  le  cardinal 
Altieri  annonça  au  prélat  français  que  le  pape  se  proposait  de 
lui  donner  place  dans  une  très  prochaine  promotion  avec  Fabbé 
de  Fulde,  nommé  par  TEmpereur.  Comment  répondit-on  à 
une  grâce  si  peu  méritée? 

«  Je  ne  laissai  pas  durer  plus  longtemps  ce  projet,  dit 
M.  d'Estrées,  et  je  déclarai  au  cardinal  Altieri  que  Votre  Ma- 
jesté m'avait  commandé  de  ne  pas  souffrir  qu'on  fit  une  pro- 
motion pour  l'Empereur,  snns  contenter  en  même  temps  le  roi 
de  Pologne;  que  j'étais  d'autant  plus  obligé  de  Tempécher 
que,  par  un  excès  de  confiance  en  ma  fidélité,  il  avait  plu  à 
Votre  Majesté  de  me  charger  des  intérêts  de  M.  l'archevêque 
de  Toulouse  comme  des  miens  propres;  et,  comme  il  repartît 
que  je  n'en  serais  pas  le  maître  el  que  je  ne  pouvais  pas  em- 


qne  rc  %-oyago  de  V.  .M.  nvpc  tant  de  troupes  préjiidicie  en  rl*»D  à  la  pnix,  et 
ce,  d*aiitaut  plu»  que  V.  M.  a  la  bonté  dVn  fntre  a^isurer  S.  S.  qui  co  resterait 
obligée  à  V.  M»  »  (Uourleniont  au  rui,  6  janvier  167i.  Home^  212.) 


440  CHAPITRE   DEI'ZIÈME 

pécher  que  le  pape  ne  prit  cette  résolution,  je  lui  répliquai  que 
je  me  jetterais  à  ses  pieds  et  à  ceux  du  pape  pour  lui  demander 
en  dernière  grâce  de  vouloir  bien  ne  me  pas  comprendre  dam 
une  promotion  dans  laquelle  les  ordres  de  Votre  Majesté  me 
défendaient  de  prendre  part  en  excluant  rarcbevëque  de 
Toulouse  (1)...  »  L'évèque  de  Laon  avait  prié  Lionne  de  faire 
adresser  par  le  roi  à  Tintcrnonce  «  de  ces  mots  essentiels  que 
ce  ministre  savait  si  bien  trouver  imperatoriâ  brevitate  (2).  » 
Ses  espérances  furent  dépassées.  Dès  l'arrivée  du  courrier  ex- 
traordinaire qui  lui  apprit  la  mort  du  cardinal  Antoine  Barbe- 
rini,  Louis  XIV  fit  appeler  Tabbé  Vibo  et  lui  dit  (3)  :  «  Il  ae 
me  serait  janiais  tombé  dans  Tesprit  que  lecardinal  Altierime 
considérât  si  peu  qu^il  eût  voulu  ajoutera  l'injure  publique, 
qu'il  me  fit  en  la  dernière  promotion,  un  manquement  formel 
à  sa  parole.  Il  fit  créer  cardinaux  trois  nonces  d*Espagne  et 
perdre  même  à  la  maison  Uospigliosi,  parce  que  je  Taime,  le 
chapeau  qui  lui  était  dû.  II  m'a  depuis  fait  assurer,  huit  mois 
durant,  que,  pour  réparer  cette  offense  (4)  et  regagner  mes 
bonnes  grâces,  dès  qu'il  y  aurait  deux  chapeaux  vacants,  il 
ferait  faire  la  promotion  en  laquelle  M.  de  Laon  serait  compris. 
Il  y  on  a  ici  vingt  lettres  du  cardinal  Borromeo  on  de  Tabbé 
Baglioni.  Vous-même  en  avez  assuré  Lionne,  arrivant  ici,  et 
le  cardinal  Allieri  Ta  dit  lui-même  audit  sieur  de  Laon,  quatre 
jours  avant  la  mort  du  cardinal  Antoine.  Cependant,  dès  que 

(1)  11  août  1671.  Home,  215.  La  suite  du  récit  montrera  les  scntimeDts  qne 
Céear  d'E&trées  cachait  bous  ce  langage.  11  est  si  peu  vrai  que  Tou  comptai 
sur  lui  pour  défeudre  les  intérêts  de  BoDsy  connue  les  sîen^  propres^  qu'un 
agent  spécial,  l'abhé  du  Bigorre,  fut  envoyé  à  Rome,  pour  solliciter  la  prooio- 
tiou  de  l'archevêque  de  Toulouse. 

(2)  lAWAque  de  Laon  à  Lionne,  14  juillet.  Home,  214. 

(3)  '<  Ce  que  le  roi  a  dit  à  l'abbé  Vibo  surrafT.'iiriî  de  M.  de  Laon,  le  19  août  1611.  » 
—  «  L'abbé  Vib<»  mVst  Vfuu  aushi  rouimuuiqucr  sa  dépôche,  pour  savoir  de 
moi  s'il  avait  bien  pris  le  sens  de  tout  le  discours  que  le  roi  lui  a  tenu.  J'ai 
trouvé  que  S.  iM.  n'avait  pab  usé  des  mômes  termes  que  je  lui  avais  laissas 
par  écrit,  mais  pourtant  qu'elle  vn  avait  pris  toute  la  substance,  en  y  doonaDt 
seulement  un  antre  tour,  «t  que  ledit  abbé  eu  rond  compte  fidèlement  à  son 
maître,  sans  lui  rit-n  dé;/nisHr.  Amsi,  vouî^  pouvez  compter  que  le  roi  a  parlé 
audit  abbé  au  sens  entier  du  papier  que  je  vous  adresse.  .  »  (Lionne  à  l'évèque 
de  Laon,  20  août  1671.  Home,  215.) 

(4)  Il  n'y  avait  ni  offense  ni  injure  publique ^  et  jamais  Altieri  Q*avait  regretté 
une  promotion  très  louable,  qui  était  Tœuvre  personnelle  de  Clément  X. 


LE    CHAPEAU   DE   CÉSAR    d'eSTRÉES  4 il 

ce  chapeau  a  vaqué,  et  en  la  personne  même  d*un  Français(i), 
de  la  dépouille  duquel  il  a  profité  du  camerlingat  et  de  plu- 
sieurs abbayes,  il  ne  se  souvient  plus  de  ses  engagements  ni 
de  sa  parole  et  dit  qu*il  faut  encore  une  troisième  vacance» 
faisant  traîner  et  laissant  même  ma  satisfaction  en  incertitude, 
puisque  le  pape  peut  être  surpris  d'un  accident  (2).  Si  l'Empe- 
reur ou  le  roi  d^Espagne  m'avait  donné  quelque  parole,  je  la 
leur  ferais  bien  tenir:  mandez-lui  que,  s'il  veut  que  je  sois  de 
ses  amis  et  son  protecteur  en  tout  temps,  il  fera  faire  la  pro- 
motion comme  il  me  Ta  promis,  au  moins  dans  quinze  jours 
après  que  ce  courrier  sera  arrivé.  Que  s'il  ne  le  fait  pas,  je 
donne  ordre  à  Tévèque  de  Laon  et  au  sieur  de  Bourlemont 
d'aller  conjointement  au  pape  lui  exposer  tout  ce  qui  s*est 
passé,  dont  peut-être  il  ne  sait  rien  (3),  lui  porter  les  extraits  (4) 

(1)  Loui»  XIV  qualifie  Antoine  Barbeiini  de  Français,  parce  qu'il  lavait 
nownié  archevêque  de  Reims  et  grand  aumônier  ;  —  et,  quand  il  y  trouve 
son  îutér^t,  il  soutient  que  Bonsy,  eon  ambassadeur  à  Venise  et  en  Pologne, 
ëvêque  de  R^ziers  et  archevêque  de  Toulouse,  n*a  pas  cef^sé  d'être  un  étranger^ 
un  Florentin! 

(2)  Louis  XIV  nous  a  depuis  longtemps  habitués  à  pareille  indélicatesse  :  il 
ira  plu!«  loin  encore. 

(3)  Toutes  les  lettres  de  l'évî^que  de  Laon  attestent  qu'il  était  reçu  par  Clé- 
ment X  auf>si  souvent  qu'il  le  souhaitait,  et  que  tous  les  incidents  de  la  né- 
gociation étaient  portés  à  la  connaissance  du  pape  par  lui-même  aussi  bien 
que  par  Altieri  et  les  miaistres  pontificaux,  et  par  les  ambassadeurs  étrangers 
qui  discutaient  avec  le  pape  l'intérêt  de  leurs  maîtres  dans  la  promotion  an- 
noncée. 

(4)  Nouveau  mensonge,  ajouté  à  tant  d'autres.  Si  ces  lettres,  d'ailleurs  toutes 
privées,  eussent  engagé  la  parole  du  pape  ou  seulement  celle  d'AUieri,  Lioune 
Jes  eût  envoyées  k  l'évêque  de  Laon  pour  le  mettre  en  état  d'exécuter  cette 
menace  ;  mais  le  ministre  se  garde  de  le  faire  et  prétend  que  ces  pièces  sont 
entre  les  mains  de  Buli,  qui  dépend  de  lui  et  qui  n'a  rien  &  lui  refuser!  Et 
pour  que  M.  d'Estrées  ne  doute  pas  que  ce  soit  une  pure  comédie,  il  lui  avoue 
que  d'ailleurs  il  serait  dangereux  de  les  montrer  au  souverain  pontife  et  au 
cardinal  Altieri  :  a  J'oubliais  de  vous  dire  que,  dans  une  course  que  je  fis 
avant-hier  à  Paris,  je  parlai  a  Buti  de  me  remettre  les  extraits  de  tout  ce  que 
Baglioni  lui  avait  écrit  sur  votre  aCfHire  en  diverses  dépêches,  et  i7  ne  me 
sembla  pas  qu'il  en  fit  aucune  difficulté.  Cependant,  après  avoir  dtué  ensemble 
chex  M.  votre  frère,  je  ne  me  souvins  plus  de  lui  en  reparler  et  je  revins  le 
leudemaiD  ici.  Je  n'ai  pas  cru  devoir  relarder  le  départ  du  courrier  pour  envoyer 
quérir  à  Paris  ces  extraits,  dont  aussi  bien  vous  ne  devez  jamais  vous  sei^ir 
effectivement  pour  les  porter  au  pape.  Cependant  on  pourra  croire  dtdetà  tfue 
voui  les  avez  tous  en  main.  »  (20  août.  Rome,  215.;  On  peut  voir,  aux  volumes 
215  et  216,  des  extraits  de  lettres  de  Borromeo,  de  Baglioni,  de  Maffei.  etc.,  an- 


442  CHAPITRE   DEUXIÈME 

de  tout  ce  qui  a  élé  écrit  ici  par  le  cardinal  Borromeo  elpar 
Baglioni.  Je  sais  que  Sa  Sainteté  m'aime  assez  pour  me  faire 
justice  et  pour  ne  souffrir  pas  que  son  neveu  m'eût  imposé 
sous  son  nom.  » 

Louis  XIV  écrivit,  en  m^me  temps,  au  pape  une  lettre  si 
dure,  qu'il  la  jugea  capable  de  causer  au  saint  vieillard  une 
émotion  mortelle,  et,  s'il  exprinja  le  désir  que  M.  d'EsIréesse 
contenlftt  d'en  donner  lecture  au  cardinal-neveu,  ce  ne  fat 
point  par  humanité,  mais  pour  éviter  les  retards  que  la  mort 
du  pontife  ferait  encore  subir  à  lapromolion  de  Tévêque-duc! 
Il  disait  à  celui-ci  (1)  :  «  Mon  cou'^in,  je  vous  fais  cette  lettre 
k  part  pour  vous  dire  deux  choses  :  Tune,  que  je  n'ai  écrit  la 
leltre  do  ma  main  au  pape  que  [)onr  faire  trembler  le  cardinal 
Alliori,  que,  s'il  voulait  nous  amuser  plus  longtemps,  vous 
avez  ordre  de  recourirà  Sa  Sainteté  mrme  et  de  l'informer  de 
toutes  les  choses  passées,  et  nommément  de  son  manquement 
de  parole;  mais  que  je  ne  désire  pas  qu'en  aucun  cas  vous 
employiez  effectivement  ce  moyen-ci  qui  pourrait  causer  un  si 
sensible  déplaisir  à  Sa  Sainteté^  dans  I  Age  où  elle  est,  qu'il 
serait  capable  de  la  faire  mourir,  et  alors  votre  affaire  se  trou- 
verait encore  bien  plus  reculée  et  plus  incertaine  qu'elle  noie 
saurait  jamais  être  pendant  ce  ponlificat-ci,  quand  même  il 
faudrait  nécessairement  attendre  encore  la  vacance  d'un 
troisième  chapeau.  C'est  pourquoi,  quand  vous  jugerez  qu'il 
sera  temps,  vous  pourrez  vous  faire  un  honneur  et  un  mérit»^ 
auprî»s  du  cardinal  Altieri  de  ne  vouloir,  pour  rien  du  monde, 
donner  cette  afllirtion  h  Sa  Sainteté,  ni  qu'il  put  jamais  être  dit 
que,  pour  votre  intérêt  particulier,  vous  eussiez  contribué  la 
moindre  chose  k  faire  recevoir  quelques  mauvaises  paroles  de 
Sa  Béatitude  à  une  personne,  à  laquelle  vous  voulez  devoir 
un  jour  toute  votre  élévation,  et  partant  que  vous  aimez  bien 
mieux  vous  mettre  sur  le  dos  la  désobéissance  dans  laquelle 
vous  tomberez  envers  moi  en  manquant  d'exécuter  mes  ordres 


nonrnnl  le  désir  d'arcordor  coUp  pràrc  dans  un  délai  que  le  pnpo  fixi^rait,  Mns 
préjudio»^  dp8  droits  et  di»?  intérêts  dos  aiilros  couronnes,  et  des  promesses 
de  bons  offices  qui  ont  été  tenues  et  snivies  d'efftils. 
(1)  20  août  1671.  nome,  215. 


LE   CHÂPFAU    DE    CÉSAR  D*£STRÉES  i4â 

n  ce  point-ci,  que  de  devenir  l'instrument  d'aucune  division 
u  mésinlellig^ence  dans  la  famille  de  Sa  Sainteté,  et  autres 
hoses  semblables,  pour  vous  retirer  honnêtement  de  renga- 
gement où  je  vous  ai  mis,  par  le  discours  que  j*ai  fait  à  Tabbé 
îTibo,  de  recourir  à  Sa  Sainteté  même,  après  les  quinze  jours 
«pires.  »  Si,  sans  parler  du  P.  Gravina  ni  de  l'abbé  Rospi- 
l^liosi,  on  vous  dit  «  que  le  pape  veut  promouvoir  avec  vous 
e  marquis  de  Raden,  nommé  par  rKmpereur,  pour  satisfaire 
la  maison  d'Autriche,  mon  intention  »  est  que  vous  refusiez, 
lisant  «  qu*il  faut  attendre,  en  ce  cas-là,  la  vacance  d*un 
troisième  chapeau,  pour  contenter  la  Pologne  en  même  temps 
que  l'Empereur,  suivant  les  paroles  que  Sa  Sainteté  m'a 
données  et  sur  lcs(|uolles  j'ai  donné  la  mienne  an  roi  de 
Pologne  que  sa  satisfaction  ne  serait  jamais  séparée  de  celle 
de  l'Empereur.  »  Et  Lionne  félicitait  Tévêque-duc  des  armes 
nouvelles  qu'il  mettait  entre  ses  mains,  ou  plutôt,  en  termes 
corri.'spondant  à  la  bassesse  de  ses  sentiments,  de  la  denrée,  de 
la  marchandise  ({\i'\\  lui  envoyait (I)! 

Le  22  août,  avant  que  ces  dépêches  fussent  parvenues  à 
Rome,  Clément  X  intimait  pour  le  surlendemain  un  consis- 
toire où  il  créa  i?i  pelio  deux  cardinaux  et  fit  informer  secrète- 
ment l'évêque  de  Laon  qu'il  avait  la  première  place  dans  cette 
promotion  (2).  Sans  révéler  alors  un  dessein  facile  à  deviner, 
il  ajournait  la  proclamation  publique  à  une  époque  où  il  y  au- 
rait assez  de  vacances  pour  satisfaire  en  même  temps  toutes 
les  couronnes.  Puisque  la  création  in  petto  fixe  invariable- 
mont  le  rang  d'un  cardinal  dans  le  sacré  collège.  César  d'Es- 
Irées  va  sans  doute  se  montrer  reconnaissant  de  cette  éléva- 
tion inespérée?  Non,  il  réclame  sur-le  champ  une  déclaration 
solennelle!  J'ai  droit,  dit-il  (3),  de  me  plaindre  «  avec  toute 
la  hauteur  qni  convient  à  la  grandeur  de  mon  maître  et  qui 


(1)  Lîonne  à  Tév^que  do  I^aon,  môme  jo!ir.  Pome^  215  :  «  Je  ne  vous  ferai 
pas  «le  lonjf»  «liproiirs»,  parce  qu'il  me  semble  que  loute  /a  denrée  qii»*  j»»  von» 
♦*nvoie  est  si  b»nne  qui*  je  ne  dois»  pn8  retarder  d'im  momeDt  le  départ  du 
courrier...  —  Je  croi*  qu'avec  la  marchandise  que  je  vous  envoie  vous  pouvez 
prét*»ndre,  etc..  >» 

(2)  Le  26  aoAt,  le  cardinal  Alti^ri  m'annonça  que  j'iMai?  «  cardinal  comme  lui  ». 
(3j  S*  aoûi-l«'  septembre  4611.  Homej  215. 


444  CHAPITRE   I)Ei:ZIÈlfE 

n*est  pas  opposée  à  mon  naturel  dans  les  affaires  d*éclatelée 
réputation.  >»  Il  hésite  cependant  et  semble  se  souvenir  qui 
est  évoque  et  partie  intéressée;  mais  il  reçoit  les  lettres  écrita 
par  le  roi  et  par  Lionne  le  20  août,  et  il  fait  taire  aussitôt  ce 
dernier  murmure  de  sa  conscience  :  «  J^ai  pensé,  dit-il,  qu 
je  pouvais  quitter  le  ton  de  créature,  dont  je  crus  devoir  user 
lorsque  M.  le  cardinal  Altieri  me  déclara  ma  promotion,  pour 
prendre  celui  d'envoyé  de  Votre  Majesté  et  d'exécuteur  de 
ses  commandements  avec  toute  la  jalousie  qu'on  doit  avoir 
pour  sa  grandeur  et  pour  sa  gloire.  »  Il  retourne  chez  Altieri 
et  s'emporte  avec  tant  d'arrogance  que  le  cardinal  est  obligé 
de  lui  rappeler  qu'après  tout  «  les  papes  sont  maîtres  des  pro- 
motions et  qu*ils  les  peuvent  faire  comme  il  leur  plait...  ■ 
Il  disait  au  roi  :  «  Celte  contestation  fut  si  vive,  que  je  crois 
que  le  cardinal  en  conserve  beaucoup  de  chagrin  contre  moi, 
et  ce  qui  Taugmcnle  vient  de  la  recherche  que  j'ai  faite  de 
beaucoup  de  moyens  qui  établissent  cet  engagement,  que 
j'établirai  puis  après.  J'aurais  un  extrême  regret  de  l'avoir 
poussé  si  vivement  sur  mon  affaire;  mais,  s'agissanl  d'un 
ordre  de  Voire  Majesté  sur  celle  d'un  autre  [M.  de  Bonsy],  el 
voulant  répondre  à  la  confiance  extrême  dont  elle  m'a  honoré, 
je  me  trouvai  plus  animé  en  sortant  de  cette  audience.  » 

Quinze  jours  se  passèrent  sans  que  M.  d'Eslrées  rendît  grâces 
au  pape;  enfin  il  se  présenta  au  palais,  non  pour  porter  dos 
remerciements,  mais,  comme  il  le  dit,  pour  donner  à  ClémentX 
occasion  de  lui  parler  de  la  promotion.  Le  souverain  ponlife 
ne  manqua  pas  de  lui  dire  aussitôt  qu'il  avait  été  bien  aise  de 
satisfaire  le  roi,  et  que  la  déclaration  publique  tarderait  peu. 
J'exprimai,  dit  Tévêque,  ma  gratitude  personnelle,  mais 
j'ajoutai  que  j'étais  étonné  que  Sa  Sainteté  ne  m'eût  pas  encore 
déclaré,  comme  le  demande  un  prince  «  qui  a  plus  de  deux 
cent  mille  hommes  sur  pied  (1)  et  une  infinité  de  vaisseaux  à 


(1)  C'est  le  mot  de  Cacaiill  retourné  :  «  LorsquMl  avait  pris  congé  du  Pre- 
mier ConFU).  M.  Cac»ult  lui  :ivail  demande  comment  il  fallait  traiter  le  pape  : 
Traitez-le,  répondit  le  guenit-r.  comme  s'il  avait  deux  cent  mille  bomuies.  > 
(Artaud,  Histoire  de  Pie  VII,  t.  I,  p.  105.)  —  L*évèquc  de  Laon  tenait  à  a 
pensée  si  peu  généreuse,  si  peu  catholique,  si  peu  française  :  il  l'avait  déjà 
placée  dars  une  conversation  avec  le  cardinal  Altieri,  auquel  il  avait  reproche 


LE  cuapëâu  de  César  d^kstré^s  4i5 

a  mer,  »  au  lieu  de  ména;^er  TËspagne,  <r  un  Etal  faible  et 
tbattu,'  et  qui  à  peine  avait  de  quoi  se  défendre  contre  des 
forces  beaucoup  moindres  que  celles  de  Votre  Majesté;  que 
véritablement  elle  ne  pourrait  apprendre  sans  beaucoup  de 
peine  que  Taulorité  du  saint-siège  eût  été  si  fort  attaquée  en 
ce  rencontre^  et  que  Sa  Sainteté  eût  pu  appréhender  de 
déclarer  une  grâce  qu'elle  avait  résolu  de  lui  faire  (1).  » 

Lorsque  Tévèque-duc  écrivait  ces  lignes,  le  plus  ardent  de 

ses  protecteurs,  Lionne,  venait  de  mourir  (2),  épuisé  par  la 

débauche  et  par  le  travail;  mais  ses  intérêts  ne  furent  pas 

défendus  avec  moins  d*âpreté  par   le  marquis  de  Louvois, 

chargé  des  Affaires  étrangères  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  de 

Pomponne,  ambassadeur  en  Suède,  désigné  pour  succéder  au 

ministre  défunt.  La  famille  le  Tellier  ambitionnait  la  pourpre 

pour  le  jeune  Charles-Maurice,  auquel  la  mort  du  cardinal 

Antoine  Barberini  avait  fait  passer  depuis  quelques  semaines 

l*archevèché  de  Reims;  elle  servit  avec  zèle  MM.  d'Eslrées  et 

de  Bonsy,  dont  il  fallait  assurer  la  promotion  avant  de  réclamer 

celle  du  nouveau  pair  ecclésiastique.  Aussi  n'est-on  point 

étonné  de  retrouver  le  style  brutal  de  Louvois  dans  les  dépêches 

qu'il  préparait  pour  Rome.   Deux  jours  après  la   mort   de 

Lionne,  Louis  XIV  écrivait  à  Clément  X  :  «  Votre  Sainteté  est 

sans  doute  assez  informée  de  la  manière  dont  je  me  gouverne 

pour  juger  facilement  que  le  décès  du  sieur  de  Lionne  n'est 

pas  capable  de  rien  changer  à  mes  résolutions.   »  J'attends 

toujours  avec  la  même  impatience  que  l*év6que  de  Laon  soit 

déclaré  cardinal,  w  La  seule  diiïérence,  si  Votre  Sainteté  agrée 

que  je  le  lui  dise  avec  le  respect  filial  que  je  dois,  est  que  les 


de  oe  pas  a^assurer  par  ses  romplaisaDces  «  TassistaDce  itifaillible  d'un  prioce 
qui  avait  dt?uz  ceut  uiilie  hommes  sur  pied  et  plus  de  ciuq  cents  voiles  à  la 
mer.  »  (L'evèque  de  Laou  au  roi,  !«' septembre  lG7i.  /{omf,  215.) 

(1)  Le  même  au  môme,  S  septembre.  Home^  215. 

(2)  Il  est  assez  curietix  de  rapprocher  de  cette  date  la  lettre  adressée  par 
l>vèque  de  Laoïi  à  Lionue,  le  14  juillet  prècédeut  :  a...  M.  le  cardinal  Antoioe 
m'attend  après  demaiu  à  dluerà  Ncmi,  où  nous  n* oublierons  pas  de  boive  votre 
santé.  Je  fonde  sur  elle  et  sur  l'exlrùmc  bonté  que  vous  avez  poi\r  moi  non 
seulement  toute  mou  élêvaliou,  maiâ  la  plus  sensible  et  la  plus  véritable 
joio  de  toute  ma  vie.  »>  (/?ome,  214.)  —  Le  cariliual  Antoine  mourut  le  3  août 
à  Nemi,  et  Lionne  le  l»'  leptembre  suivant. 


446  CHAPITRE   DBUXIÉlMe 

choses  soQl  présentement  en  un  tel  état  que  Tacconriplissemeil 
de  ces  paroles  ne  peut  plus  èlre  relardé,  sans  vouloir  doota 
que  ce  soit  moi  qui  aie  ordonné  et  fait  les  instances  qui  oui 
été  faites  sur  ce  sujet  et  qui  les  réitère  encore.  »  Le  roi  disait 
en  même  temps  au  cardinal  Altieri  :  «...  Je  mV  attache  toos 
les  jours  plus  fortement  jusqu'à  m'en  faire  un  point  d'honneor. 
Vous  pouvez  juger  par  là  du  plaisir  que  vous  me  ferez  si  vous 
favorisez  ces  instances  en  procurant  la  consommation  réelle 
d'une  grâce  appuyée  sur  des  engagements  trop  solennels  et 
trop  positifs  pour  y  pouvoir  plus  manquer  (1)...  »  La  création 
in  peUOy  dont  la  nouvelle  parvint  à  Saint-Germain  après  le 
départ  de  cette  lettre,  ne  fit  qu'exaspérer  le  roi.  Louvois 
rédigea  une  dépèche  à  l'adresse  de  Tinternonce  Vibo,  loi 
enjoignant  de  transmettre  au  pape  les  plaintes  de  Louis  XIV 
et  de  demander  que  M.  de  Laon  fût  déclaré  dès  Tarrivécda 
courrier.  Mais  un  reste  de  pudeur  détourna  le  roi  de  permettre 
que  cette  lettre  fut  signée;  il  consentit  seulement  que  Louvois 
portât  au  ministre  du  saint-siège  un  message  impérieux,  dont 
il  ne  donnât  pas  de  preuve  écrite,  et  qui  pût  être  nié  parla 
cour  de  France  (2).  Bourlemont  reçut  Tordre  de  déployer  «  la 
dernière  vigueur  »;  —  de  «  sommer  le  pape  et  le  cardinal 

Altieri; de  ne  les  point  laisser  en  repos  »  qu'ils  n'eussent 

déclaré  M.  d'Estrées  et  que  M.  de  Bonsy  ne  fût  nommé  con- 
jointement avec  l'abbé  de  Fulde  (3).  L'évêque  de  Laon  fut 
informé  des  instructions  données  à  Bourlemont,  «  afin,  disait 
le  roi,  que,  dans  le  même  temps  que  le  cardinal  Altieri  vous 
aura  fait  déclarer  cardinal,  vous  ne  soyez  pas  obligé  de  le 
persécuter  de  nouveau;  »  et  l'ancien  secrétaire  de  M.  de 
Chauines,  l'abbé  de  Bigorre,  fut  renvoyé  à  Rome  avec  le 
mandat  spécial  de  suivre  cette  nouvelle  négociation  (4). 

Clément  X  faisait  répondre  par  Altieri  «  que  les  promotions 
étaient  des  choses  si  absolument  dépendantes  des  papes,  et  en 


(1)  Au  pape  et  an  curdioal  Allicri,  3  septembre  1671.  liomef  205. 

(2)  Projet  de  lettre  de   Louvois  à  Vibo,  15  septembre  1671,  et  note  inscrite 
sur  celte  pièce.  Rome,  215. 

(3)  Louvois  à  Bourlemont,  10  et  17  ^eptfmbre  1671.  Rome,  207  et  213. 

(4)  Le  roi  à  l'évêque  de  Laou,  16  9e[»tembre.  Romcy  215;  —  28  octobre  167K 
fiomc,  207  el  216. 


LE   CIJAP£A(T    DE   CÉSAR  D^ESTitÉlCS  4i7 

la  substance  et  en  la  manière,  qu'ils  veulent  être  entièrement 
les  maîtres  (1);  »  mais  ce  langage  si  juste  attirait  à  la  cour 
poutificale   de  nouvelles  menaces.  Louvois  écrivit  à  César 
d*Estrées  :  «  Toutes  vos  lettres,  celles  de  M.  de  Bourlemont, 
et  toutes  les  autres  que  Sa  Majesté  reçoit  de  Rome  lui  fai- 
sant voir  clairement  que  l'intention  du  palais  n'est  que  de 
temporiser,  elle  a  résolu  de  faire  incessamment  partir  AI.  le 
duc  d'EsUées,  de  consulter  M.  le  duc  de  Chaulnes  sur  toutes 
les  mortifications  qu'un  ambassadeur  de  SaMajesté  peut  donner 
à  un  cardinal-patron...  »  J'en  ai  instruit  Tinternonce  et  lui  ai 
déclaré  en  même  temps  que  «  M.  l'ambassadeur  aurait  ordre 
de  faire  connaître  à  M.  le  cardinal  Altieri  que  le  roi  n'est  pas 
satisfait  de  lui,  et  qu'il  irait  si  bien  accompagné  qu'il  ne  crain- 
drait point  que  la  désobligeante  manière, dont  l'ambassadeur  au- 
rait ordre  d'user  avec  lui  lui,  put  rien  attirer  de  fâcheux.  L'abbé 
Vibo  parut  fort  surpris  de  la  fermeté  avec  laquelle  le  roi  m'a- 
vait commandé  de  lui  parler  et  beaucoup  craindre  les  suites 
des  démêlés  personnels  d'entre  l'ambassadeur  et  M.  le  cardinal 
Altieri  (2).  »  Melani  lui-même  s'elForça  vainement  de  faire 
comprendre  à  Louvois  que  cette  conduite  était  inhabile  et 
dangereuse;  il  lui  écrivait  (3)  :  «  M.  le  cardinal  Borromeo 
vient  de  m'assurer  que  M.  le  cardinal  Altieri  n'a  point  changé 
de  dessein  sur  la  promotion  de  MM.  de  Toulouse  et  de  Baden, 
mais  qu'il  voudrait  encore  un  autre  chapeau  (4)  pour  fondre 
la  cloche  tout  d'un  coup,  aPm  que  les  Espagnols  ne  pussent 
après  détourner  la  promotion  de  Gravina  (5)  et  d'un  Rospi- 
gliosi,  son  projet  étant  présentement  de  faire  la  promotion  de 
ces  quatre  personnes,  en  gardant  ùi  petto  M.  de  Laon  pour  le 
déclarer  après,  avec  celui  que  Sa  Majesté  nommerait  et  le  Jé- 


(1)  Bourlemout  à  Louvois,  {"octobre.  Uorne^  215. 

(2)  Louvois  à  révoque  de  LnoD,  6  et  13  novembre  1671.  liome^  216. 

(3)  17  iioveuii)re  1671.  home,  216. 

(4)  Depuis  le  couâisloire  du  24  août,  le  sacré  coliëge  avait  encore  perdu  les 
cardinaux  Viscooti  et  Celsi. 

(5)  Le  P.  Viuceut-Marie  Orsiui,  duc  de  Gravina,  Dominicain,  si  attaché  à 
son  bumble  profoBsiou  qu'il  n'aurait  pas  accepté  la  pourpre  saus  les  ordres 
répétés  de  i^on  général  et  de  Clément  X  :  il  devint  pape  suus  le  nom  de 
Benoit  XUI. 


448  CHAPITKE  DEUXIÈMIC 

suite  (1).  Quand  il  s^agîssaii  de  la  promotion  de  Badenetde 
M.  de  Laon,  le  roi  venait  à  courre  risque  de  perdre  d'une 
main  ce  qu'on  lui  offrait  de  Tautre.  Présentement  que  H.  de 
Laon  est  créé  in  petto^  il  n'y  a  aucun  risque  pour  lui,  d  autant 
que,  la  promotion  de  M.  de  Toulouse  faite,  le  pape  et  le  cardi- 
nal Altieri  ne  sauraient  refuser  de  le  déclarer  par  un  bref  (âj. 
en  attendant  la  publication;  car,  le  pape  venant  à  mourir, le 
roi  aurait  toujours  eu  deux  chapeaux,  sans  que  TËspagne  en 
eût  eu  aucun,  et  M.  de  Laon,  en  vertu  de  ce  bref,  sera  cardi- 
nal comme  si  le  pape  même  l'eût  déclaré  (3).  » 

Ces  manœuvres  allaient  avoir  pour  résultat  une  nomination 
publique  de  M.  de  Bonsy  avant  la  déclaration  de  M.  d'Ëstrées; 
et,  quoique  la  création  m  petto  assurât  au  dernier  la  préséance 


(1)  Le  P.  Jean  Everard  Nidhard,  qui  allait  quiUer  les  cooseils  de  la  régeote 
d'Espague  pour  résider  à  Rome,  comme  chargé  des  affaires  de  Charles  II. 

(2)  Ce  bref,  daté  du  22  septembre  1671,  était  déjà  eutre  les  mains  du  roi: 
«  Guudemus...,  disait  Clémeut  X,  opportuoam  iu  praeseutià  uobis  occasioaem 
prœstari  dou  taotum  ea  coulirmaudi  quiB  dileclus  filius  uoster  cardiaaiis  Âlte- 
rius  ad  te,  Dobis  coDsealieutibas,  dédit,  sed  lis  iosuper  poudus  addetidi  qus 
prœdicto  veuerabili  fralri  [César  d'Ëstrées]  expresse  coram  significavioiua.  > 
{Rome,  215.) 

(3j  Melaui  était  bien  iuformé,  et  Louvois  écrivit  eu  effet  à  Bourlenjontquele 
souverain  poutife  se  proposait,  Iai>saut  in  petto  l'évoque  de  Laou,  de  uommer 
rarcbevôque  de  Toulouse  etjle  caudidat  de  l'Empereur,  avec  deux  créature*  ce 
S.  S.,  mais  que  le  roi  était  uiêconteut  de  ce  projet.  (12  décembre  1671.  Koim, 
216.)  —  Le  jugeineut  de  Alolani  sur  les  prétentions  outrées  du  roi  etiiit  d'au- 
tant moins  su.^pect  qu'il  avait  alors  une  pressante  raison  de  flatter  la  cour  de 
France.  Lionne,  son  principal  protecteur  après  Muzariu,  étant  mort,  il  s'otlrit 
aussitôt  a  Louvois.  C'est  moi,  dit-il,  qui  ai  mené  le  dernier  conclave  ;  j  y  ai 
réparé  les  fautes  des  Français;  j'ai  décidé  l'élection  de  Clément  X.  La  faveor 
de  M.  de  Lionne  m'a  permis  de  rendre  «  de  grands  services  à  la  France.  »Je 
suis  prêt  à  continuer.  «  M.  de  Lionne  eu  avait  pris  l'ordre  du  roi,  et  noî«  tra- 
vaillions pour  cela.  Il  souhaita  de  me  voir  pour  être  iuformé  de  mille  inci- 
dents qui  survinrent  dans  le  dernier  couclave,  aussi  bien  que  des  affaires  et 
des  inlrigues  de  c€tle  cour  et  de  ce  que  S.  M.  pouvait  faire  à  l'avenir.  11  me 
commanda  de  lui  eu  faire  des  méu)oires  qui  doivent  être  dans  sou  cabinet, 
divisés  en  cinq  purlies.  La  première,  etc..  »  Louvois  lut  les  papiers  et  jugea 
qu'il  fallait  ^unier  dans  le  parti  du  roi  un  homme  qui  avail,  d'ailleurs,  promis 
à  Lionne  de  faire  un  de  ses  tils  cardinal,  et  qui  pouvait  reudre  les  uièuies 
olbces  à  rarcbevôque  de  Reims.  (13  octobre  1671.  Home,  215.)  U  lui  ré{)Oud>t 
bieutiM  qu'il  avait  informé  le  roi  de  ses  offres;  qu'elles  étaient  acceptées;  qu'il 
pouvait  lui  écrire  à  lui  même  jusqn  a  l'installation  de  M.  de  Pomponne,  —  et 
ensuite  à  celui-ci  «  avec  la  même  confiance  que  voua  faisiez  à  /eu  M.  de  Lionne,  t 
(30  octobre. /{orne,  216.) 


LE    CHAPEAU    DE  CÉSAR   D^ESTRÉES  449 

sur  son  confrère,  il  redoubla  d'efforts  pour  obtenir  une  publi- 
cation immédiate.  Croyant  Pomponne  installé  déjà  dans  son 
nouveau  poste,  il  lui  fit  entendre  qu'ayant  rendu,  sous  le  pré- 
cédent pontificat,  de  si  grands  services  aux  quatre  évoques 
jansénistes,  il  comptait  en  retour  sur  les  bons  offices  d'un  Ar- 
nauld  :  «  Sans  craindre,  lui  dit-il,  de  me  brouiller  dans  ce 
pays-ci,  louant  trop  un  homme  de  votre  nom,  j'ai  fait  votre 
éloge,  ou  pour  mieux  dire,  votre  portrait  au  pape,  au  cardi- 
nal Altieri,  à  toute  la  cour  et  même  au  général  des  Jésuites... 
Nous  poursuivons  le  dénouement  d'une  promotion  in  petto 
que  cette  cour  diffère  tant  qu'elle  peut  de  déclarer.  Je  crois 
qu'elle  attend  votre  retour  et  qu'elle  veut  qu'il  soit  les  pré- 
mices de  votre  ministère.  Je  ne  doute  pas  que  la  gloire  de 
Sa  Majesté  et  quelques  réflexions  sur  mes  intérêts  particuliers 
ne  vous  portent  à  le  désirer  (1).  »  II  conseilla  au  roi  d'exhorter 
un  parent  de  Clément  IX,  le  cardinal  Gabrielli,  légat  de  Ro- 
magne,  auquel  le  pape  avait  préféré  le  cardinal  Altieri,  à 
venir  disputer,  dans  Rome,  le  pouvoir  à  celui  que  Lionne  appe- 
lait avec  mépris  un  neveu  posticcio  (2)  :  «  ...  Un  coup  terrible 
pour  le  cardinal  Altieri,  disait-il,  ce  serait  que,  dans  le  temps 
que  l'ambassadeur  serait  obligé  de  faire  quelque  déclaration 
contre  lui,  ce  qui  toutefois  ne  peut  arriver,  car  il  préviendra 
infailliblement  cette  extrémité.  Votre  Majesté  engageât  le 
cardinal  Gabrielli,  comme  plus  proche  parent  du  pape,  de  re- 
venir à  Rome  pour  lui  représenter  la  mauvaise  conduite  du 
cardinal  Altieri  et  Tengagementoù  il  met  les  affaires  du  saint- 
siège  par  les  différents  manquements  qu'il  a  commis,  et  l'in- 
jure qu'il  a  faite  à  Votre  Majesté.  Elle  lui  promettrait  de  le  sou- 
tenir en  même  temps.  Il  me  fit  faire  toutes  ces  offres  par  son 
auditeur,  qui  est  son  favori,  quand  je  passai  dans  sa  légation, 
et,  sans  y  entrer,  je  ne  rejetai  point  ses  propositions  (3).  » 
De  concert  avec  M.  Tabbé  Melani,  dont  les  avis  étaient  fort 
goûtés  à  Saint-Germain,  l'évéque  de  Laon  écrivit  à  Pom- 
ponne (4)  :  Si  le  cardinal  Altieri  tarde  encore,  il  faut  «  qu'il 

(i)  1"  décembre.  Home,  216. 

(2)  Melaui  a  Louvois,  31  décembre  1G71.  Aomc,  21G. 

(3)  1"  décembre  1671.  Rome,  210. 

(4)  8  décembre.  Home,  216. 

LODISZIV  KT  LE  Ml.NT-0IÉtiE.  —  II.  20 


450  CHAPITRE    DEUXIÈME 

y  ait  en  même  temps  des  bruits  répandus  de  vaisseaux  et  de 
galères  prêtes  à  s'approcher  pour  soutenir  Tambassadeur  en 
cas  de  nécessité...  »   Faites-lui  entendre   qu'on  se  vengera 
sur  lui  et  sur  sa  famille,  u  Je  vois  si  clairement  les  consé- 
quences de  cette  affaire  pour  la  grandeur  et  la  réputation  de 
Sa  Majesté,...  que  je  me  console  plus  aisément  d'être  Tocca- 
sion  de  ce  démêlé  qui  sera  plutôt  dans  Tapparence  que  daos 
TelTet.  »  Louis  XIV  promit  que  le  duc  d'Ëstrées  aurait  ordre 
«  de  rompre  tout  commerce  avec  le  cardinal  Altieri,  de  ne 
point  visiter  ses  parents,  de  se  prévaloir  de  toutes  les  occa- 
sions qui  se  présenteraient  pour  le  décrier  et  informer  le  col- 
lège des  cardinaux  des  sujets  de   mécontentement  que  lui 
avait  donnés  ledit  cardinal  (i).  »  L'évêque-duc  insista  :  «  Votre 
Majesté,  dit-il  (2),  Ten  pourrait  punir  en  faisant  faire  un  affront 
sanglant  au  frère  et  au  neveu  du  cardinal  Altieri;...  ou  bien 
en  profitant  du  passage  de  ses  galères  qui  pourraient  venir 
jusqu'à  Palo  (3),  qui  n'est  qu'à  un  pas  de  cette  grande  terre 
d'Oriole  qu'ils  viennent  d'acheter  de  la  maison  des  Ursins: 
faire  faire  une  petite  descente,  en  passant,  dans  ce  château,  et 
lui  apprendre  par  là  que  les  rois  ont  les  mains  longues  et  que 
celles  de  Votre  Majesté  sont  bien  d'une  plus  grande  étendue 
que  les  autres.  »  Des  dépèches  de  Melani  développaient  le 
même  plan(4)  et  recommandaient  en  outre  des  attentats  directs 
contre  la  personne  et  contre  le  pouvoir  spirituel  du  souverain 


(1)  Le  roi  à  Tévêque  de  Laoa,  !•«•  jauvier  1672.  Rome,  218. 

(2)  9  janvier.  Rome,  218. 

(3)  «  Si,  après  tout  cela,  il  fera  encore  le  difficile  et  Textravagant  et  qu'il  se 
vante  d'être  trop  glorieux  d'avoir  pour  ennemi  le  plus  puissant  roi  d<î  la  terre, 
comme  il  a  dit  à  quelqu'un,  S.  M.,  ayant  des  galères  qui  ne  font  rien  à  Mar- 
seille, avec  une  seule  promenade  jusques  à  Pulo,  lui  peut  causer  une  appréhen- 
sion si  mortelle  avec  deux  ou  trois  cents  hommes,  qui  pourront  se  promener 
ainsi  jusques  à  Rome,  que  toute  l'Italie  et  tout  le  pacré  collège  s*intéressera 
pour  la  satisfaction  de  S.  M.,  tout  de  inéine  qtiil  arriva  au  traité  de  Pise.  • 
(Melani  à  Louvois,  31  décembre  1071.  Rome^  216.) 

(4)  Melani,  ne  sachant  pas  si  Pomponne  est  revenu  de  Suède,  continue 
de  correspondre  avec  Louvois,  mais  il  adresse  à  Pomponne  les  duplicata  de 
ses  rapports.  Ainsi,  le  5  janvier  1672,  il  écrit  à  Louvois  deux  lettres,  dont  il 
envoie  des  copies,  le  9,  à  Pomponne,  et  répète  encore  à  ce  dernier  :  «  Enfin, 
Monseigneur,  le  roi,  avec  deux  mille  hommes  seulement  et  les  galères  qui 
peuvent  les  amener  à  Palo,  peut  se  rendre  maître  de  Rome  et  chasser  Altieri.  * 
{RomCi  218.) 


LK    CHAPEAi:    DE    CÉSAR    d'eSTRÉES  4o  l 

pontife  :  «  Comme  le  roi,  disait-il  (1),  n'est  pas  on  état  de  rien 
craindre,  Dieu  merci,  et  qu'il  a  assez  de  moyens  pour  mettre 
à  la  raison  ces  messieurs,  il  peut,  avec  ses  galères  seulement 
et  deux  mille  hommes  qu'il  envoie  ici  avec  M.  l'ambassadeur, 
chasser  de  Rome  et  faire  enlever  et  transporter  en  France 
ceux  qui  lui  manquent  de  respect.  L'on  peut  après  faire  exa- 
miner par  la  Sorbonne  si  TÉglise  puisse  (2)  être  gouvernée  par 
un  cardinal  seul,  qui  n*a  nulle  alliance  avec  le  pape,  au  défaut 
d'un  pape  qui  n'est  pas  capable  de  gouverner,  et  si,  pour  le 
bien  de  toute  la  chrétienté,  une  députalion  des  cardinaux,  plu- 
tôt qu'un  seul  qui  dévore  tout  le  bien  de  l'État  ecclésiastique, 
soit  donnée  au  pape  pour  son  conseil.  L'on  peut  demander, 
après  cela,  un  concile  pour  la  réforme  du  népotisme  et  de  mille 
autres  abus  qui  rendent  la  papauté  dangereuse  au  bien  public, 
et  les  embarrasser  d'une  manière  qu'ils  apprennent  à  connaître 
le  roi  et  sa  puissance.  »  Il  faut  provoquer  une  ligue  de  tous 
les  princes  catholiques  contre  le  saint-siège  :  «...  Il  est  del'in- 
térét  de  TEspagnc  et  de  cette  reine  de  se  joindre  au  roi,  non 
seulement  pour  demander  au  pape  la  promotion  des  couronnes, 
mais   pour  lui   faire  instance  de  châtier  et  chasser  Altieri, 
comme  perturbateur  du  repos  public  et  qui  s'est  servi  de  Tau- 
torité  du  saint-siège  avec  mépris  et  pour  maltraiter  les  rois,  et 
qu'il  plaise  à  Sa  Béatitude  de  rappeler  le  cardinal  Gabrielli^ 
son  véritable  parent,  auprès  de  soi,  en  quoi  les  Espagnols  ne 
peuvent  avoir  aucune  difGculté,  ledit  Gabrielli  étant  créature 
de  Barberini.  »  L'Empereur  ne  manquerait  pas  de  se  réunir  à 
l'Espagne  et  à  la  France  dans  les  mêmes  vues.  —  Le  lende- 
main, M.  d'Estrées  écrit  encore  au  roi  :  «  Si  Votre  Majesté 
prenait  le  parti  de  pousser  tout  à  fait  ces  gens  sur  le  prétexte 
de  leur  emportement,  elle  en  pourrait  tirer  plus  d'un  chapeau  ; 
mais  il  faudrait  pour  cela  leur  faire  voir  les  abîmes  ouverts  et 
leur  montrer  des  vaisseaux  et  des  galères  prêtes,  au  premier 
beau  temps,  pour  en  venir  demander  justice  au  pape  (3).  » 
Voilà  comment  débutait,  dans  ses  rapports  avec  le  saint-siège, 

(1)  A  Louvoie,  janvier  1672.  Romet  218. 

(2)  Les  leUres  frauçaises  de  Melani  soat  pleines  dUtaliauisuoes  :  il  écrivait 
plus  souvent  en  italien. 

(3)  10  janvier  1672.  Rome,  21  S. 


452  CHAPITRE   DEtJXtÈMK 

le  prélat  gallican  que  nous  verrons  un  jour  préparer,  dans  Ie5 
rues  de  Rome,  renlèvemenl  à  main  armée  d'un  ministre  dln- 
nocentXI  ! 

Si  Louis  XIV  ne  prêta  pas  encore  Toreille  à  ces  exécrables 
avis^  il  viola  ouverlement,  dans  Tintérèt  personnel  de  Tévéque- 
duc,  le  droit  des  gensel  les  prérogatives  qui  appartiennent  aux 
souverains  pontifes  dans  les  pays  catholiques  :  il  fit  menacer 
Clément  X  de  fermer  sa  cour  et  son  rovaume  à  tout  ministre 
du  saint-siège,  s*il  dilTérait  la  déclaration  de  M.  d'Estrées,  et 
c*est  à  ce  dernier  qu*il  conlia  le  pouvoir  d'imposer  ou  de  retirer 
cette  condition! 

On  se  souvient  que  Clément  IX,  mécontent  du  nonce  Bar- 
gellini,  avait  exprimé  Tintention  de  ne  point  lui  donner 
le  chapeau,  suivant  Tusage,  au  terme  de  sa  mission.  Clé- 
ment X,  sans  rien  précipiter,  résolut  de  le  rappeler  et  de  le 
nommer  vice-légat  d'Avignon.  Louis  XIV  demanda  avec 
hauteur  son  maintien  ou  sa  promotion,  et  prétendit  que  sa 
disgrâce  était  une  offense  à  la  couronne;  Âltieri  répondit  que 
ce  ministre,  n  ayant  plus  la  confiance  du  pape  (1),  aurait  pour 

(1)  C'était  un  esprit  médiocre  et  au  caractère  faible,  que  Lionne  avait  do- 
miné et  doDt  il  ue  parlait  qu'avec  dédaiu  :  «  M.  le  uouce  prendra  congé  do 
roi  cette  semaine  pour  s'eu  aller  à  sa  vice-légation  d'Avignon.  Entre  vous  et 
moif  il  a  fait  toutes  choses  possibles  pour  m'obliger  à  porter  le  roi  à  ne  U  pas 
iaisser  partir.  Je  m'en  suis  défendu  par  toutes  les  raisons  que  vous  poQvei 
juger.  11  ue  faudra,  s'il  vous  platt,  rien  dire  de  delà  de  cette  circonsiaDce, 
pour  n'achever  pas  de  perdre  ce  pauvre  homme,  quoique  je  sols  fort  mal  sa- 
tisfait de  lui  pour  le  discours  qu'il  a  tenu  fort  imprudemment  à  plasieun 
personnes  que  je  l'aurais  sacritié  &  votre  intérêt...  »  (Lionne  à  l'èvéque  de 
Laon,  17  juillet  1671.  Home,  214.)  «  11  est  dans  la  dernière  consternation  et, 
quoiqu'il  fasse  graud  effort  poui  se  contraiudre,  je  crois  que  préseiitemeut  je 
suis  la  personne  du  monde  à  qui  il  veut  le  plus  de  mal,  et  cela  le  plus  iojus- 
tcment  du  monde  :  c'est  pourquoi  aussi  je  ue  m'en  metd  guère  en  peine.  ■ 
(24  juillet  1671.  Home,  214.)  La  sévérité  de  Clément  IX  et  de  Clément  X  et  le  mé- 
pris de  Lionne  ne  sont  que  trop  justifiés  par  le  mémoire  suivant,  où  l'ancien 
ministre  du  saint-siège,  si  complaisant  pour  la  famille  Amauld,  implore  pour 
lui-même  la  protection  de  M.  de  Pomponne,  et  dénonce  le  cardinal  Altieri  au 
ressentiment  de  Louis  XIV  :  «  M.  le  cardinal  Altieri  se  montre  tout  à  fait  con- 
traire à  la  France  en  toutes  choses;  ses  ministres  tant  à  Rome  qu'à  Avignon, 
qui  sont  les  sieurs  Zaccarie  et  Pecci,  ont  les  mêmes  sentiments.  Les  agents  des 
princes  d'Allemagne  et  particulièrement  celui  de  l'Électeur  de  Cologne  sont 
témoins  du  déplaisir  qu'on  a  eu  de  la  prospérité  des  armes  du  roi  et  de  la 
joie  qu'on  a  témoignée  de  l'union  de  l'Empereur  avec  les  princes  d'Allema- 
gne  contre  S(t  Majesté...  »  Le  retard  delà  promotion  de  Hospigliosi  en  est  nue 


LE    CHAPEAU    DE    CÉSAR    d'eSTEIÉES  453 

successeur  François  Nerli,  archevêque  de  Florenco,  dont  la 
personne  ne  pouvait  manquer  d'êlre  agréable  au  roi  (1)  :  en 
effet,  révêque  de  Laon  lui-môme  dépeignit  ce  prélat  à 
Louis  XIV  comme  u  un  homme  de  bonnes  mœurs,...  d'une 
inclination  modérée,...  aimant  Tétude  »,  et  dont  il  n'y  avait  à 
craindre  ni  «  troubles  ni  cabales  »  (2).  Lionne  déclara  cepen- 
dant que  le  roi  «  soutiendrait  autant  qu'il  serait  possible  M.  le 
nonce  dans  son  emploi,  en  rejetant  tous  les  autres  sujets  qu'on 
lui  pourrait  proposer  (3).  »  Cette  prétention  était  si  criante 

preuve.  «  M.  de  Pompoonedoit  considérer  que  M.  BargelUui  aétéUré  de  France 
en  même  temps  qu'on  a  fait  cardinaux  trois  nonces  d'Espagne,  au  préjudice  de 
la  France;...  qu'il  fut  envoyé  à  Avignon  à  la  recomnaandation  de  Sa  Majesté, 
ce  qui  n  a  servi  qu'à  lui  attirer  cent  affronts,  parce  qu'il  a  paru  trop  partial 
pour  la  France.  Ce  ministre  considérera,  avec  sa  bonté  ordinaire,  que  M.  Bar- 
gellini  est  de  la  même  façon  maltraité  à  Rome  et  laissé  sans  emploi,  et  qu*on 
dit  de  lui  qu'il  lui  suffit  d'avoir  été  le  nonce  du  roi;  que  cela  ne  fait  pas  bon 
effet  pour  le  crédit  de  S.  M...  »  Les  affaires  d'Allemagne  auraient  tourné  plus 
avorablement,  si  M.  Bargellini  eût  été  encore  à  Paris  :  il  eût  conseillé  au  pape 
nue  meilleure  conduite.  «  Il  sert  à  quelque  chose  d'avoir  un  nonce  bien  affec- 
tionné... Ces  sentiments  viennent  plutôt  du   zèle  que  M.  Bargellini  a  pour 
le  service  de  S.  M.  que  pour  son  intérêt  particulier,  qui  a  bien  les  sentiments 
qu'il  doit  pour  sa  réputation,  mais  non  pasd^ambitionetde  snpprbe.  Il  demande 
encore  cette  fois  ce  qu'il  peut  espérer  de  S.  M.  et  de  M.  de  Pomponne,  et  de 
savoir  si  ce  ministre  a  écrit  quelque  chose  sur  ce  sujet  à  M.  l'ambassadeur.  •> 
Cette  pièce  est  en  français,  mais  d'une  écriture  italienne,  et  porte  au  dos  : 
«  Mémoire  de  M.  Bargellini.  »  (Rome,  222.)  —  Le  19  février  1673,  le  cardinal  d'Es- 
trées  disait  à  Pomponne  :  «  M.  Bargellini  vous  écrit,  »  et  demandait  qu'on  lui 
répondit  «  obligeamment.  »  {Rome,  225.)  — Maintenu  dans  cette  juste  disgr Ace 
sous  les  pontificats  suivants,  Bargellini  conserva  jusqu'à  la  fin  In  faveur  de 
Louis  XIV,  qui  lui  écrivait  encore,  le  8  mai  1687,  cette  lettre  significative,  dont 
le  brouillon  est  de  la  main  de  Torcy  :  «  Monsieur  l'archevêque  de  Thèhes,  j*ai 
appris  avec  plaisir,  par  la  lettre  que  vous  m'avez  écrite  du  29  mars  dernier^ 
le  dessein  que  von»  avez  de  donner  an  public  V histoire  de  ce  gui  s'est  passé 
de  plus  considérable  pendant  votre  nonciature  auprès  de  moiy  sous  le  pontifi- 
cat de  Clément  IX,  et,  comme  vous  navez  rien  fait,  pendant  ce  temps,  qui 
n'ait  été  à  mon  entière  satisfaction  et  qui  ne  doive  faire  connattre  A  tout  le 
monde  l'habileté  avec  laquelle  vous  avez  toujours  exécuté  les  ordres  de  ce 
saint  pape,  j'approuve  extrêmement  la  pensée  que  vous  avez  de  faire  impri- 
mer cette  histoire  et  de  la  faire  dédier  au  gouvernement  de  Bologne,  et  vous 
devrez  être  persuadé  que  je  serai  bien  aise  de  vous  taire  connattre,  dans  toutes 
les  occasions  qui  s'en  présenteront,  l'estime  que  je  fais  «ie  votre  mérite.  Sur 
ce,  etc.  M  {Rome,  308.) 

(1)  Bourlemont  au  roi,  24  février  1671.  Rome,  212.  Le  roi  à  Altieri,  3  juin 
1671.  Rome,  214. 

(2)  16  et  17  février  1672.  Rome,  218. 

(3)  Lionne  A  Rospigliosi,  20  mars  1671.  Rome,  213. 


454  cHAi>rrRE  dïxxiêlmk 

qu'on  n*osa  pas  d'abord  y  donner  suite,  ni  contester  à  Vibo, 
abbé  de  Rivalta,  auditeur  de  la  nonciature,  le  droit  de  se 
dire  «  chargé  de  faire  les  affaires  du  saint-siège  par  inté- 
rim »  (1).  Mais  Tévëquo  de  Laon  avait  vu,  dans  le  départ  de 
Bargellini,  une  occasion  de  contraindre  la  volonté  du  pape: 
«  Le  nonce  Norli  et  tous  ses  parents,  dit-il,  sonl  dans  une 
grande  inquiétude  du  succès  de  son  emploi,  et  il  est  très  néces- 
saire que  Tabbé  Yibo  puisse  écrire  qu*on  n'écoutera  pas  même 
ce  qu'on  en  peut  dire  de  la  part  du  pape,  si  le  roi  n*a  la  satis- 
faction qu'on  souhaite...  Vous  saurez  mieux  que  personne 
comme  il  faudra  répondre  sur  la  nonciature  de  M.  Nerli.  Je 
m'imagine  que  le  roi  voudra  voir  Taifaire  consommée,  au 
moins  in  petto  ^  avant  que  de  le  recevoir  [2)...  »  En  même  temps 
qu'il  écrivait  ces  dépêches,  il  affirmait  eifrontémeut  à  Rome 
qu*il  appuyait  Nerli  auprès  du  roi,  et  il  demandait  à  Lionne 
une  lettre  qu'il  put  montrer  pour  donner  créance  à  ce  men- 
songe :  «  Quoi  qu'on  réponde,  lui  disait-il,  il  est  nécessaire 
que  je  puisse  faire  voir  des  articles  ostensibles  qui  marquent 
à  M.  le  cardinal  Altieri  que  je  me  suis  employé  de  tout  mon 
pouvoir  pour  la  réception  de  Nerli,  qui  nraccusent  d'une  trop 
grande  crédulité,  etc.  (3)...  »  Après  la  mort  de  Lioune,  Louvois 
écrivit  à  Melani  :  «  Sa  Majeslé  n'a  pas  jugé  à  propos  de  rece- 
voir M.  Nerli  pour  nonce  en  France  auparavant  que  M.  l'évèque 
de  Laon  ait  été  déclaré  cardinal,  à  moins  que  ledit  évèque  ne 
mandât  lui-même  que  cela  pourrait  avancer  son  affaire  (4).  » 
L'intcruonce  Vibo  ne  fut  plus  admis  chez  le  roi  ni  chez  les 
miuislres,  et  Louvois  écrivait  à  l'évèque  de  Laon (5)  :  «<  Je  lui 
ai  déclaré  qu'il  n'aurait  aucune  audience  ni  de  Sa  Majesté  ni 


(1)  Lionne  à  Vibo,  .*>  juin  1G71.  I\nmc,  21 V.  A  lïvOque  tle  Laon,  oO  juin  1671. 
Home,  215. 

{•!)  A  Lionntî,  30  juin  et  U  juillet  1C71.  Rome.  214. 

(H)  Lp  roi  lui  oriivit.  en  effet,  nue  lettre  couforine  à  ce  modèle  et  doot  le 
]iniicip.il  f);ispa.if«*  se  termine  ainsi  :  «...  Et  e'est  là  un  inconvénient  que  ji» 
Vois  que  vous  n'avi  z  pns  reiujuqu»^,  quanti  vous  m'avez  éaût  si  pressarnmenl 
pour  l'accfjtlafiou  pré>ente  iiuriif  Nerli,  ce  gui  fuérne  me  donnerait  lieu  de  mus 
accuser  d  une  trop  t/rande  r rédu/i lé  àaus  une.  uffaire  où  vous  avez  uéaniiioiuâ> 
le  principal  intèn't.  »i;8  août  i()71.  Home,  2[o.) 

(4)  30  u»:IuImv  KHt.  l{omp,'Mi'K 

(o)  a  novembre.  Homey  2: G. 


LE    CHAPKAU    DE    CÉSAR    D*ESTRÉES  485 

de  pas  un  de  ceux  qui  ont  Thonncur  de  la  servir,  qu'elle  n'ait 
eu  une  entière  satisfaction  sur  votre  chapitre.  » 

Mais  bientôt  Févêque-duc  et  la  cour  de  France  se  heurtèrent 
à  un  nouvel  et  grave  obstacle,  suscité  par  leurs  indignes  pro- 
cédés. Le  pape  ayant  eu  avis  que  le  duc  d'Eslrées  devait  venir 
prendre  son  poste  auprès  de  lui,  Allieri  fit  porter  à  Tévèque 
de  Laon  un  billet  où  il  lui  disait  :  Sa  Sainteté  est  prête  à  rece- 
voir l'ambassadeur,  et  compte  que,  par  réciprocité,  le  nonce 
sera  reçu  par  le  roi.  Avez-vous  quelque  communication  à  me 
faire  (1)?  Cetle  simple  question  causa  autant  d'émotion  à  Saint- 
Germain  qu'au  palais  Farnèse.  Réclamer  la  réciprocité  entre 
le  pape  et  le  roi  de  France!  Comparer  un  nonce  apostolique 
à  un  ambassadeur  français  !  c'est  ce  que  l'orgueil  gallican  no 
put  jamais  supporter.  La  modération  naturelle  de  Pomponne 
répugnait  aux  insolences  dont  Lionne  avait  introduit  la  cou- 
tume, et  l'emphase  de  ses  instructions  au  duc  d'Ëstrées  cache 
mal  l'embarras  du  nouveau  ministre.  Un  mémoire  ostensible 
débutait  ainsi  :  «  La  dignité  du  roi  ne  souiïre  pas  que  la  cour 
de  Rome  puisse  avoir  d'autre  part  dans  le  choix  ou  la  récep- 
tion de  ses  ambassadeurs  que  d'accepter  avec  reconnaissance 
l'honneur  qu'elle  reçoit  du  plus  grand  prince  de  la  chrétienté, 
jet  d'une  couronne  dont  les  mérites  sont  si  anciens  et  si  conti- 
nuels envers  le  saint-siège.  Le  droit  et  la  possession  (2)  dans 

ri)  H  jaDTier  1672.  Rome,  218. 

(2)  Le  droit  n'a  jamais  varié  :  la  loi  de  réciprocUé,  à  laquelle  sont  soiimlA 
les  80uveraiu8  indépeadauts,  n'était  assurémeutpasamoiodrie  par  la  réanioa 
des  deux  puisFauces  en  la  personne  du  pape.  Quant  À  la  possession,  le  duc  de 
Ctiaulnes,  dernier  auibo8sadenrà  Home,  écrivait  en  1667  :  «  A  propos  de  nonce, 
j'tturais  bien  envie  de  faire  quelque  chose  gui  pût  mettre  le  roi  plus  qu  en  pré- 
tention d*agréer  ceux  que  les  papes  nomment,  n  (A  Lionne,  !«'  novembre. 
Home,  187.)  Plus  tard,  consulté  par  Pomponne,  il  répondit  :  Clément  IX,  s'é- 
tant  arrêté  au  nom  de  Bargellini,  était  sur  le  point  de  m'auuoucer  ce  choix, 
lorsque  je  le  prévins  et  lui  demandai  moi-même  ce  prélat  de  la  part  du  roi, 
avec  paroles  obligenules  pour  le  pape  qui,  «  ne  pouvant  rebuter  ces  civilités, 
fut  comme  forcé  d'accorder  la  demande  que  je  lui  fis,  an  lien  de  me  déclarer 
la  nominaliou  qu'il  avait  fuite  de  M.  Bargellini.  Et,  comme  les  exemples  à 
Home  sont  souvent  bien  plus  forts  que  les  raisons  et  qu'ils  autorisent  les  pré' 
tentions  el  les  ufTcrmiasent  souvent,  je  crois  que  de  ce  dernier  l'on  pourrait 
prétendre  à  Vavenir  que  non  seulement  le  consentement  du  roi  est  nécessaire 
pour  le  choix  du  nonce,  mais  que  ce  doit  être  à  S.  M.  de  proposer  des  sujets, 
leuN  partiiilités  devant  6ti*e  bien  plus  indilTéreiiteA  au  p&pë  qu'au  roi.  »  (20  jan- 
vier 1672  :  Mémoire  de  Af.  le  duc  de  Chuulnes  sur  les  nonces,  Itotne^  218.)  n  fttut 


456  CHAPITRE   DEUXIÈME 

lesquels  est  Sa  Majesté  de  ne  point  recevoir  les  nonces  qui 
lui  sont  destinés,  qu'elle  n*ait  examiné  auparavant  s*ils  lui 
sont  agréables,  et  l'assurance  qu*elle  doit  avoir,  ou  que  le 
palais  de  Rome  n'approuve  pas  ces  sortes  de  bruits,  ou  qu'en 
tout  cas  il  n'oserait  les  soutenir  à  la  vue  de  son  ambassadeur, 
ne  laissèrent  pas  délibérer  un  moment  Sa  Majesté  d'or- 
donner au  duc  d'Estrées  de  continuer  son  voyage  (1)...  »  Or, 
un  mémoire  confidentiel  nous  apprend  que  cette  assuraace 
manquait  absolument  au  ministre  et  au  roi(2).  Ils  s'expriment 
l'un  et  l'autre  avec  peu  de  précision  :  ils  n'ont  aucun  motif 
de  refuser  Nerli,  mais  ils  ont  peur  que  sa  réception  ne  paraisse 
leur  être  imposée  par  la  fermeté  de  la  cour  pontificale.  L'am- 
bassadeur devra  la  promettre  dès  son  arrivée,  mais  en  récla- 
mant aussitôt  la  déclaration  de  M.  d'Estrées.  Ils  voudraient 
bien  menacer  le  palais,  en  cas  de  refus,  de  fermer  l'entrée  du 
royaume  annonce  même  agréé;  mais,  disent-ils,  «  depuis  que 
le  palais  s'est  voulu  attribuer  le  droit  d'accepter  ou  de  ne  pas 
accepter  l'ambassadeur»  ce  moyen  pourrait  paraître  accom- 
pagné de  quelque  inconvénient.  »  Et,  comme  la  raison  et  la 
jusliccleur  échappent,  ils  ne  mettent  leur  espoir  que  dans  la 
violence  :  «  Parce  que.  dit  Pomponne,  dans  une  affaire  de  cet 
éclat  et  dans  laquelle  le  duc  d'Estrées  se  trouverait  opposé 
dans  Rome  au  crédit  et  à  l'autorité  d'un  cardinal-neveu,  il 
importe  qu'il  soit  en  état  de  soutenir,  même  avec  la  force,  les 
marques  qu'il  lui  voudrait  donner  du  mécontentement  de  Sa 
Majesté,  Sa  Majesté  a  jugé  à  propos,  en  cas  que  l'ambassa- 
deur le  juge  nécessaire,  d'appeler  le  cardinal  d'Esté  (3)  à 
Rome,  de  le  prier  de  la  part  de  Sa  Majesté  d'y  venir  bien 
accompagné,  afin  que  ce  qui  viendrait  de  gens  à  la  suite  de 

ajouter  qu'en /ai/,  pour  assurer  plus  d'efficacité  au  ministère  de  leurs  oooces 
et  pour  engager  les  cours  catholiques  à  user  de  réciprocité,  les  papes  avaient, 
à  diverses  époques,  comuiuui(|né  aux  priucen  des  listes  de  deux,  trois  et  même 
quatre  noms,  —  et  qu'ils  avaitMit  tenu  compte  des  objeclious  faites  contre 
certains  prélats. 

(1)  26  janvier  1072  :  «  Mémoire  du  roi  au  sieur  duc  d'Estrées^  son  ambassa- 
deur à  Home.  »  {Recueil  des  instructions  aux  ambassadeurs,  p.  203.) 

(2)  Second  mémoire,  daté  du  28  janvier  1672.  Rome,  218. 

(3)  On  se  rappelle  le  rôle  odieux  de  ce  prélat  dans  l'affaire  de  Créquy,  et  en 
d'autres  rencontres  où  les  gens  à  la  suite  de  ce  prince  firent  couler  le  sang 
dans  les  rues  de  Rome  ! 


LE    CHAPEAU    DE    CÉSAR    D*ËSTRÉES  457 

ce  prince,  et  ce  qui  se  pourrait  réunir  do  Français  dans  Rome 
k  la  maison  de  l'ambassadeur,  le  mettent  en  état  de  marcher 
parla  ville  dans  le  dessein  de  ne  faire  pas  arrêter  son  carrosse 
à  la  rencontre  dudit  cardinal.  »  Enfin  le  roi  autorise  les  deux 
frères  à  réveiller  l'affaire  de  Castro.  Pomponne  écrit  à  Tévêque 
de  Laon  :  ce  II  peut  être  bon  de  maintenir  de  temps  en  temps 
cette  prétention  à  la  cour  de  Rome,  et,  comme  me  disait  il  y 
a  quelques  jours  l'abbé  Siri  (1),  de  réserver  dans  les  besoins 
questa  spada  arrugiiiila  del  trattato  di  Pisa  !  » 

La  sag-esse  de  la  cour  pontificale  s'appliquait  à  prévenir  les 
conflits  que  les  Français  recherchaient  avec  tant  de  témérité. 
Clément  X  avait  rappelé,  dans  les  termes  les  plus  mesurés, 
le  principe  qui  doit  régir  les  rapports  de  Rome  avec  cette 
couronne  :  «  L'honneur  du  saint-siège  demande  qu'en  rece- 
vant un  ministre  de  Sa  Majesté  on  ne  refuse  pas  celui  du 
pape  (2).  »  La  personne  de  l'ambassadeur  lui  était  indifférente  : 
elle  ne  pouvait  pas  lui  être  moins  agréable  que  celle  de 
Tévêque-duc.  Il  avait  mis  tous  les  torts  du  côté  de  Louis  XIV 
en  lui  désignant  pour  la  nonciature  quatre  candidats  dont  le 
caractère  ne  souffrait  aucune  objection  (3),  et  il  sacrifiait  toute 
vaine  susceptibilité  à  l'avantage  d'établir  le  plus  tôt  possible, 
à  Paris,  un  ministre  habile  et  fidèle.  Enfin,  une  troisième 
place  ayant  vaqué  dans  le  sacré  collège,  il  convoqua  pour  le 
22  février  un  consistoire  où,  après  avoir  déclaré  que  l'un  des 
deux  cardinaux,  créés  in  petto  le  24  août  précédent,  était  le 
marquis  de  Baden,  abbé  régulier  de  Fulde  (4),  nommé  par 
l'Empereur,  il  éleva  au  même  rang  le   P.   Vincent-Marie 


(1)  Résident  du  duc  de  Paroie  k  Paris,  12  février  1672.  Rame,  218. 

(2)  L^évêque  de  Laon  au  roi,  19  janvier  1672.  Rome^  218.  u  On  ne  parle  plus 
du  refus  de  M.  rambassadeur,  mais  seulement  de  la  convenance  réciproque 
et  comme  nécessaire  de  la  déclaration  du  nonce  en  môme  temps,  m  {Ibid.)  — 
Le  cariiinnl  Altieri  m'a  mandé  pour  me  dire  qu'il  n*a  jamais  refui^é  riimha<«- 
iadeur;  qu*i)  a  seulement  soutenu  qu'il  était  do  convenance  que  le  nonce  fût 
agréé  eu  même  temps;  que  tout  autre  bruit  est  faux.  (Bourlemont  à  Pomponne, 
18  février  1672.  Rome,  219.) 

(3)  Uévéque  de  Laon  au  roi,  16,  17  et   23    février  1672.  Rome,  218  et  219. 

(4)  L'abbé  do  Fulde  a  demandé  la  dispense  de  porter  l'habit  bénédictin, 
mais  le  pape  refuse  :  «  la  coutume  est  indispensable  ici  que  les  reUgicux  qui 
sont  promus  au  cardinalat  honorent  l'habit  de  leur  ordre.  »  M.  de  Baden  s'est 
cootenté  de  cett<  réponse.  (Bourlemont  à  Pomponne,  8  mars  1672.  Rome,  S19.) 


458  CHAPITRE  *DEUXrÈME 

Orsini  (1)  et  M.  de  Bonsy,  et  créa  un  troisième  cardinal  doÉ 
le  nom  fut  réservé.  Personne  ne  doutait  que  ce  dernier  cfai- 
peau  ne  fût  destiné  à  Tancien  Jésuite  Nidhard,  arclicvèqic 
d'Édesse,  présenté  par  TEspag^ie,  et  dont  la  déclaration  dépct- 
dait  d*une  négociation  ouverte  entre  Rome  et  Madrid.  Qk- 
ment  X  avait  donc  observé  les  égards  dus  à  toutes  leseoi- 
ronnes.  L*Espagne  n*était  pas  fondée  à  se  plaindre  d^ime 
promotion  où  la  maison  d*Âutriche  gagnait  un  cardinal  poor 
chacune  de  ses  branches;  mais,  comme  son  candidat,  Tarche- 
vèqiie  d*Edesse,  n*élait  pas  encore  proclamé,  un  rela/dail.poar 
la  ménager^  la  déclaration  de  M.  d'Ësirées;  et  cet  ajounie- 
ment  ne  pouvait  être  critiqué  par  les  Français  qui  recevaient 
une  faveur  exceptionnelle  en  la  personne  de  M.  de  Bonsy. 
Aussi  Tabbé  dn  Bourlemont  félicitait  sa  cour  :  «  Après  les 
paroles  positives,  disait-il  (2),  que  le  pape  et  le  cardinal-neveo 
m'avaient  données  pour  faire  savoir  au  roi  que  les  promotions 
de  Baden  et  de  Toulouse  iraient  ensemble,  je  n*ai  jamais  cnif 
quoi  qu*on  piit  dire^  que  Ton  y  manquât.  Seulement,  il  était  à 
craindre  que  l'on  ne  porlAl  raiïtiire  jusqu'à  la  promotion  des 
couronnas...  » 

Mais,  quoique  la  préséance  de  M.  d'Estrées  sur  le  cardinal 
do  Bonsy  fût  fixée  depuis  le  2 1  août  i  671 ,  la  jalousie  de  Tévêqur 
(liic  contre  son  collègue  l'entraîna  aux  plus  singulières  extra- 
vagances; il  écrivit  au  roi  (3)  :  «  Le  palais  espère  que  la  pro- 
motion de  M.  de  Toulouse  satisfera  Votre  Majesté  et  servira 
di'  preuve  des  intentions  qu'il  a  toujours  eues  de  la  contenter. 

(1)  Des  ducs  (le  Gravina,  ruiné  de  sa  fuiiiille  et  qui  avait  cédé  sod  titre  à 
son  Frère  puîné.  »  Le  courrier  qui  a  été  dépêché  au  P.  Graviua  pour  lui  porter 
la  nouvelle  de  sa  prouiotiou  rapporte  qu'il  a  fait  graude  difficulté  de  recevoir 
ct'tlc  disrnllé.  Cela  obligera  le  pape  à  lui  commander  de  Taccepter,  aiusi  qu'il 
sVsl  prati(|ué  autrefois  vers  de.-^  religieui  qui  out  voulu  faire  ces  façons-ia-  Le 
)>at>e  Alexandre  VU  eu  u^^a  ainsi  à  lej^ard  du  P.  Pallaviciui,  Jésuite.  »  (Boarle- 
niont  à  Pomponne,  1*''  mars.)  —  «  Le  P.  de  Graviua  a  refus<i  le  cardionlat, 
quelque  instance  que  les  cardinaux  Palluvicini  [uo  autre  que  le  Jésuite  dool 
ou  vient  de  parler].  Honr.ompaguo  et  llossetti,  qui  se  sont  trouvés  h  Bt-tlogoe, 
lui  aient  faite.  Le  courrier  en  est  arrivé  ce  maliu  et  l'on  en  n  dépéché  un 
autre  avi'c  un  commandt-meut  absolu  que  le  pape  lui  fait  irac^cpter.  et  fou 
fait  partir  le  ^rénrral  des  Jiicobius  eu  même  temps  pour  l'aller  per^ioader.  - 
(L'evéque  de  Laon  au  même,  2  mar«.  Home,  219.) 

(2;  A  Pomponna.  23  février  1671  liomc,  219. 

(:\)  23  février.  /?o;»f,  219. 


LE    CHAPEAU    DE    CÉSAR    D*£6TRÉES  459 

Dans  la  vérité,  il  est  avantageux  au  service  de  Votre  Majesté 
que  le  nombre  des  cardinaux  nationaux  augmente  et  surtout 
par  un  sujet  capable  de  la  servir;  mais,  Sire,  les  circonstances 
en  sont  bien  extraordinaires...  Cette  promotion,  faite  dans 
l'instant  de  l'arrivée  de  M.  l'ambassadeur,  préjudiciera  extrê- 
mcnaent  au  crédit  que  les  affaires  de  Votre  Majesté  demandent 
qu'il  établisse  en  cette  cour...  En  mon  particulier,  après  la 
gloire  d'èlrc  martyr  pour  le  ciel  qui  n'entre  en  comparaison 
avec  aucune  autre  chose,  je  n'en  imaginerai  jamais  de  plus 
grande  que  de  l'être  du  service  et  de  celle  m^me  de  Votre  Ma- 
jesté. »  Non  content  de  ses  perfides  iosinualions  contre  M.  de 
Bonsy  (1),  il  dépêche  en  France  son  socrélîiire,  l'abbé  de  Saint- 
Martin  Barez(2),  pour  faire  défendre  par  le  roi  à  Tarchevêque 
de  Toulouse  de  recevoir  la  barrette  envoyée  par  le  pape  et  il 
écrit  (3)  :  «  Il  n'y  a  personne  dans  toule  la  ville,  hors  ceux  qui 
sont  de  liaison  avec  le  palais,  qui  ne  dise  qu'assurément  Sa 
MaJQslé  ne  recevra  point  le  Cataloni  (4),  si  ce  n'est  qu'il  lui  rap- 
porte la  déclaration  du  chapeau  de  M.  de  Laon;  que  c'est  par 
où  elle  commencera,  quand  elle  saura  sa  venue,  de  lui  faire 
(lire  et  déclarer  elle-m^me  que,  s'il  apporte  la  déclaration, 
elle  consentira  de  lui  faire  l'honneur  de  le  voir,  mais  que,  sans 
cela,  il  peut  s'en  retourner  comme  il  est  venu,  ne  voulant  Ten- 
l(M)dre  ni  le  voir,  ni  admettre  directement  ni  indirectement 
aucune  communication  avec  lui.  On  ajoute  même  tout  publi- 
quement qu'il  ne  faut  pas  douter  que  le  roi  (ainsi  qu'en  un  cas 
à  i»eu  près  semblable  le  pratiqua  Charles  V)  ne  supprimât  la 
Cil  lotte  envoyée  au  cardinal  de  Bonsy,  si  elle  n'était  rete- 
nue par  la  considération  du  roi  de  Pologne,  à  la  nomination 
(lu(]uel  appartient  cette  promotion.  Et  même  ils  passent  jns- 
quesà  dire  que  Sa  Majesté  ne  ferait  rien  qui  ne  fut  digue  de  sa 
jirudence,  s'il  renvoyait  ledit  Calaloni  plus  vile  qu'il  ne  serait 
venu,  et  déclarât  à  M.  le  cardinal  de  IJonsy  qu'il  ne  lui  fera 

(1)  A  Pouiponnp,  nu* me  jour.  Ihid. 

(2)  Diinhîl  <le  Saint -Murtiu  Barez  oii  de  Barrez,  abbé  de  la  Cast^  Dieu  (Pré- 
inniilré),iiu  diorèso  d'Auch. 

(:j)  •  Second  m^nioin^  pour  M.  l'dbb.'î  de  Saiul-.M.irliu  j»uup  parler  au  roi  et 
à  M.  de  Pomponijo.  >.  Home,  211). 

{\)  Labbé  Calaloni,  ininutante  de  la  seçrélaireric  d'État,  chorgé  de  porter  la 
bairelle  au  Douveau  cardinal. 


460  CHAPITRE  DEDXlfcMK 

pas  plaisir  de  lui  parler  en  aucune  manière  des  affaires  di 
Rome,  jusqucs  à  ce  qu'on  ait  réparé  Tinjure  faite  à  SaMajestf 
et  publié  pour  cet  effet  la  promotion  de  H.  Laon.  »  Louis  XI? 
ne  daigna  pas  remercier  Clément  X  de  la  grâce  accordée  à 
M.  de  Bonsy  :  après  Tavoir  rappelée  négligemment,  il  fitu 
pape  de  longs  et  amers  reproches  sur  la  déclaration  retardée 
de  M.  d*Estrées(i).  Puis,  prenant  avec  le  cardinal  AUierile 
ton  d*un  mallre  irrité,  il  lui  écrivit  en  ces  termes  (2)  :  n  Entre 
le  choix  que  je  vous  donne  de  mériter  mon  amitié  ou  mon  in- 
dignation, je  ne  dois  pas  douter  que  vous  ne  preniez  le  parti 
qui  s'accorde  le  plus  avec  la  gloire  et  la  justice  de  Sa  Sainlelé. 
avec  la  satisfaction  d'un  prince  qui  sait  et  peut  mieux  recon- 
naître les  sentiments  d'affection  que  l'un  a  pour  lui,  et  avec 
l'avantage  et  Tintérèt  qui  vous  peut  revenir  plus  sûrement  de 
la  certitude  de  ma  bienveillance  et  de  mon  estime.  »  Mais  ces 
nouvelles  menaces  étaient  inutiles.  Clément  X  avait  donDéà 
la  cour  de  France  le  temps  de  réfléchir  qu'elle  abusait  sc|nda- 
leuscment  du  droit  de  présentation  que  la  coutume  lui  recon- 
naissait :  le  pape  et  la  régente  d'Espagne  s'étant  mis  d'accord 
sur  les  dini(*ultés  qu'avait  soulevées  la  situation  personnelle 
de  Nidhard,  Louis  XIV  put  bientôt  se  flatter  d'avoir  introduit 
violemment  dans  le  sacré  collège  un  des  plus  méprisables 
évêques  de  son  royaume. 

Le  duc  d'Eslrées  s'était  embarqué,  le  6  février,  à  Marseille, 
pour  venir  prendre  possession  du  palais  Farnèse,  où  il  de- 
meurajusqu'à  sa  mort,  en  4687.  C'était  un  homme  d'un  esprit 
étroit  et  commun,  incapable  de  traiter  les  affaires  ecclésias- 
tiques. Son  ignorance  et  la  faiblesse  de  son  caractère  permirent 
à  son  frère  de  prendre  sur  lui  un  empire  absolu,  et  l'ambassa- 
deur, inspiré  parTévèque,  se  porta  plus  d'une  fois  à  des  actes 
qui  répugnaient  à  sa  droiture  naturelle.  Reçu  à  Cività-Vec- 
chia  avec  de  grands  honneurs,  et  à  Rome  avec  la  courtoisie  li 
plus  empressée,  il  est  comblé  d'attentions  par  le  pape  etparAl- 
tieri.  Ce  cardinal  le  visite  incognito,  «  ce  qui  est  une  chose,  dit 
le  duc,  laquelle  ne  s'était  pas  encore  pratiquée. . .  avec  aucunam- 


(1)  10  mars.  Rome,  219. 

(2)  il  mars.  Ibid. 


LE    CHAPEAU    DE   CÉSAR    D*ESTRÉRS  461 

bassadeur,  et  cela  a  été  remarqué  comme  une  très  grande  dis- 
"  tinclion  pour  moi(l).  »  Clément  X  Taccueille  «  d'un  visage  fort 
ouvert  »,  et  lui  dit,  dès  la  seconde  audience  :«  ...Lapromozione 
è  faita;  la  vogliamo  dichiarare.  »  Le  cardinal-neveu  ajoute  : 
«  Bisognava  per  questo  un  poco  di  tempo  per  poLer  farlo  con 
fonore  délia  Santa  Sede  e  qualche  niezzi  termini  con  li  Spa- 
nuoli.  ))  Le  cardinal  Borromeo,  secrétaire  d'État,  lui  fait  remar- 
quer «  qu'en  six  mois  Sa  Majesté  a  obtenu  deux  chapeaux: 
qu'il  en  a  coûté  deux  au  1res,  pour  la  symétrie,  au  cardinal 
Allieri;...  que  le  pape  n'a  fait  encore  que  quatre  créatures; 
que,  dans  les  quatre  chapeaux  donnés  aux  couronnes,  il  n'y 
a,  à  vrai  dire,  qu'un  Espagnol  contre  deux  Français,  et  un 
Allemand,  qui  véritablement  est  dépendant  de  la  maison  d'Au- 
triche, mais  qui  est  [l'abbé  de  Fulde,  né  marquis  de  Baden] 
d'une  nation  en  soi  indifférente  (2).  »  Pomponne  avoue  avec 
plaisir  que  «  la  face  de  Rome  est  un  peu  changée  et  que  la 
venue  de  l'ambassadeur  semble  apporter  quelque  tempéra- 
ment à  la  chaleur  qui  y  paraissait  auparavant  (3).  »  Cataloni, 
loin  d'être  chassé  de  Saint- Germaip,  y  reçoit  le  meilleur  trai- 
tement (4).  Le  pape  fait  partir  aussitôt  (23  avril)  le  nonce  Ncrli 
pour  la  France,  et  le  roi  est  informé  que  l'évèque  de  Laon  sera 
déclaré  dans  un  très  prochain  consistoire  (5).  L'ambassadeur 
entend  Clément  X  lui  dire  avec  bonté  :  «  Sara  presto  conso- 
laiOy  »  et  il  écrit  :  «  Je  dois  bien  souhaiter  la  conservation  du 
pape;  car  je  suis  fort  avant  dans  ses  bonnes  grâces,  et,  M.  le 
cardinal  Borromeo  Tétant  allé  voir  après  mon  audience  du 
vendredi,  Sa  Sainteté  lui  dit  que  j'en  usais  d'une  telle  manière 
avec  elle  que  je  lui  avais  gagné  le  cœur,  et  qu'elle  avait  une 
si  grande  satisfaction  de  me  voir  qu'elle  croyait  que,  si  je  la 
voyais  plus  souvent,  elle  s'en  porterait  mieux  (6).  » 

Dès  le  16  mai   1672,  l'évèque  de  Laon  et  l'archevêque 

(1)  Au  roi  et  à  Pompooue,  16  mars  1672  ;  au  roi,  22  mars,  6  et  12  avril.  Romit 
219  et  220. 

(2)  Au  roi  et  à  Pomponne,  12  avril.  Romet  220. 

(3)  A  l*évi^que  dd  Laou,  15  avril.  Romey  220. 

(4)  Le  roi  au  pape;  Pompoune  aux  cardiuaux  Altieri  et  Borro:n30,  23  avril. 
Rome,  220. 

(5)  Le  pape  et  Allieri  au  roi,  10  mai.  RomCj  22U. 

(6)  Le  duc  au  roi,  10  mai.  Romey  220. 


462  CHAPITRE   DEUXIÈME 

d'Edcssc  étaient  déclarés  cardinaux.  Le  souverain  ponli& 
rapprit  à  Louis  XIV  par  une  lettre  de  sa  main,  et  AUieri,r^ 
cevant  les  remerciements  de  l'ambassadeur,  lui  exprima,  daes 
un  langage  simple  et  élevé,  digne  d'un  cardinal  et  duo  mi- 
nistre du  pape(l),  les  meilleurs  sentiments  pour  le  prince  et 
pour  la  nation.  Le  roi  répondit  à  Clément  X  et  au  cardinal 
patron  avec  une  courtoisie  hautaine.  Il  disait  à  Altieri  :«  De 
tout  ce  qui  s'est  passé  dans  cette  affaire,  je  ne  veux  plus  ou 
souvenir  que  de  la  nomination  que  Sa  Sainteté  fit.  Tannée  der- 
nière, du  sieur  évèque  de  Laon  pour  la  dignité  de  cardinal,  de 
la  déclaration  qu'elle  en  vient  de  faire  à  cette  heure,  et  de  U 
part  que  vous  y  avez  eue.  Je  ne  veux  pas  oublier  toutefois  tout 
le  temps  qui  s  est  écoulé  entre  deux,  parce  que  je  veux  con- 
server avec  plaisir  la  mémoire  de  la  promotion  du  sieur  cardi- 
nal de  Bonsy.  Je  sais  à  quel  point  vos  bons  offices  y  ont  con- 
tribué. Je  veux  bien  vous  dire  qu'ils  m'ont  été  très  agréables, 
et  vous  reconnaîtrez  en  toute  occasion  que  les  soins  de  me 
plaire  et  de  me  témoigner  de  Taffection,  dans  les  choses  qui 
•  regardent  ma  gloire  ou  mes  intérêts,  ne  meurent  jamais  auprès 
de  moi  (2).  »  Il  écrivit  en  même  temps  à  Tévêque  de  Laon  : 
«  A  présent  que  votre  alfaire  s'est  terminée  avec  toute  ma  di- 
gnité, je  désire  que  vous  changiez  en  assurances  de  monalTec- 
lion  et  de  ma  protection  pour  le  cardinal  Altieri  toute  la  fer- 
meté que  vous  lui  avez  fait  paraître  auparavant;  que  vous 
fassiez  bien  connaître  au  pape  que  la  vénération  et  le  respect 
filial  que  j'ai  toujours  eus  pour  sa  personne  sont  encore  aug- 
mentés par  cette  marque  si  effective  de  son  amitié  pour  moi, 
et  qu'il  peut,  dans  les  occasions,  se  promettre  do  véritable» 
preuves  de  la  mienne  (3).  »  Déjà,  depuis  quelques  jours,  César 
d'Estrées  daignait  solliciter  «  des  réponses  extrêmement 
tendres  et  obligeantes  à  Tégard  du  pape  »  et  «  dos  expressions 
douces  et  satisfaisantes  pour  le  cardinal  Altieri  »  (4).  Son  in- 
térêt seul  avait  réduit  le  brutal  prélat  à  cet  effort  passager  de 
modéralion  :  il  n'était  pas  encore  déclaré,  et  il  savait  que  ses 

(1)  Bref  au  roi;  le  duc  au  roi,  IG  mai.  Home,  221. 

(2)  Au  pape  et  à  Altieri,  tî  juin.  Rnme,  221. 

(3)  Ibid. 

^4)  A  Pomponne,  10  mai.  Rome,  220. 


LE  CHAPEAU    DE  CÉSAR    D*ESTRÉES  i63 

.3rocé(lés  trouvaient  de  nombreux  censeurs  à  Rome  et  en 
.France.  Le  16  mars,  il  disait  au  roi  :  Le  palais  m'en  veut  de 
«  la  conduite  trop  haute  que  j'ai  tenue  avec  eux  sur  TaiVaire 
du  nonce  et  sur  ]a  venue  de  l'ambassadeur.  »  L'abbé  Vibo 
écrit  ici  que,  «  représentant  à  un  des  ministres  de  Votre  Ma- 
jesté ma  résistance  sur  la  nonciature,  votre  ministre  lui  aurait 
répondu  ces  mots  en  parlant  de  moi  :  Passons-lui  encore  ce 
pas  de  clerc-là.  »  —  Et  le  10  mai,  le  duc  d'Estrées,  à  Tinstiga- 
tion  de  son  frère,  disait  à  Pomponne  :  «  Par  une  audace  qui 
sans  doute  mérile  d'être  réprimée,  Ugo  Maffei  a  mandé  au  car- 
dinal Mai  dalchini(l),  comme  vraisemblablement  il  aura  fait  à 
beaucoup  d'autres,  que  je  témoignais,  à  la  vérité,  de  ladouceur 
et  de  rhonnëteté,  mais  que  je  changerais  bientôt  ce  procédé  en 
des  violences  qui  me  seraient  inspirées  par  M.  de  Laon,  par 
M.  Tabbé  de  Servient  et  par  Jes  abbés  Scarlati  et  Melani(2).  » 
L'év6que-duc,  en  elfet,  ne  désarma  pas,  et,  le  jour  même  où 
il  fut  déclaré,  il  écrivit  à  l'archevêque  de  Toulouse  en  termes 
qui  attestent  la  ténacité  de  ses  ressentiments.  M.  de  Bonsy 
communiqua  sa  lettre  à  Pomponne  (3)  et  lui  prédit  Tinfluence 
funeste  que  le  nouveau  cardinal  exercerait  sur  les  rapports  de 
la  France  avec  le  saint-siège  :  «  Je  ne  croyais  pas,  dit-il,  d'avoir 
mérité  une  lettre  comme  celle  de  M.  le  cardinal  d'Estrées, 
et  je  ne  pensais  pas  qu'autre  qu'un  cardinal-duc  pût  quereller 
personne  dans  le  jour  de  sa  joie  et  de  sa  pompe.  Il  commença 
par  recevoir  très  mal  le  compliment  de  mon  agent  (4)...  et  Son 

(1)  Qui  était  alors  en  Krauco. 

(2)  Homey  219  et  220. 

(3)  Je  l'ai  retrouvée,  avec  celle  de  Boasy,  à  la  Bibliothèque  de  l'Ardeual,  ms. 
fr.  n^  6038  Papiers  de  la  famille  Arnauld,  t.  V.  «  Home,  16  mal  1672.  Mooseigueur 
Je  me  persuade  qae  la  déclaratlou  de  moo  cardinalat,  que  Mv^  Âltieri  et  tout  le 
•acre  collège  ont  accompagnée  de  témoignages  d^estime  et  de  bouté  que  je  ne 
puis  jamais  mériter,  sera  une  nouvelle  d'autant  plus  agréable  à  V.  K.  que, 
suivant  ce  que  Tabbé  Morel  m'a  dit  de  son  opinion  lorsqu'il  partit,  e//e  ne  le 
croyait  pas  du  tout  si  proche.  Je  n  ai  pas  voulu  manquer  d'en  informer  V.  É. 
par  cette  lettre,  en  l'assurant  que  je  suis  avec  beaucoup  de  respect  et  de  vé- 
rité, etc.  » 

(i)  L'abbé  de  Bigorre.  L'envoi  de  cet  agent  lui  causa  un  vif  mécontentement, 
qu'il  ne  cacba  pas  au  roi  :  L'abbé  de  Bigorre  est  arrivé.  «  Je  dois  remercier 
infiniment  V.  M.  de  ce  que,  dans  la  lettre  qu'il  lui  a  plu  d*écrire  en  faveur  de 
M.  de  Toulouse,  elle  a  bien  voulu  se  souvenir  d'y  parler  de  la  déclaration  de 
oioD  cardinalat,  comme  d'une  chose  qu'elle  souhaite  par  préférence  et  qu'elle 


464  CHAPITRE  DBUXIÈMB 

ÉmineDce  m'écrivit  aux  termes  que  vous  verrez,  pour  salisbÎR 
sans  doute  à  l'usage  qui  établit  une  certaine  obligatioD  à 
donner  part  à  tous  les  cardinaux  de  sa  promotion.  Onn  y  mék 
pas  d*ordinaire  des  plaintes,  et,  si  on  vivait  de  cette  sorte,  oi 
ferait  un  scandale  qui  ne  s'est  pas  encore  vu  parmi  les  cinE- 
naux...  S'il  vit  comme  cela  à  Rome,  il  vous  y  fera  biendei 
affaires  et  vous  donnera  de  Texercice.  Cela  n*est  bon  ni  pour 
le  service,  ni  pour  votre  ministère  qui.  je  m'assure,  ne  laissen 
plus  engager  des  choses  si  avant  par  les  passions  particolièrei 
et  par  des  tempéraments  peu  flegmatiques.  Le  palais  ne  d^ 
mande  pas  mieux  que  de  vivre  dans  les  bonnes  grâces  du  roi, 
si  on  use  bien  de  la  victoire;  mais  on  craint  un  peu  Tardeor, 
la  vengeance  et  Tirascible  de  celui  qui  a  profité  du  grand  res- 
pect que  Sa  Sainteté  et  le  cardinal  Altieri  ont  pour  le  roi^àU 
puissance  et  volonté  de  qui  ils  ont  sacrifié  tout   intérêt... 
Quatre  ans  avant  que  le  roi  eût  écrit  un  mot  à  Rome  en 
faveur  de  M.  de  Laon,  j'étais  sur  le  tapis;  ma  nomination  y 
était  admise  par  la  protection  de  Sa  Majesté.  M.  de  Laon  est 
venu  sur  moi  ;  je  n'ai  pas  souftlé,  et,  tant  par  la  nature  de  son 
affaire  que  par  le  leiiips  que  j'avais  l'honneur  de  servir  dans 
les  ambassades,  j'aurais  pu  espérer   que  Sa  Majesté  m'eût 
écouté  avec  sa  bonté  ordinaire.  Je  ne  lui  ai  rien  6té  quand  on 
m'a  fait  cardinal;  cependant  il  m'attaque  pauvrement,  ce  me 
semble,  et  sans  raison.  Sil  en  use  ainsi  le  jour  de  sa  promo- 
tion, il  battra  le  monde  dans  la  suite  (i)...  » 
Nous  sommes  loin  du  temps  où  le  célèbre  d'Ossal,  évêque 


rt'garde  comme  iudépeodante  des  Douvclles  propositions.  »  (8  décembre  1671. 
HomCj  2iC.)  —  Des  lettres  nombreuses  attestent  les  mauvais  procédés  de  l'é- 
voque de  Laon  envers  Tabbé  de  Uigorre.  La  colère  de  M.  d^Estrées  fut  portée 
au  comble  par  la  nouvelle  que  M.  de  Bonsy  allait  venir  à  Rome  avant  ladécU* 
ration  de  son  confrère. 

(1)  28  mai  1612.  —  Pomponne  lui  répondit  :  x  J'ai  cru.  Monseigneur,  Df 
pouvoir  me  dispenser  de  faire  voir...  a  S.  M.  ce  que  vous  m'écrivez  sur  la 
lettre  que  vous  avez  reçue  de  M.  le  cardinal  d'Estrées  et  la  réponse  que  vuas 
y  avez  faite.  Saus  entrer  dans  la  discussion  de  l'un  et  de  l'autre,  je  vous  di- 
rai qu'il  m'a  paru  que  S.  M.  voyait  avec  quelque  peine  cette  espèce  de  divi- 
sion entre  des  personnes  de  votre  rang  et  qu'elle  affectionne  ;  aussi  m'a* 
t-elle  commandé  de  vous  écrire  qu'elle  sernit  bien  aise  que  l'amitié  succédât  I 
ces  petits  démêlés  et  qu'elle  le  croyait  avantageux  pour  son  service.  •<  (7  juin 
1672.  Borne,  221.) 


LE   DUC    d'eSTRÉES   AMBASSADEUR  465  \ 

de  Rennes  et  minisire  do  Ilenri  IV  à  Rome,  pouvait  écrire  li- 
brement à  ce  prince  :  «  J'ai  encore  estimé,  pour  le  respect  du 
pape,  n'être  expédient  à  voire  service,  puisque  j'ai  à  traiter 
avec  Sa  Sainteté,  que  feutrasse  en  contestation  avec  elle  pour 
'  mon  propre  intérêt.,.  Aussi  pourrai-je  ci-après  débattre  avec 
Sa  Sainteté  et  soutenir  vos  droits  en  occasion  semblable  et  en 
toute  autre  avec  plus  de  liberté,  de  fermeté  et  avec  moins 
d'offense  sienne,  et  avec  plus  de  fruit  et  de  bon  succès  pour 
votre  service,  quand  j'aurai  fait  preuve  en  son  endroit  que  je 
ne  me  meus  point  de  mon  intérêt  propre  et  que  ce  j'en  ferai 
ne  sera  que  dans  le  devoir  de  ma  charge  (1).  » 

Le  roi  ayant  ordonné  au  cardinal  d'Ëslrées  de  demeurer  à 
Rome  comme  son  envoyé  extraordinaire  et  cardinal  national, 
les  deux  frères  vécurent  ensemble  au  palais  Farnèse,  qui  était 
redevenu,  depuis  l'arrivée  de  Tévêque  de  Laon,  le  rendez- 
vous  du  parti  français.  Les  hommes  dont  ils  aimèrent  à  s'en- 
tourer étaient,  comme  eux,  des  protégés  de  Lionne  et  péné- 
trés du  même  esprit  que  le  ministre  défunt.  Le  premier  rang 
dans  leur  cortège  appartenait  toujours  à  l'abbé  Elpidio  Benc* 
detli,  agent  du  roi.  La  Buissière,  maître  de  chambre  sous 
les  ducs  de  Gréquy  et  de  Chaulncs,  reprit  ses  fonctions  auprès 
de  leur  successeur.  L'abbé  de  Saint-Martin  Barez^  amené 
par  M.  de  Laon,  devint  le  secrétaire  français  de  l'ambassade, 
dont  l'abbé  de  Sanctis  était  le  secrétaire  italien.  Les  nou- 
velles du  Vatican  ou  de  Monte-Cavallo  étaient  apportées  à 
MM.d'Estrées  par  Tabbé  Servient,  camérier  secret,  prêt  à  trahir 
le  roi  comme  le  pape,  et  que  sa  parenté  avec  Lionne  fit  d'abord 
ménager  par  le  duc  et  par  le  cardinal  :  cet  abbé  comptait  alors 
sur  leur  appui  pour  avancer  sa  fortune  et  s'appliquait  à  les 
llatter  en  attendant  qu'il  se  vengeât  de  leur  prétendue  ingrati- 
tude (2).  Celui  qui  avait  toute  la  confiance  du  cardinal  d'Ës- 
Irées,  et  qui,  selon  ce  prélat,  «  excellait  à  découvrir  et  à  démê- 

(1)  Au  roi,  19  janvier  1597.  (Lettres,  éd.  in-12,  t.  Il,  p.  351.) 

(2)  V.  (le  Dombreuaes  lettres  de  cctatibé.  Aome,  219,  etc.  ;  uolammeot  celle  du 
12  octobre  1672  à  Pouiponue.  Rome,  223.  Lubbé  sollicite  les  bieufuits  du  roi 
pour  le  cardinal  d'Estrées,  malgré  la  défeuse  formelle  de  ce  prélat  si  désiu- 
téressé,  et  par  uo  pur  zèle  pjur  le  service  du  roi!  La  mort  du  cardiiinl  d'E^^t'i 
laisse  vacantes  laprotectiou  de  France  et  l'ubbaye  de  Cluui  :  a  qui  les  duuurr, 
si  ce  n'est  au  cardinal  a'Kstrces?  u  Ce  serait  une  luariiuj  ecldtiiule  de  Li  pro* 

LOL'18  XIV  BT  I.B  SAlNr-SIÈOB.  ~  11.  30 


466  CUAPltRg  DEUXIÉMB 

1er  les  aiTaires  et  les  vues  de  celte  cour,  »  était  Alto  Mclani, 
auquel  Clément  X  avait  rendu,  comme  à  Servient,  son  loge- 
ment au  palais  et  qui  s*en  fit  ulors  chasser  pour  toujours.  Le 
roi  lui-même  eut  Tair  d'abandonner  ce  fripon,  non  par  scru- 
pule, mais  afin  d'éviler  un  scandale  préjudiciable  à  ses 
affaires  (1).  En  même  temps  que  Louis  XIV  imposait  aux 
deux  frères  Téloignement  de  leur  confident  préféré,  il  les 
forçait  de  conserver  dans  leur  intimité  un  autre  Italien,  aussi 
méprisable  que  Melaui,  et  dont  ils  ne  songèrent  point  à  se 
séparer,  taut  qu'il  les  épargna  dans  ses  délations  :  c'était  Ugo 

tectioQ  da  roi  pour  un  cardioal  qai  o'est  pas  accommodé,  qui  est  Touvraxf 
de  S.  M.  seule,  et  qui  par  U  se  seaiirait  de  lai-même  eof^gé  de  rester  et  de 
servir  utilemeot  à  Rome,  où  il  est  déjà  si  estimé,  sans  flatterie,  dans  toutes 
les'  factioQs,  qu'il  y  a  peu  de  pareils  exemples.  S.  M.  pourrait,  après  une  telle 
grâce,  le  déclarer  ambassadeur  quand  M.  son  frère  partira...  »  Servient  ne 
manque  pas  de  décrier  le  cardioal  Orsioo,  déjà  com protecteur  et  par  consé- 
quent rival  de  M.  de  Laon  pour  la  prolectioo  :  ■  Les  sollicitations  du  cardinal 
Urslu,  dll-il,  se  détruisent  d*elles-mèmes  par  la  connaissance  qu*on  a  si  gé- 
néralement de  son  caractère.  »  —  Les  fêtes  à  donner  pour  les  victoires  da  roi 
vont  coûter  cher  à  MM.  d'Estrées.  Si  Ton  ne  donne  pas  Cluni  au  cardiual,  il 
devra,  pour  avoir  une  grosse  abbaye,  attendre  la  mort  de  Tex-roi  de  Pologne! 
—  M.  d'Estrées  eut  en  effet  la  protection,  et  peu  après,  l'abbaye  de  Sainl-Ger- 
main-des-Prés. 

(1)  L'évèque  de  Laon  à  Pomponne  et  an  roi  (8  mars  1672.  Rome,  219)  :  11 
dénonce  la  »  persécution  scandaleuse  »  que  subit  Melaui  et  demande  que  le 
roi  le  prenne  •<  sous  sa  protection  m.  ~  ■  La  protection  de  S.  M.,  répond  le 
minisire,  ne  peut  aller  à  le  conserver  dans  le  palais,  si  le  pape  ordonne  qu'il 
s'en  retire,  m  ^16  mars  1672.)  —  «  S.  M.  a  été  informée  de  divers  endroits,  et 
par  des  personnes  pour  qui  elle  a  autant  de  considération  et  de  confiance  au 
lieu  où  vous  êtes,  que,  la  manière  d*agir  de  Tabbé  Melaui  étaut  très  désa- 
gréable à  Rome,  même  parmi  ceux  qui  sont  le  plus  attachés  à  S.  M.,  il  appo^ 
terait  un  notable  préjudice  à  ses  affaires  tant  qu'il  paraîtrait  que  les  ministru 
de  S.  M.  s'y  servissent  de  lui...  »  Mais  le  roi,  qui  est  satisfait  de  son  zèle, 
permet  que  son  départ  de  Rome  soit  expliqué  par  une  mission  à  Florence. 
(25  mars  1672.  Rome^  219.)  —  «  S.  M.  n'a  point  pris  la  résolution  qu'elle  vous 
a  communiquée  sur  son  sujet  sur  aucune  considération  des  mauvais  offices 
qui  peuvent  lui  avoir  été  rendus  par  le  palais,  puisque^  bien  loin  de  lui  nuire, 
ils  lui  auraient  dû  acquérir  quelque  mérile  aupi'ès  d'elle.  C'est  par  les  per- 
sonnes les  plus  considérables  et  les  plus  attachées  aux  intérêts  de  S.  M.  a 
Rome  qu'elle  a  su  que  la  confiance  que  ses  ministres  paraîtront  prendre  audit 
abbé  Melaui  nuirait  à  son  service.  »  Le  roi  d'ailleurs  réserve  cet  abbé  pour 
Tavenir  et  lui  continuera  ses  bienfaits.  (18  mai  1672,  Pomponne  à  Tévêque  de 
Laon.)  —  Ce  ministre  renouvelle  ces  assurances  dans  une  lettre  du  6  juin.  {Rome, 
221.)  —  Melaui  fut  eu  effet  appelé  à  la  cour,  où  le  roi,  avaut  de  le  renvoyer 
en  Italie,  lui  donna  eucore  pensions  et  bénéfices  :  il  reparaîtra  souvent  dam 
nos  récits. 


LB    DUC   d'eSTRÉES    AMBASSADEUR  467 

Maffei,  lo  même  qui  avaît  envoyé  en  France  des  récits  trop 
exacts  sur  les  emportements  de  Tévèque-duc  et,  sur  «  il  suo 
spirito  torbido  simili  a  quelle  del  padre.  »  Servienl  fut  chargé 
de  révéler  au  roi  la  conduite  de  son  pensionnaire  :  \]go 
Maiïei,  dil-il,  va  aussi  souvent  chez  les  Espagnols  que  chez 
nous  (1).  Il  a  pour  secrétaire  un  autre  espion,  Tabbé  Gallo  (2), 
adonné  à  l'astrologie.  «  Une  se  sert  do  l'introduction  qu'il  ne 
manque  guère  de  rechercher  parmi  les  personnes  même  par- 
ticulières qui  peuvent  être  mal  ensemble,  que  pour  achever  du 
les  rendre  irréconciliables  par  ses  rapports...  »  11  est  «  Thorreur 
déclarée  de  toutes  les  antichambres.  »  Le  duc  d'Ëstrées  eut 
beau  écrire  :  On  ne  devrait  pas  laisser  impuni  un  homme  «  qui 
s*est  acharné  contre  nous  au  point  qu'il  a  fait,  sans  fonde- 
ment... C'est  un  fait  que  M.  de  Créquy  Ta  chassé  du  palais 
Farnèse  comme  un  espion,  et  Vagnozzi  (3)  m'a  dit  qu'il  eut 
ordre  en  ce  temps-là  de  le  suivre...  Je  u*ai  jamais  vu  un  pen- 
sionnaire plus  inuûle  au  service  de  son  prince...  »  Sur  les 
ordres  répétés  de  Pomponne,  les  deux  frères  durent  rendre 
leurs  bonnes  grâces  à  Maffei  (4),  dont  les  rapports  ne  cessèrent 
pas  d*ètre  reçus  avec  faveur  par  le  ministre.  Les  délateurs 
Vagnozzi  et  Gallo  qui,  on  le  voit,  soutenaient  leur  ancienne 
réputation,  continuaient  d'avoir  pour  émule,  à  Farnèse,  le 
P.  Ripa,  qui  avait  surpris  la  confiance  de  quelques  personnes 
dans  la  maison  Allieri,  et  pour  lequel  une  gratification  extra- 
ordinaire fut  demandée  (5).  Bourlemontseul  se  tenait  à  Técart 
et  conservait  la  dignité  de  sa  robe  :  il  avait  bien  vite  reconnu 
l'incapacité  de  l'ambassadeur,  et  il  était  déjà  fatigué  des  allures 
querelleuses  du  cardiual  ;  il  se  plaignait  à  Pomponne  et  récla- 
mait un  emploi  dans  le  royaume  (6). 

Louis  XIV  ne  se  contentait  pas  de  Tautorilé  légitime  que 


(1)  A  Pomponne,  10  mai  1672.  Rome,  220. 

(2)  Autre  pensionnaire  de  France. 

(3)  Antre  protégé  et  pensionnaire  de  Lionne  et  du  roi.  V.  ci-dessus,  pas^tim, 
sartous  ces  misérables,  si  souvent  cilés  dans  les  dépêches  du  duc  de  Cbaulnes, 
de  l*abbé  de  Macbaut  et  de  la  Buissiërc. 

(4)  Le  duc  à  Pomponne,  16  août  1672.  Romef  222,  et  plusieurs  dépêches  du 
même  Tolunie. 

(5)  A  Pomponne,  7  novembre.  /?om^,  223. 

^6)  A  Pomponne,  2  et  21  févrior  1672.  liomt\  218  et  219,  etc. 


468  CHAPITRE  DEUXIÈME 

lui  assuraient  auprès  du  saint-siège  la  prééminence  de  sa  cou- 
ronne et  la  prédilection  invariable  des  papes  pour  la  nation: 
il  descendait,  pour  faire  réussir  ses  desseins,  aux  plus  basses 
manœuvres  de  la  politique.  A  peine  arrivé  à  Rome,  Tévéque 
de  Laon  avait  conclu  un  traité  secret  avec  un  cardinal,  dont 
personne  ne  soupçonnait  alors  la  vénalité  (1),  et  que  sa  grande 
réputation  semblait  désigner  pour  la  tiare  :  le  cardinal  Alde- 
rano  Cybo,  issu  de  la  famille  d'Innocent  VIII,  qui  avait  rempli 
des  charges  importantes  avec  une  parfaite  intégrité,  accepta 
du  roi  une  pension  secrète  de  12,000  livres,  qui  fut  portée 
plus  tard  à  18^000(2).  —  La  faction  française  ayant  perdu 

(i)  Dans  les  iostructioas  de  l'évèque  de  Laoo,  Lionne  raconte  ainsi  le  début 
de  Id  Dégociation  :  «  Dans  Toccasion  da  retour  de  Rome  de  l'abbé  Bigorre,  le 
cardinal  Cybo,  sujet  de  mérite  et  de  naissance,  créature  du  pape  Innocent, 
mais  qui  ne  s*cst  jamais  lié  avec  ceux  de  TEscadron,  écrivit  une  lettre  au  roi 
eu  créance  sur  ledit  abbé,  lequel  dit,  de  la  part  dudit  cardinal  à  S.  M.,  après 
plusieurs  compliments,  le  grand  désir  qu'il  avait  de  la  servir  et  de  8*alt-ich<v 
à  tons  ses  intérêts;  en  substance  que,  si  S.  M.  voulait  bien  le  gratifier  st- 
crèlement  (Tune  pension  annuelle  de  f  8,000  francs^  il  engagerait  sa  parole  el 
son  honneur  de  rendre  ^sincèrement  et  invariablement  à  S.  M.  ses  services  tn 
taule  sorte  de  rencontres  d'affaires^  avec  la  même  passion  et  la  même  fidélik 
et  dépendance  que  les  lui  saurait  rendre  le  plus  zélé  cardinal  français,  w»i 
aucujie  distinction  ni  différence,  et  nommément,  dans  les  conclaves ,  marcherait 
toujours  et  donaerait  ses  sutTrages,  soit  pour  les  inclusions  ou  les  exclusion?, 
selon  qu'il  lui  serait  prescrit  par  l'ambassadeur  de  S.  M.,  ou  par  tel  autre 
cardiual  ou  miuistre  qui  aurait  alors  en  main  la  direction  de  sa  faction  el  de 
ses  iutérêts...  Voici  maiuteuant,  en  peu  de  mot:?,  quelle  est  la  réponse  que 
S.  M.  désire  que  ledit  sieur  évoque  [le  Laou]  lui  fasse  :  que,  s'il  veut  se  dé- 
clarer ouvertement  du  parti  du  roi  et  mettre  les  armes  de  France  sur  sa  porte. 
S.  M.  lui  accordera  bien  volontiers  les  6,000  écus  de  pension  qu'ii  a  demandes 
et  même,  avec  un  peu  de  temps,  les  lui  donnera  en  bénéfices  ou  en  peusioos 
ecclésiastiques;  mais  que  si,  pour  ne  pas  se  faire  de  préjudice  sur  les  prè- 
teiiliouâ  qu'il  peut  fort  justement  avoir  un  jour  an  pontificat,  il  aime  mieux 
servir  S.  M.  secrètement  en  la  manière  quMl  l'offre,  elle  lui  donnera  aussi  se- 
crètement 4,000  écus  de  pension  annuelle  qui  lui  seront  toujours  très  pooc- 
luellement  payés  des  propres  deniers  de  son  trésor  royal.  »  (6  mai  1671. 
Recueil  des  instructions,  pp.  2^)0-2^1.)  Lionne  écrivit  en  outre  à  Cybo  une  lettre 
eu  créauce  sur  l'evôque  de  Laou.  (7  mai.  Home,  205.)  Le  marcbé  fut  bientôt  ter- 
miné. (L'évèque  de  Lion  au  roi,  30  juillet  1671.  Rome,  203.) 

(2)  Dès  à  présent,  il  me  promet  des  avis,  et  nous  réglons  par  qui  nous  com- 
muuiquerons.  «  )1  mène  une  vie  fort  retirée  et  selon  les  mesures  d'un  prèten* 
daut.  »  S*il  avait  plus  de  bien,  il  aurait  servi  le  roi,  dit-il,  sans  rieu  deman- 
der; il  a  toujours  été  français  dans  le  cœur,  môme  sous  le  cardiual  Mazarin, 
cl  l'a  prouvé  daus  le  dernier  conclave,  h  Dans  tous  les  suivants,  il  se  sou- 
mettrait aux  seutimeiits  de  V.  M.  pour  les  exclusions  et  pour  les  iuclusiou», 
et  ne  manquerait  pas  de  les  suivre  en  toutes  rencontres...  Le  cardiual  Cybo 


LE   DUC   d'eSTRÉES    AMBASSADEUR  409 

deux  de  ses  membres,  Antoine  Barberiniel  Renaud  d'Esté^  le 
cardinal  d'Estrées  lenta  de  combler  les  vides  en  altachant  au 
service  du  roi  les  cardinaux  Roberti,  Nini  et  Cerri;  mais  il 
échoua  dans  ces  démarches  (1).  Il  ouvrit  bientôt  une  autre 
négociation  avec  le  cardinal  Frédéric  de  Hesse,  créature 
dlnnocent  X,  disposé  à  passer  publiquement  de  la  faction  im- 
périale dans  le  parti  français  :  il  avoua  que  son  collègue 
n'était  «  pas  extrêmement  fondé  en  théologie  »^  mais  il  le 
vanta  comme  ayant  «  beaucoup  de  hardiesse  et  de  courage,  et 
capable,  dans  une  action  d'éclat,  de  hasarder  toutes  choses.  » 
Louis  XIV  trouva  trop  élevé  le  prix  du  prélat  allemand,  et 
le  cardinal  français  fut  très  mécontent  que  la  France  ne 
fit  pas  cette  acquisition,  qui  aurait  illustré  l'ambassade  de 
son  frère  (2)  ! 

La  France  avait-elle  donc  besoin  de  tant  d'étrangers  pour 
défendre  ses  légitimes  intérêts,  auprès  du  saint-siège?  Le 
duc  d'Ëstrées,  malgré  la  conduite  de  son  frère,  ne  trouvait-il 
pas,  auprès  de  Clément  X  et  de  ses  ministres^  le  même  accueil 
que  le  duc  de  Chaulnes?  Les  ennemis  avoués  ou  secrets  du 
saint-siège  n'avaient  qu*une  voix  pour  attester  la  douceur, 
rintelligence  et  l'activité  du  vieux  pontife.  C'est  précisément 
à  cette  époque  que  le  cavalier  Antonio  Grimani,  ambassadeur 

est  très  estimé  dans  cette  cour;  il  passe  pour  un  grand  ecclésiastique  et  ou 
le  oomine  constamment  entre  les  sujets  papables.  »  (L'évèque  de  Laon  nu  roi, 

3  août  1671.  Rome,  214.) 

(1)  «  Quoiqu'il  soit  impossible  de  remplacer  nn  cardinal  d'Esté  et  un  cardi- 
dinal  Autoine,  il  sera  toutefois  très  avantageux  de  pouvoir  gagner  quelque 
Italien,  n  (Mémoire  du  cardinal  d'Estrées,  5  octobre  1612.  Rome,  223.) 

(2)  Mémoire  du  cardinal  d'Estrées,  23  octobre  1672.  —  Pomponne  au  môme, 

4  novembre.  —  Le  même  à  Pomponne,  23  novembre  :  «  Pour  mol,  je  n*ai 
garde  de  rien  répliquer  aux  ordres  de  S.  M.  Vous  savez,  Monsieur,  voùis  sum^ 
mum  judicium  Du  dedére;  nobis  ohsequii  gloHa  relicta  eft^.  Mais  je  ne  puis 
m*empécher  de  dire  pour  vous  seul  que,  selon  les  connaissances  que  j'ai  de 
cette  cour,  qui  ne  m'ont  pas  trompé  jusqu'à  cette  beureet  qui  me  tromperont 
oucore  moins  à  l'avenir,  parce  que  le  temps  les  fortifiera,  rien  ne  pouvait 
être  d*un  si  grand  éclat  pour  le  roi  et  d'un  si  grand  décri  pour  TEspagoe 
qa'nne  telle  déclaration  dont  je  ve  trouvais  pas  le  traité  difficile,,.  Je  ne  puis 
voir  sans  beaucoup  de  regret  échapper  une  occasion  si  favorable  et  de  quelque 
distinction  pour  l'ambassade  de  M,  le  duc  d^Estrées.  »  (A  Pomponne,  23  no- 
vembre 1672.  Rome,  223.) 

a.  Cette  parole,  attribuée,  par  Tacite  (Annn/.,  VI,  8),  à  l'un  des  plus  serviles  sujets  de  Til>èrt, 
est  bi«D  placée  sous  la  plomo  de  César  d'Estrées. 


470  CHAPITRE   DEI7XIÈMC 

de  Venise,  disait  de  lui  (1)  :  «  Il  est  maintenant  dans  sa  quatre- 
vingt-deuxième  année;  mais  sa  vigueur  naturelle  elle  régime 
auquel  il  8*est  depuis  longtemps  soumis  ne  laissent  pas  deviner 
par  quelle  voie  secrète  son  corps  pourra  être  envahi  par  Taffai* 
blissement  final  {gfi  ultimi  languori).  Son  tempérament  fait 
d*ailleur£  croire  que  ce  lermeestcncorc  éloigné,  quelque  avancé 
que  soit  son  àgc,  quand  on  pense  aux  précédents  de  sa  familier 
son  grand-père  ayant  vécu  cent  cinq  ans  sans  infirmité,  et  son 
oncle  paternel  ayant  atteint  quatre-vingt-quinze  ans.  Tous  s'ac- 
cordent à  louer  la  délicatesse  angélique  de  ses  sentiments,  son 
humilité,  sachante,^  sa  droiture,  ses  inclinations  généreuses;  et 
il  est  certain  qu'il  ne  dissimule  pas  son  déplaisir  quand  il  ne 
peut  accorder  une  faveur  aussi  promptement  qu'il  le  voudrait. 
Malgré  son  élévation,  il  n'a  rien  changé  jnsqu*à  présent  à  la 
simplicité  de  sa  vie,  de  ses  vêtements,  de  son  service.  II 
expédie  avec  promptitude  les  affaires  qu*il  peut  traiter  person- 
nellement (è  diligente  nelle  operazioni  permessegli  dalla  sua 
habilita).  Il  est,  autant  que  sa  mémoire  lui  permet  {per 
qiianto  gli  è  dalla  memoria  pejinesso)^  très  circonspect  dans 
l'emploi  des  deniers  de  TEglise,  aimant  à  répéter  qu'il  n'en  est 
pas  le  maîlre  mais  seulement  Téconome,  obligé  d'en  rendre 
c  >mpte  à  un  souverain  qui  voit  tout.  Rien  ne  révèle  en  lui  un 
excès  d'affection  pour  ses  parents,  qu'il  regarde  plutôt  comme 
des  cWenis  {dipend€7Ui),  ei,  s'il  répand  sur  eux  ses  bienfaits, 
c'est  plutôt  pour  récompenser  leurs  services  que  pour  fonder 
une  nouvelle  maison  pontilicale...  Consacrant  de  longues 
heures  à  la  prière,  il  répète  que  sa  haute  charge  est  au-dessus 
de  ses  forces,  mais  qu'il  demande  à  Dieu  de  faire  un  usage 
irréprochable  (A/^o  sincero)  de  ses  faibles  talents  dans  une 
place  qu'il  n'a  point  souhaitée...  Quant  aux  princes,  il  a  cou- 
tume de  dire  qu'ils  mériienl  e^^tim»^  et  bienveillance  (che  devons 
es<;ere  stimati  e  favoriti),  et  il  témoigne  une  considération  et 
une  amitié  particulière  pour  Votre  Sérénité.  »  Le  duc  d'Estrées 
s'exprimait  dans  les  mêmes  termes  :  «  Je  ne  puis,  disait-il. 
assez  représenter  à  Votre  Majesté  l'effet  que  produisent  ici. 
dans  la  personne  de  son  ambassadeur,  le  respect  et  la  véné- 

(1)  Belazione  du  15  novembre  1G71.  Re/azioni  di  Roma,  t.  l\,  p.  356. 


LE    DUC    D*£STRÉES    AMBASSADEUR  471 

ration  qii*on  a  pour  Votre  Majesté.  J*ai  trouvé  un  bon  visage 
au  pape,  qui  ne  m'a  pas  paru  manquer  de  mémoire  dans  une 
conversation  que  nous  avons  eue,  le  cardinal  Ursin  et  moi, 
avec  lui,  et,  selon  les  apparences,  à  moins  qu*il  n*arrive  quel- 
que accident,  il  n'est  pas  pour  finir  sitôt  ((}.  »  —  «  L*occasion 
s'en  étant  présentée,  il  me  conta  Tordre  qu'il  avait  apporté 
dans  la  cherté  du  blé^  ce  qui  est  très  louable  et  d*une  grande 
charité,  et  comme  il  faisait  bâtir  une  maison  afin  que^  dans 
de  pareilles  nécessités,  l'on  pAt  encore  mieux  pourvoir  au 
soulagement  du  peuple.  Je  lui  dis  qu'il  avait  bien  témoigné 
la  reconnaissance  de  ce  qu'il  devait  à  un  si  bon  pape  par  ses 
cris  de  joie,  le  voyant  en  si  bonne  santé,  à  la  procession.  Il  me 
répondit  qu'étant  allé  Taprës-dinéc  à  Saint-Pierre,  c'avait  été  la 
même  chose,  mais  qu'à  me  parler  sincèrement,  il  aimerait 
mieus  que  cela  ne  fût  point,  voyant  qu'il  ne  le  méritait  pas; 
et  me  dit  par  deux  ou  trois  fois,  me  témoignant  beaucoup  de 
regret,  qu'il  ne  s'acquittait  pas  comme  il  devait  de  Temploi 
qu*il  avait  plu  à  Diim  lui  donner,  mais  qu'il  fallait  considérer 
qu'il  était  dans  un  âge  bien  avancé  lorsqu'il  y  avait  été  appelé, 
me  faisant  entendre  en  quelque  façon  qu'il  eut  plulôt  sou- 
haité ne  l'avoir  point.  Ces  sentiments  ne  sont  pas  aifcctés,  et 
quand  il  entre  sur  ce  sujet  avec  ses  plus  confidents,  il  en  parle 
ainci  (2).  »  Le  vigoureux  vieillard  ne  connut  pas  la  décrépi- 
tude et  il  devait  tomber  tout  d'un  coup;  il  ne  fut  jamais  ce 
pontife  impotent  dont  parlent  des  récits  mensongers,  et  sous 
le  nom  duquel  se  serait  établie  la  domination  personnelle  et 
absolue  du  cardinal  Altieri.  En  e(Tet,  quatre  ans  plus  tard,  un 
autre  ambassadeur  de  Venise,  Pierre  Mocenigo  (3),  montre 
encore  Clément  X,  levé  en  plein  hiver  à  sept  heures  de  la  nuit, 
priant  ou  lisant  l'office  jusqu'à  onze  ou  douze  heures,  enten- 

(  1  )  A']  roi,  6  ETril  1672.  Rome,  220. 

(2)  Le  duc  au  roi,  22  juin  1612.  fiome,  221. 

(3)  Belazione  du  26  février  1676.  Relazioni  di  Roma,  t.  IT,  p.  .373  et  sulv.  —  Mo- 
cenigo est  beaucoup  plus  uialvoillant  que  Grimani  pour  la  cour  de  Rome. 
L>diteur  moderue,  eoucmi  du  saiut-siège,  nou»  apprend  iui-uième  qu'avant 
i)*antoriser  la  lecture  de  cette  »atir.^  les  Prtfgadi  firent  sortir  t  papalisti,  cioè 
tutti  guelli  che  aveano  rapporti  od  aderenze  colla  corte  di  Roma.  Il  ajoute  que 
les  couteuiporains  joiguaient  habitueilemeutà  cette  relazioni  une  lettre  in  cui 
sono  confutali  gli  argomenti  del"  ambasciatore  e  difesa  la  corte  di  Roma  dallé 
accuse  del  Mocenigo  :  mais  l^auteur  se  garde  bien  de  publier  cette  rèfutatioD. 


472  CHAPITRE   DEUXIÈME 

dant  alors  la  messe  et,  après  la  cioccolaia^  commençant,  dès 
que  le  soleil  paraissait,  à  recevoir  en  audience  les  ministrei, 
c'ent-à-dire  le  dataire,  le  secrétaire  des  brefs  et  les  autres, 
suivant  Tordre  réglé  pour  ses  journées  (1).  «  Voici  la  sixième 
année  depuis  son  exaltation,  ajoute  le  Véaitien,  et  Ton  peat 
espérer  que  ce  ne  sera  pas  la  dernière,  tant  il  se  porte  bien,  si 
un  accident  imprévu  ne  vient  à  le  frapper.  » 

Le  principal  de  ses  dipendentt\  le  cardinal  Altieri,  justifiait^ 
il,  dans  Texercice  du  padronatOy  les  heureux  présages  que  k 
duc  do  Chaulncs  et  Tabbé  de  BonPils  avaient  tirés  de  sa  vie 
antérieure?  Il  faut  bien  avouer  que  son  seul  crime  était  de 
n*avoir  pas  procuré  plus  tôt  la  pourpre  à  Tévéque  de  Laon,  et 
le  cavalier  Grimani  nous  le  représente  aussi  comme  parfaite- 
ment digne  du  poste  auquel  Clément  X  Tavait  élevé  :  «  Il  a, 
dit-il  (2),  une  grande  expérience  et  pratique  de  Rome  et  de 
cet  État,  où  il  a  rempli  de  nombreuses  charges,  notamment 
celle  d'auditeur  de  la  Chambre.  Il  a  de  la  résolution  dans  le 
conseil;  ses  mœurs  sont  pures;  ses  intentions  droites;  il  est 
véridiquc;  il  manque  parfois  de  flegme,  mais  il  se  domine 
presque  toujours.  Il  est  admirable  par  son  respect  pour  sa 
mère,  no  laissant  jamais  passer  un  jour  sans  lui  rendre  visite 
et  lui  demander  sa  bénédiction.  Il  s'applique  à  détourner  du 
pape  tout  embarras,  et  ne  laisse  point  arriver  jusqu'à  lui  les 
nouvelles  qui  raffligeraient.  Il  est  fort  attaché  à  ses  amis,  qui 
peuvent  compter  sur  sa  reconnaissance  et  sur  son  désir  de  les 
servir.  Aucun  de  ses  actes  ne  révèle  jusqu'à  présent  qu'il  ait 
des  vues  contraires  aux  inclinations  de  Sa  Sainteté,  ni  une 
grande  ambition  do  s'enrichir;  mais  il  a  eu  ce  bonheur  qu'eu 
peu  de  temps  sont  survenues  bon  nombre  de  vacances  consi- 
dérables. Il  s*amusc  (si  irai  lie  ne)  à  bâtir,  et  il  a  des  goûts  de 
magnificence  qui  peuvent  faire  supposer  qu'il  est  riche,  tandis 
qu'il  concilie  la  grandeur  et  la  prudence  [so^tenendosi  Ira  il 
nobile  e  il  prudente).  Il  se  montre,  avec  toute  sa  maison,  fort 
reconnaissant  envers  Votre  Sérénité  de  son  admission  au  pa- 
triciat  vénitien,  et  il  professe  publiquement  l'estime  que  la  cour 


(0  T.  H,  p.  382. 
(2)  T.  n,  p.  338. 


LE   DUC  d'eSTRÉES  AMBASSADEUR  473 

!.  doit  avoir,  par  tanl  de  raisons,  pour  la  Sérénissime  République. 
-\  Il  fait  tous  ses  efTorts  pour  que  la  vieillesse  et  la  bonté  du 
:  pape  n'affaiblissent  pas  le  respect  dû  au  gouvernement,  et  jus- 
qu'à présent  sa  conduite  envers  les  princes  a  toujours  été  ins- 
pirée par  la  sagesse.  » 

Les  couronnes,  et  la  France  en  particulier,  étaient-elles 
fondées  à  se  plaindre  du  choix  des  ministres  appelés  au  palais 
par  Clément  X  et  par  Allieri?  Nous  avons  déjà  cilé  le  témoi- 
gnage si  favorable  de  Chaulnes;  le  Vénitien  Grimani  tenait  le 
même  langage  que  Tancien  ambassadeur  de  Louis  XIV  :  Fe- 
derigo  Borromeo,  secrétaire  d'Etat,  âgé  de  soixante  ans, 
«  mérite  le  plus  grand  respect  par  la  noblesse  de  sa  naissance 
à  laquelle  répond  la  beauté  de  son  génie,  par  sa  générosité, 
son  désintéressement,  sa  droiture,  par  Tétendue  de  ses  con- 
naissances et  par  ses  talents.  Il  a  passé  trente  cinq  années  dans 
les  charges  et  dans  les  gouvernements  de  l'Etat  ecclésiastique; 
il  a  été  dix  ans  nonce  en  Suisse,  gouverneur  de  Rome  et  enfin 
nonce  en  Espagne...  Il  est  aimé  et  considéré  des  Français 
comme  des  Espagnols,  et,  j'en  parle  avec  assurance,  il  a  l'es- 
time de  toute  la  cour  et  de  tous  les  gens  de  bien...  Il  est  cher 
au  pape,  qui  l'a  investi  de  sa  confiance...  Il  a  une  grande  dé- 
férence pour  le  cardinal  Altieri,  et  comme  sa  conduite  ne  per- 
met pas  de  soupçonner  qu'il  veuille  étendre  son  pouvoir,  l'u- 
nion règne  entre  les  deux  prélats...  »  —  La  datcrie  avait  été 
donnée  à  Gasparo  Carpegna,  vieilli  dans  la  difficile  magis) 
trature  de  la  rote,  et  tenu  en  haute  estime  (biton  concetto- 
par  la  cour.  —  Enfin  Clément  X  avait  attaché  à  sa  per- 
sonne, comme  maestro  di  caméra  et  conseiller  intime,  Ca- 
millo  Massimi,  âgé  de  soixante  ans,  bien  connu  pour  ses 
vertus  (molia  virtù)  et  pour  sa  grande  expérience  :  d'abord 
clerc,  puis  doyen  de  la  Chambre;  ancien  nonce  à  Madrid, 
gouverneur  du  dernier  conclave,  et  qui  avait,  dit  Grimani, 
conquis  dans  ces  divers  emplois  une  réputation  des  plus 
éclatantes  par  sa  prudence  et  par  sa  générosité  (1).  — Ces 
trois  ministres  avaient  été  créés  cardinaux,  dans  la  promo- 
tion du  22  décembre  1670,  et  leur  crédit  n'avait  fait  que  s'ac- 

(1)  T.  H,  p.  359. 


474  CHAPITRE    DErXtÈME 

croître  auprès  du  pape  et  dans  toutes  les  factions  du  sacré 
collège. 

Telle  était  la  cour  pontificale,  au  moment  où  le  duc  etk 
cardinal  d*Estrées,  détournant  leur  attention  de  leurs  alTair» 
personnelles,  la  portèrent  enfin  sur  les  intérêts  communsdek 
couronne  et  de  l'Église. 


CHAPITRE  TROISIÈXfE 

ENTREPRISES  DE  LA  COURONNE  SUR  LES  LIBERTÉS  ET  SUR   LES  BIENS 
DE  l'église.  MISSION  SECRÈTE  DE  L*ABBÉ  COGQUELIN  A  ROME.  1673. 


A^re^sioD  de  Lonis  XIV  contre  la  Juridiction  spirituelle.  Clément  X  reprend  la  lutte  aa  point  où 
elle  a  été  interrompuo  par  la  mort  de  Clémont  IX.  Décret  pontifical  (août  1670)  qui  répond 
à  l'arrêt  d'Agen  (mars  1600)  sur  les  rapports  des  évéques  avec  les  réjaliers.  IjO  Far'ement 
interdit  la  publication  de  cette  bulle,  et  le  roi  défi'od  à  l'assemblée  du  clergé  d'en  délibérer. 
Cr«klit  croissant  de«  prélats  français  ho^til^s  au  saint-siège.  Harlay  de  Cbamptallon  est  nommé 
archeTéque  de  Pari*,  et  Gilbert  de  ChoisenI  du  Plessis-Pr.islin,  évéque  de  Tournai.  —  Alarma 
causées  en  Europe  par  l'inTasion  de  U  Hollande.  Manœuvra  de  Louis  XIV  pour  p-rsuadcr  à 
Roroo  que  ses  desseins  sont  dé<<intére8!»és  et  pacifiques  :  il  modèrt  pendant  quelque  temps  le 
xèle  iraca<sier  de  MM.  d'Ëstrêe».  Clairvoyance  et  impariialité  d-)  Clôment  X,  qui  s'applique  à 
maintenir  la  piii  eu  Italie.  —  Vaste  plan  formé  par  Louis  XIV,  le  Tellier,  Louvois  et  l'ar- 
chevêque de  Hcims  pour  faire  supportnr  à  l'Ég'ise  une  gr.inde  partie  de^  dépenses  milita  res. 
Edit  de  lft7i  qui  p'ace  entièrement  sous  la  main  du  roi  les  ordres  de  Sa-nt-Lasare  ot  de 
Notre- Dame-du-Munt-C^rmei,  et  en  agrandit  arbitrairement  les  possi'ssions  aux  dépens  d'autres 
instituts  ecclésiastiques.  Quand  l'édit  est  publié  et  déjà  en  cours  d'exécution,  le  roi  veut  en 
impos'^r  la  ratification  au  pape.  Mission  de  l'abbé  Cocquelin  à  Rome,  cachée  à  Pomponne  et  à 
IIM.  d'Ëstrées.  Il  est  chargé  de  requérir,  outre  la  trausformition  des  ordres  précités  :  1*  la 
«uppression  et  la  i*ét!ularisation  des  petits  monastères:  2*  une  extension  démesurée  de  la 
commende  au  profit  de  la  couronna,  dans  toutes  les  maison^  ^soumises  à  la  règle  de  saint 
Benoit  ;  1*  le  droit  pour  le  roi  de  mettre  des  pensions,  au  profit  de  toute  personne,  sur  tous 
les  bénéfices  à  sa  nomination,  jusqu'au  iit*rs  du  revenu  ;  4*  l'approb  ition  d'un  édit  (mars  1673) 
créant  des  officiers  royaux,  dont  l'emploi  sera  obligatoire  pour  tous  les  Français  dans  leurs 
ci>mmnnication4  avec  le  saint-sièg-^.  même  en  mitière  spi>'ituelle.  Clément  X  donunde  que 
les  deux  èJits  soient  retint  ou  suspendus.  Prétentioas  gallicanes  sur  l'autorité  de  la  couronne 
d  iiis  le  règlement  des  affaires  ecclé.'tia «tiques.  Bref  de  Clément  X  à  Louis  XIV,  22  avril  1673. 
Intrigues  de  Cocquelin  contre  MM.  d'Bfttrées  :  droiture  du  cardinal  Altieri,  qui  refuse  de  s'y 
j><K>rier.  Fchor  et  départ  de  Cocqueliu  :  ta  colère  et  sei  menaces  de  vengeance. 


Un  des  premiers  actes  de  Clément  X  laissa  chez  Louis  XIV 
un  profond  ressentiment.  On  se  rappelle  Y  arrêt  dAqen  qui, 
sous  Clément  IX,  avait  attribué  à  la  couronne  le  droit  de  ré- 
gler les  différends  purement  spirituels  entre  les  évèques  et  le 
clergé  régulier,  et  de  contrôler  la  discipline  ecclésiastique, 
dans  les  cas  mêmes  où  TEglise  ne  réclame  pas  Tassistance  du 
pouvoir  civil.  Les  plaintes  i\i  nonce  ayant  été  méprisées.  Clé- 
ment X  répondit  à  celte  agression,  comme  l'aurait  fait  son 
prédécesseur,  si  la  mort  lui  en  avait  laissé  le  temps.  Un  décret 
ponliKcal  détermina  les  droits  respectifs  des  ordinaires  et  des 
religieux  avec  une  prudence  que  Tabbé  de  Bourlemont  lui* 


47j  chapitre  TROISIÈBIE 

m^me  s'empressa  de  reconnaître  :  a  Le  pape,  dit-il  (1),  a  fût 
publier  la  présente  constitution  que  j'envoie  à  Votre  Majesté» 
qui  déclare  jusqu'où  s'étendent  les  privilèges  des  réguliers 
pour  la  confession  et  prédication.  Plusieurs  desdits  régulien 
sont  mal  satisfaits  ici  de  cette  constitution  qu'ils  disent  éire 
toute  à  l'avantage  des  évèques.  Comme  le  pape,  étant  prélat, 
a  exercé  longtemps  les  fonctions  de  Tépiscopat  au  diocèse  de 
Gamerino,  dont  il  était  évèque,  et,  depuis,  a  eu  la  charge  de  se- 
crétaire de  la  Congrégation  des  Évèques  et  Rég-uliers,  il  cod- 
naît  la  subordination  des  réguliers  aux  évèques,  quant  à  l'ad- 
ministration des  sacrements  et  à  la  parole  de  Dieu  qui  leur  sont 
commises.  »  L'arrêt  du  4  mars  1669  avait  si  manifestement 
empiété  sur  le  spirituel  que  Louis  XIV  lui-même,  pour  ras- 
surer les  consciences,  avait  voulu  y  joindre  la  sanction  ponti- 
ficale ;  mais  (ce  qui  montre  à  quel  degré  d'orgueil  ce  prince 
était  déjà  parvenu),  après  avoir  surpris  l'Eglise  par  la  pu- 
blication de  son  arrêt,  il  ne  tolérait  pas  que  le  pape  se  défendît 
ni  qu'il  réglât  de  son  côté  la  même  matière  sans  l'approba- 
tion préalable  du  roi  de  France.  Lionne  écrivait  à  Bourle- 
mont  (2)  :  «  Quand  l'arrêt  du  conseil  du  roi  fut  donné,...  leroi 
fit  connaître  par  mon  moyen  à  M.  le  nonce  qu'il  serait  bien  à 
propos  que  Sa  Sainteté  le  voulût  autoriser  par  une  bulle  qui 
achèverail  d'établir  l'union  entre  tous  les  évèques  du  royaume 
et  les  réguliers,  en  sorte  qu'elle  ne  pùl  plus  être  altérée,  parce 
que  toutes  leurs  prétentions  respectives  s'y  trouvaient  réglées. 
J'ajoutai  que,  si  Sa  Sainteté  voulait  faire  sabuUe  entièrement 
conforme  à  l'arrêt,  Sa  Majesté  la  ferait  recevoir  par  tout  le 
royaume  sans  difficulté  ;  que,  si  elle  y  apportait  quelque  chan- 
gement, il  faudrait  qu'elle  eut  agréable  d'envoyer  sa  constitu- 
tion à  M.  le  nonce,  lequel  me  la  communiquerait  secrètement. 
On  lui  dirait  avec  ingénuité  ce  qui  pourrait  ou  ne  pourrait  pas 
passer  dans  le  royaume  selon  nos  mœurs  et  nos  usages,  et 
que  Sa  Sainteté  là-dessus  prendrait  de  nouveau  ses  résolu- 
tions pour  y  changer,  ajouter  ou  retrancher,  ainsi  qu'elle  avi- 
serait. Cela  veut  dire  qu'on  ferait  la  chose  avec  un  concert 


(1)  Au  roi,  5  août  tC70.  Rome,  210. 

(2)  A  BourlemoDt,  29  août  1670.  Romt,  207  et  210. 


ENTREPRISES    SUR   LES    LIBERTÉS   DE    L*ÉGLISE  477 

secret)  afin  qu'elle  ne  trouvât  point  d'obstacles  et  que  Sa  Sain- 
teté ne  se  compromît  pas  avec  les  Parlements  ou  avee  les 
évëques.  Tout  cela  s*est  exécuté  jusqu'à  un  certain  point;  car 
le  nonce  ma  communiqué,  depuis  trois  semaines,  une  copie  de 
la  bulle  signée  par  un  notaire  apostolique,  et  je  lui  promis 
d'en  faire  examiner  toutes  les  clauses  par  des  personnes 
intelligentes,  et  de  lui  dire  si  le  roi  pourrait  employer  ou  non 
son  autorité  pour  la  faire  recevoir,  et  en  cas  que  non,  lui 
donner  un  mémoire  bien  raisonné  des  considérations  qui 
Tavaient  empêché.  En  effet,  on  avait  travaillé  bien  avant  à  ce 
mémoire  ;  mais  la  publication  de  la  bulle  qui  s'est  faite  à  Rome, 
avec  leur  permission,  fort  imprudemment,  a  rompu  toutes  nos 
mesures  et  gâté  tout  notre  concert;  car  il  y  en  a  déjà  plus  de 
cent  exemplaires  dans  Paris  et  je  ne  doute  nullement  que,  dès 
qu*il  en  viendra  quelqu*un  entre  les  mains  de  M.  le  procu- 
reur général,  il  ne  se  croie  obligé  par  le  devoir  de  sa  charge 
de  requérir  le  Parlement  de  donner  un  arrêt  par  lequel  il 
recevra  son  appel  comme  d'abus  de  ladite  bulle,  et  cependant 
défenses  de  la  publier ,  et  ensuite  tous  les  autres  Parle- 
ments en  useront  de  même.  Je  ne  doute  pas  non  plus  que  l'as- 
semblée du  clergé  qui  est  à  Pontoise  ne  s'élève  contre  cette 
constitution,  et  je  ne  saurais  assez  exprimer  le  déplaisir  qu'a 
Sa  Majesté  que,  par  le  pas  qu'on  a  fait  à  Rome  contre  le  con- 
cert (i),  on  Tait  mis  en  état  de  ne  pouvoir  entrer  dans  cette 
aiïaire;  car  elle  n'ira  pas^  comme  vous  le  jugez  bien,  prendre 
l'intérêt  des  réguliers  contre  celui  de  tous  les  évêques  de 
France  et  contre  tous  les  Parlements,  qui  ne  manqueraient  pas 
de  soutenir,  les  uns  et  les  autres,  qu'ils  n'ont  d'autre  but  que 
de  maintenir  les  droits  et  les  [usages  du  royaume...  )>  Lionne 
savait  bien  qu'il  ne  s'avançait  pas  trop  en  menaçant  le  souve- 
rain pontife  des  évèques  réunis  à  Pontoise  et  du  Parlement  : 
car  ces  deux  compagnies  ne  faisaient  rien  que  par  ordre  de  la 
cour.  Par  un  arrêt  du  42  septembre  1670,  le  Parlement  défen- 
dit la  publication  de  la  bulle.  L'assemblée  du  clergé  voulait 
imiter  les  juges  séculiers  en  soumettant  à  son  examen  le  décret 


(1)  Mais,  encore  une  foisjaquelle  des  deux  puissaucea  avait  attaqué  l'autre? 
Le  roi  pirlait-il  de  concert  avant  son  arrêt? 


478  CHAPITRE   TROtSlÊME 


pontifical;  mais  Louis  XIV  lui  fit  défendre  par  son  présiden 
Harlay  de  Champvallon,  de  rien  mettre  en  délibération  sur 
ce  sujet,  avant  les  explications  attendues  de  Rome.  Le 
18  novembre,  quand  il  fut  certain  que  Clément  X  maintenait 
sa  constitution,  une  partie  desévèques  voulaient  pousser  plas 
loin  la  résistance  ;  mais  le  roi  leur  imposa  silence,  en  se  réser- 
vant la  connaissance  de  l'aiTaire,  et  les  congédia  brusquement 
deux  jours  après  (20  novembre)  {{). 

Ainsi  Louis  XIV  éprouvait  peu  à  peu  la  docilité  de  ces 
assemblées  ecclésiastiques  qui  allaient  être  les  auxiliaire5  de 
ses  eutrcprises  contre  le  saint-siège  et  contre  le  clergé  même 
de  son  royaume.  Harlay  de  Cbampvallon  venait  de  s'acquérir 
de  nouveaux  titres  à  la  confiance  du  roi,  qui  Tappela  bientôt 
(janvier  1671)  à  Tarcbevéché  de  Paris,  rendu  vacant  parla 
mort  de  Péréfixe.  Harlay  s*étail  de  plus  recommandé  à  la 
faveur  de  la  cour  par  sa  connivence  aux  intrigues  qui  avaient 
dérobé  les  quatre  évëques  à  la  justice  pontificale,  et,  même 
après  la  Paix  de  rÉglise,  il  avait  continué  de  proléger  les 
hérétiques  :  c*cst  lui  qui  avait  rédigé  les  mémoires  envoyés  à 
Rome  pour  justifier  la  suppression  du  formulaire  (2).  Un  autre 
défenseur  des  jansénistes,  Gilbert  de  Choiseul,  évéque  de 
Comminges,  avait  été  récemment  transféré  au  siège  de 
Tournai,  dans  une  province  encore  soumise  à  rinternoncia- 
lure  de  Bruxelles,  mais  que  Louis  XIV  s'empressait  dassu- 
jeltir  au  régime  et  aux  maximes  de  France.  Ce  choix  donna 
de  légitimes  inquiétudes  à  Rome,  et  plusieurs  cardinaux  répu- 
gnaient à  la  préconisalion.  Bourlemont  écrivit  au  roi  (3)  :  Je 
leur  fis  déclarer  «  que  je  ne  pouvais  imaginer  qu*ils  eussent 
une  pareille  pensée  d'olfenser,  sur  des  fausses  suppositions, 
un  des  plus  savants  et  pieux  évéques  du  clergé  de  France,  et 
si  illustre  par  sa  vertu  et  sa  naissance;  et  qu'il  suffisait,  pour 
leur  ôler  tout  soupçon,  que  Votre  Majesté,  qui  connaît  par- 
faitement ses  sujets  et  fait  observer  si  religieusement  la  pureté 

(1)  Procès-verbaux  du  clergé,  t.  V,  p.  61  et  suiv. 

(2)  Lionne  à  Bourlemont,  4  juillt^t  1670.  liome,201.  —  a...  Les  mémoires  que 
vous  avez  eus  eu  ayant  été  dresses  par  M.  l'archevôque  de  Roaeu,  prélat  ue 
riinbiitité  que  vous  savez...» 

(3)  Au  roi,  23  novembre  1670.  /towe,  2H. 


L^INVASION   t>Ë   LA  HOLLANDE  479 

de  la  doctrine  orthodoxe^  ait  choisi  cet  évèque-là  pour  régir 
un  diocèse  de  Timportance  qu^est  celui  de  Tournai,  et  que 
c'était  assez  leur  dire  que  je  les  priais  de  faire  cette  sage 
réflexion.  Cela  les  arrêta...  )>  Ainsi^  avant  de  mourir,  Lionne 
.  avait  procuré  des  dignités  et  un  crédit  considérables  aux  trois 
prélats  d^Ëstrées,  Harlay  et  Choiseul,  dont  Tappui  avait  été 
le  plus  utile  à  Port-Royal  dans  son  dernier  péril»  et  qui 
devaient  èlre  les  principaux  champions  du  gallicanisme  en 
1682.  Au  même  moment,  il  employait  toute  Tautorité  du  roi^ 
à  Rome,  pour  dissiper  les  soupçons  qu'on  y  avait  conçus 
contre  Tabbé  le  Camus»  nommé  à  Tévéché  de  Grenoble  (1), 
qui  eut  toute  sa  vie  des  relations  équivoques  avec  les  jansé- 
nistes, et  contre  l'ancien  Oratorien  Neercassel ,  évéque  de 
Castorie»  vicaire  apostolique  en  Hollande,  dont  la  faiblesse  et 
rimprévoyance  devaient  faciliter  les  triomphes  de  Thérésie  à 
Utrecht  (2). 

La  seconde  moitié  de  l'année  1671  et  l'année  1672  tout 
entière  se  passèrent  sans  que  Louis  XIV  provoquât  de  nou- 
veaux diiïérends  avec  Rome.  Il  prévoyait  que  la  défaite  des 
Hollandais  leur  rendrait  des  alliés,  et  il  lui  importait  de  mé- 
nager le  chef  do  TËglise,  à  la  veille  d*une  guerre  générale, 
lorsque,  recherchant  Talliance  de  Tarchevéque- Électeur  de 
Cologne  et  des  autres  princes  ecclésiastiques  d* Allemagne,  il 

(1)  Le  roi  à  Bourlemunt,  17  avril  1671.  Rome,  213  :  lettre  très  Yïve  et  très 
aigre,  pour  presser  rexpédition  des  bulles,  suspendue  «  sous  prétexte  d*uoe 
médisance  qu*on  a  faite  contre  loi  à  rinquisiUon...  Mes  sujets  ne  reconnais- 
sent aucunement  ce  tribunal  qui  u*est  pas  fait  pour  eux,  principalement  lors- 
qu'ils sont  en  France.  »  — Lionne  au  même,  24  avril  1671.  Rome^  20S.  fiourle- 
mout  au  roi,  19  mai  1671.  Rome,  213. 

(2)  «  M.  révoque  de  Castorle,  vicaire  apostolique  en  Hollande,  a  obtenu  de 
la  Congrégation  où  était  son  affaire  tout  ce  qu*il  a  désiré,  nonobstant  les 
puissants  efforts  de  ses  parties  :  on  lui  confirme  sa  pleine  autorité  de  vicaire 
apostolique  en  Hollande.  Cet  évoque  s*est  comporté  ici  avec  taut  de  sagesse 
et  de  retenue  qu'il  n*a  donné  aucun  sujet  à  ses  ennemis  de  lui  faire  des 
affaires,  quoiqu'il  fût  observé  de  tous  côtés,  et  t7  a  eu  f adresse  de  tenir  se- 
crètes les  pratiques  et  les  recommandations  que  Von  faisait  sous  main  pour 
lui...  Les  Jésuites  l'avaient  accusé  d'être  Jaoséoiste,  et  le  cardiual  Albizzi  a 
fait  contre  lui  ce  qu'il  a  pu  en  faveur  des  PP.  Jésuites,  msis  la  Congrégation 
D*a  pas  eu  égard  à  ce  que  l'on  alléguait  sans  preuves.  11  part  bientôt  pour 
retourner  en  Hollande.  Il  se  reconnaît  infiniment  redevable  à  la  protection  de 
V.  M.  n  vBourlemont  au  roi,  10  mars  1671.  Rome,  213.  —  Sainte-Beuve,  Port- 
Royal,  l.  V,  p.  362  et  suiv.) 


480  CHAPITRB  TROISIEME 

sollicitait  d'autre  part  les  bons  offices  des  Étals  italieos  pour 
recruter  ses  régiments  (1).  Aussi,  quoiqu'il  ne  fût  pas  animé 
de  meilleurs  sentiments  pour  le  saint-siège»  se  montra-t-il 
parfois  importuné  des  querelles  que  MM.  d*Eslrées  suscitaient, 
sous  tous  les  prétextes,  à  la  cour  pontificale.  Ils  aimaient 
mieux  devoir  le  succès  des  affaires  à  la  violence  qu'à  une 
négociation  courtoise  et  loyale.  César  d'Estrées  écrivait  à  Pom- 
ponne :  «  Sous  le  pontificat  de  Clément  IX,  les  grAces  venaient 
en  volant;  dans  celui-ci,  elles  marchent  à  pas  de  tortue;  mais, 
comme  les  honnêtetés  étaient  alors  un  moyen  infaillible  pour 
les  obtenir,  les  instances  exprimées  doucement  mais  mêlées 
d'un  peu  de  crainte  et  d'embarras  font  à  la  fin  le  même  effet 
dans  ce  temps-ci,  et  l'affaire  du  cardinal  Rospigliosi  (2),  des 
résignations  (3)  et  du  Saint-Office  (4)  ne  finiront  que  de  cette 
sorte,  mtis  enfin  elles  finiront  lorsque  Sa  Majesté  le  vou- 
dra (5).  »  Le  nouveau  cardinal  avait  été  attaché  aux  trois  Con- 
grégations dellndex,  des  Évèqucs  et  Réguliers  et  du  Concile  : 
il  avoue  qu'elles  sont  très  importantes,  les  deux  premières su^ 
tout,  mais  il  veut  encore  entrer  dans  celle  de  Tlnquisition, 
parce  que  le  cardinal  Porlo-Carrero  en  faitpartic.  Vainement  on 
lui  répond  qu'il  n'en  est  pas  exclu  pour  toujours;  qu*il  vient  à 
peine  de  revêtir  la  pourpre;  que  pour  s'attirer  la  confiance  du 
pape,  il  devrait,  au  lieu  de  se  plaindre,  «  témoigner  de  Tagré- 
menldecequ'on  faisait, dansrespéranced'oblenirdavanlage;... 
que,  rinquisilion  n'étant  pas  établie  en  France  comme  en  Es- 
pagne, on  avait  plus  de  lieu  dV  admettre  les  cardinaux  espa- 
gnols que  les  français  »  ;  qu'enfin  elle  comptait  déjà  dans  ses 
rangs  un  membre  de  la  faction  française,  le  cardinal  d'Esle. 
—  On  pouvait  aussi  lui  demander  pourquoi  il  tenait  si  fort  à 
donnersa  voix  dans  ces  Congrégations  romaines,  pour  lesquelles 
les  Français  ail'ectaient  tant  de  mépris.  Il  se  servait  de  son 
frère  pour  intéresser  le  roi  à  sa  querelle,   w  II  est  certain, 


(i)  C.  Roussel,  Histoire  de  I^uvoiSy  t.  !•',  p.  328  et  suiv. 

(2)  La  promotiou  de  Felice  Kospigliosi  retardée  uniquemeot  par  les  intrigues 
du  cardinal  Jacopo  avec  la  cour  de  France. 

(3)  Ampliatiou  de  l'induit  des  Trois-Évt^chés. 

(4)  Entrée  du  cardinal  d'Estrées  dans  cette  CoogrégatioD. 

(5j  Mémoire  du  cardinal  d'Estrées:,  12  octobre  1672.  Home,  223. 


l'invasion  de  la  hollande  481 

disait  le  duc,  qu'il  se  peut  présenter  tous  les  jours  des  occa- 
sions où  un  cardinal  français  peut  être  utile  à  la  nation,  en 
détournant^  rectifiant  ou  modérant  des  résolutions  contraires 
à  nos  maximes...  Comme  la  jalousie  des  distinctions  et  des 
préférences  nationales  est  ce  qui  doit  le  plus  occuper  les  mi- 
nistres et  ce  que  les  indifférents  remarquent  le  plus,  c'est  aussi 
ce  que  la  qualité  de  père  commun  doit  obliger  le  pape  d'éviter 
avec  le  plus  de  soin  (1).  »  La  cour  fut  lente  à  s'émouvoir  : 
«  ...  Sa  Majesté,  dit  Pomponne,  ne  juge  pas  à  propos  de  se 
faire  comme  une  affaire  nationale  d'une  chose  qui  semble 
devoir  plutôt  venir  du  choix  et  de  l'honnêteté  du  pape  que 
d'une  obligation.  Ainsi,  Sa  Majesté  n'en  fera  point  parler  au 
nonce  et  croit  qu'il  suffit  que  le  pape  puisse  connaître,  après 
ce  que  vous  lui  en  avez  dit^  qu'il  pouvait  mieux  agir  avec  le  roi 
en  mettant  M.  le  cardinal  d'Estrées  dans  une  place  qui  rap- 
procherait aussi  près  de  Sa  Sainteté  que  les  cardinaux  espa- 
gnols, et  qu'il  remplirait  si  dignement  (2).  »  Quoique  le  pape 
déclarât  avec  bonté  que  le  cardinal  d'Estrées  or  aurait  assuré- 
ment satisfaction  (3)  »,  ce  prélat  fut  blessé  de  rindifférence 
témoignée  par  le  roi.  Il  écrivit  aigrement  au  ministre  (4)  :  «  Je 
n'ai^  je  vous  assure,  point  do  ragoût  pour  cette  assemblée  ;...  » 
mais  il  faut  montrer  sans  cesse  à  cette  cour  qu'on  n'est  pas 
c(  capable  de  s'endormir  ou  de  se  refroidir  sur  certaines  af- 
faires. »  Ses  clameurs  obtinrent  enfm  que  Louis  XIV  en  fit 
parler  à  Nerli,  et  Pomponne  répondit  (5)  :  «  La  chaleur  de  M.  le 
nonce  fut  assez  grande  pour  me  faire  voir  que  l'on  ne  pouvait 
pas  ôter  la  liberté  au  pape  de  choisir  les  personnes  qu'il 
croyait  les  plus  propres  pour  les  Congrégations;  que,  si  le 
cardinal  Porto-Carrero  et  d'autres  cardinaux  de  la  faction 
d'Espagne  avaient  presque  toujours  été  admis  dans  celle  du 
Saint-Office,  ils  l'avaient  été  sans  autre  raison  que  du  seul 
choix  du  pape  ;  qu'il  pouvait  même  y  en  avoir  une  particulière 


(1)  Le  duc  au  roi,  9  aoiU  1672.  Home,  222. 

(3)  Au  duc  et  au  cardiual,  9  septembre  1672.  Rome,  222. 

(3)  Le  duc  au  roi,  13  septeuDibre  1672.  Rome,  222. 

(4)  28  septembre,  laid, 

(5)  Le  roi  au  duc,  4  novembre;  Pompoaae  au  môme,  18  novembre.  Rome, 
223. 

LOmS  XIT  IT  U  SAIlIT-SlftOI.  —  IL  31 


482  OIIAPITRE   TROISIÈME 

plulol  pour  les  cardinaux  espagnols  que  pour  les  cardioaui 
frani^ais,  puisque,  Tlnquisition  n'étant  point  connue  en  France. 
ils  étaient  moins  instruits  de  ses  règles.  Je  veux  croire  quel* 
compte  qu'il  aura  rendu  de  ce  que  je  lui  dis  sera  reijQ 
plus  doucement  à  Rome,  et  que,  bien  que  Sa  Majesté  ne  de- 
mande point  cotte  place  comme  lui  étant  due  absolument,  on 
y  aura  pourtant  égard  de  ne  pas  changer  un  usage  qui  s'esl  ob- 
servé depuis  si  longtemps.  »  Ces  derniers  mots  prouvent  que 
les  papes  n'excluaient  la  faction  française  ni  de  cette  Congréga- 
tion ni  d'aucune  autre.  Clément  X  n'avait  pas  Tintention  de 
déroger  à  celte  coutume,  et  le  cardinal  d'Esté,  mort  le  30  sep- 
tembre de  celte  même  année,  fut  remplacé  par  le  cardinal 
d'Estrées  (1). 

La  guerre  fournit  à  MM.  d'Estrées  Toccasion  d'exciter  les 
défiances  du  roi  contre  la  cour  pontificale;  tantôt  ils  accusaient 
le  pape  d'avoir  écrit  à  TElecteur  de  Cologne  en  termes  olTen- 
sauts  pour  Louis  XIV;  tantôt  ils  le  blâmaient  de  ne  pas  célé- 
brer avec  oslentation  les  victoires  de  la  France.  Leur  malveil- 
lance dul  encore  être  contenue.  Pomponne  leur  écrivait  :  «  Le 
roi  a  vu  le  bref  du  pap<»  à  l'Elecleur  de  Cologne  dont  vous 
avez  envoyé  la  copie,  mais  le  style  dont  il  est  écrit  laisse  jus- 
Icmenlilouler  s'il  a  été  conçu  en  elfel  de  cette  sorte,  ou  s'il  a 
été  envoyé...  —  Je  ne  vous  dis  rien  de  particulier...  surle> 
excuses  que  M.  le  cardinal  Horronieo  avait  faites  du  bref  de 
Cologne.  Vous  saurez,  Monsieur,  el  le  cardinal  d'Estrées,  et 
déinùler  et  faire  un  usage  assez  avantageux  de  cette  bonne 
disposition  apparente  (2).  »  —  u  Quelque  bien  que  Sa  Majesté 
veuille  procurer  à  l'Eglise  dans  ses  conquêtes,  vous  connaissez 
Irop  qu'il  lui  importe  de  ne  pas  faire  regarder  la  guerre  qu'elle 
a  enlreju'ise  connue  une  guerre  de  religion,  et  par  là  elle  ne 
veut  point  paraître  s'en  assurer  dans  le  public  un  mérite  par- 
liculier  <ï  Rome.  Elle  laisse  au  pape  toute  la  liberté  des  actions 
de  grâces  el  des  témoignages  publics  qu'il  en  voudrait  rendre 
à  Dieu;  mais  en  elfel  elle  serait  plus  aise  qu'aucune  de  ses 
démonslralions  ne  donne  sujet  à  ses  ennemis  défaire  regarder 


\K)  Le  cardinal  à  Po[n|)L»UDe,  11  juillet  1673.  Wome.  226. 

(2)  Au  rardiual,  19  août;  au  duc,  9  septembre  1672.  Rome.  222. 


L  INVASION    DE   LA   HOLLANDE  483 

a  querelle  de  la  Hollande  comme  une  cause  commune  à  tous 
os  protestants.  Ainsi,  loin  de  contribuer  à  inspirer  au  pape 
le  donner  des  marques  publiques  de  ce  que  la  religion  doit  au 
'oi  dans  cette  rencontre,  vous  pouvez  laisser  éteindre  ce  que 
TOUS  avez  cru  de  dispositions  jusqu'à  celte  heure,  sans  toute- 
bis  faire  connaître  la  raison  que  Sa  Majesté  peut  avoir  de  ne 
point  vouloir  cet  éclat  (1).  » 

La  cour  de  France  supportait  impatiemment  que,  dans  le 
Touble  où  elle  jetait  de  nouveau  l'Europe,  le  pape  remplît 
ivec  tant  de  prudence  son  devoir  de  père  commun  et  de  prince 
italien.  Elle  eût  volontiers  favorisé  Tagrandissement  de  l'Élat 
3CGlésiastique  et  Télévation  de  la  maison  Altieri,  si  Clément  X 
sût  facilité  l'entrée  des  Français  dans  la  péninsule;  et  son 
dépit  contre  le  cardinal-neveu  avait  surtout  pour  cause  la  réso- 
lution où  il  était  de  résister  à  de  pareils  desseins  (2).  Altieri 
demeurait  fidèle  à  la  maxime  de  maintenir  ce  tous  les  princes 
d'Italie  dans  une  bonne  correspondance  pour  empOcher  les 
desseins  de  ceux  qui  en  voulaient  troubler  le  repos.  »  Et,  tant 
:jue  rambassadeur  Mocenigo  répondait  à  ses  sages  conseils 
c  que  la  République  n'aurait  jamais  d\autres  pensées  que 
;elles  qui  seraient  agréables  au  roi  de  France,  et  qu'elle  voulait 
Hre  ioujours sotto  il patrocinio  de  Sa  Majesté  »,  il  ne  cachait 
3as  son  étonnement  «  de  ce  mot  AepafrociniOj  comme  s'il  l'eût 
rouvé  trop  soumis.  »  Mais  la  politique  pontificale  était  si  par- 
'aitement  irréprochable  que  les  Vénitiens,  malgré  leur  désir 
le  plaire  à  Louis  XIV,  n'osèrent  jamais  accuser  le  pape  de 
îomenter  une  coalition  contre  lui  (3).  ('es  bruits  de  ligue 
lalienne  partaient,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  de  Farnèse 
ju    même  de    Saint-Germain,   et  l'ambassadeur  Mocenigo 

(1)  Au  duc,  12  aoùl  16*2.  Uotfte,  222.  —  Louis  XIV  doinaudait  niors  des  re- 
;rues  aux  canlous  protesitaDts  de  la  Suisse,  et  il  avait  cuininencé  la  campaf^ue 
liplouMlique  dout  le  hul  était  de  mettre  TEmpercur  aux  prises  avcr  les 
^huces  luthériens  d'AlIema^'ue  et  ave<*  les  Turcs. 

(2)  <•  Li  più  savi  Togliuno  ch*  atteudi  (il  rè  di  h'rancia)  di  veder  nel  puiitili- 
:ato  alcuu  «uggetto  che  pnr  l'etâ,  pcr  li  pareuti,  per  il  ^euio  possi  eeser  por- 
:alo  a  dar  mano  alV  occujHitiom'  dalvun  sfaio  confinante  per  investi fe  la  casa 
9ropria  con  le  forme  prima  convenule  :  a  che  la  dcholezza  degli  altri  e  la  posi- 
tura  délie  co^e  prcdeuli  pare  vi  diauo  facilita.  »  {Helazione  de  Griuiaui, 
L  II,  p.  362.) 

(3)  Le  duc  au  roi,  16  aoAt  1072.  Rome,  222. 


484  CHAPITRE  TROISIÈME 

avouait  aux  Pregadi  que  Louis  XIV  avait  cherché  dans  ces 
rumeurs  des  prétextes  pour  intimider  le  souverain  pontife  et  le 
menacer  de  représailles  (i).  Celte  vigilance  de  Clément  X  était 
bien  justifiée  par  les  tentatives  du  roi  pour  prendre  pied,  dès 
cette  époque,  au  delà  des  Alpes,  et  notamment  par  sou  inter- 
vention menaçante  dans  les  querelles  des  Génois  avec  la  cour 
de  Turin  (2).  Clément  X  et  son  successeur  Innocent  XI, 
oubliant  les  sujets  de  plainte  que  Gônes  avait  donnés  au  saint- 
siège  sous  le  pontificat  d'Alexandre  VII,  devaient  être  senlsà 
la  défendre  contre  la  France.  Le  roi  trahissait  parfois  son  res- 
sentiment de  cette  généreuse  conduite,  comme  lorsqu'il  fit 
déclarer  de  bonne  prise  les  blés  achetés  par  le  pape  pour  l'État 
ecclésiastique  et  saisis  sous  pavillon  hollandais  (3).  Mais  la 
bienveillance  de  Rome  lui  était  trop  nécessaire  en  ce  moment 
pour  qu'il  persistât  dans  ces  procédés  hostiles.  Nous  Tavons 
entendu  protester  contre  la  pensée  de  faire  aux  Etats  généraux 
c<  une  guerre  de  religion.  »  Le  voici  qui  dénonce  l'Empereur 
comme  traître  à  TEglise  pour  avoir  arrêté  dans  ses  conquêtes 
le  vainqueur  des  Hollandais;  il  écrit  au  duc  d'Estrées  (4): 
(c  Dans  le  temps  que  Sa  Sainteté  emploie  les  prières  de  l'Église 

(1)  «t  Circn  le  voci  che  artificiosamrnte  si  sono  faite  correre  per  Rouia  delk 
leghe  d'ilalia,  sobl)eue  i  France:*!  non  lemono  che  sia  per  se^çuire  uoioae  dei 
priiicipi  in  qnesta  provincia.  ad  ogni  utodo  moslrano  di  dar  credenza  pfr  vu- 
lersi  del  prelesto  in  caso  tl'altre  risoluzioui.  »  {Helaztonc  de  Mocenigo,  t.  Il, 
p.  389.) 

(2)  Gènes  consentait  à  une  suspension  d'armes,  mais  refusait  de  rendre,  araat 
le  traité.  l;i  pince  d'Oueglia  prise  sur  le  duc  de  Savoie.  Pompoune  écrivit  ao 
duc  d'Estrées  :  «  En  cas  que  la  République  refuse  ce  que  S.  M.  désire,  le 
sieur  de  Gomont  a  non  seulement  ordre  de  se  retirer,  mais  de  déclarer  à  la 
République  (jue  les  vdisseuux  et  les yalèrcs  du  7'oi  se mellronl  en  iHat  découd 
sua  à  ses  sujets...  On  doit  croire  que  les  choses  n'en  viendront  point  en  «l 
état,  '«  et  que  les  Génois  préféreront  le  parti  delà  paix  à  celui  de  laguerri^el» 
la  perte  des  bonnes  pràces  de  S.  M.  »  (30  septembre  1672.  Rome^  222.)  —  La  coar 
de  France  aimait  les  conseils  semblables  à  ceux  que  uous  trouvons  dans  Icf 
lettres  de  .Melani  à  Louvois  :  «  Je  répète  a  V.  E.  ce  que  je  lui  ai  déjà  maaJè, 
que  S.  M.,  sans  contrevenir  à  aucun  traité  et  sans  que  les  Espagnols  fus.<eut 
en  état  ilc  l'empêcher  ni  aucun  autre  prince,  pourrait  leur  couper  les  bras 
la  bours»^  «'t  les  j.iml)os  en  faisant  Venlrcprise  de  Gènes,  qui  le  rendrait  maître 
de  toute  l'Italie,  en  donnant  au  duc  de  Savoie  le  pays  qui  l'accommode  et« 
serait  une  conquête  d'une  conséquence  incompréhensible  et  très  facile  4 
garder.  ..  (D  janvier  U'Hû.  Rome,  218.) 

(3)  Le  roi  au  duc,  28  septembre  1672.  Rome^  223. 

(4)  2  décembre.  Ibid. 


l'invasion  de  la  hollande  485 

et  les  assistances  temporelles  pour  défendre  la  Pologne  des 
progrès  du  Turc,  qui  pourront  ensuite  menacer  les  pays  héré- 
ditaires, il  doit  paraître  assez  étrange  que  TEmpcreur,  qu'un 
intérêt  général  et  particulier  engagerait  si  fort  à  s'opposer  au 
commun  ennemi  du  nom  chrétien,  semble  tourner  aujour- 
d'hui ses  forces  contre  moi  en  faveur  des  ennemis  déclarés  de 
la  religion.  Je  ne  vous  répète  point  ce  que  vous  avez  déjà  vu, 
dans  une  dépêche  précédente,  du  soin  que  j'ai  apporté  pour 
faire  cesser  le  soupçon  que  l'Empire  pourrait  avoir  de  mes 
armes.  J'ai  assez  fait  connaître  qu'elles  n'avaient  pour  objet 
que  la  guerre  que  j'ai  été  obligé  d'entreprendre  contre  les 
États  généraux  (1).  Mais,  lorsque  l'Empereur  fait  marcher  ses 
troupes  sur  le  Rhin  et  se  joint  au  plus  puissant  des  princes 
protestants  d'Allemagne  (2),  il  ne  laisse  plus  douter  que  le 
vœu  de  favoriser  mes  ennemis  ne  l'emporte  sur  l'intérêt  de  la 
religion  et  du  repos  de  TFlmpire.  Il  serait  digne  sans  doute  du 
zèle  de  Sa  Sainteté  qu'en  même  temps  qu'elle  exhorte  la  cour 
de  Vienne  [à  s'opposer]  aux  progrès  des  infidèles,  elle  la 
détournât  d'appuyer  un  parti  contraire  au  saint-siège  et  à 
l'Église  ;  d'autant  plus  qu'en  finissant  une  guerre,  dans  laquelle 
j'ai  déjà  fait  assez  paraître  mon  désir  de  procurer  l'avantage 
de  la  religion,  je  me  trouverais  plus  tôt  en  état  de  seconder 
les  saintes  intentions  de  Sa  Sainteté  contre  le  Turc.  Vous 
vous  servirez  de  toutes  ces  raisons  pour  faire  connaître  à  Rome 
combien  le  pape  devrait  s'employer  auprès  de  l'Empereur  pour 
lui  faire  perdre  le  dessein  d'allumer  la  guerre  dans  l'Empire, 
sans  autre  intérêt  que  celui  des  États  généraux  ou  celui  de  sa 
passion  particulière.  » 

Louis  XIV  apprenait,  d'ailleurs,  par  des  faits  publics  et  par 


(1)  Les  deux  branches  de  ia  maison  d'Autriche  étaient  dans  lo  cas  de  légi- 
time défense.  Tout  le  monde  sait  aujourd'hui  que  la  gnorre  de  Hollande  n'était 
qu'un  moyen  d'arriver  à  la  conquête  des  Pays-Bas  sur  i'Espague.  Dès  le 
!•'  novembre  1671,Louvoi8  disait  dans  uu  raémoiro  cité  par  M.  Mignot  :  «  Le 
véritable  mnyen  de  parvenir  à  la  conquête  dex  P(v/s-Ha.f  r.ç/>fl7no/.v  est  d'abaisser 
les  Hollandais  et  de  les  anéantir,  s'il  est  possible.  »  {Ségociationa  reln.tiv**s  à  la 
8ucce:fsion  d'Espagne^  t.  111,  p.  665.  —  C.  Roussel,  Histoire  de  Louvois,  t.  !«', 
p.  325  et  suiv.) 

(2)  L*Ëlcctenr  de  Brandebourg,  dont  Louis  XIV  venait  de  rechercher  inuti- 
lement L'alliance.  (Mémoires  de  Pomponne,  État  de  l'tJurope,  p.  279  et  suiv.) 


486  CHAPITRE   TROISIÈME 

des  communications  confidentielles  que  la  cour  pontificak 
conservait  les  meilleures  intentions  pour  la  France.  Il  venait 
d'obtenir  de  Clément  X  un  bref  important  qui  amplifiait  et 
complétait  Tindult  do  Clément  IX  sur  la  collation  des  bénéfices 
dans  les  Trois-Évôchés  (1).  D'un  autre  côté,  Serroni,  évéqiie 
do  Mendc  (2),  avait  depuis  peu  fait  lire  au  roi  une  lettre  où  le 
P.  Libelii,  Dominicain,  maître  du  sacré  palais  (3),  s^exprimail 
ainsi,  sous  le  sceau  du  secret,  sur  le  cardinal  Altieri  :  Vous 
pouvez  dire  au  roi  c  que  Son  Kminence  est  un  homme  sans 
pareil,  d'un  cœur  qui  ne  se  donne  pas  à  demi,  sans  orguoil 
aussi  bien  que  sans  bassesse;  et,  quoique  ses  indispositions  le 
chagrinent  quelquefois,  après  ces  moments  il  n'y  a  rien  de  si 
doux,  do  si  affable,  de  si  sincère,  de  si  ouvert,  ni  de  moins 
violent  dans  ses  entreprises  et  dans  ses  résolutions;  qu'il  a 
toujours  parlé  de  Sa  Majesté  avec  un  grand  respect  et  une  véri- 
table estime;  que  personne  n'a  reçu  et  ne  recevra  avec  plus 
de  joie  que  lui  les  nouvelles  de  ses  victoires;  qu'au  surplus  on 
ne  peut  rien  ajouter  à  sa  conduite  et  à  son  zèle  pour  les  afifaircs 
de  la  chrétienté,  ot  moins  encore  à  Taffection  avec  laquelle  il 
s'empresse  en  toul  ce  qui  regarde  le  service  ou  les  volontés  du 
roi.  0 

Aussi  Louis  XIV  crut-il  le  moment  venu  de  s'attacher  Al- 
tieri par  des  lions  secret,  ot  d'obtenir  par  lui  l'appui  du  sainl- 
siège  dans  une  entroprise  considérable  qu'il  avait  récemmeol 
formée  contre  TK^^lise  do  son  rovaume.  Colbert  et  Louvois, 
aussi  pou  scrupuleux  l'un  quo  l'autre,  ne  se  contentaient  pas 
d'onrichir  leurs  familles  aux  dépens  du  patrimoine  ecclésias- 
tique :  comme  ministres,  ils  jetaient  un  œil  d'envie  sur  des 
biens  qu'ils  rêvaient  de  mettre  ù  la  discrétion  de  la  povaulé. 

(1)  10  octobre  1612.  Rome,  223. 

(2)  Aaci(în  prolé^'é  de  Mazarin,  qui  îillait  devenir  archcvftque  d*A1hi.  (23  no- 
vembre 1672.  Home,  22'i.)  La  table  désigne  ainsi  cette  pièce  :  «  Copie  d'une 
lettre  du  maître  du  sacré  palais  à  l'évêque  de  Monde,  touchant  le  gratis  qu'i! 
demandait  [pour  les  bulles  de  l'abbaye  de  la  Chaise -Dieu]  et  V inclination  du 
cardinnl  Allieri  pour  ic  roi.  »  —  La  lettre  porte  en  outre  cette  Dote  :  o  il  im- 
porte extrAmement  de  la  tenir  [secrète],  parce  que,  si  elle  était  sue,  elle  rui- 
nerait celui  doit  elle  vient.  »> 

(3)  Dont  Bourlemont  lui-même  avait  plusieurs  fois  signalé  la  vertu,  le  mé- 
rite et  riuclinatiou  pour  les  Français.  V.  notamment  ci-dessu9,  chap.  vi  du 
livre  II. 


ENTREPRISES    SUR    LES    BIEXS    DE    t/ÉGUSE  487 

Ce  n'est  pas  seulement  vers  la  fin  de  son  règne  que  Louis  XIV 
enteudit  des  conseillers  serviles  proclamer  son  souverain  do- 
maine sur  toutes  les  propriétés  de  ses  sujets  :  il  avait  été 
nourri  dans  celte  doctrine,  qu'il  enseigna  de  bonne  heure  à 
son  fils  :  (c  Tout  ce  qui  se  trouve,  disait-il,  dans  félendue  de 
nos  Etats,  de  quelque   nature  qu'il  soit,   nous  ai>parlient  à 
même  titre  (1)...  »  Déjà  en  1662,  il  avait  eu  la  pensée  de  de- 
mander au  clergé  des  subsides  particuliers  pour  la  caisse  de 
rarniée,  indépendamment  des  contributions  que  votaient  les 
assemblées  quinquennales;  mais  il  n'entendait  pas  encore  se 
passer  de  l'approbation  du  saint-siège .  Ses  instructions  secrètes 
au  duc  de  Créquy(2),  où  il  nous  révèle  sa  résolution  do  no 
jamais  entrer  dans  une  ligue  contre  la  Porte,  parce  qu'il  avait 
intérêt  à  ne  pas  accroître  les  forces  de  l'Empereur  contre  les 
Turcs,  contenaient  ces  lignes  :  «  Une  seule  chose  serait  capable 
de  tenter  Sa  Majesté  à  passer  sur  toutes  les  fortes  considéra- 
tions que  l'on  vient  de  dire,  qui  serait  si,  par  l'autorité  du  pape 
et  avec  son  concours,  en  la  joignant  à  celle  du  roi,  on  pouvait 
trouver,  de  commun  concert,  quelque  voie  de  faire  que  les 
dépenses  de  cette  guerre,  où  l'on  veul  engager  Sa  Majesté,  ne 
tombassent  pas  entièrement  sur  le  tiers  Etat  de  son  royaume, 
dont  les  forces  sont  déjà  si  épuisées;  mais  que,  comme  il  s'agit 
de  la  cause  de  Dieu  et  que  le  corps  de  l'Eglise  y  doit  prendre 
le  principal  intérêt,  le  pape  et  Sa  Majesté  se  joignissent  j)()ur  y 
faire  contribuer  notablement  tous  les  ecclésiastiques  de  France 
parles  voies  qui  peuvent  être  pratiquées,  et  qu'il  sera  aisé  de 
sucrfférer  à  Sa  Sainteté  et  lui  en  faire  voir  la  facilité  et  même 
la  justice,  pourvu  qu'auparavant  elle  soit  demeurée  d'accord 
avec  ledit  sieur  duc  du  principal  fondement  que  cette  guerre 
doive  être  principalementsoulenue  aux  frais  du  clergé.  Il  ne  doit 
pourtant  pas  proposer  d'abord  la  chose  si  crûment,  mais  atten- 
dre l'occasion  de  quelque  difliculléde  considération  qui  naisse 
dans  les  pourparlers  de  la  ligue,  et  alors  sonder  avec  dexté- 
rité les  sentiments  du  pape  sur  cette  ouverture,  sans  témoi- 
gner d'en  avoir  aucune  charge  du  roi,  mais  en  parlant  comme 

(1)  fEuvrts,  t.  n,  p.  m  et  121  :  Année  1600. 

(2)  Hecucil  îles  insfrurtionft  an.r  atnfmssadrurs.  Romet  t.  I,  p.  138.  Voir  plus 
haut,  cliap.  tu  du  livre  \**. 


488  CHAPITRE   TROISIÈME 

(l*une  pensée  qui  lui  est  tombée  dans  l'esprit,  pour  surmonter 
ledit  obstacle  et  Tappuyant  même  de  Texemple  des  Espagnols 
à  qui  le  saint-siège  accorde  tant  de  décimes  et  de  croisades, 
sous  prétexte  de  la  guerre  contre  les  inPidëles  que  l'Espagne 
ne  leur  fait  point,  et  ne  laisse  pas  de  jouir  de  toutes  ces  le- 
vées. »  Ces  derniers  mots  ne  laissent  aucun  doute  sar  la  pen- 
sée intime  du  roi  :  il  lui  suffisait  d*un  prétexte  et  de  créer  un 
précédent.  Une  fois  ces  levées  établies,  ses  Parlements  et  ses 
intendants  les  auraient  perpétuées  comme  un  droit  antique  et 
inaliénable  de  la  couronne. 

Le  projet  d*édil  sur  Tâge  requis  pour  la  profession  reli- 
gieuse, et  les  autres  mesures  tentées  pour  réduire  le 
nombre  des  couvents,  en  se  réglant  sur  Texemple  des 
nations  protestantes,  avaient  pour  but  de  séculariser,  c'est- 
à-dire  de  confisquer  une  grande  partie  des  propriétés  monas- 
tiques. La  couronne  rangeait  les  évéques  de  son  c^té  en 
leur  réservant  les  menses  abbatiales,  grossies  aux  dépens 
des  monses  conventuelles.  L'arrêt  d'Agen  n*avait  été  qu'un 
épisode  de  la  campagne  ouverte  contre  les  ordres  religieux. 
En  menaçant  à  la  fois  leur  domaine  spirituel  et  leur  domaine 
temporel,  la  royauté  espérait  que,  forcés  de  se  défendre 
au  même  moment  contre  tant  d'attaques,  ils  laisseraient  à 
découvert  quoique  côté  vulnérable,  par  où  elle  entrerait  plus 
siiremont  dans  le  corps  de  la  place.  Mais  la  réforme  qui  avait 
été  introduite  dans  un  si  grand  nombre  de  communautés,  et 
qui  produisait  tant  de  merveilles  sur  tous  les  points  du  terri- 
toire, permettait  à  l'institut  monastique  de  lutter  encore  avec 
avantajfo  contre  lacommende  et  contre  tous  les  empiétements 
du  pouvoir  civil.  Les  conseillers  du  roi  durent  sinon  reculer, 
du  moins  changer  leur  plan  d'invasion.  Pourquoi  n'allaient- 
ils  pas  droit  au  saint-siège  pour  Tinviter  à  régler  d'un  com- 
mun accord  les  questions  où  les  deux  puissances  ont  des  in- 
térêts divers  à  concilier?  Il  aurait  fallu  d'abord  reconnaître 
avec  respect  et  loyauté  la  liberté  de  TEglise  et  les  prérogatives 
pontificales  :  le  gallicanisme  ne  le  permettait  plus  !  Rome  se 
refusait-ollo  aux  mesures  qui,  sans  violer  aucun  droit,  assu- 
raient le  meilleur  emploi  des  biens  monastiques?  Est-ce  qu'A- 
lexandre VII  n'avait  pas  supprimé,  sur  le  territoire  de  Venise, 


ENTREPRISES    SUR    LES    BIENS    DE   l'ÉGLISE  489 

plusieurs  religions  dégénérées,  et  permis  d'en  attribuer  le 
prix  à  la  République  pour  la  délivrance  de  Candie?  Un  seul 
prince  en  Europe  protesta  contre  cet  acte  :  le  roi  de  France 
en  fit  le  texte  de  violentes  invectives  contre  un  pontife  qu'il 
avait  pris  en  horreur,  et  auquel  il  reprocha  «  de  rendre  au 
siècle  et  de  profaner  les  biens  par  des  suppressions  de  cou- 
vents, par  des  aliénations  et  ventes  de  leurs  revenus,  contre 
toutes  les  lois  divines  et  humaines  (1)  I  »  Dix  ans  n'étaient  pas 
écoulés,  le  même  roi  mettait  la  main  sur  une  portion  consi- 
dérable du  patrimoine  ecclésiastique,  et  en  réglait  à  sa  fantai- 
sie la  répartition  et  l'usage  ! 

Quels  que  fussent  alors  les  progrès  de  la  richesse  nationale, 
les  revenus  ordinaires  du  trésor  public  ne  correspondaient  pas 
aux  dépenses  faites  par  la  couronne.  Cependant  TEglise,  in- 
dépendamment des  impôts  qu'elle  payait  directement  au  fisc, 
pourvoyait  alors  au  culte,  à  l'enseignement  de  tous  les  degrés, 
à  la  charité  publique  et  à  une  foule  de  services  qui  sont  au- 
jourd'hui au  compte  de  l'État  ;  et  un  grand  nombre  de  bénéfices 
ecclésiastiques,  détournés  de  leur  destination  par  le  roi,  en- 
traient pour  une  large  part  dans  la  fortune  de  sa  famille,  de  ses 
ministres,  de  ses  courtisans,  de  ses  maîtresses  et  de  ses  hk- 
tards.  Cela  ne  suffisait  déjà  plus  à  Louis  XIV,  qui  cherchait 
sans  cesse  de  nouveaux  expédients  pour  se  décharger  sur  le 
clergé  séculier  ou  régulier,  dans  une  mesure  plus  étendue, 
des  dettes  créées  par  son  ambition  et  par  sa  prodigalité.  Lou- 
vois  surtout,  qui  flattait  et  stimulait,  au  lieu  de  les  contenir, 
les  projets  belliqueux  de  son  maître,  et  qui  commençait  à 
creuser  Tablme  où  la  royauté  finit  par  se  perdre;  Louvois,  ap- 
puyé par  le  Tellier,  son  père,  et  par  Tarchevêque  de  Reims, 
son  frère,  suggéra  au  roi  le  dessein  de  faire  supporter  à  TÉglise 
une  partie  des  dépenses  de  la  guerre. 

On  sait  que,  depuis  plusieurs  siècles,  les  abbayes  et  prieurés 
entretenaient  dans  leurs  murs  ou  pensionnaient  à  domicile, 
sous  le  titre  d'Ohlats,  un  grand  nombre  de  militaires  invalides. 
Henri  IV,  obligé  de  réparer  les  ruines  accumulées  sous  les 
règnes  précédents,  avait  songé  aux  moyens  d'affecter  à  Ten- 

(i)  V.  plat  haut,  chapitre  ix  du  livre  1*'. 


490  CHAPITRE   TROISIÈME 

treticn  de  s^cs  officiers  et  de  ses  soldats,  portant  les  armes  oo 
retirés  du  service,  les  bénéfices  qui  avaient  appartenu  â 
Tordre  hospitalier  de  Saint-Lazare  et  que  les  guerres  civiles 
avaient  livrés  au  pillage.  II  dressa  le  plan  d*un  ordre  militaire 
qui,  sous  le  nom  de  Notre-Dame-du-Monl-Carmel,  serait  sub- 
sliluéaux  chevaliers  de  Saint-Lazare , considérés  comme  abolis, 
et  qui  jouirait  de  tous  les  biens  abandonnés  par  cette  milice. 
Mais  Henri  IV  ne  fit  rien  qu'avec  l'assentiment  préalable  de 
Paul  V,  et  la  déclaration  de  Fontainebleau,  d*avril  1608,  avait 
été  précédée  de  plusieurs  bulles,  dont  la  première  remonte  an 
46  février  1607.  Malheureusement  la  mort  de  ce  prince  et 
les  troubles  qui  la  suivirent  laissèrent  inachevée  une  réforme 
qui  exigeait  le  bon  accord  des  deux  puissances.  Deux  bulles 
*  d'Innocent  X  et  de  Clément  IX  firent  revivre  en  France  le  titre 
de  grand  maître  de  Saint-Lazare,  porté  aussi  par  le  grand 
maître  de  Notro-Dame-du-Mont-Carmel  ;  mais  la  possession 
et  remploi  des  biens  n'étaient  pas  réglés  selon  l'esprit  et  la 
volonté  des  fondateurs,  et  la  couronne  tendait  à  ne  voir  dans 
ces  propriétés  que  des  bénéfices  militaires  dont  elle  disposait 
à  son  gré.  Louvois  trouva  dans  cet  abus,  contre  lequel  l'Église 
no  cessait  pas  de  réclamer,  le  prétexte  dune  incursion  formi- 
dable sur  le  domaine  ecclésiastique.  Au  mois  de  décem- 
bre i(}12y  sans  que  le  saint-siège  eut  été  pressenti,  un  é«1it 
parut  tout  à  coup  qui  déclarait  le  roi  souverain  de  ces  deux 
ordres  ;  leur  unissait  les  maladreries,  hôpitaux,  maisons-Dieu 
et  autres  lieux  du  royaume,  où  il  plairait  au  roi  de  dire  que 
l'hospitalité  n'était  pas  observée;  supprimait  en  France  plu- 
sieurs ordres  militaires  et  hospitaliers,  entre  autres  ceux  du 
Saint-Esprit  de  Montpellier,  de  Saint-Jacques-de-rÉpée,  du 
Saint-Sépulcre,  de  Sainte-Christine  de  Somport,  de  ISotre- 
Dame  Toutoniquc,  de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas  ou  de 
Lucques,  de  Saint-Louis-de-Bouchor  au  mont,  et  transférait 
leurs  biens  et  revenus  à  Notre-Dame  du  Mont-Carmol. De  toutes 
ces  propriétés,  le  roi  ferait  des  commanderies  dont  il  aurait 
«  l'entière  et  pleine  disposition  en  faveur  des  officiers  de  ses 
troupes  »,  et  sur  lesquelles  il  mettrait  telles  pensions  qu'il  ju- 
gerait convenable  :  il  réserverait  quelques  fonds  pour  des  hôpi- 
taux militaires,  afin  de  ne  pas  effacer  complètement  le  souvenir 


MISSION   SECRÈTE    DE    l'aBBÉ    COCQUELIN  491 

des  fondateurs,  et  il  établirait  une  juridiction  spéciale  pour  in- 
lorpréler  et  appliquer  cetédit(l)!  Louvois  fut  nommé  grand 
vicaire  des  deux  ordres,  pour  «  régir  leurs  affaires  »  sous  Tau- 
lorité  du  roi.  La  retraite  et  la  connivence  du  marquis  de  Néres- 
lang,  dernier  grand  maître  de  Saint-Lazare  et  du  Monl-Carmel, 
furent  payées  quatre  cent  mille  livres.  Ceux  qui  voulaient  ré- 
sister devaient  s'attendre  à  rejoindre  l'abbé  du  Colombier, 
nommé  par  le  pape,  Tannée  précédente,  précepteur  du  Saint- 
Esprit  de  Montpellier  et  qui,  sur  son  refus  d'obéir  à  Tédit,  fut 
envoyé  à  la  Bastille,  où  il  demeura  huit  ans  prisonnier  (2) ! 

Quand  l'édit  eut  été  rendu  public  et  toutes  les  mesures 
prises  pour  en  assurer  l'exécution,  même  par  la  force, 
Louis  XIV  et  Louvois  entreprirent  de  le  faire  ratifier  par  le 
souverain  ponlife  :  ils  entamèrent  avec  le  cardinal  Altieri  une 
négociation,  qui  fut  cacbée  d'abord  k  Pomponne  et  à  MM.  d'Es- 
trécs,  et  qui  a  échappé  jusqu'à  ce  jour  à  tous  les  historiens. 
Sur  le  conseil  de  le  Tellier  et  de  ses  fils,  elle  fut  confiée  à 
leur  domestique,  Tabbé  Cocquelin,  docteur  de  Sorbonne,  an- 
cien précepteur  de  l'archevêque  de  Reims,  théologien  érudil, 
besoigneux,  rédacteur  des  six  articles  gallicans  de  1663,  et 


(1)  Cette  chambre  royale,  siégeant  à  rArâenal,  se  composait  d'un  conseiller 
d'Etat  ordinaire,  de  huit  con:^eilIer9  au  Grand  Conseil,  et  d'un  procureur  gé- 
néral. Outre  ce  tribunal,  chargé  de  rétablir  les  ordres  de  Saint-Lazare  et  du 
Mont-Carmcl  «  dans  tous  les  droits  qui  leur  avaient  appartenu,  m  et  par  con- 
Si''quent  de  susciter  des  procès  sans  nombre  sur  tous  les  points  du  royaume, 
le  roi  se  réservait  d'expliquer  et  d'amplifier  lui-même  sa  déclaration  de  1613. 
Vi-i  le  mois  de  mars  1674,  des  lettres  patentes  aunoucërent  qu'il  avait  «  en- 
tendu comprendre  »  dans  les  lieux  transférés  aux  deux  ordres  même  «  h;» 
hôpitaux  fomlés  pour  la  réception  des  pèlerins  et  pauvres  passants;  «•  et  un 
Douvelédit  d'avril  1675  mit  les  deux  ordres  u  en  possession  et  saisine  »  môme 
des  hôpitaux,  maladreries..  commanderies  et  autres  lieux  pies  qui  avaient  été 
pn>cédemment  unis  à  des  communautés  ecclésiastiques  ou  laïques,  régulières  ou 
séculières,  «  de  quelque  qualité  et  ordres  qu'elles  fussent  ». 

(2)  Hélyot,  t.  n,  p.  210.  On  peut  voir  au  VU»  volume  des  Archives  de  la 
Bastille^  p.  362  et  suiv.,  l'histoire  lamentible  de  cet  ecclésiasti(iue.  L'édi- 
teur, M.  Ravaisson,  approuve  les  persécutions  subies  par  l'abbé  du  Colombier, 
qui  avait  eu  l'audace  de  contrarier  «  une  des  mesures  les  plus  sages  »  de 
Louvois,  et  d'invoquer  les  bulles  pontiUcales  «  comme  si  l'édit  de  suppression 
n'eût  pas  existé  :  il  voulut  les  faire  reconnaître,  mais  ce  fui  à  non  dam.,,  »  Or, 
redit  est  de  décembre  1672,  et  les  provisions  du  pape  étaient  antérieures  au 
mois  (/e^'ui/i  précédent!  (Sourlemont  à  Pomponne,  14  juin  1672;  le  duc  d'Es- 
trécs  au  roi,  16  du  même  mois.  Rome^  221.) 


492  CHAPITRE   TROISIÈME 

qui  jouera  Tun  des  rôles  los  plus  actifs  dans  TAssemblée  de 
4682  (4).  La  famille  le  Tellior  attachait  le  plus  grand  intérêt 
au  succès  de  cette  mission  :  elle  travaillait  dès  lors  à  niiDer 
Pomponne  dans  l'esprit  du  roi,  pour  faire  donner  à  Louvois 
les  aifaires  étrangères  ;  et,  comme  elle  ambitionnait  en  outre 
le  cardinalat  et  l'ambassade  de  Rome  pour  rarchevèque  de 
Reims,  elle  cherchait  à  décréditer  le  cardinal  et  le  duc  d'Es- 
trées,  dont  la  conduite  leur  attirait  tant  d*ennemîs.  Arrivé  à 
Rome  au  commencement  de  Tannée  4673,  sous  le  nom  de 
labbé  de  Villandry,  Cocquelin  se  rendit  au  palais  directement, 
avant  de  se  présenter  à  Farnèse,  et  remit  ses  lettres  de  créance 
au  cardinal  Âltieri.  Il  visita  Tambassadeur  comme  un  Français 
en  voyage,  mais  seulement  après  avoir  laissé  pénétrer  à  tous 
les  Romains,  par  le  mystère  aiïecté  de  ses  allures,  qu'il  était 
chargé  d'une  affaire  dont  le  duc  d'Estrées  n*avait  pas  le  secret 
Il  loua  une  belle  maison  oti  il  tint  table  ouverte»  mena  grand 
train,  entouré  de  gens  que  tout  lo  monde  savait  appartenir  an 
marquis  de  Louvois,  expédiant  et  recevant  des  courriers.  Il 
ne  négligea  rien  pour  accroître  la  mortification  de  MM.  d'Es- 
trées,  dont  les  alarmes  redoublèrent,  lorsque  Pomponne, 
averti  par  eux,  leur  répondit  avec  embarras  :  «  Je  ne  puis 
vous  rien  dire  sur  cette  affaire  qui  ne  m'a  point  été  com- 
muniquée. Ce  dont  je  puis  vous  assurer  seulement,  est 
qu'autant  qu'il  dépendra  de  moi,  j'entrerai  avec  un  extrèmo 
plaisir  et  une  extrême  affection  dans  tout  ce  qui  vous  re- 
garde (2).  » 

La  transformation  de  Tordre  de  Saint-Lazare  n'était  pas  le 
seul  sujet  dont  Cocquelin  eût  à  entretenir  le  pape.  Il  avait 
encore  à  lui  présenter  plusieurs  requêtes  d'une  portée  incal- 
culable, qui  auraient  dû  être  l'objet  d'un  Concordat,  débattu 
solennellement  entre  les  deux  cours  par  leurs  ministres  ordi- 


(1)  Voy.  le  portrait  que  traçait  do  CocqutîUn,  eu  lfi63,  un  confident  do  Col- 
bert,  et  qui  a  été  publié  pour  la  première  fois  dana  nos  Recherches  sur  T.i*- 
semfdêe  de  1682,2*  édition,  p.  281. 

(2)  11  nous  revii^ut  qu'il  «  témoigue  beaucoup  d'aigreur  contre  M.  le  cardiml 
d'Estrécs.  >»  N'ajoutez  pa?  foi  à  ses  rapports  avant  de  nous  entendre.  (Le  duc 
à  Pomponne,  10,  U,  IV  janvier,  8  et  22  février.  —  Pomponne  au  duc,  24  fé- 
vrier 1673.  home,  225.) 


MISSION    SECRÈTE   DE   l'aBBÉ    COCODELIN  493 

n aires  et  avec  la  participation  du  clergé  français.  En  effet,  le 
roi  demandait  : 

1*"  La  suppression  et  la  sécularisation,  au  profit  de  la  cou- 
ronne, d  un  grand  nombre  de  petits  monastères.  L*assembléc 
du  clergé  de  i  670  avait  entendu  un  de  ses  membres,  l'évêque 
de  la  Rochelle,  appeler  son  attention  sur  «  quantité  de  petits 
couvents,  abbayes  et  prieurés  claustraux,  où  les  religieux  ne 
vivaient  pas  dans  la  régularité,  parce  qu'il  n'y  avait  point  de 
lieux  réguliers  ni  propres  pour  l'observation  de  leurs  règles, 
à  faute  de  bâtiments  et  de  revenus  que  les  hérétiques  avaient 
usurpés,  »  Les  cvOques  pensaient  que  «  le  moyen  d'empêcher 
les  désordres  qui  arrivent  de  ces  petits  couvents,  où  souvent 
il  n'y  a  pas  deux  moines,  serait  de  pouvoir  réunir  ces  sortes 
de  inojiastères  aux  séminaires  et  ceux  des  Mendiants  aux  plus 
proches  couvents  de  leur  ordre;...  et  que,  pour  y  parvenir,  il 
faudrait  supplier  Sa  Majesté  de  vouloir  autoriser  les  instances 
que  le  clergé  poinr ait  en  faire  à  Sa  Sainteté,  en  lui  demandant 
pour  la  France  la  même  bulle  qu'Innocent  X  accorda  en  Italie, 
portant  suppression  des  petits  couvents  mal  situés  ou  inca- 
pables de  pouvoir  soutenir  la  discipline  monastique  (4).  »  Il  ne 
convenait  pas  à  Louis  XIV  que  de  pareils  rapports  s'établis- 
sent entre  le  saint-siège  et  le  clergé  de  son  royaume  :  il  ne 
laissa  pas  l'assemblée  aller  plus  loin;  mais  il  s'appropria  l'idée 
d'Innocent  X  et  de  l'évêque  de  la  Rochelle,  et  il  conçut  le  projet 
d'obtenir  une  bulle  qui  réunirait  ces  conventiiii  au  domaine 
roval. 

2""  Un  décret  pontifical  imposant  la  règle  de  la  congrégation 
de  Saint-Maur  à  toutes  les  congrégations  bénédictines,  et 
même  à  l'abbaye  chef  d'ordre  de  Cluni,  pour  permettre  au 
roi^  qui  s'était  déjà  fait  céder  par  la  congrégation  de  Saint- 
Maur  la  nomination  aux  prieurés  électifs  relevant  d'elle,  de 
substituer  également  la  nomination  royale  aux  élections  dans 
tous  les  prieurés  bénédictins;  concédant  au  roi  le  droit  :  pre- 
mièrement, d'établir  des  vicaires  au  lieu  d'abbés  dans  les 
abbayes  régulières  de  tous  les  ordres;  deuxièmement,  de 
changer  ces  vicaires  à  son  gré  et  de  les  faire  passer  d'une  ab« 

(1)  Procès-verbaux  du  clergé^  t.  V,  p.  62. 


19  i  CHAPmC   TEOISIÈME 


baye  a  l'autre,  avec  facalté  pour  Sa  Majesté,  à  chaque  chao- 
gemenl  de  vicaire,  de  nommer  aux  bénéfices  dépendants  de 
chaque  abbaye;  lui  donnant  enfin  <  ce  qui  resterait  du  revena 
des  abbayes  en  rês'Ie,  après  avi>ir  laissé  à  l'abbé  régulier  el 
aux  religieux  ce  qui  leur  était  nécessaire  pour  leur  subsis- 
tance. »  —  Cette  extension  démesurée  de  la  confimende,  ce 
bouleversement  de  toutes  les  règles,  ces  prétextes  innombra- 
bles d'empiétement  et  d'usurpation  aux  tribunaux  séculierset 
a  l'État,  ne  pouvaient  avoir  été  imaginés  que  par  un  ministre 
habitué  à  lever  des  contributions  en  pays  ennemis,  et  traitant 
l'Église  comme  une  province  hollandaise  ou  espagnole. 

3^  La  permission  d'imposer  sur  tous  les  bénéfices  consisto- 
riaux  évèchés  et  abbayeS;  de  nomination  royale^  des  pensions 
perpétuelles  s'élevant  jusqu'au  tiers  du  revenu,  el  dont  le  roi 
pourrait  gratifier  successivement  toutes  sortes  de  persoones 
tant  d'épée  que  d'autre  condition.  Louis  XIV  voulait  même 
que  ces  pensions  pussent  être  établies  dès  lors  sur  tous  les 
bénéfices,  sans  attendre  la  mort  des  titulaires,  et  qu'à  chaque 
vacance  ces  pensions  courussent  au  profit  du  trésor  royal  jus- 
qu'à la  nomination  des  successeurs  ;i\ 

Le  pape  n'était  pas  encore  remis  de  la  surprise  que  lui  avait 
causée  l'ordonnance  de  Saint-Lazare,  lorsque  le  nonce  lui  si- 
^Miala  un  nouvel  édit  qui,  sous  l'apparence  d'un  acte  fiscal, 
atlt'ifrnait  profondément  la  liberté  de  l'Eglise.  Los  évoques,  les 
pretrcîs  cl  les  fidi'h^s  avaient  un  ci>mmerce  intime  et  néces- 
saire avec  le  saint-siège  pour  leurs  besoins  spirituels  comme 
pour  h'urs  intérêts  temporels  :  dispenses  de  toute  nature  pour 
Icîsecclésiasliquesrt  pour  lesséculiers;  réhabilitations;  recours 
à  la  péiiileiicerie  roniaine;  balles,  expéditions,  provisions  bé- 
néiiciales  et  autres;  mille  affaires  importantes  et  délicates exi- 
gt'aieiit  nue  corresj)(>n(lanco  sûre  et  ininterrompue  entre  Rome 
el  Ions  les  (li()c<>ses  du  rovaume.  Des  coutumes  séculaires,  les 
lois  (Tclésiasliquiîs  et  civiles  avaient  réservé  le  soin  de  cette 
corres[)on(lance.  à  certains    agents  accrédités  à  Rome  et  en 

(1)  Ami/i/sc  de  Stiint'I*réi.  KomCf  Sr;fOciatioTis,  25.  —  Archives  de  la  Guerre: 
lla/ic  et  Savnir,  355  :  Coc(jUfliii  à  Loiivois,  28  juin  1673.  —  Home,  226  el  228  : 
Serviciit  à  Pompouue,  i*  juiu  cl  29  décembre  1673,  et  autres  dépèclies  daiL< 
rintervulle. 


3dlSS10N    SECRÈTE    DE   l'âRUÉ    COCQUELIN  495 

France  sous  le  nom  de  notaires  apostoliques,  banquiers  cl  ex- 
péditionnaires en  cour  de  Rome.  Plusieurs  fois,  en  4607,  en 
1613  et  en  1633,  la  couronne  avait  voulu  transformer  ces 
agents  en  officiers  purement  royaux  qui  lui  auraient  acheté 
leurs  charges  ;  mais  les  assemblées  du  clergé  avaient  fait  rap- 
porter les  décisions  déjà  prises.  Louis  XIV,  a  l'instigation  de 
Colbert,  reprit  les  anciens  projets  et  publia,  le  23  mars  1673, 
un  édit  plus  onéreux  pour  la  bourse  de  ses  sujets  catholiques 
et  surtout  plus  menaçant  pour  leurs  consciences  (1).  Il  érigeait 
en  litre  d'offices  de  nouvelles  agences,  qu'il  vendit  à  haut 
prix,  et  dont  les  acheteurs  se  remboursèrent  aux  dépens  du 
public;  et  il  déclarait  nuls  et  de  nul  effet  les  bulles  et  rescrits 
qui  n'auraient  point  passé  par  les  expéditionnaires  de  sa  créa- 
lion  (2). 

Clément  X  se  laissait  facilement  aborder  par  Cocquelin  ; 
mais  il  ne  l'accepta  pas  comme  unique  ministre  entre  lui  et  le 
roi  pour  Tobjet  le  plus  important  de  sa  mission  :  c'eut  été 
avouer  que,  comme  le  prétendait  Louis  XIV,  lafTairede  Saint- 
Lazare  ne  dépassait  pas  la  compétence  de  la  royauté,  et  pou- 
vait être  soustraite  à  la  connaissance  du  saint-siège.  Le  pape 
et  Altiori  évitèrent  le  piège  qu'on  leur  tendait  :  ils  se  plaigni- 
rent directement  au  duc  et  au  cardinal  d'Estrées  des  deux  éditt 
de  décembre  et  de  mars,  et  le  nonce  Nerli  fut  chargé  d'en  ré- 
clamer le  retrait  ou  du  moins  la  suspension  jusqu'à  ce  qu'un 
accord  fut  arrêté  entre  les  deux  puissances.  Clément  X  déclara 
iui-niùme  à  l'ambas^sadeur  que  le  premier  «  était  absolument 
contre  son  autorité  et  Thonneur  de  son  pontificat.  »  Le  duc 
d'Eslrées  écrivait  :  «  11  médit,  avec  beaucoup  d'altération, qu'il 
ne  pouvait  pas  subsister  et  que,  lorsqu'on  l'aurait  fait  révoquer. 


(1)  Lasseinbléc  du  clergé  de  4615,  la  première  qui  se  nhinit  après  la  publi- 
cation de  cet  édit,  protiista  éucrjL,nqaeniei4  contrt;  la  création  de  ces  officiers 
liouveaux  :  elle  rappela  que  les  afTaires  spirituelles  et  temporelles  dont  ils 
^*laiont  chargés  exigeaient  un  grand  secret  et  une  probité  dont  le  clergé  de- 
vait être  le  seul  juge  ;  que  les  anciens  expéditionnaires  avaient  la  confiance 
des  cvêques  et  des  fidèles,  taudis  que  les  nouveaux  «  pour  se  rembourser  des 
taxes  qui  leur  étaient  imposées  par  le  roi,  »  avaient  commencé  par  augmenter 
ronsidérableiuput,  «  d'un  tiers  pour  le  moins,  »  le  tarir  de  tout  ce  qui  passait 
par  leurs  mains.  {Açlcs  vt  procès-verbau.L'  du  c/vrgt^y  t.  V.  p.  263.) 

(3)  Le  duc  au  roi,  11  et  15  avril  1G73.  Uotue,  22:\. 


496  CHAPITRE    TROISIÈMB 

Votre  Majesté  pouvait  s'assurer  qu'il  ferait  tout  ce  qui  dépen- 
drait de  lui  pour  la  satisfaire  dans  rétablissement  qu'elle  dési- 
rait;... qu'il  avouait  que  l'Eglise  devait  beaucoup  à  Votre 
Majesté,  mais  qu'il  ne  fallait,  en  procurant  tous  ces  avantages, 
la  blesser  d'ailleurs  essentiellement  dans  son  autorité,  s  Le 
duc  d'Estrées  ayant  fait  observer  que,  si  Ton  voulait  expédier 
une  bulle  conforme  à  Tédit,  elle  serait  exécutée,  le  pape  ré- 
pondit (c  qu'il  ne  pouvait  donner  une  pareille  bulle  et  qn'fl 
fallait  commencer  par  la  révocation  de  Tédit,  après  laquelle  3 
faisait  espérer  toutes  choses...  »  —  <<  La  clause  qui  les  blesse 
le  plus,  dit  l'ambassadeur,  est  celle  qui  porte  que...  les  res- 
crits  qui  s'obtiendront  autrement  seront  nuls  et  de  nul  effet 
Ils  prétendent  que  le  défaut  d'un  particulier  qui  ne  se  sert  pas 
des  voies  établies  par  Tédit  ne  peut  pas  lier  l'autorité  du  pape 
dans  la  dispensation  d'une  grâce,  ni  en  annuler  la  concessioQ, 
et  c'est  sur  cela  que  le  cardinal  Âltieri  a  formé  l'objection  que 
je  marque  et  qui  suppose  que  cet  édit,  déclarant  les  rescrits 
nuls,  blesse  et  anéantit  la  puissance  dont  ils  sont  émanés,  ce 
que  sans  doute  on  n'a  pas  prétendu  et  qui  pourrait  avoir  besoin 
de  quelque  explication.  »  De  son  côté  le  cardinal  d'Estrées 
répondit  au  cardinal-ncvcu  »  qu'une  des  maximes  les  plos 
constantes  du  royaume  était  que  les  rois  pouvaient  faire  des 
règlements  en  matières  ecclésiastiques,  non  pas  en  s*attribuant 
la  puissance  spirituelle  par  laquelle  les  papes  et  les  conciles 
avaient  droit  de  les  régler  et  de  les  établir,  mais  en  suivant 
l'esprit  des  canons  et  des  décrets  qu'ils  avaient  faits,  et  en 
exécution  de  ce  qu'ils  contenaient;  que,  quoique  pour  lors  les 
rois  n'agissent  qu'en  appuyant  et  fortifiant  les  ordres  de  TE- 
glise  par  l'assistance  dont  ils  ont  besoin  d'être  soutenus,  leurs 
déclarations  et  leurs  arrêts  traitent  des  choses  en  soi  ecclé- 
siastiques et  spirituelles;  et  que...  si  SonÉminence  eût  consi- 
déré les  édits  dans  celte  vue,  ils  ne  lui  auraient  pas  sans  doute 
paru  des  entreprises  si  extraordinaires  et  si  préjudiciables  au 
saint-siège,  comme  elle  venait  de  me  le  représenter.  »  En  ex- 
posant ainsi  la  théorie  gallicane  et  en  revendiquant  pour  le 
roi,  dans  le  gouvernement  de  TÉglise,  une  autorité  qui  tient 
sans  cesse  en  échec  et  qui  annule  en  fait  celle  du  pontife  ro- 
main, le  cardinal  d'Ëstrées  fut,  comme  toujours,  plus  hautain 


MISSION   SECRÈTE  DE   l'aBBÉ   COCQUELIN  497 

»t  plus  cassant  que  son  frère.  Il  se  vantait  à  Pomponne  d'a- 
voir ému  Âltieri  en  affirmant  que  le  roi  ne  retirerait  jamais 
'édît  de  Sainl-Lazare,  qui  demeurerait  immuable»  comme  l'ar- 
rêt d'Agen  (1). 

Il  importait  que  le  pape  apprît  à^  Louis  XIY  personnelle- 
naent  quelles  atteintes  ses  édits  donnaient  à  Tautorité  pontifi- 
cale, et  quelle  sanction  protégeait  les  droits  et  les  libertés  de 
rÉglise,  même  contre  les  tètes  couronnées  :  c'est  ce  que  fit 
Clément  X  dans  un  bref  dont  je  n'ai  trouvé  trace  dans  aucun 
historien  et  qui  mérite  d'être  placé  à  côté  des  brefs  célèbres 
d'Innocent  XI  contre  la  Régale  :  a  ...  Nous  ne  croirons  jamajs, 
disait-il,  que  Votre  Majesté  puisse  oublier  tant  d'actions  où 
elle  a  cherché  la  gloire  de  Dieu  autant  que  la  sienne;  dé- 
mentir le  respect  et  la  soumission  invariables  de  ses  ancêtres 
pour  le  siège  apostolique;  rompre  avec  ses  propres  inclina- 
tions; désavouer  sa  conduite  passée  et  sa  renommée.  Aussi 
lorsque  nous  avons  appris  que  vous  aviez  décrété  la  transfor- 
mation de  Tordre  de  Saint-Lazare  fondé  autrefois  par  les  pon- 
tifes romains,  supprimé  les  asiles,  hôpitaux,  lieux  pies  et  cha- 
pelles, érigés  en  titre  de  bénéfices  par  cette  même  autorité;... 
que  vous  aviez  en  outre  établi  à  Paris  et  dans  tout  le  royaume 
des  officiers  dont  le  ministère  serait  obligatoire^  à  Texclusion 
de  tous  autres,  pour  toutes  les  expéditions  et  provisions  ecclé- 
siastiques et  spirituelles,  émanées  de  Rome  et  d'Avignon,  ce 
qui  est  un  empiétement  considérable  sur  la  juridiction  pon- 
tificale, et  une  violation  manifeste  de  la  liberté  qui  appartient 
à  tous  les  fidèles  de  réclamer  les  conseils  nécessaires  au  repos 
de  leurs  consciences;  que  votre  édit  va  jusqu^à  déclarer  nuls 
et  de  nul  effet  nos  décrets,  quand  ils  seraient  obtenus  par 
une  autre  voie;  sans  parler  d'ailleurs  de  plusieurs  autres  en- 
treprises de  même  nature,  ces  nouvelles  si  graves  nous  ont 
causé,  comme  de  juste,  la  plus  amère  douleur  et  notre  âme 
est  en  proie  à  des  soucis  et  à  des  inquiétudes  dont  rien  ne  peut 
la  distraire;  cependant  nous  n'hésitons  pas  en  faire  part  à 
Votre  Majesté  pour  satisfaire  en  même  temps  à  notre  charité 
envers  elle  et  au  devoir  de  notre  charge  pastorale.  Cette  charité 

(i)Le  dacaa  roii  15  avril;  le  cardinal  à  Pomponne,  19  avril  1673.  Aome,  225. 
Loun  ziv  R  LB  AAurr-siiGi.  —  II.  32 


498  CHAPITRB  TR0I8IÈMB 

ne  nous  permet  pasde  croire  Votre  Majesté  capable  d'une  actioi 
contraire  à  sa  déférence  pour  nous  et  nous  oblige  plutôt  à  o- 
pérer  et  à  compter  que,  lorsqu'elle  y  aura  mûrement  réflédii, 
elle  fera  cesser  le  scandale,  puisqu'elle  s*est  déclarée  soa?eot 
et  en  des  rencontres  diverses  que  les  droits  de  sa  couronne  se 
lui  sont  pas  plus  chers  que  les  prérogatives  et  la  dignité  di 
saint'siëge.  Nous  formons  sans  cesse  dos  vœux  au  fond  de 
notre  cœur  pour  que  tout  réussisse  au  gré  de  Votre  Majesté, 
que  sa  personne  et  sa  maison  parviennent^  avec  la  bénédiclios 
divine,  au  comble  de  la  gloire  et  de  la  prospérité;  mais  as- 
surément nous  perdrions  Tcspoir  d*ètre  exaucés,  si  Votre  Ma- 
jesté consentait  à  de  si  graves  attentats  contre  le  pouvoir  qae 
nous  tenons  de  Dieu,  surtout  après  avoir  reçu  de  si  éclatanb 
témoignages  de  notre  bienveillance  et  de  notre  prédilecticm 
pour  elle  (1)...  » 

(1)  22  avril  1073.  IlomCj  22.'>  :  t...  Nos  sane  adduci  Duuquam  polerimui  ut 
credamus  Majestatem  Vestrain  rerum  tantâ  cum  tai  ac  diyini  oomiaU  gloru 
gestanim  oblivisci  posse,  atque  ab  hereditariA  majorum  suorom  pietate  ci 
spectatà  in  apostolicam  sedem  observaiUià,  imo  a  se  ipsA  et  ab  ioclyt  iodolc 
sua  degenerare  quodam  modo  atque  desciscere,  quicquam  aduiiUendo  ù 
aoteacts  vitœ  cursu  et  a  comparatd  sibi  ubique  gentium  famà  alienom. 
Quamobrem  ubi  allatum  ad  uos  fuit  decretam  iDstauratiooem  ordinis  Saocti 
Lazari  oliin  apostolic  auctoritate  instituti,  et...  supprimi  ac  suppressa  de- 
clarari  xeiiodochia,  valetudiuaria,  aliasque  piaa  domos  et  sacella  quampla- 
rima  ia  tituluni  beueficii  eddem  auctoritate  erecta;...  creatos  prsterea  Parïsiii 
totoque  in  Galliie  regoo  ofQciales  per  quorum  tantummodo  manus  omoe$ 
Romanœ  et  Avcuioueusis  curiœ  expeditiones  et  provisiones  ecclesiasticas  te 
spirituales  in  po^terum  facieudas  esse  rcgio  edicto  sancitur,  UQ«Ie  et  grave  pcoU' 
ticicB  auctorituti  vuluus  iutligitur,  et  de  mcdio  tollitur  ratio  coDsuleudi  secretje 
coDscientiarum  quicti,  sicuti  cuivis  facile  est  inteUigere:  additum  insuper 
ediclo  nulla  algue  irrita  fore  ponlificia  diplomata  guœ  alid  vid  impeirarenUr; 
ut  pliira  alla  lu  codem  génère  patrata  sileamus;  justum  nos  quidem  ex  tali 
Duncio  dolorem  ccpimus  et  pro  rei  maguitudine  peracerbum,  qui  animuo 
nostrum  a  sollicitudine  curÂque  tam  gravi  couquiescere  doq  sinit;  sed  euo 
tamcn  valemus  ad  Majestatem  Vestram  nos  ipsi  déferre  ut  non  minorem  pt- 
teroœ  noslrx  erga  ipsam  caritatis  quam  partium  quas  pastoralis  ofûcii  debi- 
tum  nobis  imponlt,  rationem  baberemus.  Quaequidem  caritad  non  solum  Qoa 
patitur  nos  de  Majestatis  Vestrœ  voluntate  quicquam  absonum  suspicari. 
verum  etiam  spcrare  jubet  ac  plane  coufidere  Majestatem  Vestram,  ubi  quiJ 
actum  sit  serio  animadverterit,  obviam  scaudalo  ituram,  cum  toties  ac  dob 
un.!  iu  re  palam  foccrit,  anliquiora  sibi  non  esse  ipsa  regiae  sus  magnita* 
diuis  dccora  quam  jura  diguilatemque  bujus  sanctse  sedis.  Assiduo  cupimui, 
et  quidem  ex  iutimo  auimi  sensu,  omnia  Majestati  Vestrœ  ex  voto  fluere  et 
cum  ipsam  tum  regiam  domum  suam  novis  in  dies,  benedicente  DomioOf 


MISSION    SECRÈTE   DE   l'aBBÉ    COCQUELIN  499 

Mais,  avant  même  que  ce  bref  parvint  en  France,  Louis  XIV 
avait  déclaré  à  Nerli,  dans  les  termes  les  plus  durs,  que  le 
pape  n'avait  rien  à  espérer  de  lui,  et  Pomponne  écrivit  à 
l'ambassadeur  :  «  ...  M.  le  nonce  a  reçu  ordre  de  faire  de 
grandes  instances  au  roi  sur  Taffaire  de  Saint-Lazare  et  sur 
redit  des  expéditionnaires  qu'il  prétend  n'avoir  pu  être  faits 
sans  Tautorité  du  pape  et  demande  qu'ils  soient  révoqués.  Sa 
Majesté  lui  a  fait  répondre  et  lui  a  répondu  elle-même...  que, 
n'ayant  rien  fait,  dans  Tadaire  de  Saint-Lazare,  qu'elle  ne  fût 
en  pouvoir  de  faire,  elle  était  dans  la  résolution  de  le  mainte- 
nir ;  qu'elle  avait  eu  recours  au  pape  afin  qu'il  confirmât  par 
son  autorité  ce  que  Sa  Majesté  avait  établi  par  la  sienne,  et 
qu'elle  serait  toujours  bien  aise  que  Sa  Sainteté  voulût  en  cela 
lai  accorder  ce  qu'elle  lui  avait  fait  demander.  Sa  Majesté 
s'est  expliquée  de  plus  qu^elle  avait  grand  sujet  de  se  plaindre 
de  M.  le  cardinal  Âltieri^  de  qui  elle  voyait  assez  que  venaient 
ces  difficultés  (1),  Sa  Majesté  s'assurant  que  le  pape,  par  lui- 
même,  se  serait  porté  volontiers  à  l'obliger.  M.  le  nonce  té- 
moigna, dans  toutes  ces  choses  où  il  n*y  a  proprement  que  de 
la  forme^  qu'elles  se  pourraient  accorder  dans  le  fond,  mais  que 
des  ordres  ne  peuvent  être  supprimés  sans  l'autorité  du  pape, 
ni  les  bénéfices  qui  ont  été  unis  à  quelques  maisons  ou  hôpi- 
taux, désunis  que  par  son  autorité.  Il  aurait  désiré  sans  doute 
que  Sa  Majesté  eût  révoqué  les  édits,  mais  il  s'était  renfermé 
à  demander  au  moins  qu'ils  fussent  suspendus;  Sa  Majesté 
n'a  pas  jugé  devoir  admettre  ni  l'une  ni  Tautre  de  ces  proposi- 
tions. G*est  assez  pour  vous  instruire  de  la  conduite  que  Sa 
Majesté  désire  que  vous  teniez,  si  Ton  vous  reparle  sur  ce  sujet. 
Cette  affaire  ne  pourrait  recevoir  de  changement,  à  moins  que 
le  pape  donnât  sa  bulle  entièrement  conforme  à  l'édit  de  Sa 
Majesté.  Alors  Sa  Majesté  pourrait  délibérer  peut-être  sur  la 

gioris  et  felicitatis  incrementis  provehi  ac  florere.  Verumtamen  idsperare  mi- 
nime po88emuSy  ubi  Ma j estas  Vêtira  adeo  gravia  iraditœ  nobis  a  Deo  potesiati 
prœjudicia  inferri  paleretur:  praesertim  podtquam  satiâ  teslata  sunt  et  illus- 

tria  pecuiiaris  nostne  io  ipsam  propensiouis  et  benevoleotiie  docunienla > 

(i)  L*affaire  a  été  reuvoyée  à  uue  Congrégatiou  où  siégeât,  avec  le  cardinal 
Altieri,  les  cardinaux  Imperiali,  Ottboboai,  Carpegna  et  Albizzi  :  ils  sont  una- 
nimes à  dire  que  Rome  a  rarement  reçu  un  pareil  affront.  (Servient  à  Pom- 
poDoe,  12  avril  1613.  Rome,  223.) 


500  CHAPITRE    TROISIÈlfE 

satisfaction  qu'elle  pourrait  donner  au  pape  à  Tégard  deFédil 
après  qu'elle  aurait  reçu  tout  le  fruit  qu'elle  a  pu  attendre  de 
cet  établissement.  »  Le  ministre  écrivait  le  même  joar  is 
cardinal  d'Ëstrées  :  «  Votre  Éminence  verra,  dans  la  letire 
que  j*écris  à  M.  l'ambassadeur,  qu'autant  que  Ton  prend  haute- 
ment à  Rome  1  affaire  de  Saint-Lazare,  autant  le  roi  est-il  ré 
solu  de  la  soutenir.  De  la  manière  toutefois  que  M.  le  nonce 
m'en  a  parlé,  il  semble  qu'elle  ne  tient  qu'aux  formalités,  et 
que  le  pape  voudrait  seulement  que  la  suppression  des  ordres 
se  flt  par  sa  seule  autorité.  Pourvu  qu'il  donnât  sa  bulle  entiè- 
rement conforme  à  Tédit,  je  ne  sais  si  le  roi  ne  se  contenterait 
pas  d'obtenir  par  cette  voie  ce  qu'elle  désire,  mais^  jusquesà 
ce  qu'elle  fût  bien  expédiée,  je  ne  vois  pas  que  Sa  Majesté 
veuille  suspendre  le  moins  du  monde  l'exécution  de  son  édit 
On  n'aurait  pas  donné  un  bon  conseil  à  Rome  de  porter  le 
pape  à  écrire  des  brefs  sur  ce  sujet  aux  évèques,  au  Parlement 
de  Paris  et  à  la  Sorbonne.  Vous  savez  s'ils  y  seraient  reçus. 
Je  ne  doute  pas  que  M.  le  nonce  ne  rende  compte  aujourd'hui 
de  la  force  avec  laquelle  le  roi  lui  a  parlé  ce  matin  sur  celle 
aflaire(l).  » 

L'abbé  Cocquelin,  en  vertu  de  ses  pouvoirs,  soumit  l'inté- 
grité d'Allieri  à  une  épreuve  redoutable.  En  effet,  indépen- 
damment des  affaires  que  l'on  connaît,  il  «  poursuivait  encore 
secrètement  un  chapeau  pour  Charles-Maurice  le  Tellier,  ar- 
chevêque de  Reims,  et  avait  tâché  d'obtenir  une  nomination 
ou  une  recommandation  de  la  reine  de  Suède  en  sa  faveur, 
faisant  espérer  au  cardinal  Altieri  que,  si  cet  archevêque  était 
promu  sur  celte  nomination,  Ton  ne  solliciterait  de  long-leoips 
la  nomination  du  roi...  Cet  abbé  promettait  qu'aussitôt  après 
Texpédition  de  ces  grâces,  le  roi  rappellerait  le  duc  et  le  car- 
dinal d'Estrées,  l'abbé  Servient  et  les  autres  personnes  qui 
avaient  quelque  attachement  à  eux  dans  la  cour  de  Rome, 
et  qu'on  leur  ferait  quelque  mortification;  que  Tarchevêque 
de  Reims,  si  on  le  faisait  cardinal,  sinon,  le  cardinal  de  Bonsy 
viendrait  faire  la  fonction  d'ambassadeur  du  roi  et  qu'en  atten- 
dant, l'abbé  Cocquelin  y  aurait  la  direction  des  affaires  de  Sa 

(1)  28  avril  1673.  Rome,  225. 


MISSION   SECRÈTE    DE    L*ABBÉ   COCQUBLIN  501 

Majesté  ;  que  cet  abbé  et  ensuite  le  cardinal  de  Bonsy  ne  trai- 
teraient qu*avec  le  cardinal  Âltieri  et  ses  amis,  et  n'auraient 
que  de  Tindifférenco  pour  les  autres  sur  le  moindre  désir  de 
ce  cardinal;  qu*il  y  aurait  une  union  indissoluble  entre  la 
faction  de  France  et  celle  du  cardinal  Altieri  envers  et  contre 
tous;  que  Ton  ferait  divers  avantages  en  France,  aux  parents 
de  ce  cardinal^  et  que  le  roi  lui  donnerait  Tabbaye  de  Cluni, 
trente  mille  écus  de  rente  et  la  protection  de  France,  qui  reste- 
rait indécise  jusqu'à  ce  qu'il  la  voulût  accepter  (1).  «Cocquelin 
ne  doutait  pas  que  ses  offres  ne  fussent  irrésistibles  et  n'apla- 
nissent les  obstacles  suscités  par  l'édit  des  expéditionnaires. 
Le  docteur  de  Sorbonne,  si  mal  préparé  pour  cette  mission, 
se  posait  en  rival  de  MM.  d'Ëstrées,  auxquels  il  rendait  de  rares 
visites^  et  répandait  le  bruit  de  leur  prochaine  disgrâce  (2).  Le 
duc  écrivait  (3)  :  «  Par  des  soupers  solennels  qu'il  fait  une 
fois  la  semaine^  oh  il  convie  tous  les  Français,  et  par  de  nou- 
veaux cuisiniers  qu'il  prend,  dont  il  vante  la  délicatesse,  il 
affecte  tous  les  dehors  de  ministre,  jusques  à  une  vanité  pué- 
rile. »  Il  ne  parlait  à  l'ambassadeur  que  des  deux  édits,  lui 
cachant  avec  soin  les  autres  affaires  qu'il  sollicitait  (4).  Altieri 

(i)  Analyse  de  Saint-Prêt.  Rome,  NégociaiionSy  25. 

(2)  L*Bbbé  Buti,  pensionnaire  de  France,  qui  fréquente  Cocquelin,  disait 
récemment  nu  cardinal  Chigi  «  que  vous  n'entendiez  pas  les  affaires  de  ce  pays- 
ci  et  que  le  roi  n'avait  plus  la  môme  considération  pour  vous  qne  lorsqu'il 
TOUS  avait  choisi  pour  être  M.  de  Lionne;  que  nous  nous  en  retournerions 
bientôt  en  France  et  qu'il  croyait  que  M.  le  cardinal  de  Bonsy  viendrait  faire 
les  affaires  en  notre  place,  et  que  nous  avions  deux  grands  ennemis,  MM.  le 
Tellier  et  de  Lonvois,  qui  étaient  les  deux  plus  habiles  ministres.  »  (Le  duc 
à  Pomponne  {confidentielle),  8  août  1673.  Rome,  227.)  Déjà,  le  i«r  Juillet,  le  duc 
d'Estrées  avait  écrit  à  Pomponne  :  Cocquelin  répand  le  bruit  «  que  M.  de  Lou- 
Yois  avait  empiété  sur  les  finances  et  heureusement,  puisque  cela  lui  avait 
réussi;  que,  pour  les  affaires  de  Rome,  il  voyait  bien  que  les  plus  considé- 
rables passaient  par  les  mains  de  M.  de  Louvois;  qu'il  en  était  de  même  de 
celles  d'Allemagne  ;  qu'il  fallait  demander  à  M.  le  cardinal  d'Estrées  et  à  moi 
si  vous  reculiez  on  si  vous  alliez  en  avant  ;  qu'assurément  vous  n'avanciez 
pas  ;  que  M.  de  Louvois  n'était  pas  tout  à  fait  premier  ministre,  mais  qu'il 
ne  s'en  fallait  guère,  et  qa'il  fallait  le  regarder  comme  le  soleil  levant.  » 
{Rome,  226.) 

(3)  A  Pomponne,  8  août  1673.  Rome,  227. 

(4)  L'abbé  Servient  et  MM.  d'Estrées  avaient  pénétré  son  secret  par  an  ami 
du  marquis  Nerli,  frère  du  nonce  à  Paris.  Comme  les  discours  de  Cocquelin 
intéressaient  et  menaçaient  Pomponne  autant  qu*enx-mèmes,  ils  faisaient 
passer  lours  informations  au  ministre  par  les  voies  les  plus  secrètes,  par  la 


502  CHAPRRE  TROtSlteB 

négligea  l'occasion  qui  s'oiïrail  de  s^acquérir  ramitié  de 
Louis  XIV  et  de  deux  puissants  ministres;  il  chercha  unique- 
ment dans  quelle  mesure  les  instances  du  roi  pouvaient  èlreae- 
cueillies  sans  sacrifier  les  droits  de  TÉglise,  et  il  marcha  cois- 
tamment  d'accord  avec  le  pape  comme  avec  les  cardinaox 
consultés  sur  ces  affaires.  Un  jour,  le  cardinal  Gastaldi^  croyant 
le  cardinal  d'Estrécs  au  courant  de  toutes  les  négociations  de 
Cocquelin,  lui  apprit  que  Clément  X  et  le  cardinal-patron  mon- 
traient d*abord  des  dispositions  favorables,  «  mais  que  ceux 
auxquels  on  avait  donné  le  soin  d'examiner  et  d'étudier  la  ma- 
tière n avaient  pas  cru  qu'elle  fût  faisable;  que  d'ailleurs 
quoique  cardinal  qu'il  ne  nomma  pas  à  M.  le  cardinal  d'Es- 
trées,  en  ayant  pénétré  quelque  chose,  en  avait  parlé  au  pape 
si  fortement  et  représenté  tant  de  considérations  au  cardinal 
Âlticri  qu'ils  en  étaient  présentement  fort  éloignés,  et  qu'en 
un  mot  on  avait  conclu  que  il  negotio  fion  era  facile^  et  que 
les  réponses  que  Ton  avait  faites  jusqu'à  cette  heure,  quoi- 
qu'elles ne  fussent  pas  una  negaliva  cruda^  tendaient  néan- 
moins à  la  faire  recevoir  (i).  » 

Le  pape  et  Altieri  craignaient  plus  le  ressentiment  de 
Louis  XIV  qu'ils  no  souhaitaient  sa  bienveillance;  mais,  tout 
en  ajournant  leur  refus  définitif,  ils  ne  lui  laissèrent  jamais 
espérer  qu'ils  fissent  passer  leur  intérêt  avant  celui  du  saint- 
sœur  de  Servient,  par  M™"  de  Pomponne,  et  par  Pachau,  premier  commU 
des  Affaires  étrangères.  (Le  duc  à  Pomponne,  20  juin,  l«r  et  4  juillet,  8  et 
29  août  1G73;  Servient  an  môme,  21  juin  et  30  août;  à  Pachau,  5  juillet, 
23  août  et  29  décembre  1673.  Rome,  2i«,  227,  228,  et  un  grand  nombre  de 
lettres  de  1673  et  de  1674.) — <  Cependant  TabbéCocquelin  sollicitait  incesfaoï- 
ment,  sous  les  ordres  de  MM.  le  Tel/ier  et  de  Louvois,  l'affaire  de  Saint-Lazare... 
Outre  cette  affaire,  il  était  encore  chargé  de  diverses  autres  pour  letquellei 
le  roi  avait  recommandé  le  secret  au  cardinal  Altieri  par  une  lettre  particn- 
lière  de  sa  main,  en  sorte  qne  le  duc  ni  le  cardinal  d^Estrées  n'en  soreDt 
rien  que  par  le  moyen  du  sieur  Pignateili,  ami  du  marquis  Nerli,  qui  en  fit 
coufldence  à  Tubbé  Servient  et  sur  la  foi  duquel  est  fondé  tout  ce  qui  va  être 
rapporté  des  négociations  de  l'abbé  Cocqueliu,  »  {Analyse  de  Saint^Préi .  Rome, 
Sf^gociationSf  25.)  —  A  côté  de  renseignements  précieux,  il  y  a  nécessaireDient, 
dans  les  rapports  de  Servient  et  dans  V Analyse  de  Saint-Prôt,  bien  des  faits  et 
des  conjectures  coutrouvés,  qu'il  faut  compléter  ou  rectifier  avec  les  dépêches 
de  MM.  d'Estrées  et  celles  de  Cocquelin,  dont  une  grande  partie  est  conservée 
aux  Archives  de  la  Guerre,  Italie  et  Savoie,  355.  Je  n*ai  pu  découvrir  le^ 
lettres  que  lui  ont  écrites  le  Tellier,  Lonvols  et  l'archevêque  de  Reims. 

(1)  Le  duc  à  Pomponne,  4  juillet  1673.  Rome,  226, 


MISSION    SECRÈTE    DE   l'aBBÉ   GOGQUELIN  SOS 

siège  :  «  J'apprends^  disait  l'abbé  Servient  (1),  qu'après  bien 
des  réflexions  on  commence  à  condescendre  (je  ne  saissiCoc- 
quelin  le  sait)  à  Tune  des  deux  affaires,  sur  le  pied  d'accorder 
au  roi  quelque  assistance  dans  une  guerre  contre  les  hérétiques 
et  sur  la  considération  des  avantages  qu'on  oiïre  pour  le  saint- 
siège  :  c'est  la  seconde  à  laquelle  on  pourra  se  résoudre^  qui 
regarde  l'imposition  des  pensions  sur  tous  les  évèchés  et  sur 
toutes  les  abbayes  de  France.  On  en  tirera  les  évèchés,  si  l'on 
peut,  et  Ton  tftchera  de  ne  permettre  cette  imposition  sur  les 
abbayes  vacantes  et  qui  viendraient  à  vaquer;  mais  on  pré- 
tendra par  là  d'être  délivré  de  toute  sorte  d'instance  pour  les 
autres  affaires  dont  l'abbé  Cocquclin  peut  être  chargé...  »  Le 
2  septembre,  après  huit  mois  de  séjour  à  Rome,  cet  abbé 
«  non  seulement  mélancolique,  mais  mortifié  »,  venait  à  Far- 
nèse  avouer  la  crainte  d'un  échec  et  son  prochain  départ  pour 
la  France  (2).  On  délibéra  sur  des  projets  de  brefs;  mais  une 
grave  maladie  de  Slusio  (3),  secrétaire  des  lettres  aux  princes, 
avait  encore  prolongé  la  négociation,  sans  que  le  palais  mon* 
irftt  l'intention  de  céder  sur  les  points  essentiels,  et  le  duc 
d'Estrées  écrivit  à  Pomponne  (4)  :  «  Nous  avons  su  par  un 
canal  bien  sûr  que  le  sous-dataire  a  dit,  depuis  quelques  jours, 
que  les  affaires  que  sollicite  Cocquelin  ne  sont  pas  encore  ré- 
glées, non  pas  même  celle  de  Saint-Lazare,  sur  ce  que  l'on  ne 
veut  pas  accorder  à  ceux  qui  ont  une  possession  centenaire 
qu'ils  pussent  être  dépossédés  ;  que  l'on  n'est  pas  encore  d'ac- 
cord de  donner  la  nomination  des  bénéfices  dépendants  de 
Cluni,  parce  que  ce  serait  une  conséquence  pour  demander 
ceux  de  Tordre  de  Saint-Augustin  et  tous  les  autres  du  royaume, 
et  que,  si  Ton  savait  les  choses  exorbitantes  que  Cocquelin  lui 
demande.  Ton  en  serait  surpris.  »  En  l'absence  de  Slusio, 
Cocquelin  avait  envoyé  en  France  un  projet  de  traité  dont  le 
roi  fut  content,  mais  auquel  manquait  l'approbation  du  pa- 
lais (5).  Slusio,  rétabli,  prépara  des  brefs,  et  l'on  cherchait 


(!)  À  Pomponne,  30  août.  Aome,  227. 

(2)  Le  duc  à  Pomponne  {iecrèU).  Romet  227. 

(3)  Qui  fut  créé  cardinal  par  Innocent  XI. 

(4)  8  noyembre.  Romet  228. 

(5)  Le  duc  à  Pomponne,  18  octobre  et  20  décembre  {iecréies) .  Aome,  2S8. 


504  CHAPITRE   TRoISIÈlfE 

de  bonne  foi  de  nouveaux  expédients,  lorsqu'un  incideqt  inat^ 
tendu  vint  mettre  fin  à  la  négociation  de  Cocquelin. 

On  apprit  tout  à  coup,  à  Rome,  que,  loiu  de  révoquer  Tédit 
des  expéditionnaires,  comme  cet  abbé  Tavalipromis,  LouisXlY 
venait  de  lui  donner  une  nouvelle  vigueur  et  de  rendre,  es 
conseil  d'Etat,  un  arrêt  prononçant  des  peines  contre  ceoi 
qui  n'y  obéiraient  pas.  Altieri  en  ayant  fait  des  reprodiesà 
Cocquelin,  celui-ci,  «  pour  Tapaiser,  lui  dit  que  M.  Colbertet 
peut-être  M.  de  Pomponne,  par  Tamitié  qu'ils  avaient  poar 
l'ambassadeur,  avaient  subrepticement  emporté  cet  arrêt,  afin 
de  ruiner  les  affaires  qui  se  traitaient  à  Rome  à  leur  insu  par 
le  canal  de  M.  de  Louvois.  Mais  le  cardinal  Altieri  lui  répon- 
dit qu'il  fallait  ou  que  M.  de  Louvois,  qu'il  avait  fait  tout- 
puissant  en  France,  fût  bien  faible,  puisqu'il  n'avait  pu  détour- 
ner cet  arrêt,  ou  qu^il  se  souciai  bien  peu  de  satisfaire  le  pape 
et  même  d'obtenir  ces  grâces  qu'il  était  sur  le  point  d'accorder, 
ayant  déjà  les  brefs  dans  sa  cassette...  L'abbé  Cocquelin  s'em- 
porta d'abord  qu'il  vit  l'indignation  du  cardinal  Altieri  et  dé- 
clara, par  manière  de  menace,  qu'il  s'en  irait  dans  dix  jours. 
Ce  cardinal  témoigna  s'en  peu  soucier  et  lui  souhaita  bon 
voyage,  étant  fort  aise  d'avoir  ainsi  un  prétexte  pour  rompre 
cette  négociation.  L'abbé  Cocquelin  aurait  pu  raccommoder 
l'affaire  si,  sans  s'emporter,  il  eût  montré  le  plein  pouvoir 
qu'il  avait  du  roi,  en  vertu  duquel  il  aurait  pu  promettre  la 
révocation  de  Tédit  et  de  l'arrêt...  Après  que  son  emportement 
fut  dissipé,  il  voulut  user  de  ce  moyen;  mais  il  ne  le  put,  les 
esprits  s'étant  alors  trouvés  trop  aigris,  et  le  cardinal  Altieri 
étant  bien  aise  de  sortir  ainsi  de  cette  affaire.  Cet  abbé  fît  tout 
son  possible  pour  engager  la  reine  de  Suède  et  le  cardinal 
Azzolino,  qui  étaient  alors  fort  unis  avec  le  cardinal  Altieri, 
à  s'employer  pour  faire  renouer  la  négociation;...  mais  la 
reine  et  ce  cardinal  le  rebutèrent   et  ne  le  voulurent  plus 
écouter.  Il  vit  successivement  le  marquis  Nerli,  l'abbé  Baglioni, 
le  cardinal  Basadonna  et  le  cardinal  dataire;...  mais  toutes 
ces  diverses  tentatives  ne  lui  servirent  de  rien,  et  il  trouva  de 
tous  côtés  des  gens  résolus  à  ne  plus  traiter  avec  lui.  Ainsi, 
il  partit  brusquement  de  Rome,  le  dernier  décembre,  à  la 
pointe  du  jour,  sans  prendre  congé  du  cardinal  Altieri,  du  duc 


MISSION    SECRÈTE    DE   l'âBBÉ   COCQUELHf  505 

d'EstréeSy  ni  d*aucun  autre,  disant  qu'il  en  avait  reçu  un 
ordre  exprès  de  Sa  Majesté  (1).  » 

(i)  Analyse  de  Saint-PréL  RomCf  Négociations,  25.  —  Le  duc  d'Estrées  à 
Pomponne  {secrète),  26  décembre  1673.  Rome,  228.  Le  3  janvier  1674,  le  duc 
d'Estrées  informe  le  roi  que  Cocquelin  a  disparu  tout  à  coup  :  un  des  ses 
parents,  M.  Boisrenard,  est  venu  seulement  présenter  «  ses  civilités  et  com 
pliments  Ȉ  l'ambassadeur,  mais  non  au  cardinal.  (Le  duc  au  roi;  le  cardinal 
à  Pomponne,  3  Janvier  1674.)  Dans  sa  réponse  du  26  Janvier,  Pomponne,  visi- 
blement embarrassé,  avoue  que  ces  procédés  donnent  en  effet  «  sujet  de  se 
fort  étonner.  »  {Rome,  229.)  —  Une  lettre  curieuBe  de  Cocquelin  à  Louvois 
nous  montre  le  docteur  de  Sorbunne  se  piquant  aussi  de  connaissances  mi- 
litaires :  «  Monseigneur,  si,  parmi  tant  d'occupations  qui  font  la  gloire  et  la 
grandeur  de  l'État  et  tant  d'heureux  succès,...  il  reste  quelques  moments  à 
Votre  Grandeur  pour  se  délasser  dans  le  temps  où  cette  lettre  lui  est  rendue, 
e  la  supplie  très  humblement  de  vouloir  Jeter  les  yeux  sur  ces  lignes  pour 
recevoir,  ou  comme  un  avis  ou  comme  un  divertissement,  la  pensée  d'un 
homme  qui  m'est  venu  chercher  pour  me  proposer  un  secret  par  lequel  il 
prétend  avoir  trouvé  le  moyen  de  faire  marcher  sur  les  eaux  une  armée  dis- 
posée en  bataillons  comme  sur  terre,  et  cela  sans  bateaux  et  sans  aucune  autre 
machine  que  celle  dont  chaque  soldat  se  servira  et  qui  ne  l'empêchera  ni  de 
marcher,  ni  de  combattre  quand  il  sera  à  bord  et  même  avant  que  d'y  arriver... 
Je  l'ai  obligé  de  m'en  dire  assez  pour  me  faire  croire  que  la  chose  n'est  pas 
impossible.  Il  s'offre  de  perdre  la  vie  en  cas  qu'elle  ne  réussisse  pas,  et  il  demande 
si  peu  pour  la  première  expérience  que,  si  Votre  Grandeur  a  la  bonté  d'agréer 
que  l'on  en  fasse  ici  l'épreuve,  je  tâcherai  d'en  faire  la  dépense  sans  que  per- 
sonne en  entende  parler...  La  machine  de  chaque  soldat,  selon  ce  que  Je 
puis  comprendre,  ne  reviendrait  pas  à  plus  de  deux  ou  trois  pistoles  et  elle 
servirait  plusieurs  années,  soit  dans  l'eau,  soit  hors  de  l'eau.  »  Louvois  a  fait 
écrire  en  tête  de  cette  lettre,  par  la  main  d'un  secrétaire  :  «  Ce  ne  peut  être  que 
folift,  n  (Archives  de  la  Guerre  1672.  276.) 


CHAPITRE  QUATRIÈME 

INTÉRÊTS  GÉNÉRAUX  DE  L'EUROPE.  —  AFFAIRES  EGCLÉSIASTIQUCS  K 
FRANCE.  —  GLÉUENT  X  EST,  SUR  TOUS  LES  POINTS,  UN  OBSTAOI 
AUX  PRÉTENTIONS  ILLÉGITIMES  DE  LOUIS  XIV.    1673-1674. 


Promodoa  du  1î  Join  !673  :  plaintes  mal  fondées  de  Lonif  XIV.  Portraits  Ses  canfiaiii  a 
des  prélats  qai  ont  le  plus  de  crMit  sous  Clément  X  et  auxquels  il  confie  les  affaires dt  Frim 
Congrégations  romaines  :  areux  du  cardinal  d'Estrées.  —  La  cour  de  France  désire  qw  b 
pape  inTÎto  lo  régent  de  Portugal  à  prendre  le  titre  de  roi  :  refus  de  Qément  X.  —  Vanafi 
du  duc  d'York  avec  la  princesse  de  Modène  :  intrigues  de  Louis  XIV  pour  le  Caire  eéèAm 
sans  la  dispense  pontiflcale.  —  Clément  X  poursuit  la  fermatioa  d'une  li^e  contre  l«  Tsrt. 
Louis  XIV  s'y  oppose  et  empêche  les  Polouaii  d'y  entrer.  Mort  da  roi  de  Pologne  MiclielK*- 
rybuth.  Élection  de  Sobieski  :  est-il  vrai  qu'elle  soit  dua  à  l'inBuance  de  Forbin4aBsoB,éTéfM 
de  Marseille,  ambassadeur  de  France?  —  Atteintes  nouvelles  portées  par  Louis  IIÎ  » 
droits  spirituels  du  saint-siège  et  aux  libertés  ecclésiastiques.  Abbayes  de  Prémoniré  et  à 
Saint-Martin  de  Laon.  —  Les  (iénovéfains.  Les  Doctrinaires.  Les  Budistea,  Violeaecs  eoatit  la 
procureurs  généraux  des  ordres  religieux.  —  L'abbaye  da  Cluoi. 


On  lit  dans  V Analyse  de  Saint-Prêt  :  «  Le  cardinal  Altieri 
ayant  écrit  au  roi  qu'il  avait  une  extrême  douleur  de  ce  que  les 
empêchements  qui  s'étaient  rencontrés  l'avaient  empêché  de 
rendre  à  Sa  Majesté  les  services  qu'il  désirait^  dans  les  affaires 
dont  l'ahbé  Cocquelin  était  chargé.  Sa  Majesté  ne  lui  fil  point 
de  réponse,  étant  bien  aise  de  lui  faire  connaître  qu'elle  n'a- 
vait pas  été  satisfaite  de  sa  conduite  dans  ce  rencontre.  Elle 
désira  que  le  duc  d'Estrées  le  lui  fît  connaître  dans  les  occa- 
sions qui  se  présenteraient,  et  témoigna  qu'elle  serait  bien 
aise  que  le  désir  que  ce  cardinal  devait  avoir  de  se  conserver 
dans  ses  bonnes  grâces  le  portât  à  lui  donner  plus  de  satisfac- 
tion à  l'avenir  dans  ces  mêmes  affaires  (1).  »  Louis  XIV  savait 
pourtant,  à  n'en  pouvoir  douter,  qu' Altieri  n'avait  fait  que 
se  ranger  à  l'avis  du  sacré  collège  et  obéir  au  pape.  Coc- 
quelin lui-même  venait  de  le  répéter,  depuis  son  départ,  dans 
une  lettre  datée  de  Lorette.  Il  disait  à  Louvois  :  Il  y  a  dans  le 
cardinal-neveu  «  beaucoup  plus  de  faiblesse  que  de  mauvaise 
volonté...  Je  crois  qu'il  est  bon  de  savoir  que,  quand  je  vis  le 

(l)  Analyse  de  Saint-Prêt.  Rome^  Négociations^  25. 


PROMOTION   DU   12  JUIN  1673  507 

cardinal  Altîerî  pour  la  première  fois  après  la  nouvelle  de 
l'arrêt,  je  ne  le  trouvai  nullement  échauffé;  au  contraire^  il 
me  proposa  quelques  moyens  de  remédier  à  la  chose  et  de  ré- 
tablir les  affaires...  »  Et  quinze  jours  après,  écrivant  de  Ve- 
nise à  Louvois,  il  rendait  le  même  hommage  à  la  vérité  (1)  : 
«  J'ai  pris  congé,  dit-il,  de  M.  le  cardinal  Altieri  dans  les  deux 
dernières  audiences  que  j'ai  eues  de  lui...  Après  n'avoir  rien 
oublié  pour  lui  faire  connaître  ses  véritables  intérêts;...  que 
c'était  se  tromper  que  de  croire  que  le  roi  révoquât  les  arrêts  en 
question,  si  Ton  ne  commençait  par  l'exécution  de  ce  que  j'avais 
ordre  de  solliciter,...  il  me  répondit,  dans  la  pénultième  au- 
dience :  Dimque,  caro  mioabbate,  bon  viaggio,  epiùfelice  suc- 
cesso  degli  altri  suoi  affaril  Mais  ayant  parlé  avec  encore  plus 
de  fermeté,  dans  la  dernière,  et  lui  ayant  toujours  représenté 
que  le  seul  moyen  d'accommoder  l'affaire  des  expéditionnaires 
et  toutes  les  autres  était  de  tenir  parole,  il  me  prit  par  les 
deux  bras,  me  demanda  pourquoi  je  n'avais  pas  écrit  qu'tV 
fallait  commencer  par  la  révocation  des  arrêts^  après  quoi  on 
le  trouverait  dans  la  mêfne  disposition  que  devant^  et  me  dit 
que  cela  ne  se  pouvait  autrement,  et  quHl  n'en  était  pas  le 
maUre..,  » 

Toutes  les  pièces  que  nous  avons  sous  les  yeux  établissent 
que  le  duc  et  le  cardinal  d'Estrées,  menacés  d'un  rappel  igno- 
minieux (2),  ne  durent  alors  leur  maintien  à  Rome  qu'à  la 
loyauté  d'Altieri  (3),  et  que,  dans  toutes  les  affaires  qu'ils 
avaient  traitées  eux-mêmes  avec  le  palais,  pendant  le  séjour 
de  Gocquelin  à  Rome,  le  pape  et  le  cardinal-neveu  avaient 
témoigné  les  meilleurs  sentiments  pour  la  France. 

(1)  20  janvier  1674.  Archives  de  lu  Guerre,  Italie  et  Savoie,  355. 

(S)  Cocqudlin  se  vaatH  de  aous  faire  partir  quand  il  voudra.  (À  Pom- 
ponne, 22  novembre  1673.)  —  Gocquelin  anuonce  notre  rappel  prochain  :  Je 
dois  être  remplacé  par  le  duc  d'Auriiont.  (Au  môme,  29  novembre.)  —  J*ai 
appris  que,  «  dès  le  moment  que  M.  de  Reims  aurait  obtenu  cette  dignité 
[le  cardinalat],  il  viendrait  dans  Tinstant  exercer  ici  l'ambassade,  comme  les 
cardinaux  Nidhard  et  Landgrave  [de  Hesse];  qu'on  rappellerait  M.  l'ambas- 
sadeur et  M.  le  cardinal  d'Estrées.  »  (Servient  à  Pacbau,  21  décembre.  Rome, 
228.) 

(3)  ««  Le  cardinal  Altieri,  soit  par  générosité,  ou  par  politique,  se  relâcha  du 
rappel  du  due  et  du  cardinal  d'Estrées.  »  [Analyse  de  Sainl-PrêL  Rome,  Né- 
gocialions,  25.) 


508  CHAPITRC  QUATRlteK 

Ainsi,  le  16  janvier  1673,  Clément  X  avait  donné  le  chofHn 
de  gratitude  à  l'abbé  Felice  Rospigliosi,  dernier  neveu  de  Clé- 
ment IX,  prélat  «  studieux  et  appliqué  »,  dit  Bourlemont,  et 
tout  le  monde  fit  honneur  au  roi  de  cette  promotion  :  le  cardi- 
nal Altieri  s'en  réjouit  avec  l'ambassadeur  de  France,  et  loi 
déclara  qu'elle  aurait  eu  lieu  plus  tôt,  si  le  pape  n*eût  cniint 
de  paraître  céder  aux  instances  trop  peu  discrètes  des  cardi- 
naux fiarberini,  Chigi  et  Fachinetti.  Le  nouveau  cardinal  re- 
çut en  même  temps  la  protection  des  Capucins,  charge  très  re- 
cherchée, et  pria  le  duc  d*Estrées  d'en  remercier  le  souverain 
pontife.  Le  palais  Farnëse  fut  flatté  de  ces  grâces  accordées  à 
une  famille  amie  des  Français  (1).  Il  ne  s'applaudit  pas  moins 
du  consistoire  tenu  le  12  juin  suivant,  où  le  pape  proclama 
quatre  cardinaux  et  en  réserva  un  cinquième  in  peiio.  Le  pre- 
mier nommé  était  Nerli,  archevêque  de  Florence,  nonce  à 
Paris,  où  il  avait  été  bien  accueilli  par  le  roi,  et  qui  fut  appelé 
à  la  secrétairerie  d'État,  vacante  par  la  mort  de  Borromeo. 
«  La  promotion  du  nonce  de  France,  écrivit  l'ambassadeur, 
quoique  déguisée  sous  le  titre  de  secrétaire  d'État,  a  été  fort 
remarquée  par  le  sacré  collège  et  jugée  avantageuse  à  Voire 
Majesté,  les  nonces  d'Espagne  et  de  Vienne  ayant  été  négli- 
gés. »  Le  cardinal  d*Ëstrées  voulut  bien  faire  des  c<  honnê- 
tetés »  à  Clément  X  et  au  cardinal-patron  :  celui-ci  les  reçut 
«  avec  plaisir  »,  et  déclara  que  le  pape  allait  de  nouveau  «  choi- 
sir pour  la  nonciature  de  France  un  prélat  qui  pût  être  agréable 
à  Sa  Majesté.  »  —  Après  Nerli,  venait  Casanata,  «  homme  de 
mérite  et  de  grande  érudition,  selon  Bourlemont.  Il  a  passé 

par  les  plus  considérables  charges  de  la  prélature C'est  un 

esprit  adroit,  accort  et  fort  studieux.  Le  pape  a  toujours  eu 
beaucoup  d'estime  pour  son  mérite  et  Ta  élevé  à  cette  dignité 
de  son  propre  mouvement.  »  Quoique  né  dans  le  royaume  de 
Naples,  il  n'avait  plus  ni  parents,  ni  biens  dans  la  dépendance 
de  l'Espagne,  et  il  en  avait  informé  le  duc  d'Estrées,  qui  écri- 
vait :  «  Depuis  ce  matin,  il  a  pris  soin  de  me  faire  confirmer 
par  le  pape  toutes  les  assurances  qu'il  me  fit  donner  il  y  a 
quelques  jours...  Il  a  plus  de  connaissance  des  livres  et  des 

(i)  Bourlemont  à  Pomponne,  7  janvier;  le  duc  au  rot,  18  et  24  janvier,  et 
28  février  1673.  Rome,  225. 


PROMOTION    DU    12    JUIN    1673  S09 

maximes  de  France  qu'aucun  autre  cardinal  et  parait  moins 
capable  des  préoccupations  de  cette  cour.  Les  vues  qu^il  aura 
sans  doute  pour  le  pontificat  et  qu'il  a  peut-être  déjà  conçues 
Tobligeront  assurément  à  se  ménager  extrêmement  sur  les 
intérêts  de  Votre  Majesté  et  à  s'efforcer  de  lui  plaire.  »  Cepen- 
dant le  duc  conseilla  au  roi  de  se  plaindre  au  pape  de  ce  choix, 
sous  prétexte  de  la  naissance^  mais  en  réalité  afin  de  se  créer 
un  moyen  d'obtenir  quelque  grâce  en  compensation.  —  Le 
troisième  cardinal  était  un  Génois,  Gastaldi,  trésorier  de  la 
Chambre,  qui  avait  déployé  de  grands  talents  dans  cet  emploi» 
c(  Par  l'activité  de  son  esprit,  dit  Bourlemont,  et  la  fécon- 
dité de  ses  expédients,  il  plut  à  don  Mario^  frère  du  pape 
Alexandre  VU,  qui  le  porta  à  la  charge  de  clerc  de  Chambre* 
Ensuite  le  cardinal  Rospigliosi  [Jacopo],  étant  neveu  de  pape, 
réleva  à  la  première  et  plus  considérable  charge  de  la  préla- 
ture  de  Rome,  qui  est  celle  de  trésorier  de  la  Chambre,  et  à 
présent  il  a  été  fait  cardinal.  Ce  qui  est  de  considération  en  cet 
homme,  c'est  que,  sous  trois  pontificats  qu'il  a  travaillé  ici  à 
sa  fortune,  il  a  su  agir  si  adroitement  que,  sans  déplaire  aux 
parents  des  défunts  papes,  il  s'est  acquis  les  bonnes  gr&ces 
des  régnants  en  se  rendant  utile  pour  le  bien  de  leurs  affaires 
domestiques  et  de  leurs  intérêts...  La  mine  ne  lui  est  pas  avan- 
tageuse, étant  borgne  et  fort  gâté  de  petite  vérole;  mais  c'est 
un  esprit  de  grande  ressource  en  matière  d'économie  et  de 
départis.  C'a  aussi  été  jusqu'à  présent  toute  son  application.  » 
Quant  au  cardinal  Basadonna,  «  c'est,  dit  le  même  abbé,  un 
homme  d'un  insigne  mérite;  il  a  été  avec  son  père  à  l'ambas- 
sade de  Constantinople...  Il  a  fait  les  ambassades  d'Espagne  et 
de  Rome  avec  beaucoup  de  réputation...  C'est  un  esprit  net,  pé- 
nétrant et  délicat,  homme  do  probité,  de  bonnes  mœurs  et  sans 
vice.  Il  vivait  ici  avec  une  retenue,  comme  si  Dieu  l'eût  déjà 
appelé  à  l'état  ecclésiastique.  Il  fut  procureur  de  Saint-Marc, 
étanlencore  ambassadeur  à  Rome.  »  Il  représentait  la  Seigneu- 
rie auprès  d'Alexandre  VII,  pendant  la  querelle  des  Corses,  et 
«  sa  conduite  dans  cette  conjoncture  avait  été  très  bonne  pour 
la  France.  »  Clément  IX  voulait  déjà  lui  donner  la  pourpre  (1). 

(1)  Le  duc  au  roi,  6  et  12-14  juin;  —  Bourlemont  à Pomponoe,  13  juin  1673. 
Romêf  226. 


510  CHAPITRE    QUATRIÈm 

Louis  XIY  n'était  donc  pas  fondé  à  prétendre  que  ses  eaat 
mis  fussent  introduits  de  préférence  par  Clément  X  dans  k 
sacré  collège,  où  la  France  comptait  tant  de  sympathies  :  die 
trouvait  de  i*imparlialité  mémo  dans  les  factions  où  elle  au- 
rait pu  craindre  de  n'avoir  que  des  adversaires.  C'est  le  cardi- 
nal d'Ëstrées  qui  écrivait  (1)  :  «  Les  Italiens  sujets  du  roitTEi- 
pagne  sont  souvent  les  mieux  intentionnés  pour  tiotis  et  les  moins 
agréables  aux  Espagnols,  comme  le  cardinal  Bran  caccio,  le  car- 
dinal Yidoni  et  le  cardinal  Caraffa.  »  C'est  encore  César  d*Es- 
Irées  qui  s'exprime  ainsi  sur  le  cardinal  Bona,  Piémontais,doat 
la  vie  était  en  danger  :  «  Le  sacré  collège  perdrait  en  lui  im 
sujet  d*une  grande  vertu  et  d'un  grand  désintéressement,  et  le 
roi  un  serviteur  forl  affectionné  (2).  » 

Le  même  cardinal  dËstrées,  qui  obtint  alors  Tenlrée  duSaint- 
Office,  s'assura  que,  dans  cette  Congrégation  comme  dans  les 
trois  autres  où  il  siégeait  déjà,  Icsaffairesdes  princes  étaient  élu- 
diées  et  jugées  avec  autant  de  droiture  que  de  science,  et  il  écri- 
vait à  Pomponne  (3)  :  « . . .  Hors  les  opinions  qui  regardent  laulo- 
rite  du  pape,  sur  lesquelles  le  Saint-Office  est  de  longtemps  trop 
engagé  et  trop  prévenu,  f  équité  d'ailleurs  et  l indifférence  (4)  y 
paraissent  assez  grandes  sur  les  autres  matières,  comme  on  en 
verra  quelques  effets  dans  peu  de  temps.  Dans  le  jugement  des 
procès,  qui  est  l'autre  partie  qui  occupe  ce  tribunal,  j'y  trouve 
aussi  plu^  de  douceur  et  de  condescendance  que  l'idée  de  l'In- 
quisition n'en  fait  d'abord  imaginer.  » 

Dans  quel  livre  gallican  ne  lit-on  pas  que  le  zèle  pour  les  maxi- 
mes dites  ultramontaines  tenait  lieu  de  tout,  àRome,  pourvu  que 
la  France  fût  inondée  d'émissaires  et  de  suppôts  du  pape?  L'his- 
toire vraie  doit  s'exprimer  autrement.  Le  P.  Eudes  sollicitait 
alors  l'approbation  canonique  de  son  institut.  Son  dévouement 
au  souverain  pontife  était  profond,  et  les  clercs  formés  par  lui 
passaient  pour  «  promettre  que,  même  dans  les  choses  dou- 
teuses et  volontaires,  ils  professeraient  et  soutiendraient  les 
opinions  les  plus  favorables  au  saint-siège.  »  Celte  considéra* 

(1)  A  Pomponne,  15  novembre  1673.  Iiomt\  228. 

(2)  22  novembre  1673.  Rome,  228. 
.    (3)  28  février  1674.  Rome,  229. 

(4)  C>pt-à-dire  VimparlialiU. 


LES   CONGRÉGATIONS  ROMAINES  SU 

tion,  quoique  fortifiée  par  les  services  déjà  notoires  des  Ëu- 
distes  et  même  par  les  instances  personnelles  du  roi,  ne  pré- 
valait pas  sur  la  prudence  ordinaire  des  Romains.  La  Congré- 
gation dos  Réguliers  différa  longtemps  sa  décision  :  elle  exigea 
une  plus  longue  épreuve^  «  ne  croyant  pas  qu'il  fût  utile  de 
multiplier  le  nombre  des  congrégations  de  missionnaires  en 
France,  y  en  ayant  déjà  quatre  ou  cinq  d'établies  et  fort  éten- 
dues, et  d'ailleurs  le  nombre  de  cinq  ou  six  maisons,  resser- 
rées dans  quelques  diocèses  particuliers  et  sans  apparence  qu'il 
pût  beaucoup  s'augmenter,  ne  suffisant  pas  pour  ériger  une 
nouvelle  congrégation  (1).  » 

Si  du  sacré  collège  on  passe  à  la  prélature^où  se  recrutaient 
la  plupart  des  cardinaux^  on  voit  que  ceux  de  ses  membres  qui 
avaient  le  plus  de  crédit  auprès  de  Clément  X  et  du  cardinal 
Altieri  n*étaient  pas  moins  connus  pour  leur  déférence  en- 
vers la  couronne  que  pour  leur  mérite  et  leur  vertu.  Le  palais 
Farnèse  fut  mis  en  émoi  par  la  maladie  du  secrétaire  des  brefs, 
Slusio,  dont  l'abbé  de  Bourlemont  et  MM.  d'Estrées  vantaient 
à  l'envi  les  talents,  l'intégrité  et  TafTection  pour  la  France  (2). 
—  Le  gouverneur  de  Rome,  Luigi  Bevilacqua,  s'appliquait  à. 

(i)  Le  cardinal  d'Estrées  à  Pomponne,  !«'  août  1673.  Rome,  227.  —  «  S.  M. 
s'est  très  bien  ressouvenue  des  ordres  qu'elle  avait  donnés  à  V.  É.  de  favo- 
riser rétablissement  que  le  P.  Eudes  propose  de  six  ou  sept  maisons  de  mis- 
sionnaires 6(1  Normandie,  mais  en  même  temps  elle  a  fait  réflexion  sur  ce  que 
V.  É.  lui  a  mandé  sur  ce  sujet.  Outre  que  S.  M.  a  trouvé  la  difficulté  de  la 
Congrégation  des  Réguiiers  assez  bien  fondée  de  ne  pas  établir  une  congré- 
gation de  missionnaires  et  renfermée  dans  si  peu  de  maisons  et  dans  une  seule 
province,  elle  a  fait  beaucoup  de  considération  sur  le  mémorial  porté  de  la 
part  desdits  missionnaires  et  dont  vous  lui  avez  envoyé  copie.  Il  a  pat^u  d'une 
dangereuse  conséquence  à  S,  M.  d'admettre  un  nouveau  vœu  dans  les  religions 
gui  les  oblige,  dans  les  choses  douteuses  ou  volontaires,  de  soutenir  les  opinions 
tes  plus  favorables  au  saint-siège.  Il  est  peu  nécessaire  de  faire  voir  dans 
quelle  rencontre  de  semblables  principes  peuvent  être  dangereux  aux  rois,  et  V,  Ê. 
sait  que  rien  n'écfiappe  aux  lumières  de  S,  M.  Aussi  elle  ne  demande  plus  de 
vous  de  fort  appuyer  l'intérêt  de  ces  missionnaires  ;  mais  autant  que  vous  ju- 
ges, Monseigneur,  qu'il  vous  importe  que  Ton  ne  pénètre  pas  que  vous  ayez 
donné  un  tel  avis,  autant  sera-t-il  bon  sans  doute  que  vous  laissiez  aller  la 
chose  sans  Tappuyer  et  sans  faire  connaître  qu'il  y  ait  rien  de  changé  aux 
ordres  de  S.  M.  »  (Pomponne  au  cardinal  d'£strées,  8  septembre  1673.  Rome, 
227.) 

(2)  Lionne  et  Bourlemont  à  Pomponne,  3  et  4  octobre  1673.  Roms,  228.  — . 
«  M.  Slasius  est  également  intelligent  et  bien  intentionné.  »  (Le  cardinal  d'£s* 
trées  à  Pomponne,  23  juin  1676«  Rome,  244.) 


512  CHAPITM  QUATRlftMK 

pacifier  sans  éclat  les  querelles  si  nombreuses  que  provoquait 
la  turbulence  française.  A  la  suite  d'un  incident  de  cette  natunt 
le  duc  écrivait  à  Pomponne  :  «  U  est  certain  que,  si  le  sbire  ni 
pas  offensé  le  Français,  il  ne  se  peut  rien  de  plus  violent  ni  de 
plus  criminel  en  ce  pays-ci  que  Tinsulte  qu'il  [le  Français]  a 
faite  au  corps  de  garde  et  que  Ton  a  eu  de  très  grands  égards 
pour  les  sujets  de  Sa  Majesté  de  ne  faire  aucune  démonstn- 
tion  contre  eux.  »  Pour  éviter  la  vengeance  des  sbires  irritis, 
je  vais  faire  sortir  ces  nationaux  de  TÉtat  ecclésiastique.  Be- 
vilacqua  «  a  eu  un  de  ses  frères  tué  en  Allemagne  au  service 
de  Sa  Majesté  dans  le  régiment  Mazarin  et  parait  fort  affec- 
tionné à  la  France  ;  c*est  un  prélat  de  mérite  et  fort  sage  et 
aussi  j'ai  jugé  de  me  fier  aux  assurances  qu  il  m'a  données  (1).  ■ 
—  Aussitôt  après  )a  promotion  de  Nerli,  le  pape  chercha  iid 
nouveau  nonce  pour  la  France  :  il  prévint  les  prétentions  éle- 
vées en  pareil  cas  par  Louis  XIY,  et,  désirant  surtout  établir 
une  bonne  correspondance  avec  ce  prince,  il  lui  laissa  le  choix 
entre  plusieurs  noms.  Les  agents  français  recueillirent  sur  ces 
prélats  des  informations  confidentielles  qui  [donnent  de  pré- 
cieuses lumières  sur  le  gouvernement  pontifical  (2),  Louis  XIV 

(!)  28  mars  1673.  Rome,  225. 

(2)  Mémoire,  22  août  1613.  Rome,  227  :  c  Negroni,  dit  le  duc  d'Estrées,  eat  gé- 
nois, d'uoe  maisoo  riche  et  noble  :  il  peut  avoir  de  quarante -quatre  à  quarante- 
cinq  ans.  Il  se  mit  en  prélature  pendant  le  pontificat  d'Alexandre  Vil.  Il  a  eu  plo- 
sieurs  gouvernements  dans  l'État  ecclésiastique,  el  particulièrement  celui  de  Pé- 
rouse,  qui  est  un  des  plus  difficiles,  à  cause  de  ia  fierté  des  habitants  et  de  la  divi- 
sion des  familles;  il  s'en  est  acquitté  dignement.  Clément  IX  lui  donna  une 
commission  pour  visiter  l'État  ecclésiastique  et  découvrir  les  abus,  vexations  et 
autres  inconvénients  qui  s'y  rencontraient.  Il  satisfit  si  bien  à  cet  emploi  que  ce 
pape,  pour  récompenser  son  mérite,  le  fit  clerc  de  Chambre.  l\  exerça,  cette  charge 
avec  beaucoup  de  réputation.  Il  a  paru  en  lui  de  l'intelligence,  de  rappIicatioQ 
et  de  la  rectitude.  Son  naturel  pourrait  être  un  peu  ardent;  mais  sa  prudence 
et  son  expérience  le  modèrent  tellement  que,  dans  les  négociationa,  il  parait 
traitable  et  accommodant;  c'est  par  ses  mains  qu'a  passé  celle  du  différend 
de  la  république  avec  cette  cour,  dans  laquelle  il  a  contenté  les  deux  parties. 
U  a  quelque  parente-  avec  le  cardinal  Impériale;  il  a  des  obligations  aux  mai- 
sons Barberine  et  Rospigliosi,  et  vit  d'une  manière  avec  tous  qu'ils  ont  de  la 
confiance  pour  lui,  et  qu'ils  le  tiennent  un  homme  d'honneur.  Il  a  su  même 
s'insinuer  dans  les  bonnes  grâces  du  cardinal  Altieri,  nonobstant  ses  antres 
liaisons.  Ses  mœurs  sont  bonnes  et  réglées;  il  a  entrepris,  dans  l'église  des 
Jésuites,  le  bâtiment  d'une  chapelle  qui  lui  coûtera  plus  de  trente  mille  écas. 
Il  n*a  pas  paru  de  partialité  dans  son  humeur,  ni  dUnclinatioa  pour  la  France 
ou  ponr  l'Espagne;  mais  la  préférence  d'estime' et  de  respect  qu*il  a  pour  Si 


LA  ROYAUTÉ  DE  PORTUGAL  513 

ne  voulut  pas  profiter  de  Toption  qui  lui  était  offerte  :  il  com- 
prit sans  doute  que  son  exigence  était  maladroite,  car  il  lui 
eût  été  ensuite  plus  difficile  de  se  plaindre  d'un  ministre  dési- 
gné par  lui  même.  Le  pape  choisit  Spada,  dans  Tespoir  que  le 
souvenir  de  son  grand-oncle  lui  ménagerait  un  meilleur  ac- 
cueil à  Saint-Germain  (1). 

Le  roi  eût  été  peut-être  plus  sensible  à  cette  bienveillance 
de  Clément  X,  s*il  ne  lui  avait  pas  fallu  la  partager  avec  les 
autres  princes;  mais  rien  ne  pouvait  faîre  sortir  le  pape  de  sa 
neutralité,  non  pas  même  les  occasions  qui  lui  étaient  offertes 

Majesté  l'obligerait  saas  doute  d'y  chercher  les  moyens  d'y  servir  avec  son 
agrément.  »  —  Martelli,  âgé  de  quarante  ans,  Florentin,  d*une  maison  assez 
riche  et  très  noble;  «  d'une  humeur  un  peu  trop  chaude.. ..  altier  ;  a  de  l'esprit 
et  du  talent  ;...  quelque  étude  et  de  l'intelligence  pour  les  affaires;...  pas  as- 
sez accommodant;...  plus  capable  de  servir  dans  les  tribunaux  et  dans  les 
postes  qui  sont  à  Rome  que  dans  les  emplois  étrangers.  Pour  son  inclination, 
il  n'a  fait  paraître  de  partialité  ni  pour  la  France,  ni  pour  l'Espagne,  et,  d'ail- 
leurs, on  croit  communément  que  les  Florentins  penchent  plutôt  de  notre 
côté.  »  —  Spada,  Romain,  a  est  petit-neveu  du  cardinal  Spada,  qui  fut  nonce 
eu  France  et  qui  depuis  témoifçna  toujours  de  l'inclination  pour  la  nation... 
11  est  d'un  médiocre  esprit  et  d'une  capacité  fort  ordinaire...  C'est  un  prélat 
honnête  et  sans  vice,  mais  dont  l'étendue  est  bornée.  »  Il  est  nonce  à  Turin.  — 
Fieschi,  Génois,  «  capable  de  soutenir  une  nonciature  avec  éclat.  A  peine 
peut-il  avoir  vingt-neuf  ou  trente  ans.,  et  n'est  entré  en  prélature  que  sur  les 
fias  du  pontificat  d'Alexandre  VII  ou  au  commencement  de  celui  de  Clé- 
ment IX.  Ce  pape  lui  donna  la  vice-légation  d'Urbin  à  làge  de  vingt-irois  ans, 
dans  laquelle  il  réussit  admirablement,  comme  il  fait  présentement  dans  le 
gouvernement  d'Ancône,  qui  est  le  premier  après  ceux  des  provinces.  C'est  un 
sujet  de  grande  espérance,  parce  qu'il  parait  en  lui  beaucoup  d'esprit,  de 
douceur,  de  discrétion,  d'intelligence  et  d'application  à  l'étude...  Neveu  du 
cardinal  Franzoni,  Génois,  créature  du  cardinal  Chigi.  Son  oncle  parait  sans 
partialité  pour  les  couronnes.  Il  est  homme  d'un  esprit  libre  et  particulier, 
attaché  à  ses  opinions,  fort  studieux  et  plein  d'une  grande  estime  pour  le 
clergé  de  France,  ami  du  cardinal  Altieri,  et  proprement  d'un  esprit  répu- 
blicain. » 

(1)  V.  aussi  le  mémoire  de  Servient,  du  23  août  1673.  Rome,  227.  —  o  Bien 
que  S.  M.  ne  veuille  pas  porter  le  choix  que  le  palais  a  témoigné  lui  déférer 
jusqu'au  point  de  nommer  celui  des  sujets  qui  lui  plairaH  le  plus,  d'autant 
plus  même  qu'ils  lui  sont  également  inconnus,  elle  peut  se  conserver  par  là 
dans  l'avantage  qui  lui  fut  acquis  lors  de  la  nonciature  dernière,  puisque, 
bien  qu'elle  remette  cette  nomination  au  pape,  elle  l'aurait  pu  faire  elle-même, 
après  la  liste  qui  lui  a  été  envoyée.  »  (Le  duc  à  Pomponne,  20  septembre  1673. 
Aomf,  227.)  —  Le  pape  et  le  cardinal  AUieri  nous  donnent  avis  qu'ils  ont  in- 
tention de  nommer  Spada  nonce  en  France,  «  croyant  qu'il  serait  agréable  à 
Votre  Majesté,  puisqu'il  était  d'une  maison  affectionnée  à  la  F>*ance,  et  qu'il 
avait  les  mêmes  sentiments.  »  (Le  duc  an  roi,  17  décembre  1673.  Romef  228.) 

LOUIS  XIV  BT  LB  SAINT-SIÈOB.  —  H.  33 


314  CHAPITRE   QUATRIÈIIB 

par  les  Français  de  relever  d^anciennes  prérogatives  da  saiol- 
siëge,  admises  autrefois  dans  le  droit  public  de  TEarope,  et 
alors  tombées  en  désuétude.  On  se  rappelle  que,  malgré  u 
démence  notoire,  Alphonse  VI  de  Portug^al  portait  encore  le 
titre  de  roi,  quoique  son  frère  don  Pëdre  se  fût  emparé  di 
gouvernement,  avec  Tapprobation  de  tous  les  ordres  de  l'État 
Déjà,  sous  le  précédent  pontificat,  Louis  XiV  avait  appuyé 
les  démarches  secrètement  faites  à  Rome  par  Marie  de  Sayoie, 
femme  du  régent,  pour  obtenir  que  le  pape  conseillftt  à  son 
mari  de  prendre  la  couronne;  mais  Clément  IX,  après  avoir 
forcé,  non  sans  peine,  les  cours  de  France  et  de  Portugal  à 
respecter  la  juridiction  de  TEglise  et  du  saint-siège  sur  les 
mariages  des  princes,  avait  formellement  refusé  d'entrerdans 
un  débat  dynastique,  où  la  religion  n'était  pas  intéressée.  Les 
scrupules  sincères  de  don  Pèdre  résistaient  à  l'ambition  de 
Tex-reine,  toujours  favorisée  par  le  roi  de  France,  qui  voyait 
là  un  moyen  de  reconquérir  son  influence  à  Lisbonne,  ^ol 
ne  montrait  plus  de  zèle  pour  le  succès  de  cette  négocialioD 
que  le  cardinal  d'Estrées,  parent  de  la  princesse  :  c*est  lui  qui 
avait  le  premier  réclamé  Tintervention  du  souverain  pontife 
pour  vaincre  la  délicatesse  du  régent  (1).  A  peine  arrivé  à 
Rome,  il  renouvela  sa  tentative  et  pria  Louis  XIV  de  la  faire 
appuyer  par  l'ambassadeur  :  «  Nous  fixerions  plus  aisément, 
dit-il,  ce  reste  d'incertitude  qui  paraît  dans  le  cardinal  Altieri 
sur  l'expédition  du  bref  qu'il  a  promis  (2).  » 

(1)  a  ...  Je  m'imaginai,  connaissant  la  dérérence  particulière  des  Portagaii 
pour  le  saiut-siègfi,  que,  si  on  pouvait  disposjr  le  pape  à  témoigner  au  prince 
qu'il  jugerait  son  couronnement  légitime  el  qu'il  le  croyait  utile  aa  repos  d< 
ses  peuples  et  au  bien  de  la  religion,  il  arriverait  peut-être  que,  ses  plus  con- 
fidents dêsarmé'i  par  cslle.  edhortation  des  scrupules  dont  ils  tenaient  fesftnt 
du  prince  eniOarrassé^  il  ne  résisterait  pas  longtemps  a  prendre  le  titre  de 
roi.  J'entretins  M.  de  Lionne  de  cette  pensée...,  etc.  »  (A  Pomponne»  29  août 
1673.  Home,  227.)  Cf.  encore  Bourlemontau  roi,  12  août  1670.  Rome,  210. 

{2)  «  Quand  je  vins  à  Home,  la  reine  de  Portugal^  avec  laquelle  j'ai  tenu  »ar 
cela  une  continuelle  correspondance,  souhaita  que  je  me  prévalusse  des  ren- 
contres qui  se  présenteraient  pour  avancer  ce  dessein,  et  comme  je  savais  que 
Sa  Majesté  avait  agréé  non  seulement  les  premières  démarches  que  Je  fit  avfC 
M.  Baryellini,  mais  guette  avait  ordonné  plusieurs  fois  à  M,  de  Saint-Homain 
[ambassadeur  de  France  à  Lisbonne]  d'employer  toute  sorte  d'offices  pour  le 
faire  réussir,  le  jugeant  convenable  à  ses  intérêts  comme  à  ceux  de  la  reine 
de  Portugal  et  au  bleu  de  ce  royaume,  je  trouTai  moyen  d'en  parler  dans 


LE  MARIAGE  DU  DUC  D*TORR  515 

La  reine  de  Portugal  donnant  l'assurance  que  le  régent  céde- 
rait si  le  pape  le  lui  conseillait,  Altieri  laissait  simplement  espé- 
rer qu*un  bref  serait  adressé  en  ce  sens,  non  à  don  Pèdre,  mais 
'au  nonce  à  Lisbonne.  Pomponne  répondit  bientôt  :  «  Après  que 
le  pape  se  trouve  déjà  disposé  à  exhorter  ce  prince  par  un  bref  à 
achever  par  cette  cérémonie  de  prendre  F  autorité  entière  qui  est 
déjà  entre  ses  mains,  Sa  Majesté  approuve  que  Votre  Ëminence 
et  M.  rambassadeur  acheviez  par  vos  offices  d'y  porter  Sa 
'Sainteté.  Ce  qui  sera  de  la  satisfaction  de  la  reine  de  Portugal 
lui  sera  toujours  agréable,  et  elle  sera  bien  aise  que  le  prince, 
acceptant  la  couronne,  satisfasse  au  désir  de  ses  peuples  et 
reçoive  en  cette  rencontre  une  nouvelle  marque  de  son  ami- 
tié (1).  »  Évidemment  Louis  XIV  ne  condamnait  plus  la  théorie 
du  pouvoir  direct  on  indirect,  si  le  pape  voulait  bien  en  subor- 
'■  donner  Texercice  au  gré  de  la  politique  française!  Mais  Clé- 
ment X  n  entra  même  pas  dans  cette  affaire  {^).  L^honnête 
'  régent  ne  souhaitait  pas  6! exhortations,  et  il  ne  consentit  à 
prendre  le  titre  de  roi  qu'en  1683^  après  la  mort  de  son  frère. 

Louis  XIV  s'opposait,  d'un  autre  côlé,  à  l'intervention  du 
pouvoir  pontifical  dans  une  rencontre  où  elle  était  nécessaire^ 
et  on  le  vit  renouveler  à  peu  près,  pour  précipiter  le  mariage  du 
duc  d'York  avec  la  princesse  de  Modène,le  scandale  qu'il  avait 
donné  pour  faire  épouser  Mario  de  Savoie  au  frère  d'Al- 
phonse VL  Marie  d'Esté^  qui  manifestait  un  vif  penchant  pour 

nne  audience  que  j'eus  du  pape,  el  d'expliquer  ensuite  plus  au  long  au  cardi- 
oal  Altieri  Jusqu'où  Sa  Sainteté  pouvait  entrer.  Supposant  donc  que  tout  ce 
qui  aurait  une  apparence  cV autorité  ne  serait  jamais  écouté  dans  ce  royaume, 
je  lui  dis  que  Sa  Saintet«'s  qui  doit  veiller  au  repos  de  tous  les  peuples  chré- 
tiens, étant  informée  des  justes  motifs  qui  devaient  persua  ier  au  prince  de  se 
couronner,  et  de  la  modestie  avec  laquelle  ses  scrupules  Ten  avaient  toujours 
éloigné,  pourrait  Vexhorter  et  le  convier  i»ar  un  bref  de  le  faire^  soit  que  ce  bref 
contint  expressément  ses  avis  paternels  el  ses  exhortations,  soit  qu'étant  général 
el  donné  en  créance  sur  son  nonce,  ce  ministre  expliquât  au  prince  les  sentiments 
el  les  conseils  de  Sa  Sainteté,  »  (Le  cardinal  d'Estrées  à  Pomponne,  29  août 
1673.  Rome,  227.) 

(i)  27  septembre.  Rome,  227. 

(S)  Cette  conduite  du  pape  ne  lui  était  inspirée  que  par  sa  prudence  aocou- 
lumée.  La  reine  de  Portugal,  dit  le  cardinal  d'£strt>es  lui-même,  paraissait 
craindre  qa'à  Rome  on  ne  refusât  d'intervenir  par  ménagement  pour  les  Es' 
pagnolf,  mats  j'ai  dissipé  ses  défiances,  (A  Pomponne,  22  novembre  1673. 
Rome,  228.) 


516  CHAPITRE   QUATRIÈME 

la  vie  religieuse,  avait  cependant  écouté  les  propositions  à 
prince  anglais,  sur  Tavis  de  Tévêque  de  Verceîl  et  par  dtf- 
rence  pour  un  bref  exhortatoire  que  le  pape  avait  adressé  ktt 
prélat,  en  vue  des  avantages  que  cette  union  devait  procotv 
au  catholicisme.  Mais  le  duc  d'York,  qui  n'avait  pas  cnc« 
abjuré  publiquement  Thérésie,  ne  pouvait  obtenir  sa  nuk 
qu'après  avoir  promis  au  pape  d'assurer  à  la  future  dachesv 
la  liberté  de  son  culte  et  de  faire  élever  ses  enfants  dans  lifa 
catholique (1).  Laure  Martinozzi,  nièce  de  Mazarin,  et  mèret 
la  jeune  princesse,  ne  sut  pas  se  défendre  contre  lesintrignes 
de  la  cour  de  France  (2).  MM.d'Estrées  déterminèrent  les  théo- 
logiens de  Modène  à  supposer  que  la  dispense  pontificale  était 
implicitement  comprise  dans  le  bref  à  Tévèque  de  Verc«il,<t 
le  mariage  fut  célébré  brusquement,  par  procuration,  à  rinsi 
du  pape,  dans  les  premiers  jours  d'octobre  1673(3). 

(i)  «  Il  a  été  décidé  dans  la  Congrégation  députée  sar  ce  sujet  et  compoiii 
de  MM.  les  cardinaux  Otthoboni,  Albizzi,  Cybo,  Allieri,  Nerli,  Carpegna,  ^ 
taire,  Casanata  et  Santo-Pilastro,  sous-dataire,  que  le  pape  ne  pouTatt  dotiv 
la  dispense  en  conscience,  qu'il  n*eûl  auparavant  des  assurances  positive.* <• 
par  écrit  pour  ce  qui  regarde  l'exercice  libre  de  la  religion  dans  la  mai^n  k 
M°^<>  la  duchesse  d*York.  Cette  décision  m*a  obligé  de  demander  des  audieoo^ 
extraordinaires  au  pape  et  a  M.  le  cardinal  Aitieri.  Je  lear  ai  représenté  toë 
ce  que  j'ai  cru  pouvoir  contribuer  à  l'expédition  de  la  dispense  par  i'iotti^* 
que  V.  M.  prend  au  mariage,  par  l'avantage  de  la  religion  et  parla  gloire â 
pontificat  de  Clément  X;  mais  le  cardinal  Âltieri  m*a  toujours  répondu  qoei 
pape  ne  la  pouvait  donner  en  conscience  ni  en  honneur,  que  Ton  n'eût  stîpsii 
auparavant  les  mêmes  choses  pour  la  religion  catholique  que  Ton  anil^ùi 
lors  du  mariage  de  la  feue  reine  d'Angleterre,  tante  de  V.  M.  »  (Leduc  aunl 
30  septembre  1673.  Rome,  227.  Le  cardinal  à  Pomponne,  17  octobre.  Romt,^ 

(2)  «  Le  bref  du  pape  que  M.  l'ambassadeur,  par  Tentremise  de  M.  le  a^ 
dinal  d'Estrées,  a  tiré  adroitement  de  M.  le  cardinal  Altieri  avant  qu'il  s'an?^*' 
de  convoquer  une  Congrégation  pour  examiner  l'affaire  du  mariage  de  b 
princesse  de  Modène  avec  le  duc  d'York,  peut  suffire  à  M™«  la  duchés* 
de  Modène  pour  faire  présentement  par  procuration  le  mariage  de  U  pnB- 
cesse  sa  fille  et  l'envoyer  sans  délai  à  son  mari,  vu  le  péril  qu'il  peut  f  a^^i^ 
à  différer  une  affaire  qui  peut  apporter  tant  d'avantage  à  TËglise  et  à  la  r^ 
gion...  u  (Bourlemont  à  Pomponne,  30  septembre.  Home,  227.) 

(3)  Le  mariage  va  se  célébrer  dans  la  chapelle  du  palais  à  Modène,  ■  ^ 
secrètement,  mais  en  particulier,  »  sans  attendre  la  dispense,  les  théologies* 
de  Modène  se  contentant  du  bref  exhortatoire  à  l'évoque  de  Verceil.  (Le  ftf* 
dinal  d'Estrées  à  Pomponne,  4  octobre.)  —  Les  théologiens  ont  wppof^  ^ 
dispense  dans  les  exhortations  pontificales.  On  apprend,  à  Modène,  que  ^ 
pape  a  ordonné  à  l'évêque  de  Verceil  de  lui  renvoyer  son  bref  :  la  célébwlJ* 
a  lieu  dès  le  lendemain.  (Le  même  au  même,  10  octobre.  Rome^  22S.) 


LE    MARIAGE  DU   DUC  d'tORK  517 

La  nouvelle  duchesse  d'York  el  sa  mère, honteuses  d^une  con- 
""     .  ... 

duite  dont  le  pape  élait  indigné(l),  se  pourvurent  à  Rome,  mais 

\  Clément  Xleur  imposa  les  mêmes  conditions^  dont  il  ne  se  re- 

"lâcha  jamais,  malgré  les  efforts  du  roi  et  de  MM.  d'Estrées(2). 

'  Louis  XIV  s'étant  donné  le  principal  rôle  dans  cette  négocia- 

'  tien,  le  pape  réclama  de  lui  directement  les  garanties  propres 

à  mettre  sa  conscience  en  repos,  et  en  reçut  une  letlro  qui  fut 

jugée  insuffisante  (3).  Enfin,  Rome,  ne  pouvant  obtenir  la 

'       (1)  Le  cardinal  Masslmi  me  fait  savoir  qa'il  a  trouvé  le  pape  «  dans  une  très 
-.    grande  colère  sur  le  sujet  de  ce  mariage.  »  (Le  duc  au  roi,  H  octobre  1673. 
Borne,  228.) 

(2)  «  Je  me  servirai  des  motifs  de  votre  lettre  pour  leur  marquer  combien 
rattachement  qu'ils  ont  à  des  formalités  inutiles  donne  d*ôtonnement  à  tout 
le  monde  comment  ils  peuvent  se  persuader  qu'une  dispense,  qui  rCest  dési- 
rée que  par  un  sentiment  de  soumission  au  saint-siège  et  pour  sauver  quelques 
apparences,  doit  souffrir  tant  de  difficultés,  et  qu'enfin,  comme  les  oppositions 
seules  du  Parlement  devraient  faire  voir  au  pape  qu'une  chose  que  les  héré- 
tiques abhorrent  si  fort,  ne  peut  être  qu'utile  à  la  religion  et  glorieuse  à  son 
pontificat,  il  semble  que  cette  solide  considération  devrait  uniquement  préva- 
loir à  toutes  celles  qui  n'ont  de  fondement  que  dans  des  formes  extérieures..,  » 
(Le  cardinal  à  Pomponne,  29  novembre  1673.  Home,  228.)  —  «  Depuis  que 
îlme  la  duchesse  d'York  est  passée  à  Londres,  M™*  la  duchesse  de  Modène 
n*a  point  encore  envoyé  la  lettre  de  M.  le  duc  d'York,  par  laquelle  il  devait 
assurer  S.  M.  que  M»«  la  duchesse,  sa  femme,  aurait  toute  liberté  et  tout 
exercice  de  religion  en  Angleterre.  L'intention  de  Sa  Majesté  est,  lorsqu'il 
l'aura  reçue,  de  témoigner  au  pape,  soit  par  M.  l'ambassadeur,  soit  par  une 
lettre,  qu'après  ces  assurances  S.  M.  ne  peut  plus  douter,  et  qn'elle  croit 
que  S.  S.  ne  doutera  pas  de  même,  de  la  sûreté  entière  que  cette  princesse 
trouvera  pour  la  religion  en  Angleterre,  et  que  S.  M.  s'assure  que  le  pape  la 
trouvera  sans  doute  plus  que  suffisante  pour  accorder  sa  dispense.  C'est  en 
cette  manière  seule  que  S.  M.  peut  donner  cette  parole,  puisqu'elle  narrive- 
aaii  pas  à  répondre  positivement  d'une  chose  quHl  ne  serait  pas  en  elle  de  faire 
observer.  Ce  doit  être  suffisant  pour  le  pape,  qui  par  là  aura  pourvu  à  toutes 
les  précautions  qu'il  aura  jugé  nécessaires.  »  (Pomponne  au  cardinal,  22  dé- 
cembre. RomCf  228.)  —  Le  duc  d'York  a-t-il  écrit  au  roi?  11  importerait  que  le 
roi  écrivit  à  cette  cour,  afin  de  calmer  les  scrupules  et  de  mettre  fin  à  l'embar- 
ras que  ce  mariage  a  créé  entre  cette  cour  et  Modène.  (Le  cardinal  à  Pomponne, 
21  mars  1674.  Rome,  229.) 

(3)  M  Très  Saint-Père,  ayant  reçu  des  assurances  très  précises  de  notre  frère 
le  duc  d'Yurk  que  notre  sœur  la  duchesse,  son  épouse,  jouit  présentement  et 
Jouira  toujours  en  Angleterre,  pour  elle  et  pour  toute  sa  famille,  du  libre  et 
entier  exercice  de  sa  religion  ;  que  même  notre  frère  le  roi  d'Angleterre  la 
conservera  toujours  dans  cette  possession,  nous  avons  bien  voulu  rendre 
témoignage  à  V.  S.  et  lui  faire  connaître  que  le  zèle  qu'elle  a  fait  paraître  pour 
la  liberté  que  notre  dite  sœur  trouverait  dans  sa  religion,  doit  être  pleinement 
satisfait.  C'est  sur  quoi  nous  joignonit  nos  prières  a  celles  qui  lui  ont  déjà  été 
faites  par  notre  dite  sœur  et  par  notre  cousine  la  duchesse  de  Modène,  se 


518  CHAPITRE   QUÀTaiÈME 

preuve  des  engagements  pris  par  le  roi  d'Angleterre  (1),  n- 
fusa  la  dispense  :  premier  présage  de  rinfluence  funeste  qv 
le  roi  de  France  devait  avoir  sur  la  destinée  du  prince  anglais! 
On  sait  aujourd'hui  combien  la  défiance  du  souverain  pontife 
était  légitime.  Louis  XIY  poursuivait  en  Ang-leterre  Vdiccm- 
plissement  de  ses  desseins  politiques,  aux  dépens  de  la  religion 
comme  de  la  royauté  :  il  entretenait  des  relations  étroites  avec 
«  les  restes  de  la  faction  de  Cromwell  »,  avec  le  répoblicaiB 
Algcrnon  Sidney,  devenu  son  pensionnaire,  et  avec  tous  les 
ennemis  du  duc  dTork(2).  Il  n'encourageait  les  préférences 
.  de  ce  prince  pour  Tancien  culte  qu*en  vue  de  jeter  le  royaume 
de  Charles  II  dans  une  plus  grande  confusion,  et  la  réponse 
cruelle  qu'il  fera  bientôt  au  successeur  de  Clément  X,  recom- 
mandant les  catholiques  anglais  à  sa  protection,  donnera  la 
mesure  de  son  dévouement  à  la  foi  romaine  (3).  La  condaile 

mère,  pour  lui  accorder  ]a  dispense  qu*elle  a  trèa  humblement  demandée  i 
V.  B.  Nous  prendrons  une  part  singulière  àrobligation  qu*eUe8lui  enaaronU 
et,  après  avoir  assuré  V.  S.  de  notre  respect  et  de  notre  affection  pour  sape^ 
sonne,  nous  ne  ferons  la  présente  plus  longue  que  pour  prier  Dieu,  etc.  • 
n  avril  1674,  Rome,  229.) 

(1)  La  Congrégation  qui  délibère  sur  la  dispense  de  la  duchesse  d'York  ex- 
prime le  désir  d'avoir,  dans  la  lettre  de  Louis  XIV,  rattestation  que  le  roi  lait 
donné  la  mf^me  parole  que  le  duc  d'York  touchant  la  liberté  laissée  à  la  duchesse; 
mais,  tt  outre  que  le  roi  aurait  peine  à  témoigner  qa*ii  aurait  reçu  une  parole 
guif  en  effet,  ne  lui  a  point  été  donnée ^  S.  M.  considère  encore  qu'elle  doit 
faire  d'autant  plus  de  scrupule  d'en  assurer  S.  S.  que,  dans  la  commotion  oi 
sont  les  esprits  en  Angleterre  sur  le  sujet  de  la  religion,  ce  pourrait  être  nne 
occasion  aux  malintentionnés  d'un  nouveau  sujet  de  plainte  contre  le  roi  de 
la  Grande-Bretagne.  »  Faites  en  sorte  qu'on  se  contente  de  la  lettre  que  le  roi 
a  envoyée.  (Pomponne  au  cardinal  dEstrées,  24  août  1674.  Rome,  231.) 

(2)  u  D'une  pari,  je  ménageais  les  restes  de  la  faction  de  Cromwell  pour  ex- 
citer, par  leur  crédit,  quelque  nouveau  trouble  dans  Londres;  et  d'autre  part, 
j'entretenais  des  intelligences  avec  les  catholiques  irlandais,  etc..  Sur  ces  dif- 
férentes pensées,  f  écoulai  les  propositions  qui  me  furent  faites  par  Sidney, 
gentilhomme  anglais,  lequel  me  promettait  de  faire  éclater  dans  peu  qvelqvt 
soulèvement,  etc.  »  [Œuvres  de  Louis  XIV,  t.  II,  p.  203.)  —  «  CommunicatioDf 
wcre  openod  between  Barillon,  tbe  ambassador  of  Lewis,  and  those  English 
politiciaos,  etc.  The  most  upright  member  of  the  Country  party,  William  lorJ 
Russell,  son  of  the  cari  of  Bedford,  did  not  scruple  to  concert  wilh  a  foreiqn 
mission  schemes  for  embarrassing  his  own  sovereign..,  The  effect  of  thèse  intri- 
gues was  that  Eugland...  remaiued  inactive  till  the  continental  war,  having 
lasted  near  seven  years,  was  terminated  by  the  treaty  of  Nimeguen.  ■  (Ma- 
caulay,  t.  I,  p.  112  et  suiv.,  éd.  in-12.) 

(3)  «  Le  nonce  m'a  témoigné  que  S.  S.  (Innocent  XI)  avait  appris  avec  doQ- 


LE    MARIAGE    DU    DUC  d'yOBK  519 

de  Clément  X  et  du  cardinal  AUierî,  au  cours  de  ces  débats, 
fut  si  loyale  que,  même  au  palais  Farnëse,  on  n'attribua  ja- 
mais leur  refus  qu'à  des  scrupules  sincères  :  MM.  d'Ëstrées 
attestaient  Tun  et  Tautre  en  termes  exprès  la  droiture  et  les 
bonnes  intentions  du  cnrdinal-neveu  (i). 

Quelque  désir  qu'eût  Clément  X  de  contenter  la  cour  de 
Saint-Germain,  il  est  un  point  capital  sur  lequel,  sans  manquer 
à  son  devoir  de  père  commun,  il  eut,  comme  ses  devanciers 
et  ses  successeurs,  la  gloire  de  ne  jamais  conniver  à  la  poli- 
tique française.  La  prise  de  Candie  avait  donné  au  Grand  Sei- 
gneur Tespoir  et  les  moyens  de  poursuivre  ses  conquêtes  sur 
les  Vénitiens,  sur  la  Pologne  et  sur  les  provinces  héréditaires 
de  l'Empereur.  Rome  pressait  vainement  les  puissances  chré- 
tiennes de  se  liguer  contre  Mahomet  IV  :  cette  union  était 
rendue  impossible  par  Tambition  personnelle  de  Louis  XIV, 
qui,  pour  assurer  le  succès  de  ses  entreprises  contre  la  maison 
d'Autriche,  secondait  les  projets  du  divan  contre  la  chrétienté. 
II  venait  d'envoyer  à  Constantinople  un  nouvel  ambassadeur, 
le  marquis  de  Nointel^  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  qui 
avait  ordre  d'effacer  les  souvenirs  laissés  à  la  Porte  par  ses 
prédécesseurs,  Jean  et  Denis  de  la  Haye,  et  d'apaiser  les  res- 
sentiments qu  y  avait  excités  l'expédition  de  Navailles  et  de 
Beaufort  à  Candie.  Il  avait  repris  toutes  ses  défiances  contre 


leDf  les  peines  qui  avaient  été  imposées  depuis  peu,  en  Angleterre,  contre  les 
prôtres  anglais  qui  célébreraient  la  messe,  ou  contre  les  particuliers  qui  y  as- 
sisteraient. 11  m*a  fait  voir  que  S.  S.  désirait  de  moi  que  j'employasse  mes 
offices  pour  faire  révoquer  ces  défenses ...  etc.  J'ai  fait  connaître  au  nonce,  que 
J^étais  très  fâché  de  ne  pouvoir  rien  en  faveur  des  sujets  du  roi  de  la  Grande- 
Bretagne,  auxquels  ce  prince  est  maître  d'imposer  les  lois  quil  lui  plaît.  Le 
Dooce  a  fort  compris  et  la  sincérité  de  mes  désirs  et  le  peu  que  je  pouvais  sur 
ce  point.  Il  en  informera  le  pape  et  vous  lui  parlerez  en  mon  mon  dans  le 
môme  sens.  »  (Le  roi  au  duc  d'Estrées,  8  janvier  1677.  Rome,  250.)  Or,  Louis  XIV 
pensionnait  A  la  fois  le  roi  Charles  U  et  les  chefs  des  deux  partis  dans  le  Par- 
lement, et  c*est  alors  que  commençait  la  persécution  rendue  si  terrible  par 
les  impostures  de  Titus  Gates  et  de  ses  complices. 

(1)  Le  duc  au  roi;  le  cardinal  à  Pomponne,  30  septembre  1673.  RomCf  227. 
Cependvit  les  agents  français  faisaient  espionner  Altieri  jusque  dans  sa  pins 
secrète  intimité  :  «  Ayant  su,  disait  Servient,  par  un  valet  de  chambre  du  car- 
dinal Altieri  que  fax  fait  gagner  de  longue  main  et  qui  est  perpétuellement  aux 
écoulée^  etc.  (À  Pomponne,  11  octobre  1673.  Rame,  228.)  —  V.  encore  une  lettre 
confidentielle  da  cardinal  d*Estrées  à  Pomponne,  23  août  1673.  Rome^  227,  etc. 


820  €UÀPITRB  OUATMÈMB 

Venise,  dont  la  maxime  fondamentale j  disait-il,  était  de  tenir 
l'équilibre  entre  les  États  européens,  et  qui  sans  doute  allait 
favoriser  les  Espagnols  contre  la  France  (1)  :  la  Seigneo- 
rie  ne  pouvait  donc  plus  compter  sur  son  assistance  dans  un 
nouveau  danger.  D'un  autre  côté,  pour  empêcher  Léopold 
de  secourir  l'Espagne  contre  lui,  il  suscitait  partout  des  adver- 
saires à  TEmpire.  Tous  ses  efforts  tendirent  à  soulever  U 
Hongrie  contre  T Autriche,  à  rétablir  la  paix  entre  la  Pologne 
et  les  Turcs  et  à  diriger  contre  TEmpereur  isolé  les  redoutables 
armements  du  sultan.  II  n'y  avait  pas  encore  un  an  que  Clé- 
ment X  régnait,  lorsque  Louis  XIV  lui  fit  signifier  qu*il  enten- 
dait, sous  prétexte  des  intérêts  commerciaux  de  son  royaume, 
séparer  sa  cause  de  celle  des  autres  nations  chrétiennes.  Le 
20  février  1671,  il  écrivit  à  labbé  de  Bourlemont  :  «  Répondez 
à  Tabbé  Baglioni  (2)  que  je  ne  juge  nullement  nécessaire  ni  à 
propos  cette  mission  de  nonces  extraordinaires  pour  un  sujet 
lequel,  devenant  bientôt  public  dans  toute  la  chrétienté,  ne 
serait  pas  longtemps  sans  parvenir  aussi  à  la  Porte,  où  cette 
connaissance  donnerait  lieu  aux  Turcs  de  recommencer  leurs 
avanies  à  mes  sujets  dans  leur  commerce  du  Levant;  ajou- 
tant à  cela  que  j'ai  déjà  eu  assez  de  peine  à  faire  oublier  à  ces 
barbares  ce  que  y  ai  fait  si  hautement  et  si  publiquement  [i] 
contre  eux,  k  la  réquisition  du  feu  pape,  pour  le  salut  de 
Candie,  et  qu'à  présent  qu'à  F  arrivée  de  mon  nouvel  ambassa- 
deur à  Constantinople  je  suis  venu  à  bout  de  faire  un  peu  cesser 
leurs  ressentime7its,]e  ne  veux  pas  que  ces  diligences  publiques, 
qui  se  peuvent  et  se  doivent  éviter,  leur  donnent  de  nouvelles 
occasions  de  tourmenter  mes  sujels|;  concluant  que,  si  le  pape 
a  quelque  chose  à  me  faire  dire  pour  le  bien  de  la  chrétienté, 
il  peut  vous  en  parler  ou  m'en  faire  entretenir  par  son  nonce 
ordinaire,  sans  qu'il  soit  besoin  d'en  faire  des  démonstrations 
publiques,  quiiraient^  à  la  vérité^  à  sa  gloire^  mais  qui  seraient 

(1)  iDstniclioDs  à  Nointel,  21  juillet  1670.  Turquie,  10. 

(2)  Secrétaire  des  chiffres. 

(3)  Louis  XIV  n'a  pas  le  droit  de  tenir  ce  langage.  On  a  vu  plus  haut  qu1l 
désavoua  formellement  la  campagne  de  Hongrie  comme  roi  de  France,  et  qu'il 
en  fit  exprimer  ses  regrets  a  la  Porte  ;  —  qiio,  d'autre  pai  t,  les  troupes  eo- 
voyées  au  secours  de  Candie  portaient,  non  les  couleurs  françaises,  mais  celles 
de  Malte  et  du  pape. 


l'élection   de   POLOGNE  821 

.  trop  préjudiciables  au  commerce  des  Français  au  Levant  (1).  » 
Rome  observait  avec  une  inquiétude  trop  bien  fondée  ces 
démonstrations  d'amitié  entre  Louis  XIV  et  l'ennemi  corn- 

■:  mun,  et  le  duc'd'Estrées  écrivait  à  Pomponne  (2)  :  «  Il  y  a  des 
nouvelles  de  Constantinople  du  27  décembre,  par  lesquelles 
on  a  appris  que,  sitôt  que  le  Grand  Seigneur  est  arrivé  à 
Andrinople,  le  premier  vizir  a  écrit  à  M.  de  Nointel  pour  se 
réjouir  avec  lui  des  conquêtes  de  Sa  Majesté  avait  faites  sur 
les  Hollandais  et  pour  l'assurer  de  vouloir  renouveler  les 
capitulations  et  lui  accorder  tout  ce  qu'il  avait  demandé  avant 
le  départ  du  Grand  Seigneur.  » 

Aussi  des  nonces  pontificaux,  choisis  avec  soin,  se  succé- 
daient sans  relâche,  à  Varsovie,  pour  terminer  les  divisions 
des  Polonais,  entretenues  par  les  ministres  étrangers  et  sur- 
tout par  les  agents  français  (3).  Le  règne  de  l'incapable  Michel 
Korybuth  allait  finir,  et  longtemps  avant  sa  mort  (10  no- 
vembre i673),  Téleclion  de  son  successeur  préoccupait  la 
plupart  des  cours  européennes.  Les  Polonais  avaient  reçu  de 
Rome  assez  de  bienfaits  et  le  pape  était  assez  intéressé  lui- 
même  à  la  sécurité  de  l'Europe  pour  qu'on  ne  lui  disputât  pas 

(1)  Rome,  207. 

(2)  25  février  1673.  Rome,  225. 

(3)  «  Le  pape  dépêche  un  courrier  avec  assurance  de  40^000  écus,  dont  les 
leltres  de  ctiange  scrout  portées  par  l'ordinaire  de  samedi,  témoigne  en  vou- 
loir envoyer  d'autres  et  délibère  sur  la  mission  d'un  nonce  exlraordiuaire  ou 
d'un  légat,  pour  travailler  à  la  réunion  du  roi  et  de  la  république  et  pour  sol- 
liciter le  zèle  des  princes  d'Allemagne  dans  une  si  pressante  conjoncture.  » 
(Le  cardinal  d'Eslrées  à  Pomponne,  18  octobre  1672.  Rome,  223.)  «  Le  pape 
m'a  envoyé,  cette  après- dinée,  Tabbè  BagUonl  pour  me  donner  part  qu'il 
mande  &  tous  ses  ministres  d'exhorter  les  princes  auprès  desquels  ils  sont  de 
te  réunir  contre  un  ennemi  aussi  puissant  que  les  Turcs,  et  pour  me  prier  de 
témoigner  à  S.  M.  qu'elle  ne  peut  jamais  l'obliger  plus  sensiblement  que  de 
Yooloir  bien  y  apporter  ce  qui  dépend  d'elle,  la  chrétienté  ne  pouvant  attendre 
de  remède  aux  maux  qui  la  menacent  que  de  S.  M.  m  (Le  duc  à  Pomponne, 
22  octobre  1672.  Rome,  223.)  —  «  Les  Turcs  ont  déjà  commencé  A  paraître 
dans  ces  mers,  et  trois  de  leurs  vaisseaux  en  ayunt  rencontré,  vers  le  port  de 
Netluno  qui  est  à  treize  lieues  d'ici,  pareil  nombre  et  deux  caravelles,  chargés 
de  hait  cents  soldats,  que  le  vice-roi  de  Naples  envoyait  à  Porto-Longone  et 
Porto-Ercole,  en  ont  pris  un,  sur  lequel  il  y  en  avait  deux  cent  cinquante. 
Un  des  vaisseaux  et  les  deux  caravelles  se  sont  retirés  sans  combattre.  »  (Lt 
même  au  même,  8  avril  1673.  Rome,  225.)  —  Des  dépêches  antérieures  ap- 
prennent que  Venise  craint  une  entreprise  des  Turcs  sur  Niplet  et  sur  la 
SicUe,  qui  ne  seraient  pas  en  état  de  résister. 


522  CHAPITRE  QUATIIIÈIIE 

le  droit  de  témoigner  ses  préférences.  Mais,  précisément  poor 
ménager  au  roi  futur  l'alliance  des  principales  puissances 
contre  les  Turcs,  il  évita  d*appuyer  un  candidat  qui,  mêoe 
avant  de  recevoir  la  couronne,  aurait  contre  lui  rinimitiécer 
laine  du  roi  de  France  ou  de  FEmpereur.  Liéopold  favorisait 
Charles  de  Lorraine^  qui  devint  plus  tard  son  beau-frère  et  k 
généralissime  de  ses  armées,  et  qui  avait  de  trop  légitimer 
ressentiments  contre  Louis  XIV.  Celui-ci  donnait  toutes  ses 
sympathies  à  un  fils  de  Philippe-Guillaume,  duc  de  Neuboarg, 
qui  était  alors,  dit  Pomponne  dans  ses  Mémoires  {l),  n  nndes 
princos  de  TEmpire  le  plus  attachés  à  la  France  et  qui  avaient 
le  plus  de  raison  de  Tétre.  »  Louis  XIV  espérait  enlever  fui- 
lemcnt  un  roi  de  cette  maison  à  la  ligue  contre  les  infidèles 
et  Tentrainer  avec  lui  dans  les  guerres  d'Allemagne  parmi  les 
ennemis  de  la  maison  d'Autriche.  Pomponne  écrivait  au  duc 
d'Estrées  :  Le  prince  Charles  de  Lorraine  a  de  tels  liens  avec 
la  cour  de  Vienne  (2),  que  Sa  Sainteté  «  ferait  paraître  quelque 
partialité  si  elle  se  déclarait  pour  lui,  et  cet  esprit  serait  fort 
éloigné  de  celui  de  la  médiation  que  M.  le  nonce  a  offerte  dans 
l'audience  particulière  qu'il  a  eue  du  roi.  »  Le  cardinal  Allieri 
renouvela  les  assurances  de  neutralité  (3).  Bourlemont  fit 
passer  en  France  Tavis  «  que  le  nonce  du  papo  avait  ordre 
d'appuyer  secrètement  de  tout  son  possible  les  prétentions  do 
prince  Charles  de  Lorraine  pour  être  élu  roi  de  Pologne  ;  »  mais 
ce  bruit  fut  démenti  par  l'ambassadeur  lui-même  (4).  Les 
Polonais  choisirent  (21  mai  1674)  leur  compatriote  Jean  So- 
bieski,  grand  maréchal,  qui  avait  vaincu  les  Turcs  en  tant  de 
combats  et  qui  avait  remporté  sur  eux  la  victoire  de  Choczim, 
le  jour  môme  où  mourait  le  roi  Michel. 

M.  de  Forbin-Janson,  évêque  de  Marseille,  ambassadeur  de 
Louis  XIV  et  chargé  de  ses  pleins  pouvoirs  auprès  de  la  diète, 
s'attribua  Thonneur  de  cette  élection;  mais  tous  les  documents 

({)  T.  II,  p.  365. 

(2)  11  avait  pris  une  part  brillante  à  la  campagne  de  Hongrie,  sous  les  ordres 
de  Montecucullif  en  1664,  ei,  depuis  cette  époque,  il  avait  conservé  des  rela- 
tions très  étroites  avec  la  famille  impériale. 

(3)  Le  duc  au  roi,  20  décembre  1673.  Rome^  228.  Pomponne  an  duc,  2  IDa^ 
1674.  Le  duc  au  roi,  7  mars.  Rome^  229. 

(4)  18  avril  1674.  Rome,  229.  —  Le  duc  au  roi,  2  mai.  Rome,  230. 


l'élection   de   POLOGNE  523 

inédits  et  les  Mémoires  de  Pomponne  nous  apprennent  que 
.  Sobieski  ne  dut  la  couronne  qu*à  sa  popularité  et  à  ses  ma- 
nœuvres personnelles.  Ponnponne  écrivaitau  duc  d'Estrées (1)  : 
M.  de  Marseille  va  partir,  «  et  vous  croyez  bien  qu'il  n'oubliera 
rien  de  ce  qui  sera  en  lui  pour  empêcher  Télection  du  prince 
Charles  et  pour  favoriser  M.  le  prince  de  Neubourg.  »  Mais, 
quoique  Tévèque  français  eût  apporté  de  grosses  sommes 
d'argent  (2),  destinées  à  l'achat  des  consciences  et  à  la  récom- 
pense des  trahisons,  le  candidat  de  Louis  XIV  n'était  pas  plus 
que  celui  de  l'Empereur  en  état  de  lutter  avec  succès  contre 
un  tel  rival.  Pomponne  explique  fort  bien  que,  M.  de  Forbin- 
Janson  ayant  «  ordre  de  se  conduire  particulièrement  selon  les 
lumières  »  du  grand  maréchal,  et  celui-ci  déclarant  qu'il  n'en- 
tendait user  de  son  influence  que  dans  son  propre  intérêt  (3), 
Tarobassadeur  de  France,  au  lieu  de  diriger  les  électeurs, 
n'avait  fait  que  subordonner  ses  intrigues  à  l'ambition  de 
Sobieski  (4).  D'ailleurs  les  Polonais  comprenaient  de  quel  prix 
étaient  pour  le  souverain  pontife  les  services  rendus  à  la  chré- 
tienté par  le  chef  de  leur  armée  (5),  et  ils  étaient  assurés  que 

i)  30  mars  1674.  Rome,  229.  »  Ce  qui  est  confirmé  par  les  Mémoires  de  ce 
ministre,  t.  II,  p.  428  :  o  Tous  les  ordres  de  Févèque  de  Marseille  se  renfer- 
mèrent à  exclure  le  prince  Charles  de  Lorraine,  comme  le  principal  intérôt 
que  S.  M.  eût  dans  cette  affaire,  et  à  favoriser  le  prince  de  Neubourg.  » 

(2)  Pomponne  donne  quelques  chiffres,  t.  II,  p.  430  et  suiv. 

(3)  T.  II,  p.  432  et  433. 

(4)  Une  note  de  l'éditeur  des  Mémoires  de  Pomponne,  p.  435,  donne  comme 
principale  preuve  de  l'influence  prépondérante  exercée  par  l'évoque  de  Mar- 
seille dans  la  diète,  la  reconnaissance  que  Sobieski  en  aurait  témoignée  en 
lui  accordant  sa  nomination  pour  le  cardinalat.  Or,  on  verra  plus  loin  que  la 
lettre  officielle  de  présentation  fut  arrachée  à  Sobieski  par  les  obsessions  de 
la  vénale  Marie-Casimire  d'Arquien,  sa  femme,  et  de  Forbin-Janson  qu 
n'avait  pas  plus  de  scrupules  qu'elle,  —  et  que  le  roi  de  Pologne  avertit  se- 
crètement Rome  qu'il  ne  se  souciait  pas  de  cotte  promotion. 

(3)  «  Le  nonce  da  saint^siège  avait  à  remettre  une  offrande  de  100,000  Uvret 
envoyée  par  Clément  X  (mai  1672.)  Le  légat  ^  craignit  que^  dans  le  délabre- 
ment des  finances,  cette  faible  suhveutiou  fût  employée  à  tout  autre  usage 
que  la  guerre  sainte,  et  il  ne  s'en  dessaisit  que  pour  la  confier  à  Sobieski,  » 
(Salvandy,  t  I•^  p.  398  et  s.)  —  Toute  la  cour  pontificale  rivalisait  de  géné- 
rosité :  «  L'archevêque  de  Gnesen  n'offrant  que  mille  écus  pour  l'expédition 
de  set  bulles,  qui  devait  en  payer  plus  de  douze  mille,  les  cardinaux  ont 

a.  BaoDTisI,  qui  n'était  pas  nn  légat,  mail  qq  nonce  ettraordlnaira,  et  le  fait  ■'•st  pasr^, 
non  en  1672,  mais  l'année  suivante.  V.  Boarlemont  à  Pomponne,  14  JanTler  1671.  Rome,  SIS; 
~  et  il  octobre  1673.  Home.  228. 


824  CHAPITRE    QUATRlfcMK 

nul  autre  quo  lui  n'obtiendrait  de  Rome  des  subsides  pliu 
abondants  (1)  :  «  Je  sais  bien,  disait-il,  pourquoi  la  nation  ma 
mis  sur  le  trône...  Ma  mission  est  de  faire  la  guerre  aux  Turcs: 
c'est  ma  consigne  de  roi.  »  Aussi,  dès  que  son  élection  fut 
connue  à  Rome  (2),  Clément  X  lui  envoya  le  stoccOj  comme 
récompense  de  ses  triomphes  passés  sur  les  infidèles,  et  gage 
de  ceux  que  la  chrétienté  attendait  encore  de  lui.  L'Europe,  el 
la  Pologne  en  particulier,  couraient  de  grands  périls.  «  On  ne 
peut  douter  que  Mahomet  IV  n'eût  dessein  d'asservir  la  Ré- 
publique à  tout  prix.  Dans  les  conseils  du  divan  fermentait 


remis  au  roi  de  Pologne  ce  qui  leur  devait  Tenir  de  cette  expédition  pour 
s'en  servir  à  la  guerre  contre  le  Turc.  Quelques  cardinaux  y  veulent  aus^i 
contribuer  de  leur  propre  ;  le  cardinal  Odescalchi  a  déjà  envoyé  liuil  mi'Ie 
écus  eu  Pologne;  le  pape  y  veut  envoyer  des  sommes  considérable „  mais 
cela  se  doit  négocier  par  son  nonce.  »  (Bourlemont  à  Pomponne,  13  septembre 

1673.  Rome^  227.)  —  Rome  ayant  appris  la  victoire  de  Chocrim  :  «  On  a 
quelque  pensée  de  porter  le  pape  à  gratifier  Sobieski  et  son  armée  de  Tépée 
et  du  cbapeau  qu'il  bénit  tous  les  ans  à  Noël,  et  qu'il  envoie  aux  princes  qui 
font  la  guerre  contre  les  ennemis  de  la  religion.  Comme  je  suppose  qu'il 
est  toujours  dans  les  intérêts  de  S.  M.,  j'ai  excité  le  cardinal  Ursiu  [protecteur 
de  l'ologne]  et  le  cardinal  Vidoui,  qui  prend  toujours  part  aux  affaire?  à^ 
Pologne,  à  s'y  employer.  Si  cela  réussit,  comme  il  sera  d'un  grand  éclat  [lour 
ce  général,  ou  pourra,  du  côté  de  la  France,  lui  faire  valoir  le^  oftices  qaî 
auront  été  rendus.  »  (Le  cardinal  d'Estrées  à  Pomponne,  27  décembre  1673. 
Rome,  228.) 

(1)  u  S.  S.  a  de  la  peine  à  accorder  aux  pressantes  instances  qu'on  lui  fait 
de  remettre  les  décimes  en  Italie  et  en  Allemagne  pour  le  secours  des  Polonais 
au  sujet  de  la  guerre  qu'ils  ont  avec  le  Turc,  ayant  été  avisée  de  plusieurs 
endroits  du  mauvais  usage  qui  s'en  fait,  et  que  la  moindre  part  va  à  ceux  à 
qui  elles  sont  destinées,  outre  que  lesbéuéficierset  les  communautés  religieuses 
d'Italie  qui  doivent  contribuer  s'en  plaignent.  L'on  croit  que  cette  conr  veut 
attendre  l'élection  d'un  roi  en  Pologne  pour  la  gratifier  de  ces  décimes,  s'il  y 
a  occasion  d'espérer  qu'il  entreprenne  fortement  la  guerre  contre  le  Turc.  ■• 
(Bourlemont  à  Pomponne,  6  mars  1674.  Rome^  229.)  —  Lundi,  le  pape  atenuUD 
consistoire  où  il  déclara  qu'il  voulait  établir  les  décimesà  raison  de  3  pour  100 
pendant  trois  ans  pour  le  secours  de  la  Pologne.  (Le  duc  à  Pomponne,  16  mars 

1674.  Rome,  229.)  —  Les  cardinaux  envoient  de  l'argent  en  Pologne  pour  It 
guerre  contre  le  Turc  :  Altieri,  6,000  écus;  Barberini  et  Rospigliosi.  3,000  écu$; 
Nerli,  2,000  écus.  (Le  duc  au  roi,  18  avril  1674.  Rome,  229.)  —  Le  13  de  ce 
mois,  cette  cour  envoya  en  Pologne  la  bulle  pour  lever  les  décimes  de  guerre 
contre  le  Turc  et  une  avance  de  40,000  écus  sur  ces  décimes  à  la  disposition 
du  nonce,  ce  qui  arrivera  justement  au  temps  de  la  diète.  (Bourlemout  à 
Pomponne,  18  avril  1074.  Rome^  239.)  —  La  correspondance  de  ce  temps  e^t 
pleine  de  nouvelles  semblables. 

(2)  Le  duc  au  roi,  27  juin  1674.  Rome,  230. 


l'élection   de  POLOGNE  525 

avec  une  ardeur  nouvelle,  depuis  la  soumission  de  toutes  les 
places  du  Péloponèse  et  la  chute  de  Candie,  Tespolr  de  régner 
sur  le  monde  chrétien.  L'islamisme  \o\il3dlrecomme?icer  parle 
nor^les  conquêtes  qu'il  avait  accomplies  quelques  siècles  aupa- 
ravant par  les  rivages  de  TAfrique,  de  l'Espagne,  etc.  Achmet 
Kiuperli  regardait  la  Pologne  faible  et  divisée  comme  une  posi- 
sion  à  prendre  sur  les  derrières  de  TEurope,  entre  les  Mosco- 
vites, qu'il  méprisait,  et  l'Empire,  qu'il  eût  ainsi  tourné...  (1).» 
Cependant  «  la  Porte  ottomane  restait  Talliée  du  roi,  ou  plutôt 
comme  elle  disait  trop  bien,  du  sultan  de  France.  —  Louis 
excitait  sa  colère  contre  l'Empire  (2).  »  Pour  dissimuler  le  rôle 
joué  par  son  souverain,  le  duc  d'Estrées  feignait  d'entrer  dans 
les  vues  de  Clément  X  :  il  le  pressait  de  s'attacher  le  nouveau 
roi  par  ses  bienfaits  ;  il  lui  reprochait  de  n'avoir  pas  décerné 
la  rose  d'or  à  la  reine  (3);  il  sollicitait  l'envoi  de  subsides  à 
Varsovie,  et  ajoutait  qu'il  ne  fallait  pas  «  s'imaginer  que  le  roi 
de  Pologne  voulût  jamais  ternir  la  gloire  qu'il  s'était  acquise 
toute  sa  vie,  non  plus  que  celle  de  son  élection, />ar  une  paix 
également  honteuse  et  préjudiciable^  ainsi  que  ses  ennemis  le 
voulaient  faire  croire  (4).  »  Mais  au  même  moment  l'évêque 
de  Marseille,  par  Tcnlremise  de  la  reine,  entamait  les  négo- 
ciations qui  devaient  bientôt  amener  la  paix  préjudiciable  et 
honteuse  Aq  Zurawno  :  «  L'évêque  de  Marseille,  dit  Pomponne 
lui-môme,  avait  eu  ordre  de  proposer  un  traité  au  roi  de  Po- 
logne. Il  devait  l'inviter  à  porter  la  guerre  dans  la  Prusse 
contre  l'Electeur  de  Brandebourg,  qui  depuis  peu  avait  manqué 
à  la  parole  qu'il  avait  donnée  au  roi  [de  France]  dans  le  traité 
de  Vassen  et  s'était  joint  à  l'Empereur.  11  devait  aussi  l'en- 
gager à  agir  dans  la  Hongrie  et  à  favoriser  les  mécontents,  qui 
y  nourissaient  toujours  un  parti  contre  l'Empereur.  Ces  articles 
qui  devaient  demeurer  secrets  furent  signés  par  le  roi  de  Polo- 
gne, avec  l'évêque  de  Marseille  et  le  marquis  de  Béthune  (5).  » 

(1)  SaWandy,  t.  W,  p.  9. 

(2)  Ibid.,  t.  1",  p.  398-400. 

(3)  Qui  traitait  ca  môme  temps  a^ec  Louis  XIV  et  Léopold,  poar  les  trahir 
Tun  et  Tautre,  et  qui  exerça  la  plus  funeste  influenoe  sur  tout  le  règne  de  son 
mari. 

(4)  Le  duc  A  Pomponne,  18  juillet;  au  roi,  25  juillet  1674.  Rome^  230. 

(5)  Mémoires,  t..  U,  p.  436.  —  M.  de  Béthune,  qui  avait  épousé  la  sœur  de 


826  CHÀPtTRI   QUATRIÈMB 

On  ne  saurait  assez  déplorer  que  les  desseins  parliculien 
de  Louis  XIV  Téloignassent  chaque  jour  davanlag^e  d'un  pape 
dont  la  politique  était  si  conforme  aux  intérêts  du  monde 
chrétien.  L'éclat  que  jetaient  sur  TEglise  romaine  les  hommes 
dont  les  derniers  pontificats  avaient  peuplé  le  sacré  collège, 
la  réforme  des  abus  poursuivie  dans  TÉtat  ecclésiastique 
comme  partout  ailleurs,  lo  caractère  personnel  et  la  vertu  des 
papes,  la  modération  chaque  jour  plus  marquée  des  cardinaux- 
neveux  (1),  avaient  rendu  au  saint-siège  un  grand  presti^ 
dans  toute  l'Europe,  et  même  chez  les  nations  protestantes. 
Jamaisla  papauté  n'avait  moins  demandé  aux  États  catholiques 
pour  leur  part  dans  les  dépenses  du  gouvernement  central  de 
l'Église.  Nous  avons  trouvé  un  mémoire  des  plus  précieux, 
transmis  de  Rome  à  Louis  XIV  par  le  cardinal  d'Estrées,  en 
1674,  et  donnant  précisément  «  l'Abrégé  du  revenu  annuel  de 
la  Chambre  apostolique,  extrait  du  registre  du  contrôle  tenu 
pour  Tannée  1672  (2).  »  Or,  les  expéditions  de  la  daterie,  qui 
avaient  précédemment  produit  260,000  écus,  ne  rendaient  plus, 
par  suite  du  gratis  total  ou  partiel  si  fréquemment  accordépar 
le  pape  et  de  la  réduction  des, tarifs,  que  144,540  écus.  Le 
spoglioii  à  la  mort  des  ecclésiastiques  tant  dedans  que  dehors  »; 


Marie-Casioilre  d'Arquien,  était  alors  adjoint  comme  ambassadeur  i  M.  de 
ForbiD-Jansou. 

(1)  (c  Le  cardinal  Altieri  travaille  autant  qu'il  peut  A  régler  ses  affaires  do- 
mestiques, qui  demeureront  fort  embrouillées,  si  le  pape  vient  à  mourir,  la 
dépense  excessive  qu'il  a  fuite  dans  le  bâtiment  de  son  palais  l'ayant  empêché 
de  les  accommoder.  Pour  lui,  il  se  trouvera  avec  35,000  écus  de  revenu  ecclé- 
siastique, mais  son  neveu  sera  faiblement  établi.  »  (Mémoire  du  cardinal 
d'Estrées,  24  octobre  1673.  Romet  228.)  —  Que  l'on  compare  cette  forlaae 
avec  celle  d'un  grnnd  nombre  de  prélats  français,  fils  et  neveux  de  ministres 
ou  de  simples  courlisans  !  —  Le  cardinal  Paluzzo-Âltieri  réunissait,  d'ailleurs, 
à  sa  fortune  personnelle  le  patrimoine  très  considérable  que  Clément  X  lui 
avait  abandonné  en  l'adoptant,  et  il  n'eut  à  supporter  qu'une  partie  des  dé- 
penses du  palais  Altieri  :  la  construction  eu  avait  été  commencée  depuis  long- 
temps  par  le  frère  de  Clément  X,  le  cardinal  Giambattista  Altieri,  mort  en 
1654.  V.  Dizionario  di  Moroni,  vo  Altieri  (Vincenzo-Maria),  cardinale. 

(2)  a  Je  vous  envoie  le  mémoire  des  revenus  et  des  charges  de  la  c^ur  <ie 
Rome  et  de  TÉtat  ecclésiastique  dont  je  vous  parlai  il  y  a  quelque  temps.  Il 
a  été  recueilli  avec  beaucoup  de  soin  par  le  sieur  Nazarrî,  qui  l'a  recherché 
par  sa  curiosité  particulière.  »  Il  m'eu  a  donné  une  copie  en  me  demandant 
le  secret.  (20  décembre  1674.  RomCf  233.)  Le  mémoire  n'est  pas  joint  i  cette 
dépêche  :  il  a  été  classé  dans  le  223*  volume. 


ENTREPRISES   CONTRE    LES   ORDRES    RELIGIEUX  527 

les  nonciatures  de  Naples,  de  Madrid  et  de  Lisbonne  (droits 
de  chancellerie  et  aanates  pour  les  bénéfices  des  Indes,  etc.) 

-  n'avaient  pas  dépassé,  en  1672,  55,000  écus.  Les  taxes  pour 
dispenses  de  mariage  dans  toute  la  chrétienté  ne  s'étaient  pas 
élevées  au-dessus  de  126,000  écus,  qui,  suivant  une  coutume 
constante  et  comme  l'atteste  une  seconde  partie  du  mémoire, 

'  contenant  u  l'Abrégé  de  la  dépense  »,  avaient  été  scrupuleu- 
sement employés  en  aumônes  (i).  Combien  n'était-il  pas  facile 
à  Louis  XIV  de  s'entendre  avec  Clément  X  sur  tous  les  points 
qui  intéressaient  l'Église  et  l'État  !  Cependant  c'est  sous  ce  pon- 
tificat qu'il  avait  conçu  tous  les  projets  dont  l'abbé  Cocquelin 
devait  exiger  la  ratification,  et  c'est  aussi  à  la  même  époque 
que  se  place  une  nouveauté  encore  plus  considérable,  dont 
Cocquelin  n'avait  pas  parlé  :  la  déclaration  sur  la  Régale,  qui 
devait  donner  lieu  au  démêlé  de  1682,  est  datée  du  mois  de 
février  1673! 

La  résolution  du  roi  de  France  était  depuis  longtemps 
arrêtée,  et,  aussitôt  que  Tabbé  Cocquelin  lui  eut  annoncé  son 
retour,  il  multiplia  des  prétentions  et  des  entreprises  qui  de- 
vaient mener  rapidement  aune  rupture  ouverte  entre  les  deux 
puissances.  Avant  de  menacer  la  personne  même  du  pape,  il 
s'en  prit  au  cardinal-neveu.  Attribuant  à  la  peur  les  regrets 
courtoisement  exprimés  par  Altieri  depuis  la  fuite  de  Cocquelin^ 
il  ne  daigna  pas  répondre  aux  lettres  respectueuses  de  ce  car- 
dinal, et  il  disait  à  son  ambassadeur  (2)  :  «  Je  suis  bien  aise 
qu'il  connaisse  que  je  n'ai  pas  été  satisfait  de  sa  conduite  dans 
cette  rencontre.  Je  désire  même  que  vous  le  lui  fassiez  con- 
naître dans  les  occasions  qui  s'en  présenteront...  »  Pomponne 
cependant  eût  été  flatté  de  réparer  l'échec  de  Louvois,et  il  exci- 
tait l'émulation  de  MM.  d'Ëstrées.  Il  lui  écrivait  :  «  Je  sou- 
haiterais que  le  palais  voulut,  en  elTet,  reprendre  avec  vous  la 
négociation  que  le  sieur  Cocquelin  a  laissée  interrompue,  et 


(1)  «  Pour  les  aumônes  qui  se  font  du  revenu  des  dispenses  des  mariages, 
126,000  écua.  »  Il  est  énoncé,  dans  ce  mémoire,  que  Técu  romain  valait  alors 
3  livres  10  bous  8  deniers  en  monnaie  de  France,  et  on  y  lit  cette  annotaUon 
importante  :  «  11  est  à  remarquer  que,  depuis  l'année  1672,  les  revenus  de  la 
daterie  et  des  dépouilles  [spoglio\  ont  encore  diminué.  » 

(2)  9  février  1674.  Rome,  229. 


528  CHÀPITRI  QnATBIÈME 

VOUS  croirez  aisément  que,  si  elle  est  réussible,  je  sais  bien 
persuadé  qu'elle  s'achèverait  plus  aisément  par  vos  soins  qie 
par  tous  autres.  —  Vous  avez  vu  que  Sa  Majesté  étaithienaiie 
qu'il  parjll  à  M.  le  cardinal  Altieri  qu'elle  n'était  pas  satisftite 
de  sa  conduite.  Comme  il  faut  seulement  regarder  le  serric» 
de  Sa  Majesté  dans  toutes  les  affaires,  j^aurais  bien  de  la  joie 
que  le  palais,  se  portant  à  sa  satisfaction,  se  rapprochât  de 
vous,  et  qu'en  reprenant  avec  vous  cette  négociation,  elle  eût 
un  plus  heureux  succès  entre  vos  mains.  —  Je  souhaite  fort 
que  M.  le  cardinal  Altieri,  se  rapprochant  en  effet  de  vous,  et, 
prenant  le  véritable  canal  que  Von  n  aurait  point  dû  quitter, 
vous  ouvre  les  occasions  de  travailler,  pour  le  service  de  Si 
Majesté,  à  des  affaires  qui  auraient  assurément  mieux  succédé 
entre  vos  mains  qu'entre  celles  dans  lesquelles  on  les  avait 
mises,  et  qu'il  se  facilite  à  lui  les  moyens  de  donner  des  preuves 
de  son  affection  pour  les  intérêts  de  Sa  Majesté  et  s'acquérir 
un  mérite  auprès  d^elle  (1).  »  Altieri  opposa  au  dédain  royal 
une  froide  dignité,  et  chaquejourapportait à  MM.  d'Estrées  une 
preuve  nouvelle  de  sa  droiture.  Le  duc  d'Estrées  écrivait  au 
roi  :  Le  cardinal  Basadoona  me  dit  «  que  noui^  étions  obligés 
à  M.  le  cardinal  Altieri  de  la  manière  dont  il  avait  rejeté  Us 
offres  et  propositions  que  le  sieur  abbé  Cocquelin  lui  avait  sou- 
vent faites  contre  nous,  quiaUaîent,  à  ce  qu*îl  me  fit  entendre, 
à  nous  perdre,  si  cet  abbé  avait  pu;  que  non  seulement  /e  car- 
dinal  Altieri  71  y  avait  pas  voulu  entrer  y  mais  qu'il  avait  ton- 
jours  répondu  au  sieur  abbé  Cocquelin  que  cela  n'avait  rien 
de  commun  avec  les  affaires  dont  il  était  chargé,  et  qu'il  lui 
suffisait  de  parler  de  ce  qui  lui  était  ordonné  par  Sa  Majesté. 
Le  cardinal  Basadonna  me  dit  que  cet  abbé  n'avaH  pas  aussi 
épargné  d'autres  personnes  de  considération  de  cette  cour, 
ayant  essayé  de  leur  faire  tout  le  mal  possible  ;  mais  qu'il  n'é- 
tait pas  croyable  avec  combien  do  hauteur  le  sieur  Cocquelin 
parlait  sur  toutes  sortes  de  matières.  » 

Mais  AU'eri  avait  trop  à  cœur  les  droits  du  saint-siège  pour 
accepter  un  nouvel  entretien  sur  ce  sujet,  si  on  ne  lui  offrait  pas 
d'abord  la  révocation  des  édits  (2),  Le  roi,  qui  était  l'agresseur. 

(1)  Au  duc,  2  et  16  février,  16  mars;  au  cardinal,  23  février  1674.  Ro7n^2f9. 
(2j  Toutes  les  lettres  de  ce  temps  altcsteol  les  bous  procédés  d'Altieri  pour 


ENTREPRISES    CONTRE    LES    ORDRES    RELIGIEUX  529 

. ,  exigeait,  au  contraire,  que  les  avances  fussent  faites  par  l'of- 
fensé, parle  papc(l).  Le  duc d'Estrées répéta  maladroitement 
à  Louis  XIV  reloge  que  les  Romains  faisaient  de  Pomponne  : 

;  Allicri  «  l'assurait  savoir  certainement  que  les  ministres  des  puis- 
sances étrangères  étaient  tout  à  fait  contents  de  son  honnêteté,  de 

.  Ml  douceur  et  de  sa  manière  de  traiter  (2).  »  Cette  affabilité,  qui 
contrastait  si  fort  avec  la  hauteur  de  Lionne,  avec  la  dureté 
de  Colbert  et  de  Louvois,  déplaisait  déjà  au  roi  et  devait 

,  amener  un  jour  la  disgrâce  de  ce  ministre  (3).  La  cour  de 
Saint-Germain  craignait  de  laisser  paraître  trop  de  déférence 
pour  le  pape,  et  Pomponne  écrivit  au  duc  d'Estrées  (4)  : 
«  Quelques  ouvertures  qu*il  semble  que  M.  le  cardinal  Alticri 
vous  ait  faites  pour  reprendre  les  affaires  que  le  sieur  Cocquelin 
a  laissées  indécises,  Sa  Majesté  ne  trouve  pas  à  propos  que 
vous  fassiez  paraître  quelque  empressement  pour  le  faire  rap- 
procher. S'il  revient  de  lui-même,  vous  aurez  soin  seulement 
d'en  rendre  compte  à  Sa  Majesté.  Et,  comme  la  négociation 
dudit  Cocquelin  est  finie,  il  sera  bon  que  vous  ne  reparliez  plus 
de  cette  affaire  (5).  » 

les  FruuçaiB.  V.  entre  autres  la  leUre  de  Scrvieat  &  Pachau  (17  mura  1G14. 
Rome,  22U)  :  Ces  jours  derniers,  le  palais  a  gratifié  d\in  cauonicat  un  Français 
appuyé  par  le  cardiual  d'Estrées.  —  Un  règlouieut  défendait  l'adtnissiun  des 
Français  dans  les  chevan-lé^ers  du  pape  :  sur  un  mot  du  cardinal  d'Estrées, 
AUieri  fait  lever  cette  tiéfense  u  à  Texclusiou  de  plusieurs  autres,  m  ^  «  J'en 
pourrais,  ajoute  Servient,  apporter  encore  d'autres  exemples.  » 

(1)  Analyse  de  Sainl-Prét,  Rome,  Négocia  lions  y  25. 

(2)  Le  duc  au  roi,  16  mars  167i.  Rome,  229. 

(3)  LouTois,  qui  convoitait  le  département  des  AITaires  étrangères,  ébranlait 
peu  à  peu  le  crédit  de  Pomponne,  et  faisait  répandre  le  bruit  que  don  col- 
lègue songeait  lui-môme  à  la  retriiite  :  «  J'ai  su  en  grand  «secret,  par  la  voie 
d'un  prélat  vénitien,  que  Cocquelin  avait  fait  espérer  au  jmlais,  sur  ((uelque 
difficulté  qu'on  y  avait  témoignée  dans  les  commencements  de  traiter  par  un 
autre  canal  que  celui  de  Monseigneur  de  Pomponne,  crainte  qu'y  retombant 
après  cet  éclat  on  n'y  fût  pas  bien  reçu,  tfue  U  même  Monseigneur  de  Pom- 
ponne se  déferait  de  sa  charge,  à  laquelle  il  n'avait  pas  trop  d'attacbemcut, 
8*étant  aperçu  du  peu  de  progrès  qu'il  faisait  dans  l'esprit  du  roi  qu'il  con- 
traignait notablement,  parce  qu'il  était  trop  scrupuleux...  u  (Servient  à  Pachau, 
14  février  1674.  Rome,  229.) 

(4)  30  mars  1674.  Rome,  229. 

(5)  Le  marquis  de  Louvois,  vicaire  général  des  ordres  de  Saint-Lazare  et  du 
MoDt-Carmel,  tenta  de  consommer  l'œuvre  de  spoliation  «lu'il  avait  rêvée,  et 
découpa,  dans  les  biens  usurpés  sur  l'Église,  un  grand  nombre  de  béuétices 
militaires  et  civils.  A  quelques  abus,  causés    en  partie  par  les  empiétements 

LOUIS  \IV  KT  Ll  SAINT-SiftOE.   —  II.  34 


530  CHAPITRE    QUATRIÈBfB 

Toutes  celles  où  Tintervcation  du  saint-siège  était  in£s- 
pensable  furent  désormais  poursuivies  par  la  couronne  avec 
le  même  mépris  des  règles  séculaires,  concertées  entre  TEglift 
et  rÉtat.  Le  roi,  comme  on  Ta  vu  (1),  s'était  attaqué  à  Tordit 
de  Prémontréy  qui,  sous  le  gouvernement  d*un  excellent n- 
ligieux,  le  P.  Lcscellier,  avait  vu  rétablir  la  régularité  àm 
les  monastères  où  le  malheur  des  temps  Tavait  affaiblie;  maii 
ce  général,  quoique  peu  âgé,  était  d*une  santé  débile  :  lacoor 
lui  surprit  sa  démission,  et  le  remplaça,  au  moyen  d'une  éle^ 
tion  simulée,  par  le  P.  Michel  Colbert,  très  jeune  religieux di 
même  ordre  et  parent  du  ministre.  Clément  IX  avait  refusé 
sa  sanction  ii  la  décision  du  chapitre,  qui  était  Tœuvre  violenle 
d'un  commissaire  royal.  Après  de  longs  débats,  et  pour  sauver 
autant  que  possible  la  liberté  de  TÉglise,  il  avait  conféré, 
motu  proprioj  le  généralat  au  P.  Colbert,  dont  la  réputatioD 
d'ailleurs  était  encore  sans  tache,  mais  qui  devait,  après  trente- 
deux  ans  d'une  administration  tyrannique,  laisser  l'abbaye  de 
Prémontré'  presque  ruinée,  et  Tordre  entier  appauvri  et  di- 
visé (2). 
,    Pour  asservir   cet   institut    plus    sûrement    et  plus  vile. 


de  la  couronne  et  qu'il  «Huit  facile  do  corriger  en  se  coDccrtant  loyalemeni 
avec  le  iiaint- siège,  il  eu  8ul)siitua  mille  autres  et  reacoutra  uoe  Tioleute  cp- 
position.  Tous  les  tribunaux  du  royaume  reteotircut  des  plaiutes  foroiéesp^ 
les  villes,  les  villages,  les  communautés,  les  hôpitaux,  les  héritiers  des  foL- 
dateurs,  etc..  Peu  de  temps  après  la  mort  de  Louvois,  Louis  XIV  révoqua  sofi 
édit  de  16*12;  mais  il  ne  put  ré[»arer  tout  le  mal  qu'il  avait  fait.  Ou  ne  pea'> 
s'imaginer  le  désordre  introduit  alors  par  la  royauté  dans  la  répartitiou  Jrs 
biens  affectés  à  l'entretien  des  hôpitaux.  J'ai  vu,  il  y  a  quelques  années,  ilf* 
communes  piaillant  encore  a  grands  frais  sur  rapplication  des  édits  iie  16^i 
et  de  1()U3.  V.  (Jautier  de  Sibert.  Histoire  de  l'ordre  de  Saint-I^zare^  etc. — 
On  lit  dans  les  mémoires  récemment  publiés  du  marquis  de  Sourches  :  •>  Le 
'  [avril  l()y:i],  on  sut  que  le  roi,  ayant  mûrement  examiné  si  Tordre  de  Saiul- 
Lazare  était  hfjithne  et  canonique^  de  la  manière  dont  le  défunt  marquif  di 
Louvoixy  l'avait  réglé,  avait  enfin  pris  lo  parti  de  Tabolir;  qu'il  avait  seuleaieiit 
réservé  les  fonds  qui  appartenaient  anciennement  à  cet  ordre,  et  qu'il  avait 
fait  rendre  tous  les  autres  biens^  qu'on  y  avait  réunis  du  temps  du  mnrguit  dt 
Loiu'tjiSy  à  leurs  possesseurs  légitimes.  Le  roi  créa  eu  même  temps  l'ordre  df 
^^aiut-Louis  pour  substituer  à  Tordre  de  Saint-Lazare  et  il  en  fit  publier  U 
déclaration.  ».  (T.  IV,  p.  185,  Paris,  1885.) 

(1)  Chapitre  xiv  du  livre  !•',  et  chap.  u  du  livre  IL 

(J)  Prémontré,  Étude  sur  l'abbaye  de  ce  nom^  etc.,  par  Ch.  Taiée,  2*  partie, 
p.  130  et  suiv.,  Paris,  1874. 


ENTREPRISES    CONTRE    LES    ORDRES    RELIGIEUX  531 

Louis  XIV  avait  étendu  en  même  temps  la  main  sur  la  grande 
abbaye  de  Saint-Marlin  de  Laon,  première  fille  de  Prémontré ^ 
dont  le  titulaire  était  définiteur  général,  covisiteur  avec  le 
général,  visiteur  particulier  de  plusieurs  monastères  et  pré- 
sident-né du  chapitre  qui  élisait  au  généralat  :  aussi  cette  mai- 
son n'avait-elle  jamais  eu  que  des  abbés  réguliers.  Louis  XIV, 
de  connivence  avec  le  P.  Michel  Colbert,  en  nomma  tout  à 
coup  abbé  commendataire  un  des  prélats  les  plus  sorviles 
de  sa  cour,  François  de  Clermont-Tonnerre,  si  connu  pour 
sa  vanité,  autrefois  impliqué  dans  le  procès  des  quatre  évi^ques 
jansénistes  et  qui  appelait  le  souverain  ponlife,  M.  de  Rome, 
Dès  Torigine,  l'ambassadeur,  invité  à  solliciter  des  bulles  con- 
formes au  brevet  royal,  répondit  qu'un  refus  était  inévitable. 
Mais  Louis  XIV,  décidé  à  ne  souffrir  aucune  opposition,  or- 
donna de  nouvelles  violences  qui,  en  frappant  les  Prémonlrés, 
menacèrent  tous  les  ordres.  Cette  religion  avait,  comme  les 
autres,  un  procureur  général  pour  défendre  ses  intérêts  au- 
près du  saint-siège  :  le  P.  Buyrette,  investi  alors  de  cette 
charge^  protesta  contre  une  nomination  sans  exemple;  mais 
le  cardinal  d*Estrées  résolut  aussitôt  d'appeler  la  colère  du 
roi  sur  tous  les  procureurs  généraux,  et  il  écrivit  k  Pomponne  : 
«  Nonobstant  le  consentement  du  général  de  Prémontré,  ex- 
pédié en  si  bonne  forme,...  et  quoique  j'aie  pressé  plus  d'une 
fois  le  procureur  général  de  cet  ordre  de  retirer  son  opposi- 
tion, il  ne  Ta  pas  voulu  faire,  et  a  prétendu  s'excuser  en  me 
disant  qu'étant  officier  de  Tordre  et  non  du  général,  il  doit 
rendre  compte  au  chapitre  de  sa  conduite,  et  n'est  pas  obligé 
d'acquiescer  au  consentement  que  celui-ci  a  donné.  Tant  que 
cette  difficulté  subsistera,  il  sera  diflicile  d'avancer  l'aiTaire  de 
cette  commende;  c'est  pourquoi  il  importe,  et  pour  le  succès  de 
celle- ci  et  pour  celui  de  toutes  les  autres,  où  les  procureurs  géné- 
raux des  ordres  se  mêlent,  que  Sa  Majesté  fasse  parler  cTwie 
manière 'àxix  généraux  et  aux  principaux  ofliciers  qui  les  gou- 
vernent, qu'ils  se  sentent  intéressés  à  faire  cesser  de  pareilles 
chicanes  (1).  »  —  Sa  Majesté  fit  parler  d une  manière  qui  plut 
aux  évèques  de  Laon  et  de  Noyon  :  une  lettre  de  cachet  or- 

(1)  4  avril  1673.  nome,  225. 


532  CHAPITRE   QUATRIÈME 

donna  au  P.  Buyrctte  de  quitter  Rome. sur-le-champ  (l).[i 
débat  s'établit  donc  entre  le  roi  et  le  pape  personnellemeÉL 
Clément  X  offrit  d*abandonner  une  grosse  pension  kJLk 
Clcrmont-Tonncrre,  pourvu  qu'il  ne  disputât  pas  aux  religim 
leur  droit  d*élire  un  abbé  régulier  :  sa  proposition  fut  rejetêt 
II  consulta  une  Congrégation,  et,  lorsque  le  cardinal  Allia 
informa  le  duc  d'Ëstrées  que  la  demande  du  roi  ne  pouvaitptt 
être  accueillie,  Tambassadeur  répondit  qu'il  importait  pei, 
«  puisque  C  évêque  de  Noy  on  jouirait  toujours  de  F  abbaye  fv 
économat^  »  et  «  qu'il  ne  fallait  pas  s'attendre  que  Sa  Majestc 
la  donnât  à  un  régulier  après  rengagement  où  elle  était (2).  i 
Le  langage  devint  beaucoup  plus  impérieux,  après  que  Tabbé 
Cocquelin  eut  quitté  Uome  :  «  Il  semble,  dit  Pomponne,  qae  b 
seule  autorité  de  Sa  Majesté  doive  emporter  cette  affaire.  *  - 
Le  duc  d'Estrées  écrivit  de  son  côté  :  «  Le  cardinal  ÀltierioM 
témoigna  de  la  surprise  sur  ce  que  je  lui  reparlais  de  la  coffl- 
meude  de  Saint-Martin,  prétendant  que,  cette  affaire  ayant 
passe  au  noïice,  Voire  Majesté  aurait  pu  connaître  les  senti- 
ments de  Sa  Sainteté  par  la  réponse  qu'il  avait  faite  à  M.  tie 
Pomponne.  Je  lui  dis  que  j'avais  reçu  de  nouveaux  ordres  et 
très  pressants  pour  la  poursuivre,  et  que,  si  mes  audiences 
ordinaires  ne  suffisaient  pas  pour  l'obtenir,  j'en  demanderais 
d'extraordinaires.  Il  me  répliqua  que,  quand  Votre  Majesté 
coudrait  les  choses  dautorité  absolue^  il  ne  saurait  plus  quf 
faire  ni  que  dire,  mais  qu  il  croyait  qu  elle  voudrait  bien  laisser 
le  pape  dans  sa  liberté,  principalement  sur  un  sujet  où  il  eiad 
persuadé  qu'il  allait  de  sa  conscience.  Je  redoublai  mes  ins- 
tances et  représentai  que,  quand  cette  grâce  serait  encore 
plus  extraordinaire  qu'il  ne  me  disait,  Votre  Majesté  la  devait 
raisonnablement  prétendre  cl  quilny  avait pa^  même  de  bien- 
séance pour  moi  que  je  la  sollicitasse  depuis  si  longtemps  sati^ 

{{)  «  Voici,  Monsieur,  uue  leUre  de  cachet  que  je  vous  adresse,  par  orjr* 
de  S.  M.,  pour  ordonner  au  P.  BuyreUe,  procureur  général  de  Prémouirè, 
de  sortir  de  Kouie  et  de  se  rendre  en  sou  lieu  de  profession,  s'il  ne  retira 
pronipteuient  le  mémoire,  qu'il  a  donné  au  cardinal  C&rpegua,  pour  foruicr 
opposition  à  la  conimcnde  de  Saint-Martin  de  Laon.  »»  (Poiupoune  au  djc 
d'Estrées,  Il  mai  lô^a.  /lowf?,  226.) 

(2)  Le  duc  au  roi,  1^'  août,  19  septembre;  15  et  23  novembre  1613.  Romf^ 
227  et  228. 


ENTREPRISES   CONTRE    LES   ORDRES    RELIGIEUX  53«3 

*obte7iir.  Il  m'assura  qu'il  en  parlerait  au  pape  et  verrait  avec 
lui  ce  qui  se  pourrait  faire,  mais  il  eut  la  précaution  de  me 
répéter  deux  fois  qu'il  ne  me  donnait  aucune  parole  (1).  »  Le 
même  cardinal  ayant  rappelé  à  l'ambassadeur,  dans  un  autre 
entretien,  que  la  Congrégation  ne  comptait  pas  une  seule  voix 
favorable  à  la  requête,  le  duc  répliqua  que  le  pape  est  au- 
dessus  des  Congrégations!  Après  de  nouvelles  obsessions,  il 
fallut  reconnaître  que  Clément  IX  ne  céderait  jamais  (2)  ;  mais 
Louis  XIV  empocha  que  les  moines  de  Saint-Martin  élussent 
un  abbé  régulier  et  maintint  Tévèque  de  Noyon  en  possession 
de  la  commende  !  Le  cousin  de  Colbert  put  donc  tyranniser  et 
ruiner  les  Prémontrés,  sans  avoir  à  craindre  la  vigilance  des 
contradicteurs  que  la  sagesse  des  règles  monastiques  avait 
placés  à  côté  de  lui  et  auprès  du  souverain  ponlife  ! 

Cette  guerre  déclarée  par  la  couronne,  avec  le  concours  des 
évèques  gallicans,  aux  procureurs  généraux  des  ordres  reli- 
gieux, fut  ardemment  menée  :  les  nouveaux  instituts  ne  furent 
pas  plus  ménagés  que  les  anciens.  Le  P.  Asseline,  procureur 
général  des  Génovéfains,  défendait  vaillamment  à  Rome  les 
privilèges  do  cette  grande  congrégation,  contre  les  empiéto- 
nnents  royaux,  ou,  suivant  reuphémisme  de  Pomponne,  tenait 
«  une  conduite  opposée  aux  choses  que  Sa  Majesté  pouvait 
désirer.  »  Il  fut  aussi  rappelé  en  France  par  une  lettre  de  ca- 
chet. Le  cardinal  d'Kstrécs  applaudit  à  ces  violences  :  «  Il  m'a 
paru,  disait-il,  et  dans  le  P.  Asseline  et  dans  sa  congrégation, 
trop  de  résistance  à  la  sécularisation  du  chapitre  de  Beaumont, 
et,  dès  que  Talfaire  fut  portée  ici,  je  m'en  expliquai  de  cette 
sorte  avec  lui,  et  j'en  écrivis  encore  plus  fortement  à  ses  su- 
jiérieurs  que  je  connais  de  longue  main  et  par  les  ordres  des- 
quels il  excusait  son  opposition.  »  C'est  une  des  raisons  pour 
laquelle  je  vous  envoyai  un  mémoire  démontrant  la  nécessité 
d'assujettir  les  procureurs  généraux  à  l'ambassadeur  du  roi. 
Quand  le  P.  Asseline  arrivera  en  France,  «  on  lui  pourrait 
faire  entendre  que,  son  opiniâtreté'  ayant  causé  son  rappel,  il 
ve  pourrait  espérer  de  retourner  à  Rome  non  plus  que  ses  su- 

(1)  Pomponne  au  duc  d'Estrée?,  8  mai;  lo  duc  au  roi,  0  juiu  1674.  Hume, 
230. 

(2)  Le  duc  d'Estrée?  au  rui,  27  juin  et  29  août  1674.  Rome,  230  et  231. 


534  CHAPITRE   OUATRIÈMC 

périeurs,  tant  que  cette  affaire  ne  serait  pas  terminée;,.,  « 
serait  peut-être  le  moyen  le  plus  court  pour  faire  réussir 
la  sécularisation  de  ce  chapitre.  Ce  P.  Asselinc,  à  son  entête- 
ment près,  a  témoigné  (tailleurs  tout  le  zèle  et  toute  tardeur 
(fun  bon  Français  pour  les  intérêts  de  Sa  Majesté,  Comme  il  est 
homme  de  bon  esprit  et  sans  doute  un  des  plus  habiles  pour  ki 
affaires  de  sa  congrégation,  il  s  est  acquis^  dans  le  long  séjour 
quil  a  fait  ici,  beaucoup  de  créance  et  d'estime  auprès  de 
quelques  cardinaux  et  d'autres  personnes  co?isidérables^  et  nest 
pas  un  homme  inutile  à  un  ministre  du  roi.  n  Très  sensible  à 
(le  si  précieuses  suggestions,  Pomponne  répondit  aussitôt  : 
«  Pour  suivre  le  sentiment  de  Votre  Émincnce,  touchant  ce 
qu'elle  a  écrit  du  P.  Asseline,  ou  plutôt  des  procureurs  géné- 
raux de^  ordres,  le  roi  fera  témoigner  à  leurs  gétiéraux  qu'il 
les  rend  responsables  de  leur  conduite  [i),  » 

Les  Doctrinaires,  enfants  de  César  de  Bus,  accueillis  partout 
avec  faveur  par  les  populations,  tentaient  fort  li*gitimement  de 
se  soustraire  au  joug  d'un  Clermont-Tonnerre  et  de  ses  pareils; 
mais  un  autre  évêque  français,  le  cardinal  d'EstréesJeur  fermait 
le  palais  pontilical  et  les  dénonçait  au  roi  en  ces  termes  :  «  Le 
procureur  général  des  Pères  de  la  Doctrine  chrétienne,  que  les 
brefs  dlnnocontX  et  d'Alexandre  VU  ont  déclarés  prêtres  sécu- 
liers et  soumis  à  la  juridiction  des  évéques,  a  dessein  d'en  pour- 
suivre un  nouveau  pour  le  remettre  dans  Tindépendance.  Il 
vint  hier  m'en  faire  quelque  ouverture.  Je  la  rebutai  et  je  lui 
dis  qu'il  ne  devait  rien  tenter  contre  Tordre  établi,  agréé  par 
Sa  Majesté  et  fortifié  par  quelques  arrêts  du  Conseil^  sans  avoir 
connu  sa  volonté,  et  que  je  m'opposerais  à  tous  les  pas  qu'il 
pourrait  faire  jusqu'à  ce  que  je  reçoive  ses  ordres  :  qu'enBn, 
s'il  en  usait  autrement,  //  mettrait  M,  ramhassadeur  dans  la 
nécessité  de  le  mortifier  (2).  » 

Les  Eudistes,  qui  avaient  eu  jusqu'alors  le  concours  de  l'am- 
bassade pour  obtenir  Tapprobalion  de  leur  règle,  se  le  virent 
retirer  parce  qu'on  ne  pouvait  plus  douter  de  leur  dévouement 
au  saint-siège.  Pomponne  écrivit  au  duc  d'Estrées  :  «  L'affaire 

(1)  Pomponne  au  duc  d'Eslrécs,  14  avril;  le  cardinal  d'Estrées  à  Pomponoe. 
23  mai;  Pomponne  au  cardinal  d'Estréea,  14  juin  1674.  RomCy  229  et  230. 

(2)  A  Pomponne,  18  avril  1674.  Romey  229. 


ENTREPRISES    CONTRE   LES   ORDRES   RELIGIEUX  535 

lu  P.  Eudes  ne  peut  êlre  plus  éclaircie  qu'elle  ne  Ta  été  par  les 
némoires  que  vous  avez  envoyés...  Ce  sont  sentiments  dange- 
reux  dansunÉtat[\).  »  —  Celte  tyrannie  n'était  jamais  plus  arro- 
gante que  quand  ses  victimes  invoquaient  contre  elle  la  protec- 
lion  du  saint-siège.  La  rivalité  prolongée  de  la  France  et  de  l'Es- 
pagne avait  été  funeste  auxTrinitaircs,  voués  à  la  rédemption 
des  captifs  et  recrutés  surtout  dans  ces  deux  pays.  Un  décret 
d'Innocent  X,  qui  avait  usé  d'un  droit  incontestable  pour  con- 
server Tunion  parmi  ces  religieux,  ordonna  que  le  chapitre 
général  s'assemblât  sous  les  yeux  des  papes.  Qu'importait  à 
Louis  XIV  le  bon  gouvernement  d'un  ordre  si  utile  à  toute 
l'Europe?  Il  écrivit  à  son  ambassadeur  :  «  Vous  vous  oppo- 
serez fortement  à  l'indiction  du  chapitrequi  a  été  faite  à  Rome, 
et  empêcherez  que  ces  tentatives,  qui  se  sont  déjà  faites  deux 
ou  trois  fois,  ne  contribuent  à  usurper  un  droit  qui  est  attaché 
i\  un  ordre  qui  tire  son  origine  de  mon  royaume.  J'ai  déjà 
même  fait  ordonner  un  arrôl  de  mon  Conseil  d'Etat,  pour  dé- 
fendre à  tous  les  religieux  duditordre  de  sortir  de  mon  royaume 
pour  aller  audit  chapitre  (2).  »  Le  récit  d'incidents  analogues 
remplit  les  dépêches  diplomatiques  de  ce  temps. 

\)  2:>  février  1674.  Rome,  229. 

(2)  Au  duc  d'E«trcos,  4  novembre  1672.  —  Uno  leUre  de  Bourlemont  sif^ale 
le  dauger  des  jalousies  nationales,  que  fomentait  la  royauté»  française,  et  qui 
aK^ravaicnt  ainsi  la  diversité  des  observances  :  l'abbé  fait  comprendre  que  le 
saint-siège  avait  seul  Tautorilé  et  l'impartialité  nécessaires  puar  apaiser  et 
doniiucr  toutes  les  contradictions  :  «  Si,  dans  le  chapitre  qu<?  tiendra  propa- 
blemcut  en  France  le  général  des  Tdnitaires,  il  pouvait  réunir  son  ordre  en 
France,  qui  y  est  divisé  en   Véctiaur,  Mitigés  et  Larges,  qui  tous  se  décrient 
les  uns  les  autres  et  donnent  lieu  aux  étrangers,  et  particulièrement  aux  Espa- 
gnols, d'en  faire  peu  de  compte,  s'estimant  plus  réguliers  et  plus  studieux  que 
la  plupart  d'entre  eux,  ils  n'auraient  rien  à  dire  contre  le  procureur  général 
français  d*un  ordre  bien  régulier,  réformé  et  de  bonne  union  ensemble;  car, 
même  entre  les  religieux  Français,  les  uns  voudraient  que  le  procureur  général 
fût  des  Déchaux,  les  autres  des  Mitigés  et  les  autres  des  Larges;  et  par  ces 
diviâions  ils  donnent  lieu  k  essayer  de  les  priver  de  ladite  procure,  ce  qui  se- 
rait d'un  grand  préjudice  contre  Ir  maintien  de  la  perpétudle  généralité  d'un 
religit'ux  français.  >•  (A  Pomponne,  28  avril  1673.  Home^  220.)  —  Et  voici  un 
témoignage  irrécusable  do  l'esprit,  qu'à  cette  même  époque,  le  pnpe  et  le  sacré 
collège  apportaient  dans  la  direction  des  chapitres  généraux  qui  se  célébrnient 
à  Rome,  soit  d'après  la  règle  des  instituts,  soit  en  vortu  de  décrets  dérogatoires  : 
«  Le  chapitre  général  des  Augustins  se  tint  ici  la  veille  de  la  Pentecôte,  oi^  le 
P.  Oliva.  Italien,  dont  l'on  estime  fort  le  mérite  et  qui  était  procureur  général, 
fut  élu  général.  Il  a  toujoarn  U'Mnoigné  tant  d'affection  pour  la  France  que  le^ 


536  CHAPITBE    OUATRIÈMS 

C'est  à  la  mémo  époque  qu'un  coup  presque  mortel  fk 
porté  par  la  couronne  à  la  grande  abbaye-chef  d'ordre  de  CloiL 
A  la  mort  de  Mazarin  qui  s'en  était  fait  investir  par  la  ré^oU. 
Louis  XIV  avait,  par  la  corruption  et  par  la  force,  prévenu  les 
eiïets  d^iinc  élection  régulière  (1)  et  mis  en  possession  da tem- 
porel un  prince  étranger,  le  cardinal  d'Esté,  auquel  le  saint- 
siège  refusa  justement  ses  bulles  pendant  plusieurs  années: 
elles  ne  furent  accordées  que  sous  la  condition  que  l'abbaye 
retournerait  en  règle  après  ce  nouveau  titulaire.  Renaud  d'Esté 
étant  mort,  les  capitulants  réunis,  le  14  octobre  1672,  sous  la 
présidence  de  dom  Guillot,  prieur  claustral,  àTunanimité^par 
la  voie  de  l'inspiration  postulèrent,  nommèrent  et  élurent  le 
R.  P.  dom  Henri  Bertrand  de  Beuvron,  sous-prieur  et  aumô- 
nier de  ladite  abbaye,  pour  abbé,  chef,  supérieur  et  général, 
administrateur  de  Tabbayc  et  de  tout  Tordre  de  Cluni  (2).  »  La 
cour,  par  des  manœuvres  auxquelles  se  prêta  le  P.  Ferrieri3,, 
confesseur  du  roi,  avait  voulu  empêcher  cette  élection  (4". 


religieux  espagnols  dëdarèreDt8*y  vouloir  opposer  .'mais  M.  le  cardinal  Nidhird, 
en  ayant  eu  connai$>saucp,  les  envoya  quérir  et  leur  ordonna  de  ne  le  pas  faire... 
Le  cardinal  Impériale,  qui  a  présidé  à  ce  chapitre,  comme  protecteur  de  l'onlre. 
m'a  paru  s'être  aupsi  très  bien  conduit.  •  ;Le  ducd*Estrées  au  roi,  23  mail6T3. 
Home,  220.) 

(1)  V.  nos  Recherchefi  sur  VAssemb/ée  de  fSSi^  2«  édit.,  p.  58  et  suiv. 

(2)  Home,  223. 

(3)  Lo  P.  l'ftrricr  et  son  successeur,  le  P.  de  la  Chaize,  furent  les  conseiller- 
en  titre  de  Louis  XIV  pour  la  distribution  des  bénéfices,  et,  par  une  faible«»e 
personnelle  dont  leur  compagnie  ne  doit  pas  être  responsable,  ils  favorisèrent 
les  abus  de  la  commendo  et  l'intrusion  de  la  couronne  dan:»  le  régime  de? 
monastères  d'hommes  et  de  femmes  :  les  documents  qui  ont  passé  sous  me? 
vfiix  montrent  toujours  ces  Pérès  preuaut  le  parti  du  roi  contre  les  reprtwn- 
talions  et  la  n'^sistance  des  souverains  pontifes.  V.  déjà  la  2»  édit.  de  nos  ft"- 
cherche.s,  p.  2IS«ît  suiv. 

(4)  M  Le  roi  ayant  été  averti  par  le  P.  Ferrler  que  les  religieux  de  l'abbaye 
de  Cluni  »  se  préparaient  à  élire  un  abbé,  leur  fit  expédier  par  M.  de  Chi- 
teauneuf,  secrétaire  d'État,  une  lettre  de  cachet  avec  défense  de  s'as^mbler 
M  sur  peine  de  désobéissance,...  de  laquelle  lettre  ledit  P.  Ferrier  ayant élé 
cbargé  le  13  du  présent  mois  d'octobre  au  matin,  il  la  remit  aussitôt  entre  ki 
mains  du  P.  du  Laurens,  grand  prieur  de  tout  l'ordre,  »  qui,  malgré  sa  dili- 
gence, ne  put  arriver  à  Cluni  qu'une  heure  après  l'élection.  (Mémoire  envoyé 
par  le  roi  à  son  ambassadeur.  Rome,  223.)  —  A  la  suite  de  cette  trahi?^n. 
Pierre  du  I/mtp  .^dut  quitter  l'ordro  de  Cluni  :  il  eu  fut  récompensé  par  l'év?- 
ché  de  Belley,  et  1»^  roi  le  fit  élire  plus  tard  à  l'Assemblée  de  1682  conimo  un 
d«îs  «>vrqiios  dont  il  était  le  plus  sûr.  V.  nos  Recherches,  etc.,  2?  édit..  p.  2bS. 


ENTREPRISES    CONTRE    LES    ORDRES   RELIGIEUX  537 

• 

N'ayant  pu  y  réussir,  Louis  XIV  adressa  sur-le-champ  au  duc 
d'Estrées  des  dépêches  impérieuses,  qui  menaçaient  le  pape 
lui-mOme  :  Opposez-vous,  disait-il,  à  la  délivrance  des  bulles, 
et,  si  elles  sont  déjà  expédiées,  réclamez-en  la  révocation. 
«  Cependant ye  donne  ordre  que  toute  celte  procédure  soit  dé- 
truite dans  mon  royaume  par  t autorité  de  mes  arrêts.  Je  ne 
veux  pas  douter  que  Sa  Sainteté  ne  se  rende  facile  dans  une 
afTaire  si  juste,  lorsque  vous  lui  en  parlerez  de  ma  part,  et 
qu'elle  connaîtra  le  droit  où  je  suis  d'y  apporter  f  ordre  néces- 
saire par  moi-même.  »>  —  «  Vous  n  oublierez  rien,  ajoutait 
Pomponne,  ou  pour  arrêter  ou  pour  détruire  cette  élection  faite 
contre  les  ordres  de  Sa  Majesté ,  ou  au  moins  sans  lesattefidre  (1).  » 
—  Le  cardinal  d'Eslrées  conseilla  au  roi  d'en  prescrire  une 
autre,  «  soutenue  de  toute  la  puissance  de  Sa  ^Majesté...  »  et 
Pomponne  répondit  bientôt  que  Louis  XIV  avait  déjàw  donné 
les  ordres  nécessaires  dans  son  royaume,  où  sa  seule  vo- 
lonté  pouvait  à  cette  heure  décider  de  cette  abbaye  (2).  »  Le 
souverain  pontife  ayant  défendu  le  droit  des  religieux,  le  roi 
leur  fil  une  proposition  qui  atteste  la  justice  de  leurs  re- 
vendications :  Qu'ils  me  cèdent,  disait-il,  la  collation  des 
prieurés  dépendants  de  Cluni,  et  «  je  veux  bien,  à  cette  con- 
dition^ les  laisser  dans  la  jouissance  du  droit  qu*ils  prétendent 
d'élire  toujours  leur  abbé  (3).  »  Ce  marché  ne  fut  accepté  ni 
à  Cluni  ni  à  Rome,  et  le  roi,  ne  gardant  plus  de  ménagement 
envers  Clément  X,  s'en  tint  aux  arrêts  de  son  Conseil  d*État, 
qui  avaient  cassé  Télection  du  P.  de  Beuvron,  et  prohibé  toute 
assemblée  nouvelle  des  capitulants  :  a  Pendant  onze  années, 
Tabbaye  resta  vacante;  des  lettres  royales  nommèrent  Paul 
Pellisson,  maître  des  requêtes,  administrateur  général  de  Tordre 
de  Cluni  au  temporel,  »  et  ce  grand  ordre  ne  put  avoir  de 
réunion  générale  qu'avec  la  permission  de  la  cour,  «  en  pré- 
sence de  Pellisson,  de  rarchevêque  de  Paris  et  du  confesseur 
de  Louis  XIV  (1676)  (4).» 


(1)  19  octobre  1672.  Rome,  223. 

(3)  Le  cardinnl  d'H^trues*  à  Pomponne,  6  nof embre  ;  Pomponne  au  cardinal 
a*E»trée8,25  novembre  1672.  Home,  223. 

(3)  Au  duc  d'Kstrùe».  4  janvier  1675.  /?omr,  236. 

(4)  LoraÎD,  Histoire  de  t abbaye  de  Cluni,  1845,  p.  233  et  suiv. 


CHAPITRE  CINQUIÈME 

NOUVEAUX    CONFLITS    PROVOQUÉS    PAR    LA    COUR    DE    FRANCE.     RFA.V 
CHISES   ET  QUARTIER   DE  L'AMBASSADE  FRANÇAI^B-  PROMOTIONS  DES 

COURONNES.  1672-1674. 


Quartier  et  franchises  de  l'ambassade  française  à  Rome.  Maintien  et  aggravation  des  abns  fv 
le  duc  et  le  cardinal  d'Bstrées.  Graves  incidents.  Plaintos  portées  au  roi  par  le  DOnre.  la 
propositions  conciliante  de  Clément  X  sont  rejetées  par  Louis  XIV.  Kdits  de  réforae - 
MM .  d'Kstrées,  pour  y  ré.Histcr.  provoqu<  nt  une  ligue  des  ministres  étrangers.  Complot  d«« 
quatre  ambassadeurs  pour  entrer  ensemble  ù  Monte-Cavallo,  de  gré  ou  de  force  ;  ils  marrhmt 
sur  io  palais  :  Altieri  fait  tendre  les  chaînes.  —  .Manœuvres  de  MM.  d'Estré«<  pour  renverMf 
Altieri.  Modération  du  pape.  I/union  des  quatre  ambassadeurs  va  se  di*M>udrf  ;  pour  U  res- 
serrer, MM.  d'Rstrée^  s«>ulèvent  une  nouvelle  querelle.  Us  déterminent  le  roi  à  eiiger  ane 
promotion  des  couronnes.  <^  qu'était  alors,  en  fait  et  endroit,  l'alternalice  des  promotion*. 
—  La  France  avait  ét<^  la  nution  la  plus  favorisée  dans  les  promotions  de  Clément  IX  et  de 
Clément  X.  Prétentions  croissantes  de  Louis  XIV  :  il  veut  que  le  pape  nomme  un  Français 
(Forbin-Janson)  pour  cardinal  national  do  Pologne,  —  et  un  Allemand  (Fursteoberg]  pour 
cardinal  national  de  Franco.  Supercheries  de  MM.  d'Estrées  pour  faire  agréer  la  présentitioD 
de  Forbin-Janson.  —  Leurs  manœuvrer  pour  lier  les  deui  affaires.  Ils  sont  abandonnés  pv 
les  autres  ambass^adeurs.  Consistoire  du  10  décembre  1674  :  Clément  X,  tout  en  témoignant 
sa  bienveillance  pour  lo  Français,  maintient  la  liberté  des  promotions. 


Nous  avons  raconté  les  querelles  personnelles  de  MM.  de 
Créquy  et  de  Chaulnes  avec  le  gouvernement  pontifical.  Mais 
ces  deux  ambassadeurs  avaient  passt»  rapidement,  et  les  dé- 
sordres cessaient  autour  du  palais  Farnèse,  dès  qu'il  n'étail 
plus  occupé  par  les  Français.  MM.  d'Estrées  s'y  étaient  ins- 
tallés avec  l'espoir  d'y  faire  un  long  séjour,  et  ils  avaient  sur- 
le-champ  revendiqué,  avec  les  droits  attachés  à  leur  caractère 
et  qu'on  ne  leur  contestait  point,  des  immunités  abusives  qui 
scandalisaient  jusqu'aux  nations  protestantes.  «  Tout  le  monde 
sait,  disait  Leibnitz,  que  les  franchises  des  quartiers  étaient 
insupportables  dans  la  ville  capitale  du  pape,  où  il  y  avait  par 
là  autant  de  juridictions  étrangères  qu'il  y  avait  d'ambassa- 
deurs, qui  faisaient  les  maîtres  chacun  dans  une  bonne  partie 
de  la  ville,  au  préjudice  des  droits  du  souverain;  que  ces 
franchises  étaient  des  asiles  des  plus  méchants  et  des  retraites 
assurées  des  assassins,  voleurs,  gens  de  mauvaise  vie,  ban- 
queroutiers et  autres  mauvais  garnements;  que  les  gens  des 


FRANCHISES   ET    QUARTIER    DE    l'aMBASSADE  539 

ambassadeurs  s'en  faisaient  un  revenu  considérable,  et  em- 
pêchaient l'exécution  de  la  justice,  contre  le  droit  divin  et 
humain  (1).  »  Selon  Voltaire  lui-même,  «  ces  prétentions  ren- 
daient la  moitié  de  Rome  un  asile  sûr  à  tous  les  crimes.  Par 
un  autre  abus,  ce  qui  entrait  à  Rome  sous  le  nom  des  ambas- 
sadeurs ne  payait  jamais  d'entrée;  le  commerce  en  souffrait 
et  le  fisc  en  était  appauvri  (2).  »  Le  duc  d'Estrées,  qui  devait 
mourir  insolvable  à  Rome,  avaii  déjà  sa  fortune  embarrassée 
lorsqu'il  fut  envoyé  vers  le  pape.  11  s'était  épuisé  pour  marier 
son  tils,  le  comte  de  Nanteuil,  à  Tune  des  filles  de  Lionne,  et 
le  roi  qui  avait  fait  à  celui-ci,  pour  cet  établissement,  un  don 
de  200,000  livres,  n'ajoutait  que  de  rares  gratifications  aux 
24,000  écus  qui  formaient  le  traitement  de  Tambassadeur  (3). 
Le  cardinal*  non  encore  pourvu  des  nombreuses  commendes 
qu^il  cumulera  un  jour,  se  complaisait  dans  le  désordre  de  ses 
afTaires  domestiques  (4),  et  n'était  que  d'un  faible  secours 
pour  son  frère,  sous  le  toit  duquel  il  vivait.  On  se  rappelle 
les  doléances  répétées  de  M.  de  Chaulnes  qui,  outre  les  appoin- 
tements de  ses  charges  militaires  et  de  cour,  son  traitement  et 
ses  gratifications  d'ambassadeur,  avait  dépensé  à  Rome,  en 
moins  de  dix-huit  mois,  28,000  pistoles  (300,000  livres)  de  ses 
deniers  personnels  (5).  MM.  d'Estrées,  forcés  de  soutenir  leur 
dignité,  craignaient  les  reproches  du  roi  s'ilsy  avaient  manqué; 
et,  comme  ils  déployèrent  le  faste  accoutumé,  l'extension  qu'ils 
donnèrent  aux  franchises  provoqua  bientôt  des  plaintes,  qui 
furent  portées  au  roi  par  le  nonce  (6).  Voici  la  vérité,  avouée 


(1)  Œuvres  publiée?  par  Foucher  de  Carcil,  t.  UI,  p.  15i. 

(2)  Siècle  de  Louis  XIV y  chap.  xiv.  -   Cf.  plus  haut,  chap.  vu  du  livre  !•'. 

(3)  Lionne  à  Chaulnes,  10  janvier  1670.  /{orne,  20S. 

(4)  V.  les  anecdotes  racontées  par  Saiut-Simon,  son  grand  admirateur, 
(û)  V.  plus  haut,  chap.  iv  du  livre  II. 

(6)  Le  duc  d'Estrées  se  plaint  (à  Pomponne,  16  août  1672.  Rome,  222)  du 
bruit  répandu  que  son  frère  et  lui  vont  ôtre  rappelés  parce  qu*ils  sont  trop 
pauvres  ;  il  ne  dit  pas  cela  pour  provoquer  indirectement  les  grâces  du  roi  :  leur 
train  démentirait  ce  discours  ;  leurs  équipages  sont  les  plus  somptueux  de 
Ronae.  —  Pomponne  au  duc,  25  novembre  1672.  Rome,  223  -  <«  S.  M.  a  été  in- 
formée de  la  magnificence  de  la  première  comparsa  que  vous  avez  faite  avec 
tout  votre  équipage  et  vos  livrées  que  la  triste  occasion  du  deuil  de  Msr  le 
«lue  d'Anjou  vous  aura  obligé  de  renfermer  bientôt.  Comme  ces  sortes  de  pa- 
nades sont  une  partie,  quoique  inconnue,  de  l'ambassade  de  Rome,  on  peuf 


540  CHAPITRE  ClTVQUlÈBfE 

par  lôs  Mémoires  de  Pomponne  (i  ),  qui  vil  naître  et  s'aggraver 
le  conflit  sons  deux  pontificats.  L'abus,  dit  ce  ministre,  «  s'é- 
tait porté  si  avant  que  des  quartiers  entiers  étaient  compris 
dans  cette  exemption.  La  justice  du  pape  n*osait  y  faire  aucon 
acte,  ni  y  poursuivre  aucun  crimineL  Ces  lieux  servaient  de 
refuge  aux  gens  qui  avaient  de  mauvaises  affaires,  aux  jeux 
et  autres  lieux  publics  défendus,  à  la  vente  des  vins  et  d» 
marchandises,  dont  les  domestiques  des  ambassadeurs  tiraient 
souvent  un  grand  profit.  — Outre  la  franchise  qui  s*était  établie 
en  cette  sorte  dans  les  quartiers  voisins  des  ambassadeurs,  une 
autre,  par  un  même  abus,  se  répandait  indilTéremmeot  dam 
le  reste  de  la  ville,  sous  le  nom  de  lettres  de  familiarité  :  ^ 
terme  voulait  autant  dire  que  d'être  de  la  famille  de  l'ambas- 
sadeur. Sous  le  prétexte  de  ces  lettres,  qui  étaient  données! 
toutes  sortes  de  gens,  mais  particulièrement  aux  artisans,  les 
armes  de  l'ambassadeur  qu'ils  mettaient  sur  leur  porte  ren- 
daient leurs  maisons  exemptes  de  la  juridiction  ordinaire. 
Ainsi,  ces  exemptions  de  toute  nature  étaient  montées  à  un 
tel  point  que  Ton  prétendait  qu'elles  occupaient  une  troisième 
partie  de  Rome.  —  L'usage,  qniesl  venu  dans  toutes  les  cour?, 
que  les  denrées  que  les  ambassadeurs  font  venir  pour  leur 
maison  ne  payent  point  les  droits  d'entrée,  avait  donné  lieu  à 
un  autre  abus  qui  faisait  grand  tort  aux  revenus  de  la  Chambre. 
Au  lieu  de  renfermer  ce  droit  à  ce  qui  se  consommait  effccli- 
vemenl  dans  leurs  maisons,  les  maîtres  d'hôtel  donnaient  leurs 
certificats  aux  receveurs  des  douanes  et  faisaient  entrer,  sous 
ce  prétexte,  beaucoup  de  marchandises  qui  n'appartenaient 
point  à  leurs  maîtres.  » 

Aux  premières  plaintes  le  duc  d'Estrées  répondit  :  «  Je  nai 
point  de  connaissance  jusques  à  cette  heure  que  mes  gens  aient 


Toir  que  vons  y  avez  apporté  tout  ce  qui  pouvait  répondre  davantage  au  «er- 
vice  et  à  la  dignité  du  roi.  »  —  Le  duc  à  Pomponne.  11  avrU  1673.  /?omf,2i5: 
«  L'on  m'a  mandé  de  Paris  que  le  uouce  vous  avait  donné  un  mémoire  qià 
coutient  que  je  subsiste  principalement  pnr  les  franchises  et  qu'il  y  a  de  mw 
fi;en»  qui  abusent  de  mon  autorité  pour  faire  beaaconp  de  violences  et  de 
vexations.  >.  Mais  j'ai,  outre  mes  24,000  écus  comme  ambassadeur,  ce  que  cii 
vaut  mou  gouvernement  de  Tlle-de-France  et  quelque  bien.  J*empIoie  c«  que 
j'ai  à  tenir  mon  ran^,  sans  jeu,  ni  tableaux  ni  autre  dépense  superflae, 
(1)  T.  Il,  p.  27  etsuiv. 


FRANCHISES   ET    QUARTIER    DE    l'aMBASSADE  541 

rien  fait  de  ce  que  M.  le  nonce  leur  impute  (1).  »  On  s'explique 
ces  dénégations  et  cette  facilité  de  conscience  quand  on  lit, 
dans  la  propre  correspondance  du  même  ambassadeur,  les 
incidents  qui  se  renouvelaient  sans  cesse  autour  de  Farnèse. 
Un  Français,  Tabbé  Morcl,  rentrant  au  palais  vers  dix  heures 
du  soir,  est  attaqué  par  deux  malfaiteurs  et  reçoit  un  coup  de 
feu  dont  «  il  pense  être  tué  ».  Le  duc  d*Estrées  va-t-il  faire 
punir  les  hommes  qui,  presque  sous  ses  yeux,  ont  mis  en  dan- 
g-er  la  vie  d'un  de  ses  nationaux?  Non,  les  assassins  sont  ses 
protégés  et  ses  tributaires,  et  c*est  contre  la  cour  pontificale 
qu'il  tournera  la  colère  du  roi!  Les  coupables,  c'est  lui  qui  ré- 
crit (2),  sont  «  deux  Ornancs  [Ornano]  frères,  dont  Tun  est  si 
chargé  de  crimes  qu'il  a  été  chassé  de  TEtat  ecclésiastique,  de 
celui  de  la  république  de  Venise,  de  Gênes  et  de  Florence... 
Quand  ils  n'auraient  eu  d'autre  crime  que  d'être  pris  avec  des 
pistolets,  ils  étaient  perdus  sans  ressource,  et  dans  vingt-quatre 
heures  on  leur  coupait  la  tête  ;  mais,  bien  loin  de  les  faire  livrer 
à  la  justice,  ce  qui  aurait  été  un  procédé  non  seulement  contre 
la  dignité  d'un  ambassadeur,  mais  qui  ne  peut  pas  tomber 
dans  l'esprit  d^une  personne  qui  a  le  cœur  bien  fait,  j'ai  toléré, 
comme  ils  n'étaient  pas  en  état  de  se  sauver,  qu'ils  demeu- 
rassent dans  Farnèse...  »  Je  les  ferai  sortir  de  Rome  dans 
deux  ou  trois  jours.  «  Je  vous  mande  le  détail  de  cette  aven- 
ture, afin  que^  si  le  palais  voulait  se  plaindre,  dont  je  doute 
pourtant  fort,  n'y  ayant  pas  de  sujet,  que  j'exerce  une  telle 
autorité  dans  Farnèse  que  j'y  tiens  les  gens  prisonniers,  vous 
soyez  informé  de  la  vérité.  11  se  trouve  en  tout  cela  que  je  suis 
le  plus  offensé,  parce  que  les  Ornanes  ont  eu  si  peu  de  respect 
que  de  maltraiter,  sous  mes  fenêtres,  un  Français  qui  est 
comme  mon  domestique;  mais,  quand  on  a  les  personnes  en 
son  pouvoir,  on  leur  peut  pardonner  sans  être  blâmé.  Ces 
deux  Ornanes  ont  deux  frères,  dont  l'un  a  eu  l'honneur  d'être 
nourri  page  de  Sa  Majesté,  et  l'autre  est  un  abbé  qui  est  sou- 
vent à  nos  cortèges.  »  Un  mois  après,  Tambassadeur  écrit 
encore  au  ministre  :  (3)  «  Quoique  nous  ne  puissions  pas  évi- 

(1)  A  Pomponue,  11  avril  1673.  Rome^  '2'2'6. 

(2)  Mémoire  du  12  juillet  1612.  Home,  222. 

(3)  16  août  1672.  Rome,  222. 


542  CHAPITRE   CINQUIÈME 

ter  de  souffrir  dans  le  quartier  des  gens  qui  s'y  réfutent, 
témoin  M.  de  Chaulnes  qui  tint  deux  mois  durant  (t)  un  gen- 
tilhomme qui  avait  tué  un  Suisse  dans  la  salle  de  Monte-C»- 
vallo  et  fort  près  du  pape^  parce  qu'il  ne  lui  permettait  pas 
d'entrer;  cependant  j'ai  eu  ce  bonheur  de  n'avoir  point  en  de 
réfugié  considérable  depuis  six  mois  que  je  suis  ici,  et  dans  II 
suite  je  ne  les  attirerai  point,  comme  je  ne  pourrai  pas  l'éviter 
quand  il  ne  s'agira  pas  de  crimes  énormes  (2).  »  —  Les  scélérats 
prenaient  le  costume  français  comme  sauveg-arde  contre  la 
police  romaine.  L'évc'fque  de  Laon  écrivait  au  roi  :  «  Le  gou- 
verneur de  Rome  a  eu  ordre  de  M.  le  cardinal  Altieri  d'en- 
voyer prendre  dans  le  quartier  de  l'ambassadeur  [d'Espagne] 
un  Majorquain,  qui  se  déguisait  toutes  les  nuits  avec  des  ha- 
bits à  la  française  et  qui  volait  et  assassinait.  Cet  ordre  a  été 
exécuté  sans  aucun  concert  avec  l'ambassadeur,  qui  pouvait 
voir  l'emprisonnement  presque  de  ses  fenêtres:  on  croit  que 
ce  Majorquain  sera  pendu  ^  et  ce  spectacle  ne  lui  fera  pas 
grand  honneur.  » 

Le  duc  d'Estrées  défendait  avec  le  même  cynisme  ses  pra- 
tiques lucratives  de  contrebandier  :  n'était-il  pas  de  touic 
justice  de  se  procurer,  aux  dépens  du  pape  et  de  ses  sujets. 
l'argent  que  leur  refusait  le  roi  de  France?  «  Bien  loin,  disait- 
il,  d'abuser  de  ce  droit  à  mon  avantage,  je  ne  m'en  sers  pas 
comme  je  devrais  à  proportion  de  ce  que  nous  dépensons  par 
an  dans  Rome,  qui  passe  soixante  mille  écus.  Ils  se  fondent 
sur  une  fausse  apparence  dont  ils  veulent  éblouir  artificieuse- 
ment  les  gens.  11  est  certain  qu'étant  franc  de  toutes  choses, 
la  somme  de  franchise  qui  m'est  due  légitimement  doit  être 
réglée  selon  la  qualité  de  ma  dépense,  et,  lorsqu'elle  ne  l'ex- 
cède pas,  mais  (ju'au  contraire  elle  est  moindre,  bien  loin 
d'abuser  de  ce  droit,  je  n'en  use  point  dans  son  étendue  légi- 
time :  de  sorte  qu'à  proportion  d'une  dépense  de  soixante 
mille  écus,  je  ne  fais  point  de  tort  à  la  douane  quand  je  donne 
des  mandats,  où  je  suis  franc  à  neuf  pour  cent  dont  il  ne  m'en 

(1)  Pour  lu  faire  évader. 

(2)  Les  Oruano,  assassins  d'un  Français,  et  mis  au  banc  des  États  italien^ 
D'i'taieot  doQc  pas  des  râfuyiés  considérables l  Quel  crime  sera  énorme  poar 
MM.  dEstrées? 


FRANCHISES    ET    QUARTIER    DE    L^AMBASSADE  543 

revient  que  six,  jusqu'à  la  concurrence  de  la  franchise  qui 
m* appartient,  et  je  retire  ainsi,  par  des  mandats  de  choses 
qui  véritablement  ne  sont  pas  réelles,  ce  que  je  paye  en  détail 
dans  le  cours  de  Tannée  aux  marchands,  qui  me  servent,  pour 
les  marchandises  et  les  denrées  dont  ils  m'ont  fait  payer  les 
droits  en  me  les  vendant  même  plus,  chèrement...  Pour  juger 
de  l'excès  et  de  la  justice  des  franchises,  il  ne  faut  pas  s'arrêter 
à  des  mandats  qui  seront  ou  moindres  ou  plus  grands,  et  qui 
paraîtront  excéder  la  consommation  qu'on  peut  faire  de  vivres 
et  denrées,  mais  revenir  de  bonne  foi  à  la  qualité  de  la  dépense 
et  la  compenser  avec  toutes  les  sommes  contenues  dans  les 
mandats  d'une  année...  »  Et  M.  d'Ëstrées  conclut,  sans  hési- 
ter, qu'il  doit  être  loué  de  son  désintéressement  (1). 

L'Age  avancé  de  Clément  X  rendait  son  gouvernement  cir- 
conspect, et  l'on  ne  poursuivit  pas  à  la  fois  la  répression  de  tous 
les  excès  reprochés  aux  ministres  des  princes.  L'introduction 
et  le  maintien  des  officiers  pontificaux  dans  tous  les  quartiers 
eussent  exigé  Temploi  de  la  force  et  amené  des  voies  de  fait 
qu'il  était  prudent  d'ajourner.  Mais  on  résolut  de  s'attaquer 
à  la  contrebande  des  ambassadeurs.  Encore  le  pape  ne  négli- 
gea-t-il  rien  pour  ménager  la  dignité  do  leurs  souverains.  Il 
fît  avertir  Louis  XIY  de  son  dessein,  dans  le  temps  qui  s'écoula 
entre  le  rappel  deChaulnes  et  l'arrivée  de  son  successeur.  Le 
roi  approuva  d'abord  la  réforme.  Bourlcmont  se  félicita  de 
porter  au  palais  cette  bonne  nouvelle  et  répondit  (2)  :  (c  Je 
dirai  à  M.  le  cardinal  Altieri  la  favorable  répanse  de  Votre 
Majesté  sur  ce  qu'il  m'avait  prié  de  lui  faire  connaître  les  abus 
qui  se  commettent  ici  chez  divers  ambassadeurs  par  des  man- 
dats de  franchises  avec  un  notable  préjudice  de  la  Chambre 
apostolique,  et  je  l'assurerai,  de  la  part  de  Votre  Majesté, 
qu'elle  peut  donner  des  ordres  là-dessus  à  ses  ambassadeurs 
qui  seront  ici,  et  lesquels  ils  exécuteront  ponctuellement,  de 


(1)  A  Pomponne,  26  septembre  1674.  —  «  Le»  ambadRadeurs  cousouimeut  de 
si  graudefl  sommes  dans  Rome  que,  quand  ils  y  jouiraient  de  quelques  pri- 
vi/éges  sinfjuliers^iU  les  achètent  trop  cher  pour  leur  pouvoir  ôtre  rcprocbés.  » 
(Le  cardinal  d'Entrées  &  Pomponne,  25  septembre  1674.  Rome,  232.) 

(2)  Le  roi  à  Bourlemont,  11  juillet  1G70.  Rome,  207.  Bourlemont  au  roi, 
5  août;  à  Lionne,  19  août.  Rome,  210. 


544  CHAPITRE  CINQUIÈMB 

se  contenter  des  franchises  accoutumées  de  ce  qui  se  consume 
effectivement  dedans  leurs  maisons  selon  l'intention  de  Si 
Sainteté.  »  Comptant  sur  l'effet  de  cette  promesse,  Altieri 
proposa  au  duc  d*Ëstrées  une  allocation  annuelle  de  trois  milk 
écus  [10,600  livres],  pour  tenir  lieu  des  droits  d'entrée  sur 
toutes  les  fournitures  de  sa  maison,  et  de  lui  conserver  même 
les  mandats  d'ingresso  et  de  sortie,  à  Tarrivée  et  au  départ, 
dans  les  cas  extrordinaires,  fêtes,  mariag^es,  etc.,  ce  qui 
«  pour  le  moins  aurait  monté  aussi  haut  »,  suivant  M.  d'Es- 
trées  lui-même  (l).Maisces  vingt  mille  livres,  au  lieu  desmiUe 
écus  que  Tordinaire  des  franchises  pouvait  rapporter  qua- 
rante ans  auparavant,  ne  suffisaient  pas  à  Tavidité  de  Tambas- 
sadeur  :  il  rejeta  cette  offre  «  comme  n'étant  pas  bienséante  ni 
convenable  à  sa  dignité  »  (2);  et,  avec  l'approbation  du  roi,  il 
exigea  le  maintien  des  franchises  sans  modiGcations,  pour  ThoQ- 
neur,  disait-il,  plutôt  que  pour  le  profit  (3).  Le  gouvernement 
romain  répondait  avec  raison  qu'il  était  moins  déshonorant  de 
toucher  une  indemnité  publiquement  réglée  que  de  chercher 
ungain  malhonnête  dans  les  friponneries  décrites  en  ces  termes 
par  une  relation  française  (4)  :  «  Un  ambassadeur  achetail  en 
apparence  deux  barques  de  vin  ou  d'autre  denrée.  Le  mar- 
chand s'entendait  avec  des  particuliers  :  il  gagnait  son  quart  des 
droits  ;  Tautrc  quart  était  pour  l'ambassadeur  ou  pour  ses 
gens  ;  le  troisième  pour  les  véritables  acheteurs,  et  le  qua- 
trième pour  le  douanier.  Ces  billets  étaient  rapportés  à  la 
Chambre  par  le  général  des  douanes,  et,  bien  qu'il  eût  eu  un 
quart  en  secret  il  se  faisait  tenir  compte  du  total  sur  le  prii 
de  sa  ferme.  On  a  môme  des  preuves  que  les  ambassadeurs 
gratifiaient  leurs  gens  de  cette  manière  :  on  leur  payait  ainsi 
leurs  gages...  Les  officiers  des  ambassadeurs  commettaient  un 
autre  abus  :  quand  ils  arrivaient  à  Rome,  ils  donnaient  un  rfinn- 
datodinfjresso  signé  de  leurs  maîtres.  Les  derniers  de  France 
et  d'Espagne  ont  été  de  six  vingt  mille  écus  chacun  de  hardes 


(1)  A  Pompoune»  5  juillet  1673.  Home,  226  ;  27  juillet  1677.  Rome,  252. 

(2)  Mémoire  sur  les  franchises,  18  octobre  1672.  Rome^  223. 

(3)  Le  duc  au  roi,  5  juillet  1673.  Home^  226.  —  Bourlemont  au  duc,  9  août. 
Rome,  227. 

(4)  Rome,  337. 


FRANCHISES   ET    QUARTIER    DE    L  AMBASSADE  543 

'  el  meubles  neufs;  en  un  ou  deux  mandats  de  chaque  ambas- 
sadeur; car,  pour  les  étoffes  coupées,  vaisselle,  meubles  qui 

•  ont  servi  un  seul  jour,  on  ne  paye  rien  à  Rome...  La  compo- 
sition était  que  le  douanier  recevait  un  mandat  de  six  vingt 
mille  écus  de  bardes  neuves  qui  lui  assurait  (sur  sa  ferme)  un 
rabais  d'environ  douze  mille  écus  :  il  en  donnait  six  mille  en 
argent  comptant  pour  les  ambassadeurs  et  quelque  douceur 
aux  enlremetleurs,  de  sorte  que  les  ambassadeurs,  leurs  offi- 
ciers et  le  douanier  trouvaient  également  leur  compte  dans  ce 
commerce.  » 

Le  duc  d'Estrées  se  coalisa  donc,  pour  résister  à  cette  ré- 
forme, avec  les  ministres  de  TEmpire,  de  TEspagne  et  de 
Venise.  Le  cardinal-landgrave,  Frédéric  de  Hesse,  évêque  élu 
de  Breslau,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  était  alors  chargé  des 
affaires  deLéopold  :  luthérien  converti  et  présenté  au  cardinalat 
par  l'Empereur,  quoiqu'il  n'eût  ni  les  mœurs,  ni  la  science  d'un 
ecclésiastique,  il  s'était  rendu  populaire  à  Rome  par  le  cou- 
rage qu'il  avait  déployé  pendant  la  dernière  peste,  sous  le 
pontificat  d'Alexandre  VII,  et  il  devait  mourir  sur  son  siège 
épiscopal,  fort  regretté  de  son  diocèse;  mais  il  désolait  alors 
Clément  X  par  une  turbulence  qui  rappelait  trop  les  habitudes 
militaires  de  sa  jeunesse.  Il  se  plaignait  de  son  souverain,  qui 
lui  payait  mal  de  chétifs  appointements,  et  il  avait  offert  d'en- 
trer dans  la  faction  française  aux  conditions  suivantes  qu'a- 
vait approuvées  le  cardinal  d'Estrées  :  il  rendrait  à  l'Empereur 
son  mandat,  mais  en  retenant  l'évêché  de  Breslau  et  le  grand 
prieuré  de  Malte  en  Allemagne;  le  roi  lui  donnerait  la  pro- 
tection de  France  avec  des  abbayes,  lui  ferait  restituer  les 
biens  de  son  grand  prieuré  situés  dans  les  Provinces-Unies  et 
appuierait  sa  candidature  aux  évèchés  de  Liège  et  Hildesheim. 
Louis  XIV  n'avail  pas  ratifié  le  traité,  mais  le  cardinal  d'Es- 
trées et  son  frère  conservaient  une  étroite  liaison  avec  ce  prélat. 
—  Le  représentant  de  la  cour  de  Madrid  était  l'ancien  Jésuite 
Nidhard,  naguère  confesseur  et  premier  ministre  de  la  régente 
Marie-Anne  d'Autriche,  récemment  nommé  archevêque  d'E- 
desse  et  cardinal  :  il  ne  se  résignait  pas  à  la  perte  du  pouvoir, 
et  il  était  fort  irrité  du  blâme  sévère  que  sa  conduite  politique 
lui  avait  attiré  à  Rome  comme  en  Espagne.  Des  rancunes  per- 

LOOIB  XIV  BT  U  SAI?IT-SlÈOB.   —   H.  33 


K46  C31APITRE   CIXQUffeME 

sonnelles  contre  Altiori  le  disposaient  à  seconder  les  projtli 
des  ambassadeurs  :  le  cardinal  d'Ëstrées  disait  de  lui  (i)  :  «Di 
quelque  dehors  de  religieux  à  garder;  mais  dans  le  fond, sa 
ressentiments  sont  vifs,  et  le  mal  que  le  cardinal  AUieriiA 
de  lui  avant  et  depuis  son  cardinalat  et  Texclusion  du  SûbI- 
Ofiice  (2)  lui  ont  imprimé  une  profonde  aversion  contre  loi.» 
—  La  république  de  Venise  prétendait  depuis  longtemps  èlR 
traitée  à  Rome  comme  les  UHes  couronnées^  et,  quoique  les 
princes  ne  reconnussent  pas  cette  égalité^  Pielro  MocenigOi 
ambassadeur  de  la  Seigneurie,  fut  admis    dans  le  complot 
ourdi  contre  le  palais.  Il  avait  au  maintien  des  mandats  d*m- 
gresso  un  intérêt  que  Bourlcmont  expliquait  ainsi  :  «  Jasqni 
présent  on  lui  conteste  ici  plusieurs  droits  de  franchises,  et  il 
n'en  jouit  pas  si  pleinement  que  les  autres  ambassadeurs  des 
couronnes,  ce  qui  fait  croire  qu'il   marchera  de  bon  pied, 
puisque  cela  lui  donne  sujet  d'accroître  les  droits  et  la  réputir 
tion  de  son  ambassade  i3).  »  D'ailleurs  il  venait  de  monlrer. 
dans  son  quartier,  une  cruauté  qui  lui  assurait  Tappui  et  la 
confiance  d\i  Faruôse  :  cinq  sbires  passant  dans  son  voisiaage 
avaient  été  attaqués  par  ses  domestiques  :  l'un  avait  été  tué 
surplace,  un  second  était  mort  le  lendemain,  et  les  trois  autres 
avaient  été  blessés  (i). 

Le  duc  d'Eslrées  et  ses  collègues  ayant  refusé  rabonncmcai 
généreux  que  leur  offrait  la  Chambre  apostolique,  les  ordon- 
nances fiscales  qui  parurent  rappelèrent,  dans  le  style  usuel, 
que  les  gabelles  étaient  dues  par  toutes  personnes,  de  quelque 
qualité  et  condition  qu'elles  fussent.  Un  premier  ùando  omet- 
tait les  ministres  des  princes  :  ils  furent  désignés  dans  un  se- 
cond, du  14  septembre  167i,  qui  augmentait  de  trois  pour  cent 
la  taxe  des  marchandises  étrangères,  même  pour  les  ambas- 
sadeurs, cardinaux  et  autres  privilégiés,  sous  les  peines  por- 
tées (3).  Les  quatre  conjurés,  après  avoir  tenu  un  nouveau 

(1}  A  Pompomio,  2o  seutcaibre  167 i.  Kome,  2:32. 

(2)  C-îllo  exclusion  était  fort  sîij^.^  NidliarJ,  aydiil  été  grand  Inquisiteur  ea 
Ei»paj;uo,  pouvait  troubler  une  Cou^régiliou  chargée  de  réformer  \eé  décisio:.? 
de  9011  ancien  tril)aual. 

(3)  Le  dnc  d'Kélréea  a  Pomponne,  2:»  septembre  1674.  Homey  232. 
(i)  Le  même  au  môme,  19  juillet  1673.  Rome,  226. 

(o)  Analyse  de  Saint-Prêt.  Rome,  Négociations,  25.  —  Bien  entendu,  le  noa- 


FRANCHISES   ET   QUARTIER    DE   L* AMBASSADE  $47 

CODciliabuIe  à  la  vigae  Montalte^  voulurent  être  reçus  tous  à 
la  fois  par  le  pape  dans  une  audience  extraordinaire.  Ils  allé- 
g^uerent  plus  tard  qu*ils  avaient  aussi  sollicité  des  audiences 
séparées,  «  si  Sa  Sainteté  Tavait  plus  agréable  »;  mais  ils 
furent  démentis  expressément  par  le  maître  de  chambre  Cres- 
centio,  Tun  des  membres  les  plus  considérés  de  la  prélalure, 
futur  cardinal,  et,  suivant  Bourlemont  lui-même,  «  d^ùne 
grande  piété  et  vertu  »  (1).  Le  pape  avait  diiîéré  de  répondre 
à  une  prétention  si  insolite  :  «  Cela,  dit  le  ducd*Ës(rées,  donna 
lieu  de  demander  une  audience  à  M.  le  cardinal  Allieri  pour 
se  plaindre  du  procédé  du  mattre  de  chambre.  »  Allieri  consen* 
lit  aies  entendre  Tun  après  l'autre,  «  ce  qu'ils  jugèrent  ne 
devoir  pas  accepter  ».  Us  prirent  alors  la  résolution  la  plus 
insensée,  pour  entrer  de  force  tous  les  quatre  chez  le  cardinal- 
neveu,  au  risque  de  provoquer  une  émeute  dans  les  rues  de 
Rome.  Voici  la  relation  du  ministre  français  :  «  Les  ambassa- 
deurs ne  pouvant  croire  que  le  cardinal  Altieri,  lequel  même 
n'ignorait  pas  la  fin  de  leur  visite,  pût  persister  dans  un  refus 
mal  fondé,  se  rendirent  Taprès-dîner  aux  Chartreux  (2)^  et  de 
ce  lieu,  qui  n'est  pas  éloigné  de  Monte-Cavallo,  renvoyèrent 
leurs  gentilshommes  au  maître  de  chambre  du  cardinal  Altieri, 
pour  lui  dire  qu'ils  ne  pouvaient  différer  de  le  voir  ensemble 
et  qu'ils  s'acheminaient  vers  Monte-Cavallo  pour  cela...  (3). 
Cependant  leurs  gentilshommes  les  vont  retrouver  à  pou  près 
à  moitié  chemin  des  Chartreux  à  Monte-Cavallo  et  leur  dire 
que  le  maître  de  chambre  avait  répondu  que  son  maître  ne  les 
verrait  que  séparément,  et  qu'il  ne  se  chargerait  pas  de  cette 
ambassade,   puisqu'il   savait  bien   son   intention.  Les  gen- 

veau  tarif  ne  causait  aux  ambussadears  aucun  dommugc  dout  ils  pussent  se 
plaindre  légitimement,  car  la  Chambre  était  toujours  prête  à  leur  rembourser 
par  voie  de  mandats  dHngresso  ou  autrement  les  gabelles  qu*ils  justifiaient 
avoir  payées.  Les  règlements  ne  supprimiiieut  que  les  plus  gros  profits  de 
leur  contrebande. 

(1)  Au  roi,  23  décembre  1670.  Home,  212. 

(2)  Sainte-Marie-des-AngeSf  aux  Thermes  de  Dioclétien 

(J)  Le  cardinal  d'Estrées  s'exprime  un  peu  plus  maladroitement  :  les  am- 
bassadeurs, dit-il,  renouvellent  leur  demande  d'uue  audience  commune,  «  et. 
eiji  la  faisant  porter  par  leurs  secrétaires,  $  acheminent  en  même  tempa^  pour 
âter  au  cardinal  Allieri  le  moyen  de  la  refuser^  na  devant  pas  croira  qu'il  fût 
capable  d*une  pareille  conduite.  >•  (A  Pomponna,  25  saptembre  i67i.  Aoum,  242.^ 


548  CHAPITRE   CINQClfofK 

tilshommcs  insistërenl  qu'il  allât  demander  cette  audience,  A 
lui  s*en  défendit  toujours  et  se  relira.  L'on  tendit  en  mèiK 
temps  les  chaînes  devant  deux  portes  de  Monte-Cavallo,  etn 
renforça  le  corps  de  garde  des  Suisses  à  la  principale,  et  on 
en  ferma  quelques  autres  d*aulres  côtés.  On  ordonna  aux  sol- 
dats de  se  retirer  dans  leurs  quartiers  et  d'attendre  les  ordres 
qu'on  leur  enverrait,  et  Ton  prit  les  mêmes  précautions  qoll 
aurait  fallu  prendre^  si  les  ambassadeurs  eussent  eu  dessein  de 
forcer  le  palais  du  pape  et  faire  une  violence  au  cardinal  AI- 
lieri...  (1).  » 

Ce  prélat  ne  faisait  pas  injure  à  ses  agresseurs  :  il  savait 
fort  bien  qu'un  des  meneurs  du  complot  était  le  cardinal  de 
Hesse,  ancien  homme  de  guerre,  qui  était  demeuré,  an  dire 
de  l'évêque  de  Laon,  ^'  capable  dans  une  action  d'éclat  de  ha- 
sarder toutes  choses  »  (2),  et  dont  les  services  en  cette  renconire 
pouvaient  décider  Louis  XIV  à  le  recevoir  enfin  danssafaclioo. 
au  prix  précédemment  marqué.  Le  cardinal-neveu  n'ignorait 
pas  que  les  émissaires  de  Farnëse  et  des  autres  ambassades 
animaient  les  esprits  contre  les  derniers  édits  de  la  Chambre, 
contre  «  une  imposition,  disait  Tabbé  Servienl,  contraire  air 
bien  du  peuple  qui  en  est  déjà  si  chargé  (3)  ;  aux  nations  étran- 
gères puisqu'elle  est  établie  sur  toutes  les  denrées  qui  viennent 
du  dehors;  à  la  noblesse  qui,  bien  que  sans  bonne  raison,  se 
voit  à  regret  nommée  dans  l'ordonnance  (4)!  » 

L'émotion  causée  par  ces  quatre  cortèges  se  précipitant  sar 
le  palais  pontifical,  avec  une  populace  recrutée  dans  les  quar- 
tiers, aurait  pu  amener  des  scènes  sanglantes^  sans  la  présence 
d'esprilet  la  fermeté  d'Altieri.  Supposons  que  le  fait  se  passât 
à  Paris,  à  Madrid  ou  à  Vienne  :  les  souverains  de  ces  pavs 
eussent  aussitôt  chassé  les  ambassadeurs  factieux  qui,  pour 
couvrir  leurs  friponneries,  mettaient  aux  prises  plusieurs 
États.  Le  vieux  pontife  ne  s'effraya  pas  :  il  refusa  TaudieuM 
commune,  mais  il  autorisa  chacun  des  quatre  ministres  à  se 

(1)  Relation  du  duc  d'Estrées,    26  septembre  1674.  Rome,  232. 

(2)  Mémoires  du  cardinal  d'Eâtrées,  12  et  23  octobre  1672.  Rome,  223. 

(3)  Le  peuple  ne  se  plaignait  que  des  ministres  étrangers  et  de  la  surcharge 
rejetée  sur  lui  par  leur  contrebande. 

(4)  A  Pomponne,  26  septembre  1674.  Rome,  232. 


FRANCHISES  BT    QUARTIER    DE   l'aMBASSADE  549 

présenter  seul  devant  lui.  «  Le  pape,  dit  le  duc  d'Eslrécs,  me 
témoigna  d^abord  qu'ayant  fait  mon  frère  cardinal,  dont  il 
me  dit  de  grands  biens,  et  ayant  eu  toujours  tant  d'amitié 
pour  moi,  il  avait  été  extrêmement  touché  que  je  me  fusse 
uni  avec  les  autres  ambassadeurs,  et  que  je  lui  eusse  fait  de- 
mander avec  eux  de  les  voir  tous  ensemble;  qu'il  m'assurait 
que  son  repos  en  avait  été  troublé  pendant  deux  nuits,  disant 
souvent  en  lui-même  :  L ambasciatore  di  Francia^  al  quai  vo- 
glio  ianio  betie,  s'èpotulo  unir  con  lialtri!  »  Malgré  les  inter- 
ruptions de  son  interlocuteur,  Clément  X  rappela  les  événe- 
ments du  17  septembre;  la  «  méchante  intention  »  de  celte 
ligue  contre  son  neveu;  a  le  tumulte  )>  excité  par  la  marche 
des  quatre  cortèges.  Le  duc  d'Ëstrées  prétend  que  le  peuple 
s*assemblaseulement((aprèsIerefusqu'onleur(itderaudience, 
et  que  Ton  eut  fermé  etgardé  les  porteset  redoublé  les  gardes.  » 
Soit  :   cela  suffit   pour  la  justification    complète  d'Allieri. 
«  M'ayant  remis,  ajoule-t-il,  sur  le  sujet  de  ce  cardinal,  pour 
Texcuser  encore  de  ce  qu'il  n'avait  pas  reçu  notre  visite,  je  lui 
apportai  l'exemple  de  M.  de  Fontenay-Mareuil  qui,  sans  avoir 
demandé  audience  à  Innocent  X,  alla  droit  à  son  antichambre 
et  demanda  à  lui  parler,  pour  avoir  raison  de  ce  que  les  sbires 
avaient  arrêté  des  bandits  dans  un  de  ses  carrosses  (1).  Le 
maître  de  chambre  et  les  autres  domestiques  furent  extrême- 
ment surpris  de  la  présence  de  l'ambassadeur,  et,  quoiqu'on 
lui  répondit  qu*il  ne  pouvait  parler  au  pape,  il  s'y  opiniàtra  et 
dit  hautement  qu'il  coucherait  plutôt  dans  cette  antichambre 
que  de  s'en  aller  sans  avoir  vu  Sa  Sainteté.  Cela  ayant  été 
rapporté  à  Innocent  X,  il  fit  aussitôt  entrer  M.  de  Fontenay. 
Je  suppliai  ensuite  le  pape  de  juger  par  cet  exemple  et  par  la 
différence  très  grande  qu'il  y  a  entre  un  pape  et  un  cardinal- 
neveu^  combien  le  cardinal  Altieri  avait  de  tort  d'en  user  aussi 
mal  avec  nous  qu'il  avait  fait.  »  Les  cardinaux  de  Hcsse  et 
Nidhard  reçurent  un  accueil  semblable,  et  s'entendirent  repro- 
cher leur  ingratitude.  Mais  Clément  X,  que  cet  incident  sur- 


(1)  Cet  aveu  est  accablaot  pour  Thooneur  des  ambassadeurs  français  :  il 
prouve  leur  brutalité  traditionnelle,  la  longanimité  des  papes  et  l'énormité  des 
abus  que  Clément  X  et  Innocent  XI  eurent  à  détruire. 


5S0  CHAPITRK  aNQDIÈMB 

prenait  au  moment  où  il  avait  Tespoir  le  mieux  fondé  de  fuR 
accepter  sa  médiation  par  les  grandes  cours  calholiqaei, 
plaça  l'intérêt  de  la  chrétienté  au-dessus  de  toute  considératioi 
personnelle  et  congédia  les  ambassadeurs  en  leur  disant  qne^ 
s'ils  ne  voulaient  plus  traiter  avec  le  cardinal  Altieri,  il  les 
recevrait  lui-même  «  à  toute  heurc^  quand  ils  voudraient,  Il 
nuit,  le  jour  et  même  dans  le  lit  (1).  »  Il  ne  put  (oulefoisw 
dispenser  de  faire  porter  ses  plaintes  à  leurs  souverains.  C'est 
à  Saint-Germain  qu'elles  furent  écoutées  avec  le  moins  de 
respect^  et  les  Français  répandirent  de  nouveau  contre  la  Coor 
pontificale  mille  calomnies  qui  ne  sont  nulle  part  mieux  réfu- 
tées que  dans  leurs  propres  écrits. 

Lorsque,  après  la  mort  de  Clément  X,  son  successeur  voalat 
poursuivre  la  réforme  commencée,  un  bando  parut  (27  juillet 
1677]  quiassujcttittoutes  personnes,  prélats,  princes,  cardinaux 
et  ambassadeurs  à  la  gabelle  établie  sur  le  bois,  le  vin  qui  dé- 
barquait à  Ripitta,  le  foin,  les  fruits,  etc.  (2).  MM.  d'Estrées 
pousseront  les  mêmes  clameurs  qu'en  4674;  mais  Tabbé  de 
Bourlemont  tenta  de  leur  épargner  de  nouvelles  fautes  en  rap- 
pelant au  roi  celles  qu'ils  avaient  commises  sous  le  précédenl 
pontificat.  Il  écrivit  à  Pomponne  (3)  :  «  J'ai  dit  à  M.  l'ambassa- 
deur qu'avant  qu'il  se  déclarât  oiïensé  du  présent  édit,  il  me 
semblait  qu'il  faudrait  considérer  la  voie  que  les  ambassadeurs 
ont tenueici  depuis  longtemps  pourjouirplusavantageuscmenl 
de  leurs  franchises,  qui  est  qu'en  divers  temps  de  l'année, 
selon  qu'ils  le  jugent  à  propos,  ils  envoient  au  fermier  général 
des  gabelles  de  Rome  des  mandements  pour  les  sommes  des 
marchandises,  denrées  et  vivres  que  l'on  a  pris  pour  le  service 
de  leur  maison,  et  à  proportion  desdites  sommes  le  fermier 
leur  paye  la  gabelle  pour  restituer  celle  qu'on  présume  qu'ils 
ont  payée  aux  marchands  qui  leur  ont  vendu  Icsditcs  denrées. 

(1)  Le  duc  tiu  roi,  26  sc[>tembre  167  i.  Rome^  232. 

(i2)  Celait  le  style  ordinaire  des  édiU  sur  les  douanes,  et  le  duc  d'Estréei 
uvnit  été  obligé  d'avouer  au  roi  que  celui  de  1674  était  conforme  à  deux  ou 
trois  autres  qui  n'auraieot  pas  été  sus  des  ambassadeurs  et  notamment  a 
u  un  misérable  exemple  de  Inédit  ou  bundOf  «  de  1573,  renouvelé  en  1569  et 
intitulé  :  Dando  générale  sopra  la  gabella  dei  cavallL  (Le  cardinal  et  le  doc, 
25  et  26  septembre  1674.  Rome,  232.) 

(3)  3  août  1677.  Rome,  252, 


FRANCHISES    ET   QUARTIER    DE    L*AMBASSAD£  551 

Ainsi,  quand  les  édits  qui  se  publient  à  Rome  disent  que  les 
ambassadeurs  payeront  la  gabelle  des  bois,  du  vin,  des  fruits, 
elc,  s:  Ton  continue  à  leur  faire  valoir  les  mandements  de 
franchise,  on  leur  restitue  en  gros  la  gabelle  qu'ils  ont  payée 
en  menu  aux  marchands  qui  leur  ont  vendu  lesdites  denrées» 
et  cela  selon  leur  assertion.  Mais  j'ose  dire  de  plus  qu'il  serait 
injuste  eue  le  fermier  général  des  gabelles  payât  aux  ambassa- 
deurs le>  mandements  de  franchises  pour  restitution  d'une 
gabelle  ru'ils  n'auraient  pas  payée.  Ce  qui  aggrava  l'aiTaire  du 
cardinal  Altieri,  pendant  l'autre  pontificat,  ne  fut  tant,  ce  me 
semble,  d'avoir  dit  dans  un  édit  que  les  ambassadeurs  paye- 
ront deu!  Jules  de  gabelle  par  baril  de  vin,  vu  qu'on  la  leur 
restituait  et  au  delà  par  les  sommes  qu'ils  tirent  des  mande- 
ments de  franchises,  que  la  mauvaise  expression  de  Fédit  et 
le  procédé  du  cardinal  d'avoir  fait  fermer  la  porte  du  palais  du 
pape  Jonque  les  ambassadeurs  allaient  pour  avoir  audience... 
Et  quand  les  ambassadeurs  s'unirent  et  firent  tant  de  bruit 
touchant  Tédit  qui  les  obligeait  à  la  gabelle  du  vin.  si  le  car- 
dinal Altieri  eut  fait  voir  au  roi  qu'on  leur  restituait  cette 
gabelle  dars  leurs  mandements  dt*  franchises,  Taflaire  n'eût 
pas  été  maliisée  à  accommoder;  mais  ce  furent  les  mauvaises 
suites  qui  gâtèrent  tout(l  .  Enfin,  si  Ton  restitue  aux  ambas- 
sadeurs, dam  Il'S  mandements  de  fran<*hises,  les  gabelles  qu'ils 
ont  payées,  y  crois  que  le  pape  peut  dire  aussi  qu*ils  doivent 
payer  en  meiu  la  gabelle  que  Sa  Sainteté  leur  fait  restituer 
en  gros...  J*aipris  l'assurance  de  dire  à  M.  l'ambassadeur  que 
je  ne  voyais  pas  qu'il  y  eût  lieu  de  plainte,  le  pape  faisant  payer 
équilablementaux  ambassadeurs  leurs  mandements  de  fran- 
chises; ot,  qmnt  à  la  jonction  des  ambassadeurs,  qu'il  était 
bon  de  paraître  unis  et  de  bonne  intelligence  aux  affaires  d'hon- 
neur et  de  pré'ogative  des  ambassades;  mais  de  se  lier,  aux 
moindres  incidents,  à  ne  rien  faire  que  d'un  commun  concert, 
cela  fait  un  grand  éclat,  et,  s'il  n'en  résulte  de  grandes  choses, 
il  y  a  plus  à  p^i  dre  qu'à  gagner,  principalement  puur  ceux 
qui  ont  le  plus  le  sincérité  et  de  bonne  foi.  les  autres  faisant 


(1)  Mau  cet  maun  ir:»  îuitf  éuieiit  le  fait   dr»  aujLa&?aieari    qui,  coutre- 
baiidier*  et  fausftiris,  ciuriIuTérent  U  violcoc^  pour  s'atiurer  riuipuuilc. 


552  iSlAPITRE  CINQUIÈME 

souvent  leurs  traités  aux  dépens  de  ceux-ci,  co.mnie  on  Tan 
à  la  dernière  jonction  des  ambassadeurs  sous  le  précédai 
pontificat...  » 

A  quel  excès  devaient  donc  se  porter  les  collëgjesde 
M.  d'Ëstrées,  pour  que  Tabbé  de  Bourlemont,  dans  la  mèou 
lettre,  vante  sa  grande  retenue^  après  Tavoir  vu  réclame:,  en  un 
seul  jour,  des  mandats  d'ingresso  sur  le  pied  de  cent  viiçt  mille 
écus  de  bardes  et  meubles  neufs,  sans  compter  les  étoffes 
coupées,  vaisselle  et  meubles  ayant  servi  une  seule  fois,  non 
soumis  à  la  taxe  et  dont  il  trafiquait  avec  les  marchands  de  la 
ville!  Aussi  Tabbé  Servient,  mêlé  de  plus  près  qie  Bout- 
lemont  à  la  vie  du  palais  Farnèsc,  écrivait  conficentielle- 
mcnt  à  Pomponne  que  tous  ces  contlits,  soulevés  par 
MM.  d*Estrées,  avaient  pour  cause  Tétat  déploré  de  leurs 
affaires,  et  le  besoin  de  vivre  aux  dépens  du  pape!  ...«  Quand 
le  désordre,  disait-il,  est  invétéré  dans  les  finances  d*un 
homme,  il  n'est  plus  de  conseil  à  propos.  11  fallai;  apaiser 
des  domestiques  que  Ton  voit  à  tout  moment  et  qu'oi  ne  paye 
pas  depuis  vingt  ans,  en  les  laissant  profiter  de  ce  {^ain,  et  en 
leur  donnant  des  mandats  de  vin  (i)  :  cependant  cîs  sommes 
ne  sont  pas  comptées,  et  Ton  a  le  préjudice  de  tolérer  leur 
violence,  d'y  contribuer  même,  d'être  blâmé  ei  public,  de 
s'attirer  des  affaires  avec  les  souverains  à  qui  Tonest  mandé... 
C'est  ce  qui  m'engage,  Monseigneur,  à  vous  repr&enler  ce  que 
Votre  Excellence  sait  mieux  que  personne,  que  nous  avons 
besoin,  sur  toutes  choses,  d'un  ambassadeur  dent  la  dépense 
soit  réglée,  qui  soit  maître  de  ses  domestiques,  qui  pave  tous 
les  mois  exactement,  qui  se  gouverne  de  lui-même,  qui  ne 
soit  point  emporté,  qui  ne  passe  pas  pour  avor  à  la  cour  de 
puissantes  inimitiés  (2).  » 

Louis  XIV  reçut  avec  son  dédain  accoutumi  les  représen- 
tations du  nonce  contre  les  derniers  actes  de  soi  ambassadeur: 
il  se  flatta  d  avoir  inspiré  à  Spada  une  terreurqui  se  commu- 
niquerait au  cardinal  Altieri  et  au  pape,  et  il  écrivit  au  duc 
d'Estrécs  :  «  Je  ne  doute  point  que  le  nonce  m  rende  compte 

(1)  Ce  n'est  qu'un  exemple  entre  beaucoup  d'autres;  claqae  jour  amenait 
un  incident  nouveau. 

(2)  A  Pomponne,  30  décembre  1676.  Rome,  248. 


FRANCHISES    ET   QUARTIER   DE   l' AMBASSADE  5S3 

à  Rome,  avec  beaucoup  d'inquiétude,  de  la  fermeté  qu*il  a 
connue  dans  mes  sentiments;  au  moins,  en  fit-il  paraître  beau- 
coup dans  une  visite  qu*il  rendit  le  lendemain  au  sieur  do 
Pomponne,  et  dans  laquelle,  n'apprenant  rien  que  ce  qu'il 
avait  su  de  moi  la  veille,  il  parut  seulement  embarrassé  de  la 
distinction  que  je  lui  avais  faite  entre  le  commandement  qui 
serait  venu  directement  du  pape  ou  Tordre  que  le  cardinal 
Altieri  se  serait  attiré  (1),  et  c'est  en  cette  sorte  que  vous  devez 
toujours  séparer  extrêmement  Sa  Sainteté  de  son  ministre  et 
faire  voir  à  quel  point  je  sais  ne  les  point  confondre  Tun  avec 
Tautre.  »  —  Pomponne  écrivit  à  MM.  d'Estrées  avec  la  même 
confiance  :  «  Aujourd'hui  que  M.  le  cardinal  Altieri  doit  cher- 
cher apparemment  les  moyens  de  sortir  du  mauvais  pas  où  il 
s'est  engagé,...  vous  trouverez  celte  occasion,  Monsieur^  de 
ménager  tellement  les  avantages  de  Sa  Majesté  qu'il  se  croira 
peut-être  assez  heureux  de  faire  entrer  dans  un  accommode- 
ment les  diverses  affaires  sur  lesquelles  il  se  rend  si  injus- 
tement difficile  jusques  à  cette  heure.  »  —  «  C'est  en  cette  né- 
gociation» que  je  vois  un  grand  champ  ouvert  à  Votre  Émi- 
nence  pour  en  tirer  des  conditions  avantageuses  (2).  »  On 
n'était  pas  moins  crédule  à  la  cour  de  Saint-Germain,  qu'au 
palais  Farnëse,  où  l'on  accueillait  avec  une  joie  puérile  tous 
les  rapports  des  sof/ioni  (3).  Le  pape,  disait-on,  était  in- 
digné contre  Altieri,  qui  calomniait  les  ambassadeurs^  les 
plus  désintéressés  des  hommes  !  il  allait  chasser  de  la  cour  ce 
neveu  postiche,  posticcio  !  L'affaire  présente  serait  «  un  accrois- 
sement de  gloire  et  d'autorité  »  pour  Sa  Majesté!  Altieri, 
abandonné  de  tous,  était  abattu  et  mélancolique  ;  il  mourait 
de  peur;  c'était  un  lâche  qui  ferait  tout  ce  qu'on  voudrait, 


(1)  Le  noQce  alléguant  les  ordres  exprès  du  pape  au  cardinal  Altieri,  «  je 
lui  dis  que  Ton  devait  toujours  Taire  une  grande  distinction  entre  ces  sortes 
de  commandements;  que  je  mettais  une  grande  différence  entre  ceux  gui  ve- 
naient directement  des  princes  ou  ceux  que  leurs  ministres  s'attiraient^  et  que, 
quand  il  serait  vrai  que  le  pape  aurait  donné  cet  ordre  au  cardinal  Altieri,  je 
le  considérerais  plutôt  comme  un  effet  du  soin  qu'il  aurait  pris  de  se  le  faire 
donner  que  comme  un  pur  mouvement  de  la  volonté  de  S.  S.  » 

(2)  13  octobre  1674.  Home,  232. 

(3)  Espions  :  ainsi  étaient  nommés  par  les  Romains  les  familiers  de 
MM.  dEstrées. 


SB4  CHAPITRE  aNQUIJtMK 

fliaon,  son  successeur  était  déjà  désigpné!  ce  serait  ou  amiie 
HM.  d'Estrées,  qui  n'aurait  rien  à  leur  rofuseri  et  les  Françab 
régneraient  à  Rome!  L'union  des  quatre  ambassadeurs,  fa 
avait  remporté  ce  triomphe  au  profit  du  roi*  était  indissoluble! 
—  On  ne  lit  pas  sans  chagrin  que  Louis  XIV  ait  pris  ces  bblei 
au  sérieux  (1)  ;  Pomponne  écrivait  au  cardinal  d'Estrées:U 
roi  voit  avec  plaisir  que  le  pape  est  disposé  à  remplacer  M.  le 
cardinal  Altieri  par  M.  le  cardinal  Rospigliosi.  Gomme  ce  de^ 
nier  a  a  confié  ce  secret  à  Votre  Éminence^  vous  pouvex  de 
même,  si  vous  le  jugez  à  propos,  lui  confier  les  sentiments  de 
Sa  Majesté,  si  pleins  d^afTcction  pour  lui.  Du  reste,  si  Votre 
Ëminenco  pouvait,  par  ses  soins  et  par  son  application,  coih 
tribuer  à  faire  réussir  ce  point,  elle  peut  s*assurer  qu'elle  ne 
pourrait  rendre  un  service  plus  agréable  à  Sa  Majesté!  »» - 
«  J'ai  continué  à  faire  voir  au  roi  en  particulier  le  mémoire 
que  vous  m'avez  adressé  pour  elle  seule.  Vous  croyez  bien 
que  Sa  Majesté  continuant  toujours  dans  les  mêmes  senti- 
ments d*afTection  pour  le  cardinal  Rospigliosi,  elle  verrait 
avec  plaisir  que  TafTaire  qui  fait  aujourd'hui  tant  de  bruil  à 
Rome  servit  à  son  élévation,  et  y  fit  passer  toute  Tautorité  des 
mains  du  cardinal  Altieri  dans  les  siennes  (2)  .  » 

La  cour  pontificale  ne  s'apprêtait  point  à  subir  le  joug  i^ 
Louis  XIV  :  elle  connaissait  son  artifice  accoutumé  de  se  pré- 
tendre ofi*ensé,  quand  Toutrage  venait  de  lui  seul,  et  elle  atten- 
dait avec  une  patiente  curiosité  qu'il  précisât  ses  conditions. 
Le  roi  écrivait  de  son  côté  au  duc  d'Estrées  :  «  Vous  devei 
laisser  au  cardinal  Altieri  le  soin  de  proposer  »  une  satisfac- 
tion. On  va  sans  doute  me  faire  des  offres  :  tâchez  de  les  péné- 
trer. —  Mais  Pomponne  ajoutait  :  Nous  ne  voyons  rien  venir 
de  Rome;  donnez-nous  votre  avis  et  celui  de  votre  frère  sur 
«  la  manière  dont  vous  croyez  que  celte  affaire  put  ôtre  réparée 
pour  la  dignité  du  roi  (3).  »  Moins  rassurés  qu'ils  ne  semblaient, 
In  cardinal  et  Tambassadeur  épiaient  toutes  les  rumeurs  de 


(i)  Seraient  à  Pomponoe,  11  octobre.  »  Le  cardinil  d'Estrées  au  mèint. 
5  et  18  octobre.  —  Le  duc  au  roi,  25  octobre  1674.  Rome,  232. 

(2)  9  novembre  et  21  décembre  1674.  Rome,  232  et  233. 

(3)  .Le  roi  au  duc,  13  octobre  et  30  novembre.  —  Pompoooe  au  m^me, 
30  novembre  1674.  Pome,  232  et  233. 


FRANCHISES    ET   QUARTIER    DE    l'aMRASSADE  S66 

Rome,  soudoyaient  les  valets  de  chambre,  subornaient  un  reli- 
gieux avec  lequel  le  pape  disait  son  bréviaire  (1),  et  faisaient 
voler  la  correspondance  d'Altieri  avec  le  nonce  Spada,  pratiqué 
familière  à  la  chancellerie  française  depuis  Mazarih  et 
Lionne  (2)!  Clément  X  embarrassa  singulièrement  MM.  d*Es* 
Irées  et  leur  souverain  en  se  prêtant  d^abord  à  la  fiction  d*une 
querelle  privée  entre  son  ministre  et  les  ambassadeurs.  Puis- 
qu'on plaçait  sa  personne  et  son  autorité  au-dessus  de  ces  dé- 
bats, il  proposa  la  médiation  des  princes  ou  la  sienne  (3)! 
Louis  XIV  refusa  Tune  et  l'autre,  exigeant  qu'Altieri  négociât 
avec  le  palais  Farnëse,  et  que  «  la  discussion,  la  conclusion 
et  l'exécution  »  du  traité  fussent  réservées  au  duc  lui-même. 
Puis  il  ajouta  que,  s'il  avait  décliné  la  médiation  pontificale^ 
c*est  qu'il  n*avait  pas  cru  que  Sa  Sainteté  «  dût  descendre  à 
s'entremettre  d^un  accommodement,  lorsqu'il  était  en  elle 
d'ordonner  la  satisfaction  qu'il  avait  droit  de  se  promettre  (4).  » 
MM.  d'Estrées  avaient  trop  présumé  de  leur  habileté.  Le  bon 
sens  de  Bourlemont  les  avait  cependant  avertis  des  le  début 
qu'ils  s*égaraicnt;  que  cette  confédération  des  quatre  ambas- 
sadeurs, née  d'un  accident,  contraire  aux  intérêts  permanents 
de  leurs  souverains, n'était  pas  durable;  il  écrivait  :  L'alliance 
avec  le  ministre  espagnol,  est  «  d^autant  plus  difficile  à  entre- 
tenir que  nous  sommes  en  temps  de  guerre  entre  les  cou- 
ronnes. »  D'ailleurs^  «  la  conduite  et  le  procédé  du  cardinal 
Nidhard...,  qui  feint  d'être  malade,  qui  ne  se  trouve  plus  aux 

(1)  Le  cardinal  k  Pomponoe,  25  octobre  et  22  novembre.  —  Pomponne  au 
dac,  14  décembre.  —  Le  duc  au  roi,  22  décembre  1674.  Rome,  232  et  233. 

(2)  J'ai  fait  intercepter  un  paquet  du  nonce  de  Paris  au  cardinal  Altieri, 
expédié  extraordinairement  à  un  courrier  qui  avait  déjà  dépassé  Gênes.  J*al 
fait  cela  pour  empêcher  «  que  le  palais  ne  reçût  des  nouvelles  plus  fraîches  de 
quelques  jours  que  je  n*aurai9  fait  parles  dépêches  de  Sa  Majesté.  »  (Le  duc 
à  Pomponne,  9  novembre  1674.  Rome,  232.) 

(3)  «  Cum  post  accuratam  a  nobis  exhibitam  operam  pro  componendis  ora- 
torum  animis  la  negotio  de  quo  Majestatem  Tuam  docuimus,  sollicitis  iidem 
curis  nostris  acquiescere  noluerint,  necesse  unice  duximus  ad  principes  quoa 
ipsi  referont  rei  tractatum  convertere,  omnino  scilicet  nobis  pollicentes  fore  ut 
patemsB  caritativ  nostra)  sensus  eâ  quà  par  est  observantià  filial!  exoipiant,  etc. 
Id  autem  dubio  procul  a  Majestate  Tuà  nobis  prAstandum  enimvero  eonfi- 
dimns,  etc.  »  (Bref  au  roi,  8  novembre  1674.  Rome,  832.) 

(4)  Pomponne  au  duc,  S3  novembre;  le  roi  au  pape,  7  décembre  1(74. 
Rome,  233. 


S56  CHAPITRB   CINOUIÈME 

assemblées,  qui  n'a  pas  voulu  aller  avec  les  autres  quand  ik 
se  sont  mis  en  chemin  pour  aller  à  Taudience  d u  cardinal-neveo 
qui  leur  fui  refusée,  font  voir  peu  de  sincérité  pour  TunioD.  ? 
Les  Espagnols  «  tâchent  d*insinuer  à  cette  cour  que  les  de- 
mandes les  plus  fortes  pour  la  réparation  ne  viennent  point  de 
leur  part)  et  que  leur  ministre  se  trouve  aux  assemblées  pour 
les  modérer  (1).  »  —  Les  deux  branches  de  la  maison  d'Au- 
triche étant  également  menacées  par  Louis  XIV,  la  cour  de 
Vienne  devait  certainement  régler  sur  celle  de  Madrid  sa  cod- 
duite  envers  le  sainl-siège.  Enfin  les  Vénitiens  prenaient  une 
altitude  équivoque  :  leur  ministre,  Mocenigo,  jaloux  de  donner 
du  relief  à  son  ambassade,  paraissait  fort  zélé  pour  MM.  dTs- 
trées  et  pour  la  France;  mais  Basadonna,  son  prédécesseur, 
devenu  cardinal,  soutenait  énergiquemcnl  Allieriet  lepalais(2). 
Les  illusions  des  Français  s^évanouissaient  l'une  après  Tautre: 
les  discours  et  les  écrits  oiiils  déchiraient  Altieri  n'avaient  pas  de 
succès.  Le  cardinal-padrone  ne  s'alarmait  pas,  et  il  avait  rai- 
son; car  jamais  le  pape  ne  lui  avait  été  plus  attaché.  Clément  X 
recevait  de  la  meilleure  grâce  le  duc  d'Estrées,  échangeait  avec 
lui  des  présents  de  confitures  cl  d^oiseaux.  rares,  louait  son 
désintéressement,  et  imputait  volontiers  l'abus  des  franchise^ 
à  la  famifjlia  de  Farnèse;  mais  il  ajoutait  en  souriant  :  «  // 
signore  nmbasciatore  vorebhc  dividere  la  nostra  persona  del 
negotio  (entendant  sans  douto  celui  de  M.  le  cardinal  Altieri), 
ma  questo  non  si pifo{*i)!  »  Le  cardinal  d'Estrées,  moins  prompt 
que  son  frère  à  se  désabuser,  écrivait  :  «  L'esprit  du  pape  n'est 
point,  dans  le  fond,  remis  pour  le  cardinal  Altieri;  mais,  dans 
les  intervalles  des  audiences,  et  dans  l'assulrance  qu'on  lui 
donne  que  les  cours  calmeront  tous  les  troubles  que  les  ambas- 
sadeurs ont  excités  et  assureront  son  repos,  il  ne  s'aliène  pas 
de  nouveau  du  cardinal  Altieri  (4).  »  L'abbé  de  Bourlemonl 
confessait  crûment  la  vérité  :  «  Le  cardinal  Nidhard,  disait-il, 
est  si  mal  suivi  de  ses  nationaux  et  de  ses  factionnaires,  que 


(1)  A  Pomponne,  26  septembre  et  10  octobre  1674.  Romêj  232. 

(2)  Bourlemont  à  Pomponne,  26  septembre;  le  cardinal  d'Estréea  au  même. 
25  octobre  1674.  Rome,  232. 

(3)  Le  duc  à  Pomponne,  15  novembre.  Rome^  233. 

(4)  A  Pomponne,  29  novembre  1674.  Rome,  233, 


PROMOTION    DES   COURONNES  357 

non  seulement  les  principaux  d'iceux  ne  l'assistent  pas,  mais 
lui  sont  contraires  et  adhèrent  au  cardinal  Altieri,  comme  il 
est  public  que  font  les  cardinaux  Porto-Carrero  et  Pio  et  le 
duc  Gaetano  que  j'ai  toujours  vu  ici  le  conseil  des  ambassa- 
deurs de  cette  nation.  Si  le  conseil  d'Espagne  chemine  droit  en 
cette  affaire-là,  les  Espagnols  n'ont  plus  pour  leurs  intérêts 
cette  union  qu'ils  ont  toujours  fait  paraître  à  Rome,  et,  depuis 
le  temps  que  M.  le  cardinal  Nidhard  a  pu  faire  savoir  en  Es- 
pagne leur  mauvais  procédé,  il  y  aurait  remédié,  et  il  n'y  a 
pas  un  de  ces  gens-là  qui  voulut  désobéir,  si  on  leur  comman- 
dait tout  de  bon.  Gela  fait  reprendre  cœur  au  cardinal  Âltieri. 
et  le  pape  se  déclare  plus  en  sa  faveur  qu'il  ne  faisait  aupara- 
vant (1).  » 

MM.  d'Estrées  entrevoyaient  le  terme  prochain  de  cette  indis- 
soluble union  et  cherchaient  à  la  reconstituer  sous  un  prétexte 
plus  sérieux  qu*un  tarif  de  douane  et  le  refus  d'une  audience 
commune  :  ils  voulurent  perpétuer  le  conflit  en  le  couvrant  du 
nom  et  des  intérêts  de  leur  cour.  Ils  persuadèrent  au  roi  qu'il 
était  en  droit  do  réclamer,  avec  la  réparation  exigée  par  les 
ambassadeurs,  une  promotion  de  cardinaux  pour  les  cou- 
ronnes. 

On  se  rappelait  bien,  à  Saint-Germain,  que  Glément  X  était, 
pour  les  promotions,  en  avance  avec  les  princes  et  que 
Louis  XIY  était  le  moins  fondé  de  tous  à  demander  alors  un 
cardinal  national.  Élu  au  mois  d'avril  1670,1e  souverain  pon- 
tife avait  créé  quatorze  cardinaux,  dont  cinq  nationaux,  et  sur 
les  cinq,  deux  étaient  français,  MM.  de  Bonsy  et  d'Estrées.  La 
cour  de  France  avait  un  autre  motif  de  se  montrer  plus  réser- 
vée dans  ses  prétentions,  c*est  que  déjà,  sous  le  précédent 
pontificat,  l'égalité  avait  été  violée  à  son  profit  :  elle  avait 
demandé  et  obtenu  le  chapeau  du  cardinal  de  Bouillon  par  an- 
ticipation sur  le  prochain  tour  des  couronnes.  Louis  XIV, 
malgré  les  justes  griefs  que  Rome  avait  contre  lui,  y  était  donc 
mieux  traité  que  les  souverains  les  plus  favorisés,  lorsque  tout 
à  coup  le  cardinal  d'Estrées  lui  suggéra  la  pensée  d*exigor 
une  promotion  immédiate  de  sujets  nationaux,  qui  compren- 

(i)  A  Pomponne,  4  janvier  1675.  Rome^  236. 


SB8  CHAPITRB  CnfQUfftMS 

drait  l'évèque  de  Marseille,  présenté  par  le  roi  de  Pologne. 
M.  de  Forbin-Janson,  qui  craignait  que  Sobieski  ne  se  ré- 
tract&t,  recommandait  ses  intérêts  à  MM.  d'Estrées  (1),  eiiis 
engagèrent  Taffaire  avant  d'avoir  reçu  les  ordres  du  roi,  sou 
prétexte  de  prévenir  Télévation  de  prélats  trop  agréables  à  la 
maison  d'Autriche  (2).  Leur  prétention  parut  d*abord  témé- 
raire, et  Pomponne  répondit  :  «  Je  ne  vois  pas  que  Sa  Majesté, 
jusques  àcequ'elle  ait  pris  sa  résolution  pour  la  nomination  des 
couronne»,  voulût  s*opposerà  celle  de  M.  Pig-aatelli,  ni  mèoK 
disputer  avec  le  palais  sur  les  chapeaux  qu*il  voudrait  donner 
aux  nonces  de  Madrid  et  de  Vienne.  Je  vous  prie  seulement 
de  me  mander  si,  comme  il  en  a  paru  quelque  chose,  il  y  a 
déjà  assez  longtemps,  dans  vos  dépêches,  TËoipereur  et  l'Es- 
pagne continuent  à  demander  la  promotion  des  couronnes  (3).> 
Le  cardinal  d'Estrées  ne  put  dissimuler  qu'il  n'était  venu  d'ins- 
truction ni  de  Vienne  ni  de  Madrid,  et  que  les  cardinaux 
Nidhard  et  de  Hcssc^  ministres  de  ces  deux  cours,  suivaient, 
dans  cette  aiïaire  comme  dans  celle  des  franchises,  rimpaUion 
de  l'ambassade  française  :  «Il  est  constant,  dit-il,  que  ces  deux 
prélats  témoignent  souhaiter  ouvertement  que  uous  eussions 
des  ordres  de  pousser  la  nomination  du  roi  et  que  le  cardinal 
Altieri,  comme  je  crois  vous  Tavoir  mandé  Tannée  passée, 
les  (4)  appréhendait  extrêmement,  se  persuadant  que  les  deux 


(i)  Le  duc  et  le  cardinal  à  Tévèque  de  Marseille,  30  juiUet  et  10  août  1674. 
Rome,  230  et  231 . 

(2)  Je  crois  savoir  qu'eu  cas  de  vacance  de  trois  chapeaux,  le  cardinal  Altiert 
les  ferait  donner  à  Mareacotti  et  à  Alberizzi,  nonces  à  Madrid  et  à  Vienne,  et 
à  Pignatelli,  secrétaire  de  la  Congrégation  des  Réguliers,  Napolitaia.  Ce  sertit 
un  triomphe,  au  moins  apparent,  pour  les  Espagnols  :  ou  pourrait  empèdier 
cette  promotion  en  intimidant  Altieru  (Le  cardinal  à  PompooDe,  23  mai  1674/ 
—  Je  lui  disque  cette  promotion  serait  mal  vue  par  le  roi.  N'ayant  pas  d'ordre 
j'ai  cru  devoir  faire  cette  ouverture  pour  réserver  à  V.  M.  la  faculté  de  prendre 
le  parti  qu'elle  voudra.  (Le  duc  au  roi,  6  juin.)  —  •«  M.  TambassaJeur  reod 
compte  à  S.  M.  de  la  mauière  dont  il  a  traité  le  plan  de  cette  promotion  pré- 
tendue, dont  j'avais  été  averti.  M.  le  cardinal  Aîtieri  a  paru  ne  30U{>r:oDDer 
iiucun  art  dans  son  discours;  mais  quand  même  il  rannit  pénétré  ou  sVa 
serait  délié,  cette  précaution  peut  être  ou  un  moyen  de  le  détruire,  ou  uu 
titre  très  authentique  pour  le  reprocher,  si  jamais  il  IVxécute.  »  (Le  carJiual 
à  Pomponne,  môme  jour.  Homey  2.i0.) 

(3)  Au  duc,  21  juin.    Rome,  230. 

(4)  Ces  ordres. 


PROMOTION    DES   COURONNES  8S9 

autres  (1)  ne  le  tourmenteraient  pas,  comme  il  est  arrivé^  ou 
lai  donneraient  peu  de  peine,  s'ils  n'étaient  unis  et  concertés 
avec  Tambassadeur  de  Sa  Majesté.  Quand  elle  voudra  qu'oa 
fasse  quelque  diligence,  il  nous  sera  aisé  de  faire  inspirer  à  ces 
deux  cardinaux,  par  des  voies  secrètes  et  assurées,  le  désir  de 
se  joindre  à  nous  (2).  »  Pomponne  résistait  encore;  il  bornait 
alors  son  ambition  à  faire  accepter  en  principe  la  présentation 
de  M.  de  Forbin-Janson  et  prévoyait  un  long  délai  :  c(  Votre 
Éminence,  disait-il,  ne  sait  pas  peut-être  qu'étant  uni  au  point 
que  je  le  suis  d'amitié  et  d'alliance  avec  M.  Tévèque  de  Mar- 
seille, je  ressentirai  autant  que  lui-même  l'obligation  qu'il  lui 
en  aura.  Il  s'agit  d'attendre  une  promotion  des  couronnes,  et 
c'est  ce  que  j'appréhende  que  M,  le  cardinal  Allieri  ne  travaille 
à  différer  longtemps  (3).  » 

Le  cardinal  d'Ëstrées  persuada  enfin  sa  cour  que  son  grand 
crédit  auprès  des  cardinaux  Nidhard  et  de  Hesse  et  des  factions 
Cbigi  et  Rospigliosi  ne  pouvait  manquer  de  faire  réussir  son 
projet,  et  il  reçut  pour  son  frère  et  pour  lui  les  ordres  qu'ils 
sollicitaient.  Le  roi  lui  écrivit  :  «  Mon  intention  est  que  vous 
vous  déclariez  de  la  juste  raison  que  j'ai  d'attendre  de  Sa  Sain- 
teté une  promotion  pour  les  couronnes.  Le  désir  que  le  car- 
dinal Nidhard  et  le  landgrave  de  Hesse  en  ont  fait  paraître  (4) 

(i)  Les  cardinaux  de  Hesse  et  Nidbard. 

(2)  A  Pompooae,  4  juillet  1674.  Rome,  230. 

(3)  Au  cardinal,  20  juillet  1674.  Rome,  230. 

(4)  SupposiUoQ  puérile  du  cardinal  d'Estrôes,  dont  le  roi  et  Pomponne 
s'étaient  d'abord  défiés  et  qu'ils  auraient  dû  rejeter  jusqu'à  la  un.  Comment 
ces  deux  cardinaux,  représentant  à  Rome  les  deux  branches  de  la  maiaon 
d'Autriche,  se  seraient-ils  prêtés  sincèrement  i\  une  manœuvre  qui  avait  pour 
but  de  mettre  obstacle  à  une  promotion  de  cardinaux  favorables  à  ces  deux 
coars?  Voir,  dans  une  note  précédente,  la  lettre  du  cardinal  d'Estrées,  du 
23  mai,  et  ceUe  de  son  frère,  du  6  juin  (Rome,  230),  dont  l'abbé  Servient  re- 
produit les  termes,  le  il  juillet  (môme  volume)  :  «  Le  pape  ne  se  porte  pas 
fort  bien.  Le  cardinal  Brancaccio  et  d'autres  encore  sont  fort  baissés.  On  te 
promet  la  promotion  au  mois  d'août.  11  est  certain  que,  si  M.  l'ambassadeur 
a  le  moindre  ordre  de  parler  directement  ou  indirectement,  Us  n'oseront  faire 
eeiU  des  deux  nonces  autrichiens,  ce  qui  est  toujours  regardé  comme  un  affront 
poar  la  France,  mais  le  plus  considérable  qu'elle  puisse  recevoir  en  cette 
cour  dans  la  conjoncture  présente,  n  II  n'y  avait  pas  à' affront,  ou,  s'il  y  en  avait 
OD,  il  était  pour  l'Empereur  et  pour  l'Espagne  ;  car,  sur  les  trois  noncea  qui 
généralement  ne  sortaient  de  charge  que  pour  entrer  au  saei^  eoUège,  il  en 
était  un  qui  avait  déjà  reçu  la  pourpre  depuis  plus  d'un  an,  le  12  juin  1673, 


560  CHAPITRE   CINQUIÈME 

appuycra  encore  davantage  la  demande  que  vous  en  ferez. et 
il  importe  même  en  quelque  sorte  pour  ma  dignité  que,  lors- 
qu'il est  public  à  Rome  que  je  n'ai  pas  sujet  d'être  contedi 
de  la  manière  dont  le  palais  a  agi  avec  moi,  on  y  voie  qoeje 
me  mets  en  état  de  tirer  du  pape  une  grâce  qui  m'est  égal^ 
ment  acquise  par  le  droit  et  par  l'usage.  Je  crois  même  quli 
m'est  plus  avantageux  en  cela  de  donner  l'exemple  à  TEmpe- 
reur  et  à  l'Espagne  que  de  me  joindre  seulement  à  la  demande 
qu'ils  en  auraient  faite  les  premiers.  Je  désire  que  vous  vous 
expliquiez  au  pape  et  au  cardinal  Altieri,  en  la  manière  lapins 
favorable  et  la  plus  honnête  que  vous  pourrez  le  faire,  deTal- 
tente  où  je  suis  que  la  première  promotion  sera  celle  des  cou- 
ronnes. »  Et  Pomponne  écrivait  le  même  jour  au  cardinal 
d'Estrées  :  «  Votre  Éminence  verra,  par  la  lettre  de  M.  lam- 
bassadeur,  que  le  roi  a  fait  réflexion  sur  ce  que  vous  lui  avez 
écrit  touchant  la  promotion  des  couronnes.  Si  M.  le  cardinal 
Nidhard  a  attendu  que  Sa  Majesté  s'en  déclarât,  il  se  trouvera 
en  état  de  suivre  son  exemple,  et  on  pourrait  détourner  en 
celte  sorte  la  première  promotion  que  le  cardinal  Altieri  parait 
avoir  dessein  de  faire  toute  tomber  sur  des  sujets  attachés  à 
la  maison  d'Autriche  (1).  » 

Ni  le  droit  m  fusage  ne  justifiaient  la  demande  de  Louis  XIV. 
Les  cardinaux  dits  nationaux  doivent  nécessairement  être 
beaucoup  moins  nombreux  que  les  autres,  et  les  papes  sont 
maîtres,  quelques  vides  qu'il  y  ait  à  remplir,  de  fixer  le  temps 
des  promotions  :  il  ne  peut  donc  pas  y  avoir  entre  elles  d'al- 
ternative proprement  dite  et  réj^^lée.  Leur  ordre  et  leur  étendue 


Nerli,  le  nonce  de  France!  Et  MM.  d'Estrées  avaient  alors  célébré  son  éléva- 
tion comme  un  triomphe  du  parti  français!  Le  dac  d'Estrées  écrivait  au  roi 
(12  et  14  juillet  1673.  HomCf  226)  :  '<  La  promotion  du  nonce  de  France,  quoique 
déguisée  sous  le  titre  de  secrétaire  d*État,  a  été  fort  remarquée  par  le  sacré 
collège  et  jagée  avautageuse  à  V.  M.,  les  nonces  d'Espagne  et  de  Vienne 
ayant  été  7i&/lùjés.  »  Il  n'y  avait  eu  ui  préférence,  ni  affront,  ni  négligence. 
La  mort  imprévue  du  cardinal  Borromeo,  secrétaire  d'État,  arait  forcé  CJé- 
mcnt  X  de  rappeler  subitement  Nerli  pour  en  faire  son  ministre,  et  il  l'avait 
aussi  rev(Hu  d'une  dignité  presque  inséparable  de  ses  nouvelles  fonctions.  S'il 
n'avait  pas  promu  avec  lui  les  nonces  de  Vienne  et  de  Madrid,  c*est  qails 
n'étaient  pas  arrivés  au  terme  de  leur  mission  et  qu'il  n'y  avait  pas  d'autres 
cbapcaux  à  distribuer. 
(1)  Le  roi  et  Pomponne  au  duc,  27  juillet  et  10  août  1674.  Home^  230  et  231. 


PROMOTIONS    DES    COURONNES  561 

dépendenl  de  la  durée  des  pontificats,  du  nombre  des  vacances 
et  d'autres  événements  ou  circonstances  impossibles  à  prévoir. 
Sans  doute  certains  usages  s'introduisent,  mais  qui  peuvent 
varier  sous  chaque  règne  :  ainsi  Clément  IX  et  Clément  X  ont 
fait  des  promotions  fréquentes  et  de  peu  de  sujets.  Innocent  Xl 
qui  leur  succéda  n'en  fit  que  deux  en  treize  ans.  Tune  de  seize, 
l'autre  de  vingt-sept  cardinaux.  La  coutume  s'établit  peu  à  peu 
de  réunir  tous  les  nommés  des  princes  dans  une  même  promo- 
tion, dite  des  couronnes,  même  lorsqu'elle  comptait  un  plus  ou 
moins  grand  nombre  de  créatures;  mais  le  tour  des  princes 
ne  pouvait  revenir  assez  souvent  pour  que  la  constitution  du 
sacré  collège  fût  allérée  et  l'indépendance  pontificale  mise  en 
danger  par  une  proportion  trop  forte  de  sujets  nationaux.  Cette 
sorte  de  roulement  n*avait  jusque-là  donné  lieu  à  aucune  con- 
testation sérieuse,  quoique  les  princes  eussent  été  les  premiers 
à  trdubler  Tordre  tacitement  convenu,  eu  sollicitant,  et  quel- 
quefois en  imposant  (1),  la  création  d'un  cardinal  national,  en 
avance  ou  anticipation  sur  la  prochaine  promotion  des  cou- 
ronnes. L'avance  du  chapeau  obtenu  par  la  France  pour  le 
jeune  abbé-duc  d'Albret  (2),  à  l'occasion  du  secours  de  Candie, 
fournissait  précisément  à  Louis  XIV,  avec  l'acceptation  de 
deux  Français  comme  candidats  de  la  Pologne  et  du  Portugal, 
un  prétexte  bien  inattendu  pour  tourmenter  Clément  X.  Car, 
les  autres  cours  étant  fondées  à  se  plaindre  de  cette  inégalité 
de  traitement,  les  grâces  extraordinaires  concédées  à  la  France 
par  la  promotion  de  Bouillon,  de  César  d'Ëstrées  et  de  Bonsy, 
avaient  dû  être  compensées  par  celle  de  Tabbé  de  Fulde  pour 
l'Empereur,  de  Porto-Carrero  et  de  Nidhard  pour  l'Espagne 
et  de  Basadonna  pour  Venise. 


(1)  Mazarin  n'obtint  le  chapeau  Je  son  frère  que  80U3  le  coup  de  la  terreur 
inspirée  à  Innocent  X  par  les  sièges  d'Orbitello  et  de  Piombino. 

(2)  Et  poar  quels  hommes  la  cour  de  France  réclamait-elle  ces  faveurs? 
Pour  un  Michel  Mazarin,  que  son  frère  fait  nommer  en  quelques  années  ar- 
chevêque, cardinal,  vice-roi  de  Catalogne,  et  dont  la  carrière  extravagante  est 
heureusement  interrompue  par  une  mort  prématurée!  Pour  un  duc  de  Mer- 
cœnr,  fils  d*un  b&tard  royal,  veuf  d'une  nièce  de  Mazarin,  encore  laïque  et 
attendant  sa  promotion  pour  entrer  dans  les  ordres  :  Tajournement  do  cette 
grâce  fut  une  des  causes  delà  haine  dont  le  roi  poursuivit  Alexandre  VIII  Pour 
un  cardinal  de  Bouillon  I 

LOOIB  ZIT  R  LB  SAUIT-SIÈGB.  —  II.  36 


562  CHAPITRE   CINQUIÈME 

Eq  vue  de  concilier  des  préteations  si  opposées,  ClémeolK 
rt  ('lémeat  X  avaient  divisé  à  l'excès  leurs  promotions,  et  la 
Français  en  profilaient  pour  embrouiller  ralternative  (i).  Di 
voulaient  faire  oublierle  chapeau  du  cardinal  de  Bouillonet^ 
croire  que  la  promotion  accoutumée  des  trois  nonces,  commea- 
céelc  i2  juin  1673,  était  incomplète.  On  s'attend,  disaitBoiu^ 
lemont  (2),  à  une  promotion  de  trois  cardinaux.  «  Commele 
iionci'  qui  est  en  France  (3)  ne  serait  pas  cardinal  à  ladite  pro- 
moîion  où  Ton  ferait  les  nonces  d'Allemag'ne  et  d'Espasne, 
contre  la  pratique  ordinaire,  il  se  dit  par  avance  ici  quence 
cas  celle  promotion  des  deux  susdits  nonces  serait  une  suite 
à  celle  [du  12  juin  1673]  où  Ton  fit  le  cardinal  Nerli,etqaainâ 
Ton  ferait  successivement  en  deux  promotions  les  nonces  des 
trois  couronnes.  »  Ce  n'était  pas  une  défense  inventée  après 
coup  :  le  pape  s'en  était  expliqué  ouvertement,  au  témoi:niac< 
de  cet  abbé  lui-même,  qui  écrivait  un  an  plus  tôt:  «  ,..  11  v« 
a  qui  disent  que  cette  réserve  d'un  cardinal  in  petto  (4)  est  un 
levain  pour  faire  sortir  ime  autre  petite  promotion,  quisen 
dite  n'être  que  la  suile  de  celle-ci  aux  premiers  chapeaux  va- 
cants ;  mais  le  pape  est  trop  juste  pour  faire  ce  tort-là  aui 
couronnes  qui  s<;:it  en  tour  d'avoir,  aux  premières  vacance?, 
leurs  chapeaux  nationaux.  L'avance  du  chapeau  national  quVal 
le  roi  pour  M.  le  cardinal  de  Bouillon  fut  bien  récompensée 
par  tant  de  troupes  envoyées  en  Candie,  et  l'Empereur.  Vh- 
pagne,  la  Pologne  et  les  Vénitiens  ont  eu  successivement  les 
leurs  à  bon  marché.  »  —  <(  L'on  remarque  ici,  disait  encor? 
BijurieniùnU  que  de  quatorze  cardinaux  que  le  pape  a  déjî 
faits  en  cinq  i)ri>motions,  il  n'y  en  a  pas  un  de  nomination  pour 
France.  etcei)endant  l'Empereur,  rEsDao:ae,Poloe-ne  Porlu- 
gai  et  Venise  ont  eu  leurs  naliikuaux  5;.  »  La  réponse  est 
facile  et  péremptoire.  Le  droit  île  présentation  n'a  été  attribué 
à  certains  princes  qu'au  nom  et  pour  le  bien  de  leur  État  et 


,;•  <;«'?t  HourlcQiontqui  fait  ce  reproche  a  Clémeul  X.  (A  Pomponne,  IS  scf- 

yj    Lo  iii-Miie  iiu  lu»*  me,  15  août  1674.  Rome.  liol. 
:.)  Spul.i,  suoces^our  de  Nerli. 
(+)  Foderico  Bal  Icschi. 
vô)  A  Pouipoon?,  iS  septembre  1674.  Home,  231. 


PROMOTIONS    DES    COLRONNES  363 

sans  impliquer  la  faculté  d'exercer  celle  prérogative  dans 
d*aulres  royaumes.  Si  un  pape  le  leur  permet,  c'est  à  titre  de 
grâce  et  d'exception,  et  les  cardinaux  ainsi  nommés  conservent 
le  caractère  national  do  leur  pays  d'origine.  César  d'Estrées, 
évèque  de  Laon,  et  Bonsy,  archevêque  de  Toulouse,  sujets 
français,  n'ont  jamais  eu  de  lien  personnel  avec  l'Église  catho- 
lique en  Portugal  ou  en  Pologne  :  chacun  d'eux  a  toujours  été 
cardinal  national  de  France  et  n'a  jamais  été  que  cela.  La 
vérité  est  donc,  même  en  omettant  le  chapeau  du  cardinal  de 
Bouillon,  que  les  cinq  promotions  rappelées  par  Bourlemont 
avaient  donné  deux  cardinaux  nationaux  à  la  France,  tandis 
que  l'Empereur,  l'Espagne  et  Venise  en  gagnaient  un  seul  (3), 
et  que  la  Pologne  et  le  Portugal  ne  recevaient  rien,  par  la 
faute  des  souverains  de  ces  pays,  qui  n'avaient  présenté  aucun 
de  leurs  sujets. 

Comment  les  cours  de  Vienne  etde  Madrid  se  seraient-elles 
unies  à  celle  de  France  pour  exiger  du  pape  une  réparation 
identique,  quand  elles  ne  pouvaient  pas  même  s'entendre  entre 
elles  sur  l'existence  d'un  grief  conjmun?  MM.  d'Estrées  l'a- 
vouaient secrètement  au  roi  :  «  Le  cardinal  iMdhard  est  prêt  à 
nous  suivre;  »  mais  ils  ajoutaient  aussitôt  :  C'est  un  homme 
c(  d'un  esprit  particulier  et  fort  attaché  à  ses  sentimeuts  et  à 
ses  idées.  Il  s'imagine  ({ue  le  fondement  sur  lequel  il  faut  pré- 
tendre la  promotion  des  couronnes  no  regarde  que  la  France 
et  l'Espagne  :  sur  quoi  même  il  n'est  pas  d'accord  avec  le 
cardinal  landgrave,  qui  prétend  avec  raison  de  n'avoir  reçu  le 
chapeau  de  Baden  (I)  que  sur  le  compte  de  la  promotion  im- 
parfaite de  Clément  IX.  Le  cardinal  Nidhard  prétend  donc 
que,  dans  ce  ponlilicat,  l'Empereur,  la  Pologne  etlarépuhlique 
de  Venise  ayant  été  satisfaits,  et  son  chapeau  et  le  mien  accor- 
dés seulement  par  recommandation,  la  France  et  l'Espagne 
sont  en  droit  de  demander  qu'on  les  satisfasse  après  avoir 
soulfert  que  le  pape  fît  une  [iromotion  de  ses  créatures,  et  ue 
s'aperçoit  pas  qu'il  tombe  justement  dans  l'expédient  que  le 
cardinal  Âlticri  imagine,   en  cas  (]ue  le  [)ape  dure  quelque 


(L)  L'abbé  de  Fuido,  Milliard  et  Rasadouua. 
(2)  Marquid  de  liadeii,  abbé  de  Fulde. 


564  CHAPITRE   CINQUtÈBIB 

temps,  pour  sauver  deux  ou  trois  chapeaux,  après  avoir  rem- 
pli pour  lui  les  deux,  trois  ou  quatre  premiers  qui  pourronl 
vaquer...  On  tâchera  de  lui  faire  entendre  raison  (1).  » 

D'un  autre  côté,  de  quel  droit  le  roi  de  France,  après  avoir 
récemment  substitué  Tarchevèque  de  Toulouse  à  un  Polonais, 
venait-il  encore,  avec  tant  d'empressement,  imposer  un  de  ses 
sujets,  Tévêque  de  Marseille,  au  roi  de  Pologne  et  au  pape, 
lorsqu'il  n'avait  pas  désigné  à  Rome  son  propre  candidat?  D 
n'était  pas  même  sûr  que  Sobieski  persistât  à  présenter  Forbin- 
Janson.  Aussitôt  après  son  élection,  dans  un  moment  de  sur- 
prise, obsédé  par  la  reine  et  par  Tévêque  de  Marseille,  il  avait 
signé  la  lettre  officielle  de  nomination;  mais  le  pli  expédié 
au  cardinal  Orsino,  protecteur  de  Pologne,  ne  devait  pas  être 
remis  au  pape  sans  un  ordre  de  la  main  royale,  qui  ne  vint 
jamais.  Sobieski,  au  contraire,  chargea  son  secrétaire  italien 
d'inviter  confidentiellement  Orsino  à  ne  se  point  bâter;  mais 
ce  cardinal,  pensionnaire   de   la    France   et    subjugué  par 
MM.  d'Estrées  qui  prévoyaient  une  rétractation,  désobéit  au  roi 
de  Pologne  et  rendit  la  lettre  au  pape  (2). 

Le  cardinal  d'Estrées  prétendait  que,  contester  à  la  cou- 


(1)  A  Pomponne,  5  septembre  167 i.  —  Le  cardinal  Nidhard  prétend  tou- 
jours que  le  cardinal  de  Hesse  ne  doit  pas  parler  de  la  nomination  de  TEui- 
pereur,  disant  «  qu'elle  a  été  remplie  avec  celle  de  Pologne  et  de  Veuièe  par 
la  promotion  de  MM.  les  cardinaux  Bonsy,  Bade  et  Basadonoa,  et  que,  pour 
rendre  celle  des  couronnes  complète,  il  sufQt  de  donner  un  cbapeau  à  la  Frau<:e 
et  un  autre  à  l'Espagne...  >«  (Le  duc  au  roi,  12  septembre.  Rotnc^  231.) 

(2)  «  M.  le  cardiual  Ursin  m*a  montré  confidentiellenieut  et  sous  le  secret 
une  lettre  du  secrétaire  italien  du  roi  de  Pologne,  qui  lui  mande  que  son  io- 
ieutioo  est  que  Tonne  déclare  pas  la  nomination  de  M.  de  Marseille  jusqu  à  ce 
qu'on  ait  réglé  avec  le  cardinal-neveu  le  secours  d'argent  que  l'on  attend  liu 
pape.  C'est  un  artifice  des  ennemis  de  M.  de  .Marseille,  ainsi  que  je  l'ai  repré- 
senté au  cardinal  Ursin  et  qu'il  ferait  un  graud  service  au  roi  de  ne  pas  re- 
tarder la  nomination  de  ce  prélat.  »  (Bouriemont  à  Pomponne,  25  juillet.  Romi', 
230.)  •—  Nous  dirigeons  le  cardinal  Ursin  :  nous  lui  conseillons  d'exiger  uue 
prompte  décision  et  de  déclar  er  au  palais  «  qu'il  ne  se  chargerait  pas  de  la  rt^- 
ponse  sur  les  décimes,  si  elle  n'était  accompaguée  de  celle  que  nous  préten- 
dons avoir  à  la  lettre  de  uomiuatiou.  »  (Le  cardinal  d'Estrées  au  môme,  15  août. 
Romcy  231.)  —  H  L'on  approuvera  sans  doute  le  parti  que  M.  le  cardiual  Ursiu 
a  pris  de  rendre  la  lettre  au  pape  et  à  M.  le  cardinal  Allieri,  bien  que  le  roi 
de  Pologne  ne  lui  eu  eût  point  écrit  de  particulière  ;  mais  en  tous  cas  le  roi  or- 
donne à  M.  l'évoque  de  Marseille  de  combattre  les  plaintes  qu'on  en  pourrait 
faire.  >*  (Pomponne  au  cardinal  d'Estrées,  24  août  1674.  Rome^  231.) 


PROMOTIONS    DBS   COURONNES  Î565 

>  ronne  de  Pologne  le  droit  de  désigner  un  prélat  étranger, 
:.  «  c'était  blesser  la  royauté  dans  son  essence  »  (i).  Louis  XIV 
;  aimait  les  évêques  qui  proclamaient  de  pareils  principes,  et  il 
.  feignait  d'oublier  que,  deux  ans  auparavant,  le  prédécesseur 
.  de  Sobieski  ayant  présenté  au  cardinalat  Gonzaga  di  Bozzolo, 
sujet  étranger  mais  se  rattachant  du  moins  à  la  Pologne  par 
Louise-Gonzague  de  Nevers,  veuve  duroiWladislaset  femme 
du  roi  Jean-Casimir,  il  s'était  lui-même  opposé  à  cette  pro- 
motion. Le  19  août  i672,  il  faisait  écrire  par  Pomponne  au 
même  cardinal  d'Eslrées  :  «  Sa  Majesté  remet  de  même  à  la 
prudence  de  Votre  Éminence  et  à  votre  conduite  à  traverser 
secrètement  par  les  voies  que  vous  jugerez  les  plus  propres, 
la  nomination  que  la  Pologne  pourrait  faire  d'un  Gonzague, 
et  de  faire  que  cette  couronne  rentre  dans  l'usage  ordinaire  de 
la  faire  retomber  sur  les  nonces  (2).  »  Le  22  novembre  1673, 
Tabbé  de  Bourlemont  disait  à  Pomponne  :  a  M.  le  cardinal  Ursin 
a  fait  instance  au  pape  pour  le  chapeau  national,  selon  la  no- 
mination que  le  roi  de  Pologne  a  faite  d'un  Gonzague  de  Be- 
solo  (3)...  Celle  cour  n'a  jamais  demeuré  d'accord  du  droit  de 
nomination  du  roi  de  Pologne...  Si  le  cardinal  Altieri  accepte 
sans  façon  la  nomination  présente...  en  la  personne  dudit 
Gonzague  que  l'on  sait  èlre  aussi  espagnol  que  M.  de  Bonsy 
est  français,  il  veut  obliger  sensiblement  les  Espagnols  et  il 
n'y  a  pas  de  doute  qu'ils  le  font  recommander  (4).  » 

La  cour  de  France  changea  de  langage  en  1674,  et  l'on  va 
voir  comment  elle  reconnut  la  grâce  faite  à  M.  de  Bonsy. 
Louis  XIV  écrivit  à  son  ambassadeur  (5)  :  «  Quelque  peine 
que  le  palais  témoigne  que  la  Pologne  s'accoutume  à  nommer 


(1)  A  révoque  de  Marseille,  13  août.  Rome,  231. 

(2)  Ce  BODt  les  évoques  polonais  qui  avaient  donné  lieu  À  cette  substitution. 
«  Comme  cette  dignité  [do  cardinal],  dit  Pomponne  dans  ses  Mémoires  (t.  il, 
p.  3),  n'était  point  recherchée  par  les  prélats  polonais  qui  se  croient  assez 
élevés  par  la  leur  propre,  et  qu'elle  les  embarrasserait  pour  le  rang  dans  les 
diètes  qu'ils  estiment  plus  que  toute  chose,  les  rois  nauaienl  nommé  depuis 
très  longtemps  que  les  nonces  du  pape  qui  résidaient  auprès  d'eux,,.  L'affaire  de 
Portugal  recevait  encore  plus  de  difûculté...  » 

(3)  Bozzolo,  dans  le  Milanais. 

(4)  nome,  228. 

(5)  24  août  1674.  Aom«,  231. 


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V  .  -  ji-:.-.  n  iin-  -  ^l'iin  -1  Aliu.-rî  r*"»ir  .?e  oui  mererari*, 
:-.  .-  .1  .-ir-  •:•:  •  vr.  :i  i;;i  l-m'izrrez  en  mon  nom  c<.'nib:-a 
■  "::■.:. ri  '  1-v*  '•':'-*i  •!••  m'»-  l'na-.-r  «rue,  r«t>ur  exolure  u"  -ie 
'i:  *  -  .'  ->.  '..  v.iii.  -  t'i'*'*:^  .^  r-'î  J*^  P«-'I«»^n»:-  d'un  iir«.»iL  «i  cl 
—  '  >.    .  ..,<  ;:r-     îi"  »■-■.•  i-ri  {■'^^r-^sion  ju'iquL»s  ;i  cetlv  heure 

•  *  *:  U'  i-  :■  î:  ■  .i  -i:  •■::<•'  li»--  n>  si  p- u  d*'  [en\i'^  ^-n  »ii  i.trrs^DL'?, 
■:ii  ."■i.ri  il  .■;  li-  ::-;.  2  .  :i  L»^  lu-;  ii'K>îrées  prit  |m  ton  i^^'ius 
il  i.:  i!  .  :•.!::•  ir.t:'.»  !.;;:•'.'  Il  «i-inriir  du  roi  :  il  reven-liaui-^ 
dr-i*  .i  iiiK'O-i-r  >oïi  :rr.»-[vrn  .'»n  entre  U*  roi  de  Pit!i>2^nf»  et  Ir 
T. .'M.-.  <  .ii-i  riv-i'-xN'  •!'!»•  1  a?r.iiï».'  întêrf<sail  un  suiet  de  s*:-!! 
iii'iïr*'.  ♦•*  i:  ••xi-''-i  'i  i-'n  *i"  pr-»nonçAt  sans  délai  sur  la  lettre 
f!».  :••  ;i:'r"»rli}t'  r.'ir  !••  .Mr^lriii  <>rsino.  Vain».Mn»»nî  Aîîieri  til 

•  •;•-  »■  •  !'  i:!i'.*  «•  t.'liit  'ii'MMnl'T  n  iii  i»:is  <■  unr-  rénon>f  iniiiTt- 
l'.'it-.  ::  :iis  î.r 'iif'-Mivnî.  un»' .trciTilili  in  anrt-s  la-iu».'!!».- un  ne 
[■'»u:r  li:  inii^  îl-^jnit»-!' :  «jii-  i«*  ri-fiis  île  colle  réponse  rfoîait 
j»:^  iif:»'  îiéjaiv.'.  i  iii^ijM»'  1»*  pa]»*  avait  r.-çu  la  lettre  du  n»: 
':■■  i*  ■,'•<_ II''  «-t  r.'i\:i:l  i.'Uv-'i-t»'  s.iris  !a  rfnv.»\i'r.  i>  La  réflexion 
iIm  ■  ariiii  i.  '-itit  >i  jn<'f  i[ii"  I  iiini).*i<sailfur  ilit  à  Li")uis  XIV  : 
"  0  r-l  m  ••!:»'t  «ni'liiur  rMmse,  mais  il  se  faut  bien  irarder  «1  •  îi 
f''»[iv«'riir.  ■  Aii-'-i  pinir-iiiil-il  si»ri  dismurs  eu  nienaçanl  Allifri 
'!♦•  la  v»*riL'«"iii'«»  p"'r.>niiiirile  du  roi,  et,  lorsque  le  caniinal- 
:.♦•..  Il  -:'  r.  tr.ui'"i.«*  •!•  rii«.T«*  la  vnlnnlé  Ju  pape  :  Je  répliqiiti, 
ériii  II'  iji]»-,  .  «jur  ).'  n»'  pouvais  nreinpèolier  de  lui  dire  qui! 
IH*  Hi«*  (:i«»yail  [-as  sans  doule  assrz  mal  habile  pour  être  per- 

1    l-.'i  ri.ili'm'ilit.'   •]♦•  K'trMii-.hnfoii. 

_  L"  fti  iii  <îii'',  7  .-f'îtlt'iiilir.»  {C'i't.  —  Pomponiip  ajoutait  dans  une  l»Mtrf 
r.-.r-iriil..  I  r.  ri-.'';ii"  jit.ii'  >\',>tiu\  j.M  .  :  <■  C'f?t  il<nnn:."  uru».  trop  gr'aii'.ie  hîa:- 
<jii.-  tif  ////'•  iii  iff  ijii-'  (11*  v.»!!!«j!r  î.iirp  ti>:'t  au  mi  do  poloifut»  pour  n^  pr.^ 
fiiinriM'r  A'  /*•*/.  ■>  (/»■«<!  in<  iiît»':!  i!»!»"".  I'r»''i'i'»?iuciit  pircc.'  »pie  le  r'>i  «i.»  France 
.iv.il  il'-  (1.  j.i />// 'y/N/'.  m  li.TJ.  p-ii' 1.1  ii'uniiijition  (ie  lJ(Mj«y,  il  DO  pouvait  ropra- 
rlnr  .111  [MjM'  Ir  r'fii^  «l'uin:  innivolle  farriir,  dout  les  autres  courourics  étaient 
fondre-*  ii  tii-  )d.-iiu  Ire  et  à  réclamer  la  couipensHtiou. 


PROMOTlOxNS    DES    COURONNES  567 

Buadé  de  ce  qu'il  me  disait;  que  je  serais  le  seul  de  Rome, 
d'Italie  et  de  toute  TEurope  de  cette  opinion,  puisque  partout 
il  n'était  que  trop  établi  que  Sa  Sainteté  déférant  entièrement 
à  ses  sentiments,  s*il  n'était  pas  pape,  il  exerçait  absolument 
toute  Vautorité;  que,  pour  moi,  j  y  trouvais  beaucoup  de  jus- 
tice, puisque  son  zèle  et  son  intelligence  le  méritaient  (1).  » 

Al tieri  avait expriiné  les  sentiments  personnelsde Clément  X, 
qui  ^'étonnait  en  eiTet  de  Timmixtion  de  Louis  XIV  dans  les 
affaires  du  roi  de  Pologne,  et  de  Tempressement  de  Sobieski  à 
faire  ine  présentation  pour  le  cardinalat,  avant  d'avoir  reçu, 
par  le  couronnement,  la  plénitude  de  la  puissance  royale  : 
«  Le  pipe  est  demeuré  ferme,  dit  le  duc  d'Estrées,  et  m'a 
témoigîé  qu'il  ne  voulait  pas  répondre,  quoiqu'il  m'ait  dit 
qu'il  ne  me  donnait  ni  négative  ni  affirmative.  »  Il  déclara 
a  qu'il  élait  surpris  que  je  lui  parlasse  de  la  nomination  de 
Pologne,  puisque  ce  n'est  pas  celle  de  Votre  Majesté.  »  Il  ré- 
péta pluâeurs  fois  :  Le  roi  de  Pologne  n'est  pas  couronné. 
<i  Uno  du  non  è  coronato  vuol  coronar  gli  altri  [2]!  »  Il  ajouta 
d'ailleurs«  quil  n'y  avait  point  de  difficulté  d'accepter  cette 
nominatioi  si  c'était  pour  un  cardinal  national,  mais  que  les 
rois  ne  la  levaient  donner  qu'à  leurs  sujets  et  cita  le  concile 
de  Trente,  dans  lequel  pourtant  il  n'est  dit  autre  chose  si  ce 
n'est  que  Ion  prendra  des  cardinaux  de  toutes  les  nations;  — 
qu'il  ne  voalaitplus  que  ses  nonces  en  Pologne  demandassent 
la  nominaton  ni  la  reçussent...  (3).  » 

Cette  lute  nouvelle,  provoquée  par  la  cour  de  France,  fut 
poursuiviede  sa  part  avec  la  même  dureté  que  colle  des  fran- 
chises. Le  cardinal  d'Eslrées  écrivait  à  Pomponne  (4)  :  «  Je 
ne  sais  passi  le  pape  ne  se  repentira  pas  de  cette  opiniâtreté, 
ayant  été  aerli  par  M.  le  cardinal  Cyho  (5),  qui  n'en  savait  pas 


(1)  Au  roi,  2  ai.ûl  1674.  Rome,  231. 

(2)  LescardiBux  sout  réputé»  coBouveruins  de  rÉlatpontilical. 

(3)  Le  duc  a  roi,  22-23  et  29  août  1674.  Romey  231. 

(4)  12  septeuDrc.  Rome,  231. 

(5)  Cybo  redublail  de  zèle  en  ce  moni'ul,  pour  obtenir  le  terme  écbu  do  sa 
pension  secrètt:  «  Le  carJiuul  Cybo,  qui  luit  très  bieu  son  service,.,,  attend 
impatiemment  a  pension,  ot  je  n'ose  plus  lui  en  parler.  Vous  devez  toutefois, 
Monsieur,  le  cmpt<?r  comme  le  âujrt  le  plus  respecté  du  sa'^ré  collège  soit  par 
ses  mœurs,  soi  par  sa  sagesse  ou  par  sa  naissance,  et  sur  qui  Ton  tourne  les 


568  CHAPITRE   CINQUIÈME 

le  détail,  qu'il  avait  été  chagrin  quelques  jours  après  cetteair 
dience.  Il  faudra  qu^il  en  esssuie  beaucoup  d*autres  s*ila 
prend  pas  le  bon  parti,  et  M.  l^ambassadeur  en  prépare  ans 
vendredi,  qui  ne  sera  pas  moins  vive  que  la  dernière...  »  les 
dépèches  du  roi  se  succédaient  sans  interruption,  chaque  jiur 
plus  impérieuses  :  «  Je  ne  puis  trouver  la  raison  de  ce  refus, 
disait-il,  que  dans  la  seule  qualité  qu'a  l'évèque  de  Marseille 
d'être  mon  sujet.  »  —  «  Bien  que  cette  aiTaire  regarde  [broi 
de  Pologne]  principalement,  elle  est  devenue  la  mienne  (]bpuis 
que  Ton  n'a  apporté  ces  difficultés  que  par  ce  qu'il  a  mmmé 
un  Français.  »  — «  Vous  ne  vous  relâcherez  point  d'enpadcr 
de  colle  sorte  tant  au  pape  qu'au  cardinal  Altieri,  et  leirferei 
voir  à  l'un  et  à  l'autre  combien  j'ai  celte  affaire  à  cœir,  mais 
particulièrement  à  ce  dernier  qui,  ayant  la  principab  parla 
celte  affaire,  devrait  aussi  avoir  la  principale  consiiération 
pour  ne  me  pas  déplaire  (1).  »  —  Clément  X  répomait  avec 
une  douce  fermeté  :  «  La  promotion  du  12  juin  i673  étant  de 
peu  de  chapeaux,  ne  se  peut  compter.  Il  est  juste  qie  la  pre- 
mière soit  pour  moi.  —  Quand  je  ferai  celle  des  couonnes,  le 
sujet  nommé  par  le  roi  de  France  aura  la  premièreplace.  — 
Je  considérerai,  comme  je  le  dois,  les  instances  de  Satfajeslé.  » 
Il  ne  retranchait  ni  n'ajoutait  rien  à  sa  réponse  antcieure  sur 
la  présentation  de  Pologne  (2). 

C'est  alors  que,  pour  rendre  infaillible  la  pronotion  des 
couronnes,  MM.  d'Estréos  conseillèrent  au  roi  de  Ic/î'er  àTin- 
cident  des  franchises,  prétendant  que  ces  deux  affaire,  quoique 
mal  engagées,  se  prêteraient  un  mutuel  appui,  et  qie  le  pape 
ne  résisterait  pas  à  l'union  des  quatre  puissances  Ce  projet 
fut  loué  par  Pomponne  comme  une  conception  de  fénie,  et  il 

yeux  pour  les  affaires  considérables...  Le  service  du  roi  Jemaije  qu'il  ne  se 
croie  pas  plus  loDgtemps  négligé.  »  (Le  cardinal  d'Entrées  i  Pomponne, 
5  octobre  1674,  Rome,  232.) 

(1)  14  et  21  septembre,  et  5  octobre  1674.  Rome,  231  et  232. 

(li)  Le  .;:i.,  an  roi.  5  octobre.  —  «  Je  remarquai  bien  ce  diicoui,  qui  peut  s« 
rapporter  à  l'iiitenlioii  que  l'on  m'a  dit  qu'a  le  palais  d'attends  cinq  ou  six 
ch:i{)oaux,  d'eu  doiiiiLT  seulement  à  la  France  et  à  l'Espago,  en  exclure 
l'EmperiMir,  /r  roi  de  Pologne  et  la  république  de  Venise,  prétenânt  que  leun 
nomiiiatiui?  out  déjà  été  remplies  par  les  cardinaux  Bonsy,  Badet  Basadonna, 
et  par  ce  moyeu  protiter  encore  de  quelques  chapeaux.  »  (Le  môie  aa  même, 
9  novembre  1674.  Home^  232.) 


PKOaiOTIONS    DES   COURONNES  569 

écrivit  au  cardinal  :  J'ai  lu  au  roi  «  les  belles  et  grandes  dépê- 
ches que  Votre  Eminence  m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  28 
et  le  30  du  mois  passé.  Elle  verra  dans  la  lettre  du  roi  à  M.  le 
duc  d*Estrées  que  Ton  a  suivi  ses  avis,  et  que  c'est  par  voire 
couseil  que  Sa  Majesté  m*a  ordonné  de  parler  à  M.  le  nonce 
ainsi  que  j'ai  fait  (1).  »  Cependant  la  cour  de  France  ne  pou- 
vait commettre  une  plus  lourde  faute.  Elle  avait  feint  jusque- 
là  de  ménager  le  pape,  pour  s'attaquer  au  cardinal-neveu. 
Ge  mensonge,  si  facile  à  pénétrer,  lui  permeKait  du  moins  de 
se  retirer  à  propos;  mais,  eu  annonçant  sa  volonté  d'emporter 
de  gré  ou  de  force  une  promotion,  qui  est  Tœuvre  personnelle 
du  souverain  pontife,  elle  se  condamnait  à  lutter  contre  Clé- 
ment X  lui-même.  D'autre  part,  n'était-il  pas  absurde  de  sup- 
poser que  les  quatre  cours,  déjà  prêtes  à  se  diviser  sur  les 
franchises^  s'entendraient  mieux  sur  une  promotion  où  la 
Frauce  prétendait  gagner  deux  chapeaux,  M.  de  Forbin-Jan- 
son  et  le  prince  Guillaume  de  Furstonberg,  tandis  que  l'fJmpe- 
reur,  l'Espagne  et  Venise  eu  auraient  trois  seulement  à  se 
partager?  Aussi  la  double  entreprise  se  lermina-t-elle  par  un 
double  échec  pour  Louis  XIV. 

En  premier  lieu,  le  cardinal  Altieri  ne  devait  et  ne  donna 
point  satisfaction  sur  Tédit  des  franchises  ni  sur  le  refus  de 
Paudience  commune.  Une  Congrégation  de  douze  cardinaux, 
députée  pour  examiner  les  griefs  des  quatre  ambassadeurs, 
estima  que  ni  Altieri  ni  aucun  officier  du  pape  n'avait  manqué  ; 
que  Ton  ne  refusait  pas  aux  ministres  étrangers  la  jouissance 
de  leurs  franchises  légitimes,  et  que  les  peines  portées  par 
redit  ne  regardaient  pas  leurs  personnes  :  Altieri  iraitlui-môme 
leur  en  donner  l'assurance.  Mais,  comme  cet  avis  de  la  Congré- 
gation n'impliquait  point,  pour  Tavenir,  la  tolérance  des  dé- 
prédations commises  au  préjudice  de  la  Chambre,  MM.  d'Es- 

(I)  18  novembre  1674.  —  Le  roi,  môme  jour,  et  28  déi!embre.  Rome,  233. 
Loais  XIV  ne  doutait  pas  du  succèà  ;  aussi  ses  prôteutloos  n'avaient  plus  de 
bornes  :  Altieri  a  peur.  Voici  mes  conditions  :  l»  édit  sur  les  francbises  révo- 
qué, et  engagement  de  n*en  plus  faire  do  pareil;  2»  visite  et  excuses  d'AUieri 
chez  vous;  3o  promesse  du  pape  et  d'AUieri  de  faire  la  promotion  dès  qu'il  y 
aura  assez  de  vacances  pour  les  couronnes  ;  4^  bulle  conforme  à  mon  édit  sur 
Saint-Lazare;  5»  bulle  me  donnant  la  nomination  à  tous  les  bénéfices  dépen- 
4aQi  de  Cloni» 


570  CHAPITRE   CTVOinÈME 

Irécs  jugèrent  qu'on  leur  faisait  «  une  nouvelle  et  sensibb 
injuje,  »  et  le  roi  écrivit  au  pape  :  «  Ce  ne  nous  a  pas  été  une 
petite  surprise  d'apprendre,  par  le  nonce  de  Votre  Sainteté  el 
par  le  compte  que  le  duc  d'Estrées,  notre  ambassadeur,  noM 
on  a  rendu,  que,  lorsque,  après  une  si  longue  patience,  nous 
avions  droit  d'attendre  une  satisfaction  plus  prompte  de  l'in- 
jure que  le  cardinal  Altieri  a  faite  à  notre  ambassadeur  et  à 
tous  ceux  des  couronnes  qui  sont  auprès  de  Votre  Sainlelé, 
quelques  cardinaux  assemblés  dans  une  Congrégation  aient 
voulu  nous  persuader  que  nous  n'avions  point  été  offensé  en 
la  personne  de  notre  ambassadeur...  Nous  n'avons  point  besoin 
(le  dire  à  Votre  Béatitude  que,  comme  nous  n'admettons  point 
déjuges  sur  le  tort  qui  nous  a  été  fait,  nous  n'en  recevons  point 
aussi  sur  la  réparation  qui  nous  en  est  due...  Nous  ne  pou- 
vons nous  empêcher  de  donner  par  cette  lettre  un  nouveau 
témoignage  à  Votre  Sainteté  du  respect  que  nous  avons  pour 
elle,  en  lui  témoignant  encore  une  fois  que,  si  le  cardinal  Al- 
tieri ne  se  dispose  à  faire  promptement  à  notre  ambassadeur 
une  telle  réparation  de  l'injure  qu'il  lui  a  faite  que  nous  puis- 
sions eu  domeurer  satisfait,  nous  prendrons  alors  les  résolu- 
tions (juo  nous  jujjorons  les  plus  convenables  à  notre  dignité.  > 
Louis  XlVadressa,  le  môme  jour,  au  duc  d'Estrées  une  dépêche 
moins  lière,  où  il  permettait  de  prendre  pour  arbitres  du  diffé- 
%    rend  les  trois  chefs  d'ordre  du  sacré  collège,  au  nombre  dos- 
quels  se  trouvait  le  cardinal  Cybo,  son  pensionnaire  secret  (1  . 
Clément X  y  consentit  voloïiliers,  et  ordonna  aux  trois  cardi- 
naux de  lui  dire  par  écrit  a  s'il  pouvait,  sans  préjudicier  à  la 
réputation  du  saint-siège,  donner  un  bref  tel  que  les  ambassa- 
deurs le  demandaient  pour  la  réparation  des  otfenses  qu'ils 
prétendaient  leur  avoir  été  faites.  »  Leur  réponse  fut  conforme 
à  celle  de  la  Congrégation  des  douze  :  ils  déclarèrent  «  que.  si 
Sa  Sainteté  jugeait  que  ses  officiers  ou  ministres  fussent  cause 
I  ar  leur  mauvaise  conduite  de  cet  embarras-là,  elle  les  fU  punir 
pour  la  satisfaction  des  ambassadeurs;  mais  que  de  donner  ua 
bref  qui  fùl  préjudiciable  à  rhouiieur  du  saint-siège,  ils  ne 


(1)  Le  cardinal  d'Eslréos  avait  écrit  que  le  succès  semblait  assuré   psr  si 
«  secrète  communicatiou  »  avec  Cybo.  (A  Potnpoune,  14marî>  1675.  Rome,  237.) 


PROMOTIONS    DES    COURONNES  S71 

:.   pouvaient  y  consentir,  étant  chefs  des  trois  ordres  des  cardi- 
,   naux  {{),  »  —  Bourlemont  en  avertit  la  cour  :  «  Le  cardinal 
V  Allieri,  dit-il,  alla  samedi  visiter  le  cardinard  Nidhard  en  exé- 
,   culion  de  leur  accommodement.  Ils  furent  une  heure  ensemble 
avec  tous  les  témoignages  d'amitié  possible.  Il  visita  aussi  le 
.  cardinal  de  Hesse,  qui  le  reçut  avec  beaucoup  de  marques  de 
,  bienveillance.  Cet  accommodement  n'a  pas  été  difficile  à  faire 
entre  des  gens  qui,  dans  le  fond,  ne  se  voulaient  pas  grand 
.    mal,  quelque  mine  qu'ils  eussent  faite  au  contraire  (2).  » 
MM.  d'Estrées  voulaient  lutter  encore,  mais  ils  furent  aban- 
donnés par  leurs  collègues,  qui  se  contentèrent  de  banales 
explications  et  d'une  visite  de  courtoisie  rendue  par  Altieri. 
Le  cardinal  d'Estrées  écrivit  avec  dépit  à  Pomponne  :  «  Les 
Espagnols  ont  acquis  peu  d'honneur^  dans  le  public,  de  cet 
accommodement,  dans  lequel  les  conditions  sont  inférieures 
au  mémoire  qui  leur  avait  été  présenté  de  la  part  des  média- 
teurs, et  les  clauses  et  explicationsnécessaires  ont  été  omises... 
Je  vous  envoie...  tous  les  actes,  dans  lesquels  vous  remarque- 
rez que  la  forme  soumise,  dont  les  cardinaux  Nidhard  et  land- 
grave [de  liesse]  reçoivent  les  satisfactions  du  pape,  ne  con- 
vient pas  au  caractère  indépendant  et  royal  qu'ils  soutiennent. 
Il  s'est  répandu  (3)  un  bruit  dans  le  peuple  que  Tambassadeur 
de  France  n'est  pas  entré  dans  l'accommodement  parce  qu'il 

(\)  BourlemoDt  à  Pomponne,  19  juin  1675.  Rome,  239.  Cet  abbé  qui  ne  dis- 
siuHilait  pas  que  les  fraucbisc<>,  telles  que  les  ambassadeurs  prétendaient  les 
oxcrC'^r,  étaient  insoutenables,  ne  cachait  pas  non  plus  que  la  procédure 
?nivie  par  MM.  d'Estrées  et  leurs  collègues  pour  régler  ce  litige  les  exposait 
*à  un'écbec  humiliant  :  «  J'o^e  vous  dire  que,  si  Tiulention  de  MM.  les  ambas- 
sadeurs a  été  de  se  servir  de  l'occasion  du  présent  différend  pour  moyeuner 
quelque  chose  honorable  au  saint-siège  ou  la  réparation  de  quelques  a'.)us,  ils 
ne  pouvaient  mieux  faire  que  d'insister  d'avoir  pour  médiateurs  les  trois  chefs 
d'ordre  du  sacré  collège  des  cardinaux;  mais,  s'ils  ont  prétendu  quelques 
choses  qui  pussent  aller  contre  Véclat  de  cet  ordre  et  du  saint-siège^  les  chefs 
d'urdre,  qui  en  sont  les  promoteurs,  ne  &ont,  ce  me  semble,  gaère  propres  k 
les  négocier.»  (Môme  lettre.) 

(2)  20  juillet  4675.  f?ome,  239. 

(3;  Lisez  :  Vomî  avons  fuit  répandre^  etc.,  et  ce  bruit  n'a  pu  aller  bien  loin; 
car  personne  n'ignorait  les  fraudes  des  ambassadours»,  qui,  eu  diminuant  les 
ressources  de  la  Chambre,  causaient  un  grave  dommage  a'ix  Romains.  Aussi 
Clément  X  disait-il  un  jour  au  duc  d'Kstrées  «  qu'il  ne  voulait  pas  chargt*r  ie 
peuple  pour  les  franchises  des  ambassadeurs.  »  (Le  duc  au  roi,5oclobre  1674. 
Rome^  232.) 


572  CHAPITRE  aNQUIÈME 

voulait  la  suppression  de  la  gabelle,  ce  qui  redouble  raffectioi 
qu*on  a  pour  lui  et  les  bénédictions  que  ron  donne  à  la  France 
et  aux  Français.  »  L'incident  fut  clos  par  une  lettre  de  Pom- 
ponne déclarant  qu*aprfes  la  défection  des  trois  autres  ministres 
le  roi  remettait  à  un  autre  temps  la  suite  de  cette  affaire  (1). 
La  cour  de  France  eut  encore  moins  à  se  féliciter  d^avoir 
soulevé  la  querelle  des  chapeaux.  A  peine  Clément  X  avail-il 
annonce  son  intention  d*ajourncr  le  tour  des  princes,  qu'elle 
expédiait  au  duc  d'Estrées  Tordre  «  d'arracher  au  cardinal 
Alticri,  par  une  promotion  des  couronnes,    que  le    pape  ne 
pouvait  refuser  avec  justice,  les  nouvelles  créatures  dont  il  se 
proposait  sans  doute  de  remplir  les  quatre  lieux  qui  étaient 
déjà  vacants.  »  Pomponne  se  rendit  chez  le  nonce  pour  lui 
tenir  un  langage  conforme  à  ces  prétentions.  Vainement  Spada 
représenta  «  qu'il  lui  paraissait  que  le  pape  avait  donné  au  roi 
assez  de  chapeaux  depuis  qu'il  était  monté  sur  le  saint-siège,  h 
Pomponne  répliqua  a  qu'il  était  bien  vrai  que  Sa  Sainteté  avait 
fait  des  cardinaux  français,  mais  quejusques  à  cette  heure  elle 
n'en  avait  pas  fait  pour  la  France  (2)!  »  Sans  plus  tarder,  le 
pape  tiut  un  consistoire,  pour  déclarer  une  de  ses  créatures 
réservée  in  petto  dans  la  promotion  du  12  juin  i673.  Etonné? 
et  confus,  MM.  d'Estrées  n'osèrent  pas  en  faire  des  plaintes 
publiques  :  «  Il  est  difficile,  disaient-ils,  de  s'opposer  à  celle 
dt'claralion,  puisque  ce  n'est  pas   une  promotion   nouvelle, 
mais  une  suite  »  de  la  précédente.  —  «  Il  paraîtrait  même  de 
la  dureté  pour  le  pape  dans  les  ambassadeurs,  de  le  vouloir 
contredire  sur  cela  (3).  »  Ils  avaient  d'ailleurs  fait  eux-mémos 
plus  d'une  fois  l'éloge  du  prélat  qui  entrait  dans  le  sacré  col- 
lège. C'était  un  des  grands  canonisles  du  temps,  Federico  Bal- 
deschi,  secrétaire  de  la  Propagande,  assesseur  du  Saint-Oflice, 
allié  aux  Colonna-Carbognano,  dont  il  prit  le  nom.  Le  cardinal 
d'Estrées  disait  de  lui  :  H  est  de  Pérouse,  «  dont  la  plupart  des 
familles  passent  pour  être  françaises  :  en  cas  qu'il  eût  quelque 
partialité,  ce  serait  plutôt  pour  nous;  mais  au  moins  il  me 
paraît  libre  et  indillerenl.  11  a  toujours  fort  bien  vécu  avec  moi, 

(1)  Au  cnrdiual,  19  août  167.Ï.  Home,  2;J9. 

(2)  Le  roi  au  duc,  18  novembre  1074,  Rome,  233. 

(3)  Le  duo  el  le  cardinal,  9  décembre  1G74.  Borne,  233. 


PROMOTIONS   DES    CODRONiNES  573 

et  j'ai  connu  quelque  droiture  et  assez  de  liberté  dans  ses 
avis.  »  —  Le  duc,  disait  en  même  temps  :  «  II  témoigne  beau- 
coup de  zèle  pour  le  service  de  Votre  Majesté  (1).  »  Clément  X 
attestait  donc  par  le  même  acte  sa  bienveillance  constante  pour 
la  France  et  sa  volonté  de  maintenir  la  liberté  des  promo- 
tions. 

(1)  A  Pomponne,  20  décembre;  le  duc  au  roi,  22  décembre.  Romet  233. 


CHAPITRE  SIXIÈME 


LE  DUC  D'eSTHÉES  A  l'aUDIENCE  DE  CLÉMENT  X  :   21    MAI   i*)75. 

Nouvelles  intUnces  pour  obtenir  une  promotion  des  couronnes,  qui  comprendra  Forbtn-JuiH.'u 
Le  duc  d'Estrées  annonce  tout  à  coup  que  le  pape,  qui  jusque-là  s'était  serri  cTexprcHMb 
générale*  et  honnélee,  a  pris  un  engagement  formel  et  à  brè^e  échéance.  laTraisembUace  ie 
cette  prumc^se.  L'ambaHsadeur  de  France  e«t  le  premier  à  en  douter.  Il  aroue  qu'elle  a'&ptf 
ét<^  faite  aux  autres  ambassadeurs.  Ses  efforts  |>our  obtenir  du  pape  des  eKplicatiuDS  phi 
claires.  —  Irritation  croissante  de  UM.  d'E»trfes  :  ilsderaandcnt  que  le  roi  consulte  le^évr^ 
et  la  Surbonne  sur  Vimh^cillité  du  p.ipe.  —  Audience  du  SI  m«i  16T5  :  \ioleoce  fAileinrraa- 
bassadeur  di»  France  à  la  f>crsoijne  de  Clément  X.  —  Quand  Louis  XIV  reçt>it  cette  noaTe'.U, 
il  est  à  la  t^te  de  son  arm<''-.>,  en  Flandre.  Sou  embarras  :  prétexte  qu'il  chercbe  pour  ne  r^T- 
voir  ni  le  nonce,  ni  son  mcs^a^er,  ni  s.i  lettre,  et  pour  ne  répondre  pas  au  bref  du  pape.  I'l*- 
sago  supprimé  dans  les  Lettres  dcPolli^sun.  —  Pro-notiju  du  ^7  mai  1673.  qui  ne  <*{im^ir«a<! 
aucun  cardinal  national.  Les  préti^ntions  de  Louis  XIV  répudiées  par  les  aulref  ctiur  «"f î- 
Fureur  de  MM.  d'Estrros.  Projets  de  vengeance  qu'ils  proposent  au  roi:  soulcrer  nmtre  Hr- 
ment  X  leclergé,  la  Sorbonne,  les  universités  et  le  sacré  collège  ;  forcer  !cpap«  à  sed^nwlt-; 
proYoquerdes  sédition^  dans  l'Etat  ecclé^iaslique ;  brûler  le  palai^des  parents  du  pape;raT.'cr 
leurs  terres  :  enlever  leurs  por.^.unes  ;  introduire  des  bandits  dans  Rome;  faire  dégrader  .Vlt^-' 
et  les  six  cardinaux  de  la  dernière  promotion,  etc.,  etc.,  etc.  —  Le  ducd'Estrées  cesse  tojte 
relation  personnelle  avec*  le  pape  et  Altieri.  Mal  subit  et  mystérieux  de  l'ambassadeur.  Auu 
de  l'abbé  Servient.  Bonté  du  pape  pour  le  duc  d'Kstrées. 


C'est  ici  que  se  place  un  épisoJe  grave  et  jusqu'à  présent 
ignoré  de  celle  négocialion.  L'année  1674  va  parvmir  ii  >on 
terme,  lorsque  commence  une  série  de  dépèches  où  1»?  duc 
d'Eslrées  annonce  au  roi  (1)  que  Clément  X,  changeant  d'avis 

(i)  Au  roi  et  à  Pompotiuc,  22  décciDbrc.  iîomf,  233,  Voici  le  passive  de  U 
lettre  au  roi  :  -  Je  renouvelai  les  iusLaiices  touchant  la  promotioD  des  cou- 
ronnes et  je  dis  au  pape  que  M.  de  Pomponne  eu  avait  parlé  de  la  part  de 
V.  M.  au  noure.  Sans  me  lai:»9or  achever  ce  que  j'avais  a  lui  représenter,  i. 
me  téui(>i::ua  qu'il  pe  pouvenait  bien  de  celles  que  j'avais  faites  en  me  dounaol 
audience  et  qu'il  y  aurait  ^pnrd.  L'ayant  un  peu  pressé,  afin  guU  s^xpiiquât 
davantufjc,  il  me  dit  qu'il  pourrait  déclarer  le  chapeau  in  petto  dacs  la  promo- 
tion du  12  juin  1673;  que  ce  n'eu  était  pas  uue  nouvelle,  le  sujet  qu'il  déclarait 
étant  d»jà  cardinal;  que,  pour  les  trois  autres  chapeaux  vacants,  il  ne  ferait 
rien  dont  les  couronnes  n'eussent  sujet  d'être  satisfaites.  Comme  je  fus  surli 
fin  de  uion  audience,  je  le  suppliai  de  me  vouloir  marquer  plus  précisémt^l 
ce  que  j»;  pciuvai-i  fain»  savoir  à  V.  M.  sur  ce  pujet.  11  me  dit  :  Vogliumo parier 
piii  rhiaro  :  la  prima  promotione  faraper  ie  coron  f  :  sono  solamenle  adesso  trt 
capeliivacanti.  Après  l'avoir  rcmeroii' dcR  assurances  qu'il  me  donnait,  je  cros 

lui  devoir  .:ire Le  pape  me  répondit  :  Soiisi  puôparlar  con  maggior  ragvjne 

ne  maggior  modestia.  Uavremoguslo  di  dure  aile  corone  Ucapelliche  havreisimo 


AUDIENCE   DU    2l    MAI   1676  575 

tout  à  coup  et  sans  motif  connu,  lui  aurait  déclaré  que  la  pre- 
mière promotion  serait  pour  les  couronnes.  L'ambassadeur 
avoue  que  le  langage  du  pape  fut  si  peu  clair,  qu'il  dut  le 
presser  à  plusieurs  reprises  afin  qu'il  s'expliquât  davantage; 
—  qu'il  marquât  plus  précisément  ses  intentions  ;  et  c'est  seu- 
lement sur  la  fin  d'une  très  longue  audience  que  cette  promesse 
inattendue  serait  sortie  de  sa  bouche.  Il  semble  que,  si  Clé- 
ment X  a  résolu  vraiment  de  sacrifier  aux  princes  sa  promo- 
tion, il  va  s'empresser  d'annoncer  cette  grâce  inouïe  aux  mi- 
nistres des  trois  grandes  cours  en  termes  qui  ne  l'exposeront 
à  aucun  reproche  de  parti^ilité.  Cependant  le  duc  d'Estrées  re- 
connaît, dans  la  même  dépêche,  «  que  Sa  Sainteté  donna  aussi 
à  MM.  les  ambassadeurs  des  assurances  de  la  promotion,  mais 
non  pas  si  positives  ni  si  particulières  qu'à  lui.  »  Et  ni  le  mi- 
nistre de  l'Empereur,  ni  le  ministre  d'Espagne  ne  demandent 
au  pape  pourquoi  leurs  maîtres  seraient  moins  favorablement 
traités  que  le  roi  de  Franco!  D'après  la  même  lettre  du  duc 
d'Estrées,  c'est  avec  lui,  au  contraire,  que  Clément  X  aurait 
dû  être  le  plus  réservé.  En  effet,  il  ajoute  :  «  Sa  Sainteté  me 
parla  de  la  nomination  de  Votre  Majesté  et  me  dit  qu'il  était 
nécessaire  qu'elle  sut  pour  qui  elle  était.  Je  lui  répondis  que, 
lorsqu'il  serait  temps,  je  la  lui  remettrais  et  que  j'avais  déjà 
eu  l'honneur  de  lui  dire  que  je  l'avais.  Si  elle  est  pour  le  prince 
Guillaume  de  Furstenberg,  le  pape  pourra  faire  difficulté  de  la 
remplir  tant  qu'il  sera,  quoique  très  injustement,  en  prison. 
Je  n'oublierai  rien  pour  essayer  d'obliger  Sa  Sainteté  de  passer 
par  dessus  cette  considération.  »  Or,  c'était  précisément  le 
nom  inscrit  dans  le  pli  cacheté  dont  le  duc  d'Estrées  était 
dépositaire.  Kome  le  savait  depuis  longtemps,  comme  toute 
l'Europe.  Dès  le  30  août  1672,  le  même  ambassadeur  écrivait 
au  roi  (1)  :  Le  palais  commence  à  craindre  que  Votre  Majesté 


jjolulo  pigiiar  per  noi.  Pour  essayer  de  pénétrer  si  soq  iiiteutioo  est  do  fairt 
la  promotion  des  courouues  dès  qu'il  y  aura  un  nombre  de  chapeaux  suffisant 
pour  toutes,  je  lui  dis  que  S.  S.  voudrait  apparemment  en  attendre  quelques- 
ans  pour  elle,  il  me  dit  eu  souriant  :  forse  non  aspettaremo  tanio Le  pape 

donna  aussi  à  MM.  les  ambassadeurs  des  assurances  de  la  promotion,  mais 
ion  pas  si  positives^  ni  si  particulières  qu*à  moi,.,  n 
(l)  Rome,  222. 


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AUDIKNCE   DU  21    MAI   1675  577 

chargé  d'en  porter  la  nouvelle  au  roi,  et  cependant  il  n'y  a  trace 
de  cette  communication  dans  aucune  correspondance! 

Louis  XIV  répondit  qu'il  tenait  les  paroles  de  Clément  X, 
telles  que  son  ambassadeur  les  interprétait,  comme  «  une 
parole  positive,  »  un  «  engagement  pris  »  ;  et  le  duc  d*Ëstrées 
continua  d*écrirc  à  la  cour  dans  le  même  sens  ;  mais  il  était  si 
peu  sur  de  son  fait  qu'à  chaque  audience  il  obsédait  le  pape 
de  cent  questions  pour  obtenir  des  éclaircissements  conformes 
à  ses  désirs,  et  qui  cependant  ne  le  contentaient  jamais.  Les 
audiences  réglées  par  l'usage  ne  lui  suffisaient  pas  :  il  en  sol- 
licitait d'extraordinaires,  sous  prétexte  que  des  courriers 
exprès  seraient  arrivés  de  Saint-Germain^  et  n'entretenait 
jamais  le  pape  que  de  la  promotion  ou  des  franchises  (i).  Plu- 
sieurs dépêches  sont  d'ailleurs  peu  explicites  :  l'ambassadeur 
écrit,  par  exemple,  le  6  et  le  24  janvier  1673,  que  le  pape  a 
confirmé  les  mêmes  choses,  et  renvoie  à  des  lettres  anté- 
rieures (2). 

On  approchait  manifestement  d'une  crise,  et  Tirrilation  de 
MM.  d'Estrées  les  poussait  aux  extrémités.  Le  cardinal  écri- 
vait (3)  :  «  On  peut  considérer  à  ce  propos  s'il  ne  serait  pas 
bien  utile  qu'on  fit  revenir  au  nonce,  par  quelque  petite  dé- 
monstration naturelle,  que,  sur  le  point  de  Timbécillité  du 
pape  et  de  son  grand  âge  (4),  Sa  Majesté  songe,  si  elle  n'est 
pas  satisfaite,  à  prendre  l'avis  de  quelques  évèques  ou  doc- 
teurs. Cette  alarme  fera  un  très  grand  effet,  et  vous  pouvez 
vous  souvenir  d'avoir  lu  dans  quelques  dép^^chcs  de  M.  Tam- 


{{)  Ainsi,  le  26  avril  1675,  rendaut  compte  d'une  nouvelle  audience,  il  rap- 
pelle les  sic  audiences  consécttlives^  qui  Tout  précédée  :  «  la  première,  ordinaire 
du  21  décembre;  extraordinaires^  des  3,  21  janvier;  ordinaires,  dvs  25  jan- 
vier, 8  février;  extraordinaire  eu  particulier,  du  !•'  mar»,  etc.  »  {liome^  237.) 

(2)  Rome,  233  et  236. 

(3)  A  Pomponne,  !«'  février  1675.  Romet  236. 

(4)  Si  Tesprit  du  pape  est  certainement  affaibli,  comme  le  prétend  cet 
évéquc  français^  pourquoi  la  France,  seule  entre  les  puissaucos  CJittioliquefl, 
lui  deuiande-t-elle  une  promotion,  qui  exi^c  la  plcniludo  de  rintclligenoe  «^t 
de  la  liberté?  Pourquoi  lui  tendre  mille  pi(>gi>i>,  dans  dod  culrt'ticu»  fréquem- 
ment répétés?  Pourquoi  drcss  r  procès-vrrbal  do  paroles  rhoisirs  avec  un 
soin  perfide  et  dont  on  espère  tirer  partie  Louis  XIV  et  ses  agents  ont  violé 
ici,  comme  en  tant  d'autres  rencontres,  non  seule  moût  le  respect  dû  au  chef 
de  i'Ëglise,  mais  les  premières  règles  de  la  probité. 

LOUIS  XIV  KT  LE  hAl>r-blKi*E.  II.  3î 


S78  CHAPITRE    SIXIÈME 

bassadeur  que,  dans  le  temps  que  AI.  le  cardinal  Allieri  ré- 
sistait à  la  promotion  du  cardinal  Felîcc,  il  avait  crainte 
qu'on  ne  proposât  de  donner  des  nssistanls  et  un  conseil  au 
pape(1),  sur  un  discours, quoique  éloigné,  que  le  canlinalCvbo 
lui  avait  fait  (2).  (.omme  Tarlicle  de  la  promotion  est  le  plus 
important,  il  faut  Tappuycr  avec  le  plus  de  force  et  faire  envi- 
sager au  cardinal  Allieri  sa  ruine,  s'il  est  capable  de  la  négli- 
ger. Sur  ce  point,  je  dois  vous  informer  que  le  pape  confirme 
toutes  les  paroles  qu'il  a  données,  mais  que,  comme  le  cardinal 
Allieri  robsèdo,  il  faut  prendre  de  continuelles  précautions... 
Quand  on  parlera  durement  au  nonce,  il  faut  bien  qu'il  con- 
naisse jusqu'tà  quel  point  Sa  Majeslé  portera  son  ressentiment 
contre  ce  cardinal,  s'il  entreprend  de  renverser  la  promotion 
des  couronnes  ou  s'il  prétend  n'y  comprendre  pas  M.  l'évèque 
de  Marseille,  parce  que,  ne  se  pouvantconsoler  de  perdre  cinq 
cbapeauxy  il  voudrait  au  moins  en  ^5croy?/<?r  quelques-uns  aux 
couronnes.  » 

Les  menaces  dont  retenlissait  le  palais  Farnèse  contre  la 
personne  du  souverain  pontife  effrayaient  l'abbé  Servienl  lui- 
même,  qui  écrivait  au  ministre  :  «...  Les  plaintes  contre  le 
pape  feront  d'abord  un  effet  1res  dilTérent  de  celui  que  je  m'a- 
perçois qu'on  se  promet,  et  dans  le  public  et  dans  l'esprit  des 
cardinaux  les  plus  gens  de  bien  et  qui,  comme  tels,  ne  s'op- 
posent point  aux  invectives  contre  le  neveu  (*i)...  D'aillour> 
c'est  se  déclarer  contre  le  prince  même,  ce  qui  se  doit  éviter 
par  l'intérêt  des  autres  potentats  :  c'est  insensiblement  se  ré- 
duire à  prétendre  des  satisfactions  aux  dépens  de  la  répulalion 
du  pape  et  du  saint-siège  ;  ou  bien,  c'est  le  déclarer  inhabile, 
mais  avec  préjudice  pour  la  religion,  puisqu'on  ne  veut  pas 

(1)  Kelice  Roapigliosi,  appuyé  par  MM.  d'Etirées.  —  lU  avaient  eu  déjà  c?!!-" 
coupable  idée  au  commeiiciMneiit  de  l'année  1673,  maia  il  est  juste  de  dire 
qu'à  celte  époque  le  roi  l'avait  r»^[)OUï^!«ée  :  a  Le  roi,  Muosieur,  u*avait  pciiiî 
oui  parler  jusqiiea  à  cette  heure  de  la  propo-^ition  de  donner  des  a^i/iflat''' 
aupupe^  dont  M.  le  cardinal  Allieri  vous  a  parlé  ai^ec  une  chaleur  qui  ptirait 
en  t'/fet  assez  juslc.  >»  (Pomponne  au  du«\  i'.i   février  1G73.  Uotne,  '22:).) 

(2)  Cybo  alhiit  recevoir  de   MM.  d'Estrées  le  terme  échu  de  sa  peufiou. 

(3)  L'abbé  Servienl  a  on  vue  le  cardinal  Cybo,  dont  ou  i^'norait  les  litu! 
secrets  avec  la  France,  et  qui  devait  conserver  longtemps  sa  graude  rî'pulJi- 
tiou. 


AIDIENCE   Dr   21    MAI    l675  579 

le  déposer,  qu'il  n'est  pas  queslion  d'assembler  un  concile  pour 
le  différend  des  ambassadeurs,  et  qu*au  fond  ce  serait  entre- 
prendre beaucoup  pour  le  priver  peut-être  de  quelques  mois 
de  pontificat  qui  lui  peuvent  rester;  car  je  sais  de  bonne 
part  qu'il  est  harassé.  Les  personnes  qui  rapprochent  ne 
croient  pas  qu'il  puisse  résister  à  plusieurs  audiences  (1).  » 
Est-ce  pour  l'achever  que  le  duc  d'Eslrées  exigeait  tant  d'au- 
diences consécutives,  ordinaires  et  extraordinaires?  Il  se  van- 
tait ensuite  à  sa  cour  de  les  prolonger  avec  la  plus  cruelle  im- 
portunité  el  de  se  faire  imiter  par  les  ministres  étrangers.  Ainsi, 
le  26  janvier  1675,  il  écrivait  (2)  :  a  Le  pape  m'interrompit  une 
fois  lorsque  je  lui  parlais  de  l'affaire  desambassadeurs,  comme 
s*il  eût  voulu  faire  finir  mon  audience;  mais,  lui  ayant  repré- 
senté que  l'on  ne  fermait  pas  la  bouche  à  un  ambassadeur 
de  Votre  Majesté,  qui,  se  tenant  dans  les  bornes  d'un  grand 
respect,  soutenait  Thonneur  de  son  maître  et  exécutait  ses 
ordres,  il  en  demeura  là,  et  je  lui  parlai  autant  que  je  le 
jugeai  à  propos,  ce  qui  dura  près  d'une  heure  sans  pouvoir 
tirer  d'autre  réponse...  Le  pape  tenta  par  deux  fois  de  faire 
finir  l'audience  de  iM.  le  cardinal  Nidhard  (3),  mais  il  lui  ré- 
pondit comme  j'avais  fait.  »  Comment  s'étonner  que  le  vieil- 
lard succombât  à  une  pareille  obsession?  «  Il  y  a  eu  ensuite, 
écrit  encore  l'ambassadeur  le  8  février  1675,  de  si  grandes  va- 
riétés dans  ses  réponses  qu'il  y  a  beaucoup  de  sujet  d'en  être 
peu  édifié,  m'ayant  dit  plusieurs  fois  que  le  cardinal  Altieri 
devait  donner  satisfaction  aux  ambassadeurs,  et,  plusieurs 
autres,  tout  le  contraire.  »  Si  pour  se  délivrer  de  cette  impor- 
lunité,  le  pape  finissait  par  dire  comme  son  interlocuteur,  cela 
môme  donnait  lieu  à  une  nouvelle  et  inextricable  discussion: 
n  Je  l'ai  supplié,  écrit  le  duc,  de  considérer  que  le  retarde- 
ment aggravait  les  injures;  qu'il  en  pourrait  arriver  de  grands 
accidents  qui  pourraient  troubler  son  repos,  et  que  l'on  devait 

(1)  A  Pomponne,  1"  février  1673.  i?owe,  236. 

(2)  An  roi.  Home,  236. 

{'4)  Minière  d'Eâpagne  à  Roin<ï.  —  D«'>jà,  le  9  novembre  IGld  parlant  au  roi 
du  cardinal  de  Hessc,  ministre  de  l'Empereur,  le  dnc  aviiit  ccril  :  »...  Môme 
après  trois  quart?  d*lieure  d'andienre,  le  pape  a  soon^  la  clochette  pour 
appeler  du  monde  et  pour  le  congédier,  ce  qui  ne  se  doit  pas  pratiquer  à 
Cégard  d'un  ambassadeur.  » 


S82  CHAPITRE   SIXIÈME 

non  è  tanto  vicina.  Vogliamo  anco  far  délie  nosire  creaturt; 
ma,  quando  lafaremo,  il  nominato  dell  Imperatore  ci  entrara. 
Il  a  assuré  M.  Tambassadeur  de  Venise  de  même  pour  k 
sujet  que  sa  république  doit  avoir.  J*ai  passé  de  ce  discours  à 
celui  de  la  nomination  de  M.  Tévéque  de  Marseille,  afin  qu  elle 
soit  comprise  dans  la  première  promotion,  mais  à  peine  Tavais- 
je  commencé  qu'il  m*a  interrompu  pour  me  dire  qu*il  avût 
jugé  que  j*en  voulais  venir  là;  qu'il  se  souvenait  de  toutes  les 
choses  que  je  lui  avais  représentées  sur  ce  sujet,  qu'en  donnant 
un  chapeau  à  ce  prélat,  ce  serait  obliger  Votre  Majesté  elle 
roi  de  Pologne,  et  qu'il  n'était  pas  nécessaire  que  je  les  lui 
répétasse.  Je  lui  ai  répondu  que  j'avais  ordre  exprès  de  Votre 
Majesté  pour  lui  parler  de  cette  affaire  toutes  les  fois  que  j'au- 
rais rhonncur  de  le  voir,  avec  toute  la  force  qu*il  convenait 
à  rintérét  qu'elle  y  prenait  et  auquel  il  ne  se  pouvait  rien  ajou- 
ter, et  que,  si  on  Tavait  informé  de  ce  qui  avait  été  dit  an 
nonce  qui  est  en  France,  il  ne  pourrait  douter  que  je  ne  lui 
parlasse  conformément  aux  sentiments  de  Votre  Majesté.  Il 
m'a  dit  qu'il  ne  m'avait  rien  promis  pour  M.  Tévêque  de  Mar- 
seille et  qu'il  vtMTait  ce  qui  se  pourrait  faire.  L'ayant  supplié 
de  vouloir  s'expliquer  d'une  autre  manière  et  de  considérer 
que,  si  le  cardinal  Allieri  rempêchait  de  donner  cette  sali?- 
facliou  si  juste  h  Voire  Majesté,  elle  ne  pardonnerait  pas  kce 
cardinal  une  telle  offt^nse,  il  m'a  répondu  :  Vostra  Sif/uoriafa 
tutto  quel  cliP  puol  per  obli(/arci  a  dargli  ima  parola  cateyo- 
rira  per  il  sif/nore  t^psc(H)o  di  Marsiylia^  ma  non  In  poiiamo  in 
coscimza  nr  per  Marsifjlia  jip  per  quaUicoglio  altro  noMinato 
de  priticipi.,.  Tout  ce  que  j'en  ai  pu  tirer,  après  l'avoir  pou:îsè 
encore  vivement  et  plusieurs  fois,  c'a  été  que,  lorsqu'il  ferait 
la  pn)?)io/ion  des  couronnes,  il  aurait  tout  Céfjard  qu^ il  devait 
aux  sujets  demandés  par  les  princes  et  que  M.  de    Marseilk 
en  était  un.  » 

Les  lettres  suivanlcs  de  l'ambassadeurachevèrent  d'éclairer 
sa  cour  :  Si  nous  obtenons  la  promotion  des  couronnes,  di- 
sait-il (1),  «  ce  sera  l'ouvrage  de  Sa  Majesté,  puisque  MM.  los 
cardinaux  Nidhanl  et  de  Hesse,  soit  pour  n'avoir  pas  assez 

\\)  k  Pompoiiue,  2  mai,  Home,  238. 


AUDIKNCE   DU  21    MAI   1675  S83 

pressé  le  pape,  soit  par  appréhension  de  celle  de  M.  le  prince 
Guillaume  de  Furstenberj^-,  n'en  ont  pas  tiré  les  assurances 
positives  el  réitérées  qu'il  m'a  données.  »  —  «  Mes  collègues 
m'onl  lémoi«j:né  mètre  d'autant  plus  obligés  d'avoir  porté  cette 
aiïaire  au  point  où  elle  est  qu'ils  n'ont  jamais  pu  tirer  des  pa- 
roles positives  du  pape,  mais  seulement  générales  et  honnêtes 
pour  leurs  maîtres,  qui  ne  l'engageaient  pas.  » 

L'ambassadeur  pénétra  encore  une  fois,  sous  un  faux  pré- 
texte, jusqu'à  Clément  X,  et  fit  les  derniers  efforts  pour  vain- 
cre sa  résistance.  (irAce  à  la  générosité  des  papes,  qui  ont 
caché  à  rhistoire  plus  d'un  outrage  commis  envers  eux  par  des 
princes  calholiciues,  on  a  ignoré  jusqu'aujourd'hui  ce  qui  se 
passa  dans  l'audience  extraordinaire  du2i  mai  1673(1).  Voici 
ce  que  raconta  le  duc  d'Estrées  :  Après  plusieurs  discours  qui 
me  fournirent  l'occasion  d'apprendre  au  pape  «  l'arrivée  des 
galères  de  Votre  Majesté  à  Cività-Vecchia  et  des  autres  grands 
secours  qu'elle  envoie  à  Messine  (2),  dont  il  me  parut  étonné, 
admirant  la  puissance  et  les  grandes  forces  de  Votre  Majesté 
de  tous  côtés,  »  je  passai  à  l'aflaire  des  quatre  ambassadeurs. 
«  Je  fus  surpris  de  me  voir  interrompu  par  le  pape  qui,  sans 
que  je   lui  parlasse  davantage  de  promotion,  me  dit  :  Non 
votjiuuno  sentir  pià  parlar  di  promotione;  la  faremo  qnando 
vor/r/fio..,  Lfi prùna  promotione sara  per  ?wi,  »  —  a  Sur  quoi, 
je  lui  représentai  qu'elle  pouvait  èlre  pour  Sa  Sainteté  et  pour 

(i)  Le  caniiutil  ilKslrée,:»,  véritable  chef  de  l'ambassade,  revendiqua  l'honneur 
d'.ivoir  décidé  sou  frère  à  récIauuT,  «ous  un  faux  pnHoxte,  cette  audience 
exlraordiuaire.  (A  Pouiponut»,  20  uiai.  Hnmc,  233.)  Il  y  avait  été  délcrmiué  lui- 
même  par  uu  évéuetneut  qu'il  avait  appelé  de  tous  ses  vœux.  Chargé  depuis 
luui^tiuiips  par  Louis  XIV  de  fomenter  à  Naplcs  et  à  Messine  une  iusurrecUon 
cuulre  la  maison  d'Autriche,  il  avail  réussi  a  soulever  les  Deux-Siciles,  et  une 
Hotte  du  roi  rdài.hait  alors  à  Cività-Vecchia,  se  diri^'caut  vers  le  midi  de 
Mlulie  pour  appuyor  les  révoltés.  (Pomponue  au  cardinal,  20  avril  1613.  Rome, 
2M.  Le  cardinal  à  Pomponue,  20  mai.  Hotnc,  238,  et  toute  la  correspondance.) 
Or,  il  voulait  qiio  les  vair^s^aiix  et  les  troupes  du  roi  ne  se  rcudissent  pas 
luoius  redoutables  aux  Romains  ([u'aux  Espagnols  :  u  J'ai  marqué  quelquefois 
au  roi,  disait-il,  un  lui  purlant  des  j/mi/eni  de  fonder  un  f/ ru nd  pouvoir  en  celle 
cour,  la  nccossité  de  ^'l•ulp.^rer  de  quelque-  ports  de  Toscane  auprès  de  Home, 
(Test  pourquoi  non  seulemenl  ci^lte  prise  troublerait  N.tples  et  atfaiblirait  les 
Espagnols;  mais,  par  un  contre-coup  infaillible,  tiendrait  Rome  et  te  pontifical 
dans  une  ptiis  grande  déférence  pour  S.  *V.,  et  une  extrême  crainte  de  lui 
déplaire.  »  (A  Fompouue,  22  décembre  1674.  Kome,  233.) 

(2)  Amenés  par  Duquesne.  Cf.  lloubset,  t.  11,  p.  391. 


584  CHAPITRB  SniÈIIB 

les  prÎQceSy  parce  qu'elle  pouvait  attendre,  pour  le  Caire,  tant 
de  chapeaux  qu'il  lui  plairait  pour  ses  créatures  ;  mais,  ~  Si 
Sainteté  m'ayant  dit  sur  cela  qu'elle  n  avait  jamais  assuré  que 
la  première  promotion  serait  pour  les  princes,  mais  seule- 
ment que,  quand  elle  ferait  la  promotion  pour  les  couronnes, 
elle  aurait  égard  aux  sujets  qu'elles  avaient  nommés,  — je 
répliquai  que  Sa  Sainteté  avait  pu  parler  de  la  sorte  à  mescol- 
lëgues,  mais  que  moi,  elle  m'avait  assuré  positivement  de  ce 
quecontient  l'abrégé  des  sept  audiences,...  et  que  Votre  Ma- 
jesté se  ferait  bien  tenir  la  parole  qui  lui  avait  été  donnée.— 
Le  papo  dit  sur  cela  :  Non  ci  ricordiamo  (Taver  deiio  a  VostraSi- 
gnoria:  La  prima  promotione  saraper  le  corone^  ma^  quàndo 
sarehhe  vero^  qiiesto  7ion  si  chiama  dar  una  parola  positiva.  — 
Sur  quoi,  lui  ayant  dit  que,  pourvu  que  Sa  Sainteté  con\iat 
des  termes,  je  n'aurais  pas  sujet  de  me  plaindre,  elle  me  soutint 
do  nouveau  qu'elle  n'avait  point  parlé  de  la  manière  dont  je  di- 
sais, et,  ayant  reparti  à  Sa  Sainteté  que  non  seulement  elle  m'a- 
vait parlé  ainsi,  mais  même  qu'elle  l'avait  confirmé  à  MM.  les 
cardinaux  médiateurs,  elle  répondit  :  Possono  dire  quel  che  gli 
piace,  et,  après  avoir  un  peu  hésité,  elle  ajouta  :  Se  fho  detto, 
mi disdico.  Ce  sont   les  propres  termes  dont  elle  se  servit.  — 
Jo  lui  disque  je  souhaiterais  bien  pouvoir  cacher  ce  qui  s'était 
passé  sur  cola,  mais  que  j'étais  obligé  avec  déplaisir,  pour 
sauver  mon  honneur,  de  faire  connaître  dans  Rome  et  partout 
ailleurs  les  engagements  qui  avaient  été  pris  depuis  tant  de 
mois  touchant  la  promotion  des  couronnes,  dont  j'avais  rendu 
compte  à  mon  matlro,  et  que  j'avais  toujours  vécu  d'une  ma- 
niènî  que  j'espérais  qu'on  me  rendrait  assez  de  justice  pour 
croire  que  jtî  ne  les  avais  pas  inventés.  —  Sur  quoi  le  pape 
me  dit  :   Vostra  Signoria  ptiol  fare  quel  che  li  piacera.  Parmi 
cesconleslations,  le  pape  ajouta  aux  mauvais  traitements  dont 
j'ai  déjà  parle  celui  do  sonner  la  clochette  pour  me  licencier, 
et  voulut  deux  fois  s'en  aller;  mais.  Tayaut  supplié  avec  beau- 
coup de  respect  de  demeurer  et  lui  ayant  représenté  qu'on  ne 
fermait  pas  la  bouche  au  ministre  d'un  si  grand  roi,  qui  écou- 
tait son  non:*.e  toutes  les  fois  qu'il  le  voulait,  ou  bien  lui  en- 
voyait M,  de  Pomponne,  secrétaire  et  ministre  d'État,  SaSain- 
lelé  se  remit  sur  sa  chaise,  de  sorte  que  mon  audience  dura 


ArDlENCB   DU   2f   MAI   1675  S85 

près  d'une  heure.  Je  ne  dois  pas  omettre  que  lorsqu'elle  sonna 

-  la  clochette^  je  lui  ai  dit  que,  si  elle  voulait  Faire  entrer  des 
témoins,  je  n'aurais  nulle  peine  à  répéter  devant  eux  les  vé- 

-  rites  que  je  venais  de  dire...  Je  dis  au  pape  que,  quoiqu'il  me 
parût  dans  des  sentiments  si  opposés  à  ceux  que  je  lui  avais 
vus  pour  la  promotion  des  couronnes,  je  ne  laisserais  pasde  lui 

parler  de  celle  de  M.  de  Marseille —  Il  répondit  d'abord 

que^  si  Votre  Majesté  voulait  donner  la  sienne  à  ce  prélat,  il 
la  remplirait.  —  Sur  quoi,  lui  ayant  représenté  que  cela 
n'était  pas  nécessaire  puisqu'elle  avait  celle  de  Pologne,  Sa 
Sainteté  me  répondit  qu'il  n'était  point  Polonais,  qu'il  ne  le 
ferait  pas  cardinal  et  que  mes  vives  instances  réitérées  ne  ser- 
vaient pas  à  M.  de  Marseille.  —  Lui  ayant  demandé  si  c'était 
la  réponse  que  j'avais  à  faire  à  Votre  Majesté  par  un  courrier 
extraordinaire  que  je  devais  renvoyer,  il  se  reprit  en  me  di- 
sant :  Non  diciamo  questo;  non  parliamo  ne  pro  ne  contra  il 
vescovo  di  Marsiglia,  Ci  haveremo  risgnardo  quando  faremo  la 
promotione  de*  principi.  Ce  que  je  lui  fis  répéter,  afin  de  le  pou- 
voir mander  plus  positivement.  Votre  Majesté  jugera  aisé- 
ment que,  si  elle  fait  parler  fortement  au  nonce  et  lui  témoi- 
gner son  ressentiment  de  la  manière  offensante  dont  le  pape 
m'a  traité,  et  qu'elle  lui  en  écrive  dans  celte  conformité,  l'on 
me  satisfera  bientôt  si  je  ne  l'ai  été  auparavant.  Outre  cela, 
il  y  a  apparence  que  ce  serait  le  moyen  d'affermir  la  promo- 
tion des  couronnes  et  celle  de  M.  de  Marseille,  et  obliger  le 
cardinal  Altieri  à  finir  promptement  l'affaire  des  ambassadeurs 
dont  il  parait  toujours  s'éloigner...  (1).  » 

Dès  le  lendemain,  le  22  mai,  Altieri  avait  porté  les  faits  à  la 
connaissance  du  nonce  Spada  (2),  et  joint  à  sa  dépêche  la  re- 
lation suivante,  écrite  immédiatement  sous  la  dictée  de  Clé- 
ment X  et  destinée  à  être  placée  sous  les  yeux  de  Louis  XIV  (3)  : 

(1)  L«  duc  au  roi,  24  maf.  Rome,  238. 

(2)  Arch.  Vallc,  Cifrt  con  nunziatura  di  Francia,  151.  22  maggio  1675. 

(3)  «  Que«to  si^nore  ambaâciature  di  Fraiicia,  cou  ingaoïio  allre  voUo  «la  loi 
pratticato  di  chiedere  al  papa  udienza  atraoni inaria,  pollo  ]>rctesto  di  liaver 
riceTuto  ieUere  Tonute  ia  dili^enza  cbe  a  far  tilo  iualanz  i  l'obbligavano,  la 
chlede  douienica,  e  roUeniie  uiartedi  21  del  correute.  U\  esaa  prese  a  dccla- 
mare,  coo  vehemenia  magiore  del  solilo,  che  durasscro  ancora  11  iconcerii  tra 
lui  e  11  auoi  collegbi  da  uoa  parte  e  il  cardiuale  Altieri  dalt'  altra,  e  cbe  al  tar- 


586  niAPlTHE    S1XI^.MK 

u  L'ambassadeur  de  France,  renouvelant  un  artifice,  déjà  em- 
ployé par  lui,  de  demander  au  pape  une  audience  extraordi- 
naire^ sous  prétexte  d'avoir  reçu  des  dépCckes  pressées  qui 

dasse  ancora  di  dar  loro  le  doTute  sodiifatUoDÎ,  millantando  egU,  in  qaeito 
proposilo,  nou  solo  la  graudezza,  tua  aachc  le  taute  arniatc  dcl  iiuo  rè,  parti- 
colnrizzaudo  quella  che  si  irovuva  a  CÎTità-Vecchia.  A  cbe  il  papa,  qiiauluDqu4 
Borpreso,  disse  :  Noi  ci  meravigliauioche  VustraSignoriaci  parli  più  di  «imilt 
diffcreiizef  doppo  buvcrlenoi  riinesse  alli  mediatori,  cheleie  li  suoi  compigiii 
haunu  cou  tauta  feruiezzd  voUuti.  Cou  essi  hanuo  loro  a  trattare  e  non  coi 
noi  ;  e  quando  es«i  ci  rereriranuo  corne  si  poâsauo  ragionevolmeQte  comporrc. 
Doi  ri^olvereiuo  in  cio  qiiollo  stiuiaremo  giusto  e  couveuevole.  Sog^'iUD^eu- 
duj^li  :  Vustra  Sif{Uoriu«  da  luoito  tempo  nou  ci  parla  più  di  veruu*  affare  del 
suo  rc,  ma»o1iimi'Dtti  délie  sue  )>roprie  passioui.  Nod  sono  queali  i  st-usidrlU 
Maestd  Sua;  uoi  li  sapi»iau)0,  c^li  scrivcreuio  tutto.  A  tali  parole,  iutiinorilo 
l'ambasciatore  si  gilto  iu  giuocchione,  e  suoplico  Sua  Saulità  di  non  scrirere 
cio  al  rè. 

«  Eutro  poi  ramhasciiitore  a  far  nuoTe  iostanze  per  la  promotione  del  ves- 
covo  diMarsiglia,  coine  nouiinato  alla  porpora  dal  rè  di  Polouia,  e  il  papagii 
rispose  :  Vos^tra  Sigiiuria  uou  fa  che  purltrci  di  quebtoMarsiglia  e  uonsa  che, 
IU  vece  di  farhi.ue  a  quosto  prelalo,  gli  fa  dauuopcr  seuiprecouie  »?ulraVoîtra 
Siguoria  a  parlarci  di  cio?  AU'hora  l'anibasciatore  si  diede  ad  iuvettivare  più 
cbe  mai  coiitro  il  cardinale  Altiori,  eupponendo  c\ï  e^Vi  »la  che  iuspiri  a  Sui 
Saiilità  simili  scLitimciili.  A  che  il  papa  replico  :  Noi  uou  s>appiamo  compreo- 
dcre  com».'  Vn^ira  Siguoria  ptis^a  dlrci  taiilo  maie  del  cardinale  Altieii  uoi 
havtMnli»la  qiieslo  ollcso  mai  lu  iiieiile,  ma  solo  iiiLerceiieiitc  d:i  uoi  j;ratie  jwr 
Ici.  (Vi  hanuo  gia  Voslra  Si-^Mioria  c  li  siioi  compagni  dello  taute  cose  coAtj 
di  lui,  rhe  noi  siaino  o^gimai  avvi'/zili  a  non  crederue   ])iù  nieute. 

««  E  havrnilo  Sua  S.iiitità  preso  il  campauello  per  dar  liue  ail'  udienza,  l'ara- 
l).isi-i,iior«'  ^le^a  la  s»ui  mano  e  pn^sa  quella  dfl  pap.i  gl'interrnpp»!  il  ?i)Uûrl". 
ma  havondo  M»"''  copier»^  iule^ji  i  primi  tocchi  cntro,  e  l'auibaitcîutore  lo  ferf 
rluscir  fuoh  drlla  canuMa  cou  diigli  auttorovolmente  clic  Sua  Sinlità  n<'U  la 
ohiamava,  e  cho  havi-va  ancora  qualche  oo?a  da  traltare.  l)o[ipo  diche  I.iQ:t'n- 
tiudt>si  «'lie  Sua  Uf-itiUiiilut»,  liavenJ«n;li  proim-sso  pin  voll».»  che  hi  prima  yT> 
nn)lioni'  da  farsi  sarelihe  [«cr  le  corone,  vo!ei»se  hora  luancargli,  il  jm:'*. 
coiniu«!iau<i(j  a«i  allerarsi,  griutouo  :  Vediamo  biMio  ch«i  quando  havreuio  a 
ttallare  cim  lei  ci  roiivfrra  hav»Tle?tiuionii  c  scnvcpi»  lutU»  cio  che  le  direu;o. 
Noi  non  <;li  halibiamo  mai  proiiiossa  ta!  cosa,  e  tulto  qiiello  cl).*  in  id  ]iro- 
posito  le  iuihiMamo  sulamente  detto  e  che  le  replichiamo,  è  slato  che,  q-iaui'o 
saia  il  ItMupo  di  lar  la  promoLione  ptM*  U:  coron»*,  havreuju  il  d«>vut«>  ritfjini«» 
ali(;  ins«laijze  d»'i  piincipi  ;  ma  (iuislo  tempo  tocca  e  appartient'  a  ui)i  s^oïi  Ji 
M*i«'gli''rio,  rssemlo  noi  di  r.io  l'a^polulo  pailrono,  e  ci  nnTavi^liumo  lii  Vostn 
Si^'iu.ria  ch»^  voirlia  rifoiivenire  un  papa  di  qnrllo  cl»e  non  ha  mai  dtll'».  K. 
prrso  di  nuovo  il  rani:  aiu'llo,  son»»  e  tere  intrare  a  liaciargii  i  pinli  al.iiJi 
for.islirri  pi  r  h  qnaii  il  mriU-.-lnio  ambasfialore  haveva  supplicata  Sua  Sftiilita 
di  tal  ^Tatia.  Compiti  una  tal  fimlione  ch.*  suol  ebScril  fin  dell*  udienza.  l'iiui- 
bd?cial<ire  non  î^i  liot'nli<i,  come  Fccondo  il  coblnme  doveva,  ma  licouiinoiu 
più  ardentamonle  che  i>rima  le  .«-uddetle  dugliauze,  onde  il  papa  Uuu  put>  uJolu 
più  s«dîrire  voirie  «izai^i  dalla  sedia,  ma  qm^jH  i»05le  a  Suu  Sauiila  couleiue- 


ArDlENCE   DU   21    MAI   1675  S87 

l'obligeaient  à  celle  ^démarche,  la  sollicita  dimanche  et  l'ob- 
tint pour  mardi,  21  de  ce  mois.  Il  en  profila  pour  réclamer 
avec  plus  de  véhémence  que  de  coutume  contre  la  prolon- 
gation du  démêlé  entre  le  cardinal  Allieri  et  les  ambassadeurs, 
et  contre  le  retard  de  la  satisfaclion  due  à  ces  derniers,  exagé- 
rant^ à  cetle  occasion,  non  seulement  la  grandeur  de  son 
prince,  mais  encore  ses  puissantes  armées,  et  particulièrement 
celle  qui  se  trouvait  alors  devant  Civilà-Vecchia.  A  quoi  le 
pape  assez  étonné  répondit  :  Nous  sommes  surpris  que  Votre 
Seigneurie  nous  parle  encore  de  ces  différends,  après  que  nous 
en  avons  remis  rajustement  aux  médiateurs  que  vous  avez 
réclamés  avec  tant  d*opiniAtreté.  Traitez  avec  eux  et  non  avec 
nous,  et,  quand  ils  nous  auront  proposé  un  projet  raisonnable 
d'accommodement,  nous  prendrons  le  parti  qui  nous  paraîtra 
juste  et  convenable.  Le  pape  ajouta:  Depuis  longtemps  Votre 
Seigneurie  ne  nous  entretient  plus  des  affaires  du  roi,  mais 
seulement  de  ses  ressentiments  personnels.  Telle  n'est  pas 
rintention  de  Sa  Majesté,  nous  le  savons,  et  nous  l'instruirons 
de  tout.  A  ces  mots,  l'ambassadeur  effrayé  se  prosterna  et  sup- 
plia Sa  Sainteté  de  ne  pas  écrire  en  ces  termes  au  roi.  Il  ne 
laissa  pas  de  faire  ensuite  de  nouvelles  instances  en  faveur  de 
la  promotion  de  l'évêque  de  Marseille  sur  la  nomination  du 
roi  de  Pologne,  et  le  pape  lui  répondit  :  Votre  Seigneurie  re- 
bat  sans  cesse  l'affaire  de  cet  évoque,  et  ne  voit  pas  qu'au 
lieu  de  rendre  service  à  ce  prélat,  sa  manière  de  parler  ne  peut 
que  lui  faire  tort.  Alors  Tanibassadeur  s'emporta  plus  que  ja- 
mais contre  le  cardinal  Altieri,  qu'il  accusait  d'inspirer  ces 
pensées  à  Su  Sainteté.  A  quoi  le  paj>e  repartit  :  Nous  ne  com- 
prenons pas  que  Votre  Seigneurie  se  permette  de  dire  tant  do 
mal  du  cardinal  Altieri,  qui  ne  vous  a  janiais  oirensé,  et  ne 
nous  a  jamais  demandé  que  des  gn\ces  pour  vous.  Votn?  Sei- 
gneurie et  ses  collègues  nous  ont  déjà  fait  taiit  de  rapports 
contre  lui,  que  désormais  nous  ne  voulons  plus  en  rien  croire. 


ritii  non  più  aiidiU  le  maiii  nel  petto,  1o  ritcnDC,  e  Sua  Satitità  act^csa  diglusto 
Bde^uo  gli  sgrido  :  Vuvtra  Signoria  èscomuiuuicitta;  c  rhiedeuJogliil  perche, 
il  papa  gli  rispodc  :  Perche  ella  ha  unata  viuleuza  alla  persunu  dcl  papa,  e 
»«»nzi  più  altpo  M  levo  Sua  Sanll'à  bnisrimpiite  (lalla  sfi'Ha,  «  <fii*»îrii  parti 
turbatiiidiuiu.  •  [Rome,  23S.) 


S88  CHAPITBE    SIXIÈME 

Et  Sa  Sainteté  ayant  pris  la  clochelte  pour  avertir  que  l'au- 
dience était  terminée,  Tambassadeur  étendit  la  main  et,  sai- 
sissant celle  du  pape,  interrompit  la  sonnerie;  mais»  le  matlre 
de  chambre  étant  entré  aux  premiers  coups^  l'ambassadeur  le 
fit  sortir  en  lui  disant  impérieusement  que  Sa   Sainteté  ne 
l'avait  pas  appelé,  et  qu'il  avait  encore  quelque  chose  à  dire: 
puis  il  se  mit  à  reprocher  à  Sa  Béatitude  qu*aprës  lui  avoir 
souvent  promis  que  la  première  promotion  serait  pour  les  cou- 
ronnes, elle  voulût  maintenant  lui  manquer  de  parole.  Lcpapt*, 
qui  commençait  à  s*émouvoir,  lui  dit  :  Nous  voyons  bien  que, 
quand  nous  aurons  à  lrait<)r  avec  vous,  nous  devrons  avoir  des 
témoins  et  écrire  tout  ce  que  nous  vous  dirons.  Nous  ne  vous 
avons  jamais  fait  celte  promesse;  nous  n'avons  jamais  dit  sur 
ce  sujet  que  ce  que  nous  vous  répétons  encore  :  que^  quand 
viendra  le  tour  des  couronnes,  nous  aurons  tel  égard  que  de 
raison  aux  instances  des  princes;  mais  c'est  à  nous  seul  quil 
appartient  d*en  fixer  le  temps;  nous  en  sommes  le  matlre  ab- 
solu, et  nous  sommes  surpris  que  Votre  Seigneurie  ose  im- 
puter à  un  pape  ce  qu*il  ne  vous  a  jamais  dit.  Agitant  de  nou- 
veau la  clochette,  il  fit  entrer  et  admit  au  baiscment  des  pieds 
plusieurs  étrangers  pour  lesquels  Tanibassadeur  avait  solli- 
cité cette  grâce.  Après  celte  cérémonie  qui  marque  la  fin  de 
raudienco,  l'ambassadeur  ne  se  releva  pas,  comme  Tusage  le 
voulait,  mais,  avec  plus  de  violence  qu'auparavant,  il  recom- 
mença ses  reproches,  et  le  pape,  ne  le  pouvant  souiïrir,  vou- 
lut quitter  son  siège:  alors  l'ambassadeur,  avec  une  audaw 
sans  exemple,  porta  la  main  à  la  poitrine  de   Sa  Sainteté  et 
Tempi'^chade  se  lever.  Sa  Sainteté,  animée  d'une  juste  indigna- 
lion,  lui  dit  :  Voire  Seigneurie  est  excommuniée,  el,  l'ambas- 
sadeur lui  en  demandant  le  motif,  le  pape  lui  répondit  :  Pour 
avoir  fait  violence  à  la  personne  du  pape.  Puis,  sans  rien  ajou- 
ter, Sa  Sainteté  se  leva  brusquement  de  son  siège,  et  l'ambas- 
sadeur s'éloigna  fort  troublé  (1).  » 

(1)  La  dépêche  dAUieri  uu  nonce,  datée  du  22,  partit  le  lendemaia  aTecU 
rcUliou  et  une  letlre  ppéciale  de  cn'-ance,  datée  du  23.  Voici  ce  brefau  roieo 
créance  sur  le  nonce  an  sujet  de  la  conduite  du  duc  d*E8trées  à  regard  d* 
S.  i^.  :  «  Canssiuie,  etc.  Venerabilid  frater  Fabrilius,  archiepiscopns  Palreo- 
Bis,  apostolious  apud  Majestutem    Tuam  Duiitins,  pluribus  ju?su   Dostro  tibi 


AUDIENCE  DU   21    MAI   167S  389 

Il  avail  fallu  plusieurs  jours  au  ducd'Eslrées  pour  concerter 
son  récit  avec  le  cardinal .  Sa  première  dépêche  au  roi  est  datée 
du  21,  mais  elle  ne  partit  certainement  pas  de  Rorpe  avant 
le  27  (1).  Il  était  fort  inquiet  de  l'effet  qu'allait  produire  en 
France  ce  qu'il  appelait  la  fausse  relation^  Icîs  suppositions  du 
palais.  Vainement  il  écrivait  à  Pomponne  :  «  Je  ne  doute  pas 
que  vous  ne  soyez  extrêmement  surpris  de  la  manière  donlle 
pape  en  a  usé^  qui  est  tout  à  fait  extraordinaire  et  désapprou- 
vée dans  Rome  par  toulc  sorte  de  raison.  »  Vainement  il 
flattait  Louis  XIV  de  Tespoir  que  Rome  céderait  à  la  peur  de 
la  flotte  stationnée  à  Cività-Vecchia,  et  à  la  menace  de  publier 
le  prétendu  engagement  du  pape.  Il  avait  été  obligé  d'avouer, 
dans  les  mêmes  lettres,  l'abandon  où  le  laissaient  ceux  qui 
avaient  pourtant  le  plus  d'intérêt  \%  se  prévaloir  de  cette  pro- 
messe! «  Nous  avons  eu,  disait-il,  de  fort  bons  avis  que  le  car- 
dinal Nidhardeslfort  refroidi  sur  la  promotion  des  couronnes.  » 
Je  tiens  de  l'ambassadeur  de  Venise  que  les  minisires  de 
Madrid  et  de  Vienne  ont  ordre  de  ne  s'unir  à  moi  que  pour 
TalTaire  des  quatre  ambassadeurs  et  de  n'y  pas  mêler  celle  de 

la  promotion «  Les  cardinaux  de  liesse  et  Nidhard  ont 

changé  de  sentiment  et  ne  feront  point  de  protestation  en  cas 
de  promotion,  ainsi  que  j'ai  mandé  qu'ils  l'avaient  résolu  au- 
trefois. » 

L'éclat  provoqué  par  le  cardinal  d'Kslrées  fut  plus  grand 
qu'il  n* avait  supposé.  Dès  qu'il  en  prévit  le  danger,  c'est  sur 

exponet  quomodo  se  Dobi8cum  gonl  nobilis  vir  dux  Desirœus  orator  tuus. 
Ut  \^\i\iT  oft  quA  soles  huuiauitute  ipsuiu  aiidire,  sensustjue  noslros  expro- 
menti  plénum  eidem  fidem  prœstare  vtlh  profecto  cupiiiiu^,  qui  scilicirt  uou 
dubiUiDUs  qtiii),  propeiisa;  uiiruin  iii  modum  erga  Majcslatem  Tiiaiii  pateruio 
vuluiitati  uoslr»,  paribus  vi^-issiui  tilialis  t-r^'a  nos  ubsurvanliu;  ducumeutis 
ouiuiuosisrespousurud.  Majeslati  ▼oroiiileriiuTuiu  apustolicaui  beuediciioueiu 
aiiiauU«sime  iiupertiiuur.  Datuiu  Roiiiœ  apud  Sauclain  Mariau  Majorcui  sub 
auuulo  Piscalorii^,  dit;  xxiii  uiail  MDCLXXV,  poutiticalus  uostri  auuo  sexto.  • 
Sigué  :  u  Marius  Simnala.  »  {Home,  23^,) 

(i)M  Nous  avons  eu  avis  que  le  palais  a  dépêché  celte  nuit  au  nonce,  mail 
étaut  bien  perbuadé  qu'on  ne  peut  surprendre  par  aucune  fausse  relation  de 
Dion  audience  S.  M.,  et  qu'elle  voudra  bien  suspendre  ï^ou  jiigonicut  jusqu'à 
ce  qu'elle  soit  infornii^e  par  moi  de  ce  qui  s'est  pai^sé,  j'ai  retenu  encore  ce 
courrier^  pour  ne  pas'  être  obligé  d'en  dépérher  un  autre  en  cas  quil  se  passe 
quelque  c/iose  de  considt*ralion  dans  le  consistoire  qui  se  tiendra  lundi  pro- 
cfiain  (27  mai)  •.  (Le  duc  à  i'onipuunc,  2i  mai.  liotr.e,  23b.) 


590  CHAPITRE   SIXIÈMB 

le  pape  cl  sur  le  sainl-siège  qu'il  entreprit  de  détourner  la 
colère  de  Louis  XIV.  La  violence  impie  de  ses  invectives  dé- 
passe ce  que  nous  connaissons  déjà  de  celévèque.  Il  écrit  ao 
ministre  (1)  :  «  Ce  procédé  achève  de  faire  voir  Timbécillité  en- 
tière du  pape  et  l'incapacité  d'occuper  le  poste  qu'il  remplit... 
Sa  Majesté  peut  faire  un  fondement  assuré  sur  la  relation  de 
M.  le  duc  d'Estrées,  qui  n'a  jamais  menti  de  sa  vie...  Le  pape 
s'était  fait  un  tel  eiïort  dans  cette  audience  qu^à  peine  trouvait- 
il  les  paroles  (2),  et  tout  le  jour  il  parut  tonl  étourdi:  mais 
son  potage  le  remit  le  lendemain.  L*imbécillité  en  tout  cela 
n*est  que  trop  visible;  l'audace  et  la  folie  du  cardinal  Allieri 
bien  extrêmes,  et  Sa  Majesté  peut  et  doit  les  châtier,  ce  me 
semble,  par  une  voie  par  laquelle  il  est  plus  attaquable,  qui 
est  de  Tcmpôcher  d'usurper  insolemment  le  pouvoir  du  chef 
de  TEglisc  et  du  vicaire  de  Jésus-Christ;  et,  quand  elle  n'en 
viendrait  pas  là,  si,  en  menaçant  le  nonce  d*y  venir  et  se  pré- 
valant de  l'assemblée  du  clergé  qui  est  maintenant  sur  pied, 
et  qui  sera  d*un  grand  poids  pour  peu  qu'on  remue  ou  qu*oa 
semble  y  remuer  cette  matière,  ou  dans  la  Sorbonne,  et  parler 
d'une  députation  de  l'Église  de  France  au  sacré  collège  sur  ce 
sujet,  Sa  Majesté  tirera  du  cardinal  Altieri  telle  satisfaction 
qu'elle  voudra....  On  attend  ici  quelque  chose  de  fort  et  de 
proportionné  à  ce  qui  est  du  à  Sa  Majesté  et  à  sa  puissance. 
Si  Ton  sait  seulement  qu'on  parle  de  députer  quelqu'un  pour 
examiner  cotte  malière  ou  d'une  mission  à  Rome  vers  le  sacré 
collège,  le  cardinal  Altieri  tremblera.  »  Cette  mesure,  approu- 
vée des  cardinaux  Cybo  et  Rospigliosi  (3),  «  contribue  à  re- 


({)  A  Pomponne,  26  mai.  Rome,  238. 

(2)  Acceptons  un  instant  le  récit  de  cet  évoque  :  la  probité  permetlaU-elle 
d'abuser  des  paroles  écbappées  à  un  rieillard  de  quatre-viogt-cÎDq  ans,  d'une 
imbécilliU'  entière,  qui  peut  à  peine  trouver  tes  mois  ei  qui  perd  la  mémoire? 

(3)  Cybo,  que  MM.  d'Eslrées  rôvent  de  voir  pape,  el  qui,  eo  attendant  la 
tiare,  louche  de  leur»  mains  sa  pension  secrète;  —  et  Rospigliosi,  qui  vient 
de  fs'eu^ai^er  avec  eux  dans  un  honteux  complot  pour  discréditer  et  sup- 
pluntr  AllitMi.  —  «  Je  ne  sais  si  létal  de  la  santé  du  pape  peut  donner  lieu  à 
la  p».'ust*e  d*un  surcesseur;  mais,  se/on  Vav'm  de  V.  E.,  et  pour  le  saint-siège 
et  pour  nou?,  le  choix  ne  pourrait  mieux  tomber  que  sur  .M.  le  cardinal  Cybo.  • 
(Pomponne  au  cardinal  d'K&lrées,  20  avril  1613.  /lome,  238.)  —  «  Je  donne  ordr« 
pour  vous  faire  remettre  la  peusion  de  l'année  dernière  du  cardinal  Cybo.  * 
(Le  roi  au  duc,  21  août  1676.  i{om«,  246.)  —  «  J'ai  continué  à  faire  voir  au  roi  en 


AUDIENCE    DU    2l    MAI     lfi7">  o9 1 

donner  au  sucré  collège  l'autorité  qu*il  n'a  perdue  tout  à  fait 
que  depuis  trente  ans  dans  les  affaires  de  rKjjlise...  Le  motif 
de  l'Age  et  de  la  faiblesse  du  pape,  de  la  mauvaise  et  scanda- 
leuse conduite  du  cardinal  Altieri,  Tabominalion  où  il  est  dans 
rÉtat  ecclésiastique  ne  rendent  ce  moyen  que  trop  plausible 
et  trop  autorisé.  Sa  Majesté  pourrait  ordonnerâu  cardinal  Gri- 
maldi,  qui  est  ici  dans  une  grande  vénération  et  que  son  Age 
et  sa  probité  rendent  des  plus  considérables,  de  faire  de  pres- 
santes et  de  fortes  plaintes  au  pape  sur  le  cardinal  Altieri  et 
de  déclarer  aux  principaux  du  sacré  collège  que,  si  on  ne  songe 
à  remédier  à  ces  désordres,  SaMajestéseraobligée  dedemander 
qu'on  pourvoie  aux  abus  que  l'autorité  du  cardinal  Altieri 
cause  dans  le  gouvernement  de  l'Kglise,  autant  qu'elle  fait  à 
la  dignité  <lu  saint-siège,  que  Sa  Majesté  honore  plus  que  per- 
sonne et  qu'elle  s'elïorcera  partout  de  maintenir  et  de  défendre  ; 
mais  que,  si  on  n'y  apporte  le  remède  nécessaire,  elle  sera 
obligée  dV  remédier  par  les  voies  qui  lui  sont  propres;  que 
toute  l'Eglise  de  France  ne  peut  s'empôcher  de  s'intéresser 
dans  une  telle  occasion.  On  peut  marquer  au  cardinal  Grimaldi 
que,  selon  les  réponses  que  Sa  Majesté  aura  de  lui,  Sa  Majesté 
emploiera  les  autres  moyens  qu'elle  a  dans  sou  royaume  pour 
le  bien  de  l'Église  et  le  service  du  saint-siège,  qu'elle  considère 
encore  plus  que  l'intérêt  de  son  ministre,  quoiipril  lui  soit  ex- 
trêmement à  c<rur.  Je  tiens  sans  difficulté  que  de  tels  ordres 
entre  les  mains  du  cardinal  Grimaldi,  qui  saura  bien  les  faire 
valoir,  porteront  une  grande  consternation  dans  le  cœur  du 
pape  et  du  cardinal   Altieri,  et,  détrompant  le  premier  de 

parliculier  le  nicmoirc  que  vous  m'avez  adresaé  p-iur  lui  seul.  Vous  croyez 
bieQ  que  S.  M.  coiitinuaut  toujours  duus  les  inî^iiKM  scutimeots  d'atrectioa 
pour  le  cardinal  Uospigliosi,  oUc  verrait  avec  plaisir  que  latrairt'.  qui  fait 
aujourd'hui  tant  du  bruit  à  Kome  servit  à  son  élévation  et  y  fit  passer  toute 
rautoriié  des  mains  du  cardinal  Altieri  dans  les  siennes.  »  (Le  même  au  môme, 
21  décembre  1014.  /{orne,  233.)  — u  Le  P.  Poilini  estim<* impossible  que  le  cardinal 
Altieri  se  maintienne  si  on  b;  viMit  comiiatlre  et  conclut  que,  si  l'alTaire  dure, 
ou  le  carilinal  Allirri  sortira  du  p;il;iiH,  ou  le  papo  siuM'onibora.  «(Le  cardinal 
d'Kstrées  à  l*ouipoiiue,i2  novombre  Uil-i.)  —  Le  p.  INdliiii  élail  un  reli;»ieux  avec 
lequel  Clémt-nt  X  avuit  r.outunio  de  réciter  sou  bréviaire  et  ({ue  MM.  d'Entrées 
cherchaient  à  suborner.  —  Espérons  i\iw  le  P.  Poliini  inspirera  au  pape  la 
pensée  de  prendre  le  cardinal  Uospigliosi  pour  premier  miuistre.  (Pomponne  au 
duc»  14  décembre  lt>75.) 


592  CHAPITRE    SIXIÈME 

TopinioD  qu*ils  lui  ont  donnée  sur  les  fins  que  mon  frère  agis- 
sait do  lui-mëmo,  renouvelleront  en  lui  Taigreur  naturelle  qull 
a  pour  le  cardinal  Allieri  (1),  et  feront  concevoir  à  celui-ci 
qu*il  lui  convient  de  s'accommoder  plutôt  que  de  se  perdre... 
Tout  cela  demande  une  prompte  réponse  et  par  un  courrier 
extraordinaire,  s'il  est  possible^  pour  tenir  l'afTaire  vive,  et 
échauiïcr  le  zèle  de  ceux  qui  veulent  parler  sur  les  désordres 
et  le  scandale  de  cette  autorité  usurpée  (2).  » 

(1)  Ou  verra  ci-après  que  Grimaldi  fut  bieu  loin  de  répondre  à  l'atteute  de 
MM.  d*E8trées. 

(2)  L'abbé   Servient  ne    pouvait  manquer  d'écrire,   sous    rinspiration  de 
M.\l.  d*Estrées,   sur   raudiouce  du  21  mai.  11  adressa  donc  à   Pomponne  une 
longue  et  ignoble  diatribe  contre  AlUeri  et  contre  le  pape  (2S   mai  1675,  t 
minuit,  lioine^  238),  mais  il  ajouta  au  récit  de  Tambassadeur  plusieurs  traiU 
qui  se  rapprochent  de  la  vérité.  «  Il  est  vrai,  dit-il^  que  sur  les  deux  mouce- 
menls  que  fit  le  pape  pour  éloif/nei'  M.  l'ambassadeur,  celui-ci  iepria  d'atlendrt, 
comme  il  avait  fait  d'autres  fois,  et  lu!  représenta  qu*uu  ministre  d'un  roi  tel 
que  le  nAtre  doit  être  écouté liest  encore  vrai  que,  voyant  qu'on  avait  en- 
gagé S.  S.  de  lui  nier  positivement  un  point  qa'elle  lui  avait   confirmé  sept 
fois...,  il  ne  put  et  ne  dut  pa.^,  ce  semble,  s'abstenir  de  repartir  vigoureusement.  * 
—  Je  ne  connais  pas  de  dépêches  où  Dourlemont  ait  exprimé  sou  opinion  sur 
la  sincérité  de   rambassadeur  dans  le   récit  de  THudieuce  :  mais  il  v  a  anx 
Archives  des  Aiïaires  étrangères,  un  manuscrit  où  cet  abbé  a  parlé  trois  foi» 
de  rincideut.  Ce  volume  inachevé,  au  dos  duquel  on  lit  :  liomc,  1675  à  10*9, 
et  (par  une  erreur  inexplicable)  Souvenirs  de  Vabbt}  Burlamaqui^  contient  quel- 
ques notes,  rangées  par  ordre  alphabétique,   sur  le   séjour  de  Bourlemont  à 
Home.  Voici  ce  qu'il   a  écrit  de  sa  main  :  1°  V®  «   Ambassadeurs  :  .Mai  1675. 
M.   le   duc   d'Estrées,   en  une  audience  qu'il  eut  du  pape,  où    S.  S.   lui  nia 
d'avoir  promis  la  promotion    dos  princes   pour  la   première,   f ambassadeur 
s'empoi  ta  et  dit  qu'il  était  homme  d'honneur  et  véritable,  et  que  le  pape  lui 
avait  promis.  Après  diverses  paroles  départ  et  d'autre,  le  pape  sonna  la  cloche 
pour  finir  l'audience,  mais  Tambassadeurne  bougea,  et  ditqull  était  bien  aise 
que  tout  le  monde  entre  pour  le  voir  soutenir  une  vérité.  Le  maître  de  chambre 
entra,  mais  le  pape  le  lit  sorlir.Qi  l'ambassadeur  demeura  encore  unquartdheure 
à  contester.  Le  pape  se  levait  de  temps  en  temps,  mais  Vambassadeur  voulht 
finir  tout  ce  tjuil  avait  à  dire.  Le  pape  dit  à  l'ambassadeur  qu'il  dépécberail 
un  courrier  au  roi;  l'ambassadeur  répondit  qu'il  en  dépêcherait  aussi.  !<'« 
autres  ambassadeurs  ne  firent  pas  de  ressentiment  de  cela  autrement.  L'ambas- 
sadeur lumba  peu  de  jours  [après]  malade  de  chagrin  très  dangereusemeut.  ' 
2°  yo  «  Maladie  de  l'ambassadeur  de  France  :  L'an  1675  et  au  mois  de  juin, 
après  une  audience  que  M.  le  duc  d'Estrées  eut  du  pape,  où  l'on  lui  nia  de 
lui  av«.ir  promis  la  proniotiou,  elle  pape  dit  qu'il  lui  avait  voulu  faire  violrnct, 
lui  portant  In  main  à  l'estomac,  afin  que  Sa  Sainteté  ne  s'en  allât  pas.  ledit 
duc  prit  tel  déplaisir  de  cela  que  vingt-cinq  jours  après  il  tomba  d'une  fièvre 
continue.  »   li°  V^  «  VromoUnn   au  tour  des  nations  :  L'an    1675,   du  21  mai. 
rambas:îadeur  de  France,  M.  le  duc  d'Kstrécs,  ayant  eu  une  fière  audience  arec 
le  pape  sur  la  promulion  des  couronnes,  S.  S.  lui  nia  de  lui  avoir  douué  parole 


AL-DtENCE    DU    21     MAI    1675  593 

Lorsque  le  roi  reçut  le  premier  courrier  de  son  ambassadeur 
après  le  21  mai,  il  commandait  ses  armées  en  Flandre,  et  cam- 
pait sur  la  hauteur  de  Nay.  Sans  attendre  les  communications 
de  la  cour  pontificale,  il  prit  son  parti  et  répondit  au  duc  : 
o  Je  n*avais  pas  besoin  de  votre  dépêche  du  24pour  juger  que 
ces  prétendues  violences,  que  cette  relalion  vous  attribuait, 
autant  que  cette  excommunication  qu'elles  vous  avaient  atti- 
rée, étaient  des  suppositions  du  cardinal  Altieri.,.  »  Voici  Tac- 
cueil  qu'il  réservait  au  nonce  Spada  et  à  son  envoyé;  le  pas- 
sage suivant  de  Pellisson  a  été  supprimé  dans  le  recueil  de  ses 
Lettres  historiques  (1)  et  n'a  été  imprimé  qu*en  180G  (2)  :  a  Le 
secrétaire  [de  Spada]  s'adressa  à  M.  de  Pomponne  (;t  lui  remit  la 
lettre  du  nonce  pour  le  roi,  demandant  d'avoir  l'honneur  do 
voir  Sa  Majesté,  pour  lui  rendre  lui-même  le  bref...  M.  île 
Pomponne,  après  avoir  parlé  au  roi,  a  dit  à  ce  secrétaire,  par 
son  ordre,  que,  quant  aux  plaintes  et  à  la  relation  entièrement 
opposée  à  ce  que  son  ambassadeur  lui  écrivait,  Sa  Majesté  les 
regardait  comme  de  nouveaux  eiïets  de  la  mauvaise  conduite 
du  cardinal  Altieri  k  son  égard  et  des  artifices  du  palais  pour 
porter  Sa  Sainteté  à  ne  faire  point  la  promotion  pour  les  cou- 
ronnes, contre  la  parole  que  Sa  Sainteté  elle-même  pn  avait 
donnée  six  ou  sept  fois  à  son  ambassadeur;  qu'ayant  co  dou- 
ble sujet  de  plainte,  Sa  Majesté  n'était  pas  en  état  de  donner 
aucune  audience  au  nonce,  s'il  la  demandait  en  personne, 
mais  encore  moins  à  un  domestique  envoyé  de  sa  part,  qui 
n'avait  aucun  caractère  pour  cela;  que  Sa  Majesté  n'avait  pas 
voulu  ouvrir  même  la  lettre  du  nonce,  laquelle  fut  remise  en 
même  temps  à  ce  secrétaire  cachetée  comme  elle  était;  que 
néanmoins,  par  respect  pour  le  saint-siège  en  général,  elle 
était  prête  de  recevoir  le  bref  de  Sa  Sainteté  par  les  mains  de 
M.  de  Pomponne.  Le  secrétaire,  n'ayant  pas  voulu  remettre  le 

do  faire  ladite  promotion  à  la  priMiiicre.  L'amUmsadeur  s  emporta  de  manière 
que  le  pape  snnna  trois  fois  la  clochclie,  et  raiiibassadour  n-sti  toujours»,  soii- 
Icoant  au  pnpe  qu'il  lui  avait  proiiil;»...  » — 11  st'Uiblc  que,  ?i  Bourleu)ont  avait 
cra  le  duc  d'Estrées  caloiunié  par  la  relation  du  palais,  ses  Souvenirs  n'au- 
raieut  épargné  ni  le  pape  ni  lo  cardinal  Altieri. 

(1)  3  vol.  in-12,  1729. 

(2)  Rélégué  parmi  les  pièces  diverses,  à  la  fin  des  Œuvres  de  LouLx  XI T, 
t.  VI,  p.  487. 

LOl'Ii  XIV  BT  LB  SAlXT-SlftOE.   —  II.  38 


591  CHAPITRE    SIXIÈME 

bref  sans  la  lettre  du  nonce,  a  été  renvoyé  comme  il  était  venu. 
sans  autres  plaintes  ou  menaces,  quoique  le  ressentiment  soil 
tel  qu'il  doit  être  et  doive  éclater  en  temps  el  lieu  (1).  »  Mai? 
Louis  XIV  avouait  à  son  ambassadeur  que  son  procédé  envert' 
Spada  n'était  qu*unexpédienti  maginé  pour  éviter  de  faire  droilà 
la  demande  du  souverain  pontife  :  «  J'ai  vu  avec  plaisir,  lui  di- 
sait-il, que  le  secrétaire  du  nonce  n'ait  pas  voulu  remettre  le  bref 
deSaSainteté,parceque,m'étanto(rert  de  le  recevoir,  j'ai  doQDé 
une  marque  de  mon  respect  pour  elle,  et  que,  ne  l'ayant  poiot 
reçu,  je  ne  connais  que  par  une  relation  sans  nom  tout  ce  qui 
vous  a  été  imposé  dans  votre  audience,  au  lieu  que  ces  mêmes 
suppositions  du  cardinal  Altieri,  tout  injustes  qu'elles  sont, 
auraient  paru  avoir  plus  de  force  dans  un  bref  de  Sa  Sainteté.  » 
Le  nonce  ayant  renvoyé  son  secrétaire  en  Flandre,  le  roi 
ne  put  éluder  de  nouvelles  instances  qu'en  mettant  à  nu  si 
mauvaise  foi.  Pomponne  écrivit  à  l'ambassadeur  (2)  :  «  Vous 
avez  vu  que  le  secrétaire  de  M.  le  nonce  n'avait  pas  voulo 
séparer  le  bref  du  pape  de  la  lettre  de  son  maître  au  roi; 
qu'ainsi  le  roi  élait  toujours  en  état  de  traiter  la  relation 
de  votre  audience,  qui  avait  couru  à  Rome,  de  fausse  et  sup- 
posée, au  lieu  qu'il  y  aurait  eu  quelque  embarras  à  s'en 
expliquer  tout  à  fait  de  cette  sorte,  si  le  pape,  dans  son  bref, 
avait  rapporté  Tairaire  conforme  à  celte  relation.  Le  secrétaire, 
ayant  attendu  quelque  temps  à  Liège  la  réponse  de  M.  le 
nonce,  me  vint  trouver  ensuite,  et  me  dit  Tordre  qu'il  avait 
de  me  remettre  le  bref  sans  sa  lettre.  Il  le  fit  et  je  crus  y  trou- 
ver une  ample  répétition  de  tout  ce  que  la  relation  contenait. 
Aussi  m'avail-ii  raconté  le  fait  de  la  m«^me  sorte,  et  préten- 
dait que  son  maître  en  devait  parler  en  conformité  à  Sa  Ma- 
jesté; mais,  ayant  ouvert  le  bref  lorsqu'il  fut  parti,  je  trou- 
vai qu'il  était  seulement  en  créance...  Ainsi,  le  roi  n'avant  point 
entendu  M.  le  nonce  (3),  Sa  Majesté  se  trouve  toujours  hors 


(!)  L«'  récit  de  Pollis^oi),  qui  aoroiiipa^iiait  Louis  XIV  ou  Flandre,  e!«t  con* 
finiM'  pur  1rs  dép'ches  du  loi  et  de  Pomponne.  (Le  roi  au  duc  d'Eslrû.-*. 
16  juin  lG7o.  liovw,  ii.îS,  •^li'.'i 

(2)  30  juin  IGToj.iu  »Mnip  de  Ilepsolin  près  ïilmouL  Rotnc,  230. 

(.*{)  Lt  Pelli>sou  nous  îi  informé  plus  haut  que,  si  le  uoace  s' éiaii  présmi: 
en  personne,  le  r ti  lui  aurait  refusé  audience'. 


PROMOTION  DU   27    MAI   1675  595 

de  la  nécessité  d'opposer  le  pape  même  à  ce  que  vous  lui  avez 
écrit,  et  de  n'être  point  obligé  de  répondre  à  ce  que  me  dit  le 
secrétaire  delà  part  de  son  maître  qu'il  ne  croyait  pas  que  le 
roi  voulût  ajouter  plus  de  foi  h  son  ambassadeur  qu'à  Sa  Sain- 
teté. » 

Clément  X  releva  le  défi  de  MM.  d'Estrées  (1).  Les  galères 
françaises,  dont  on  l'avait  menacé,  étaient  encore  à  Cività- 
Yecchia,  quand  il  intima  un  consistoire  pour  le  lundi  27  mai. 
Jamais  le  vieillard  n'avait  montré  une  plus  grande  vigueur  de 
corps  et  d'esprit  (2).  A  peine  les  cardinaux  eurent-ils  pris 
séance,  qu'ils  entendirent  la  formule  célèbre  :  Intendimus  creare 
cardinales^  suivie  de  six  noms  qui  devaient  honorer  et  illustrer 
le  sacré  collège  :  l""  Galeazzo  Marescotti,  Romain,  nommé 
assesseur  du  Saint-Office  par  Alexandre  VII,  qui  avait  de 
bonne  heure  distingué  ses  talents  et  sa  piété  ;  ancien  nonce 
en  Pologne  et  en  Espagne,  destiné  à  porter  la  pourpre  pen- 
dant plus  de  cinquante  ans  avec  une  réputation  qui  le  dé- 
signa plusieurs  fois  pour  la  tiare;  —  2**  Alessandro  Crescenlio, 
Romain,  religieux  Somasque,  patriarche  d'Alexandrie,  maître 
de  chambre  et  ami  particulier  de  Clément  X:  «  personne  de 
bonnes  mœurs  et  de  piété,  et  qui  pensera  bientôt  au  ponti- 
ficat. »  Il  s'étaitrécemment  attiré  la  haine  de  MM.  d'Estréespar 
la  fermeté  qu'il  avait  montrée,  comme  maître  de  chambre,  à 
faire  respecter  la  résolution  de  refuser  raudience  commune  aux 
quatre  ambassadeurs;  —  3**  Bernardino  Rocci,  Romain,  ma- 
jordome,  et  grand  maître  du  palais  apostolique   sous  trois 

(\)  «  ...  Quel  fatlo  risaputovi  per  la  corte  e  publicalo  in  gran  parte  benche 
Jiversamente  dal  veru  da  questi  sigDorl  d'Estrées,  havcodo  cagionato  nel 
sacro  collegio,  nella  prelatura  et  iu  tutti  gli  buouiini  scnsati  un  indicibile 
horrore,  ha  neir  istesso  tempo  eccilati  neir  animo  di  Norf^lro  Signorc  i  ragio- 
nevoli  motivi  di  riparare  aU'  bonore  pontiûcio  et  alla  diguità  dcUa  sodé  apod- 
toUca  COQ  accelcrarc  la  promotione  gia  diseguata  «lalla  Sua  Sautità  per  risto- 
rare  Délia  più  moderata  forma  latto  usatosi  e  la  riconvciiziouepratticataneir 
udienza  sudetta  contro  lutte  le  leggi  del  rispetto,  délia  conveuevolezz  i,  délia 
veuerazziooe  al  grado  supremo  del  pastore  universale  doll?i  Cbiesa.  »  (Au  cardi- 
nal Spada^  Dooce,  21  mai  1675.  Arcb.  Vatic.  Nunzialhra  di  Francin,  151  :  Cifre.) 

\2)  «  Le  jour  de  la  Pentecôte  [2  juin],  j'aid.ii,  roMiino  le  plus  ancien  audi- 
teur de  rote,  à  parer  bî  pape  de  ses  habits  poutiliraux.  Je  trouvai  Sa  Sain- 
leié  en  bonne  santé  et  avec  la  même  vigueur  que  ci-devant.  Je  l'ai  dit  à  M.  rani- 
bassadeur,  qui  m  avait  chargé  de  le  remarquer.  »  'Bourlcmout  à  Pompounc, 
5  juin  1673.  Rome,  238.) 


S96  CHAPITRE  SIXIÈME 

ponlilicats  (l)  :  «  homme  posé,  retenu  et  sage,  ot  qui  a  tou- 
jours vécu  ici  avec  grande  probité  et  grand  honneur  :  c'est ud 
sujetà  Jevenirpapable,n  ayantpas  témoigné  de  partialité ■[2): 
—  4*  Fabrizio  Spada,  nonce  en  France,  qui  avait,  danscei 
emploi,    conservé    Testime    du    pape    et    gagné    celle   de 
Louis  XIV  (3);  —  5*  Mario  Albcricci,   Napolitain,  nonce  à 
Vienne  ,  ancien  secrétaire  de  la  Propagande  :  «  On  l'estime, 
dit  le  cardinal  d*Ëstrées  (4),  un  des  plus  savants  cardinaux  du 
sacré  collège  dans  Thistoire  ecclésiastique  et  dans  les  conci- 
les... Onle  croit  un  homme  capable  et  de  bon  jugement  dans 
les  affaires,  et  cette  cour  a  fort  loué  sa  conduite  dans  la  noncia- 
ture de  Vienne.  Scsinclinationsne  sontpas  mauvaises,  »>  c'esl- 
à-dire  qu'il  penche  plutôt  pour  la  France  que  pour  une  autre 
couronne;  —  G*  Philippe  Howard  de  Norfolk,  cadet  de  celle 
grande  maison,  exilé  de  son  pays  pour  sa  foi,  Dominicain  el 
pratiquant  les  plus  dures  austérités  de  son  ordre;  ayant  épuisé 
sa  fortune  à  créer  di^s  refuges,  des  couvents,  des  séminaires 
pour  les  catholiques  anglais  en  Belgique  et  en  France;  réduit 
à  vivre  d'aumônes  ;  particulièrement  aimé  du  cardinal  Allieri. 
qui  se  chargeait  de  toutes  ses  dépenses,  et  du  pape  qui  lui  ré- 
servait un  appartement  à  Monte-Cavallo  :  l'Eglise  de  France, 
si  puissante  et  si  riche,  ne  comptait  pas  dans  le  sacré  collège 
un  seul  prélat  comparable  au  représentant  de  TEglise  persécu- 
tée des  Trois-Royaumes! 

Le  cardinal  s'était  préparé  à  troubler  le  consistoire  et  à  pro- 


(1)  Bonrlcmout  à  Pomponne,  29  mai  1(175.  Tîowe,  23S. 

(2)  Ibkl,  —  Le  duc  d'Estrées  au  roi,  21  mars  1674  :  <«  Ce  prélat  a  de  la  piété  cl 
est  d'un  esprit  doux,  judicieux,  bonuôte,  et  ces  qualités  lui  out  acquis  reslimu 
de  toute  cette  cour.  »  {Home,  220.) 

(ii)  Louis  XIV  eut  li  maladresse  de  refuser  au  nouveau  cardinal  ?oa  a:i- 
diouce  de  congé  :  «  Je  l'ai  seulement  fait  assurer,  delà  part  de  S.  M.,  par  suu 
auditeur  qu'il  m*avait  envoyé,...  que  S.  M.  avait  conçu  autant  d'estime  pi)ur 
s.i  pris  'UU'.î  (in'elle  avait  ou  do  satisfaction  do  ?a  conduite  dans  tout  le  teoip? 
qu'il  avait  passé  auprès  d'elle;  qu'elle  ne  le  confondait  pas  avec  les  sujets  «iti 
plainte  qu'elle  avait  tant  d'occasions  de  faire  de  M.  lecardiual  Altieri,  et  qu'oK-^ 
était  filchée  que  la  manière  dont  ce  cardinal  avait  ag,i  à  sou  é^fard  robIi;:cali 
ne  pouvoir  avoir  de  communication  avec  ceux  qu'il  faisait  agir  sous  ses  or- 
dres, lorsque  le  pape  lui  abandonnait  tout  le  soin  de  ses  alTaires.  »  (Pomponae 
au  cardinal  d'Estrées,  19  août  1675.  Rome,  239.) 

(4;  Troisième  mémoire  sur  les  cardinaux  en  1G7C.  Rome,  245. 


PROMOTION   DU  27   MAI   1675  S97 

lester  contre  la  promotion  (1),  complanl  être  suivi  par  les  car- 
dinaux d'Espagne,  d'Autriche  et  de  Venise.  Mais  le  cardinal 
Nidhard,  assis  à  ses  côtés  et  pressé  par  lui  de  se  déclarer,  ré- 
pondit qu'il  n^avait  pas  d'ordres;  le  cardinal  de  liesse  était 
parti  la  veille  pour  la  campagne,  et  le  cardinal  Basadonna  ap- 
plaudit à  la  promotion.  Le  cardinal  d'Estrées  n'eut  avec  lui 
que  les  cardinaux  Orsino  et  Grimaldi,  de  la  faction  du  roi. 
Vainement  il  tenta  d'émouvoir  le  sacré  collèsre  :  la  violence 
de  son  langage  ne  servit  qu'à  prouver  la  liberté  des  délibéra- 
tions. Il  écrivit  à  Pomponne  (2)  :  «  Les  cardinaux  Ursin  et 
Grimaldi  parlèrent  fort  bien  et  selon  qu'ils  en  rendent  compte 
à  Sa  Majesté...  Pour  moi,  je  parlai  selon  Técrit  que  je  vous  en- 
voie (3),  dans  lequel  je  crus  devoir  soutenir  la  vérité  des  pa- 
roles données  et  de  l'audience  de  M.  l'ambassadeur,  et  mar- 
quer en  même  temps  au  pape  que  cela  ne  lui  serait  pas  attri- 
bué, mais  à  ceux  qui  le  servaient  et  le  consultaient  mal,  et  que 

(l)  Conféiences  tenues  chrz  Tambaseadt^ur  entre  les  cardinaux  Grimaldi, 
Orsino  et  d'Estrées  en  vue  du  consistoire  prochain.  (Le  cardinal  à  Pom- 
ponno,  20-27  mai.  Rome,  238.) 

(2)26-27  mai   1675.  Rome,  238. 

(3)  Votum  do  cardinal  d'Estrées  au  consistoire  du  27  mai  1675.  RomCy  238  : 

€c  Multis  licet  gr.ituliinlibus,  graviter  non  dolere  nequeo,    lum   ut  christia- 

uissimi  Régis  acdomiui  mai  snb<iitn8,  cui  omniadebeo,  tum  ut  E^'clesio»  Ro- 

inan.'e  m»»mbrum,  et  a  Sanclilate  Veslrà  in  oardinalium  numoruni  rojiplatus, 

eri?a  quaui  a  no^lrà  nec  ab  corum  qnos  novi  parle  vel  obsoqnium  vcl  débita 

venoratio  unquam  dt'fuit.    Aliis  de  factis  sibi  a  Sanctitate  VeslrA  promissis 

agendum  relinquo;  facient  illi  et  ita  quideni  ut,  etiam  vitaî  fu.t  perioulo,  ca- 

vi-ant.  ne  qua  faniœ  sua»  et  gloriît»  macula  inuratur.  Ego  vero  sapiontissima» 

rt  ?>clesi.K  spirilui  conveuiontissima;  eminenti>simi  <*ardiualis  r.rimaldi  s«*n- 

tentiie  penitus    adh.Trcns,  subjirio  Sanclilali  Vtstra»  ignotum   ip«i  esse  non 

posse  quin  régi  ac  domino  meo  a  s»»x  meusiïmii  persuasum  fitsihi  Sanrititatem 

Veslram  per  oraioretn  suum  esse  poilicitam  cardinales  ex  votis  reguin  \u\c.  vir<». 

creandos  esse.  Id  enim  permultœ  teslautur  epistola».  Qua»  cum  ila  siut,  Sanc- 

tilas  Vestra,  nisi  p«-ius  cnin  U«'ge  chri.-liauissimo  eà  de  re  convenerit,   nec 

débet  oltra  progrcdi.  nec  jure  potest.  Si   secus  fariat,  gravis  sane  fiet  injuria 

ngi  potenlissinio,    Ecclesiaî  primogenito,  quique   omnium   maxime  a  sede 

apostolicà  faciendus  est,    ob  «grcgia  tum   majorum  ac  decessorum  suorum 

tum  sua  in  eam  mtuita  ac  bénéficia.  Ego  quidem,  pro    meo  erga  Eccicsiam 

studio,  coram  Sanctitate  Vestrà  dis?imulare  non  pn>s(Mii  quîP,   inde  et  quanta 

mala  animo  percipiiim.  Nota  pridem  orbichristinno  Sanrtilatis  Vrstro»  comilas 

ac  sinceritia  ojusmodi  consilii  suspicionem  ab  eà  remov.-nt,  et  iis  duntaxat 

tribuere  cogunt  qui  ipsi  deserviunt  et  maie  pr<»fer!o  deserviunt  :  imo  priva- 

tis  rationibus  suis  et  ambitioni  unice  deserviunt:  atqu*   in  ho>  otiam    niala 

omnia  quoe  accident  recidcre  ncccs^tc  est.  » 


598  CHAPITRE   SIXIÈME 

sur  eux  au<^si  toutes  les  suites  en  tomberaient.  Je  ne  fus  poiol 
interrompu,  quoique  cette  harangue  fût  assez  forte;  maîsje 
n*en  pouvais  aussi  dire  moins  après  un  cngag'ement  aussi  pu* 
blic  et  aussi  solennel,  et  aussi  témérairement  et  infidèlemeot 
violé.  »  Personne  n*avait  fait  attention  au  votum  du  cardioal 
Orsino,  que  sa  vénalité  notoire  privait  de  toute  autorité.  Gri- 
maldi  (1),  qui  ne  devait  la  pourpre  qu'à  la  faveur  de  Mazarin, 
évoqua  en  gémissant  les  coutumes  delà  primitive  Église  dans 
l'élection  des  cardinaux,  et  s'apercevant  sans  doute  que  ses 
paroles  condamnaient  trop  sévèrement  Tintervention  abasive 
des  princes,  il  tourna  court  et  se  réduisit  à  proposer  que  la 
promotion  fût  ajournée  à  la  fîn  de  la  guerre. 

L^ambassadeur  se  vengea  en  ne  mettant  pas  de  «  flambeaux 
aux  fenêtres  »,  comme  c'est  l'usage  le  jour  des  promotions.  Il  prit 
aussi  de  lui-mt^me  la  résolution  de  ne  point  visiter  les  nou- 
veaux cardinaux,  et  de  n'aller  ni  aux  audiences  ni  aux  cha- 
pelles. Mais  rien  ne  manquait  à  la  mortification  des  deux  frères. 
Le  cardinal  écrivit  àlacour(2)  :  «  Il  est  sans  doute  que  les  Es- 
pagnols 71  ayant  pas  reçu  les  mêmes  paroles  que  M.  Pambas- 
sadeur,  quoiqu'ils  eussent  fait  des  instances  communes  et  par 
écrit,  ont  sacrifié  leur  honneur  et  leur  réputation  à  la  crainte 
du  cardinalat  (in  prince  Guillaume,  mais  beaucoup  plus  à  la 

(1)  «  Cum  mihi  qiiid  île  fntriiin  elcctione  vidcalur  proferre  iuciimbat,  sin- 
cère uliqne,  iitpjicri  coiis'Oiîsùs  coiisilinriiim,  hiimiliter  tamcu,  ut  filium  ilerel, 
qr.;i;  iiiea  sit  iiieii3  proferain.  Non  possum  non  ex  imo  pectore  saspiria  eniit- 
terc  dum  mente  rcvolvo  dcoursorum  teniporum  mcntorias.  Exqulrebaulir 
priiis  bujus  ophiio  et  coiisiliutn;  dciiidCi  audilo  cardiualiuin  senatii,  quasi  ex 
condicto,  asinnnio  pontilice  prodibal  eloctio,  moremque  hune  apostolicà  imi- 
talione^utTultinn,  por  quindecim  s.TCula.catholica  Ecclcsia  tutissimum  experU 
est  et  altsque  invidià;  et.  ut  ad  rem  veuiain,  cum  longe  lateque  in  orbe  chris- 
tiaiio  f^^rassetur  biUum,  atquc  etiam  Itali.e  immineat  iuceudii  periculum,  lu 
hoo  tanto  discrimine  mihi  viiletur  e  re  esse  christianse  reipublicœ  qaod  S.  V. 
electioni  superrit-dcal,  alque  inl«'rim,  quoi*  summopere  nccessariuiu  est,  pa- 
ternà  sollicitudiue  operam  det  rébus  componeudis,  ut,  redditd  orbi  christiaDO 
pace  et  quiète,  de   cardinalium  electione  postmodum  agatur.  »  {Home,  23S.] 

{•!]  L'ainbar^ciatore  di  Francia  ne  domando   l'udieuza  ne  si   è  lasciato 

più  vt'dtTC  ad  aicuna  publica  fuuziorie,  dalle  quali  si  è  asteDuto  ancora  il 
cardinale  suo  fratt-llo  riliratosi,  si  corne  si  dice,  al  casino  deir  abbate  ElpiJio 
lÎMiedtîtti,  alla  porta  di  San  Pancrazio,  o  altrove,  forseper  non  acccttar^  ne 
rifiulare  la  vir^ila  dei  due  c  trdiuali  novelli.  »  .C.  Altieri  au  nonce  de  France. 
11  juin  1675.  Arch.  Vatic,  Sunziatura  di  Fraiizia,  131.  Le  cardinal  et  le  duc  à 
Ponjpouue,  21  mai.  liotnr,  2o8.; 


PROMOTION   DU   27    3IAI    i67o  599 

consternation  où  les  affaires  de  Sicile  et  de  Naples  les  met- 
tent... (1).  »  Pomponne  ne  s'attendait  pas  à  une  défaite  aussi 
humiliante  :  «  I!  serait  fort  à  souhaiter,  dit-il,  que  la  promo- 
tion eût  été  aussi  mal  reçue  à  Vienne  que  M.  le  cardinal  de 
Hesse  l'avait  témoigné  au  pape,  mais  les  nouvelles  publiques 
assurent  que  TEmpereur  en  avait  témoigné  beaucoup  de  satis- 
faction (2).  »  Le  ministre  espérait  qu'au  moins  les  Vénitiens 
marcheraient  d'accord  avec  le  roi;  mais  le  palais  de  Venise 
avait  été  illuminé  le  27  mai,  et  le  judicieux  Bourlcmont  avait 
annoncé  que  la  Seigneurie  «  se  rangerait  du  côté  où  elle  trou- 
verait son  plus  grand  avantage   (3).   »  Sa  défection  devint 
certaine  et  causa  un  vif  dépit  à  Louis  XIV.  Pomponne  fit  sem- 
blant de  retrouver  son  calme  en  écrivant  :  «  La  France  ne 
sera  pas  moins  forte,  lorsqu'elle  se  trouvera  seule  en  cette  oc- 
casion (4).  » 

En  attendant  que  le  roi  exécutât  ses   menaces,  ses  agents 

(1)  Les  aveux  de  Roiirlemont  sont  pin»  complets  et  plus  humiliaDtd  :  «  Les 
Espjignols,  dit-il,  out  fait  voir...  qu'ils  étaient  d'accord  que  la  promotion  fe 
fit  sans  y  comprendre  les  nommi^.s  des  couronntf^  et  que  ce  que  leur  iniuistre 
et  celui  de  rEmpercur  disaieut  ici,  aux  conférences  des  ambassadrur:*,  qu'il 
De  fallait  point  se  lai^^ser  faire  tort,  s'agiss.uit  du  tour  des  couronnes,  u'étnit 
que  matoiseries,  pendant  quMls  négociaient  secrètement  le  contraire  avec  le 
cardinal  Altieri  par  le  moyen  des  principaux  officiers  du  palais.  M.  le  cardinal 
Nidhard  n'a  pas  seulement  loué  cette  prory-otior^  en  plein  consistoire;  niais,  à 
la   fin  d'icelui,  il  uUa  publiquement  s'en  réjouir  avec  M.  le  cardinal  Altieri, 
l'embrassant  tendrement,  et  en  a  fuit  de  grandes  réjouissances.  M.  le  cardi- 
nal  de  liesse,  amha-sadcur  de   l'Empereur,    sortit  de   Homo,  la  veille  de  la 
promotion,  pour  ne  pas  assister  au  consistoire,  sachant   l»i»'n  ce   que  l'on  y 
devait  faire;  il  s'est  contenté  d'en   faire  faire  des    feux  do  joie  devant  son 
palais...  »  Le  cardinal  Nidhard  «  s'élonno  fort  que  l'ambassadeur  ait  dit  que 
le  pape  lui  avait  promis  de  faire  la  promotion   nationale  et  par  conséquent 
le   cardinal  pour  la  France,  vu  que  lui,  (pii  était  chargé  de  la  promotion  de 
relui  pour  l'Espagne,  n'a  jamais  eu  parole  de  Sa  Sainlelé  qu'elle  voulût  faire 
la  preunère  promotion  pour  los  <'ouronnes,  et  que  le  cardinal  de  liesse,  qui 
en  a  fait  de  pressantes  instances  de  la  part  de  rEm|«ereur,  n'en  a  jamais  pu 
tirer  de  parole  du  pape,  ni  même  espérance  do  l'avoir.  L'on  connaît  bien  à 
quelle  fin  ce  discours-IA  et  que  le   cardinal    Niilhard  fait  cola,  en  étant  prié 
par  le  cardinal  AUiori.  avec  lequel  il  est  eiili».'rernent  uni.  >» 

{■2)  Au  duc,  14  juillet.  Home,  :>:VJ. 

(3j  Servient  disait  au^^i  :  «•  Il  ne  faut  pa«»  se  fier  à  l'apparonco  sur  l'ambas- 
sadeur de  Venise.  11  ne  ^'est  pas  accordé  comme  les  autres;  il  nous  voudra 
vendre  celte  démarche,  mais  pout-èln?  sera-ce  pour  être  notre  espion  et  péné- 
trer nos  dessï^ius.  »  (12  juillet.  Rome,  235.^ 

(i)  Au  cardin.il.  9  août.  Rome,  230. 


600  CHAPITRB   SIXlftME 

s'abandonnaient  à  une  colère  voisine  de  la  folie  :  le  c^riM 
d'Estrées  écrivit  (1)  :  «  Sa  Majesté  a  tant  de  moyens  particalicD 
pour  ruiner  la  famille  du  cardinal  Altieri  et  sa  fortune,  enk 
séparant  de  la  personne  du  pape,  que  rimbécillilé  metàco- 
vert  de  tout,  que,  quand  elle  voudra  le  ruiner,  il  ne  loi  sfta 
pas  difficile  de  le  faire...  On  peut  l'attaquer  dans  sa  terre  dU 
riole(2).  On  peut  attendre  un  passage  où  l*on  trouve  des  vais- 
seaux de  Sa  Majesté,  et,  dans  ce  temps,  faire  des  inslancesu 
pape  qu'il  chasse  un  ministre  si  indigne  et  si  criminel  vers  Si 
Majesté,  ce  qui  sera  suivi  de  Tapplaudissement  de  tous  les  peu- 
ples. On  peut  encore  appuyer  le  zèle  des  cardinaux  qui  paIl^ 
ront  sur  l'état  du  gouvernement  de  l'Église  tout  à  fait  intolé- 
rable. On  peut  demander  qu'il  soit  pourvu  au  désordre  qaeli 
faiblesse  de  Tcsprit  et  de  Tàge  de  Sa  Sainteté,  incapable  dt 
toute  sorte  d'application,  et  Temporlement  du  cardinal  Allieri 
causent  dans  les  affaires  de  l'Eglise  et  même  dans  TËtat  dn 
pape,  afin  d'y  intéresser  le  public.  On  peut  consulter  sur  cela 
l'assemblée  du  clergé,  la  Sorbonne  et  les  autres  universités, 
flatter  en  même  temps  le  sacré  collège  et  demander  que  la 
pari  qui  lui  appartient  nalurellemeut  dans  le  gouvernement 
des  affaires  lui  soit  rendue  et  ne  soit  pas  usurpée  par  un  m^- 
veu  postiche,  indigne  par  tant  de  chefs  de  la  place  qu'il  remplit, 
et  coupable  de  tant  de  fautes...  Il  suffirait  qu'un  cardinal  ou 
deux  fissent  voir  au  pape  des  consultations  de  la  SorbonQ-J, 
ou  du  clergé  de  France,  etTextrémité  où  l'emportement  du  car- 
dinal Allieri  réduit  sa  personne  et  le  saint-siège,  pour  l'obli- 
ger à  l'abandonner  ou  même  h  se  démettre  (3),  comme  il  en  a 
souvent  envie,  et  sa  stupidité  ou  imbécillité  ne  laisseraient 
pas  d'êlre  sensibles  à  ce  chef  et  d*y  succomber...  Je  n'ai  pas 
attendu  de  l'union  [des  ambassadeurs]  un  grand  effort  sur  la 
promotion  depuis  quoique  temps,  comme  je  vous  l'avais  mar- 

(1)  A  Pomponne,  îiC-2'  mai.  Ilowe,  238. 

(2)  Oriolo,  à  pen  d(3  distance  do  Braccianoet  do  sou  lac  :  cotte  terre  appar- 
tient encore  à  la  fiimillo  Allieri. 

•  {?,]  L'histoire  de  rKgli:?e.  montre  peu  de  cardinaux  qui  se  soient  conduit» 
d'une  manière  au?si  infâme  envers  le  pape  dont  ils  tenaient  la  pourpre  :  Ip 
cardinal  d'Estrécs  n'eut,  sous  Louis  XIV,  qu'un  imitateur  de  fou  ingratitude: 
ce  fut  précisément  M.  de  Forbin-Jauson,  que  Clément  X  et  lunorcnt  XI  n? 
voulurent  jamais  élever  au  cardinalat  et  qui  l'obtint  cuûu  d^Alexaudre  Vlll. 


PROMOTION    DU    27    MAI    1675  601 

qué;^aisla  chose  était  tellement  liée  avec  le  pape  qu*0Q  ne 
pouvait  présumer  un  attentat  et  un  assassinat  pareil.  » 

Sous  l'inspiration  de  MM.  d'Estrées,  Tabbé  Sorvient  déve- 
loppait, dans  de  volumineux  mémoires,  les  projets  qui  pou- 
vaient le  mieux  satisfaire  la  passion  de  Tambassadeur  et  du 
cardinal  (1).  Voici  quelques-uns  des  conseils  qu'il  donnait  : 
Ce  sont,  dit-il,  «  divers  tempéraments  que  Sa  Majesté  peut 
prendre,  selon  les  diverses  vues  des  personnes  qui,  pour  être 
nés  Italiens  ou  dès  longtemps  habitués  dans  cette  cour,  croient 
avoir  quelques  lumières  sur  cette  matière  :  -^  l®  Déclarer 
le  pape  incapable  du  gouvernement.  »  Il  faudrait,  pour  cela, 
inviter  l'assemblée  du  clergé  à  délibérer  «  sur  les  talents  du 
pape,  sur  la  destruction  du  népotisme.  Les  consultations  de 
la  Sorbonne  sur  les  mêmes  matières  ne  nuiraient  pas,  ainsi 
que  des  ordonnances  consécutives  de  ne  plus  reconnaître  la 
daterie  de  Rome  jusques  à  ce  que  le  pape  eût  un  nouveau  con- 
seil ou  qu'il  se  fût  démis,  ou  jusques  à  un  nouveau  pontifi- 
cat...»—  2"  «Maintenir  l'intelligence  avec  le  baron  Cappelletli, 
. .  .chef  de  huit  ou  neuf  cents  bandi  ts  dans  le  royaume  de  Naples , 
et  capable  de  faire  révolter  toute  la  ville  et  lieux  circonvoisins 
de  Rieti.  On  prétendrait, par  cet  homme,  faire  introduire  [dans 
Rome]  une  quantité  de  bandits,...  en  leur  donnant  fort  peu 
d'argent  et  leurpromettant  une  forte  protection.  lisseraient  ca- 
pables do  brûler  le  palais  du  cardinal  Alticri  en  une  nuit  et  se 
retirer  en  Tinstant,  enlevant  ceux  ou  celles  de  sa  parenté  qui 
tomberaient  entre  leurs  mains,  ce  qui  leur  servirait  et  pour  la 
sûreté  du  retour  et  pour  le  rachat  que  ces  bandits  font  faire, 
quand  ils  sont  retirés  en  leurs  postes  ordinaires  et  qu'ils  y  ont 
amené  leur  proie.  L'exécution  de  ce  projet  n'est  pas  difficile, 
parce  qu'il  n'y  a  nulle  garde  aux  portes  de  la  ville,  qu'elles 
restent  ouvertes  toute  la  nuit;  que  le  château  Saint-Ange 
n'oserait  tirer,  pour  ne  pas  détruire  la  ville  inutilement...  »  — 
y  «  Les  mômes  proposent  que  les  mêmes  bandits,  au  nombre 
de  deux  cents  seulement,  pourraient  émouvoir  une  sédition 


(1)  Voir  notamment  qnntre  mémoires,  du  19  juin  1675,  et  une  lettre  confi- 
dculielle,  du  22,  à  M.  Pachau,  premier  commis  des  AfTaires  étrangères.  Rome, 
23î>. 


602  CHAPITRE   SIXIÈMR 

en  certaÎQS  quartiers  de  la  ville  :  cela  serait  facile;  maiseei 
moyens  sont  violents  et  d'une  vengeance  fort  indirecte.  Qoaflt 
aux  bandits,  Ugo  MalTei  (i)  m'a  promis  qu*au  moindre  ordic 
il  en  fera  trouver  secrètement  cinq  cents  dans  Rome  et  qoH 
en  répondra  de  sa  vie  (2).  »  —  4*  «  Les  mêmes  imaginent  en- 
core que,  dans  le  retour  des  galères,  on  pourrait,  en  une  noit 
et  à  l'imprévu,  quand  on  les  attendra  à  Cività-Vecchia,  faire 
débarquer  mille  ou  quinze  cents  hommes  à  Palo,  pouvant  tim 
encore,  si  Ton  on  avait  besoin,  trois  ou  quatre  cents  bommei 
de  Bracciano  (3)...,  qui  marcheraient  toute  la  nuit  à  Rome, 
où  M.  l'ambassadeur  aurait  eu  soin  de  former  un* corps  de  sept 
ou  huit  cents  hommes  qu*il  peut  armer  des  armes  qui  sont 
dans  son  palais,  et  composés  de  sa  famille,  de  pèlerins  et  autres 

(i)  Od  fc  rappelle  que  c*e8t  un  des  principaux  pension aaires  du  roi  et  cot- 
reppondauts  du  secrétaire  d'Etat  des  Affaires  étrangères.  Il  servait  d'aillecn 
aux  communications  de  Fa^nè^c  avec  la  duchesse  de  Bracciano,  qui  chaDjCft 
plus  tard  ce  nom  contre  celui  de  princesse  des  Ursins.  (Pomponne  au  cardi- 
nal d'Estréos,  15  mar:^  16'5.  liume,  237,  etc.) 

(2)  Le  cardinal  d'Estrécs  avait  des  rapports  suivis  avec  ces  bandits  qui 
employait  à  toute  espèce  (reiitreprise.  Voiri  des  lettres  de  ce  prélat,  qui  moa- 
trent  à  quris  offices  il  n'avait  pas  bont»  de  de.-^ccndre  :  Ayant  en  avis  aq:e 
quelques  mulets  charjîés  de  piastres  avaient  passé  par  Floreuco  et  s'en  allait dI 
à  llonic  pour  le  compte  de  quelques  Génois  qui  devaient  les  remtttre  à  Na- 
ples,  j'ai  fait  les  dili;:ences  que  je  devai:ssur  cela...  J'ai  pris  soin  do  faire  av»r- 
tir  quelques  gens  f l'être  alertes  sur  le  jiassafje  de  celte  voilure  et  de  tâcher  d'n 
profil'fr,  qu(»ique  le  prince  de  Gullioano  a.-eure  que  cet  argent  va  à  la  mon- 
nuie  de  Saples,  comme  ou  vu  envoie  souvent  de  GCues  à  Lyon,  à  cause  d-^ 
cjTtaius  profits  que  I03  iutére??«^s  y  font,  et  qu'il  n'est  pas  destiné  pour  le<  Ei- 
pdf/nols.  n  —  «Ceux  qui  devai«'nt  envoyer  les  soixante  mille  piastres  à  Na- 
ples  l'ont  (lilleré,  craii^uaiit  les  bandits  par  terre  et  les  vaisseaux  de  S.  M.  par 
mer.  lU  ont  voulu  coiisuller  auparavant  leurs  correspondants  sur  la  rout'' 
qu*ils  devaitmt  prendre.  \ous  faisons  tws  dili-jences  pour  en  tirer  queh^nf 
partit  mais  la  conduite  eu  ««st  diflirile,  et  je  n'ose  m'en  rien  j>romettre. 
(Ke  canlinnl  il'Kî'lri'e*  à  Pi»m[)onne,  liO  Juillet  et  1  août  16~o.  Ilowe,  23;».  — 
Une  lettre  de  Bourlenuuit  nous  îipprcud  que  cotte  riche  ]>roie  échappa  aux 
bandits  du  cardinal  d'Estréos  :  c  Les  Ksp-iiruols  ayant  fait  feinte  de  fair»'  voi- 
turer  parterre  les  cent  mille  écus  qui  leur  avaient  éié  remis  par  des  (ténoisi 
Livourue,  ils  los  ont  fait  embarquer  serrètement  sur  des  felouques  arnuie* 
au-dessous  do  lîomiî  sur  le  Tibre,  pour  être  ptirtis  à  (îaoto  par  mer.  lA  P<»tti- 
ponuo,  14  août  KH.*).  Wowe,  2'^î».;  —  Voir  enodre  la  lettre  du  cariliiial  d'E-tri'iî 
à  Pomponne  du  11  juillet  1C7V  (Wowr,  2  <0)  et  toute  sa  correspondance  dopni* 

Ot'ltiî    OpO(pii'. 

(3)  Palo  et  B.a-ciano  appartenaient  a  la  maison  «les  Orsini  :  Bracciano  et 
son  lac,  à  2G  milles  de  Rome;  Palo,  sur  le  bord  de, la  mer,  entre  Fiumiciuo 
et  Civilà-Vecchia. 


PROMOTION    DU    27    MAI    167S  603 

Français  et  de  trois  ou  quatre  cents  Italiens  dont  on  serait 
sur  en  quatre  heures  de  temps.  Il  faciliterait  ainsi  l'entrée  aux 
troupes  qui  viendraient  de  dehors  :  il  se  rendrait  maître  de  quel- 
que porte  et  de  plusieurs  postes;  il  menacerait  do  permettre 
le  pillage  à  la  moindre  apparence  de  résistance;  il  se  saisirait 
des  papalins  ;  il  ferait  convoquer  un  consistofre,  menaçant  tous 
les  cardinaux  qui  ne  s'y  trouveraient  pas  (il  n'y  en  aurait  pas 
trois  ou  quatre  qui  osassent  manquer),  et  il  ferait  ensuite  ou 
priVer  de  son  chapeau  le  cardinal  Altieri,  faisant  informer  con- 
tre son  gouvernement  et  dresser  son  procès  en  trois  jours;... 
ou  bien  il  ferait  priver  de  leurs  chapeaux  les  six  derniers  car- 
dinaux, remettant  les  papes  à  Tancien  usage  de  no  plus  ré- 
soudre les  promotions  sans  les  vœux,  mais  véritables  et  non 
pas  apparents,  du  sacré  collège  ;  ou  bien  par  une  bulle  il  ferait 
excéder  le  nombre  des  soixante-dix  de  trois  ou  quatre  cardi- 
naux, en  cas  qu'il  voulût  en  faire  accorder,  outre  ceux  de  Po- 
logne et  de  France,  au  Portugal  et  à  Venise,  pour  les  engager 
dansle  même  intérêt,  etlestroupesserembarqueraientensuite 
avec  le  cardinal  Altieri,  ou  deux  do  ses  parents,  pour  garants 
des  suites  qui  en  pourraient  arriver,  et  l'ambassadeur  pourrait 
s*embarquer  ou  non  avec  elles  ;  car,  comme  Allieri  serait  pris 
ou  éloigné,  on  ne  penserait  qu*à  remplir  son  poste  et  non  pas 
à  le  venger.  »  —  5*»  On  peut  encore  faire  enlever  don  Angelo  ou 
don  Gasparo  Altieri  quand  on  les  rencontrera  seuls  la  nuit,  et 
«  les  traduire  en  France,  en  lieu  de  sûreté  ».  —  6"  Envoyer 
de  l'argent  comptant  au  duc  d'Estrées  qui  ferait  un  aiïront 
public  au  cardinal  Altiefi  ou  à  Tun  de  ses  parents,  puis  se  re- 
tirerait et  s'armerait  dans  Farnèse,  et  le  roi  enverrait  à  son 
secours.  — 7®Le  roipourrait  aussi exiger«  quelessix  cardinaux 
no  fussent  pas  reçus  dans  le  collège,  se  déclarant  de  ne  les  vou- 
loir pas  reconnaître  et  réduisant  le  pape  par  négociation,  au 
lieu  des  voies  de  violence,  à  ne  plus  faire  de  promolioti  que  de 
lamanière  ancienne...  »  —  8*"  «  D'autres  seraient  encore  d'avis 
d'engager  le  cardinal  Allieri  dans  un  traité,  par  quelque  canal 
que  ce  pût  être,  comme  sérail  celui  du  cardinal;de  Bonsy,  à  qui 
Sa  Majesté  pourra  l'ordonner  expressément,  ou  se  conPiant  à 
lui  de  ses  véritables  fins,  ou  bien  ne  s'en  découvrant,  soit 
qu'elle  envoyât  ici  ce  cardinal,  soit  qu'il  traitai  son  pacte  des 


604  CHAPITRE    SIXIÈME 

lieux  où  il  se  trouve;  qu'ensuite  on  découvrit  le  traité  sincè^ 
rcmcntaiix  Espagnols,  ou  qu'on  le  leur  fit  pénétrer  fioemol 
et  qn*on  le  perdit  après  d*un  commun  accord,  donnant  cd 
exemple  qu*on  saurait  fourbcr  aussi  bien  qu'eux  si  on  levoi- 
lait,  et  qu'on  peut  punir  un  artifice  par  un  second...  »  —«Ob 
n'auraitjamaisfail,  Monseigneur,  si  l'on  voulait  vousrediretont 
ce  que  disent  et  pensent  les  diverses  personnes  de  cette  cour 
qui  concourent  également  à  la  nécessité  do.  soutenir  l'ambas- 
sadeur et  do  fournir  un  grand  exemple.  Ce  sera  à  Sa  Majeslé 
de  choisir  ou  d*cn  marquer  de  meilleurs,  et  j'aurai  toujours 
rempli  une  faible  partie  de  mon  devoir  en  rendant  compte  a 
Votre  Excellence  de  tout  ce  que  j'ai  pu  entendre  ou  penserde 
cetle  matière.  » 

Est-ce  tout?  Ce  qu'on  vient  de  lire  est-il  le  dernier  mol  des 
projets  de  vengeance  que  Ton  agile  au  palais  Farnèse?  Non: 
les  amis  du  cardinal  Altieri  doivent  être  enveloppés  dans  ii 
même  proscription.  Le  cardinal  Azzolino  est  soupçonné  de 
s'être  opposé  h  la  promotion  réclamée  par  la  France.  On  w 
peut  le  séilniro;  mais  il  doit  être  accessible  à  la  penr.  On  re- 
marque qu'il  ménage  aujourd'hui  dos  princes  plus  faibh^s  dont 
il  contrariail  autrefois  les  prélonlioiis  :  il  a  ét«*  «c  i^tin^nlé«a^^ 
donlo  par  les  doux  aocidonls  qui  arrivèrent  au  fou  r.irdinil  L'> 
niolliui,  son  nioillcur  ami,  do  mémo  faction  (1)  et  do  n^èm-' 
sontiinenl  que  lui  (2).  Pondant  qu'il  était  Irosurior,  feu  Ma- 
dame de  Sav(MO  ('i)  lui  fit  tirer  dans  Rome,  riMilranl  danss-»r. 
logis,  quatre  coups  do  mousqueton,  parce  qu'il  en  avait  ma. 
usé  pour  son  ambassadeur;  elle  le  fit  moins  pour  lo  tuorquo 
pour  lui  faiie  aliVout  ou  pour  lui  insiûror  «h»  la  crainte.  L'*ù:': 
do  Manlour  lui  on  fit  faire  autant  du  depuis   dans  Bi^li^gne. 
étant  cardinal  légal,  par  quarante  maîtres  qu'il  y  fit  entrer  en 
plein  jour,  à  dessi'in  do  le  faire  mourir  dans  uno  procession 
dont  il  s'absoula  par  hasard,  en  sorte  qu'on  ne  put  tirer  quà 


(I     Ils  apîiarli'iiah'M;  t.ius  «Imx  à  l'A'.v  ml  f»«  vilani. 

\1;  (iiiiii-Jiirolaino  LonicUiiii.  tiôst>n«T  j7»''iiL'raltio  la  Ch.-iïiiîiro,  criV*  cirii;:.'. 
pnr  limotM'iit  X  on  Uy.vi,  pui>  U*j;at  «lo  Bt»In|:ii»',  mort  eu  !C50,  laissa  une  irmo- 
rôputatiDU  «If  pi/'fô,  <1«' jiisliro  et  tU»  sévtiitc. 

\.\,  Christine  de  France,  lîlle  de  Henri  iV,  roijcnle  de  Savoie  an  nom  i-" 
son  fds  Franeids-Hvacinlhr. 


PROMOTION   DU  27  MAI    1675  605 

ses  fenêtres  au  moment  qu*il  y  parut.  On  ne  propose  pas  ces 
exemples,  afin  qu'ils  soient  imités,  mais  seulement  pour  faire 
voir  qu'on  ne  vient  à  bout  de  ces  gens-ci  qu'en  les  attaquant 
personnellemenl,  ce  qui  se  peut  faire  de  diverses  manières  et 
sans  nous  écarter  de  nos  coutumes.  » 

Louis  XIV,  qui  n'avait  pas  encore  pris  une  résolution  défi- 
nitive, écrivit  à  son  ambassadeur  (1)  :  «  Afin  de  conformer  vo- 
ire conduite  sur  la  mienne,  mon  intention  est  que,  comme  j'ai 
interdit  mes  audiences  au  nonce  de  Sa  Sainteté,  vous  vous 
absteniez  aussi  de  celles  du  pape;  que  vous  témoigniez  que 
vous  n'irez  plus  auprès  de  Sa  Sainteté,  à  moins  qu'elle  vous 
fasse  témoigner  qu'elle  le  désire,  mais  qu'alors  vous  vous 
mettrez  en  état  d'entendre  ce  qu'elle  voudra  vous  dire;  que 
vous  démêliez  toujours  la  personne  du  pape  de  celle  du  cardi- 
nal Altieri;  que  vous  attribuiez  à  celui-ci  seul  la  négligence 
de  satisfaire  tous  les  princes  dans  l'affaire  de  leurs  ambassa- 
deurs, la  fausse  relation  qu'il  a  fait  répandre  de  votre  audience^ 
et  l'abus  du  pouvoir  qu'il  a  sur  l'esprit  du  pape  en  le  portant 
"à  blesser  toutes  les  couronnes  iKins  la  piomotion  qu'il  vient 
de  faire.  Je  désire  encore  que,  demeurant  à  Rome  sans  voir 
le  pape,  vous  visitiez  en  mon  nom  tout  le  sacré  collège,  mais 
qu'alin  de  faire  durer  l'affaire  plus  longtemps,  vous  ne  pres- 
siez pas  les  visites  que  vous  rendrez  à  cliaque  cardinal  en  par- 
ticulier. Vous  leur  parlerez  à  tous  dans  le  même  sens;  vous 
leur  ferez  voir  combien  est  juste  la  mauvaise  satisfaction  que 
j'ai  du  canlitial  Allieri;  que  je  ne  puis  attribuer  qu'à  lui 
seul  la  conduite  qu'il  a  inspirée  au  pape  dans  celte  rencontre, 
si  opposée  d'ailleurs  aux  justes  et  bonnes  intentions  de  Sa 
Sainteté.  Vous  pourrez  appuyer  sur  le  mauvais  usage  que  l'on 
ne  voit  que  trop  qu'il  fait  de  l'autorité  que  le  pape  lui  a  don- 
née; et,  sans  vous  expliquer  précisément  que  je  veuille  lui 
faire  éprouver  mon  ressentiment,  insinuer  toutefois  le  sujet 
qu'il  a  de  l'appréhonder...  Cependant  vous  continuerez  à  lui 
donner  ces  sortes  de  mortifications  qui  se  pratiqutuit  à  Home, 
soit  en  n'arrêtant  point  devant  lui,  soit  en  ne  rendant  à  sa  fa- 
mille aucune  des  civilités  qui  sont  en  usage  de  la  part  des  ani- 

(I)  lùjuiu  1613.  Home,  238. 


606  aiAPITRE   SIXIÈME 

bassadeurs.  »  Pour  calmer  l'ardeur  désordonnée  du  cardiod 
d'Estrées,  le  roi  ajoutait  (i)  :  «  A  Tégard  de  la  personne  à 
pape,  mon  intention  est  que  vous  la  sépariez  toujours  dumU' 
vais  usage  que  fait  le  cardinal  Altieri  de  Tautorité  qu'il  loii 
confiée  et  que,  plus  vous  témoignerez  le  juste  mécontent^ 
ment  que  j'ai  de  la  conduite  que  le  cardinal  Altieri  Ini  a  fui 
tenir  à  mon  égard,  plus  vous  témoigniez  qu'elle  ne  diminue 
rien  de  mon  respect  et  de  ma  vénération  pour  le  chef  ée 
TËglise.  » 

Mais,  lorsque  cette  dépêche  parvint  à  Rome,  le  duc  d'Es- 
trées  n'était  pas  en  état  de  la  comprendre  ni  même  de  la  lire. 
Peu  de  temps  après  le  21  mai  et  pendant  qu*il  insultait  à  la 
vieillesse  du  pape,  un  mal  mystérieux  abattit  sa  6erté  et  mit 
sa  vie  dans  un  extrême  péril.  Le  cardinal  d*£strées  ne  s'expli- 
que pas  sur  les  causes  de  l'étrange  mélancolie  qui  envahit 
tout  à  coup  son  frère;  mais  un  familier  de  Farnëse^  Tabbê 
^rvient,  est  moins  réservé.  On  avait  parlé  d*empoisonnemeiit; 
mais  Servient,  après  avoir  affirmé  qu'il  n'y  en  a  pas  «  le  moia- 
dre  signe  »,  s'ouvre  à  Pacliau  et  à  Pomponne  «  dans  leur  se- 
cret ordinaire.  »  Le  duc,  dit-il,  mène  une  vie  trop  retirée, 
trop  contrainte;  il  a  trop  d'affaires  et  elles  sont  trop  «  épi- 
neuses. »  —  «  De  plus,  quelque  soin  que  j'aie  tâché  d'en 
prendre  depuis  la  promotion  jusqu'au  jour  où  il  tomba  malade. 

(1)  <«  Quoique  le  roi  fût  très  mécouteut  de  la  proinotiou,  il  troava  qa'il  était 
de  trop  graude  const-qucuce  d'employer  des  iiioyeus  gtie  le  cardinal  (TEttnti 
avait  juffr  quon  pouvait  prendre  pour  marquer  sou  ressentimeut,  comme  d? 
faire  agir  la  Sorboiiue  et  rassembli'e  du  clergé,  d'appuyer  sur  la  faiblesse  du 
pape  et  d.;  faire  couuaitre  qu'il  s'était  en  elTet  dépouillé  du  gouvememeut 
de  rEglise  lor*«iu'il  eu  avait  remis  tout  le  soin  au  cardiual  Altieri,  qui  abu- 
sait lie  ï=a  facilité.  11  ne  voulut  point  non  plus  prendre  le  parti  de  la  protes- 
tation contre  la  proun)tii»n  qui  venait  d'être  faite  et  qui  apparteuait  de  droit 
aux  couronnes,  parce  que  les  suites  de  cette  protestatiou  auraient  pu  ctr? 
fort  jzraudcs,  niéin»;  dans  un  conclave,  et  qu'outre  cela  l'Empereur  et  rEfp'i- 
gne  trainssoicnt  leurs  infrréts^  et  qu'il  n  était  pat  assuré  que  la  Polognt  ft 
Vfni.'ie  porlassf^ut  ie.x  choms  avec  toute  la  fermeté  qui  serait  uêcessaire.  Euiit 
il  jugea  que  Itiitreprise  que  te  cardinal  dEslrces  lui  avait  conseillé  de  faire 
sur  la  terre  dOriole,  qui  appartient  au  c.iniinal  Altieri,  requérait  du  leiup5 
et  de  l'applieation,  et  ainsi  coùl.-r.iit  trop,  si  elle  dêtourniit  les  vaisseaux  -t 
les  ira'ères  de  S.  M.  lie  l'aetion  plus  importante  à  laquelle  olles  étaient  oivn- 
pics  II  Mes^iue.  S.  M.  voulut  di»nc  (pie  toute  sou  indiguatiou  touiljàt  ^ur  !-• 
cardinal  Altieri  en  même  temps  qu'elle  professerait  sou  re.f/M^ct  oriiin.i.ri 
pour  le  chef  de  l'Kg'.ise.  <•  {Ana/f^fe  de  Stiint-I*rét.  Séfjociations  di   Rum^,  t'j. 


MALADIE    DU    DUC    d'eSTHÉES  607 

il  ne  fut  jamais  à  mon  pouvoir  de  dissiper  un  peu  le  profond 
chagrin  auquel  il  s'abandonna,  qui  parut  à  tout  le  monde  et 
donl  je  crois  vous  avoir  écrit. ..  Les  motifs  principaux  de  son 
chagrin...  ont  été  la  colère  et  quelque  honte  de  se  voir  pcrfi- 
dément  trompé  parle  palais  et  par  les  autres  ambassadeurs  et 
nommément  par  celui  d*Ëspagne,  ce  qu'on  lui  avait  prédit 
plusieurs  fois  contre  son  opinion;  la  perte  de  deux  chapeaux 
pour  le  roi,  et  surtout  celui  de  M.  de  Marseille,  dont  Taffaire 
est  plus  douteuse  et  plus  difficile  et  pour  lequel  il  a  plus  d'a- 
mitié; la  crainte  que  ses  ennemis  ne  lui  donnassent  à  dos  en 
France  (1);  celle  d*y  être  rappelé  brusquement,  ce  qui  parais- 
sait naturel  par  l'interruption  de  son  commerce  avec  le  pape 
qu'il  n'avait  pu  éviter  en  cette  occasion  comme  il  l'avait  fait 
en  toutes  les  autres;  et  ce  point  en  particulier  l'embarrassait 
étrangement,  parce  que,  h  vous  parler  entre  nous,  il  se  trouve 
chargé  de  30,000  écus  romains  de  dettes  en  celte  ville,  et  qu'il 
ne  voyait  aucun  moyen  d'en  sortir  honnêtement  dans  un  rap- 
pel aussi  précipité  que  celui  qu'il  prévoyait.  Ce  point  est  digne 
de  beaucoup  de  réflexions,  surtout  s'il  venait  quelque  autre 
occasion,  dans  la  suite,  do  le  rappeler.  11  fut  encore  agité  de 
divers  avis  qu'il  reçut  d'Italie  qu'on  avait  écrit  du  palais  qu'il 
était  excommunié;  car  il  a  véritablement  de  la  piété;  il  crut 
avoir  embarrassé  Sa  Majesté  dans  une  afTaire  difficile  pendant 
la  guerre;  et  enfin  la  remarque  que  Maucini  (2)  ne  relournait 
pas,  se  joignant  à  Tavis  anticipé  que  M.  de  Gomont  (3)  lui 
donna  de  son  arrivée  ici,  dans  le  temps  même  qu'étant  aussi 
donné  de  Florence  h  divers  particuliers  et  fournissant  au  pa- 
lais l'occasion  de  publier  que  c'était  une  marque  assurée  de 
son  rappel,  acheva  de  le  mettre  dans  l'état  où  il  s'est  trouvé 
depuis,  puisqu'il  tomba  malade  le  même  soir  que  M.  de  Go- 
mont fut  arrivé,  m'en  ayant  parlé  plus  de  deux  heures  le  jour 
qu'on  l'attendait,  et  ensuite  le  premier  jour  de  son  arrivée. 


(1)  Il  eut  bientôt  la  mort  ification  de  u\'*\vv.  pas  compris  duuB  la  promotion 
den  liuit  marérliaux  qui  fnroiil  la  monnaie  de  Al.  de  Turenne.  (Servicut  à  Pa- 
cUau,  22  août  lôl.'i.  Honie,  2'M).) 

(2)  Courrier  du  rui«  qui  avait  porté  ca  Fraucc  la  priMuièrc  relatiuu  du 
21  uiai. 

(3)  A^cut  (lu  roi  daiiâ  plu^it•ur8  cniirs  ilalieuiics. 


608  CHAPITRE   SIXIÈXE 

II  a  toujours  cru  d'en  mourir  et  le  croit  encore  :  il  n'a  parlé 
dans  ses  délires  que  des  jugements  de  Dieu,  et  on  v  a  dis- 
tingué beaucoup  de  piété,  mais  aussi  une  forte  impression  qae 
lê  bruit  de  celle  cxcimmunicalion  supposée  avait  faile  dam 
son  espril  1].  »  Los  Romains  remarquèrent  avec  surpris* 
qu'au  plus  furt  du  danger  et  lorsque  l'ambassadeur  avait  déjà 
deux  fois  rei^u  la  communion  .'2),  personne  ne  sollicitai  pîmr 
lui  la  bénédiction  apostolique.  L'orgueil  g-allican  s'v  était  op- 
posé :  «  Je  rroyais.  dit  Tabbé  de  Bourlemont,  qu'il  îfallailctre 
d'autant  plus  réservé  à  ne  pas  envoyer  demander  cette  béné- 
diction bur^  de  temps  eî  avec  précipitation ,  que  cela  donne- 
rait îiujei  d'augmenter  les  bruits  impertinents  que  sèment  les 
ennemis  de  M.  l'ambassadeur,  comme  si,  à  son  audience,  il 
avait  encouru  Texcommunication  et  que  Ton  se  pressait  do  k 
faire  rebénir  au  commfnoemenl  de  sa  maladie  .3,.  » 

Le  cardinal  d'Eslrées  chercha  dans  cet  événement  une  oc- 
casion d'irriter  le  roi  contre  le  pape,  mais  il  fut  bientôt  obligé 
de  se  rétracter  :  Clément  X  témoigna  un  vif  intérêt  au  duc^qui 
lui  dut  vraiment  sa  ^^uérison  {i).  «  On  tint  des  Cons^ré^^ation? 

(1    [1  j.ii.:.;!  \û',:\,  /^w  •>,  '1')), 

qui  p.-'t-ùt  ii'if  lo  ■Mniia.i'i  T.t.l  «au.i  r.»v,iii  oiiv.iyô  qu/rir  p.^ur  lui  «liiv  q.ie  IV-J 
av.ût  a^iprÏTi  .111  palai-  q;:'o:i  t^i,ut  tl'.'Htn^  à  Fani»><e  «K*  ce  i]ue  l'ou  u'\  a\jil 
r.;oti  aiK'i;;ii'  oivlî'.tO  .Ir^  la  part  ilii  papo  diu?  cr.'tle  oocasiou  ;  mais  qiioii  èt;^l 
eiir.»r«'  p  •.;:i  <iitpîi?  .lU  pii:ii>,  d-.'  Cl'  qae  M.  rainlhis^adcur  Otaut  à  IVxtri-Ujité 
et  s'tlant  inùai-'  «•■•:iiimi:jic  denv  f'i>,  il  n'avait  pa<  oiivo\v  dom.iïuI»»r,  s- Io:i  t 
coîiluiii'.',  1.1  l)'':i-''ii'.-li'>:i  «io  S.  S  ;  qu'il  n'avait  ri.?u  rOpoudii;  «ju'îl  uie  pririiî 
d'en  dtiuurr  avi>  à  S.  E.  i.t  do  lui  marquer  tv  qu'il  avait  d  f.nre.  J'ous  ordre 
de  lui  ri'pv'n-lr  ■  do  '.^ouch-.'  et  eu  peu  de  uMts  que  la  béujJîclion  ne  »e  ài- 
mandiit  qa'i  rai:»:iie.  «e  qui  est  véritable:  que  M.  l'ambassadeur  u'v  vialt 
paii  eucor.-;  •lu'on  n'avait  pu  découvrir  aucun  étouuemeut  daos  Karnt'se  »;:r 
quoi  i\-w  c:  piii  •'l:v,  mais  «pie  ce  soupç«^n  du  palais  était  «a?  preuve  qu'i  s 
u't-taicut  la-  eu\-mèin  ->  eo:ite[its  df  liiir  propre  coaduite.   » 

(3   A  Pomponne,  10  jiiill.-t.  /îo?h*-,  îî:J'J. 

{t)  i  Le?  c  ir<iinaux*larlo  B.u'heiiui^  et  Cybo  m'ont  fait  dire  qu'il  leur  --arlji  Je 
la  faute  •]•'  '.non  frèr.^  et  î-.iir  en  «l'-Muau  la  «ic?  nouvt.-lîesavec  un  empressemi^nt 
et  uu'.^  annti?  qui  le*  surprit...  L»'  résident  de  Savoie,  qui  eut  audii-uoe  voi.- 
dredi  de  la  ,-euniu'  pa^fée,  m'a  dit  que  S.  S.  lui  en  parla  avec  l-eaucoi^p  <i? 
déplaisir  «t  d»^?  sentiin -ntî  d'estime,  ajouiaut  qu'il  s'ctaii  piss:-  ^jui-^^-i^ 
petile  c7i' vse  //.;//>  iit:r  aiuLcfict\  mais  que  cela  n'avait  pas  altéré  la  bonu-*  vo- 
lonté quil  a\ait  pour  lui  et  u  emprchait  pas  qu'il  ne  le  counût  pour  un  hou- 
uète  homme.  «  Le  cardinal  d'Estré- s  à  Pomponne,  12  juillet  i67o,  avec  uo^i- 
scripium  du  U.  Home,  '2o0., 


MALADIE  DU   DUC    d'eSTRÉBS  609 

allais  pour  savoir  si  le  pape  envoyerait  savoir  Tétat  de  sa 
ë,  et  il  fut  conclu  que,  sous  prétexte  (1)  que  celui  que  Sa 
ileté  envoyerait  au  palais  Farnôse  n  y  serait  peut-être  pas 
ireçUy  le  pape  ne  laissât  pas  de  consentir  que  le  chevalier 
ri,  qui  était  prisonnier  à  Tlnquisition,  vint  traiter  le  duc 
Urées  (2),  et  qu'il  demeurât  même  au  palais  Farnëse  tant 
l  serait  nécessaire  pour  la  santé  de  ce  duc,  lequel  il  gué- 
par  ses  remèdes  (3).  Cependant  il  lui  demeura  une  telle 
ancolie  dans  Tesprit  (4)  et  il  fut  si  longtemps  à  se  rétablir 
fl  fut  près  de  huit  mois  sans  pouvoir  vaquer  aux  affaires, 
demeurèrent  cependant  sous  la  direction  du  cardinal  d*Es- 
8  (5).  » 

Le  prétexte  était  une  excellpDte  raison^  quand  on  connaissait  la  violence 
ferdiual  d*Esirées. 

L'ambassadeur  est  daus  le  dixi6:ne  jour  d'une  fièvre  maligne  :  «  M.  le 
mal  d*Estrées  ayant  obtenu  de  tirer  le  Borri  des  prisons  de  l'Inquisition 

assister  à  M.  l'ambassadeur,  ou  remarque  qu'il  a  beuncoup  mélioré  de- 

les  remèdes  qu'il  a  faits.  »  (Bourlcmout  à  Pomponne,  3  juillet  1675. 
?,  239.) 

François  Borri,  qui  a  laissé  une  réputation  jui^tem^^nt  flétrie  pour  la 
avation  de  ses  mœurs,  le  scandale  de  ses  aventures,  le  carat^tère  pcrni- 
c  de  ses  écrits,  était  un  chimiste  savant  et  un  médecin  fort  hibile  :  ou 
re  un  abrégé  de  son  histoirr',  dans  les  Discours  histoHqnes  do  Cantu, 
aits  sons  le  titre  de  :  Les  hérétiques  d' Italie,  par  A.  Digard,  t.  IV,  pp.  431 
lïr. 

m  Son  chagrin  t't  ses  inquiétudes  ua  se  passent  point.  »  (Bourlemont  à 
ponne,  21  août  1675.  Romej  239.)  «...  U  lui  reste  toujours,  disait  Servient 
mélancolie  qui  m'inquiète  fort,  couiui?  n'étant  guère  propre  à  l'état  pré- 

des  affaires.  »  C<.'t  abbé  répétait  que  les  causes  eu  étaient  la  crainte 
•e  rappelé  sans  pouvoir  payer  ses  dettes  et  '<  l'allaire  présente  avec  .VI- 
.  9  (22  août  et  5  octobre  IG75.  Rome,  2JU  et  2i0.) 

Anahjse  de  Saint-Prét.  Séifociations  rfe  Rome,  2:î. 


^IT  BT  LB  SAi:(T-BlèOB.   —  H.  33 


CHAPITRE  SEPTIÈME 

FIN  DU  PONTIFICAT  DE  CLÉMENT  X.  POLITIQUE  VIGILANTE,  GÉNÉ- 
REUSE, IMPARTIALE  DE  CE  PAPE.  DANGERS  DE  L'eUROPE.  PRÉSAGES 
DES  LUTTES  QUE  LOUIS  XIV  ENGAGERA  CONTRE  LE  SAINT-SIÊCI 
SOUS   LE   PONTIFICAT   SUIVANT.    1675-1676. 


Jubilé  de  167}  :  bref  à  Louis  XIV.  —  Canoiiisalion  <lo  saiat  Pio  V.  —  Progrès  an  réktrmai 
Homo.  Dée.ii<*nc«}  du  népotisme  :  los  princot  cherchent  à  le  relever.  Offres  teoilcs  éi 
Louis  \IV  au  cardiiiil  Altieri.  L'nioa  du  sacré  colley  et  des  familles  punliûcalcs.  FonM- 
tiun  du  parti  des  Zelanti.  DisorMit  croissant  des  factions  nationales,  et  en  particulier  d-^li 
faction  française  :  les  cardinaux  Maidalchini,  Orsinj,  de  Bouillon,  de  Bon»j,  Griouliii.  \k- 
nii<)sion  du  cardinil  de  Helz  refusée  par  le  pape.  Barons  romains  achetés  par  le  roi  :  ài^'J 
do  la  princesse  des  Ursins  à  Home.  —  Affaires  générales  de  l'Europe  :  négociations  oarer» 
par  Cément  X  pour  le  rétabli Ksemcnt  d-j  U  paix  entre  la  France  et  la  maison  d'AatrùÀ. 
Trogrès  do^*  Turcs  :  l'Italie  mcme  est  menacée.  Louis  XIV  détourne  Sobieski  de  repreeiR 
les  armes  contre  la  Porte.  Ambassade  de  M.  de  Nointel  à  Consiontinople.  Ce  qail  jià» 
vrai  sur  la  protection  des  Lieux  saints  par  Louis  XIV.  Progrès  incessants  des  Grecs.  Adai- 
rablc  peinture  des  religieux  latins  de  Terre  sainte.  Nointel  adjure  Louis  XIV  de  prendra  u 
moins  la  défense  de  la  chrétienté  contre  les  infidèles.  Le  roi  répond  pir  l'ordre  de  prf»*»*  U 
conclusion  delà  paix  entre  Sobieski  et  le  sultan.  —  Nouvelle  caus«  d'alarme  pojr  C'émcsil: 
le  palais  Farnèse  devient  le  foyer  des  conspirations  fomentées  par  le  cardinal  d'Estrées  «U» 
les  D<!ux-Siciles,  fief  du  saint-!<ièg<>.  Asile  donné  par  l'ambissadear  franç-iis  aux  rebelles  et 
bandits  napolitains  :  MM.  d'Hslrées  se  vantent  de  leur  donner  Us  meilleures  mitftonf  dt  ri' 
volte.  Déloyauté  et  cruauté  de  Louis  XIV  envers  les  rebelles.  —  bfTurls  inceiSAnti  àc  Cle- 
m<^nt  X  pour  favoriser  l'alliance  des  chrétiens  contre  le  Turc  et  pour  écarter  la  guerre  de 
ritalit*.  Brefs  à  Louis  XIV.  Préparatifs  du  Congrès  de  Nimègue.  La  médiation  poniiric-.k  e«: 
«►stensiblemenl  acceptée  par  le  roi  de  France,  mais  il  travaille  secrèlemeut  à  la  r.'ndr*  ioeî- 
licace.  Un  m  »is  avant  sa  mjrt,  Clément  X  supplie  encore  Louis  XIV  de  couseulir  à  «a 
armistice  :  le  roi  répond  que  xcs  actions  n'ont  jamais  tendu  qu'au  repos  de  la  c A »■<'»•  iV i f-?- — 
Maladie  et  mort  do  Clément  X.  InJigne  conduite  du  cardinal  d'Lstrées.  Sinistres  préiafi^  de 
ce  que  seront  les  rapports  de  la  cojroanc  de  France  et  du  saint-siège,  sous  le  pontificat  mi* 
vant. 

Tout  Rome  avait  fini  par  s'émouvoir  de  ces  querelles  inces- 
santes que  provoquait  l'ambassade  de  France,  et  Ton  s'indi- 
gnait surtout  que  MM.  d'Eslrées  n'eussent  pas  fait  trêve  à  ces 
scandales  pendant  le  jubilé,  en  présence  des  pèlerins  accourus 
en  foule  de  toute  la  chrétienté.  Le  pape,  en  effet,  avait  récem- 
ment publié  une  indulgence  plénière,  dont  une  condition  éîail 
de  visiter  le  tombeau  des  saints  apôtres  pendant  l'année  16T3. 
11  avait  pressé  Louis  XIV,  dans  les  termes  les  plus  lou- 
chants (1),  de  donner  aux  princes  et  aux  peuples  cet  exemple 

(1)  23  octobre  4674.  Rome,  232  :  »  Carissimo,  etc.  Suprema  hœc  orlhodoxi 
religioDis   regia,  qum  triumphatores  orbis  terraruin  ad  sacros  apostoloruio 


JUBILÉ  DE    1675  611 

de  piété,  qui  aurait  exercé  sans  doute  sur  le  roi  lui-même  et 
sur  le  royaume  une  heureuse  influence,  et  rompu  peut-êlreces 
barrières  que  les  défiances  gallicanes  dressaient  entre  la  Franco 
elle  saint'siège.  Mais  Tinvilation  fut  déclinée  :  «  Très  Saint- 
Père,  répondit  Louis  XIV,  nous  avons  reçu,  avec  toute  la 
reconnaissance  que  vous  devez  attendre  de  notre  vénération 
pour  Votre  Sainteté,  la  part  que  vous  nous  avez  donnée  de 
l'ouverture  que  vous  étiez  sur  le  point  de  faire  de  Tannée 
sainte.  Nous  nous  sentons  extrêmement  redevable  à  Votre  Béa- 
titude de  Taffection  tendre  et  si  paternelle  avec  laquelle  elle 
nous  invite  à  venir  prendre  part  aux  trésors  que  rÉglisc  va 
ouvrir  et  répandre  à  Rome  avec  tant  d'abondance;  mais^  comme 
nous  ne  pouvons  par  nous  même  profiter  de  cet  avantage,  nous 
recevons  avec  une  satisfaction  respectueuse  lesassurances  que 
Votre  Sainteté  nous  donne  d'étendre  jusques  à  nous  ses 
prières  dans  une  si  sainte  occasion,  et  nous  nous  promettons 
qu'elles  nous  attireront  les  bénédictions  divines  qui  nous  sont 
nécessaires  et  pour  notre  personne  et  pour  le  bien  de  notre 
État.  Cependant  nous  favoriserons  autant  qu'il  sera  en  nous  le 

cineres  recolendos  in  geuua  rccumbere  non  scniel  vidil,  iMRJeslatem  qnoque 
Tuam,  qaam  heroes  iuterjure  merilo  receuset  œtas,  eadem  vesiigia  prenien- 
tem  ceniere  impense  cuperet.  Quainvis  ilaquc,  nostrorum  prnedecessoruni  mo- 
rern  secuti,  anuum  sanctiim  rite  iudiierimus,  atque  ad  euindem  unaniinitcr 
in  Domiuo  c«^l«braudum  univer!?am  christianain  rempublicatii  ac  Majesla- 
tem  proinde  Tuam^  a  quà  cximiuui  eadem  oruamcntum  sumit,  invilaverimuSy 
peculiaribiis  uibilomiuus  bisce  pateruie  caritatis  nostnr  sigoificatiouibus  te, 
carissimum  lu  Cbristo  filium  nostruoi,  ad  taiu  prcTciarain  solcmuitateiu  no- 
minatim  advocandum  duximus,  quà  te  ipso  major^  io  boc  nalionuin  omnium 
theatro  anteactis  longe  rel!»iored  pielati  tu;p  triumphos  val  as  ejcciare.  Quod 
si  regui  tui  ratioues  tanto  nos  frui  solatio,  Urbisquc  vola  impleri  non  siueut, 
in  te  uibilominus  fuerit  ingens  desiderium  tui  religioso  supplemculocompeu- 
sarc.  Sacrorum  enim  prsDsulum  operam  ad  lier  Cfiristifiddibus  adeo  sa/utare 
sufcipi'ndum  créditas  sibi  oves  adbortantiuni  regid  ubi  aulhoritate  juveriSt 
luis  ubi  in  diliouibUA  obvia  peregrinanlibus  hospilia  patefieri,  facilcsque  ci*- 
dem  ac  tutas  vias  parari  mandaveris,  interfuiàsc  cnimvcro  lantie  festivi- 
tati  reputaberis,  ac  glorioAd  de  te  prccdicabuntur  in  boc  sauctuario  Domini 
et  templo  sancto  ejuâ.  Age  itaque,  carissime  fili,  aunuin  pra;  ciptcris  ab 
Ecclcsià  c«Tle8'ium  donorum  elargitioue  insiguitum,  eximiis  quoque  Tu  prx 
munificcnti.'P  dorumcutiâ  illustra,  utque  factorum  excfllentià  mortalium  Tibi 
plausus  concilias,  cbristianaruni  ita  virtutum  prœsliintià  Cœlilù'n  sutTragia 
magis  magisquc  promereare.  Sensus  nostros  ab  npostolico  nuntio  uberius  ac« 
ceperit  Majestas  Tua^  cui  a  bonorum  omnium  authorc  Dco  prospt>ra  cuucta 
intérim  precamur  atque  amantissime  bcuedicimus.  Datum,  etc.  » 


612  CHAPITRE    SEPTIÈME 

zèle  de  tous  les  peuples  chrétiens  et  particulièrement  celui  de 
nos  sujets  que  cetle  année  pleine  de  grâces  appellera  aux  pieds 
de  Votre  Sainteté  et  au  tonnbeau  des  saints  apôtres.  »  Les  com- 
munications des  Français  avec  Rome  étant  de  jour  en  jour  pins 
étroitement  surveillées  et  gênées  par  le  roi,  notre  pays  n'en- 
voya  que  peu  de  visiteurs  à  la  Confession  de  Saint-Pierre,  elle 
jubilé  parattn*avoirété  considéré,  aupalais  Farnëse,  quecomme 
une  occasion  ce  d'introduire  une  quantité  de  bandits  habillés 
en  pëlerinSy  ce  qui  serait  fort  facile  pendant  Tannée  sainte  », 
pour  «  brûlerie  palais  du  cardinal  Altieri...  et  enlever  ceux  ou 
celles  de  sa  parenté  qui  tomberaient  entre  leurs  mains  (1)!  « 
Clément  X  ne  négligeait  rien  pour  entretenir  et  renouveler 
la  ferveur  religieuse  des  peuples.  11  avait  placé  sur  les  autels 
un  grand  nombre  de  saints,  et,  parmi  eux,  son  prédécesseur 
saint  Pie  V.  Il  est  à  remarquer  que  Louis  XIV  avait  sollicité 
lui-même  la  canonisation  de  ce  pape,  en  qui  Tallié  de  Maho- 
met IV  aurait  vu  un  ennemi  do  sa  couronne,  s*ils  eussent  vécu 
dans  le  même  temps  (2).  Clément  X  espérait  que  le  culte  pu- 
blic décerné  à  ce  grand  pape  réveillerait  en  Europe,  avec  le 
zèle  pour  la  pureté  de  la  foi,  Tesprit  militaire  qui  avait  animé 
les  vainqueurs  de  Lépante  (3). 

(1)  Mémoire  de  l'abbé  Servieut  du  19  juia  1675,  déjà  cité.  Rome,  239. 

(2)  La  lettre  du  roi  est  iutéressaute  :  elle  a  été  publiée  daus  la  i  te  de  sainl 
Pie  Vf  par  M.  de  Falloux,  élit,  iu-12.  Elle  est  du  icr  fêvriiT  1671.  nom?  2«/3. 

(li)  Louis  XIV  reçut   les  remerciemeuts  du  maître  général  des  frères  l'ri- 
cheurs,  Jeau-Thomas  de  Roccaberti,  futur  archevêque  de  Valence,  qui  com- 
battra un  jour  la  Déclaration  de  1682  et  dout  Bossuet  dénoncera  les  écrits  au 
roi  et  au  Parlement  de  Paris!  «  V.  M.,  disait  le  savant  religieux,  ayant  eu  la 
bouté  d'eutremeltrc  son  autorité  royale  pour  la  béatiûcatiou  du  pape  Pie  V, 
à  la  très  humble  prière  que  je  lui  en  avais  faite,  il  est  bien  juste  que  je  lui 
fasse  savoir  qu'elle  a  été  accordée  par  notre  Saint-Père  le  pape,  et  qu'elle  fut 
solennisée  eu  cette  ville  et  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  dimanche   dernier. 
Tout  mon  ordre,  qui  est  intéressé  en  la  gloire  de  ce  saint  homme,  demeure 
très  redevable  à  V.  M.  de  ce  qu'elle  a  contribué  à  l'accoinplissemeut  de  ce 
qu'il  désirait  depuis  si  longtemps,  et  je  n'ai  pas  manqué  de  demandera  Dieu, 
par  les  mérites  et  les  intercessions  de  ce  bieuheureux,  l'accomplissemeot  de 
vos  souhaits,  la  conservation  de  votre  personne  sacrée,  de  "Slsr  le  daupbiu. 
et  de  toute  votre  maisou  royale.  J'espère  que  ce  serviteur  de  Dieu  qui,  pen- 
dant le  cours  de  sa  vie  mortelle,  avait  de  si  grandes  tendresses  pour  vutre 
monarchie,  ne  l'oubliera  pas  dans  l'état  de  sa  gloire,  et  qu'il  obtiendra  pour 
votre  royaume  toutes  les  bénédictions  du  ciel.  Je  le  sonhaite  de  tout  mon 
cœur  et  suis  avec  un  profond  respect,  etc..  »  (3  mai  1672.  Rome,  220.) 


DÉCADENCE  DU  NÉPOTISME  613 

Malgré  de  funestes  préventions,  il  arrivait  encore  que  la 
royauté  fût  forcée  par  l'opinion  publique  de  recourir  au  saint- 
siège  pour  rassurer  les  consciences;  et  les  mœurs  chrétiennes 
se  conservaient  même  au  sein  des  armées,  qu'assistaient  tou- 
jours des  religieux  et  principalement  les  Récollets.  Pom- 
ponne écrivait  au  duc  d'Estrées  :  «  Nous  avons  vu  pendant  les 
dernières  campagnes  que  Ton  a  été  obligé  de  permettre  do 
manger  de  la  viande  dans  les  armées,  parce  que  l'on  n  y  trou- 
vait pas  du  poisson  pour  tout  le  monde  ;  mais,  comme  bien  des 
officiers  et  soldats  ne  laissent  pas  d'user  de  cette  permission 
avec  quelque  scrupule,  Sa  Majesté  désire.  Monsieur,  que  vous 
en  demandiez  en  son  nom  une  bulle  à  Sa  Sainteté  pour  éten- 
dre celle  de  Clément  VI  (i).  » 

Clément  X  se  souvenait,  et  personne  en  Europe  n'oubliait 
qu'un  de  ses  prédécesseurs  avait  élé  médiateur  au  Congrès  de 
Westphaiie.  A  peine  la  guerre  s'était-elle  rallumée  entre  la 
France  et  la  maison  d'Autriche  qu'il  avait  offert  ses  bons  of- 
fices aux  trois  cours  catholiques.  Mais  Louis  XIV  espérait 
récarter  du  congrès  futur  en  Toccupant  chez  lui  par  une  diver- 
sion, et  c'est  dans  cette  pensée  qu'il  avait  favorisé  la  coalition 
des  quatre  ambassadeurs  contre  Altieri.  Les  courtisans  de 
Louis  XIV  ne  se  gênaient  pas  pour  dire  autour  de  lui  :  «  C'est 
une  chose  fort  extraordinaire  de  voir  les  principaux  potentats 
de  la  chrétienté,  en  guerre  entre  eux,  se  réunir  à  Rome  con- 
tre le  père  commun  (2).  »  L'artifice  si  souvent  pratiqué  par 
Mazarin  et  par  Lionne  de  combattre  le  saint-siège,  en  ne  pa- 
raissant attaquer  que  les  neveux  ou  les  ministres  des  pontifes 
régnants,  était  depuis  longtemps  décrié  et  avait  perdu  toute 
efficacité.  Servient  écrivait  à  Pomponne  (3)  :  «  Le  pape,  qu'il 
ne  faut  plus  distinguer  d'Allieri,  du  palais,  de  l'Escadron  et 
de  la  reine  de  Suède,  qui  ne  sont  qu'une  même  chose  et  agis- 
sent d'un  même  esprit,  est  vain  qu'on  le  sépare  du  cardinal 
Altieri,  comme  ce  dernier  l'en  avait  assuré,  suivant  l'ancienne 
maxime  de  feu  M.  de  Lionne  de  distinguer  le  pape  et  le  saint- 
siège  d'avec  les  neveux.  Cette  séparation  un  peu  métaphysi- 

(1)  31  mars  1673.  Rome,  223. 

(2)  Lettres  historiques  de  Pellisson  :  15  janvier  1675,  de  Soiat-Germaio. 

(3)  19  septembre  1675.  /{orne,  240. 


614  CHAPITRE   SEPTIÈME 

que  peut  (^tre  néanmoins  excellente  en  de  certaines  occaaioDs- 
mais  elle  peut  être  si  pernicieuse  en  d'autres,  qu*OQ  peut,  en  11 
suivant,  se  trouver  insensiblement  dans  la  nécessité  d'envoyer 
des  troupes,  comme  sur  i*aiïaire  de  M.  de  Créquy,  si  on  n'arrête 
de  bonne  heure  le  cours  des  nouveaux  incidents  que  la  tolé- 
rance des  princes  ne  manque  pas  ordinairement  d'attirer,  ao 
moins  en  cette  cour.  »  Mais  la  cour  de  France,  qui  avait  es- 
péré opposer  le  sacré  collèire  au  pape  et  au  cardinaUneven, 
no  réussit  qu*à  désunir  la  faction  française.  Les  famille  papi- 
los,  au  lieu  de  former  des  cabales  hostiles,  associaient  leurs 
forces  en  vue  des  futurs  conclaves,  pour  mieux  résister  aux 
intrigues  des  princes.  On  a  vu  plus  haut  les  titres  personnel» 
des  cardinaux  déclarés  dans  le  consistoire  du  27  mai.  L'abbé 
deBourlemont,  au  travers  de  ses  jugements  passionnés,  nous 
révèle  que  celte  promotion  avait  été  le  sceau  de  I*alliance  con- 
clue entre  plusieurs  factions  par  la  sagesse  de  Clément  X.  Il 
écrivait  à  Pomponne  (i)  :  «  Le  cardinal  Altieri  a  présentement 
quinze  cardinaux  créatures  et  ses  factionnaires,  de  vingt  que 
le  pape  a  faits.  Le  cardinal  Chigi  n'en  a  guère  plus  à  sa  dispo- 
sition. Ceux  qui  ont  manipulé  celte  dernière  promotion  n*ont 
pas  manqué  d  y  comprendre  des  sujets  que  désiraient  Barbe- 
rin  [2)  ol  Chigi,  dont  est  le  cardinal  confesseur,  quo  Barberin 
demandait  avec  passion  et  pour  lequel  il  avait  fait  des  ins- 
tances, sous  le  dernier  pontificat  :  Taulre  est  le  cardinal  Ma- 
rcscotti,  dont  le  frère  est  maître  de  chambre  du  cardinal  Chigi. 
qui  tî\che  de  Tavancer.  L'on  a  même  voulu  que  le  peuple  de 
Home  s'imaginât  qu'il  avail  été  favorisé  en  celte  promotion; 
car  Ton  fait  sonner  bien  haut  que,  de  six  cardinaux,  il  y  en  a 
quatre  de  Romains  qui  sont  Rocci,  Crescentio,  Spada  et  Ma- 
rescotli.  » 

Di'puis  Innocent  X,  le  népotisme  se  renfermait  dans  se» 
bornes  légilimos.  et  c'est  do  l'Église  même  qu'était  vomie 
cotte  réforme.  Los  princes,  ol  le  roi  de  France  surtout,  décla- 
maient souvent  contre  los  anciens  abus,  mais  ils  ne  cessaient 
pas  d'on  souhailor  ni  d'en  provoquer  secrètement  le  retour. 
Nous  avons  dit  quels  pièges  avaient  été  tendus  inutilement 

(1)  29  mai  1675.  Rome,  238. 

(2}  Frauçois  liarberiui,  uevou  d'Urbain  Vlll  et  doyen  da  sacré  collège. 


r.f 


DÉCADE>XK    DU    .NÉPOTISME  615 

jusqu'alors  par  Louis  XIV  aux  parents  d'Alexandre  VII  et  de 
ses  successeurs.  L*abbé  Servicnt  rappela  un  jour  à  Pomponne, 
en  termes  curieux,  la  théorie  qu'il  avait  entendu  professer  par 
le  prédécesseur  de  ce  ministre  :  «  Un  pape  sans  parents,  écri- 
vait-il, pourrait  être  utile  à  TÉglise;  mais  s'il  était  entier  et 
obstiné,  il  serait  impraticable  pour  les  couronnes,  et  il  fau- 
drait que  les  nations  étrangères  et  les  ambassadeurs  s'atten- 
dissent dans  Rome  à  bien  des  changements  désagréables.  Le 
népotisme  est  la  ruine  des  peuples,  il  est  vrai  (i),  mais  c*estlc 
fondement  véritable  de  la  faiblesse  des  papes  et  de  la  puissance 
des  princes  de  la  chrétienté  et  surtoutdes  deux  couronnes  (2).  » 
Aussi  Louis  XIV  ne  renonçait-il  pas  à  Tespoir  de  suborner  le 
cardinal  Allieri.  Au  moment  où  MM.  d*Estrées  s*étaient  van- 
tés, sans  raison,  de  le  faire  écarter  du  gouvernement^  Pom- 

(1)  NoD,  cela  n*est  pas  vrai  :  les  écrivaius  les  moins  suspects  de  partialité 
envers  l'Église,  eu  parieut  autrement,  pourvu  qu'ils  soient  de  bonne  foi  et 
bien  informés  :  «  Ces  riches  domaines,  ces  apanages  princiers  tant  à  la  ville 
que  dans  les  provinces,  ces  grands  ûefs  octroyés  par  les  souverains  pontifes  à 
leurs  neveux,  ont  non  seulement  profité  aux  arts,  mais  à  la  civilisation,  à  la 
técarité  publique,  à  l'instruction,  au  mouvement  des  cité?.  Lorsqu'on  déclame 
contre  le  népotisme  de  ces  souverains,  on  oublie  que  des  charges,  que  des 
servitudes  assumées  par  leurs  familles  étaient  les  conditions  onéreuses  des 
donations  et  vestitures.  Un  personnage  curule  ainsi  pourvu  et  astreia^  se 
voyait  tenu  de  fonder  une  église,  un  couvent,  un  hôpital,  des  bàtimeiAs  de 
lervlce,  des  fermes,  des  collèges  et  de  mettre  son  luxe,  ses  livres,  ses  jardins 
À  la  disposition  du  peuplp.  Il  Fubissait  l'obligation  i!e  subventionner  un 
personnel,  d'assumer  pour  un  quartier  de  la  ville  les  dépenses  de  l'édilité, 
d'y  exercer  la  police  par  ses  agents,  de  payer  jusqu'aux  médecins  et  apo- 
thicaires pour  les  employés  et  les  moindres  serviteurs.  Dans  ses  domaines  de 
campagne,  le  seigneur  devait  créer  ou  tutrfteuir  les  routes,  pratiquer  les 
canaux  ou  les  endiguemcnts,  aménager  le  sol  tt  bâtir  des  chapelles...  Puis- 
santes, mais  responsables,  engagées  féodaicment  envers  le  pape  et  ses  suc- 
cesseurs, ces  seigneuries  formaient  autant  de  riches  intendances.  On  avait  là, 
dans  la  terre  par  excellence  des  hiérarchies,  des  gouverneurs  héréditaires  et 
aucune  prescription  ne  les  a  jusqu'ici  libérés.  Rappelons-nous  qu'en  quittant 
Avignon  les  souverains  pontifes  ne  retrouvèrent  à  Home  que  dix-sept  mille 
âmes  éparses  dans  des  masures  :  c'est  par  l'entremise  des  parents  à  qui  ils 
léguaient  leurs  intentions  avec  leurs  trésors  que  les  papes  ont  tout  recons- 
titué. Tel  est  le  poids  des  obligations  qui  pèsent  encore  à  titre  héréditaire 
»ur  quantité  d'apanages  qu'tn  18i8,  quelques  drlentours  appauvris,  n'y 
pouvant  plus  suffire,  avaient  espéré  que  la  Uévolnlion  les  di-gagerait  de 
leurs  redevances  féodales,  en  les  laissant  dnns  leurs  immeubles  comme  de 
simples  propriétaires.  Tel  est  le  motif  inavoué  qui  a  jeté  dans  l'opposiUou 
plus  d'un  prince  romain.  »  (Francis  Wey,  fiome,  pp.  2k6  et  suiv.,  1812.) 

(3)  9  septembre  1676.  Home,  240, 


616  CHAPITRE   SEPTIÈME 

ponne  écrivait  :  «  Ce  que  Sa  Majesté  jugerait  plus  à  propa 
sur  ce  poial  serait  que,  s*il  y  avait  quelque  jour  à  la  disgrlttl 
de  ce  cardinal,  vous  lui  facilitassiez  les  moyens  de  s'engam- 
lir,  pourvu  qu'il  fit  les  choses  que  Sa    Majesté   désire  éi 
lui  (1).  »  —  Le  roi  répétait  (2)  :  «  En  même  temps  qne  je 
vous  ordonne  de  parler  avec  cette  force  lorsque  le  cardinil 
Altieri  ne  se  rendra  pas  raisonnable,  je  vous  renouvelle  les 
ordres  que  je  vous  ai  donnés  de  lui  faire  paraître  sous  mûi 
de  la  facilité  à  rentrer  dans  mes  bonnes  grâces,  lorsqu'il  ei 
apportera  aux  affaires  qui  me  peuvent  plaire  davantage.* 
Après  Taudience  du  21  mai,  le  duc  d^Estrées  conseillait  au  roi 
d'acheter  le  cardinal-padrone;  de  lui  promettre  la  protectioA 
de  France  et  une  abbaye  pour  lui-même,  avec  un  titre  de  duc 
et  pair  pour  son  neveu  :  «  On  pourrait  encore,  disait-il,  le  flat- 
ter d'une  charge  de  général  d'une  escadre  de  galères,  et  même 
d*une  souveraineté  pour  sa  maison  dans  les  conquêtes  que  le 
roi  et  le  pape  pourraient  faire  aux  dépens  des  Espagnols  ou  des 
Génois  (3).  »  Le  môme  jour  (4),  Servient  développait  le  même 
plan,  qui  avait  clé  tracé  par  Lionne  dans  les  instructions  rédi- 
gées pour  le  duc  de  Chaulnes  (5),  et  qui  servait  de  texte  aui 
onlrelions  do  Farnèso;  il  écrivait  à  la  cour  :  a  Un  neveu  ambi- 
tieux )î  partagerait  Tllalie  entre  le  roi  et  le  saint-siège  :  «  car, 
se  liguant  avec  la  France,  puisqu'on  ne  peut  l'agrandir  qu'aui 
dépens  de  l'Espagne  et  des  Génois,  et  qu'il  est  difficile  de  les 
séparer,  il  pourrait  faire  banqueroute  aux  derniers,  par  une 
rupture  facile  à  faire  uaître  au  sujet  de  Tlnquisition,  cl,  par 
ce  moyen,  acquitter  tout  d'un  coup  la  Chambre  apostolique  de 

(1)  Au  cardiual  d'Estrécs,  18  janvier  1675.  Rome^  236. 

(2)  Au  duc,  15  février  1675.  flowe,  236. 

(3)  19  juiû  1675.  Home,  239. 

(4)  Rome,  230. 

{f})  «...  Les  royaumes  des  Deux-Siciles  sout  grands,  et  S.  M.  ne  ferjit  au- 
cune difficitllé  dy  donner  aux  neveux  du  pape  un  État  souverain^  qu'ils  re- 
coimaitraieiit  d'elle  en  arrièrc-Gcf...  Si  ...  S.  S.  désirait  de  rtfi/rtir  au  sainlsiègi 
quelque  petite  portion  du  royaume  de  tapies,  comme  la  province  des 
Abruzzes  et  quelques  autres  terres  contiguës  à  l'État  ecclésiastique  et  qui 
seraient  le  plus  à  sa  bienséance,  S.  M,  ne  ferait  non  plus  aucune  difficulté 
d'en  demeurer  d'accord.  »  (10  mai  1666.  Hanotaux,  Recueil  des  Instructions 
aux  ambassadeurs,  vol.  VI.  Rome,  t.  I,  p.  210.)  V.  plus  haut,  chap.  xiii  du 
livre  I«', 


DISCRÉDIT    DE    LA    FACTION    FRANÇAISE  617 

A  presque  vingt  millions  dans  les  délies  dont  elle  paie  les  inté- 
rêls  à  celle  nation,  en  quoi  les  ducs  de  Savoie  et  de  Parme  se- 
:  raient  favorables,  si  on  leur  laissait  étendre  leurs  frontières 
;  aux  dépens  de  cette  république.  Le  roi  se  réserverait  les  ports 
et  les  villes  principales,  et  pourrait  élever  à  la  souveraineté 
de  rile  de  Corse  le  neveu  d*un  pape  qui  serait  son  allié  dans 
une  semblable  entreprise;  d'ailleurs  ce  môme  neveu  pourrait 
agrandir  TÉlat  ecclésiastique  du  côté  des  frontières  du 
royaume  de  Naples,  et  s'acquérir  la  gloire  d'avoir  contribué  à 
bannir  les  Espagnols  d'Italie  et  à  détruire  les  Génois,  qui  sont 
au  fond  regardés  du  reste  des  princes  dllalie  comme  les 
sangsues  qui  s'attirent  tout  lecommerceàleurpréjudice,etc...  » 
La  majorité  du  sacré  collège  défendit  sa  liberté  contre  les 
eCTorts  des  princes.  Le  parti  des  Indépendants,  constitué  sous 
le  pontificat  d'Innocent  X,  avait  vu  presque  tous  ses  membres 
emportés  par  la  mort;  mais  leur  esprit  survivait,  et  suscita, 
sous  le  règne  de  Clément  X,  un  nouvel  Escadron,  voué,  dès 
son  origine,  au  ressentiment  de  la  cour  de  France.  L'abbé 
Servient  en  écrivit  à  Pomponne  :  «  Ce  corps  ou  escadron, 
comme  ils  le  nomment  déjà,  de  zelantiy  bien  qu'il  ne  com- 
mence qu'à  se  former,  est  composé  de  têtes  pour  la  plupart 
accusées  d'inquiétude  et  de  hardiesse;  ils  parlent,  au  com- 
mencement, avec  le  respect  qu'ils  doivent  aux  couronnes; 
mais,  quand  ils  pourront  s'assurer  les  uns  des  autres,  il  est 
fort  douteux  qu'ils  continuent  dans  celte  juste  déférence.  Il 
en  est  de  ces  corps  comme  d'un  pape  sans  népotisme.  Un 
chef  de  faction  peut  être  attaqué  par  vingt  endroits,  et 
aura  toujours  mille  égards.  Un  corps  de  zélés  n'en  a 
point  (1)...  » 

Pendant  que  celle  heureuse  union  s'établissait  entre  les  fa- 
milles ponliPicales^  les  partis  nationaux  perdaient  chaque  jour 
de  leur  considération.  Les  cours  de  Vienne  et  de  Madrid  ne 
pouvaient  s'en  prendre  qu'à  la  médiocrité  des  sujets  qu'elles 
proposaient  pour  le  cardinalat,  et  la  faction  du  roi  n'avait  pas 
le  crédit  qu'elle  aurait  obtenu,  si  elle  avait  représenté  fidèle" 
ment  la  meilleure  partie  du  clergé  français.  Le  cardinal  Mai- 

(1)  9  septembre  1676.  Rome,  246. 


618  GHAPITRB  SCPTiftXK 

dalchini  était  toujours  décrié  pour  ses  mœurs  (1).  Le  cardinl 
Orsino,  criblé  do  dettes  comme  tous  les  membres  de  sa  nui* 
son»  allait  bientôt  terminer  une  vie  qu'il  aurait  dû  rendre  pin 
digne  de  sa  naissance  (2).  Les  cardinaux  de  Bouillon  etdi 
Bonsy,  peu  connus^  ne  méritaient  d*ètre  comparés  quus 
moins  estimés  de  leurs  collègues.  Le  cardinal  de  Retz,  suppor- 
tant sa  disgrâce  avec  impatience,  venait  de  rappeler  TattenlioD 
publique  sur  sa  personne  par  une  résolution  dont  les  vrais 
motifs  sont  encore  ignorés.  Il  s*élait  démis  du  cardinalat,  eo 
annonçant  le  projet  de  vivre  désormais  en  simple  moine  dus 
un  couvent.  Nous  savons  aujourd'hui  quc^  si  ses  lettres  à  Clé- 
ment X  et  au  sacré  collège  étaient  ce  empreintes  des  senti- 
ments les  plus  religieux  »,  celles  qu'il  écrivait  avec  la  même 
plume  à  son  confident  le  plus  intime,  étaient  conçues  en  termes 
K  du  cynisme  le  plus  révoltant  »  (3),  La  démission,  déposée 
entre  les  mains  du  nonce  à  Paris,  parvint  à  Rome  au  momenl 
où  la  promotion  des  princes  divisait  les  deux  cours.  Clément  X 
se  décida  sur-le-champ  et  sans  attendre  que  Louis  XIV  lui 
exprimât  ses  intentions.  Retz,  qui  avait  autrefois  donné  puis 
repris  la  démission  de  son  arrhcvêché,  rendait-il  librement  son 
chapeau?  lo  roi  ne  voudrait-il  pas  lui  substituer  aussitôt  Guil- 
laume de  Furstenberg  ou  un  autre  candidat?  ne  serait-il  pas 
imité  par  d'aulrcs  princes?  quand  il  affichait  des  prétentions 
si  extraordinaires,  était-il  sage  de  créer  un  précédent,  qui  pùi 

(1;  •<  ..  Je  voQ:»  aln*:<se  la  copie  dune  leUre  que  le  roi  ccril  à  AI.  le  car- 
dinal Maidalchini  pour  l'obliger  à  demeurer  à  Roiiie.aûa  que  vous  lui  parliez, 
s'il  vous  plait,  CD  la  nirme  conformité.  Je  vous  dirai  là-dessus  confidcuimenl 
que  le  pape  chargea  M.  le  car.iiual  de  Bouillon  de  dire  a  S.  M.  qu'elle  lui 
forait  un  trè?  grand  plaii^ir,  et  à  tout  le  sacré  collège,  d'empêcher  que  ledit 
cardinal  nt*  vînt  ici  se  faire  moquer  de  lui  et  peut-ùlre  y  vivre  avec  scandale. 
Lak'lln*  du  roi  e^t  courue  en  terme:^  qu'il  trouvera  très  oMigeauts.  •.  (Lionne 
à  Hourlemont,  29  noiU  ItHO.)  Maldalciiini  avait  demandé  la  penuissiou  de 
faire  un  voyage  en  France. 

(2)  Il  ne  faut  rien  exanérer.  S'il  trahit  souvent  et  houteu-^emeut  se»  devoirs 
envers  le*  souverain?  pontifi-s,  il  eut  des  mœurs  pures  et  de  la  piélê.  lldou- 
niit  beaucoup  aux  pauvres;  il  fonda  une  î^glise  et  un  mouastère.  Il  mourut 
en  1676,  âgé  de  soixante-un  ans. 

(3)  Revue  (tes  Quesliuns  historiques,  1"  janvier  1817  :  Les  dernières  annéts 
du  cirriinal  de  Retz,  par  Chantelauze.  —  Les  dernières  années  du  cardinal 
de  Retz,  par  Gazier,  Thorin,  1873,  in-S».  —  Le  cardinal  de  Retz  à  Rçme,  par 
Tabbé  Rozou   1878.  in-go^ 


DISCRÉDIT    DE    LA    FACTION    FRANÇAISE  61 9 

gêner  la  iiberlé  des  souverains  pontifes  (1)?  Des  le  22  juin,  le 
pape  informa  Louis  XIV  qu'il  n'y  avait  même  pas  lieu  à  né- 
gociation :  il  avait  signifié  à  Relz  un  refus  péremptoire  (2). 
L'ancien  Frondeur  conserva  donc  la  pourpre  et  demeura  dans 
sou  exil,  employant  ses  dernières  années  à  la  rédaction  de  ses 
scandaleux  mémoires. 

Restait  le  cardinal  Grimaldi  qui,  sans  avoir  les  mêmes  torts 
à  so  reprocher,  avait  dû  cependant  réformer  sa  vie,  et  dont  la 
conversion  était  sincère.  L'ancienne  créature  de  Mazarin  mon- 
trait maintenant  un  rigorisme  chimérique  (3),  dont  on  abusait 
pour  couvrir  des  projets  peu  honnêtes, et  MM.  d'Estrées avaient 
essayé  de  rengager  dans  leur  cabale.  On  a  lu  plus  haut  son 
voium  équivoque  dans  le  consistoire  du  27  mai  :  on  espérait 
le  mener  plus  loin.  Après  avoir  demandé  que  le  roi  lui  pres- 
crivît de  prolonger  son  séjour  à  Rome,  MM.  d'Estrées  le  pous- 
saient à  l'audience  du  pape  et  chez  les  cardinaux  :  ils  lui  ré- 
digeaient ses  mémoires,  ses  discours,  ses  répliques;  mais 
Tarchevèque  d^Âix  déconcerta  leurs  desseins  (4):  il  retourna 
bientôt  dans  son  diocèse^  persuadé  que  l'audience  du  21  mai 
s'était  passée  comme  il  était  dit  dans  la  relation  du  palais  et  pro- 
mettant d'appuyer  auprès  du  roi  les  plaintes  portées  contre 

(1)  «  En  cas,  disait  Louis  XI V  au  duc  d'Estrées,  que  le  pape  et  les  cardi- 
naux agréent  cette  démission,  vous  devez  vous  en  prévaloir  pour  faciliter 
encore  davantage  la  promotion  des  couronnes  à  mon  égard  et  celle  de  l'é- 
voque de  Marseille  en  faveur  de  la  Pologne.  Quoique  Tune  et  l'autre  doivent 
être  acquises  à  deux  Français  par  toute  sorte  de  justice,  c'est  toutefois  une 
raison  bien  puissante  contre  la  difficulté  que  Ton  oppose  d  admettre  deux  de 
mci  sujets  dans  une  môme  promotion  que  de  voir  le  cardinal  de  Retz,  qui 
était  à  la  tète  delà  faction  de  France,  se  démettre  volontairement  de  sa  place, 
et  que  j'y  consente.  »  (3  juin  1673.  Rome,  238.) 

(2)  «...  Non  possumus...  cjus  cousilium  ullo  modo  probare...  Quamobrcm 
ei  tignificavimus  nos  ad  ejus  desideria  obsecundanduni  adduci  minime  posse, 
eique  mandavimus  ut  in  eà  statione  in  quà  eum  locavit  Altissimui»  permauere 
ttudeat.  Hœc  autem  MajeStati  Tuop  indicauda  esse  censemu?,  ut  ipsa  quoque 
illum  ab  inconsultà  hujusmodi  cogitationo  abducere  non  dcdignetur.  »  (bref 
au  roi,  22  juin  1675.  Home,  239.) 

(3)  n  C'est  une  personne,  dit  Bourlemont,  d'un  insigne  m/'rite  et  d'une 
étroite  régularité  et  telle  qu'elle  n'agréerait  pas  a  plusieurs  de  cotte  cour, 
qui  ne  sont  pas  fâchés  de  l'en  voir  partir,  d'autant  plus  qu'il  parlait  libre- 
ment de  ce  qui  est  à  redire  à  la  marche  d'ici.  »  (\  Pomponne,  16  octobre  1673. 
Rome,  240.) 

(4)  Le  cardiQal  d'Estrées  &  Pompoqne,  12  septembre  1675.  RomCf  240, 


620  CHAPITRE   SEPTIÈME 

Tambassadeur!  Tel  fut  le  résullat  des  manœuvres  auxquelles 
le  cardinal  d*Estrées  eut  la  principale  part  et  de  Tentreliei 
que,  sur  ses  instances,  Grimaldi  eutavecle  souverain  pontife: 
«  Le  pape  répondit  fort  honnêtement  sur  les  témoignages  de 
rafiection  que  le  roi  avait  pour  lui,  mais  il  parla  avec  fermeté 
et  hauteur  pour  soutenir  la  promotion  cl  la  conduite  du  car- 
dinal Altieri,  et  dit  qu'il  ne  se  laissait  pas  mener  par  le  nez; 
qu*il  avait  été  inspiré  par  le  Saint-Esprit  pour  faire  la  promo- 
tion, et  qu'il  n*avait  rien  dit  que  des  paroles  obligeantes  quon 
avait  voulu  prendre  pour  des  engagements.  Il  offrit  de  faire 
accorder  au  duc  dEstréos  les  mômes  conditions  qu'aux  autres 
ambassadeurs  sur  TaiFaire  commune  [des  franchises],  et  ra- 
conta la  dernière  audience  qu'il  avait  donnée  à  ce  duc  confor- 
mément à  la  fausse  relation  (1),  et  faisant  mention  qu'il  loi 
avait  dit  qu'il  était  excommunié  (2).  Il  témoigna  aussi  à  ce  car- 

(1)  Bicu  cutcudu,  ce  qu'uue  plume  frauçaise  appelle  fausse  relaUoo,  est 
celle  du  pape. 

(2)  Négociations  de  Rome^  25.  —  Cette  analyse  de  Saint-Prèt  résume  ewc- 
temeut  les  dépêches  que  jai  sous  les  yeux  :  «  Le  même  Cerri  [prélat  romaio'. 
écrit  Scrvieut,  m'apprit  que  le  pape  avait  raconté  pour  très  véritable  au 
cardinal  Grimaldi,  dans  l'audience  qu'il  lui  donîta^  Crlle  gui  fut  suppo<ée  d? 
M.  Vamb'tssadeur  avant  la  promotion^  sans  oublier  a^tcun  des  incidents  inven- 
tés pour  élahlii'la  querelle...  On  ajoute  que  le  cardinal  Grimai  li,  se  déclarant 
persuadé  sur  la  narrationdu  pape,  lui  promit  d'eu  rendre  compte  au  roi  siQ? 
participatiou  des  ministres  eu  cette  cour,  en  quoi  il  serait  tombé,  si  le  fait 
était  véritable,  dans  une  grande  fanlc;  mais  il  y  a  longtemps  que  j'avais  excil'/ 
M.  le  cardinal  d'Estrécs  à  no  s'en  servir  eu  rien  que  comme  d'un  aide,  et  en 
ne  le  laissant  primer  en  aucune  occasion.  »  (A  Porapouue,  26  septembre 
1675.  liotnct  240.) —  <»  M.  le  cardinal  Grimaldi  n'a  pas  suivi,  en  deujt  choso5,la 
rè«j:liî  que  nous  nous  étions  prescrit)*,  car  il  a  voulu  lire  à  tous  les  cardinaux 
qu'il  a  visités  l'écrit  commun  que  nous  n'avions  dressé  que  pour  notre  ins- 
truction, et  qu'il  avait  approuvé  avec  le  cardinal  Ursiu  ;  mais  ce  qui  m'a  déplu 
davantage,  c'est  qu'il  ait  confié  cet  écrit  au  cardinal  Barberin  parce  que, 
l'ayant  visité  trop  tard,  il  n'avait  pu  demeurer  assez  pour  lui  faire  bien  com- 
prendre ce  qu'il  contenait.  Je  me  suis  fort  récrié  sur  cette  conduite,  et  lui 
ai  dit...  que  S.  .M.  pouvait  bien  faire  dire  aux  cardinaux  les  sujets  de  «on 
mécontentement;  mais  que  c'était  faire  trop  d'honneur  au  cardinal  Âltieiide 
laisser  un  écrit  qui  semble  être  unmmifestede  S.  .M.  contre  lui...  o  GrimiUi 
avait  pris  respectueusement  congé  du  cardinal  Âltieri,  et  s'était  entretenu 
avec  lui  plus  de  trois  quarts  d'heure;  le  cardinal  d'Estrêes  ajoute  aigrement: 
«  11  aurait  pu,  ce  me  semble,  concerter  avec  nous  cette  visite  avant  que  de 
la  faire,  ou  du  moins,  s'il  la  croyait  d'une  bienséance  inévitable,  il  aurait  pu 
la  finir  en  un  moment.  11  me  semble  que,  l'ayant  vu  quelque  temps  aupara- 
vant et  lui  ayant  dit  qu'il  était  sur  le  point  de  partir,  il  avait  plus  de  liea  de 


DÉBUTS    DE    LA   PRINCESSE    DES    URSINS  621 

dînai  qu'il  n'était  pas  persuadé  du  bon  état  des  affaires  du  roi, 
ce  qui  fit  connaître  que  c'était  cette  opinion  qu  on  lui  avait 
donnée  qui  le  faisait  parler  avec  autant  de  fermeté.  Le  palais 
Bt  extrêmement  valoir  la  vigueur  que  le  pape  avait  fait  pa- 
raître au  sujet  de  la  promotion  et  de  la  personne  du  cardinal 
Allieri,  et  prétendit  qu'il  avait  parlé  en  Sixte-Quint,  et  que 
le  cardinal  Grimaldi,  se  rcpenlant  de  ce  qu'il  avait  dit  à  Sa 
Sainteté,  s'était  jelé  à  ses  pieds,  et  lui  en  avait  demandé  par- 
don, lui  avait  promis  de  rendre  compte  au  roi  de  ce  qui  s'était 
passé  en  la  dernière  audience  du  duc  d'Eslrées,  et  ne  s'était 
point  voulu  relever  qu'il  n'eût  eu  sa  bénédiction  :  ce  qui  était 
fondé  sur  ce  que  le  cardinal  Grimaldi,  en  se  retirant,  avait 
baisé  les  pieds  du  pape,  quoiq  uecela  no  fût  pas  ordonné  à 
l'égard  des  cardinaux,  et  lui  avait  demandé  sa  bénédiction.  » 
Voulant  regagner  à  tout  prix,  dans  Rome,  une  influence 
qu'il  n'avait  pas  su  conserver  par  des  voies  légitimes, 
Louis XIV  tenla  de  s'attacher  plus  étroitement  divers  membres 
de  la  noblesse  romaine,  avec  lesquels  il  avait  déjà  noué  des 
rapports  secrets  ou  publics.  Le  frère  du  cardinal  Orsino,  le  duc 
de  Bracciano,  chef  de  la  famille  des  Orsini,  pensionnaire  du 
roi,  n'avait  ni  vertu  ni  talent,  et  succombait  sous  le  poids  de 
ses  dettes.  L'éclat  de  son  nom  séduisit  une  femme  destinée  à 
une  grande  célébrité,  la  fille  du  duc  de  Noirmoutier,  veuve  du 
prince  de  Chalais.  alors  retirée  à  Rome.  Protégée  par  le  car- 
dinal d'Estrées,  qui  passait  pour  avoir  été  un  de  ses  amants, 
elle  crut  trouver  dans  son  union  avec  le  duc  de  Bracciano  le 
moyen  de  conquérir  un  rang  et  une  influence  dignes  de  son 
ambition,  et  Louis  XIV  jugea  dès  lors  que  les  intrigues  de  la 
future  princesse  des  Ursins  seraient  utiles  à  sa  politique.  Pom- 
ponne écrivait  (1)  :  «  Sa  Majesté  a  extrêmement  approuvé, 
et  par  son  intérêt  même  elle  sera  bien  aise  que  cette  maison, 
qui  a  toujours  été  si  fort  attachée  à  ses  intérêts  dans  Rome, 
se  continue  par  une  alliance  avec  une  personne  de  la  première 


8*eQ  dispenser...  Le  voyant  si  détcnniiié  à  partir,  je  ne  lui  ai  rien  voulu  dire 
parce  que  je  n*ai  pas  cru  devoir  coulrarier  iuutiicmout  un  homme  de  cet 
âge  et  de  co  mérite,  sur  une  chose  qu'où  ne  pouviiit  réparer.  *  (Le  cardiual 
d*Eslrées  à  Pomponne,  12,  15  octobre  1675.  Rome,  240,  etc.) 
(1)  Au  cardinal  d'Lstrées,  19  octobre  1674.  Rome,  232. 


622  CHAPITIUB    SEPTIÈMt 

qualité  de  son  royaume.  Ce  n*est  pas  que  Sa  Majesté  n'ait  vo 
la  peine  que  M""^  de  Chalais  fait  paraître  pour  le  mariage,  et 
les  larmes  que  lui  coûte  le  souvenir  de  celui  dont  la  mort  l'a 
séparée.  Sa  Majesté  a  approuvé  des  sentiments  qui  marquent 
beaucoup  d'amitié  et  de  vertu,  mais  elle  croît  qu'ils  doivent 
être  surmontés  par  la  considération  d*un  établissement  consi- 
dérable, et  elle  croit  même  que  TafTection  de  M"*  de  Cha- 
lais pour  son  service  lui  peul  être  un  motif  d*embrasser  d  aa- 
tant  plus  tôt  cette  pensée  que  le  rang  qu'elle  tiendra  à  Rome 
lui  fera  naître  plus  d'occasions  de  lui  en  rendre...  «  La  pen- 
sion de  M.  de  Braccianolui  sera  conservée  et  il  aura  le  collier 
du  Saint-Esprit,  à  la  prochaine  promotion  (1).  L'ambassadeor 

(l)  Je  suis  fâché  de  le  dire,   mais  Pomponne  paratt  avoir  aidé  M"*  de 
Chalais  à  tromper  son  mari  sur  lu  véritable  état  de  sa  fortuDe  :  &  M"^*  de 
Noirmoutier,  dit-il,  prit  la  peine  de  venir  chez  moi;  je  lui  parlai  de  l'affaire 
et  particulièrement  de  ce  qu'elle  peul  devoir  encore  du  mariage  de  Madame 
sa  fille.  Elle  me  ht  voir  que  la  ruine  de  Noirmoutier  et  de  ses   autres  terre» 
la  mettait  peu  eu  état  de  pouvoir  y  satisfaire  à  cette  heure.  Ce  serait  sur  quoi 
Je  croirais  qu*il  ne  faudra ii  pas  trop  parler  avec  M.  le  duc  de  Bracciano.  niait 
lui  faire  connaître  seulement  que  ce  bien  ne  peut  être  plus  assuré  à  M»*  de 
Chalais,  et  qu'aiusi  elle  se  peut  dire  en  toute  manière  nu  parti  avantageux.* 
Pomponne  ne  pouvait  pas  être  sinrùre,  quand  ii  parlait  de  la  vertu  et  des 
larmes  de  cette  veuve,  dont  les  mœurs  étaient  déjà  décriées  :  elle  vécut  fort 
mal  avec  son  second  mari,  et  le  récit  de  leurs  querelles  remplit  un  «rand 
nombre  de  lettres  qui  ont  passé  sous  mes  yeux.  —  »  Ma  cousiue,  si  j'avais 
pris  beaucoup  de  part  aux  propositions  de  votre  mariage,  j*ai  vu  avec  bien 
du  plaisir,  la  juste  satisfaction  que  vous  m'en  témoignez  depuis  qu'il  tit 
achevé.  Autant  que  je  me  suis  assuré  qu'il  sera  plein  de  bonheur  et  de  satis- 
faction pour  vous,  autant  suis-je  persuadé  qu'il  contribuera  à  alferuiir  encore, 
s'il  se  pouvait,  davantage  dans  la  maison  Ursine  le  zèle  et  raffectiou  qui  y 
sont  héréditaires  pour  moi.  Aussi  sais-je  que  mon  portrait,  qui  vous  a  été 
donné  de  ma  part  par  mon  ambassadeur  et  dont  vous  me  rendes  vos  remer- 
ciements, ne  sera  point  néoessairtî  pour  vous  faire  souvenir,  dans  toutes  lo* 
occasions,  du  service  que  vous  serez  l)ien  aise  de  me  rendre.  Soyez  assurée,  eu 
échange,  de  mon  affection  pour  vous,  et  sur  ce,  etc.  »  (Le  roi  à  la  duciiessede 
Bracciano,  29  mars  1675.  Rome,  237  )  —  Voici  une  lettre  précieuse  de  riiilêJli- 
gcnt  abbé  de  Bourlemont,  qui  jette  une  5inistre  lumière  sur  l'intérieur  de  ce 
ménage  et  de  toute  la  famille  des  Orsini  à  cette  époque.  «Le  c.irdinal  Orsict- 
est  mort  vendredi...  H  laisse  plus  de  dettes  qu'il  n'avait  de  biens,  solvant  le 
malheur  de  ceux  de  sa  maison  de  s'être  endettés  sans  avoir  fait  de  dépcnf^-* 
qui  paraissent.  M.  le  prince  de  Vicovaro,  son  frère,  est  eu  résolution  de  se 
faire  d'Kglise.  Véritablement  je  ne  sais  d'où  lui  vient  cette  pensée  après  ia 
mort  du  cardinal,  vu  que  ci-devant  il  s'était  déclaré  de   vouloir  se  marier, 
parce  que  le  duc  de  Bracciano,  son  frère,  ncsl  pas  en  étal  cTavoir  des  enfants. 
S'il  se  fait  d'Église,  tout  le  dAhris  de  la  maison  de  Bracciano,  après  la  raortlu 


DÉBUTS    DE    LA    PRINCESSE   DES  URSINS  623 

fut  chargé  de  faire  les  mêmes  promesses  à  deux  autres  sujets 
du  pape,  8*ils  entraient  dans  la  faction  de  France  :  Tun  était 
Louis  Sforza,  duc  d'Ornano  et  de  Segni,  gendre  du  marquis  de 
Thianges;  l'autre,  le  prince  de  Sonnino,  frère  du  connétable 
Colonna  et  gundro  de  ce  duc  Cesarini,  gonfalonier  du  peuple 
romain,  qui,  pendant  le  démêlé  des  Corses,  avait  offert  de 

m 

livrer  aux  troupes  françaises  un  port  de  ]*Ëtat  ecclésiastique. 
Pomponne  recommandait  au  duc  d*Estrées  de  veiller  particu- 
lièrement à  Texécution  du  traité  passé  avec  le  prince  de  Son- 
nino, et  concluait  en  ces  termes  :  «  Ainsi,  vous  aurez  entre  les 
mains  de  faire  trois  chevaliers  de  Tordre...,  et  d'attacher  en 
cotte  sorte  à  la   Frauce   trois   des  premières   maisons  de 
Rome  (1).  »  Or,  les  services  que  le  roi  attendait  de  ses  pro- 
tégés, c*était  la  violation  de  la  fidélité  due  à  leur  souverain, 
rintroduclion  des  bandits  napolitains  ou  des  soldats  français 
à  Palo,  à  Bracciano^  sur  les  terres  papales!  Lorsque,  après  le 
dernier  édit  sur  les  franchises  et  la  promotion  du  27  mai  1675^ 
l'ambassade  française  agita  divers  projets  de  vengeance  contre 
la  famille  Altieri,  elle  compta  sur  ces  barons  romains  pour  le 
succès  de  ses  complots  et  le  cardinal  d'Ëstrées  écrivait  \  Pom- 
ponne (2)  :  «  Je  dois  vous  témoigner  encore  avec  combien  de 
zèle  et  de  chaleur  M.  le  cardinal  Ursin  et  MM.  le  duc  de  Brac- 
ciano  et  le  prince  de  Yicovaro  se  sont  conduits  dans  cette  occa- 
sion, oGfrant  tout  sans  garder  aucune  mesure.  Ce  redouble- 
ment d^ardeur  doit  être  sans  doute  attribué  aux  sentiments  de 
M*"^  de  Bracciano,  qui  répond  parfaitement  à   ses  obliga- 
tions... »  Le  duc  Sforza  et  le  prince  de  Sonnino  donnèrent 
également  au  roi  des  gages  de  leur  félonie,  et  les  trois  nou- 
veaux chevaliers  reçurent  ensemble  les  insignes  de  Tordre, 
au  mois  d'octobre  1675,  des  mains  du  duc  dcNevcrs.  Mais  de 
tels  auxiliaires  u*élaient  pas  pour  rendre  du  prestige  à  la  fac- 

dac,  passera  au  duc  de  Graviua,  qui  est  de  factiou  espaguole,  et  qui  a  épousé 
une  oièee  du  cardinal  Altieri  dont  il  a  des  enfants,  au  lieu  que,  le  prince  de 
Vicovaro  se  mariant,  il  pourrait  conserver  la  maison  do  Bracciano,  ayant  des 
eafants.  C'est  à  quoi  le  duc,  son  frère,  devrait  le  porter;  mais  iU  vivent  avec 
une  telle  froideur  entre  eux,  qu'ils  semblent  peu  se  soucier  où  aille  le  bien 
après  leur  mort.  »  (A  Pomponne,  25  août  1676.  Kome^  216.) 

(1)  8  mars  1675.  Aome,  237.  —  Journal  de  Dangcau,  t.  1*%  p.  336. 

(2)  2  juin  16:5.  Rome,  238. 


624  CHAPITRE   SKPTtÈME 

tion  française,  et  Tabbé  Scrvient  signalait  bientôt  à  la  cour 
Tempire  dangereux  pris  sur  le  cardinal  d*Estrées  par  la  nou- 
velle duchesse,  «  brouillonne  et  avide  de  montrer  son  auto- 
rité (1).  » 

Les  intérêts  de  la  France  n* avaient  plus  pour  défenseurs 
attitrés,  à  Rome,  que  les  abbés  de  Bourlemont  et  Servient,  et 
MM.  d'Estrécs.  Mais  Bourlemont  était  mécontent  et  fatigué  : 
touchant  à  sa  soixantième  année«»  il  aspirait  à  retourner  en 
France  et  souhaitait  un  grand  évéché.  Quoiqu'il  n*aimÂt  pas  le 
cardinal  d*Estrées,  dont  la  violence  le  choquait  et  dont  ii 
méprisait  rinhabileté,  il  avait  voulu,  par  bienséance,  recevoir 
de  lui  la  prêtrise  (2).  Ordonné  depuis  quelques  jours,  il  solli- 
cita rarchevêché  de  Toulouse  (3)  ;  mais  on  ne  lui  offrit  alors 
que  le  siège  de  Saint-Papoul,  qu'il  refusa  comme  trop  petit 
et  trop  pou  riche.  Si  j'étais  plus  jeune,  disait-il,  je  compterais 
sur  les  translations  ;  «  mais,  moi  qui  ai  les  cheveux  blancs  et 
la  barbe  grise,  je  dois  considérer  Tévéché  qu'il  plaira  au  roi  de 
me  donner  pour  seule  et  unique  épouse  et  avoir  égard  à  la 
réputation  de  ma  sortie  de  la  rote  (4).  » 

Servient,  âgé  de  trente  ans  et  déjà  traité  avec  une  faveur 
que  son  mérite  ne  justifiait  pas,  n'était  pas  plus  satisfait 
de  sa  condition  ;  il  rappelait  sans  cesse  «  les  services  de 
son  père,  ambassadeur  en  Piémont,  et  de  ses  oncles,  feu 
M.  Servient  le  surintendant,  et  feu  M.  de  Lionne  (o;;  »  et 
ii  se  proposait  pour  remplacer  Bourlemont  à  la  rote.  11 
ne  doutait  pas  qu'il  ne  fût  aussi  chargé  des  affaires  du  roi 

(1)  A  I*ac!iiii,  20  jiiillcl  Uu'k  Rome,  23D.  Lettre  euti^rcment  chilTrûe. 

(2)  -c  Je  ihuinai  dimanche  Tordre  de  prôtrise  à  M.  de  Bourlemout,  et  j?  lui 
suis  ohliu'é  qu'il  m  ait  choi'^i  pour  i-etlc  fonction.  Il  y  a  dix-sept  ans  qu'il 
sert  dan?  sa  charj^ro,  avec  beaucoup  d'honneur  et  d'application;  elle  est  labo- 
rieuse tt  surtout  p  >ur  un  houinie  il'une  extrême  exactitude  comme  lui.  Il  n'y 
a  point  de  devoir  qu'il  n'ait  rempli  dij:nemenl  soit  pour  les  mœurs,  soit  pour 
les  négociations  et  les  alTaires.  Il  approche  de  soixante  ans  et  soupire  aprê* 
quelque  repos,  mais,  quoique  sa  grande  mudeslif  l'empôche  de  le  témoign-r. 
il  vou«irait  olium  ou  tictfutium  cum  dignilate.  >•  ;Le  cardinal  d'Estrées  à  Pom- 
ponne. 11  octobre  167».  Ilomc,  132.)  —  Bourlemout  n'était  pas  si  mor/e.«/e  que 
cela  :  il  demandait  sans  ces.*e  pensions  et  bénéûces,  et  désignait  d'avance  les 
seuls  évêohés  ou  archevêchés  qu'il  lui  conviendrait  d'accepter. 

(3;  A  Pomponne,  2i  octobre  16T4.  Rome,  232. 

(4)  Au  môme.  17  décembre  1674.  Rome,  233. 

(o)  Lionne  n'était  que  son  oncle  à  la  mode  de  Bretagne. 


AGENTS   DU    ROI    A   ROME  623 

pendant  la  vacance  de  l'ambassade.  Il  se  croyait  en  effet  une 
aptitude  héréditaire  aux  emplois  diplomatiques.  Le  bon 
accueil  fait  par  la  cour  à  ses  rapports  et  à  ses  mémoires  redou- 
blait alors  son  zèle.  Malheureusement  cette  abondance  d'écri- 
ture cachait  une  imagination  très  pauvre,  qui  ne  trouva  jamais 
qu'un  moyen  de  faire  réussir  une  négociation  avec  le  saint- 
siège  :  la  violence.  Le  roi  n'obtiendra  rien  du  pape,  écrit-il, 
s'il  ne  lui  fait  craindre  «  un  affront  à  ses  parents  séculiers;... 
une  persécution  sans  relâche  au  cardinal  Altieri  sous  un  autre 
pontificat:...  des  émotions  en  Avignon  ;...  une  suspension 
entière  de  la  datcrie;...  des  propositions  en  Sorbonne  et  des 
consultations  par  toutes  les  facultés  sur  les  incidenls  de  ce 
présent  pontificat;...  des  assemblées  du  clergé  de  France  sur 
la  même  matière;  la  convocation  d'un  concile  national  dont 
tous  les  sujets  dépendraient  absolument  du  roi;  une  protes- 
tation contre  la  dernière  promotion  et  les  sujets  qui  en  ont  élé  ; 
un  refus  de  les  recevoir  dans  un  futur  conclave;  un  ordre  aux 
ministres  et  aux  cardinaux  français  de  les  insulter  partout; 
une  exclusion  pour  eux  sans  retour  du  pontificat  et  de  toutes 
sortes  de  fonctions  ;  et  une  protestation  de  ne  pas  reconnaître 
un  pape  qui  serait  élu  parmi  eux  ou  par  leurs  suffrages.  Mille 
autres  moyens  enfin,  Monseigneur,  pourraient  être  mûrement 
examinés,  choisis  ensuite  avec  prudence,  et  élant  cités  avec 
force,  pousser  non  seulement  le  pape  mais  tout  son  conseil 
dans  une  consternation  extrême  et  de  celle  consternation  à 
Taccomplissement  sans  délai  des  satisfactions  que  la  gloire  et 
rînlérêt  du  roi  paraissent  exiger  indispensahlement,  etc..  » 
Un  jour  même,  Servient  rédigea  pour  Pomponne  un  projet  de 
lettre  du  roi  au  pape  pour  refuser  sa  médiation  au  Congrès  de 
Nimègue  !  «  On  peut,  disait-il,  abréger  la  lettre  ou  l'augmenter, 
en  adoucir  les  termes  ou  les  aigrir  :  les  plus  forts  seront  les 
meilleurs  (i).  » 

(1)  4  janvier  1674.  Rome,  229;  20  et  25  juilkt  et  11)  septembre  1675.  linwv, 
239  et  240.  —  Voici  de  quel  style,  le  sa^e  et  doux  Pompoune  écrivait  à  c»  t 
énergumène  :  «  Bien  que  vous  ne  receviez  pas,  Mousieur,  di*  réponses  pré- 
cises à  toutes  les  lettres  que  vous  prenez  la  peine  de  m'écrire,  ne  douiez  pa.**, 
s'il  vous  plaît,  que  je  ne  les  reçoive  avec  toute  la  reconnaissance  qu'elles  mé- 
ritent et  que  je  ne  lise  avec  un  extrême  plaisir  les  mémoires  et  les  avis  que 
vous  voulez  bien  y  ajouter.  L*on  ne  peut  recevoir  de  lumières  plus  clairos 

LOUIS  XIV  R  LB  SAINT-SIËGB.   —  II  40 


626  CHAPITRE    SEPTIÈME 

Le  cardinal  rrEslrées  conservanl  son  tilre  d*envové  extraor- 
(linaire,  malgré  la  présence  d*un  ambassadeur^  est  le  cooseiOer 
nécessaire  de  son  frère;  mais  sa  conduite  Ta  rendu  odieaxaii 
sacré  collège  et  à  toute  la  cour  pontificale  :  son  ingratitude 
cynique  envers  le  pape  qui  l'a  décoré  de  la  pourpre  lai  alièi» 
tous  les  cœurs  :  aussi  sera-t-il  rappelé  en  France,  aa  débat 
du  pontificat  suivant;  et,  quand  il  reviendra  au  palais  Far- 
nèse,  ce  sera  pour  y  accomplir  une  mission  de  guerre  et  de 
vengeance. 

Quant  au  duc  d*Ëstrées,  le  scandale  de  ses  derniers  actes, 
sa  maladie^  sa  longue  convalescence,  sa  rupture  avec  le  pape, 
avec  Alticri,avecles  cardinaux  de  la  dernière  promotion  lent 
relégué  dans  la  solitude  au  fond  du  palais  Farnèse.  Le  dé- 
sordre notoire  de  ses  affaires  privées  le  livre  au  mépris  de  ses 
domestiques,  et,  après  trois  ans  d^ambassade,  Tbomme  qoi 
représente  directement  auprès  du  saint-siège  la  personne  du 
roi  de  France  n'est  pas  beaucoup  plus  considéré  à  Rome 
que  le  dernier  de  ses  nationaux. 

Gêné  par  la  médiation  de  Clément  X  que  TEnrope  accueil* 
lait  avec  faveur,  Louis  XIV  croyait  utile  au  succès  de  sa  poli- 
tique de  rendre  plus  rares  ses  communications  avec  la  cour 
pontificale.  Il  avait  réussi  au  gré  de  ses  désirs.  Le  nonce 
S{>a(la  n'était  déjà  plus  admis  en  sa  présence  quand  ce  prélat 
fui  nommé  cardinal  et  rappelé  en  Italie.  Le  pape  ne  s'en  émal 
pas  et  laissa  MM.  d'Eslrées  comploter  librement  dans  leur 
désert;  mais  il  reprit  avec  une  énergie  nouvelle  la  néirocia- 
lion  ouverte  pour  la  paix  générale;  et  toutes  les  cours,  protes- 
tantes et  catholiques,  sauf  celle  de  Saint-Germain,  avouaient 
que  rintcrvenlion  du  pape,  comme  prince  italien  et  chef  de 
TEi^'^Iise,  n'avait  jamais  été  mieux  justifiée. 

Depuis  la  prise  de  Candie,  les  Turcs  faisaient  partout  des 
progrès  eifrayants  :  leurs  vaisseaux  de  guerre  avaient  été  vus 
récenimenl  dans  les  eaux  pontificales.  L'Italie  ne  pouvait  pas 
compter,  pour  sa  défense,  sur  les  Vénitiens  qui  ne  s'étaient 
pas  encore  relevés  de  leurs  dernières  défaites^  et  qui  necher- 

qiio  les  vntn's  sur  la  cour  de  Uouio.  Pcrsouue  ne  la  counait  plus  distiucto- 
meut  et  iiitiineiucut  que  vous,  et  je  sens  que  je  tire  toujours  beaucoup  J  u- 
ilité  de  la  couuaissauce  que  vous  ui'cu  doouez.  »  (fîome,  239.) 


PROGRÈS    DES    TDRCS  627 

chaient  qu'à  écarter  de  leurs  possessions  les  armcmcnls  du 
Grand  Seigneur.  Leur  attitude  n'avait  pas  changé  depuis  que 
le  président  de  Saint-André,  ambassadeur  du  roi  auprès  d'eux, 
écrivait  :  «  Ils  sont  dans  de  très  grandes  appréhensions  d'en- 
trer dans  une  nouvelle  rupture  avec  la  Porte  et  de  retomber 
en  guerre  avec  un  si  puissant  ennemi,  maintenant  qu'ils  ont 
licencié  le  peu  de  troupes  qui  leur  restaient;  parce  que  le 
vizir  leur  demande  une  bonne  partie  de  leur  territoire  de  Dal- 
matie,  un  port  en  cas  de  besoin  dans  l'une  des  trois  îles  qui 
leur  restent  dans  l'Archipel,  et  ne  veut  plus  absolument  que 
les  galères  ni  galéasses  de  Venise  passent  dorénavant  Tîle 
Ccrigo  pour  aller  au  Levant,  ni  souffrir  qu'il  y  ait  que  des  vais- 
seaux qui  puissent  porter  les  choses  nécessaires  pour  la  Suda, 
Spinalonga  et  Carabusa  (1).  Ces  messieurs  néanmoins  ne 
désespèrent  pas  de  pouvoir  adoucir  le  vizir  et  les  aulres  offi- 
ciers de  la  Porte  à  force  d'argent  et  de  présenta  qu'ils  ont  résolu 
de  leur  offrir,  et  d'ajuster  avec  le  temps  le  différend  pour  les 
confins  deDalmatic,cn  abandonnant  au  Turc  tout  le  territoire 
qu'ils  ont  occupé,  et  se  conservant,  s'ils  peuvent,  leurs  places 
et  forteresses  (2).  »  —  «  J'ai  su  de  M.  le  nonce  Varese  que  la 
cour  de  Rome  est  en  grande  appréhension  que  le  ïurc  n'atta- 
que encore  (3)  cette  année  l'Italie  du  côté  des  États  du  Roi 
catholique  ou  même  de  Sa  Sainteté,  h  cause  des  grands  pré- 
paratifs de  mer  qu'on  a  eu  avis  qu'il  fait.  Le  nonre  a  ordre  de 
Sa  Sainteté  de  faire  office  au  sénat  afin  que  la  République 
tienne  une  bonne  flotte  et  armée  navale  prèle;...  mais  ces 
messieurs-ci  ont  si  grand'peur  de  l'irriter  et  se  l'attirer  sur  les 
bras  qu'ils  n'oseront  pas  seulenn'nt  se  mettre  en  état  de 
défense  (l).  »  L'ICnipereur  ayant  besoin  de  toutes  ses  forces 
pour  résister  aux  Français,  il  ne  restait  plus  que  la  Pologne 
pour  protéger  la  chrétienté  contre  les  Ottomans.  Mais 
Louis  XIV  travaillait  à  rendre  stériles  les  exploits  du  vainqueur 
de  Choczim  et  il  était  sur  le  point  d'obtenir  que  Sobieski  con- 
clût avecle  sultan  le  traité  funeste  de  Zurawuo.  Clément  X 

(1)  Postes  que  les  Vénitiens  conservaient  dans  l'ile  de  Candie. 

(2)  Au  roi,  4  avril  IGTl.  Vcnife,  02. 

(iJ)  Comme  il  avait  récemment  att.u|né  la  Pologne. 
(4)  A  Lioone,  3  mai  1G71.  Venise   92. 


628  CHAPITBE   SBPTIÈSCB 

était  exactement  iostniit  des  intrigues  Françaises  par  ses  nonces 
de  Varsovie  et  de  Vienne,  et,  s'il  avait  pu  en  détourner  soo 
attention,  elles  lui  auraient  été  rappelées  par  les  instances  de 
MM.  d'Estrées  en  faveur  de  Tévèque  de  Marseille,  Forbin-JtD- 
son,  négociateur  de  la  paix  entre  la  Polog^nc  et  les  Turcs. 

Le  marquis  de  Nointel,  arrivé  à  Constantinople  au  mois  de 
novembre  1670  pour  remplacer  Tancien  ambassadeur  Denis 
de  la  Haye,  avait  été  frappé,  comme  ses  prédécesseurs^  de  Tétat 
lamentable  des  chrétientés  d'Orient,  dont  le  roi  de  France 
n  était  plus  que  le  protecteur  nominal.  Il  se  rendit  en  Palestine 
et  constata  que,  depuis  plus  de  trente  ans,  les  Lieux  saints 
étaient  envahis  parles  Grecs,  avec  l'autorisation  de  la  Porte, 
malgré  les  capitulations  obtenues  autrefois  par  les  Françai> 
en  faveur  des  Latins  et  renouvelées  récemment  (1673).  On  ne 
peut  rien  imagiuer  de  plus  intéressant  que  les  dépèches  oui! 
dépeint  les  malheureux  Franciscains  de  Terre  sainte,  presque 
abandonnés  par  la  royauté  française.  Forcés  de  donner  aui 
pachas  les  deux  tiers  des  aumônes  qu'ils  recevaient  d'Europe, 
ces  religieux  étonnaient  les  infidèles  par  leurs  vertus,  entre- 
tenaient daus  tout  rOrient  le  souvenir  de  notre  pays,  et 
demandaient  à  Dieu  d'y  faire  revivre  la  foi  et  le  dévouement 
des  Croisés!  Après  s'être  félicité  de  raccueîl  que  lui  a  fait 
«  leur  gardien,  qui  est  italien  et  dans  lequel  la  force  de  la 
science  et  de  la  piété  supplée  à  la  faiblesse  d'un  grand  âge,  qui 
néanmoins  ne  Tcmpêche  pas  d'agir,  »  M.  de  Nointel  se  répand 
en  éloges  sur  ses  moines,  «  vivant  tous  exemplairement  et 
ayant  beaucoup  d'érudition  et  de  piété(l);  »  il  admire  «la 
majesté  et  le  bel  ordre  »  de  leurs  cérémonies;  il  est  touché 
des  prières  qu'ils  a«lressent  au  ciel  pour  Louis  XIV  et  delà 
gratitude  qu'ils  conservent  pour  nos  anciens  rois,  et  il  ajoute, 
daus  un  langage  qui,  après  plus  de  deux  siècles,  émeut  encore 
le  lecteur  :  «  Quand  ceux  qui  ont  l'avantage  de  vivre  dans  ces 
saints  lieux  ne  tiendraient  pas  un  langage  si  juste,  les  illustres 
morts  qui  y  sont  ensevelis,  les  instruments  de  leurs  victoires 
qui  s'y  gardent  comme  des  reliques,  parlent  assez  par  leur 
silence  et  ils  continueront  de  parler  français  jusqu'à  la  consom- 

(1)  A  Pomponne,  lo  avril  1674.  Turquie,  12. 


AMBASSADE    DE    NOINTEL    A    CONSTANTINOPLE  629 

mation  des  siècles,  malgré  la  malice  des  Grecs  qui  paraissent 
n'avoir  usurpé  les  sépulcres  de  Godefroi  de  Bouillon,  du  roi 
Baudoin  et  de  leurs  enfants  que  pour  rayer  et  falsifier  les  lilrcs 
de  leur  mémoire.  Leur  artifice  ne  saurait  réussir,  et  il  est  si 
peu  possible  de  ne  pas  rendre  ici  justice  à  la  France,  qu'en 
manquant  de  le  faire  on  s'expose  avoir  tomber  les  montagnes 
sur  sa  tête,  y  en  ayant  une  fort  élevée  sur  laquelle  les  Français 
s'étant  retirés,  après  la  perte  de  Jérusalem,  y  ont  demeuré 
quarante  ans,  attendant  du  secours.  Pour  ipieux  dire,  ils  y 
sont  encore,  puisque  par  leur  mort  ils  en  ont  fait  un  cimetière 
glorieux.  Si  l'assistance  qu'ils  attendaient  leur  a  manqué,  si  la 
domination  française  avait  cessé  auparavant,  Ton  peut  croire. 
Sire,  que  ce  sont  des  effets  de  la  Providence  qui  veut  combler 
les  conquêtes  de  Votre  Majesté  par  la  délivrance  de  la  Terre 
sainte,  et  qui  n'a  permis  cette  seconde  captivité  que  pour  vous 
en  rendre  le  libérateur.  Les  précieux  et  saints  monuments  que 
nous  y  possédons  encore,  où  les  religieux  de  Saint-François 
rendent  à  Votre  Majesté  les  premiers  devoirs  qui  appartiennent 
non  seulement  à  un  fondateur,  mais  au  fils  aine  de  TÉglise; 
où,  les  traverses  des  Grecs  étant  dissipées,  ils  pourront  prier 
Dieu  sans  tumulte  et  sans  confusion  pour  Votre  Majesté,  qui 
est  si  bien  distinguée  par  une  prééminence  légitime,  établie 
même  par  l'autorité  des  papes;  ces  précieux  monuments,  dis- 
je,  sont  des  arrhes  de  ces  grandes  victoires  que  le  ciel  veut 
acheter  de  Votre  Majesté,  et  dont  il  achèvera  de  lui  fournir  le 
prix,  par  l'abondance  de  toute  la  force  qui  lui  est  nécessaire 
pour  une  si  grande  entreprise.  Je  le  souhaite  de  tout  de  mon 
cœur,  etc..  » 

Pour  toute  réponse,  Louis  XIV  ordonna  au  marquis  de 
de  Nointcl  de  se  conformer  aux  instructions  qu'il  recevrait  de 
l'évêquede  Marseille,  et  de  négocier  aune  paix  qui  ne  pouvait 
gu  être  avantageuse  à  f  empire  ottoman  (1).  »  Noinlel  laisse  voir 
quelquefois  des  scrupules  qu'on  ne  rencontre  jamais  chez 
révêque  Forbin-Janson.  Il  dénonce  avec  indignation  à  sa 
cour  les  avanies  incessantes  dont  les  peuples  et  les  pachas 
accablent  les  catholiques  d'Orient.  Il  étudie  avec  soin  l'état 

(1)  13  juiUet  1614.  Turquie,  12. 


630  CHAPITRE    SEPTIÈME 

de  la  Turquie  :  il  fait  connaître  au  roî  qiio,  malgré  lerèik 
des  Kiiiperî^li,  les  (JUomans  n'auraient  pas  résisté  longtemps 
à  une  C(»nfédération  des  puissances  chrétiennes,  el  il  déploit 
les  divisions  intorienres  de  TËurope  qui  expliquent  senles 
les  progrès  el  Faudace  ilo  Tennemi  commun  :  ce  On  leur  de- 
mande la  paixy  écrit-il  à  Pomponne  (  1  )  ;  on  la  presse  par  toutes 
les  instances  les  plus  forles  ;  on  leur  donne  le  temps  de  preadre 
haleine  et  de  se  reposer.  On  laisse  échapper  les  avantages  di" 
leur  faiblesse  et  l'on  voudrait  que,  comme  des  animaux  inca- 
pables de  raisonnement,  ils  manquassent  à  la  conclusion  iné- 
vitable qui  se  doit  tirer  de  tant  de  principes.  Ils  sont  faibles 
au  dernier  point  par  mer,  par  terre,  en  soldats  et  en  tinance<, 
et  encore  plus  en  oflioiers,  et  cependant  ils  sont  très  forts.  La 
paix  et  la  guerre  dépondent  d'eux,  puisque  leurs  ennemi;»  Ie> 
en  rendent  les  arbitres.  A  la  moindre  disgritce  qu'ils  souffrent, 
ils  sont  sûrs  d'un  traité;  ils  ont  le  crédit  de  s'en  faire  prier. 
A  la  derni«>re  campagne,  ils  se  sont  trouvés  dans  la  dernière 
consternation,  jus(iue-là  qu'on  assure  que  le  Grand  Soigneur 
s'était  retiré  etquo,  pour  ne  pas  intimider  l'armée.  Ton  faisai: 
mannMivrer  ses  lilièivs,  carrosses  et  équipa.î^es  et  sa  suite  par- 
ticulii're  avi'C  porte-turban,  connue  s'il  y  eût  été.  Non  soule- 
ment  ces  désavantages  no  leur  ont  point  nui,  mais  ils  ont  été 
suivis  de  la  deniamle  de  la  paix  (2).  Leur  fortune  et  ravougle- 
ment  de  leurs  ennemis  présents  et  passés  va  bien  loin.  Lo 
grand  vizir  est  mis  in\  déroute  ])ar  les  Français  en  Hongrie 
(lOiii),  et  réduit  au  désespoir  (.">);  mais  il  fait  la  paix  en  même 
temps,  commandant  au  résidant  dt»  l'Empereur  auprès  de  lui 
dt)  l'en  prier,  et  il  n'tu  fallut  pas  davantage  pour  la  conclure 
o[  conlirmcr  la  perte  d'une  place  importante  au  préjudiciî  deSa 
Majesté  Impériale.  La  paix  de  r.jindie  a  été  négociée  pi  us  do  vingt 
ans.  Jesuistémoinqiie,  dauslescominiMioemouts,  lesTurcsap- 
préhendani  les  suiies  d'une  longiieguerre,  mais  publiant  ri  nipos- 
sibilité  d'abandonner  volontairement  la  ('anée,  deuiauilnient 
qu'on  les  en  cbassàt,  et  ils  promettaient,  cet  obstacle  levé.  Je 

(1)  4  ort«»l»ro  1(î7j.  ////-'///iV,  11. 

(2)  C'i'st  cetto  p.iix  qur  m'imriait  révrinip  de  Marsfille. 

(3)  V.  sur  le  vrai  simk  d»'  l.i  partiripatiou  de  Loui:^  XIV  à  la  campnirno  «Je 
Uonjino,  cbap.  v,  vu  ol  m  d\\  livre  \*'. 


AMBASSADE   DE   NOINTEL    A    CONSTANTINOPLE  631 

-  faire  la  paix.  La  négociation  a  toujours  été  conlinuée,  sans 
oublier  mille  sortes  d'expédients  et  de  tempéraments^  et  Ton 

-  arôussi  comme  vous  savez.  Les  traités  de  Pologne  fourniraient 

-  bien  des  exemples,  mais  vous  êtes  à  la  source.  Monsieur, 
•  mieux  instruit  que  moi...  Je  ne  puis  m'cmpëcher  de  croire 
i  -  que...  la  difficulté  de  la  guerre  en  Pologne,  la  rigueur  de  son 

.  climat,  l'impossibilité  de  porter  les  conquêtes  au  delà  de  Co- 

minieck,  l'aversion  de  la  milice  pour  ce  pays,  l'apprêt  d'une 
>.  puissance  formidable  de  la  part  de  Sa  Majesté  Polonaise,  ne 
soient  autant  de  convictions  présentes  d'attaquer  la  Hongrie. 
Je  puis  même  me  persuader  que  la  dilation  de  conclure  la  paix 
avec  la  Pologne  est  un  artifice  pour  amuser  davantage  l'Em- 
pereur, et  que,  lorsqu'il  s'y  attendra  le  moins,  peut-être  vers 
.  le  printemps,  elle  sera  terminée  et  qu'il  verra  fondre  sur  lui 
les  forces  qu'il  n'attendait  point.  »  Mais  des  ordres  précis  et 
répétés  arrivent  de  Varsovie  et  de  Saint-Germain  et  M.  de 
Nointely  obéit  (1). 

Vainement  Clément  X,  dans  un  bref  éloquent  (2),  cherche 
à  ranimer  le  zële  de  Louis  XIV  pour  l'afFranchissement  des 
Lieux  saints  et  lui  dit  que  son  honneur  est  intéressé  à  ne  les 
pas  laisser  profaner,  au  mépris  des  capitulations  obtenues  par 
lui-même  du  sultan.  Le  roi  était  au  milieu  de  son  armée, 
lorsqu'il  reçut  la  lettre  pontificale,  et  Pomponne  écrivit  au 

(ij  Pomponne  à  Nointel,  23  mai  1673.  Turquie,  12.  —  V.  les  lettres  de  For- 
bin-Janson  à  Noiutel,  publiées  pour  la  première  fois  dans  nos  Recherches  sur 
VAuftmhlée  de  1682,  2»  édit.,  pp.  297  et  suiv. 

(2)  18  mai  1675.  Rome,  238  :  ««  Cum  ad  aures  nostras  pcrveucrit  quid  ad  de- 
turbandos  Latiuos  catholicos  a  po.-sesirione  suucioruui  Locorum,  in  quibus 
Redemptionis  nostrœ  mystcria  peracta  suut,  contra  pactioncs  in  eorumdcm 
favorcm  cum  Majestatc  Tuà  uuper  a  Turcis  initas,  agi^redi  ausl  sint  Graici 
Hiero9olyml«degentes,  eximiaîpietali  Majestatis  Tuœ  taiitie  causae  propugna- 
tiouem  ex  omni  cordis  nostri  sensu  imprimis  duxinms  cnmuiendaudam,  pro 
certo  scilicet  habcntes  te,  propensà  i«rga  prnedictos  catholicos  voluntate  duc- 
tuni,  nihil  eoruui  per  administrum  (uum  Conslautiiiupoli  conimorautem  in- 
teutatum  omissurum,  qute  ad  sarla  loctaque  sorvaiidu  privilcgia,  aulhore  te, 
eisdem  indulta  conducere  posse  reputavoris.  Age  itaquc,  rex  praîstaniissime, 
in  rem  lanti  niomeuti  totus  iiicumlae,  validisquc  mcdiis  cura  ut  dilectus  lilius 
commissarius  Terraî  sanctm,  Miuoris  Observant iiR  ?ancti  Francisri,  orbisquc 
tiuiversus  intelligat  a  barbaris  quoque  niasTuilieri  awthorilati'm  tuani.  Votis 
autem  nostris  apprime  responsuram  Majestatem  Tuam  profi^cto  non  dubi- 
tantes,  tibi  intérim,  carisslme  in  Chrid>to  tili  nor^ter,  apostolicam  benedictio- 
ncm  amantissime  impertiinur.  » 


632  CHAPITRB   SBFniOlB 

nonce  Spada  (1)  :   «  Les  ordres   de  Sa   Majesté   pour  toi 
ce  qui  pcuL  contribuer  au  bien  de  la  religion  à  Conslanti- 
nople,  et  les  soins  de  M.  de  Nointel,  son  ambassadeur,  onl 
prévenu  le   zèle    que   Votre   Seigneurie     Illustrissime   fait 
paraître  pour  empêcher  reiïet  du   décret  de   la  Porte  qui 
donnait  aux  Grecs  schismatiques  les  Lieux  saints  de  Jén- 
salem.  M.  de  Nointel  marque,  par  ses  dernières  dépêches  ao 
roi,  qu*il  en  avait  fait  parler  fortement  à  la  Porte,  et  que  mèoM 
il  avait  obtenu  la  suspension  de  cette  ordonnance,  et  que  le 
grand  vizir  le  faisait  assurer  qu*il  ne  serait  point  touché  à  un 
point  si  important  des  capitulations  qui  ont  été  renouvelées 
avec  Sa  Majesté.  Ainsi  j*espère,  Monsieur,  que  la  protection 
qu'elle  dounc  à  la  religion  en  tous  lieux  se  fera  sentir  encore 
particulièrement  dans  la  Terre  sainte.  »  La  vérité  est  que  ces 
plaintes  du  souverain  pontife  étaient  importunes  à  la  cour  de 
France,  et  que  les  instances  de  son  ambassadeur  en  faveur  des 
catholiques  étaient  méprisées  àConstantinople  (2).  Louis  XIV 
apprit  avec  indiiïérence  que  le  grand  vizir  avait  ôté  aux  reli- 
gieux latins  Tadministration  du  Saint-Sépulcre  et  l'avait  mise 
entre  les  mains  des  Grecs;  et  il  n'en  fit  pas  moins  écrire  à 
M.  de  Noiiitel  (3)  :  «  En  l'état  oii  sont  aujourd'hui  les  affaires 
générales,  celle  paix  [entre  Sobieski  et  Mahomet  IV]...  serait 
d'un  intérêt  extrême  à  Sa  Majesté  :  elle  pourrait  tourner  en 
sa  faveur  doux  puissances  si  considérables,  la  Pologne,  par 
les  assistances  qu'elle  serait  capable  de  donner  à  Sa  Majesté: 
la  Porte,  par  la  guerre  quelle  pourrait  porter  en  Hongrie,  C'en 
est  trop  pour  vous  inviter  à  continuer  les  soins  que  vous  avez 
déjà  donnés  sur  cette  affaire.  »  Aussi,  au  mois  de  mai  1676, 
dans  la  dernière  audience  que  le  représentant  de  Louis  XIY 
ait  eue  du  grand  vizir  sous  le  ponlificat  de  Clément  X,  le 
ministre  turc,  ne  craignant  rien  des  Français  (4),  lui  déclara 
qu'il  n'avait  fait  que  justice  aux  Grecs,  en  les  maintenant  dans 

(1)  5  juiu  lG7o.  Home,  238. 

(2)  Le  ^Tand  vizir  a  refusé  de  rendre  les  Lieux  saints  aux  Latins,  nialfiré 
les  nouvelles  capitulations.  (Nointel  au  duc  d'Estrées,  21  octobre  1675.  Tur- 
quie, 11.) 

(3)  Pomponne  à  Nointel,  3  février  1676.  Turquie,  13. 

(4)  «  Les  Turcs  entreprendront  cette  guerre  [de  Hongrie]  avec  beaucoup  de 
joie,  se  promettant  de  n'y  plus  trouver  de  troupes  françaises^  et  de  n'entendre 


RÉVOLTES    DANS    LES    DEUX    SIGILES  633 

leur  ancienne  possession  ;  et  le  souverain  pontife  n'avait  plus 
que  quelques  semaines  à  vivre,  lorsque  Pomponne  écrivait  à 
Nointel  :  Je  vois  par  vos  lettres  au  roi  et  à  Tévèque  de  Mar- 
seille ce  que  vous  faites  pour  la  paix  de  Pologne;  «je  n'ai 
point  besoin  de  vous  faire  connaître  de  nouveau  combien,  en 
contribuanl  à  cette  paix,  vous  rendrez  un  service  important 
et  agréable  à  Sa  Majesté  (4).  » 

Un  danger  plus  prochain  menaçait  Tltalie  et  attirail  depuis 
longtemps  Tattention  du  souverain  pontife  :  les  desseins  de 
Louis  XIV  sur  le  Milanais  et  sur  les  Deux-Siciles  pouvaient 
d'un  jour  à  l'autre  transporter  la  guerre  dans  la  péninsule. 
Clément  X  n'ignorait  aucune  des  menées  de  la  cour  d»^.  Saint- 
Germain.  MM.  d'Estrées  avaient  été  chargés  de  favoriser,  par 
tous  les  moyens  possibles,  le  soulèvement  des  provinces  espa- 
gnoles en  deçà  comme  au  delà  du  phare;  et  celui  des  deux 
frères  que  son  caractère  sacré  paraissait  rendre  le  moins 
propre  à  une  pareille  mission  y  eut  cependant  la  part  princi- 
pale (2).  Au  surplus,  l'un  et  Tautre,  en  fomentant  la  trahison 
et  la  révolte  dans  les  États  soumis  à  la  suzeraineté  du  saint- 
siège,  encouraient  la  déchéance  de  leurs  immunités  diplomati- 
ques, et  commettaient  la  plus  criminelle  violation  du  droit 
des  gens  envers  le  souverain  auprès  duquel  ils  étaient  accré- 
dités. Ils  allèrent  même  jusqu'à  donner  asile,  dans  le  palais 
Farnèse,  aux  bandits  et  aux  conspirateurs  napolitains,  recher- 
chés par  les  Espagnols  ou  par  la  justice  pontificale  (3)!  Ils  se 

plus  proférer  le  nom  de  la  Feuillade.  Je  puis  prc^juger  qu'assurément  le  prin- 
cipal motif  du  vizir  dans  une  telle  entreprise  sera  fondé  sur  cette  dernière 
circonstance...  m  (Nointel  à  Pomponne,  27  mars  1675.)  —  La  Porte  a  promis 
aux  Hongrois  d«î  les  secourir.  On  y  est  très  joyeux  des  vicloirea  du  roi,  sur- 
tout en  Alsace.  Quoique  la  puerrc  se  poursuive  en  Pologne,  peut-tMrc  les  Turcs 
attaqueront-ils  encore  la  Hongrie.  (Le  nii'me  au  uiAme,  9  mai  1G75.  Tunjuie^ 
12.) 

(1)  10  juin  1676.  Turquie,  13. 

(2)  Pomponne  au  c^irdinal  d'Estrées,  li  juin;  le  cardinal  &  Pomponne.  4  et 
Il  juillet,  1"  août;  le  duc  à  Pomponne,  21  juillet;  le  roi  auduc,  10  août  1674. 
Rome,  230  et  231. 

(3)  Le  duc  d'Estrées  au  roi,  2  août  et  6  septembre  1674.  Rome,  231.  —  «  Le 
roi  voit  avec  beaucoup  de  satisfaction  cette  application  continuelle  de  V.  Ë. 
pour  une  affaire  aussi  importante  pour  le  bien  de  sou  service,  puisque  nulle 
autre  ne  le  pourrait  être  davantage  que  le  soulèvement  du  royaume  de  Na- 
plcs  contre  rEspagne...  Il  s'agirait  de  voir  s'il  serait  possible  de  faire  *om- 


634  COAPtTRE   SEPTIÈME 

prêtaient  sans  hésiter  aux  calculs  machiavéliques  deLouisXIV, 
qui,  sacrifiant  toute  humanité  à  son  ambition,  laissait  espérer 
aux  rebelles  plus  do  secours  qu'il  ne  leur  en  pouvait  fournir. 

lever  le  royaume  par  lui-même^  parce  qu'alors  il  serait  plus  aisé  d'appujerou 
révolte  que  de  rexciter  par  la  force.  Aiusi,  tout  ce  que  je  vois  que  S.  X. 
croit  faisable  dins  cette  afîaire,  est  de  cultiver  le  mécontentement  des  pe> 
pies  et  d'eo  atteudre  les  effets.  »  (Pompouoc  au  cardinal  d*Estrées,  21  oui 
1673.  /{ome,  238.)  —  Un  de  mes  aj^euts  offre  de  «  faire  déclarer  pour  la  France.. 
UQ  prince  de  Carpino,  qui  s'était  mis  en  campagne  depuis  deux  ans  arec 
denx  cents  chevaux,  s'était  saisi  depuis  peu  de  la  principale  [San  Domeoic^ 
dos  trois  lies  de  Tremiti  [dans  l'Adriatique],  qui  sont  sur  les  côte^  de  h 
Fouille,  dans  laquelle  il  y  a  un  uingasiu  de  blé,  fait  par  des  chanoines  réfx- 
licrs  à  qui  elle  appartient,  de  400,000  inuids,  c'est-à-dire  200,000  sac«,  doài 
on  fte  pourrait  prévaloir. ..  Eu  même  temps  l'on  pourrait  faire  iigir  lesbandh» 
dans  l'Abruzze,  qui  continuent  de  battre  les  troupes  du  vice-roi,  en  toutes  If' 
occasions  où  ilssc  trouvent,  ayauttué  plus  de  trente  iioninies,  sau-^  eop«nire 
un  seul,  dans  une  dernière  rencontre...  Ainsi,  dans  le  temps  que  ces  deux 
provinces  seraient  émuea,  on  se  pourrait  servir,  pour  tenter  le  souK*vcineDt 
des  intelligences  qu'on  entretient  dans  Naples.  «  (Le  cardinal  d'Estrêes  à 
Pomponne,  5  juin  1675.  /{orne,  238.)  —  u...  Si  !00,000  écus  produisaieut  ce 
soulèvement,  comme  je  crois  qu'ils  le  pourraient  faire,  jamais  argent  n'au- 
rait été  plus  utilement  employé.  Il  faudrait  aussi  que  ceux  qui  commcoce- 
raient  à  prendre  les  armes  eussent  quelques  officiers  français  pour  les  con- 
duire et  pour  les  conseiller.  Us  les  demandent  de  Snples  et  de  loirs  Us  côkfou 
nous  faisons  nos  pratiques  et  avouent  qu'ils  ont  besoin  d'êtr«j  conduits...  U 
faut  pourvoir  au  fDuds  nécessaire  pour  leur  subsistance  et  les  enfrelenir  i^i 
pour  les  envoyer  à  la  première  occasion.  11  faudrait  aussi,  dans  un  soulève- 
ment de  Naples,  fournir  «le  la  poudre  abondamment...  Je  me  rends  importuD, 
par  l(uU  de  rcprtitions  sur  la  même  affaire;  mais  je  l'clais  autant  l'année  pa-t- 
sre  sur  relie  de  Messine^  dont  je  ne  me  puis  pas  repentir...  •>  (Le  même  aj 
même,  23  juin  1615.  Home,  239.)  —  «  Si  toute  l'Ile  iSicile]  secouait  le  jouj  de? 
Espagnols,  S.  M.  lui  donnerait  bientôt  le  roi  qu'il  lui  a  promis,  mais  il  sem- 
ble que  nous  ayons  encore  trop  peu  de  part  dans  ce  royaume  pour  faire  une 
semblable  déclaration.  Dims  la  disposition  où  sont  ces  peuples,  il  y  aurait 
beaucoup  plus  de  lieu  de  croire  que  l'exemple  de  la  Sicile  serait  suivi  parle 
royaume  de  Naples,  et  que  S.  .M.  profiterait  des  soins  que  V.  E.  donne  à  cellt 
affaire  depuis  si  longtemps.  »  (Pomponne  au  cardinal  d'Estrées,  13  décembre 
1675.  Rome,  2H.)  —  S.  M...  «t  a  témoigné  une  satisfaction  particulière  lie 
l'heureux  succès  qu'avaient  eu  les  soins  et  l'application  de  V.  É.,  et  a  re- 
gardé comme  la  plus  grande  et  la  plus  avantageuse  occ.l^ion  du  mouiK 
["entreprise  qui  parait  si  avancée  pour  le  touriun  des  Carmes  [Naples],  et  pour 
la  surpriftc  de  (iaële.  Mais...  l'état  présent  des  alTaires  générales  ne  donn-.' 
pas  lieu  d'y  entrer...  Il  sera  cependant  de  la  prudence  et  do  l'adresse  de  V.  Ë. 
de  ne  pas  faire  connaître  tellement  les  inteutious  du  roi  à  ceux  qui  con- 
duisaient cette  alîaire,  qu'ils  perdent  toute  espérance  que  S.  M.  veuille  ou 
puisse  appuyer  les  révoltes  qui  se  formeraient  à  Naples,  et  que  le  désespoir 
d'être  secourus  ne  les  porte  à  se  soumettre  tout  à  fait  au  joug  des  Espa- 
gnols. Il  serait  même  à  craindre  que  cette  connaissance  ne  passAt  en  Sicile. 


RÉVOLTES    DANS    LES    DBDX    SICILES  635 

afin  de  les  pousser  à  des  excès  impardonnables  et  de  rendre 
impossible  toute  conciliation  entre  eux  et  leur  maître  légi- 
time (1)!  Le  cardinal  exprime  «  une  joie  sensible  »  des  évé- 
nements de  Messine,  qu'il  se  vante  d'avoir  prédits  et  préparés  : 
Venise,  dit-il,  commence  à  s'en  inquiéter  et  à  craindre  que  ces 
peuples  ne  se  jettent  dans  les  bras  des  Turcs;  elle  redoute 
aussi  l'intervention  des  Français.  Les  Siciliens  qui  sont  à  Rome 
espèrent  que  la  vue  de  nos  vaisseaux  provoquera  une  insur- 
rection générale  dans  leur  île.  «  Nous  leur  donnons  les  meil- 
leures missions  de  révolte  qu'il  nous  est  possible,  ils  promet- 
tent d'agir  fortement  dans  leur  ville  et  au  dehors  (2).  »  Cette 
conduite  méritait  la  gratitude  du  roi,  et  Pomponne  écrivit  au 
cardinal  :  «  Sa  Majesté...  a  fort  approuvé  le  zèle  avec  lequel 
Votre  Éminence  et  M.  l'ambassadeur  observent  tout  ce  qui  peut 
contribuera  ses  avantages,  autant  dans  la  révolte  de  Messine 
que  dans  les  apparences  d'une  autre  au  royaume  de  Naples  (3).  » 
Le  cardinal  d'Estrécs  avait  si  complètement  abdiqué  tous  les 
sentiments  de  son  état,  qu'il  conseillait  à  Louis  XIV  démettre 
à  profit  ces  événements  pour  asservir  le  saint-siège.  L'évêque 
gallican  n'avait  rien  plus  à  cœur  que  de  placer  le  pape  et  le  sacré- 
collège  sous  le  joug  du  roi  de  France  :  ilyrevientsanscesse.il 
écrit  leil  juillet  4674  :  «  Le  moindre  avantage  que  Sa  Majesté 
puisse  prendre  de  ce  côté-ci,  l'y  ferait  tellement  redouter  que, 
s'il  se  rencontrait,  dans  Toccasion  d'un  conclave,  avec  les  autres 


et  qu'elle  y  prodiiibit  un  mauvais  etîet.  C'est  ce  qui  vous  obligiTa  sans  doute 
à  nourrir  toujours  ces  gens  (Vamusemenl  et  d'espérance^  sans  vous  engager  tou- 
Ufois.  n  (Le  même  au  môuic,  27  décembre  1015.) 

(1)  «...  La  révolte  qui  augmente  de  plu$  en  plus,  et  TintérM  qu'out  les  ha- 
bitants de  Messine  de  la  soutenir  avec  plus  de  force,  hrsfjiiils  se  rendent  de 
Jour  en  jour  plus  coupables  àVégard  du  Hoi  catholique,  m'a  fait  jugor  de  mou 
service  de  ne  pas  laisser  <5t«ûn"ire  un  feu  qui  s'est  allumé  de  iui-mrme,  et 
dout  les  suites  peuvent  ùtrc  si  pW^judiciablcs  à  mes  ennemis.  »  J'envoie  cent 
milliers  de  poudre  «tdu  l)lé  par  un  convoi  escorté  de  neuf  vaisseaux.  «  Vous 
pourrez  faire  concevoir  aux  Siciliens  qui  sont  à  Home,  les  espérances  de  se 
voir  assistés,  et  tAcherez  à  eu  faire  naitre  de  telle  sorte  l'appréhension  aux 
ministres  d'Espagne  »,  que  tout«'s  les  forces  des  États  d'Italie  y  soient  appli- 
quées. Faites  concevoir  «  une  idée  générale,  mais  plux  grande,  des  secours  que 
Je  suis  capable  de  leur  donner.  »  (Le  roi  au  duc  d'Estrées,  7  septembre  1674 
Rome,  231.) 

(2)  Le  cardinal  d'Estrées  à  Pomponne,  19  septembre  1674.  Uome,  231. 

(3)  21  septembre  1074.  nome,  i!3!. 


636  CHAPITRE  sE^ntum 

moyens  déjà  assurés,  le  roi  en  serait  l'arbitre  absolu  (1).  • 
—  L* année  suivante  il  répète  :  <c  Je  souhaite  au  pape  toute  li 
durée  que  Dieu  lui  a  destinée,  mais  il  ne  me  semblerait  pas 
désavantageux  qu'il  vécût  encore  quelques  mois,  parce  que  les 
progrès  des  affaires  de  Messine,  ou  Texécution  d'un  des  des- 
seins qui  se  pourraient  former  dans  le  royaume  de  Naples 
relèverait  infiniment  nos  intérêts  dans  un  conclave,  et  nous 
donnerait  peut-être  lieu  de  joindre  les  avantages  de  Sa  Majesté 
et  ceux  du  pape  qui  serait  élu  (2).  »  Le  succès  des  révoltés 
paraissait  si  avancé  en  Sicile  que  Louis  XIV  se  demandait  déjà 
ce  quil  ferait  de  ce  fief  pontifical,  et  le  cardinal  d'Estrées  était 
le  premier  agent  de  cette  révolution  (3).  C'est  encore  lui  que 
Louis  XIV  avait  pris  pour  confident  de  ses  desseins  sur  une 
autre  partie  de  Tltalie  :  il  avait  été  envoyé  secrètement  en  Sa- 
voie, «  pour  disposer  Madame  Royale  à  entreprendre  contre 
TËspagne  une  guerre  dont  M.  son  fils  tirerait  de  grands  avan- 
tages, qui  illustrerait  sa  régence  et  qui  porterait  en  faveur  do 
Sa  Majesté  une  diversion  considérable  dansTÉtat  de  Milan  (4);  « 
mais  cette  entreprise  fut  ajouruéft. 

Ainsi,  le  palais  Farnèse n'était  pas  la  résidence  d'un  ambas- 
sadeur français,  chargé  de  régler  loyalement  avec  le  pape  les 
questions  intéressant  la  religion  cl  TEgliso,  mais  un  foyer 
d'agitation  et  de  complots  mettant  on  péril  Rome  et  les  Etats 
voisms  et  menaçant  l'indépendance  même  du  souverain  pon- 
tife. Si  Clément  X  s'interposait  entre  les  puissances  belligé 

(1)  A  Pomponne.  Rome,  230.  Cf.  sa  lettre  du  22  décembre  1674,  citée  plus 
haut,  p.  ')83,  n.  1. 

(2)  Au  nn>ine,  1"-2  mai  1675.  liorne,  238. 

(3)  u  Voici  un  m(''moirc  que  je  mandai,  il  y  a  huit  jour^,  à  V.  É.  que  je  <ui 
enverrais  par  cet  ordinaire.  Il  fait  voir  que  le  roi  n'a  point  eu  le  desseiu  ac 
s'approprier  la  Sicile,  et  qu'il  est  dans  la  pensée  de  lui  donner  un  roi.  Il  im- 
portera, s'il  von*  plaît,  qu'autant  qu'il  sera  en  V.  E.,  elle  le  fasse  répandre 
non  seulement  dans  Rome,  unis  dans  toute  l'IUlie,  et  pcirticiilièremeut  datii 
les  roYaum<»s  de  Naples  et  de  Sicile,  où  il  peut  faire  sou  plus  grand  effet.  Le J 
peuples  de  ces  deux  royaumes  ne  seront  plus  retenus  de  secouer  le  joug  «le* 
Espa^'uols  par  la  crainte  de  passer  sous  la  domination  de  la  France,  et  i.» 
pourraient  se  mettre  en  état  de  vivre  sou»  leur  propre  roi.  S.  M.  ne  nom^^t 
pas  encore  celui  gu  elle  leur  voudrait  rfi)/irjer,  mais  elle  eu  dit  a^scz  pourfAir* 
Toir  combien  il  serait  avantageux,  etc.  »  (Pomponne  au  cardinal  d'Estrées. 
Il  octobre  1673.  Rome,  240.)—  Suit  le  mémoire  ou  manifeste,  «  fait  à  Ver- 
sailles, le  il«  jour  d'octobre  1675.  » 

(4)  Pomponne  au  cardiual  d'Estrées,  26  juillet  *67a.  Borne,  239. 


PRÉPARATIFS    DO    CONGRÈS    DE   NIMÈGUE  637 

rantes,  ce  n'était  pas  seulement  pour  les  liguer  contre  le  Turc, 
mais  encore  pour  écarter  la  guerre  de  lltalie.  Los  querelles 
que  MM.  d'Estréeslui  avaient  suscitées  au  sujet  des  franchises 
et  de  la  promotion  n'avaient  jamais  ralenti  ses  efforts,  et  c'est 
des  Français  que  venaient  toujours  les  obstacles,  parce  que 
la  fortune    des    armes    leur   étant   alors    favorable,  ils  ne 
croyaient  pas  qu'ils  pussent  jamais  éprouver  son  inconstance. 
Le  pape  s'adressait  personnellement  à  Louis  XIV  et  lui  sug- 
gérait des  pensées  de  modération  :  «  Après  avoir  donné,  lui 
disait-il,  tant  de  preuves  d'un  courage  invincible  et  obtenu 
les  applaudissements  du  monde  entier,  Votre  Majesté  ne  peut 
mieux  couronner  ses  exploits  qu'en  facilitant  une  pacification 
si  féconde  en  bienfaits  pour  la  chrétienté.  Aussi,  dans  notre 
préoccupation  pour  la  félicité  des  peuples  et  pour  Taccroisse- 
ment  de  votre  gloire,  voulant  satisfaire  à  notre  devoir  pastoral 
et  à  notre  prédilection  pour  vous,  nous  vous  adjurons  pater- 
nellement de  vous  apj)liquer  à  une  entreprise  qui  vous  attire- 
rait des  bénédictions  universelles.  Notre  voix  suppliante,  Roi 
très  pieux,  est  celle  de  TEglise  qui  voit  avec  tant  de  douleur 
ses  enfants  s'entr'égorger;  écoulez  cette  mère  à  qui  vous 
devez  votre  foi;  rendez-lui  la  paix  en   reconnaissance  des 
faveurs  dont  vous  êtes  comblé,  et,  si  l'intérêt  particulier  de 
votre  État  vous  faisait  hésiter  dans  la  consommation  d'une 
œuvre  si  importante  pour  le  salut  des  nations  chrétiennes, 
sacriGez-le  au  bien  public.  Pour  vous  en  faciliter  Taccomplis- 
sement,  nous  vous  renouvelons  ici,  avec  les  plus  puissantes 
instances,  l'offre  de  notre  médiation,  toujours  prête  à  terminer 
ces  différends  mortels  par  un  traité  d'amitié,  et  nous  promet- 
tons en  retour  à  Votre  Majesté  les  plus  éclatantes  marques  de 
notre  paternelle  affection.  Nous  espérons  du  fond  du  cœur  que 
vous  écouterez  avec  votre  bienveillance  accoutumée  le  nonce 
apostolique,  chargé  de  vous  expliquer  plus  au  long  nos  senti- 
ments, et  nous  vous  bénissons,  très  cher  fils,  etc.  (1).  »  Les 

(1)  Brfif  du  3  octobre  167i.  Womc^tM  :  «...  Qiio«l  iil  Ticilius  prapstarc valoa.^, 
paratam  usquc  ad  lutlialia  dissidia  aiiiiois  paclioiiibiia  ruiicili.iuda  mediatio- 
uein  tibi  oostram  iteruin  iteruiiKiiie  cxhibemu!«,  pripclariscuiiiivcro  pro  ine- 
rcud&rotributiouc  pateriKC  caritatis  tesUmoiiiis  Majc:>tateni  Tuam  prosecuturi. 
Ut  incDtcm  oostram  ab  apostolico  uuntio  eà  quà  boIcs  hiimaDitate  proUziiis 
intérim  agnoscas  ex  auimo  cupimas,  Ubi,  carissime  in  Cbrisloflli  uoster,  etc.  n 


638  CHAPITRE    SEPTIÂME 

mêmes  ouvertures,  faites  à  Madrid  et  à  Vienne,  y  furent  bien 
accueillies,  tandis  que  Louis  XIV  inventait  des  prétextes  poar 
différer  sa  réponse  définitive  :  tantôt  il  demandait  s'il  conve- 
nait que  le  pape  participât  à  une  négociation  où  étaient  entrée; 
déjà  des  puissances  protestantes,  TAngleterre,  la  Suède  et  le 
Danemark;  tantôt  il  faisait  déclarer  au  nonce,  en  termes  bles- 
sants, qu'il  en  exclurait  au  moins  la  personne  du  cardioal 
Altieri(l).  Aussitôt  que  le  roi  eut  donné  de  meilleures  espé- 
rances, Clément  X,  sans  s'arrêter  à  ses  griefs  personnels,  le 
remercia  chaleureusement  (2)  et  pressa  la  convocation  du  con- 
grès. Louis  XIV  ne  put  alors  se  dispenser  d'écrire  de  sa  main 
au  pape  :  «  Nous  avons  déjà, disait-il  (3),  fait  paraître  à  Votre 
Béatitude  le  respect  et  la  satisfaction  avec  laquelle  nous  rece- 
vions les  soins  qu'elle  s'était  offert  de  donner  à  la  tranquiliitf 
publique,  et  avec  quelle  confiance  nous  la  verrions  a]»pliquêe 
à  rendre  par  sa  médiation  le  repos  à  toute  l'Europe...  w  Kous 
seconderons  ses  désirs  :  nous  espérons  qu'elle  trouvera  les 
mêmes  dispositions  chez  nos  ennemis,   que   ses  bons  offices 
mettront  fin  à  la  guerre,  «  et  que  ses  prières  obtiendront  fie 
Dieu  un  bien  si  général  et  qui  peut  combler  son  pontificat  do 
bénédictions  et  de  gloire.  »  Mais  en  mémo  temps  le  roi  s'appli- 
quait à  prévenir  reifet  de  ces  prières  et  de  ces  démarcbes  : 
c'est  lui  qui  fut  le  plus  opiniâtre  à  exiger,  pour  rassemblée  des 
plénipotentiaires,  une  ville  de  Hollande,  où  le  représentant 
du  pape  devait  trouver  plus  d'obstacles  à  l'exercice  de  son 
ministère.  11  désigna  d'abord  Bréda,  puis  Nimègue  (i);  mais 

(1)  Le  roi  au  duc  d'Estrées,  2  et  9  uovcmlire  1G74;  4  jauvior  1675;  IV.;;  - 
porine  au  même,  28  liéceinhre  1674.  Home,  232,  233  et  236. 

2)  «...  Exspectatioui  no-trœ  prorsus  reepoudit  prœclarum  teslimoniniu 
quod  de  fillali  erga  nos  observantià  iiocuoii  de  propeiisà  erpa  chrisliauœ  rei- 
publicœ  trauquillitatom  animi  regii  voluntate  orbi  tt-rraruiu  exhibuit  Majtf- 
tas  Tua...  uhi  propositam  tibi  ad  camdom  !=edulo  procurandani  luedmtjou-.iu 
nostram  puis  ip?is  triumphis  major  ultro  acceptare  consentit...  Feli.:itati  ila- 
quc  publicae  bene  omiuantc?,  tauti  operis  ad  perfcctioiiem  duni  studium 
nostruin  impense  coavertimus,  Majeatatem  Tuam  ex  omui  cordisuosîri  sea?u 
iu  Douiino  complectimur,  ttc.  »  (Bref  au  roi,  28  janvier  1615.  Rome,  236.' 

(3)  15  mar.^  1675.  Rome,  237. 

(4)  «  Je  dois  ajouter  à  ce  que  je  vous  ai  déjà  «lit  de  l'acceptation  que  j'a- 
vais faite  de  la  médiation  du  pape,  que  je  lis  dire  au  noucece  qu'il  avait  di-  à 
appris  du  choix  que  j'avais  fait  de  la  ville  de  Bréda  pour  le  lîeu  des  confé- 
rences de  la  paix.  »  Le  nonce  demande  «  quelque  autre  lieu  qui  fût  moiai 


PRÉPARATIFS  DU   CONGRÈS    DE  NIMÈGUE  639 

le  pape,  qu'il  espérait  lasser,  trompa  son  attente,  et,  avant  de 
mourir,  trouva  moyen  de  résoudre  toutes  les  difficultés.  Ces 
efforts  de  Clément  X  n'étaient,  pour  le  cardinal  d'Estrées, 
qu'un  sujet  de  moquerie  :  «  Il  paraît,  écrivait-il,  par  toutes 
les  lettres  de  Vienne,  que  l'Empereur  est  fort  porté  à  la  paix  : 
c'est  pour  cette  raison  qu'il  ménage  davantage  cette  cour 
depuis  quelque  temps,  s'imaginant  qu'il  pourra  se  prévaloir 
de  la  médiation  du  pape.  En  cela  ses  mesures  me  semblent 
aussi  justes  qu'en  toute  autre  chose;  car  je  crois  que  Tentre- 
mise  essentielle  sera  celle  des  médiateurs  armés,  et  non  d'un 
pape  de  quatre-vingt-six  ans,  qui  n'y  pourra  tout  au  plus  faire 
qu'une  figure  de  bienséance.  )>  Ce  sera  «  le  médiateur  le  plus 
inutile  de  tous  et  le  moins  considéré,  si  toutefois,  après  de 
dignes  réparations,  Sa  Majesté  continue  de  vouloir  l'y  ad- 
mettre (1).  » 

Louis  XIV  risquait,  par  ces  procédés  injurieux,  do  jeter  la 
cour  pontificale  dans  les  rangs  de  ses  ennemis.  Mais  rien  ne  put 
enlever  aux  Français  la  bienveillance  de  Clément  X  :  la  droi- 
ture de  ses  intentions  se  révéla  d'abord  dans  la  nomination  de 
ses  ministres.  Au  mois  de  mars  1674,  le  duc  d'Estrées  écrivait 
déjà  (2)  que  le  choix  du  nonce  extraordinaire  «  pour  aller  vers 

exposé  aux  embarras  qui  s'y  pourraient  trouver  à  cause  de  S.  S.  Je  ne  lui 
ai  point  encore  fait  rendre  de  réponse  sur  ce  sujet.  »  (Le  roi  au  duc  d'Estrées, 
4  janvier  1675.  Rome,  236.)  —  uS.  S.  se  plaignit...  du  choix  de  la  ville  de  Ni- 
mëgue.  Le  palais  a  pensé  d'en  proposer  uue  catholique,  dans  les  États  du 
roi  d'Espagne;  mais  on  y  a  déjà  donné  l'exclusion  en  faisant  connaître  que, 
si  les  intérêts  ne  s'accommodaient  pas  d'une  ville  d'Hollande,  on  en  pouvait 
choisir  une  dans  son  royaume  [France]  comme  ou  l'avait  fait  autreTois.  Je  crois 
que  cette  considération  suspendra  pour  quelque  temps  la  déclaration  du  nonce 
extraordinaire  de  S.  S.  »  (Le  cardinal  d'Estrées  au  roi,  !•'  mai  1675.  Rome, 
238.)  —  «  Je  n'ai  rien  à  ajouter  à  ce  que  je  vous  ai  déjà  mandé  des  raisons 
qui  m'avaient  obligé  à  convenir  de  la  ville  de  Nimègue  pour  le  lieu  des  con- 
férences, et  vous  avez  assez  fait  connaître  qu'il  no  s'en  présentait  aucun  au- 
tre, à  moins  que  de  porter  le  traité  dans  mes  États.  C'est  ce  que  j'ai  fait  ré- 
pondre au  nonce  de  S.  S.   depuis   le  commencement   de  cette  affaire,  et 
qu'ayant  eu  tant  de  raisons  d'exclure  tout  l'Empire,  il  ne  restait  plus  que  les 
terres  des  États  et  les  miennes,  où  l'on  pût  porter  le  traité  de  paix.  »  (Le  roi 
au  duc  d'Estrées,  21  mai  1675.  Rome,  238.)  —  Clément  X  mourut  le  22  juillet 
1676.  Cf.  Pomponne  au  duc  d'Estrées,  18  juillet;  le  roi  au  méme^ 24  juillet  1676. 
Rome,  243. 

(1)  Au  roi,  1«  mai;  à  Pomponne,  24  juillet  1675.  Rome,  238  et  239. 

(2)  Au  roi  et  à  Pomponne,  21  mars  1674.  Rome,  229. 


640  CHAPITRE   SEPTIÈME 

les  princes...  ne  pouvait  èlre  que  boa  »  ;  que  le  pape  déclare- 
rait ou  Albericci,  nonce  à  Vienne  et  dont  rimparlialité  étail 
notoire,  —  ou  le  grand  maître  du  palais  apostolique,  Bocci. 
toujours  animé  «  des  mêmes  sentiments  d'alTcction  pour  la 
France  ».  Ces  deux  prélats  étant  devenus  cardinaux,  il  fallut 
en  chercher  d*autrcs,  lorsque  la  médiation  eut  été  acceptée 
parles  trois  cours  catholiques.  Clément X  envoya  en  missioa 
spéciale  Pompeo  Varese  et  Luigi  Bevilacqua,  le  premier  à 
Saint-Germain ,  le  second  à  Vienne.  L*abbé  de  Bourlemoat 
écrivait  de  Varese  :  «  C'est  un  prélat  précieux  et  sage,  qui  a 
toujours  exercé  ses  charges  avec  honneur...  Je  dois  ce  témoi- 
gnage à  la  vérité  que,  lorsqu'il  étail  gouverneur  de  Borne, 
m'étanl  trouvé  chargé  ici  des  affaires  du  roi,  je  Tai  toujours 
connu  très  prompt  en  ce  qui  regardait  le  service  de  Sa  Majesté 
et  le  bien  de  ses  sujets  qui  sont  ici  (1).  »  Le  même  abbé  ne 
tenait  pas  en  moindre  estime  le  prélat  Bevilacqua,  qui  avait 
«  eu  un  de  ses  frères  tués  eu  Allemagne  au  service  de  Sa 
Majesté  dans  le  régiment  Mazarin,  et  paraissait  fort  affectionné 
à  la  France  :  c'est  un  prélat  de  mérite,  ajoutait-il,  et  fort 
sage  (2).  »  Aussi,  quand  sa  nonciature  fut  déclarée,  le  cardinal 
d'Estrées  écrivit  à  Pomponne  :  «  Vous  connaissez  son  incli- 
nation héréditaire  pour  le  scrvi(?c  du  roi  (3).  » 

Comment  Louis  XIV  répondait-il  à  tant  de  prévenances? 
Le  lieu  du  congrès  n'étant  pas  lixé,  le  pape  n'avait  pas  encore 
déclaré  son  plénipotentiaire  ;  mais  on  avait  prononcé  le  nom 
de  Guinigi,  archevêque  de  Ravenne,  homme  de  talents  distin- 
gués, «  ardent,  vif,  résolu  et  ayant  de  l'esprit  »,  disait  Bour- 
lemont  (A),  et  que  ni  cet  abbé  ni  aucun  agent  du  roi  n*accusait 
de  partialité.  Sans  savoir  si  ce  bruit  était  fondé,  Louis  XJV 
récusa  Guinigi  sous  prétexte  de  son  amitié  pour  Altieri,  ce  qui 

(1)  A  Pomponne,  2  octobre  1675.  Rome,  240.  —  Le  bref  en  créaDce  sur  Va- 
rese. archevêque  d'AudrinopIis  pour  la  paix  gt^uérale,  est  du  22  octobre  lt"ô 
(Home,  240.)  —  «  C'est  uue  per^^uQue  judicieuse  et  modérée,  et  d'un  proct'dé 
autant  sincère  dont  le  naturel  de  ce  pays-ci  peut  être  capable.  »  Il  doit  dési- 
rer de  plaire  au  roi  et  de  réussir  eu  France  dans  cet  emploi  qui  est  «  lacri»< 
des  prétoutions  de  sa  fortune.  »  (Bourlcmont  à  Pomponne,  4  février  lôTiî. 
Hume,  2Î2.) 

(2)  A  Pomponne,  28  mars  1673.  Rome,  22.1. 

(3)  2  octobre  1675.  Rome,  2i0. 

(4)  A  Pomponne,  2  octobre  1675.  Rome,  240. 


PRÉPAKATIFS    DU    CONGRÈS    DE    N1MÈGUE  641 

aurait  fait  exclure  toute  la  cour  pontificale.  Il  écrivit  au 
pape  :  «  Les  maius  entre  lesquelles  ce  cardinal  a  porté  Votre 
Sainteté  à  remettre  la  médiation  sont  trop  légitimement  sus- 
pectes pour  nous  y  abandonner...  Ainsi  nous  nous  trouvons 
obligé  de  dire  à  Votre  Béatitude  que,  quelque  respect  que 
nous  ayons  d*ailleurs  pour  sa  médiation,  nous  no  la  recon- 
naîtrions point  dans  le  sieur  archevêque  de  Ravenne,  et  qu'en 
cas  que  Votre  Sainteté  le  fit  passer  au  lieu  du  traité  de  paix, 
nDs  ambassadeurs  auront  ordre  de  ne  point  traiter  avec 
lui  (1).  »  Le  nonce  ordinaire  Spada  ayant  été  rappelé  pour 
recevoir  le  chapeau,  Clément  X  se  proposait  de  le  remplacer 
par  Varese,  qui  prendrait  cette  qualité  après  s'être  acquitté  de 
sa  mission  spéciale.  Mais  Louis  XIV  prétendait  encore  faire 
son  choix  sur  une  liste  de  candidats  envoyée  de  Rome.  Le 
pape  n'acceptant  pas  cette  condition,  le  roi  l'avertit  que  Varese 
ne  serait  autorisé  à  lui  parler  que  de  la  paix  générale.  Lorsque 
ce  nonce  extraordinaire  fut  arrivé  à  Paris,  il  attendit  long^ 
temps  sa  première  audience,  et  les  évéques  eurent  défense 
((  d'avoir  aucun  commerce  avec  lui  ».  S'il  voulait  entretenir 
Pomponne  des  aiïaires  de  l'Église,  le  ministre  ne  l'écoutait 
plus.  Varese  s'élant  plaint  de  ce  traitement,  Pomponne  répli- 
qua qu'un  nonce  extraordinaire  n'était  qu'un  ambassadeur, 
sans  qualité  pour  traiter  d'atl'aires  ecclésiastiques.  L'évêque  de 
Toul  lui  ayant  rendu  visite,  «  Sa  Majesté  ordonna  à  MM.  les 
agents  du  clergé  de  lui  témoigner  de  sa  part  combien  elle 
était  mal  satisfaite  de  sa  conduite ^  et,  pour  en  donner  un 
plus  grand  témoignage,  elle  lui  (it  commander  de  sortir  de 
Paris  (2).  » 

Rien  ne  pouvait  rebuter  Clément  X  qui  poursuivit  son 
œuvre  paternelle  jusqu'à  son  dernier  soupir.  Un  mois  avant 
sa  mort,  il  adjurait  encore  Louis  XIV  de  consentir  à  un  ar- 
mistice (3),  et  ce  prince  a  fait  lui-môme  le  récit  de  Taudience 

(1)  8  oovembre  1675.  Rome,  241.  —  Guiuigi  fut,  Tauuée  saivaDte,  Dommé 
nonce  à  Cologne.  (Boiirlemout  à  Pooiponne,  7  juillet  UM6.  Romey  S45.) 

(3)  Pompoooe  au  duc  d'Estréeâ,  3  et  10  avril  1676.  RomCy  343.  Au  cardinal 
d'EsiréM,  24  juillet  1676.  Rome,  245. 

(3)  20  juin  1676.  Rome,  2i4.  «...  Quia  vero  ad  votonim  nostrorum  summam 
tflseqaendam  proximum  esse  gradum  ducimus  armorum  mutuas  in  clade:» 
iotentorum  feriationem,  cnixis  ideirco  .Majestatcm  Tuani  offlr.iîA  in  Domino 

LOUIS  nv   KT  LE  SAIMT-BIÈUB.   —   II.  41 


642  CHAPITRE    SKPTlfcME 

OÙ  ce  bref  lui  fut  remis,  quand  le  pape  n'avait  plus  que  quatre 
jours  à  vivre  :  «  L'archevêque  d'Andrinople^  dit-il  (1),  me 
témoigna  que,  comme  Sa  Sainteté  n'avait  plus  rien  à  cœur  que 
la  paix,  elle  ne  voulait  point  faire  un  incident  qui  pût  retarder 
reffel  de  sa  médiation  sur  ce  que  l'assemblée  se  tient  dans  nu 
lieu  qui  n'est  point  catholique;  que,  ne  pouvant  y  envoyer 
de  nonce  extraordinaire  ainsi  qu'elle  l'avait  résolu,  elle  vou- 
lait faire  en  particulier  auprès  des  couronnes  ce  qu'elle 
aurait  fait  dans  le  lieu  des  conférences;  qu'elle  l'avait  chargé 
aussi  bien  que  ses  collègues  dans  les  cours  de  Vienne  et  de 

Madrid  d'agir  d*un  commun  concert  pour  lapais Il  ajouta 

à  ce  discours  que,  comme  Sa  Sainteté  ne  voyait  rien  de  si  con- 
traire à  l'ouvrage  de  la  paix  que  les  armes,  qui  se  faisaient 
entendre  présentement  avec  tantde  bruit  dans  toute  l'Europe, 
elle  croyait  aussi  que  rien  n'était  plus  capable  d'en  avancer  la 
négociation  que  de  les  arrêter  par  une  suspension.  II  joignit 
aux  exhortations  de  Sa  Sainteté  tout  ce  qui  pouvait  marquer 
davantage  la  gloire  qui  me  reviendrait  de  donner  cet  exemple 
de  modération  après  tant  de  victoires  que  je  venais  de  rem- 
porter, et  me  présenta  le  brefde  Sa  Sainteté...  — Je  lui  répon- 
dis que  je  verrais  toujours  avec  plaisir  les  soins  que  Sa  Sain- 
teté donnerait  à  un  si  grand  et  si  saint  ouvrage  ;  que  je 
souhaitais  qu'elle  trouvât  les  mêmes  dispositions  dans  mes 
ennemis  ;  mais  qu'autant  que  ma  conduite  passée  y  avait  fait 
voir  de  dispositions,  autant  en  avaient-ils  témoigné  d'éloigne- 
mont,  toutes  les  fois  que  j'avais  fait  plus  de  pas  pour  y  arriver; 
que,  pour  ce  qui  touchait  la  suspension  d'armes,  comme  une 
telle  résolution  me  devait  être  commune  avec  mes  alliés,  jeleur 
donnerais  part  de  la  proposition  qu'il  me  faisait^  et  que  je  lui 

obsecramus  ut  ab  bostilibus  ezercendis  daces  tuos  abstiaere  jubeas,  dumoos 
per  apostolicos  dudUos  a  reliquis  carissimis  in  Christo  filiis  aostris  idem  ae- 
curatissime  petimus.  Nec  multis  opus  esse  ccnsemus  ad  reglum  aDimum  tuuo 
in  tam  prœclaram  deliberationem  pertrahendum  ;  seu  eoim  propeosam  ad  pu- 
blicas  calaniitates  sublevaudas  Yoluutatem,  sea  fiUalem  erga  nos,  qui  easden 
tibi  oboculos  ponimus,  MajcstatisTuœ  observantiam  coQsulamus,  de  prospero 
rei  exquisilœ  successu  ubique  dubitare  Dequimus.  Rependendas  itaque  a  po- 
pulorum  exultatione  eximiae  pietati  tus  laudes  anteTerteutes,  te  carissimum 
in  Christo  filium  nostrum  amantissime  io  Domino  complectimur  atqueapof- 
tolicà  beuedictione  ex  omni  cordis  nostri  sensu  donaoïus.  » 
(1)  Au  duc  d'E<»trée9,  18  juillet  1676.  Romey  245. 


\ 


MORT   DK  CLÉMENT  X  643 

ferais  savoir  ensuite  quels  seraient  mes  senliments  elles  leurs. 
J'ai  voulu  vous  instruire  de  ce  qui  s'élait  passé  dans  cette 
audience,  afin  qu'elle  servit  à  faire  connaître,  ainsi  qu'ont  fait 
toutes  mes  actions,  que  je  n'oublie  rien  de  ce  qui  est  en  moi 
pour  procurer  le  repos  de  la  chrétienté.  »  Le  souverain  ponlife 
épuisait  ainsi  ses  forces  à  préparer  la  paix  de  Nimègue. 

Sa  vigueur  se  soutint  jusqu'à  l'été  de  4676,  et  quelques 
semaines  seulement  s'écoulèrent  entre  les  premiers  symp- 
tômes de  maladie  et  la  mort.  Le  duc  d'Estrées  écrivait,  le 
16  juin  :  «  M.  le  cardinal  Cybo  nous  a  fait  savoir...  qu'il 
trouve  de  la  ressemblance  entre  son  indisposition  et  celle 
qu'eut  Innocent  X,  cinq  ou  six  mois  avant  sa  mort  :  il  juge 
qu'elle  est  au  moins  un  commencement  d'hydropisie.  ce  Le 
15  juillet,  on  perdit  tout  espoir (1)  :  MM.  d'Estrées  ne  se  pré- 
sentèrent pas  au  palais;  ils  attendaient  à  Farnèse  que  le  car- 
dinal Altieri,  éperdu  et  craignant  pour  lui  le  sort  des  Barbe- 
rini  sous  Innocent  X,  ou  celui  des  GarafTa  sous  Pie  IV,  vtnt 
solliciter  à  leurs  pieds  le  pardon  et  la  protection  du  roi.  Mais 
ils  sont  obligés  d'avouer  que,  sur  le  point  de  quitter  le  gou- 
vernement, le  cardinal -neveu  montra  un  calme,  une  dignité, 
un  désintéressement  qui  lui  conquirent  de  nouvelles  sympa- 
thies. Le  duc  d'Estrées  écrit  au  roi  (2)  :  u  Le  cardinal  Altieri, 
qu'on  a  flatté  toujours  que  le  ressentiment  de  Votre  Majesté 
ne  produirait  point  des  effets  considérables  ou  extrêmes  contre 
lui,  parait  être  dans  quelque  opinion  que  les  choses  se  passe- 
ront doucement  dans  le  conclave,  et  qu'il  aura  des  amis  qui 
les  modéreront  du  côté  de  la  France  (3).  »  Les  Français,  qui 


(1)  Au  roi,  7,  14  et  15  juiUet.  —  Le  cardinal  À  Pomponne,  15  juillet  Rome^ 
245. 

(2)  Au  roi,  21  juillet.  Rome,  245. 

(3)  Le  cardinal  d'Estrées,  plus  passionné  et  plus  léger,  atteste  le  même 
fait,  en  y  ajoutant  les  brnits  les  plus  eztravaiçants,  apportés  à  Farnèse  par 
•es  familiers  :  «  Le  cardinal  Altieri  seul,  parmi  beaucoup  de  mouvements  de 
crainte,  se  soutient  par  les  assurances  de  son  astrologue,  qui  continue  de 
lui  promettre  qu'après  le  26  juillet,  le  pape  se  portera  mieux.  »  (A  Pomponne, 
15  Juillet.  Rome,  245.)  —  Le  cardinal  Altieri  a  laissé  le  pape  un  mois  «  sans 
aucun  secours  spirituel  ». —  Dans  sa  dernière  nuit,  le  pape  ne  pensait  qu'aux 
firanchises,  et  il  s'écria  m  deux  ou  trois  fois  en  soupirant  :  Qnesti  ambascia- 
tori  non  havevano  tanto  torte,  e  non  li  havevamo  creduU  I  •  (Le  cardinal  4 
Pomponne,  22  juillet.  Le  duc  ao  roi,  28  juillet.  Rçme,  245.) 


644  CHAPITKK   SEPTIEME 

l'auraient  blâmé  de  dislribaer  alorfi  &  ses  amis  les  grâeei 
vacanles,  ne  criliquërent  pas  moins  la  discrétion  donl  il  fit 
preuve  dans  les  derniers  jours  de  son  pouvoir.  Us  auraient 
voulu  soulever  conlre  lui  les  cardinaux  et  les  prélats  de  sa 
faction  :  «  La  plupart,  dit  Je  cardinal  d*Ëstrées,  demeurent 
fort  pauvres  et  se  plaignent  déjà  d'être  mal  pourvus  :  Gastaldi 
surtout  et  Massimi,  auxquels  réellement  on  n'a  rien  donné» 
quoique  l'un  ait  fait  vaquer  plus  de  60,000  écus  et  l'autre  pins 
de  130,000  de  charges.  La  datcrie  pouvait  disposer  de  plus  de 
32,000  écus  de  bénéfices  ou  pensions,  qui  demeureront  à  la 
disposition  du  successeur,  parce  que  le  pape  n*a  pu  ou  n  a 
voulu  souscrire.  Cette  perte  et  celle  de  trois  chapeaux  et  tant 
d'autres  fautes  qu'a  commises  le  cardinal  Altieri,  sont  de 
méchants  augures  pour  la  suite  de  sa  fortune  (I).  »  —  L'am- 
bassadeur écrit  à  son  tour:  «  Le  mardi,  à  vingt  et  une  heures, 
le  pouls,  les  forces  et  la  connaissance  manquant  au  pape,  le 
cardinal  Alticri  envoyait  assurer  ses  créatures  qu'il  se  portail 
bien  cl  le  croyait  lui-même...  II  semble  qu  il  ait  été  tenu  dans 
cet  aveuglement  par  quelque  fatalité  qui  doive  encore  le  mener 
plus  loin.  II  a  perdu  trois  chapeaux,  le  pouvoir  de  faire  mille 
grâces  par  le  concessum^  beaucoup  de  pensions  ecclésiastiques 
et  beaucoup  de  vacances  à  remplir  dans  la  dateric  et,  ce  qui  est 
de  pire,  il  est  demeuré  dans  l'indignation  de  Votre  Majeslé 
aprèsavoirpu^pendantplus  dequinzemois, réparer  safaute(2].i» 
Lorsque  le   danger  fut  imminent,  le   cardinal   Altieri  iit 
inviter  le  sacré  collège  et  particulièrement  les  créatures  du 
pape  à  se  réunir  dans  sa  chambre,  pendant  qu'on  lui  adminis- 
Irait  les  derniers  sacremcnls,  Le   cardinal  d'Eslrées  refusa 
d'admettre  en  sa  présence  renvoya;  d' Altieri  ;  si  un  scrupule 
de  rospocl  humain  le  C(»nduisilau  Quirinal,  il  régla  ses  pas  de 
telle  sorte  qu'il  n\  arriva  qu'après  toutes  les  cérémonies  et 
quand  ses  confrères  s'étaient  déjà  dispersés.   Il  n'avait  pas 
daigné  solliciter  la  suprêmebcnédiction  du  pontife  auq  uel  il  de- 
vait le  cardinalat  !  C'esl  à  l'évêque  français  qu'il  faut  demander 
le  récit  de  cette  scène  :  «  Le  viatique,  dit-il  (3),  et  Textrème- 

(1)  A  Pompouue,  22  juillet. 

(2)  28  juillet. 

(3)  A  PoiiipuiiUL',  28  juillet. 


MORT    DE   CLÉMENT    X  645 

onctioD  furent  portés  au  souverain  ponlife  à  trois  heures  de 
nuit  (22  juillet).  Le  cardinal  Allieri  envoya,  selon  l'ordre,  en 
donner  part  aux  créatures,  et  l'abbé  de  Cabanes  (1)  vint  me 
trouver  pour  cela.  En  étant  averti,  je  songeais  si  je  le  verrais 
ou  le  renverrais,  ayant  ordre  de  ne  point  traiter  avec  lui,  et 
d'ailleurs,  comme  créature  du  pape,  dans  une  conjoncture 
si  pressante,  ne  voulant  commettre  aucune  dureté,  je  pris 
le  parti  de  faire  dire  que  j'étais  enfermé  à  déchiffrer  mes 
lettres  qui  venaient  d'arriver  et  qu'on  ne  me  pouvait  parler.  )• 
Le  comte  de  la  Penne  (2),  mon  maître  de  chambre,  reçut  ce 
que  l'abbé  de  Cabanes  avait  à  dire,  qui  consistait  dans  un 
simple  avis  de  Tétat  du  pape^  et  pour  moi  je  partis  aussitôt 
pour  aller  à  Monte-Cavallo,  où  je  n'arrivai  qu'après  l'extrême- 
onction.  Je  fus  quelque  temps  dans  l'antichambre  avec  quel- 
ques-unes de  ses  créatures,  les  autres  étant  déjà  parties.  Je 
parlai  au  confesseur  et  au  coupier,  et,  après  avoir  satisfait  à 
mes  devoirs,  je  me  retirai.  »  —  Ce  n'est  pas  ainsi  que  le  roi 
et  l'Église  de  France  auraient  dii  être  représentés  auprès  d'un 
pape  mourant! 

Le  saint  vieillard  disparaît  au  moment  où  de  graves  conflits 
vont  éclater  entre  la  royauté  française  et  le  saint-siège.  Un 
mois  après  l'élection  de  son  successeur,  le  roi  de  Pologne  et 
Mahomet  IV  concluront  le  funeste  traité  de  Zurawnopar  les 
soins  et  à  l'avantage  du  Roi  très-chrétien,  et  il  faudra  qu'Inno- 
cent XI  rompe  cette  alliance  pour  faire  de  Sobieski  le  sauveur 
de  l'Europe.  Toujours  jaloux  de  la  puissance  ecclésiastique, 
Louis  XIV  va  poursuivre  ses  agressions  contre  le  chef  de 
l'Église  :  à  Rome,  ses  agents  redoubleront  de  violence;  à 
Paris,  les  procédés  les  plus  humiliants  sont  réservés  au  nonce 
Varcse,  dont  le  cadavre  même  ne  sera  pas  épargné.  La  que- 
relle des  franchises  se  réveillera,  et  le  roi  de  France  scandali- 
sera l'Europe,  protestants  et  catholiques,  par  l'ambassade 
armée  deLavardin.  Ses  entreprises  sur  le  spirituel  auront  une 

(1)  «...  M.  Tabbé  de  Cabanes,  qui  est  uu  prôlre  français  de  grande  piété 
et  de  grand  mérite  et  de  naissance,  attaché  depuis  longtemps  à  la  famille  de 
M.  le  cardinal  Alticri  et  qui  a  grande  part  à  sa  confiance.  »  (Le  cardinal  de 
Forbin-Janson  au  roi,  23  janvier  1691.  Borne,  352.) 

(2)  Comte  ou  marquis  de  la  Fi>nna,  de  Pérouse. 


646  CHAPITRK  scrnÈMi 

bien  plus  grave  portée.  Sa  déclaration  de  1673  sur  la  régale 
est  en  pleine  vigueur  :  le  Conseil  d'État  ôte  et  confère  les 
bénéfices  ecclésiastiques  (1).  L'évèque  d'Alet  a  formé  co&tre 
ses  arrêts  et  contre  Tordonnance  royale  une  plainte  reçue  avec 
faveur  par  l'assemblée  du  clergé  de  1675  ;  mais  Harlay  de 
Champvallon,  archevêque  de  Paris,  a  immédiatement  étouffé 
le  débat  en  disant  que  raiïaire  n'est  pas  sans  difficulté  et  en 
offrant  de  s'en  charger  (2).  Des  thèses  gallicanes  soutenues  à 
Paris,  le  30  avril  1675»  sur  l'ordre  de  la  cour,  par  Fabbé  de 
Noailles,  futur  archevêque  et  cardinal,  ont  provoqué  de  vives 
explications  entre  la  nonciature,  la  Sorbonne^  le  Parlement  et 
le  roi  (3).  Ces  incidents  laissent  déjà  prévoir  le  grand  démêlé 
de  la  régale  et  des  Quatre  articles.  Mais  Dieu  garde  pour  un 
pontife  moins  chargé  d'années  la  lourde  tâche  de  soutenir  de 
pareils  combats,  et  Clément  X  rejoint  en  paix  ses  prédéces- 
seurs, après  avoir  bien  mérité  de  l'Église  et  de  la  France. 

(i)  23  JQin  4676  :  arrêt  qui  eoToie  eo  possession  du  doyenné  et  caDOoicat 
d*Alet  Gaston  de  Foiz,  quoique  ces  bénéflces  soient  possédés  depuis  plus  de 
dix  ans  par  Pommier.  —  1  août  :  autre  arrêt  qui  ordonne  au  chapitre  d'Alet 
d'exécuter  le  précédent.  —17  octobre  suivant  :  ordonnance  de  Tévêque  d'Alet 
portant  défense  à  Gaston  de  Foix  d'obéir  aux  provisions  obtenues  en  ré- 
gale, etc.,  etc.  —  /tome,  246. 

(2)  Actes  et  procès-verbaux  du  clergé^  t.  V,  p.  268. 

(3)  V.  une  lettre  curieuse  de  Pellisson,  du  1*'  mai  1675,  omise  dans  le  re- 
cueil de  ses  Lettres  historiques  et  publiée  dans  les  Œuvres  de  Louis  XIV,  t.  VI, 
p.  484,  édit.  1806.  —  «...  M.  Tévêque  de  Condom,  précepteur  de  M.  le  dau- 
phin, présidait.  La  qualité  du  répondant  et  celle  du  président  firent  qu'oa 
ne  douta  point  dans  Paris  que  tout  cela  n'eût  été  fait  de  concert  avec  U 
cour.  On  ne  se  trompait  point,  et  voici  ce  que  J'en  ai  appris,  etc..  » 


TABLE  DES  CHAPITRES 


LIVRE  PREMIER  (suite) 
Pontificat  dAlazandre  ?II  (7  avril  1655-22  mai  1667;. 

Ghapttri  DOuziiMB.       —  Vacance  de  Tambassade  française  à  Rome  : 

Tabbé  de  Bourlemont,  chargé  d^affaires. —Gal- 
licanisme et  Jansénisme  (juin  1665  àjuin  1666).       1 

Chapitrb  TRnziÈVB.       —  Arrivée  du  duc  de  Cbaulnes  a  Rome.  —  Début 

de  son  ambassade  (juin  à  décembre  1666). ...      24 

Cbapitrx  QUATORziiiiB.    —  Appel  d* Alexandre  VII  aux  princes  catholiques 

contre  les  Turcs  :  Louis  XIV  resserre  son  al- 
liance avec  le  Sultan.  —  Empiétements  de  la 
couronne  sur  les  droits  et  sur  les  libertés  de 
l'Église  :  résistance  d*Alexandre  VU.  Noncia- 
ture de  Roberti  (1665-1667) 105 

CBApmiB  QOUfziiHB.       —  Cc  qu*il  y  avait  sous  la  politesse  il  vantée  de 

Louis  XIV.  —  Maladie  d*Alezandre  VII  :  ses 
adieux  au  sacré  collège  :  sa  mort  (22  mai  1667).    134 

LIVRE  DEUXIÈME 
Pontificat  de  Clémant  IX  (20  juin  1667-9  décambra  1669). 

CHAPiraB  PRBMiBR.         —  Lc  couclave  de  Clément  IX  (juin  1667) 170 

CHAPiraB  DBUxiiaiB.       —  Clément  IX  et  Taffaire  de  Castro.  —  Guerre  des 

«  droits  de  la  reine  »  :  médiation  de  Clé- 
ment IX.— Présages  de  nouveaux  conflits  en- 
tre la  couronne  et  le  saint-siège (1667-1668). .    206 

Chapitrb  troisièmb.  —  Louis  XIV  et  le  •  démariage  »  de  Marie  de  Sa- 
voie, reine  de  Portugal  :  lutte  engagée  par  le 
roi  de  France  contre  la  juridiction  spirituelle 
du  pape  (novembre  1667  à  septembre  1668). .    281 

CaApiTRB  QOATRiÈvB.  —  Fin  de  l'ambassade  du  duc  de  Cbaulnes  !  nou- 
vel intérim  deTabbé  de  Bourlemont. —Con- 
clusion de  TaCTaire  de  Portugal.- Jansénisme: 
les  quatre  évoques.  —  Affaires  diverses  (1668).    274 

Cbapithb  cniQUiiiiB.       —  Secours  de  Candie.  Désastre  du  25  juin  1669. 

Échec  du  24  juillet.  Retraite  précipitée  du 
duc  de  Navailles  (1669) 814 

CRAPRRt  BixiÈMB.  —  Nouvellcs  agressious  de  la  couronne  contre  l'au- 

torité ponUflcale.  Mort  de  Qémant  11  (1669).