Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
MÉigan
Jlkiries,
f «••!
HM!
âftTtt tCItNTlA VtaiTAt
mmmmmmmm i i
LOUIS XIV
LE SAINT-SIÈGE
CHARLES GERIN
TOME SECOND
PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
RUE BONAPARTE, 90
1894
127-3.
V 2-
LIVRE PREMIER
(Suite)
CHAPITRE DOUZIÈME
VACANCE DE L'aMBASSADE FRANÇAISE A ROME : L'aBBÉ DE BOURLEMONT.
CHARGÉ d'affaires. — GALLICANISME ET JANSÉNISME. JUIN 1665
A JUIN 1666.
La faction française à Rome, après le départ de Créquy : le cardinal Aldobrandini. — Bourle-
moiit chargé dea afTaires du roi. — Jansénisme : les deux brefs du 16 décembre 1664 et li
iMille du 15 février 1665 sur le formulaire. Obstacles mis par le gallicanisme à la répression
<lc rh«Vésie. Empiétements croissants de la couronne sur le pouvoir du pape et des évéques,
même en matière de foi. Entraves apportées au ministère des uouces. Défense aux évéquos de
rrcoDuaitro aucune bulle que par ordre du roi. Censure prononcée en Sorbunne contre les
théologiens qui soutiennent l'infaillibilité du pape {Amadœuê Guimenius). Bulle Cum ad aures
qui condamne cette censure, !> juin 1665 : elle est frappée d'un api)cl comme d'abus. Graves
divisions dans le Parlement comme dans la Surbonue. Réquisitoire violent de l'avocat géné-
ral Talon: arrêt du 2U juillet. La royauté veut dominer le saint-siège comme elle domine
déjà en lait le Parlement, les évéques et la Sorbonue. Modération de Rome : si la Sorboune
d^tare qu'elle n'a voulu que se défendre de la note d'hérésie, sans condamner l'opinion con-
traiio. le pape s'en contentera : elle refuse. Prétentions du roi soutenues a Rome par l'abbé
de Bourlennont et le cardinal de Retz. En France, lutte du nonce Roberti contre Lionne. La
cour de France veut arracher à Rome une rétractation de la bulle et une capitulation entre
le pape et la Sorbonnc. Le cardinal de Retx a l'audience d'Aleiandre VII, âl octobre 1665. —
InquiétQdcs tardives que donne aux évéques le gallicanisme parlementaire et royal. Prote:«-
latiom et remontrances de TAsecmblee du clergé de 1665-1666 contre le réquisitoire de Ta-
loo« — contre l'arrêt du iO juillet ; — contre les règlements dv% Grands Jours d'Auvergne, etc.
Réponses alarmantes de Louis XIV. La couronne prépare déjÀ son entreprise de la régale ,
roofsrences sur ce sujet entre les députés du clergé et le chancelier. Le roi obligé de ralentir
pour un temps les progrès do gallicanisme ; défense i la Sorbonno de faire aucun acte nou-
veau contre Rome; défense au Parlement de donner suite à l'arrêt du i.9 juillet. —
Looi.A XIV. dans l'intérêt de .«(a politique extérieure, cherche à dissimuler sou inimitié
contre Rome : aveux qu'il fait dans ses Mémoire*. Se donne comme le protecteur des États
romains contre les flottes anglaises : sa parole démentie par les documents les plus authen -
ttqnes. Consistoire du il janvier 1666. Efforts du pape pour que la guerre des HoUandui!»
contre les Anglais ne s'étende pas à toute l'Europe. — Consistoire du 15 février 1666 ; pro-
vBotioo de cardinaux, qui ne comprend pas le duc de Mercœur : irritation de Louis XIV. —
difficultés aoolevéet à Rome par Bourlemont : Searamuccio soldato di Gigeri; -- exécution
de l'article de Pise sur Castro; — avènement de Charles II rui d'Espagne : investiture de
>aplcs. — I^ cour pontificale à l'arrivée du nouvel aml>ns>a<leui- : a\cux des agents françai«.
LOOUXIV n ut SAIKT-t^lÈUE. — H. 1
2 CHAPITRE bOrZlÈME
Il avait élé décidé qu'aussitôt après le départ de Créquy
Tabbé de Bourlemont prendrait la direction des affaires de
France et correspondrait directement avec le roi (1). Il était
pourtant nécessaire d*avoir auprès du pape un ministre d'un
rang plus considérable, si Ton voulait sérieusement rétablir des
rapports de sympathie et confiance avec le chef de l'Eglise et
la majorité du sacré collège. Non pas qu'il y eût à redouter
pour les intérêts nationaux une influence rivale de la nôtre;
quoique put dire Louis XIV, Alexandre VII tenait la balance
égale entre les princes catholiques. Mais il y avait des ferments
trop visibles de discordeentre la royauté française et le pontife
romain. La première de ces puissances venait d'attaquer
l'autre sur le domaine temporel : elle allait soulever un con-
flit plus grave dans les régions spirituelles. En quel état le
duc de Créquy laissait-il le parti de son maître, à Rome? Pour
une pension de quinze mille livres^ le cardinal Baccio Aldo-
brandini venait de mettre sur sa porte les armes de France,
après avoir informé lui-même le souverain pontife qu'il en-
trait dans la faction du roi, et Louis XIV avait assuré ce pré-
lat qu'il ne lui demanderait jamais rien de contraire aux inté-
rêts du saint-siège, et qu'il aurait toujours une entière confiance
en lui (2). Lionne ne dissimulait pas les dangers de pareils
traités. Il ne voulait pas qu'on prit le roi au mot et il écrivait
à Créquy (3) : « Si le cardinal Aldobrandini accepte... et que
l'affaire du cardinal Ursin s^accommode, je vois que notre
faction sera plus forte dans le prochain conclave qu'elle ne Ta
été de longtemps, et particulièrement si M. de Mercœur se
trouve alors cardinal, auquel casnousyenaurons neuf (4); mais
la question est que chacun d'eux veuille servir fidèlement le
roi. A dire vrai, je ne l'espère pas beaucoup; car, quand ils
sont une fois enfermés, comme les négociations sont secrètes^
et qu'ils ont le prétexte de la cotisctence^ qu'ils croient encore
(1) Lionne à Bourlemont, 17 avril 1665. Home^ 168.
(2) Créquy k Lionne, 8 juillet 1664. Rome^ 160. — 5 septembre. Home, 161.
^ Le roi au cardinal Aldobrandini, 5 décembre. Romet 162.
(3) 24 octobre 1664. Rome, 161.
(4) Antoine Barberini, d'Ette, Maidalchinii Mancini, Ret2i Grinialdi, Ordiiio,
Aldobrandini et Mercopur.
GALLICANISME ET JANSÉMS.MË 3
ne pouvoir jamais manquer d'autres excuses et rejeter la faute
sur leurs envieux, chacun en son particulier a son pape en
tète et y dirige toute sa conduite. J'en parle comme savant,
pour l'avoir éprouvé moi-même au dernier conclave, où, entre
autre choses, yc ne pus jamais obliger le cardinal Ursin à me
donner un contreseing pour m'assurer qu'il donnait son vœu
àSacchetti, et il est certain qu'il ne le lui donnait jamais parce
que le grand duc, à qui il est dévoué quasi plus qu'il ne Test
à soi-même, lui faisait l'exclusion... » Aldobrandini était
mort presque aussitôt et n'avait pas été remplacé dans le
parti. Les intérêts de l'Eglise de France n'avaient donc pour
défenseurs spéciaux que des Italiens choisis par le roi : Man-
dai, sans crédit ni talent, Antoine Barberini, aussi suspect à
Saint-Germain qu'à Rome; Grimaldi, qui ne se mêlait plus
dmlrigues, et s'occupait uniquement de son diocèse; Maidal-
chini, qui continuait sa vie désordonnée ; Orsino, méprisé par-
tout et que Ton s'aliénait maladroitement^ en lui restituant
sa pension sans lui rendre la comprotectioii de France ; d'Esté,
que sa conduite pendant le démêlé des Corses avait achevé
déminer dans l'opinion publique, et un seul Français, Relz,
qui n'avait plus d'évêché! Lionne était trop habile pour ne pas
sentir qu'il eût été préférable de concilier au roi le sacré col-
lège par de bienveillants procédés. On a remarqué le change-
ment de son attitude envers le cardinal Impériale, qu'il avait
longtemps méconnu; mais, malgré les ordres répétés du roi,
Créquy n'avait rien fait pour regagner l'amitié de ce prélat,
dont on disait, à Farnëse même, qu'il était revenu de Fontai-
nebleau « avec un cœur tout français (1). » Les indépendants
avaient appris avec joie les sympathies conquises en France
par leur collègue (2). Un autre membre de l'Escadron, le cardi-
nal Azzolino, désirait vivement, avec la majorité du collège,
(1) La Baissiëre à LioDoe, 22 décembre 1G64. Home, 1G2. — » Je crois que
M. l'ambassadeur est fâché de n'avoir pas fait amitié avec le cardinal Impériale,
lequel est assurément fort galant homme et une des plus fortes têtes de tout
le collège, et il est certain que M. l'ambassadeur a été fort mal conseillé
d'avoir voulu prendre la voie du cardinal Pallavicino pour l'accommodement
da cardinal Azzolino. II n'y a que ledit Impériale qui puisse faire cela. » (Le
même au même, 24 mars 1665. Rome^ 168.)
(2) Créquy au roi, 16 septembre 1664. Romet 161.
4 GHAPITBE DOCZIÈMK
qu'une meilleure intelligence régnât entre Louis XIY et
Alexandre Vil: louten lui gardantrancunedesafidélité an pape,
le roi chercha il à renouer des rapports avec ce cardinal et, pour
employer le slyle exigé par la dignité royale, à lui » rendre ses
bonnes grâces, » lorsque Créquy lui fit l'alTront public que nous
avons raconté. Les premiers ordrcsdonnésà Bourlemonl furent
de procurer raccommodement avec la reine de Suède et le cardi-
nal Azzolino, et de se concerter, dans cette vue avec le cardinal
Impériale (1). Des ouvertures de paix, faites avec sincérité,
avec un juste respect des droits du saint-siège, auraient été
accueillies avec gratitude par tous les Romains, et l'observa-
tion suivante que Tinlelligent la Buissière adressait à Lionne,
contenait, sous une forme exagérée, une grande part de vérité :
« Si le premier ambassadeur que le roi enverra ici avait les
qualités de M. le maréchal de Gramoni (2) et qu'il eut des secré-
taires sages, fidèles et gens d'affaires. Ton ferait, malgré
l'Espagnol et toute sa faction, un pape français; car les esprits
sont si fort disposés à prendre notre parli, qu'il ne faudrait
plus qu tm peu de douceur et de courtoisie pour avoir tout le
monde, à l'exemple du cardinal Aldobrandini (3).
Malheureusement les pensées de justice et d'union ne firent
que traverser l'esprit de Lionne et du roi : leur politique de
défiance et d'antagonisme reprit son cours, et ils avaient, en
Bourlemonl, un auxiliaire trop bien disposé à les seconder.
Nous apprenons cependant de cet abbé lui-même que, lorsqu'il
sollicita sa première audience, en vertu de ses nouveaux pou-
voirs, elle lui tut accordée avec empressement et qu'Alexan-
dre VII Taccueillil, comme si la personne du négociateur de
Pise lui fût devenue agréable (4). L'ambassadeur lui avait
laissé un mémoire des afTairespendantes entre les deux cours.
(1) Lionue à Bouricmout, 17 avril el 12 juin 1665. Homey 168 et 169.
(2) Ce jugemcut sur le maréchal de Gramoot rappellera certaiuemeut au
lecteur les couversutious de ce maréchal avec Lionne, racontées par Tonti.
Mais la cour ne pensait pas à un si bou choix. Nous savons par le cardinal
de Hclz et par la Buisflière qu'elle avait jeté les yeux sur le duc de Vitry :
<• Ou dit qu'il a beaucoup d'esprit, mais qu'il est fort débauché et qu'it n'est
pas propre pour ce païf s. >* (La Buif^sière à Lionne, 7 avril 1G65. Rome^ 108.)
(')) A Lionne, 11 novembre 1664. Home^ 162.
(4) 8 et 9 juin 1665. Home, 16U.
rwALLtCAMSMB ET JANSÉNISME .*)
C'étaient : les induits des nouvelles conquêtes, dont une par-
tie était déjà obtenue, mais dont Tavidité royale ne se con-
tentait pas encore (1 ); la suppression des rfw^ corons; les bulles
de Reims pour le cardinal Antoine; de Gluni pour le cardinal
d'Esté; d'Orange pour Fabri ; d'Aumale pour Bencdelti, etc.
Le pape persistait à refuser ces dérogations aux lois canoni-
ques et aux prérogatives du saint-siège, et il attendait qu*on
témoignât une sincère résolution de ne pas faire tourner au
désavantage de l'Église les grâces qu'on lui demandait. Mais
dès qu'une requête royale regardait les intérêts de la foi en
France, le souverain pontife l'accueillait favorablement et
sans délai (2). Ainsi, les évéques français reconnurent, à la
fin de Tannée 1664, qu'ils ne triompheraient jamais du jansé-
nisme sans une nouvelle intervention du saint-siège. Jus-
qu*alors ils communiquaient avec le pape soit directement^
soit par l'entremise du roi; mais peu à peu Louis XIV éleva
au rang des maximes d'État la défense d'aller ou même d'é-
crire k Rome sans sa permission, qui fut très rarement accor-
dée. Les jansénistes qui refusaient de signer le formulaire ne
donnaient pas tous la même raison : les évêques s'en défen-
daient parce qu'il émanait d'autres évêques dont le pouvoir
ne s'étendait pas au delà de leurs propres diocèses; les autres
disaient que le saint-siège n'en avait pas ordonné la signature
« clairement ni expressément » : en conséquence Créquy avait
demandé au pape soit d'approuver le formulaire des prélats
français, soit d'en décréter un autre, dont l'autorité royale
procurerait la souscription (3). Dès le 16 décembre 1664,
Alexandre VII écrivit deux brefs : l'un aux évêques de France
po'ur leur ordonner de signer et défaire signer un formulaire
(\) Ainsi, Louis XIV fut fort mécontent que l'induit des Trois-Évôchés ne lui
(JoonÀt pas la uominatioD aux abbayes : il était prêt à le refuser. En remer-
ciant le pape, il lui dit qu'il voulait bien attribuer l'omission des abbayes à un
oubli du rédacteur de l'induit! (Le roi an pape, 31 décembre 1664. Rome, 162.)
(2) c Le P. Annat a assuré Sa Majesté que le pape est déjà disposé à faire ce
qu'elle tous donne ordre de lui demander, dès que vous lui en ferez l'instance
eo son nom. Ainsi, tous ne devez pas craindre les mêmes difficultés et lon-
gueurs que vous éprouvez en toule autre matière, d'autant plus que votre
cour y a plus d Intérêt que nous. » (Lionne à Créquy, 14 novembre 1664.
Rome, 162.)
(3) 21 novembre 166 i. Rome, 162.
6 CHAPITRR DOUZIÈME
rédigé à Rome; Tautre à Louis XIV, pour l'avertir de sa dé-
cision. Mais le gallicanisme, que ce pape appelait si justement
le complice de l'hérésie (1), veillait sans relâche pour parer
tous les coups portés au jansénisme; et les prétentions de la
couronne obtinrent déjà de Tarchevêque de Paris, Hardouin de
Péréfixe, et du P. Annat, confesseur du roi, Tapprobation et
Tappui que leur donnèrent ensuite plus ouvertement le P. de la
('haize etTarchevêqueBarlay de Champvallon : « Sa Majesté
fit examiner le premier bref par Tarchevêque de Paris et le
P. Annat, qui, après plusieurs négociations avec le nonce, ju-
gèrent à propos do demander à Sa Sainteté qu'il lui plût, en
premier lieu, rédiger ce qui était contenu dans ce bref en
forme de constitution ou bulle sous le plomb, afijiqiion la fit
enreghtrer ddJis les parlements; en second lieu, spécifier un
temps de trois mois depuis la notification de la bulle, dans le-
quel les archevêques et éveques fussent tenus de la signer. Sa
Majesté se chargeant de faire faire cette notification par les
agents du clergé, pour éviter que le nonce neùt quelque emploi
en France qui emporlôt juridiction, et enfin n'y point mettre
cette menace d'interdiction, de peur que lesévêques de France
ne se formalisassent que l'on punît ainsi leurs confrères sans
forme de procès. Le roi ordonna au duc de Créquy de solliciter
cette bulle (2). » On voit ici prendre corps cette doctrine fu-
neste, qui réduisfiitle saint-siège aune juridiction abstraite et
transférait à la couronne la suprématie réelle et etTeclive. Le
nonce ne devait plus être que l'agent d'un souverain temporel
et non le ministre du pontife romain (3). Celui-ci n'avait plus
le droit de communiquer directement par les voies canoniques
(1) tf Ha sempre stimato le immuuità délia chiesa galllcana compagne lielf
heresia... » (Relazioiie de Basadonna, 1664 — lie/nzioni, t. II, p. 273.)
(2) « Hiatoire des négocialiods des ministres du roi à la cour de Rome de-
puis l'année 1601 jusqu'à [>r.*8ent... (1691)... composé^^ sous les ordres de
Mgr d»; Croissy, luinistre et sécrétHire d'État, sur les registres de la secrétai-
nTÎe d'État, •> par M. de Saint-Prêt, garde du dépôt des Archivés (6 volumes
manuscrits, rangés t»ous les numéros 21 à 29 du fonds Romef Papiers etdocu.
wic.7i's). Nous citerons souvent cette analyse exacte des correspondances con-
s Tvées aux Archives du miuistêrc des Affaires étrangères. — Lionne à Cré-
quy, 2.") janvier 1663. Home, lO.'i.
(3) « Lui qui n'est qu'auihassadeur du pnpe, comme prince temporel, auprès
du roi. » (Riîquisitoire de Denis Talon, le 6 mai 1663. Arch. nat., X^* 8394.)
GALLICANISME ET JANSÉNISME 7
avec les évoques de France, même en matière purement spiri-
tuelle. On exigeait de lui des bulles qui ne devenaient obliga-
toires pour les Français que si elles obtenaient le visa du roi
et des tribunaux séculiers. Alexandre VU, plein de condes-
cendance, envoya, le 18 février 166S, une constitution datée
du 15, que le roi fit enregistrer en lit de justice, le 29 avril
suivant; mais une allocution du premier président Lamoignon
et un réquisitoire de Tavocat général Talon révélèrent les
nouveaux dangers qui menaçaient Tautorité pontificale, et qui
allaient rendre à peu près stériles ses derniers efforts contre
le jansénisme (1). Le nonce Roberti avait fait imprimer et
publier en France la nouvelle constitution et Tavait « sous-
crite comme par collation », dit Lionne (2), en qualité de mi-
nistre du pape « ad christianissimum Francoriim regem et
Galliariim régna. » Aussitôt « le procureur général, étant
entré au Parlement, représenta que le nonce ne pouvait faire
expédier en France aucun acte authentique de cette nature;
que la bulle ne pouvait jamais paraître sans la déclaration du
roi^ qui lui donnait toute sa force; qu'il avait omis la qualité
ieroide Navarre et qu'il avait ajouté et Galliarum régna,
comme si nous étions en Pologne et qu'il eût dit le roi et la
république. La cour, par son arrêt du 6 mai (3), ordonna la sup-
pression de cet imprimé et le châtiment de Timprimeur. Le
nonce n'ayant pas laissé d'envoyer cette bulle, en cet état^ aux
archevêques et évoques du royaume, le Parlement donna^ le
(i; Le premier président, après avoir reconnu, en termes équivoqaes, « que
la bulle élaU devenue légitime parce qu'elle était nécessaire », ajouta que le
Parlement « saurait, sous V autorité df S. Af., en empêcher les conséquences et
conserver les droits et libertés de VÉglise gallicane, » Talon qualifia le jansé-
ui^me d'hérésie; mais « mais il parla en môme temps contre les entreprises
de la cour de Rome, contre les privilèges des religieux, contre les vœux qui
'te faisaient devant vingt-cinq ans... Cliacun parut être fort mal satisfait de ce
discours. Plusieurs murmuraient contre, et l'on fit paraître de l'impatience
qu'il finit. Enfin, il scandalisa toute l'assemblée, n'ayant rien dit du sujet,
beaucoup de choses éloignées et offensantes contre le pape et tous les ordres
du royaume. » En sortant du Parlement, le roi « alla dîner à Versailles, où
S3 maîtresse se devait rendre de Saiut-Germaiu. » (Olivier d'Qrmesson, Journal^
t. 11, p. 348-3o2.)
(2) A Bourlemont, 5 mai.
(3) Arcb. nat.. X«* 8394.
8 CHAPITRE DOUZIÈME
23 juin (1), un second arrêt par lequel, entre autres choses,
il fit défeme « aux archevêques et évêques de recevoir aucunes
huiles que par les ordres du roi (2). »
La suprématie papale ne fut pas contestée seulement par
des magistrats séculiers, tjn corps ecclésiastique, laSorbonne,
où par les intrigues des jansénistes et par Tintluence des mi-
nistres du roi, les malintentionnés devenaient plus nombreux
et plus hardis (3), avait, en condamnant justement certaines pro-
positions morales de VAmadœus Guimenius^ censuré, au mois
de février 1665, les théologiens qui professent Tinfaillibilité du
pontife romain (4). Si le pape n*est pas infaillible, les novateurs
n'étaient pas plus obligés d'obéir à la bulle du 15 février 1665
qu'aux précédentes. Aussi, dès que cette décision fut connue
à Rome, Alexandre VU s*en plaignit au roi (5), qui avait déjà
(1) « 11 y a depuis deux jours ua nouvel arrêt du Parlement contre M. le
nonce, qui ne s'esl pas corrigé sur le premier^ ayant fait une entreprise nou-
velle de faire imprimer une seconde fois la bulle du pape sans la déclaration
du roi quelle doit accompagner, et de Tattester avec la qualité qu'il prend
de Nuntius aposfoHcus ad chrislianissimum Francorum regem, sans parler de
la Navarre, et per Francise régna ;... et, qui pis est, de l'avoir adressée de
HOU autorité particulière à MM. nos prélats contre Tusage et contre Tinten-
tion du roi que je lui avais plusieurs fois signifiée avant qu'il s'embarquât à
faire de nouvenu ce méchant pas. » (Lionne à Bourlemont, 3 juillet 1665.
Rome, no.)
(2) Arcb. nat., X'^ 8394. — « Vous avez fort bien répondu à ceux qui trou-
vaient a redire que mon Parlement eût défendu aux archevêques et évêques
de mon royaume de l'ecevoir aucune bulle que par mes ordres^ et il est certain
que la plupart des fautes que fait la cour de Home vient du princifje de
r ignorance de nos maximes et des mœurs de cet État. » (Le roi à Bourlemont,
28 août 1665. Rome, 170.)
(3j Louis XVl mettait dès lors au service des rébellions gallicanes toutes
les forces de la puis^sance civile qui, suivant la constitution fondamentale des
pays chrétiens, devait seulement protéger les libertés ecclésiastiques, il faus-
sait ainsi tous les ressorts de l'État et préparait la destruction commune de
TEglise et de la monarchie en France : « On prend de delà, écrivait Lionne,
une mauvaise voie de réduire la Sorbonne à leurs volontés, et elle ne fera
qu'aigrir davantage les choses. Quand les docteurs de la Faculté demanderont
des grâces au pape, il est toujours libre à S. S. de les accorder ou refuser,
aussi bien qu'à tous autres ; mais, à Cégard des bénéfices, le nihil transeal
mis en daterie tiendra lieu ici de provisions et de bulles et ils en épargneront
le8fk*ais. >' (A Bourlemout, 5 mai 1665. Rome, 169.) — C'est tout simplement la
soustraction du patrimoine ecclésiastique à l'autorité de l'Église, en atten-
dant la sécularisation, pois la confiscation définitive.
(i) Conclusions de la Faculté de théologie. Arch. nat., MM 253, fol. 71.
(5 u ... Nuntius apostolicus, nomiue nostro, referet Majestati Tuœ quam
GALLICANISME ET JANSÉNISME 9
imposé la Déclaration de 1663 à la Faculté de théologie.
Lionne écrivit à Bourlemont : « Le nonce se donne bien ici
de la peine inutilement et hors de toute raison sur une censure
qu*a faite la Sorbonne d'une opinion qui déclarait hérétiques
ceux qui ne suivent pas Tinfaillibilité du pape. Si on vous parle
de delà^ soutenez fortement ce qu'a fait la Faculté de Paris en
demandant à ceux qui vous en parleront si elle pouvait, pour
le caprice du nonce^ abandonner Topinion de tout ce royaume
et même se laisser déclarer hérétique sans dire mot. Car la
proposition était : Ad fîdem perlinet credere papalem infal-
libilitatem tam in rébus (idei quam circa bonos mores, quia
Ecclesia errare non potest, ergo nec ejus caput ; et la Sorbonne
a dit simplement : Doctrina his proposilionibus contenta et
illala est falsa, temeraria, libertatibus Ecclesiœ gallicanœ con-
traria et doctoribus orthodoxis contumeliosa (4). » Le ministre
eut ordre de faire à Roberti la déclaration suivante (2) : « Le roi
ayant fait examiner les censures faites par la Faculté de théo-
logie de Paris, qui ont donné lieu au bref que notre saint père le
pape a écrit à Sa Majesté en date du 6 avril dernier, par ceux de
ses principaux officiers en qui elle a le plus de confiance sur
semblables matières, ils ont tous unanimement représenté à Sa
Majesté que la Faculté n*a rien fait de nouveau en cette affaire
et qui ne soit entièrement conforme à ce qui a toujours été
pratiqué en ce royaume, et qu'ainsi Sa Majesté ne doit y ap-
porter par son autorité aucune altération. » Le lendemain,
Louis XIV répondit sèchement au pape : « Très saint père,
nous avons reçu le bref que Votre Sainteté nous a écrit au
sujet de certaines censures de la Faculté de théologie de Paris ;
et. comme nous avons fait savoir au sieur archevêque de
^Ti sensu doloris ex censuris theologorum Sorbonae pontificius animus af-
ficUtur, omoique studio quantum maxime poterit a te petet ut atictoritate re-
f[ïh pnesto esse velis, qao illas omoioo revoceotur. Quod profecto speramus
de siogulari pietate tuà qus propositioues apostolicie sedi tam aJversas et
injariosas in regno et academift suft tolerare nou poterit; curaque prœsertim
îD repnmendà jansenistarum bœresi tam enituerit, noiet eam omncm gloriam
et labores tantos irritos cadere et Tel ipso tempore quo pestiferi errores
eonfodinotur, etc. <» (6 avril 1665. Rome^ 163.)
(i) 26 mai 1665. Rome, 169.
(2) • Ce que J*ai dit au nonce de la part du roi. » (28 mai 1665. Rome, 169.
10 CHAPITRE DOUZIÈME
Tarse, nonce de Voire Sainteté, les raisons qui nous ont ôté
le moyen, en ce rencontre, de pouvoir complaire à Votre Sain-
teté, comme nous avons un très grand désir de le faire en
toutes occurrences, nous nous remettons au compte que ledit
sieur nonce lui en rendra. Nous la supplions cependant d'être
bien persuadée qu'il ne se peut rien ajouter à la dévotion et
vénération que nous avons, comme fils aîné deTÉglise, envers
le saint-siège apostolique et la personne sacrée de Votre Béa-
titude, et que nous souhaitons avec passion d'avoir de plus en
plus de fréquentes occasions de lui donner des preuves effec-
tives cl considérables de cette vérité; après quoi, il ne nous
reste qu'à porter nos vœux à la bonté divine à ce qu'il lui plaise
conserver longues années Votre Sainteté pour le bon régime
de notre mère sainte Eglise (1). »
Cette lollre était suivie de près par un avis menaçant que
le cardinal Albizzi était chargé de faire parvenir jusqu^au sou-
verain pontife. Lionne écrivit à Bourlemont : « Sa Majesté
désire que vous témoigniez de sa part à M. le cardinal Albizzi
qu'elle est surprise d'apprendre par toutes les lettres de Rome
que Son Éminence est le plus échauffé de tous MM. les cardi-
naux à épouser les passions des Jésuites contre la Sorbonne,
ayant de continuelles conférences là-dessus avec le P. Fabri(2).
Vous pourrez y ajouter comme de vous que Ton ne connaît
pas bien à Rome nos usages et nos anciennes maximes ; que
le pas qiiils seinblent vouloir faire est bien délicat; que Son
Éminence pourrait s'y abuser parce quïl pourra produire de
très grands iyiconvénieyits par les suites, étaiit indubitable que
les Parleme7its, qui embrasseront la cause de la Sorbonne, ne
demeureront pas sans parer et sans riposter (3). >»
Ainsi se préparait un conflit bien plus grave que tous les
(1) 29 mai 1665. Borne, 169.
(2) Le cardiual Albizzi est très aDÎuié contre la SorboDue, et fort radouci
sur le gouveruemeut de ce pape. On dirait que, depuis la mort de son fils, il
pense au pontificat. (Hourlemont à Lionne, 30 juin 1665. Rofne^ 169.) — Nous
avons dit plus haut qu'il avait été marié avant d'entrer dans les ordres. —
« Ce cardinal veut tenir autant qu'il peut de tous les côtés, et en môme temps
il a intelligence en France, en Allemagne, en Espagne, en Portugal et eo di-
verses parties de l'Italie. * (Bourlemout au roi, 14 JuUlet 1663. Rome, 170.)
(3) 19 Juin 1665. Borne, 169.
GÂLIiCANISMlS ET JANSÉNISME 1 1
précédents, puisqu'il mettait en question l'autorité même qui
a le droit de constater l'hérésie et de la condamner. S'il était
odieux de réclamer pour la France le privilège de créer des
dogmes particuliers, il était absurde qu'un simple corps de
théologiens, comme la Sorbonne, qui devait son existence aux
pontifes romains et qu'un mot de leur bouche pouvait anéantir,
s'arrogeât le droit de déKnir leurs pouvoirs. Qu'elle donnât des
consultations sur des thèses de doctrine et de morale, c'était
sa destination, qu'elle n'a pas toujours remplie à son honneur:
mais il était intolérable qu'elle prétendît régler les attributions
du vicaire de Jésus-Christ. Aussi Alexandre laissa-t-il voir sa
douleur à Bourlemont : 11 exprime, dit Tabbé, la crainte que
SaMajesté ne soit entourée de mauvais conseillers, jansénistes
et peu affectionnés au saint-siège. Il me charge « de représen-
ter le plus efficacement que je pourrais au roi que le plus grand
office que Sa Majesté lui pouvait faire et la chose qu'il estime-
rail plus que la vie serait de faire révoquer la censure de la
Sorbonne,... cette mauvaise doctrine ?ie tendant quà le faire
passer en France comme s'il n était qiCévêque de Rome, et rui-
nant la hiérarchie ecclésiastique [{), Le cardinal Chigi m'a
répété « qu'il n'y a rien qui soit tant à cœur au pape que cela,
y allant de sa dignité et de son pouvoir, lequel étant remis en
doute par la faillibilité, Votre Majesté en recevrait du préjudice
dedans les pieux desseins qu'elle a si chrétiennement entrepris
d'extirper le jansénisme de ses États, vu que les bulles et cons-
titutiom que ton a faites contre eux à F instance de Votre Ma-
jesté seraient de nul effet (2). »
C'est précisément sur ces entrefaites que la cour pontificale
vil reparaître un personnage, qui n'avait jamais été mêlé qu'à
des événements désastreux pour l'Église comme pour l'État.
Lorsque le cardinal de Retz avait fait sa soumission, au com-
mencement de 1662, le roi lui avait signifié qu'il résiderait à
Rome; mais ce traité n'était exécutoire qu'après l'installation
d'un nouvel archevêque. L'affaire des Corses ayant retardé
(0 Bourlemont a Lionne, 9 juin 1663. Rome, 161).
(2) Bourlemont au roi, 16 juin 1665. Rome^ 16'J. — Alexandre Vil prophéU-
sait l'histoire du jansénisme jusqu'à la fin du règne de Louis XIV et peudaut
tout le xviiJ* siècle.
12 •II\PITRC DOrZIÈVE
l'expédition des bulles de M. de Péréfise. le cardinal n'avait
é^ié admi» devant le roi qu'après la paix de Pise. Le procès de
Foiicquet, qui allait venir à l'audience et qui se termina seule-
ment le 20 décembre 1661. réveillait trop de souvenirs de la
Fronde pour que Retz fût autorisé à quitter sa retraite de
Commercy. Quelques mois plus tard, il lui fut brusquemment
enjoint de se rendre à Rome, sans titre nouveau, sans pouvoirs,
sans instructions, sans lettres de créance, sans chiffre. Et,
pour que personne ne crût à un retour de faveur, Louis XIV,
qu'il vit en passant, lui fit un accueil sévère; les ministres
(^olbert et le Tellier le traitèrent sans respect ni politesse, et
on ne lui dit pas un mot des affaires pendantes à Rome (1). Le
26 mai, Lionne, transmettant à Bourlemont Tordre d'écrire
directement au roi. qui lui répondrait en personne, lui annonçait
le prochain départ de Retz, qui « n'était chargé d'aucune af-
faire du roi et ferait seulement les fonctions de cardinal na-
tional (2; »; ce qui était le soumettre à l'abbé, pour tout ce
qui concernait le service du roi. Le cardinal passait, le 28 mai,
;ï MilaUy et, le 13 juin, la nuit, sans apparat, il arrivait à
Home, où il conserva pendant quelque temps, V incognito {3).
Il prit tout de suite et garda toujours une attitude fort humble,
ne faisant aucune démarche que de concert avec Bourlemont;
et ce dernier, sans manquer de respect à la pourpre, ne cessa
jamais d'exercer ses droits de chef de mission (4). Retz n*avait
(1) « ... Mandé par le roi pour l'obliger d'aller à Rome, sans néanmoins
autre qualité que celle de cardinal... Jai su qu'il avait été mal reçu du roi;
qu'il avait été voir M. Colbert, qui ne l'avait pas encore visité; que M. le
Tellier ne l'avait été voir que cinq jours après son arrivée; qu'on voulait
qu'il allât à Rome, et qu'on ne lui en parlait pas; enfin qu'il crevait dans son
cœur de ce traitement; que l'on rappelait M. de Créquy, et qu'on parlait d'y
envoyer M. de Vitry. » {Journal d'Olivier d'Ormesson, t. H, p. 325.'i Relz était
arrivé à Paris dans les premiers jours du mois de mars 1665 : la plainte du
pape au roi contre les censures de Sorboune était du 6 avril.
(2; Rome, 169.
(3) Ketz à Lionne, 28 mai et 16 juin 1665. Bourlemont au roi, 16juin. /)omf,
169.
(4) Chantelauze prétend à tort que Bourlemont s'effaça devant Retz : Je
ne voud ai jkis écrit depuis le 23 juin; c'eût été inutile au service du roi,
« après vous avoir mandé, comme J'ai fait, que je me conduirais absolument,
dans toutes ces démarches, selon les avis de M. de Bourlemont... » (Retz à
Lionne, U juillet 1665. Rome, 170.)
GALUCANtSME ET JANSÉNISME 13
de commerce réglé qu'avec le secrétaire d*État, et n'écrivait
|- au roi qu^accidentellement, comme tous les cardinaux étaient
I en possession de le faire. Le cardinal d'Esté n'étant pas à
Rome, Louis XIV avait décidé qu'il serait suppléé dans les
fonctions de protecteur par Aldobrandini, et, après la mort de
celui-ci, par Mancini, même en présence de Retz, qui siégeait
avautlui(l). L'ancien archevêque de Paris était surveillé de
près, et Lionne lui rappela durement, plus d'une fois, la dé-
pendance étroite où la cour entendait le tenir. N'ayant plus de
juridiction épiscopale, qui pût lui donner les moyens d'embar-
rasser le gouvernement; ne pouvant plus compter sur les sub-
sides des jansénistes, il savait qu'au moindre mécontentement
le roi supprimerait ses pensions et ferait saisir ses revenus;
il se résignait donc à une servilité absolue, comme au moyen
le plus sûr de regagner quelque apparence de crédit. Mais il
en est de ses assurances de dévouement au roi, comme des
protestations d'estime et de tendresse qu'il échange mainte-
nant avec Lionne : la manière dont il traite ce ministre dans
ses Mémoires, composés postérieurement à cette date, nous
apprend ce qu'il faut penser de sa sincérité.
11 était à Rome depuis quelques jours lorsque Alexandre VII,
informé par Roberli de l'approbation que donnait le roi à la
censure, publia (25 juin] l'importante bulle Cionad aures, qui
condamnait définitivement celte censure : cet acte de fermeté
fut d'ailleurs accompagné de tempéraments propres à ménager
la vanité gallicane, ce que l'abbé de Bourlemont s'empressa
de signaler. La procédure avait été faite sans éclat; le décret,
affiché pour la forme, ne nommait pas la Faculté, mais seule-
ment une des Universités de France.
Les dispositions de la cour de France envers Rome, au mo-
ment où parut cette bulle, n'étaient rien moins que favorables :
elle se plaignait très haut des refus opposés aux demandes
dont le légal avait emporté la liste; c'était surtout une ma-
nœuvre pour éviter de s'expliquer elle-même sur les événe-
menls d'Avignon, où l'enlèvement de Chasteuil causait un si
grand scandale. Le roi venait d'écrire au cardinal Chigi, avec
vi; Analyse de Saiot-Prét. Home^ Papiers et documents^ 2i.
14 CHAPITRE DOUZIÈME
beaucoup d'atTeclation, qu'il n'attendait plus rien du pape, et
d'ordonner à Bourlemont de suspendre toutes ses instances (t).
Lionne disait au cardinal de Retz : « Voire Éminence aura
trouvé à Rome une cour qui va insensiblement se rebrouil-
lant avec la nôtre par une conduite, il se peut dire, d*enfant:
car, de part et d'autre, il n'a été question, depuis dix mois,
que de pures bagatelles; mais on a si mal correspondu smn
gr&ces et aux bons traitements quon avait faits ici à M. le lé-
gat et à la réduction d'Avignon, — dont l'incident, si Sa Ma-
jesté y eût voulu agir avec moins de générosité, lui eût donné
lieu d'arracher au pape tout ce qu'elle eût désiré, — qu'à la
fin, après dix manquements de parole Tun sur l'autre (2), Sa
Majesté s'est lassée de la condition de solliciteur, et a écrit à
M. le cardinal Chigi de n'importuner plus de rien Sa Sainteté
sur ses intérêts ou pour ses satisfactions. Ces messieurs ont
mieux aimé marcher par des chemins remplis d'épines que
sur des roses, dont ils seraient en quelque façon excusables,
si nous avions touché de grosses cordes, comme de liaisons,
de ligues, dinvestitures, de doublement de décimes, de cha-
peaux hors de la nomination ordinaire; mais j'aurais honte
moi-môme de dire à Votre Éminence ce qu'on demandait :
cela fait pitié (3). »
Roberti avait eu ordre de remettre la bulle à Louis XIV en
main propre. Le procureur général en appela comme d'abus,
mais le premier président Lamoignon fit approuver par
Louis XIV que sa compagnie n'allât pas aussi loin que le vou-
laient Lionne et d'autres ministres, et elle rendit, le 29 juillet,
un simple çirrêt provisoire (4) dont Lionne exagéra l'impor-
tance en le communiquant à Bourlemont : « Depuis l'arrivée
de la bulle, disait-il, M. le nonce a fait de grandes exultations
de cet important coup d'Etat qu'on avait fait à Rome de nous
avoir attaqués parla spiritualité, d'avoir pleinement dompté
la témérité de quatre pédants qui se sont rendus par cabale
les maîtres d*une Faculté, célèbre à la vérité dans le monde
(1) Le roi k Chigi, 9 jain. — Lionne à Bourlemont, 12jain 1665. flome, 139.
(2) Il D*aurait pa» pu en citer un seul.
(3) 3 juillet 1663. Rome, 170.
(4) Journal d'Ormesson, t II, p. 380.
GALLICANISME £T Jansénisme 15
par ce seulement qu elle n'est pas bien connuey toute sa théo-
logie n'étant qu*bistorique et n'entendant rien à disputer contre
celle de Rome par bons arguments. Cette victoire devait effa-
cer toute la honte du traité de Pise ; et, comme il a vu pendant
quelque temps qu'on ne disait mot, parce qu'en effet la bulle
ne se voyait point, il a interprété ce silence pour une marque
certaine que toute la nation était débellée; je ne doute pas
qu'il n'en ait écrit en ces termes à Rome, puisqu'il prêchait
cet évangile par les places. Quand il a remarqué, depuis, qu on
commençait à se remuer, il en a prôné un autre aussi faux,
auquel je ne doute pas non plus qu'il n'ait fait passer les
monls^ qui était de dire que, si M. Talon osait mettre sur le
lapis la matière de la bulle, il en recevrait l'affront; que la
compagnie était divisée et que le bon parti prévaudrait. A la
vérité, il s'est un peu trompé dans ses jugements; car avant-
hier M. Talon, qui avait recouvert cette bulle dont on parlait
tant sans la voir, ayant fait ses réquisitoires au Parlement, il
fut donné d'un avis unanime Tarrét dont vous trouverez la
copie ci-jointe, qui n'est qu^une ébauche de ce qui se pourra
faire, 51 on n est pas plus sage et plus pré ooyant de delà... Ce-
pendant, afin que vous puissiez avoir quelque teinture de ce
que vous pourrez bientôt voir plus amplement déduit en des
volumes entiers et fortifié de raisons, d'exemples et d'autorités
qui ne peuvent être contredites, je vous adresse deux écrits
volants et succincts qui me sont par hasard tombés dans les
mains, et qui vous obligeront, je m'assure, à ne pas juger
fort avantageusement de la prudence ni de la science des com-
pilateurs de la dite bulle, en quoi Dieu me garde de comprendre
la personne de Sa Sainteté, j*enteuds parler de celui qui Ta
dressée sous son nom (1). »
Par un de ces artifices qu'il employait le plus habituel-
lement contre ses adversaires, Lionne s'était plu, pour rendre
le nonce odieux et ridicule, à lui prêter des paroles extrava-
gantes, sous lesquelles il est facile de retrouver ses vrais
discours. Lionne trompait Bourlemonl, quand il affirmait que
le Parlement n'était pas divisé : « J'ai su, dit Olivier d'Or-
(1) 24 et 31 juillet 1665. Rome, HO.
16 ' CHAPITRE DOUZIÈME
messoD, que dans les opinions il y avait eu diversité, et que
beaucoup voulaient par adresse soutenir la bulle sans paraître
Pautoriser directement^ et que t arrêt ne passa que de quatorze
contre onze (i)... » Le bruit de celte division se répandit, et
Lionne fut obligé de Tavouer, tout en dissimulant son
dépit sous de nouvelles railleries contre le nonce, qui se
prévalait avec raison de cette importante minorité. « Ou il ne
sait pas, écrivit Lionne au cardinal de Retz, ou il ne le dit pas,
que tout le corps unanimement a estimé qu'on devait résister
fortement à la bulle et que la légère diversité n'a consisté
qu'au plus ou moins de quelques articles de l'arrêt (2). » Les
paroles d'Olivier d'Ormesson ont démenti d'avance cette nou-
velle version. Talon obtint seulement que la cour prescrivît
l'enregistrement, défendît les thèses contraires aux cen-
sures, et autorisât le procureur général à donner ultérieure-
ment ses moyens d'abus et de nullité contre la bulle : ce qui
était, en style de palais, un ajournement indéfini de TafTaire.
Les divisions n'étaient pas moins profondes dans la Faculté de
théologie. Le 3i juillet, Lionne avait écrit : « La Sorbonne
s'assemble demain ; et si le roi n'interpose son autorité pour
tempérer la chaleur qui se voit dans les esprits comme je vois
qu'il est résolu de faire par pure bonté, je crains bien qu'elle
ne pousse les choses bien loin. » Or nous savons par Olivier
d'Ormcsson que « les protecteurs de la censure » étaient aussi
« fort échauiïés contre la bulle;... que les anciens [docieixrs] se
plaignaient que c'était une cabale des jeunes, qu'on allait trop
loin;... que beaucoup se retirèrent sans opiner (3), car ceux
qui ne parlaient pas selon l'esprit des échauffés étaient siffles. »
L'assemblée nomma douze commissaires qui étaient tous i^de
la cabale » (4). Lionne fondait de grandes espérances sur ces
(1) Journal, t. II, p. 381.
(2) 7 août 1665. Home, HO.
(3) La cour ponUûcalc était exactement instruite de ce qui se passait en
Sorbonne comme ailleurs. Retz écrivait à Lionne : Je n*ai pu savoir encore
« le détail de ce que M. le nonce écrit ici touchant les assemblées de la Fa-
culté; mais on y a témoigné tant de joie de la retraite du doyen et des pro-
fesseurs (c'est-à-dire des anciens], qu'il y a lieu de croire qu'il conUnuera de
donner de fausses couleurs à ses nouvelles. » (6 octobre 1665. Rome, 171.)
(4) T. 11, p. 383.
GALLICANISME ET JANSÉNISME 17
douze commissaires « tous bien intentionnés et les plus ca-
pables de la Faculté. » Et il ajoutait : « Les autres Parlements
suivront bientôt l'exemple de celui de Paris, comme Votre
Ëminence le jugera assez, et il est à croire aussi que l'as-
semblée du clergé ne demeurera pas muette, quand ou lui a
donné tant d'occasions de crier (1). »
L'abbé de Bourlemont, exécutant l'ordre du 19 juin, visita
le cardinal Âlbizzi qui, avec les cardinaux Pallavicino et Ros-
pigliosi, avait eu la plus grande part à la rédaction de la bulle :
il apprit de lui qu'il eût été facile à la Sorbonne de prévenir
la condamnation pontificale; que le nonce l'avait invitée à re-
tirer sa censure en se réduisant à repousser la note d'hérésie
portée par le livre de Guimenius; mais qu'elle avait refusé, et
que ses prétentions avaient dès lors rendu nécessaire le décret
du 25 juin. Cette sentence n'avait pas été provoquée par les
Jésuites, comme on se plaisait à le raconter, ni par d'autres;
mais « tous les cardinaux avaient donné leur vœu par écrit
tendant à faire quelque acte positif qui résistât à l'opinion
dangereuse de la Sorbonne de la faiilibilité du pape, et le pape
s'était déclaré vouloir en toute façon censurer cette opinion. »
On savait bien, à Rome, « que cela ne ferait point changer
d'opinion la Sorbonne, et que les Parlements en feraient du
bruit; mais la seule intention de cette cour était de faire ap-
paraître comme elle blAmait cette doctrine et se voulait main-
tenir en la créance de l'infaillibilité, et qu'il constail de cela par
un acte positif, qui était cette bulle. » Bourlemont termine le
récit de l'entretien par ces paroles remarquables : « Quant à
ce que je lui disais que la Sorbonne n avait fait que se défendre
de la note d'hérésie qua Guimenius lui imputait et conserver
son opinion, il répondit que le nonce lui avait offert qu'enfai-^
sont celte déclaration sans condatnfier fopi?non contraire^ Con
^en contenterait ici, ce quelle avait refusé [2), »
Un auteur moderno, exagérant rimportance du rôle joué à
ttome par le cardinal de Helz, passe entièrement sous silence
cette dépêche de Bourlemont, et cite seulement deux lettres
(1) Liouue à Uetz, 31 juillet 1605. lioîne, 17U.
(3) Bouriciiioul au roi, li juiUct 1C6j. Home, 170.
U)UIS XIV KT LK 8AiriT-01BOE. — il. '2
18 CHAPITRE DOUZIÈME
du 14 et du 21 juillet, où Retz raconte aussi à Lionne ses
conversations avec Albizzi et Pallavicino sur le même sujet.
Il en conclut que Retz a le premier imaginé de soutenir que
la Sorbonne était irréprochable, puisque sa censure condam-
nait seulement ceux qui Taccusaient d'hérésie, mais non ceux
qui professent Tinfaillibilité papale. Je ne sais pas quelle
louange pouvait attirer au cardinal la découverte d'un argu-
ment qui, dans sa bouche, aurait été un mensonge; car la
censure de Sorbonne n'avait qu'un sens, exprimé en termes
non équivoques et profondément injurieux, de fait et d'inten-
tion, pour le saint-siège; mais celte idée est déjà dans le pas-
sage cité plus haut de Bourlemont, dont la visite au cardinal
Albizzi est certainement antérieure k la conférence de ce pré-
lat avec le cardinal de Retz : ou plutôt elle a été suggérée par
les propositions conciliantes de la cour pontificale et du nonce
Roberli, qui, on Ta vu tout à Theure, avait demandé précédem-
ment àla Sorbonne un désaveu sous forme d'explication. Retz
en fournit la preuve dans ces mémos lettres, où il rappelle,
en citant Albizzi et Pallavicino, « qu'on n'avait rien oublié,
du côté de Rome, pour obliger la Faculté de théologie » à
donner une explication, qui avait été refusée au nonce par elle
et par le roi(l). Il reste en propre à Bourlemont et à Retz
d'avoir soutenu que la censure de Sorbonne n'avait pas besoin
de justification : or, c'était à la fois absurde et malhonnête (2).
Retz ne s'était risqué qu'avec timidité à écrire ces deux
lettres et il demanda pardon d'avoir, sans ordre exprès, « ou-
vert la bouche » sur des matières de cette gravité, rejetant la
faute sur les deux cardinaux italiens, qui ravalent comme forcé
de leur répondre. Bourlemont écrivit en même temps à Lionne :
(1) Cbaulelaiize, chapitres iv, v et vi, et uotamoieut pa^eâ 231 et 236 :
« Dans sa couversatiou avec le cardinal Albizzi, le cardinal de Retz avait eu
riogéuieuse idée de soutenir que la Faculté de tlit^ilogic de Paris n avait pas
pi*étendu condamner la doctrine de l'infailiibiitté. »
(2) Il faut ajouter que Lionne réclama la priorité de la découverte : « 11 est
bien vrai, disait-il, le 14 août {l\ome^ 170) que ce prélat (Roberti) m'ayant dit
quelquefois que, si la Sorbonne voulait déclarer qu'elle n'a poiut entendu
condamner l'opinion de l'infaillibilité du pape, cela suffirait à la cour de
Rome pour laisser passer les censures sans rien dire. Je lui ai alors répété
que cette déclaration était peu nécessaire; qu'il n'avait quà lire la censure^ et
quil n'y trouverait point de condamnation de Vopinion contraire. »
GALLICANISME ET JANSÉNISME 19
« Toutes les fois que je vois M. le cardinal de Relz, il me fait
de très ardentes et zélées expressions de désirer de rencontrer
ici les occasions de bien servir le roi (1). » Une note de Lionne,
en regard de cette phrase, fait observer que le prélat « en a
une belle occasion en soutenant hautement la Sorbonne et les
maximes du royaume (2). )> Le 28 juillet, veille du jour où la
bulle devait être attaquée devant le Parlement, Retz, voulant
faire croire qu'il était fort considéré du pape et que ce crédit
pourrait être utile au roi, informa Lionne qu'Alexandre VII
Tavait publiquement honoré d'un entretien, dont la longueur
avait frappé l'attention des assistants, mais que cependant il
navait pas abordé le sujet de la bulle, se bornant à lui parler
(( de la réforme de Ctteaux, de la morale chrétienne, et de la
Conception de la Vierge, qu'il traite théologiquement et avec
beaucoup de doctrine. » Bourlemont avertit Retz que cette
bienveillance apparente du pape allait le rendre suspect, et le
cardinal dut protester « qu'il ferait voir que ni les menaces ni
les caresses ne Tébranleraient jamais du devoir de bon et
obéissant sujet du roi (3). » La présomption de Retz eut encore
moins de succès à Paris. Lionne mit la note suivante en marge
des dépêches : « 11 se pourrait faire que Sa Sainteté, comme
elle la quelquefois accoutumé, lui eût défendu, sous peine
d'excommunication^ de dire ou écrire qu'elle lui eût parlé de
la bulle, à quoi on ne sait pas si un cardinal national est tenu
(fobéir; du moins les cardinaux espagnols croient le con-
traire (4). » Le ministre fit épier avec plus de soin les démarches
de Retz, et, le 20 août, il lui écrivit à lui-même une longue
lettre, dont le début, cruellement ironique, lui rappelait la
.1 21 juUlet 4663. Home, ilQ.
(2} Lionne a développé la même pensée dans une leUre à Bourlemont :
« M. le cardinal de Retz, qui témoigne désirer avec beaucoup de passion^
(Tavoir des occasions de servir le roi, eu a maiutenant une belle en soute-
uaut hautement la Sorbonne et les maximes du royaume, et, quoiqu'il y soit
tu quelque façon obUgé par honneur, pour être uu des membres de la pre-
mière, et pour être dans celui-ci et y avoir tant d'avantages, le roi ne lais-
^ra pas de lui en savoir tout le gré qu'il peut désirer. » (14 août 1665. Rome^
no.)
(3) Bourlemont à Lionne, 28 juillet 1665. /)ome, 170.
(4] Retz à Lionne; — Bourlemont au roi, 28 juillet 1665. Romey 170.
20 CHAPITRE DOUZIÈME
défiance inexorable du maître : « J*ai lu au roi, disait-il, ce
que Votre Éminence me mande de la longue audience guette
a donnée, au pape, dans le dernier consistoire. Quiconque cod-
naitra Sa Sainteté parlera comme moi quand il voudra parler
juste, et non seulement je n'ai aucune peine de croire qu'une
audience de Sa Sainteté, je ne dis pas d'une heure, mais de
trois ou de quatre, se puisse passer sans qu'on y traite d'aucune
matière du temps, jiour importante qu'elle soit Nos poli-
tiques de Rome, dont les spéculations vont pour l'ordinaire
bien plus loin que la vérité, ne seront pas de mon avis; et il
serait malaisé de les faire demeurer d'accord que la bulle qui
fait aujourd'hui tous les discours de Rome et de Paris n'ait pas
été la principale matière de cette longue audience; que Votre
Eminence même n'y ait rendu service au roi sans vouloir s'en
glorifier; qu'elle n'ait, par la force de ses raisons, détourné le
pupe d'en parler au sacré collège comme d'une affaire qu'il
avait entreprise et qu'il voulait soutenir, et qu'avant sa retraite
Sa Sainteté n'ait fermé la bouche à Voire Eminence par Tex-
communicalion qu'elle a accoutumé d'imposer à la révélation
de ses secrets (1). Pour moi,... outre la foi que je dois entière
k tout ce qui vient de Votre Eminence, qui n'aurait pas d'ail-
leurs voulu se priver d'un mérite auprès du roi qui lui serait
justement dû, y^ crois très facilement que Sa Sainteté aura parlé
à Votre Eminence de la bulle d Espagne sur la Conception im-
maculée, et à don Pedro d Aragon de celle de France sur les
censures de la Sorbon?ie, parce que Sa Sainteté est bien aise
(i'éviter par sa prudence toute sorte de contestations (2). »
(1) Il y a, sur cette question, une lettre odieuse de Bourlemout au roi
(l;j septembre IGG.'i. Homt^, 171) : « Si M. le cardinal de Retz avait ta ou déguisé
à V. M. [k qui il doit indistpensahleinent la vérité aiusi que tous ses serviteurs
il sujets) la matière du long entretien qu'il eut. au dernier consistoire, avec
h) pape, je le croirais très mauvais théologien et pire serviteur de V. M.,
les menaces d'excommuuicalion ne nous pouvant prescrire un silence crimi-
ne/, ni nous dispenser de Tobligatlon qui^ nous imposent les lois divines et
humaines, Ve/fel de pareiUes e.rcommu?iicatiims ne dépendant point de celm
(jui les lance, mais bien du péché que l'on y suppose, lequel ne s'y rencoa-
trant pas, elles ne préjttdicienl en rien et se convertissent pour ainsi dire en
bénédictions sur celui qui fait sou devoir. »
(2) Rome, 170. — Chautelauze, citant les déptk'hes du 20 août, a supprimé
tout ce début, qu'il trouve sans dout«^ tr<>p humiliant pour son héros, et
CALLICANISME ET JANSÉNlSxME 21
Lionne, qui était en verve, se détournait alors du cardinal
pour s'attaquer au nonce et au pape, et il lançait contre eux
ses traits les plus envenimés : « Si M. le nonce, disait-il, écrit
de delà aux mêmes termes qu*il parle ici à ceux qui le veulent
écouter, et qu'on ajoute foi à ses lettres, il continuera de
donner lieu à beaucoup de faux pas et de mauvaises résolu-
tions. Si on le veut croire, la bulle est ici dans une approbation
générale; le Parlement, la Sorbonne et l'assemblée du clergé
sont dans une grande division de sentiments en eux-mêmes
premièrement, et chacun aussi à Tégard des autres corps par
leur propre intérêt; le roi voudrait être hors de cette affaire et
ne sait pas au vrai ce qui se passe; la reine sa mère lui en a
parlé fortement; il n'y a que les ministres qui la soutiennent
parleurs cabales, à la suggestion de trois pédants qui sont au-
près de leurs enfants; les professeurs de la Sorbonne n*ont
point voulu assister à de pareilles délibérations; on se conten-
tera de ce qui a été fait, et on n'oserait plus rien faire; l'am-
bassadeur d'Espagne et M"* d'Aiguillon, fort dévots au saint-
siège, l'en ont fait assurer; toutes les façons qu'on fait n'ont
d'autre but que d'extorquer des grâces du pape parla crainte,
quoiqu'il soitvrai queledit sieur nonce me les ait toutes olVertes
pourvu qu'on s'arrêtât ici k ce qui a été fait. Après tout, qu'im-
porte au pape que la France soit catholique ou hérétique? qui
y perdra le plus? en est-il moins pape pour avoir perdu TAn-
glelerre? serait-il pas plus grand prince et plus respecté, s'il
n'était que le seigneur de Rome et de l'État ecclésiastique? La
qualité du chef de la chrétienté ne lui est qu'à charge quand
il envoie en France des armées ou en Hongrie des millions et
des millions; il ne saurait retirer de cent ans de ce royaume-ci
ou de l'Allemagne ce qu'il y met, et qui épuise la dalerie et ses
sujets; et, sans ces sortes d'obligations, il serait iuRniment
plus riche, plus puissant et plus recherché. En outre, qu'im-
quiett eu désaccord avec divers traits de sou récit. L'usuge êtraugu qu'il Tait
<le divers passages donue lieu d'ailleurs à de bien plus graves critiques. Couti-
ûuaut à déchirer Roberti, dont la vigilance et le courage le gêueut beaucoup,
Liouue met ilaus la bouche du nouce des discours travestis ou inventés, avec
cette impudence de mensonge dont nous avons déjà cité tant d'exemples
et qui est le trait dominant de ce ministre. Chautelauze prend la fable et le
Irave^tit^i^ement pour des textes authentiques.
32 CHAPITRE DOUZIÈME
porte à Sa Sainteté que des évèques fassent leurs mandements
pour la souscription du formulaire avec la distinction du droit
et du fait, el n'exigent pour celui-ci qu'un silence respectueui?
On peut laisser là les hérétiques et les jansénistes; on est déjà
tout accoutumé avec eux ; il faut aller droit aux Richéristes
qui sont bien pires que les autres, puisqu'ils ne croient pas
l'infaillibilité du souverain pontife, qui se peut démontrer en
un seul argument avec autant de certitude que toutes les dé-
monstrations d'Euclide, et voici l'argument : Dieu qui ne peut
tromper a promis l'infaillibilité à son Église ; elle ne réside
pas au nombre, puisque divers conciles se sont trompés ; donc
elle réside au chef, ou Dieu serait un trompeur. Je n'aurais
jamais fait, si je voulais dire à Votre Éminencc toutes les
belles nouvelles maximes et paradoxes qui sortent une fois le
jour de la bouche dudit sieur nonce et qui le rendent à ud
chacun, je n'oserais pas dire le terme, pour le respect que je
porto à son caractère. Un prélat du petit nombre de ceux qui
sont persuadés de Tinfaillibilité et des plus adhérents à tous
les sentiments de la cour de Rome n'a pu s'empêcher, sur le
sujet de ses maximes touchant le mandement, de dire au roi
qu'au moins dans le choix dos ministres il ne croyait pas que
le pape fiU infaillible. Votre Émincnco pourra (et, si elle la
agréable, sans me citer en rien) mettre à profit pour le service
du roi ce que j'ai l'honneur de lui mander si confidemment de
la conduite de M. le nonce, dont j'ai grand déplaisir, car je
suis son serviteur et ai eu quelque part à vaincre la répugnance
qu'avait le roi d'agréer qu'il eût cet emploi. »
Mais, à la confusion de Lionne, Roberti n'avait rien annoncé
que de vrai : toutes ses prévisions se réalisèrent de point en
point et sur-le-champ. Au moment où les esprits étaient le
plus émus en France, Louis XIV apprit que le pape venait
d'entrer dans une des crises de sa terrible maladie. Bourlemont
demanda que les cardinaux de la faction française se tinssent
prêts pour un conclave (1), et insinua qu'il était opportun de
(i) Les cardinaux Antoine Barberini et Grimaldi étaient alors en France.
Quant aux autres, voici ce que Bourlemont écrivait : « V. M. verra, par les
lettres que MM. les cardinaux de Retz et Ursin écrivent à V. M., le désir
qu'ils ont de lui rendre un bon et fidèle service. M. le cardinal MaidalchÎQi
GALLICANISME ET JANSÉNISME 23
calmer Tagilation qu'on enlretenait de divers côtés contre
Rome : v J'ai cru, disait-il à Lionne, qu'il serait même bon
que le roi sût ce qui se passe avant que messieurs de l'assemblée
du clergé et de la Sorbonne prissent quelque résolution, qui
pût aigrir le collège des cardinaux (1). » Le danger dura plus
'd'un mois : quand il fut passée la cour de France ne se sentait
plus la même ardeur à poursuivre les hostilités contre le saint-
siège; elle avait moins de confiance dans Tissue de cette lutte
théologique. Elle ne refusait plus d'expliquer les censures de
la Sorbonne, mais elle y mettait des conditions, et Lionne écri-
vait à Retz : « Votre Excellence sera avouée ici de ce qu'elle
a avancé de delà de l'intention de la Faculté dans Tarticle de
rinfaillibilité du pape,... pourvu que la cour de Rome veuille
s'expliquer de la sienne touchant les évêques, la Sorbonne et
la doctrine censurée, et ce, par un acte en bonne forme qui ne
puisse être contredit. C'est là le seul moyen de finir tout, sans
quoi il n^est pas possible d'empêcher plus longtemps la pu-
blication de Tarrêt, ni le jugement des moyens d'abus du pro-
cureur général contre la dite bulle, ni de tenir dans le silence
rassemblée du clergé ni la Faculté de théologie de Paris. Votre
Éminence rendra un service à l'Église bien digne d^in cardi-
nal, docleur de cette Faculté, si elle Irouve les moyens d'é-
touffer ce feu de division naissante, laquelle, sans un entremet-
teur de sa force et de sa suffisance, pourrait bien s'étendre
plus loin qu'on ne croit (2)... »
ma fait aussi de grandes expressions de la passion qu'il a de bien servir V. M.,
et M. le cardinal Mancini, la même chose. » (23 août 1665. Rome, 170.) — Con>
trairement k ce que dit Chantelauze, le cardinal de Rcz, dans cette cir-
constance comme dans toutes les autres, se rangea derrière Tabbé de Bour-
lemont, seul ministre du roi à Rome : '< ... Comme Je ne crois pas pouvoir
mirre plus justement les intentions de V. M. qu'en m attachant uniquement
à tout ce que M, de Bourlemont m'en dira, je la supplie très humblement de
croire que je ne m'en départirai en quoi que ce soit. » — « Je n'ai pas cru
devoir laisser partir le courrier sans assurer S. M. de mes très humbles obéis-
MDces et de l'attachement inviolable que j'aurai à suivre dans ce rencontret
comme dans toutes les autres de ma vie, tout ce qui sera de ses intentions
et de SCS volontés. Je m'y conduirai en tout et partout selon ce que M. de
Bourlemont me dira. » (Retz au roi et ù Lionne, 22 août 1665. Rome, 110.)
(1) Au roi et à Lionne. 23 août. Rome, 170.
(2) 25 septembre 1665. Rome, 171.
24 CIIAPITKE DOUZIÈME
Rolz avait pu s'assurer, pondanl la Irevo, que le sacré col-
lège serait inébranlable. Après un entretien avec le cardinal
Corradi, il avait écrit à Lionne (1) : « Pour ce qui est délia
sostanza dehieyotio^ il demeure toujours ferme dans la pensée
que le saint-siège avait été fort ollensé par la censure; que le
Parlement avait excellé son pouvoir: que, si la Faculté do théo-
logie n'eut j)oini eu dessein de choquer Tinfaillibilité du pape,
elle n'eut fait aucune difficulté de s'en expliquer. » Cherchant
à dépasser l'espérance du roi pour conquérir sa faveur, Retz
se rendit, le 21 octobre, à Castel-Gandolfo, où le pape le reçut
avec bonté, et lui donna une audience de trois heures. On ne
sait ce qui fut dit de part et d'autre que par une longue dépêche
du prélat français (2) : pour abréger, nous voulons supposer
qu'il a cette fois respecté la vérité. Il essaya d'abord d'amener
le pape à un désaveu formel de sa bulle, déguisé sous la forme
d'une explication dictée par la Sorbonne, « ou tout au moins
à quelque préalable qui pourrait donner lieu dans la suite à
cette explication. » liln conséquence, il le pria de « rétablir,
très glorieusement pour lui,... la paix et la tranquillité dans
les esprits... parla seule force d(» trois ou quatre paroles,... »
qui exposeraient « le véritable sens de la bulle,... d'effacer,
par quelque marque authentique, la tache d'erreur et d'hérésie
qu'elle avait répandue sur toute la France: » et lui remontra
« qu'il n'y avait que de la gloire et d(» la grandeur à faire le
premier pas. » Cette demande rencontra un refus énergique.
Le cardinal proposa, en second lieu, un « expédi(»nt » qui pou-
vait, suivant lui, « faciliter les moyens d'obliger la France à
s'avancer »,maisqui,enréalité, n'était pas moins injurieux que
le premier pour le saint-siège en le réduisant à traiter d'égal
à égal avec la Sorbonne : la Faculté expliquerait elle-même
ses censures, '< pourvu qu'elle fût assurée » préalablement
que le pape y répondrait par l'explication de sa bulle.
Alexandre YII fut justement révolté de cette prétention :
« Est-il possible, dit-il, que vous voulussiez qu'une Faculté de
théologie capitulât avec h» pape»? » Kncore le cardinal prenait-
(1) 8 sppteiiibro. Home. 171.
(2) Du 23 oclobro \kW.\ : publiée lougtemp» avant le livre de Chautelauze.
uotammeut dans l'édition des M&moires de 1843, t. il, p. 418.
GALUCANISME ET JANSÉNISME 25
il la précaution de rédiger d'avance les termes du désaveu
pontifical, tandis qu'il laissait absolument indécise Texplica-
tion française des censures. Le pape devait « lui commander
d'écrire » en France que le décret du 25 juin n'avait pas eu
pour but « d'établir son infaillibilité comme article de foi, ni
de condamner l'opinion contraire comme hérésie, etc. » Mais
cette rétractation ne serait pas « suffisante... pour détruire les
impressions que la bulle avait faites » ; elle serait « peut-être
capable de jeter dans les esprits des dispositions » moins hos-
tiles : et, si « le nonce parlait » à Paris dans le même sens que
'< les lettres écrites par un cardinal national sur ce qu'il avait
ouï de la propre bouche » de Sa Sainteté, Rome pouvait es-
pérer que les Français « y feraient beaucoup de réflexions ! »
Comme si ce n'élait pas assez clair, Retz, craignant d'être
blâmé par Louis XIV pour avoir excédé ses pouvoirs, repré-
sente humblement au roi que cet expédient « n'engage à rien »
el ouvre simplement « des voies, desquelles le roi se peut ser-
vir ou ne se pas servir, selon qu'il le jugera à propos. » Il
obtient seulement la permission d'écrire à ses amis de la Fa-
culté, mais non pas au nom ni par ordre du pape. « L'on aura
satisfaction, dit encore Alexandre, si l'on ajoute foi à ce que
vous en écrirez; » et il défend expressément do mander « qu'il
eût dit qu*il donnerait ordre à M. le nonce de parler » dans
le même sens. La déception de Retz était complète : le résultat
de tant d'efforts était un conseil bienveillant donné à un tiers
pour ramener aux pieds de leur père des enfants rebelles.
Retz aurait souhaité de changer sa défaite en triomphe; il es-
saya de persuader au roi (contre la teneur même des expres-
sions qu'il mettait dans la bouche du pape)(l), que son
éloquence avait forcé Alexandre d'abandonner la « règle in-
faillible des pontifes romains de ne jamais avouer eux-mêmes
que leur infallibilité fût problématique »; mais il reconnais-
!1) En effet, môme d'après le récit de Ketz, Alexandre évite toute déclara-
tion doctrinale et abstraite, et discate seulement sur le sens concret de sa
bulle. 11 ne dit pas, comme le prétend Retz, à la neuvième page de sa rela-
tion, qu'il ne condamne point, etc., mais qu'il na point entendu, par sa bulle,
élahlir ton infaillibilité, etc., ainsi que Retz le raconte lui-m(>iiie à la septième
pige.
26 CHAPITRE DOUZIÈME
sait aussitôt que cet aveu était invraisemblable ; que le pape
n'y pourrait pas persister, et que les Français ne devaient pas
le prendre pour fondement certain de ses avances. Aussi con-
fessait-il au roi qu*il fallait maintenant descendre à un nouvel
expédient : le roi fera dire au pape qu'ayant appris son inten-
tion d'expliquer sa bulle, il « le supplie de faire connaître m
véritables sentiments d'une manière qui puisse remettre les
esprits, et Tassure que. Sa Sainteté' lui promettant celte décla-
ration, Sa Majesté obligera la Faculté à faire tous les pas né-
cessaires pour lui témoigner sa soumission et lui faire connaître
qu'elle n'a jamais eu la pensée de censurer la doctrine de Tin-
faillibilité. » Si le roi trouvait messéant à sa dignité de requérir
lui-même une explication, il la ferait solliciter par le doyen
de la Sorbonne, tout en permettant l'usage de son nom, a6n
que le pape ne pût se plaindre de négocier avec des théolo-
giens; mais « il paraîtra assez que ce sera le pape qui fera le
premier pas, puisque son ministre dira lui-même que, etc., »
et, si le nonce no parlait pas dans ces termes, on suppléerait
à son silence « en faisant dire au pape, de la part du roi, que
Sa Majesté a su le sens do Sa Sainteté sur la bulle par ce que
le cardinal de Retz en a écrit à ses amis de la Faculté » et
même à Lionne, « ce qui diminuerait encore, dit Relz, quelque
chose do l'avance de la part du roi. » Ainsi, les diverses pro-
positions de Retz avaient ce caractère commun, non seulement
de mettre sur le même pied le saint-siège et une Faculté de
théologie, mais de transformer le pape d'offensé en offenseur,
déjuge suprême en justiciable, et de réserver à la Sorbonne
le droit de ne donner une apparence de satisfaction qu'après
la soumission et les excuses publiques du pontife romain!
Si la relation du 23 octobre 4603 est exacte, on ne s'étonne
pas que Retz ait si complètement échoué. Quelle probité, quelle
habileté y avait-il à se présenter devant Alexandre comme 5^r-
vitore partiale délia sua persona ; à prolosler de ^ixpassion pour
les iiitérfits du saint-sirr/p et pour roux de Sa Saiiiteté; du
mouvement de sa conscience qui l'obligeait k parler sans ordre
du roi; à soutenir que ce différend entre le saint-siège et la
France venait d'îm équivoque; qu'il était plus glorieux pour
le saint-siège de se désavouer et de s'humilier devant les cen-
GALLICANISME ET JANSÉNISME 37
sures de la Sorbonne, etc.? Quand le pape dit : « Quoi! je
m'expliquerai dans le temps que fon me menace!,,, » Retz ré-
pond : « On en est bien éloigné », et cependant il sait tout ce
qu*on a fait en France, tout ce qu'on y prépare contre le saint-
siège; il a en mains et il exécute en ce moment les instruc-
tions du 25 septembre; et il avoue lui-même qu'avant la fin de
raudiencc il a employé l'intimidation pour triompher du pape :
M Je lui dis, raconte-t-il, que la France tenait aujourd'hui To-
pinioade Tinfaillibilité du pape pour une opinion problémati-
que et que Ton peut tenir en conscience; çw'i/y avait à craindre
que^ si les esprits s'aigrissaient^ on ne prit dans les suites d'autres
pensées; que je savais que l'on recliercliait avec soin, à focca-
sion de la dernière bulle j les vieux mémoires de ce qui s'était
fait autrefois dans le royaume par le Parlement et par la Fa-
culté contre les bulles des papes ; que j'appréhendais que Von y
trouvât des exemples fâcheux et qui pouvaient tirer à des consé-
séquences plus grandes même et plus considérables que Ion ne
se les pouvait imaginer en Italie;,., que toits les moments
étaient précieux pour prévenir les résolutions que Vo7i pouvait
prendre et auxquelles il ny aurait plus de remède, » Retz n'est-
il pas réduit à des mensonges d'écolier, lorsque Alexandre lui
parle des divisions de la Sorbonne et le presse de ces ques-
tions : « Qui l'a pris, cet équivoque dont vous parlez? Qui la
demande, cette explication? Est-ce à moi de faire le premier
pas? Comment puis-je faire ce que vous proposez, sans que
je leur donne matière de triompher et de se moquer de moi? »
— Quelle réponse trouve-t-il, je ne dis pas dans son cœur
fermé à tout noble sentiment, mais dans son imagination,
lorsque Alexandre VII, accueillant déjà en espérance le plus
léger signe de repentir, s'écrie avec émotion : a Qu^elles re-
viennent, ces ouailles, et je leur ferai voir que je ne leur veux
pas seulement rendre justice, mais que je les veux encore
combler de grâces? » Rien n'est plus douloureux que cette
scène de Castel-Gandolfo, où la grande et belle Église galli-
cane est représentée par le plus méprisable de ses membres,
€l où Alexandre VII décrit en termes si vrais les ravages déjà
exercés dans notre pays par les ennemis de Rome : « Le cœur
est gâté, dit-il à plusieurs reprises. Il y a des gens en France
28 CHAPITRE DOUZIÈME
qui m veulent au saint-siège^ et la cour en veut à ma personne.
— Tout ce que je pourrais faire ne servirait de rien, dans la
disposition où Ton est. »
On fit, en France, « d*aniples délibérations sur Taudience
que le cardinal de Retz avait eue du pape (1) », et Ton décida
de poursuivre la négociation commencée, afin d'obtenir du
saint-siège un acte qu'on pût interpréter en ce sens qu'il re-
nonçait à condamner jamais les adversaires de son infaillibilité.
Retz avait laissé croire au roi que le pape lui faisait cette con-
cession impossible, tandis qu'Alexandre VII déclarait seule-
m(3nt que la condamnation n'était pas dans sa bulle. Le cardi-
nal avait cependant ajouté qu'il n'était pas vraisemblable que
cette promesse, attribuée par lui au pape, fût jamais constatée
ni réalisée dans un document écrit. Aussi le roi et Lionne, en
prévision d'un échec inévitable, cherchèrent d'avance à rejeter
la rupture sur la prétendue déloyauté des Romains. Voici la
réponse que Lionne fit au cardinal, lo 20 novembre (2) : « Pre-
mièrement, on convient ici du principe qu'il est bon pour les
uns et pour l<»s autres (raccommoder Tadaire. En second lieu,
il semble que cela doive être, puisque l'on est en quelque fa-
çon demeuré d'accord de toute la substance de la chose, et
quMI semble qu'il ne reste qu'à s'expliquer de part et d'autre.
En troisième li(îu, on demeure d'accord que le premier pas
apparent soit fait de ce côté-ci, ou par le roi ou par la Sor-
bonne, ol, pour conclusion, qu'afin que personne ne puisse
fUre trompé^ on doit convenir expressément de ce que 7ious
donnerons et de ce qui nous sera rendu avant qu'il en paraisse
rien au Jour, (iOmme il est question d'une affaire de spiritua-
lité toute pure. Sa Majesté n'auraitjamais eu aucune difficulté
à faire le premier pas, faisant requérir le pape d'expliquer sa
bulle, suivant co que messieurs les cardinaux Albizzi et Palla-
(1) Analyse <\ii Saiut-Frét. Home^ Papiers et documents^ 24.
(2) Home, 172. — Dès le 7 novembre, des iostructions brutales avaient été
envoyée» à Bourlemout : Demandez audience au cardinal Chigi, écrivait
Lionne, et dites-lui que le nonce a tort d'imputer l'affaire de Sorbonne au
refus des grâces sollicitées par le roi. Dites-lui que le roi « ne prétend aucune
grÂce de S. S., ni ne s'en .soucie >» On se passera ici de ses induits. « Les pour-
vus par S. M, des abbayes et d'autres bénéfices jouissent paisiblement de tous
les revenus. » (/{orne, inAme volume.)
GALLICANISME ET JANSÉNISMt:
29
vicino ont fait conaailrc de ses intentions, n était que la cour
de Rome^ gui agit toujours peu sincèrement et prend avantage
de toutj aurait pu attribuer cette avance et cette grande facilité
à un eflet des menaces que M. le nonce ne cesse de faire à qui
veut l'écouler. Elle a donc cru ne devoir pas témoigner qu'elle
se mêle de TafiFaire ou qu'elle désire rien, mais qu'elle laisse
la conduite de la Sorbonne aux docteurs, qui peuvent prendre
d'eux-mêmes, pour la satisfaction et la préservation des droits
de la Faculté, les résolutions qu'ils estimeront à propos... Sa
Majesté a donc pensé que Votre Eminence peut continuer à
négocier sur le fondement infaillible de cette lettre des douze
docteurs, dont la substance sera premièrement toute sorte
d'honnêtetés et de soumissions à Sa Sainteté^ et une déclara-
tion que la Faculté, dans la censure qu'elle a faite du livre de
Guimenius en Tarticle où il parle de l'infaillibilité du pape,
a'avait entendu autre chose que de censurer l'opinion qui con-
damnerait d'hérésie celle qui a toujours été tenue en France
que les papes ne sont pas infaillibles... Votre Eminence pourra
demander à voir ce qu'on nous rendra pour cette lettre... Si le
roi en peut demeurer satisfait après quil aura vu le tout^ Sa
Majesté prendra soin aussitôt de vous adresser la lettre des
douze docteurs pour être présentée à Sa Sainteté, et même,
toutes choses étant concertées et ajustées avec satisfaction ré-
ciproque, Sa Majesté alors ne fera aucune difficulté de faire
requérir le pape, à son nom, par son ministre de donner une ex-
plication à sa bulle. » Les dernières lignes révèlent clairement
que le roi et Lionne ont fait semblant de croire un accommo-
dement possible sur ces bases, et qu'ils se sont seulement
ménagé une retraite : « Votre Eminence jugera bien qu'on a
grande raison de prendre toutes ces précautions non seulement
sur le silence du nonce, après qu'on vous a si positivement
promis qu'il parlerait, mais sur la considération si judicieuse
qu'elle nous a faite dans sa lettre qu'au fait etau pvendvc. quand
Usera question de déclarer que le pape ne condamne point fo-
pinionde ceux qui ne le tiennent point infailUhle, il pourra
tomber alors dans l'esprit de Sa Sainteté, ou par elle-même ou
fKxr la suggestion de ceux qui rapprochent, mille différentes ré-
flexions qui seront capables de la retenir de faire ce pas, »
30 CHAPlTilE DOUZIÈME
Le 22 décembre, le cardinal de Retz se présenta de nouveau
devant le pape, qui Taccueillit « avec beaucoup de douceur et
de bonté », espérant apprendre de lui une « bonne nouvelle»,
c'est-à-dire la soumission si désirable des théologiens galli-
cans. La première parole du cardinal, qui était un mensonge,
lui donna quelque conTiance, et il fut impatient d'en entendre
davantage : « È vero, è vero? », dit-il ; mais il démêla aussitôt,
dans les explications embrouillées de Retz, que la Sorbonnc
était plus éloignée que jamais d'avouer sa faute et que le roi
exigeait, même pour l'avenir, une déclaration d'orthodoxie eo
faveur des doctrines gallicanes. Le cardinal, en effet, n'appor-
tait aucune lettre des douze docteurs ; il prétendit que, le pape
ne l'ayant pas autorisé à leur écrire de sa pari, ils n'avaient
pu s'ouvrir « positivement ni directement » de leurs intentions.
Il laissait espérer une lettre, dont il n'offrait pas mCme le
projet, mais seulement sous cette condition : « Si on trouvait
mot/en de leur persuade?' que Sa Sainteté ne ferait pas difficulté
de leur faire connaître par sa réponse que son intention n'a
pas été de condamner par sa bulle f opinion contraire à celle
de cette infaillibilité {\}... » — « Le pape dit qu'il voyait bien
que la Faculté voulait bien faire le premier pas, jnais qu'elle
ne le ferait pas sans ime capitulation dans laquelle Une voulait
point entrer; qu'elle lui écrivît; qu'il assemblerait la Congré-
gation qu'on appelle de Jaiisénius et qu'il aviserait avec elle,
en un quart d'heure, une réponse qui satisferait les plus dif-
ficiles. Le cardinal de Retz insista, au contraire, pour quele pape
résolût, avant toutes choses, dans cette Congrégation, ce qu'il
voudrait faire en cas quon lui écrivit cette lettre, et, après
quelques petites contestations, le pape se rendit en disant
néanmoins que c'était donner tout l'avantage à la Faculté. Il
promit d'en parler aux cardinaux de cette Congrégation, et
ordonna à ce cardinal de leur en parler aussi ; de leur ordon-
ner de sa part le môme secret qu'où observait dans ce qui re-
garde le Saint-Office, et d'en instruire surtout les cardinaux
Albizzi et Chigi. » Retz se félicita de cette résolution du pape,
supposant que des cardinaux se prêteraient plus volontiers
(1) Home, 172.
GALLICANISME ET JANSÉNISME 31
que le pape à un engagement : M. de Bourlemont et moi, dit-
il H)y nous serions sûrs du succès « si la déclaration sur Tin-
faillibilité, sur laquelle Rome ne s'est jamais voulu, en aucune
occasion, expliquer clairement, ne nous laissait toujours dans
l'esprit les soupçons et les défiances que vous avez vus dans
toutes mes lettres sur ce point... »
Comme il était arrivé après l'audience de Caslel-Gandolfo,
Retz donna encore un espoir chimérique, en aiïectant de croire
que la Congrégation fût de composition plus facile que le sou-
verain pontife. Les cinq prélats dont elle était formée n'étaient
pourtant pas suspects. « Ces cardinaux, dit Retz, sontGinetti,
Borromée, Albizzi, Chigi et Rasponi, et de ces cinq il est cer-
tain qu'il y en a quatre dont on ne peut douter qu'ils ne sou-
haitent avec passion raccommodement (2). )) Le plus influent
était Albizzi, auquel précisément le pape venait de renvoyer
le cardinal français. C'est Albizzi « le plus sûr sur ce point,
dit Retz, tant parce qu'il souhaite l'accommodement pour ses
intérêts particuliers que parce qu'il parle plus hardiment que
personne au pape et qu'il le contredit et l'emporte même assez
souvent contre ses premières résolutions (3). » A peine Retz
lui en eut-il ouvert la bouche qu'Albizzi , entrant dans la pensée
du pape qu'il connaissait si bien, lui proposa sur-le-champ une
rédaction conforme à l'opinion immuable du saint-siège, mais
contraire aux prétentions gallicanes. « Si les députés écrivent
au pape, répondit-il, Sa Sainteté ne doit faire aucune difficulté
deles éciaircir;... l'unique chef qui mérite réflexion et con-
cert est celui de l'infaillibilité^ sur lequel toutefois (ce furent
ces propres mots) il n'y a aucun inconvénient que le pape dise
qu'il ne prétend point condamner les opinions de la Faculté
que ses prédécesseurs ont tolérées {i). Je répondis que ce mot
(1) 22 décembre 4663. Ro7ne, 172.
(2) 22 décembre 1665.
(3) A LioQoe, 5 Jaovicr 1666. — Cité par Chantelauze.
(4)Aiufti les ultramoutams accordaieut eucore aux galiicaDs une tolérance
<IQe ceux-ci commençaient à leur refuser. En attendant la déclaration et l'édit
tyrioniques de 1682, le gallicanisme cherchait à étouffer par tous les moyens
^profession de la doctrine contraire : « Je sais de bon lieu, écrivait Retz à
^ûDe, qae le P. Dominique, Carme déchaussé français et qui a été général
ces années passées, fait état de faire imprimer tct, incontinent après Pâques,
32 CHAPITRE DOUZIÈME
(Vopiniom tolérées ne serait pas reçu en France. » — Alexan-
dre VII pouvait souiïrir la doctrine gallicane, comme on l'avait
fait avant lui, mais il ne pouvait ni ne devait s'engager à ne
la pas condamner. Retz savait mieux que personne à quoi
s'en tenir sur le sens de la promesse attribuée au pape et sur
les sentiments de la Congrégation : les déclarations antérieures
d'Albizzi étaient connues de lui 1) ; nul n^avait proclamé plus
énergiquement que ce cardinal la nécessité où s'était trouvé
iiD livre de^riufaillibilité du pape et de sa supériorité sur le concile. J*ai essayé
de le déioiirutT iudirecteiDeut de cette peuséc par la voie de Tau de ses ami^ ^
qui lui ou a parlé et qui n'a pu rien ^'agnor sur ?on esprit. Je ne sais si S. M.
ne trouverait pmnt à propos de lui eu faire dire un mot de sa part. Cet ouvrage,
f/ui ne sera pas apjmremincnt mcprisable parce que ce frligieux est d'un esprit
fort clair et fort nety ue peut avoir que deux mauvaises suites, dont l'uue est
qu'il (louuera peut-rtre occasion â uu nouveau feu par les propositioDS déli-
cates ({ui se coulent uaturelleineut dans ces sortes de livres, et l'autre qnll
n'y a rieu qui donne plus d'espérance à cette cour d'établir sa doctrine dansie
royaume, d'a/faihlir la contraire, de faire naitre de la division dans /«
esprits, etc., que de voir que des Français se déclarent publiquement en s*
faveur sur des matières contestées dans Honte.,. ». (Retz à Lionne, 23 février 1666.
Home, i7i.j Les gallicans avoueut que le pape laisse discuter, contester sou^
ses yeux sou infaillibilité, mais ils uc soulTreut pas qu ou la défende, même
à Home! L'abbé do Bourlemout dénonce également le P. Dominique, qu'il a
vu pendant sou géuéralat et " qui lui semblait judicieux et sage », et il invite
le roi, si ce religieux est réélu général, â ne le pas recevoir en France! (A
Lioune, môme date.) — Les agents de la France peuvent violer impunément
toutes les règles morales, et même elle les en récompense lorsqu'ils combatteul
le saint-siège; mais ils deviennent s'ispccts le jour où ils se permettent de
dire, même eu secret, que le pape pourrait bien avoir des droits. Le P. Duneau,
accusé auprès de Lionne et du roi d'avoir tenu des discours indiscrets, fut
réduit à répondre : « ... Je n'ai jamais parlé de la bulle hors de céans parmi
les nôtres et n'ai dit autre chose sinon que, selon mou sentiment, la Sorboime
aurait mieux fait de s'abstenir de cette censure, laquelle, offensant le pape
pouvait causer de la division et du schisme Do plus, j'ai dit que rinfaillibilité
du saint-siège in rébus fidei ne préjudiciait en façon quelconque à l'autorité
royale, ce qui est très véritable ; de plus que, cette inraillibilité n'étant pas
uu article de foi, la Sorbonne ne l'avait pas condamnée directement, mais seu-
lement la doctriue de ceux qui appellent hérétique l'opinion contraire, ce qui
apport évidemineut par les termes de la censure. Eu tout cela, dit seulement
in Ira domeslicas parietes^ je ne crois pas avoir donné sujet à personne de
mauvais office, et, si fui failli, je me soumets à la correction que vous m*en
ferez. » (Duneau â Lionne, i) mars IfîOO. Home, 175.)
(1) « .M. le cardinal de Retz m'a dit que le cardinal Âlbizzi lui avait dit qu'il
voulait bien que Von sache qu ayant fait la bulle susdite, il en tirait gloire,
M. le car linal de Retz lui a répondu qu'il croynit qu'il avait fait des chose»
plus glorieuses que cela et dont il pouvait se vanter. » (Bourlemont à Lionne
GALLICANISME ET JANSÉNISME 33
le pape de publier la bulle, et de ne pas « faire croire à la
postérité que la Faculté de théologie de Paris eût condamné,
à la vue de Rome, Fopinion de Tinfaillibililé comme fausse,
etc. (1). » Il était donc impossible de relever la Sorbonne des
effets de la bulle, sans qu'elle désavouât préalablement les
censures condamnées. Aussi, lorsque la Congrégation de Jan-
sénius voulut obéir au pape, sa première démarche fut d'en-
voyer son secrétaire Varese chez le cardinal de Retz pour lui
demander le projet de lettre qui devait être le point de départ
de ses délibérations. Retz ne donna rien par écrit, et Varese
fut réduit à noter rapidement sur ses tablettes les paroles du
cardinal français. Albizzi, rencontrant ensuite le cardinal de
Retz. le pressa de « travailler de son côté à faire un canevas
de la lettre des députés », disant « qu'il travaillerait du sien
à en dresser un de la réponse du pape... Je ne lui témoignai
pas, dit Retz, désapprouver cette proposition, afin de l'engager
à me faire voir la manière dont il prétend la concevoir devant
que de la communiquer aux autres ; mais je ne me hâterai pas,
de ma part, à lui montrer celle dont nous croyons, M. de Bour-
lemont et moi, que la Faculté peut concevoir sa lettre, afin de
nous laisser toujours plus de terrain pour prendre nos avan-
tages sur les expressions et sur les termes. » Ainsi, Ton en-
tendait, en France, que les cardinaux et le pape fussent irré-
vocablement liés, lorsque Retz pourrait encore désavouer ses
paroles, les commissaires de la Sorbonne désavouer Retz, et
la Sorbonne désavouer ses commissaires !
Alexandre VII attendit en conséquence qu'on lui offrît des
satisfactions plus sérieuses, toujours prêt à recevoir les sou-
missions des docteurs, mais résolu, si elles ne venaient pas, à
laisser la Sorbonne sous le coup de sa bulle. Bourlemont, dont
la passion approuvait, mais dont le bon sens condamnait ces
folles exigences, proposa au roi un expédient assez équivoque.
23 aofit 166ii. Home, HO.) -— Eu marge de cett«* l«'tlnî, Lioiiue a écrit de sa main :
• Trèii mauvais discours et qui fait voir ce qu'il serait capable de faire, s'il
•^Uit élevé «i poutificat » — Cf. Lionue à Bourlemont, 18 septembre 1665.
Woïw^, ni.
(1) Retz à Liouue, 14 juillet 1665.
LOOIB XIV ET LB SAI.NT-SIÈGE. — il. 3
.74 CHAPITRE DOUZIÈME
mais qui annonçait du moins le désir de s'entendre (1). Lionne
désapprouva cette concession « par la raison que la condam-
tionquon a faite à Rome de la rensurede la Faculté ne se trou-
vej'ait pas suffisamment révoquée, » et il ordonna d'attendre
désormais les otl'res du pape (2). Uelz se plaignant de n*en-
lendro plus parler de rien au palais, le ministre lui répondit :
«... La longue durée de ce silence que le pape, que M. le car-
dinal Chigi, que M. le cardinal Albizzi ont eu chacun une si
belle occasion de rompre, quand vous leur avez parlé sur
d'autres matières, fait juger aujourd'hui à Sa Majesté... qu'ils
ont été étonnés et comme étourdis quand, avancjant davantage
dans la matière, il se sont vus plus proche d'être obligés d'au-
toriser eux-mêmes, au moins par une déclaration expresse et
publique, la doctrine contraire à celle de l'infaillibilité du
pape, qui s'est alors représentée à leurs yeux comme le prin-
cipal fondement de toute leur puissance;... et quen même
temps qu'ils sont fâchés, d*un côté^ de s'être tant avancés, ils ne
laissent pas de souliaiter de pouvoir trouver une porte hono-
rable pour sortir de l'embarras où ils sont, maisqu*avec Taidc
de leur inapplication naturelle, ils demeurent dans l'irrésolu-
tion et ne savent bonnement quel parti prendre (3) ... » Or,
au même moment (i), le cardinal lui annonçait qu'Alexan-
dre VII aurait écrit àlaSorbonne s'il n'avait pas appris qu'une
ligue formée entre l'Empereur, l'Espagne et l'Angleterre contre
la France allait détourner le roi des affaires religieuses. Bien-
tôt vint une nouvelle dépèche de Lionne avec une autre ex-
plication : Je me dédis, écrivait-il, de la raison à laquelle j'at-
Iribuaîs la rupture : je ne crois plus que ce soit <* l'irrésolution
de votre cour quand elle avait vu de plus près la grandeur des
pas (]u'il lui fallait franchir; » mais, depuis votre lettre du
16 février, je pense que c'est «f la mauvaise volonté de ladite
cour qui, sur de méchants avis qu'elle re(;oit de ce pays-ci et
appuyés dt; la folie du nonce, conçoit de fausses espérances
qui? le roi pourrait avoir des embarras et qu'elle doit demeurer
(1' Ilctz il iJoniie. 'i jauvirr I6(»ti.
(2) 2î»jaiivior l»;«i(j. linme, 171.
fa' '2{\ fi'vrier 106t). iiomc, ITi.
■4» 2:1 février, liomt'^ 114.
GALLICANISME £T JANSÉNISME 35
r mieux pousser ses intérêts à la faveur des conjonc-
iu surplus, le roi aime mieux cela, et vous ordonne
îr, sans plus de délai, toutes les paroles données pour
imodement, » à moins qu'il ne soit survenu un inci-
î-ci et l'arrivée de ce courrier (1).
^positions si contradictoires et si erronées de Lionne
z dissimulaient mal le dépit que leur causait cette
le négociation déloyalement conduite par eux (2). Il
Ls oublier, eu effet, que le pape n'attendait plus rien
vaut sa bulle, il avait (6 avril) exprimé le désir que,
saveu des censures de Sorbonne, on lui épargnât la
de frapper des théologiens indociles; mais, depuis
t jugé et condamné, tout était fini : quelle que fût
des gallicans, sa bulle n'en était pas moins obliga-
r toule TEçiise. Il avait le dernier mot, et les protégés
' de France demeuraient sous le poids de la sentence
?. Un écrivain moderne (3), forcé d'avouer Téchec
LUté dans ce conflit, prétend qu'elle reprit l'avantage
nt-siège en l'intimidant au point de lui faire retenir
is dont il allait frapper le Parlement de Paris. Mais
iioignage sérieux n'a jamais autorisé ces bruits d'ex-
.< Ifitiii. Home, 175.
primait sou embarras avoe iiiip naïveté qui ne justifie pas l'éloge
Chautelauzc «i sou géuie diplomatique : « Nous nous croyons
lemont ot moi] obligés d'ajouter en ro lieu que la conduite de
t si obscure, si irrégulière et si incertaine que nous ne serions
it surpris si, après môme ce que nous vous écrivons aujourd'hui,
ait demain une réponse toute contraire à ce que nous vous man-
lême principe qui nous a eniprchés de vous assurer que les dis-
sent bonnes dans le temps ([u'elies nous ont paru les meilleures,
» ne voudrions pas vous répondre ifu'elles se trouvassent par
aussi mauvaises (jue nous avons sujet de le craindre par ce que
présentement. » (A Lionne, 2 février 1600. Home. 174.)
auze, pages 371 et suiv. « Aiusi fut assoupie par le silence de la
t cette question brûlante, etc. Alexandre Vil jugea qu'il étiiit plus
c un prince du earartère de Louis XIV, de s'abstenir et de se
, rraiute d'ulhimer un vaste incendie... Le cardinal de Relz ne
i p<*u à l'entretenir dans ce.s (lisp<»sitionr; par les frayeurs (|u'll
er. S'il n'obtint pas le résultat ((u'il avait poursuivi avec une si
cesl-à-dire une rétractation de la bulle, il manusuvra si bien...
ue donna ntninie suih' à si*s menncvs fi'r.n-onnnunicaiion contre
36 CHAPITRE DOUZIÈME
commuoication imminente que Ton trouve dans quelques
dép6chos, et ces prétendues menaces n ont jamais été moioi
vraisemblables qu'à Tépoque dont on parle. L'agitation gal-
licane qui, après la publication de la bulle, s'était manifestée
dans une partie du clergé, était alors calmée, et Alexandre VH
n'avait qu'à observer en paix le cours des graves conflits qui
venaient de s'élever entre les évêques français et la puissance
séculière. Ce sont les événements auxquels fait allusion Lioime
dans sa lettre du 42 mars citée plus haut, et dont le nonce
Roberli informait si exactement le souverain pontife.
Lorsque parut la bulle Ctnn ad aures (2o juin 1663), l'as-
semblée quinquennale du clergé était réunie depuis quelques
semaines. Le 13 août, son promoteur l'ayant avertie, « sans
former aucun jugement, » que cette bulle semblait contenir
« beaucoup de choses qui méritaient son attention, » elle
chargea des commissaires de lui en rendre compte. Le pro-
moteur lui-même n'avait relevé qu'un passage sur Tétendue
de l'autorité épiscopalc dans l'examen des livres, et le prési-
dent « s'était exprimé en termes si respectueux pour le saint-
siège et pour notre saint-père le pape que l'assemblée avait
témoigné qu'il avait fort bien exprimé ses véritables senti-
ments. » Pendant les huit mois qu'elle siégea encore, la ques-
tion ne fut jamais reprise. Avant cet incident, un des princi-
paux membres de l'assemblée, l'archevêque d'Arles, lui avait
dénoncé, comme un scandaleux empiétement sur le pouvoir
spirituel, l'arr^'t qui venait d'être rendu, le 29 juillet parla
grand'chambre, à l'occasion de la même bulle, « y ayant des
termes, dans ledit arrêt, par lesquels le Parle?nent veut pren-
dre inip connaissance entière de la doctrine an préjudice de
tantorité et juridiction épiscopaley à qui elle appartient de
droit. » Et il recommandait à ses collègues de traiter « cette
matière importante avec grande prudence et néanmoins grande
fermeté,... l'objet étant d'autant plus considérable qu'il y avail
lieu de craindre un pareil arrêt dans tous les Parlements d«
royaume... » Le président fut prié de réunir les pièces à con
sulter et d'en faire son rapport. Pendant que cette affaire s'ins
truisait, l'assemblée reprit avec plus d^ardeur un projet de re
montrances contre un discours prononcé à la grand'chambre
GALLICANISME ET JANSÉNISME 37
le 12 décembre précédent, par Tavocat général Talon, le même
qui avait préludé par un violent réquisitoire à Tarrét du
29 juillet.
Ces plaintes répétées du clergé avaient une extrême
g^vité et atteignaient la couronne même ; car le principal re-
proche qu'il adressât au magistral était de favoriser les usur-
pations de la royauté sur l'Église. Toutes les fois que l'as-
semblée avait délibéré sur ce sujet, elle avait appelé dans son
sein les autres évéques qui étaient alors à Paris, et tous ces
prélats réunis avaient signé, pour être présentés au roi, des
mémoires conçus dans les termes les plus énergiques. » Une
maxime hérétique et schismatique, disaient-ils, a été avancée
dans votre Parlement. . . Cette maxime, que nous co?idamnons et
dont la publication, qui a scandalisé tout le royaume, nous
oblige d^en demander la réparation à Votre Majesté, est que les
f rinces temporels ont le droit et le pouvoir déjuger et de décider
des dogmes de la foi et de la discipline ecclésiastique ;... [qu'ils
ODtj un sacerdoce royal^ une pléiiitude de puissance légitime,
Wi pouvoir de tout faire, une éminence d'autorité,., non seule-
ment quant à la discipline ou au règlement des mœurs^ mais
encore quant aux dogmes de la foi et à l'extirpation des héré-
«e*\... Votre Majesté est trop éclairée pour ne pas pénétrer
dans les pernicieuses conséquences de cette doctrine, dont
Qne seule petite partie a été, dans le dernier siècle^ l'origine
des schismes et de Thérésie d'Angleterre (l)... » L'arr^^t du
29 juillet 1665 n'était que la mise en pratique des maximes
étabhes dans le plaidoyer du 12 décembre. Et précisément,
dans le temps où l'assemblée revendiquait les droits de TÉ-
glise contre la puissance laïque, un autre tribunal, pure éma-
nation de la couronne, les Grands Jours d'Auvergne, venait de
s'attribuer dans plusieurs arrêts de règlement, les prérogatives
les plus essentielles du clergé. Le 16 novembre 1665, les pré-
lats arré tèrent que des remontrances seraient portées au roi,
et qu'il serait prié de supprimer, avec les arrêts des Grands
Jours du 30 octobre, le plaidoyer du 12 décembre 1664^ dont
(ij Actti et procès-verbaux du clergé, t. iV, p. 196 et 197 des Pièces justiii-
38 CHAPITRE DOrZIÈVE
ils se réservaient île censurer quelques articles <c dans les fo^ !
mes usitées dans les assemblées. » Ils décidèrent aussi qu'il
sérail fait instance *< pour lever les obstacles qui empêchaient
la tenue des conciles provinciaux. » Les députés furent reçus
plusieurs fois par Louis XIV, qui ne leur (it d'abord que des ré-
ponses équivoques. L'assemblée insista, rédigea d'autres re-
montrances, et, le 12 janvier 1666, Tévèque d*Amiens pro-
nonça devant le roi un discours vigoureux(i). La couronne ne
jugea pas prudent d*ou vrir à la fois la lutte contre le saint-siège
et contre le clergé : elle accorda aux évèques une apparencede
satisfaction, qui marqua mieux encore son hostilité profonde
contre TEglise, et qui révéla aux yeux les moins clairvoyants
les périls dont l'avenir était chargé. C'est alors que Lionne
écrivait à Tabbé d«» Bourlemont : •< Vous ne pouviez mieux ré-
pondre que vous avez fait à ceux qui, faute de bien savoir nos
mœurs et nos usages, s'étonnaient de voir l'arrêt de règlement ^
donné par la chambre des Grands Jours, comme s*ils avaient
voulu porter la main à l'encensoir. Ils n'ont fait autre chose,;
comme vous l'avez fort bien dit, qu'employer le bras séculier-
en des choses où l'Eglise a besoin de ce secours. Et s'ils ont ex-
cédé en quelque chef leur pouvoir, comme l'assemblée enafail^
quelques remontrances au roi. Sa Majesté y pourvoira par soa
autorité et tiendra chacun dans les bornes légitimes de sa puis-
sance (2). »
Le Conseil d'Etat défendit d'exécuter les règlements dei:
Grands Jours; mais rassemblée ayant examiné cet arrêt da^
cassation, « ses commissaires étaient tombés d'accord qu'il était
plus préjudiciable à l'Eglise dans la forme qu'il était conçu,..*
Quant au réquisitoire de Talon, le roi répondit, le 14 avril, attf
députés : « J'ai fait appeler mes officiers du parquet sur !•
sujet du plaidoyer dont vous vous étiez plaints à moi; ils otA
fait la déclaration de leurs sentiments, que j'espère qui voil^
contentera... » Mon chancelier va vous en donner lecture. « J<
désire qu'après cette satisfaction vous ne mettiez rien dsinsl
procès-verbal de ce qui a été fait ci-devant contre ledit plai
doycr. » Un des députés répliqua que le clergé n'y consenti
(1) Acles et procès-verbaux du chrfjn\ t. IV, p. 931 et suiv.
(2) 8 janvier 16G6. Home, 174.
GALLICANISME ET JANSÉNISME 39
rait que si le réquisitoire disparaissait lui-même des registres
du Parlement. L'assemblée, ayant ensuite délibéré sur la dé-
claration lue par le chancelier, décida « qu'elle ne pouvait ac-
cepter la satisfaction qu'on prétendait lui être faite par ledit
écrit, qui renfermait tout le venin contenu dans ledit plai-
dof/€t\ » Le 16 avril, le roi répondit à de nouvelles remon-
trances« qu'il avaitcru que la compagnie devaitêlre pleinement
satisfaite de Técrit,... et qu'il lui avait paru que l'explication
qui lui avait été donnée réparait suffisamment l'injure dont le
clergé se plaignait. » Il exprimait encore le désir que la cen-
sure du plaidoyer fût ôtée du procès-verbal. Deux jours plus
tard, et même après la dissolution de l'assemblée, son prési-
dent fit encore au roi d'énergiques représentations auxquelles
celui-ci repartit seulement que ce qu'il venait d'entendre « était
très considérable. » Quelques lignes, où Louis XIV a raconté
lui-m^me ce grave épisode de l'assemblée de 1663-1666, attes-
tent, avec d'autres passages de ses Mémoires^ qu'il professait
(K ur les droits des évêques le même mépris que pour l'autorité
du pontife romain : Les députés du clergé « s'étaut appliqués,
dil-il (1), à l'examen du plaidoyer, peut-être avec un peu plus
d^, sévérité qxiil nent été nécessaire^ ils prononcèrent contre
l'auteur une espèce de censure de laquelle il désirait être dé-
chargé. L'expédient quej'avais d'abord choisi pour accommoder
la chose était de commander à Talon qu'il me vînt faire quel-
que espèce d'excuse dont les députés du clergé se pussent
contenter lorsque je la leur rapporterais; mais, voyant que
l'assemblée voulait encore entrer en discussion des termes de
celte excuse. ,,,je crus que le plus court était de leur laisser écrire
ttqu il leur plairait dans leurs prétendus registres, lesquels né-
toni, à vrai dirCy que des mémoires particuliers^ ne pouvaient
jçmais tirer à aucune conséquence, »
Le réquisitoire de Talon, l'arrêt du 29 juillet 1663 contre la
dernière bulle, les entreprises des Grands Jours n'étaient pas
les seuls griefs de l'assemblée contre les juges séculiers ou
eontre le roi lui-même. Elle s'était opposée avec la même
vigueur que les assemblées précédentes au progrès de la régale,
(1) Édit. de 1806, t. U, p. 119-1^0,
40 CHAPITRE DOlZîftMB
cetU.' nouvelle servitude fjallicane qui devait, quelques années
plus tard, provoquer un si grand éclat : elle vil même poindR
laprélention inouïe qui pnMluisit le schisme de Pamiers elniit
directement aux prises le roi et le pape. Du mois d'octobre ai
mois de décembre IG6Î5, elle eut des conférences sur ce sujet
avec le chancelier Boucherat, et, comme elle trouva « les diË-
r-ultés qu'il faisait maintenant en cette Sitt'sÀre plus grandes quil
n avait, fait au temps des assemblées précédentes^ auxquellesi!
avait accordé la [»rovisiou aux pourvus par les ordinaires, qu'il
refusait à présent, elle résolut {\o prendre une forte résolution
là-desHus. »
Louis XIV ne permit pas que le Parlement envenimât la-
vantage cesiquerelles (;n exécutant son arrêt provisoire da
2U juillet :il défendit à sou procureur général d'exposer à Tia-
dience les cas d*abus qu'il prétendait voir dans la bulle lu
2«^ juin. Les censures pontificales étaient donc inutiles conje
de» adversaires qui se retiraient de la lutte. Le roi ne voaut
même plus qu'on prohibîlt la publication en France d'un lé-
cret rendu à Rome contre 28 propositions de Gnimenius. 3n
Kait quelles clameurs hypocrites s'étaient élevées contre le si-
lence gardé dans la bulle Cutn ad aures sur les maximes de
certains casuist(îs. Le pape, disait-on, inflexible sur ce jui
concerne son autorité, déserte la défense de la morale chré-
tienne. La vérité est que, la Sorbonne ayant uniquement voilu
choquer le pape, Alexandre VU avait réprimé avant tout l'al-
leinte portée à sa su[)rémalie, en se réservant de revenir jur
les autres articles qui mériteraient sa réprobation. (Vestce
qu'il lit bientôt après, et le cardinal de Retz, en annonçantla
flétrissun» des 28 propositions « li»s plus claires et les pkis
grossières, » informait la cour que l'on travaillait à la coq-
damiiation d'autrcîs maximes (1). Les gallicans sont-ils sats-
faits? Non : leur irritation est plus vive que jamais. Louis XIV
écrit à Rourlemont (2) : (r Comme les décrets de Tlnquisitim
(1) A Lionne, 6 octobre IBH.'i. \\omi\ 171. — Cette nouvelle procédure sui\it
iion l'ours, u t)n a enfin conûruié cette semaine, dans la dernière Congrégc-
tion delV huiict', le discret de la condamnation de Guimeuius : vous le trouver»
ci-joint. .. ^Helz à Lionne, 13 avril 1666. Rome, 175.)
(2) 30 octobre. Home, 171.
GALLICANISME ET JANSÉNISME 41
n'ont jamais de lieu dans ce royaume, ce Iribunal-là n'y étant
point reconnu, et comme, d'ailleurs, aucune chose qui vient de
Rome ne peut avoir son effelque quand je Tai autorisé de mes
lettres patentes, il pourra arriver, si le nonce fait encore pa-
raître le décret de ladite Inquisition, dont vous m'avez adressé
uae copie, que le Parlement y apporte le même remède pour
la préservation de mes droits quil appliqua, il y a quelque
temps, // un autre pareil décret, par lequel les inquisiteurs
avaient condamné l'opinion des deux chefs de l'Eglise dans les
personnes de saint Pierre et saint Paul; car, quoique cette
opinion soit rejetée en France comme à Rome, le Parlement
ne laissa pas d'ordonner la stippression dudit décret, par la
raison que je viens de dire. Ainsi, quoique la Sorbonne ait
censuré les propositions que l'Inquisition a depuis peu condam-
nées comme scandaleuses, le Parlement pourra rejeter cette
dernière condamnation et se tiendra à la première. » — Le se-
cret mobile de cette résistance , qui nous a été révélé par
Lionne^ est plus odieux qu'on ne saurait croire. Ce ministre
écrivait à Retz : t< Peut être vaudrait- il mieux que la témérité de
ce compilateur de pernicieuses doctrines [Guimenius] demeurtU
toujours impunie de delà pour nous'laisser lieu de leur faire de
justes reproches d'une condescendance qui ne se peut soutenir. »
— « Pour la condamnation de Guimenius, dit-il encore, j'ai
mandé il y a longtemps à Votre Éminence quels sont là-dessus
les sentiments de Sa Majesté, qui a été plus fâchée que bien
tfu^ quand elle a appris que MM. les cardinaux Albizzi et Pal-
lavicioo avaient enfin abandonné la protection de ce digne au-
teur, et elle aurait mieux aimé qw l'honneur de sa condam-
fiûtioit fût demeuré entier à la Sorhon ne{{), >* — Mais le roi ne
donna pas suite à sa menace.
Maigre le mauvais vouloir des douze députés, la Faculté de
lhé«.»lo2Îe n«- s'était portée à aucun acte extérieur qui mé-
ritât •!« risfueurs nouvelles. Ces commissaires, réunis à huis
clo>. 5t dt^cbainaient à l'envi contre la Congrégation, criti-
quaient le rrvjtu prupriu et se montraient des irrégularités
^snombrtf dans la bulle prétendue! Par un raisonnement
• Lj.iZhC à Retz, !> et 2;^ janvier 1666. Hume, 174.
42 CHAPITRE DOUZIÈME
que le grand nom de Bossuet ne m'empêchera pas de déclarer
absurde, ils étaient même arrivés à conclure qu'en n'observanl
pas les formes exigées par certains théologiens français, le sou-
verain pontife témoignait qu'au fond de son cœur il ne voulait
pas que sa bulle fût obligatoire en France ! « Neque ipsi pon-
tifici menteminease ut (iallos obligaret..,! » Mais, en définitive,
ils avaient jugé prudent de se taire : « Facuhas, a dit Bossuet,
quiescendum rata[[). »
D'un autre côté, comme Louis XIV Tavoue expressément
dans ses Mémoires, il lui importait, au moment où il prenait
part à la guerre déclarée entre l'Angleterre et la Hollande, et
qui pouvait s'étendre à toute l'Europe, de ne pas laisser croire
qu'il fut en lutte avec le pape : « Je chargeai, dit-il, le cardinal
de Retz de chercher les moyens dont on se pouvait sennr
pour accommoder, à Rome, les affaires qui regardaient la
Sorbonne, croyant que, comme il était lui-môme docteur, il
trouverait plus aisément qu'un autre des expédients conve-
nables en cette matière; car, à dire vrai, j'étais bien aise que
cela se terminât au plus lot, étant persuadé que, dans les im-
portantes occupations qui m'étaient préparées de toutes parts,
il était toujours plus avantageux que cette cour me fût plus
favorable que contraire (2). » Il affecta même de se donner
comme le protecteur du saint-siège. Il écrivit le 26 février à
Bourlemont (3) : « Je sais que le roi d'Angleterre a menacé de se
venger du refus d'un chapeau pour le feu sieur d'Aubigny(4).
U7ie flotte anglaise est entrée daiis la Méditerranée et se dirige
vers les mers de Toscane; je ne permettrai pas qu'elle attaque
les côtes de l'État ecclésiastique : dites hautement qu'elle sera
combattue par le duc de Beaufort à la tète de mes vaisseaux.
En quoi, bien que j'aie la guerre avec les Anglais, mon prin-
cipal motif sera celui de ma dévotion envers le saint-siège^ï
l'exemple des rois mes prédécesseurs, » en dépit de la conduite
du pape actuel envers moi. — « Sa Majesté, disait à son tour
(1) Defetisio declarationis, pars II lib. VI, cap. xxvii.
(2) Éd. de 1806, t. II, p. iiS.
(3) Home, 174.
(4) Fils d'Edine Stuart, duc de Richmood et de Lcnox; isT&nd aumônier
de la reine d'Au^lelerre, mort eo 1060.
GALLICANISME ET JANSÉNISME 43
Lionne (1), n'agira jamais à l'égard du saint-siège que par des
motifs de piété, » Or, Louis XIV savait fort bien (2) que les
Anglais n*avaient jamais projeté aucune expédition contre les
(1) A BourlemoDt, 23 avril 1666, RomCy 173.
(2) J*ai tenu à Térifier le fait, et les documeuts conservés bmil Archives de la
Mâtine ne laissent aucun doute sur la mauvaise foi de lu cour de France. La
lettre du roi à Bourlemout est du 26 février 1666 : or, dès le 1<^' janvier précé-
deot, il écrivait au duc de Beanfort, qui rentrait au port de Toulon, après avoir
rempli une mission dans les eaux de Tunis : J'ai reçu avis « que les Anglais
OQl envoyé vingt frégates dans la Méditerranée. » Soyez sur vos gardes/
« // ri y a guère iVapparence que ces vingt frégates aient ordre de demeurer dans
la mer Méditerranée, vu qu'ayant h soutenir une grande guerre dans les mers
de deçà la campagne prochaine, ils prendront plutôt le parti de rassembler
toutes leurs forces que de les séparer, et que ce diHachement ti'a Oté fait que
par la nécessité de ravitailler Tanger... » {Ordres du roi pour la Marine, 1666.)
— Colbert, qui avait écrit le même jour au duc une dépêche conçue en termes
presque identiques, pour rempêcher de passer dans TOcéan et de venir se
joindre aux Hollandais, lui écrivit encore à Toulon, le 25 mars ; Les frégates
anglaises étaient à Tanger le dernier février, u H g a beaucoup d*apparence
qu'elles y seront demeurées après avoir donné avis aux Anglais qui sont dans
la Méditerranée de se retirer promptement pour éviter notre rencontre... Si vous
n'avez aucun avis contraire, le roi estimerait absolument nécessaire que vous
détachassiez trois ou quatre vaisseaux, plus ou moins, ainsi que vous le juge-
rez à propos, pour aller côtoyer l'Italie, passer entre les îles Sardaigne, pour
prendre tous les vaisseaux anglais qui s*y rencontreront et ensuite vous re-
joindre au rendez-vous que vous piMirriez leur donner... » Ces prises sur le
commerce anglais seraient d'autant plus importantes que, <« cette guerre étant
plutôt du peuple d'Angleterre que du roi. ... 11 n'y aurait rien qui pût contri-
buer davantage ou ù la paix ou à donner des embarras furieux au roi d'An-
gleterre, au dedans de son royaume. » Les frégates étant parties dans les pre-
miers jours du mois de janvier, avec un vent favorable, ont dû parvenir en
douze ou quatorze jours dans le détroit ; cependant elles n'ont pas paru sur
les côtes d'Espagne, si ce n'est devant Malaga et Alicanto, ou vers la Corse ou
la Sardaigne, « ni sur les côtes d'Italie, ce qui fait croire que cette flotte n'a
pas passé la hauteur d'Alger, et qu'elle est seulement venue pour favonser la
retraite des vaisseaux anglais... Il n'y a pas un moment de temps à perdre
pour faire le dêtachemcut que S. M. désire, et vous voyez par là combien il
aurait été avantageux de détacher, dans le commencement, deux vaisseaux des
plus légers, parce que non seulement vous auriez appris toutes choses par
leur moyen, mais même qu'ils auraient beaucoup servi à troubler le commerce
anglais sur toute la côte d'Italie 11 se pourrait faire que la flotte anglaise,
commandée par Smith, demeurât à Tanger pour attendre les six ou huit vais-
seaux qui sont partis de Londres le 4 de ce mois pour porter le comte de
Sandwich en Espagne. Quand il prendrait ce parti, il vous laisserait toujours
le maître de la Méditerranée. Ainsi V. A. jugera par toutes ces circonstHuces
qu'il est besoin d'une extrême diligence et d'un nombre de vaisseaux de l'ar-
mée navale pour enlever les vaisseaux marchands anglais qui sont à présent
d|iiB la Méditerranée. » (Dépêches de la Marine, i666.)
44 CHAI^ITRE DOUZIÈME
côtes pontificales. Des fr^ales anglaises, sons le commande-
ment <le ramiral Smilh, quiUèr(?nl en effet la Manche au com-
mencement du mois (le janvier 1()66, se dirigeant vers le dé-
troit de Gibraltar, mais c'était pour ravitailler Tanger et pour
rallier tous les navires marchands répandus dans la Méditer-
ranée, afin de les convoyer jusqu'aux ports d'Angleterre, en
les défendant contre les Français et les llollandais. Aucun
bâtiment de cette Hotte ne dépassa le port d'Alicanle, et, si
quelques-uns des plus rapides longèrent les côtes d'Afrique,
ils n'allèrent pas plus loin qu'Alger. Lorsque l'approche des
frégates anglaises avait été signalée, le duc de Beauforl reve-
nait de Tunis à Toulon : le roi lui envoya Tordre de différer
son passage dans l'Océan, de se tenir sur ses gardes et de
faire radouber ses bAtimenls dans les ports de Provence. Les
frégates de l'amiral Smith étaient reparties pour Plymouth
aussitôt après avoir rempli leur mission, et Beaufort quitta
lui-même Toulon, dès le 29 avril, pour se rendre sur les côtes
du Portugal, on il devait attendre et protéger l'arrivée de
M"*" de Nemours, fiancée au roi Alphonse. Le pape ne se mé-
prit pas sur les faux bruits répandus par la cour de France :
il savait bien qu'il n'avait rien k craindre des Anglais, et son
prétendu protecteur, dont il avait naguère apprécié la dévo-
tion et la piété, lui donna seul des alarmes. L'abbé de Bour-
lemont écrivait : L'avis donné par le roi qu'il protégera
l'État ecclésiastique contre les Anglais répand ici beaucoup
de joie ; cependant « le pape et ses parents sont entrés en
soupçon que les vaisseaux de Sa Majesté ne veuillent, sous ce
prétexte, entrer au port de Cività-Vecchiaou s'arrêter sur les
côtes de l'Etat ecclésiatique. » — Le palais est encore inquiet
de savoir que la flotte française, sous la conduite de M. de
Beaufort, est en vue des côtes pontificales (1).
(i) Ces l<.>ttres «ie Hourluiuout duot du 'M) marà et du IG juiu 1666. Or» dèa
le 10 mai. le roi informait Be/iufort que la tlotte auf^laise de la Méditerrauèe
était rentrée à IMymoulh, c;t ou lit daus uu mémoire du 26 mai : « L*armèe
uavah' du roi ost partie 1«» 29 avril de la rade de Toulou... Le roi a envoyé
ordre a M. de Beaufiut. par le i»ieur de la Clocheterie, parti de la Rochelle sur
uu vaisseau léger le 14 mai, detlemeurer à la hauteur do Lisbonne pour y at-
tendre l'oscadre de Puuant qui doit porter eu Portugal M"» de Nemours. »♦
{Ordres du roi pour la Marine y 1666.) — Les nouvelles de mer transmises à
GALLICANISME ET JA^ISÉNISME 45
L'ambition de Louis XIV devait bientôt troubler TEurope
el rendre encore impossible cette ligue chrétienne contre le
Turc, dont le projet était si cher au souverain pontife. Alexan-
dre VII jugea nécessaire de déclarer solennellement ses inten-
tions et de décliner d'avance la responsabilité des événements
qui se préparaient. Il convoqua un consistoire pour le 11 jan-
Nier 1666 : « Il nous fil, dit le cardinal de Relz, une espèce de
sermon dans lequel il nous fit connaître, en termes latins fort
élégants (1), l'obligation très particulière que nous avons de
porter au ciel toutes nos pensées dans les commencements
d'une année qui donne lieu de craindre une infinité de malheurs
par toute la terre. Il fit ensuite le portrait au naturel de l'élal
oii se trouve TEurope. Il dit que TAUemagne rencontre de
grandes difficultés à faire ratifier à la Porte le traité [de Te-
meswarl qu'elle a conclu /?ro/)e/*^, ce fut son mol; que les forces
ottomanes, formidables el par leur nombre et par leur qualité,
sont sur le point d'entrer dans la Dalmatie; que l'Espagne con-
tinue la guerre qu'ellefaitdepuis si longtemps au Portugal ; que
la Hollande, protégée par les armes de France, est aux mains
avec l'Angleterre; que la Pologne se trouve dans une condi-
tion douteuse et embarrassée par Tincertilude de sasuccession ;
que Tévêque de Munster, sans aucune participation du saint-
siège, a fait une irruption dans le pays des Etals. Le pape s'é-
tendit un peu plus sur ce point que sur les autres, et il dit ex-
pressément et positivement qu'il n'y a rien de plus faux que
Rome par Lionne devaient inspirer d'autant plus de confiance qu'il était en-
core à cette époque et qu'il demeura jusqu'en 1669 le miuistrc titulaire do la
marine. Louis XIV ne pensait pas plus à protéger le saint-siège que Cbnrles II
àl'attaquer. Le 22 janvier 1666, quelques semaines seulement avant la lettre du
26 février, Lionne écrivait à l'ambassadeur : J'ai reçu la rilation du différend
qai sest élevé entre le pape et Venise sur la navigation de l'Adriatique, " qui
abilli embraser l'Italie d'un nouveau feu, si la cour de Rome ne se fût avi-
*^ de se mettre à la raison un peu plus tôt qu'elle ne le voulut faire avec le
roi pour nous donner lieu, à la fin de toutes ses imprudences, de négocier et
<le coQclure an des plus glorieux traités qui ait jamais été fait k l'avantage de
cette couronne... Vous pouvez cependant assurer M. l'ambassadeur de Venise
lue, $i cp différend eût pris coursy S. M. aurait donné à la République toutes
•V* marques d'affection et de partialité qu'elle même etU pu désirer. » (Home,
Hi.)
(i) A Lionne, 12 janvier, Rome' 174. — «< Dans une belle harangue latine, >*
écrit Boarlemont.
46 CHAPITRE DOUZIÈME
le bruit qu'on a fait courre. qu'il a ou quelque rapport à cette
guerre. Tout le monde croit ici que cette explication a élé
l^unique fin de tout le discours, qui finit par des expressions de
Taftliction et de la douleur que Sa Sainteté ressent en voyant
des commencements de trouble et d'altération à la paix géné-
rale qu'elle a toujours souhaitée avec tant d'ardeur et avec tant
de passion. » Le pape ne dissimula pas, dans ses entretiens
avec l'agent français, qu'il voyait avec déplaisir cette alliance
équivoque avec la Hollande, alliance à laquelle devait bientôt
succéder une inimitié mortelle (ij.
Alexandre VII eut, vers ce temps, à combler les vides que
la mort avait faits parmi les cardinaux. Le sacré collège venait
de perdre en quelques jours deux de ses membres les plus
renommés : Corradi, dataire, dont l'intégrité avait élé si sou-
vent maudite par Lionne, mais qui lui arracha cet éloge :
(( Quand un cardinal papable meurt aussi grand homme de
bien que l'était M. le cardinal Corradi, chacun en doit être
affligé, et, en mon particulier, j'ai ressenti vivement cette
perte (2); » — et Franciotti, « d'un grand mérite, disait Bour-
lemont(3), et d'une insigne piété, mais sévère, en façon que
les moins réglés de cette cour appréhendaient qu'il ne vînt au
pontificat. » Il y avait dix lieux vacants, mais six nominations
avaient été précédemment faites m petto. Dans le consistoire
du 13 février 1GG6, le pape réserva encore les noms de quatre
cardinaux et en déclara six. Il n'y en avait pas un qui ne fit
grand honneur à la pourpre : Litta, archevêque de Milan, dé-
fendait vigoureusement les immunités ecclésiastiques contre
(i) Le pupe me dit « qu'il aurait désiré <{ue, dedans le inauifeste qui s*est
fait de la part de V. M. pour la déclaration de cette guerre, l'on n'eût point
fait mention de la ligue avec les Hollandais pour s'engager en cette guerre. »
(Bourlemont au roi, 2 mars 166(;.) — «S. S. m*a dit : Mais, est-il possible qu'on
n'ait pu éviter la guernî d'Angleterre? KUe s'arrêta tout d'un coup après celte
parole et nie regarda Éixonient. »» (Ketz au roi, même jour. R^/me, 174.)
(2) A Hourlcmont, K\\ février. Home, 174.
(3) y février. Home, 17 i. — Uuurlemont écrivait encore de lui le M octobre
1007 : « IVr&onnage de grand mérite et d'une insigne piété : c'était un des
papables de l'ancien collège et les Espagnols lui avaient fait secrètement l'ex-
clusion après la mort d'Innocent X, le croyant trop sévère et trop zélé pour
les droits du saint-siège et le maintien de la juridiction ecclésiastique. ^>iRo7ne,
186.)
GALLICANISME ET JANSÉNISME 47
la couronne d'Espagne. — Nini, Siennois, était maître de
chambre du pape. — Corsini, Florentin, désigné autrefois par
Innocent X pour la nonciature de Paris, réunissait toutes les
qualités qui pouvaient plaire à cette cour; mais Mazarin, pour
satisfaire ses ressentiments contre Rome, l'avait fait arrêter et
séquestrer à Marseille. — Le prélat Paluzzo Paluzzi degrAl-
berloni était, suivant Bourlomont, « d'un esprit doux et intel-
ligent en matière légale. » — Rasponi, de Ravenne, noble,
allié aux Barberini, était Taucien négociateur de San Quirico,
duPont-de-Beauvoisin et de Pise, si injurieusement traité par
Créquy et par Bourlemont; celui-ci avouait maintenant qu'il
élait en réputation « d'homme de probité,... et que, parmi les
sujets de cette promotion, il était le plus judicieux et le plus
capable d'agir aux affaires publiques. » — Conti, Romain de
la première noblesse, gouverneur de Rome, avait porté « dans
tousses emplois une grande netteté et intégrité de mœurs »;
très honnête pour les ministres étrangers (i). — Les princes
présentaient deux laïques : le duc de Mercœur et Moncada,
(les ducs de Montalto : Tindignité de ces sujets avait retardé
le tour des couronnes. Louis XIV prescrivit à Bourlemont de
déclarer sur-le-champ au pape qu'il ne doutait pas que Mer-
cœur ne fût au nombre des cardinaux réservés et de rappeler
que ce duc avait rendu au saint-siège le service de mettre fin
aux troubles d'Avignon, comme s'il n'était pas public à Rome
que les séditieux avaient été dès Torigine encouragés et pro-
tégés par lui, et qu'il était prêt, au premier signe du roi, à
••uvahir de nouveau les terres pontificales (2). Bourlemont de-
vait ensuite se concerter avec les ministres de l'Empereur et
de l'Espagne pour f<>rcer Alexandre VII de se soumettre aux
prétentions « des trois premières puissances de la chrétienté. »
Bourlemont eut le bon sens d'avertir le roi que, le pape ayant
simplement usé de l'une de ses plus essentielles prérogatives,
}i Bauril uiout il Liouue, U\ f.îVTicr. Rorne^ 114. —Tout ce que la lualvcill-ince
^ BourleinoDt peut trouver cootre cette promotion, c'est que Niui est do
Q^<»4Dce méiiiocre, d'un esprit enjoué, adroit et complaisant, et doit sa for-
tiioe iui Cbi^i; que Corsiuiest « d'un esprit sombre et mélancolique, appro-
''lUQt du tempérament du pape, et qu'on croit ({u'il u'oubliera jamais le dé-
pltiiir qu'il eut de u'ôtrc pas admis k la nonciature de France. »
■i. 26 février. Home, 174.
48 t. HA PITRE DOUZIÈME
tout était consommé; cl, pour cctic fois, la cour le remercia
de n'avoir pas cxécnlé un ordre déraisonnable, qui d'ailleurs
n'aurait pas été approuvé par les autres couronnes (1).
Le désir d'irriter le roi contre les Romains ne manquait
pourtant pas à Bourlemont, et cet abbé fut moins bien inspiré
en soulevant un incident qui lui attira un blAme universel.
Dans une farce de carnaval (2), Scaramouche avait paru sur
la scène en soldai fug^ilif de l'expédition manquée de Gigeri,
estropié et couvert de haillons. Bourlemont convoqua les car-
dinaux nationaux et ouvrit l'avis de faire bAtonner lescomé-
diens : les prélats représentèrent que cette exécution pouvait
« faire crier Je monde à la violence, se traitant de gens qui
donnent divertissement public, et que cela aurait donné occa-
sion au pape et aux ministres de Sa Sainteté de se plaindre
que l'on voulût, en sa présence, se faire justice à sa mode,
sans attendre s'il la ferait... » Vainement le cardinal Chigi fil
remarquer que personnne n'avait eu la pensée d'offenser la
nation; que la môme pièciî avait été jouée sans réclamation
des agents fran(;ais, à Manloue, à Venise et dans toute l'Italie.
Bourlemont avoue lui-même que l'usage était de laisser aux
comédiens, à Rome surtout, une grande liberté, et que, le
lendemain du spectacle incriminé, Scaramouche avait parodié
le deuil porté par l'ambassadeur d'h^pairne pour la mort ré-
(1) « Qaoi(]u'il n'y ail ricu Je ai jn^lo ni de si ôquituble que les genUment?
de V. M. sur ce i|uVllo doit attendre du pape pour la prom])te promotion de
M. le duc de Mer-cœur, j'oserai dire bien respectueusement à V. M., Sire, que
le pu]ie n'ayant lait réservf^ ({ui* pour éloijirxir la promotion des cardinaux
nationaux, il y a apparence qu'il ne chaufiera qu'avec peine cette résolution..-
Quoique l'on ait su ici que TKaiporeur avait appris ce qui s'était fait au pré'
judice de sa nomination, il ne parait jn-^qn'à pré.'tent auL'un resseutimout de
sa part, et l'on a su aussi (pie le prélat Lonibardi avait été bien ri'cu a Vienue*
Cette manière d'agir dêcrédite les atVaires de l'Empereur. » (Bourlemont an
roi, t) avril.) — « S. .M. a fort approuve* qu'apr»;à (lue le pape a donné ou des-
tiné par sa réservation in petto tous les chapeaux vacants, vous ayex différé »
passer auprès de S. S. l'instance qu'elle vous ordonnait de faire. » Attende^
de nouveaux ordres. (Lionne à Bourlemont. ifi avril. Home, 1*5.)
(2) Oe/osia non (frlosia .si mcdira, cnn Scanimurrit) soldulu di Gigeri conlrO
Turchi. '« l'n df leurs acteurs avait dit seulement sur leur théâtre : Je suis un
pauvre soldat qui reviens defii^eri. On lui pouvait bien faire donner quclqUK0
bastonnades sans en faire une ati'aire d'État. Le palais a fuit néanmoins soD
devoir sur la plainte qui a été faite, qu'on trouve ridicule ici et de laquelle
tout le monde se moque. »(La Buissière à Lionne, 19 janvier 1666. /tomf, 174.}
GALLICANISME ET JANSÉNISME 49
:ente de Philippe IV, eu paraissant sur la scène avec un habit
emblable à celui de ce ministre, et disant : « Mucho mi dolgo
le havere perduto il mio padrone, » Cédant à ses obsessions,
^higi fil mettre en prison les comédiens (1) ; mais, des clameurs
Tétant élevées de toutes parts, Tabbé s'empressa de solliciter
eur élargissement, et se plaignit à sa cour de Taversion des
[lomains pour sa personne, « qui, par tant de conjonctures
fâcheuses, dit-il lui-même, s'était toujours rendue si désa-
gréable. » Il affecta de croire qu'il avait été trop indulgent et
se soumit « à la répréhension et au châtiment de Sa Majesté. »
Lionne approuva sèchement sa conduite, en ajoutant : « Ce
n'est pas que, quand vous auriez dissimulé cette bagatelle,
Sa Majesté ne Teùt aussi approuvé (2). »
Il ne tînt pas non plus à Bourlemont que l'exécution de
l'article de Pise sur Castro ne donnât lieu à un nouveau dififé-
rend entre les deux cours. Le duc de Parme ne payait pas ses
dettes : le délai courait cependant, et bientôt Tincamération
allait reprendre de plein droit toute sa force. Le duc imagina
de dire que l'argent du premier terme était prêt, mais que, le
transport de si grosses sommes étant périlleux, il attendait que
la cour pontificale lui donnât des sûretés, et Bourlemont,
conformément aux ordres du roi (3), soutint devant le pape
celte injurieuse prétention, quoiqu'il sût que le prince n'avait
nila volonté ni le moyen de payer (4). Alexandre VU répondit
(1)^ En rechignant, dit Bourlemont, et comme si je Tensse obligé à le faire. »
- 1^ Tiolence pourrait avoir des suites fâcheuses : « Il les eût fallu faire tous
l'^OQer, ce qui ne se pouvait guère faire sans émotion. Je sais que, pour
imciter les haines populaires, Ton semait un bruit par Rome que je ferais te-
^prisonniers les comédiens jusqu'à ce que j*eu8se des réponses de France
lor ce sujet, et qu'ainsi le carnaval serait sans comédie. »
(3) Bourlemont et La Buissière à Lionne, 19 janvier 1666. — Lionne à Retz
^ à Bourlemont, 19 février. Rome, 174.
(3) Que )e duc fasse conduire son argent à la frontière; ou à Rome avec es-
^eiuffisante. (Lionne à Bourlemont, 20 août 1665. Home, 170.)
(4) « Je crois. Sire, que quoi que disent les ministres de M. le duc de Parme ,
il Q*i pas encore tout son argent ensemble ni en lettres de change, ni en
comptant : autrement, il n'y avait rien de si net et de si clair que d'assembler
^ le comptant et les lettres de change, et tenir après la bonne voie que vous
«liTss ouverte à M. l'abbé Siri. (6 et 24 octobre 1665 ) ~ <« Il y a grande ap-
FucQce que le duc de Parme, comme vous l'avez jugé pour la qualité des
instances qa'il vous fait, n'ait pas encore ensemble tout l'argent qu'il lui faut,
LOUIS XIV IT LB SAUfT-SIÂOB. — H. 4
50 CHAPITRE DOUZIÈME
quil fallait s*en tenir au traité, où rien de pareil n'était stipulé.
Quelque temps après, Tabbé signala le bruit qui se répandait
de la protestation faite deux ans auparavant contre le traité
de Pise, et se plaignit que les cardinaux récemment promus
eussent juré d'observer la bulle d'incamération de Castro
avec les autres qui sont comprises dans le serment d'usage (Ij.
Ces deux nouvelles causèrent en France un mécontentement
qu'on ne jugea pas utile de faire éclater, et Lionne répondit
simplement : « Il est sans doute que Ton ne devait point pré-
senter à jurer aux nouveaux cardinaux la bulle de Tincamé-
ration de Castro ; mais à une chose faite qui serait soutenue,
si on l'attaquait, par la même mauvaise volonté qui l'acauséei
il semble qu'il vaille mieux la dissimuler et même se payer
par avance de Texcuse qu'ils ne manqueraient pas d'alléguer
que le dit Etat peut retomber dans Tincamération ipso facto^
si M. le duc de Parme ne peut accomplir les conditions du
traité de Pise. » — « Ou ne doute point ici de la vérité de Tavis
qu'on vous a donné de la protestation du pape contre la dé-
sincamération de Castro, sachant avec quelle bonne foi la cour
Home a accoutumé d'agir; mais ces sortes de protestations
ne peuvent jamais rien valoir contre la force d'un traité public;
autrement, il n'y aurait aucune sûreté dans aucun traité qu'on
pût faire (2). » Il s'en faut bien que cette modération fut ins-
pirée par un sonliment d'équité : on verra bientôt qu'à ce mo-
ment même la cour de France préparait les instructions du
nouvel ambassadeur, et qu'elle le chargeait de promettre au
pape l'abandon de Castro, s'il voulait s'allier avec elle contre
la maison d'Autriche!
ui en IcUres de chaago ni en comptant. Cependant vous ne sauriez man(lu6f
de vous conduire toujours sur cette alTaire en la manière qu'il le désirera, et,
s'il eu arrive quelques inconvénients, quoique j'en eusse du déplaisir, il nti
pourra s'en prendre qu'à lui-même, m (Lionne à Bourlemont, 30 octobre 1665.
ïlome^ m.)
(1) " J'ai appris quo, du vivant du cardinal datalrc [Corradi], le pape avait
fait dresser uue protestation contre le premier article du traité de Pise de l*
désiucamératiou de Gistro, ... et que ledit cardinal l'avait fait mettre par
adresse daus l'archive du château Saint-Ange... Ceci, joint ù ce que l'on fit jure^
aux nouveaux cardinaux cette bulle..., me semble assez probable. »
(2) Bourlemont à Lionne, 16 mars 1fi66, et une lettre antérieure.— Lionne^
Bourlemout, 19 mars et 16 avril 1666. Rome, Wô.
GALLICANISME ET JANSÉNISME Si
La dernière affaire que Bourlemont eut à traiter mit de nou-
veau en relief l'impartialité d'Alexandre VII. Philippe IV étant
norl au mois de septembre 1665, son successeur devait de-
nandcr au pape, dans les six mois, Tinvestiture du royaume
le Naples, fief du saint-siège. L'avenir de la monarchie espa-
gnole était Tobjet des délibérations à Vienne comme à Madrid,
Rome comme à Paris. On disait qu'Alexandre Vil, prenant
larti pour la maison d'Autriche contre la France, allait abro-
ger la bulle qui déclarait incompatibles la couronne d'Espagne
\i la dignité impériale : on lui prêtait des discours équivoques
.ur les droits éventuels de la reine Marie-Thérèse et sur les
enonciations exigées d'elle dans son contrat de mariage. La
^érité est que la conduite d'Alexandre VII, épiée de près par
a malveillance de Bourlemont et de Retz, ne révèle que le
lésir de défendre, avec les droits de TÉglise romaine, les in-
.érèts légitimes des couronnes rivales. Les Français disaient
jue l'expiration du délai fixé pour demander l'investiture en-
traînait déchéance et ils souhaitaient que le pape s'en préva-
lût pour mettre, en vertu de sa suzeraineté, un balio ou gou-
verneur à Naples, pendant la minorité de Charles II (1). Le
souverain pontife convoqua plusieurs consistoires à ce sujet,
et invita les cardinaux à préparer leurs avis, ne craignant pas
de donner le temps à la faction française de concerter ses ma-
nœuvres. Les chefs d'ordre, dit Retz (2), pensent qu'il n'y a
même pas de doute sur le renouvellement de l'investiture, la
bulle ne portant point de sanction pénale contre le retard,
et d'ailleurs le roi Charles étant mineur. Le pape n'a pas fait
d'objections. Les cardinaux de la faction et moi, nous nous
demandons si notre présence ne doit pas nuire aux droits de
la reine. Nous craignons que notre absence ne cause un
éclat, et que notre opposition ne commette le nom du roi.
Le pape ayant « mis Taffaire en délibération en la manière
accoutumée, en nous demandant positivement nos avis »,
nous les donnons, en réservant les droits de Sa Majesté.
'' C'est beaucoup, à mon sens, que le pape nous ait laissé
it) Retz à Lionne^ l«' juin 1666. — Bourlemont à Lionne et au roi, 8 juin.
^^t, ne.
(2: A Lionne, 15 juin 1060. lionie, 170.
52 CHAPITRE DOUZIÈME
opiner comme nous avons fait, sans nous interrompre, ayant
autant de prétexte qu'il en avait. Je m'étais préparé, dans celle
vue, à lui répondre avec respect et avec fermeté, et de tourner
plutôt ma réponse sur la liberté du sacré collège que sur le
fond de la question pour ne point trop engager le nom du roi.
Je ne me trouvai point dans cette peine, car Sa Sainteté m
fit que sourire, lorsque je dis fnon avis{i), » — Tout se passa
jusqu'à la fin avec la môme facilité. L'investiture fut accordée
au jeune roi, et le souverain pontife reçut ensuite le tribut de
la haquenée^ conformément aux titres séculaires, reconnus
par tous les princes de TEurope.
Le nouvel ambassadeur allait trouver Alexandre VII sup-
portant encore presque seul tout le poids du gouvernement,
quoique sa santé fût ruinée par une infirmité terrible et parles
soucis du pontificat. Les crises de son mal, devenues plus
fréquentes et plus dangereuses, le forçaient de retrancher
quelques audiences aux minisires étrangers; mais, les Fran-
çais ne Tenlretenaient guère que do prétentions misérables
ou notoirement injustes, et jamais aucun intérêt sérieux n en
souffrit. A la confusion de ses détracteurs, qui ne cessaientda
décrier sa tendresse pour ses parents, ceux-ci n'avaient jamais
eu moins de pouvoir qu'à celte époque. Leur éloignement des
affaires considérables était même un grief de plus pour la cour
(1) Voici cet avis : « Ceaseo couccdi posse renovaUoncm invcsUtarœ, dum-
modo coucedatur salvis juribus qum competunt, iisque quse quocumque tem-
pore competere possunt et poleruDt, Uegi chrisUanissimo. — Nous n'avons pu
osé demander que la bulle fit ces réserves ; nous n'aurions été appuyés de
personne. Nous serons de même obligés de la souscrire sans rien ajoalerA
notre signature, la décision de la majorité faisant loi pour nous. » (A Lionnet
!5 juin 1666. Rome, 176.) — Le cardinal Sforza, après l'avis du cardinal Antoioff
a dit que le consistoire ne devait pas avoir égard à cette réserve <« sans exemple
et sans âubsist.incc. » Les quatre autres cardinaux de \ft faction répétèrent la
réserve. Ni ceux qui opiuèrent ensuite^ ni le pape ne dirent rien, n et Ton doit
croire que S. S. s'est contentée do cette réserve qu'on lui a demandée si joi'
tcment) la règle de droit étant que qui lacet consentire videiw^ au Heu que le
refus demande une négative expresse. >« (Au roi, même jour. RomCf 176.) — '
Les lettres de Bourlemont sur cette question sont bien plus nettes et pin*
Tortemeut rnisonnées que celles de Ketz. Ce cardinal reconnaît d*ailleari o'a'
voir rien fait ni rien dit que sur l'ordre et avec la permission de l'abbé, ([ixi
avait seul des pouvoirs du roi. (V. notamment la lettre du 15 juin.) Le cbapHr0
entier de Cbaatelauze sur le rôle de Retz dans cette affaire et sur le foa^t
même du débat, est un pur verbiage.
GALLICA?41SMB ET JANSÉNISME 53
de France, qui, depuis la légation du cardinal neveu, avait
Formé le dessein de les suborner : « Votre Majesté, disait Cré-
juy, devant faire son compte que les affaires et les vues qu'elle
3eut avoir en cette cour n'auront jamais aucun bon succès,
]uand le pape agira par lui-même, il reste à voir ce qu'elle
3eul vraisemblablement s'en promettre par le moyen du lé-
^ai (1)... » Bourlemont caressait la même pensée et ajoutait :
ii le cardinal Chigi et don Mario le voulaient, « ils débusque-
raient le cardinal dataire [CorradiJ, <?/, après y tout leur serait
^acile (2). » Trois mois après le retour du légal, il disait avec
lépil à Lionne : « Le cardinal Chigi ne se mêle pas plus des
iff aires qx£ il faisait auparavant ^ et les plus clairvoyants n'es-
>èrenl aucun changement au gouvernement présent (3). »
j*autorité du frère et des neveux était donc à peu près nulle,
m ne se révélait que par d'excellents conseils, dont les Fran-
ais incriminaient Tintenlion. Bourlemont écrivait : « Le
>ape a dit à des officiers du peuple romain qu'il cherchait les
noyens de le soulager des gabelles (4) que les bruits du 20 août
'avaient obligé d'imposer. L'on croit que les parents du pape,
>ongeant à s'établir pour toujours ici, inspirent ces bons senti-
nents à Sa Sainteté (5). » — Le nouveau cardinal Paluzzi vient
l'être nommé à l'évêché de Montefiascone, dont le revenu
net est de huit mille écus, sur la demande, dit-on, des parents,
pour que ce cardinal, qui est pauvre, no soit pas tenlé par les
libéralités des couronnes (6). — « Les parents du pape vont
recherchant les cardinaux pauvres et nécessiteux pour les
pourvoir; ils ont fait offrir au cardinal Franzone et au cardi-
nal Piccolomini deux bons évêchés (7). » Enfin, suivant le té-
moignage de Retz lui-même, « la hauteur que Sa Sainteté con-
servait à réqard de ses parents les tenait dans la sou7nission et
flans la crainte (8). »
(1) s août i664. Rome, i60.
(2) Boarlemoot à Lionne, 5 août. Rome, 160.
(3) 2 décembre. Rome, 162.
(^) C'est en effet ce qui arriva, comme oo le verra plus loio.
(5) A Lionne, 2 mars 1666. Rome, 174.
(6) A Lionne, 6 mars. Rome, 175.
i'')Au roi, 30 mars 1666. Rome, 175.
W A Lionne, 27 avril. Rome, 175.
CHAPITRE TREIZIÈME
ARRIVÉE DC DUC DE CHAULNES A ROME. — DÉBUT DE SON AMBASSADE.
JUIN A DÉCEMBRE 1666.
\.o «lue de ChaulnHs «It'ijipn- pour r»mbii<5aii<^ d«* Rome. Se* in^trticlious : I^ais XIV y pi*>
clamf qu'il n'y a que dcut moyens do traiter avec In «ainl -siège : lo premier, qu'il pr^rf, U
violence ; Iomc de Rome, li-s exemple'* d»* (jh:irles-0>ii"t et de Philiprie II cités avec compUi-
«niiro; — le second. Il corp'i|itioii : principi'ités dans !e-i Deui-Siciles, etc., offertes à la famille
(Ihigi, si elle veut se vendre à l\ Fran'-e. M.ii 160^;. — lustalUtiou de M de Chaaines ai pi-
lais Faruèse. Areux du roi sur les fr^uchi^e-î •»t quartiers : men ic«»s contre la cour pontificale.
— Fiirtrée publique de ramlcissadeur. 10 juillet. Bon accueil qu'il reçoit : se^ intentions ho>-
tilen. Ordre et contre-ordn- du roi sur la promolitm de M. de Mercœur. Manœuvres pour
obtenir le rappel du nonce R<»berti. — Ppeniière audience de l'ambassadeur retanlée par la
mal.idie du pape; colère et réclamations violoutes d«> M. de Chaulnes: avenx do Bourlernoot
Audience du 6 août : courtoioie et bienveillance du pape. — Fourberie projetée par le roi et
Lionne pour obtenir les induits de< provinces conquises : Ch.iulnes refuse de s'y associer.
Menaces contre le cardinal Chi^i : sa fermeté et son impartialitt^ — Maladies fréqoeotn dn
pape : aveux des Français. — Deuxième auiiionce, S octobre. Le pape, n'obtenant pas mèmt
justice, dift'ôre les gn}cef et ne refuse qm- ce qui e»*! contraire au bien de l'Église. Chtuliw
demande uu roi des ordres plus rigoureux contre le pape. Dépèches odieuses de rambassadeor
et do Lionne. — Troisième audience, 3 décembre. Jansénisme : affaire des quatre évèqucf
entamée par le roi sans le concours du pj«i»e <'t contrairement aux règles de IHEglisie. Em-
barras que le roi s'est créi^s en France : il s'adresse au saint-siège. Il prétend régler seol U
forme et le fond dos décrets pontificsiux. Irrilatiou que lui donne la modération d'Alexandrr Vil.
{Maintes, insultes, menaces du roi, de Lionne, do Cbaulnes contre le pape et la Congrégation du
janséniiiue. Lo roi do France soûl sait ce qui convient à son royaume, même en matière def«.
Scènes scandaleuses faites par Chaulnes au prélat Marescotti, — et par Lionne au nonoe Ro-
berti. Chaulnes et le cardin.al Albizzi. Prévoyance d'Alexandre Vil : le développement publie
et secret ilu jansénisme favorisé par les prétentions gallicanes. — Louis XIV demande lo cardi-
nalat pour Bonsy, é\éque de Béziers, sur la nomination du roi de Pologne : objectioDS da pap^'
Co n'est point par déférence pour le saint-siège que le roi
donna un successeur au duc do Créquy. L'ambassade était va-
cante depuis six mois lorsque, la santé du pape inspirant des
craintes, Bourlemonl reçut Tavis (i) que le choix était tombé
sur un « allié fort proche » do Lionne, le duc de Chaulnes;
mais, quand le danger eut disparu et qu'on ne parla plus de
conclave, Louis XIV sembla oublier son projet jusqu*à Tépo-
quooù laguorro, commencée entre l'Angleterre et la Hollande,
(!) 9 octobre 1665. Rome, 171.
DÉBUT DE L AMBASSADE DE CHÂULNES 55
menaça de devenir générale. Ses véritables sentiments avaient
élé pénétrés par le nonce Roberti, qui n'en fat que plus odieux
a la cour de France. Lionne écrivait à Bourlemont(l) : « Quand
M. le nonce verra M. l'ambassadeur se mettre en chemin aus-
sitôt après ce traité fini (2), il va se faire passer pour un grand
homme qui a des vues et des notions que les autres n'ont
pas; car je ne sais par quelle folle imagination il a toujours
dit que le départ dudit sieur ambassadeur ou le retardement de
ion voyage dépendait du succès de ce traité y et que s'il réussis-
iait, on renverrait iîicontijient pour braver et menacer le
nape (3), et, si la négociation se rompait, on se tiendrait coi
ici sans rien dire. Bons dieux! quelle impertinence de raison-
nement! Comme si la France n'était pas le plus puissant
royaume de la chrétienté, soit que Tévêque do Munster soit en
paix ou en guerre avec les Hollandais! La véritable raison
pour laquelle M. l'ambassadeur a été retenu ici depuis quelque
temps, c'est que le roi ne pouvait lui donner ses galères pour
la raison que j'ai déjà touchée, et, aussitôt qu'on a pu en
avoir d'ailleurs, on le fait partir. » — Nous n'en sommes pas
réduits aux conjectures : les ordres donnés au duc et sa con-
duite conforme ne laissent aucun doute sur les intentions du
roi. La neutralité bienveillante dont Alexandre VII ne s'était
jamais écarté ne suffisait pas ; il fut mis en demeure de choisir
entre ces deux partis ; s'enchaînera la politique française, ou
s'attendre à toutes les extrémités. Une obéissance aveugle de-
vait d'ailleurs être récompensée, et Louis XIV, loin de con-
damner le népotisme, se promettait d'en rétablir, au profit de
sa couronne, tous les abus abandonnés.
Lionne, rédacteur des longues instructions emportées par le
duc do Chaulncs (4), y avait tracé, « d'après les plus habiles
(1) 30 aTiii 1666. Rome, 175.
(2) H g'agiseait des Dégociations ouvertes, à Clèves, entre les Hollandais et
léveque de MOnster.
(3) Le traité de Clèves fut en effet signé le 16 avril 1666 et, le 6 mai, Lionne
ioforinait Bourlemont que Cbaulnes partirait de Paris le 15 mai. Les instruc-
tions du nouvel ambassadeur sont datées du 10 mai. (G. Hanotaux, Recueil
dti Instrur lions aux ambassadeurs de France, vol. VL Rome, t. I, p. 158 225.)
(4) Elles se composent de trois mémoires distincts : 1** Désignation de lam-
bassadeur; traitements qu'il devra exiger ou accorder, & Rome et ailleurs:
56 CHAPITRE TREIZIÈME
gens, >/dit-iilui-m^mc, une peinture liupapo^doQt les traits sont
empruntés au pseudo-Corraro. à Leti et à d'autres pamphlé-
taires, et rendait un hommage involontaire à son impartialité:
« On ne peut pas conclure, dit-il,... qu'il soit aiTectionné à
TKspagne, si ce n*est en tant qui) ne voudrait pas la voir dé-
primée ou succomber sous la puissance du roi; et, s'il lui sou-
haite des avantages, ce n'est que par le motif de Taversioa
qu*il a pour cette couronne; car, du reste, sa propre inclina-
tion lui fait plutôt désirer rabaissement et la diminution de
tous les potentats. Aussi ne vit-il pas mieux avec les Espagmh
quavec Sa Majesté... » — « Le roi, dit ensuite Lionne, est
très disposé à rétablir avec le pape une sincère bonne cor-
respondance et liaison aussi étroite que Sa Sainteté voudra.
On dira bien plus en confidence au sieur duc que Sa Ma-
jesté souhaiterait fort la chose et estimerait beaucoup le service
que le sieur duc lui rendrait, s'il en pouvait venir à bout; »
mais le roi est persuadé que « Tesprit de Sa Sainteté est
demeuré si ulcéré Je ce qu'il croit avoir beaucoup perdu de
sa réputation au traité de Pise, qu'on ne peut rien traiter
avec elle utilement qu'en faisant cette espèce de contrats que
les jurisconsultes appellent iiinominati : Do ut des ; facio ut
facias; » Voici donc dans quelle alternative la France place le
saint-siège :
1° Ou bien le pape ne reconnaîtra pas « que la cour de Rome
a iyicomparablement plus de besoin de t amitié et de la bonne
correspondance du roi que Sa Majesté nen a de la sienne »,
et alors le roi, « faisant réflexion aux exemples dupasse », se
rappellera « que les mêmes princes qui ont traité plus durement
ladite cour ont toujours été ceux qui y ont eu le plus de crédit
et de partisans, et que la rneilleure voie pour obtenir toutes
choses d'elle n'est pas celle de l'honnêteté, des grâces et des obli-
(jutions, mais celle de la hauteur, de la dureté et delà crainte. »
Si le pape ne recherche pas les bonnes grâces des Fran-
uotioort 8ur les plus f,nravci^ îDcideiits de Tambassade Créquy; aveux sar les
franchises et quartiers, otc. 2° Mémoire secret sur les véritables intentioasda
roi; voies à suivre pour intimider ou séduire le pape et sa famille, engager
Alexandre VII dans la guerre que le roi projette contre rEspagoeyeic. 3«1ob-
tructioos M dann Voccitsion (Cun conclave. » (Ibid.)
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNËS 57
lis, s'il résiste à leurs exigences et qu'il leur plaise eu-
)re de transformer un cas fortuit en violation du droit des
3ns, il doit s'attendre à tout : ils n iront peut-être pas jusqu'à
.rangler ou décapiter les neveux du pape, et mettre Rome à
ic, comme ont fait Charles-Quint et Philippe II, mais ce
'est pas la justice qui les arrêtera, c'est la, piété timorée de
.ouisXIV(i)!
2* D'un autre cùté, si Alexandre VII accordait « de certaines
randes choses, . . . dont cette couronne retirât quelque avantage
ort extraordinaire, » le roi ne verrait que d'un œil indifférent
ielte prétendue spoliation d'un « prince son ami » qui scanda-
lise le monde entier, et à laquelle pourtant personne en France
ne songerait si le pape avait partagé Castro avec Mazarin! Mais
il faudrait « quelque chose de grand et de bien extraordinaire ;
et il n'en est tombé qu'une dans la pensée de Sa Majesté, ca-
pable de produire dans son esprit Teffet que l'on prétend. »
Le pape • par un effet de la providence divine » (2), n'étant pas
intervenu au traité des Pyrénées, n'a pas autorisé la renoncia-
tion de rinfanted'Espagneàlasuccessionduroyaume deNaples
dont il est suzerain. <c Si Sa Sainteté, ne faisant en cela que jus-
lice, mais que le roi recevra pour une grâce signalée, veut bien
dèsàprésent, et en cas s'entend de la mort du Roi catholique,
faire investir le roi et la reine des royaumes des DeuxSiciles
tomme appartenant de droit à la reine ^ et s'engager à soutenir
l'effet de ladite investiture par le concours des armes du saint-
^ègeà celles de Sa Majesté, dans le cas susdit de décès du Roi
catholique, Sa Majesté, en compensation d'un si grand bien-
fait par lequel elle aurait témoigné son affection à cette cou-
ronne, prendra sur soi de disposer M. le duc de Parme à laisser
rfe nouveau tncamérer son duché de Castro (3),., » Si le pape
craint d'exposer ses parents à la vengeance de la maison d'Au-
di Le saDg avait déjà coulé en Avignon, et nul ne peut dire ce qui serait
^▼é si Alexandre VII, au lieu d'accepter les articles de Pise, avait laissé
l'vmée française pénétrer jusqu'à Rome. Les dépêches de Louis XIV et de
tionne, dont nous n'avons pu citer qu'une faible partie, ne sont-elles pas
pltioes de menaces atroces contre les personnes mêmes de la famille Chigi?
(2) Providence divine^ dirigée par Mazarin ; car c'est lui seul qui fit rejeter
it médiation du pape.
13) hfcueil des Instructions^ p. 207-209.
58 CHAPITRE TREIZIÈME
triche, le roi s'engage à les protéger, et, de plus, « ils trouve-
raient des avantages de la dernière considération, non moins
pour leur élévation que pour leur propre sûreté; car Ui
royaumes des Deux-SicUes sont grands, et Sa Majesté ne feraii
aucune difficulté de leur y donner un Etat souverain quikrt-
C07inaîtraient délie en arrière- fief. »
Mais comment proposer de pareils marchés? Lionne s*amus€
d'abord aux procédés d'une diplomatie puérile. Ilconseilleau
duc de Chaulnes. « pour s'insinuer bien avant dans les bonnes
grâces » de Sa Sainteté, de la flatter, delà Xom^x et admirer it
tout ce quelle dit et de tout ce quelle fait; « de lui témoigner
en naïveté qu'il la tient encore plus élevée par son esprit sur
celui des autres hommes qu'elle n'est au-dessus d'eux par sa
dignité... » Mais le rédacteur des instructions est embarrassé:
il a vu de près le cardinal Flavio Chigi; on se rappelle Téloge
qu'il en a fait : c'est une conscience difficile à surprendre, et
dont le siège pourra tourner à la honte du tentateur, Lionne
offre donc à l'ambassadeur le secours de son habileté per-
sonnelle, il lui trace la marche h suivre et lui dicte les discours
par lesquels le duc pourrait amener le cardinal Chigi à pro-
poser le marché qu'on voudrait lui faire conclure.
Mais il n'y avait personne autour d'Alexandre VII, qui put
seulement prêter l'oreille à de pareilles offres, et l'ambassadeur
fut réduit à exécuter la première partie de ses instructions, c'est-
à-dire comme le nonce Roberti l'avait prévu, h insultery braver,
menacer le souverain pontife.
Avant de s'embarquer à Marseille, le duc de Chaulnes passa
par Avignon, où le vice-légat Lomellino lui rendit de grands
honneurs. Il en témoigna sa reconnaissance sur le lieu même
en nouant des rapports, en vue de séditions nouvelles, avec
des sujets du pape « qui n'avaient d'autre intérêt que le service
du roi, » et qui lui promirent de « faire leurs devoirs dans les
occasions. » 11 permit à ces traîtres de lui faire cortège jusqu'il-
la mer, et il sollicita pour eux des marques de la protection
royale : « Il est certain, écrivit-il à Lionne, que la considéra-
tion d'Avignon retient beaucoup la cour de Rome par la crainte
des représailles, et que Sa Majesté peut avoir besoin de lano-
blesse et des peuples. » Ces menées étaient d'autant plus dan-
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 59
gereuses que le vice-légat, arrivé depuis un an, n'était pas
reconnu parle roi. Cliaul nés pria Lionne, mais dans son in-
tér<!^t personnel, de consentir à ^enregistrement des facultés
de Lomellino, cela « pouvant beaucoup contribuer à faciliter
le commerce des affaires de Rome. » Lionne ne céda qu'après
de nouvelles contestations (1), et pour ne pas mécontenter le
duc, qui n'avait accepté lambassade que sur ses instances (2).
Après une traversée (3) troublée par des vents contraires et
par la rencontre de galères turques, qui effrayèrent la du-
chesse et les dames de sa suite (i), il débarqua au port de Ci-
vità-Vecchia, où, par les ordres d'Alexandre VII, il fut reçu
M avec beaucoup de magnificence et de désintéressement (5). »
Le duc et la duchesse de Chaulnes déployèrent aussitôt un
luxe extraordinaire d'habits, d'équipages, de table et d'ameu-
blement. Us déclaraient qu'ils ne laisseraient pas à Rome la
même réputation que le duc de Créquy, si décrié pour son ava-
rice et qui allait au palais « en casaque ». M"* de Chaulnes
aimait à répéter : Ne restara morlificato il noUro predecessore.
Le sacré collège et la noblesse romaine, suivant l'exemple
du pape et de sa famille, témoignèrent une vive sympathie au
représentant de Louis XIV. M. de Chaulnes, écrivait un Fran-
(l) CbaulDe» à Lionne, d'Orgon, 8 juin ; de Marseille, 16 juin. — Lionne au
▼ice-légat, i 9 juin; à Chaulnes, 26juin et 3 juillet. — I^e nonce Roberti à Lionne,
21 juillet; Lionne au nonce, 23 juillet 1666. BomCy 176 et 177.
(2; « Vous m'écrivez un mot qui m'a ravi quaud vous dites que vous êtes
satisfait de Rome. C'est la plus grande joie que je pouvais recevoir; car jo
craignais que le souvenir de Foutainebleau, de la compagnie de chevau-lé-
gen, de la personne du roi, ne me fît donner quelques légères secrètes ma-
iMictions. » (Lionne à Chaulnes, 24 juillet 1«66. Rome, 177).
(3) i« Je vous écris ce mot, après avoir dit : Haut le bras, canonnier! à la par-
luice, poufl » La correspondance de Chaulnes abonde en traits de vanité
▼ul^lfaire, qu'on croirait empruntés au Bourgeois gentilhomme. J'y ai vainement
cherché la trace de cette finesse dont Saint-Simon lui fait honneur.
(4) « J'ai assuré, dit Chaulnes, W^^ de Murinais d'une bonne place au
•érail. u C'est la Murinetle beauté des lettres de M™« de Sévigné, Mario-Anne
<lDPui de Murinais, qui épousa le marquis de Kerman. (19 juin 1666. Rome,
176.) Lionne répondit r « San3 Tintérôt de M">« de Chaulnes et celui du service
<iu roi en votre personne, j'aurais été bien aise que M^i* de .Murinais eût
^té ': induite au sérail, afin d'avoir l'honneur de contracter parenté avec Sa
Haut.-^se et de pouvoir espérer un jour de voir assis un de mes cousins sur
le r«d >iitable trdne des Ottomans. » (A Chaulnes, 17 juillet 1666. Home, 176.)
(5) Ail roi, 29 juin 1666. Rome, 176.
60 CHAPITRE TREIZIÈME
çais, a toul de suite conquis la faveur publique ; « ils ont tous
remarqué sa disinvolttira. Vous connaissez la force de ce mol:
il comprend trois ou quatre qualités qui, comme vous savez
mieux que moi, ne sont pas les moins nécessaires pour la pra-
tique de cette cour (1). >• Cependant, s'il n'avait pas la bruta-
lité militaire de son prédécesseur, il apportait à Rome le
même dédain pour la cour pontificale, et nous le verrons pous-
ser la haine contre Alexandre VII jusqu'à des raffinements de
cruauté dont Créquy n'aurait peut-être pas été capable. Ni
Tun ni l'autre duc n'avait la moindre aptitude pour les mis-
sions diplomatiques, et Ton ne saurait dire lequel ignorait
davantage les intérêts et les droits respectifs de Rome et de la
France. Les habitudes fastueuses de Ghaulnesle sauvèrent du
ridicule auquel la lésine de Créquy l'avait exposé; mais elles
cachaient mal une cupidité qui n'était ni moins âpre ni plus
scrupuleuse que celle de son devancier. Il ne convenait pas en
ce moment au roi que son nouvel ambassadeur montrât dans
l'usage des franchises et des quartiers une rigueur trop agres-
sive, et le duc de Chaulnes, dans les premiers temps surtout,
eut quelque soin d'éviter les incidents qui auraient pu faire
naître des rixes publiques entre ses nationaux et la police
pontificale; mais il maintint toutes les prétentions antérieures.
Il savait que, tout récemment encore, le roi était intervenu
entre les officiers du pape et son protégé le duc Cesarîni, en
proférant des menaces de représailles qui rappelaient l'affaire
des Corses. Seul parmi les Français de Rome, Tabbé de Bour-
lemont avait assez de probité pour condamner les excès du
palais Farnèse, et il avait demandé que sa cour défendit du
moins an maître de chambre la Buissière de réclamer Thon-
neur et le profit des immunités pondant la vacance de l'ambas-
sade : Ces exigences, disait-il, ne sont pas soutenables, et
peuvent amener de nouveaux conflits. Mais la Buissière,
enhardi par la faveur de Lionne, se plaignit lui-même que
Bourlemontne revendiquât pas pour un palais vide les mêmes
privilèges que pour la personne d'un ambassadeur : Cet abbé,
disait-il, « a ici ses fins et ses prétentions. Il fait la cane et la
(1) L'abbé de Machaut ù LiouDe, 29 juin, 6 et 13 juillet 1666. Rome, 176 et
177, et toute la correspondance do ce temps.
DÉBUT DE l'ambassade: DE CHAULNBS 61
loule mouillée en toute sorte de rencontres... Sans médisance,
I est un très faible ministre, ayant été fort blâmé ici de n'avoir
as voulu faire un pas, ni dire seulement une parole pour
affaire de M. le duc Cesarini, ni pour d'autres très importan-
îs... (i),»Le roi lui-même informa Bourlemont qu'il ne recu-
irait devant aucune violence pour soustraire ses partisans à
action des tribunaux romains : « Si on poussait injuste-
ient(2), disait-il, l'affaire de Testafier du duc Cesarini jns-
u'à lui faire des affronts à lui-même ou à le vouloir inquiéter
ans ses biens, vous pourrez dire à qui il appartiendra que je
otis ai donné ordre de déclarer que le vice-légat d'Avigiion
xen répondra. C^est un chemin aisé et qui fera que tous les
Hbunaux de Rome en respecteront davantage mes servie
•ï/r5(3). » — D'un autre côté, les instructions données au suc-
esseurde Créquy sur les quartiers et franchises justifiaient,
lour tout esprit de bonne foi, les plaintes de la cour pontifi-
alc, et, si elles conseillaient au duc de Ghaulnes une sage et
uste modération, elles étaient rédigées de façon à lui persua-
ler que, quoi qu'il fit, il serait toujours soutenu par le roi :
< Sa Majesté, disaient-elles, recommande encore et sur toutes
choses au sieur duc de donner une très particulière applica-
tion, et d'y employer toute l'autorité de sa dignité et de son
caractère, à faire vivre la nation française avec grande modé-
ration et retenue, et notamment ses domestiques qui^ pour
espérer plus d'appui, sont capables de s'emporter à commet-
tre des désordres et des insolences, à moins qu'il ait lui-même
le soin de les tenir en règle et de leur faire connaître qu'il sera
le premier à les châtier quand ils l'auront mérité. Le sieur duc
ne laissera pas, pour cette considération, de soutenir et con-
server avec soin les franchises et immunités accoutumées des
environs de son palais, mais avec cette sage et juste modération
(lui ne le rende pas, en ce quartier-là, un asile assuré pour
toQtcs sortes de malfaiteurs, obligeant ceux qui se trouveraient
coupables de quelque crime à chercher bientôt ailleurs une
(i) Boiirlemout et ia Buiasicro à Lionoc, l*'' septembre 1665. Rome, 171.
(2) Nous savons que Louis XIV appelle injuste lout ce qui est contraire à
^ volooté.
(3) 11 septembre 1665.
62 CHAPITRE TREIZIÈME
autre protoclion, et ne prenant pas indifleremment et pourlong-
temps celle de toute sorte de débiteurs qui veulent fruster leurs
créanciers de leurs dettes, ce qui acquiert à leur protecteur
la haine du peuple qui en souffre. Le sieur duc acquerra aussi
grande louange de bannir les jeux publics de son palais et de
son quartier, d'autant que, pour un fort médiocre avantage
que son écuyer retire, il se fait ordinairement une assemblée
d'espions, de larrons ou de la plus méchante canaille qui soit
dans Rome (i). »
L'ambassadeur fit son entrée solennelle, le 10 juillet, avec
un éclat depuis longtemps inconnu. Son cortège de cent trente
carrosses à six chevaux excita Tadmiration du peuple qui cria:
Vive le roi ! et Ton remarqua que, pour aller à sa rencontre,
la voiture du cardinal Chigi dépassa les limites accoutumées.
Le môme jour, il fut présenté par le cardinal Antoine Barbe-
rini au souverain pontife, dont la cour était u fort grosse»;
mais cest à Chaulnes de nous dire lui-même quelles disposi-
tions il apportait aux pieds d'Alexandre VII. Ces ducs et pairs,
qui se disputaient le bougeoir du roi, qui s'inclinaient sur le
passage de sa viande, qui assistaient sans mesurer le temps à
tous les mystères de sa garde-robe, comptaient en murmu-
rant les minutes que duraient leurs génuflexions devant le
vicaire de Jésus-Christ I L'ambassadeur s'était agenouillé,
suivant Tusage, en commençant son compliment au pape :
« Voyant, dit-il, qu'il ne me faisait pas lever et que peut-être
il aurait été bien aise d'entendre tout mon discours étant à
genoux, pour éviter un incident fâcheux de me lever de moi-
même, je crus devoir couper court et joignis en m^me temps
pour lui rendre une lettre de la part de Votre Majesté. Il me
fit lever alors et je me trouvai fort bien de cet expédient. » Les
alfaires n'étant jamais traitées dans ces audiences d'apparat,
l'entretien porta tour à tour sur les incidents du voyage, sur
la santé du roi et de la reine, sur les nouvelles publiques (i).
(1) Après avoir lu ces iustructious, od u'igiiore plus rieu sur les causes du
20 août 1662.
(2) Machaut, doot ou connaît déjà la malveillance pour les Romaing, avait
averti Chaulnes que le pape se pro[)Osait, dès cette première audience, de
« sfogarsi [décharger son cœur] coutro il duca di Crequy ; qu^iloe pouvait pas
DÉBUT D£ L^AMBASSâDE DE CHAULNES 63
n quitlant le pape, qui Tavait gardé trois quarts d'heure,
haulnes visita les membres de la famille Chigi, et (c tout se
aissa saus aucun incident. » — « Don Mario, dit-il, que j'avais
é voir samedi, vint avant- hier voir ma femme et me vint
.'ndre hier la visite, n'ayant pas voulu la faire en même jour.
DUS avons fort parlé de ménage, de commerce, de marchan-
ise et de blé : c'est, sire, un bon gros marchand de la
le Saint-Denis (1). » Il n'avait qu'à se louer de tout le monde,
l'abbé de Machaut, revenu de France avec lui et attaché
omme secrétaire à son ambassade (2), écrivait à Lionne :
M. et M"*« de Chaulnes ont une joie indicible de se trouver
ans un si beau poste... Ils ne commencent pas seulement de
apercevoir de sa grandeur; mais je vous puis assurer qu'ils
e trouvent et qu'ils le goûtent le plus agréablement du monde.
Quelques esprits de travers leur avaient inspiré qu'ilsn'y pour-
aient jamais avoir de douceur; qu'après les choses qui étaient
irrivées, ils ne devaient s'attendre qu'à des choses fâcheuses,
ju'à de mauvais traitements, et qu'enfin ils se devaient pré-
cautionner, comme s'ils devaient arriver dans un pays ennemi.
Grâce à Dieu, ils ont trouvé les choses dans un autre état;
car ils ont reconnu d'abord la grande considération dans
oublier les manières impérieuses et peu respcctueut^es avec lesquelles il lui
parlait. » Le duc avait préparé uue réponse qu'il n'eut pas occasion de pla-
cer; car Alexandre Vil n'aborda pas ce sujet. On parla notamment du der-
oier combat naval où, suivant les bruits d'origine française, la flotte des Etats
généraux avait eu l'avantage sur les Anglais. Chaulnes conGrma le fait, qui
répoadait aux désirs de sou maître, et remarqua qu'Alexandre VU l'écoutait
&vec un air d'incrédulité. Le pape, comme à Tordinaire, était exactement in-
formé par Roberti et savait que la nouvelle était coatrouvée. Lionne fut obligé
d'avouer bientôt uue seconde et plus grave défaite des Hollandais ; il écrivait
le U août : M. HoberU n aura eu aujourd'hui une matiéiT, bien agréable d*é«
S>yer àa plume, mais le mal des UoUaudais n'est ni si grand qu'il le fera, ni
Buiaisé à guérir. >' (A Retz Home, 177.) — Chaulues so plaignit formellemeut
au roi que le nonce fiU trop vite et trop bien infornu^ et que le pape reçût de
lui» toutes les semaines, des nouvelles exactes, plus fraîches que celles do
luDbassade française : celle-ci était embarrassée pour les démentir, ou pour
It^Mouroer à son avantage. (Chaulues au roi, 21 septembre 1666. Rome^ 178.)
il; 20 juilleL Home, 177.
(-) 11 promet à Lionne de lui donner des nouvelles de toutes choses, « saus
oublier » ce qui regarde sa curiosité ou son plaisir. U donne des détails fort
^léressants sur l'intérieur de Chaulnes, sur M^'" de Murinais, M"^* de la Buis-
*i^re, les filles de la duchesse, etc., etc.
64 CHAPITRE TREIZIÈME
laquelle est ici un ministre du roi, les déférences qu*ontpour
lui les cardinaux, la grande soumission dans laquelle sontceox
du parti, Testime et la vénération que lui vouent toutes les
personnes de qualité, Tamour dont les peuples sont prévenus
pour tout ce qui le regarde, enfin, les égards dont le palais ne
se dépari jamais quand il y pressent de la douceur ^ qu'il recon-
naît qxCon vient ici avec des manières raisonnables et avec des
sentiments d entretenir avec eux quelque commerce agréable.
Toutes ces choses, qui sont solides et essentielles et qui con-
tribuent assez, comme vous pouvez croire, à se déprendre de
ces appréhensions qu'on aurait pu avoir, ont raffermi les
esprits. On a pris aussitôt une autre route, dans laquelle chacun
chemine agréablement (1). » Labbé de Bourlemont n'est pas
moins favorable à la cour pontificale (2). Chaulnes s'exprime
dans les mêmes termes; mais, comme il a le secret de sa mis-
sion, il prédit à coup sûr que cette bonne intelligence ne durera
pas, et il écrit au roi : « Les réflexions qu'on fait ici rempli-
raient un volume; mais ce qu'il y a de certain est qu'à toutes
ces choses l'on remarque Taugmentation de la grandeur de
Votre Majesté par le plus grand respect que Ton porte à son
nom... Sa Sainteté a été plus satisfaite qu'elle ne s'y est atten-
due. Dieu veuille qu'il en soit toujours de même! » — « Enfin,
dit-il à Lionne, je montai samedi sur le théâtre et vous assure
que la scène fut fort belle; mais, comme toutes les pièces ne
s'estiment que par la conclusion, j'appréhende fort le dénoue-
ment; ce que je puis vous dire est que tout le monde m'a paru,
à mon entrée, fort bien intentionné (3). »
En arrivant à Rome, le nouvel ambassadeur y trouva une
dépêche royale, expédiée pendant son voyage, et qui n'était
pas de bon augure : elle lui prescrivait de réclamer encore la
promotion de Mercœur, devenu duc de Vendôme par la mort
de son père, et de s'entendre avec les ministres de Vienne et
de Madrid pour exiger l'attribution aux princes des quatre
chapeaux réservés in petto : le roi espérait que le pape, voyant
cette union des couronnes, « appréhenderait davantage les
(1) A Lionne, 6 et 20 juillet i666. Rome, 177.
(2) Au môme, 12 juillet. Rome, 177.
(3) 13 juillet. Rome, 177.
DÉBUT DE L^AMBÂSSADl!: DE CHAULNES 65
dites de cette affaire (1). » Mais il fallut renoncer une seconde
ois à cette folle démarche. L*ambassadeur français en Espagne
nforma Louis XIV que la reine ne voulait pas chercher que-
elle au pape sur la promotion, et qu'au contraire elle avait
éfendu au cardinal Sforza, chargé de ses affaires, « d'employer
es paroles qui ne fussent du dernier respect et d'une grande
éférence pour les volontés de Sa Sainteté. » Louis XIV retira
onc ses ordres, mais en suggérant à son ambassadeur une
es fourberies familières à Lionne : « // ne sera pas mal cepen-
dant, lui dit-il , que vous fassiez pénétrer sous main, par quelque
loyen, au cardinal Chiqi que vous avez été recherché de vous
oindre et que vous favez refusé; mais cela même lui doit être
it en sorte qu'il ne puisse pas bien démêler si la raison de votre
efus a été ou pour obliger le pape, ou pour me réserver en
Qon particulier le ressentiment que j'ai du tort qu'il a fait aux
couronnes (2). »
Louis XIV chercha aussitôt un autre prétexte de stimuler le
zèle de son ambassadeur. Quelque importune que lui fut la
vigilance du nonce, ce n'était pas un grief qui permit d'inviter
le pape à le retirer de Paris. Il espéra que Chaulnes pourrait
faire naître à Rome la pensée d'une révocation; c'est dans cette
vue qu'il intéressa personnellement le duc au rappel de Ro-
berli, en prêtant à Tarchevèque de Tarse des discours et des
manœuvres absurbes, où l'on ne reconnaît que le fertile esprit
et la perfidie ordinaire de Lionne. Louis XIV affecte de croire
que le nonce a fait ses confidences lï un ambassadeur étranger^
qui est allé aussitôt livrer au roi le secret de Roberti ! Bien
enlendu, ce ministre imaginaire n'est pas nommé. Voici, écrit
Louis XIV, le langage que tient le nonce : On a cru m'ôter la
connaissance des affaires entre les deux cours, en accréditant
à Rome un ambassadeur qui les traitera toutes; « mais, si j'é-
tais homme à songer à me venger, je me vanterais bien de
réduire en fumée avec une seule page d'écriture tout le beau
projet des ministres du roi qui ne m'aiment pas, et non seule-
(1) Première lettre du roi à Chaulnes, 11 juin 1666. Home, 176. Louis XIV
commeoce par dire que, ^elon son calcul^ cette dépêche doit arriver à Rome
preiqae en mAme temps que le duc.
(-}Le roi au duc, 19 juiu 1666. Borne, 176.
U)1'1S XIV KT LB SAI.NT-SIÊGK. — U. 'i
66 CHAPITRE TREIZIÈME
ment ruiner toutes les négociations que le duc de Chaulnes
voudra faire à Rome, mais le mettre d*abord aussi mal avecle
pape que le duc de Créquy y a jamais été. El, comme le ministre
à qui il parlait témoigna quelque curiosité desavoir par quels
moyens il se prendrait à faire ce qu'il disait, le nonce, avec non
moins d'ingénuité que d'impriidenco, lui repartit qu'il n'aurait
qu'à mander au secrétaire d'Etat ou au cardinal Pallavicino
qu'il a pénétré, à n'en pouvoir douter, par des personnes qni
ont grande habitude chez le sieur de Lionne, que le roi se lasse
d'être mal avec le pape, qu'il croit même avoir un absolu be-
soin pour de grands intérêts de regagner sa bonne volonté, à
quelque prix que ce soit, et que, pourvu que Ton sache et
veuille tenir bon de delà, ils tireront tout ce qu'ils voudront du
duc de Chaulnes, lequel a ordre de tout offrir et de tout donner,
c'est-à-dire non seulement sel d'Avignon, abattement de la
pyramide, rétablissement des Corses, qui sont choses moins
importantes, mais môme tout ce que Sa Sainteté peut désirer
sur le point de Castro par l'annulation du traité de Pise en ce
chef-là. » Alors, de deux choses l'une, ou l'ambassadeur cédera
sur tous les articles, et on louera ma perspicacité; ou il refu-
sera, et le pape le maltraitera. — Réglez donc votre conduite
là-dessus. « Vous remarquerez que j'ai dit que le nonce n'a
parlé à ce ministre que de ce qu'il pourrait faire s'il voulait;
mais, connaissant son humeur, je juge qu'on ne s'abuse pas de
croire fermement que c'est une chose ou quil a déjà fait*",
ou quil fera (i) infailliblement. Voilà le mal, c'est à vous
maintenant à v chercher le remède. »
Le duc de Cliaulnes saisit avec empressement toutes les oc-
casions de montrer aux Romains lo bout de cette virga fertea^
avec laquelle Louis XIV se flattait de les conduire. Le pape
allait lui assigner un jour pour la première audience d'affaires,
lorsqu'il en fut empêché par un des plus violents accès de son
(1) Uohf^rli n»i l'avait pas laite et ne lu fit jutnais. (Le roi à Chaulucs, 17 juil-
let KiBG. Rouie. j 177.) Le roi dit eu termioant : « Ayez égard à ne commettre
part, sans gran.lr riécesâité, le ministre auquel le nonce a parlé. » Comment
Chaulnes aurait-il pu commettre quclqu^un, puisqu'un ne lui désignait per-
sonne ni directement ni indirectement? C'est une des roueries de style qui
abondent dans les depôches rédigées par Lionne.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 67
.1. Ses officiers en instruisirent le duc dans les formes les
is polies. Ce fut un premier grief : le pape feignait d'être
lade, pour ne pas voir l'ambassadeur de France! D'après
usage constant, les ministres étrangers ne visitaient les
imbres du sacré collège qu'après une audience ordinaire du
iverain pontife; mais Chaulnes est gracieusement informé
'il peut se mettre sans délai en rapport avec tous les cardi-
us : il se rend donc chez \epadrone Chigi, chez le secrétaire
iltatRospigliosietlcs entretient librement. Il écrit à sa cour
ec une odieuse ironie : « Je ne sais si nous aurons bientôt
malheur de voir finir ce pontificat^ la continuation des in-
mmodités de Sa Sainteté faisant ici craindre à tout le monde
le Dieu ne veuille châtier la chrétienté de la perte d'un si
and homme!... » Il annonce même qu'on a vu le cardinal
tiigi quitter tout en pleurs la chambre de son oncle, et que
alarme est à Monte-Cavallo; mais, pourjustifier des instances
tus pressantes, il affecte de croire à une légère amélioration.
Q lui promet de le mander, dès que le pape reparaîtra en
ttblic. Son émissaire s'étant servi de termes menaçants, ou du
loins équivoques, le palais s'en émeut et attend des expiica-
ions : M Je les laisse, dit-il, dans leur embarras, dont je
ompte profiter. » Alexandre lui fait porter ces paroles : « J'ai
lus d'impatience de voir M. l'ambassadeur que lui-même;
arsque j'aurai un moment de relâche, je l'emploierai pour le
ecevoir. » Les plaintes de Chaulnes étaient d'autant moins
xcusables que sa dernière dépèche s'exprimait ainsi : « Il y a,
'ire, grande apparence d'un conclave (1). » Cette brutalité ré-
olla Bourlemont, qui écrivit à Lionne : « Lorsqu'on sut que
I. l'ambassadeur devait commencer la visite du collège des
ardinaux avant que d'avoir vu le pape, quelques-uns de ceux
ui croient que tout ce qui vient du palais doit être pris en
mivaise part disaient que M. l'ambassadeur ne devait pas se
ontenter de la réponse du cardinal Chigi, et que la maladie
lu pape était simulée; et que, si Sa Sainteté avait quelque
^disposition, elle n'était pas suffisante à l'excuser d'une au-
lienco. Je vous avoue, Monseigneur, que je suis dun aviscon-
lOSO, %k et 27 juillet 1666. Rome, 177.
^>'arf*. *^t j* diic.'sr'if --tr '* -fàj'^: 'ifs^t^int ph.i< librement mù
i^fuifaeidi /'if» mfK'jft^^-ftu:^ yTïi r*» t^undr, ne me peut reprocha
n at^jir fXiiiê ri^A tnt^^^ieur^. o-i *ihlr^ préi>ccupé de lendresi
•;.i '^r taaavaî.'ïe vo!.ori*ê env^r* eax. Il me semble donc qui
cAîx^ »:ai not .'ir-^nirrrî: :;«!raL Ii chimbre : qui- ne se coDtentai
ji^^ -i-e i'a**k^tan:e d»^ sjq m-^iecia •jr-linaire. est visité par h
D-'iA famecuL m«î^l»:rcins de la vî.le d»: Rome, le Fonsecael
lî**^. y aiiant tous i»e>j'.»ur^: qui, drr >on nalurel, est porté à \
fH^ir^z voir aux f>a::ion> publiques et d'apparat et s'en abstiei
^ [ftKrftxii: q;ii faii assurer M. ramba>sadeur, par son nevei
'îu *i fj V^t pas en état de lui pouvoir donner audience à eau.
u- % n indisposition et permet qu'on visite le sacré collè§
i • ^nl Uï\ ; Urne y.emhU. dh-je, qu'il en doit être cru jusquesà(
•jiifî. par d's act*"» po-îtifs. il appjinil du contraire à ce qu
'i fait dire, et que M. l'ambassadeur peut, sans préjudice d(
'iifain:-» du roi. acjuiescer pour un temps à ce que désire S
'^;iifit':t<'. pui?;que. ayant la liberté de visiter le collège des ca
'iiriaux et par r:onséquent le cardinal Chigi. il a une porte oi
M'tii: pour la né^'ociatiou... J;. •»
Mai-ï ri<;ri n'arrête l'ambassadeur. Il sait et il répèle lu
/i
!, 2' .rji.I'-t [^,^A. li'jfft^y HT. — Ctiauloes. qui sait n'être pas approuvé p*
IV/iif l«îf/r>fit. f'îtrir'j*', .Ma.h.'iut d'appuyer ce qu'il écrit à la cour : n II est aas
* riftht'iihitïn'., f-crii cet abbé, «i»' voir les démarches dont cette cour s'e
'f>;«î pour c«: qui coucepue M. l'umbassadour; car il est certaio que le pap
'Itii* \H»ifUi'W:f'. pré';ipitée qu'il doooa pour «on eutrée, voulait faire conoafl
q'i il '^'tait f.u /:tat d<: faire toutes les fonctions du souverain; qu'il affecta (
•ifftiwr ij/i jour que l'on put écrire par toute l'Italie qu'il agissait, qu'il écoi
il * 'i qu il '-f/iit vivant. Aujourd'hui, parune politique toute contraire et asi
pf-u pntiqué''. d<' touH leA papes, dan? la liberté qu'il adonnée à M. Tambai
>'i'i<:ur d". f/'iire h<*« vinlleH srms avoir eu sa première audience, il fait voirv
nlahlt'rni'nt tfuil rnt liuiH fi*' conifjftt, qu'il est inhabile auf/ouvememenl^quti
jiii il. flonnp. lif'u f/e rroin* qu'il suit rnournnl. S'il est vrai que les pareots i
**: ■'ouriiïfjt jia-* de tout ce qu'on puisse dire, pourvu qu'il échappe ces det
ifioU d<' cliaW'ur hariH voir ui les ambassadeurs, ni les ministres, il faut aus
qu iln le eii'-licnt lolleunuit. qu'ils déguisent à un point l'état de sa san
qu'un chacun n'aperçoive qu'elle est comme réduite à Textrémité; car, dm
h' uuiindn: jitur rpie M. de Chaulnes aura que le pape sera en état de rec(
Voir www iiudli'uce, vous ne devez pas douter yw'// ne le presse et quit ne fas
ktH iHslanreH d'une manière qui/ sera comme impossible que fon la puisse r
f'u.irr... Ju vourt mande, encore une fois, qu'il est comme impossible de voi
niiiudiT \tit'n^hiu'.ui en quel état est la santé du pape. Il a pris du lait cl 1
hdnnA auHHÎlrM. Il pàtit dans les excessivps chaleurs que nous avons ici. Toi
tefoin nouit Hnvons que ses bouffons spirituels le vont entretenir tous les jour
♦
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 69
même à Louis XIV que la maladio du pape a suspendu toutes
les affaires; que « Sa Sainteté ne reçoit pas même les visites
de ses confidents. » Cependant il lui faut son audience ou la
promesse solennelle qu'elle sera la première fonction publique
du pape! Il emploie à ce traité le P. Oliva, général des Jésuites,
qui lui fait des objeclions. L^habitude était de porter un avis
anij ministres étrangers la veille d'une audience extraordi-
naire : les officiers du palais informent le duc que, cette fois,
il ne recevra le billet que dans la matinée, parce qu^il « se
pouvait que Sa Sainteté, ayant mal passé la nuit, ou ne se trou-
vant pas bien lorsqu'il serait parti pour se rendre à Monte-
Cavallo, elle serait forcée de lui envoyer faire des excuses
peut-être sur son chemin et de remettre son audience. Sur
quoi, ajoute le duc de Chaulnes, je témoignai au P. Oliva que
j'aurais tout le respect que je dois à Sa Sainteté, mais qu'il
lui serait bien difficile de me faire faire un pas en arrière^ et
qu'étant en marche^ fauraia t honneur de voir Sa Sainteté en
quelque état quelle fût ^ on pour lui faire des compliments, ou
pfiur r assister à la mort^ si elle était à F agonie; mais que,
voulant éviter ces incidents fâcheux en considération de la
maladie de Sa Sainteté, l'on pourrait ne m'avertir que le
matin... » Et, dans la même dépêche, l'ambassadeur énumère
Ions les signes d'une fin prochaine, sans qu'on surprenne sous
sa plume la plus légère trace de Sympathie ou de respect :
« Votre Majesté, dit-il, jugera de Pextrémité oii est le pape,
laquelle sera encore confirmée à Votre Majesté par des avis
sùrs.quej'ai, qu'il ne peutpas aller bien loin. Les douleurs qu'il
souffre sont si continuelles et lui ont causé une si grande fai-
blesse qu'il est, selon le rapport des gens qui le voient, dans une
atténuation incroyable, dans un abattement qui se porte même
quelquefois au cerveau, et je doute que cet eiïet de son mal
n ait plus contribué au retardement de mon audience que son
Qui e«t assurément uue marque qu'il n'est pars dans le poinl que l'on le von»
'i^U. » (A Lionne, 27 juillet 1666. Home, m.) — Houffom spirituels! tel c:*tlo.
Dora donné par les Français à ces réunions dont l'âme était le Père Bona, ^u-
D^ral des Feuillants, religieux aussi austère que lettré, théologien profond,
wteur d'écrits spirituels qui ont mérité d'être comparés à Vlmitalion, décoré
^e la pourpre sous le pontificat suivant, et l'un des candi<iats désignés par la
^oix publique pour succéder à Clément IX !
70 CHAPITRE TREIZIÈME
mal même Les médecins et sa famille no savent où ilseo
sont... » Et il expose ses plans pour le conclave, qui ne peut
manquer d'être prochain (1). Le même jour, le cardinal de j
Retz écrit: « Sa Sainteté... tomba jeudi dans une si grande ;
faiblesse que son maître de chambre, qui la soutenait, la oral
morte... Elle ne peut aller sans miracle jusqu'à la fin du mois
d'août (2). »»
La cour de France, loin de modérer Tambassadeur, s'ap-
pliquait à irriter sa susceptibilité : c( Si vous vous aperceviez,
lui écrivait le roi (3), que le retardement de cette première
audience fut moins causé par indisposition de Sa Sainteté
que par un dessein de vous donner quelque mortification, en
vous la faisant longtemps attendre, vous ne vous tiendriez plus
si serré, et feriez voir au palais que vous attendez à la vérité,
mais sans vous incommoder et sans retarder mes autres
aiïaires, qui se peuvent faire saùs eux. » — « Je n'ai pas occa-
sion de vous rien dire sur les discours que le pape vous a
tonus (4); j^y ai seulement remarqué qu'il 8*est étudié à vous
bien traiter et à ne laisser rien échapper qui marquât quelque
aigreur dans son esprit. Je suis assuré que les autres audience»
ne se passeront pas de même (o). » C'est le 7 août que
Louis XIV s'exprimait en ces termes. La veille, 6 août,
Alexandre VII avait pu donner au duc de Chaulnes une au-
dience qui démentait encore une fois ces malveillantes pré-
dictions.
Les soulTrances du pape étant un peu calmées, Tambassa-
dour Fut averti et se rendit à Monte-Cavallo avec trois voiture»
à six chevaux ets(»pt do suite, dix prélats et un nombre infini
de carrosses. Etait-co donc pour entretenir le souverain pon-
tife d'affaires considérables qu'il réclamait si impatiemment
cette audience? Xon; il n*avait à porter au palais que de
banales protestations de respect, dont il était le premier à se
moquer : ses instructions lui défendaient de solliciter aucune des
II) 3 août ifiôfi. Borne, Ml.
{2} A Lioiiue. Ibid,
(3) 31 juillet 1666. Home, 177.
^4) Dau» l'autlionce d'apparat.
(5) 7 août HîOC. liorne, 177.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 71
grâces que le roi avait espéré recevoir du légat, et il se présen-
tait devant lepapeavecla prétention que les induits, les bulles,
les brefs désirés par son maître fussent aussitôt mis à ses
pieds. Il commence sa relation par railler le pape, qu'il trouva,
suivant la coutume, sous le dais et non au lit, « ayant fait
cet effort pour détruire les bruits de sa maladie. » Je l'informai
dit-il, des dispositions favorables de Voire Majesté. « Sur ce
que je coulai quelque chose, dans la fin de mon discours, des
audiences qui s'étaient passées les années précédentes. Sa
Sainteté, voyant ce champ ouvert, prit tant de plaisir de dire
tout ce qu'elle avait sur le cœur que, si son mal eût été
dans la rate, elle m'eût sans doute eu Tobligation de sa santé.
— Elle commença sa réponse par les témoignages de la joie
quelle recevait d'apprendre les bons sentiments de Votre
Majesté, etqu'ellen'avait point douté de ses bonnes intentions,
mais qu'elles n avaient jamais été exécutées dans leur pureté,
et, sur ce sujet, elle n'oublia pas de parler de M. le duc de
Cré]uy, et de M. de Bourlemont, sans qu'il lui échappât une
fois d'honorer le premier du titre de monsieur; pour le dernier
elle n'en parla que sous le titre de ministre de Votre Majesté
en italien. — Je ne crus pas de me devoir opposer à ce torrent,
ellni dis seulement que j'estimais M. le duc de Créquy bien
malheureux de n'avoir pu lui rendre sa conduite agréable...
— Et, après le récit que Sa Sainteté me fit de tous les désordres
passés, je pris la liberté de lui dire que je craindrais d'anticiper
sur la charge de M. le cardinal Chigi, si j'entrais dans le détail
de tous ces malheurs, puisqu'il aurait rendu compte à Sa
Saiateté do toutes choses, et que, par son voyage en France
et KOQ retour, tout avait été consommé, de manière que l'on no
^devait souvenir de ces incidents que comme de ces malen-
tendus qui altèrent, dans le commencement, les amitiés et qui
od: quelque apparence de rupture, mais qui, dans la suite, en
resserrent plus fortement les nœuds et les affermissent de
sorte que rien ne les peut ébranler. Sur cela. Sire, Sa Sainteté
Die dit qu'il était vrai que M. le cardinal Chigi avait été fort
stlisfait, quoique, dans les commencements, on lui eût fait des
difficultés contre les formes; qu'il lui avait dit qu'il était im-
possible d'avoir l'honneur de voir Votre Majesté et lui parler
72 CHAPITRE TREIZIÈME
en particulier sans avoir beaucoup d'estime pour elle et de
respect. Je le crois, me dit-elle, et alors, se penchant un peu
sur son siège, comme pour parler plus bas, Sa Sainteté me dit:
M. l'ambassadeur, je veux vous parler avec franchise. Pour
avoir la paix dans le temps de la guerre des Turcs, nous avons
voulu faire tout ce que nous pouvions; mais, eu égard aus
bulles, on nous a forcé à loul ce que nous ne pouvions pas. —
CiOmmc les ordres de Votre Majesté vont à rétablir, s*il se peu!,
une bonne correspondance avec Sa Sainteté, et qu'il ne sa-
gissait pas en cetle audience de la conclusion de l'affaire le
Castro, je ne crus pas la devoir pousser comtne je ferai dans
la suite selon l'état des choses, et je répondis qu'il n'y aviil
point de bornes à son pouvoir; qu'elle pouvait tout et qu'elle
savait qu'Une s'était ?ien fait qui ri eût été signé d Centreim
de Votre Majesté et du roi d Espagne^ comme pour le bien de
la paix. — Sur quoi. Sa Sainteté me répondit : Ne savez-vous
pas, M. lambassadeur, que le cardinal Mazarin le fil sigier
pour me strapasser (4), ce fut le terme dont elle se servit; qiil
a fait toujours tout ce qu'il a pu contre moi, jusqu'à m'oblijer
de donner des bulles a Ondedei (2) pour lévêché de Fréjis,
ce que je n'aurais jamais fait, le connaissant bien, mais eue
la reine-mère m'écrivit qu'elle chargeait sa conscience de cdte
alfaire dont elle me répondait; et sur cela me parla de la lé-
cessilé de choisir de dignes sujets dans l'Eglise. » — Je ré-
pondis en métcndant sur les choix de Votre Majesté. J'ameiai
l'entretien sur le refroidissement qui suivit le relour de M. le
ir*gat, et sur la modération de Votre Majesté qui, pouvant se
plaindre delà dernière promotion, n'en avait rien dit. — « Sur
cela, Sire, Sa Sainteté me répondit : Quand on verra les autres
pontificats, l'on connaîtra qu'ils ont toujours eu la liberté d'ï-
lever les sujets qu'ils avaient crus capables; et, comme elle ne
panit embarrassée, elle embarrassa aussi son discours sur trois
ou quatre promotions, de manière que, n'ayant pas ordre (.e
parler à fond, n'étant pas même encore le temps, » j'éludai h
discussion, et me répandis en protestations de respect filial, ai
(1) De flrapazzare, mortifier, insulter.
(2) Zongo Ondod^U, parent et secrétaire de Mazarin, chargé spécialement de <>
affaires ecclésiastiques, perdu de réputation, pour les mœurs surtout.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 73
Je Votre Majesté. — Sa Sainteté les accepta et promit la
•ocité. — « Pour mieux réussir dans le dessein de mettre
oses en état de rétablir un commerce, je lui donnai plus
ens qu'il n'en eut jamais à l'autel (l). »
îxandre VII avait risqué sa vie pour recevoir plus tôt le
e Chaulnes ; l'ambassadeur avoue, en effet, que le pape
ne rechute daus la nuit qui suivit cette longue audience :
maladie, ajoute- t-il, étant un amas de méchantes hu-
s, ou pour mieux dire du pus formé par un abcès, selon
s'amasse, il produit plus ou moins de douleur, qui lui
la fièvre. A son âge et dans les incommodités de ses
5, il ne faut que quelque continuation de douleur pour
ar//'r(2))) Le souverain ponlifo n'interrompit pas, pendant
nouvelle crise, les attentions délicates dont il comblait le
sentant de Louis XIV. Le lendemain de Taudience accor-
u duc, il chargea un des premiers personnages de sa
M. délia Ciaia, son parent et son maître de chambre, de
r un beau présent à la duchesse, ce qui était contre Tusago
fort remarqué : « Je croyais bien, écrivit Tambassa-
que Sa Sainteté pourrait me donner quelques marques de
3nnes intentions; mais je ne me persuadais pas qu'elles
nt si fortes quelles ont été, par tous les discours qui me sont
out prétexte était bon pour se moquer du pape en flattant Louis XIV.
t par là que Chaulnes plaisait tant au roi et à Lionne : « Il faut même
vous mande jusqu'à qnel point je suis italianisé pour les circonspec-
Tavaisfait faire ici un fort beau tableau du roi pour mettre avec celui do
inaif», comme il s'est rencontré, par la disposition des deux, que le roi
irdait pan le pape, j'en ai fait faire un aulre. Le premier était d'une
ière et autaut rapportante qu'il se peut à celle de S. M.; et, dans le
, cette 6erté naturelle du roi est adoucie de manière que S. M. fait les
eux à S. S. N'est-ce pas là une belle action pour m'immortaliser eu
Que si S. S. ne répondait pas aux bonnes intentions du roi, je pense
pourrais bien remettre le premier au jour. » (Chaulnes à Lionne, 20 jnil-
5. Rome, 177.)
lème dépér^he du 10 aoAt au roi. L'abbé de Macbaut écrivait de son
I L'indisposition de S. S. venant de la pierre, qui lui cause des douleurs
evables et mémf^ quelque petite altération |délire|, l'on peut dire qu'elle
lu relAche. D'ailleurs on voit visiblement qu'il n'y parait pas aussitôt
mal cesse. Elle a autant de chaleur naturelle qu'un Jeune homme de
nnq ans ; enfin on dit qu'elle peut manquer en deux jours, mais aussi
peut aisément vivre quelques années. » (A Lionne, 10 août 1666. Rome,
74 CHAPITRE TRKntÈME
revenus et par ses actions dans les rencontres. » Il écrivit le même
jour à Lionne que I autorité du roi était aussi grande à Rome
qu'on pouvait le souhaiter. Abandonné à ses inspirations, il au-
rait peut-être fléchi devant ces marques de bienveillance et de
loyauté; mais il connaissait l'implacable orgueil de son mailre
et il ajouta aussitôt : « Cependant, Sire^ j*ai bien raison de
croire que l'exécution du traité de Pise détruira bientôt toutes
ces apparences à un rétablissement de correspondance, et que
la seconde partie de mon ambassade, dont la première était de
regagner les esprits (i), ce que je crois au point que Votre
Majesté peut désirer, que cette seconde, dis-je, qui sera pleine
de toute sorte de difficultés dans les demandes, pourra bien
changer la face des choses présentes. Cependant il faudra
tâcher de traiter Sa Sainteté en malade et de lui faire avaler
les pilules le plus doucement quil se pourra, souhaitant fort
que, dans une troisième partie que Ton pourrait faire, il n'ar-
rive pas des mécontentements et des ruptures qui senties
suites ordinaires des refus. » Pour hâter cette rupture, il pro-
met de s'appliquera faire rappeler le nonce Roberti, et il écrit
îi Lionne : « Un mot tourné de votre façon me donnerait lieu
de le pousser hors de France (2) ! »
Louis XIV regarda comme un effet delà peur le bon accueil
que son ministre trouvait à Monte-Cavallo et dans toute la ville,
et il résolut de mettre a profit un sentiment qui, on le verra,
était bien étranger à tous les membres de la famille Chigi. Il
écrivait au duc de Chaulnes : Les parents du pape n'ont pa«
ces nianières quand il se porte bien. Le voyant à sa fin, « ils
ont considéré qu'après la perte de tout crédit, ils pourraient se
trouver accablés sous d'autres plus grandes ruines, si j appe-
santissais ma main sur eifx par ressentiment de tant d'indignes
traitements que j'ai reçus à Rome, pendant toute la durée de
ce pontificat. Quoique, par vos instructions, je vous aie défendu
de demander au pape aucune grâce et que, présentement aussi,
je n'entende pas révoquer cette défense, j'ai fait réflexion
néanmoins que, dans l'état où est Sa Sainteté, ou quand il
(t) Od a vu que rambas^adeur D'avaii eu aucun effort à faire, et que les
e^pritii étaient parfaitement bien diRponé^, môme avant son arrivée.
(2) CbaulueB au roi et à Lionne, 10 août 1666. Humej 177.
DÉBUT DE L* AMBASSADE DE CHAULNES 7B
deviendra plus mauvais, sans me commettre à la bassesse (l)
d'une demande ni à l'incertitude d'un refus, vous pourriez
peut-être facilement réussir à obtenir de ce pape même, avant
que sa mort arrive, les deux induits d'Artois et de Roussillon
et le supplément de celui des Trois-Évèchés. Je dis même que,
plus l'étal de sa santé sera désespéré, plus il y aura d'espé-
rance de les emporter, pourvu que le cardinal Chigi ait du bon
sens et de l'application avec quelque vigueur. Il n'y aurait, ce
semble, pour cela qu'à lui faire mettre devant les yeux bien
fortement le grand intérêt qu'il a de ne pas laisser mourir son
oncle sans accomplir les paroles qu'il me donna à son dé*
part d'auprès de moi, dont il n'en a tenu aucune (3); que ce
n'est pas à un prince de mon rang et de ma puissance et aussi
sensible que je le suis, que Ton peut s'engager, et après, ne te-
nir compte de ses promesses; qu'il ne faut pas s'excuser sur le
défaut de son crédit, puisqu'il est venu à bout de choses in-
comparablement plus difficiles, quand il les a bien et ferme-
ment voulues, témoin le cardinalat de Nini (3), contre lequel
tous les autres parents s'étaient ligués; que, quand il voudra
témoigner au pape de bonne sorte combien importe à tous les
siens qu'il ne laisse pas les choses avec la France en Téta!
qu'elles sont, ni occasion à un autre pape de persécuter la fa-
mille Chigi sous prétexte de m'obliger. Sa Sainteté ne lui re-
fusera rien ;... » il obtiendra tout du pape, « soit en intéressant
sa conscience à n'avoir et ne faire paraître aucune rancune
contre moi en partant de ce monde, soit enfin en lui donnant
j à entendre que lui, cardinal, a fait une espèce de traité avec
■ vous, par lequel, en échange des satisfactions que vous avez
\ promis que je donnerais à Sa Sainteté, il s'est engagé d'obte-
(1) Rien n*étalt plus bas que de chercher à extorquer ces grâces par l'inli-
nidiUoQ; rien n'eût été plus honorable que de demander respectueusement
«1 chef de rÉglise ce qu'il doit être libre d'accorder ou de refuser.
(2) Le cardinal Chigi n'avait pas le pouvoir d'engager son oncle, et d'ailleurs
il o'avtit faU qu'une promesse banale de bons offices.
\3)itcopo Fîlippo Nini était an ecclésiastique slennois de bonne naissance,
qu'Alexandre VII avait attaché à sa personne lorsqu'il était secrétaire d'État
«008 Innocent X, et qui était devenu successivement secrétaire des mémoriaax,
B^tre de chambre et majordome. L'amitié du pape, qui] méritait par ses ser*
^cesetsa fidélité, lui donnait beaucoup d'envieux.
76 CHAPITRE TREIZIÈME
nîr d'elle Texpédition des trois iadults. » Ainsi, le roi prenait
sous son nom tous les artifices qu'inventait la fourberie de
Lionne; mais le duc de Chaulnes ne voulut point en accepter
la complicité, et il écrivit au secrétaire d'Etat : « Par la dé-
pêche du 20 août, vous marquez que j ai fait un traité aveclo
cardinal Chigi, qu'en lui procurant la vérification de ses facul-
tés (i) il s'engageait de donner l'expédition des trois induits,
ce que je n'ai pas bien compris, les facultés ayant été accordées
auparavant de voir mondit sieur le cardinal, avec lequel je n ai
fait aucun traité (2). » Le roi et le ministre subirent le dé-
menti et imaginèrent une autre supercherie : « .Fai rovn, ré-
pondit Lionne, la dépêche du roi du 20 août, où Sa Majesté
n^a pas prétendu dire que vous eussiez fait un traité avec M. le
cardinal Chigi, sachant bien que cclan^est pas, mais bien que,
si le cardinal avait véritablement intention de tirer du pape
les trois grâces des induits, il avait un bon moyen de le faire,
nonobstant la répugnance de Sa Sainteté à les accorder, en
lui donnant k entendre, c'est-à-dire en lui faisant croire qu'il
avait fait une espèce de traité avec vous par lequel il vousle^
avait promises, dont il espérait que Sa Sainteté ne le désavoue-
rait pas. Voilà le sens de Tarticle de la dépèche qu'il est vrai
qu'il fallait un peu plus étendre, pour ne laisser lieu à aucun
équivoque (3). »
Lionne avait écrit à Tambassadeur : J*ai deux raisous de
souhaiter que vous réussissiez dans cette négociation : 1° votre
gloire, car « vous auriez par votre adresse su tirer de l'huile
d'un mur »; 2® si nous n'obtenons ces grâces que d'un autre
pape, il les fera valoir, ce qui nuira aux autres choses que le
roi entend exiger de Rome. — Puis, croyant déjà tenir à ses
genoux la famille Chigi, il ajoutait : Demandez pour mon fils
Tabbé Tindult lui permettant de conférer en commende les
bénéfices dépendants de ses abbayes et prieurés (Marmoutier,
Saint-Mélaine de Rennes, Cercamp et Sain t-Martin-des-Champs
de Paris, qui avaient des collations immenses), sans « être
obligé de faire le circuit de les donner d'abord à des moines»
(1) Pour la légation d'Avignon.
(2) 14 septembre 1666.
(3) 8 octobre. Rome, 178.
DÉBITT DE l'ambassade DE CHAULNES 77
eQ quoi j'ai quelque scrupule. » Faites « comprendre à M. le
cardinal Chigi qu'il est peut-être de son service d'acquérir
celle obligation sur moi. » Je voudrais Tobtenir de ce pape-ci ;
car j'aurai à solliciter de son successeur une autre grâce
'( pour mon (ils le cbevalicr, qui est de l'habiliter aux corn*
manderies dans toutes les langues et grands prieurés du
rovaume. Pour vous expliquer bien ma pensée, je ne vou-
drais pas que l'on parlât de mon aiïaire que, dans le cas de la
santé du pape déplorée, et, qu*on la portât alors comme une
insinuation que Ton fait à M. le cardinal Chigi pour son propre
service. » — Demandez un induit semblable pour le fils de
M. Colbert, et avertissez « Son Eminence qu'il est de sa pru-
dence de ne laisser pas ce mérite certain à un nouveau neveu
de pape, » mais finissez d abord mon affaire (1).
Le roi et Lionne s'étaient gravement mépris (2), et les dé-
pèches de Chaulnes leur apprirent bientôt que les parents
d'Alexandre VU ne sacrifiaient point leur honneur à la bien-
veillance des couronnes. L'ambassadeur écrivait : Quand la
santé du pape donne des inquiétudes, le cardinal Chigi ne re-
(;oit plus personne et ne s'occupe d'aucune affaire. Le cardinal
Pallavicino et le P. Oliva ne sont môme « pas assez forts pour
le tirer de son assoupissement. » Je puis pénétrer jusqu'à lui,
un jour que le pape a moins souffert^ et je lui demande les
induits : il me promet seulement de faire son devoir en par-
lant à son oncle. Je le presse comme son ami, et non de la
part du roi ; mais il se borne à répondre « qu'il fait toute
l'estime qu'il doit de la protection de Votre Majesté et qu'il
ne manquera pas de lui en donner des marques en toute ren-
contre. » Je sollicite de nouveau les bulles de Reims pour le
cardinal Antoine : il me rappelle qu'un évèché français est
incompatible avec la charge de camerlinofuc, sans me dire seu-
lement s*il transmettra mes instances au pape. — Impartial
comme son oncle, Chigi ne déférait pas davantage auximpor-
(1) LioDoe â Chaulnes, 20 et *27 août 1666. Rome, 177. — Le cardinal Chifri
i^ écouta ni Lionne ni Colbert.
(2) Loais XIV disait encore le 3 septembre 1666 : Si la vie du pape est en
P^l, TOUS obUendrez par ses parents et dans leur intérêt ce qu'if yous refu-
«rail en bonne sauté. (A Chaulnes. ««»we, 178.)
78 CHAPITRE TREIZIÈME
tunités de la maison d'Autriche. La nouvelle impératrice, fille
de Philippe IV, devant traverser le Milanais pour se rendre à
Vienne, il avait été décidé que, suivant Tusage, elle serait com-
plimentée par le cardinal neveu, revêtu pour cette occasion
du titre de légat. Mais, la maladie d'Alexandre VII retenaul
Chigi au palais, ce cardinal se fit remplacer par son parent,
le cardinal Antonio Bichi. Les Espagnols, dit Chaulnes^ sont
indignés qu'il ne soit pas allé à Milan : ils menacent de
le « faire venir à Vienne. Votre Majesté croira bien que je ne
jetterai pas de l'eau dans le feu, faisant au contraire connaître
à M. le cardinal Sforza (i) que ce sont de ces mépris que Ton
ne peut souffrir, pour trouver plus de facilité dans Tesprit de
M. le cardinal Chigi, dans la conjoncture qui Taura brouillé
avec l'Espagne (2). » Machaut écrit à son tour: « Dans la vrai-
semblance d'une chute, le pape n'a pas même épargné les Es-
pagnols, ni la maison de Médicis : il refuse à ceux-ci un cha-
peau de cardinal qu'il leur a promis deux ou trois fois; aux
autres, il leurcnvoic un bref dans lequel il donne sa bénédic-
tion à l'impératrice et s'étend extrêmement sur la nécessité
qu'il a eue de retenir le cardinal Chigi auprès de sa per-
sonne. » — c( Les Espagnols, répond le roi, ne peuvent être
que très mal satisfaits du cardinal Chigi, qui s'est exempté
sans beaucoup de raison, depuis la convalescence du pape,
d'aller rendre ses respects à l'impératrice selon l'usage qui
veut, en pareilles occasions, que les neveux des papes mar-
chent eux-mêmes, et non d'autres cardinaux. Ledit cardinal
pouvait faire cette fonction, et être de retour à Rome en moins
(le quinze jours, prenant laposteouse servant de relais de car*-
rosses, et en cela il a témoigné peu de considération pour
toute la maison d'Autriche. C'est à vous maintenant à voir quel
parti vous en pourrez tirer (3). »
Mécontent de la fermeté du pape, le duc de Chaulnes ne
put cependant alléguer aucun grief personnel, et chacune de
(i) Chargé des affaires de l'Empereur.
(2) Bourlenioul a LioDue, 27 juillet 1666. Aome, 177. — Chaulnes au roij
14 septembre. Home, 17K.
(3) Machaut à Liouuc, ii t>epteiuljr(\ — Le roi û ChaulncB, 24 septembre.
Home, 178.
DÉBUT DE l'ambassade DE CUAULNES 79
ses dép6che8^ au contraire, vante la considération dont il jouit
à Rome. La fête de saint, Louis vient d'y être solennisée avec
un éclat inconnu sous le duc de Créquy. Le chapitre de Saint-
Jean de Latran célèbre pompeusement le service d'Anne d'Au-
triche : le mausolée touche à la voûte de la basilique et
Voraison funèbre de la reine-mère est prononcée en latin devant
le duc de Chaulnes, qui s'y est rendu avec un cortège de douze
prélats et de cent cinquante carrosses (1). La cour pontificale
se prête de bonne grâce aux démonstrations publiques qui
peuvent flatter un grand prince et son représentant. Ce chan-
gement dans les rapports extérieurs des deux puissances con-
venait à Torgueil du roi et même à ses desseins politiques.
Le pape avait répondu aux lettres en créance sur M. de
Chaulnes en termes qui avaient touché Louis XIV; il annon-
çait rintention de saisir les occasions de lui complaire, et le
roi avait invité le duc à profiter de cette ouverture. Mais
l'ambassadeur avait compté sur un prompt succès, et sa vanité
ne souffrait pas de retard. Au moment où il attendait une
5econde audience^ il fut averti, comme tous les ministres
étrangers, que la santé du pape ne lui laissait pas la force de
les entendre. Alexandre VII ne put pas même quitter Monte-
Cavallo pour Castel-Gandolfo, où il passait une partie de
Tautomne. La correspondance des Français présents à Rome
atteste clairement le péril imminent du pape. Machaut écrit le
*21 septembre (2) : « M. Tambassadeur se voit à la veille de
se trouver dans une belle conjoncture, étant certain que le pape
ne peut pas vivre longtemps et qu'il serait en état de pouvoir
rendre des services considérables, s'étant acquis une grande
réputation auprès de MM. les cardinaux et ayant gagné, et
par son esprit et par sa civilité, les cœurs de tout le monde. »
Le duc de Chaulnes^ à son tour, écrit : « Beaucoup me con-
firment que les douleurs du pape lui causent souvent des
transports au cerveau, pendant lesquels il ne serait pas bon
^luHl donnât audience. «Et, le même jour, Tabbé de Bourlemont
ajoute : « Je crois vous mander dans cet article le véritable
\i) Au roi, 31 août. Rome, 177. — 5 octobre 1666. Home, 178.
(î) Rome, 178.
80 CHAPlTRl!: TREIZIÈME
état de la santé du pape. 11 est certain qu'il n'a pas seulement
la pierre dans la vessie ; mais il a un ulcère dans un des reins,
et delà vient la boue et le sang qu'il pisse ordinairement avec
beaucoup de douleur. De plus, ce pus qui descend de ce rein
sur de petites veines du ventre lui cause beaucoup de douleur
et souvent des insomnies : cela fait qu'il a quelque altération
le jour et que, quand il est dans un discours, il le quitte souvent
pour passer à un autre, et il recommence la même note trois
ou quatre fois par jour. Voilà le fondement du bruit qui a
couru que l'esprit pâtissait plus que le corps (1 ). » Le S octobre,
Tabbé de Machaut écrit de nouveau (2) : « L'on vous mandait,
dans le dernier ordinaire, que le pape se portait mieux ; qu'il
avait admis le gouverneur et d'autres officiers; mais nom
savons d'original que ces audiences ont été controuvées, et qu'il
est dans le plus' misérable état qu'il se soit trouvé depuis le
commencement de sa maladie. Un fort honnête homme faisant
la profession de médecin... m'assure que l'ulcère était dans
la vessie et non pas dans les reins, et d'autant plus que la pierre
qu'il a dans la vessie n'ayant pas pris do situation lui cause
des douleurs inconcevables... Assurez- vous que c'est un
homme confisqué. Ses parents se désespèrent... » Le médecin
voit <c des signes très mauvais » et défend le voyage à Castel-
Gandolfo... » La santé du pape est désormais en état qu'il
faudrait .suspendre toute sorte de ressentiment, et il y aurait
à craindre que, voulant gagner quelque point de réputation
dans la conjoncture présente^ l'on ne déchut extrêmement si
Ion s attaquait à un cadnvrcy qui est plutôt digne de compas-
sion que d'autre chose. .. » Cependant, à la même date, le duc
de Chaulncsne craint pas d'écrire à Louis XIV : « Sa Sainteté
est un jour bien, un jour mal, et, selon les remèdes qu'elle
prend, elle souffre plus ou moins de douleurs, n'étant guère
de temps sans s'en ressentir. Elle entendit la messe dimanche,
ce qui est un grand effort... Pasquin a fort bien expliqué l'état
présent des choses en deux mots, en disant que Rome était
sans pape et sans siège vacant.. Je sais bien, Sire, que Votre
(1) A Lionne. Aonte, 178.
(2) A Lionne. Aome, 178.
DÉBUT DE l'âMBASSSADE DE CH AULNES 81
lajeslé n'y étant pas seule intéressée ; que, rien ne se faisant
lème pour l'État ecclésiastique^ elle a moins à se plaindre ;
lais aussi que Votre Majesté ait un ambassadeur auprès de
i personne de Sa Sainteté et que rien ne se fasse, c'est une
hose qui sonne mal ; et, après toute sorte de circonspection
ae j'ai eue, et avoir attendu avec tant de patience dans la
haleur, je crois. Sire, que la même tranquillité ne serait pas
. propos en cette saison, et que, si Ton ne témoignait rien sur
es retardements si extraordinaires de nos audiences, cette
acilité ne ferait que les confirmer dans leur conduite, m'étant
iperçu qu'il faut faire souvent des personnages différents en
Me cour, et, selon leur manière d'agir, leur faire avaler des
pilules, ou toutes douces, s'ils en usent bien, ou mêlées de
quelque aigreur, s'ils retombent dans leur léthargie. » Je vais
faire en sorte que Sa Sainteté reprenne nos audiences, « ou
qu'elle se remette à M. le cardinal Ghigi et tels autres qu'il lui
plairait pour examiner et résoudre les affaires, pendant que
ses incommodités l'empêchent d y vaquer. )) L'ambassadeur
ajouta, dans une lettre particulière à Lionne : « Depuis ma
lettre écrite, je viens d'avoir avis qu'il s'est fait une consulta-
tion sur la passion que Sa Sainteté a de sortir, et qu'il a été
conclu que, si elle passe bien la nuit, elle pourra se faire porter
à la Rotonde ; j'aurais bien de la joie qu'elle y allât, et je pren-
drais ce prétexte pour faire un peu de bruit si vendredi nous
n avions pas d'audience. »
M. de Chaulnes n'eut pas k faire de bruit ce jour-là. Après
avoir essayé ses forces, dans cette visite au Panthéon où il
ea'retint le cavalier Bemin, le pape fit intimer les ministres
étrangers et, le 8 octobre, il reçut l'ambassadeur français. Le
duc de Chaulnes, pour obéir au roi, n'aurait rien eu à dire (4),
si l'affaire de M. de Vendôme n'eût pas changé de face. La
dernière promotion appartenant au pape seul, Louis XIV n'au-
rait pu y prétendre un chapeau, qu'à titre de faveur et d'a-
^ce, et c'est bien sous cette réserve que la présentation de
(li-UsrépoDses polies du cardinal Cbigi sont encore bien vagues : Ne faileâ
<t« demandes positives que si ce cardinal vous promet qu'elles serout accordées.
Uisfes entendre qu'un refus mettrait les choses eu plus mauvais état qu'au-
Pvavaot. (Le roi à Chaulnes, 17 septembre 1666. Rome, 178.)
LOUIS ZIV R Ll SAINT-SiftOB. — II. 6
82 CHAPITRE TREIZIÈME
cet indigne candidat avait été faite originairement. Mais, le
tour des couronnes étant revenu, le roi de France, comme les
autres princes catholiques, pouvait cette fois user du privilège
autorisé par l'usage. Chaulnes apportait en conséquence une
nouvelle lettre (1) : le nom du candidat évoqua bien vite le
souvenir des troubles d'Avignon, du rôle qu*y avait joué Ven-
dôme, de Tévasion de Chasteuil avec sa connivence. Alexandre
fut amené à rappeler. qu'il n'était pas en reste avec le roi, puis-
qu'il n'avait rien reçu de lui, depuis qu'il avait accordé l'induit
des Trois-Évêchés. — L'ambassadeur répondit que cette grâce
n'était pas complète, puisqu'il ne comprenait que les évèchés
et non les abbayes. — Ce sera l'objet d'un autre induit qu'il
faut attendre, répliqua le pape « assez fièrement ». — J*espère,
dit le duc, l'obtenir bientôt comme une preuve que Votre Sain-
teté désire vivre en bonne intelligence avec le roi. — « Sur cette
réponse, le pape dit : Le roi ne me rend nucnne justice depuis
deux ans : je veux même vous en dire une qu'il m'a toujours
refusée. 11 vaque une abbaye in curid (2j : je la donne confor-
mément aux concordats. A qui? à une personne de qualité.
Quel est cet homme?c'csl un Français. Pourquoi la lui donné-
je? parce qu'il a changé de religion. Nonobstant mon droit par
les concordats, le roi la donne, à qui? je n'en sais rien, ou je ne
le veux pas nommer : à un revendeur de tableaux (3) ! y a-t-il
justice? puis-je faire des grâces? qu'avez-vous à dire, Mon-
sieur l'ambassadeur? » — Le précédent abbé avait obtenu un
(1) Le roi au pape, 17 septembre 1666. Home^ 178. — Lionne à Chaalnes,
même jour : « Pour pouvoir rendre cette lettre à Sa Sainteté sûrement, ilfa^^
la surprendre, parce qne autrement elle pourrait bien vous faire une promo-
tion en face, avant que vous accorder Taudieuce, si elle pénétrait tant «oit
peu que vous voulusàiez toucher cette corde. »
(2) L'abbaye d'Aumale.
(3) L'abbé Elpidio Benedetti, si souvent nommé dans ce récit, rancifû
factotum de Mazarlu, devenu agent du roi; que le supérieur de la maison <18
Saint-Louis appelle un marchand à la toilette, et la reine Christine un coO'
missionnaire en essences, dont Machaut lui-môme ne parle qu'en terme*
flétrissants, par exemple dans sa lettre du 17 août 1066 & Lionne (Romef 177) •
«< On a averti M™* de Chaulnes de prendre garde ((ue M. l'ambassadeur ne
bût pas dans le verre de Tabbatc Elpidio. L'on le croit entaché, et Ton coornit
risque de gagner beaucoup avec lui. L'avis vient de bon lieu et d'un de vot
bons amis. »
DÉBUT DE L AMBASSADB DE CHAULNËS 83
non vacando (l), et la nomination appartient au roi. —
le bref? », dit le pape, qui d'ailleurs ajouta, en recevant
de nomination : « Faremo nella prima promotione;
» Puis il interrogea l'ambassadeur sur la santé du roi,
Tossesse de la reine. — Nous aurons bientôt « un troi-
rotecleur du saint-siège. » — « A quoi Sa Sainteté ré-
Je le souhaite, et m'ayant dit ensuite : Comme nous
pas encore la tête bien forte... Alors, sans attendre la
iscours, je me levai et ayant porté seulement trois ou
fi^râces des particuliers, selon la coutume, je les lui
ii, et en les prenant elle me dit : J*en aurai soin et les
rerai non seulement comme de M. l'ambassadeur, mais
du duc de Chaulnes, je répondis par trois révérences
int accompagnées de trois bénédictions. » Je passai chez
irdinal Chigi, qui me demanda si j'avais parlé au pape
ces pendantes : « Je lui dis qu'il me faisait un grand
pouvoir croire que j'exposasse Votre Majesté à des re-
ains, et sur cela je lui confirmai que je ne parlerais
de rien au pape qu'il n'eût donné à Votre Majesté des
s d'un véritable rétablissement d'intelligence. Alors il
[u'il y contribuerait toujours, et qu'il n'avait pas manqué
tr au pape, mais que Sa Sainteté prétendait d'être créan-
1 sel d'Avignon et du jugement de l'affaire de M. de Mo-
-Ce que je puis recueillir. Sire, de ces deux audiences
1 m'a semblé, par le discours de M. le cardinal Chigi,
Sainteté, comme par point d'honneur, souhaiterait que
lajesté fît quelque petite chose pour agir après de son
ant le terme dont il s'est servi, et ce qui me le confirme
Sa Sainteté ne me parla point du monte Estense ni du
vignon] (2). »
ces deux affaires comme dans celle de Tabbave d'Au-
Louis XIV causait un grave préjudice au pape, et
dre VII avait eu, en effet, la délicatesse de ne les pas
r au duc de Chaulnes. Elles se rattachaient l'une et
I nV'taii pas vrai : ChaulDes le savait bien, puisque raffaire était en
)D depuis deux ans, et le roi le lui rappela dans sa réponse du
)re, que ouus verrous plus loiu. {RomCt 179.)
12 octobre 1666. Rome, 178.
84 CHAPITRE TREIZIÈME
l'autre au traité de Pise, si fidèlement observé par la cour pon-
tificale, et dont Louis XIV refusait d'exécuter deux articles. Le
monte Estense était un des points en litige entre le duc de Mo-
dène et le saint-siège : pour en finir avec les prétentions de la
maison d'Esté, le pape s'en était remis à l'arbitrage du roi, qui
avait accepté la mission, mais qui ajournait sa décision, parce
qu'elle ne pouvait manquer d'être défavorable au prince son
protégé. Le sel d'Avif/non motivait encore mieux les plaintes
d'Alexandre VII : Avignon et le Comtat-Venaissin devaient
être restitués au pape avec tous les droits et toutes les fran-
chises dont jouissait Tenclave pontificale avant Tinvasion fran-
çaise. Or la France refusait d'ôter les gabelles qui n'avaient
été introduites dans ces deux États qu'avec la domination
royale. Sur ces trois points, le roi avait adressé à son ambas-
sadeur des instructions qui ne lui permettaient pas de donner
satisfaction au pape.
1. Dîtes, écrivait Louis XIV, que je suis prêt à juger le
différend de la Chambre apostolique avec le duc de Modène
pour le monte Estense vincolato^ après avoir pris l'avis de
gens de robe qui entendront les deux parties, suivant la
proposition du nonce. — Mais ce n'était là qu'une promesse,
sans délai fixé pour son accomplissement. — 2. Je maintiens
les gabelles d'Avignon : je m'engagerai seulement à donner
au cardinal Chigi une indemnité de 30,000 livres par an, tant
qu'il demeurera légat de cette province. Ce sera un précédent
dont pourront se prévaloir les cardinaux neveux ses succes-
seurs, et qui les obligera de mieux vivre avec moi. — Une
condition aussi injurieuse ne fut pas même prise en considéra-
tion parla cour pontificale (1). — 3. « Quant à la plainte que
Sa Sainteté vous a faite avec tant d'exagération de ce que je
lui refuse une justice touchant l'abbaye d'Aumale, il est vrai
que le bref rfe wo« vacanûf(?,qu'on prétendait qu'a eu lesieurde
Nozet, ne s'étant pu trouver ni dans ses papiers ni dans les re-
gistres do la daterie, Sa Sainteté est fondée en droit d^y potif-
voir, » — On croit sans doute que le roi va s'engager à ne plus
entraver la prise de possession de l'abbaye par M. de Senas,
(1) Le roi à Chaulues, 5 septembre et 24 décembre 1666. Romef 179.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 85
qui en a été pourvu par le pape? Non, il a développé, dans ses
instructions à M. de Chaulnes, une théorie particulière sur
l'interprétation du Concordat : « Pour les brefs de nonvacando
in curiây que jamais aucun pape avant Innocent X n'avait re-
fusés à la seule première instance qui lui en était faite, Sa
Sdajesté a trouvé facilement le remède à la dureté de cette
nouvelle introduction (1), par laquelle il semble qu'on veuille
r>ler le moyen de gratifier d'aucun bénéfice des cardinaux ita-
liens ou d'autres de la même nation (en quoi pourtant la cour
de Rome, considérée soit en général ou en particulier, a un in-
térêt directement contraire), ou qu'on veuille s^établir comme
par force un droit de pourvoir à toutes pareilles vacances, dont
néanmoins les autres papes se sont toujours si aisément relâ-
chés en accordant les dits brefs de non vacando au premier qui
les demandait, Sa Majesté, comme on a dit, y a déjà trouvé le
remède en défendant auxdits cardinaux de faire expédier au-
cunes bulles des abbayes qu'elle leur a données, qu'ils n'aient
auparavant obtenu le bref de non vacando in curid. Cependant
jouissant, comme ils ont fait, du revenu temporel, ni Sa Ma-
jesté, ni eux n'en reçoivent aucun préjudice, mais la seule da-
lerie de Rome, qui perd ses émoluments de l'expédition des
bulles (2). » En définitive, Louis XIV veut bien retirer sa no-
mination, mais seulement si le pape rétracte la sienne. Et qui
!hoisira le nouveau titulaire? le roi, qui lui permettra de de-
nander à Rome Tinstitution canonique ! Et encore cetle pré-
;endue concession n est pour Louis XIV que le prix d'un
contrat do lit des : il y met comme condition que le pape lui
(1) Le pape, ayant un droit formel, pouvait en user avec ou sans dureté^ et
a cour de France n'avait rien à y voir. La dureté prétendue d'Innocent X est
l'ailleurs trop facile à justiûer. Jamais les biens do l'Église, en France, n'ont
ft^ gaspillés avec plus de scondale, jamais le trafic des consciences n'a été
>li2s éhonté que sous le ministère de Mazarin : archevêchés, évôchés, abbayes,
léDétices de toute nature, pensions sur bénéfices étaitîut prodigués par lui à
[ui voulait se vendre, comme Grimaldi, Antoine Barberini, Renaud d'Esté,
«aidalchiui, Orsino, Michel .Mazarini, Mancini. Bichi, pour ne parler que des
ardinaux : Innocent X voulut opposer à cette corruption un obstacle, le seul
[ui dépendit de lui, et la royauté employa tous les moyens possibles pour
euJre inefficace lu juste résolution du saint-siège.
(2) Romey 116.
86 CHAPITRE TREIZIÈME
accordera toutes les grâces qu*il lui a plu d^inscrire dans le
mémoire du légat !
A peine le duc de Chaulnes est-il sorti do l'audience du
8 octobre qu'il lui en faut une autre : il veut étonner Rome
par son activité et arracher au pape sans délai ce qu'il ne venl
même pas avoir la peine de solliciter. Alexandre VII a pu se
faire porter pour quelques semaines à Castel-Gandolfo où, de-
puis que les crises de son mal sont plus fréquentes, il n'admel
pas les envoyés des princes, et n'appelle que les cardinaux,
ses ministres et ses officiers. On apprend bientôt, en ville, que
le repos et Tair de la montagne ont rendu quelque force au
pontife. C'est pour le duc de Chaulnes une nouvelle occasion
de se railler du pape (1), de Taccuser d'indifférence pour les
grands intérêts de TÉglise, de mépris pour les couronnes et
en particulier pour la France. Il demande que le roi refuse
l'audience au nonce Roberti ; il presse confidentiellement
Lionne de lui faire donner des instructions plus vigoureuses:
« Je prétends les tarabuster de manière que, si je ne gagne
rien, je n'aurai pas le regret d'avoir manqué en rien de ce
qui aura pu dépendre de mes soins (2). » Chaulnes charge
ensuile Machaut de développer les projets qui défraient les
entretiens du palais Farnèso : Le pape, écrit cet abbé au
ministre, est « un pédant présomptueux, un chimérique qui
(1) Sorti de Rome, le 16 octobre, lo pape descendit de !«a chaise « pour aller
quelque temps à pied, puis se remit eu crenan et fit une lieue dedans l'ayant
trouvé fort commode. Si iM. de Crenan voulait présentement demander quelque
grâce, de la manière que sa chaise a réussi, je ne doute pas qu'il ne l'obUenne.
Mais s'il est sans intérôt, il ne sera pas du moins sans gloire que Ton puisse
parier, dans les histoires, du grand Alexandre assis dans la chaise de saint
ÏMerre et de Crenan. » (Au roi 19 octobre 16()6. P^ome, 178.) — Si Alexandre VU,
nn des hommes les plus lettrés de son temps, relève une citation inexacte de
Martial, (ce quiu>st môme qu'un propos en l'air), l'ambassadeur français écrit
au roi que le pape s*occupe à corriger l'impression de Martial, et que « là-
dessus les savants battent des mains, eu disant : 0 le grand pape I n (A Lionne,
2 novembre. HomCf 179.) — L'abbé de Machaut, qui,;non plus que Tambassa-
deur, n'a mis le pied à Castel-Gandolfo, envoie à Lionne les fables les plus
ineptes sur la vie que le pontife malade m(>ne à la campagne. Notez qu'U
résulte de la correspondance même des Français qu'Alexandre VII mande suc-
cessivement auprès de lui, pour l'expédition des affaires, tous les membres du
sacré collège et de sa cour.
(2) 2 novembre 1666. Rome, 179.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 87
o'a pas d'autre pensée que de réformer la langue latine, qui
n'aura jamais de scrupule de précipiter les intérêts du public
pour faire injustement éclater son ressentiment contre les par-
ticuliers; qui vraisemblablement n'aura plus d'autre applica-
tion désormais chea fare solamente quello cKè accommodato
per la sua salute, per l interesse dei suoi; qui a pris une certaine
route rft coglionare fieramente tuUo ilmondo, e che hamagran
pruriio di coglionarlo ancora a fadvenire. Il est indubitable,
quelque flegme et quelque habileté qu'ait votre ambassadeur^
quelque autorité même que vous lui donniez, il ne peut pas
qu'il n'ait de grands chagrins et des mortifications, comme di-
sent les Italiens... » M. de Gbaulnes est réduit à « traiter avec
des gens sans parole et sans honneur... Vous êtes obligé, dans
les occasions, d'en toucher quelque chose à Sa Majesté... L'on
s'attend que vous prendrez désormais des résolutions de vivre
avec un homme mal intentionné... Il faut, Monseigneur, par
ces expédients dont vous êtes si fertile, faire au moins con-
naître qu'il est impossible de le retirer de saléthargie; il faut
par quelque coup de politique qui lui soit imprévu, lui faire
faire des démarches qui lui seront honteuses pour jamais. »
— « Pour vous engager, il serait nécessaire de donner les
moyens à M. l'ambassadeur de les piquer sensiblement et de
les embarquer dans quelque intrigue où on eût lieu de publier
leurs manières d'agir. Vous pourrez bien mortifier M. le nonce
quand vous lui ferez comprendre, une fois pour toules,que vous
n'aurez jamais aucun égard à ce qu'il vous pourra proposer;
que vous êtes déterminé de n'écouter jamais quoi que ce soit
qui ne vienne par la voie et par l'organe de M. l'ambassadeur.
Il faut faire en sorte qu'il l'écrive et qu'il l'inculque à ces
messieurs, qui, reconnaissant l'autorité dans laquelle sera
M. de Chaulnes, prendront sans doute une autre politique, ou,
s'ils ne la changent, ils ne seront pas exempts de recevoir dos
marques de son esprit et de sa résolution. Je sais de bonne
part che fhanno in concetto didolce. Il a fallu même, après ce
qui était arrivé de M. de Créquy, qu'il s'établit sur ce pied.
Maintenant qu'il est au comble de cette réputation qu'il était
besoin d'acquérir, il est de nécessité de leur faire qualche
hravala; de leur faire sentir de ces traits imprévus qui les
88 CHAPITRE TREIZIÈME
étonnent, d'avoir une politique plus ferme et plus vigoureuse...
Il ne faut pas barguigner là-dessus. J'en prévoirais autrement
des conséquences si fâcheuses qu'elles discréditeraient absolu-
ment un ambassadeur. Ce vous doit être un grand repos d'es-
prit de mettre des armes dans les mains d'une personne qui a
autant de flegme et qui ne s'en servira jamais que fort à pro-
pos... Vous voyez, Monseigneur, comme quoi il y a peu de
chose à espérer du palais. Il serait plus utile de songer à faire
un parti considérable dans Rome, et c'est le seul succès que
vous pouvez espérer de cette ambassade qui finira assurément
dans ce pontificat-ci. Jamais homme du monde n*a été si
propre pour des conquêtes que M. de Chaulnes et chacun voit
visiblement qu'il fera ici des progrès admirables^ pourvu qu'il
soit aidé (1) : avec toutes ses belles qualités, il ne peut avoir
celles de la création (2). »
Louis XIV calma cette impatience qui pouvait amener un
incident prématuré, et sa réponse prouve qu'il ne prenait pas
lui-même au sérieux ses récriminations contre le souverain
pontife : «... Ne vous donnez aucun chagrin ni du relard des
audiences, ni du refus des grâces : ce sont deux choses aux-
quelles je me suis attendu, si le pape vivait, lorsque je vous ai
choisi pour l'emploi que vous avez. Témoignez plutôt une
grande indifférence et pour les unes et pour les autres; et en
effets quand Sa Sainteté, ne voulant d'ailleurs rien accorder
de tout ce qu'on lui demande, se prive volontairement d'un
moyen de voir à ses pieds un ambassadeur de France qui fait
le plus grand lustre de sa cour^ on peut dire, sans offenser sa
dignité, qiCihj perd plus que vous^ qui n'y allez que pour lui
(1) C'est-à-dire, pourva que tous lui envoyiez de l'argent. La suite de ces
récits nous montre le duc et la duchesse de Chaulnes, au milieu de leur splen-
deur, plus faméliques que le duc de Créquy ; et Tabbé de Machaut était spécia-
lement chargé de mendier pour eux aupr(^s du roi et de Lionne.
(2) 19 octobre et 2 novembre 1666. Rome, 178 et 179. Ces dépêches et d'autres
de môme style attirèrent à leur auteur Testime et la confiance du ministre,
qui lui destina remploi d'auditeur de rote pour la France, afin de le charger
des afTaires du roi, comme Bourlemont, pendant la var.ance de Tambassade :
u II faut que vous m'aidiez à faire cet abbé auditeur de rote; mais il faut que
vous soyez ici pour cela, que l'on n'en parle point de delà, et que cependant
il étudie le droit canon avec application. » (Lionne à Chaulnes, 25 mars 1667.
Rome, 182.)
DÉBUT DE l'ambassade DE CIIAULNES 89
rendre du respect et de Thonneur; et je ne sais si, au lieu de
prendre la chose comme un mauvais traitement dont il ne sert
de rien de se plaindre, vous n'embarrasseriez pas davantage
le palais de ne le regarder que comme un lieu où vous n'avez
aucune affaire, laissant niême parfois et souvent passer les jours
des audiences ordinaires des autres ministres étrangers, sans y
aller ni même la demander, comme li ayant aucune chose à
y traiter; et voyant d'autant plus fréquemment les cardinaux,
et particulièrement les plus habiles et les plus accrédités, pour
prendre avec eux des mesures pour d'autres temps plus favo-
rables, qui est ce qui se peut faire présentement de plus ulile,
à Rome, pour le bien de mes affaires. Car, pour les grâces,
qui est l'autre point qui fait quelque peine à votre zèle, si je
prétendais de Sa Sainteté quelque ligue ou chapeau hors de
ma nomination ordinaire pour quelque personne que j'eusse
dessein de favoriser, une faculté de vendre des biens ecclésias-
tiques, comme il en a été accordé à des rois mes prédécesseurs
pour subvenir aux nécessités de leur État, et autres choses
semblables, extraordinaires et avantageuses, je pourrais être
touché, et vous aussi, des continuels refus de Sa Sainteté; mais
je suis bien aise de vous dire que tout ce dont f avais chargé vos
instructions 7ie mérite pas que je m'en inquiète un seul instant;
et que ces grâces me seront aussi bonnes en un nouveau pon-
tificat qu'en celui-ci, pourvu que ma conscience ne soit
point chargée, comme certainement elle ne le peut plus
être, de la longue vacance des évêchés d'Elne et d'Arras (1),
et de ce qui se passe dans les Trois-Evêchés à l'égard de
quelques bénéfices qui y sont même en très petit nombre. »
— Cette dépêche royale recevait toute sa signification de la
lettre particulière de Lionne qui l'accompagnait (2) : « Ne
vous inquiétez nullement, disait le ministre, sur le fait des
audiences et des grâces. Vous embarrasserez bien davantage
li) MazariQ et le roi étaient seuls responsables de ces vacances prolongées.
U dooDioatioa espagnole ayant cessé dans ces diocèces, et le Concordat n'y
étant pas applicable, ils étaient soumis au droit commun. L'élection apparte-
Qiit aax chapitres et, par dévolution, au pape. Mais, le roi menaçant de ne
{AS laisser les nouveaux titulaires entrer en possession, les chapitres et le
pape, pour éviter un plus grand mal, ajournaient Tezercice de leur droit.
(2) 26 novembre 1666. Rome, 179.
90 CHAPITRE TREIZIÈME
les gens à qui vous avez à faire, quand vous témoignerez
mépriser fort les unes et les autres, et qu'on vous verra souvent
pratiquer les cardinaux. Un de nos amis veut ici brûler tous
les livres d'astrologie 5? le seigneur ne décampe au mois de fé-
vrier prochain. Je n'ajoute pourtant nulle foi à cela : mais il
faut aller son chemin avec hauteur et grande indifférence, et
principalement après avoir mis les gens dans leur tort(i). »
Alexandre YII ôta bientôt à l'ambassadeur tout prétexte de
plainte : il revint à Rome dans les derniers jours do novembre
et fit avertir les ministres étrangers (2). Le 3 décembre, le
duc de Chaulnes se rendit au palais avec plus de cent cin-
quante carrosses, pour fatiguer encore le pape des sollicitations
royales en faveur de M. de Vendôme, et bien inutilement,
puisque la nomination était admise en principe et qu'il n y
avait pas de nouvelle vacance dans le collège : « Sa Sainteté,
raconle-t-il, me répondit d'une manière de sourire, et ensuite
me demanda si M. de Vendôme n'avait pas pris la soutane^ )
et, sur mes instances réitérées, ajouta : « 11 faut faire peui
peu et contenter tout le monde. » — Je lui représentai que \\
France n'avait qu'un cardinal national, comme TEspagne, e
que TEmpire en avait deux. — Mais ne comptez-vous pa
comme Français les cardinaux Antoine Barberini, Orsino
Maidalchini et Mancini (3)? — Ce sont des Italiens rangés dan
le parti de France, mais M. le cardinal de Retz est seul fran
çais. — «SurquoiSaSaintetéme répondit: Monsieur Tambassa
deur, ce n'est pas ma faute, car je voulais en faire encore pou
la France; mais M. le cardinal Mazarin voulut absolumen
son frère (4), et me cria tant : Mon frère ! mon frère ! qu'il fal
(1) Â quoi le duc de Chaulnes répondit : « Si Pami dont vous m'écrivez vei
brûler ses livres en cas que le pape ne rende pas un grand service à toute l
chrétienté avant la fin de février, et s'il a une bibliothèque, je pense qu'il e
bon qu'on prenne quelque précaution pour empocher que le grand feu qu
fpra bientôt ne cause, comme on l'a vu à Lou<lres, un grand embrasement.
(22 décembre. Rome, 179.)
(2) « l\ ne s'est pas rét^ibli comme l*ann('^c passée, ayant assez souvent d
petits ressentiments. » (Chaulnes au roi, 30 novembre. Rome, 179.)
(3) 11 aurait pu ajouter les cardinaux d'Esté et Grimaldi.
(4) Il ne s'agit pas ici da propre frère de Mazarin, nommé cardinal par In
noceut X en 1647, et mort en 1648. mais de Mancini, frère de son beau-frèn
Lorenzo Mancini, qui avait épousé sa sœur cadette.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 91
lut le faire : ce n'est pas qu'il ne soit un bon homme, pourvu
qu'il ne fasse rien. » Sa Sainteté me lit observer que M. de
Vendôme, ayant porté les armes, ne pouvait être promu sans
une dispense, et répéta : « Peu à peu. — Sur quoi, lui ayant
répondu que je croyais que Sa Sainteté considérerait que c'é-
tait même une salisfaction si grande aux couronnes qu'à l'égard
de Votre Majesté elle pourrait passer pour un commencement
du rétablissement d'une bonne intelligence, là, Sire, la con-
versation commença de changer de face, et de douce qu'elle
avait été, elle se tourna en aigreur. — Le pape m'ayant dit
que Votre Majesté ne faisait rien pour la rétablir, puisque son
nonce ne pouvait obtenir une grâce ; que, depuis dix-huit mois,
tout ce qu'il avait demandé lui avait été refusé, et sur cela
s'emporta dans une longue discussion de toutes les choses
passées, sur l'affaire de M. de Créquy Quoi! dit-il, le roi
me voudra toujours faire faire les choses haut Le bras et à la
lêle d'une armée !... hé bien! Monsieur l'ambassadeur, je ne
veux plus rebattre ces choses. Je vous dirai seulement : Que
le roi me fasse une grâce, j'en ferai quatre... » L'entretien
porta ensuite sur la répression des jansénistes, qui jusqu'alors
avait été le sujet de conférences directes entre le nonce et la
conr de France, mais dont le duc de Chaulnes venait d'être
saisi.
Alexandre VII avait pris part, comme secrétaire d'Etat sous
Innocent X, au décret qui condamna les cinq propositions^ et
il avait lui-même publié contre les novateurs la bulle du
15 février 1665. Nul n'apercevait mieux que lui le danger de
cette doctrine et ne mettait plus d'énergie à défendre l'inté-
grité de la foi; mais il avait toujours usé envers les personnes
des tempéraments conciliables avec la justice, et il avait prévu
dès Torigine combien nuirait aux intérêts de la religion l'in-
tervention trop active du pouvoir civil dans une question spi-
rituelle. Sans doute il fallait bien que la royauté connût les
constitutions pontificales qui définissaient l'hérésie pour qu'elle
ne présentât pas de janséniste à l'épiscopat, et pour qu'elle
concourût à Texécution des jugements canoniques qui pour-
raient déposer de leurs sièges des évoques convaincus d'er-
reur : aussi le pape avait il applaudi au prompt enregistrement
92 CHAPITRE TREIZIÈME
de sa bulle au Parlement, dans la solennité d*un lit de justice;
mais il redoutait les tendances de la couronne à empiéter sur
la juridiction des ordinaires et même sur celle du saint-siège,
sous prétexte de les protéger. Il s*éiait justement inquiété des
premières mesures prises par Louis XIV, lorsque quatre évê-
ques(l) eurent refusé de signer le formulaire prescrit parla
bulle Regimini, et que six de leurs collègues (2) parurent
approuver cette résistance. Sans concert avec le saint-siège,
le roi fit casser les dix mandements par des arrêts de sonCon-
seil, renouvelant ainsi l'usurpation flagrante qu'il avait déjà
commise lorsqu'en 1654 le Conseil d'Étal avait, par son ordre,
cassé les actes du cardinal de Retz, archevêque de Paris,
déclaré ouverte la vacance d'un siège et réglé Tadministralion
spiriluelle d'un diocèse. Après plus mùro délibération, il
daigna s'adresser à Rome; mais, comme dans l'affaire du
cardinal de Retz, il entendit que le sainl-siège se conformât
aveuglément à ses décisions, et ne fît que leur donner les
formes canoniques. Le pape connaissait bien le caractère
français, les variations de la cour, rattachement notoire des
trois principaux ministres, le Tellier, Colbert et Lionne, à la
secte, rindiscipline gallicane, la passion que plusieurs adver-
saires des jansénistes mêlaient à un zèle sincère pour la foi, et
il refusa de mettre la suprématie papale au service de la cou-
ronne. Il annonça l'intention de donner un bref de censure
contre les actes épiscopaux : la cour de France répondit aus-
sitôt qu'elle voulait « une bulle on plomb qui condamnerait
les mandements, sans parler toutefois de distinction de
fait et de droit. » Ces temporisations si légitimes et si sages
irritèrent le roi qui ne souffrait nulle part la contradiction et
qui, voulant pousse?' à bout les quatre évêques, invita le
pape à désigner dos juges pour leur faire le procès. « L'am-
bassadeur trouva des difficultés, de la part du pape, à exposer
son autorité, qu'il commettait avec le clergé de France dans
(1) Met, Angers, Beaurais et Pamiers.
(2) Vence, CoDimioges, Noyon, Saiutes, Coi)seraD9, Luçod. Pour tous les
incidents, je renvoie aux histoires spéciales; je ne nrattache qu'à éclairer
d'un jour nouveau, d'après les documents les ])lus authentiques, la conduite
du roi, si contraire à celle du souverain pontife.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULxNES 93
ce jugement, lequel lui paraissait délicat au dernier point;
et le roi dépêcha un courrier exprès pour presser l'exécution
de la demande, qu'il faisait au saint-père, de nommer des
commissaires pour ce jugement, qui tardait trop au gré de son
zèle et de Timpatience qu'il avait pour en voir la conclusion(i ). »
Le duc de Chaulnes eu avait avisé le pape pendant le séjour
à Castel-Gandolfo ; il aurait voulu être mandé aussitôt dans
celte résidence; mais Alexandre VII, sur le point de revenir
à Rome, renvoya l'examen de la requête à une Congrégation
spéciale, qui prépara la décision (2). Le roi avait prétendu
régler la procédure : il voulait douze juges, pas un de plus,
pas un de moins. Il avait emprunté ce chitfre à d'anciens
canons qui prévoyaient le jugement d'un évêque par son mé-
tropolitain. Vainement on objectait que c'était Taiïaire du
souverain pontife : « La députation de douze commissaires,
disait le cardinal Âlbizzi, a trop de rapport à une assemblée
du clergé et l'expédient parait plus long et plus difficile, par-
ce qu'il semble que plus il y a de monde, plus il y a de diffi-
culté de s'accommoder et de s'unir dans le même sentiment,
et il semble que ce serait le compte des quatre évèques pour
pouvoir gagner quelqu'un des douze, et empêcher l'effet du
jugement ou le jugement même. L'ordre établi en cour de
Rome est de donner des décisions. Quand il s'agit de faire
souscrire, comme en cette occasion, qui ne souscrit pas n'est
pas seulement criminel, mais condamné, et il ne reste qu'à
exécuter la peine : ainsi, des évoques n'ayant pas signé, il
n'est pas besoin de leur faire le prpcès, mais d'exécuter la
punition. » Le cardinal Pallavicino déclarait également que
le pape n'accorderait rien qui ne fût dans les formes accou-
tumées.— Le duc de Chaulnes répondit que, s'il en était ainsi,
« il ne manquerait pas de féliciter les quatre évêques inté-
ressés de leur faveur en cette cour, et de ce qu'ils pouvaient
ajouter à leur titre d'évéque par la grâce de Dieu, celui de
(1) Mémoii^s du Père Rapin, t. IH, p. 373, 393 et 4^3. Ce religieux n'est
poiul un apologiste du saint-siège, qu'il accuse de faiblesse coupable envers
les jansénistes.
(2) Chaulnes au pape, 7 novembre; au P. Oliva, 9 novembre; au roi, 16 et
ti novembre. Le roi à Chaulnes, 26 novembre 1666. Romej 179.
94 CHAPITRE TREIZIÈME
janséniste par la permission du pape; — et qu'il n'y aurait
pas de termes assez forts pour dire ce que c'était d'un pape
qui voulait s'appuyer d'une secte hérétique contre unKoi 1res
chrétien. »
Louis XIV ne savait traiter que de ce ton impérieux : « Je
ne demande en ceci aucune grâce, disait-il, et je prétends au
contraire qu'on me soit plutôt obligé des procédés que je
tiens pour faire exécuter les bulles et rétablir l'unité de senti-
ments dans l'Église. Sur quoi, je vous ai chargé de faire com-
prendre à Sa Sainteté la sincérité de mes intentions, et jus-
qu'où je puis aller, sans blesser les droits de ma couronne ni
les libertés et privilèges de TEglise gallicane, ni me départii
des mœurs et usages de mon royaume. » C'est donc avec
raison que, dans l'audience du 3 décembre, Alexandre VU dii
au duc de Chaulnes « qu'il était fâché de voir Sa Majeslt
prendre des expédients si contraires à la véritable manièn
d'éteindre cette hérésie, et qu'il était étrange qu'elle ne 1(
voulut jamais croire. » — Le roi craignait de passer poui
avoir peur des jansénistes ; il écrivait à son ambassadeur
« Quand vous entretiendrez le pape de l'affaire, il ne sera qm
bon que vous tourniez enridiciileypar quelque raillerie piquante
les judicieux auteurs de semblables avis, et, pour le fonds
vous témoignerez à Sa Sainteté.... que j'ai cru être obligé ei
conscience de contribuer de ma part à abattre entièrement h
secte du jansénisme par le châtiment des quatre chefs les plus
qualifiés qu'ils ont, ou en les ramenant à la saine doctrine;.,
que si Sa Sainteté n'estime pas à propos, pour des considéra
tions où je ne veux point entrer, de devoir suivre celte voie
ma conscience étant satisfaite par les diligences que j'aura
faites, j'en demeurerai là sans aucune peine et vous ai donn<
ordre de ne lui en plus parler; ajoutant même que, si Si
Sainteté considère mon instance comme une grâce que je lu
demande plutôt que pour un désir de lui complaire en faisant
observer ici ses constitutions, vous en révoquez vous-même
l'instance, ne voulant jamais lui faire de propositions dont elb
se tienne importunée (1). » Excité par ce langage, le duc d(
(1) lO^décembre 1666. Ronie^ 119.
DÉBUT DE l'ambassade DE CIIAULNES 95
Chaulnes se répandait en plaintes contre les prétendues len-
teurs du saint-siège, et, le cardinal Pallavicino lui étant venu
dire avec quelle sollicitude le pape personnellement et la cour
poQtificale examinaient la requête royale, il eut Tinsolence,
c'est lui-même qui s'en vanta, do « traiter cette affaire en
plaisanterie. » Je lui dis, écrit-il, que je ne sais plus ce qu'il
va dans ma requête, tant il y a longtemps que je l'ai pré-
sentée ; la couscience du roi est en repos ; une hérésie de plus
ou de moins importe peu au pape. Pour moi^ je l'ai oubliée,
«sur ce que j'avais cru que M. le cardinal Chigi et Sa Sainteté
l'eussent oubliée les premiers. » — Le cardinal Chigi tient
l'ambassadeur au courant des travaux de la Congrégation et
du pape lui-même : J'ai vu ce cardinal, dit Chaulnes; je lui
réponds que le palais cherche des difficultés; « que Votre Ma-
jesté était mieux instruite des expédients qui étaient à prendre
que les Italiens, et qu'ainsi ron ne pouvait travailler qti*à
rendre obscure une affaire claire et mettre des ombres à la lu-
mière, non pas de celles qui font mieux paraître les objets dam
leurnaturely mais des autres qui les obscurcissent tellement
fion ne les voit que dans la confusion (1). » — Louis XIV écrit
de son côté : « Dans une affaire qui doit s'exécuter dans mon
royaume, lequel a ses mœurs, ses lois et ses privilèges, dont
je ne puis jamais me départir, la raison voudrait que Sa Sain-
leté eût agréable d'ajouter plutôt foi à ce que je lui fais repré-
senter, aprèsavoir consulté les plus habiles gens en ce fait-là,
que de suivre des sentiments qui lui sont suggérés par des
personnes, qui ne peuvent avoir toutes les connaissances qui
sont nécessaires pour prendre un bon avis. Comme ce qui re-
garde ma conscience sera pleinement à couvert, je m'en met-
trai facilement l'esprit en repos. Je connais mieux aussi que
Sa Sainteté l'esprit et les mouvements des personnes dont je
me sers dans mes affaires, et j'ai déplaisir de la voir si mal in-
formée, par les fausses suggestions de son nonce imprudent,
qu elle considère comme les plus grands fauteurs du jansé-
nisme ceux qui me parlent le plus tous les jours de sa destruc-
tion. — Quant à l'autre prétention que la cour de Rome peut
\) Aa roi, i'8 décembre 1666. Rome^ 179.
96 CHAPITRE TREIZIÈME
avoir sur cette affaire, qui serait de commettre seulement des
députés pour l'instruire, se réservant la faculté de décider sur
leurs rapports, elle serait fort absurde^ contraire ànos mœurs
aux concordats et aux privilèges de l'Eglise gallicane, voire au
droit qu'ont tous mes sujets, soil laïques, soit ecclésiastiques,
de ne pouvoir être jugés que dans mon royaume, sans pouvoir
être traduits au dehors, et c'est pour cette raison que, dans
les causes majeures des ecclésiastiques qui peuvent être réser-
vées au pape par le Concordat, f ai accoutumé àe demander au
pape qu'il délègue des commissaires pour juger souveraine-
ment m po/'//Aî/s (1) ces sortes d'affaires (2). »
Les prétentions royales préoccupaient justement la Congre,
gation : Alexandre VII, pour lui donner plus d'autorité, y fit
entrer les cardinaux Rasponi et Celsi^ ce dernier déjà papable.
Le cardinal Cliigi ayant informé le duc de Chaulnes que la
délibération approchait de sa fin, l'ambassadeur écrivit : Je
répondis « qu'après tant de soin que l'on prenait de ramas-
ser partout des difficultés et de les appuyer par de nou-
veaux secours dans celte assemblée, il était difficile que Sa
Sainteté ne réussît dans le maintien de cette hérésie, vu même
les ordres que j'avais de n'en plus parler, si Sa Sainteté faisait
quelque difficulté. » Les cardinaux donnèrent bientôt leur avis
au pape, qui proposa de députer, comme exécuteurs, l'arche-
vêque de Paris, ou trois évoques agréés par le roi, pour or-
donner aux quatre évoques de souscrire le formulaire dans un
délai de doux mois, et, en cas de refus, les déclarer suspens
diponti/kali, privés de la juridiction épiscopale et de Tentrée
à Téglise. Marescotti, secrétaire de la Congrégation et asses-
seur du saint-office, fut chargé de notifier cette décision à
l'ambassadeur : c'était un prélat qui devait à sa science, à
SOS charges et à Tantique noblesse de sa famille une grande
considération dans Rome; il était destiné au cardinalat, et la
(1) Rieo n'eet moins exact, âucuu évêque ne fut mis cd jugement sooa
Louis XIV. Ce prince n*a demandé qu'uucfois des jupes inpnrlibusy c'est dans
rafTairc du cardinal de iletz et le pape les avait refusés, parce que la pré-
tention du rui était contraire aux lois écrites de TÉglise et de TËtat et à une
coutume de plusieurs siècles.
(2) Le roi à Chaulnes, 31 décembre 166G. Home, 179. — 7 janvier 1067, Rome,
ISi.
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 97
suite de ces récils nous montrera en lui, pendant plus de cin-
quante ans, un des plus brillants ornements du collège. Voici
comment il fui reçu au palais Farnèse. Le duc de Chaulnes
écrivit au roi (1) : « Votre Majesté m'ordonnait, par sa der-
nière dépêche, de décrier la conduite du palais par des raille-
ries piquantes : m'étant trouvé plus fort qu'auparavant, M. Ma-
rescotli a été obligé d'en essuyer beaucoup. » Je tournai en
dérision Thabileté du nonce qui fait tomber les ministres du
roi dans ses panneaux et qui obtient tant de crédit auprès du
pape. Je lui déclarai « qu'en cette occasion j'étais convaincu
de ce que l'on m'avait toujours dit que je trouverais dans ce
ponlificat le raffinement véritable de la plus fine politique,
puisque assurément rien n'était plus conforme aux belles maxi-
mes d'État que de maintenir une hérésie terrible, comme est
celle des jansénistes en France, qui y bafoue si fort l'autorité
royale; que d'ordinaire l'on avait vu des révoltes éclater lors-
qu'elles avaient pu mettre un seul chef à leur tête, et que
celle-ci en avait quatre capables de conduire chacun un parti;
et qu'il ne serait pas peu glorieux pour Sa Sainteté de faire
voira tout le monde une hérésie, persécutée en France, trouver
on asile à ses pieds ; et ensuite lui fis voir en détail, » les hési-
tations et les relards qu'on avait apportés à me répondre,
ajoutant « que je me consolais de l'état des affaires temporelles
parla manière dont Sa Sainteté traitait celles de la religion.
Sur quoi, Je sieur Marescotli ayant voulu dire pour excuse
qu'étant arrivé des choses nouvelles depuis l'ordre qu'il avait
reçu et plusieurs autres méchantes raisons, et dites même
avec beaucoup de confusion, je lui dis que, nonobstant la
confiance que Sa Sainteté témoignait avoir de moi, je lui
témoignerais encore, en ce rencontre, plus de respect qu'en
tout autre, et lui donnerais des marques d'être dans ses
^Dtiments, puisque si, à la lecture de cet écrit qu'il me
donnait, quelqu'un voulait dire qu'il est clair comme le jour
que Sa Sainteté ne crût pas cette opinion si hérétique qu'au-
paravant, je ne laisserais pas de maintenir le contraire, quel-
que bonnes raisons qu'ils eussent, mais que je ne pourrais
(i)4JaaTier 1667. Rome^ 181.
LOOIS XIV R Ll 8AIRT-8IÈOI. ~~ H. 7
98 CHAPITRE TREIZIÈME
pas m'empêcher de demander quelques lettres de recomman-
dation à ces messieurs les évêques pour appuyer les grâces
que j'aurais à demander en cette cour; et, après quelques autres
pareils discours, m'ayant toujours prié de vouloir être persuadé
des sentiments de Sa Sainteté, il n*a pas perdu de temps de
prendre congé le plus tôt qu'il a pu. »
Louis XIV répondit : « Vous ne pouviez mieux parler que
vous Tavez fait au sieur Maroscotti, quand il vous a porté cette
belle réponse, et j'ai entendu avec grand plaisir la relation que
vous avez faite de la manière dont vous avez traité ce prélat
ou plutôt le sujet de sa mission. » — Il semble que le gallica-
nisme ne puisse aller plus loin dans l'expression du mépris
pour le saint-siège : cette mesure fut cependant dépassée. Le
roi ne voulut plus entendre le nonce, et, renouvelant un pro-
cédé usité au temps de Créquy, il exigea que la soumission
du pape fût faite entre les mains de son ambassadeur : « foi
défendu à Lionne, disait-il, d'écouter le nonce sur aucune chose
qui regarde cette alîaire. » Si on vous en parle, dites que je
m'en tiens à mes premières demandes; si Ton ne cède pas,
cessez toute démarche (1). Mais Roberti ne souffrit pas que
celte injure fût faite, en sa personne, au chef de l'Église : il
força bientôt Lionne de Técouter et de lui répondre. Le ministre
français, prévoyant les plaintes que Roberti allait porter, elle
retentissement qu'elles auraient à Rome, prépara aussitôt ses
moyens de défense et rédigea de sa main, pour l'envoyer à
Chaulnes, une longue relation de la conférence qu'il avait eue
le 1" février 1667 avec rarchcvêque de Tarse. On a vu plus
haut l'ambassadeur obéissant à Tordre de décrier la conduite
de la cour pontificale : Lionne joignait l'exemple au précepte.
Fidèle à sa coutume de décrier Roberti, il le représenta soos
des traits ridicules et lui prêta des discours extravagants;
mais la vérité est facile h retrouver sous ses fictions, et il
constatait sa défaite par la vengeance même qu'il essayait d'en
tirer (2).
Les deux adversaires avaient épuisé plusieurs sujets et le
(1) 28 janvier 1(367. Ilomc, 181.
(2) « Uolalion de ce qui s'est paasù entre M. le nonce et moi, le l" février
1G67 », envoyée à Cbaulues avec une dépêche du i février. RomCy 181.
j
DÉBUT DE l'ambassade DE Cil AULNES 99
nonce abordait l'affaire des quatre évèques, lorsque le ministre
Tinterrompit pour lui dire : Ce n'est pas Sa Majesté qui a pro-
posé au pape de commencer des procédures (1), mais le pape
qui a sollicité Sa Majesté d*appuyer ce qu'il ferait; au surplus,
toute Talfaire est renvoyée à Rome devant l'ambassadeur. « Il
me serait mal aisé, dit Lionne, d'exprimer dans quels empor-
tements de colère, et je puis dire, de fureur, se jeta d'abord
M. le nonce. Il était tout en feu et écumant comme un san-
glier, criant à se faire entendre de la basse-cour, battant des
pieds, s'en prenant à son cbapeau et à sa chaise, sans que j'al-
térasse le moins du monde le son de ma voix^ et jetant seule-
ment quelques reparties de fois à autre, qui allumaient
davantage son courroux. La plus douce parole qu'il me dit et
qu'il répéta souvent fut que le roi traitait le pape comme un
coquin, mais qu'il ne le souffrirait pas; qu'il en crierait jus-
qu'au ciel et s'en plaindrait hautement dans toutes les rues
de Paris; que le roi était trompé et moi aussi (à quoi je repartis
que c'était le pape et lui) ; qu'il était sans exempte quun prince
toultU empêcher un prince de lui faire dire ses raisons par son
propre ministre^ et qu'on ne ferait pas ce traitement à la répu-
blique de San-Marino. » Mais, quelque dur que soit l'aveu
pour l'orgueil de Lionne, il lui faut bien constater que le
nonce l'obligea d'accepter un débat sérieux sur les offres du
pape, la délégation de trois ou de douze évêques, etc. Six se-
«.aines plus tard, le pape, affligé des progrès que faisait l'hé-
résie et sentant ses forces diminuer, envoya de nouveau
Marescotti au palais Farnèse pour renouer la négociation.
Le duc de Chaulnes, encouragé par les éloges décernés à sa
dépêche du 4 janvier, fit de son nouvel entretien avec le pré-
;1) Il eit impossible de meulir plus audacieusemenl et Tou couçoit TAtou-
nement où cette assertion jeta Roberti. C'est le roi qui, voulant pousser à
^v/ les janiéDistes, a le premier demandé su nonce si le pape concourrait à
leur châtiment; qui a fait présenter sa requête au pnpe par le duc de Chaui-
DM: qui a réglé avec ses conseillers la procédure à suivre; qui a sollicité deux
breCi ^Toirnotamment la lettre du 8 octobre au duc de Chaulnes, Rome, 178);
lui a euvojé un courrier extraordinaire pendant qu'Alexandre Vil était à
C««tei-Gandolfo; qui a pressé, menacé; qui déclare que ni le pape, ni le» Ita-
iiriu ne peuvent rien entendre à cette affaire, et qui ne laisse au pape que le
pouvoir de ratifier ce qu'il a décidé.
400 CnAPlTRI TREIZIÈMB
lat un récit fmi nous montre encore Marcscotti, un des premier
canonistes du temps, confondu pai' la science supérieure d
rambassadôur et déconcerté par ses moindres objections {[]
La maladie du pape s'açgravant, la Congrégation hâta so
travail et chargea le cardinal Albizzi de conférer avec le du
de Chaulnes : ce prélat lui annoni^a que le pape persistait dar
son dessein de ne déléguer des commissaires que pour ex(
cuter. On se rappelle que c'était Topinion personnel le d'Albizz
si favorable pourtant aux vues des Français, et c'est par cet
double raison que ses collègues l'avaient choisi pour leur ii
terprète. Sa raison principale, écrivit le duc de Chaulnes, fi
« que les décisions des opinions de foi appartiennent au pa]
seul, et si Sa Sainteté donnait des juges, ilne se pourrait qui
n'entrassent en partage de cette autorité réservée au pap
puisque les juges étant obligés de juger sur les défenses d<
quatre évêques, lesquelles étant sur la distinction du fait et d
droit qu'ils appuieraient de toutes leurs forces, les juges s<
raient obligés d'en décider, ce qui serait entrer en partage d
l'autorité du pape. » — Je répondis que c'est impraticable e
France, et que d'ailleurs il ne s'agit pas de juger des artick
de foi, mais le fait de la désobéissance aux ordres qu'on allen
du pape. — Soit, reprit le cardinal; le pape donnera un bn
dans lequel, après avoir nommé les commissaires, il bornei
leur mission au jugement de cette désobéissance. — « Comni
je vis, ajoute l'ambassadeur, que cet expédient pouvait cli
concerté et tirer à quelque conséquence, par ce qu'il sera:
déshonorable aux évoques, en mémo temps qu'ils seraien
nommés, de voir leur prescrire des bornes étroites, quoiqu'ei
ellet ce ne fût pas leur dessein de les passer, et de traiter i
décider en ce rencontre sur ce qui regardait la foi ; et qu
môme cette clause pourrait être désavantageuse au clergé d
France, parce qu'en l'admettant la cour de Rome pourrai!
dans d'autres temps, en vouloir tirer avantage, comme si le
^•vêques eussent reçu dos défenses de juger de ce qui pei
regarder la religion, dont ils ont droit en certains cas, oudaD
leurs diocèse* ou par les assemblées nationales », je proloi
(1) Au roi, n mars 1667. Rome, 182.
DÉBUT DE l'ambassade DE CH AULNES 101
geai la discussion, j'éludai tout engagement, et, pour amener
le cardinal à chercher d'autres voies, je le flattai de Tespoir
dépendre bientôt lui-même des décisions souveraines sur ces
controverses : je ne lui dissimulai pas que j'avais Tordre, en
cas de conclave, de concourir à son exaltation, et, avant de
nous séparer, nous convînmes de mesures à prendre pour faire
réussir ce projet (1). Alexandre VII chercha sans relâche les
expédients qui, en conservant les droits du saint-siège (2), le
rapprocheraient le plus de la requête royale, et, quelques se-
maines avant sa mort (avril 1667), il commit neuf évêques
français pour juger leurs quatre collègues « désobéissants au
saint-siège. » Le duc de Chaulnes, transmettant au roi les brefs
par lui obtenus, se félicitait qu'il n'en fût « pas encore sorti
de cette cour avec des clauses si considérables. » Ces mesures,
dont le roi se déclara lui-même satisfait (3), suffisaient pour
procurer la soumission ou la déposition des évêques rebelles,
si le roi, selon sa promesse, y avait joint loyalement la sanc-
tion de son autorité. Mais on verra bientôt l'union des galli-
cans et des jansénistes justifier toutes les craintes du pontife
mourant, et, avec la complicité de la couronne, forcer l'Eglise
de France à garder dans son sein, impunis et triomphants, les
hérétiques les plus dangereux.
Nous avons quelque peu devancé l'ordre des temps pour en
finir avec cette négociation sur le jansénisme : nous reprenons
notre récit à Taudience pontificale du 3 décembre 1666, où lo
duc de Chaulnes venait de réclamer avec tant d'arrogance la
;i) 29 mars 1667. ^ome, 182.
(2) Quelqu'un fort au courant du palais m'assure que Tou s'y occupe très
activement du jansénisme, mais que le pape veut choisir u des évoques incon-
iamxTkaii », dont il enverra les noms a M. l'ambassadeur. Il veut agir lui-mùmo
et ne pas laisser à S. M. la liberté qu'elle exi^'e. (Macbaut à Lionne, 28 décem-
bre 1666. flowe, 179.) — « CeUe cour gîtait dan» de grandes alarmes que
letKiits juges ne vonlusseut entrer dans les matières du droit et du fait, ce
que S. S. même éviterait de décider; mais tout s'est assuré en spéciûaat et
urdounaut les signatures. » (Chaulnes à LiouuCi 26 avril 16G7. IKome^ 183.)
(3) « 11 me semble, Monseigneur, que M. de Chaulnes doit être préconisé
d'avoir arraché de ce pays- ci un chapeau de cardinal et des brefs contre les
jansénistes, en la manière que vous Vavez svuhaité. » (Machaut à Lionne,
23 aTTll 1667. Rome^ 183). — Le roi est content des brefs contre les quatre
évêques, et pense « que ce coup important est principalement dû à votre indus-
trie. M (Lionne à Chaulnes, 6 mai. RomCy 183.)
102 CHAPTRE TREÎZTÈSrK
promotion de M. de Vendôme. Quelques semaines s'étaient à
peine écoulées, que Louis XIV sollicitait un autre chapeau
pour un homme dont la présentation n'était pas moins inju-
rieuse pour le sacré collège que pour TEglise gallicane. Il
était passé en coutume que les papes donnassent un chapeau
à la Pologne, au début d'un nouveau ri^gne ou d'un nouveau
pontificat. Comme les év/'^qucs polonais recherchaient rarement
une dignité qui donnait lieu k des querelles de préséance dans .
les turbulentes assemblées de leur république, les rois s'en
remettaient au pape qui, de concert avec eux, choisissait le
plus souvent le dernier nonce accrédité à leur cour; mais ils
n'avaient ni ne réclamaient le droit de substituer à un Polo-
nais, sans la permission du saint-siège, le sujet d'un autre
prince. Or, au cours des intrigues nouées entre la Pologne et
la France, Louis XIV obtint la nomination du roi Jean-Casi-
mir pour son ambassadeur à Varsovie, Pierre de Bonsy,
évêque de Béziers (1), précédemment ambassadeur à Venise,
créature de Mazarin. Il se prévalait de l'origine italienne de ce
prélat et le désavouait comme sujet, pour introduire dans le
sacré collège un cardinal dévoué à ses volontés. — Il écrivit
au duc do Chaulnes : « Le pape n'aurait pas raison de le vou-
voir exclure comme Français (il est né à Florence), non plus
que s'il voulait se servir, à la même fois, du prétexte de quelque
opposition des Espagnols. Car le roi de Pologne a accoutumé
de nommer toujours des Italiens, ses propres sujets ne voulant
pointeux-mfemosd'une dignité qui les exclut des diètes, où leurs
intérêts domestiques leur font préférer la séance à celle dans le
sacré collège. Le dernier cardinal que le roi de Pologne anommé
a été Vidoni; il avait été précédé par Santa-Croce, par Torrez
et plusieurs autres. Vidoni (2) est milanais, évoque de Lodi ; je
(1) Les BoDsy avaient été amenés en France par Cattierine de Médicis. Us
avaient déjà donné plusieurs évoques au siéf^c de Béziers. et l'un d'eux était
devenu cardinal sous le règne de Henri IV. J'écris Bonsy et non Bonzl, pour
me conformer à l'usage même de ce prélat.
(2) Pierre Vidoni, né à Crémone ou 1610, tour à tour gouverneur de Rimini
et de Spolétc, vice- légat de Romagne. vice-préfet de Fermo, président de la
Marche, nommé évAque de Lodi en 16i4 par Urbain VllI, nonce en Pologne
par Innocent X, n'avait jamais servi que le saint-siège. — Les cardinaux
Antonio et Marcello Santa-Croce, oncle et neveu, tous deux nonces en Pologne
DÉBUT DE l'ambassade DE CHAULNES 103
ne me sais pas opposé à sa promotion que j'ai sue longtemps
auparavant. Par quelle raison l'Espagne s'opposerait-cllc au-
jourd'hui à celle d'un Florentin^ parce que je l'emploie dans
mes afifaires? Yidoni était nonce en Pologne, ce qui ne lui don-
nait pas plus d'avantage auprès du roi de Pologne que d\v èlro
mon ambassadeur. » Louis XIV devinait bien que co trafic, de
chapeaux entre des princes catholiques serait réprouvé par le
pape(l': aussi eul-il soin d'avertir son ambassadeur qu'il pre-
nait fort à cœur cette promotion. Lionne l'appuyait avec un zèle
suspect, qui présageait de nouvelles difficultés : « ... C'est au-
tant mon affaire, disait-il, que celle de M. Tévéque de Béziers...
En y travaillant avec votre application et votre adresse accou-
tumée, et vos soins ayant un bon succès, comme je l'espère,
vous aurez sinon fait deux cardinaux en une même personne,
du moins que deux personnes vous auront la même obligation
d'un seul bonnet. Après cette expression qui est très véritable,
selon les sentiments et la tendresse do mon cœur envers un
dier ami, à qui Je dois d'ailleurs Vabbaye de Marmofitle?' et le
prieuré de Saint'Martin'[deS'Champs]/]Q n'ai plus rien à vous
dire sur TafTaire même et crois qu'il n'y a qu'à vous laisser
faire (2). » Alexandre Vil put écarter jusqu'à sa mort la de-
et présentés, comme Vidoni, au cardinalat par celte coiiroune, étaient l'un et
lintre romains, et n'avaient jamais rempli de charges qui ne leur eussent été
conférées par les papes. — Cosimo Terrez, noble romain, appartenait, comme
WD oncle le cardinal Ludovico Torrez, à une famille d'origine espagnole, mais
dont rétablissement à Rome était déjà ancien.
(!) « La reine de Pologne m ayant fait fort obligeamment offrir la disposition
do chapeau de cardinal qui doit être donné, dans la prochaine promotion, à
la nomination du roi son mari, j'ai accepté » pour M. de Bcziers. (Le roi à
Chiidnes, 24 décembre 1666. /?ome, 179.)
(2) Le roi et Lionne à Chanlnes, 24 décembre 1666. fîowe, 179. La reconnai?-
sance et ramilié ne suffisent pas pour expliquer le zèle que mit Lionne ;\
.«oiitenir les intérêts de Bonsy. La négociation dura longtemps, ot voici la note
que le président Rose, secrétaire du roi, a écrite eu ujarge d'une lettre de
recommandation adressée par Louis XIV à Michel Wiesnowski. successeur <le
Jean-Casimir, le 22 août 1669 : « Je ne sais si M. de Lionne ne reçut point de
^^ratification de Bonsy, aussi bien que la mère du roi de Pologne. »• {f)i\uvrcs
de lj>uis XIV, édition (îrimoard, t. V, p. 448, note.) — Une Idtre de M. de
Cbaulnes, du 26 septembre 1666 (fiowe, 178), nous apprend que le ministre
H>llicitait pour son allié et ami le lucratif gouvernement de Bretagne : le duc
fat en effet pourva de cet emploi, où il s'indemnisa des grandes dépenses qu'il
arait faites à Rome. Sa cupidité aggrava singulièrement les charges qui pesaient
104 CHAPITRE TREIZIÈME
mande du roi Jean-Casimir sans donner le motif qui aurait
blessé davantage les Français : le cardinal Chigi informa le duc
que a Sa Sainteté avait accepté la lettre de nomination pour
sMnstruire plus à fond de cette affaire, et qu'après Tavoîr dis-
cutée, il avait trouvé que les papes ne pouvaient faire plus de
grâces aux rois de Pologne que de leur donner un chapeau à
leur avènement et un à Texaltation du pape, et que. Sa Sain-
teté ayant satisfait à Tun et à Tautre, il n*avait pu remporter
sur son esprit (1). »
sur les malheureux Bretons, et il réprima avec une elTroyable cruauté les troubles
qui signalèrent le cours de son administration. Au défaut de la Bretagne.
Lionne demandait pour M. de Ghaulnes la place de gouverneur du dauphin.
(Il février 1667. Rome, 181.)
(i) Ghaulnes au roi, 12 mars 1G67. iiome, 182.
CHAPITRE QUATORZIÈME
PPKL D'ALEXANDRE VII AUX PRINCES CATHOLIQUES CONTRE LES TURCS :
LOUIS XIV RESSERRE SON ALLIANCE AVEC LE SULTAN. — EMPIÉ-
TEMENTS DE LA COURONNE SUR LES DROITS ET SUR LES LIBERTÉS DE
L'ÉGLISE : RÉSISTANCE D'aLEXANDRE VIî. NONCIATURE DE ROBERTI,
1665-1667.
NoQT«aux efforts d'Alevandre VII en faveur de Candie : bref au roi du il décembre 16AG.
Suites de la campagne de Hongrie et de la victoire de Saint-Ciothard. Les assurances données
u pape par Louis XIV sont démenties par la correspondance do ce prince avec sos agents à
Coiubntinuple. Instructions données à l'ambassailcnr Denis de la Haye : le roi de France ejit le
ph* grand et U plu-f parfait ami da sultan; sa. patience à supporter les insultes des Turcs. —
Cappella de Nœl 1660. — Lettres odieuses de Chaulnes nt de Machaut sur la maladie d'A-
Inaodre VII. — Quatrième audience, il février 1667 : conduite grossière et cruelle de Chaul-
BN. — Consistoire du 7 mars 1667. l'romotion; les créatures du pape et les candidats des
ronronnes : le duc de Mercœur; finnsy, évéque de Réziers. — Activité déployée par Alexan-
<lre VII. malgré sa maladie. — Fin de la nonciature de Roberti. Ses luttes avec la cour de
Fnne« : fêtes supprimées par le roi et par les évéques, h l'insu du pape ; projet d'édit sur
les utnx de religion; trouble porté par la couronne dans le régime des monastères; entraves
ttiatt an développement des réformes dans les ordres religieux, et ik la fondation de nou-
veau! couvents; extension de la commende; conflscation déguisée des biens ecclésbstiques.
ABairv d#» l'abbayi.'-chef d'ordre de Prémonln'î : bref au roi du 9 novembre 1660. Derniers
loddeDts de la nonciatare de Roberti : sa promotion ot son départ de France.
La présentation de M. do Bonsy inspirait d'autant plus de
répugnance à Rome que cet évêquc, comme tous les am-
bassadeurs français à Varsovie, s'appliquait à y combattre
1 influence des nonces pontificaux, et à détourner les rois de Po-
logne de s'opposer aux progrès si effrayants des infidèles. Pré-
cisément dans ce même mois de décembre 1666, Alexandre VII
jela un nouveau cri d'alarme et supplia particulièrement le
roi de France d'assister la ville de Candie menacée, pour la
campagne suivante, d'un assaut plus terrible que les précé-
dents : « Les politiques les plus éminents, disait-il (1), ont de
(i) •' lusalain Cretam Dedum Graeci» principatui, sed universi MediterraDei
Dari» imperio natam, jam oliin reram clTilium auctores prœstaDtissimi cen-
aerout. Hanc porro in ChristianoruiD potestate retineri, nec immeDsis Turca-
106 CHAPITRE OUATORZIÈBIE
tout temps proclamé l'île do Candie le bouievard, non seule-
ment de la Grèce, mais de toute la Méditerranée. Votre iMa-
jcsté sait combien il importe aux nations chrétiennes quelle
demeure en leur possession et que les Turcs ne l'ajoutent pas
à leur puissance déjà si formidable. Mais ces ennemis achar-
nés, les yeux attachés sur cette proie, enivrés de haine et
d'orgueil, après avoir envahi sans droit et conquis la plus
grande partie de celte île, préparent aujourd'hui un puissant
et suprême eiïort de leurs armes pour emporter la ville de
Candie qui nous reste, et menacent visiblement d'étendre leur
domination sur ce royaume tout entier. Aussi, quoique nous
nous promettions do votre générosité et de votre piété que
vous assisterez de tout votre pouvoir la république de Venise
dans la lutte qu'elle poursuit depuis si longtemps et avec un
courage indomptable pour le salut de cette île, notre ministère
pastoral, en une crise qui intéresse, avec les Vénitiens, la se*
curité et le salut de la chrétienté tout entière, nous impose le
devoir, même après dos instances plusieurs fois répétées,
d'exhorlor encore les princes catholiques et spécialemcntle Roi
très chrétien h entreprendre et à soutenir courageusement la
défense commune ot la cause de Dieu : nous sommes persuadés
d'ailleurs que Votre Majesté ne voudra pas donner sujet à la
postérité do s'étonner quo le peuple chrétien ait été affligé d'un
rum opihus acceJere quanti totius CliristiaDitaUs interftit Majettatem Taam
profecto DOQ latet. Scd liostis infcnsissimus hoc ipsum provideDs et in nos
odio impotent], snperhiàqne fiir^ns, cum ejus niajorem partem iojaste ae
yiolcnter]amoccupavorit,hodiccivitateni Candiflp,quH> reliqua est, sepropedien
collecto maximarura virinm robore potenter aggreRsurum, sibique regnam
illud omne subjectunioi nsse non obscure minatur. Quapropter, elsi noa
dubitamus quin, ob inclytam animi ^cnerosi magnitudineoi atque pietatem,
Venetrp Heipublirœ in illiiiB insu Ire dofensionfîm tamdlu Btrenoe et incompa-
rabiii virtuteconslantiaqueincumbenti, roruni omnium opo, quantum maxims
poteris, prîpsto esse velis, tamen in re tantd ncc ad solos Venetox^sed adunivena
reipuhiicfe christinn.r tuielam et srcurifatem imprimi s pertinente j ut etiam post
repetifa pluries officia novis iitteris principes orthodoxos omnes et in tpecie
Hegem chrisiianissimum, ad communis boni Deiqiie cauKam serio suscipiendtOÊ
et pro virili prnpugnnndam hnrlemur. muneria ponlificii deôitum plane fOiR-
pellit; ciim pnpsertim tanta» potcntiîp, virtutis glorireque principem haud
paesnrum essecredamus ut suit florentissimis tcmporifms Christianitali plagam
inflictnm fuiste pos 1er i tas admire tur... » (Bref à Louis XIV, 2i décembre 1666.
Home, 179.)
LOTUS XÎV ET LE SULTAN 107
pareil désastre sous le règne florissant d'un prince si puissant,
si magnanime, si glorieux. Notre nonce expliquera plus lon-
guement nos intentions, etc. »
Les Vénitiens ayant, au même moment, imploré Tassislance
des Français, Louis XIV écarta d'abord leurs supplications en
rappelant qu'il venait de déclarer la guerre aux Anglais : Nous
compatissons à votre danger, leur dit-il, comme « votre meil-
leur et plus ancien ami, à qui vos intérêts seront toujours très
chers. Nous nous promettons cependant de labonté divine que
le ciel continuera àprotéger les armes et la cause de la religion,
qui est la sienne propre, contre toutes les insultes des infidèles^
et cette considération est seulement ce qui nous peut un peu
consoler de Texlrême déplaisir que nous ressentons de ne
nous trouver pas présentement en état de vous donner les
mêmes marques effectives de notre affection que nous vous
avons données par le passé en de semblables occasions (1). »
— Il écrivit le même jour au duc de Chaulnes (2) : « J'ai en-
core la considération de ne ruiner pas, comme il arriverait
infailliblement par une déclaration si publique, tout le com-
merce de mes sujets aux Échelles du Levant, lequel est do la
dernière conséquence à mon royaume. » Il répondit ensuite
au pape que la situation des affaires ne lui permettait pas
d'aider la Seigneurie: nous le forons cependant, ajoutait-il,
dès que nous le pourrons « sans être excité par aucun exemple
ni par un aussi puissant motif que lo sera toujours à notre égard
larecommmidation de Votre Sainteté. » Cet hommage apparent
aux sentiments véritables d'Alexandre VII cachait un odieux
sarcasme; car le même jour. Lionne écrivait au duc de
Chaulnes (3): « Pour leur gagner le fort de Tépée, vous ne
devez pas manquer le coup de leur parler aussitôt des deux
cent mille écus que feu M. le cardinal, par son testament, mit
à la disposition de Sa Sainteté et qui leur ont été effective-
ment payés pour être employés à la défense de la chrétienté
contre le Turc, » et que les Chigi ont gardés pour eux! Or,
pendant que le courrier, porteur de ces deux dépêches, était
(ij Le roi à la république de Venise; 14 janvier 1667. Venise, 87.
(2) Home, 181.
(3) 28 Janvier 1667. Home, 181.
108 CHAPITRE QUATORZIÈME
encore sur la route de Rome, le pape, pressé de donner aussi
des secours aux Polonais, convoquait les cardinaux, « pour
se disculper en plein consistoire, dit Chaulnes, s'il ne pouvait
pas assister ce royaume comme il souhaiterait; et en effet Sa
Sainteté y porta un long mémoire, qu'il lut, de toutes les dé-
penses qu'elle avait faites en Allemagne et pour la république
de Venise contre les Turcs, qu'il fit monter à cinq millions {{),
compris les frais de la guerre contre M, le duc de Créquy, ce
fut ainsi qu'elle la nomma, et conclut en exhortant le sacré
collège de contribuer chacun en son particulier pour cette
guerre et qu'elle verrait ce qu'elle pourrait faire de son
côté (2j. » Pendant que l'ambassadeur accusait le pape de ne
songer qu'à enrichir ses parents, ceux-ci donnaient l'exemple
des sacrifices personnels pour la défense de la chrétienté.
Alexandre VII, de son côté, préparait une nouvelle conversion
ou extinction de luoghi di monte et déposait au château Saint-
Ange, à côté du trésor de Sixte-Quint, une somme considé-
rable dont une partie fut envoyée, au printemps, dans les pro-
vinces les plus menacées par les infidèles, et dont le reste
servit à racheter plusieurs gabelles dans l'État ecclésiastique.
Louis XIV était si éloigné de jamais déférer à « la recom-
mandation de Sa Sainteté », qu'il avait désavoué, à Constanti-
nople, comme nous l'avons vu, la gloire acquise par ses troupes
dans la campagne de Hongrie, pour réclamer celle d'être le
plus ancien et le plus sincère allié des sultans. Ses agents sou-
tenaient qu'il n'avait porté, sur les rives du Raab, qu'une « as-
sistance purement défensive à ses amis, sans aucune pensée
ni dessein d'agression contre les Etats qui appartiennent au
Grand Seigneur. » — Par l'occupation de Gigeri (1665), di-
(1) Cinq millions d'écus romains. L'écu romain valait 3 livres, iO sons,
8 deniers de celte époque : Je prends cette évaluation dans des mémoires en-
voyés au roi par l'ambassade française. Le Vénitien Lando, présent à Rome
en 1683, convenait que, sur les 42 millions d'écus dus par la Chambre aposto-
lique, 15 sono andati nei socconn del crUitianesimo, (Relazioni di Roma, t. Il,
p. 415.) Mais ce n'est qu*un minimum, bien inférieur à la vérité, car les
Vénitiens dissimulaient les bienfaits des papes, dont ils jalousaient également
le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. V. d'ailleurs ci-dessus tout ce que
nous avons dit sur l'exécution du legs de Mazarin.
(2) Chaulnes au roi, 8 février 1667. Romey 181.
LOUIS XIV ET LE SULTAN 109
saient-i!s encore, on n'avait voulu que remplacer un autre
poste que la France tenait autrefois sur la côte barbaresque au
vu et au su de la Porte, appelé le Bastion de France, et d'où ce-
pendant les Français avaient été chassés contrairement aux
traités : quand le roi s'en était plaint à la Porte, elle en avait
imputé la faute aux seuls corsaires, et répondu qu'on pouvait
repousser la force par la force. « Au reste, écrivait Lionne (1),
Sa Majesté désire que vous assuriez le grand vizir que son in-
tention est de conserver, entretenir et même cttltiver avec soin
[ancienne amitié et bonne coirespondance que les glorieux em-
pereurs, ses prédécesseurs, ont toujours eues avec les glorieux
empereurs ottomans, »
Les instructions emportées par le nouvel ambassadeur (2)
sont plus précises encore : elles établissent les principes de
cette politique à jamais déplorable qui fit des Turcs le^ auxi-
liaires de Louis XIV dans ses agressions répétées contre la
paix -de l'Europe, et qui, avant que vingt ans fussent écoulés,
les amena dans les provinces héréditaires de Léopold. Si les
plans qu'y dévoile le roi de France s'étaient réalisés, jamais
roi de Pologne n'aurait arraché Vienne aux armes de Ma-
homet IV. Denis de la Haye doit déclarer au Sultan « que,
comme Sa Hautesse na pas de plus grand et plus parfait ami
que r empereur de France, aussi n'y a- 1- il point de prince au
monde qui souhaite plus que Sa Majesté de lui faire connaître
quelle est son affection vers sa personne et son empire^... et que
son maître et elle sont aujourd'hui les deux plus puissants et
plus riches motmrques du monde, » — Il est contraire aux in-
térêts de la France que la guerre de Candie prenne fin, et la
résolution de ne point assister les Vénitiens est à peine dissi-
mulée sous quelques formules hypocrites : « L'ambassadeur
doit savoir qu'encore que la maxime ordinaire de la Républi-
que soit de vouloir tenir l'équilibre entre les puissances de
TEurope et pour cet effet d'embrasser toujours le parti du plus
faible pour empêcher qu'il ne devienne trop inférieur à l'autre,
(1) A Roboly, résident de France à Constantinopley pendant la vacance de
l'ambassade, \K novembre 1664. Turquie,!.
(2) 22 août 1665. Turquie, 7.
110 CUAPITRE QUATORZIÈME
et que Sa Majesté connaisse parfaitement bien que, si elle e$i
une fois dégagée de cette guerre qui consomme toutes ses forcei^
elle ne manquerait pas^ à son accoutumée, de les employer
contre Sa Majesté à l'avantage des Espagnols comme étant
aujourd'hui le parti le plus faible, sous prétexte de la liberté
de ritalie, en cas qu'il arrivât quelque changement dans le
monde qui donnât lieu â des nouveautés ou à la prise d'armes,
Sa Majesté néanmoins, préférant toujours par le motif de 9ê
piété singulière les intérêts de la chrétienté et ceux de la religion
aux siefis particuliers, désire que le sieur ambassadeur ne laisse
pas, pour cette considération politique, de promouvoir sincè-
rement, autant qu'il sera en son pouvoir et en gardant lesme*
sures de bienséance, l'accommodement (1) de la Porte avecla
République... » La Haye devra faire comprendre aux ministres
de Sa Hautesse « que le véritable intérêt de la Porte à tégard
de la chrétienté 7iest autre que d'établir une ferme et sincère
amitié et bonne correspondance avec cette couronne , parce que
les desseins des autres princes chrétiens ne lui sauraient beaU'
coup nuire, s ils ne sont aidés et appuyés de Sa Majesté, » Le
Grand Seigneur étant en contact avec la chrétienté du côté de
la Hongrie, doit éviter que la Pologne soit sous la dépendance
de la maison d'Autriche, et son intérêt est donc» d'appuyer de
sa faveur et de son pouvoir l'élection d'un prince français et
de s'opposer fortement à celle d'un Autrichien; et on effet,
avec les suffrages de la Porte qui y servirent beaucoup, le
duc d'Anjou, frère de Charles IX, fut élevé sur ce trône-là. »
Les mêmes raisons subsistent aujourd'hui, « et cela d'autant
plus que, l'amitié se confirmant entre les deux empires, Sa
Majesté aura tout crédit sur ce prince- là devenu roi de Polo-
(1) LouisXlV savait bieu qu'aucun accommodement n'étaitpossible: Jean delà
Haye, père et prédécesseur de sou ambassadeur, lui avait dit, daus son rapport
déjà cité du 25 janvier 1662 {Turquie^ C) : Les Turcs m'ayaut toujours déclaré
qu'ils « n'entendraient point à la paix qu'en leur cédaut le royaume de Candie,
et les Vénitiens, de leur part, témoigné qu'ils étaient résolus de conserver ce
royaume, sans quoi ils n'eutcndraient jamais à la paii, il nest pas possible
de trouver un milieu cjitre res deux t\ilrLmil(}if, et il faut que cela se décide
par la voie des armes: en quoi les Vénitiens n'étant {tas les plus forts, il faudra
entin qu'ils succombent et que ce royaume tombe entre les raeius des infidèles,
si ce nest fjue les Vénitiens soient aidés par quvlqtie ligue des autres princes
chrétiens, ou par \\ M. quipourrait seule contre peser toutes les forces du Turc,*
lu.
ow. Z' -t ' ' "7f !•*" ff^ t* j/^-^ir^r •■•7»«ri- ■•. - ''^ •"-; ■" *■''•'■
de fvf'Z^^'fr '.L.^m'j: *#- r'T'^- -- : *••-■:« ; : ^ • •; •
fiuvr* f*^ :*^ rt -; •■ :- : fi.'*'' ^-^ ::':^ ù;a*;;S. >
lion :u: sr fi*-^ !** _ li:j.!**.l:-: ir '-zi'. :-,:: :: .• s :::.:.>::•. s
capaîfir* ir ■.- rL.*-:«u r-nti-i . .. :L:iT:i iMs?:. . «io '.os i.^. .;r
ai*4in4^' -•• •- ^ i tï ;^'~ •'ii,* "--i "- -■- •■■.-. «.!.■.• -..« ^« ^ »•• •» •■••
K VtAS^ ^^ T - £ -^ ^ XA b fc • . ^ ^ . • . * -_ .^-.«.k. .>..».. >-.«.^< •■
U faairâ :.lii_:* i^rr ••rj:.:.i:i:2 iv-; pru-ivii.*-.', sAti'^
1 ni*r/jr -, j :.n.:::z_r . . i.'..:!- 1.: :'i r:iV'>'> !» >:i.a:i ^ '.:
La P«-rr t.: ;li'. i-r :• izmir ims linii'.ie Jii r^»: ono.-o
lui d.. miri-ia.. <: -ï .i tcizir**^ i -ribiiir-rix. tr;!i:o v;ii<<;* w:\
bi.'ni :e*tra::T* le* Vtc.it's à\v' ".â Franco, lo o:i:i:aî>v:u"'*.:i
rtfiartii .;-c >i Mi--:^:^ ivi:-: ionn'.* uii<ecoiir> ;is>o.'00!is.-
d»;rable a ^î ci-iirmi*. t..- r-iuvait bi^n aussi vi\ Aoiuwv À sv's
ami«.... ê: c:;^ rfi Mi-T*:è. -Vinl si hon ami Ar Sa ll:u::o>'iv'.
eliea* ypjcvaî; 11* rrius^rce::^ àHman'l»:' i]niôtà:: :is>i .• iMis^ui-
nai>»e. » E: i azrrn: îrincais. à bout i.l*ar^'unuM\îs. rooiamait imi
toule hâte d-rs iû*:::.r.: ju* 1 . — L'anibassailour L\ llayo. i
pi'iar arrivé, s^ conJuisit avrin: si pou -ie ni.'suiv. ipu* \o \\\v
K' mil aux arr-^ts. L>uîs XIV abaissa ilovanl K» liraihl \\\vc
cçlorifu'.'il l'.M.. î'iisait s^nlir loul io poiJ< ansoîivtMMÎa :/ en-
tité. M.:i:o:ît»rntd*uD in':ii»?nt qui pouvait niiiri» à si** iles<t*iiis.
il blâma son niîrii*tredcTi"avoir pas supportôasso/ paiii*'iuiuMit
rarr.jzaace du vizir : Vous aurit-z dii. lui oorivail-il v-\ m i.:-
furnier Je c»* que faisaient ses prédeOt-ssours, ilaus leurs au-
diences. Houfjeaient-Us '^S. ? •• *:ar, ^i:.< /<-• hMCfr.tirnt ;hi< de
\) « K'ilioly à Lioaae. iî6 aoiM !•'•". Tui-'fUt-, T.
i Le :.'r4ij<i vizir Achmt.'t Kiuperçli. «{jL is'iit '^f r lu l.i li:;litli>' .lo >.ii'.ii
'iothird..., affecta J« le recevinr uvo»; ho'i:i' m:' -h îî-.tI''... lVi:i> iîm.- -«••■•■ilf
':UiJiPn»;o, le grand TÎzir r*'^lnnt a-^sis r-.'/j-î.' '.^ ^' f'vj.V*-!' /"■■:". Ii 11»>«' -'.(•'■^il
J»* lui-mêiue ater un air li'indigiiation <'\v \\u til»iuir»'t. >;ims f.i.r«' aui'iKi -^ilul.
'l il cuniMieuça par lui lii'-f... qu'il n".i%Mil pas \on"..i i* Miipt'i* j»our un.- »»>i
•li-TiiiVCJ'Ile qu'il avait l'uc auparavant, p.irt'o qu'il n'.nail pa:* ro«;u l«'s h.«niJtMM>
■iiiâ au plu^ pni^Ktfaut uinnirquc di> li clirctiouti^ : qu*ain:«i il .iv.iit nrliv ilo
liiiroudre \oi cnpitulaliou? il de t»Vn rotnurucr en braiico. I.à-dos?us. lo j:imi»'1
vizir sélaut mÎ!' eu culére et ayant dit quelque^ iKiroles pou iuo#urtV*, 1.»
112 aiAPlTRE QUATORZIÈME
leur place ^ toute la plainte se réduirait à la fierté qu'a témoi-
gnée celui-ci dans ses discours et au peu de compte qu'ila
fait des seigneurs français que vous lui avez présentés... Je
vous ferai remarquer, sur la qualité des menaces que vous lui
avez faites en ce rencontre, que, sans en avoir auparavant reçu
des ordres exprès de moi, vous ne devez jamais passer jusque-
là de dire que vous partirez et vous retirerez de la Porte... »
— Le roi de France avait éconduit sur-le-champ le pape el
Venise ; mais il eut plus de considération pour les Turcs, et il
écrivit à la Haye : Sur leur demande de vaisseaux français
« je pourrais bien, sans parler de la véritable raison qui m'o-
bligera toujours de ne Taccorder jamais, qui est celle de ne
donner pas des secours aux infidèles contre des princes chré-
tiens (1), je pourrais, dis-je, bien vous suggérer dès à présent
une bonne et légitime excuse pour vous défendre de cette ins-
tance, qui est la déclaration de guerre que j'ai faite aux An-
glais, au mois de janvier dernier, qui m'oblige à assembler
pour moi-même le plus grand nombre de vaisseaux que je
pourrai pour combattre des ennemis si puissants à la mer,
mais je crois qu'il vaut mieux que vous lien donniez pas da-
bord une entière exclusion au grand vizir et que vous preniez
plutôt du temps pour m'en écrire j pendant lequel les espérances
quils auront d\)htenir la chose le rendront vraisemblablement
plus facile à vous en accorder d autres. »
On peut juger maintenant avec quel à-propos le duc de
Chaulnes, pour narguer les parents d'Alexandre VII (2), faisait
promener dans les rues de Rome, pendant le carnaval :
Haye prit de la maiu de soq drogoian les capitulations et les ayaat jetées
brusquement aux pieds du grand vizir, de mauière que celui-ci en fut frappé,
il se leva et se retira sans le saluer dans Tanticbambre, d*où voulant passer
outre, il fut arrêté. » (De Flassan, HiaLoire de. la dip/omalie française, édit. 1811,
t. 111, p. 319.)
(1) 11 oubliera plus d'une fois cette raison, notamment en 1683, lorsqu'il
cuvabira tout à coup les Pays-Bas espagnols, sans déclaration de guerre,
pour retenir sur le Rbinlcs armées allomandesqui marcbaient déjà au secours
de Vienne assiégée.
(2) » Ayant su que Ton préparait au palais [de don Agostiuo Chigi] une
mascarade considérable pour le lundi gras, je crus devoir faire ce que je
pourrais pour lobscurcir. Aiusi, ayant fait travailler avec diligence, etc. »
(Chaulnes au roi, 22 février 1667. Rome, 181.)
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS DE L ÉGLISE 113
*< Douze sibylles dans tm char de triomphe qui prédisaient à la
France y sous la figure de Pallas^ relevée beaucoup au-dessus
dans un trône ^ la destruction de l'empire ottoman sous le règne
de Sa Majesté^ le tout accompagné de force pages et cavaliers
àla tête desquels étaient les trompettes. Cette mascarade, dit
Tambassadeur,... réussit de manière que les spectateurs en
furent fort satisfaits; mais ceux qui étaient sur le char le
furent bien davantage lorsque, paraissant sous le nom de la
France, tous les peuples firent dans sa marche retentir toute
la rue de cris de : Vive le roi! comme au milieu de Paris. »
Alexandre VU s'était hâté de faire partir (21 décembre 1666)
pour la France son bref en faveur de Candie : il pressentait
sa fin prochaine, et il espérait voir, avant de mourir, se former
contre les Turcs une ligue des princes catholiques, le rêve de
toute sa vie. Quelques jours après revenait la grande fête de
Noël: il voulut tenir chapelle, et, au prix de grands efforts,
il put supporter jusqu'au bout la fatigue de ces longs offices.
Les Français prétendirent qu^il n'avait paru en public que
'< pour donner mille déplaisirs à tous les vieux cardinaux, »
et le contemplèrent avec dépit « plus jeune, plus frais, mar-
chant sans s'appuyer, montant con incredibile disinvoltura^
chantant comme un homme de vingt-cinq ans, enfin excitant
dans l'assemblée tout autre sentiment que ceux de la pitié (1). »
Leduc de Chaulnes remplit ce jour-là, pour la première fois,
la fonction qui lui était réservée par le rituel, et, au témoi-
gnage de Machaut lui-même, reçut du pape le meilleur traite-
ment.
Dès la nuit suivante, l'état du pape donna de nouvelles in-
quiétudes et, pendant les cinq mois qu'il vécut encore, son
mal ne lui laissa presque plus de relâche. Mais chaque jour
aussi les Français du palais Famèse devenaient plus impa-
tients de voir finir ce pontificat, et donnaient à leur aversion
pour Alexandre VU une expression plus odieuse. Les lettres
de M. de Chaulnes et de l'abbé de Machault au roi et à Lionne
sont remplies de plaisanteries ignobles sur la maladie du pape,
le propos orduriers auxquels ils mêlent des noms de cardinaux,
J) Machaut à Lionne, 2S décembre 1666. Home, 179.
Loom XIV KT LB ftàurr-sBoi. — U. 8
1^ CHAPITRE UUATOnziÈME
on peut juger de cette abominable correspondance (!) par le
passage suivant : « Sua Santità non patisce pià di que/la /tus-
sions coglionesca^ nia ha mossa nella sua testa e gode a l'estremo
di coglionare tutti quanti, » Mais il faut bien avouer que, si le
pontife n'a pas quitté le lit depuis quinze jours et s'il a déjà
commencé de faire ses adieux à des familiers, il ne cesse pas
de travailler k l'expédition des affaires; qu*il donne toutes les
audiences à ses officiers et qu'il ne se retranche que le plaisir
d'entretenir 6^.ç 5a«an/5. C'est ce moment que M. de Chaulnes
choisit pour se signaler par un exploit dont il fait sa cour à
Louis XIV : J*ai reçu un courrier de cabinet, dit-il, chose rare
et toujours émouvante à Rome ; je profite de l'incident pour
clfrayer le palais et en tirer quelques-unes de nos grâces ; mais,
comme je n'obtiens rien, je crains d'avoir commis Tautorilé
de Votre Majesté en laissant croire qu'il m'est arrivé des ordres
importants et que je ne les exécute pas. « Du ciel où, Votre
Majesté s'est élevée, fon 7ien doit point voir les éclairs^ sam que
la foudre parte aussitôt. » J'explitjue alors l'envoi du courrier
par une raison vulgaire, et je me ris de l'inquiétude où je les
ai jetés! — « On croit, écrit-il encore, que Sa Sainteté tiendra
consistoire lundi et qu'elle exhortera le sacré collège de sou-
tenir envers et contre tous l'honneur de la dignité de cardinal;
mais si le sacrécollègc l'exhortait ensuite de bien soutenir l'hon-
neur du pontificat, ferait-il trop (2)? » — Cette activité, qui se
portait sur toutes les parties du gouvernement, n'était qu'un
sujet de moquerie pour les Français : Cette semaine, écrit
M. de Chaulnes, le pape a reçu ses officiers et le cavalier
Bernin, « la passion des bâtiments étant plus forte que jamais...
Il no faut pas s'étonner si, le pape ne songeant plus qu^aux
pierres, son cœur pour le reste des choses devient à la fin de
marbre (3). » Depuis le retour de Castel-Gandolfo, les aU'aircs
et surtout celles qui intéressaient la France avaient marché
rapidement, et, pour éviter un plus grand mal, Alexandre VU
avait eu la condescendance de ne pas insister sur l'insertion
(1) Cbaulncs au roi et à Lionne, 4 et l'i janvier 1667. — Chaulnes et Machaat
à Lionne, 18 janvier. Rome, 181 ; etc., etc.
(2) 15 et 18 janvier 1667.
(3) Chaulnes au roi, 8 février.
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS PE l'ÉGLISB 115
dans certaines provisions de clauses propres h mieux marquer
la subordination des évèqucs au saint-siège : « Toutes nos
affaires épiscopales sont enfin terminées, disait le duc de
Cbaulnes (1). L^s bulles de Périgueux qui étaient arrêtées par
la prétention de faire rendre compte aux évêques sont expé-
diées sans cette condition et seront envoyées par ce oourrier (2).
L'évéque de Rodez fut aussi préconisé au dernier consis-
toire, les droits de Sa Majesté ayant été conservés, c'est-à-dire
sans que la cession ait été examinée (3) et approuvée dans la
(1) A Lionne, 22 décembre 1666. Rome, 179.
(2) Ainsi, an yeux de Louis XIV, c'était uueprélention et non un droit pour
le saint-siège de demander compte aux évêques de leur administration et de
leurs diocèses I Mais, comme le roi ne pouvait pas supprimer du Pontifical
l'engagement exprès que prend l'évêque, dans son sacre, de remplir cette
obligation essentielle.il n'était pas absolument nécessaire de la mentionner dans
les buUes. Alexandre VII savait déjà que le roi défendait aux évoques d'aller ou
d'écrire à Rome sans sa permission : il leur offrait son appui pour s'affranchir do
cette servitude royale, mais ils ne répondirent pas au vœu des papes, et, s'ils
ont violé les engagements de leur sacre, ils sont seuls responsables de tous
les maux qui en ont été la suite.
(3) Le roi à Chaulnes, 8 octobre 1666. Rome, 118 : « Le nonce a voulu iutro-
doire ici une nouveauté dout il dit d'avoir les ordres de Rome, c'est touchant
Texpédition de la coadjutorerie de l'archevêque d'Arles, qui est dans le cas
de droit, parce que l'archevêque est notoirement aveugle, comme le cardinal
Chigi, qui la va et non pas lui le cardinal, le peut attester à S. S. Cependant
le Donce a refusé de faire le procès- verbal de vitd et morihus de l'abbé de
Grignan, et celui de l'incommodité de son oncle, jusqu'à ce, dit-il, que S. S.
lit jagéque la coadjntorerie doit être admise et qu'elle ait admis la cession de
rarchevèque, car toute coadjutorerie porte cession. Cela était arrivé de delà
eo l'affaire de la démission de l'évêché de Rodez, comme vous l'avez appris par
les expéditionnaires. Tout ceci n'est qu'une pure chicane que la cour de Home
n'avait jamais eu la pensée de faire depuis l'établissement du Concordat : et,
en effet, soit que le procès de vitd et moribus se fasse devaut ou après, ue
doit-il pas toujours être porté à S. S. et ne demeure-t-elle pas la maîtresse
•d y avoir ou n'y avoir pas égard, selon qu'elle en juge en sa conscience? Vous
devez déclarer hautement de delà que je ne souffrirai point cette nouveauté
et que j'ai défendu à l'arcbevôque d'Arles et à son neveu de rien demander an
pape, que les procès-verbaux n'aient été faits par le nonce, suivant la coutume
observée de tout temps. Je crois que, pour faire révoquer l'ordre que le uonce
dit d'avoir reçu, [il convient] de dire que c'est une innovation que je ne veux
point tolérer, d'autant plus que, par les termes mêmes du Concordat, j'ai droit
de nommer aussi bien aux archevêchés et aux évêchés qui vaquent par la
cetsioD des possesseurs qu'à ceux qui vaquent par leur mort; et si, contre mon
opinion, on persistait encore de delà à vouloir soutenir cette nouveauté de
oAant, cela pourrait m'obliger à songer de remédier à celles que les nonces,
depuis quelques années seulement, ont introduites do faire seuls ces sortes
116 CHAPITRE QUATOlZtàME
Congrégation. Ainsi M. le nonce n'aura plus lieu de faire
difliculté sur Texpédilion des atleslalions nécessaires... » Ud
peut maintenant travailler « à celles de M. Tabbé de Grigoan
et de M. Valat pour l'archevêché d'Arleset Tévêchéde Nevers.
A l'égard de M. Tabbé de Hocquincourt, son péché n'est pas
de n'avoir que vingt-sept ans, mais d'avoir présidé à Tacte
de M. le Tellier : par là, vous verrez que Sa Sainteté n'en veut
pas seulement à ce dernier, mais à tous ses adhérents, qui
ont été infectés de ses pernicieuses opinions. »
Alexandre VU se crut bientôt en état de recevoir les minis-
tres étrangers, et il fit mander l'ambassadeur français pour
le vendredi 11 février. Le duc de Chaulnes vit là un sujet de
risée publique. L'abbé de Machaut écrivit à Lionne (!) :
« Comme Ton parlait, l'autre jour, des divertissements du
carnaval à M. l'ambassadeur, il demanda quand il com-
mencerait. Aussitôt quelque Romain répondit que ce serait
samedi, e lui [Chaulnes] rispose con gran flemma che potreMe
cojninciar la mascherata venerdi [11 léw'iQr], presupponendo
che ne farebbe una bellissima al palazzo, il giorno délia sua
udieiiza. » — L'ambassadeur s'était plaint jusque-là d'être
admis trop rarement auprès du pape, il le blâme maintenant
de procès-verbaux au préjudice des ordinaires, à qui le droit cd appartient
bien mieux qu'auxdits nonces et qui en avaient toujours joui. >• — Ni le pape
ni le nonce n'avait réclamé un nouveau droit. Mais les translations d'un siège
à un autre, qui sont contraires àTespritde TÉglise et qui étaient autrefois très
rares, devenaient plus nombreuses, et c'était, par exemple, un des movcDS
employés pour rendre certains évôchés comme héréditaires dans les families.
La procédure fort simple proposée par le nonce avait le grand avantage d'ar-
rêter tout de suite etsaus éclat une Lraualatiou dépourvue de motifs canonique*,
sans attendre que Tiustance eu fiU portée à Rome, oi\ les contestations
prennent plus de gravité. Du moment que Louis XIV reconnaît qu'en définitive
le dernier mot appartient au pape, aux termes mômes du Concordat qui lui
réserve \*t jugement des causes majeures, Alexandre Vil peut, sans abdiquer
son droit, renoncer à la précaution projetée : il ne manquera pas des moyens
de s'éclairer avant de prendre une décision suprême. — D'un autre côté, retirer
aux nonces les procès de vitd et moribus pour les donner à des évêqaes
nationaux, c'eût été accroître dangereusement l'iuiluence du roi sur la com-
position de l'épiscopat. D'ailleurs le droit du pape et de ses nonces sur ce
point était si bien protégé par la coutume, par les constitutions ponUficales
et même par le concile de Trente que Louis XIV échoua toujours dans cette
entreprise.
(1) 15 février 1667. Rome, 181.
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS DE l'ÉGLISE 117
le son empressement à donner audience, et il refuse de
.'écouler : J'avais, dit-il, un cortège plus nombreux encore que
les autres fois, en prélats et en personnes de condition. L^
pape était au lit, « en malade », en simple camisole^ accoté
mr un bras. Après quelques paroles sur Vos Majestés et sur son
état. Sa Sainteté me dit que son nonce est mal traité en France.
Je fais semblant de ne la pas comprendre et je la presse sur
nos affaires. — J'attends toujours, Monsieur l'ambassadeur,
répondit-elle, que le roi me restitue le sel d'Avignon, me
rende justice sur les monti de la maison d'Esté, rétracte ce
qu'il a fait contre le Concordat (abbaye d'Aumale (1), etc.), et
donne satisfaction à M. Roberti. — (ije?ie crus pas, 8ive, devoir
discuter ces vieilles demandes, » — Alexandre VII, fatigué,
s'était renversé sur le lit, pendant que le duc, sans prêter la
moindre attention à ses justes griefs, recommençait d'impor-
tunes sollicitations. ^ Sa Sainteté, ajoute M. de Chaulnes, se
voyant ainsi pressée, se releva et s'étant mise dans la même
posture, passa sa main deux ou trois fois sur son front et me
dit : Monsieur Tambassadeur, nous n'avons pas la tête assez
forte pour tant parler d'affaires. Je vous dirai seulement qu'il
faut que le roi me rende justice à Paris, et puis je ferai des
grâces, et se recoucha. » Après quelques propos indifférents.
Sa Sainteté détourna l'entretien sur la guerre des Turcs. « Elle
me dit qu'elle prêtait ses galères aux Vénitiens ; qu'elle leur
entretenait des troupes ; qu'elle envoyait l'étendard et son
neveu, qui avait déjà commandé les galères sept fois, et qu'elle
faisait tous les efforts qu'elle pouvait. — Sur quoi je ne
répondis pas un mot. — Elle me dit ensuite que les Turcs
menaçaient encore la Pologne, mais qu'il était difficile de
subvenir à tout. — Et, comme je voyais qu'il voulait con-
sommer le temps d'une assez longue audience, pour ne pas
[{) J'approuve que vous n'ayez rieu cédé sur l'abbaye d'Aumale, quoique je
TOUS aie donné pouvoir de le faire, » sans une assurance réciproque d'obtenir
one autre grâce, et que vous vous proposiez encore d'en user de même à Té-
^rd du cardinal Chigi touchant le sel d'Avignon. » (Le roi à Chaulnes, 18 fé-
vrier 1667. Rome, 181.) Encore une fois le sel d'Avignon et l'abbuye d*Aumale
n'étaient que des restitutions, dues au pape depuis longtemps en justice ab-
»*Aue, tandis que les grâces demandées par le roi dépendaient uniquement du
U Vf>louté du pape.
118 CHAPITtlE QUATORZIÈME
laisser raisonner le monde sur la brièveté de la mienne, j af-
fectai de ne pas vouloir entrer en conversation pour F obliger
de 77ie licencier. Sa Sainteté me donna ensuite sa bénédiction,
après laquelle je descendis chez M. le cardinal ^'^higi, chez
lequel n'ayant fait à dessein qu'entrer et sortir (l), je rendrai
compte aussi à Votre Majesté en peu de mots de celle
audience. » M. de Ghaulnes exprimant le déplaisir que lui
causent les sentiments du pape envers le roi, lo cardinal lui
répond qu'en ce moment le souverain pontife est afQigé de la
nouvelle qu'on projette en France uh édit contre les vtjcux de
religion, ce qui était exact. « Le duc lui répondit que, si le roi
faisait cette ordonnance, ce serait avec justice et que pour lui,
rCétant pas d^ humeur à perdre le temps^ il aimail mieux ne lui
en rien dire davantage sur les intentions du pape et sur le peu
de soin de Son Éminence à les faire changer, et sur cela il
se relira (2). »
En quittant Monte-Cavallo, l'ambassadeur va raconter dans
la ville sa nouvelle insolence envers le pape, et Fabbé de
Machaut envoie en France un chant de triomphe ; il écrit à
Lionne (3) : « L'on met ici M. de Chaulnes dans les cieux
d'avoir si judicieusement et glorieusement porlé les intérêts de
Sa Majesté, et, comme la plus sensible passion du pape e.st une
extraordinaire présomption, celte manière d'indifférence pour
ne pas dire mépris, dont l'ambassadeur s'est servi, l'aura
fierito semibilmente , » Le duc de Chaulnes ne se lasse pas de
dénoncer la conduite du palais: « Le pape, dil-il, est persuadé,
comme un et un font deux, qu'il gouverne avec plus de soin,
de justice et d'honneur qu'un pape ait jamais fait, et que,
quand il aura achevé la place de Saint-Pierre, l'histoire aura
sujet de parler de lui comme de saint Grégoire, ne prenant
point ce qu'il ne fait pas pour une inapplication, mais pour
une fermeté de ne vouloir prêter l'oreille à toutes les affaires,
lesquelles, par sa pente à refuser, n'étant pas conformes à son
inclination, û prend pour autant de demandes injustes; de
manière qu'il ne considère les minisires de tous les princes
(1) Chaulnes au roi, 15 février 1667. Home, 181.
(2) Analyse de Saini-Prél. Rome, papiers et documeots, 24 .
(3) !•' février. Rome, 181.
EMPIÉTEMENTS SUR LkS DROITS DE l'ÉGLISB ll^
que comme des séducteurs qui nont rien à Itii deinànder que
pour augmenter f autorité de leurs maîtres par la dimiyiutiofi
de rhonneur du saint-siège, ce qui fait qiie, quand on com-
mence à lui parler, on remarque facilement qu'il se met siir
ses gardes, comme pour se défendre d!un ennemi (1), prêt à la
négative, ou tout au moins à éluder sans jamais entrer en
matière ou discuter une affaire, ne voulant pas dire qii'il
pourrait se méfier aussi de ses forces (2). »
Le moment était en vérité bien choisi pour faire ces ré-
flexions ! Alexandre VII délibérait sur une promotion à laquelle
les couronnes devaient participer. Or, sur les quatre candidats
des princes catholiques, trois étaient tout à fait indignes ou
incapables de porter la pourpre avec honneur et utilité poiii'
rÉglise, tandis que tous les noms proclamés spontanément par
le souverain pontife furent salués par des applaudissements
unanimes. Une nouvelle crise de sa maladie fit même avancer
le consistoire. Alexandre VII travaillait assidûment avec ses
ministres (3) : le !•' mars, il sortit très fatigué d'une Congré-
gation tenue devant lui pour l'examen des évêques ; le lende-
main il eut une hémorragie qui épuisa ses forces et Ton crut
qu'il ne passerait pas la nuit. Il ordonna lui-même l'exposition
du Saint-Sacrement et, dès qu'il fut mieux, il assembla exlra-
ordiiiairement le sacré collège (7 mars). Il déclara d'abord
les quatre candidats réservés inpetto : c'étaient les trois nonces
de Vienne, de Paris et de Madrid, Giulio Spinola, Carlo
Roberti de' Vittorii, Vitaliano Visconti, et Tauditeur de la
Chambre, Innico Caracciolo. Trois chapeaux furent donnés
aux candidats des couronnes : le comte de Thun, prince-arche-
vêque de Salzbourg, nommé par l'Empereur; Luigi Guglielmo
Moncada, des ducs de Montalto, par l'Espagne, et le duc de
Vendôme, par la France. Bonsy, évêque de Béziers, fut écarté
de la huitième vacance remplie par le Vénitien Delfino. « Le
pape, écrivit l'abbé de Bourlemont, a voulu que la promotion
qu'il vient de faire et que Ton tient devoir (^tre la dernière qu'il
(1) Tout cela est strictement vrai.
(i) Au roi, !•» mars 1607. Rome, 181.
(:); Chauloes au roi, 22 février 1667. Home, 181.
120 CHAPITRE QUATORZIÈME
fera, parût désiatéressée, tant à TégarJ de son sang, n'ayant
fait aucun ni de ses parents, ni de leurs proches, quoiqu'il y
en eût qui y prétendissent, qu*à l'égard même de leurs confi-
dents de qui ils pouvaient tant tirer d'aide au futur conclave,
Sa Sainteté ayant déclaré publiquement, ainsi qu'on me vient
tout présentement de dire, qu'elle avait voulu récompenser ses
ministres vers les couronnes et ne les pas laisser à la discrétion
d'un successeur qui souvent, ne les ayant pas mis en charge,
oublie leurs services... Sa Sainteté s'était déclarée qu'elle les a
préférés à tout intérêt et de son sang et de sa maison, pour aug-
menter le zèle et la fidélité des ministres du saint-siège par cotte
prompte récompense, ce sont les mêmes mots que le pape a
dits ce matin en parlant de la promotion qu'il fit hier, ce qui
s'est aussitôt publié par Rome, de quoi Ton a loué fort Sa
Sainteté !... » Quant à l'auditeur de la Chambre, Innico Carac-
ciolo, « d'une maison illustre du royaume de Naples, il avait
été vingt ans clerc de la Chambre, sans s'avancer durant les
pontificats d'Urbain VIII et d'Innocent X, nonobstant les
continuels services qu'il rendait dans la charge où il avait
longtemps été fort assidu... Le pape le nomma en même
temps archevêque de Naples et le remplaça par M. Acciajolo,
Florentin, clerc de la Chambre, qui était, dit encore Bourle-
mont, « un prélat de grand mérite et qui servait depuis long-
temps avec estime (1). »
Le duc de Chaulnes ne pouvait applaudir à rien de ce que fai-
sait Alexandre VII : « Toute cette cour, dit-il, est dans la plus
grande consternation du monde de la promotion des nonces,
aussi bien que tous les neveux qui n'ont pu y servir leurs
amis. La vatiité et la superbe du pape lui a fait prendre cette
résolution pour faire dire qu'il ne se laisse pas gouverner, et
cette action justifie un peu les parents de ne pas faire tout ce
qu'ils devraient (2). » Il espérait détourner sur lui-même une
partie des louanges que le choix des nouveaux cardinaux at-
tirait au souverain pontife. Il s'attribua l'honneur d'avoir assez
intimidé le pape pour lui faire écarter ses parents et des amis
personnels : il n*en croyait rien lui-mênu;, puisque les trois
(1) A LiooDe, 7 et 8 mars 1667. Home. 181.
(2) A Liuuuts 8 mars. Romf. 181.
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS DE L*ÉGL1SE i2i
nonces et Caracciolo étaient créés inpetto depuis le 15 février
de l'année précédente et que, le tour des couronnes étant re-
venu, leur part était réglée d'avance. Mais le duc voulait pré-
venir le reproche de n'avoir rien obtenu pour Bonsy et il s'ex-
cusait d'avoir sacrifiéce prélat, dont ilconsidéraitlanomination
comme impossible, ajoutant que des instances plus vives au-
raient inutilement compromis l'autorité du roi (1). Louis XIV
renvoya sur-le-champ le courrier avec Tordre d'employer tous
les moyens pour arracher au pape la promotion de Bonsy et
dy faire concourir le cardinal Chigi par promesses de protec-
tion ou menaces de ressentiment (2); et voici toute la recon-
naissance que la promotion de Vendôme lui inspira : « J'ai
trouvé assez curieux, écrivait-il le 29 avril (3), ce que le car-
dinal Chigi a dit à Bigorre{4), qui lui parlait de votre part, que,
Sa Sainteté ayant promu le cardinal de Vendôme, c'était
maintenant à moi à faire quelques pas sur le sujet des grâces,
ayant plus de sujet de me plaindre de la dernière promotion,
pour l'exclusion de M. de Béziers et pour la création de divers
cardinaux sujets d'Espagne, que de me louer de celle d'un
Français qui m'était due par justice (o). »
(1) A Lionne, 7 mars; au roi 8 mar?. îiome^ 181.
(2) 18 mars 1667. Rome, 182.
(3) A Chaulnes. Borne, 183.
(4) L'un des secrétaires de M. de Chaulnes : la plupart des dépêches de
l'ambassade sont de sa main. C'est Tabbé de Bigorre, bien connu par les let-
tres de M">« de Sévigné. Il travaillait auparavant dans les bureaux de Lionne ;
mais après le jugement et l'exécution du copiste la Panse, employé sous ses
ordres et convaincu d'avoir vendu des dépêches à un ministre étranger, l'abbé
de Bigorre, dont la vigilance avait été en défaut, fut disgracié. (V. Fiassan,
Histoire de la diplomatie française, t. III, p. 314). Une lettre de Lionne lui-
même, du 21 mars 1664, publiée par M. Ulysse Chevalier {Lettres inédites de
Hugues de Lionne, Valence, 1879), contient un récit très intéressant de cette
affaire.
(5i Louis XIV ne put se dispenser d'un remerciement banal pour le chapeau
de MercŒur, mais il ajouta : <c Nous ne pouvons cependant omettre de témoi-
gner à V. B. que ce ressentiment aurait été complet de tout point, si elle eût
en agréable de comprendre dans la môme promotion le prélat italien que le
roi de Pologne lui avait aussi nommé, parce que ledit prélat est d'ailleurs
fi aflectiooné pour notre service qu'après lui avoir donné un évêché dans ce
royaume, nous l'employons encore dans nos propres affaires aux pays étran-
gers... » (I^ roi au pape, 1*^ avril 1667. Rome, 182.) — Lionne, dans une lettre
du môme jour au cardinal Chigi, désigne également M. de Bonsy sous le titre
de prélat italien!
122 CHAft>tTtiÉ QUATdltZIÈMË
Le pape désirait consommer son œuvre sans délai : «Il sem-
blerait, dit Machaut, que le saint-père voulût se réveiller sur la
fin (le sesjourset mourir en agissant. Il prétend faire un consis-
loire samedi pour donner le chapeau au cardinal Caracciolo...
S'il en prend la résolution, personne au monde ne le pourra
empêcher de Texécuter. L'élat de sa santé est très mauvais et,
quoique des cardinaux m'aient dit qu'il paraissait assez de
netteté et de vivacité dans ce qu'il fit et ce qu'il dit du consis-
toire, ils ont remarqué que son corps paraissait être celui d'un
cadavre, les yeux morts, enfin les signes d'un homme qui a
peu de temps à vivre (1). » Le duc de Chaulnes en prenait son
parti avec son cynisme habituel : Le pape a de nouveaux ac-
cidents, écrivait-il (2); le Saint-Sacremont est exposé. « Sa
Sainteté s'est trouvée plus mal depuis deux heures. Elle a
communié ce matin debout, et, en qualité de vicaire de Jésus-
Christ, elle s'est servie des mêmes paroles, lorsqu'on lui a de-
mandé comment elle se portait, ayant répondu : Consimimattm
est! Dans peu de jours, on verra la fin de sa prophétie. »
Le nonce Roberti, élevé au cardinalat, allait donc quitter la
cour de France, à laquelle son zèle le rendait si importun.
Lionne faisait sans cesse au duc de Chaulnes des contes ridi-
cules sur ce prélat, espérant qu'ils se répandraient deFarnèse
au palais et dans la ville, et finiraient par affaiblir son crédit,
mais il n'y réussit pas : aussi, lorsque l'ambassadeur, encore
peu habitué aux procédés de Lionne et croyant à ses fables,
annonça qu'il travaillait à pousser le nonce hors de France,
mais que, pour obtenir sa révocation, il avait besoin de pro-
duire une plainte formelle du roi ou du secrétaire d'État (3),
(1) A Liounc, 10 mars. Home y 182.
(2) Au roi, mtîiiio jour. Hotue, 182.
(3) Chaulnes au roi, 10 août 1U66 et le mémoire joint à cette dépèche.
Home^ 177. — Voici une Douvelle et curieuse preuve de cette perspicacité qoi
valait '\ Roberti la liaiuc de Lionuc. Le duc de Chaulues écrivait à ce iiiiui«-
tre, le 2 mai 1670, peu de jours après le conclave où fut élu Clément X : «• Il
faut que je vous didc que j'ai été surpris des lumières du cardinal Roberti
qui, mot pour mot, a toujouis dit au cardinal Chigi ce qui lui arriverait^ mais
/e plus surprenant et qui était le plus fâcheux^ est qu'il venait dire à MM. nos
cardinaux ce qu'il disait au cardinal Ciiigi, et il est vrai qu'il parlait si juste
de nous qu'il semblait qu'il eût vu nos lettres, et dans tous les détours il lie
s'i*st pas perdu au momeut. » (/<ome, 209.)
EMPIÉTEMENTS ^tlt LES DROITS DE l'ÉGLTSE 123
LooisîlY rSpdtidit quô Robcrti a se bondilisait mieux et plus
modérément » ; que âa présence dans le royaume ce lui était
eotièremenl indifférente » ; que la demande de son rappel se-
rait sans doute suivie d*un refus, ou ne servirait qu'à le faire
nommer plus tôt cardinal (1), et qu'il fallait garder le silence
sur ce sujet (2). Et, lorsque Tavis de la promotion parvint
en France, Lionne essaya do faire oublier son attitude hos-
tile envers un « homme d'esprit, agissant, et qui savait bien
maintenir en France Tautorité et les droits du saint-siège » ,
étroitement lié avec le plus ancien âtni d'Alexatidre VII, le
cardinal PallaVicino (3), et qui allait rentrer à Rome avec une
(1) Par une de ces distractioas et contradictions qui sont fréquentes, sous
la plume rapide et prolixe de LioDoe, il écrit, dans la même dépêche^ que, si
le DODce est devenu plus sage, c'est qu'il « voit sa fortuue à deux doigts de
tt perte. >* Or, il n'ignorait pas qu'il était créé cardinal in petto depuis le 15 fé-
Trier 1666.
(2) Le roi à Chaulnes, 3 septembre 1666. Rome, 178.
(3) Lionne n'avait jamais cessé de courtiser le cardinal Pallavicino, ancien
jétuite, qu'il avait connu autrefois à Rome. Le 19 janvier 1662 {Rome, 144), il
ehirgeail le Père Duneau de ses compliments c les plus expressifs » pour ce
rardinal : « J'ai lu, disait-il^ depuis trois mois, deux fois de suite tout son
ouvrage [VHistoire du concile de Trente] et je Tai trouvé si à mou goût que je
ffl'eu vais le recommencer pour la troisième. Je ne m'endors plus que sur
cette lecture, car je n'ai pas, à mon grand regret, d'autres heures a y donner.
Je TOUS avoue que je ne croyais pas qu'il y eût aujourd'liui homme vivant
qai écrivit de cette force, avec une si grande pureté pour la diction, si grande
netteté, et en même temps de vigueur pour les conceptions. Je tiendrais un
bumme fort savant qui aurait assez de mémoire pour ne laisser rien échapper
de ce qui est dans cet admirable ouvrage. Il était nécessaire pour le public,
et pour moi en avais-je autant de besoin qu'aucun autre pour les mauvaises
iiopressions que m'avait laissées la lecture de Fra Paolo que je confesse qu'a-
Taut cela je tenais pour un héros d'érudition. » Lionne promit ensuite au
cardinal de lui procurer un traducteur français de son livre. 11 lui proposa
Ittbbé Gaudon, qui avait élevé et instruit ses enfants et fait deux voyages
en Italie. Le 11 avril 1665 {Rome, 168), il lui apprend qu'il va essayer le
talent de cet abbé en lui foisant traduire plusieurs cahiers : « M. le nonce,
ajouta-t-il, aura sans doute déjà fait savoir & V. E. l'insolente audace d'un
petit écrit volant qui se faisait ici toutes les semaines et se donnait au pu-
blia, intitolé le Journal des savants. Il était /'chappé à ce téméraire de porter
lossi son jugement sur l'ouvrage de V. E., avec la plus impnidfînte, scanda-
leuse et injoste critique qui se puisse concevoir; mais, dès que S. .M. eut ap-
pris k chose par la plainte que je lui en fis, elle en eut tant d'indignation et
de courroux qu'elle interdisit sur-le-champ pour l'avenir la continuation dudit
Journal, qui est la plus sensible mortification qu'elle pouvait donner à Tau-
Ceur. • — Le 31 décembre 1666 {Rome, 117), le même ministre écrivait en ces
termes au duc de Chaulnes : « Ce cai*diual est un des pliis grands hommes
124 CHAPITRE Ol'ATORZIÈME
si haute dignité. Le courrier de l'ambassadeur ayant devancé
celui du pape, le minisire porta lui-même la nouvelle à Ro-
berti, qui était encore au lit et qu'il (ilréveiller : « Nous nous
réchauffâmes d'amilié, écrit-il au duc de Chaulnes, avec quelle
sincérité de sa part, je vous en laisse le jugement. Pour moi,
je suis d'une humeur à être toujours bien aise que tout le
monde soit content, et particulièrement quand je n'ai pas oc-
casion d'envier la forlune de personne (1). » Le roi voulut que
le présent d'usage qu'il lui destinait fût d'un prix supérieur à
ce qu'on y mettait jusque-là (2), et l'ambassadeur reçut l'ordre
d'entretenir avec lui des relations courtoises. Dîtes au cardinal
Pallavicino, écrivit Louis XIV (3), que, quoique mécontent de
son ami le cardinal Roberli, je veux qu'il parte d'ici satisfait.
— Mais une difficullé de cérémonial, amenée par une méprise
de l'introducteur des ambassadeurs, ou plutôt par la malveil-
lance persistante de la cour, l'empêcha de prendre congé. Ap-
pelé à Rome en toute hâte, il ne souffrit pas qu'après avoir été
averti de sa promotion par le secrétaire d'Etat lui-même, on
lui refusât le traitement de cardinal chez le roi et chez la reine,
sous prétexte que le bref qui accompagnait la barrette n'était
pas encore arrivé : il exposa respectueusement mais avec fer-
meté pourquoi il ne laissait pas créer un précédent préjudi-
ciable à ses successeurs. Lionne craignit que le sacré collège
ne s'offensât de cet incident, et recommanda au duc de Chaul-
nes de ne rien négliger pour prévenir une rupture avec ce
cardinal, mais donna cours en même temps à son ressentiment
contre lui : « Il a voulu, dit-il, finir son emploi comme il l'avait
commencé et continué, c^est-à-dire aussi mal qu'il se puisse.
de ce siècle, et pour lequel j'ai la dernière considération. U me semble que,
quand vous vous conuaitrez l'uu l'autre, vous deviendrez grands amis, et trou-
vez bon que je vous dise que vous y devez faire tous vos etlorls. Vous en tire-
rez mille utilités, et pour les affaires, et pour augmenter et coniirmcr votre
réputation qui est déjà fort graude. Certaineï; clefs de montre dans les coun
doivent être gagnées à quelque prix que ce soit. Je mets dans ce raDg-lù, pré-
férablement à tous les autres, le cardinal Pallavicino, le Père Cliva, général
des Jésuites, et le cavalier Beruini. Certains accueils, honneurs et distinctions
faites à ce dernier vous le gagneront entièrement. »
(1) 18 mars 16G7. Rome, 182.
(2) Louvois à Lionne, 18 avril. Ho7ne, 182.
(3) A Cbaulues, 8 avril IGtiT. Hotne, 182.
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS DE i/ÉGLISE 125
et avec autant d'impétuosité, d'emportement et de folie qu'il
se puisse. Il ne laisse pas d'être fort malin et je comprends,
par les discours qu'il tient et qui me reviennent, qu'il voudrait
bien tâcher d'intéresser le sacré collège dans sa cause, comme
si on lui avait fait ici injure, et il est même assez plaisant que,
quand il a commis des fautes inexcusables et d'une extrême
imprudence, il prétend avoir matière d'un triomphe, ou tout
au moins d'une occasion, en arrivant à Rome, comme s'étant
sacrifié et tout méprisé pour la gloire et Tinlérêt du corps
dont il a l'honneur d'être, quoique indignement (1). » La cour
de France ne pouvait cependant lui reprocher que d'avoir été
un fidèle ministre du saint-siège et ne lui avoir fourni que
trop d'occasions d'exercer sa vigilance. Indépendamment des
usurpations déjà signalées, il avait eu tous les jours à com-
battre de nouveaux empiétements du pouvoir séculier sur l'É-
glise.
Ainsi, tout en sollicitant des induits pour étendre aux der-
nières conquêtes le Concordat de 1315, le roi dérogeait à la
loi sous laquelle ces pays étaient placés et mettait des intrus
en possession, sans attendre que le pape se fût déclaré.
Louis XIV, à l'instigation de Colbert, qui devançait les éco-
nomistes, avait ordonné aux évOques de supprimer un certain
nombre de fêtes, et les prélats, se pliant peu à peu à la supré-
matie royale, avaient obéi, sans consulter le pape. Chaulnes
avertit la cour de l'éclat produit à Rome par cette nouvelle :
(' Il est vrai, répondit Louis XIV (i), que j'ai exhorté tous les
évêques de mon royaume à retrancher le grand nombre de
fêtes qui s'est introduit )> ; ce sont des occasions de débauche
et qui ôtent au peuple la liberté de gagner sa vie. « Tous les
évêques ont reconnu ces vérités et ont déjà satisfait à mon
désir, ut le nonce ni la cour de Rome ne peut rien avoir à dire
à cela, lo pape Urbain Vlll, par une de ses bulles, ayant avoué
;1) La correspondance entre Robert! , Lionne et le roi, sur cette affaire
Home, 183), mérite dt^tre lue, ai Ton vent savoir ce que Lionne traite d'impé-
tuotnt^i iï emportement et de folie! V. notamment : Koberti au roi, 2:{ avril;
Lionne au roi et au nooce, 2-1 avril ; Lionne au nonce et à Cliaulncs, 25 avril ;
Roberii à Lionne, môme jour.
(2) 1 janvier 1667. Ko/ne, 181.
12fii GHAPITRIi: QUATORZIÈME
que ce pouyoïr-là appartenait dans chaque diocèse à son
évèque, qui en reconnaîtra d'ailleurs mieux que personne les
besoins et les scandales (1). »
C*était le moment où Colbert poursuivait aussi avec le plus
d'ardeur ses entreprises contre les ordres religieux, aux
dépens desquels, en attendant leur destruction, il enrichis-
sait son innombrable parenté. Il avait notamment conseillé
au roi de prévenir un grand nombre de vocations monasti-
ques en retardant rémission des vœux, a M. Roberti, disait
rambassadeur (2), a écrit fortement au pape contre une dé-
claration que Votre Majesté veut faire pour que dorénavant
les hommes ne fassent plus profession qu'à vingt-cinq ans
et les filles à vingt... » Lionne écrivait de son côté : Le
nonce me parle encore « d'un prétendu projet d'édit » contre
le concile de Trente et Tordonnance de Blois. S'il y a des
abus, dit-il, le pape y considérera « pour contenter Sa Ma-
jesté; autrement, si on voulait mettre la main à Tencensoir,
Sa Sainteté ne le souiïrira point, et cela serait même capable
de produire un schisme. Voilà la substance de ce qu'il m'a dit. »
Je réponds qu'il a eu tort d'envoyer à Rome un papier volant,
quoique en forme d'édit: c'est un simple projet. Le roi ne s'est
déterminé à rien et ne veut faire que ce qui est en son pouvoir.
Le nonce était exactement informé, et le projet n'était que
trop sérieux. Au mois de décembre 1666, Olivier d'Ormesson
(1) Urbaiu VIU n a jamais dit que les ordioaires pussent abroger des ca-
DODs do discipliue géuérale, mais «^ouiement que chaque évêque a le droit
d'accorder rcrtaines dispenses, suivaDt les temps, les lieux et les personnes,
et qu'il a des pouvoirs plus étendus sur rétablissement et le maintien de
fêtes purement locales. — 11 n'y avait pas alors jusqu*à Lionne qui ne voulût
régler par l'autorité du roi le comput eccléMasIique : « J'ai vu, écrivait*il k
Retz le 5 mars 1666 {Wrmey \T6), le raisonnement de Franccsco Lenora sur le
calcul de Clavius [l'un des auteurs du calendrier grégorien], touchant le
temps de la célébration de Pâques, et il me partit si convaincant pour obliger
à avancer celle année le commencement du carême dun mois entier^ que je
pris la liberté d'en parler fortement en ce sens-là à S. A/., présupposant
qu'il était certain, comme le soutient ledit Lenora, que le soleil doive entrer
dans le premier degré d'Aries six heures avant la pleine opposition de la lune
à son corps; et, à dire vrai, je ne vois pas comment les Jésuites, pour soute-
nir un calcul fnit par un de leurs pères [Claviusj, voudront on oseront s'op-
poser a la véritable intention du concile de Nicce. »
(2) Au roi, 1" février 1667. Borne, 181.
EMPIÉTEMEtfTS SUR LES DROITS QB l' ÉGLISE 127
notait, d{^ns son Journal, pne déclaration royale, affranchis-
sant de la taille les pères roturiers qui auraient dix enfants,
« pourvu qu'il n'y en eût aucun ni prêtre ni religieux », et il
ajoutait : « L'on consulte présentement comment on dressera
une déclaration pour retarder les vœux des religieuses et reli-
gieux, etc. C'est encore pour en diminuer le nombre, comme
de gens inutiles. Von a allégué sur cela les exemples d Angle-
terre et ffollande(i), où ilnyapoint de religieux. Cela étonne
quelques g^n$. » Peu de temps après, le même magistrat con-
signait encore un souvenir précieux: Le P. Cossart, jésuite,
« me dit que M. le nonce était venu voir le P. Annat (2); qu'il
Tavait entretenu et que M. le nonce était fort emporté sur la
déclaration des vœux; qu*il était résolu de dire au roi que si,
comme prince trè3 chrétien, il ne voulait pas déférer aux con-
ciles et à rÉglise,au moins il suivît les exemples d'Angleterre,
où le roi, qui se prétendait chef de TÉglise, consultait néan-
moins les évèques sur les affaires spirituelles; les Hollandais
leurs ministres; le Turc, le moufti, et qu'au moins le roi devait
considérer le pape comme le moufti ; que fon soutenait en
France que le concile était au-dessus du pape, mais qu'il fallait
ajouter le roi au-dessus du concile; que, pour une affaire pure
(1) V. dans les Mémoires du Père R&pin^ t. UI, p. 385 et s., Thistoirô des
relations de Colbert avec le Hollandais protestant Caron, qui, mécontent de
9on pays, entra au service du roi et fut nommé directeur général de la Com-
I>agnie des Indes orientales : '<... Ce fut dans ces longueurs d'entretiens à Paris
et à Saint-Germain, que pe ministre lui ayant demandé par où le commerce
avait si bien réussi eu Hollande et par où il pouvait réussir de la sorte eu
France, cet homme, qui avait peu de religion, lui dit qu'il fallait commencer
par abolir en France le nombre énorme des religieux, ce qui ne serait pas
•iifficile en retardant les vœux de religion et les faisant dififérer jusqu'à vingt-
cinq et trente ans par ordonnance du roi, diminuer le nombre des ecclésias-
tiques et supprimer les fêtes, lesquelles ne servaient, au compte du bourgeois
de Hollande, qu'à entretenir l'oisiveté et la fainéantise daus un Étal. Colbert,
rbarmé de ce raisonnement conforme à son esprit né au travail, formait déjà
de grands projets de réforme dans la religion, el^ comme il sentait sa force
auprès de son mattre, qui lui avait déjà abandonné une partie de son auto-
rité, «ans prendre conseil de personn»*, il fit proposer à l'archevêque de Pa-
ri^, de la part du roi, s'il n'y avait pas moyen de retrancher les fêtes et de
faire on modèle de cette réforme qui put servira tous les prélats du royaume.
Ce secret, avec celui du retardement des vœux, ne fat pas plus tôt su qu'on
en murmura... »
(2) Confesseur du roi.
128 CHAPITRE QUATORZIÈME
spirituelle, le roi ne consultait que des personnes laïques ; que
Ton aurait le schisme ; car assurément le pape le ferait, et lui
se retirerait; qu'il l'avait dit à M. Tarchevêque, qui devait en
parler au roi (1). » Le duc de Chaulnes écrivait : « M. Roberti
n'a pas aussi écrit, mais fulminé contre la déclaration,... et
n'a pas oublié de parler de M. Talon, comme étant Tauteur
de toutes les délibérations de Votre Majesté, et une personne
qui voulait établir sa réputation sur le débris de l'autorité du
saint-siège (2). » C'était encore vrai : les énergiques protes-
tations de Roberti arrêtèrent cette entreprise. Le premier pré-
sident Lamoignon, invité h donner son avis par écrit, « sur
le dessein de la réduction des vœux des religieux et reli-
gieuses, » répondit « que le roi n'y pouvait toucher (3) », et
Louis XIV parut abandonner une partie de ses projets : « Je
fus arrêté, dit-il dans ses Mémoires, par ces sentiments de
respect que nous devons toujours avoir pour TEglise, en ce
qui est de sa véritable juridiction, et je me résolus de ne dé-
terminer ce point que de concert avec le pape, et néanmoins
en attendant que je l'en eusse informé, je voulus empêcher le
mal de croître par tous les moyens qui dépendaient de moi...
Ainsi, je défendis tous les nouveaux établissements de monas-
tères; je pourvus à la suppression de ceux qui s'étaient faits
contre les formes, et je fis agir mon procureur général pour
régler le iiombre des religieux que chaque couvent pouvait
porter (4). »
Ne pouvant pas détruire les ordres religieux, la puissance
civile subordonnait leur régime à ses caprices. Elle donnait
en ce moment même aux abus de lacommendo une extension
qui équivalait à une confiscation partielle du patrimoine ecclé-
siastique. Voici ce que Lionne écrivait comme une chose toute
simple au cardinal de Retz (5) :<(... Puisque je suis tombé sur
les moines, je m'estimerai infiniment heureux si, dans la dé-
cision d'un grand procès que j'ai gagné contre qu^ celte se-
(1) T. II, p. 480 et 499.
(2) Au roi, 8 février 1667. Home, 181.
(3) 0. d'Ormessou, p. 486 et 490.
(4) Edit. de 1806, t. II, p. 270.
(5) 3 juillet 1666. Rome, 177.
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS DE LÉGUSE 129
maine au Grand Conseil, j'avais quelque chose dont Votre
Eminence pût retirer de l'avantage en son abbaye de Saint-
Denis. Le fait était que les religieux de Marmoulier, de leur
propre aveu, jouissaient de cinquante mille livres de rente
depuis une transaction qu'ils firent avec M. le cardinal de Ri-
chelieu, et Tabbé seulement de dix mille. Jusqu'ici tous les
moines ont prétendu qu'il n'y avait qu'eux qui pussent de-
mander la partition quand ils étaient lésés. V arrêt que j'ai
obtenu, qui va servir de loi à tout le royaume ^ a décidé que les
abbés commendataires ont le même droit : la transaction faite
avec M. le cardinal de Richelieu a été cassée, et il sera fait une
partition en trois lots de tout le revenu de l'abbaye, dont il en
appartiendra deux à l'abbé, à condition d'acquitter les
charges... Les moines ne sont pas à se repentir d'avoir laissé
pousser l'affaire jusqu'au bout sans l'accommoder à quelque
prix que ce pût être, car on juge que le même jour de leur
condamnation 27« ont perdu cent mille livres de rente. »
La couronne ne respectait pas plus la discipline des ordres
religieux que leurs biens. Le roi, disait Lionne dans la même
lettre que nous venons de citer, s'oppose absolument à l'érec-
tion d'une nouvelle congrégation de chanoines réguliers de
Saint- Augustin, sollicitée à Rome par Tévêque de Cahors : c'é-
tait le we/o royal mis au développement de la belle réforme de
Chancelade, commencée par Alain de Salminhiac, évêque de
Cahors, mort en 1659, et continuée par son successeur.
Louis XIV avait récemment forcé les moines de Prémontré
d'élire pour abbé-général un parent de Colbert, et il exigeait
que Rome validât une élection entachée des vices les plus
criants : !<" Tabbaye dépendait immédiatement du saint-siège
et le P. Lescellier, ancien général, aurait dû se démettre entre
les mains du pape ; 2® l'élection avait eu lieu en présence d'un
commissaire royal, ce qui était défendu même par le concile
de Trente; 3* elle avait été imposée parle P. Lescellier et faite
par compromis; i"" elle était simoniaque, l'cx-abbé ayant sti-
pulé une pension: 5* enlin le P. Colbert n'avait pas l'âge ca-
nonique. Notre demande, écrivait le duc de Chaulnes, est en-
travée par « ce démon de P, Caret,,. Un exemple est nécessaire,
parce qu'il y aura toujours des oppositions dans ces sortes
LOUIS XIT R LE SAIFIT-SIÈOB. — l\. 9
i3Û CHAPITRE OUATORZIÈMK
d'aifaires, cl que V impunité donnera des forces conlre les
volontés du roi... Je croirais que, dans le dessein de Texéculer
ou non, il faudrait faire savoir à M. le nonce que, sur le refus
de cette grâce, il est facile de maintenir en justice (1) le R. P.
Colbert; que cela pourrait faire ici beaucoup d'effet, parce
qu*ils se verront hors d'espérance d'une nouvelle élection (2). »
Vainement le pape supplia le roi de ne pas donner suite à une
entreprise qui bouleversait un institut répandu dans plusieurs
Étals: (t Lorsque nous avons reçu, dit-il, la lettre de Votre
Majesté du 17 février dernier sur raffairede Prémontré, nous
avons tout de suite reconnu qu'il s'était passé dans celte élec-
tion des choses qui sont un empêchement grave à ce qu'elle
soit confirmée : cependant nous avons confié à une commis-
sion spéciale de prélats aussi pieux que savants le soin d'exa-
miner s'il y aurait quelque moyen légitime de répondre favo-
rablement à la requête et à vos instances. En même temps
nous avons résolu de consulter des hommes d'une fidélité et
d'un zèle éprouvés, qui ont une connaissance approfondie de
cette matière et de tout ce qui regarde Tordre de Prémontré,
dont les maisons sont établies dans plusieurs Etats et pro-
vinces de la chrétienté, et les réponses obtenues nous ont
convaincu qu'une élection ainsi faite ne saurait être validée
sans un grand scandale et sans exposer cet ordre religieux à
une grave perturbation : notre nonce, l'archevêque de Tarse,
en dira les raisons à Volro Majesté. En conséquence, noUî»
aimons à croire que votre piété insigne et si naturelle à votre
âme royale ne voudra pas sacrifier à des intérêts particuliers
le repos et la prospérité d'un ordre tout entier, d'autant plus
que le requérant peut conserver Tcspoir d'arriver à cette dignité
par une meilleure voie, en sûreté de conscience et avec ac-
croissement de considération. Notre nonce a l'ordre de vous
exposer verbalement notre pensée, et nous vous prions, cher
fils, d'avoir en lui une entière confiance. Cependant nous
prions, etc. (3). . . » Le jour où partait ce bref, l'abbé de Machaul
(1) C*e»t-à-(liru par un arrêt du ConHcil el par la Torce publique.
(2) Chaulnos à Liouiic, 27 sopleuibro 16G0. Home^ 178.
(3) Le pape au roi, de Gaslcl-Gaudoifo, t) iioyeiiibrc 1G66 : » Ubi primum
pcrlegiaius litteras Majcslati» Tu(c de negoUo fratrum PreBmoustratentiatD
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROttB DE L ÉGLISE 131
écrivail à Lionne pour en détourner TefTet (1) : « Si M. le nonce
a quelque réponse fâcheuse sur les propositions qu'il vous doit
faire touchant la grâce de M. de Prémontré, il est certain que
cela fera un effet admirable, et non seulement le ressentiment
doit rester sur sa personne, mais il serait nécessaire qu'on sût
ici publiquement qu'il eût été porté avec éclat. Ce leur serait
des matières dures à digérer : ce seraient des coups à vous
attirer des bénédictions de tout le monde> si Ton savait combien
peu de cas on fait d'un pape qui n*agit que par passion (2)... »
Et en effet Lionne écrivait aussitôt à Tambassadeur : u... Il se
die xvu febr. dalas, etai staUm electionis forma et alla secus io eA gesta con-
firmaUoDi petitœ noQ paruia adversari Tidebantur, tameu, ut, si quA ratione
recti posset, postulatts studloque tuo satisfleretf rem banc divertis pietate aô
doctriuà prsttaDtium prœlatorum coDgregatioQlbuSj ad id specialiter députai
tis, accurate discutiendam commisimus. Proeterea uonouUos alios indubiœ flde-
xelique tItos, qaibus tam hujusmodi causa quam uniyersae res ordinis Prtn-
monstrateosit per varia régna et provincias cbristlanas diffusi penitus co-
gDits perspeotffique foreut, audire voluimus, et ex omoi parte comperimus elec-
tiouem ita peractam absque gravi scaudaio et religionis illius magnA pertur-
batione, rationibus a venerabili fratre arcbiepiscopo Tarsensi ountio nostro
MajestaU Tu» signlficandis, confirmari non posée. Porro non dubitamus quiu
eximia et ingenita pietas animi regii tui quietem et booum totius illius ordi-
nis privalis electi rationibus anteferri malit; eoque sane magis quod ipsi spes
Donauferatur dignilatis hujus potiore via cum animœ securitate et incremento
existimatioois obtln^ndee. Sed cuncta coram latins nuntius edisseret cul fl-
dem ooinem a te, carissime fili noster, babere plane cupimus. Intérim assi-
duam divinœ clementiee protectionem et cnstodiaui Majcstatis Tuae preca-
mur... • {Rome, 119.)
(i) 9 novembre 1666. Rome, 179.
(2) Macbaut nous apprend le mobile du zèle que le duc de Chaulnes déploya
dans cette affaire : « L'on nous mande de Paris et de plusieurs endroits que
M. Colbert a quelque pensée de marier sa fille avec M. de Cbevreusc, et qu'od
avait jeté les yeux sur M. de Chaulnes pour être gouverneur de M. le dauphin.
An sortir de Tambassade, ce serait une a^çréable chute. » (A Lionne, 2 novem-
bre 1666. Romey 179). — M. de Chevreuse était le neveu et l'héritier de M. de
Chaolnei, et le mariage se fit eu effet. L*ardeur de Tambassadeur à défendre
la scandaleuse élection du Père Colbert dut être encore singulièrement sti-
mulée par la lettre suivante, déjà publiée dans les Œuvrea de Louis XIV, t. V,
p. 402 : Le roi an duc de Chaulnes, i«r janvier 1667 : « .Mon cousin, j*ai conclu
le mariage du sieur de Chevreuse avec la fille atnée du sieur Colbert, et
comme j'attache par ce moyen le chef et seul héritier mâle de votre maison à
celle d*un homme qui me sert dans mes plus importantes affaires avec le zèle
et le succès que (ait ledit sieur Colbert, j'ai bien voulu vous donner moi-même
avis dé cette alliance, et je m'assure que vous prendrez part à la satlsfacUon
qae les denx familles en témoignent. »
132 CHAPITRE QUATORZIÈME
voit clairement que le pape ne veut point changer de conduite
en aucune chose à Tégard du roi. Sa Majesté ne soaffrira pas
que l'on remette TaiFaire à une nouvelle élection et proté-
gera celle-ci, dont les moyens ne lui manqueront pas, jusqu à
ce que nous ayons un pontificat plus favorable, et où on aime
mieux contenter et obliger un grand roi que de découvrir les
fautes des impressions de Martial (1) ... »
Lorsque l'archevêque de Tarse fut rappelé à Rome pour re-
cevoir le chapeau, il se préparait à défendre les institutions
monastiques contre les nouveaux coups dont la couronne les
menaçait. C'est le 18 avril que le cardinal Roberti écrivit la
lettre suivante aux deux ministres le Tellier et Lionne : « Je
viens do lire un arrêt du Parlement qui parait avoir été rendu
le i de ce mois, et dont l'intitulé est ainsi conçu : Arrêt de la
cour du Parlement ordonnant qu'il sera procédé à la réforme
des quatre ordres des religieux ordinairement appelés Meti-
diants et faisant défense aux supérieurs et supérieures de tous
les monastères de recevoir aucunes choses pour la réception des
novices à f habit et à la profession, etc. 11 est imprimé, et quoi-
que Ton m'ait dit qu'il ne sera pas publié, je crois néanmoins
do mon devoir <le prier de nouveau Votre Excellence de me
procurer une audience de Sa Majesté, afin que je l'informe
des sentiments de Sa Sainteté sur les inconvénients et les
graves p<»rturbations qu'entraînerait infailliblement la publica-
tion d'un pareil arrêt. En attendant, je ne veux pas tardera
informer Votre Excellence que, si Sa Sainteté est résolue,
conmieje le sais, à ne permettre en aucune manière que le
pouvoir séculier détermine l'Age nécessaire pour la profession
religieuse, elle tolérera encore moins qu'on imprime, à la
suite d'un libelle dilTamatoire contre le clergé français, une dé-
fense expresse de recevoir des religieux de quelque âge que
ce soit. Je supplie Votre Excellence de solliciter pour moi une
audience de Sa Majesté. Je connais la grande piété et bonté
du roi. et je me promets que, quand il saura mes raisons el les
Vl) AHu»loii aux ciiuiiorio8 intimes du ^uipe avec quelques amis lettrés. (Tesl
daué ctUe mt'^moa^pècho queLiouue exprimait lespéMnce de voir le seigneur
décamfter hieuliM. {K Cliaulues, 26 novembre 1666. Rome, 179.)
EMPIÉTEMENTS SUR LES DROITS DE L'ÉAUSE 133
dangers d'une pareille publication, il voudra bien commander
au Parlement d'abandonner cette entreprise (i)... »
(1) Le cardinal Roberti à le Tellier, 18 avril 1667. « Illastriesimo et Eccel-
lenUasimo Signore, baveodo letto un arresto délia corte del Parlameoto che
si BuppoDe fatto sotto li K aprile, il cui titolo è : Arrest de la cour du Parle-
ment, etc., ilquale ë stampatci, benche mi vengbi supposto che non sia pub-
biicato, bo perd stimato mio débite pregare di nuovo Vostra Eccellenza d'im-
petrarmi l*udienza dalla M. S. per rappresentargli li sentimenti di Sua Santità
e gli incoDvenienti e disturbi grandi che sono indubitabilmente per nascere,
le tal arresto si publicà. In tanto non voglio tralasciare di dire a Vostra Ec-
cellenza che, sapendo io cbe la Santità Sua non havrebbe in alcun modo
sofferto che da podestà secolare si volesse prescrivere gli anni per fare le pro-
feftsioni, mollo meno potrà soffrire che si veda impresso doppo un libello in-
famatorio contre gli ecclesiastici di Francia, un ordine e prohibitione di non
potere ricever religiosi di alcun età. Supplico perô Vostra Eccelleuza ad im-
petrarmi Tudienza dalla M. S. perche confido nella somma pietà e bontà délia
medesima, che, quando bavera sentito le ragioni e gli inconvenienti grandi
che potrebbe portare la pubblicatione di un simil arresto, si degnara comman-
dare al parlamento che désista da uoa simil impresa, etc. ». — Même jour, lettre
IdeoUque à Lionne.
CHAPITRE QUINZIÈME
CE qu'il y avait sous hk POLITESSE SI VANTÉE DE LOUIS XIV. —
MALADIE D'ALEXANDRE VU : SES ADIEUX AU SACRÉ COLLÈGE *. SA
MORT, 22 MAI 1667.
Leduc et la duchesse deChaolnes comblée d'hunneurR et do grâces par Aletandre Vfl : coronrat
ils y ont répundu l'un et Tautro. Ipcideot det fruit» dé cire onvoyrs par le pape à TambuM-
drice. Caractère, mœurs et langago des habitués du palais Farnëse. — PraachiMs et quartiers :
Chaulnos renonce bieuUil à la modération den premiers jours. Suisse Uie en pluiu Vatican :
le netirtrier recelé à Famèsc. Sbires tués et blessa par los Français : mauvaise foi et cmanté
de l'ambassadeur ; aveui de l'ablié do Mâchant. — Le duc de Chaulnes réveille l'affaire de
Castro : il y cherche un prétette de menacer le cardinal Chigi et de persécuter Alexandre VII
jusqu'à son entrée en agonie. — Par ordre du roi , les cardiu.iut de la fkction française
tiennent à Rome poiu* le oonclaTe, du vivant d'Alexandre Vil. Revue de ces cardinaux. —
Nouvelles calomnies des Français contre la famille Cliigi ; ce que doit être un prélat renais
pour plaire ù la cour de Franre : Altaviii, nonrc à Venisie. — Soins donnés jusqu'à la fin par
le pape aut affaires spirituelles et temponOles. Con^ii-tiùres et fonctions publiques. Cappella
de Pâques 1667. Adieux et instruclionn d*.\lc\audre Vil au sacré collt»gc, 15 «t 18 avril. Im-
patience et colère des Français. — Mort d'Alexandre VU. — I^es pr^'^visions de ce pape sont
réalisées aussitôt après sa mort : invanion des Pars-Ras espagnols par Louis XIV ; l'ordre d'en
donner avisa Rome est du 15 mai. — Déception de < Français qui avaient prédit une insurrec-
tion à Rome. Hommages rendus à la mémoin» d'Alexandre V|l et .^ sa famille. Union des
cardinaux, au moment où ils vont entrer au ronclav*;.
Au moment où Roberli quittait la France, après une non-
ciature si laborieuse, il y avait huit mois que le duc de Chaul-
nes était arrivé à Rome avec des instructions si peu dignes
d'un prince catholique. On doit être déjà frappé do Tanimo-
sité apportée par cet ambassadeur dans Texécution de ses
ordres : cependant on ne le connaîtra entièrement que lorsque
nous aurons mené ce récit jusqu'à la mort d'Alexandre VII.
Le palais et le quartier Farnèse demeuraient, comme au temps
de M. de Créquy, un camp ennemi, drossé dans la ville même
du pape. Alexandre VII, quelqu'un de ses ministres ou de ses
parents avaient-ils jamais eu pour le duc ou pour la duchesse
de Chaulnes un procédé offensant, qui expliquât une haine si
implacable? Non, et il est pou de dépc^ches où lambassa-
deurne raconte avec complaisance les honneurs, les politesses.
MORT D*ALEXANDRE VU 43f(
les régals prodigués à sa femmo ou à lui par le souverain pon-
tife. Le nom de la duchesse de Créquy n'avait été prononcé
qu'une fois, à Toccasion du danger qu'elle avait couru dans
la soirée du 20 août 1662. La duchesse de Chaulnes (i) aimait
moins l'obscurité : elle correspondait avec Lionne et ses lettres,
conservées avec celles de son mari^ étaient montrées au roi. Il
est intéressant, pour l'histoire de la langue comme pour celle
des mœurs, de savoir comment s'exprimait une amie intime
de M"* de Sévigné, une ambassadrice de France, qui reven-
diquait un rôle personnel dans la mission publique de M. de
Chaulnes. Elle écrivait à Lionne (2) : « La lettre, monsieur,
que vous m'aves fait Ihonneur de mecrire ma extrêmement
surprise davoir apris que la mienne a esté voue par un sy
grand roy; moi quy avois pretandu quelle ne sortist pas de
vostre cabinet. Puisque vous voules que je vous mande libre-
mant mes santimant sus Romme, je vous dire que quy aime
le faste, la grandeur et ce que Ion apelle régner qui ne fost
qnestre ambassadeur; que le palais Farnese est plus beau que
les maisons de la place roialle, mes que la liberté dy voirs les
damroe ny est pas sy grande, et comme nous avons toujours
asses bonne compagnie, les jours se passe fort agréablement
a jouer, se promener dans les vigne et voirs les plus belle
antiquités du monde. Mes je vous avoue quy ny a quune chose
quy me fait de la pêne et que je me suis doné Ihonneur de
vous dire plusieurs fois, quy est lincertitudo du succès des af-
ferede cette cour ycy, et que souvent Ion oublie les apsant.
(1) Elisabeth le Féron, lillo unique de Dreux le Féron, couseiller au Parle-
ment, et de Barbe Servien^ et par conséquent proche parente de Lionne. Elle
était veave de Jacques Stuer de Caussade, raarquis de Saint Mé^rin, tué au
combat de la porte Saint-Antoine. *< C'était, dit Saint-Simon, pour la figure
extérienre un soldat aux gardes et même un peu suisse, babillé en femme.
Elle en avait le ton et la voix et des mots du bas peuple ; beaucoup de dignité,
beaaconp d'amis, nne politesse choisie ; un sens et un désir d'obliger qui
teoaient lieu d'esprit, sans jamais rien de déplacé ; une grande vertu, une libé-
ralité naturelle et noble avec beaucoup de magnificence, et tout le maintien,
les (àçant, l'état et la réalité d'une fort grand dame... » {Mémoirest édit. Bois-
lisle, t. VI, p. 91.) Elle était dans un âge avancé, quand Saint Simon la vit
pour la première fois : 11 était né en i675, dix ans après la première ambas-
sade de M. de Chaulnes.
(I) 6 octobre 1666. Rome, 178. Lettre autographe.
136 CHAPITRE QUINZIÈMG
Du rcsle je ne vous et donne quune petite malédiction le pre-
mier jour que je resus la nouvelle du commandemant que le roy
avoit fait à Monsieur le duc de Chaulnes : encore ne valtet telle
pas la pêne de san confesser : vous man donneres lapsolution sy
vousvoules. Nous travaillons a nostre livrée. Monsieur le duc
de Chaulnes na point voulu prandre !es carosse de Monsieur de
de Crequy et dans la vérité cela neut pas fait un bon efect dans
ce lieu ycy. Je ne veux pas finir, monsieur, sans vous assurer
que jay toute sorle de satisfaction de ma cousine de Murinest(i).
Cest une très jolie fille, bien sage et quy est fort estimée de
tout le monde. Je vous suplie deitre persuadé que Ion ne peut
estre plus véritablement, etc. La duchesse de Chaulnes. — Vous
reyeres sy vous plais la calité doxellance et les autre cérémonie
de vostre lettre. » Au moment de Noël, la duchesse sollicitait
la faveur d'être conduite auprès du souverain pontife par doua
Bérénice, femme de don Mario Chigi, et voici dans quelles
dispositions elle se présentait à l'audience, si l'on s'en rap-
porte à une lettre de labbé de Machaut à Lionne : « M"** de
Chaulnes ira au premier jour vers le pape avec la femme de
don Mario. Nous lui faisons la guerre qu'elle a dit, devant moi
et M. de Bourlemont, que c'était tiîi fripon^ et que, [le pape]
l'ayant su, elle doit s'attendre à de grandes excommuni-
cations. Elle n*est pas ici trop édifiée de la dévotion, et nous
pourrions dire quelle en fait la meilleure partie. » Pour mon-
trer sans doute sa compétence et celle de la duchesse en
matière de piété, Tabbé ajoute aussitôt : « M°*® de Chaulnes
veut envoyer des odeurs à M"" do Lionne (2) et vous veut
(1) La dachesse de CbaulQee avait autour d'elle un cortège, fort mêlé, d'amies
ou de suivantes, qu'elle voulait mettre sur le pied des filles d'honneur d'une
princesse, mais qui lui suscitèrent bien des ennuis et n'ajoutèrent rien à sa
considération : « M™« la duchesse de Chaulnes, écrivait Mâchant, n*a ici aucun
chagrin que celui que lui donnent ses filles, qui sont ou caquettes ou imperti-
nentes : elles voudraient être en sa place, et aiusi la chose pourrait s'ajuster
aisément. » (A Lionne, 17 août 1666. Rome, 177.) — La plus remuante était
M^i* Lebrun, dont il est souvent parlé dans les lettres de Machaut. Voici Tune
des histoires le moins compromettantes pour sa réputation : « M^i* Lebrun me
prie de lui faire faire quelque affaire, comme de faire avoir les bulles de
Périgueux gratis, moyennant qnoi on lui a promis trois mille écus... » (A
Lionne, 7 décembre 1666. Rome, 179.)
(2) Dont les mœurs étaient plus décriées encore, s*il est possible, que ceUes de
MORT d'aLEX ANDRE VII 137
faire un régal d'une Galatée qu'elle a fait copier dam son pa-
lais par un des meilleurs peintres de Rome. Il est vrai que
vous aurez quelque satisfaction de voir dans son naturel la
plus belle et la plus agréable figure que j'aie jamais vue : da-
rebbe stimoli délia carne a un capuchinissimo et certosis-
simo(l).» C'est au même témoin que nous demanderons com-
ment Alexandre VII et sa famille se vengeaient des propos
([\ïi\s savaient être tenus publiquement sur eux dans le salon
du palais Farnèse : « Le lendemain de Noël, M"' de Chaul-
nes, qui soupirait pour se jeter aux pieds de Sa Sainteté, fut
satisfaite; car les princesses la vinrent prendre chez elle, la
mirent dans leurs carrosses et la conduisirent à cette audience
qu'elle avait tant désirée... Elle est fort contente de Thonnêteté
avec laquelle on la reçut, de Taccueil que lui fit le pape, et de
la superbe collation qu'on lui fit; mais tout se fût passé ad-
mirablement si Sa Sainteté eût voulu parler français, mais
c'est un langage qu'il n'entendra jamais (2). »
Le trait suivant, qui se place quelques semaines plus tard,
nous montre l'ambassadeur et l'ambassadrice unis dans la plus
étroite communauté de sentiment et de passion. Le duc écri-
vait à Lionne (3) : « Étant hier le jour bienheureux de la nais-
sance du pape, le cardinal Pallavicino a de coutume de donner
àdlner à tous les beaux esprits qui entretiennent Sa Sainteté
et de lui faire un présent qu'il lui envoya dans quatre bassins
remplis de fruits de cire. » Le pape eut aussitôt la pensée d^of-
frirà la duchesse ces fruits si bien imités, « et les fit porter,
comme en triomphe, pour faire connaître à tout le monde que
tout est bien entre nous ; mais Monsignore Altemps, qui les
»0D mari : « Sa sorte de malhoDoêteté était une infamie scandaleuse. Il y a
longtemps que je l'avais chassée du nombre des mères. » (M™« de Sévigné à
M«* de Grignan, 2 août 1671.) Sa vie désordonnée et la dissipation qu*eUe faisait
de son bien forcèrent Lionne de la faire arrêter par la police et enfermer dans
QD couvent Q'uillet 1671). Un mois après, il mourut subitement, non sans
loopçon d*avoir été empoisonné par sa femme, liée avec plusieurs complices
de la marquise de Brinvilliers. Mise en liberté quelques semaines après la mort
de son mari, elle fut réintégrée au couvent le 15 décembre suivant, à la
requête même de ses flls. (Th. Jung, La vérité sur le masque de fer^ p. 282.)
(1)7 décembre 1666. Bome^ 179.
(2) Machaut à Lionne, 28 décembre 1666. Rome^ 179.
(8) 15 février 1667. Borne, 181.
13H CBAPÎTBE OUINZIÈWE
devait présenter, n'étant pas arrivé aussitôt que les palefre-
niers du pape (1), je fis sortir M"' de Chaulnos plus tôt qu'elle
n'avait résolu, pour faire aussi connaître que l'on ne s'en sou-
ciait guère. » Le prélat et les serviteurs du pape revinrent le
soir à Farnèse. « Je fus bien aise que M"* de Chaulnes reçût
le présent dune manière qui ne peut pas fort leur plaire.
Ainsi, elle dit au prélat que, ne pouvant par bienséance le re-
fuser et dautant plus que Ton ne pouvait pas douter qu il ne
vînt de la part de Sa Sainteté, puisqu'il était de choies si bien
feintes que l'on ne pouvait pas croire que ce ne fussent de vé-
ritables fruits de son jardin; qu'ils étaient si bien faits qu'il
était impossible que Ton n'y fût trompé; que cependant elle
n'aurait pas le plaisir de m'y attraper parce que j'y étais ac-
coutumé depuis longtemps. Le prélat, qui ne s'attendait pas
à ce compliment, fut un peu étourdi et répondit plus sérieuse-
ment par les assurances de l'estime que Sa Sainteté faisait de
moi et quelques discours qu'il lui avait ouï faire. A quoi elle
répondit que je m'étais expliqué à tant de monde, depuis ma
dernière audience, du peu d'edels des paroles de Sa Sainteté,
qu'elle ne croyait pas lui rien apprendre sur ce sujet, et ainsi
le prélat se retira. » Lionne fit une réponse ordurière que la
duchesse de Chaulnes était digne de lire (2) : « Madame Tam-
(1) Palafreniere o parafreniere : « Hestando poscia il nome, pon raatico
uffizio Ji palafrenieri, e ancora lo porta FoUanto una claisse di famigliari pou-
tiflcii, che stanoo io sala del pupa, vanDo dietro o avant! la di lui carroiza,
coi sediari Io porlano in sedia gestatorla e in lettiga o portant! na, e prestano
diversi ufûzi domestici. » {Dictionnaire de Moroni.)
(2) Il suffit de parcourir quelques lettres de l'abbé de Machaut pour jngei
de l'effroyable liberté de langage et de mœurs qui régnait parmi les famllien
de Farnèse. Ces misérables se disputaient la faveur de Tambassadeur et di
l'ambassadrice. Dos l'arrivée de M. de Chaulnes, l'abbé de Machaut avait signai)
à Lionne ces rivalités indisciplinables : r Je vois nos amis aigrit les uns contr
les autres. Je les ai avertis de suspendre leur chagrin et leur jalousie, et qu'il
ne doivent songer qu'à concourir tous ensemble pour le service et les avan
Uges de M. l'ambassadeur, m (20 juillet 1666. Borne, 177.) Chacun d'eux accusai
les autres de trahison et leur imputait, sans ménager les termes, toute sort
de débauches. C'est par l'entremise de M»» Lebrun qu'ils faisaient parveni
leurs délations à M»* de Chaulnes, quand ils ne la prenaient pas eUe-mèm
poqr confidente. Le style courant de l'ambassade était celui de Lionne et d
iMachaut. (V. notamment, Machaut & Lionne, 26 octobre i666. Rome, 178; —
et 9 novembre, 7 décembre. Home, 179; -- 26 mai, 27 septembre 1667. Hanu
183, 186, etc. etc.)
MOBT D* ALEXANDRE VII 139
bassadrice, disait-ii (1), a fait, d son accoutumée, des mer-
veilles avec Monsignorc Altemps sur les fruits du jardin du
pape. On ne peut pas nier que le choix de ce prélat n'ait été
fort bon pour faire ce beau présent, puisqu'engloutissant sou-
vent le dieu des jardins avarUi e dietro pasto^ l'emploi était
fort convenable (2). »
On peut juger encore des discours qui se tenaient chez
l'ambassadeur, par les rapports que les habitués de Famëse
adressaient fréquem^ment à Lionne, et où personne n'était
épargné, depuis le pape jusqu'au dernier clerc de sa cour.
Quels étaient donc ces hommes dont Lionne lisait les lettres
au roi pour justifier ses détestables conseils, et dont les déla-
tions se retrouvent dans les dépèches de Louis XIV et de son
ministre, précédées de ces mots : On m écrit de Rome^ etc. —
Vn avis très sûr que fai reçu de Rome y etc.? Quel est celui
d'entre eux qui ne méritât pas d'être exclu de Tantichambre
la moins bien famée? Est-ce Elpidio Benedetti, le ricamatore,
l'ancien brocanteur de Mazarin, à qui son brevet d'agent du
roi assure une place distinguée à la table et dans le carrosse
de l'ambassadeur (3)? est-ce Domenico Yagnozzi, tenu en ha-
leine par la promesse de gratifications (4) qui allaient peut-
être à quinze cents livres par an? Ugo Maffei, chargé par le roi
de surveiller deux cardinaux italiens de la faction française,
Maidalchini et Orsino, et qui se fait en outre passer pour un
confident du cardinal Pallavicino (5) ? le P. Ripa, dont nous
(1) 11 mars 1667. Borne, 182.
(2) Je De pe souyieus de rien qui juBtifie ou explique cet horrible propos.
L'imagiDaUoQ dévergondée du miaislre, excitée par M- et M"^" de Chaulues,
D'aora pas résisté au plaisir d'écrire une plaisanterie obscène, qui devait être
•pplaudie tu palais Farnèse. Aucune réputation n*ôtait épargnée par Uonne,
<rai Tirait notoirement dans une débauche abjecte.
(3) « Cinq ou six personnes de qualité me persécutent de prendre toujours
Is meilleure place dans le carrosse de M. Tambassadeur, avant M. Tabbé Elpidio ;
mis comme il a un caractère du roi, je ne yeux pas seulement y penser^ que
lonqoe vous me mettrez dans un poste où naturellement je le devrai pré-
féder. h (Machaut à Lionne, 10 août 1666. Romey 177.)
U) Oa'il aurait voulu consolider ep un brevet de pension- (Lionne à Qhaulnes,
ISjalQ 1666. Borne, 176.)
(3) « La reine de Suède dit hautement que MaCTei n'est qu'un fripon : M. d'A-
libert me Ta dit, et il est certain qu'il n'est pas ici en trop bonne réputation.
'U Buissière à Lionne, 12 janvier 1666. Rome, 174.) Ugo Mftffei était propre à
140 CHAPITRE QCINZIÈBCE
avons déjà raconté quelques traits infâmes et pour qui Tabbé
de Machaut, par compassion, demande un don de cinquante
pistoles (i)? le P. Duneau, trop souvent nommé, et dont le
P. Oliva sera bientôt réduit à solliciter Texpulsion? le P. de
Neuillan qui, toujours protégé par Lionne, continue de tyran-
niser le couvent de la Trinité du Mont (2)? Est-ce l'abbé Gallo
destiné pour conclaviste au cardinal de Vendôme par le duc
de Chaulnes; prôné naguère par Mâchant (3)^ maintenan
tous les rôles : il rcpréstntBit une des sibylles dans la mascarade prophëtisan
la prise de ('.oustantinople par Louis XIV.
(1) « Sans mentir, dit son protecteur, Ton lui devrait donner quelque chose.
Il se trouverait obligé d'aller mendier à d'autres cours! » (Macbaut à Lionne
6 et 20 Juillet 1666. Home, 177.)
(2) Ce moine indigne reprenait alors l'exécution d'un projet cher à Lionni
mais qui n'avait pas encore été réalisé : c'était la suppression, sur la façad
du couvent, des mots indiquant qu'il avait été fondé piorum eleemosynU au»!
bien qu'avec les libéralités d'un roi de France. Pendant sa mission de 1655
Rome, Lionne avait trouvé ce rapprochement injurieux pour la couronne :
reconnaissait pourtant que, quoi qu*on lise dans certains titres, ces religieu
n'avaient Jamais reçu d'elle qu'une légère aumône de 800 livres, remontant
Charles VIII ! Le Père de Neuillan propose de faire disparaître les syllabt
offensantes sous les armes du roi, prétendu protecteur du monastère. On ol
Jecte, dit-il, que cette suppression empêchera de nouveaux dons, a Quai
cela serait, il est mieux de se priver volontairement de telles aumônes qi
de les recevoir au préjudice des droits de notre très auguste monarque, do
la piété est plus que suffisante pour en donner le centuple, à l'exemple de n*
rois ses prédécesseurs. » (Septembre 1666. Rome, 178.) Lionne approuva
proposition: mais, dit-il, « je crois que, pour ne se faire point d'affaire ou p
lais, il faudrait n'exécuter la chose que pondant un conclave. « (Lionne
Chaulnes, 15 octobre 1666. Rome, 178.) A peine Alexandre VU fut-il mort q<
le Père de Neuillan fit son coup, etChaulnes en informa le roi. (26 juillet 16^
Rome^ 185.) A l'heure où j'écris (1886), rien ne cache les mots piorum eleem
gynis. — Voici encore un des traits habituels de la correspondance de ce re
gioux : •« Plusieurs Italiens m'ont dit qu'on s'étonnait qu'il ne prît envie
notre grand monarque d'acheter le port de Montalto au duc de Parme, leqi
S. M. pourrait aisément remettre [restaurer] et y tenir quelques vaisseaux
gamimm française avec laquelle on serait plus considéré dans Rome qu'on n
tait autrefois, tenant Porto-Lougone [sous Innocent X]. Personne ne peut
plaindrt^ ouvertomont et toute l'Italie tremblerait, notamment Rome et le pa}
qui act^onlerait ocrtainemont plus de grâces qu'il ne fait aux Français, p
craluto. • (A Liouut\ 15 juin 1666. Rome, 176.)
(3) A Lionne, âO juillet 1666. Rome, 177. « L'abbate Gallo voudrait av(
quoique résolution sur sou snjot. Comme il a une grande passion pour les i
tén'^ts de la Kranci\ Il serait dans la disposition de s'engager, de quelque m
nl*re que ce pût ^ire. Vous pouvci retenir cet homme pour peu de chose,
vous ou sériel AiVn sei^i, *
MORT d'aLEXANDRI!: VII 141
brouillé avec lui, ci dont cet abbé parle ainsi à Lionne : « Je
vous en avais écrit avec assez d'empressement,.,, étant per-
suadé de son mérite par les rapports de M. de la Buissièrc et
par ceux du P. Ripa, qui ne vaut pas mieux que ce galant
homme... C*est le plus infâme, le plus méchant et le plus
fourbe courtisan qui fût à Rome, passant au surplus pour un
^emale di />..., et de fait on l'a trouvé au b..., y menant
un sous-secrétaire de l'ambassadeur qui se nomme des Mor-
tiers (1). » Lionne lui-même détournera le cardinal de Vendôme
de remmener au conclave, en disant de lui : « C*est un trop
dangereux compagnon que je connais il y a longtemps;...
esprit double, intrigant et très dangereux ; de fort mauvaise
vie et d'une pire estime dans toute la cour. » La vénalité de
ces hommes, que Tabbé de Machaut désignait lui-même sous
le nom de nostri furhoniam et dont la correspondance était
accueillie avec tant de bienveillance à Saint-Germain, leurs
querelles incessantes, leurs turpitudes notoires, étaient un des
scandales de Rome.
Parmi les visiteurs de l'ambassade, un seul se détachait sur
celle tourbe, c'est l'auditeur de rote pour la France, l'abbé
de Bourlemont. Quoiqu^il eût secondé avec trop de passion la
politique delà cour contre le saint-siège, il n avait la sympa-
thie ni du roi ni de Lionne : il ouvrait d'utiles avis et signalait,
àToccasion, les fautes où la passion entraînait les conseillers
de Louis XIV. Adversaire décidé mais intelligent des pontifes
romains, il combattit quelquefois les prétentions du gallica-
nisme. Il était instruit et laborieux. Ses mœurs paraissent
avoir été irréprochables. Il avait le respect de son habit et de
ses fonctions. Lorsqu'il paraissait à Farnèse, il ne dissimulait
pas son mépris pour les familiers du lieu. <( Il ne pratique ja-
mais un de ces messieurs, disait l'abbé de Machaut, et même,
connaissant leur tempérament, il ne les saurait souffrir;
quand il en parle, il leur donne toujours un coup de bec...
Quand l'abbé Benedetti tombe dans ses mains, il est admi-
(1) CtiaulDes à Lionne, 7 mars. Kome^ 181. — Liouoe à Chaulnes, 18 mars,
ÀYeodôme,20 mars. —Machaut à Lionne, 12 avril 1667. Kome^ 182. V. encore,
«ur ces coquins, Machaut à Lionne, 6 juillet 1666. Kome^ 177; 12 mars 1667.
^o^s 182; 26 mai 1667. Romt^ 183, et presque toutes les lettres de ce temps.
142 CHAPITRE QriNZIÈME
rable (1). » Aassi Lionne, voyant en lui un juge et quel
quefois un censeur, cspérait-il le faire rappeler, et le succès
seur qu'il lui destinait était précisément le libertin Ma
chaut (2) !
Le successeur de iM. de Gréquy sétait bientôt lassé de h
modération qu'il avait dabord montrée dans l'usage desfran
chises et quartiers. Dès l'origine, Tabbé de Machaut avait prévi
ce qui arriva ; le 20 juillet 1666, il écrivait à Lionne : « M. e
M"* de Chaulnes auront quelque traverse du côté de leur fa
mille qui est ici prévenue qu'on leur peut procurer leur forluni
aisément. Us demandent avidement qu'on établisse ici de
droits pour eux. L'instruction qu*ils ont prise des gens d
M. de Gréquy et la bonté que leurs maîtres ont pour eux con
tribuent beaucoup à cela (3). »
L'ambassadeur français ne causait pas seulement un grav
dommage à la Chambre apostolique : il tenait aussi on éche
la police et la justice pontificales, et les provocations de
Français pouvaient amener^ à tout instant, des événement
semblables à celui du 20 août 1662. Ainsi, le jeudi sain
1667, un Suisse ayant été tué de deux coups d'épée, en pleii
Vatican, par un Allemand qui force sa consigne, le meur
Irier échappe au milieu du tumulte et va se réfugier « dan
un palais où Sa Majesté a quelque pouvoir, » comme di
Tabbé de Machaut ; car tout le monde sait qu'il n'y a pa
de plus sûr asile que Farnèse pour les malfaiteurs (4). — S
(1) 26 mai.
(2) Nous avoua cité plus haut la dépt^che du 2.'; mars où Lionne fait parte
sou projet à l'ambassadeur. Mais les deux compaj^uons de débauche se broui
lèrent bientôt et voici comment le ministre parle de l'abbé au cardinal c
Retz dans une lettre du 10 décembre 1609 (Romr, 208) : « Je supplie V. E. dai
une intime confidence et avec la conûauce culiènî que je sais de pouvo
prendre en sa bonté, que, si l'abbé de Machaut s'adressait à elle pour la 8U|
plier de vouloir bien qu'il eût l'honneur dtHre l'un de ses conclavistes, el
ne lui accorde pus cette grâce, à moins qu'il ne lui parût (ce que je ne cro
pas qui arrive), que le roi lui-même le désirât. C'est un garçon qui en a ui
si mal avec moi depuis quelque temps et si mal reconnu les obligaUons qu
m'avait, que je serais fâché que V. E. s'exposât à être quelque jour pay«
d'une pareille ingratitude. >•
(3) Rome, 177.
(4) Chaulnes au roi; Bourlemont et Machaut ù Lionne, 12 avril 1667. liom
lo2«
MOAt D*ALEXÂ!«DRE Vtl 143
les criminels étrangers y sont bien accueillis on devine quelle
protection y trouvent les Français. A quelques jours de
là^ une femme est arrêtée^ bien loin du palais, dans la
maison qu^habite la blanchisseuse de Tambassadeur, place
d'Espagne, u Quoique le gouverneur, dit M. de Chaulnes,
ne idl pas instruit ni que c'était chez une Française, ni
que mes armes fussent sur la porte, je crus être obligé de
pousser l'affaire, et envoyai Tabbé Santis (1) au gouverneur
pour lui dire que si, dès le soir, il ne réparait ce qu'il venait
défaire, je lui déclarais être hors d'intrigue avec lui et que je
saurais bien me satisfaire. Le gouverneur fut fort étonné et
fortfâché, en ayant totijoun bien usé avec moi, et me renvoya
un de ses officiers deux heures après, pour m'informer comme
la chose s'était passée, pour se justifier de n'avoir rien su, ni pu
savoir même^ parce que celte servante était sortie de la mai-
son où il la croyait et entrée dans Tautre ; mais, itii ayant té^
moigné que je n'avais quune réponse à recevoir^ if me dit que
je visse, après cet éclaircissement, ce que je souhaitais, qui
fui que la prisonnière fût renvoyée dans le môme lieu où elle
avait été prise, que les principaux sbires fussent arrêtés et
que j'attendrais la réponse jusqu'à huit heures du soir (2). »
Le gouverneur intimidé cède, et M. de Chaulnes appelle cela
défendre les droits du roi! Cet incident eut des suites horribles.
Mâchant écrit à Lionne : « Beaucoup de Français qui sont dans
la place d'Espagne ont eu quelque honte d'avoir souffert qu'on
enlevât à leur barbe celle qui demeurait chez la blanchisseuse
du palais. » Pour s'en venger, une nuit, plusieurs d'entre eux,
parmi lesquels étaient un abbé Pajot et un marquis du Bor-
dage, se jetèrent sur un groupe de sbires, « en blessèrent deux
à mort, abattirent l'oreille à un autre... Je me suis laissé dire
qu*il était impossible que ces sbires n'eussent été attaqués de
l/nel-apetis dam ledit cabaret, el il est fort vraisemblable que,
s'ils eussent eu quelque envie de se battre, ils n'auraient pas
attendu d'être sortis du lieu d'où ils furent comme chassés.
D'ailleurs il y en a un de mort qui avait cinq coups d'épée au
.1) Labbê Ludovico de Sanctis fut longtemps le secrétaire italien de l'am-
basiade française à Rome ; il avait alors un brevet de pension de 1,200 livres.
(2) Chaulnes an roi et à Lionne, 3 mai 1661. Home, 183.
144 CHAPITRE QUINZIÈME
travers du corps, qui est une marque infaillible qu'ils ont été
attaqué;,. Nonobstant cela^ M. l'ambassadeur, étant averti du
fait, envoya aussitôt sp plaindre n M. le gouDerneur de finso-
lence des sbires. L on prétexta qtCil s avaient été les agresseurs, »
Ces Français et d'autres nationaux s'attroupent dans les rues
« et, le soir, portant des pistolets, vont se promener disant,
comme vous pouvez vous imaginer, de belles choses... Ils
sont bien heureux que cet accident leur fût arrivé à la fin d'un
pontificat; car il est certain que du palais ils auraient porté les
choses à l'extrémité. Cela sans doute vous sera rapporté diver-
sement; mais vous en savez la vérité par ce récit (1). » Il n'y
avait pas une seule blessure du côté des Français! « Cet acci-
dent, dit à son tour l'ambassadeur, ayant fait beaucoup de ru-
meur, y> crus quil fallait commencer le premier à se plaindre
et à demander justice; et, comme les Français s'unissaient
ensemble et ne marchaient qu'en peloton dans Rome,y7/i/t-
midai le go^iverneur sur les suites qui en pouvaient arriver ;
et, pour dissiper ces imions, j'ai traité avec le gouverneur que
je ferais venir pour quelques jours lès six Français dans ce
palais^ pourvu qu'il apaisât le reste; et, comme trois de ces
gentilshommes partaient le lendemain, je lui ai fait valoir
leur départe comme si c*était pour une manière de satisfaction
et, en Tétai qu'est présentement l'atTaire, j'espère qu'elle ne
produira aucun méchant effet que pour les morts (2). »
Ce n'était pas assez do réveiller, à Rome, par ces sanglantes
scènes, les souvenirs de la précédente ambassade. Louis XIV
et le duc de Chaulues appliquèrent tous leurs soins à tirer des
conventions de Pise les conséquences les plus offensantes pour
le pape, et à le mettre dans la nécessité de rendre au duc de
Parme le duché de Castro et le comté de Ronciglione. Le traité
donnait au prince la faculté d'acquitter sa dette en deux termes
égaux de 800,000 éous, et une restitution partielle devait suivre
le prtunier paiement, t>r, le duo de Parme ne pouvait ni ne
voulait se libérer envers la Chambre apostolique et il jouait
double jeu outre son suïorain, dont il désirait ne pas s'aliéner
la bienvoillanoo, et le roi do France, son dangereux protecteur.
,1^ A l.uuiuo. 10 nui liît»":, Kiwr, ISî
V-*) Au rxM. 10 tUAi U^î7 Homt, IW.
MORT d'aLEXÂNDRE Vil J45
D'ailleurs il ne loi aurait pas suffi de payer la somme stipulée ;
car il avait « manqué notablement à la teneur des investitures
de ses Etats, en imposant beaucoup de charges sur ses sujets,
qui lui étaient expressément défendues » et le pape réclamait,
avec la suppression de ces taxes, la restitution in integrum
des parties lésées, afin quen cas de réversion au saint-siège,
te suzerain ne trouvât pas ses fiefs soumis à des conditions
non approuvées par lui (1). Peu importe : le duc de Chaulnes
presse les ministres du prince de rassembler l'argent et il en
accepte le dépôt à Farnèse; mais il avertit le roi qu'il n'y a
que 200,000 écus(2), et il ajoute : « Comme les derniers sacs
sont les plus difficiles à tirer, je doute que le prince puisse
lenir sa parole. » — Il a encore laissé passer les délais qu*il
m'avait demandés. « Son résident me témoigna que les mar-
chands n'avaient pas été si exacts qu'il croyait. Une me donna
point de terme; il ne me dit pas la somme qu'il avait, mais
seulement que Ton travaillait; je lui fis voir que ce retarde-
ment faisait perdre les conjonctures les plus favorables (3)... »
Le roi mécontent de ces retards écrivait à son ambassadeur :
«Je liens pour un mauvais signe cette circonstance que vous
mandez que les gens du duc de Parme allèrent publiquement
chez les notaires à son nom pour recevoir de l'argent. Il semble
qu'ils ont voulu par cette conduite faire naître quelque inci-
dent de la part du pape, sur lequel // eût pu s excuser de n'avoir
pu assembler la somme dont il a besoin; et, d'ailleurs, comme
vous ne voyez encore que 200,000 écus de prêts, quoiqu'il
y travaille depuis deux ans, il n'y a guère d'apparence qu'il
puisse, comme il dit, trouver dans la lin de ce mois les
600,000 écus qui lui manquent (4). » Après de longs efforts,
M. de Chaulnes obtint du prince la promesse de compléter pro-
chainement les 800,000 écus ; mais alors il parut avoir quelque
honte de sa conduite; il craignit un éclat contraire au service
<lu roi et dont on le rendrait responsable : « Cette conclusion
(Ij Le roi et Liooue à Chuulues, 21 août 1666. Home^ 177.
(2) La suite de la correspondance prouve que le duc n'avait pas même cette
somme.
13; Au roi, 17 août. — 5 octobre 1666. Romej 178.
(^) 10 septembre 1666. Rome, 178.
LOUIS XIV IT LE SÂlNT-5lÉtiI. — 11. lU
H6 CHAPITRB OflNZlÈMB
d'affaire, dit-il, vient dans une conjoncture très fâche
les poursuites ne peuvent produire que de méchauts e
obligeant peut-être le cardinal Chigi de prendre quelqi
contraire aux intérêts de Votre Majesté, les faction:
rentes pouvant prendre cette occasion d'attirer ce c
par le dégoût qu'il recevra à la fin du pontificat de son
auquel ce sera même comme donner le coup de la mor
Ces scrupules ne l'arrêtèrent pas, et, affectant de cro
tout l'argent du premier terme était prêt, il alla son
cardinal Chigi d'accepter les offres du prince et de lui n
la moitié de l'Etat de Castro. « Pour le presser d'une c
sion, raconte-t-il, je lui dis que, depuis plusieurs jours
chargé d'en venir faire la déclaration; mais que, quoi
Sainteté n'eût qu'à dire un mot pour remettre lexécu
l'affaire à la Chambre, j'avais différé d'en parler jusqi
que Sa Sainteté fût en meilleur état, et qu'ainsi je venai
lui faire les offres nécessaires, de livrer toute la somme
par ledit traité (2). Un coup de foudre n'aurait pas plus
le cardinal que cette déclaration, sur laquelle il me dit
savais bien que c'était une affaire sur laquelle il ne pou^
me répondre sans avoir parlé à Sa Sainteté. Je le priai
loir recevoir ses ordres au plustôt, et lui représentî
n'ayant voulu donner aucune facilité pour faire l'amas
argent, M. le duc de Parme souffrait un grand préjud
le retardement de cette affaire, et qu'ainsi je le priais de ^
la presser, puisqu'elle ne dépendait que d'un moindre s
Sa Sainteté, si elle ne voulait pas dire une parole. Lee
n](» dit qu'il en parlerait au plus tôt et que, dans le
temps, il m'en ferait savoir la réponse... Il adonné la
d'agir aux ministres de M. le duc de Parmes, qui, ét£
en peine de la manière dont ils en devaient user, sont
(le prendre le parti qu'ils voudront... Cependant, Sire
vois pas qu'il puisse avoir assez de temps pour finir a
(V a mai. nomf\ IS3.
(2^ I.i> li) mai. le dur do Parme lit promener dans Romef juaqu'aiu
(le U Chamluv, dir rdi-rosnes qu'il disait pléius d'argent, mais le ducd
noi» avoua au roi que c't^tail une pure comédie et que le prince nV
pu réunir la somme nuuoncoe. ^X\\ roi, 23 mai. Rome, 183.)
MORT D^ALEXANDRE VII 147
lire, étant tout ce qu'on pourrait espérer si Sa Sainteté la
ouhaitait; mais ne la voulant pas et la voyant tous les jours
lia veille de sa mort, je ne crois pas qu'il y ait aucune appa-
rence de la finir ; en quoi ledit duc a bien plus de tort de n'avoir
pris aucun soin de la presser, nonobstant toutes les sollicita-
ticms que Je lui en ai faites et les avis pressants que je lui ai
donnés sur l'incertitude de la santé du pape, » — Si nous nous
adressons aux officiers de la Chambre, ils sont « assez bien
fondés de ne rien faire sans ordre... Je crois, Sire, que M. le duc
de Parme n'aura qu'à se plaindre de ses propres lenteurs (i ). '>
Ainsi Louis XIV était Tunique promoteur de cette affaire,
qui n'intéressait en rien la France et où il ne voyait que le
moyen de satisfaire sa haine personnelle contre Alexandre VII :
il s'acharna sur sa victime jusque dans les angoisses de la
mort. « Vous verrez par la dépèche du roi, écrivait l'ambas-
sadeur à Lionne le 17 mai (2), que je traite le pape comme
bien vivant, ayant commencé l'alfaire de Parme, qui me fait
faire des vœux pour la longue vie du pape; mais, selon mes
supputations, ladite affaire ne se pouvant terminer en deux
mois, je vous laisse à penser combien je peste souvent contre
M. le duc de Parme de ne m'avoir pas donné lieu de la com-
mencer plus tôt. » Voici enfin, d'après le récit do M. de Chaul-
nes, ce qui se passa dans la soirée du *21 mai^ quelques heures
datant la mort d'Alexandre VII. J'ai prié, dit-il, M. le cardi-
nal Rasponi do représenter à M. le cardinal Chigi qu'il devait
« profiter de ces derniers moments pour me donner lieu de le
servir plus utilement auprès de Votre Majesté en faisant signer
UQ chirographe à Sa Sainteté sur TalTaire de Parme; que je
^cais qu*elle était en état de ne point trop entendre parler daf-
faireSy mais qu'il ne s'agissait que d'une signature et que je
^ignorais pas que la main des papes était la partie qui mourait
la dernière. Le cardinal Rasponi se chargea d'une minute du
chirographe, mais^ Sa Sainteté étant entrée en agonie depuis
ce temps, il n'y a point eu lieu d'en pouvoir tirer aucun avan-
tage (3). «
UjChaulues au roi, .10 et 17 mui 1667, Home. 183.
. 't) U pape mourul le 22.
[ i^) Au roi, 23 mai. Rome, 183.
448 CHAPITRE QUINZIÈME
Le pontife était frappé à mort, mais sa grande intel-
ligence était encore dans toute sa plénitude lorsqu'il reçut de
la France une autre et suprême humiliation. Dès le mois de
mars 1667, les cardinaux de la faction française, sur les ins-
tances de Tambassadeur (1), reçurent Tordre de se rendre à
Rome et de se préparer à un conclave. Cette nouvelle a blessé
le cardinal Chigi, dit Tabbé de Mâchant; mais les parents ont
donné si peu de contentement à la France qu'il n'y a pas lieu
do les ménager, quand il s*agit du service du roi. — La pré-
sence du cardinal d'Esté et la prochaine arrivée des cardinaux
français mortifient extrêmement Sa Sainteté. « Affligono som-
mamente ranima sua^ non poteva esser ferito in parie più
viva. » — « Ce pape-ci. répond Louis XIV, n'a pas vécu avec
moi d'une manière qui doive m'obliger à ménager ou cacher
beaucoup les diligences qui se font à Rome, dans l'occasion
d*un conclave imminent, et qui sont toujours fort désagréables
à ceux qui gouvernent (2). »
Ktait-il donc si urgent et si glorieux d'étaler sous les yeus
des Romains les misères du parti français ? Son chef, le car-
dinal d'Esté, à qui Sixte-Quint aurait justement fait trancher
la iHiy devant le château Saint-Ange, était odieux, on sait
pourquoi, à tout le collège et surtout à ses membres les plus
pieux ol les plus intelligents (3). — Le cardinal de Rela^
demeurait aussi suspect au roi qu'au pape (4). Le zèle affecté
et inusité qu'il avait naguère déployé pour les intérêts de la
couronne, avait pu lui attirer quelque compliment emphati-
(|ue de Lionne et de Louis XIV, mais nul n'ignorait qu'il
n'aurait jamais leur confiance. — Le cardinal Orsino avait du
porter ses soumissions jusqu'à Saint-Germain, pour obtenir
\\\ Au ri>i« 1 mars. Home, 181.
\â^ MAoliHut à Lioimo. l*' o( 5 avril 1G67. — Le roi à Chaulnes, 15 avril.
Homt, [$il.
(i\) Jo ;^ui» (î\cbi^ que vou:» ayei besoin de VEncadt-on^ avec lequel le cardinal
d'Kslo uVî^i |»A:» en bonne iulolliconco. ,Le roi à Chauloes, 26 mars 1667.
Ko'Mf. IS:V^
V«^ Il nvait quiUo Rouie au nuM> de i^epleuibre précédent, sans y laisser de
ivfiivt : U na p.i^ pu, ootivait Bourleniout. obtenir du pape une audience de
oooi:*^. nialjjre !»e* vive* ui$tanoe». • ce qui a sembla assex étrange ici, S. S-
notant pas plu;!^ malade qu a I ordinaire, ne tenant pas le lit et cheminant par
se» ehaiulvre». ^ (A Lionne» :îl septembre I6<>ô. Aoaie, 178.)
MORT d'aLEXANDRE Vil 149
que la comprotection de France lui fût rendue : il joignait
aux libéralités du roi les propines attachées à la protection de
Pologne et de Portugal, sans avoir ni talent ni vertu pour
se relever du mépris où des dettes immenses avaient alors
plongé sa maison. — Le cardinal Mancini était toujours,
comme disait le pape, « un bon homme pourvu qu'il ne fit
rien. » — Le cardinal Antoine Barberini ne comptait plus
à Rome parmi les créatures de son oncle Urbain VIII, et se
rendait de jour en jour plus importun à la cour de France. —
Le cardinal Grimaldi commençait à faire oublier qu'il avait
trop longtemps mérité la faveur de Mazarin ; mais sa réputa-
tion était encore bien équivoque dans le sacré collège. — Le
cardinal Maidalchini ne scandalisait pas moins le palais
Farnèse que le reste de la ville (1), et il imaginait fréquem-
ment ce que Ton appelait des maidalchinades pour escroquer
des gratifications royales (2). » Le nouveau cardinal de Ven-
dôme allait-il donner du relief à la faction française? le roi le
fit entrer précipitamment dans les ordres pour qu'il pût voter
au conclave (3). A peine arrivé à Rome, il demanda des instruc-
(1) Je suis embarrassé d'un incident que provoque le cardinal Maidalchini.
lia « pris un confesseur (voilà peut-ôtre encore une nouvelle pour vous quMl
▼Q à confesse) d'un ordre dont M. le cardinal Carlo Barberini est protecteur» ;
mais ce moine n*a sollicité ce titre que pour se dispenser d*obéir à son géné-
ral, etc. (Chaulues à Lionne, 16 novembre 1666. Rome^ 179.) — - o 11 est vrai
qu'il ne me serait jamais tombé dans Tesprit que les confessions de M. le
cardinal Maidalchini eussent pu vous faire une atfaire embarrassante. » (Lionne à
Chauines, 10 décembre. Rome^ 179.)
(2) <t n y a quelque temps qu'il me demanda mille écus pour sa cellule
dont n'ayant point ordre, je les lui fis donner sur les trois premiers mois de
cette année, et priai M. Colbertde vouloir lui faire toucher eucore le second
quartier par avance, ce que m'ayant accordé, lorsque le cardinal Maidalchini
& en ces 6,000 livres, il m'a envoyé demander 4,000 francs pour son ameublement
et toate son année par avance... » Je le remis après le conclave, mais « il
m'eavoya hier au soir MafTei pour me dire qu'il n'avait pas besoin d'argent
etqa'il saurait bien où en trouver... En vérité, si je me croyais et si je con-
cilierais seulement le bien des affaires du roi sans en attendre les ordres, je
lui aurais dès hier donné son congé; et quand je songe que son vœu coUte
^0,000 écus à S. Af., qui seraient employés bien plus utilement en quelque autre
^ujet qui ferait honneur à la faction, je vous assure que cela méfait bien de la
peine, n (Chaulnos à Lionne, 23 mai 1667. Rome, 183.)
(3) Chauines et Bourlemont à Lionne, 8 mars. Rome^ 181. — « Le pape a
refusé au cardinal Moncada, ainsi que S. S. a fait au cardinal de Vendôme, la
dispense limitée pour prendre les ordres, sans lesquels ils ne peuvent avoir
b
L
1 îiO CHAPITRE OriNZIÈME
lions à Lionne sur ses devoirs de cardinal, « en sorte, dit-il.
quftje ne fasse rien qui nait raveu du maître et le vôtre [\\ »
On lui imposa d'avance pour conclavistes, avec l'abbé de Mâ-
chant, un Italien, l'abbé Buli. ancien affidé de Mazarin et
d'Ondedei, qui touchail lous les ans <( un acquit patent de
3,000 francs (2) », et qu'on fil revenir en toute hâte de Paris.
Votre Éminence, lui écrivait Lionne, apprendra toutes les
intentions du roi de la bouche de M. l'ambassadeur avant son
entrée au conclave. « Il faudra seulement qu'avant de s'enfer-
mer elle prenne les mesures avec lui pour lui donner tous les
jours deux fois des nouvelles de ce qui se passera dans le con-
clave, et M. Buti peut lui suggérer les moyens dont il se ser-
vait lui-même pour m'en donner journellement, au conclave
où ce pape-ci fut élu (3).
Le 26 mars, Machaut exprimait cyniquement l'impatience
de l'ambassadeur, partagée depuis longtemps par le roi et par
Lionne : « Von commence, disait-il, à s'ennuyer ici de vous
écrire par les ordinaires, et je ne sais quand il y aura lieu de
le pouvoir faire autrement (4). » En attendant, le duc de
(Ihaulnes cherchait à nouer des intrigues avec divers cardinaux,
demandait de l'argent à sa cour pour acheter des cons-
ciences (iJ) et se vantait do tromper toutes les factions (6); mais
il no réussissait qu'à contristor le palais par ses démarches
imprudentes et n'obtenait d'éloges que de son secrétaire (7).
voix active ni passive au conclave, ce qui s'était toujoars donné facilement
aux cardinaux qui n'étaieut pas in sacris pour on an ou deux, la faisant
renouveler dedans le besoiu. » (Bourlemont à Lionne, 29 mar9. Homt^ 182.) —
VendiNmo reçut le sous-diaconal le 9 avril et le diaconat le lendemain. (Vendôme
à Lionne, 9 avril. Home, IS2.^
(t) 24 mars, linme. 1S2.
(2) l>irti(mnaîrr //rv bienfaits liu roi, par Tabbé Dangeau. Bibl. nat.. m&i.
fr. HVM et sniv.
(3) Le roi d Chaulnes, 18 mars; à VendcNuie 20 mars. — Lionne à Cbaulnes,
25 mars; ù Vendôme, 8 avril ICtH. /{orne, 182.
^4) t:'est-à-dire d'envoyer uu courrier extraordinaire, annonçant la mort du
pape. ^A Lionne, 2(> mars. Home, 182.)
(j) S mars. Home, 181. 2t> avril Home, 183.
vt'O .\u roi, 15 nurs; a Lionne, S et 22 mars, 26 avril. Rontêy 181, 182 et 183.
{i) « .Monseii?neur, on no vous saurait ass^ez faire connaître l'application
continuelle et infatigable de M. l'ambassadeur dans cette occatioo. Le pape
ost réduit à rextrémitè... S. M. sera admirablement senrie... 1|. rambasMidear...
MORT d'aLEXANDRE VIT <5l
Le 15 mars, Tabbé dcBourlemont écrivait(l) : «Après le
insistoire que le pape fit pour la promotion. Sa Sainteté, se
cuvant pressée de son mal, communia pour viatique, vêtue
L avec Télolc, en une grande résolution et pour ainsi dire une
itrépidilé de samort,que Sa Sainteté dit avoir toujours eue en
ensée et devant les yeux. » - M. de Chaulncs ne s'exprime
as autrement : v ... Sa Sainteté témoigne. Sire, une grande
?rmeté d'esprit, ou, pour mieux dire, une ferme opiniâtreté
iisques au bout, parlant de sa mort sans alarme et donnant
DUS ses ordres avecunegrande tranquillité. Elle ordonnahier
les sièges pour MM. les cardinaux qu'elle veut voir avant sa
mort, et Votre Majesté peut croire si la harangue sera étudiée;
mais souvent l'on compose et Ton apprend par cœur, et Ifi
ffeiir manque dans Texéculion. » — Pour cacher son état dé-
sespéré, il parle d'aller visiter les travaux qu'on exécute à
Saint-Pierre, à Castel-Gandoifo; mais il finit: on le compare
- à une chandelle qui s*éteint et qui, dans sa fin, fait paraître
ncore plus de lumière. Voilà, Sire, le sentiment de ceux qui
Ift voient et qui le traitent (2). » — Le saint-père, écrit à son
iftiir l'abbé de Machaut, appelle cinq ou six fois par jour auprès
'le lui le P. Bona (3), qu'il a choisi pour l'assister à la mort,
elqui <f esta deux mains, car il sera pour soulager l'esprit
par SOS belles et agréables conversations, et pour disposer
son âme à un départ en cas qu'il en soit besoin... » Et le mi-
sérable ajoute : « Toutes ses actions ont fait dire de bons mots :
onTonvoioaux limbes enseigner la grammaire aux enfants
morts-nés (4). »
L'exercice de sa double souveraineté ne souffrit pas de son
affaiblissement. On sait déjà que c'est précisément à cotte
époque qu'il donna le plus de soin aux affaires ecclésiasti-
ques de France. La maladie le forçant do suspendre pour
quelques jours son travail personnel avec ses ministres et ses
''t ici. dans une considéraUon et daus uue entime auprès df* tous MM. les
ciriiioaux etc. etc. » (x\ Lionne lU mars. Home, 182.)
1) A Lionne. Rome^ 182.
i) 12 et 15 mars. Rome, 182.
(3; Général des Feuillants.
4) A Lionni', 12 iuari>. Rome^ 182.
.152 CHAPITRE QUINZIÈME
officiers, le cardinal Chigi reçut de lui une délégation, dite le
concessum, pour signer certains actes, Auneépoque où le duc
de Chaulnes se flattait encore d'intimider ce prélat et d'obtenir
de lui ce que refusait son oncle, il avait été le premier à solli-
citer pour lui de pleins pouvoirs (l) : comme il ne put profiter
de cette délégation, il prétendit qu'on en avait abusé, que les
parents avaient pillé la daterie! Mais ce sont les dépêches
françaises qui constatent le mieux la vigilance avec laquelle
le pape gouverna sa famille jusqu'à la dernière heure. Dès
qu'il sentit ses forces revenir, il retira le coticesstfm et demanda
compte de l'usagequi en avait été fait : « Il semble, dit Machaut,
qu'il épie les moments pour surprendre ses parents dans quel-
que manquement ; il a de la joie de les mortifier, marque
assurée d'un mauvais intérieur (2). » Le récit de Bourlemont,
encore malveillant et inexact, permet de reconstituer la vérité
entière : «J'ai su, dit-il, que lorsque le pape, dedans le fort de
sa maladie, remit au cardinal Chigi le coficesstim pour distri-
buer les bénéfices et grâces vacantes, il f avisa de prendre soin
de récompenser ceux qu'il savait avoir le mieux servi le saint-
siège; et à ce titre, M. Ravizza (3) a eu plusieurs bénéfices et
pensions tant pour lui que pour de ses domestiques. L'on en
a aussi donné à plusieurs officiers de cette cour ; mais le
meilleur et le plus grand est allé au profit des parents, de
façon que le pape, ayant su que son intention n'avait pas été
entièrement suivie, a témoigné en ressentir du déplaisir.
M. Altoviti étant venu me voir » se plaint de n'avoir rien eu. —
On le devine tout de suite, l'ambassadeur et Bourlemont ré-
pètent les plaintes que ne manque pas d*exciter la plus équi-
table distribution de grâces. Puisque Bourlemont cileTun des
mécontents, je montrerai quelle confiance méritait M. Altoviti.
C'était l'indigne neveu du feu cardinal Sacchetti, dont le pa-
tronage lui avait ouvert la carriera. Il avait été demandé par
le roi pour la nonciature de France ; mais, envoyé d'abord à
Venise, il y était encore pendant le démêlé des Corses, et voici
(1) Chaulnes au roi, 5 octobre 1666. Rome, 178.
(2) A Lionne, 12 mars 1667. Rome, 182.
(3) Qui avait accompagné en France le cardinal Chigi et s'y était conduit
avec lant de distinction.
MORT d'aLEX ANDRE Vlï 153
comment il y servait Alexandre VII. L'évèquo de Béziers,
ambassadeur auprès de la Seigneurie, écrivait à Lionne, le
30 décembre 1662 : « Le nonce [Altovili] m'a fort parlé;... il
me dit qu'il vous avait mille obligations; que vous Taviez
voulu nonce en France, et qu^il faudrait que le roi se servit de
cette conjoncture pour modérer le gouvernement temporel des
papes et qu*il se rendrait aussi glorieux que les Pépin et les
Charlemagne, s'il obligeait Sa Sainteté à remettre aux six
cardinaux les plus anciens la direction principale de l'Etat ec-
clésiastique; que tout ce qu'on ferait bors de cela ruinerait
l'Église et enrichirait les parents, et que le reste les mortifierait
et mettrait tout le monde du côté du roi. Il m'a prié instam-
ment de vous écrire tout ceci en chiffre (1) » — Les Véni-
tiens ayant offert leur médiation entre Rome et la France,
Alloviti vit là pour lui une occasion de pousser sa fortune en
trahissant le saint-siège. L'évêque de Béziers écrivit encore :
« Le nonce dit que, si l'affaire de Rome se doit accommoder
en quelque lieu et que vous la fassiez venir ici, il prendra plus
(l'autorité qu'on ne lui en donnera pour la terminer à la satis-
faclion du roi. Je pense bien qu'il le ferait comme il le dit;
car il est persuadé que les Chigi n'oseraient gronder quand il
excéderait ses commissions, et qu'il serait le plus glorieux
homme du monde de l'avoir fait (2). » Voilà les auteurs de
c<?s accusations acceptées sans contrôle au palais Farnèse, qui
allaient flatter la rancune de Lionne et du roi, et qui, à ma
connaissance, ne sont confirmées par aucun témoignage dé-
sintéressé. Prises à la lettre, elles se réduisaient au tort de
Q avoir pas entièrement suivi les iiitentions du pape; mais elles
vont trouver bientôt un éclatant démenti dans la sympathie
exlraordinaire dont toutes les classes de l'État entoureront la
famille Chigi, après la perte de son chef.
Malgré la défense des médecins, Alexandre VII tint un nou-
veau consistoire, le 16 mars, avec une pompe affectée^ dit
M. de Chaulnes, pour proposer des églises et pour donner le
chapeau à Caracciolo. Il ne pouvait <i tenir en place », ni au
(1) ï'ewwe, 82.
(2) A Lioune, 2« lettre du 0 octobre 16C3. Venise^ 83.
154 CHAPITRE QUINZIÈME
lit, qui lui échauiïait les reins, ni debout, ni assis, à cause de
sa pierre. L'abbé de Machaut écrivait à Lionne (1) : « Il est
blessé à mort;... c'est un homme mort. » Cependant, ajoute-
t-il, « l'on disait aujourd'hui que le saint-père, qui veut finir
son pontificat avec le même zèle et la même application que
vous lui avez vu commencer, fera faire demain examen des
évèques dans sa chambre, et qu'il prétendrait lundi faire un
consistoire. Depuis le 3 de ce mois qu'il eut son premier acci-
dent, il a fait beaucoup d'actions publiques. Sa passion con-
tinue pour faire les fonctions (2) », et plusieurs congrégations
délibèrent autour de son lit sur des affaires qu'il réserve à son
examen personnel!
Sa vie se prolongea jusqu'à la fête de Pâques, qu'il célébra
pontificalement, et il voulut bénir son peuple une dernière
fois. L'ambassadeur écrivit : « Sa Sainteté ayant été élevée
dans sa chaise sur les épaules de huit hommes, elle fut portée
jusqu'à un balcon qui regarde sur la place du palais, et, étant
restée sous la porte dudit balcon dans la même élévation, elle
lut deux oraisons, la première assez bien; mais la voix lui
baissa un peu à la seconde, et ensuite se leva pour donner la
bénédiction, et, comme j'étais devant sa chaise et que je l'exa-
minais assez, je remarquai qu'elle appuya son bras droit de
sa main gauche. Il est vrai que l'on nous dit la veille que Sa
Sainteté avait ressenti quelque manière de goutte au bras droit,
et ensuite, les indulgences ayant été lues par deux cardinaux.
Sa Sainteté redonna une seconde bénédiction; mais elle ne
se lova qu'à demi, ce qu'elle avait fait avec apparence d'une
grande force la première fois, ne s'élant pas appuyée sur le
bras (le sa chaise, et fut rapportée dans la salle de paramenti
où. après avoir été déshabillée, elle reçut le compliment des
bonnes fMes, selon la coutume, par M. le cardinal Barberini
au nom du sacré collège, lequel lui en ayant fait un sur sa
(I) Cliftulnoï» uu roi, 10 cl 22 mars» lOOT. — Mâchant à Lionne, 19 mari.
Honi0, i82.
(:2) Mnl^rMoH tortures qu'il endurait alors, au témoignage même de Machaat:
y> i\\\ haniio applicatl certi cerotti soprali reni, li quali essendo tntti scarnificati,
non hn potuto ancho «ofriro per una hora. » (\ Lionne, 22 et 26 mars 1667.
MORT d'alexandre yii itiS
onne santé et sur la fonclion présente, il répondit que l'es-
•rit était prompt, mais que la chair était infirme... A l'égard
le la manière dont je le trouvai, je puis dire à Votre Majesté
[ue je fus surpris d'abord de voir son visage et que Tambas-
ladeur de Venise fut dans le même sentiment, parce que, si
^a Sainteté eut fermé les yeux, Ton aurait pu ne la pas compter
[larmi les vivants (1). » Cet effort fut immédiatement suivi
Tune crise qui causa les plus vives alarmes.
Aussi, pendant qu*il se sentait encore toute sa liberté d'es-
prit et de parole, Alexandre VII résolut de faire ses adieux au
sacré collège. Le vendredi 15 avril, dans la matinée, trente-six
cardinaux se réunirent dans sa chambre, et, après qu'il eut
reçu le viatique des mains du cardinal Nini, il leur adressa un
discours qu'il répéta, le lundi suivant [18], à cinq de leurs col-
lègues qui n'avaient pas pu répondre au premier appel. Je ne
ronnais qu'un récit authentique de cette scène, conservé dans
k Diario du maître des cérémonies Servatio qui était pré-
sent (2) : u Les cardinaux étaient debout autour du lit (3); le
pape, s'exprimant d'une voix assez faible, leur fit connaître
ses souffrances et le péril où il était. Il exprima le regret que
le temps lui manquât pour réparer les fautes où l'infirmité
l'avait probablement fait tomber, et leur en demanda pardon.
Il leur recommanda instamment la Sainte Église Romaine,
qui allait être privée de son pasteur : il les pressa de mettre
ile côté tout intérêt de famille et toute considération humaine ;
de ne regarder que Dieu seul et de lui donner un chef digne
d'elle, qui lui apportât, dans ses besoins présents, le secours
de toute sa vigilance^ de tout son zèle, de toute sa charité. Il
s'éleva de toutes ses forces contre ceux d'entre eux qui ne
traignent pas de se vendre eux-mf*mes et l'Eglise aux princes
^cxdiers (4). Il donna de grandes louanges à sa famille et la
1) 12 avril, Rome, 182.
(2) Archifes du Vaticaa : Servaniii diaria, 1665 à 1668.
(3) Les cinq cardinaux préseots le 18 avril étaient Orsino, Impériale, Palla-
^icïDo, Paaluzxi et Rondanini. Azzolino, qui était au nombre des trente-six,
^Qiit voir Alexandre VII, le 18, lorsque furent Introduits les cinq : il fut témoin
<ie It seconde scène commn de la première.
(^) • Cardinales lllos omni conatu increpare curavit, qui se ipsos et Ecole-
Mam Dei principlbus sœcularibus vendere prœsumunL »
i
156' CHAPITRE QUINZIÈME
leur recommanda avec d'autant plus de confiance qu*il ne
l'avait appelée qu'avec leur approbation et qu'elle s'était cou-
duite avec modestie, sans mériter un reproche, comme il con-
vient aux neveux et aux parents d'un pontife. Enfin il les ad-
jura de procéder à l'élection avec l'esprit de paix, l'union,
l'intelligence et l'attention qu'exigeaient les nécessités de
l'Église. II dit plusieurs autres choses qu*il serait long de ra-
conter et qui ne sont pas arrivées jusqu'à mon oreille. Les
cardinaux étaient tellement serrés et pressés (ctrcum circa
autour du lit que personne n'en pouvait approcher, et derrière
eux on ne percevait pas les paroles mais seulement le son d'une
voix faible et basse. J'étais venu là cependant avec l'intontioc
de recueillir autant que possible ses paroles textuelles ({). Le
cardinal Barberini, doyen, répondit au nom de tous que le
sacré collège déplorait la maladie de Sa Sainteté; quil ne
cesserait pas de prier pour sa conservation; que si Dieu, danî
ses desseins impénétrables, ne daignait pas les exaucer, ils
garderaient le souvenir de ses commandements et y obéiraient;
que cependant ils lui rendaient grâces de ses avertissement^
paternels et imploraient pour eux sa sainte bénédiction. Sa
Sainteté les bénit : la plupart versaient des larmes et baisaient
les couvertures qui cachaient ses pieds (2). Le saint-père pro
nonça ensuite la profession de foi dont la formule futluepai
notre collègue M^^' Febei, pendant que je tenais le flambeau;
et Sa Sainteté, la main étendue sur le crucifix d'un missel que
lui présentait M^ Pedacchia, le baisa, puis jura en disant:
Que Dieu me soit en aide ! Après quoi, tous sortirent et le pape
demeura seul avec les siens (3). Nous étions présents, nous
maîtres des cérémonies et plusieurs personnes de Tintiine
familiarité du pape. Il y avait aussi les parents de Sa Sainteté,
(1) « lutereram tamen totum seriuonem ad Yerbom si ejas transsumptan
babcre potuero. »>
(2) «... Quain poDtifex clargituâ, pluribus lacrymas effundenUbas et stra
gula »ub quibus pedes existebaut deoscuIaDlibus. » — L*abbé de Machautei
convient iiialgrt^ lui. eo son grossier langage : a U y en eut pourtant parmi 1'
troupe cfte singhiazzarono hene^ e fra gli a/tri Borromeo. Tons lui baisèreo
la main en sortant. • (A Lionne, 23 avril. Homey 182.) — Le cardinal Borrooie*
u^assista qu'à la scène du 13 avril.
(3) k His expletis onines abienint, et papa remansit solus cum sois. »
MORT D*ÂLEXANDRË Vil 157
aais presque incognito (1). Les cardinaux étaient au nombre
ie Irente-six... Dans la chambre qui précédait celle où le pape
était couché, on voyait le cercueil de plomb, que Sa Sainteté
avait fait faire au commencement de son pontificat (2). »
Cette relation est évidemment incomplète (3); non seule-
(1) « AderaDt etiain coosanguinei sed fere ignote. »
(I) Celte action avait donné lieu aux moqueries de Lionne et du cardinal
de Ret2, en 1663 : elle avait cependant paru fort naturelle à tout le monde.
Âlexaudre VII, qui avait été taillé avant son exaltation, croyait avoir peu de
temps à vivre. Les fatigues du conclave et des cérémonies qui suivirent l*c-
lectioD furent une grosse épreuve pour sa santé. Voulant que la splendeur de
iOQ nouveau rang ne lui fit pas oublier un instant la pensée de la mort, il
iTaitfait mettre un cercueil sous son lit : u ûal primo giorno, dit le cardinal
Pallavicino dans ses fragments sur la vie de son ami, prese per consigliere
iodivisibile a lutte Tazioni délia vita il pensier délia morte, collocando sotto
al 8U0 letto la m%desima cassa, ove destinava che giacesse il suo cadavere. »
(Lib. 111, c. II, p. 269.) Pour éviter tout reprocbe d'affectation, quand les symp-
tômes les plus inquiétants eurent disparu, il ne garda pas le cercueil dans sa
cliambre. Dès que le péril revint, on vit à ses côtés l'objet qui lui rappelait
I&I18 cesse le prochain jugement de Dieu. « Le jeudi au soir [14 avril], dit
Machhut, il avait fait venir sa bière, qui est, comme je crois, de votre con-
naissance, mais qui a été plus de onze ans fort poudreuse et fort abandonnée
dans un grenier. » (A Lionne, 23 avril. Romet 183.) — Ce cercueil reparaît
dans tous les pamphlets français, publiés contre Alexandre VII. U était réservé
âChanteiauze de dépasser tous ses prédécesseurs : u Le jour do son élection,
dit-il, Alexandre VU commanda son tombeau au cavalier Bernin et il le fit
placer dans sa chambre à coucher! » {Retz et ses missions à Rome, page 77.)
Faut-il demander à l'auteur si c'o.<^t le même tombeau qui est aujourd'hui dans
Qoe des chapelles de Saint-Pierre?
(3) Je n*ai pu me procurer un texte sûr de ces discours. Étant à Rome,
j'ippris qu'ils avaient été imprimés, et je pus en effet consulter une bro-
chure publiée à Modèue, en 1881, sous le titre de Omaggio desultanza per
lefauslissime nozze (21 luglio 1881), à Toccasion du mariage d'un membre
de la famille Chigi, le marquis Pietro Schedoni di Camazzio avec la prin-
cesse Caterina Manoukbey. On a donné place, dans cette brochure, à di-
verses pièces concernant la maison Chigi, et en particulier la personne et
^ poQtificat d^Alexandre VII. J'y ai trouvé, pages 57 et suivantes, une » vera
relazione dell' intirmità e délia morte del summo poutefice Alexandro VU»,
data in luce da Francesco Moneta » qui était un imprimeur romain du
l'ni* siècle. Cette relazione comprend une traduction italienne de l*allocutiou
ialioe prononcée par le pape devant les cardinaux, dont l'éditeur avoue qu'il
cireolait des copies infidèles : « E andata attorno molto guasta o dall' igno-
ruixa 0 dalla malignità. » Mais l'auteur de VOmaggio parait lui-même bien
pra compétent pour constater l'authenticité de la pièce qu'il réimprimait; car
lOD abrégé du pontificat d'Alexandre VIL et surtout son récit de l'affaire des
Cônes contiennent des erreurs à peine croyables. Ainsi, il suppose que le
lomnlte des Corses dura deux Jours, C'est, selon lui, dans la soirée du 21 août,
^ftktera del successive giorno ^/, que des soldats de cette milice auraient
188 CHAPITRE QUINZIÈME
ment Alexandre VII a donné plus détendue aux diverses par
ties de son discours, mais il a traité plusieurs sujets, et de trè:
graves, dont Servatio ne dit pas un mot. Les deux allocutiooi
n'étaient pas pour plaire aux agents français, qui en parleni
avec une extrême irritation : a Sa Sainteté, dit Ghaulnes, eût
bien fait d'en retrancher la moitié (1) ; » mais Servatio avait po
entendre et noter Tendroit capital, et, si le pape tint, malgré
sa faiblesse, à redire ce long discours aux cinq cardinaux le
18 avril, c'est qu'il y avait parmi eux un cardinal vendu à
Louis XIV, Orsino^qui, sous l'influence de la première colère,
communiqua au roi , credeiido che possa essere co$a di suo gusto^
un récit de « le belle scène delpapa fatte iielV iiltimo delta sm
viia e Finvettive fatte ai cardinali sotto specie di paterni ri-
cordi,., » L'indigne cardinal ajoute : « Ne il collegio havera
da s tare malinconico, mentre che si ha dato la hcrta [2] anche
morejido (3). » On s'explique le courroux excité dans la faction
française par ces harangues. A qui en effet s'appliquaient le
mieux leurs passages les plus sévères, si ce n'est au cardinal
Antonio Barbcrini qui, après avoir cherché un refuge auprès
de Mazarin contre les justes poursuites d'Innocent X, avait
perdu toute considération à Rome sans se faire estimer en
France (4) ; aux cardinaux Orsino et Renaud d'Esté, dont nous
reticoulré et arquebuse le carrosse de Tambassadrice ! Il ne cooDatt pas mieax
la fiu de celte affaire que sou commenceoient, car il écrit qu'elle fut accom-
modée, à Paris par uu pléDipoteatiaire du pape! Ou ne peut donc pas s'éloo-
uer de lire, daus VOmaggiOj la version de Monela, sans rectification ni additioQ*
On conçoit d'ailleurs que Moneta n'ait imprimé à Rome que ce qui pouvail
être livré alors sans inconvénient à la publicité, et qu'il ait exclu les paroles
sévères, ricordi paterni^ dont la divulgation intéressait rhonneur de plutieur*
cardinaux. Je ne suis pas parvenu à savoir si Ton a conservé les registres dfi
Febci, préfet des cérémonies, qui était dans la chambre du pape le i5 et ^
18 avril. Je n'ai pu consulter que le journal du maître des cérémonies Servatio
(Servantius), qui assistait Febei le 13 avril, et qui n'a pu entendre qu'«iu«
partie de l'allocution. Heureusement le passage le plus grave, où le pape flé-
trissait les cardinaux qui vendent l'Église aux princes, parvint à ses oreille»»
mais Monela n'en a donné qu'un écho tellement affaibli qu'on n'y distingue
plus la pensée véritable du mourant.
(1) Au roi, 16 et 19 avril. Rome, 182.
(2) Fare ou dare la herta, deridere, ingannare, etc.
(3) A Lionne, 19 avril 1661. Home, 182.
(4) Voici comment Louis XIV en parlait encore à son ambassadeur dansuoe
lettre du 25 février 1667 (Home, 181) : « Le cardinal Antoine e&t un liocDiD<
MORT d'aLIùXANDRE Vil {«H9
ivons si souvent parlé ; au cardinal Albizzi, qui exigeait avec
lant d^âpreté le payement intégral de sa pension secrète (1), et
qui se concertait avec le duc de Chaulnes en vue du futur con-
clave (2) ; enfin au cardinal Maidalchini dont le pontife mourant
flétrit le libertinage et la vénalité? Mais Tambassadeur fran-
çais avertissait lui-même sa cour que la faction espagnole n a-
vait pas été plus épargnée que les Français : « Le cardinal
Ra^gi, disait-il, ne futpas moins fâché du chapitre de ceux qui
se vendaient, Sa Sainteté s'étant expliquée dans les mêmes
Icrmes qu'elle battait souvent ledit cardinal, lequel, comme
vous aurez pu savoir, ne s'engagea avec l'Espagne qu'après
avoir demandé seulement 2,000 écus au pape pour vivre, que
Sa Sainteté lui avait promis, et un beau jour lui dit qu*elle
voulait exécuter ses paroles et avait trouvé un fonds qui était
que le cardinal vendit une maison qu'il avait à Frascati, et
que de cet argent et de l'épargne qu'il ferait de n'y point réga-
ler ses amis si souvent, il épargnerait plus de deux mille
écus (3). »
qui (ait oa qui médite toutes les auuées des retraites telles que celle doot il
▼0Q3 a parlé, à dessein, dit-il, de satisfaire à ses créanciers. Cependant il a
tant d'indulgence pour tous ses domestiques dont il est toujours pillé, qu'en
qoelque lieu qu'il aille, à mesure quMl acquitte une dette, il en crée une nou-
velle, et il Y a plus de vingt ans qu'il doit toujours une même somme de
qaalre-viogts à cent mille écus qu'il aura peut-être acquittée déjà plus de dix
foi*. Le pape Urbain, sou oucle, lui avait laissé un revenu à peu près égal à
celle somme, et il tient de moi celui de la charge de grand aumôuicr, de l'ar-
''heTèché de Reim.-*, et l'abbaye de Saint- Evroul qui vaut seize mille livres de
fink. Après cela, quand il se plaint que ses afTuires sont en mauvais état, je
demanderai volontiers à qui en est la faute. U faut pourtant que vous vous
«rcoiuiuodiez à la portée de son esprit, et je crois qu'il vaut mieux témoigner
<)Q'nu compatit à :^cs quérimonies que d'entrer en aucune contestation avec
lui pour lui faire counattre qu'il a tort ou qu'il n'a pas toute la raison qu'il s'i
««gine. »
(i) Le cardinal Âlbizzi se plaiut d'un retranch«'.ment sur sa pension depuis
^^•tre arrivée à Rome. S'il vous reste de l'argent libre, complétez et faites-le
'ui porter par Vagnozzl avec des excuses sur la méprise. On lui a toujours
promis et payé six cents pistoles effectives. (Lioune à Chaulnes, Il février
'«1. Borne, 181.)
'X. Parlant du jansénisific à ce cardinal, je le flalte de l'espoir de décider
hieoiôt de tout cela souverainement comme pape... Je lui parle des ordres
que j'ai de concourir à son exaltation. Nons convenons que son nom ne sera
pu proposé dans les commencements du conclave, mais seulement à un mo-
meDt favorable. (Chaulnes au roi, 29 mars 1667. Rome y 182.)
(3) Â Lionne, 26 avril 1667. Rome, 183.
l
KiO aiAPITRK (QUINZIÈME
I/pfwiroit relatif aux candidats des couronnes ne ménageait
piiH pliiH TKnpa^ne que la France. Alexandre VII disait (1):
*' Darihladernii're promotion^ nous avons donné satisfaction aux
iiiMlatir<!H des princes, quoiqu'on nous présentât des laïques,
dcH Vf'ufs, des irréguliers. Nous aurions dû répondre qu'on de-
vrait hieii auparavant les exercer pendant un mois à la récita-
lion du bréviaire; mais nous les avons acceptés, puisqu'onTa
voninl » lie zèle do Itourlemont s'enflamma en faveur des car-
dinan.\ farfiannnirrs des princes^ et vanta « le crédit qu'ils ont
V(«rH les potentats de la chrétienté qui emploient si souveot,
ù leur considération et prière, leur puissance et autorité aux
lH»soinH de TK^Iist» et protègent la liberté aux élections des
souverains pontifes contre les cabales et intrigues des neveux
(|ni« s'étant acquis durant les pontificats la plupart des Italiens
qu'ils appellent leurs créaturesjes obligeraient à suivreaveu-
glemoni leurs désirs à l'élévation de tel qu'il leur plaît, si les
factionnaires des couronnes ne s'y opposaient dedans lebe-
soin avec intrépidité, étant soulenusde rautoritédes roisdoot
ils sont les dépositaires aux conclaves Et si, parmi lescar-
dinanx. il no doit point avoir de parti ni de faction, il faut
commencer par la suppression de celle des neveux comme la
plus à craindre et la moins utile au saint-sièire 2 . •» Mais les
remontrAuces paternelles d'Alexandre YIl ne s'adres^ient pas
à un seul cO^le du collège, comme i*i;is:nue Boarlemont. Eo
uîo;:.in: les cardinaux italiens en garde contiv I«ir propre
fa.^.osso, ii rappelai: avec raison que ie principal danferire-
n^i; a\ r> ,i. < c >iir,^uues. Quel esi donc le o^riin^ -ie \kbtr
;:o:; trA^s^-M^ C"-ii ai: jamAÎs :»r;e L.^uis XIV .i*.f*wj. /♦'fr ^
w: ,,'■• t: .; .; -r;r :•,- Vv •' > :' TE'ZÎis^^ il ie sncH'^i^
• ':^ ' ^ ••* : .' ' ; ". 1 L.: ..:-f . i' vjc^if; ooit m -■ ^^^'*
1
1
I
MORT d'alezandre vti 161
traire, sous ce poDlificat comme sous les suivants, les plus
serviles complices des usurpalîons séculières; et, daos les
conclaves ea particulier, ils ont été les premiers à provoquer
la séduction des consciences, les partis simoniaques, les me-
naces, et même k solliciter l'envoi des (lottes françaises à
Cività-Vecchia pour intimider les élections 1 Si les cardinaux
nationaux semblaicnl alors exclus de la chaire de saint Pierre,
les détestables choix, faits généralement par les princes et
par le roi de France, en étaient cause, et c'est parmi les car-
dinaux italiens que s'était formée, sous Innocent X, celte fac-
tion indépendante, l'Escadron, qui avait déterminé l'élection
d'Alexandre VII et dont l'inlluence domina encore lesconclaves
snivants. Alexandre VII oubliait si peu le danger des factions
pontificales, qn'ii avait fait une allusion sévère à l'alliance
conclue, sous Innocent X, entre les familles Pamphili et Bar-
Iwrini, et b leurs brigues menaçantes pour la liberté des élec-
tions futures. C'est cela qu'il avait en vue lorsqu'il exhortait
le sacré collège à se régler dans le prochain conclave sur
l'exemple du précédent, et qu'il disait : Tout s'y est fait ouver-
tement, sans pactes d'aucune sorte, sans promesses de ma-
ria^ (t).« M. le cardinal [François] Barberini, dit Bourle-
inoat{2}, resta fort oITcnsé de ce que Sa Sainteté avait dit en
face de tout le sacré collège que son assomption au pontifical
Bivftil point été sollicitée ni ménagée par des promesses de
mariage et d'alliance. Ce cardinal sortit tout bouffant de la
chambre du pape, et les cardinaux Antoine et Curlo [Barbe-
rini] lut dirent conlidcmment qu'il jugeât, par ce dernier trait
qoeie pape lui faisait, Tassurance qu'il devait prendre en la
fiction du cardinal Chigi. Le cardinal Antoine m'a ditconfi-
demmenl que cela fait bien songer le cardinal [François] Bar-
lerini. Je lui repartis que Dieu avait permis que le pape dé-
couvrit de son vivant la haine qu'il laisse héréditaire de sa
naigoD avec celle des Barberini, et qu'il y allait de leur pru-
dtnce de prendre leurs mesures contre l'orage que la faction
^Chigi leur préparait, et il mo semble que les cardinaux
(I) < Omnia candiJe geit& aunl; duIIx intercassere pacttonaa, Dutts cod-
^WiiULct matrlmoDii. • {Rome, 183.)
Il) A UoDoe, 19 «Trll. Romt, 182.
laojt UT n u unrr-Bitoi. — II. Il
i
162 CHAPITRE QUINZIÈME
Antoine et Carlo en sont à présent persuadés, ce que j'ai rap-
porté à M. Tambassadeur. » Le duc de Chaulnes voyait déjà
la guerre déclarée entre ces deux factions, et il écrivait (1):
« Le cardinal Barberini était enragé de l'article du mariage.
Personne n'entendit la réponse qu^il fit au pape au nom du
sacré collège, et par là je juge qu'il lui chanta des injures au
lieu de lui faire des remerciements. » Le journal de Servatio
réfute cette insinuation. Tout Rome d'ailleurs savait qu'il n'y
avait plus rien dans le cardinal François Barberini qui rappe-
lât Tancien protégé de Mazarin. 11 avait soutenu Alexan-
dre VII pendant toute l'affaire des Corses; loin de s'associer
aux calculs du cardinal Antoine, son frère, et du cardinal
Carlo, son neveu, il demeura fidèle à la parole par lui donnée
au pape, et s'unit plus étroitement que jamais à l'Escadron et
au cardinal Chigi. L'autorité croissante des Indépendants, qui
faisaient chaque jour des recrues dans les deux grandes fac-
tions d'Urbain VIII et d'Alexandre VII, causa une violente ir-
ritation au palais Farnèse, et l'abbé de Machaut démentait
d'avance la prophétie de l'ambassadeur. Les Escadronistes,
dit-il, devraient en vouloir aux Chigi de tous les malheurs de
ce pontificat, et voilà qu'au contraire, pour leurs fins, ils
entrent présentement dans les intérêts de cette faction, et
paraissent se rapprocher de la famille. « Quelques paroles
que m'a dites le cardinal Impériale, leurs démarches, leurs
fréquentes négociations, leurs empressements de concourir
avec Barberini et les Chigi, la loro sfacciatagine (2) et intolera-
bile petulancia font assez voir ce qu'ils ont dans le cœur et ce
que l'on doit attendre de leur présomption (3). w
Le parti français affectait encore de s'indigner quA-
lexandrc VIÏ se fût permis d'invoquer le témoignage des car-
dinaux contre les calomnies dont sa famille était l'objet. Le
pape rappela en effet qu'il ne l'avait fait venir auprès de lui
qu'avec l'approbation du sacré collège ; « que ses parents
avaient de bonnes inclinations; que don Mario avait les inten-
tions droites et était bon économe ; que don Augustin avait
(1) A Lionne, 26 avril. Rome, 183.
(2) Effronterie, impudence.
(3) A Lionne, 23 avril. Rome, 183.
j
MORT d'aLEXANDRE VII 163
rhumeur douce ; que don Sigisniond promettait beaucoup, et
qu'il ne dirait rien du cardinal Chigi, remettant à la connais-
sance qu'en avait le sacré collège, auquel il les recommanda
tous, en cas.pourtant qu^ils fussent honnêtes gens, et qu'ils
méritassent sa protection. » Et, comme l'accusation le plus
souvent portée contre eux, dans les gazettes et dans les pam-
phlets français, était de s'être enrichis par la ruine de la
Chambre apostolique, il annonça « qu'on trouverait beaucoup
plus d'argent dans le château Saint- Ange que son prédécesseur
n'en avait laissé; qu'il Tavait toujours dissimulé de peur qu'on
ne lui en demandât pour la guerre contre les Turcs, mais qu'il
en aurait beaucoup davantage sans les troubles qui étaient
arrivés, dont de grands princes s'étaient mêlés; que, pour les
apaiser, il avait donné toute liberté au sacré collège de dire
leurs sentiments; que c'étaient ceux-là qu'il avait suivis,
quoique son inclination le portât à exposer les habits pontifi-
caux et sa vie même pour les intérêts du saint-siège. » Ces
ligues sont empruntées à une relation de M. de Chaulnes (1)
etilest permis de croire que l'ambassadeur, sous le ressenti-
ment de cette allusion à l'affaire de M. de Créquy et au traité
de Pise, ne se sera pas piqué d'une fidélité trop favorable au
souverain pontife. En admettant qu'Alexandre VII ait dit sim-
plement qu'il avait caché l'état prospère de ses finances pour
écarter des demandes indiscrètes, les cardinaux n'y trouvaient
rien à reprendre, car ils avaient appris du pape, dans un con-
sistoire du mois de février précédent, que Venise, la Pologne
6t l'Empereur, pour lesquels il avait déjà dépensé près de
dominions de livres, sollicitaient sans cesse de nouveaux
subsides, et que les sommes dissimulées étaient réservées
pour secourir celle de ces puissances qui serait le plus tôt at-
^quée par Tennemi commun.
Le duc de Chaulnes a supprimé encore les lignes remar-
quables où le pontife annonçait qu'une partie de ses épargnes
«lait destinée à éteindre plusieurs impôts dans les États ro-
ïnains et que, si le temps lui manquait à lui-môme, il enten-
du que son successeur exécutât sa volonté : et en effet, dès
tt) Aa roi, 2« avril. Rome, 183.
164 CHAPITRE QUINZIÈME
les premiers jours de son pontificat, Clément IX dégagea la
parole du mourant (1).
Tandis que le sacré collège, après les grandes scènes du 13
et du 18 avril, se pressait avec plus d'amour et de respect au-
tour d'Alexandre VU et prenait toutes les dispositions néces-
saires pour protéger, quand il ne serait plus là, sa mémoire et
sa politique, les agents français s^attachaient à dénigrer, jus-
qu'à la dernière heure, sa personne et ses actes. Le 18 avril
avait ramené l'anniversaire de son couronnement : la veille,
qui était un dimanche, cette date avait été fêtée par les Ro-
mains avec un grand éclat. Le lundi matin, le cardinal Chigi
avait célébré la messe, et ses instances seules avaient empêché
les cardinaux de porter au pape le compliment ad multos an-
nos. Alexandre VII avait autour de lui le P. Bona, le P. Oliva,
et son confesseur ordinaire. « Le P. Oliva m'a dit, écrivait
l'abbé de Machaut (2), qu'il n'est pas concevable ce qu'il
souffre. Il souhaite la mort et élève souvent la voix en disant:
Dio mio! Un Père jésuite me disait qu'une des raisons pour
laquelle il désirait la mort était per non fare nientè di scom-
posto e indigno d'un gran papa. Il faut avoir une grande cré-
dulité pour donner là dedans; car enfin il faut seulement re-
garder le discours qu'il a fait, et puis je trouve de fort bon
sens ce qu'on a dit de lui. L'on a débité plusieurs choses assez
triviales, que je ne vous écris pas : Maximade se dtxit;optima
de parentibus; turpissima de cardinalibus ; iniqua de princi-
pibtts, parum aut mala de regibus ; caeterum de Deo nihildixU. »
L'ambassadeur recueillait les choses les plus triviales, qu*
étaient toujours bien reçues de Lionne : « Je ne sais,*disait-il
que vous mander du pape; et en vérité c'est une chose hors
do Timagination. Pasquin s'en est fort bien expliqué, en ré-
(1) « Ex pecuniis in Castro Sancti Ao^eli depositis, Dosirœ intenUoDis fuit
Impojkiliono)» «tiiptT frmnento a Dobi» nupcr iiupositas aufeire : ideo nosi^^
iuvces<ons conacientiam agfjravumus. » — 0^9 le leudeuiaiu, le uouTeau p&P^
H (ii^ plu^ do :>Q0.000 t^ciis d'impôts et établi la liberté du comiuerce des bl^^*
^Chaulne'4 à I.iouno. 5 juillet I6in. Home, 184.) — « Ne voile perd che nell'
rditto di qiiost' ultime beuefizio comparisse il uome suc, tna «i çuello del
;»»ri/r<Y,"<.*<>rf Aleasamir » VU^, il guale avea ijiaaditnato ildenaro per restinâooe
di »ilTaita ^alu>ll«. » \^nizionano di Moroui, vo Clémente IX:)
{£\ A Liounc, 23 avril. Rome. 183.
MORT D* ALEX ANDRE VII 165
3ondant à ceux qui lui demandaient ce que faisait le pape :
Iriuoca altoccay e quando è entrato nella morte^ ritorna dal
^apo, Yoilà la pure vérité (1). »
Le même jour cependant le duc de Ghaulnes avouait à
liOuis XIV que le pape usait ce qui lui restait de forces à rem-
plir les devoirs du ponliOcat, et que les rapports de la France
vec le saint-siège occupaient particulièrement son attention,
l écrivait : « Il est vrai que depuis quelque temps Sa Sainteté
l'a pas été en état qu'on lui ait pu parler d'aiïaires; mais, celle
es jansénistes en étant une de conscience et par conséquent
lus proportionnée à la conjoncture présente, bien loin de
abandonner, je Tai pressée plus que je n'avais fait,à mesure
iiefai vu Sa Sainteté s affaiblir, » et Alexandre VII prit en
tret une part personnelle à la rédaction des brefs attendus
lour le procès des quatre évêques.
C'est d'ailleurs à tout moment qu^l lui venait de France une
louvelle cause de soucis. Il lui fallut prémunir les cardinaux
tt son successeur contre les intrigues liées par le duc de
Ghaulnes avec le résident de Parme ; et le cardinal Pallavicino
écrivit pendant deux jours, sous sa dictée, ses instructions
lernières sur le traité de Pise et sur Tarticle de Castro (2).
— Il n'avait plus que quelques jours à vivre lorsque arriva le
cardinal de Vendôme pour prendre part au conclave. S'il ne le
eçoit pas, quelles plaintes n'en fera pas le palais Farnèse?
I Taccueille aussitôt : les Français prétendent que c'est « par
.a démangeaison de parler! » Le duc de Chaulnes ajoute :
: En Tétat qu'il est, on a trouvé fort plaisant ici que le pre-
nier discours qu'il fait à un cardinal qui le vient remercier de
a promotion soit de parler de sa femme, comme il a fait à
A. de Mercœur, et qu'à la vue du crucifix qui parait toujours
i côté de son lit, lorsqu'il donne audience, il n'ait parlé que
les choses du monde (3). » Eût-on préféré que le pape lui
lemandât le véritable motif de son voyage à Rome? — Il n'y
L rien qui ne devienne un sujet de dérision sous la plume de
lionne et de l'ambassadeur. Ce dernier écrit au ministre :
(t) A Lionne, 26 avril. Rome, 183.
(2) Au roi, 26 avril. Rome, 183.
(3) An roi, 17 mai. Romt, 183.
166 CHAPITHE QUINZIÈME
« J'ai été furieusement scandalisé de vos dernières lettres,
et de celles que vous avez écriles à MM. les cardinaux sur
la mort prétendue du pape. Je les ai priés de brûler lesdites
lettres, parce que, dans un lieu où c'est un crime que d'a-
voir des écrits contre le pape, une lettre sur sa mort pour-
rait faire excommunier un cardinal et Tempêcher d'entrer
au conclave (1). »
Les sarcasmes des agents français ne respectent pas même
les suprêmes entretiens du mourant avec ses conseillers spi-
rituels, et je regrette d'avoir trouvé le nom du P. Oliva, gé-
néral des Jésuites, mêlé d'une manière fâcheuse à ces récils
des derniers moments. M. de Chaulnes écrivait dès le 29 mars
4667 (2) : « Le P. Oliva a la rancune dans le cœur de ce que
l'on ne Ta pas envoyé chercher dans tout le mal du pape, et
est ainsi peu en état d'être écouta présentement : il ost vrai
qu*après avoir assisté deux papes à la mort, le troisième lui
fait un grand affront (3). » Alexandre VII ne pouvait pas igno-
rer les relations si étroites que le P. Oliva entretenait avec
Lionne, depuis la mission de ce ministre à Rome, en 1655.
Témoin, pendant huit années, des outrages infligés au saint-
siège par le gouvernenjent français, le P. Oliva, dans la plu-
part de ces lettres, prodigua les plus basses flatteries à
Louis XIV (4), à Lionne et au duc de Chaulnes. On ne peut
donc être surpris du refroidissement témoigné par le souverain
pontife à ce religieux, quoiqu'il demeurât le protecteur le plus
(1) 13 mai 1667. Homey 183. Voici une de ces lettres : « Mun cousin, ayant
appris par mou cousin le duc de Ctiaulnes, mou aiubassadeur extraordinaire
à Rome, les bons seutiments que vous lui avez fait témoigner pour mes
iutérêts daus cette conjoncture de l'apparence d'uu prochain conclave, j'y ai
pris d'autant plus de contiauce qu'outre que je fais une singulière estime de
votre mérite, je ue désirerai jamais rien de vous qui ne soit le plus grand
bien de TÉglise. J'ai voulu cepeudaut vous tômoiguer par cette lettre le gré
particulier que je vous sais de la conduite obligeante que vous tenez à mon
égard, et vous assurer que je serai très aise de coutribuer sincèrement atout ce
qui sera en mon pouvoir pour vos satisfactions et vos avantages particuliers. »
(Le roi au cardinal Rossetti, 22 avril 1G67. Home, 183.)
^2) A Liouue. Home, 182.
(3) 11 eut pour confesseur pendant tout son poutiflcat un autre jésuite, le
p. Giambattista Cancelldti.
^4} Nous en avons déjà cite un exemple, à l'occasion du traité de Pisc.
MORT d'aLEXANDRE Vil 467
constant et le plus actif de sa compagnie. Le duc de Chaulnes
disait encore : « Le P. Oliva a eu ordre de ne lui pas parler,
à Tarticle de la mort, comme il avait fait aux autres papes,
en les appelant par leur nom de baptême, et de ne lui rien
dire qu'avec respect, voulant que Ton "garde le décorum jus-
qu'au bout ». A supposer que Tordre fût véritable, qui donc
avait pu faire cette confidence à l'ambassadeur français? Le
2 mai, le P. Oliva écrivait lui-même à Lionne (4) : «... Je
crie plus haut que jamais qu'il n'y a pas en Europe un homme
supérieur au marquis de Lionne pour l'étendue de Tintelli-
gence, pour la bonté du cœur, et pour la noblesse du style.
(1) Home, 183. Cette lettre est ainsi cotée daoB la table de ce volume : « Du
P. Oiiva à M. de Lionne ^pow le louer et le duc de Chaulnes » : — u Grido con
Toci più alte di primli : non ha uomo l'Europa che saperi il marchese di
Lionne in capacità di meute, in amorosità di cuore e in genUlezza di penna.
Ur' ella mi confunda se puo, e non potra mai, se uon lascia d'essere quel
gran persouaggio che Vostra Ecccilenza si è renduta, suil' appoggio del nasci-
meuto 00* chiarïori délie qualità acquistate. Altrettanto replico deU' incomparabile
signore duca, che veramente si tira ueil' anima i cuori di tutti, e riluce cou si
ammirabill doti di prudenza e di pietà, che nou lascia libertà a nessuna liugua
0 di tacciarlo anche leggiermente in cosa minima, o di non celebrarlo in
qualsisia maneggio deisuo ministerio o successo délia suafamigUa, il che non
è poco iu circostanze si ardue di un pontefice chi ne vive ni muore, e d*una
corte ch* esce di se, per che nou s'entra nel couclave, e pure, a mio parère,
non vi si entrera forse pcr mesi. » Ce u'est malheureusement pas la seule
lettre de ce genre que le P. Oliva eût écrite à Lionne. Voici une réponse que
ce ministre lui faisait à la date du 5 octobre 1666 {Rome, 178) : « Mon très
révérend Père, j'ai reçu avec une joie iudicibie la lettre dont V. P. R. m'a
fdvorisé sur le sujet des bonnes qualités et de la conduite de M. l'ambassadeur.
Je l'ai louée anssitôt au roi avec grand empressement et je puis assurer avec
vérité V. P. H. que, si toute la cour de Rome, compris même le sacré collège,
avait écrit de deçà la môme lettre, elle ne nous aurait poiut si bien persuadé
ui été si avantageuse à M. l'ambassadeur, à l'égard de S. M., qu'étant, comme
elle Test, signée du seul P. Oliva. J'en adresse aujourd'hui une copie à Son
Eicelleuce, tant afin qu'elle n'ignore pas la qualité de l'obligation qu'il a au pins
digue général qui ait jamais régi un grand ordre, qu'afin qu'il puisse profiter
de 868 bons avis... » — 11 est fâcheux pour la mémoire du P. Oliva d'avoir
si souyent obtenu les compliments des ugeuts de Louis XIV : c Le P. Oliva
«est surpassé sur un sujet assez délicat : car sa prédication a été euUèrement,
pour le pape, sur ce qu'il était obligé de ne pas suivre en beaucoup de choses
1 exemple de ses prédécesseurs, et il a marqué même beaucoup d'actions
d'Alexandre VU. S'il edt prêché devant lui avec la même liberté, je ne fais
pas de doute qu'ayant autant de vanité qu'il en avait, il n'eût pas pu s'empêcher
de l'ioterrompre et de fulminer contre lui ... » (Maohaut à Lionne, 13 décem-
bre 1661. ilonie, 187.)
168 CHAPITRE QUINZIÈME
Démentez-moi, si vous pouvez, mais vous ne le pourrez jamais,
à moins que vous ne cessiez d'être le grand personnage que
vous êtes devenu, grâce à votre naissance et à Téclat plus
grand encore de vos talents! J*en dis autant de l'incomparable
duc, qui véritablement a conquis ici tous les cœurs, et qui dé-
ploie, avec de si admirables qualités, tant de prudence et de
piété qu*on ne saurait trouver le moindre prétexte à la plus
légère critique, ni se refuser à célébrer son habileté dans Fac-
complissement de tous les devoirs de sa charge et le gouver-
nement de sa maison : ce qui n'est pas peu de chose, dans la
circonstance d^un pape qui ne vit ni ne meurt, et d*une cour
qui est hors de soi, parce qu*on n'entre pas en conclave, et
cependant^ à mon avis, on n'y entrera peut-être pas de quelques
mois. » Qui s'étonnerait, après avoir lu cette lettre, de trouver
ce qui suit dans une dépêche de l'ambassadeur (i)? « Le pape
est dans un état fort pitoyable, mais toujours dans la même
dureté^ et le nom de France ne peut être prononcé sans lui
faire peine. J'ai tenté tovte sorte de voies par ses confesseurs
pour amollir son cœur, et j'envoie à Votre Majesté une co-
pie (2) de la lettre du P. Oliva qui marque assez la situation
de son esprit, » On s'explique trop bien l'information donnée
à Lionne par l'abbé de Machaut (3) : « Quand j'ai demandé
aujourd'hui à un Jésuite comment le pape traitait le P. Oliva,
il a secoué la tête, et, par ce que je sais d'ailleurs, je crois qu'il
est seulement spectateur et non pas directeur. »
La haine des ministres de France poursuivit Alexandre Vil
jusque sur son lit de mort. A les entendre, il mandait tous les
jours autour de son lit « ses confesseurs et confortateurs qu'on
appelle ici », mais pour ne leur parler que de « bagatelles »
et ne leur tenir que « des discours en l'air ». La mort vint
enfin combler des vœux impies et l'ambassadeur put écrire au
roi (4) : « Sa fin a été ferme; il ne s'est laissé surprendre à
aucune faiblesse de la nature, et, s'il fut mort à la tète d'une
armée, il aurait pu rendre son nom recommandable ; mais je
(1) 3 mai. Rome, 183.
vâ> Je u'ai pas trouTê cette pi^oe aux ArchiTes de» Affaires étraDgères.
^3* 10 mai. Rome, 183.
^4) Cbaolues au roi, 11 et 23 mai. Rome, 1S3.
MORT d' ALEXANDRE VIT 169
puis prendre la liberté de dire à Votre Majesté que, comme
chef de TÉglise, il pouvait édifier par des sentiments plus pieux
que ceux qu'il a témoignés, ses confesseurs ayant été les plus
surpris du monde de voir la confiance qu'il avait sur le mérite
de toutes ses bonnes actions, ayant paru qu'il allait demander
justice à Dieu, mais point de grâce. Ihie s'est pas souvenu de
fûirp rien dire aux ambassadeurs (1), et, par cette conduite,
je ne sais pas si Votre Majesté n'a point fait de tort aux autres
couronnes, ou si, comme souvent il faisait des vertus à sa
*
mode, il a cru ne pouvoir témoigner un plus grand mépris du
monde qu'en ne voulant pas songer à tout ce qui en fait l'hon-
neur et Téclat. Lorsque ses confortateurs, un peu plus hardis
à lui parler, dans le commencement de son agonie qui pouvait
affaiblir sa fierté, le mirent sur le gouvernement général de
l'Église, il leur dit que ses intentions avaient toujours été
droites, et qu'il mourait content, parce qu'il avait été assez
heureux pour faire la canonisation de saint François de Sales,
ayant toujours réglé ses actions sur le modèle de sa vie. Par
ses dernières parole», Votre Majesté me dispensera d'entrer
dans tout le détail de sa mort. L'envie, qu'a toujours eue Sa
Sainteté, de produire au dehors ses belles conceptions la fit
résoudre de voir encore une fois le sacré collège, qu'elle fit
intimer pour le 20 de ce mois à sept heures du matin ; et,
lorsque MM. les cardinaux furent tous arrivés, M. le cardinal
Chigi leur fit quelques excuses s'ils ne pouvaient voirie pape,
Sa Sainteté s'étant trouvée plus mal, ayant empiré considéra-
blement jusques au soir;et comme c'est la coutume que les car-
dinaux de la faction, et d'autres même, vont dans Tanticham-
bre, beaucoup s'y trouvèrent le 2i , plus pour se parler que pour
la considération de la casa (2}, entre lesquels ayant été MM. les
cardinaux d'Esté et de Retz, on les introduisit dans la chambre
du pape qu'ils virent entrant dans l'agonie et n'ayant pas assez
de connaissance pour leur donner la bénédiction, ou assez de
force, ne voulant pas dire de volonté; et, son mal ayant tou-
jours augmenté, il est mort sans avoir été regretté et, pour
^out dire en un mot, comme il a vécu. »
(M U aurait dû charger le duc de Chaulnesde demander pardoo à Louis XIV!
i^) De la fàmUle Chigi.
170 CHAPITRE QUINZIÈME
Dans une lettre à Lionne, le duc de Chaulnes doi
plus libre cours à ses bons sentiments : « Je ne sais con
lui dit-il, vous annoncer le funeste sujet du voyage de co
sachant à quel point vous sera semible la nouvelle de h
du pape, arrivée hier au soir. Cependant connaissant
autre côté, la force de votre esprit, je crois pouvoir,
autre précaution, vous dire qu'il a fini le cours gl
de sa belle vie comme il Tavait commencé, non p
Alexandre VII, mais en Alexandre le conquérant,
point d'abord appréhendé la mort, parce qu'il ne croyf
qu'elle eût aucun pouvoir sur lui, et, jusques au d
jour, il a espéré quelque miracle pour le remettre si
trône. »
Alexandre YII était mort le 22 mai^ à 22 heures se
style italien (i), c'est-à-dire à 6 heures du soir, suivant
manière de compter. L*ambassadeur français voulut
croire que la dépouille mortelle d'Alexandre VII n'ava
été traitée avec respect, et qu'on l'aurait enlevée de S
Cavalio, comme à la dérobée, pendant la nuit, sous la p
tîon inaccoutumée d'une escorte militaire, qui n'aura
même empoché qu'un des gardes suisses fût blessé p
attroupement hostile : « Il fut porté hier à minuit à J
Pierre, dit-il, dans une litière découverte, hors un petil
La pompe de cette cérémonie fut médiocre, sa marche n
été éclairée que de trente flambeaux. Son escorte était sa
pagnie de Suisses et ses deux de lanciers et cuirassiers,
tablement Tépée à la main, et Tarrière-garde était sou
de sept pièces de canon, traînées chacune sans beauco
peine par deux chevaux (2). » L*abbé de Machaut ajoi
« Ce courrier peut raconter le misérable appareil avec I
on a porté le pape ce soir à 6 heures de nuit à Saint-P
Sans mentir, cela fait compassion et est capable de fain
de grandes réflexions là-dessus. Être ouvert aussitôt qu
mort, et, quatre heures après, être porté à Saint-Pierre,
(l) u 11 iiiaio : 1 ore 3 q. 24 maio : 8 ore. L'Ave Maria, seconda ro
iittliaiio, è seiupre aile ore 24. — Tabella pei suoao deU* Ave Maria, a
medio astrouomico. » (Diario romano.)
2) A Lioime, 23 mai. Home, 183.
MORT D*ALEXANDRË vn I7i
semble que cela est brusque (i) ... » — La vérité est qu'il ne
s'était rien passé que de strictement conforme aune coutume
antérieurement établie et qui s*est maintenue sous les pontifi-
cats suivants. Les obsèques solennelles ne pouvant être célé-
brées qu*au Vatican et à Saint-Pierre, le transport du cadavre à
la chapelle Sixtine, quand le pape est mort au Quirinal, a un
caractère privé (2). On le diffère aujourd'hui jusqu*à la soirée
du troisième jour : au xvii® siècle, il se faisait le soir même du
décès (3). Dès que la mort avait été constatée par le cardinal An-
toine Barberini, camerlingue. On avait procédé à Tembaume-
ment ; puis, sous les yeux d'une foule respectueuse, s'était formé
le cortège qui devait accompagner le corps jusqu'au Vatican.
L'ordre dans lequel on rangea Tescorte militaire prouve que
Ton ne supposait même pas que la sécurité du convoi pût être
mise en péril, et il n'y avait que le nombre de troupes réglé
par un ancien usage et suffisant pour la dignité de la cérémo-
nie. U n y avait devant la litière pontificale traînée par deux
mules conduites à la main, que deux chevau -légers en ca-
saque, deux soldats de la garde suisse, et le fnatlre des céré-
monies Servatio monté sur une mule. Autour et à la suite du
corps, marchaient en longues files (ordiue longo) les péniten-
ciers de Saint-Pierre, en manteau, portant des cierges et ré-
citant des prières, des parafrenieri By^o, des torches allumées,
et des Suisses. La marche était fermée par d'autres Suisses à
pied, conduisant sept pièces de canon attelées, des chevau-
légers et une compagnie de cuirassiers créée par le feu pape.
On suivit une route bien connue, la strada papale^ à travers
les quartiers populeux, et Servatio, dont la fonction était de
noter tous les incidents (4), ne trouva rien à signaler que Taf-
fluence extraordinaire des curieux de toute condition dans
les rues et aux fenêtres (5).
(1) A LioQue, 22-23 mai. Hovie^ 183.
(2) Privaio. (Dizionario di Moroui, l. VIU, p. 186.)
(3) Ibid. et les registres ci-après cités des matlres de cérémonies.
(4) <« ...Tautus fuit coucursus per totam viam et in fenestris ut ego non
pvam admiratussim houiiuum etiam nobilioruui curiositateni, cum in feues-
tris, ut pluriniiim viderentur, utriusque sexus stragiilis alii cooperli, alii fere
nndiabeadeui curiositiite alcctis, quibusjam se dederant dormituri, ad feues-
trattocati... ». (Arcb. Vatic, Seroantii Diaria, 1665 À 1668-81.)
(5) Innoceut X était mort aussi à Moute-Cavailo, le 7 jauvier 1653, vers
172 CHAPITRE QUINZIÈME
On s'était empressé d'écrire de Farnèse à la cour de FraDce :
« Un est pas concevable la joie qui paraît déjà dans Rome: »>
quatorze heures trois quarts, ou huit heures du matin. Aussitôt après la re-
connaissaiic«^ de sod identité par le cardinal Antoine Barberini, qui était déjà
camerlingue, son corps fut embaumé {de more, dit le registre de Senratio).
et disposé sur une iitière portée h la chapelle Sixtine, et cest par respeet
pour l'usage que Ton attendit la tombée de la nuit, sans vouloir uéanmoiD$,
malgré le mauvais temps, remettre jusqu'au lendemain. En effet un om^e
épouvantable, qui commença lorsque le convoi sortait du Quirinal, atteignit
sa plus grande fureur au moment où Ton arrivait prope Pasquinujn (à côté
de la place Navone) a. On s'était mis en marche à deux heures après l'Are
Maria, hord secundd noclis puisatd^ c'est-à-dire sept heures du soir, et il eo
était huit lorsque l'on franchit la grande porte du Vatican. Sauf quelques pré-
cautions prises contre la tempête, l'ordre du convoi était ce qu*Ll sera en 1667.
On paraît s'être demandé si Ton exposerait à l'orage les canons et lears cais-
sons, et l'on en prit qnatre au lieu de ftept^ qui est le nombre usité jusqu'à
nos jours h : « Milites helvetii, dit Servatio. secum conducere voluerunt
ahsque retnedio quatuor carros cum tormentis feneiset capsam munitiouum... ■
Mais, comme en 1667, le corps du pontife est porté dans sa litière, précédé
seulement de quelques cavaliers d'avant-garde, et suivi des pénitenciers de
Saint-Pierre, des parafrenieri, des Suisses et des chevau-légers.
Les deux successeurs immédiats d'Alexandre Vil moururent comme lui au
palais du Quirinal. Le premier. Clément IX, expira le 9 décembre 1669, au
point du jour. Dès que la nuit fut arrivée, son corps fut porté à la chapelle
Sixtine, et nous retrouvons le même cortège : deux chevau-légers; deux
Suisses formant avant-garde ; le maître des cérémonies Bona précédant la li-
tière pontiflcale, qui est entourée des pénitenciers, des parafrenieri avec cier-
ges et flambeaux; les gardes suisses, et d'autres Suisses conduisant sept
pièces de canons sur leurs affûts attelés, les chevau-légers et les cuirassiers
de la garde c. — Le pape Clément X rendit le dernier soupir, le 22 juillet
a. *> Exeunte porta palatii, cœpit a cielo radcro pluvia. et ideo, mîhi ipse consulcus, ab equo
dcscendi et in curru cum H* D* Mcrislû palatiuni potii Vaticanum... Accedente corpore prop<
Pa^quinom, ca'lum cœpit itcrum plucrc, tonnrc et fulgurarc, et pluvia fuit ita impetuon nt
omuibus torrorcni intulerit, et duravit donec corpus pontem et arcem Sancti Augeli traofierit. *
(Arch. Valic, Scrvanlii iHaria, lfJ52 à 16fi5-77.)
b, Dizionario de Mnroni, t. VIII, p. 186 et ». c Si chiude il ronTOglio funèbre ... col tnoo
d'artiglierie, composlo di sette pezzi di caunoui. b Y. Artaud, ffistoire du pape Pie V7/, éd.
1839, III, i89 : Pie VU meurt le âO à Monte Cavallo; il est tran5porté au Vatican Je troi«i^e
jour, le ii^ à neuf heures du matin : c'c»i évidemment une faute d'impression, car plus bas l'au-
teur parle des torches portées par Icj^ scrTitetirs et ne répai dant qu'une lumière insuffisaïUt-
Artaud ajoute : <> i^'ept pi{>c«'H d'artillerie, avec Icur^ cai^sons, étaient trainées à la suite <-, ^
fait une réllexiou qui rappelle la di'pêchc du duc de Cbaulnes : « C'est au bruit d'une mosiqo^
guerrière, et dans un appareil qui paraissait annoncer les funérailles d'un général d'aro^
plutôt que celles d'un souverain pontife, que Pie VII entra dans le temple; mais tel eut Cutagt*
— Moroni dit bien forniellement, comme le^ autres historiens et comme a touIu dire Artawlt
que le transport de Montc-Cayallo au Vatican eut lieu nella tera del i2 : t. IV, p. 170, t* co-
lonne.
a*
e. « Milites hehetii, sub eorum ductorilms, sequebantur corpus pap». Alli milites hehet*^
deducentes tormenta bellica numéro xeptem ab equis super curriculos raptata ex cito génère qoo*'
vocant artiglierie, et deindc equitei» levis armaturap et alii quos vocant le coraze, quv iant à^
cttvtodiâ corpons pontiGcii. «> (Arch. Vatic., Senrantii Diana, 16M-xii.)
MORT D* ALEXANDRE Vit 173
et Ton se flattait d'annoncer bientôt une émeute contre la fa-
mille Chigi : « Hanno sporcato (1) qiiesta notte^ dit-on, le case
di don Mario e tirato passi aile fenestre del palazzo del cardi-
nale. Si sentiranno délie belle cose contro qiiesti signori : è una
gran bestia cfi ilpopolo di Roma infuriato! » L'ambassadeur
français complaît assez d'avenluriers et de malfaiteurs dans
son quartier pour prédire à coup sur quelques désordres,
plus graves même que des cailloux lancés dans les fenêtres
du cardinal Chigi et des fioles d'encre noire cassées sur les
murs du logis de don Mario ! L'anecdote, fùt-elle vraie, et il n^y
en a aucun indice sérieux, établirait seulement que l'insulteur,
en choisissant la nuit, quesia notte, ne comptait pas trouver
d'approbation ailleurs qu'au palais Farnèse. Ces prophéties
tournèrent à la confusion des agents français, qui changèrent
bientôt de langage (2). Dès le premier jour, Tabbé de Machaut,
n'ayant pas pris le temps de se concerter avec M. de Chaulnes,
démentait la nouvelle donnée par l'ambassadeur que le pape
ne laissait pas de regrets : « Les cardinaux même les plus
maltraités, disait-il, ont rendu des devoirs au pape mourant
qui ne s'étaient jamais pratiqués. » Les démonstrations étaient
1^6, à dix-sept heures, c'est-à-dire entre dix et onze heures du matin. Trois
heures après, horâ vigesimâ^ ou achevait les apprêts accoutumés, et, un peu
ploà d'uue heure après l'Ave Maria, post pulsalam primam noclis horam^ en
d'autres termes à ueuf heures du soir, le convoi sortait de Moate-Cavallo,
« dans le même ordre, dit le diarista^ et suivant le même chemin décrits dans
le même journal, à la date du 9 décembre 1669, après la mort du pape Clé-
meot 1\, avec cette seule différence que M^'' Mattei, préfet du palais aposto-
lique, venait eu carrosse immédiatement après la litière pontificale et avant
W chevau -légers rf.
i. « Po9t pulsatam voro primam noctis horam dlsce^^um a palatio Qiiirînali et cadavor de-
^ti pootificLf lecUciî TOi'tum fuit ad palatium apostolicum Vaticanum eodem ordioo et per
Moidein Wain jaxta ou qua; descripsi de anno 166U 8ub die 0 decembris in obitu Mocta; roe-
»on« démentis papa* IX, hoc tamen adjecto quod Re?. D. Matthaeus, prsrectus sancti palatii
tposlolici, carru >ectus immédiate scquebatur lecticam ante milites equitos levis armalura;. »
lArrb. Vat., Diaria di Bona, 1670.)
•1) Sporcai'€j salir. C'est bien vague : une lettre postérieure parle de
■plusieurs bouteilles dVncre jetées coulre les murailles delà maison de don
Mirio, ce qui esl ici la plua ffrande marque d'infamie dont Von peut noircir la
^^putation d'une maison! » (Chaulnes au roi, 4 juin 1667. Rome^ 184.)
-) Chaulnes au roi et à Lionne, 23 mai. Rome^ 183; — 4 et 7 juin. Rome^
184. — Machaut à Lionne, 22, 23, 26 mai. — Retz et Bourlemont au même,
3i nui. Rome, 183.
[
171 CnAriTRF. OUlNZTfcME
si tVlatantOvH et si unanimos qiio \o parti du roi n'osa p»a> >ii{!
ttMur «i*v prtMulro part. Mâchant dit encore : <( M. Tamb^s!^
«tour, do qui les démarche* ont toujours été fort juste* eifv
saires, proposa, d^s lo samedi matin, à MM. les cardinaiix<l
la faction d y aller les premiers. Parmi eux, MM. lescardinao
d*Ksle et de Retz s'y sont fait remarquer par leur honnèteu
et. comme ils devaient y avoir plus de répugnance que U
autres, il semble que leur mérite en est plus grand. Lecard
nal Antoine n*a pu s'emptVher d'avoir des égards pour lecai
dinal Ohici qni^ tous oesjour?-ci que le pape a été à l'agonie
Ta fait prier de ne j^^s fain* sonner la o.tmpanaccia la notte..»
Le depii dos Français alla orvnssanl chaque jour. Machau
écrit le ;h'^ mai : . . Il iMrait une grande inquiétude pendao
le s^^ie NAcant. c: îe duc 'c Ohauines ne se console pasdi
naxvMr 3^ raov^aior i;::e sa f.îblo des îv.^uteilles d'encre : « Loi
at;endan de vvs vvmmeaoemer.:*. di:-iU des suites proportion
we^^s dans -e ^^.^urs vies A?A:res. aijùs elles se sont trouvée*
Meu vvn:ra;r\*s à *a vrji:sz''v.blxa:e c: i toutes les opinions, r
l.o v^Ar\l-na. .:,' R;**j, c,:: am:: vru voir le peuple éclater ec
turvur .v:*.r^ .a :iti'::v.rv i V.t^xa:^!^ VU et poursuivre se!
ivAr\*:*,s .'.a-'s .;'< --«fs^ ;s: ;>.^v iiv.vi-er sa déception:
A . Icsj. i;-^ s,; ^Av:.>^ ivr :-: , : -t' ":* c^:'Hr *ans^xc^pt'm
f - Yije I V» *x / ■ ^ 'H. • ^-'^i :.r-"C-> /f 'xwwV.V ^f pnpenei
/ . M, .s -. i \;v> r-::rfr':\: i^r ,1 •A:ueai«»a: que noui
v'/* *.',*> ixr,v xvi r*4x> :•:: . •- •-' :-TfTOC,e Kir la passion. *
l ». • • ,-.•, «v. ii ^vTri-v ^.v^c-f-fr .1 -.'o^r de la familh
^V^ i i-; . -* .-tA-Cwi. 1-7 7^ in i^'^ ch-?:. Mais 1«
,\ '* 't \ r- A^i.«r. M Tt f ifa«;cvfjL*.?îxi*f«; îe cardinal-
>itv^ - -1 . ^ .i>,t. ,>*•. njuv t-^:i»? m ur i totos* le*
m
MORT d' ALEXANDRE Vil 175
matières qui se sont traitées aux Congrégations préli-
minaires du conclave où le cardinal Chigi a pris intérêt, tant
pour soi que pour la mémoire de so?i oncle^ le plus grand
nombre de toutes les factions s'est empressé do lui rendre
office, et de faire passer les choses ainsi qu'il a désiré...
Cela donne dedans les yeux à bien du monde et fait dis-
courir comme si le cardinal Chigi devait se rendre Tarbitre
du conclave; mais les plus avisés » pensent que ces dé-
monstrations ne dureront pas. Cela dura, et le duc de
Chaulnes tient le même langage : « Don Mario a été con-
firmé dans son emploi, ainsi que le prieur Bichi, tout d'une
voix; et, lorsque le cardinal Chigi a souhaité quelque chose
dans les Congrégations, ayant fait tourner d'un clin d'œil
toute sa faction, ceux qui ont vu ici plusieurs changements de
pontificat ont été surpris d'avoir vu les cardinaux neveux
d'Urbain arrêtés par ses créatures dans les premières démar-
ches, après les avoir comblés de grAces, et de voir le cardinal
Chigi suivi dans tous ses desseins sans qu'il ait le moindre
dég[OÙt, dajii^ le peu de satisfaction quil a donné à toutes les
créatures de son oncle,., » Un incident, cité par l'ambassadeur
lui-même, montre combien le sacré collège approuvait la con-
duite du feu pape envers la France. Le cardinal Orsino avait,
comme prolecteur de Pologne, apporté à ses collègues une
lettre du roi Jean-Casimir qui. à l'instigation de Louis XIV,
se plaignait que le Français, M. de Bonsy, n'eût pas été com-
pris dans la dernière promotion : les cardinaux chargèrent l'un
d'entre eux, Pallavicino, l'ami du feu pape, de préparer une
réponse vigoureuse, et ce fut le cardinal Chigi qui modérateur
mécontentement. Le duc de Chaulnes écrivit encore : « La
conduite dece cardinal, ou lobonhcur qu'il aest surprenant ; sa
faction est dans une tranquillité incroyable, et pas un cardinal
ne se démont. » On verra se perpétuer, sous le pontificat sui-
nnl, la même vénération pour la mémoire de Fabio Chigi, la
même fidélité à ses inspirations, le même attachement pour sa
famille.
11 s'en fallut do quelques jours seulement qu'Alexandre VII,
avant de fermer les yeux, ne reçût do la France une nouvelle
^t grande affliction; mais il ne devait pas lire la lettre du
176 CHAPITRE QllNZIÈMK
m mai (1), par laquelle Louis XIV lui annonçait rouveriure
de la guerre dite des Droits de la reine, el son prochain départ
pour la campagne de Flandre. Les craintes qu'avait éprouvées
l'ancien médiateur de Munster se réalisaient : les Français
déchiraient le traité des Pyrénées et rendaient à jamais impos-
sible celle ligue européenne contre les Turcs, poursuivie avec
un si grand zèle par Alexandre VIL Et quelles raisons don-
naient-ils pour prendre les armes? Personne, en Europe ni en
France, ne croyait aux droits de la reine, et, quand Louis XIY
s'était déjà jeté, sans déclaration de guerre, sur les provinces
de Charles II, son neveu, il prenait Tunivers à témoin que Ten-
f an t-roi était son agresseur et son spoliateur! Cette odieuse
entreprise avait été conseillée par le même ministre qui diri-
geait les rapports de la France avec le saint-siège, et Lionne
se vantait au duc de Chaulnes de ses manœuvres machiavé-
liques : « Vous trouverez, je m'assure, lui disait-il (2), qu'on
a donné un assez bon tour à l'affaire d'Espagne pour se dé-
charger de quelque blâme de déclarer la guerre à un pupille;
cela pourra fort embarrasser tous les conseils d'Espagne dans
la délibération qu'ils feront, de quelle manière ils auront à se
conduire, ou à continuer à vivre en paix en se tirant de bons
coups de canon, ou à nous déclarer eux-mêmes la guerre ; car,
par les instructions que j'envoie à M. l'archevêque d'Embrun,
il a ordre de demeurer ou de se retirer sitôt que la reine d'Es-
pagne lui témoignera désirer l'un ou l'autre... En échange
(1) «« ... Je vous renvoie votre courrier eu toute diligence pour vous faire
savoir la résolution que j'ai prise d'entrer en personne à la fin de ce mois
dans les Pays-Bas a la tête de mon armée, pour tâcher de me mettre en pos-
session des pays et places qui m'appartiennent du chef de la reine, après que
l'on m'a refusé à Madrid non seulement de me faire raison, mais même de
vouloir se laisser informer de mes droits. Si S. S. a vécu jusqu'à rarrivéc
dudit courrier et que vous puissiez la voir, mon intention est que vous lui
présentiez la lettre que je lui écris sur ce sujet, une copie de celle que j'ai écrite
le 8 de ce mois à la reine d'Espagne et un exemplaire du manifeste que j'ai
fait publier pour faire connaître à toute la chrétienté les fondements et l'évi-
dence de mes droits. Si Dieu avait appelé à soi S. S., vous présenterez la même
lettre et les mômes pièces au sacré collège... départirai demain de ce château
pour aller à Amiens, d'où je sortirai le 26 de ce mois pour entrer dans lei
Pays-Bas, où j'espère que Dieu donnera ses bénédictions à la justice de©»
cause... » (Le roi à Chaulnes, 13 mai 166T. Romey 183.)
(2) 6 mai. Rome, 183.
MORT d'aLEX ANDRE VU 177
des brefs que vous nous avez envoyés pour attaquer des évé-
qoes (1), nous vous renvoyons, par votre môme courrier, des
manifestes et déclarations sur lesquelles nous prétendons at-
taquer les Espagnols pour leur faire souscrire notre droit, ou
pour les déposséder des bénéfices qu'ils nous usurpent. Avouez-
moi, Monsieur, que les mains vous démangeront furieusement
quand vous apprendrez qu'avant la fin de ce mois, le roi sera à
la campagne et commencera à faire entendre ses raisons par
la bouche de ses canons. . . Je ne sais pas ce que Dieu nous garde ,
mais les préparatifs sont beaux et la consternation est grande
chez nospariies. Voilà parler juste, car ceci est un procès et non
pas une guerre, si ce n'est que nos adversaires se trouvent plus
braves que nous et qu'ils veuillent être les premiers à rompre
la paix. Je ne vous dirai pas là-dessus comme un prédicateur
de l'abbé Buti : Signori^ non è pensier miOy è di Cirillo ilsanto.
Au contraire, je vous dirai : che c stato pensier mio di non
far guerra al pupillo ed alla vedoa^ et je crois que les conseils
d'Espagne seront plus embarrassés de leur contenance et sur
la résolution qu'ils devront prendre que si on avait rompu
contre eux de tout côté et défendu tout commerce... (2). »
Ainsi s'ouvrait la série de ces guerres d'ambition et de con-
quête, trop applaudies par la nation, qui provoquèrent plu-
sieurs coalitions européennes et furent suivies de si terribles
revers. Ce n'était pas être l'ennemi de la France que de ne pas
favoriser de pareils desseins, et cependant ce fut la cause
unique de la haine implacable vouée au pape Alexandre VU
par Mazarin et ses continuateurs !
(1) AUnsioD aux brefs demandés pour faire le procès aux quatre ëvèqucs
jansénistes .
(2) 6 et 15 mai. liome^ 18'J. — Et pour bien montrer que Louis XIV avait
pour seules pensôesd*attirer sur lui-même les bénédictions de Dieu et de défendre
les droits de la reine. Lionne ajoutait dans la môme lettre : « Nous avons ici
une nouvelle duchesse et une princi^sse reconnue ûlle du roi, S. M. ayant
acheté 750,000 francs la terre de Vaujour qu'il a jointe à celle de la Vallière, et
l'a érigée en duché-femelle pour M"« de la VuUière, à condition qu'elle pas-
sera à une fille de S. M. et d'elle qui n'a encore que huit mois : le tout fut
enregistré hier au Parlement. ><
LOUIS XIV KT LE SAINT-SIÂOB. — H. 12
LIVRE II
PONTIFICAT DE CLÉMENT IX
20 juin 1667 ~ 9 décembre 1669
CHAPITRE PREMIER
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX : JUIN 1667
libtnictionï de Louis XIV au duc de Chaulnos pour le conclave. Sa mod(^ration apparente, dé-
BKolif par les faits. 11 reconnaît que V exclusion nVst pas un droit; qu'elle est une .simple
prétention, qui peut commettre la dignité de la couronne; mais il voue d'avance son inimitié
^ toat pape dont Télection ne datlera pas son orgueil. Il pose en principe que le roi de France
»*s pu besoin du pape, mais bien le pape, du roi de France. — Déclamations de Louis XIV
<^*Atre le népotisme dans l'espoir de flatter la faction pr«''pondérante des Indépendants. Flan
<<•' campagne du duc de Chaulncs ; il se proposa de n'employer que dent moyens pour réns-
^ : mentir et corrompre. Aboiementt répétés des ficnsioniiairos du roi. — Dès le premier
i^ les Cactions Rarbcrini, Pamphili et Chigi acceptent la direction des Indépendants, qui
ont deui principaux objets en vue : 1* prolonger le moins possible la vacance, au moment
<Hi la France vient de recommencer la guerre ; 2* choisir un pape qui approuve les actes
<i Alexandre Vil et continue sa pulitiqne. — Le conclave est fermé le i juin. La pratique de
nMpigliofti commence le 7, et il est élu le iO, sans qu'uu autre nom lui ait été sérieusement
^Ppoaé. — I/e duc de Cbaulnes attribue l'élection à sa seule habileté : le roi a fait le pape
^^'nuûè il fait le prêtât des marchands. Louis XIV fait voler les dépêches de l'ambassadeur
*fE<pagne, et apprend que ce ministre et le sien ont suivi seulement l'impulsion des cardi-
1^1 Auolino et Cliigi. Mécontentement rècipnxfuo du roi, de Tumbassadeur et do la fac-
tiOD française. Juste discrédit où était tombée celte faction : les cardinaux Antoine Barbe-
ribi, Maidalcbini, d'Esté, Orsino, de Vendôme. — L'élecliou de Clément IX conserve aux In-
dépcBdtnta l'influence qu'ils exercent depuis le pontificat d'Innocent X.
Iln'y avait pas eu d'élection pontificale depuis que Louis XIV
exerçait seul le pouvoir; mais un an à peine après la mort de
Ihzarin, il avait indiqué, dans ses instructions au duc de Gré-
180 CHAPITRE PREMIER
quy (1), les règles de la conduite qu'il prétendait suivre lorsque
le saint-siège deviendrait vacant. Il avait une conception exacte
du rôle discret qui appartient, dans cette rencontre, à un prince
catholique, et il se rappelait que Tambition et les rancunes
personnelles du feu cardinal avaient exposé la couronne à
d'humiliants échecs dans deux conclaves. Mais l'orgueil da
jeune roi troublait la rectitude de son jugement, et, sous l'em-
pire de la jalousie qu'on lui avait inspirée contre la chaire
pontificale, il mêlait toujours quelque mépris aux hommages
qu'il ne pouvait lui refuser. A plus de quatre ans d'intervalle,
les ordres donnés au duc de Chaulnes (2) furent presque lit-
téralement copiés sur ceux qu'avait reçus le précédent ambas
sadeur. Lionne écrivait : « Le roi, après une mûre délibéra-
tion, et se souvenant surtout de ce qui s'est passé aux deu:
derniers conclaves, a pris la résolution cette fois-ci de ne fain
l'exclusion formelle et ouverte à aucun cardinal que le plui
grand nombre des autres cardinaux veuille exalter; et ains
Sa Majesté ne charge point ledit sieur duc ni les cardinau:
de sa faction de se déclarer contre l'avancement de qui que c<
soit, ni de Tempècher formellement en son nom... » Quels son
les motifs de cette résolution? 1® « En premier lieu, ce parties
bien plus sûr pour la conscience du roi qui, dans un si gran(
éloignement, ne peut assez savoir à fond les bonnes ou mau
vaiscs qualités d'un cardinal pourjuger s'il est digne ou indigni
de régir l'Église de Dieu; et, comme pieusement Sa Majest
en doit croire capables tous ceux que les deux tiers du coUèg
en estiment dignes^... il est donc plus sûr de ne pas décide
une chose de ce tte importance de si loin, et comme à yeux clos, e
d'en laisser toute la conduite au Saint-Esprit, se conformant
la providence divine qui sait mieux que nous ce qu'il nous faut
et si la chrétienté, pour son plus grand bien, a besoin de grâce
ou de châtiment. » 2° a II y a môme plus de hauteur, de réputa
tion et de dignité pour le roi d'en user de cette sorte, Sa Ma
jesté n'étant pas. Dieu merci, dans la même nécessité qu*on
la plupart des autres princes et rois qui souffrent dans leurs in
(1) Inslructious « ca cas de conclave », 13 avril 1662. HaDotauz, Recueil de
instructions aua: ainba$sadeurs^ vol. VI, Rome^ t. I, p. 123-133.
(2) 10 mai 1066. Ibid., p. 214-225.
LB CONCLAVE DE CLÉMENT IX 181
térêts des préjudices extrêmes, quand ils n'ont pas la cour do
Rome favorable. La France peut beaucoup mieux se passer
de cette faveur que les papes eux-mêmes ne peuvent tenir pour
indifférents (1) Taffection et le respect du roi et de son royaume,
lequel, en tout temps, mais particulièrement en celui-ci, est sans
contredit le pôle principal sur lequel roulent tous les intérêts do
la chrétienté et de tous les princes. » Innocent X n'a fait de mal
qu'à lui-même; son pontificat a été « malheureux, sans gloire,
plein d'épines et de transes... A plus forte raison, en l'état de
gloire où sont aujourd'hui les affaires de Sa Majesté, on peut
juger si elle a si grand intérêt à avoir un pape plutôt qu'un
aulre, qu'elle doive compromettre sa réputation en hasardant
de voir élever quelque sujet contre sa volonté déclarée. »
3* « Et c'est ici la troisième considération qui doit encore obli-
ger Sa Majesté à y procéder avec grande circonspection et
retenue, pour ne pas s'exposer aux mi^mes inconvénients qui
lui arrivèrent pendant sa minorité, au conclave dudit Inno-
cent X, où Ton porta au pontificat le seul sujet qu'elle avait
déclaré d'en vouloir exclure. Il est certain que, si les choses
passaient par la raison, les cardinaux devraient bien se gar-
der de jamais élire pour pape un sujet qui serait formellement
exclu par un roi de France, ni même par celui d'Espagne,
pour les grands maux qui pourraient arriver k la religion si
Tune ou l'autre n'acquiesçait pas à l'élection; mais... il est
évident qu'en de pareilles occurrences les deux tiers du col-
lège ne considèrent que leur propre intérêt ou leur passion
particulière de favoriser celui de qui ils attendent plus do
bien, sans avoir le moindre égard à l'inclusion ou à l'exclu-
sion d'un roi, ni se donner aucun soin de ce qui arrivera dans
les affaires du monde quand ils feront une élection qui ne lui
soit pas agréable. C'est pourquoi Sa Majesté, joignant tous ces
motifs ensemble,... » veut seulement que l'élection se fasse
« avec réputation et dignité de cette couronne, et que la fac
lion française y ait la part qu'elle y doit avoir. » — Le roi ne
veut pas « violenter par des moyens illicites les suffrages du
sacré collège, » mais «protéger sa liberté ». — Cette modération
(1) Variante qui se trouve (laDs les instructioDS de M. de Chau1nes(MiV/., p. 219).
182 CHAPITRE PREMIER
de langage, déjà si rare chez Louis XIV, ne lui est pas inspirée
par la faiblesse de sa faction; il résulte, au contraire, des ins-
tructions données au duc de Créquy que les plaintes du roi
contre Ja prétendue partialité du sacré collège ue sont pas sé-
rieuses. Il avoue que jamais, depuis cent ans, le parti français
n*aura été aussi nombreux qu*il le sera au prochain conclave:
on y compte déjà sept cardinaux (i) et il en aura huit, si le
duc de Mercœur est nommé^ comme il le fut en effet : « Celui
de la maison d'Autriche ne les surpassera pas en nombre, les
Napolitains et Milanais n'ayant pas accoutumé de s*y joindre,
mais de suivre le chef à qui ils ont obligation de leur cardi-
nalat. »
Louis XIV, qui reproche si volontiers aux autres princes den
régler leur conduite que sur leurs intérêts ou sur leurs passions:
déclarait ne redouter qu'un choix, celui du cardinal Françoi
Barberini, neveu d'Urbain VIII, que Mazarin avait autrefoi
protégé contre Innocent X, par haine contre ce dernier por
tife, et que les Français avaient ensuite abandonné parce qu
ce prélat refusait de servir leurs rancunes contre le sain
siège. Depuis la mort du cardinal Sacchetti, qui avait étéleu
candidat préféré en 1644 et en ifirjr;, ils mettaient, enpremièi
ligne, dans leurs inclusions, le cardinal Albizzi, «intime ami <
confident de feu M. le cardinal Mazarin, personnage de grand
érudition, fort habile et adroit à traiter les plus grandes a
faires, homme résolu, actif et hardi, de grande vigueur <
force d'esprit, qui a depuis bon nombre d'années témoigné u
zèle particulier pour tous les intérêts de cette couronne <
pour toutes les satisfactions et avantages de Sa Majesté. »
méritait cesu éloges, et il est juste d'ajouter que, malgré s(
liens avec la cour de France et la pension secrète (600 piî
tôles) qu'il en recevait exactement, il s*était toujours monti
l'inflexible adversaire des doctrines jansénistes et gallicane
Mais, il avait en sa personne une cause d'exclusion : il ava
été marié, et il lui restait plusieurs enfants. Si les déclamatioi
de Louis XIV et de ses ministres contre les parents du paj
avaient été sincères, Albizzi n'aurait pas même figuré sur I
(!) Antoine Barberini, Grimaldi, Orsiao, Este, Maidalcbini, Retz et Mancii
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX 183
liste de leurs candidats : mais sa situation particulière lui avait
précisément valu leur préférence, car ils étaient toujours prêts
à favoriser le népotisme dont ils espéraient profiter. Aussi,
dépêchèrent-ils de Paris à Rome un abbé Buti, ancien agent
de Mazarin, qu'ils imposèrent comme conclaviste à Tun des
cardinaux du parti français, avec la mission défavoriser, dans
le sacré collège, l'élection d'Albizzi : « Pour vous dire main-
tenant, écrivit Lionne au duc de Chaulnes (1), le véritable se-
cret de l'envoi de cet abbé, sans quoi on n'y aurait pas pensé,
c'est le cardinal Albizzi qui Ta désiré du roi, espérant qu'il
pourrait, dans un rencontre de lassitude du conclave, ména-
ger ses aiïaires avec les cardinaux de TEscadron, dont les
principaux arcs-boutants ont estime et affection pour lui.
Vous n^en témoignerez, s'il vous plaît, rien. »
Le second candidat de Louis XIV était Tancien secrétaire
d'État d'Alexandre VII, le cardinal Giulio Rospigliosi qui, en
i66i, on se le rappelle, avait eu la faiblesse de se laisser of-
frir l'appui de Louis XIV en vue d'une future élection. Averti
par les froideurs du pape qu'il lui devenait suspect, il avait
bientôt rompu la négociation et recouvré toute sa liberté. Le
roi nous apprend lui-même qu'il n'y avait d'engagement ni de
part ni d'autre, et les écrits les plus confidentiels attestent les
regrets sincères et la délicatesse du cardinal (2). Six ans s'é-
(1) 6 mai 1667. Romey 183.
(2) Oq a lu plus haut (chap. vu du livre !«<'), la lettre de Louis XI V (17 oc-
tobre 1661) au cardioal Antoine Barberini, destinée à rester entre les mains
de Rospigliosi jusqu'à la mort du pape, et ordonnant à la faction française
de voter pour ce cardinal. Il est difficile de savoir exactement jusqu'où Ros-
pigliosi s'était avancé. L'intermédiaire dont se servaient ce prélat et la cour
de France était Atto Melani, dont nous avons déjà parlé, originaire de Pistoie
comme le cardinal, admis dans sa familiarité à titre de compatriote et de
musicien habile, espion et pensionnaire de Mazariu, de Foucquet et du roi,
prenant de toutes mains et trahissant tout le monde. Ce misérable exagérait
les complaisances du cardinal, qui renvoya bient(H à Louis XIV la lettre du
17 octobre 166t. Le 19 septembre précédent, Melani écrivait à Lionne une
lettre qui fut déchiffrée par le ministre lui-même, et dont voici quelques pas-
sages : « Il (Rospigliosi) a été très aise de voir que vous ne vous soyez servi
d^autrc secrétaire que de vous-même et a reçu cela pour une marque de votre
affection envers lui et de la sincérité avec laquelle le roi veut procurer son
élévation. U ne saurait assez vous exprimer les obligations qu'il vous a de tous
les offices que vous lui rendez auprès de S. M., et, quoiqu'il m'ait répliqué ce
qu'il me dit l'autre fois qu'il y a ici cinquante cardinaux plus habiles et plus
184 CHAPITRE PREMIER
taient écoulés depuis cet événement : Rospigliosi avait recon-
quis la confiance d'Alexandre VII; il était aimé et respecté de
propres de lui pour celûf néanmoiDs que, comme il est du nombre de ceux
qai doiveut être élus à cettn dignitéi que, si jamais il y parvient, qu'il ne sera
pas ingrat à S. M. et à ceux qui l*ont favorisé, à moins que Dien ne lui ôte
l'esprit, et que ce soit un châtiment de Dieu pour les papes que cette dignité
fasse perdre le jugement!... 11 se serait donné volontiers l'honneur de re-
mercier S. M. et lui écrire en des termes qui servissent à S. M. de contrôle
de tout ce que je vous mande; mais les lettres courent ici trop de hasard et,
par cette raison, il vous écrira seulement en peu de mots les obligations qn'ii
vous a, et ce compliment s'adressera au roi, quoiqu'écrit à vous. » — U
3 octobre suivant, nouvelle lettre de Melani à Lionne qui en fait lui-mèiD(
l3 déchiffrement : » Pour ce qui est d'écrire une lettre au cardinal AntolDi
et que cette lettre ait à être remise entre les mains du cardinal Rospigliosi
pour la faire rendre seulement quand il sera question de faire le coup^ il
mieux songé depuis que, comme le cardinal Antoine lui a procuré loujouri
vivant môme le pape Urbain, tous les honneurs et avantages qu*il a eus, et qu
depuis il a continué toujours à lui témoigner toute l'amitié possible, il U
semble donc que ce serait lui faire un grand tort à le surprendre avec ladi
lettre et ne lui confier la chose que sur la fln, et plutAtque lui faire ce tort,
veut courir le risque d'être trompé par un ami. Il supplie donc le roi d'avo
la bonté de disposer les choses autrement de ce que vous m'avez mandé, ;
remettant pourtant à ce que S. M. jugera le meilleur, c'est-à dire que le r
écrivit de sa muin, afin que nul autre en eût connaissance, au cardinal A:
toine, par laquelle il mandat qu'étant assuré de se pouvoir promettre de
personne et de tous les parents de Rospigllosi, il souhaite son exaltation pr
férablcment à tous autres... » (Rome, 142.) — Le roi écrivît donc la lettre (
11 octobre, mais Rospigllosi la rendit aussitôt qu'il ont trouvé moyen de
faire rentrer sûrement daus les mains du roi. Le 10 juin 1662 il écrivit It
même à Lionne : « Non ho stimato bene d'inviare al signore Atto la letie
ben nota aV. E., per baver' io voluto aspettare occasione molto secnra, coc
l'ho havuta di présente, poiche sensa tal diligenza sarei restato con u
somma apprensione in avventurarla ai pericoli di potersi<*marrire. Laman
hora al suddito signore Atto, conservaudo nel più vivo del mio animo qi
sentimenti d' una iuimensa e perpétua gratitudine, che rechiedono le mie ii
pareggiabili obligationi. Non ho ardito di rappresentarli con una lettera
S. M., riputando che sia espressione di maggior venerenza verso le reali s
gratie un' ossequioso silentio. Supplico ,perô Vostra Eccellenza ad insinua
alla M. S. con ogni più devota espressioue del mio humilissimo ossequio c
persuader se medesima che a questo e a tanti altri favori che mi dériva
dalla singolare humanità sua, siconie bramo di poter corispondere col serv
air E. V. in qualunque occasione, cosi mi riconoscero fuor di modo favori
sempre che si compiacera di porgermene Topportunità col mezzo di suoi <
mandi. » (Home, 145.) — La table de ce volume, rédigée sons le règne mêi
de Louis XIV, rappelle que cette lettre fut érrite par le cardinal « en n
voyant la lettre du roi pour son exaltation. » — Chanteiauze prétend (\
Rospigliosi recevait une pension de Louis XIV : « Ce fait, dit-il (page 45
nous a été révélé par les Archives du Ministère des Affaires étrangères », m
sans renvoyer ni à un document, ni même à un volume particulier; je l
LE CONCLAVE DE CLÉBCBNT IX 185
ses collègues, et sa réputation de bienveillance et d'impartia-
lité attirait sur son nom les suffrages de toutes les couronnes.
Louis XIV, dans ses introductions, disait au duc de Chaulncs :
«C'est un sujet qui a joint aux sciences acquises et à une grande
littérature beaucoup de connaissance des affaires du monde, qui
est une des qualités les plus requises pour un bon pape, ayant
eu occasion de se rendre un des plus capables sujets du sacré
collège, tant pour les emplois qu^il a eus au dehors que depuis
son retour à Rome dans Texercice do sa charge ... Il s*est si bien
conduit en toutes rencontres envers Sa Majesté et lui adonné
de telles preuves et assurances de sa passion pour ses intérêts
qu'elle ne s'arrête point à cette considération [qu'il a été nonce
enEspagne] et lui souhaite toutes sortes d'avantages. Sa Majesté
avait, il y a quelques années, écrit une lettre de sa main à
M. le cardinal Antoine pour n'être ouverte que dans le con-
clave, par laquelle elle témoignait aux cardinaux de son parti
le désir qu'elle avait de l'exaltation de ce sujet, et avait fait
tenir ladite lettre au cardinal Rospigliosi même^ afin qu^il pût
la faire rendre dans la conjoncture qu'il jugerait la plus favo-
rable pour lui ; mais il en usa en fort homme de bien^ et, après
avoir fait témoigner au roi une parfaite reconnaissance de
cette obligation, il supplia Sa Majesté d'agréer qu'il renvoyât
ladite lettre, ne pouvant en conscience, à cause des censures,
avoir la moindre part à une pareille chose (1). » Après Albizzi
et Rospigliosi, le roi désignait comme ayant ses préférences,
les cardinaux Brancaccio, Ginetti, Famèse, Palotto, Carpe-
gîia, Ceisi, Litta et Maculano.
Depuis son arrivée à Rome, Chaulncs avait cherché à nouer
diverses négociations en vue du futur conclave. Croyant que
les Indépendants partageaient les préventions des Français
contre Alexandre VII et sa famille, il n'avait rien imaginé de
mieux, pour s'insinuer dans leur confiance, que de se présen-
ter comme l'adversaire inflexible du népotisme. Chargé d'of-
frir secrètement aux Chigi argent, bénéfices, provinces, prin-
cipautés^ s'ils voulaient se vendre à Louis XIV, et de soutenir
rien trouvé qui confirmât cette assertion. En revanche, la négociation secrète
de 1661-1662 a complètement échappé à cet écrivain, comme à loua les autres.
(1) 10 mai 1666. Recueil des instructions, p. 222.
186 CHAPITRE PREMIER
comme le plus digne de la papauté un cardinal qui avait de$
enfants, l'ambassadeur français avait affiché le rigorisme 1(
plus intraitable, et le roi lui adressa des dépèches ostensibles
auxquelles les Romains ne se laissèrent pas tromper: « J'ai ton
jours tant blâmé, disait Louis XIV, l'excessive autorité quelef
papes ont accoutumé de donnera leurs neveux, la dissipatioE
qu'ils font ordinairement du patrimoine de saint Pierre pour le?
combler de richesses avec un scandale qui donne de grands
avantages aux hérétiques, et l'anéantissement où ils jettent
tout le sacré collège, avec un très grand mépris de la dignité de
cardinaux qui sont néanmoins leurs conseillers naturels {{)
que, sans hésiter ni délibérer un moment sur les considération
très judicieuses que vous faites sur les qualités d'un nouvea
pape qui me serait ou favorable ou contraire, je désire qu
vous promettiez une haute assistance à mon nom et mon er
tier appui à ceux desdits cardinaux qui témoignent aujou:
d'hui assez de courage pour vouloir, dans l'occasion d'un coi
clave, tâcher d'apporter les remèdes convenables à de si granc
abus et désordres, diminuer le pouvoir du népotisme, donn<
des règles et do justes bornes à l'autorité temporelle des pape
et rétablir et affermir celle qui appartient de droit au saci
collège; car, encore que je sache assez que de pareils proje
demeurent ordinairement sans exécution dans la suite, ou pj
la faiblesse des cardinaux mêmes qui sont les premiers à voi
loir, pour des intérêts particuliers, gagner les bonnes grâc(
du palais par des flatteries et des bassesses à leur propre préji
dice, — ou par la grande autorité des papes qui joignent h
deux puissances et les font servir l'une à l'autre — et par
maxime qu'ils tiennent presque tous de n'olre point obligé
après leur exaltation, h tenir ce qu'ils ont promis dans un coi
clave, — il me sera toujours glorieux d'appuyer le parti de
raison et celui de la décharge de ma conscience et du bien de l'I
glise, quoi qu'il en arrive après par la corruption ou la faiblesî
de ceux qui y ont le principal intérêt. Cependant vous aun
beau champ, dans Tordre que je vous donne, de faire valo
(1) Quel respect avait donc le roi pour ces conseillers naturels du pap
lorsqu'ils lui donoaient leurs conseils eu Congrégations?
LE CONCLAVE DB CLÉMENT IX 187
beaucoup mes sentiments et ma résolution aux cardinaux qui
veulent entreprendre ce grand ouvrage, et les assurances que
vous leur donnerez de ma protection vous seront des moyens
certains pour lier avec eux une étroite confidence dans les af-
faires du conclave, qui peut m'étre fort avantageuse pour Télec-
lion qui sV fera (i). » Pour que la comédie fût complète, Taus-
lère cardinal de Retz fut chargé, concurremment avec Chaulnes,
démener à bonne fin le grand ouvrage (2) : l'ancien chef de
la Fronde s*était lié, par hypocrisie, avec les Indépendants et
notamment avec le cardinal AzzoHno, surintendant des afi'aires
de Christine, et le roi comptait sur Retz pour affermir l'union
de son ambassadeur avec « les cardinaux particuliers de la
reine, qui se trouvent être les principaux directeurs de l'Esca-
dron, comme étant sans difficulté les plus habiles do cette fac-
tion, laquelle se rendra vraisemblablement l'arbitre du pro-
chain conclave (3). » Retz attribuait la même influence à ce
parti qui faisait « profession d'une indépendance pleine et en-
tière de toutes les couronnes (4). » Le duc de Chaulnes croyait
peu au succès de ses propres manœuvres ; car il pria le roi de
lui donner d'autres movens de séduction. Il lui écrivait : « Je
puis dire à Votre Majesté (3) qu'il y a beaucoup de cardinaux
sur qui les raisons que l'on leur compterait feraient plus d'effet
que celles que l'on leur dirait, y en ayant beaucoup d'incom-
modés qui attendent le conclave comme une moisson. Ce que
je vois encore de fAcheux en ce cas est. Sire, que quelquefois
ils moissonnent sur plusieurs champs et bien différents, et que
(1) 17 septembre 1666. Rome, 178.
(2j - Cette croisade si habilemeot conduile par le cardinal de Retz contre
lun des abns les plus graves et les plus invétérés de la cour de Rome lui fai'
iait le plus grand honneur. >» (Cbantelauze, page 459 ) Comment supposer
<iuà Rome personne fAt dupe du cardinal de Retz. En dépit de ses elTort.^
pour dissimuler sa profonde corruption, il n'y avait aucun crédit. Tl n'était
r^çu avec bienveillance par Alexandre VII quo lorsqu'il allait lui parler des
affaires du roi; et récemment encore, au moment de partir pour lu France, il
û'avait pu obtenir une audience de congé, malgré ses instances pressantes.
- ce qui a semblé assez étrange ici, dit Bouricmont, S. S. n'étant pas plus
malade qu'à Tordinaire, ne tenant pas le lit et cbeminaut par ses chambres. »
(A Lionne, 21 septembre 1666. Rowe, 178.)
(3) Le roi à Chaulnes, 24 septembre 1666. Rome, 178.
(4) A Lionne, 5 novembre 1666. Rome, 179.
(5j Au roi, 8 mars 1667. Rome^ 181.
188 CHAPITRE PREMIER
souvent Ton sème en terre ingrate par la facilité qu'ils ont de
tromper sans pouvoir être découverts. » En attendant Targenl
qu il demandait et qui ne lui fut pas envoyé, il usa des plus
puérils artifices pour se ménager Talliance des diverses fac-
tions, et se vantait au roi des promesses contradictoires qui
prodiguait au cardinal Chigi et à ses collègues : « Comm(
nous entrons, disait-il, dans le temps de ne pas dire tout o
que Ton pense, et de ne pas découvrir ou ceux que Ton veut
ou ceux que Ton ne veut pas, je crus, Sire, devoir parler e
ces termes. » Mais il ne réussit qu^à se convaincre de 1
prépondérance assurée aux cardinaux créés par Alexandre VI
et aux Indépendants. Il écrivitau roi : « Pour ne pas finir ceti
dépôche sans mander à Votre Majesté ce que je crois en gén<
rai du conclave, je suis persuadé, Sire, que Ton ne poun
sortir des créatures de Chigi, parce que, Tunion s'afîerraissai
quand il s'agira de leur intérêt (qui sera d'exclure les suje
papables des autres factions), il ost certain qu'il faut quelqi
chose d'extraordinaire pour l'élection d'un pape d*une aut
faction, si peut-être, dans la longueur d'un conclave, le chî
grin de plusieurs sujets ensemble et la jalousie de se voir pr
férer un autre sujet dans la même faction, ne les en fait prend:
un d'une autre faction ; et par ce qui me parait, Sire, il e
difficile de juger des bizarreries qui arrivent souvent dans 1^
conclaves. » Il correspondait avec les Indépendants par l'ei
tremise d'Azzolino, mais il avouait qu'il n'avait pas pénét
leur secret : son ignorance élaitbien plus grande qu'il n'osî
en convenir ; mais le sentiment et la honte de son impuissan
éclataient malgré lui^ et il suppliait le roi de lui pardonner
confusion, les expressions embarrassées de ses dépêches {\
Son dépit et sa crainte d'un échec se révélaient encore mieu
dans ses lettres particulières à Lionne, par de stupides inve
tives contre les Romains : « Par ce qui m'a paru déjà, disait-
je suis persuadé que Rome deviendra une grande forêt de bi
gands où les paroles et la bonne foi seront peu établies, et •
la fourbe et la tromperie régneront fort en l'absence du pape (2)
(1) 15 mars 1667. Rome, 182.
(2) 22 mars 1667.J «orne,» 182.
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX 189
Je n*ai pas Irouvé d'aulres fourberies que celles dé Tam-
bassadcur français et do son entourage. Non content de
solliciter des subsides pour acheter des voix dans le sacré
collège, il réclamait de la cour les libéralités accoutumée-
pour les habitués du palais Famëse. « La meute des pensions
naires, disait-il, aboie tous les jours après moi pour faire
curée : vous savez qu'on leur doit plus d'une année au moins
à chacun ; voici le temps qu'il les faut employer (1). » —
» Les pensionnaires aboient tous les jours à ma porte pour ce
qui leur est dû, aux uns de 1665, et aux autres de 1666^ et le
bruit qu'ils feraient produirait assurément de méchants effets
dans un temps où l'intérêt fait prendre des partis ; ainsi, je
suis obligé de vous en écrire encore, parce qu'il y va du ser-
vice du roi (2). )> Lionne appuyait vainement ces instances,
auxquelles résistaient la parcimonie de Colbert, et on voudrait
le croire, quelques scrupules de Louis XIV. Le roi répondait :
Je ne vous envoie pas d'argent, « mais, si vous voyez la né-
cessité de dépenser quelque chose pour faire un coup bien
décisif, ou une grande utilité pour m'assurer entièrement
contre l'élection de Barberin, j'approuverai tout ce que vous
résoudrez (3). » — « J'ai parlé, écrivait Lionne, de l'aboie-
ment des pensionnaires, mais on est demeuré froid comme
marbre : mandez-moi ce que vous aura répondu M. Colbert...
— On a toujours fait la sourde oreille, quand j'ai parlé de
quelque remise de delà pour les pensions, et ce que vous au-
rez trouvé depuis peu, dans une lettre du roi, sur cette matière
d'argent dans l'occasion du conclave, aété imaginé pour votre
service par votre serviteur, et néanmoins fort approuvé par
le maître lorsque je lui en fis la lecture (4). » Le duc de
Chaulnes eut beau faire écrire par Machaut, et même par la
duchesse, que le nouvel ambassadeur d'Espagne avait soixante
mille écus chez les banquiers pour le même usage (5), et qu'il
(l)Chaalnei à Lionne, 8 mars 1(>67. Rome, 181.
(2) 26 aTiil 1667. Rome, 183.
(3) 25 mard 1667. Rome, 182.
(4) 25 mars et 8 avril 1667. Rome, 182.
(5) Machaut à Lionne, 23 avril 1667. Rome, 188. —La duchesse de Chaulnes
au môme, 3 juin 1667. Rotne, 184. — On verra plus loin que c'était une Ikbie
et un prétexte de solliciter des gratifications pour i*ambassadeur lui-même.
190 CHAPITRE PREMIER
fallait rétablir entre les deux ministres Tégalilé des armes,
Lionne lui déclara que la guerre avec TEspagne était décidée,
que M"* de la Vallière venait d*èlre nommée duchesse, et
qu'on avait déjà trop de charges à Paris pour envoyer encore
de Targent à Rome (1). Au surplus, mis par le roi en de-
meure d'indiquer un coup départie qui justifierait une pa-
reille dépense, il répondit que « ces occasions étaient assez
difficiles à trouver » parmi les cardinaux, et que tout ai
plus espérait-il faire accepter des présents à des conclavisles
pour agir sur l'esprit de leurs patrons (2). En définitive, les
intrigues de Tambassadeur avaient été si peu efficaces que
son plus intime confident, Tabbé de Machaut, désigné par lu
pour être l'un des conclavistes du cardinal de Vendôme, écri-
vit à Lionne quelques jours seulement avant la mort du pape
« Plus je vais en avant, plus je m'aperçois que les papes ne st
peuvent faire que dans le conclave (3). »
Les cardinaux s'enfermèrent au Vatican le 2 juin et le 2(
du même mois, dans Tapres-midi, Rome apprenait qu'Alexan
dre VII avait pour successeur son ancien secrétaire d'Etat
le cardinal Giulio Rospigliosi. dont le nom avait, dès le pre
mier jour, paru obtenir la préférence du sacré collège. Lava
cance du saint-siège s'était ouverte, le 22 mai, dans des cir-
constances critiques pour l^Europo. Quatre jours après, h
26 mai, Louis XIV se mettait à la tête de son armée pour enva
hir la Flandre. Il importait donc de donner sans relard à TE
glise un nouveau chef, dont la personne eut les sympathie
de la France et de l'Espagne, pour que sa médiation fût plu
Le duc employa d'abord Machaut, puis rambassadrioe, pour mendier à so:
proût, et en appareuce à son iusu : Nos dépeuses sout énormes, disait cd
core M^^ dp Chaulnes le 3 juin ; nos gardes seuls coûtent 10 pistoles pa
jour. Nous avons mangé 28,000 pistoles pour l'équipage. Mou mari ne vou
parle pas de ses affaires domestiques <i parce qu'il ne les veut point savoir.
Nous espérons que, le pape fait, on nous renverra dans nos terres pour paye
nos dettes. — Nous entendons là les ahoiemenls do Cbaulncs lui-même.
(1)15 mai 160". liomc^ 183. — L*ambassadeur répondit aigrement qu'il n'é
tait pas dupe des prétextes qu'on lui donnait, « puisque le roi avait bien eu
voyé vingt mille francs pour mouler des ligures » de la colonne Trajane, etc
(A Lionne, 4 juin. Rome, 184.)
(2) Chaulnes au roi, 2(> avril 1667. Rome, 183.
(3) 10 mai 1667. Rome, 183.
LE COiNCLAVE DE CLÉMENT IX 191
utile et la paix plus promptement rétablie. On sait déjà quelles
étaient les dispositions de Louis XIV pour Rospigliosi. D'un
autre côté, ce cardinal, ancien nonce à Madrid, s'était attiré,
pendant son séjour en Espagne, une estime et une bienveil-
lance que son ministère ne lui avait pas aliénées. En môme
temps, les Indépendants savaient que, sous ses manières con-
ciliantes, il cachait la ferme résolution de continuer la politi-
que d'Alexandre VII, dont l'exaltation avait été leur œuvre.
Tous les princes catholiques devaient s'applaudir également
de ce choix ; mais cela ne suffisait pas à la vanité de l'ambas-
sadeur français ; il voulut prouver au roi qu'il n'était pas né-
cessaire d'être à l'armée de Flandre pour battre les Espagnols,
et qu'il venait de remporter à Rome une victoire éclatante
sur le marquis d'Astorga. Le conclave avait été aussi une opé-
ration militaire, dans laquelle Ghaulnes avait conduit les
troupes de Sa Majesté : il énumérait ses mines, ses contre-bat-
teries pour ruiner les entreprises de Tennemi (1). « Je ré-
glai les rangs et les emplois, dit-il. Je donnai le soin de l'es-
cadron à M. le cardinal de Retz, celui des Espagnols à MM. les
cardinaux Antoine et d'Esté ; celui des vieux à Grimaldi et
Ursin ; à M. le cardinal de Vendôme de voir ce qui se passe-
rait parmi les Chigi, m'étant réservé de prendre soin du traité
que j'avais fait avec ledit cardinal pour ne point sortir de sa
faction, ce qui excluait indirectement le cardinal Barberin et
rompait les pratiques de quelques autres que voulaient les
Espagnols, lesquels n'auraient pas été agréables à Votre Ma-
jesté. M. le cardinal Maidalchini prit son parti ordinaire de
battre la campagne et d'aller , selon sa coutume, dans tous les
Cûmps, le sieur Maffei étant avec lui pour empêcher qu'il ne
s'engageât dans aucun, et je donnai la charge au sieur abbé
de Machaut de maintenir toutes choses en cet état... » Au
cours de la bataille, le duc de Ghaulnes ordonne « une fausse
attaque »>, exécutée par le cardinal de Vendôme, tandis que
la véritable est menée par le cardinal de Retz ... Enfin le capi-
^an français s'empare de la tiare et la pose lui-même sur la tête
(1) V. Notamment les dépêches aa roi, 4 et 7 juin et 6 juillet 1667. {Rome,
184.)
192 CHAPITRE PREMIER
de Rospigliosi. « Les déclarations, écrit-il, que j'ai faites^dans
les conjonctures, des bonnes intentions de Votre Majesté pour
le dit cardinal, ont seules causé les résolutions de son exalta-
tion... Le roi ne fait pas plus absolument, à Paris, le prévôt
des marchands qu'il a fait le pape. » Pour devancer les autres
ministres des princes aux pieds du nouveau pontife, il fait
enfoncer une porte murée (1) ! Nous n'insisterions pas sur ces
hâbleries, si elles n'avaient été récemment prises au sérieui
par des écrivains trop crédules (2), qui ont associé le cardinal
de Retz, leur étrange héros, au prétendu triomphe de Tam-
bassadeur français. Or, la vérité est que ce cardinal et le duc
de Chaulnes se sont simplement rangés à la suite de TEscadroD
et du cardinal (ihigi. Nous avons déjà cité les dépèches où.
avant la mort d'Alexandre VII, les agents du roi à Rome lui
annonçaient que les arbitres du conclave seraient les Indé-
pendants et les cardinaux nommés par le pape régnant : or
M. de Chaulnes lui-même déclarait, dès le 15 mars, « qu'oi
ne pourrait sortir des créatures de Chigi », et signalait parm
elles, comme souhaité par le plus grand nombre, le cardina
Rospigliosi (3). Le 23 avril, Machaut rédigeait, sous les yeu:
de Tambassadeur, une longue diatribe contre l'Escadron qu
commettait le crime d'entrer présentement dans les intérêt
de la faction Chigi et de s'unir étroitement à la famille di
pape (4), lorsqu'il devrait lui reprocher d'avoir causé tous le
malheurs de ce pontificat ! Le 22 mai, en annonçant la mor
d'Alexandre VII, le même abbé écrivait en toute hâte qu
Rospigliosi était « dans un grand prédicament, » et le lende
main l'ambassadeur le nommait, avec les cardinaux Famèse e
Buonvisi, au premier rang des papables (5). On a vu plu
haut comment la prépondérance de la faction Chigi se mani
festa, pendant les obsèques, par le zèle du sacré collège à dé
fendre les actes du feu pape dans les occasions qui s'en pré
(1) Au roi et à Lionne, 21 juin 1667. Rome^ 184.
(2) Chantelauze, livre déjà cité. — M. i'abbé fiozon, Le cardinal de ReL
à ïiome^ ou sa vie politique depuis sa réconciliation avec Louis XIV, d*aprè8 les
documents inédits. Pion, 1878.
(3) Home, 182.
(4) A Lionne, Rome, 183.
(5) Mactiaut à Lionne, 22 mai 1667. — Ctiaulnes au roi, 23 mai. Rome, 183.
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX l93
sentèrent. Il était donc naturel que ses suffrages se réunissent
sur le cardinal qui connaissait le mieux les pensées d'Alexan-
dre VU et les secrets des cours européennes ; dont le neveu
était internonce à Bruxelles sur le théâtre même de la guerre,
et qui était notoirement le plus capable de faire prévaloir les
vues du saint-siège dans Tétat troublé où la chrétienté allait
retomber. Cependant le duc de Chaulnes racontait à sa cour
que l'ancien secrétaire d'Etat avait été maltraité par le feu
pape, et qu'il avait fallu déployer au nom du roi des prodiges
d'habileté pour imposer au cardinal Ghigi un candidat dont
ce prélat pouvait craindre le ressentiment. A l'entendre, il
avait, de concert avec le cardinal de Retz, proposé le choix
imprévu de Rospigliosi trois jours seulement avant la fin du
conclave, et, « en deux fois vingt-quatre heures », le sacré
collège aurait obéi, avec une docilité unanime, aux exigences
de l'ambassadeur et du cardinal français ! Ce sont des fables
imaginées pour justifier des mensonges. D'une part, il n'y
avait pas de mésintelligence entre Rospigliosi et la maison
Chigi. L'incident de 1661 n'avait laissé aucune trace. Tout ce
qu'un auteur moderne (1) raconte de l'opposition faite par le
cardinal Rospigliosi au pape dans raifaire des Corses ; dé la dis-
grâce qui l'avait alors frappé ; de ses conférences clandestines
avec M. de Chaulnes sous le dernier pontificat, est controuvé.
Qui empochait Alexandre VII de congédier un ministre sus-
pect? Jamais leur accord ne fut plus complet que sur le traité
de Pise. Le neveu du secrétaire d'Etat, l'abbé Jacopo Rospi-
gliosi, avait été l'un des mandataires du pape à San Quirico,
6t, après avoir accompagné le cardinal Chigi dans sa légation
en France, il avait été nommé à l'internonciature de Bruxelles,
inarchaut avec rapidité dans une carrière qui le conduisait à
la pourpre, quand même son oncle ne serait pas arrivé au
pontificat. Aucun membre du sacré collège n'avait montré
plus d'indignation que le cardinal Giulio Rospigliosi contre
larticle de Castro : il est si peu vrai qu'il eût fait espérer
l'abandon de ce duché (2) que nous allons le voir inaugurer son
(1) Chantelauze, p. 431.
(2) Chantelauze, p. 452, où il reuvoie simplement à la Correspondance de
Romef pasiim.
LOUIS XIV BT LB SALM-dlÈUB. — II. 13
194 CHAPITRE PREMIKR
règne en déclarant à l'ambassadeur de France qu'il ne cédera
jamais sur ce point, et qu'il ne le peut faire c( ni en conscience,
ni en honneur, » — sans qu on trouve dans les dépèches de
Louis XIV ou de son ministre la moindre allusion à une pré-
tendue promesse de l'ancien secrétaire d'Étal. Si les espions
deFarnèse, cherchant à diviser la cour pontificale, répandent
le bruit de dégoûts donnés par Alexandre VII à Rospigliosi,
le duc de Chaulnes montre une crédulité sans égale en prenant
comme signes de défaveur les marques les plus fortes d'un
redoublement de confiance. Il écrit naïvement à Louis XIV :
« Le pape lui envoie plus d'aiïaires qu'il n'avait accoutumé,
pour lui faire connaître qu'il n'est plus en état de s'acquitter
de sa charge et l'obliger à s'en défaire ; mais ledit cardinal a
pris son parti de ne point demander son congé et d'attendre
que l'on [le] lui donne (I). » Le duc de Chaulnes raconte
précisément, dans la même dépêche, que la maladie du pape
s'aggrava, tandis que la santé de Rospigliosi, longtemps
ébranlée, se raffermit, et les lettres suivantes annoncent le
rétablissement complet du ministre (2). Or, le cardinal Chigi,
quoique padrone, recherchait peu les affaires, dont le fardeau
tout entier se partageait entre le pape et le secrétaire d'Élat.
Les forces abandonnant Alexandre en même temps qu'elles
revenaient à son principal conseiller, le pape se déchargeait
nécessairementsur son ministre d'une partie du gouvernement.
L'union intime des Chigi et des Ilospigliusî était un fait si
certain, et elle semaintintsibien après la mort d'Alexandre VII,
que les agents français, au lieu d'avouer Tinexactitudc de
leurs informations, aimèrent mieux inventer un autre conte
et dire que le feu pape, pour les tromper, avait simulé une
mésintelligence entre lui et le secrétaire d'Etat (3). Il n'est
(1) 25 janvier 1667. «owtî, 181.
(2) Bourloniont à Lioiiuo, o avril 1667. /îome, 182.
(:t) « Ce gruiid cardinal Cliij^i est le plus heureux des mortels : pendant sa
maladie, il a toujours eu daus son autichamhre viogt-ciuq ou trente cardi-
naux, le frère du pape, ses neveux, des lettres régulièrement toutes les se-
maines et par tous les extraordinaires de Monseigneur [Jacopo] Rospigliosi :
enlin il a paru qu'il était encore neveu de pape, et certainement il est plus
heureux que sous le pontificat d'Alexandre VII. >' Comment le pape actuel, qui
ne paraissait pas bien traité par le précédent, est-il le protecteur et le bien-
LE GOiNCLAVE DE CLÉMENT IX 195
donc pas véritable que le choix de Rospigliosi fût redouté de
son chef de faction. Peut-ôtre Chigi eùt-il préféré un autre
cardinal ; mais la preuve qu'on en donne n'est pas sérieuse. On
dit qu'il appuyait d'Elci dans les premiers scrutins ; mais il est
notoire que les noms qui réunissent d'abord le plus de votes
ne sont pas ceux qui doivent obtenir la majorité canonique :
il faut quelque temps aux partis pour se compter, se mesurer,
s'observer, se concerter : on attend les cardinaux absents, et
l'on tient à s'informer des dispositions qu'auraient les couron-
nes pour tel ou tel candidat. Les premiers jours du conclave
de Clément IX furent troublés par la mort du cardinal Ban-
dinelli, allié aux Chigi, et du cardinal Pallavicino. Ce dernier
était le plus ancien et le plus intime confident d'Alexandre VII
et de sa famille, et bien intentionné pour la France : aussi
servait-il d'intermédiaire entre Chigi et Chaulnes, et il ne se
serait pas prêté à ces démarches conciliantes, si elles avaient
eu pour but l'élection d'un pape opposé à la politique ou à la
personne d'Alexandre VII. L'ambassadeur français le savait
bien, car il crut qu'au défaut de ce cardinal le désordre allait
se mettre dans la faction Chigi ; mais il fut bientôt obligé d'é-
crire que « la conduite ou le bonheur de Chigi était surpre-
nant ; que sa faction était dans une tranquillité incroyable, et
que pas un cardinal ne se démentait (1). » Dos que les scrutins
sérieux commencèrent, le nom de Rospigliosi fut mis en avant,
et gagna chaque jour des suffrages jusqu'à ce qu'il réunit
enfin l'unanimité. Chaulnes prétend qu'il en aurait été parlé
« deux fois vingt-quatre heures » seulement avant Télection,
c'est-à-dire le 18 juin; or, dès le 7 juin, le mieux informé et
le plus intelligent des Français de Rome, l'abbé de Bourlemont,
écrivait à Lionuc : Le conclave a commencé aujourd'hui la
pratique du cardinal Rospigliosi (2).
faiteur de ceUe famille? Quelques-uos peuseut quUl y avait entre eux un ac-
cord secret. (Machaut à Lionne, 29 novembre 1661. Rome^ 187.) « Le cardinal
Chi^i est dans uoe grande intelligence avec le cardinal neveu; cela fait dire
à tout le monde que ie cardinal Rospiyliofti tHail d'accord avec /«/, et re/a doit
bien faire ouvrir les ycu.i', en cas qu'il arriverait ici quelque changement, »
(Le même au même, 10 janvier 1668. HoniCy 18U.]
(1) Au roi, 7 juin 1667. Home, 184.
(2) Rome, 184.
196 CHAPITRE PREMIER
Les autres obstacles dont Tambassadeur se vanta d'avoir
triomphé ne sont pas moins imagioaires : « Les quatre fac-
tions où il y a des chefs, dit-il (1), ont fait un pape, tous les
chefs lui étant contraires, Barberin [faction d'Urbain VIIl]
comme prétendant; Sforze [faction espagnole], qui n'aime
pas Rospigliosi et qui voulait d'Elci; d'Esté [faction fran-
çaise]^ pour deux ou trois cents chimères parmi lesquelles
il ne laissait pas d'avoir quelque solide dans son commerce
avec Barberin; et Chigi, qui le voulait si peu qu'il n'avait
gardé aucune mesure de civilité avec lui. Mais ce sont heu-
reusement aussi toutes ces choses qui ont contribué à la
gloire du roi, parce que, toutes les contrariétés ne pouvant
être vraisemblablement surmontées Tune après l'autre, l'on
prit le parti de ne combattre que Chigi, qui céda à la décla-
ration que je lui lis, de la part du roi, en faveur de Rospigliosi.
Le secret était demeuré entre le cardinal Chigi, Retz, Azzolino
et moi, et, lorsque nous fumes d'accord ensemble, j'envoyai
l'abbé de Machaut au cardinal d'Esté pour lui donner part de
Tétat des choses et de la volonté du roi : le cardinal Borromeo
fut vers Sforze lui inspirer les sentiments qu'il devait avoir.
Impériale fut vers Barberin, qu'il pressa si vigoureusement
qu'il ne s'en put défendre, et ainsi, la seule satisfaction de
Sa Majesté a eu part à cette exaltation, ou, pour mieux dire,
sa seule déclaration a déterminé le cardinal Chigi, sans la-
quelle rien n'eut été fait. » Le duc de Chaulnes voulait flatter
le roi de la pensée que le cardinal Chigi et l'Escadron avaient
besoin de la faction française pour réunir les deux tiers des
suiïrages ; mais il avoue lui-même que le cardinal d'Esté, chef
de cette faction, votait pour François Barberini, et il est si peu
sûr des autres cardinaux qu'il leur cache le secret du roi jus-
qu'à la veille du dernier scrutin ! Est-ce que les Indépendants
et Chigi ne pouvaient pas, en se concertant avec le parti espa-
gnol plus nombreux et moins divisé, emporter l'élection sans
eux et môme contre eux? Mais ils étaient trop sages pour vou-
loir engager une lutte dans laquelle il y aurait eu des vaincus
et des vainqueurs, et ils n'avaient en vue que de procurer une
(1) A Lionne^ GjuUlet 1C67. Rome, 184.
LE CONCLAVE DE CLÉBfENT IX 197
élection également agréable aux deux puissantes couronnes
]ui venaient de rentrer en guerre. Au surplus, ils n'avaient
3as à s'en cacher, et le duc de Chaulnes, prévoyant ce résultat,
cherchait à s'en attribuer l'honneur . 11 avait écrit au roi, lo
10 mai : « J'ai formé un dessein pour ce conclave de faire avoir
i Votre Majesté la gloire de Texaltation du pape par des voies
m peu extraordinaires, qui est par l'union de la faction d'Es-
)agne à celle de Votre Majesté (1). » Et les deux écrivains qui
)rennent au mot ses vanteries ne peuvent se dispenser de con-
jure dans les mêmes termes : « Quant aux Espagnols, disent-
Is (2), ce fut une des rares occasions où ils se trouvèrent
l'accord avec la France pour l'élection d'un pape. » Mais ils
ie sont bien gardés de révéler h leurs lecteurs les documents
>i curieux qui démentent leurs récits et qui réduisent à sa juste
mesure le rôle de la faction française dans le conclave de Clé-
fnent IX : ce sont les dépêches de l'ambassade espagnole sur
l'élection pontificale, interceptées par les Français, et que le
roi fit aussitôt déchiffrer et copier (3).
On les dirait rédigées au palais Farnèso, sauf la substitution
d'une nationalité à Taulre. Retz et Chaulnes avaient écrit :
<' ... MM. les cardinaux Chigi et Azzolino y ont aussi agi d'une
manière qui marque qu'ils ont eu une très forte passion de
plaire en ce rencontre à Sa Majesté... — Le cardinal Chigi en a
usé en ce rencontre comme aurait pu faire un cardinal de la fac-
tion de Votre Majesté. — M. le cardinal Azzolino a fait tout ce
qu'un cardinal national pouvait pour le service du roi : il vit
avec moi comme s'il était français (4). » — « Je me réjouis assez,
disait à son tour Machaut, quand j'entends dire que l'ambas-
sadeur d'Espagne est extrêmement satisfait de cette exaltation ;
car il est naturel d'avoir de la joie de ce que les uns et les
autres trouvent leur avantage dans une mrme affaire à laquelle
ils croient avoir également contribué. Plus je fais de réflexions
aux choses qui se sont passées et plus je suis obligé de vous
(1) Rome, 183.
(2) Cbantelanze, page 470.
(3) Rome, 184.
(4) Retz à Lionne, 20 juin. — Chaulnes au rui et à Lionne, 21 et 22 juin 1667.
Home, 184.
198 CHAPITRE PREMIER
représenter le bonheur que vous avez eu d'avoir ici M. l'an
bassadeur et M. le cardinal de Retz et sur le tout M. le card
nal Azzolino. Il n'y a pas de doute que ces trois personne
seules ont mis le cardinal Rospigliosi dans la chaire de sai
Pierre... Je suis aussi obligé de vous faire connaître qi
beaucoup de sujets qui devaient aveuglément porter nos int
rets, sans de grandes précautions pour ne pas dire autremet
auraient sans doute troublé une des plus belles négociatio
qui se soient faites dans ces sortes de conjonctures, si, d'à
leurs, M. l'ambassadeur n*eùt trouvé des expédients un p
violents pour les remettre en leurs devoirs (1)... »
Or, le marquis d'Astorga, dans sa relation à la régente d'I
pagne, s'applaudit d'avoir forcé les Français, par crainte
François Barberini, de s'allier au cardinal Cliigi, aux Ind
pendants et aux Espagnols. Il se loue de Chigi, dont il exal
à la fois le zèle et le désintéressement. J'estime, dit-iJ, qi
Votre Majesté doit le récompenser, mais comme il n'est p
homme à accepter une pension et que la protection d'Espagi
a un titulaire, j'avoue à Votre Majesté que je ne sais qiiei
gratification proposer pour lui (2). Le cardinal Azzolin
ajoute-t-il, a fait des merveilles eu cette occasion el Ton pe
compter sur lui en l'avenir. Il est plein d'entrain, d'aclivi
et de grâce et je ne puis m'empécher de faire connaître à Vol
Majesté ce qu'il me dit en me serrant la main, au moment >
s'enfermer dans le conclave : « Courage, marquis, il s'aj
dans ce conclave de revêtir l'Esprit-Saint de la golille (3)!
Dans une dépèche du même jour, l'ambassadeur espagn
rendait ausvsi hommage à l'intégrité des cardinaux, et d
mandait pardon à sa souveraine de lui avoir précédemme
conseillé d'acheter quelques suffrages (4). Il expliquait qu
peine arrivé de Madrid et ne connaissant pas Rome, il av^
(1) A Lionne, 22 juin 1G67. Rome, 184.
(2) Le marquis d'Astorga à la reine d'Espagne, 13 juillol 1667. Rome, 184.
(3) La golille, sorte do haui»se-col en carton recouvert de linge« était u
des pièces caractéristiques du costume espagnol. (Voy. Mémoires de Sai,
Simon, édit. Boislisle, t. VIII, p. 183, note 7.)
(4) Ce qui avait sans doute donné lieu à Chuulnes d'écrire au roi que la co
d'Espagne avait mis 60,000 livres chez les banquiers de Rome à la dispositi
d'Astorga, pour déterminer Louis XIV à lui ouvrir le même crédit.
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX 199
eu le tort de former son opinion sur le sacré collège d'après
deux membres de la faction espagnole, Sforza et Raggi,
qui l'avaient aussitôt circonvenu et dont la vénalité avait été
sijustement flétrie dans les derniers discours d'Alexandre VIL
Astorga se confond en excuses et proteste énergiquement de
n'avoir employé que des moyens dignes de Dieu, de l'Eglise
et de la majesté royale, ainsi que le démontre d'ailleurs le ré-
sultat du conclave.
Lionne, annonçant au duc de Chaulnes la saisie des dépèches
espagnoles, résumait ainsi les informations qu'il y trouvait :
« M. Rossignol (1) est venu à bout de déchiffrer les lettres in-
terceptées de l'ambassadeur d'Espagne; mais vous direz, s'il
vous plaît, de delà qu'on n'y a pu mordre, afin qu'il ne change
pas son chiffre et qu'il s'en tienne plus assuré... «J'yai vu«que
le cardinal Âzzolino, par le moyen du cardinal Borromco, a
toujours fait jouer auprès des Espagnols tout le môme jeu
qu'il jouait avec vous, c'est-à-dire d'obliger le cardinal Chigi
à se déclarer pour une de ses créatures qui fût agréable, et que
ledit cardinal Chigi a aussi fait faire les mêmes compliments à
l'ambassadeur d'Espagne qu'à vous, c'est-à-dire qu'en consi-
dération du Roi catholique il élèverait Rospigliosi, quoiqu'il en
dût appréhender les ressentiments... Il m'a paru aussi, par cette
relation, que les Espagnols ne désiraient pas l'exaltation de
Famèse, ni d'Albizzi, quoi qu'il soit leur pensionnaire, ni de
Brancaccio(2). wM. de Saint-PrOt, à son tour, analysant cette
correspondance d'Astorga, s'exprime ainsi : « 2 juin (jour de
l'entrée au conclave). L'ambassadeur d'Espagne fut aussi, ce
même soir , dans le conclave aussi tard que le duc de Chaul-
nes, et, dans une relation du conclave qu'il envoya à la reine
d'Espagne et qui fut interceptée par les Français, il lui mar-
(1) Commis des affaires étrangères, « si recommandable par sou mérite et
par ses services, et par le secret si estimé qu'il avait trouvé pour déchiffrer
toutes sortes de lettres et pour eu écrire avec de certains chiffres dont lui seul
pouvait donner la clef, sous le ministère du cardinal de Richelieu dont il avait
acquis l*estimc et la confiance : il continua les mêmes services sous le règne
présent Jusqu'à sa mort (1682). n Son iils lui succéda et mourut en 1705, ré-
puté aassi « le plus habile déchiffreur de l'Europe ». {Journal de Dangeau,
t. X, page 446 et la note.)
(2) Lionne à Chaulnes, 12 août 1661. Rome, 185.
200 CHAPITRE PREMIER
qua qu'il avait pris avec les chefs de chacune des factions à
peu près les mftines mesures que nous venons de voir que le
duc de Chaulnes avait aussi prises avec eux, car il avait une
correspondance secrète : premièrement, avec le cardinal Bar-
berini, môme; en second lieu, avec le cardinal Azzolino parle
moyen du cardinal Borromeo, qui était celui qui donnait avis
à cet ambassadeur de tout ce qui se passait dans le conclave.
Il se loue fort du cardinal Impériale dans cette relation et indi-
que que, le soir que Ton s'enferma dans le conclave, le cardi-
nal Azzolino lui dit qu'il eût bon courage, et que le Saint-
Esprit y porterait assurément la golille^ c'est-à-dire serait
espagnol. En troisième lieu, cet ambassadeur entretenait cor-
respondance avec le cardinal Chigi par le moyen du cardinal
Corsini et avait aussi fait un traité par lequel celui-ci lui avait
promis de ne point concourir qu'à une de ses créatures, sans
que cet ambassadeur pût l'obliger de se déclarer pour une
en particulier, et ce qu'il y eut encore de pareil dans la con-
duite des deux ambassadeurs fut que, de même que le duc de
Chaulnes n'avait point confié le secret du conclave au cardinal
d'Esté, qui était le chef de la faction française et duquel il se
défiait à cause de son alliance et de son amitié avec le cardi-
nal Barberin, le marquis d'Astorga » avait caché son secret
au cardinal Sforza, chef de la faction espagnole (i).
Aussi Louis XIV aiïecta bien, en public, d'ajouter foi à des
relations qui flattaient l'orgueil national ; mais, sachant que son
ambassadeur et le cardinal de Retz s'étaient bornés à suivre
la direction donnée par les Indépendants, il mesura la récom-
pense aux services rendus. Le duc de Chaulnes écrit à
Lionne (2) : « Entre nous, M. le cardinal de Retz est un peu
choqué de ce que vous ne lui avez fait réponse sur la lettre
qu'il vous avait écrite par Mancini (3) sur le sujet de l'Esca-
dron (4). Ecrivez-lui, je vous prie. » — « M. le cardinal de Retz,
{{) Hoirie^ Papiers el Documents, 24.
(2) o juillet 1667. Homt>, 184.
(3) Coiirrier tîu roi.
(4) La correspondaDco de cette époque nous apprend que les cardinaux de
l'Eifcadrun n aimaient pas à être désignés sous cette dénomination. Chaulnes
invite Lionne à lui adresser des complimenta pour le cardinal AzzoUno et
LE CONCLAVE DE CLÉBfENT IX 201
écrit Machaui(l), partit samedi, mortifié de n avoir aucune
lettre de la cour... » Le roi se laissa arracher un compliment
54nal, que Retz ne trouva qu'à Commercy; puis il le gratifia
l'un mince prieuré en Bretagne, qui aurait à peine contenté un
onclaviste^ et dont le cardinal, » pour donner indirectement
ine leçon de générosité au grand roi (2), » abandonna le
cvenu au neveu d'un de ses anciens domestiques. Le duc de
ihaulnes ne fut pas mieux traité : » Il ne faut pas que je vous
^le, disait Machaut à Lionne (3)» que M. l'ambassadeur a eu de
randes mortifications de n'avoir pas eu un mot de remercie-
lent de la main du roi. Dans celle qu'il écrit au pape, on ne
lit aucune mention de son nom et, ce qui est de meilleur,
est que Ton parle des cardinaux à qui Sa Majesté avait confié
)n secret sur l'exaltation du pape (4). J'ai tourné cela le mieux
lie j'ai pu, mais il ne s'en contente pas, parce qu'il ne peut
is avoir la satisfaction de faire voir cette lettre. M. Rose (5)
Duvait mettre quelque chose à la louange de l'auteur. » Le
ne fut également blessé de n'être pas accrédité auprès du
^uveau pontife comme ambassadeur d'obédience (6).
>ur l'Escadron, « mais pourUint, s'il vous platt, sous uo autre uom, le terme
Escadron ne leur plaisant pas. »> (5 juillet 1667. ilome, 184.)
fl) 12 juillet 1667. Hoine, 184.
(2} Cbaiitclauze, p. 478.
(:{) Machaut à Lionne. Rome^ 185.
(4) Ce qui était un mensonge.
(o) M. Rose, secrétaire du cabinet, qui avait la plume ^ c*est-à-dire rédigeait
plupart des lettres de Louis XIV, et les expédiait ensuite lui-même eo
litaut récriture et môme la signature du roi. (Voy. Mémoires de Saint-Simon^
. Boislisle, t. VUI, p. 22etss., et Appendice U, p. 407-420.)
'6; n II faudrait songer à l'ambassade d'obédience pour M. de Chaulne8;mais
faudrait l'aider; il mérite assurément d'avoir cet emploi... Il y avait plus de
liuze jours que j'avais envie de vous parler de cette ambassade d'obédience,
ais enfin je n'ai pas pu m'en empêcher cet ordinaire. Ce serait une grande
»uceur pour ce pape-ci qui, comme vous le pouvez croire, le désirera ar-
mment. » (Machaut a Lionne, 13 juillet. Rome, 184.) — Chaulnes rendait k
ichaut les éloges qu'il en recevait : L'abbé « a fait des merveilles. » (A
onne, 22 juin.) — « Il a si bien ménagé les esprits, etc.. » (5 juillet. Rome^
4.) Mais Machaut n'obtint rien non plus, malgré ses plaintes répétées et
telquefois fort vives. (Voir notamment : 12 juillet. Rome, 184, et 9 août 1667.
me, 1K3). Peut-être penserez-vous enfin à moi, dit-il à Lionne, quand vous
mz mis 20,000 livres de rente sur la tête de votre fils le chevalier, racheté
s pensions, et pourvu tous vos parents et serviteurs. — L'abbé de Bigorre,
secrétaire le plus occupé de l'ambassade, ne fut pas mieux traité : il est,
202 CHAPITRE PREMIER
D'un autre côté, le ressenti menl do la faction française
suscita de nombreuses difPicutés auxquelles l'ambassadeur ne
pouvait écbapper que par son rappel. L'abbé de Machaut écri-
vait : « Madame Tambassadrice me prie aussi de vous faire
savoir que plusieurs gens qui l'ont appris des cardinaux lui
ont dit ... que véritablement M. de Cliaunes était venu à bout
do celte intrigue, et qu'il en était sorti avec une grande répu-
tation, mais qu'il fallait aussi se persuader que, dans une
semblable conjoncture, il n*y aurait plus rien à faire; d'autant
qu'il avait été nécessité de se servir de moyens extraordinaires
qu'on avait découverts après la conclusion; et que, tant s'en
faut qu'on y eut remédié en faisant quelques caresses et en
ménageant des esprits, qui étaient si ulcérés, par de belles pro-
messes, qu'il semblait qu'on eût tout abandonné et qu'on
prit à tâche de donner des mortifications qui étaient capables
de désespérer, après celles qu'ils avaient eues dans le conclave
et dans la déclaration qu'ils furent obligés de faire lorsque
l'affaire fut consommée. Sur ce fondement elle croit qu'il n'y
a plus rien à faire ici pour M. l'ambassadeur ... Tous vos car-
dinaux languissent dans l'expectative des grAces et des remer-
ciements. Vos pensionnaires commencent à pressentir qu'ils
seront obligés d'attendre un autre conclave pour toucher
quelque année de leur pension (i). » — « Il ne faut pas vous
ramentevoir les dégoûts et les chagrins qu'on a été nécessité
de leur [à vos cardinaux] donner dans le conclave, vu qu'il
était absolument impossible de leur pouvoir confier le secret,
dans la mauvaise situation où ils étaient tous par quelque
négligence qu'on avait eue, du côté de la cour, et pour leurs
personnes et pour leurs intérêts. » lis étaient jaloux du car-
dinal de Retz; ils menaçaient de voter sans égard pour les
désirs du roi, et ils ont fini par nommer le cardinal Rospigliosi
malgré eux et presque sans le savoir. — L'état de votre faction
écrivait Machaut. «< de mauvaisse humeur » de ce que vous avez Tait donuer
une abbaye au frère de M. de Gravcl [agent du roi en Allemaguej et à uu se-
crétaire de M. d*Embrun [ambassadeur à Madrid J. 11 dit «< qu'il serait plui
avantageux d*étre chez soi en repos que d't^tre deux ou trois jours de la se-,
maioe à ne se point couchpr pour écrire. » (A Liouoe, 13 septembre 1667.
Home, 186.)
(1) 12 juillet 1667. Rome, 184.
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX 203
est déplorable. — Le cardinal de Vendôme est méprisé :
ce L*abbé Buli (1) vous fera bien rire des instructions que M. de
Vendôme leur faisait pour se gouverner dans le conclave. Il
serait temps qu il [ce cardinal] s'en allât, commençant d'être
découvert par ses contes jaunes. » — « Étant tombé pour mon
malheur à servir M. do Vendôme, qui ne m'a jugé capable
que de tirer ses souliers ou vider sa chaise et de faire en un
mot le valet, je serais mort de déplaisir si je n'eusse trouvé des
amis », qui m'ont tiré de pair. — « Sans vous exagérer quoi
que ce soit, je vous puis dire qu'on ne peut pas faire une plus
misérable figure, et, s'il excite jamais quelques sentiments
dans le cœur de ses confrères, ce sera ceux de la compassion.
Il est mélancolique, abstrait, surpris dans toute sorte de ren-
contre. Il ouvre mille portes à des gens pour le battre, qui, par
leur esprit et leurs lumières, pénètrent le plus souvent jusques
au fond du cœur... Quand j'ai eu l'honneur d'accompagner
celte Altesse dans les cortèges, je n'ai pu m'empêcher de la
comparer à quelle vitelle che si strascirono almacello; et voyez,
je vous prie, quel avantage de mettre des chapeaux sur la tête
de ces messieurs, qui se croient être infiniment au-dessus de
ce j>oste, et qui, en abandonnant tout ce qui pourrait contri-
buer au service, croient de se distinguer des autres et établir
parla leur réputation (2)!» — «Este est outréjusques au cœur,
et, outre qu'il ne peut pas jamais vous rendre aucun service
dans un conclave, n aj/ant pas unami. à parler modestement (S),
il faut mettre en fait qu'il se ressouviendra do la manière
dont on a agi civec lui. Antoine [Barberini] vivrait mille et
mille ans, il serait à vendre et à dépendre pour les intérêts de
rPrançois] Barberini ... Grimaldi ne viendra plus à Rome (4).
(1) Qui aTait été conclaviste de ce cardinal avec l'abbé de Machaut.
(2) Macliaat à Lionne, 22 juin, 19 juillet et 9 août 1667. — Cbaulnesâ Lionne,
5 joiUet. Rotne, 185.
(3) Témoignage précieux des Français contre ce prince modénais, transfuge
(1h la faction d'Âutiiche, protégé de Mazarin et de Louis XIV, qui avait provo-
qué l'assassinat des sbires en 1660, et dont Créquy avait suivi aveuglément
les détestables conseils en 1662.
:4) m M. le cardinal Grimaldi partit vendredi assez fâché de la manière dont
les choses se sont passées. Tenez pour indubitable qu'il n'y a pas d'ordre
qui le puisse faire revenir dans cette cour. Vous aurez été informé comme
tout s'est passé à son égard. » (Machaut à Lionne, 12 juillet 1667. Rome, 184.)
204 CHAPITRE PREMfER
Ursin ne peut plus subsister sans secours. Maidalchini prétend
être dédommagé d'une abbaye de quatre mille écus de renie
qu'il a dans le royaume de Naples. Vous aurez seulement
Retz, qui ne pourra plus payer dorénavant que de sa voix ».
car je présume que vous rechercherez pou TEscadron, avec
lequel il avait des liaisons. « Mancini ira toujours son train.
Le cardinal Albizzi se déclare qu'il ne portera plus vos inté-
rêts dans les Congrégations, si vous ne lui payez plus régu-
lièrement sa pension (1). » — Les Indépendants avaient si
manifestement dirigé le conclave de Clément IX, leur autorité
était si solidement établie dans le collège que déjà Ton cher-
chait à deviner quels seraient leurs candidats après le nouveau
pontife, dont la santé était fort délicate. Dàs le mois de juillet
1667, on désignait pour la papauté le cardinal Otthoboni, qui
devint en effet Alexandre VIJl, et qui avait été de tout temps
un des membres les plus considérés de TEscadron; — et le
prélat Altieri, maître de chambre de Clément IX, qui n'était
pas encore cardinal et qui lui succéda sous le nom de Clé-
ment X : « L'on voit visiblement, écrivait Machaut (2), que
leur but est d'avancer le cardinal Otthoboni, et, en cas que le
pape manquât trop tôt, ils destineraient M. Altieri, maître de
chambre du pape, fort vieux, qui sera cardinal infailliblement,
qui laisserait le gouvernement comme il est... jusqu'à ce que
leur temps fût venu. » — « Nous verrons pape » Otthoboni,
répétait-il le 26 du même mois; et, au mois de décembre
suivant, le P. Oliva, général des Jésuites, disait au même
abbé : « Quesli signori ne sanno pur assai; hanno fatto gia
diiepapiegÎBi potrei dire cou qualche confidenza che sono a la
fucina per adesso, lavorando galliardamentc per un terzo.
Clément IX n'est pas pour vivre trois ou quatre années. Il ne
dort pas comme il faudrait; il a une soif qui lui dure conti-
nuellement : l'on craint la récidive de son mal. Il n'est pas
malaisé de pénétrer que ces messieurs de l'Escadron feront
imaginablement ce qu'ils pourront pour demeurer les maîtres
d'un pontificat, et étant maîtres des cardinaux Chigiet de leur
(1) Macbaut à LioDDe, 16 août 1667. Rome, 185.
(2) A Lionne, 12 juillet. Rome, 184.
LE CONCLAVE DE CLÉMENT IX 20S
faction, Barberini étant fort do leurs amis, lo cardinal Rospi-
gliosi ne pouvant pas prendre un autre parti, vous concevrez
bien che, si Ouhobuono non sia maturo bene doppo la morte
di questo papa^ non riuscira difficile a loro di concorrere a
lesaltatione di uno cardinale, il quale bavera a caro per sua
gratiludine e per il poco suo genio di riniettere tutto le cose
del governo nelle loro mani... (1). »
(1) Machaut à Lionne, 13 décembre. RomCf 187.
CHAPITRE DEUXIÈME
CLÉMENT IX ET L' AFFAIRE DÉ CASTRO. — GUERRE DES C DROITS DE
LA REINE » : MÉDIATION DE CLÉMENT IX. — PRÉSAGES DE NOU-
VEAUX CONFLITS ENTRE LA COURONNE ET LE SAINT-SIÈGE. 1667-1668.
Clément IX propose sur-Ie champ une suspension d'armes entre les Français et les Espagnols,
— et une ligue contre le Turc. — Ministres du nouveau pape : Auolino et Otthoboni. ClémeotlX
déclare qu'il ni> C4''dcra jamais Castro, s'il ne voit une armée française aui portes de Rome.
L'abb<^ Jacopo Rospigliosi à Saint-Germain. RappoK de Lionne au roi sur Cagtro : $es aveai
sur la politique suivie par la cour de France envers Alexandre VU. Louis XIV obligé de re-
culer. Son mépris pour le duc de Parme, son pn>tègé : Siri, ministre de ce prince, meotcé
de la Bastille. — Guerre entre les deux couronne<« : Louis XIV feint d'accepter la médiation du
pape; mais, à ce moment même, il médite de consommer la ruine de l'Espagne, et négocie
avec l'Empereur le premier partage do la succession de Charles 11. Première conquête d« U
Franche-Comté. liOuis XIV a refusé la paix aux prières et aux conseils du pape: il est forcé
de l'accorder aux menaces de la Triple Alliance. Traité d'Aix-la-Chapelle. Les protestants ont
plus de déférence que Louis XIV puur l'intervention de Clément IX. — Ascendant du pape:
son impartialité, son désintéressement. Le duc do Cbaulnes conseille une conduite moioii Ar-
rogante envers le saint-siège: il propose une ambassade d'obédience, la destruction dcU
pyramide des Corses. — Règlement de plusieurs affaires peudantes : Tarchevéché de Reinxl
l'évôché d'Orange. Induits des provinces conquises. — Prétentions croisi^antes de Loui« XIV.
U demande à la fois trois chapeaux pour Bonsy, évéquc et amba<»Radeur, pour le prinre d'A-
vcrsperg Autrichien, et pour César d'tstrées. Les abba>es de Cloni et de Prémontré. Influence
désastreuse de la couronne sur la collation des bénédees : invasion des charges et des bien*
d'église par les familles de le Tellicr, de Colbert et de Lionne : intrigues de Lionne pour
faire arriver un <le ses fils au cardinalat. — Obstacles mis par la couronne à l'exercirt; deU
juridictiou pontiflcale en France. Affaire des quatre évét^ues ; les deux brefs du 23 décembre
1667. Le gallicanisme paralyse la répression du jansénisme. La lettre des dix-neuf évéques an
roi. Décrets pontificaux annulés par le Parlement, etc. Entreprises de I^uis XIV rootro les
ordres religieux : le secret du roi révélé par Lionne au duc de Chaulnes. Arrêta des Parlements
pour défendre la réception des novices. Le général des Minimes et le général des Jacobins.
Ainsi le choix de Clément IX était exclusivement ToBuvre
des cardinaux les plus dévoués aux intérêts de rÉglise, et le
pontife qu'ils avaient placé sur la chaire de saint Pierre répon-
dait aux besoins et aux vœux de la chrétienté. Le lendemain
même de l'élection, le pape écrivant de sa main(i), suivant
Tusage, aux princes catholiques, exprimait les pensées qui
allaient inspirer tout son pontificat. Ses lettres au roi de France
(1) 2i juin 1667. fiomc, 184. — Ces lettres sont écrites sur papier, non si-
gnées et en lalien> sauf le Salulem du commencement et le Uatum de a fin.
CLÉMENT IX ET l' AFFAIRE DE CASTRO 207
et à la régente d'Espagne étaient conçues en termes identi-
jues(l) : après les avoir remerciés du concours qu'ils avaient
lonné à son élévation par leurs ambassadeurs et par leurs
ardinaux, il déplorait la guerre qui venait de recommencer
nlre les deux couronnes « in tempo clie Tarmi del comune
limico, opprimendo il regno di Candia, espongono, anco iu
>almatia, la fede a gravissimi pericoli...; » il représentait
ue de si grands périls ne pouvaient être conjurés qu'avec le
icours des Français et des Espagnols; il offrait sa médiation
IX deux princes, et même d'aller en personne partout où il
îrait nécessaire pour procurer la paix; et, en attendant le
îsullat de ses offices, il réclamait instamment une suspen-
on d'armes : « Si compiaccia sospendere la Maestà Vostra
armi, almeno sin' tanto che sperimenti i mezzi più proprii
ella sua bonlà e dell' opéra nostra, e di levare con questa
enerosità un padre che Tama si tcneramente del rammarico
le gli apporta il vedere esposlo il Christianesimo ad irrcpara-
île rovine... » Mais l'intervention du nouveau pape eût été
îrlainement inefficace, si Ton avait pu lui supposer quelque
irtialité en faveur de Louis XIV, dont les conquêtes sur la
?dova eilepiffillo irritaient et alarmaient TEuropc : il n*im-
jrtait pas moins à son autorité spirituelle que Clément IX
e fût ni ne parût intimidé par le puissant roi de France. Tout
1 comblant de prévenances le duc do Chaulnes et en le lais-
mt se complaire dans la pensée d'avoir mis la tiare sur la
;le du cardinal Rospigliosi, il était urgent que le père com-
lun manifestât clairement son indépendance. Il s'entoura
es cardinaux les plus connus pour leur opposition aux empié-
inient des couronnes, les plus estimés et les plus habiles du
Dllège. L'abbé de Machaut écrivait : « Clément IX commence
m pontificat par une glorieuse action, car il semble qu'en
lettant le cardinal Azzolino dans la charge de secrétaire d'Etat
i le cardinal Otthoboni dans la daterie, il se veuille servir des
crsonnes de mérite. » — « Nonobstant les grandes obliga-
ons que le pape vous a, il est certain que lui ou les siens s'ap-
liquent extrêmement à ne montrer aucune partialité, même
',1) Cest ce qui résulte dcd dépèches d'Espagne interceptées.
208 CHAPITRE DEUXIÈME
dans les moindres choses. » — « Toutes les actions el les
démarches qu'a faites le pape jusqucs ici donnent assez à
connaître à tout le monde que ses passions dominantes sont
la justice, la clémence et la libéralité (1). » L'ambassadeur de
France espérait conserver avec le cardinal Azzolino le com-
merce familier qu'ils avaient eu ensemble avant la vacance du
saint-siège; mais le nouveau secrétaire d'Etat, exprimanlà
Chaulnes la même gratitude qu'il témoignait à Tambassadeur
espagnol, fit comprendre sans retard qu'il avait désormais
d'autres devoirs et ne permit plus qu'on se présentât librement
devant lui, comme par le passé (2).
Ce qui ôta toute illusion au duc de Chaulnes et au roi, ce
fut l'énergie avec laquelle, dès la première heure, la nouvelle
cour pontificale résista aux prétentions de la France dans
l'affaire de Castro. Clément IX avait été le témoin indigné
des efforts faits par Louis XIV, même pendant qu'Alexandre VU
était à l'agonie, pour lui arracher la désincamération, quoique
le duc de Parme eût encore violé ses engagements. Les car-
dinaux Rospigliosi^ Azzolino et Otthoboni étaient connus
pour partager tous les sentiments que divers articles de Pisc
avaient inspirés au feu pape. La détermination de Clément IX
fut prise à l'instant : jamais il n'exécuterait volontairement
une clause imposée « le poignard sur la gorge ». Les Français
pouvaient reprendre Avignon et envoyer à Rome une nouvelle
armée. Il verrait alors ce qu'il aurait à faire, mais toute la
terre saurait qu'il épousait la cause sacrée de son prédécesseur
et qu'il résisterait à l'injustice jusqu'à l'extrémité. L'abbé
Jacopo Rospigliosi, internonce à Bruxelles, reçut Tordre de
revenir en Italie par la France, de s'arrêter à Saint-Germain
et de laisser comprendre au roi les intentions de son oncle.
(1) A Lionne, 21 juin, 12 et 26 juiUet 1607. Home, 184 et 185.
(2) a Mi duole [solamente, écrivit-il sur-le-champ au duc de Chaulue;^, cbr
il posto medesimo, chc Vostra Eccellenza mi ha si beu ajutato a consegiiire
mi sia d'impedimento a poter continuare qur!/a /ieffreta communicazione che
io ho finhora tenula con Vostra Eccelleuza... ))(2i juin 1667.) — Le lendemain,
refus d'audience : « Vostra Eccelleuza mi toglic il modo di poter oggi ricevere
le sue grazic, pcr che mi obliga la sua udieuza con S. Santità a scrivere, ollre
aile altre occupazioui che la présente spedizioncdaalle mie debolezze, etc.. »
(22 juin. Romet 184.)
CLÉMENT IX ET L^ÂFFAIRE DE CASTRO 209
Le 21 juin, en apprenant à Louis XIV le choix du secrétaire
d'Etat et du dataire, le duc de Ghaulnes ajoutait : « J'en au-
rais bien de la joie, s'ils n'étaient pas déclarés contre le traité
de Pise (1). » Il crut un moment à des dispositions plus favo-
rables et il écrivit à Lionne : « Il n'a paru aucun écrit du pape
[Alexandre VII] ni au sacré collège ni au pape, et Ton dit
que le cardinal Chigi les a supprimés pour l'honneur de la
mémoire de son oncle et pour son intérêt particulier (2) » ;
mais ayant abordé ce sujet dans son audience du 8 juillet, il
reconnut que la volonté de Clément IX serait inébranlable :
« Je crus, Sire, écrivait-il, ne devoir parler à Sa Sainteté de
l'affaire de Parme que comme d'une chose faite, et lui dis
que, le pape Alexandre ayant donné tous les ordres et les
chîrographes nécessaires pour Tentière conclusion du traité
de Pise, le seul retardement de l'argent de M. de Parme en
avait empêché Texécution, et que, comme dans les nouveaux
pontificats, les ordres des papes morts devaient être confirmés
aux officiers, j'avais à lui en demander pour ceux de la Cham-
bre, afin qu'ils reçussent l'argent de M. le duc de Parme. —
Dans cet instant, Sire, le pape changea de posture et rougit. »
Il me dit que l'affaire est de grande importance et peut désho-
norer le commencement de son pontificat; que d'ailleurs il
avait chargé son neveu d'en parler à Votre Majesté. — Je
répliquai que j'attendrais de nouveaux ordres, mais que je ne
pouvais laisser dire que cette allairc fût honteuse pour le
saint-siège .. . — « Sa Sainteté me dit que je savais bien comme
les choses s'étaient passées ; que l'on n'avait jamais demandé la
désincamération de Castro au feu pape que pour se venger de
lui ; que les choses passées durant l'ambassade de M. le duc
(1) Bomey 184.
(2) Le cardinal Chigi, incapable de se prêter à de pareils calculs, demeura
toujours fidèle à la mémoire de son oncle. Après rélection de Clément IX, il
écrivit à Louis XIV une lettre respectueuse et pleine de dignité (23 juillet 1667.
Rome, 184.) Le roi lui fit une réponse que Cliaulnes ne rendit pas, la trouvant
trop bienveillante pour ce cardinal qui « faisait le pis qu^U pouvait contre le
traité de Pise. » Lionne approuva l'ambassadeur d'avoir retenu la lettre du
roi, et lui en envoya une autre « moins engageante >'. Ce qui est une nouvelle
preuve que ie duc de Cbaulnes n'avait pas noué avec le cardinal Chigi, pen-
dant le conclave, cette liaisou équivoque dont il s'était vanté dans ses pre-
mières dépèches.
LOOIS XIV ET LB 9AINT-81È0E. — ' II. 14
210 CHAPITRE DEUXIÈME
de Gréquy avaient sur la fin donné lieu à cette demande, mais
qu'étant changées par son exaltation, Sa Sainteté espérait
que Votre Majesté conserverait d'autres sentiments pour elle. »
— L'ambassadeur inquiet chercha, par Tentremise de Retz, à
pénétrer les intentions d'Azzolino : le secrétaire répondit sans
détour « qu'il voyait bien ce que le cardinal de Retz lui voulait
dire et que, voulant peut être parler de l'affaire de Parme, il
souhaitait de s'en éclairciravec lui et avec le duc de Chaulnes,
avec la même netteté qu'il avait agi dans le conclave; que
l'ambassadeur pouvait bien juger, par son audience^ que Sa
Sainteté n'était nullement disposée de l'achever, et qu'il pou-
vait l'assurer qu'elle ne s'y résoudrait jamais, parce qu'elle
croyait ne le pouvoir faire ni en conscience, ni en hon-
neur; que ce qu'il lui disait ne partait d'aucun sentiment par-
ticulier, mais par la connaissance qu'il avait du fond de
l'affaire ; que les sentiments du pape pour Sa Majesté et
pour la France étaient admirables; que l'on trouverait sur
toutes les autres choses de très bonnes et très grandes dispo-
sitions dans son esprit, mais que^ pour le fait particulier
de Parme, Sa Sainteté n'y contribuerait jamais rien du sien;
que Sa Majesté pourrait faire agir son autorité, mais que
l'on n'aurait jamais le consentement du pape... » Le duc de
Chaulnes écrivait en même temps à Lionne (i) : « Je ne doute
pas que vous ne jugiez la matière présente de Parme d'une
très grande importance, parce que ce sera le fondement de ce
pontificat ... Je voudrais que M. le duc de Parme put trou-
ver quelque royaume au lieu de (^aprarole, craignant avec
raison que celte affaire ne change la face de tout ce ponti-
ficat ... »
Lionne voyait bien lui-même les difficultés que la France
s'était créées par le traité de Pise : il avouait qu'il n'espérait
rien de Jacopo Rospigliosi avec lequel il eut plusieurs confé-
rences, à Paris : Ce prélat, dit-il, « s'est toujours défendu sur
ledecoro délia sede apostolica et la considération de Tignonii-
nie de ce pontificat comme de l'autre. » Aussi, ce ministre
adressa- t-il au roi, qui était alors au camp devant Douai, un
,1) 12 juillet 1607. Home, I8i.
CLÉMENT IX ET l'âFFAIRE DE CASTRO 211
mémoire qui devait être lu en conseil (1). Clément IX avait or-
donné à son neveu de remontrer à la cour de France qu'elle
avait trois raisons principales de renoncer à l'article de Pise
sur Castro : « Tune, de la crainte et de la force qui furent les
seules causes du traité de Pise ; la seconde, que les cardinaux
en signant protestèrent tous qu'ils n'en avaient pas le pouvoir
à cause de la bulle de Pic Quint qu'ils avaient jurée aupara-
vant; et la troisième, que Sa Sainteté ne pouvait croire qu'un
grand roi, pour qui elle avait tant d'estime et de tendresse,
voulût que son pontificat fût ignominieux, comme celui de son
prédécesseur, pour s'être accommodé à cette grande violence. »
Le pape avait donc décidé de renvoyer l'affaire à une Congré-
gation ou à la Chambre apostolique. Le duc de Parme, pour
se procurer de l'argent, avait accablé ses sujets d'impôts, en
violation des clauses de son investiture, de sorte qu'il avait
même encouru Tincamération de Parme et de Plaisance. Mais
le pape proposait un accommodement amiable, dont une con-
dition eût été le paiement au prince d'une somme d'argent
égale à la plus-value de Castro. « Je me suis fort tenu par mes
répliques, dit Lionne, dans ce retranchement qu'il y avait un
bon traité signé et ratifié de la main du feu pape même. »
Vainement le ministre représentait encore à l'abbé Rospigliosi
qu'on peut dire de tous les traités, même de celui des Pyré-
nées, qu'ils sont le résultat de la contrainte ; — comme si
Alexandre VU avait jamais connu la fortune des armes, et
n'avait pas été victime du plus criminel abus de la force!
Aussi Lionne a peu de confiance dans son argument^ et il
poursuit en ces termes : « Coite affaire est fort embarrassante,
el Sa Majesté en verra d'un clin d'œil toutes les raisons de
part et d'autre ; car, comme d'un côté il est très fâcheux d'avoir
éternellement à soutenir une affaire contre tous les papes et
toute la cour de Rome, qui, par cette raison, sera aussi éter-
nellement contraire aux intérêts de cette couronne, et cela
pour un prince, duquel, pour la faiblesse de ses qualités per-
sonnelles, elle ne tirera jamais aucun service, et lequel même,
par sa pure faute de n'avoir pas assemblé tout son argent à
(l) 21 juillet Hi67. — A Cliaulues, 21) juillet, liotfie, 185.
212 CHAPITRE DEUXIÈME
temps, a laissé perdre et corrompre l'occasion de faire exécu-
ter le traité de Pise au feu pape qui Tavait fait et ratifié, » il
sera fâcheux, d'un autre côté, que le roi renonce à Texécution
d'un traité solennel, et abandonne un prince « que le monde a
vu que Sa Majesté a protégé, quoique sans autre motif que de
choquer le feu pape. » Le roi a trois partis à prendre : 1° « Dé-
clarer formellement à M. Tabbé Rospigliosi » que le traité re-
cevra son exécution ; mais le roi considérera qu'il « entre par
là dans un engagement perpétuel contre la cour de Rome »,
et qu'elle ne cédera pas, « à moins que Sa Majesté envoie une
nouvelle armée » ; 2^ « Conniver secrètement à cette voie [de
laisser juger le différend par les tribunaux de Rome] que veut
prendre le pape, en disant coniidemment à M. Tabbé Rospigliosi,
et le priant d'en garder le secret inviolable, que Sa Majesté,
aimant mieux les satisfactions de Sa Sainteté et l'avantage du
saint-siège que celui d'un prince auquel d'ailleurs elle n'a au-
cune obligation, oui bien lui à elle, ne trouvera rien à dire que
Sa Sainteté députe quel tribunal elle voudra pour connaître
de toute l'affaire ; mais, pour ce parti-ci, j'avoue que, n'étant
pas dans la bonne foi, ni par conséquent de la grandeur d'âme
de Sa Majesté, de mon faible sentiment je ne le prendrais
pas »; 3** Envoyer Tabbé Siri(l) au duc de Parme (en lui
payant son voyage et le caressant pour l'animer) et lui conseil-
ler d'accepter la transaction offerte par le pape ; en retour,
exiger de celui-ci des grâces publiques et considérables,
comme les induits d'Artois, etc., et un chapeau pour M. de
Béziers.
Le mémoire de Lionne est du 21 juillet; le lendemain, Clé-
ment IX déclarait de nouveau à l'ambassadeur de France que
jamais il n'exécuterait volontairement cet article de Pise. 11
me dit, écrivait Chaulnes (2), « que Dieu avait peut-être tiré
du monde Alexandre VII dans le temps que cette affaire devait
finir, pour que le saint-siège ne reçût pas cette honte, et que,
si quelque chose avait consolé son prédécesseur à la mort,
(1) Villorio Siri, pamphlétaire et publicisle, pris aux gages de la France par
Mazariu, vivait à Paris^ où il avait le titre de résident du duc de Parme^ soo
souverain.
(2) 20 juillet 1667. Rome, 185.
CLÉMENT IX ET l'aFFAIRE DE CASTRO 213
c'avait été Tespérance que cette affaire finirait avec lui, et de
n'avoir pas reçu ce déplaisir durant sa vie; qu'aussi Sa Sain-
teté avait lieu d'espérer que, puisque Votre Majesté lui avait
mis la tiare sur la tête, elle la lui conserverait sans tache. »
Je répondis que « je ne dissimulais pas à Sa Sainteté que,
dans le traité de Pise, il n'y eût eu des clauses contre la per-
sonne du pape Alexandre; que je lui dirais même qu'il était
certain que la pyramide n avait pas été une chose honorable
pour son pontificat, ni le voyage de M. le cardinal Chigi avec
toutes ses circonstances, mais que jamais la réintégration du
duc de Parme dans ses Etats n'avait été prise pour une ven-
geance des choses passées ou une [autre] satisfaction à Votre
Majesté que celle d'appuyer la justice d'un prince opprimé;
et qu'à l'égard d'Alexandre Vil, je pouvais prendre la liberté
de dire à Sa Sainteté que jamais il n'avait témoigné que ce fût
une affaire qu il eut à contre-cœur, puisque Tinexécution dé-
pendait en quelque façon de lui et qu'il n'avait eu qu'à empê-
cher sous main que les banquiers ne servissent M. le duc de
Parme pour assembler son argent, ce qu'il pouvait faire faci-
lement par les ministres qu'il avait; ... mais que publiquement
le change s'en faisait; ... que, quand on en avait parlé au
pape, il avait toujours répondu qu'il ne ferait jamais de dif-
ficulté d'exécuter le traité de Pise... L'on peut inférer [des
paroles de Sa Sainteté], dit l'ambassadeur en terminant, qu'il
faut que le pape Alexandre VU ait fait des écrits contre le
traité de Pise... et qu'ils soient entre les mains du pape. »
Quelques jours auparavant. Clément IX avait tenu un con-
sistoire où il avait « juré les bulles selon la coutume, et cela,
dit le duc de Chaulnes, a bien fait parler sur l'affaire de Cas-
tro. » L'opinion publique était agitée. L'abbé de Bourlemont
écrivait : Le pape n'a fait encore des grâces qu'à des parti-
culiers, il faut qu'il rende justice aux princes et surtout au
roi; il faut qu'il exécute le traité de Pise, quoique les en-
vieux de la France prétendent que Clément IX doit refuser
satisfaction sur Castro et réclamer la destruction de la pyra-
mide (1). — L'abbé de Machaut dit à son tour : Tout Rome
(1) A LioDDe, 11 juillet. Romc^ 184.
214 CHAPITRE DEUXIÈME
attend ce que vous allez faire pour Castro. Clément IX ne
serait pas le premier pape de son nom à exécuter un traité
rigoureux pour le saint-siège : on peut lui rappeler l'histoire
de Clément VIL « Je ne sais si Ton ne vous aura pas mandé
de certaines paroles qu'il a fait mettre à Tentour de ses mé-
dailles, qui me feraient croire que le pape se propose de sou-
tenir toute sorte d'adversités pourvu qu'il persiste dans les
sentiments qu'il croit devoir avoir (1). »
Louis XIV était à la tète de son armée, en pleine conquête
delà Flandre, lorsqu'il reçut le mémoire de Lionne. Il trouva
le pape bien hardi de remettre en question un traité solennel;
mais le cauteleux le Tcllier, qu'il avait auprès de lui, calma
son irritation; et, sous le contro-seing de ce ministre, le roi
répondit à Lionne qu'il préférait le troisième parti (2). Un inci-
dent imprévu rendait d'ailleurs impossible toute autre résolu-
lion : les dépêches françaises, non chiffrées, où était rapporté
l'entretien du ministre avec le neveu du pape, avaient été
interceptées par les Espagnols et communiquées aux parties
intéressées. On connut ainsi, à Parme et à Rome, le mépris
professé en France pour le prince italien et les aveux de Lionne
sur l'iniquité des articles de Pise. Comment le roi aurait-il pu
sérieusement se présenter encore au pape comme le protecteur
magnanime d'un prince opprimé, et poursuivre une revendi-
cation qui aurait eu pour conséquence la descente d'une
armée française dans les États romains (3)? Il fut donc décidé
(1) A Lionne, 16 août 1667. Rome, 185. — Eu effet, Cléuienl IX, élu le 20 juin,
jour où se célèbre la ft^tc de saint Silvère, pape, martyr de sa résislauce
aux prétentions injustes de Justinicn, avait mis son pontificat sous les aus-
pices de ce grand saiut. Sa première médaille porte les mots : <t Constaniia
Siiverii ad imitandum proposiia. *>
(2) « ... Je ne puis donner les mains aux ouvertures qui vous ont été faites
sur ce sujet (abandon du traité de Pise). Que si notre saint-père le pape veut
bien faire parler à mon cousin le duc de Parme au même sens que mon cou-
sin Rospigliosi s*est expliqué avec vous sur la conduite que S. S. projette de
garder, quand on le pressera de la désincamérntion, j'engage ma parole que,
lorsque mon cousin le duc de Parme réclamera ma protection, j'emploierai
mes offices auprès de lui aussi efficacement qu'il se pourra pour le porter à
quelque accommodement qui soit de la satisfaction de S. S. et de la sienne
particulière. » (Le roi à Lionne, de Douai, 25 juillet 1667. /{orne, 185.)
(3) Un parti espagnol a arrêté le courrier qui portait mon mémoire sur
Castro et la réponse du roi, non chiffrés. Le marquis de Castel- Rodrigo, gou-
CLÉMENT IX ET l' AFFAIRE DE CASTRO 215
e le roi exhorterait son protégé à transiger avec le souve-
n pontife. « J'attends, dit le duc de Chanlnes à Lionne (1),
ffet de quelqu'un de vos tours pour faire entendre raison h
le duc de Parme : je crois que vous n'aurez pas de peine à
gner l'abbé Siri. » Mais le duc de Parme fut vivement blessé
m pareil traitement (2), et son irritation redoubla quand les
pagnols eurent publié en Hollande le mémoire de Lionne,
ibbé Siri se plaignit au ministre : « Je lui répondis, écri-
it Lionne (3), en termes sanglants qui lui faisaient voir qu'il
îtait qu'un fat et un impudent. » Je le menaçai de la Bas-
ic : « il en était plus mort que vif ». 11 est venu me faire
s excuses et je lui pardonnai, à la condition « qu'il chante-
it la palinodie, » en recommandant à son maître cette même
ansaction. II le fera, « je lui ai même dressé la première
Ltre qu'il doit écrire, où j'ai établi deux fondements : Tun,
le M. l'abbé Rospigliosi m'avait déclaré, par ordre du pape,
le jamais il ne rendrait Castro, qu'il ne vît une armée fran-
ise aux portes de Rome ; qu'alors véritablement il le ren-
ait, parce qu'il en serait disculpé par le monde, nul ne pou-
nt résister à une force supérieure (4) ; l'autre, que Sa Majesté
enverrait jamais* cette armée contre Clément IX et qu'il ne
rait pas non plus en volonté, ni peut-être en état, de le faire
ntre tout autre pape; que c'était, sur ces deux principes, à
. de Parme à juger » ce qu'il avait à résoudre. Chaulnes eut
dre dlnsinuer au pape qu'en compensation de ces bons offi-
s le rci attendait du saint-siège une grâce extraordinaire,
'Dour d(s Pays-Bas, les cuvcrra sans doute au marquis d'Astorga, ambassa-
jr à Roue, qui en fera part au duc de Parme. « A cela je ue vois autre re-
!dc que le nier fortement, et que ce 80Dt des chimères qu'ils ont forgées sur le
idemenlde rinterception d'une dépêche. » (Lionne à Chaulnes, 19 août 1667.
me, 185. — Le 6 septembre, Chaulnes répond qu'il « craint bien les suites »
la saisit de ces lettres. {Rome, 186.)
1) 17 jaivier 1668. Home, 189.
2) 11 ne .'eut pas d'accommodement : je lui réponds que « les affaires du
. ne sont pas en état 7//'// puisse, veuille, ni doive prendre les armes pour
'cer S. s à la prompte et fidèle exécution du traité de Pise et que ce se-
t nous T>uIoir tromper nous-mêmes, si nous croyons qu'a moins de cela
cour de Home le fasse. » (Lionne à Chaulnes, 24 février 1668. Home, IStl.)
3) A Chailnes, 27 avril 1668. Home, 190.
4) Ainsi dément IX reprend pour lui-même et s'approprie expressément la
ote&tatioi secrète d'Alexandre VU contre le traité de Pise.
216 CHAPITRE DEUXIÈME
telle que Tavance du chapeau pour M. de Béziers (1) ; mais Clé-
ment IX rejeta toujours celte demande avec mépris, et il finil
par n'entendre plus parler de Castro. Le roi voulut seulement
se réserver le moyen de réveiller ce différend sous un autre pon-
tificat, et Lionne écrivit au duc de Ghaulnes : « En cas que Son
Altesse (le duc de Parme) veuille faire quelques protestations,
vous devez lui accorder, s'il le souhaite, d*y faire intervenirquel-
qu'un de vos domestiques pour en autoriser davantage Tacte,
ainsi qu*il a été ci-devant pratiqué en d*autres pareils actes,
qui est bien le moins qu'on lui puisse accorder, sans que cette
cour, qui a la substance de ce qu'elle peut désirer, puisse rai-
sonnablement rien trouvera dire à cette intervention (2). »
Rien n avait plus contribué à délivrer Clément IX de ce dan-
ger que son application constante à défendre le souvenir de son
prédécesseur. Louis XIV voyait la preuve de sa résolution
invincible dans les marques d'attachement et de respecf qu'il
prodiguait, avec toute la cour pontificale, à la maison Chigi.
Il retarda longtemps son entrée au Quirinal où le feu pape élait
mort, et le duc de Chaulnes apprit avec dépit de sa propre
bouche que le seul motif était « la considération de ne pas se
trouver si tôt dans les appartements d'Alexandre VII, dont la
mémoire lui devant être chère, la vue des lieux ne pouvait
que lui renouveler beaucoup de sentiments tendres quil avait
pour lui (3). » Don Mario Chigi, dona Bérénice et leu: fils, le
cardinal Flavio Chigi, ayant été atteints en même tenps des
fièvres romaines, les deux premiers moururent à quelques
jours Tnn de Tautrc : « Quelle joie, écrivait l'ambassadeur de
France, aura le pape Alexandre de revoir son frère, dappren-
dro par lui le bon traitement que sa famille reçoit dan; ce pon-
tificat, et que pas une de ses inscriptions en marbre l'ont été
effacées (4) ! » Le cardinal Chigi guérit, et le duc écritencore :
« Il n'y a pas desoins que le pape n'ait pris de lui, y mvoyant
tous les jours deux fois, et son antichambre ayant été peu,
(4) Lionne à Chaulnes, 19 août 1667. Rome, 187. — Chaulnes au •©?, 15 mai
1668. Rome, 191.
(2) 22 juin 1668. Rome, 191.
(3) Chaulnes uu roi, 15 novembre 1667. Rome, 187.
(4) A Lionne, 15 novembre 1667. Rome^ 187.
CLÉMENT IX ET L*AFPAIRE DE CASTRO 217
dans le fort de son mal, sans quelqu'un des parents de Sa Sain-
teté, laquelle ayant été touchée, comme d'un de ses proches,
de la mort de don Mario, dit le lendemain la messe des morts
à son intention (1). » A la grande indignation du ministre
de Louis XIV (2), Clément IX comprit dans sa première pro-
motion (12 décembre 1667), avec son neveu, Tabbé Jacopo
Rospigliosi, et le prince Léopold deToscane, le jeune donSigis-
mondo Chigi (3), âgé de dix-neuf ans, sévèrement élevé parle
feu pape son oncle, intelligent, modeste et dont la mort pré-
maturée devait être une grande perte pour TÉglise. L'ancien
nonce de France, le cardinal Roberti, auxiliaire si dévoué
d'Alexandre VII, reçut l'importante légation desRomagnes(4).
Ces démentis publiquement donnés aux prédictions et aux
calomnies du palais Farnèse excitaient le ressentiment de
l'ambassadeur et redoublaient son désir d'être rappelé.
C'est surtout par son zèle pour le rétablissement de la paix
mtre la France et l'Espagne que Tancien secrétaire d'Etat se
non tra continuateur d'Alexandre VII. Dût-il être injurieuse-
nent écarté du futur congrès, comme son prédécesseur Tavait
té de celui des Pyrénées, il réclama le droit de faire entendre
des princes catholiques la voix de leur père commun. Dès le
(1) Chaulnes au roi» 29 Dovembre. Rome^ 187. — Nous avons cité plus haut
ne lettre de Machaut nous apprenant que Chigi avait, outre les parents de
lèment IX, vingt-cinq ou trente cardinaux autour de son lit, pendant sa ma-
idie.
(2) Chaulnes s'imagine puérilement que \e peuple voudrait voir « le cbAtiment
u passé », tandis que le pape accable de bienfaits la famille d'Alexandre VII.
l ne pardonne pas à Clément IX d'avoir rendu à don Sigismondo les 35 ou
0,000 écus de charges que sa promotion avait fait vaquer. (Au roi, 18 dé-
?mbre 1667. Rome, 187.)
(3) « Il cardinale Sigismondo porta nella età di vinti tre anni la dignità
3n tal forma che si concilia amor e stima, e, se il progresso negli anni non
> pregiudica, fa creder dover essere ai suoi giorni uno dei più rispleudenti
ardinali nella virtù e nella esperienza. » {Relazione di Roma, de Grimani,
671. Relazioniy t. II, p. 351.) — Le cardinal Flavio Chigi céda bientôt an jeune
rélat, avec le consentement du pape, la charge de préfet de la signature de
istice, mais sous la condition qu'il ne Texercerait pas en personne avant
u'il eût trente ans. Jusque-là, il y serait suppléé par un autre cardinal, et
ouB savons par Bourlemont lui-même qu'il travaillait assidûment à se rendre
ipable de bien remplir ces importantes fonctions. (A Lionne, 10 janvier 1668.
orne, 189.)
(4) Machaut à Lionne, 2 août 1667. Rome, 185.
218 CHAPITRE DEUXIÈME
22 juin (i), il avait averti Tambassadeur de Louis XIV qu
venait d'écrire une longue lettre au roi pour lui offrir sa mi
diation personnelle, en sollicitant une suspension d'armes, <
d'inviter son neveu à se rendre de Bruxelles à Saint-Gerraaic
Le duc écrit : « Ayant trouvé le zèle de Sa Sainteté fort lom
ble, mais un peu trop ardent, » je répondis que, Votre Mfi
jesté étant sortie le 26 mai de son royaume, il serait bie
difficile d'arrêter « le cours de la justice qu'elle se faisait.,
Comme je voyais que, par cette proposition de Sa Sainteté
elle s'exposait un peu trop, et que le refus d'une chose qu'ell
se mettait peut-être en tête d'espérer pourrait la surprendre
je passai outre. » Le pape insista, et Chaulnes rencontrant!
même jour le cardinal Azzolino, lui « dit plus à découvert que
si Sa Sainteté faisait instance à Sa Majesté de suspendre se
résolutions étant à la tête de son armée, il ne fallait pas quec
fût dans l'espérance que ce pût être une chose possible. »
Lorsque l'abbé Rospigliosi renouvela les mêmes instance
au nom de son oncle, les Français avaient conquis une pa
tie de la Flandre et, après avoir pris Douai et Courtrai, i
allaient bientôt mettre le siège devant Lille. Déjà les Hollai
dais, alarmés de voir le roi s'approcher de leurs frontières, 1
avaient demandé de s'expliquer sur ses desseins : leurs inqui
tudes se communiquaient à d'autres pays, et la réponse i
Louis XIV à la cour pontificale se ressentit des préoccup
tions que lui donnait l'état des esprits en Europe. Tout (
déclarant qu'il ne pouvait pas interrompre les voies de k
sans se causer un préjudice irréparable, et qu'étant déjà ei
gagé envers d'autres puissances, qui s'intéressaient au rél
blissement de la paix, il ne croyait pas opportun de chois
Rome pour siège du congrès, il prenait un ton moins alti
et acceptait l'intervention du souverain pontife, qui serait
chef de tous les médiateurs. D'ailleurs, disait-il au duc <
Chaulnes, « je veux donner à Clément IX autant de pouvo
en France qu'en a eu autrefois le dernier pape du même no
sur le grand roi, mon aïeul. » Et Lionne, dans une lett
particulière, chargeait l'ambassadeur de lire au pape la dép>
(1) Chaulnes an roi, 22 juio 1667. liomej 184.
(;UERRE DES « DROITS DE LA REINE » *219
cheduroi, sans laisser soupçonner cette suggestion (i). Par
un bref très affectueux, qui devait parvenir à Lionne vers le
temps où Tabbé Rospigliosi passerait à Paris, le pape pressa
le ministre d'appuyer ses conseils pacifiques (2). Après Toccu-
palion de la Flandre, et quand on sut que la médiation ponti-
ficale était acceptée aussi à Madrid, les Français eurent pour
Rome des attentions dont l'habitude était depuis longtemps
perdue. Le roi envoya par un exprès au souverain pontife le
projet de traité qu'il offrait à l'Espagne, cette célèbre aller-
native des conquêtes faites jusque-là dans les Pays-Bas, où
d'un équivalent comprenant le Luxembourg, la Franche-
Comté, le Cambrésis et un certain nombre de places fortes.
A entendre Louis XIV, il voulait confier au saint-père ses plus
secrètes pensées, et il accordait une suspension d'armes pour
permettre aux Espagnols de délibérer et aux médiateurs
d'interposer leurs offices. Le même jour, Lionne écrivait au
duc de Chaulnes(3) : « Le roi voit bien qu'il est temps de
songer à faire le baptême de M»*" le Dauphin (4). Si le feu pape
avait vu les années de saint Pierre, et qu'on eût dû attendre
le poil follet au menton de mondit seigneur, Sa Majesté ne
lui aurait pas donné cette gloire d'être son parrain. Il m'a
passé par l'esprit de la procurer aujourd'hui à Sa Sainteté, si
vous reconnaissez de delà qu'on l'estime autant qu'elle vaut
en effet; autrement, rien ne nous presse. En cette cérémonie,
il y a la déclaration d'un légat. Il me semble que, quand
Henri le Grand voulut que Paul Quint fût le parrain du feu
roi, il fit légat pour cette occasion-là M. le cardinal de Joyeuse.
Le même choix se pourrait faire à présent et Sa Sainteté choi-
sir ou le cardinal de Vendôme, ou le cardinal Antoine, selon
que Sa Majesté agréera plus Tun ou l'autre. » Si cependant
M. I abbé Rospigliosi faisait accepter à l'Espagne Yalterfiative
Pt qu'il n'y eût plus qu'à signer le traité, il pourrait venir en
France pour ces deux cérémonies.
(1) Ise roi et Lionne à Chaulnes, 18 juillet. — Lionue au roi, 21 juillet 1667.
Home, 185.
(2} 16 août. Romey 185.
(3) 1er octobre 1667. Rome, 1«6.
(4) Qui avait alors près de six ans : il était aé le i^^ novembre 1661.
220 CHAPITRE DEUXIÈBfE
L'ambassadeur répondit : L'offre d'être parrain du dauphin
fera vivre le pape « dix ans de plus ». — Il a « pris feu » sur le
baptême et dit qu'il recevra avec toute la joie possible celte
preuve de Tamilié du roi (4). — Il loue le roi de sa disposition
à traiter^ « et comme Sa Sainteté parle bien et aime à parler»
et que la langue italienne a encore plus de force que la nêtre
et des manières plus touchantes, je ne pourrais rien dire, Sire,
de plus à Votre Majesté qui ne fût beaucoup au-dessous des
expressions que Sa Sainteté me fit (2). » — Mais le pape était
trop sensé et trop bien informé, notamment par Tabbé Jacopo
Rospigliosi (3), pour se méprendre sur les vrais sentiments de
Louis XIV. 11 devinait fort bien que la proposition de tenir
le dauphin sur les fonts du baptême ne serait qu^un acte de
déférence simulée. Il se faisait lire toutes les gazettes de Paris,
sachant que l'article de Rome était rédigé par Lionne lui-même
ou sous son inspiration directe, et il y avait vu cette nouvelle
avec la désignation précise du cardinal de Vendôme comme
(1) A Lionne, 17 octobre et 27 décembre 1667. Rome, 186 et 187.
(2) Au roi, !«' novembre 1667. Rome, 187. C'est alors seulement que Lionne
répondit an bref du 16 août : « Très-Saint Père, disait-il, une indisposition qui
me tient au lit depuis huit jours me force à no pouvoir que par le secours
d'une main étrangère rendre mille actions de très humbles grâces à V. S.
de rhonneur incomparable qu'elle m'a fait de me déclarer ministre aposto-
lique auprès du roi, dans un rencontre d*au8si grande importance que l'est
sans doute tout ce qui peut regarder le rétablissement du repos de la chré-
tienté. J'ai tâché de m'acquitter le mieux que j'ai pu de ce glorieux ministère
afin de la convier, par l'accomplissement de ses intentions, à m'honorer sou-
vent de la même qualité; car non seulement elle n'a rien d'incompatible avec
celle de ministre du roi, mais je puis dire, dans les sentiments où je vois tous
les jours S. M. d'une profonde vénération pour la sacrée personne de V. B-
et d'un très ardent désir de lui complaire en toutes choses possibles, que cet
emploi de leur ministre commun pourrait facilement et à l'avantage de U
chrétienté être toujours exercé par une même personne. » (28 octobre 1667.
Rome, 186.)
(3) « ... Niun uipote di papa è comparsoin tcatro più iuformato di lui; meu •
tre in corte Cattolica fu sempre a parte délia lunga nunziatura del zio, nella
secreteria di Stato in Roma era l'unico direttore, formando lettere e risposte
negli affarl dei principi. Insorti poi li turbini per le pessime rcsolutioni con
l'ambasciatore Crequi, fu prima epedito a San Quirico e poi a Livorno con in-
tcutioue piuttosto di portar le lusinghe di palazzo che di soddisfare Tamba-
sciatore duca. E, aggiustato in fine il negotio, fu nella legatione di Chigi spe-
dito in Francia a conceriare le formalità del irattamento, e, ritornato in Roma,
con titolo d'internuntio passai in Fiaudra, etc. »> (Relazionef de Quirini, t. Il,
p. 330.) — En 1667, il avait trente-huit ans.
GUERRE DES « DROITS DE LA REINE » 221
égat^ avant d'avoir reçu aucune instance formelle. Louis XIV
'oulait évidemment que l'acceptation de Clément IX parût
ilutôt imposée que sollicitée. Le duc de Chaulnes lui-même
»làma ce procédé (1), et Lionne lui répondit avec beaucoup
l'aigreur : <( Le roi avait dit confidemment à Monsieur sa
»enséc sur le baptême deM^' le Dauphin, et Monsieur a laissé
pancher ce secret ; mais il n'y a pas en cela grands inconvé-
lients ; car, si ce que vous en direz à M. l'abbé Rospigliosi n'y
rouvait pas Testime que la chose mérite, Sa Majesté pourrait
trendre d'autres pensées (2). » D'un autre côté nous lisons
lans la relation de l'ambassadeur vénitien Quirini : <( Sotto
[uestc nccessarie apparenze, ben conosce il pontefice che la
■"rancia principià laguerra con felice temerità e che la média"
ione délia pace, dalla stessa corona introdotta, non habbia
iltro oggetto che il Rè cattolico lusingato disarmij e disar-
nato s'opprima (3). »
Aussi, tout en remerciant le roi de sa prétendue confi-
lencé, Clément IX répondit nettement au duc de Chaulnes
]ue depuis quelque temps déjà ses nonces lui avaient appris
;es conditions léonines, et lui représenta l'impossibilité de
es faire accepter à Madrid. L'ambassadeur écrivit : Sa Sain-
eté m*a demandé « comment les Espagnols proposeraient
le s'accommoder sur les conquêtes, laissant toujours le môme
iroit à Votre Majesté sur le Brabant et autres lieux. Elle pour-
suivit que, pour accommoder les affaires, il fallait parler contre
;elui qui était présent et en faveur des absents, et qu'ainsi, me
roulant aussi parler à cœur ouvert, sans que cela fit consé-
[uence, elle voyait une grande difficulté de laisser toujours la
nême matière de reprendre les armes.» Mais toute discussion,
oute remontrance était importune à Louis XIV. Le pape fut
iverti que, si les Espagnols ne signaient pas dans les trois mois,
^s instances pour la prolongation de l'armistice seraient mal
iccueillies (4) : « Vous déclarerez à Sa Sainteté, disait le roi (5),
(l) A Lionne, 22 novembre 1667. Rome^ 187.
(3) A Chanloes, 16 décembre 1667. Rome^ 187.
(3) /{e/asioni, II,33i.
(4) Chaulnes au roi, !•' novembre 1667. Romet 187.
(5) Le roi à Chaulnes, 25 novembre. Rome, 187.
222 CHAPITRE DEUXIÈME
ce qu'il faudra porter doucement en manière d*u(ie seconde
confidence que je lui fais, qu^ii n'y aura rien à augmenter ni à
retrancher de part ni d'autre, et que les Espagnols n'auront
qu'à accepter ou à refuser Tune des alternatives que j'offrirai,
personne ne pouvant me donner le tort, quand je voudrai bien
me contenter de sacrifier au bien public toutes les espérances
de plus grands progrès, par la simple rétention de ce que me^
armes ont occupé en trois mois de temps et que l'on ne m'ôtera
pas facilement. » Pour rendre ses offices plus efficaces.
Clément IX avertissait le roi qu'il se ferait représenter au con-
grès par le nonce de Cologne, Franciolti (1), archevêque de
ïrébizonde, qu'on pouvait soupçonner de quelque prévention
contre les Espagnols.
La régente d'Espagne avait fait observer que les villes pro-
posées par les Français pour l'assemblée des plénipotentiaires,
Liège et Cologne, étaient trop près de Paris ettroploinde
Madrid, et que Tune des deux cours aurait les nouvelles trois
semaines plus tôt que Tautre ; elle demandait Rome, Tilc des
Faisans ou Venise. Elle désirait que, pendant les négociations,
les places conquises fussent confiées au souverain pontife :
Clément IX ne voulut pas même appuyer cette dernière con-
dition ; mais il offrit volontiers Rome pour siège du congrèS;
et promit toutes les dispenses et libertés nécessaires pour
lever les scrupules des médiateurs protestants. Le roi affecta
de croire à une entente secrète du pape avec les Espagnols,
et, lorsque l'abbé Vibo (2), que le cardinal Roberti avait
laissé comme internonce en Franco, communiqua au ministre
la proposition pontificale. Lionne lui répondit avec colère
que si Ton souhaitait Rome, l'Espagne y traiterait toute
(1) M Ce nonce, «'•crivit Uourlcmout, est ncvou «lu cardinal de ce nom. qui
mourut, il y a environ deux ans, porsonnago de grand mérite et d'uue insigue.
piét6; c'rtalt un dos papablcs de Tancien colU'ge et les Espagnols lui avaient
fait secrètement l'exclusion après la mort «l'Innocent X, le croyant trop sévère
et tropzéKipour le droit du saint-siège et le maintien delà juridiction ecclésias-
tique ... *> L'archevêque de Trébizonde avait été vice-légat d'.Vvignon et il était
en commerce intime avec l'abbé ilospi^Iiosi. Bourlemout le jugeait donc peu
favorable à l'Espagne. (A Lionne, H ««ctobre 16G7. Hojnc, 186.)
(2) Michel-Antonio Vibo unissait une grande fermeté aux manières les plus
courtoises et puppléait dignement le nonce Iloberti; il mourut arcbcvètiue de
Turin.
GUERRE DES « DROITS DR LA REINE » 223
seule ( 1 ) . Vainement le pape avait donné au duc de Chaulnes les
plus franches explications : Il avait, disait-il, montré sa bonne
volonté en acceptant tout de suite le premier lieu qu'on lui
avait désigné, et en y accréditant un nonce. Puisqu'on y
voyait des difficultés, il ouvrait un nouvel avis, dont le duc de
Chaulnes lui-même faisait valoir les avantages (2) : le choix
de Rome serait plus favorable à la rapidité des négociations ;
et le pape, pour obtenirles moyens de secourir à temps la ville
de Candie, pour régler sans plus de retard les affaires du Por-
tugal privé d'évèques depuis un grand nombre d'années,
exercerait en personne sur les Espagnols une pression con-
forme aux désirs et aux intérêts du roi. D'ailleurs, Clément IX
n'insistait pas pour qu'on traitât chez lui, et il prenait envers
Tambassadeur français l'engagement de se rendre en personne
(( du jour au lendemain » à Venise ou dans toute autre ville
dont on conviendrait (3).
La proposition de la reine d'Espagne et l'agrément donné
par Clément IX au choix de Rome ne déplaisaient peut-être
pas à la cour de France autant qu'elle le fit paraître (4), et un
(1) Vibo s'étaot plaint aa pape du langage violent de Lionne, celui-ci écrivit
a Ch&ulnes : « Il peut fort facilement être, quoique je ne m'en souvienne pas
précisément, que, lorsque l'abbé Vibo me parla de traiter à Rome, je lui fis
la réponse aussi crue qu'il Ta mandé au cardinal Âzzolino que VEspagney trai-
terait donc toute seule. » Et il ne se défendait guère d'avoir parlé à l'inter-
oonce « avec grande sécheresse ». (27 janvier 1668. Romej 189.)
(2) Chaulnes exposait d'abord les objections : Le pape est bien intentionné
pour la France, mais les cardinaux Azzolino et Otthoboni penchent secrètement
pour l'Espagne et pourront faire incliner le pape de ce côté. Les raisons
d'accepter sont celles-ci : on gagnera beaucoup de temps. Le pape, pour sau-
ver Candie, pressera l'Espagne de s'accommoder. Les affaires de Portugal se
termineront plus facilement à Rome qu'ailleurs, le pape y étant très intéressé,
à cause de la provision des évèchés. — Dans une dépèche particulière à
Lionne, le duc de Chaulnes demandait que le roi acceptât Rome, — ou qu'alors
il lui donnât de belles et bonnes raisons pour réfuter celles du pape, qui s'é-
tait avancé fort loin. 11 indiquait même le moyen d'écarter les difficultés de
forme auxquelles le roi paraissait s'attacher. Les médiateurs protestants, di-
sait-il, qui ne voudraient pas résider en permanence à Rome, pourraient s'é-
tablir à San Quirico, comme on l'avait vu déjà sous Urbain VIIL (8 décembre
1667. Rome, 187.)
(3) Chaulnes au roi et à Lionne, 8 décembre 1667. Rome, 187. — Au roi,
3 janvier 1668. Rome, 189.
(k) Castel-Rodrigo, « ne sachant encore rien de ce gui se passait entre Madrid
et ie pape, a donné de deçà dans un terrible panneau, contre l'intention de
224 CHAPITRE DEUXlÈBfE
document authentique, ignoré jusqu'à ce jour, semble prouver
qu'elle fut sur le point d'accéder aux désirs du souverain
pontife : c'est la minute, écrite par Lionne lui-même, du pou-
voir donné au duc de Chaulnes pour traiter de la paix à Rome;
le roi s'y félicite « que la paix se puisse conclure et signer à
Rome, aux yeux de Sa Sainteté et par son entremise. » Cet
instrument diplomatique est complet et daté de février 1668 :
Lionne n'avait laissé en blanc que le jour du mois, et il a écrit
ensuite de sa main, en tête du pouvoir, qu' « il ne fut ni en-
voyé ni expédié (i) ».
En retardant le congrès et en éludant les conseils désinté-
ressés de celui qu'il avait appelé le chef de tous les médiateurs,
Louis XIV croyait avoir le temps de consommer ses desseins
contre l'Espagne. Par l'habileté sans scrupule du chevalier de
Grémonville, qu'il appelait lui-même « le plus effronté mi-
nistre » qui fût au monde, il venait d'obtenir à Vieime un
succès inespéré : le 19 janvier 1668, la succession éventuelle
du roi d'Espagne Charles II avait été partagée entre le roi
de France et la branche allemande de la maison d'Autriche.
Le lendemain, Louis XIV informait le pape, « par respect
filial », qu'il allait entrer dans dix jours, en Franche-Comté,
à la tête d'une armée. Le premier des motifs que j'en ai, di-
sait-il, est de « donner plus de moyens à Votre Béatitude, par
cette expédition, si mes armes y sont heureuses, de disposer les
Espagnols à la paix (2). » Défiant les justes alarmes de l'Europe,
il envahit, le 2 février, le territoire de son neveu, et, le 19 du
même mois, il achevait la conquête de la Franche-Comté « en
un temps plus court, a-t-il dit lui-même, qu'il n'en faudrait
peut-être à un voyageur pour en traverser la longueur (3). »
Cependant Clément IX pensait qu'au printemps suivant
Candie aurait besoin de nouveaux renforts, sans lesquels elle
sa mattreâse, » et a proposé Aix-Ia-Chapclle à Franciotti. Profilez de cela pour
faire croire au pape que les Espagnols tiennent deux langages, et que Castel-
Rodrigo n'a pu offrir Aix-la-Chapelle sans l'ordre exprès de sa cour. (Lionne
et le roi à Chaulnes, 28 décembre 1667. Home, 187.)
(1) Borne, 195.
(2) 20 janvier 1668. Rome, 189.
(3) A Chaulne:", 16 mars 1668, Rome, 190.
GUERRE DES (( DROITS DE LA REINE » 225
uccomberait infailliblement, et qu'après la perte de ce royaume
Italie ne tarderait pas à être menacée. Le duc de Chaulnes,
•op bien instruit des intentions de son maître, n'avait que du
édainpour les projets militaires du souverain pontife : « Notre
urenne, écrivait-il à Lionne, est commandé pour le secours
e la Candie. A ce nom, ne connaissez-vous pas le marquis
lattei dont le feu pape menaçait toute la France? Ha ! pauvres
urcs ! que deviendrez-vous ? » Raillerie doublement mal-
eurcuse, car le soldat qui en était l'objet allait, quelques
)ois après, mourir comme Turenne sur le champ de bataille,
n couvrant d'une gloire nouvelle un nom déjà illustre et le
rapeau pontifical, sous lequel il combattait (i) ! Dès lespre-
liers jours de Tannée 1668, le pape avait préparé l'ouverture
e la campagne (2). Aussitôt qu'il connut l'expédition de
ranche-Comté, il écrivit un bref pathétique au roi en fa-
eur de la paix (3), et, trois jours après, le bruit s'étant répandu
.1} 17 octobre 1667. Home, 18G. — Alexuudre VU uavait jamais menacv la
'uuce ; menacé lui-môme par Louis XIV, il avait simplement char^'é le mur-
lis Mattei, son sujet, qui s'était fait une brillante réputation dans les armées
> TEnipcreur, de préparer la défense des États de TKglise tnnt que cette dé-
Qsc avait été possible. Le 18 juin 1668, le duc de Cbaulues eut la mortifica-
>n d'écrire à Lionne : '<M. Mattei, qui commandait les troupes du pape en
mdie, y a été tué. » (Home. 191.)
(2) « Le pape donne ses galères à la République pour le secours de Candie,
l'ambassadeur fera ce qu'il pourra pour obtenir <{ue S. S. demande à V. M.
même grâce qu elle fît, l'année passée, au pape Alexandre de donner la liberté
IX f^alères d'Espagne de pouvoir être employées à ce secours, » en promet-
ut de ne les pas faire attaquer dans certains parages. (Chaulnes au roi,
janvier 1668. Rome, 189.)
,:^) 11 et U février 1668. Hotne, 189 : '< Quo magis enlxe ac Indcsineuter cum
Domino petimus, tum etiani eluboramus ut, reductA Christianitati pace,
incipum annaa niutuis cladlbus in hostem communem et graviter ho iie nos
tpuguantem convertantur, eo profecto dolentius audimus nihil adhuc eorum
i&e tractatum rerum componcndarum respioiuiit actum e:fsc: cum intérim
ibatur tempus quod hujusmodi tractationi et optatîc pacis colligendo fruc-
i Tel maxime opportunum et peridoneum foret. Verum huic tanto mœrori
ramen aliquod attulit Majestatis Tuiy gravis in primis atque amstatis asserlin
là notlis ea piano confirmât voluntatis ad pacem propensuî suie studium.
7»/e uilo rerum sunrum in hnc e.rpeditione quautumvis prospero successit
nditiones (Y/s {//im^^a/f/m //*/ quibur couteutam se fore hucusque dcclaravif .
"»* equidem ex parte nosln\ promoveudis tractatibus pacis ac stabilimento
us procurando quantum maxime in nobis erit incessanter incumbemus, ne-
itj intérim rébus Candiw ad extremum discrimcn rcilactis, ac pnrsentauoo
ixilio indigentibus, qua .'iTarii proprii reiiquiis rolligiMidis atque corrodendis,
LOUIS XIV ET LE .<*A1.^T-SIK0K. — U. 15
226 CHAPITRE DEUXIÈME
que les Français allaient attaquer Naples ou le Milanais, il se
plaignit au roi lui-même avec autant d'énergie que le per-
mettait la nécessité de ménager Torgueil du conquérant. Il
déplorait la lenteur des négociations ; il rappelait habilement
la promesse faite par le roi de s'en tenir à V alternative ^ quel
que fût le succès de la nouvelle entreprise, et il réclamait
l'engagement de respecter le territoire italien pendant une
année au moins. Louis XIV répondit de mauvaise grâce qu il
s'abstiendrait d'attaquer les princes italiens qui ne lui donne'
raient aucun sujet de plainte, réservant toute sa liberté contre
les Espagnols (1). Il n'aurait pas déféré à la médiation pater-
nelle et impartiale du pape ; il dut subir la médiation impé^
rieuse et intéressée de l'Angleterre, de la Hollande et de la
Suède, qu'appuyaient les princes allemands réunis à Cologne.
« La Triple alliance, d'une part (23 janvier 1668), et la défec-
tion du Portugal, de l'autre (4 3 février), étaient les conséquences
de la guerre de Flandre et devaient en amener promptemenl
le terme (2). » Les articles de paix, d'abord arrêtés à Saint-
Germain (15 avril), furent acceptés et confirmés parle congrès
d'Aix-la-Chapelle sous la présidence du nonce Franciolli
(2 mai 1668). Estimant encore que la bienveillance pontificale
pouvait servir ses projets, Louis XIV espéra se la concilier
par des démonstrations aiïectées qui ne trompaient plus les
Romains : « Notre modération, écrivait-il au pape, aura procuré
au pontificat de Votre Sainteté l'éclatante gloire qui le doit
rendre si rccommandable au-dessus de tous les précédents, en
ce que l'autorité de Votre Sainteté, par le respect filial que
nous avons porté à sa seule personne, aura mis la paix entre
tous les potentats et princes chrétiens, ce qui ne s'était pas vu
qiià pênes principes ofBclis ulld in re certe desumus. Sed qnoniam dubiUtio
de gallicis armis in Italiam descedsuris diversos principes a fereodis Candis
quaiibuscumque ^ubsidiis rctrahere iudubie poicM, quo robur aUquod Tirium
ex bis regionibus cogère possimus, et t)arbari9 illls furentibus opponere. a
MajestateTuA vehemeuter etiam atquc ctiam pctimu-: ut, pro eiitnlA pletale suA
et iinpeuao religionis cbri^liauaî studio, dubitalionem hujunmodi avfrrtt rf-
/i7, securitaivm îiobis impcrltendo dr non tran^mitlrndis terrd marive io*o
prœsentisanni lempore armis in lialiam... »
(1) Le roi au pape, i6 mars 1668. Home, 190.
(2) Mignet, Succession d'Espagne^ t. II, p. 577.
GUERRE DES u DROITS DE LA REINE » 237
depuis plusieurs siècles. » Dites à Rome, écrivait-il en même
temps à son ambassadeur, que le traité déQnitif va être signé
dans l'assemblée d'Aix-la-Chapelle et que J'ai disposé toutes
choses pour que le préambule contienne une mention hono-
rable du pape et de son neveu. A Tentendro (1), le pape était,
de tous les médiateurs, celui m qui avait eu le plus de part à
promouvoir la paix et à l'achever. » Quelles louanges n'étaient
pas dues au père commun « qui avait pris tant de soin de la ré-
conciliation de sespremiersetpluschers enfants(2)!...)) Lionne
répotidait au cardinal Rospigliosi : « Si je n'écrivais à un grand
et pieux cardinal, auquel daillcurs je dois et veux rendre tou-
jours tant de respect, je me hasarderais à lui dire, pour lui mieux
exprimer la qualité de ma tendresse , que, jamais lettre d'aucune
maltresse que j'aie bien aimée, pendant les bouillons de la jeu-
nesse) ne m'a cause de joie si sensible et si touchante qu'en a
produit en mon cœur celle dont il a plu à Votre Éminence
de m'bonorer le2" de ce mois, etc. (3). » M. de Chaulnes donna
aux Romains le spectacle d'un feu d'artifice dessiné par le cava-
lier Bernin : c( Comme tout le but de cette fêle était de faire
voir au public en raccourci ce qui s'était passé dans la négo^
ciation de la paix, de laquelle la gloire était due à Sa Sainteté,
la représentation en était d'un monde en l'air, sous lequel
paraissaient un nombre infmi do flammes et au-dessus étaient
trois figures : l'une, au milieu et plus élevée, représentait la
majesté pontificale, et les deux autres la victoire et la guerre,
Tune de ces deux dernières soumettant ses palmes, et Tautre
ses armes, aux pieds de la première, laquelle en les recevant
sauvait le monde de Tembrasement dont il était menacé. ..(4). »
Mais, quelques jours après cette fêle, à l'occasion d'un inci-
(1) Le roi au pape et à CbaulucA, IG avril 1668. Hotnet 190.
(2) Chaulnes à Liouoe, 3 mai : « Les termes de lu lettre du roi où il est dit
que les armes lui sont tombées des malus lorsque le nonce de S. S. a demandé
à S. M. la suspension jus^qu'ù la fin de mai, a fait verser plus de larmes de
joie au {lape qu'il n'en répandra dans une gruude douleur et jd crois que le
roi lui a prolongé ses jour:) de plus de dix ans. » Mais l'ambassadeur sait bien
que le langage royal n'est pas sincère, et il eu félicite Lionne comme d*un
M coup de mailre. » (Home^ 191.)
(:$) Le roi au pape, et Lionne à Rospigliosi, 27 mai 1668. Rome, 191.
(4) 27 juin 1668. Roviey 19:2. « Divertissement donné par le duc de Chaulnes
pour la paix. »
228 CHAPITRE DEUXIÈME
dent auquel donna lieu l'exécution du traité, Louis XI Vs ifaait
signifier au pape qu'il eût à ne pas prendre au sérieux son rôle
de médiateur : Castel-Rodrigo refusait de livrer les places
fortes de Condé et de Link, non dénommées dans les articles,
et que les Français réclamaient comme dépendances de lieux
plus clairement désignés. Van Benningen, ministre des Etals
généraux, proposa, comme il était naturel, d'en référerais
Commission des limites : mais le roi de France ne permit pas
même une objection. Lionne écrivit à Chaulnes (t) : « Le Hol-
landais a fait ce qu'il a pu pour se décharger d'écrire [à
Bruxelles et à Madrid] et pour jeter M. le nonce dans Taffaire,
se flattant sans doute que la considération que le roi a tou-
jours, et en toute sorte d'affaires, pour notre saint-père le pape
donnerait peut-être lieu à Sa Sainteté de tirer les Espagnols
de celle-ci sans qu'il leur en coûtât rien ; mais j'avertis M. le
nonce, quand il m'en vint parler à son induction, de ne donner
pas dans ce piège et de laisser courir une chose où, comme je
croyais bien que Sa Sainteté ne voudrait pas presser le roi de
rien qui lui fût préjudiciable, je voyais aussi d'autre côté que,
si elle le faisait touchant un droit si clair et si incontestable,
Sa Majesté, à son grand regret, ne pourrait pas avoir pour elle,
en ce rencontre, la même complaisance qu'elle aura en tout
autre. »
Clément IX recueillit pourtant, dès cette époque, quelque
fruit de ses cllorts incessants en faveur des pays chrétiens,
occupés ou menacés par les Turcs. Louis XIV promit d'assis-
ter Candie dans son extrême détresse. Le 8 mai 1668 (2), il
autorisa le duc de Chaulnes à déclarer au pape que, retenu par
la crainte de ruiner son commerce avec le Levant, il ne pou-
vait penser à secourir ouvertement les assiégés; mais, disait-
il, « je ne laisserai pas d'assister, autant qu'il sera en mon
pouvoir, la République, pour lui donner moyen de sauver la
Candie, ou par des secours d'argent, ou par la permission de
faire des levées secrètes dans mes Etals, à quoi ce même ar-
gent pourra être employé, étant néanmoins distribué par ses
ofliciers, sans que les miens y paraissent. » On verra bientôt
(1) 6 juillet 1668. Rome, 102
(2) Rome, 191.
GUERRE DES « DROITS DE LA REINE » 229
avec quelle persévérance le pape s'appliquait à entretenir cette
nouvelle disposition dans l'esprit de Louis XIV.
11 est vrai que, tout en résistant aux prétentions injustes des
princes, il ne leur refusait aucune des marques de condescen-
dance compatibles avec les droits de l'Église: encore ne concé-
da-t-il des grâces depuis longtemps sollicitées qu'après avoir
assuré à son pontificat une réputation qui défiât tout soupçon
de calcul et d'intérêt. Sa piété, son assiduité aux fonctions pu-
bliques de sa charge, sa tendresse pour les pauvres, sa modes-
tie rappelaient les plus saints de ses prédécesseurs. On peut
ouvrir au hasard les dépèches des agents français ; ils ren-
dent tous le même hommage à sa vertu : « Le pape sortit
dimanche après dîner et fut visiter trois églises, et, ayant dit
hier matin qu'il ne sortirait pas, il ne laissa pas d'aller, k
l'improviste, à l'hôtel-Dieu de Saint-Jean de Latran, visiter et
servir les malades. » — Le pape a fait toutes les fonctions de
la semaine sainte, « et, outre quatorze qu'il en a fait de suite
et le consistoire, les deux seules après-dînées qu'il avait pour
se reposer, il les employa à servir les pauvres à un hôpital
proche de ce palais, où il donna à souper de sa main à plus de
quatre cents pèlerins, et où le chaud et la poussière que la
foule du monde causa fit que beaucoup s'évanouirent; Tau-
Ire fut la veille de Pâques, qu'il fut confesser dans Saint-
Pierre trois heures et demie, y ayant entendu vingt-neuf con-
fessions. » — « Le pape... va se promener souvent hors des
portes, aimant d'y aller presque seul et ne le disant que quand
il veut partir, ayant joie de se voir quelquefois encore cardi-
lal, son élévation ne lui inspirant que les sentiments d'un bon
;i véritable pape... Il fit retrancher de la lettre que Votre Ma-
eslé lui a écrite [sur le traité de Saint-Germain] , pour la faire
h're au consistoire, l'endroit où il est exprimé de rendre son
pontificat plus glorieux que les précédents. » — « Le pape,
continuant ses œuvres de charité et de piété, gagne tellement
e cœur et l'affection de tout Rome, qu'il ne s'est jamais vu
ant d'acclamations comme il on reçoit de tout le peuple, lors-
|u'il paraît en public (1). »
(1) ChaulDcs au roi, 8 novembre 1<;G7, 12 avril et 8 mai 1C68. Rome, 187,
^0 et 191. — Bourlemoot à Lioune, 16 avril 1668. Romey 191.
230 CHAPITRE DEUXIÈMK
Lo duc de Chaulnes avait ospéré Iriompher do sa fermeté
par des procédés contraires ;i ceux dont on avait usé envers
Alexandre VU. li exprima de nouveau le vœu qu'une ambas-
sade d'obédience fût, suivant Tancicnne coutume, députée à
(ilément IX : « Le parti, disait-il, que les Espagnols prennent
de vouloir envoyer au pape une ambassade d'obédience estun
cfTet de leur politique, voulant faire voir par là qu'il est de
leurs amis et le ménager par cet honneur que Ton sait qui
lui sera fort agréable. Comme vous m'avez permis de vous
dire librement mes sentiments, je vous avouerai qu'il me passe
bien des choses dans la tête en cas que le roi en résolût une,
et tout roule sur ce que vous croirez bien qu'il ne me sérail
pas fort plaisant do voir venir ici un Pierre d'Aragon fran-
çais (1), et que les forces me manquent pour Tentreprendre, à
moins de grands secours de la cour. Je considère d'un autre
côté que c*est couronner glorieusement une ambassade par cet
honneur ;2), » Mais le duc ne fut pas écouté. — Le lendemain de
l'élection, il avait écrit à Lionne, dans une dépèche officielle :
« Trouvez bon, Monsieur, que je vous fasse une petite ques-
tion, savoir, si la pyramide que le roi a fuit ici dresser a été
mise contre les Chigi ou contre Rome, vous laissant, par hu-
milité, raisonner sur cette curiosité. » Kt il ajoutait, dans un
billet autographe et conndentiel : a J'ai mis un mot, dans ma
lettre, de la pyramide, et il est certain que, n'ayant été élevée
que contre les (ihigi, Sa Majesté ferait une belle action de
donner la joie de la voir abattue à un pape qui lui est agréa-
ble, et peut-être n'aura-t-on jamais une si belle occasion de le
faire avec honneur, et c*ost une chose qui peut, dans des
temps, engager bien des aifaires. Vous ferez sur cela. Mon-
sieur, do meilleures réflexions que moi (3). » Mais il s'écoula
plus d'une année, avant que la rancune et la vanité du roi se
résignassent à ce sacrifice : il fallut que l'ambassadeur, déjà
inquiet des embarras auxquels Castro pouvait donner lieu, re-
(1) L'ambassadeur ordinaire d'Espagoe, le marquis d'Astorga, était fort mé-
coQtcut que l'hoaneur et les gros appointcmeut» do l'ambassade d'obédience
eussent été donnés non à lui, mais à don Pierre d'Aragon, vice-roi de Naples.
(2) Chaulnes à Lionne, 8 novembre 166". Homc^ 187. Billet autographe.
(3) 21 juin 1667, Rome, 184.
GUERRE DE8 « DROITS DE LA REINE » 231
nouvelftt sea instances. Le 20 mars 1668, il faisait écrire au
ministre parTabbé de Machaut : « Quelques raisons que vous
ayez pour laisser ici la pyramide, il me parait qu'il y en a de
plus considérables pour la faire abattre; et^ sans mettre en
ligne de compte la grande satisfaction qu'en aurait un pape
qui vous oblige, et que cela ferait un coup admirable pour re-
gagner encore davantage M. le cardinal Chigi, vous considé-
rerez, s'il vous plaît, qu'il peut arriver que deux misérables
coquins, suscités de certains esprits dont cette cour est rem-
plie, peuvent l'abattre dans une nuit. Les Espagnols seraient
morts ici, si l'on pouvait se résoudre à cela, et M. l'ambassa-
deur n*aurait pas une médiocre joie d'avoir servi, dans ce ren-
contre. Sa Majesté. » Louis XIV donna enfin son consentement,
sans bonne grâce, quelques jours autres le traité d'Aix-la-Cha-
pelle. J'y (pets deux conditions, dit-il au duc de Chaulnes : le
décret contre les Corses sera maintenu, et la pyramide sera
détruite^ sous vos ordres, par des gens à votre livrée. Le pape
ne pourra en charger ses officiers, que s'il vous le demande
expressément (1). L'ambassadeur fit constater la permission
du roi par un notaire, et le sinistre monument disparut le
31 mai 1668. « La démolition de la pyramide, écrivit le duc,
devant faire un grand fracas dans tout le monde, je crois que
vous Taurezplus tôt apprise par le bruit de sa chute que par
cette nouvelle (2). » Chaulnes ayant essayé de persuader au
cardinal Chigi que le roi avait été inspiré par le désir de lui
être agréable, le neveu d'Alexandre VII témoigna, par son at-
titude, qu'il regardait cet acte, non comme une grâce, mais
comme une justice due à la mémoire de son oncle, et il reçut
avec une froide dignité le maladroit message dont Machaut
fut chargé. L'abbé écrivit : « Il ne me nomma pas le nom do
la pyramide, quoique deux ou trois fois je lui représentasse
avec quelles manières on l'avait abattue. Il se contenta seu-
lement de me faire protestations sur protestations (3). »
Clément IX avait porté sans retard son attention sur les
affaires pendantes entre Rome et la France, et dont il avait
(1) 8 mai 1668 Rome^ 191.
(2) A LiOQDe, 31 mai 1668. Home, 191.
(3) A Lionne, 30 mai 1668. Romty 191.
«232 CHAPITRE DEUXIÈME
iléjîi connu, on qualilé de secrétaire d'Etat. Les difficultés aux-
quelles donnait lieu la provision des évèchés furent apla-
nies. Louis XIV défendait toujours au cardinal Antoine Bar-
berini, nommé depuis si longtemps au siège de Reims, d'aban-
donner le camerlingal; et ce prélat qui, malgré le refus de
ses bulles, avait été mis en possession du temporel de Tar-
cbevèohê. n'osait désobéir au roi qui pouvait le lui ôter, avec
lu sjrande aumônerie et d'autres bénéfices. Le nouveau pape
ne permit pas plus que son prédécesseur le cumul d'un évêché
framcais avec l'oflice le plus important de TÉglise romaine,
srdt* vttranh*: mais il nomma vice-camerlingue le cardinal
l'.arlo Itarborini, avec le droit d'exercer seul cette charge, en
présence comme en l'absence de son oncle ; et ce dernier ne
porta en elïet qu'un litre honorifique pendant la longue va-
cance qui suivit la mort de Clément IX il); ce n'est qu'à celte
condition qu'il obtint les bulles de Reims. — Celles d'Orange
otaiont justement refusées depuis sept ans à l'abbè Fabri, an-
cien aijent de Ma/arin, dont la présentation éta't maintenue
par le nù. La souveraineté dOrange appartenant encore à la
maison do Nassau, le patronasro de celte église pouvait don-
uor lion î^ dos coutlits qu'il était prudent d'éviter Fabri, alors
A::o do >oi\anto ans, était mieux préparé pour Pepiscopat. Sa
nomination fut ontin vicrêôe par Clément IX, qui exigea préa-
lablouiont la nn^onnaissanco dos droits du saint-sège, et, après
^a mvMl, qui no tarda pas, il tut remplacé par ui savant doc-
tour do SorlvMtno, Jean Jaoquos .r*>boiih. comm»: l'avait désiré
MoxaudivYU ;J ■
j> :» ; •• • x • ' V^»r,'v.. V* i-r- 1 . 8.*'-^''-'irj union?, ^i Curlo Ba'-'
/ U^vÎA-'.u'. -s* ^v: ■0;' • OrAi'*; lv r rizr.. iv mesti-^je de feu M*^ le
xMuhu.tî U :V.i iM*'^' ^^-^'^ si .iv A ::.:;? .:^ i:.::^j- i-i S-. r:::ne jK>ur uo dio-
x\"^ 0 o'>, »' \ A V iVv"- II' .rh -.:• '•.:^'i. i"i;* ".^ r. uy :o"5^Ltinit pu et c ce
*\M \ \ w.w !Mor A VkV"^' ,;;„• ô,» s A."-:*^- r .■.■.:7 «•::..** f.-:* ^ 4. le prince d*0-
i«r»<\* jv,:î* a\.» r >o.. A^*v:v-.-y: v" T -..: i::~ r.-r^n^-,'. Le pape Alexan-
v'iv \ Il :*.• ^».i'i;"A-; A.:<s v;-.:\*-.'. -i \\ fit : :V,i yrrfcv:: *»i::»a cv^mme d'un
owV*'.»* xî.' ^^^^' ^^^ » ,"« >• •/.* "'•' 'f ; - : : : :••*'. :\i "istjrx^ • CoQseotex
vK»'.»o *j;k' !o -mv.' a '*vyos<.* '. v •••■vv:f, C^; .. :• ,'5» "_ i* me* meUJeurs
Aiu'>. »'i î\vo'.rii»s'*.»i \\ "'A o\*ôe -".^ .!.* >-^* -«?-:?*>« r«:ir ^u-i e pus^e o."»nlen-
toi l'.t '.lu'vi'/.Auv oi iv\'^Mr^.*«:r u.' rif«e::v.v r.j* coc-fiirnce qui aun't pu
«» \V lu i» |vr ^ t îo y *,io A *.*iMku l :î <^ l >;.:.!;» c ! :* * >. me. ! vî>
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 233
Depuis la mort de Mazarin, la droiture personnelle du
roi tendait à exclure des charges ecclésiastiques les hommes
sans mœurs ou sans talents que le cardinal y introduisait
sans scrupule : le jeune roi déclarait en toute occasion que
la piété, la vertu et le savoir auraient ses préférences. Sans
doute il ne demeura pas toujours fidèle à sa résolution de
« n'admettre aux év^chés et aux autres dignités considé-
rables que ceux qui auraient actuellement servi TEglise du-
rant un certain temps, soit dans la prédication assidue et con-
tinuelle aux grandes paroisses de Paris, soit dans les missions
des provinces..., soit, ce qui serait le plus important, en faisant
les fonctions de curés et de vicaires qui embrassent toutes ces
choses et plusieurs autres. .. » (1); mais il était manifeste que,
depuis plusieurs années, le haut clergé reprenait dans Testime
publique le rang que lui avaient fait perdre les mauvais choix
de Mazarin. Clément IX, bien informé par ses nonces, jugea
que le temps était venu d'accorder au roi Tampliation de Tin-
dult des Trois-Évéchés, et les induits de TArtois et du Rous-
sillon, grâces considérables dont Toctroi avait été différé avec
raison par Alexandre VII (2). — Mais il opposa une résistance
aussi opiniâtre que légitime à Tabus du privilège, que la cou-
tume reconnaissait au roi de France comme à d'autres princes,
de désigner des candidats pour la pourpre. Ce n'était pas assez
pour Louis XIV d'avoir amené le roi de Pologne, au moyen
de je ne sais quel pacte, à lui céder son droit de nomination
en faveur du Français Bonsy, évoque de Béziers, ambassa-
deur à Varsovie (3). Il obtint que la cour de Portugal présentât
(1) Mémoires de Louis XIV, pour TanDée 1666 : Choix de sujets pour les béné-
fices, 1. 1, pp. 200 et Buiv. — Lionne, dans tout l'éclat de sa faveur, ne put pas obte-
nir de Louis XIV ce que Mazarin lui eût accordé aussitôt, Tévêché de Grenoble
pour son proche parent, Charles de Lionne de Lesseins, ancien agent du
clergé, qui vivait dans le désordre. (Mémoires du Père Rapin, t. III, p. 448.)
(2) Chaulnes an roi. 12 avril 1668. Home, 190.
(3) « Le roi désire qu'avant voire retour... vous mettiez tout en œuvre pour
tirer du pape un engagement sans équivoque sur la promotion au cardinalat
de M. Tévéque de Béziers, ou sur la nomination de la Pologne, ou en partie
aussi par les motifs des facilités que le roi apportera, en cette considération,
h ce que le pape peut désirer de S. M. sur Texamen du traité de Pise; car
S. M. prévoit que, si vous partez de Rome sans cette assurance, et qu'il fallût
qu'un autre ambassadeur, ou peut-être un cardinal, qui ne se soucierait pas
934 CHAPITRE DEUXIÈME
aussi un Français, César d'Estrées (i), évèquenluc deLaon,
ot il demanda lui-même un chapeau pour un Autrichien, un
laïque, le prince d'Aversperg, ministre de l'Empereur, avec
lequel le chevalier de Grémonville avait négocié le partage
secret du 19 janvier 1668. Pour dissimuler les services qu'on
prétendait payer ainsi aux dépens de rÉglisc, le roi écrivit au
pape que le minisire impérial travaillait plus que personne au
rétablissement de la paix (2), et le duc do Ghaulnes ajouta de
lui-même qu*Aversperg se recommandait aussi à la bienveil-
lance pontificale par l'intérêt qu'il prenait au secours de Can-
die (3). Enfin, Louis XIV garantissait que le pape aurait, en
cet Autrichien, une créature aussi dévouée qu'un cardinal né
en Italie (4). Clément IX défendit le sacré collège contre cette
triple intrusion; mais on verra quels embarras ces prétentions
du roi suscitèrent au pontificat suivant.
Il était plus difficile de proléger, en France, le patrimoine
ecclésiastique contre les abus du patronage séculier ; car, dès
qu'un différend s'élevait à ce sujet, la couronne mettait toute
sa puissance au service de sa volonté. Rome refusait-elle des
bulles au porteur d'un brevet royal, il était envoyé par le Conseil
d'Etat en possession des revenus do l'office qu'il ne pouvait
pas remplir. Au contraire, le pape conférait-il une des charges
dont le Concordat lui laissait la disposition dans le royaume,
le roi mettait obstacle, mrme par la violence, à Tinstallation
du bénéficier qui ne lui plaisait pas. Certaines abbayes, les
beaucoup de l'obtcDir, fAt chargé do la môaagorj la chose se rendrait de
plus eu plus difhclle. » (Lionne à Chaulncs. 11 février 1668. Rome, 189.)
(1) Le roi au pape, 12 juillet 1068. Home, 102.
(2) « La paix générale va bientôt être due aux seuls soins qu'il a pris et
qu'il prendra encore de la promouvoir, si V. S. veut bien concourir avec
nous à l'y animer de plus en plu^ on le plaçant dans le sacré collège. >* (2 fé-
vrier 1668. Home, 18i).) — Cette promotiou est « l'affaire la plus difOcile... La
disposition des chapeaux est à un pape ce que serait à un prince séculier le
démembrement d'une de ses provinces. »» Le pape me répond qu'il a besoio
de savoir quels services Aversperg est en état de rendre; que rien ne parait;
que la guerre se poursuit, etc.. (Chauloes à Lionne, 17 mars 1668.) u Je ne
puis pas présentement m'expliquer plus avant... Ne philosophez pas, s'il tous
plaît, là-dessus. Car vous ne trouveriez rien d'approchant en cent ans de mé-
ditation... » (Lionne à Chaulnes, 23 mars 1668. Home, 190.)
(3) Chaulnes & Grémonville, 28 avril 1668. Homey 19U.
(4) Le roi à Chaulnes, 8 mai 1668. Home, 191.
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 995
chefs d'ordre par exemple, ne pouvaient recevoir qu'un abbé
choisi par les religieux : le roi conservait les formes appa-
rentes de Télection, mais en imposant aux moines la présence
d'un commissaire laïque, qui supprimait la liberté des suf-
frages. Delà mille conflits, d'où le saint-siège sortait pénible-
ment, en sauvant les principes, mais en transigeant sur les
personnes, au grand préjudice de la religion. Ainsi, on avait
espéré que la mort de Mazarin permettrait de faire cesser la
commende de Cluni, et de replacer ce chef d'ordre sous le
gouvernement d'un de ses moines, ou toqt au moins d'un prélat
postulé par eux. Mais un brevet du roi nomma le cardinal
d'Esté abbé de Cluni, et, après avoir forcé les religieux, sous
la pression d'un de ses gentilshommes ordinaires, à élire le
prince modénois, Louis XIV exigea des provisions pontificales.
Les ministres le Tellier et Lionne, qui avaient participé à
celte œuvre de violence et de corruption, réclamèrent au car-
dinal d*Este le prix de leur complicité : ils en obtinrent, la
premier, le vicariat général de l'ordre de Cluni, avec toutes
les collations qui en dépendaient, pour l'abbé le Tellier, futur
archevêque de Beims; et le second, le riche prieuré de la Cha-
rité-sur^Loire, pour un de ses enfants (1). Alexandre VII
ayant refusé d'approuver ces scandaleux procédés, le cardinal
d'Esté n'en eut pas moins la jouissance delameqse abbatiale.
Clément IX donna ses bulles (2), mais après avoir réservé
pour l'avenir et fait conserver expressément par la couronne
les privilèges de Tordre et les droits du saint-siège (3).
(1) Mémoh'es du cardinal d'Esté, t. U, pp. QA et s.) 80 et Buiv. ; 234.
(â) Le duc de Chaulnes lui-mâme, qui voyait de prèi le cardinal d'Esté,
était choqué de:) faveurs dont cet indigne prélat était comblé par Louis XIV :
" De ODoi seul, écrivuit-il, je n'aurais pas trop pressé les bulles de Cluni; par
ce que, moins les cardinaux en ont et plus ils sont dépendants; mais, V. M.
commandant autrement, j'obéirai... *» (31 janvier 1668. Romej 189.)
(3) V. nos Recherches sur V Assemblée de IfîSi, 2« édition, p. 57 et suiv. —
M. Nicolas de Gaumont, gentilhomme ordinaire de la maison du roi, gouver-
neur de Montdidier, avait été nommé m commissaire député pour procéder à
l'électioDi Domination et postulation d'un nouvel abbé, chef et général de
l'ordre », c'est-à-dire pour imposer aux moines le choix du cardinal d'Esté.
Nous avons publié une partie de la correspondance, où il raconte cyniquement
par quelles odieuses manœuvres il vainquit la résistance énergique et prolon-
gée des moines : il avait chassé les uns, intimidé les autres, et acheté un petit
nombre. Il écrivait en ces propres termes à Colbert i « H est certain gu9y »i
236 CHAPITRE DEUXIÈME
On se rappelle qu'un semblable abus de la force avait fait
élire abbé-général de Prémonlré le P. Colbert, parent du mi-
nistre. Sur la plainte des religieux, la Congrégation des Régu-
liers avait annulé tous les actes du chapitre qui n*avait pas su
les religieux sonl capables de faire Jamais une élection au préjudice des dé-
fenses de S. M., ils n éliront point d'autres guun religieux. » Clèmeot IX fut
prié de corriger les vices de l'élecUon. Rome fait des difficultés, écrivait
Lionne à Cbaulnes (16 décembre 1667. Romej 187), parce qae le procès-verbal
mentionne la présence du commissaire : sans doute, il vaudrait mieux n'en
avoir pas parlé; mais on ne consentira pas ici à une nouvelle élection, « daus
l'incertitude de ce que les moines feraient aujourd'hui. » La réponse du duc
de Cbaulnes à cette lettre fait peine à lire : » J*ai fait connaître fortement a
M. le dataire quil n'y aurait jamais d'élection en France sans commissait^,
pour que Tautorlté du roi empoche tous les d<^8ordres qui arrivent toujours
autrement, et assure la liberté. H se trouve encore que le même procès-ver-
bal porte que l'élection [du cardinal d'Esté] est faite par voie d'inspiration,
et il y a des traités faits précédemment qui font voir que cette inspiration
est à peu près comme celles qui descendent dans les conclaves. Cependant je
ferai mon devoir et pousserai l'affaire autant qu'elle pourra aller. » (10 jan-
vier 1668. Home^ 189.) Le pape, laissant de côté le procès-verbal de postulation
de 1662, crut devoir, pour éviter un plus c^rand mal, user de son droit souve-
rain et nommer le cardinal d'Esté jure devoluto et motu proprio, sous la con-
dition formelle qu'après la mort de ce prélat, l'abbaye retournerait en règle.
(Chauloes à Lionne, 31 mai 1668. Rome, 191.) Le croirait-on? c'est Louis XIV
qui accusa le pape de violer la liberté des religieux, et qui revendiqua l'hou-
neur de l'avoir protégée! Une déclaration royale, tenue secrète jusqu'à ce
jour, porte ce qui suit : « Louis, etc., salut. L'intérêt que nous avons de con-
server aux abbayes de notre royaume, qui sont chefs d'ordre, la liberté de
l'élection gui leur a été confirmée par les ordonnances de nos prédécesseurs
row, nous a obligé, dans la vacance de l'abbaye de Cluni, qui est chef d'ordre,
arrivée par le décès de notre très cher et très amé cousin le cardinal Maza-
rini, d'assurer aux religieux de ladite abbaye, par les moyens qui se sonl
pratiqués de tout temps en notre royaume, le droit de procéder librement à
l'élection ou postulation qu'ils voudraient faire, empêcher par sa présence les
factions et les brigues et maintenir la liberté des suffrages, si bien que les-
dits religieux, dans la plénitude de leur liberté, ayant considéré qu'ils rece-
vraient beaucoup plus de protection d'un abbé chef et général de leur ordre,
qui serait du sacré collège, que d'un simple religieux, auraient postulé d'une
commune voix, pour abbé de ladite abbaye, notre très cher et très amé cou-
sin le cardinal d'Esté... » Au lieu do confirmer purement et simplement leur
vœu, les bulles du 28 mars 1668, sont données motu proprio^ ce qui peut
servir de prétexte pour ôter auxdits religieux cette illustre prérogative.
« Comme îtous avons beaucoup de respect pour tous les l'escrits émanés de Vau-
torité du saint-siege^ lorsqu'ils ne blessent pas la police de l'Église, ni les droits
de notre couronne^ nous avons estimé devoir distinguer les bonnes et justes
iutentions do notre saint-père le pape d'avec les artitices des officiers de sa
chancellerie... » En conséquence, le roi annule et supprime, dans lesdites
bulles, les clauses qui lui déplaisenL (Octobre 1668. France, 186.)
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 237
résister à la volonté royale. L*ambassadeur écrivît : « L'affaire
de Prémontré a été examinée dans la Congrégation, et dos
deux points de la difficulté, à savoir si la révocation de Tan-
cien abbé (i) étaitbonne, et si la première élection (2) était va-
lable, le premier a été gagnéet la révocation a été jugée nulle,
ainsi que l'élection; et, sur le pied de tomar ij pedir (3), j'ai
pris ce qui était de bon pour nous (4), et envoyé arrêter le dé-
cret, en déclarant qiiil ne se ferait jamais d autre élection; à
quoi je ne crains pas que le roi doive consentir, par la consé-
quence qu'il laisserait toujours aux mécontents une porte ou-
verte pour troubler le repos des religions dans toutes les élec-
tions : ainsi je tiendrai ferme sur ce point et ferai jusqu'à
nouvel ordre tout ce que je croirai pouvoir contribuer pour la
satisfaction du R. P. Colbert(o). » Louis XIV répondit : Comme
je prévois que les confrères du P. Colbert choisiraient tout
autre plutôt que lui, représentez « qu'il est d'une absolue né-
cessité que Sa Sainteté ait la bonté d'achever elle-même cette
affaire », en autorisant Télection de ce religieux(6). Et le pape,
pour ne point exposer un ordre tout entier à des ressentiments
dangereux, consentait à lui donner pour chef, motu proprio^
le cousin du ministre Colbert.
Ces entreprises incessantes sur le domaine ecclésiastique
pour enrichir les ministres et les courtisans causaient de légi-
times inquiétudes à Rome. « Mille gens, disait le duc de
Chaulnes à Lionne (7), ont écrit que j'avais ordre du roi de
demander au pape que le tiers des bénéfices fïit mis hors de
la disposition de ceux qui les possèdent, et, ayant pris Fa-
larme en France sur la connaissance que le roi a voulu avoir
du revenu des religions, ont été bien aises de la donner ici. »
(Chaque jour en effet le souverain pontife reçoit des Fran-
çais d'impérieuses requêtes. L'abbé le Teliier, écrit Ma-
(1) C'est-à-dire le retrait de la démissiou doaaée par rauclea abbé.
(2) Du Père Colbert.
(3) Proverbe espagnol : prendre cl demander,
(4) C'est-à-dire, j'ai acquiescé à la jwrtie du décret qui couflrme la démis-
t^ioo de Tancieu abbé et par couséqucnt maiutioat la vacauco de rabbaye.
(5) Chauloes à Lioaue, 13 mai 16GS. Home^ 191.
(ti) A Chaulnes, 17 juin 1668. Home, 191.
{!) 22 février 1668. Rome, 189.
238 CHAPITRE DEUXIÈME
chaul(l), vient d'obtenir du roi une grande abbaye (Saint-
Ëtienne de Caen), capable d*cxciter i^envie d'un cardinal el
même d'un pape. a Ce prélat, ayant aussi eu l'avis quel'évéque
d*Avranches était mort brusquement, prit aussitôt date de
six ou sept prieurés et de trois chapelles dont ledit évoque était
pourvu. » —L'ambassadeur sollicite pour lui-même comme
pour les autres. Le célèbre prieuré des Dominicaines de Poissy
était électif: cependant le roi y avait nommé pour supérieure
M™^ de Cossé-Brissac. Celle-ci ne pouvant obtenir ses buUesi
on crut que le pape agréerait plus facilement la prétention du
roi, si Ton substituait la sœur du duc de Chaulnes (2) à la pre-
mière protégée de la cour. Mais Clément IX et le cardinal
Olthoboni opposèrent les règles do Tordre (3) : ils consentirent
seulement à nommer la nouvelle prieure moffi proprio, sou»
la condition qu'après sa mort les religieuses exerceraient leur
incontestable prérogative, cl sans faire une concession de prin-
cipe à la puissance séculière. — Un autre jour, c'est le roi eu
personne qui écrit à son ambassadeur : » Ayant trouvé bon
que mon oncle, le duc de Verneuil (4), cxécutAt le dessein qu'il
a fait de se marier avec la duchesse douairière de Sully, et mon-
dit oncle ne pouvant soutenir sa dignité dans ce nouveau genre
de vie qu'en se conservant, par l'autorité et la permission du
pape, une pension convenable sur les bénéfices qu'il possède^
lorsque, par sa démission, il les remettra à ma disposition,
j'ai encore trouvé bon qu'il puisse retenir cent mille livres de
pension sur lesdits bénéfices. » Demandez les bulles néces'^
saires^ avec la dispense pour retenir cette pension quoique
(1) A Lionne, 19 décembre 1667. Home, 187.
(3) Le pape et le dataire répondeut que leur conscieDcc tie permet pas
d'imposer ma sœur à Poissy comme supérieure nommée par le roi, ce prieuré
étant électif. Henri IV y avait nommé Louise de Gondi, mais elle n'avait pas
eu de bulles, et le pape n'en avait accordé qu'après une élection fitite par les
religieuBes. Cette cour ne veut pas se mettre un ordre entier sur les bras.
(Chaulnes à Lionne, 25 février 1668. Home, 189.) — Luuls XIV persistera dans
ces entreprises, et l'affaire des Urbanistes sera le sujet d'une de ses plus
grandes querelles avec Innocent XI.
(3) Chaulnes à Lionne, 25 février 1668. Home, 189. — Voy. l'étude que le
H. P. Chapotiu a consacrée à cette alTaire sous ce titre : La guerre de la suc-
cessioîi de Poissy^ Paris, 1892, in-8o.
(4) Bâtard de Henri IV.
PRÉSÂGE8 DE IfOUVEAUX CONFLITS 239
marié, à l'exemplo du duc de Joyeuse, « semblables grâces
s'accordanl aisément aux princes »^ et le gratis entier pour la
componendo(l).
Ces faveurs si dangereuses étaient arrachées à (élément IX,
comme à ses devanciers, par la crainte d'exposer la religion à
de plus grands malheurs. Dans cette invasion des biens ecclé'
siastiques, personne ne surpassait en indélicatesse ni en ra-
pacité le ministre chargé de la correspondance avec le saint-
siège. Le résultat du dernier conclave était à peine connu à
Saint-Germain, que Lionne avait adressé au duc de Chaulnes(2)
ses instructions particulières : Ne perdez pas de temps pour
obtenir deux brefs permettant à mon fils le chevalier de Malte
de posséder tous prieurés des langues de France^ et à mon
fils Tabbé de nommer à tous les bénéfices de ses collations,
non seulement de commende en commende, mais de règle
eu commende; ce dernier induit semblable à celui qu'A->
lexandre VU avait accordé, dans la première année de son
pontificat, à Tévéque de Bayeux, mon oncle, et devant com-
prendre toutes les abbayes du jeune bénéficier : Marmoutier,
Saint-Melaine de Rennes, Cercamp et le prieuré de Sainl-
Marlin-des-Champs. — Lionne avait récemment envoyé à
Rome* pour y chercher fortune, un abbé, Hngues-Humbert
Servient (3), son parent et son filleul, dont nous aurons sou-
vent à parler : Clément IX s'était empresse de se l'attacher
comme camérier d'honneur et de lui donner le prieuré de Di-
nan, en Bretagne, dont la vacance s'était ouverte dans un
mois du pape. Lionne osa revendiquer pour son fils Tabbé
cette commende, qui valait mille écus de revenus, et menaça
son cousin et le pape d'un procès au Parlement (4) ! Le duc
(1) 20 juillet 1668. Home, 192.
(2) 5 juillet 1667. HothB, 184.
(3) Fils de r&mbassadeur a Turin, et ueveu du suriuteudant Servidn, Tan*
cien plénipotentiaire au congrès de Westphalic* Ce dernief signait 8p)*vr>f},
du moins dans les lettres qui eut passé sous mes yeux; son ueTeu, dont nous
parlons ici, signait Servient.
(4) Lionne à ChaulUes, 18 juillet; — Macbaut à Lionne, IG août. Hontes 185.
— Lionne A Chaulncs, 10 septembre 1067. Rome, 18B : Je soutiendrai que, le
priearê de Dinan dépendant de Marmoutier, dont mou fils est abbé et qui
est en France, la coUaUou en appartient a l'abbé, métne pendant les mois
240 CHAPITRE DEUXIÈME
de Chaulncs lui écrivait le 3 mai 1668 : « J'eavoic à M. Colbert
un bref du pape pour habiliter M. son fils le chevalier à toutes
les commanderies. Vous avez fait là une étrange planche, le
commandeur de Gaumont m'ayant dit en parlant que six
grandes croix de faveur ne feraient pas tant de tort aux che-
valiers que la concession de celte grâce (1). » Et, si Ton veut
savoir jusqu*où allait la duplicité de ce ministre, à quelle bas-
sesse de flatteries il pouvait descendre, quelles trames son in-
térêt personnel pouvait ourdir autour de la chaire pontificale,
il faut lire les lettres suivantes^ par lui adressées au signore
Alto Melani. Le 20 juillet 1667, un mois après Texaltation
de Clément IX, il écrivait à cet abbé : « J'ai trouvé admirable
la pensée qui vous est tombée dansTespril de continuera être
Tentremetteur (2) de me faire savoir les volontés et recevoir
du pape, J*ai Tusage pour moi et plusieurs arrêts. — Dans la liste des points
dont Lionne entretint Tabbé Jacopo Rospigliosi, à sou passage en France, le
ministre a inscrit de sa main : « Supplications particulières que j'ai pris la
liberté de lui faire... Faire que le pape ne trouve pas mauvais que je défende
mon droit sur le prieuré qu'il m*a fait la grAce de donner, en ma considéra-
tion, à l'abDé Scrvient, mou cousin. >> {liome^ 185.)
(1) Rome, 191.
(2) On se rappelle le commerce secret et bientôt rompu qui, sous le ponti-
iicat d'Alexandre VII, s'était établi entre le cardinal Giulio Rospigliosi et la
cour de France, par l'entremise de Melani. Dès les premiers jours qui suivi-
rent l'élection de Clément IX, Atto otfrit ses services au nouveau pape et au
roi, comptant recevoir des deux mains. Lionne se prêta volontiers à ce dou-
ble jeu, dont il espérait tirer tout le profit pour le service du roi et pour ses
intérêts personnels. Les lettres de Melani au ministre et au roi sont innom-
brables : le 22 juin 1667, deux lettres où Melani s'attribue l'élection du pape,
i)*exprime avec attendrissement sur Louis XIV, il rè inio, et se met à la dis-
position de la cour de France. — Le lendemain 23, trois rapports : 1* « Rela-
tion d'une audience que le sieur Melani ont du pape^ touchant les obligations
qu'il avait au roi et ses intentions; » 2<> « Relation d'une conversation du
même avec le cardinal Nini pour l'engager à se mettre sous la protection du
roi; > '<i^ M Mémoire du même au pape pour s'offrir à la manutention de la
bonne intelligence entre S. S. et le roi, et en faveur de M, de Lionne, »•
(Rome, 184; etc., etc.) — Le 18 juillet. Lionne s'empresse d'avertir le duc de
Chaulues que le roi pardonne à Melani ses anciens rapports avec Foucquet ;v.
ci-dessus, chap. vu du livre I®'. — Chaulnes à Lionne, 5 juillet 1667. Rome,
184; et Lionne à Chaulnes, 18 juilleL Ro7ne, 18:>.) — C'est deux jours après, le
20 juillet, que Lionne adresse à ce misérable les deux étranges lettres, citées
dans notre texte. En même temps, le ministre cherche à le faire entrer plus
avant dans la confiance de la cour pontificale, espérant bien qu*il la trahira.
Le mémoire des aflfaires dont Lionne a entretenu l'abbé Jacopo Rospigliosi,
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 241
les ordres de Sa Béatitude, et puisqu'elle a eu la bonté de
s*abaisser jusqu'à vouloir bien que les choses se passent de la
sorte, vous la pouvez assurer que je lui dirai toujours fran-
chement mes sentiments sur les choses que je croirai qui se
pourront ou ne se pourront pas obtenir de Sa Majesté, et j'a-
jouterai par avance que Sa Sainteté obtiendra toujours tout,
quand il ne sera pas trop directement contraire à son honneur
ou trop préjudiciable à son service. Je vous rends mille grâces
des pensées obligeantes que vous avez eues pour mon fils
Tabbé, et de ce que vous avez bien voulu même les porter
jusqu'à Sa Sainteté. Je vous dirai pourtant que, si vous en
aviez attendu mon avis, vous ne l'auriez pas fait, car mes pen-
sées ne volent pas si haut, et je serais plus content des bonnes
grâces de Sa Sainteté que de toutes les élévations de ma fa-
daos SOQ passage par la France, est de sa maia et intitulé : « Points dont
j*ai parlé à M. Tabbé Rospigliosi de la part du roi, et dont j'ai pris la liberté
de le supplier en mou particulier » ; Tod y trouve Tarticle suivant : « Sup-
plicatioDS particulières que j'ai pris la liberté de lui faire... Donner quelque
établissement au sieur Alto ou auprès de S. S. ou auprès de S. E. », c'est-à-
dire de Rospigliosi lui-même, qui va recevoir la pourpre en rentrant à Rome.
(AotU 1667. Bomey 185.) — Melani s'assura la bienveillance du duc de Chaulnes
qui écrivit à Lionne : '< Atto serait un bon sujet. 11 a perdu son patron, le
prince Mathias [de Toscane]. Il a toutes les entrées et est aussi bien avec
Tabbé Rospigliosi qu'avec le pape. Ainsi, il peut tenir la place de deux et
Toas le pourrez avoir pour un demi; car si S. M. lui voulait faire avoir une
pension seulement de 2,000 livres sur quelque bénéfice, je crois qu'il la ga-
gnerait bien. En au mot, vous savez ce que c'est, à une cour comme celle-ci,
d'avoir une personne qui puist^c parler au pape quand on veut. >h(25 octobre
1667. Aome, 186.) Mais Melani était plus ambitieux que ne supposait l'ambas-
sadeur et coûta beaucoup plus clier à la France : ses pratiques furent bientôt
pénétrées par la cour pontificale, où il n'obtint pas Y établissement rêvé, et il
finit même par être chassé de Rome, malgré la protection de Louis XIV, au-
quel il se donna tout entier et dont il fut l'espion jusqu'à sa mort. On lit
dans les Mémoires an marquis de Sourches, sous la date du 7 décembre 1700:
« S. M. donna encore an supplément de 2,000 livres à l'abbé Melani. » ^T. IV,
p. 331.) L'annotateur inconnu de Sourches a ajouté : < Il s'appelait autrefois
Alto, et était un chanteur de profession que le cardinal .Mazarin avait fait venir
pour chanter dans les opéras italiens qu'il donnait en ce temps-là; mais de-
puis il se jeta dans les négociations secrètes avec les ministres des princes
italiens qui étaient à la cour et, par ce moyeu s'attira les bienfaits du roi. »
Le comte de Cosnac, éditeur des Mémoires complète ainsi ces renseigne-
meiit« : « Cet abbé cumulait avec son rôle dans les opéras les fonctions
d'aumônier auprès du cardinal Mazarin, scandale qui faillit être dénoncé &
l'assemblée générale du clergé de France. (Voy. une lettre du 17 juillet 1656
de révèqae de Coutances au cardinal Mazarin, France, vol. 161.) »
LOUIS riv BT LB SAiirr-sitoB. — IL 16
2i2 CHAPITRE DEUXIÈME
mille, outre que je ne suis pas assez présomptueux, ni assez
impertinent pour prétendre qu*en ma considération Sa Sain-
teté et monsieur son neveu se privassent d'un chapeau pourlc
donner à mon fils, quoiqu'il fût vrai de dire qu'ils ne pourront
jamais choisir de créature qui fût plus dépendante d*euxet
plus reconnaissinle d'une si grande grAce, et, s'il avait jamais
d'autres sentiments, je Tctranglerais de ma propre main, si
j'étais encore en vie; mais il n'est pas question de cela; car je
ne pense à une si grande chose, ni je n'y penserai jamais, à
moins que Sa Sainteté le commandât absolument, le jugeant
de son propre service, dont je n'oserais me flatter. » Il y pensait
si bien que, le m^me jour, il écrivait à Melani une lettre plus
confidentielle sur le même sujet, examinant et discutant sé-
rieusement les moyens de faire parvenir son fils au cardina-
lat : « Je vous écris encore ce mot à part, disait-il, pour vous
dire, sur la pensée obligeante que vous avez eue pour mon lils
l'abbé, qu'il étudie maintenant en Sorbonne où mon intention
est qu'il passe docteur, et pour cela il faut qu'il emploie sept
ans entiers de continuelle étude pour soutenir tous les actes
publics qui sont nécessaires, et que je ne pourrais le tirer de
là et l'envoyer à Rome, pour le mettre en prélature, sans faire
beaucoup parler le monde et sans commettre un peu ma ré-
putation^ en ce que Ton dirait que, sur les incertitudes d'un
cardinalat fort éloigné dont je me serais flatté imprudemment,
je l'aurais tiré du train ordinaire de ceux de sa condition et lui
aurais fait abandonner ses études sur une chimère agréable (1).
Je ne dis pas que, si je pouvais assez mériter à l'avenir de Sa
Sainteté par mes services pour l'obliger à me faire une si
grande grâce, dès que j'en pourrais être assuré et que la pro-
motion ne fut pas bien éloignée, je ne fisse abandonner à mon
fils tout ce qui doit le retenir et qu'en deux ou trois [ans] de
temps, je ne lui achetasse une charge dans la cour de Rome,
(1) Noue avons citi^ (chap. m du livre l^r) une icUre du 18 décembre 16o6
prouvant que Lionne caressait cette chimère depuis longtemps. Sur ses quatre
liis, il n'eu destinait pas moins de trois à l'état ecclésiastique, et il disait de
Tun d'eux, eu termes formel'^ : « Mon dessein, i\ je puis, est de faire le sei-
gneur Pupo [Paul-Luc, le troisième, qui mourut fort jeune] auditeur de rote
et lui faire pousser sa fortune à Home... >*
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 243
de colles qift portent le plusordinairement au cardinalat, pour
mieux mériter cette dignité (1). »
La réputation do douceur et de boulé que s'était faite Clé-
ment IX encourageait les exigences des Français (2) : il fut
cependant averti des dangers de sa condescendance. Pour
qu'on ne put Taccuser de transformer ses grâces en conditions
d'un marché avec le roi, il les multiplia imprudemment sans
s'assurer d'aucune réciprocité. Lorsqu'il résolut d'accorder
les induits des pays réunis à la France par les traités de West-
phalic et des Pyrénées, plusieurs cardinaux et particulière-
ment le dataire Otthoboni, le futur Alexandre VIII, déjà con*
sommé dans la pratique des plus grandes affaires^ lui repré-
senta qu'il semait en terre ingrate et que la France méprisait
Rome(3). Il en fit bientôt l'épreuve, et c'est précisément dans
l'exercice régulier do sa juridiction spirituelle qu'il rencontra,
en France, le plus de contradictions.
Il avait à cœur d'en finir avec les quatre évoques jansénistes,
contre lesquels Alexandre VII avait donné deux brefs quel-
ques semaines avant sa mort. Ou lit dans les Mémoires du
P. Rapin : « Il n'y avait personne... si instruit du fond de
TalTaire du jansénisme que Rospigliosi, ayant servi, avec bien
de l'assiduité, pendant tout le pontificat d'Alexandre, en
qualité de secrétaire et de ministre d'État (i). » Il avait donc
partagé les appréhensions de son prédécesseur sur les obs-
tacles que l'autorité apostolique devait trouver dans le gal-
licanisme. Mais, la couronne s'étant formellement engagée
à procurer Texécution des décrets ponlilicaux, et la sincérité
personnelle de Louis XIV n'étant pas mise en doute, il fit
expédier volontiers de nouveaux brefs, sans perdre de temps à
démontrer que ceux d'Alexandre VU étaient encore en vi-
(1) Rome, 185.
(2) Le pape uiiiie à faire des grâces : « ]1 faut lui demander hardimPDt; il
ue pourra jamais rien refuser. » (Machaut à Liounc, '20 novembre IHOl. RomCf
187.) — •» (Télall un esprit doux. modArA, raisonnable, uft bienfaisant... Son
mot favori, dans tontes les occasions où on lui cjoinaudait quelque ^^àre.
c'étaU concediamo; toujours disposé À donner et à faire plaisir. » {Mcmnires- du
Père Rapio, t. Ul, p. 396.)
(3) Chaulnes & Lionne, 12 avril 1668. Homr^ 190.
(4) Mémoires, t. IH, p. 395.
244 CHAPITRE DEUStÈBfE
gueur (1 ). Pour désarmer plus sûrement le mauvais vouloir des
ministres le Tellier, Colbert et Lionne, il poussa Tespril de
conciliation jusqu'à observer les formes les moins opposées aux
préjugés gallicans ; on lui redemanda des clauses dont on avait
sollicité et obtenu la suppression ; il ne refusa rien de ce qui ne
touchait pas aux règles essentielles de TEglise (2). Enfin, le
23 décembre 1667, il donna deux brefs commettant des évèques
français, agréés par le roi : 1® pour faire signer le formulaire
par les quatre évèques et les interdire en cas de résistance;
2o pour les inviter à supprimer leurs mandements contre le
formulaire, et prononcer contre les rebelles les censures ca-
noniques (3). L'ancien nonce Roberti n'avait pas encore de
successeur, et le pape se proposait de confier ce poste àTas-
sesseur du Saint-Office, Marescotti, l'un des meilleurs théo-
logiens, d'un caractère indépendant, et dont l'abbé de Bourle-
mont lui-même faisait l'éloge (4). Lionne ne négligea rien
pour écarter un témoin si intelligent du procès qui allait être
instruit contre les quatre évèques, et Clément IX, afin d'ôter
aux plaintes des Français Tombre même d'un prétexte, trans-
féra de la nonciature de Turin à celle de Paris un prélat esti-
mable, connu surtout pour la douceur de ses manières, Bar-
gellini, archevêque de Thèbes, qui entra en fonctions au mois
(1) M Dawi les maximes de Rome, ia chose serait en quelque façon soutenabU,
mais noD pas bien sûre; mais, dans les maximes de France et selon les sen-
timents du clergé de France, cette écriture est insoutenable en toute ma-
nière. » (François de Bourlemont, archevêque de Toulouse, à Lionne, 12 juil-
let 1667. flome, 184.) — On pense que les deux brefs du pape ne sont plus
valables : demandez-en d'autres, où sera supprimée la clause omni appellaiione
remotâ. (Lionne à Chaulucs, 19 août 1667. Rome, 185.)
(2) Je vous ai envoyé, il y a un mois, les deux brefs contre le jansénisme :
je n'ai pas réclamé la suppression de la clause omni appellaiione remotâ :
c*e.<«t nous-mêmes qui eu avions sollicité linsertion. (Chaulnesà Lionne, 27 sep-
tembre 1667.) Le 27 décembre, Tambassadeur expédia les deux brefs avec le»
rectifications demandées par le roi.
(3) Rome, 187.
(4) Bolonais, àfi[é de cinquante ans, riche, fort judicieux, n'a pas paru ici par-
tial d'aucune couronne, fort intelligent dans le droit, etc. (A Lionne, 6 décem-
bre 1667. Rome, 187.) C'est lui qui, secrétaire de la Congrégation du jansénisme
sous Alexandre VII, avait été si outrageusement traité parle duc de Cbaulnes:
V. chap. iv« du livre !«'. Il ne devait pas tarder à recevoir la pourpre, et c«
fut un des cardinaux les plus distingués du xvu<> siècle.
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 245
de mars 1668 (1). Mais bientôt toutes les prévisions d'A-
lexandre VII se réalisèrent. La lettre des dix-neuf évoques
fut la réponse du gallicanisme, auquel les quatre évèques
avaient fait appel. « Nous n avons pu, disaient ceux-ci, nous
persuader que Votre Majesté consentit jamais ni à un si
étrange renversement des libertés de TÉglise gallicane, ni à
l'introduction d'une procédure si inouïe, selon laquelle on
commencerait par punir ceux que Ton n'aurait pas seulement
ouïs, bien loin de les avoir jugés et convaincus d'un crime... »
Le pape a nommé non des juges, « mais de simples exécuteurs
qui n'auraient pas d'autre commission, ni d'autre pouvoir que
de nous interdire et de nous chasser de nos églises (2). » Dix-
neuf évêques réclamèrent contre une procédure qui n'excédait
assurément pas la prérogative pontificale et que le saint-
siège lui-même jugeait inopportune et périlleuse, mais que
Louis XIV avait exigée comme plus conforme aux pratiques
du despotisme royal (3)! Lorsque cette nouvelle fut parvenue
à Rome, l'abbé de Machaut écrivit à Lionne : « Je ne com-
prends pas bien avec quelle hardiesse ces prélats [les dix-neuf]
vont directement contre les intentions du roi. Je me souviens
que, du temps que vous pressiez pour avoir ce bref, ces mes-
sieurs-ci [les ministres d'Alexandre VII] dirent qu'il ne ser-
virait de rien, d'autant qu'ils savaient que beaucoup d'autres
étaient de leurs sentiments (4). » Louis XIV fut personnelle-
ment irrité de cette opposition (5) ; mais ses conseillers exci-
tèrent sa jalousie contre le pape, et le procès des prélats
jansénistes fut ajourné. Vainement Clément IX pressa l'exé-
cution de ces décrets, signalant les progrès de l'hérésie^
l'appui qu'à ce moment même elle trouvait dans une cabale
dirigée par la duchesse de Longueville, et la scène scanda-
leuse qui venait de se passer (20 mai 1668), dans la chambre
du roi, entre le prince de Condé et l'archevêque d'Ëm-
(1) LioDQe à Bargcllini : complioieDts d'arrivée, 28 mars 1668. Borne, 190.
(2) Les quatre évèques au roi^ janvier 16t>8. France, 186. C*est l'origiDal même,
avec les quatre signatures.
(3) Rapin, t. UI, p. 394, 423, etc.
(4) n avril 1668. Rome, 190.
(5) Lionne ft Chaulnes, 8 mai 1668. Rome, 191.
246 CHAPITRE DEUXIÈME
brun (i). « Lepape^ écrivait lo duc de Chaulnes (2), m'exagéra
fort l'affaire doB jansénistes et la conversatiou de M. le Prince
avecM. d'Embrun, témoignant que, le roi souffrant ces libertés,
les jansénistes en prenaient beaucoup d'avantage. Il est vrai que
ces messieurs ont envoyé ici des relations de cette conversation
un peu fortes. » Louis XIV répondit dédaigneusement que Tal-
tercation du prince et de Tévêque, en sa présence, n'avait été
qu'un jeu d'esprit, et qu'il l'aurait interrompue si elle avait
dû ôtre un sujet de triomphe pour la secte (3). Il répondait
avec hauteur au cardinal Albizzi, dont la prévoyance lui était
devenue importune : En me déclarant contre le jansénisme,
je n'ai eu « d'autres motifs que le bien de la religion et le
maintien de la véritable foi et de Tautorité du saint-siège; car,
pour ce qui regarde mon intérêt particulier dont vous me
touchez aussi quelque chose dans votre lettre, comme si c'était
une faction que je dusse fort appréhender dans mon royaume,
je vois bien que c'est le cardinal Roberti qui a inspiré de delà
ces sortes de pensées, lesquelles, néanmoins, sont si chimé-
riques qu'elles ne me causent jamais un moment de la
moindre inquiétude (4). »
Ce qui se passait en France, à l'occasion de la condamna-
tion prononcée à Rome contre deux livres jansénistes, le fli-
tiield'Aletei le Nouveau Testament de Mom^ justifiaient les
plaintes et les inquiétudes du pape et du sacré collège. Le roi
avait ordonné que le Parlement supprimât les décrets pontifi-
caux, sous prétexte qu'ils empiétaient sur les droits de
l'Église gallicane! Et voici ce que Lionne avait répondu
aux réclamations du nonce Bargellini : « Le roi ayant de
nouveau examiné la matière de la lettre dontV. S"* Ill"« m'a
favorisé. Sa Majesté no juge pas à propos, pour le propre
bien du service do Sa Sainteté, qu'elle se commette aux in-
convénients que j'ai eu l'honneur de lui représenter, et parti-
culièrement dans une conjoncture où on voit les esprits fort
(1) V. tous les mémoires et é.cnU du temps. — Sainte-Beuve, Port-Royal,
t. IV, pp. 383 et 8.
(2) A Lionue, 26 juin 1668. Rome, 191.
(3) A Chaulnes, 20 juillet. Rome, 192.
(4) G juillet. Rome, 192.
PRÉSAGES DI NOUVEAUX CONFLITS 247
ufTés et aigris sur la manière de la condamnation du /?t-
d'Aletj dont il a paru aussi un imprimé, sans avoir cité,
avoir entendu Tévêque, sans user mémo du terme donec
if/atur, en quoi sans doute tous les évêques, et même
: qui blâmeront d'ailleurs le livre, prendront grand intérêt
n ait condamné à être lirûlé un livre d'un de leurs con-
îs. Je ne sais pas qui peut dire à V. S"* 111™® que la publica-
de bulle contre la Versioîi de Mons, en la manière qu'elle
îut faire, soit une chose accoutumée ; j'ai vu, au contraire,
irlement donner toujours des arrêts contre ces sortes de
ication, parce que, selon nos maximes, rien n'est reçu
rance qui vienne do Rome, si on ne voit le plomb et que
i ne Tait autorisé par ses lettres patentes... Je supplie
rio j[[me jg prendre tout ce que j'ai le bien de lui mander
no venant d'un serviteur non moins zélé qu'elle-même
tout ce qui peut regarder la satisfaction et la gloire
a Sainteté (1). »
laquc jour s'accusait plus clairement la prétention de
ler au catholicisme, en Franco, la forme d'une Église na*
lie et d'y régler^ sans le pape, le culte et la vie religieuse,
lent IX blÂma aussi sévèrement qu'Alexandre VII le re-
îhement de fêtes prononcé, comme on Ta yu, par des
ues français, sur Tordre du roi, sans l'autorisation du
-siège et mOme sans l'avoir consulté : ses représentations
jnrent que de vaines promesses demeurées sans effet,
s XIV écrivit au duc de Chaulnes : « Je m'en vas m'appli*
à terminer à son contentement Tairaire du retranchement
êtes, quand j'aurai su plus particulièrement du nonce les
dionts qui pourront le plus le satisfaire, en conservant la
tation de l'archevêque de Paris, à laquelle je dois d'autant
avoir égard qu'il ne s'est engagé à ce qu'il a fait que pour
complaire en procurant à mes sujets l'avantage d'avoir^
le cours de l'année, un plus grand nombre de journées
s pussent employer à leur travail (2). » Cesparolcs n'étaient
!3 mai 1668. Rome, 191.
\ mai 1668. Home, 191. Od a vu plus haut que la répartUion canonlqae
)UToird entre le pape et les évêques permettait de réformer les abus et
248 CHAPITRE DEUXIÈME
pas plus sincères que la protestation, contenue en la même dé-
pêche, de n'avoir jamais voulu blesser Tautorité pontificale
par les mesures prises contre les institutions monastiques.
On sait que le nonce Roberti avait obtenu par son énergie que
le roi renonçât à son projet d'édit contre les vœux ; mais les
ministres s'étaient promis de tarir, par des voies indirectes,
la source des vocations religieuses, et ils espéraient y parve-
nir en revendiquant pour la couronne le droit de s'immiscer
dans la réforme des couvents, commencée et poursuivie avec
tant de succès sous les règnes de Henri IV et de Louis XIU.
Louis XIV écrivait à son ambassadeur : « Mon intention n'a
jamais été, et n'est point encore, de rien faire en cela qui puisse
tant soit peu choquer l'autorité de Sa Sainteté, mais seulement
apporter un ordre aux dérèglements qui se sont glissés... pour
la multitude des couvents et des religieux, dont le revenu, ou
les aumônes qui leur sont faites, ne peuvent suffire pour leur
subsistance. » La vérité est que, si la pauvreté mettait diverses
maisons en péril, la cause en devait être surtout cherchée
dans l'abus de la commende, auquel la royauté donnait une
si funeste extension. Mais des documents inédits vont nous ap-
prendre que la couronne poursuivait, non pas rafTermissemenl
de la discipline dans les orilres religieux, mais leur destruction
successive : aussi s'appliquait-elle à tromper la vigilance du
saint-siège.
Le pape, écrivait le duc de Chaulnes, veut qu'on laisse de
cAté les moines qui sont déjà réformés. Quant à ceux qui ont
besoin d'être ramenés à la règle, il n'approuve pas que les
évêques en soient chargés : ils se doivent à leurs fonctions
épiscopales ; d'ailleurs les conflits sont fréquents entre eux et
les réguliers, et ce serait faire juger une des parties par l'autre.
L'ambassadeur ayant insinué que le roi pourrait indiquer et
le pape commettre, comme sous Louis XIII, un cardinal et des
particuliers renommés pour leurs vertus, sans caractère d'é-
vêque, le pape aurait pu répondre que la faction française, par
la faute du roi, ne comptait personne de comparable au car-
répondre aux besoins légitimes des peuples, et ne laissait aucune excuse aux
empiétements du roi et des évêques sur les droits du saint-siège.
PRÉSAGES DE NOUVEAUX CONFLITS 249
dinal de la Rochefoucauld de sainte mémoire ; il déclara seu-
lemenl qu'il préférait les généraux d'ordre, et qu'il les enver-
rait dans le royaume avec les pouvoirs nécessaires (1). Mais
la cour de France avait d'autres desseins, et Lionne écrivait
au duc de Chaulnes : « Tenez bon, s'il vous plaît, à demander
1 ouj ours la députation des évoques pour laréforme des religieux ;
et cherchez-en les meilleurs prétextes que vous pourrez trou-
ver. Des cardinaux ne pourraient être qu'italiens et n'enten-
dront pas nos moines; des généraux, de même ; leurs vicaires
français ni des personnes de piété, de douceur, n'auraient pas
l'auforité nécessaire. Cependant je m'en vas vous dire le secret :
quand on a fait de delà cette demande, c'a plutôt été pour em-
pêcher que les sujets du roi, qui le peuvent si bien servir ail-
leurs, ne s'affublent pas d'un froc, et,. pendant que vous con-
testerez de delà sans admettre aucun tempérament, nous y
gagnerons toujours qu'il ne se fera aucune réception de no-
vices, qui est un grand point, car elle a été interdite par l'arrêt
du Parlement jusqu'à la réforme (2). » La lettre suivante du
même ministre au même ambassadeur nous révèle encore
mieux les perfides manœuvres de la royauté : Le nonce, disait
Lionne (3), s'est plaint d'un arrêt du Conseil d'État défendant
qu'on reçoive des novices dans aucun couvent du ressort de
Bordeaux, et a dit que cette défense ne peut venir que de la
« seule autorité du pape ». Voici le fait : tous les Parlements,
sauf celui de Bordeaux, ont prononcé des arrêts en ce sens, la
prohibition devant durer jusqu'à ce que les ordres religieux jus-
tifient qu'ils sont réformés, selon ce qui sera réglé par les
commissaires demandés au pape, et jusqu'à ce qu'ils aient
fourni l'état exact de leurs revenus. Tous les ordres ont alors
« frauduleusement » envoyé leurs novices prendre l'habit dans
le ressort de Bordeaux : c'est à quoi le roi a voulu pourvoir.
Le nonce prétend que les Parlements n'ont pas plus le droit
de porter cette défense que le Conseil d'Etat. « Nous lui avons
répliqué que Sa Majesté était satisfaite des Parlements et de ce
(1) Chaulnes au roi, 17 janvier 1668. ^omts 189.
(2) 10 février 1668. /iome, 189.
(3) 20 juillet 1668. Kome, 192.
250 châpitbe deuxièbcb
qu'ils avaient fait, et qu'elle ne ferait là-dessus aucune instance
au pape ; que s'il voulait so charger de faire venir les mêmes
ordres de Sa Sainteté, Sadile Majesté en serait bien aise. » —
Et, pour que les religions ne puissent jamais justifier qu'elles
sont réformées, ce sont encore les Parlements que le roi charge
d'y introduire ou d'y entretenir le désordre. Un Français, le
P. Sébastien Quinquet, général des Minimes, ne soupçonnant
pas encore le fameux secret, écrivait en ces termes à Lionne
en lui confiant avec candeur les inquiétudes répandues dans
tout rinstitut monastique (1) : « Le P. général des Jacobins
m'est venu trouver et m'a parlé de la demande que le roi fait
au pape pour la réforme des religieux^ et dit que tous les cou-
vents de son ordre qui sont en France seraient déjà réformés,
n'était le recours au Parlement, parce qu'ayant voulu mettre
en eiïet la résolution qu'il avait prise pour cet établissement,
ses religieux en ont appelé au Parlement et ont arrêté son
bon dessein*: et il dit que, si le roi lui donne sa protection et
empêche ce recours, il s'oblige en très peu de temps d'intro-
duire une réforme très rigoureuse dans tous les couvents de
France. J'ai cru être obligé de faire savoir cela à Votre Excel-
lence, car il est vrai et très certain que ce recours est la source
de tout le libertinage des mauvais religieux. J'en suis à pré-
sent dans Texpérience, au sujet d'un certain religieux de la pro-
vince de Tours nommé Spinose, lequel ayant.été condamné par
le chapitre général et depuis ayant eu recours à moi et m'ayanl
prié de connaître de son affaire sur quelque incident nouveau,
je me suis trouvé obligé de le condamner. Il avait acquiescé à
la sentence, et, voyageant hors de France, Ton me mande qu'il
a appelé de ma sentence au Parlement, de sorte qu'il n y a
plus lieu de pouvoir réduire les religieux à leur devoir, se ser-
vaut de ces sortes d'appels pour vagabonder hors les couvents. »
Au cours de ces entreprises, qui menaçaient sur tant de
points à la fois les libertés ecclésiastiques, Louis XIV et Lionne
ourdirent encore une intrigue sacrilège pour faire dissoudre,
sans le pape, le mariage d'Alphonse VI, roi de Portugal, et
provoquèrent un conflit qui pouvait troubler pour longtemps
les rapports du saint-siège avec deux royaumes catholiques.
(l) 12 décembre 1667. Rome, 187.
CHAPITRE TROISIÈME
LOUIS XIV ET LE « DÉMAEIAGE » DE MARIE DE SAVOIE, HEINE DE
PORTUGAL : LUTTE ENGAGÉE PAR LE ROI DE FRANCE CONTRE LA
JURIDICTION SPIRITUELLE DU PAPE. NOVEMBRE 1667 A SEPTEMBRE
1668.
RéTolntion de noTembre 1667 en Portugal. Alphonse VI emprisonné» et son frère, l'infant don
Fèdre, nommé réf ent. LouU XIV, qui avait fait épouser Marit do Savoie au roi AlpHonte VI,
eotrepr«Qd d# la marier au régent don Pèdre sans rintervenlion du pape. — Sentence de Lis-
bonne »or le premier mariage. Le cardinal de Vendôme, simple li^gat d'apparat pour le
bapt<!^roe do dauphin, forcé par Louis XIV de donner une dispense papale à la reiee Marie.
Célébration du second mariage. — Grand fracoê que fait à Home la nouTcUo de cet événe-
ment. Scrupules de don Pèdre et de la reine. Mission du P. de Villes eu France et à Rome.
— Louis XIV, théologien et casuiste, défend au P. de Villes d'exécuter les instructions des
princes, et d'obéir au pape. Il menace, si le pape ne se soumet pas, de faire attaquer sou
autorité par • beaucoup de plumes ». Mémorables dépêches du 25 mal et du 3 août 1668.
Le 27 juin 1666, sur un vaisseau, à La Rochelle, Louise-
Marie-Françoise-Élîsabeth, arrière-petite -fille de Gabrielle
d'Estrées, petite -fille du bâtard César de Vendôme, fille de
Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours et d'Aumale (1),
et d'Elisabeth de Vendôme, avait été mariée au roi de Portugal,
Alphonse VI, par César d'Estrées, évêque de Laon, neveu de
Gabrielle d'Estrées. Elle était assistée de son oncle Louis de
Vendôme, duc de Mercœur, présenté par Louis XIV pour le
cardinalat. Trois jours après, elle partit pour Lisbonne sur le
vaisseau le Mercœur^ qui naviguait de conserve avec le Beau-
fort : on avait ainsi accumulé autour de la jeune reine tout ce
qui rappelait Torigine ignominieuse de sa maison (2). La plus
cruelle déception Tattendait dans son royaume. Le mari que
(1) Qui fut tué en duel par soq beau-frère, le duc de Beau fort.
(2) Quoique ses lettres autographes soient signées tantôt Afarte, tantôt
.V. Elisabeth, nous l'appelons Marie de Savoie^ à Texemple du P. d'Orléans,
•on biographe, dont nous aurons occasion de citer le livre : Paris, 1696. in-12o.
— EUe avait brillé quelque temps à la cour de France^ sous le nom de Ma-
demoiselle (TAumale, — Cf. notre article de la Revue des Questions historiques :
Louis XIV et Clément IX dans V affaire des deux mariages de Marie de Savoie^
janvier i880.
252 CHAPITRE TROISIÈME
lui avait imposé la politique de Louis XIV, et qu'avait refusé,
deux ans auparavant, M*^*' de Montpensier, était un monstre
au physique et au moral, infirme depuis son enfance, aussi
peu propre au mariage qu'à la royauté. La paix des Pyré-
nées ayant seulement ajourné le dessein de ruiner la puis-
sance espagnole, Louis XIV n'avait eu « aucun scrupule,
quoiqu'il eût pris l'engagement contraire, de prêter une assis-
tance indirecte au Portugal », dont la cour de Madrid refusait
toujours de reconnaître l'indépendance. L'or français main-
tenait sur pied une armée portugaise, commandée par le
comte de Schomberg, que Louis XIV avait fait passer de son
service à celui d'Alphonse VI, avec un corps d'ofliciers et de
soldats choisis. La cour de France espérait gouverner celle
de Lisbonne sous le nom de la jeune reine; et, en effet, au mois
de mars 1667, Alphonse s'obligea, par un nouveau traité,
à ne point faire de paix séparée avec l'Espagne. Sans nous
arrêter à des anecdotes qui peuvent plaire à la malignité des
curieux et qui sont presque toutes controuvées (1), nous em-
prunterons un court récit de la révolution de 1667 aux mé-
moires de Pomponne (2) : « Le 21 de novembre 1667,
la reine de Portugal entra dans le couvent des religieuses
de l'Espérance, où elle avait accoutumé de se retirer assez
souvent; mais elle dit au comte de Santa-Cruz, son grand
chambellan, qui l'y avait accompagnée , qu'elle y entrait
pour n'en point sortir. Elle lui donna en même temps un
écrit par lequel elle le chargeait de dire au roi que leur
conscience leur disait assez à l'un et à Tautre qu'elle n*était
point sa femme; que Dieu lui était témoin que, depuis
qu'elle était avec lui, il ne lui avait point fait changer Tétat
auquel elle était avant son mariage; et que , ne pouvant
sans crime demeurer plus longtemps ensemble en cette sorte,
(1) Les plus obstinés chercheurs ne paraissent avoir rien découTert à te
charge de la reine. M. Jal a consacré a cette princesse un très long et très
curieux article de son Dictionnaire critique de biographie^ p. 806, et Toici sa
conclusion : <c Bien des bruits courent Thistoire à la honte de cette reine,
complice d*une intrigue qui lui conserva le trône... Je suis sans preuves pour
ou contre elle. Sur le second mariage de la reine il y a, je crois, moins de
choses connues que sur l'autre. »
(2) Édités par Mavidal, 1861, in-S», t. II, p. 526.
LE (C DÉMÂRIAGE » DE MARIE DE SAVOIE 253
le le priait de lui rendre son bien et de lui permettre de re-
urner en France. Le roi fut surpris et fort fâché de ce dis-
>urs. Il courut au couvent pour y entrer; mais l'abbesse
étant excusée d*en faire ouvrir les portes, dont elle disait
ne la reine avait les clefs, il se préparait à les faire rompre,
trsque Tinfant (don Pèdre) arriva, suivi d'une grande multi-
ide de peuple; et ayant prié le roi de ne point faire de vio-
ince, il. le porta à retourner au palais, où il assembla le con-
îil... Le roi se défendit fort de Taccusation de la reine; mais,
uelque indignation qu'il en fît paraître, le conseil ordonna tout
'une voix que la connaissance de la nullité ou de la validité
umariageseraitremiseauxjuges ecclésiastiques... Les États
assemblèrent le lendemain et ne proposèrent pas seulementau
>i de vouloir laisser juger cette affaire selon les formes ordi-
aires, mais de trouver bon d'admettre avec lui le prince infant
la participation du gouvernement duroyaume.Leroi... prit
L résolution de céder à la fortune et au désir des États et
landa au conseil qu'il approuvait tout ce qu'il ferait en faveur
3 son frère... Il convint aussi des causes légitimes que la
line avait alléguées de la nullité de son mariage ; et tout ce
langement^ qui se passa sans la moindre émotion et qui ne
, pas tirer une seule épée, fut reçu avec d'autant plus de joie
î tout le royaume que les peuples voyaient autant de grandes
lalités dans don Pèdre qu'ils avaient éprouvé d'incapacité
ins don Alphonse (1). »
(l)Migaet, qui a^ait sous les yeux des documents aulheatiques ignorés de Pom-
tiiDe lui-même, est plus sévère encore pour le premier mari de la princesse
Savoie. « Alphonse VI, dit-il, avait lassé Tobéissance de ses sujets par ses
Lies et ses violences... 11 agissait en brigand et non en roi... Le peuple et les
aods tournèrent peu à peu leurs regards vers son frère don Pedro, qui avait un
racière, un esprit, des goûts toutà fait contraires aux siens... La révolution
l'Alphonse VI avait préparée lui-même depuis si longtemps par ses excès Ht ses
itravagances s'accomplit, etc. » {Négociations relatives à la succession cfEs-
igne^LUy p. 565 et suiv.) Toutes les relations, publiées ou inédites, confirment
aggravent les récits de Pomponne et de Miguet. — « Le prince, à la prière
1 conseil, de la noblesse, des tribunaux et du peuple, prit, dans le palais où il
! logea, le gouvernement de l'État, sous le titre de prince-régent, et le roi,
»n frère, ayant voulu se sauver, fut enfermé dans sou appartement où on le
irde encore. Ce changement s'est fait et s'établit si doucement, qu'on ne
en aperçoit quasi pas. Le Conseil d'État, qui conseillait le roi, conseille le
ince, et les mêmes gardes, qui gardaient le roi régnant, le gardent prison-
254 chàpitrk troisième
Cctto révolution fut suivie d'un échec considérable pour
Louis XIV en Portugal : toutes les classes de la nation exi-
gèrent que, malgré les engagements pris envers les Français,
on acceptât les ouvertures des Espagnols, et bientôt (13 fé-
vrier 1668), fut conclu un accord qui assura Tindépendance
des Portugais. Vingt jours auparavant (23 janvier) avait été si-
gnée la Triple Alliance. Le roi de France, arrêté et menacé au
milieu de ses triomphes, ne négligea aucun moyen de ressai-
sir son influence à Lisbonne, où on Tavait vu déjà sacrifier les
intérêts de la foi à ceux do son ambition. Tant que la maison
de Bragance ne fut pas alTermic sur le trône de Portugal,
Rome avait jugé prudent d'ajourner Texpédition des bulles
pour les évêques nommés par la nouvelle dynastie. Louis XIV,
qui jugeait la séparation des deux couronnes utiles à sa poli-
tique, conseillait à son protégé de forcer la main k ClémentlX
par la menace d'un schisme, et Lionne écrivait au duc de
Chaulnes : Si Sa Sainteté tarde encore, <c ils recourront entinà
ces moyens extraordinaires et préjudiciables à Taulorité du
saint-siège, comme celui de suivre l'exemple de la primitive
Église, où les évoques s'élisaient par le peuple et étaient sacrés
par dautres évêques, sans avoi r besoin des bulles de Rome (1 ). »
Le projet formé par la reine et par Tinfant lui fournit l'occa-
sion d'intervenir dans les affaires intérieures du royaume; il
imposa ses services, promit sa protection, fit entendre qu elle
suffirait et que sans elle on ne pouvait rien.
César d'Estrées, évêque de Laon , qui avait négocié et célébré
le mariage, fut chargé de régler les formes à suivre pour en
faire prononcer la nullité. Ce prélat débutait alors dans la
carrière diplomatique, où il devait se rendre célèbre, moins
par son habileté que par une soumission sans scrupules aux
volontés du roi. Son intérêt porsonnel le pressait d'ailleurs de
se prêter aux vues de Louis XIV pour maintenir sur le trône
nier et riiifant régnant Jans In mrmo phlai:*, sans qu'on ait changé nn seul
homme dans ce conseil ni <lnus ces gardes. 11 n'y a pas deux avis pour ce qui
regarde le gouvernement de rinTaut. Tout le monde est persuadé qu'un ae
pouvait pas autrement soutenir les affaires et sauver l'État. » (L*abh6 de Saint-
Romain, envoyé, puis ambassadeur de Louis XIV, ù Lionne, 29 novembre
1CC7. Portugal, 8.)
Oj 19 août 166'?. Rome, 183.
LE (( DÉMâRIAGE » DE MARIE DE SAVOIE 2K5
le Portugal sa parcnto, par le crédit do laquelle il espérait
)btenir le chapeau de cardinal. Aussitôt après la séquestration
VAIphonse VI, Louis XIV et le prince de Bourbon-Vendôme
envoyèrent à l'abbé de Saint-Romain, ministre de France à
Lisbonne, le pouvoir de sif^ner le mariage de M"** d'Aumale,
ci-devant reine de Portugal, avec le prince don Pèdre. La lé-
gitimité de celle union élait subordonnée à la double condition
que le mariage avec Alphonse VI fût annulé par Tautorité com-
pétente et que Marie de Savoie obtint une dispense pour épou-
ser son beau-frère. La gravité de la cause et la qualité des
parties exigeaient, d'après le droit et la coutume, qu'on recou-
rût à Rome : c'est ce que la cour do France voulut empêcher.
Par ses conseils, la reine et l'infant demandèrent seulement
aux juges ecclésiastiques de Lisbonne une sentence qui décla-
rât nul le mariage, pour cause d'impuissance et comme n*ayant
pas été consommé (1). Louis XIV trouva malheureusement
dans le confesseur de la reine, le P. de Villes, jésuite, un
auxiliaire trop docile de ses manœuvres. Ce religieux écrivait
k Lionne, le 26 décembre 1667 : « On procède, dans toutes les
formalités et vagares [lenteurs] du pays, au jugement de la
nullité du mariage ; à quoi... le roi a douné son consentement
par une déclaration de son impuissance signée de sa main (2).
(r Parmi les nombreuses piëce^t osteDsibles ou confidentielle?, qui ont
lassé sous mes yeux, il n'y eu a pas une qui infirme les faits constatés par
A sentence de Lisbonne. L'ambassadeur anglais, sir Robert Soutbwell, quicom-
lattait riofluence française en Portugal, écrivait à sa cour : '< What I fear
ind foresec is that, should Ihis marriage go forward, Portugal will undoab-
.ediy continue longer under tbe captivity of the French. » (A lord Arlington,
l3-â5 novembre 1667.) Pour empocher cette seconde union, qui paraissait si
iréjudiciable à l'Anglelerre, il avait donc intôrôt à contester et à nier les
Cluses de nullité alléguées contre la première : cependant, après avoir
écouté toutes les rumeurs et pesé les témoignages dignes de foi, après avoir
*era les confidences de la reine elle-même, il ne parait pas mettre eu doute
^u elle n'eût éprouvé : "... a total disappoiutmcut in her bed... It appears
Dv the sequel tbat au accident which befelt tbe king in bis childhood ofbeing
)lasted, nnd cver sincc paralytical on bis whate rigbt side^ diJ non only
;rack and shatter bis understanding, but madc biui impotent as to the use ofa
rirgin » (10/20 décembre 1067 : Tlie hislon/ of the révolution of Portu-
gal with leiters of sir [{offert SouUuvell, during his embassff there In the duke
if Ormorid, (jivinfj a parlicu/ar account of the dcposing A/fnnso and piacing
Ion Pedro on the Ihrone, London, 1740, iu-8o.)
(2) « ... Por detcargo da minha conicienciai declaro que nfto consumei com
256 CHAPITRE TROISIÈME
Et on prend cependant toutes les mesures et précautions né-
cessaires pour faire sûrement et promptement ce qui doit
suivre, sans s'exposer aux délais et aux embarras que Rome
et la Castille pourraient apporter à Texécution d'une aussi im-
portante affaire^ si on ne la pressait. Ah ! Monseigneur, que
je vous ai souhaité de fois ici auprès de la reine pour être
l'ange de son conseil, et pour me tirer des peines où la con-
naissance que j'ai de mon insuffisance m'a mis (i) ! »
Le tribunal ecclésiastique remplit son office avec circons-
pection et fermeté. Le siège de Lisbonne étant vacant, le cha.
pitre de la cathédrale avait désigné trois juges : son vicaire
général, Tévèque de Targa et le président de Tlnquisition,
évêque nommé d'Elvas, ce dernier particulièrement connu pour
sa science et sa rigidité (2). La reine répugnait seulement à
un examen personnel, mais elle redoutait si peu les informa-
tions les plus étendues qu'avant même le commencement de
la procédure, elle avait fait arrêter et mettre sous bonne garde
le serviteur le plus affidé du roi et les complices de ses orgies
sans nom (3) comme les témoins les plus utiles pour confirmer
les aveux écrits d'Alphonse. L'évèque nommé d'Elvas étant
mort aumoisdedécembre, l'enquête fut continuée sans précipi-
tation, quoiqu'on en attendit la fin pour assembler les Gortès
et donner à la révolution une sanction légale (4). Il n'est pas
ella (a rainha) o matrimonio por ser domzeila. Assim o juro aos Saatos Evan-
gelhos, e quero qae esta declaraçûo tenba toda a força e Tigor bastaote pera
se julgar por duUo o matrimonio que celebranos. » (2 décembre 1667. Portu-
gal, 6.)
(1) Ibid.
(2) « A learued rigorous maii without mercy. >> (Soutbwell à lord Ormond,
18/28 novembre 1667.)
(3) «... Before tbeir judgcs werc chosen, there were scized and are no'w iQ
hold tbrec of those wencbes whicb Ihe king commonly made use of, as also
a young man who tended the klng below the girdle in tbose cérémonies
whicb in this bot country was accustomary to ils inbabitauts, and thèse wi>re
provided as a stock uf witnesscs, to put a final décision by their testimonies
of the impotency of the king : 'whereby Her Majesty mightcome oGTthc casier
and make a déclaration to commute for tliat mecanic way of inspection. >• (Ibid.)
(4) <c On croit maintenant, écrivait le P. de Villes à Lionne le 26 décembre,
que dans trois semaines au plus la sentence sera donnée. Après cela, les
Etats; dans les Etats, à ce qu'on pense, la déposition du roi et lacclamatioa
du prince avec le titre de roi; ensuite, les instances des Etats à la reine d'ac-
cepter et de consentir au mariage avec le nouveau souverain. » (Portugal^ 6.)
LE « DÉMARIAGH: » DE MARIE DE SAVOIE 2S7
vrai que, comme le veut faire enteiulro le léger Vertot (1), on
s'empressîlt ilc satisfaire les désirs de la reine, « au moyen
de ces formalilés que la plupart des juges savent toujours ac-
commoder au gré de ceux (|ui gouverueut. » La sentence ne
Fut rendue que trois mois plus tard, le 24 mars (2). Mais il ne
suffisait pas à Marie de Savoie de faire rompre les liens qui
l'avaient unie au roi Alphonse; un enipèchement lionestalis
rmhliae s'opposait à son mariage avec don Pèdrv?, et c'est au
pape seul qu'il appartenait de lever cet obstacle. Cependant la
CiMir de France combattait ce recours au saint-siège; dès le
22 décembre i()()7, Lionne avait écrit à l'abbé de Saint-Romain ;
" Sa Majesté a seulement considéré... que, comme par toutes
les choses passées, on peut croire assez vraisemblablement
ijue le prince a une très forte inclination pour la reine et que
]»eut-êtro aussi elle est réciproque, le prince aura grande pas-
sion d'épouser la reine, et que, croyant, possible, ne le pouvoir
faire valablement sans en avoir obtenu la dis})ense de Rome,
il est bien à craindre que les Espagnols ne se mêlent là dedans...
Vous ne devez rien omettre pour rompre ce coup et pour faire
connaître au prince et à ladite reine qu*il y a une voie bien
plus sûre et plus courte pour avancer leur satisfaction, qui est
cdle de la dispense de Tévèque... On ne doit pas croire qu'un
livéque, assisté de tout le clergé du royaume, dans un cas pa-
reil, n'ait un pouvoir très suffisant pour donner ladite dis-
pense dont vous ollrirez même que Sa Majesté se chargera
J'abondant de poursuivre la consommation et la validation en
:our de Rome, en cas qu'ils le désirassent pour leur plus
.•rande satisfaction (*J). » l^t pnîS(iue en même temps, le ca-
iuiste trop zélé, le l*. de Villes, écrivait à Lionne : a On tra-
vaille fortement de divers cotés à établir l'opinion probable
il: liérolulion du Pnrlut/aly ûiiit. 1711, iii-l2.
(2) « Le 21 et le 22, le ju;<t*incnt du itrot^ès do la rvma de Portu^j'al sur l«i
lullitt^ «le sou niariîifî»' pjirut j'uiharrassé et remi:* après les fètcs; mais hier
uatiu Taffaire cban^ra tout d'uu coup de fare, et toutes les diflicultés qui s'y
'«fiicoutraieiit et qu'on croyait affectées et lualij^ues se dissipèreut soudaine-
in-nt, et, cette après-diuée, les ju^es out rendu luur sentence telle que la
viue de Portuf^al pouvait la désirer. » (Saint-Komain à Lionne, 24 mars 1068.
■'ortuyal, 1.)
(3) Portuyal, 6.
LUUId ZIV ET LB SALM-SIKUK. — U. 17
258 CHAPITRE TROISIÈME
qu*il n*est pas besoin d*aIlor à Rome pour avoir la dispense de
rempêchementderhonnêleté publique, et par là on évitera au
moins des longueurs qui ne pourraient être que très fâcheu-
ses (1). » Il s'en fallut de peu que les jeunes princes n'écou-
tassent ces mauvais conseils, en passant outre au mariage,
avec la dispense d'un évèque portugais, sauf à solliciter en-
suite à Rome la légitimation du fait accompli. Le jour même
du jugement, Saint-Romain écrivait à Lionne : « Tous les
gens de celte cour en ont fait compliment ce soir à la reine,
et j'y suis allé aussi faire le mien avec M . do Schonberg el
M. Gravier. Elle nous a dit, comme un secret, que son contrai
de mariage avec le prince était dressé ; qu'on le signerait de-
main matin; que, le soir, le princcî l'épouserait secrëtemenl à
sa grille, et que, peu de jours après, l'abbé Bttgni partirait pour
aller à Rome demander leur dispense au pape (2). » Mais des
scrupules de diverse nature traversèrent cette entreprise, et
l'abbé de Saint-Romain écrivit bientôt à sa cour : «... Après
que la sentence fut donnée et le jour même que la reine espé-
rait que son mariage se devait faire, Jean Correa, précepteur
du prince, Jean de Rojas, son secrétaire, dirent au prince en
particulier et tout haut dans le monde qu'on ne pouvait pas
en conscience faire ce mariage qu'après en avoir demandé el
obtenu la dispense du pape, el qu'il fallait pour cet effet en-
voyer à Rome incessamment. Toute la cabale d'Espagne prê-
cha la même doctrine, cl le secrétaire [d'État] Macedo ne put
pas s'empêcher de dire à la reine que le marquis de Liche,
appréhendant que cette affaire ne reçût quelque difficulté à
Rome, offrait les offices d'Espagne pour l'y faciliter et avan-
cer... La chose paraissait incertaine, et nous retombions in-
sensiblement dans nos premières craintes... » L'opinion pu-
blique s'indignait, et les princes n'osèrent pas la braver :
« On commença, dit un contemporain, à douter que ce mariage-
là se pût légitimement faire ni consommer sans dispense, et,
quoique l'on ne soit pas fort scrupuleux en ces matières-là en
Portugal, il semblait que l'honnêteté publique demandait
(1) 26 décembre 1661. Portugal, 6.
(2) Portugal, 7.
LE « DÉMARIAGE » DE MARIE DE SAVOIE 25d
juelque formalité plus grande qu*UQc sentence de Tofficia-
ité(l). »
Une abominable supercherie de Lionne, approuvée par
L.OUÎS XIV, fournit à Tinfant et à la reine le moyen de préci-
piter leur mariage, en produisant un simulacre de dispense
pontificale, qui trompa un moment le clergé de Lisbonne, les
)rinces et leur cour. Le roi avait alors auprès de lui le cardinal
le Vendôme, oncle maternel de Marie de Savoie, que le pape
ivait décoré du titre de légat a latere pour tenir, en son nom, le
lauphih sur les fonts du baptême (2). Ces missions purement
lonorifiques ne rappelaient que de nom celles qui avaient au-
. refois exercé une si grande influence sur la société chrétienne.
La jalousie de la puissance séculière leur imposait même des
întraves qui en rendaient l'usage de plus en plus rare. Les/a-
:ultés de ces envovés étaient vérifiées au Parlement de Paris,
iprès que le souverain avait délivré des lettres d'attache. Le
gouvernement français y proscrivait toute apparence de juri-
diction ; et les papes, pour éviter les conflits, étaient les pre-
miers à renfermer l'autorité des légats dans les plus étroites li-
mites. Clément IX d'ailleurs n aurait pas donné de pouvoirs
étendus au cardinal de Vendôme, dont il connaissait l'ignorance
et la docilité absolue aux caprices du roi. Ses bulles lui permet-
taient, pendant sa légation éphémère, de lever certains empè-
(1) Mémoires de d'Abiancourl^ envoi/é en Portugais [contenant f histoire de
Portugal, Amsterdam, 1701, in-i2, p. 313.
(2) Bref au roi, 16 janvier 1668. On ne peut lire sans douleur le passage de
i^e bref, où Clément IX parle de ce personnage qui réunit « prœter sanguinis
regii decus, insignes etiam animi dotes!.. » — Le duc de Chaulnes et Lionne
faisaient des gorges chaudes de cette légation : « Que vous allez être heureux, écrit
le premier au second, d'avoir les bénédictions de M. le cardinal de Vendôme ! >»
(17 janvier 1668. Home^ 189.) En môme temps Tambassadeur se vante au roi
d'avoir glissé dans son discours à Clément IX une aUusion offensante pour
Alexandre Vil : En proposant à S. S., écrit-il, d*être le parrain de M** le
dauphin, je lui ai dit « que le litre de pape n'avait pas été suffisant pour
obliger V. M. à faire cette avance^ mais qu'il avait fallu qu'il eût été accom-
pagné de toutes les qualités que nous voyons reluire en sa personne... » (Même
jour.) — Le cardinal de Vendôme ne sut pas même faire rendre à son carac-
tère de légat les honneurs qu'il avait toujouri* reçus en.France : « Dites au pape
que, si je n*ai pas rendu moi-même visite au légat, comme Henri IV l'avait
fait au cardinal de Joyeuse, (^'est que personne ne m'a rappelé ce précédent. »
(Le roi à Chaulnes, 27 avril 1668. Rome, 190.)
-■1 n T-ir - n.jr.w- - -i. r- ■ -:.* -..ii^^ a-î regardîûl-
*:.f rir -r?- iî r:* 'iï -1 j'i. :---.. -.. j.- ! aceroiii-eiie qoe l6S
Trun'iLs-, — =i:niîi-!î- :.vr: •!..>. -^ L^j;ixii± îmaziai de faire
in- .i-zjit^ *^ j ^-^ j-iT - xTîîiuL. L m ii/iTîeWff. d des princes
'^r-fjiK"^' - * î.;-' - ■-' • f.-^i/f;- a *a-^ir!KUiCA:a5i il coutume
^rii-it AU- it? jttL -s^î^r -■. :- -"---r- air- e* loa^r?! rf des envoyés ]
i-aiid.iun. _ ,11^ XIT r.. I m v-a ri-if^a-wr eacore plus i
^Tr'"*'n«-!ii - i-^im-^K.^-. .rx f.,- .jTQ j^i >ji: à oommeltre un
mus- :- IL- IL i-.a 1* .:ïi- ...'—m h :iriiji.ii pour en obtenir '
a -: uu: ii .r- -. a ikui :.i.. V'.î.:..tn.* tftita de résister (I). •
iLiL^ r 11: .ij-ti II. -a. ■ :- -'uir l * ..ni- .- ^. "île. M. Verjus, se-
:r-'.xj-i ir- .1 -iiirr. ..-;»« :- i a : «ir t^r Frin:e, fut aussitôt
••1 ■- y^ •'! ^ '"-i-ru i -■ j. r-jr!i:Sd II l-e^i:. r»è>Ie3I mars,
'^.i.n -?v:iiid.a -:'i'. -::-^-- i I^. aîi»^ t M V^r js r-aratheureu-
-•-iii-ta" i*— • • iT-' i.-]:rLL-f. ay-tn £-* **• •* - //4-r/'Ai/i//, et leva
:.!:;? .'f!* s.Tiiii^'-^ -V : - .i ifi.: i. -i .:i* a opposait à la coq-
:Li:?u.'a le -i^c-:; tfii::*^. r..!. • .i riiole perdît la parole à la
'i-t i-t :ei:- i:-7e:i>»f. f. f-r-rit lî Tirzi eue secrétaire d'É-
•..i: -r- f:^rZ- ■ -x:i. : tiir- :. ..ii-e.'t.is ÇQ^ l'évèque l'ac-
:^ :.i j>izi^ 7'~\r:-z: i i :i.r .i. : i:i;:ivr i voir les facultés
:r M. '.-^ ^r.i:. L- z- i. >: : : :e M. Verju-S arriva, on lit Icb
::.ir.!ai-^-:S -f:. .r .r- :-.z:i^:i .:i:r::r:\ le mariaire 2 . m
•. I> M'iinii. fi: : ^- : -i* -r i ^ ii-r . t; :-? i-î 3.>an^< :-.»ur 5^ justifier,
»: :*r.iJ:.' p-ir :i* i: ^-"i*.. i :- — :-i-, : i'^ - lî"*..: ii.L«Tê la liispense que
•...•.•:.*- :i •-.. 3- -* ^ i: .1 i-.-... .* >rTCe.;;:^r^î . L oua^? à BourlemoDl,
■ •••._•- :>■•*. ?.: ■!■.■' : •- — Itî ?. : . •: x::?. :r-.-.' x j.iplai»dnt hiàlorien de
.*. --.!'. i- .* ..>-■--_:- : :* .t .T-ri; i. -.'.:: : : - :'â; donner la dispeostf
** : .-: •-* : Vit- !:i.ji II ^.n: ^^Mr-i?... •- cIaî; dans crtte perplexité
j/rj-T.-» jL t-z L::-!!-: r; M. \ rr^ .«. ^^^l::; -i-ï^u-tle ii buUe où les pouvoir*
. . '.^j\i eu. .:.: :.:l:.-:LI?. y :r. :.-. -^ -i'. ••': ^ vi: ex:>ridiê oelui dout on avait
r»>'0..'.... Or, :.* it.i-i 7 t5 J lu- .i 51. :t .. i'-.r rucore quelque peine à Rome,
o>i . '»fi pr^l'fiiit q;e. l^i '--;:- -m:.: ir :-.? ^.-i^es mijeures réservées par le
'\fo.i 'Mj i-iifii- ;--•■*. ::i 1-î ct-iiiT: le L-if': '-.l'j. ul le le-:at uen avaient pa.*
fl'i A'ffirnîîfr:. " 7>z c> /^/> Af'i ^ -:'• ^:. t. :». r> ei suiv. LVnonciatioD da
p'/'i*o.r 't-ï t j»! pt'j n*?//-? que :-r?o:.--. ^ Kôa:e, ne l'aperout, et que le»
nfffit< ffiincii^ ou p/>rtug.iis Ti^i^reut lu» -ue jauiàis y soutenir cette préten-
tion.
U, l'ftrhi'fiil. 1. — H Oniime on doutiit, a cause do l*honuêteté publique, si
!*• rri/irf>it<<: pouvait légitimement et valable lueul être contracté et consommé
«»io< /Ii«pTri«*t, on allait choisir qu»;lques docteurs pour agiter cette question,
l/ir«/|(i«) M« VfrrjuK arriva de France avec le bref du légat qui leva le doute et
LE « DÉMARTAGE » DE MARTE DE SAVOIE 261
Les jeunes princes étaient peut-^tre de bonne foi, mais la
iir de Franco ne recula devant aucun mensonge pour assu-
lo succès de ses menées. Le 20 février, Lionne avait donné
istruclion suivante à Saint-Romain (1) : « M. Verjus vous
a encore quelle pensée m*est tombée dans l'esprit en lisant
bulles de la légation de M. le cardinal de Vendôme ; mais
rois que, quand vous en parlerez, vous aurez encore moyen
aire valoir l'avantage de Ja chose, en insinuant ou laissant
prendre que cela se soit fait par un concert secret entre le
?t la cour de Rome. » La vérité est que, dès le premier
lent. les agents français ou portugais avaient été avertis
le pape se réservait à lui seul d'accorder une pareille dis-
e. Le 20 janvier 1668, Lionne avait informé le duc de
ilnes que le souverain pontife recevrait bientôt de Lisbonne
louvelles qui ne lui plairaient pas, et, sans lui révéler le
't, le chargeait do dissiper les ombrages que le pape pour-
concevoir : « Si on commençait, disait-il, à faire quelque
[ H Rome sur les avis qui iront des procédures qui se font
d)onuo pour le démariage do la reine de Portugal, je crois
LX que vous pouvez faire de mieux, c'est de prier SaSain-
de suspendre son jugement et toutes résolutions, jusqu'à
le vous la puissiez particulièrement informer de tout ce qui
ra fait, et de la manière qu'on s'y sera conduit, et des motifs
n aura eus; et, à vrai dire, sans cela, Sa Sainteté ne saurait
résoudre qu'à làtons (2). « Le duc de Chaulnes s'en ouvrit
idemment à Clément IX, qui promit la grâce espérée, dès
serait justifié d'un démariagp en bonne forme. L'ambas-
ur, en transmettant cet avis à sa cour, désapprouvait luî-
ic qu'on voulût se passer d'une dispense pontificale, et
chait à prévenir un éclat fâcheux. « L'on tient ici, écrit-il
l février (3), que cet empêchement doit être ôté par une
LMise, et je crois que cette reine la demandera d'autant
vohmtiers qu'un refus même la met à couvert de tout ce
npulp, etc. »• (Dt» la Clètle, Uisloire de Porlut/ul, 1735, Paris, Id-4®,
p. 7S5.)
Portugal, 8.
Home, 189.
W,mf, 189.
262 CHAPITRE TROISIÈME
que l*on pourrait dire, et ne peut retarder en rien son mariage.»
Le 13 mars, il renouvelle ses conseils et recommande ce parli
comme le plus honnête. Il est inquiet des bruits qui se ré-
pandent déjà : on lui dit que le mariage doit se faire «un peu
brusquement, » et que « Ton n^attendra pas la bénédiction do
pape ». Mais le 27 avril, Lionne lui écrit sèchement et sans
entrer dans aucune explication : « Il ne sera plus nécessaire
que vous. Monsieur, ni M. le cardinal Ur8in{l), parlent à Sa
Sainteté de la dispense de la reine de Portugal, parce que nous
avons déjà pris des mesures également certaines pour n'en avoir
pas besoin (2). »
Le triomphe fut de courte durée. Marie de Savoie, que les
Cortès avaient autorisée à conserverie titre de reine, quoique
son mari prît seulement celui de régent, était assiégée de
scrupules. Après la célébration du mariage, Tévêque de Targa
« avait désiré de revoir la dispense et Tavait redemandée avec
empressement; mais, écrivit Saint-Romain (3), comme on
jugeait que ce pouvait être pour la faire examiner à mau-
vaise fin, on n'a pas voulu la lui redonner que le mariage
n'ait été consommé. » La reine eut hâte de se mettre en règle
avec le chef de l'Église, et, dès le 20 avril, elle fit partir pour
Rome son confesseur, le P. de Villes, avec ordre de passer
par la France. Ce religieux était chargé de lettres pour
Louis XIV et pour ses ministres. Celle que la reine adressait
à Louvois dévoile, en même temps que sa sincérité, la pression
exercée sur elle par la cour de France (4) : «Mon mariage, dit-
elle, ayant réussi avec le prince de Portugal de la manière que
le souhaitait le Roi très-chrétien et que je sais que vous le dé-
siriez, j'ai cru qu'il fallait penser à Taffirmer si bien du côté de
Rome qu'on ne puisse jamais en d'autres temps y donner aucune
atteinte. Pour cela, je crois devoir informer le pape de tout ce
qui s'est passé ici à mon égard ; et, parce que je n'ai pu, dans
(1) Comme protecteur de Portugal.
(2) Rome, 190.
(3) «( Cependant, comme il paraissait dans tout ce qui s'était fait et surtout
à regard du mariage quelque sorte de précipitation, il fat résolu qu'on enver
ralt à Rome le P. de Villes. » (D'Ablancourt, ibid.j p. 375.)
(4) Jal, Dictionnaire, p. 808.
LE « DÉMARIAGE » DE MABTE DE SAVOIE 263
une affaire de coQscionce, prendre d'autre conseil ni avoird'autre
témoin que mon confesseur, j'ai pensé aussi que personne ne
pourrait rendre meilleur compte que lui, qui a eu la principale
part à toutes les résolutions que j'ai été obligée de prendre... »
Les dépèches officielles du roi au duc de Chaulncs se taisaient
sur cette affaire, dont Lionne seul avait touché quelques mots
dans ses lettres particulières. L'ambassadeur ne pouvait donc
engager une négociation sans Tordre de sa cour; mais, informé
de ce qui se passait par ses amis de Paris et de Saint-Germain,
il avertit Lionne des difficultés qu'on se préparait. Il reproche
agréablement au ministre (1) « d'avoir fait faire le pape à
M. le cardinal de Vendôme pour le mariage de la reine de
Portugal. Du moins, ajoute-t-il, je ne vous avais pas soupçonné
à tort, parce que l'on a su, par le dernier courrier, que la reine
était mariée sur une dispense de M. le légat, ce qui fait ici un
grand fracas. Le pape en parla hier au cardinal Orsino, au
consistoire, et témoigna qu'il serait fort surpris que M. de
Vendôme eût fait un tel pas qui no se pouvait soutenir; et,
comme le cardinal Azzolino me fit demander avant-hier ce que
j'en savais, je lui fis dire que l'affaire dépendait de l'explica-
lion des facultés; que ce que je savais était que M. le cardinal
le Vendôme n'entendait pas trop bien le latin, et qu'il aurait
cru peut-être de faire plaisir au pape, en lui ôtant l'embarras
]u'aurait eu Sa Sainteté pour cette expédition, à laquelle les
lilspagnols se seraient opposés, selon leur coutume. »
Louis XIV n'essaya de se justifier à Rome que quand tous
es faits furent accomplis, et les formes obséquieuses de son
ipologie ne dissimulent pas son mépris réel pour le saint-siège :
I écrivit à son ambassadeur (2) : « La dispense accordée par
non cousin le cardinal de Vendôme, légat a latere de notre
laint-père le pape, de l'empêchement de l'honnêteté publique,
»our faciliter la célébration du mariage de la reine et du prince
le Portugal, pouvant avoir paru un peu extraordinaire dans la
our de Rome, j'ai cru qu'il ne suffisait pas d'avoir agi en ce
encontre avec toutes les circonspections que requiert le res-
(1) 15 mai 1668. Romey i91.
(2)25 mai 1668. Home, 191.
264 CHAPITRE TBOISIÈME
pect filial que j'ai toujours eu pour le saint-siège, mais qu'il
fallait encore satisfaire Sa SainleU'» en lui rendant uu fidèle
compte des vérilables motifs qui m'ont obligé à désirer celte
dispense de mon cousin lo cardinal-légat et des moyens que
j'ai employés pour l'obtenir avec la célérité qu'exigeaient l'im-
portance de TalTaire et la qualité des parties... Je fis des ins-
tances très pressantes à mon cousin le cardinal-légat pour
faciliter ladite dispense; et, sur les divers scrupules et diffi-
cultés qu'il y forma, alléguant que, dans une affaire d'une si
grande conséquence, où il s'agissait de lintérèt de personnes
d'un si haut rang, il ne pouvait user de son pouvoir sans en
avoir reçu un ordre particuli<»r de Sa Sainteté, je lui fis con-
naître que cette affaire était d'une nature et tellement traversée
par les Espagnols, depuis la conclusion de la paix avec .os
Portugais, qu'elle pouvait être ruinée par le moindre retarlo-
ment et qu'ainsi, le temps ne permettant pas de recourir à
Rome, il était de la dernière nécessité qu'il se rendit facile à
accorder celle grûce, sans attendre aucun nouveau pouvoii du
saint-siège, et que j'étais assuré que non seulement il ne ferait
rien contre le gré de Sa Sainlelé, mais même qu'il pourrait en
cela bien mériter du saiut-siege : pn^mièrement, en ce qu'il était
manifestement de rintérùl et de la dignité de Sa Sainteté qu'un
mariage de cette qualité ne fut j)as consommé sans une dis-
pense apostolique, ce qui aurait néanmoins pu arriver, suivant
l'opinion commune et presque générale des théologiens et juris-
consultes français, ainsi que de nombre de docteurs portugais
qui avaient été consultés sur celte affaire et étaient demeurés
d'accord que, par la déclaration de la nullité du premier ma-
riage de la reine, elle était libre cren contracter valablement
un second sans aucune difficulté et snns aucune dispense, ce
qui n'aurait pu être exéiMilé qu'au mépris et très grand pré-
judice de l'autorité du saint-siègt» ; secondement, en ce qu'il
relevait Sa Sainteté de Tenibarras .luquel elle se serait trouvée
de pouvoir, selon son inclination naturelle, contenter tout le
monde, ce qui lui aurait été impossible dans la conjonctun»
dudit mariage, à cause des div(»rs intérêts qui se trouveront
mêlés dans cette affaire. Sur ces présupposilions et celles des
assurances que vous m'aviez données d'ailleurs de la parok
LE « DÉMARtAOB » DE MARIE DE SAVOIE 265
formelle que vous aviez de Sa Sainteté qu'elle traiterait très
favorablement ladite reine et avec toute la bonté et facilité
possible, je me cbarp^eai, auprès de mon cousin le cardinal
légrat, de faire approuver et agréer par Sa Sainteté tout ce qu'il
ferait en ce rencontre. En sorte que, n'ayant pu se défendre
de prendre connaissance de cette affaire, il se fit représenter
les principaux actes du procès de la reine, et y ayant trouvé
des preuves convaincantes et incontestables de la nullité de
son premier mariage, connaissant d'ailleurs le désir extrême
qu'avaient les Portugais de la concluvsion du second, et joignant
ces considérations à celles de l'iutérAt qu'avait le saint-siège
de ne pas souffrir qu'une alVaire de cette qualité se terminât
sans interposer son autorité, mon cousin aurait été convaincu
qu'il était d'autant plus juste d'accorder ladite dispense que
les parties intéressées se trouvaient dans l'un des cas pour
lesquels le saint-siège accorde le plus volontiers ces sortes de
grâces. Néanmoins, pour ne pas engager l'autorité de Sa Sain-
teté et ne se départir aucunement de la règle, mon cousin
n'aurait accordé cette grAce qu'avec connaissance de cause,
i»n remettant à la discrétion de l'ordinaire des lieux la con-
cession de ladite dispense, lorsqu'il lui serait apparu de la
vérité de ce qui avait été exposé par ladite reine et par ledit
prince. Après toutes ces marques de soumission et de respect,
qut' mon cousin a fait paraître en ce rencontre pour Sa Sain-
teté, je me promets non seulement que Sa Sainteté n'aura pas
désagréable ce qu'il a fait, mais au contraire, qu'en cas qu'il
s'y soit passé quelque cbose dans l'exécution dont la forme pût
rtre un peu extraordinaire, elle aura la bonté d'y suppléer en
approuvante! autorisant tout ce qui se sera fait dans cette occa-
sion; et, ne doutant pas que l'intérêt que j'ai pris dans le bon
succès de cette atîaire ne soit encore un nouveau motif qui
l'obligera d'y donner son agrément et sa bénédiction aposto-
lique, je désire que vous les demandiez l'un et l'autre en mon
ncmi (1). »
Les agents français à Rome manquaient de bonnes raisons
(1) Cotte «lépôchc était failo pour ^tre lue au pape par rambassadenr fran-
caU. Oïl va voir dans un instant le^ vrais sentiments qui se cachaient sous
cjRiie -appareuce de respect.
263 CHAPITRE TROISIÈME
pour satisfaire le pape, et ce n'est pas la dépèche du 25 mai
qui facilita leur tâche. Machaut écrivait à Lionne (1) : « Le
cardinal Azzolino m'a dit que le pape faisait faire une petite
instruction par M. le nonce, afin de répondre à la lettre qu'il
a reçue de M. de Vendôme ; et il m'a avoué en peu de mots
qu'ils étaient mal satisfaits de ce légat, d'autant, disent-ils,
avec assez de sens, qu'il pouvait leur écrire pour demander
les ordres de Sa Sainteté et non pas pour mander la chose faite,
sans d'ailleurs qu'il parût ici aucune démarche ni aucune ins-
lance des parties intéressées... » — « Le pape, disait M. de
(ihaulnes(2), n'a pas voulu faire la réponse à M. le légat, ...et
le nonce a ordre de la lui faire de vive voix ; je ne la crois pas
fort douce, le pape se plaignant de deux circonstances, outre
l'essentiel de la dispense, l'une de ce que M. de Vendôme a
été le dernier à lui mander ce qu'il avait fait, au lieu d'en de-
mander au pape la permission, la voulant même donner avant
de recevoir les réponses ; et l'autre de ce qu'en écrivant à Sa
Sainteté, il n'a pas joint à sa lettre les pièces justificatives de
sa conduite. »
Au premier mot de l'ambassadeur, Clément IX déclara qu'il
voulait la paix, qu'il mettait son bonheur à répandre des grâces,
et qu'il serait fâché de rencontrer, dans l'examen de la cause,
des difficultés sur lesquelles il ne pût passer en conscience(3):
du reste, il attendait le confesseur de la reine. Rien n'eût été
plus aisé que d'éviter le différend en s'adressant, dès l'origine,
au saint-siège : le conflit une fois soulevé, il dépendait de
Louis XIV de le terminer bientôt, en laissant à la juridic-
tion ecclésiastique, seule compétente, toute sa liberté, et en
ne cherchant pas à faire le pape ; mais il apporta mille entraves
à la mission du P. de Villes. La reine avait confié à ce religieux
les actes authentiques de l'enqutHe faite à Lisbonne sur son
premier mariage, avec la sentence qui l'avait annulé, et lui
avait enjoint de présenter le tout au souverain pontife, en sol-
licitant une décision suprême sur ce quis'était passé. LouisXIV
défendit au P. de Villes d'exécuter cet ordre et y substitua ce*
(1) 30 mai 1668. Borne, 191.
(2) 3 juin 1668. Rome, 191.
(3) Chauloes au roi, 26 juin 1668. Rome, 191.
LE tt DÉMARlAaE » DE MARIE DE SAVOIE 267
lui d'exiger que Clément IX ratifiât sur-le-champ et les yeux
fermés l'acte surpris au légal. Le 7 juillet, il écrivit à son am-
bassadeur en Portugal (1) : « Je ne saurais vous bien exprimer
la sensible joie que j'ai eue de la grossesse de la reine... J'eus
aussi une joie extrême d'apprendre que ce qu2 je pensai ici à
son avantage lorsqu'on examina les bulles de la légation du
cardinal de Vendôme, l'envoi de Verjus et son arrivée si à point
nommé ont donné lieu de delà de surmonter en un instant tous
les obstacles qui s'opposaient, et qui pouvaient encore s'aug-
menter avec le temps, à la conclusion de son mariage. Le car-
dinal en a reçu quelque réprimande de Rome ; mais j'ai pris
tout sur moi, et je vous adresse la copie d'une dépêche que
j'écrivis dernièrement sur cette matière au duc de Chauln^s,
afin que vous la fassiez voir à la reine et à qui vous res*ime-
rez à propos. Le duc me mande à présent que tout le feu que
l'on avait pris d'abord est éteint, et que tout se passera bien
en donnant quelque petite satisfaction au pape. Or, je vois
que le P. de Villes lui en porte une bien plus complète qu'il
ne l'attendait, et j'ai trouvé même qu'elle était trop grande ;
car on ferait, à mon sens, une faute signalée d'aller produire
à Rome tous les actes du procès de la ili^solution du premier
mariage de la reine, dont on pourrait on cette cour-là faire
présentement ou avec le temps une grande affaire, et particu-
lièrement si ce pape, qui n'a paô beaucoup de santé, venait à
mourir et que son successeur eût plus do propension que lui
vers l'Espagne. Il faut que le P. de Villes se contente et res-
treigne sa commission à demander la confirmation de la dis-
pense qu'a donnée le légat de l'empêchement de l'honnêteté
publique, et qu'il se garde bien de remettre à la connaissance
et a un nouvel examen des tribunaux de Rome la sentence
qu'ont donnée les juges de la nullité du premier mariage. Au-
trement, il en pourrait arriver avec le temps de tels inconvé-
nients qu'on hasarderait même jusqu'à la légitimité du fruit
que la reine porte aujourd'hui et sa succession à la couronne.
Aussi empêcherai-je, autant qu'il dépendra de moi, que le P. de
Villes ne fasse ce mauvais pas, et j'enverrai ordre à mon am-
(1) A Saint -Romain. Portugal, 8.
268 CHAPITRE TROlStÈBfE
bassadeur de diriger sa conduilo et d'appuyer ses instructions
de mon nom et de tout mon crédit, qui n'est pas médiocre au-
près de ce pape-ci, par la bonté paternelle qu'il a pour moi et
dont il me donne de grands effets en toutes rencontres (i). »
Ainsi Louis XIV ne permettait pas à Clément IX d'exami-
ner la procédure de Lisbonne, qui devait faire loi pour le
saint-siège comme pour les parties ! Si le pape refusait d'en-
registrer docilement tous les actes dictés par le roi de Franco,
on devait le menacer d'une campagne gallicane contre Tinler-
vention de Rome dans les causes matrimoniales des princes (21.
(1) « Je De doute point que le P. de Villes ne suive ce sentiment, que vous
lui avez tant inspirc^de ne point entrer, à Rome, dans le détail des affaires de
la reine, ni en communiquer les pièces au pape et à ses ministres. » (Verju? à
Lionne, 20 noi^t 16(18. Portwjal, 7.)
(2, Cette correspondance fournit un exemple de plus A l'appui de la remar-
que faite par Ms' AGTre : que les gallicans sont « plus ultraniontHins que le
chef de l'Église quand ils ont quelque intérêt à exagérer celte opinion. >' Dou
Pèdre, par un louable scrupule, ne porta que le litre de régent tant que vé-
cut Alphonse VI, malgré les instances de Louis XIV. qui le pressait de prendro
relui de roi et qui, pour obtenir son alliance contre l'Angleterre et TEspagoe.
promettait de soutenir son usurpation. Saint-Romain écrivait de Lisbonii'* :
On croit que l'Espagne a gagné les conseillers du prince qui résistaient à la
prise du titre royal. « Le précepteur propose contre son couronnement <los
scrupules de conscience et d'iionneur, et rinconvénient qu'il y aurait d'«^-
coutumer les peuples à donner et ôter la couronne. » (l®' juin 1G68. Portvrjnl,
T.) Verjus écrivait dans le nii'me sens : Il est ù désirer que le pape cons»^il!eà
l'infant de se faire déclarer roi. Et, après avoir montré les avantages de ce
parti pour la France et pour le prinoi.', il ajoutait : « .le ne marque pas ici
l'intérêt que le pape et les Homains peuvent imaginer en prenant part à uue
atraire de cette nature; car, quoique cette vue les puisse toucher, elle ne doit
point être proposée par un ambassadeur de France ni par un Français. » [Ibid.]
CepMudant le roi de France, oubliant les trois premiers articles de tG6S qui
devaient former le premier article de ^68:^^ invita le souverain pontife à iu-
tervenir directement dans ce difl'érend politique, sollicita de lui une nouvelle
consultation du pape Zacharie, et lit dépendre d'une parole de Clément IX la
translation de la couronne <]e Portugal. Le 20 juin, Lionne envoja au duc<le
Chaulnes des instructions à cet effet : Le pape, disait-il, refusera peut-être,
comme père commun, de se déclarer contre les Espagnols (qui, dans le traité
du 13 février, n'avaient pas explicitement renoncé à tous leurs droits sur la
conquête de Philippe 11) : mais obtenez seulement de sa bouche « ces troi?
mots : Le prince devrait accepter la couronne. On lâcherait de les faire valoir
à Lisbonne, peut-être autant qu'un conseil formel. » {Rome, 191.) L'ambassadeur
obéit, mais Clément IX ne tomba pas dans le piège, et ne conmiit pas son
autorité dans les intrigues du roi de France. Je lui représentai, dit le duc de
Chaulnes (24 juillet 1668. Rome, 192), de quelle importance il serait que l'iu-
fant 86 fit roi. L'entretien se poursuivit sur ce sujet, et le pape me dit u qu'il
LE « DÉMAHlAGl!: » D£ MAKIE Dis: SAVOIE 269
Le p. de Villes fut retenu longtemps en France; et, quand il
tuit passé les Alpes, il s'arrêta partout avant de se rendre à
Home, où, malgré les plaintes répétées de M. de Chaulnes, il
n'arriva que le 5 septembre !
Pendant ces délais calculés, Louis XIV fit préparer, autoui^
du pape, le terrain où la lutte allait désormais se poursuivre.
Le 3 août, il écrivit au duc de C.haulnes (1) : n Comme il pa-
raît, par les dernières lettres de Rome, que le pape veut con-
naître des preuves de nullité du premier mariage de la reine
de Portugal, il est important d'être bien préparé sur ce point
et de savoir jusqu'où l'on peut s'étendre, sans mettre dans le
doute et dans l'embarras une allaire qu'on doit réputer très
bien faite. » LeP. de Villes donnera au pape la copie desactes
de démariage. «Il est vrai cependant que le prince et la reine de
Portugal n'ont pas eu intention, et ne l'ont pas du avoir, d'ex-
poser leur affaire à un nouvel examen, quand ils ont ordonné au
P. de Villes d'en rendre un compte si exact et si particulier à
Sa Sainteté, mais seulement de lui témoigner leurs respects
et leur déférence et se procurer par cette conduite la confir-
mation et l'approbation de tout ce qui s'est passé (2). C'est
pourquoi ledit Père doit faire attention sur deux choses pour
se conduire suivant l'intérêt et la pensée des princes qui l'ont
envoyé : l'une, si l'intention du pape, dans la connaissance
qu'il demande des preuves de la nullité du mariage, est seu-
lement de satisfaire sa conscience et d'accorder l'approbation
positive que ces princes désirent; l'autre, s'il cherche de plus
quelque avantage pour son autorité. Si c'est seulement pour
satisfaire sa conscience, il est vraisemblable qu'il sera content
tle la seule exposition véritable de toutes les nullités qui sont
prouvées au procès et qui sont fort claires et très bien établies.
ctiit vrdi qii«i 1«; prince deviMït preQ'lro les expédientâ les plus propres d'as-
^urer lo repos dans co royaume, ce que je rrois la mùine chose, puisque ceUe
réponse fut en coaséqucuco de ce que je pris la liberté de lui dire que la trun-
quiliil»' du royaume d'îpi.'n.lail de l'acce[it;itii)[i du titre de roi. » El, le oièuie
joMr, il informe Lionne ({u'il transmet à Saiut-Uomain, le récit de sa couver-
satiou avec le pape, pour qu'il en tire avantage, (/tome, i\i'2.)
^l) Home, 192.
{2) Ou lira plus bas uue dépùciie du P. de Villes lui-même, où il avoue for-
mellement avoir reçu des princes portugais les iustructious quli a vioiôea
par ordre de Louis XI V.
270 CHAPITRE TROISIÈME
Que s'il songe à ménager quelque chose pour rautorité du
saint-siège, en prétendant qu'une affaire de cette conséquence
(et que la cour de Rome voudra mettre entre celles qu'on ap-
pelle causœ majores) n'a pu ôtre pleinement terminée sans
l'intervention du saint-siège, le P. de Villes doit considérer de
quelle manière le pape voudra établir cette sorte d'autorité.
Car, s'il prétend qu'il doit le faire par une révision de tous les
actes du procès el dans une forme purement judiciaire, c'est
ce que le P. de Villes ne doit jamais souffrir, témoignant que
ses maîtres nont aucun lieu de douter de la validité de tout c«
qui a été fait ( 1 ), et que, les parties ayant aquiescé au jugement
qui a été rendu, rien ne les peut obliger d'en souffrir un nou-
veau; et que, quand d'ailleurs il pourrait s'y accommoder, la
grossesse de la reine qui a suivi le second mariage et qui con-
tinue heureusement, outre l'honneur de ces princes et le re-
pos de leurs peuples, achèverait d'exclure toute sorte de tem-
pérament; c'est donc un point essentiel dont le P. de Villes
ne peut et no doit se départir sous quelque prétexte que ce
soit. De plus, quand le pape ne proposerait pas un nouveau
jugement ou une révision dans les formes, mais qu'il aurait
seulement le dessein d'établir une congrégation pour y exa-
miner les moyens qu'on peut employer dans cette affaire el
les qualités des preuves do la nullité, comme celte voie serait
sujette à des longueurs (2) et à des difficultés dangereuses, et
peut donner le temps aux Espagnols d'y former de nouveaux
obstacles par les grandes adhérences qu'ils ont à Rome, le
P. de Villes doit encore rejeter cette proposition avec la même
fermeté, disant toujours que ses ordres l'obligent seulement
à rendre compte à Sa Sainteté de toutes choses et ne lui per-
mettent pas de faire un pas au delà, mais d'attendre seulement
de la justice de Sa Sainteté et de sa bonté l'approbation qu'elle
(1) C'est précisémeDt parce que ces princes* ont des doutes qu'ils ont envoyé
à Rome le I». de Villes 1
(2) Des longueurs! Pourquoi les princes portugais etLodiis XIV ne s'étaient-
iU pas adressés à Rome aussitôt après les événements de novembre 16611
Pourquoi, le P. de Villes étant parti de Lisbonne le 20 avril, Louis XIV ne
lui permet-il d'arriver à Rome que le W septembre? Le roi tient à écarter Ta-
vis des Congrégations romaines, dans l'espoir d'imposer le sien au pape» saos
discussion, par intimidation ou par surprise.
LE « DÉMARIAGE » DE MARIB DE SAVOIE 271
ne peut refuser de donner à la conduite juste et innocente de
ses maîtres. Comme Sa Sainteté là-dessus pourra répondre,
avec quelque apparence de raison, qu'on lui demande qu'elle
approuve une affaire de grande considération, sans en exami-
ner juridiquement le fondement, ce qu'elle ne doit ni ne veut
faire, et se tenir ferme à cette réponse, pourvu d'ailleurs que
vous puissiez vous bien assurer que Sa Sainteté a effective-
ment intention de donner cette consolation à ces princes, sans
que toutes les oppositions et les diligences contraires des
Espagnols soient capables de Ten détourner, on a pensé ici à
un tempérament par lequel, en conservant pleinement toute
Tautorité du saint-siège, et lui donnant peut-être plus qu'il ne
lui est dû, on pourrait facilement accommoder toutes choses;
mais il est à observer que jamais le P. de Villes ne doit faire
la proposition dudit tempérament, ni vous-même, s'il est
possible de l'éviter; mais il faudra que, par votre adresse et
vos insinuations, vous tâchiez d'obliger Sa Sainteté ou ses
ministres de vous le proposer eux-mêmes et^ s'ils le font, que
vous leur témoigniez que vous ferez tous vos efforts pour dis-
poser le P. de Villes à y donner les mains. Ce tempérament
serait que, Sa Sainteté ayant été informée par une voie secrète
ot particulière du détail du procès et ayant assez connu l'évi-
dence et la bonté des preuves de la nullité, elle expédiât un
kref ou une bulle où il fut énoncé que, la reine de Portugal
lui ayant présenté une supplique par laquelle elle avait exposé
qu'ayant été nécessitée par des raisons qui touchaient sa cons-
cience, son honneur et sa vie, de poursuivre une sentence de
nullité de son premier mariage, et n'ayant pu pour lors recou-
rir directement à la ju^itice et à la protection de Sa Sainteté,
'élat du royaume de Portugal (dont la communication n'était
point encore établie avec le pape) ne l'ayant pas permis, comme
îlle l'aurait fait bien volontiers sans cet obstacle, son affaire
■ependant n'ayant pu souffrir aucun retardement, elle avait
ité obligée de s'adresser aux juges ordinaires des lieux, les-
|uels, après une longue et exacte discussion, auraient déclaré
a nullité de son mariage. Mais, aujourd'hui que la paix de
■Portugal lui a donné un accès libre vers Sa Sainteté, le respect
st la soumission qu'elle a pour le saint-siège et la vénération
272 CHAPITRE TROtSlÈMK
qu'elle a pour la personne de Sa Sainteté Tobligent à s'adresser
à elle pour lui rendre compte des divers motifs de sa conduite,
et principalement des raisons qui ne lui ont pas permis de lui
remettre d'abord la connaissance de son affaire (comme de
très grands princes Tout fait en diverses occasions, ayant es-
timé ce procédé plus convenable à leur propre dignité el à
celle du saint-siège) ; et, après une déclaration si respectueuse,
elle supplie Sa Sainteté de donner son approbation au juge-
ment qui a été rendu en sa faveur, et d'honorer de sa béné-
diction apostolique son nouveau mariage. En suite de quoi,
après toute cette énonciation, Sa Sainteté confirmerait et
autoriserait le jugement qui a été rendu. » Mais, si le pape
refuse d'en passer par la volonté du roi de France, on le me-
nacera de soulever « beaucoup de plumes » pour défendre les
princes portugais, et d'entrer « peut-être plus avant que la
cour de Rome ne voudrait sur la matière des dispenses. Ces
mômes choses peuvent être encore insinuées adroitement, dans
l'occasion présente, touchant l'autorité du saint-siège et des
ordinaires dans les affaires des mariages qui regardent les
princes... » On saisirait cette « occasion d'attaquer les fonde-
ments de cette prétention et de faire peut-être voir qu'ils ne
sont pas si solides qu'on les croit à Rome (1). Si le pape en
convient, le 1\ de Villes devra extrêmement observer si les
expressions et les termes du bref ou de la bulle sont tels qu'ils
ne puissent blesser en aucune manière la force et la validité
du jugement qui a été rendu, mais qu'ils le confirment et
Tautorisent par le pouvoir du saint-siège comme une chose
qui a été agréable au pape et mérité son approbation. Je pré-
suppose en tout ce que dessus que le P. de Villes, comme il
Ta dit ici, ne fera pas une seule démarche que par vos conseils
et par votre direction; vous devrez lire cette lettre à son arri-
vée, et il y verra toute ma pensée sur la meilleure conduite
que je crois qu'il peut tenir pour le service de ses maîtres. »
Louis XIV ne se méprenait pas sur les dangers de sa scan-
daleuse entreprise : en effet, ses dernières instructions se croi-
(1) Nous voilà hi«Mi loiu de la dépêche du 2*j mai, où Louis XIV prétendait
u'uvoir exigé la dispense du légat que pour couscrver au saint-siège sa juri-
diction ancienne sur les mariages des princes I
LE « DÉMARUGE » DE MARIE DE SAVOIE 273
sërent avec une dépèche où le duc de Chaulnes lui disait :
« Il n^y a point à douter, Sire, que Ton n'entre ici dans toutes
les circonstances des mariages passé et présent de la reine de
Portugal, parce que, depuis que Ton a donné au pape le placet
d'une affaire qui peut regarder la conscience ou qui soit un
peu considérable, il la remet à plusieurs personnes pour Texa-
miner, dont la fonction n'est que de discuter tout le détail et
d'en trouver les difficultés (d). » Quelques semaines plus tard
le P. de Villes arrivait à Rome (2). Mais Tambassadeur n'eut
plus à s'occuper de cette négociation, car c'est à ce moment
même qu'il fut, sur sa demande, relevé d'une mission devenue
très pénible, et où les exigences du roi lui présageaient de
nouveaux dégoûts.
(1) 7 août 1668. Rome, 192.
(2) Chaulnes au roi, 11 septembre 1668. Rome, 193.
L0U18 ZIT IT Ut SiAINT-SIÈOI. — H. 18
CHAPITRE QUATRIÈME
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CHAULNES : NOUVEL INTÉRIM DE
L*ABBÉ DE BOURLEMONT. — CONCLUSION DE L* AFFAIRE DE PORTU-
GAL. — JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊQUES. — AFFAIRES DIVERSES.
4668.
Manœuvres du roi poar rétablir le népotisme à Home, au proGt de sa politique. Offre d'ab-
bayes, de mariages, de pensions, aux parents du pape. Le sel d'Avignon. Résistance de Clé-
ment IX. — Querelles du duc de Chaulnes avec l'ambassadeur d'Espagne. — Voyage de Tabbé
le Tellier à Rome. Bon accueil qu'il y reçoit. Plaintes universelles qu'il y excite, même
parmi les Français, par son orgueil, son avarice, son ingratitude. — Le parti du roi&Roae:
la 90ci<^té du palais Farnèse. Crédulité inouïe du duc de Cbaulnes : histoire étonnante de don
Mario Cbigi, de 200,000 pisloles en or et des douio Césars! — Le duc et la duchesse sollici-
tent leur rappel : ils se plaignent d'être ruinés par les dépenses de leur ambassade. Le dac
est découragé par les exigences croissantes du roi ; il prévoit que le succès en est imposa-
ble : il obtient la permission de revenir. Dernière audience, 7 septembre 1668. — Boorle-
mont chargé des afiaires du roi. Arrivée du P. de Villes à Rome. Les deux mariages de U
reine do Portugal déférés à une Congrégation. Échec complet de Louis XIV, qui vent alors
désavouer et cacher les ordres par lui donnés au P. de Villes. Hommage rendu par Boorie-
mont à la droiture et à l'habileté de Clément IX. Le pape se saisit de l'affaire tout entière et
la juge suivant la rigueur du droit. — Suite et fin de l'affaire des quatre évéques : lear
procès est entravé par le gallicanisme. Les manœuvres des jansénistes pour tromper le nonce
Bargellini ont été connues du roi et do ses trois ministres Lionne, Colbert et le Tellier. Ar-
rêt du Conseil du i3 octobre 1668. Loi du silence. L'autorité spirituelle usurpée par lapai»-
sance royale. Lettre inédite de César d'Estréos, évéque de Laoo, à Lionne (7 décembre).
Accommodement dit la paie de l'Église. Le roi défend la publication des brefs du 19 janvier
1669 : le pape les fait répandre dans le royaume. Le roi et ses ministres seuls responsable*
des progrès du jansénisme et des troubles qu'il causera.
U faut rendre cette justice au duc de Chaulnes qu'il se fût
appliqué volontiers à établir entre Clément IX et Louis XIV
une réciprocité sincère de respect et de bons procédés ; mais,
prévoyant que les desseins du roi et de ses ministres le con-
duiraient bientôt à reprendre les hostilités qui avaient troublé
le précédent pontificat, il avait tenté de s'assurer, par la séduc-
tion, les complaisances qu'il désespérait d'obtenir par la per-
suasion ou par la force. Il s'était flatté d'attirer plusieurs car-
dinaux dans le parti français. Lionne lui écrivait : « Le roi m'a
mandé qu'il trouve bon que vous vous appliquiez à gagner les
cardinaux Gualtieri, Cybo et Rossetli, faisant néanmoins sa-
voir àSaMajesté, avant querien conclure, laqualitéde leurs pré-
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CHAULNES 275
tentions, et de l'engagement dans lequel ils voudront entrer
... Je vous dirai aussi confidemment qu'il y a quelque temps
que Atto m'écrivit qu^il avait rompu en visière au cardinal
Nini, pour lui persuader de se déclarer serviteur du roi et qu'il
ne l'en avait pas trouvé éloigné. Sa Majesté agrée aussi que
vous songiez à cette aiïaire(l). » Mais l'ambassadeur fut bien-
tôt obligé d'avouer que le cardinal Nini, majordome, n*écou-
tait aucune proposition ; — que le cardinal Rossetti, « moins
échauffé, ... avait cru de son honneur de se retirer un peu, »
et enfin se relirait tout à fait ; — et qu'on n'avait rien à espé-
rer du cardinal Gualtieri. fort estimé des cardinaux Azzolino et
Otthoboni(2). — Il ne réussit qu'auprès du cardinal Alderano
Gybo, issu d'une maison(3) qui avait donné à l'Église le pape
Innocent VIII, membre du sacré collège depuis vingt ans,
prélat habile et pieux, mais qui eut l'inexcusable faiblesse
d'accepter une pension secrète de Louis XIV.
C'est principalement sur la famille de Clément IX que le duc
de Chaulnes et la cour de France avaient fondé leur espoir.
Ils s'appliquèrent à faire renaître ce népotisme contre lequel,
naguère encore, ils déclamaient si bruyamment. L'abbé Jacopo
Rospigliosi ayant traversé le royaume pour se rendre de
Bruxelles en Italie, Lionne n'avait épargné ni compliments ni
promesses pour le gagner aux projets de son maître ; mais la
droiture de Clément IX fit échouer toutes ces manœuvres. Vai-
nement le duc de Chaulnes pressa le pape de conférer la
pourpre à son neveu, avant qu'il fût à Rome : la promotion
fut retardée jusqu'au 12 décembre 1667 ; le titre de padrone ne
fut pas joint à celui de cardinal et les autres membres de la
famille ne prirent ni le don ni la qualité de princes (4). Clé-
ment IX avait logé ses nombreux parents dans un seul palais,
où ils continuèrent à mener une vie simple et réglée. Le duc
de Chaulnes écrivit : Voilà les nouveaux acteurs de notre
théâtre, « l'intrigue de la pièce qu'ils représenteront ne se peut
(1) 2 septembre 1667. Rome, 186.
(2) Chauloes aa roi, 27 septembre; à Lionne, 15 novembre 1667. Rome^ 186
et 187.
(3) Princes de Massa et Carrare.
(4) Chaulnes an roi, 15 novembre ; à Lionne, 27 décembre 1667. Romitt 187.
.«.
276 CHAPITRE QUATRIÈME
encore savoir. L'on ne fait qu'allumer les bougies, et, quand
Tabbé sera ici, l'on tirera la toile... J'ai fait quelque réQexi(»n
que Sa Sainteté ne pouvant établir tant de personnes recevrait
peut-être des bienfaits des couronnes ainsi que du temps d'Ur-
bain... Si cela était, il me semble qu'il ne faudrait pas que les
Espagnols commençassent : premièrement, parce qu'il serait
bon d'en avoir l'honneur, et secondement, parce qu'ils choi-
siraient les sujets qui leur plairaient et qui pourraient plus leur
servir. Dans mon sens, l'abbate Felice (i) serait le meilleur,
tant par son mérite que parce que les grâces des bénéfices sont
les plus faciles au roi, comme aussi parce que cela décharge-
rait le pape de lui faire part des bénéfices qu'il donnerait à
l'abbé Jacopo Rospigliosi... » A peine ce dernier fut-il rentré
à Rome que le duc de Chaulnes lui prodigua les flatteries, les
protestations de dévouement, avec quelle sincérité on peut
en juger quand on l'entend se vanter lui-même au roi des four-
beries qu'il employait pour surprendre le neveu du pape. Au
•cours de ses entretiens, il tirait de sa poche une dépêche du
roi en confirmation de ses paroles et la lui lisait avec des in-
terpolations apprises par cœur : Je lui racontai, écrivait le
duc, comment j'avais fait élire son oncle, d'après vos ordres.
<c Je lui dis qu'ils étaient si précis que je n^avais fait qu'obéir
ponctuellement et que je voulais même 1 ui en donner des preuves
en lui faisant voir l'article de mes instructions que je lui lus,
m'étant assez fié à ma mémoire pour y ajouter que la connais-
sance que Votre Majesté avait eue des mérites de sa personne
augmentait encore le désir de l'exaltation de son oncle (2)... »
Clément IX ne répondit pas à l'attente de l'ambassadeur
(1) Chaulnes à Lionne, 15 novembre 1667. Rome^ 187. — Chaulaas dit ea-
core du môme abbé, dans la même lettre : << 11 a beaucoup de bonnes quali-
lités, il a bien de l'esprit ; il sait ; il est assez universel dans toute sorte de
sciences, et l'on peut dire que c'est un bon sujet. »
(2) Chaulnes au roi, 27 décembre 1667. Rome, 187. — Louis XIV, imitant
son ambassadeur, tenta de persuader au nouveau cardinal qu'il ne devait la
pourpre qu'à sa royale protection : il lui vaula « les pressantes instances et
supplications que son cousin le duc de Chaulnes, son ambassadeur extraor-
dinaire auprès de notre saint-père le pape, avait faites et souvent réitérées,
par sou ordre, à S. S., de su promotion au cardinalat, comme d'ane affaire qui
regardait sa satisfaction particulière et le bien de son État.., » (Le roi à Ros-
pigliosi, 13 janvier 1668. Home, 189.)
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CH AULNES 277
français, dont les lettres attestèrent bientôt le dépit : « Il a
vaqué une abbaye du pape par son exaltation. A qui croyez-
vous qu'il Ta donnée? au cardinal son neveu? Non, au cardi-
nal Spinola, avec une pension de trois cents écus au cardinal
Vidoni. Il en a vaqué encore deux qu'il a données à d'autres,
et je crains que Sa Sainteté ne fasse trop voir qu'elle ne veut
pas agrandir ses parents. » — Le cardinal Pallotto est 'mort;
le pape devait conférer ses abbayes (cinq à six mille écus de
rente) à son neveu, dont le revenu ne dépasse pas cinq mille
écus, et qui doit plus de soixante mille livres. — « M. le car-
dinal Rospigliosi a eu huit cents écus des pensions de M. le
cardinal Farnè8e(i), et l'abbé Rospigliosi trois cents écus. Sa
Sainteté n'ayant pas voulu disposer en leur faveur d'une abbaye
de deux mille écus, qu'elle réserve pour quelques-uns des car-
dinaux qu'elle fera. » — « Cette cour commence à prendre
quelque figure, mais ce n'est pas celle qu'on devrait souhaiter,
paraissant, au moins à mes yeux, que M. le cardinal Rospigliosi
ne prend pas le dessus ni du pape ni des ministres (2). »
Si la conscience de quelques parents est vulnérable, celle du
pape demeure inaccessible : Clément IX « songe àl'établîssement
de tout le monde, hors à celui de sa famille... Je crois, écrit
Chaulnes, que ce que Ton offrirait pour les parents ne sera pas
accepté, et que le pape ne voudra rien que pour le saint-siège (3).»
L'ambassadeur demande instamment que le souverain pontife
élève sa famille à un rang digne de lui, ou permette du moins
au roi d'en prendre soin. « Sur cela, dit le duc, le pape étant
entré en matière, il me fit deux réponses : l'une, que quand il
avait fait venir ses parents, il leur avait fait entendre ses sen-
timents, qui étaient de subsister honorablement aveclescharges
qu'ils pouvaient avoir, mais qu'il fallait retrancher toutes les
pensées des grandeurs ou par les litres ou par les grands éta-
blissements, et que son dessein était qu'après lui ils retour-
(1) Rappelous en pasaaut les louanges décernées par les plus sévères Frau-
çah> aux membres italiens du sacré collège : Bourlemunt annonce à Lionne,
le 21 février 1668, la mort du cardinal Farnèse, « universellement regretté de
cette cour, ({ui connaissait le mérite et la fermeté de ce grand cardinal. »
{Rome, 489.)
(2) 10 et 24 janvier; 1 et 22 février 1668. Rome, 180.
(3) Chaulocs à Lionne, 11' avril et 15 mai 1668. Rowe, 190 et 191.
278 CHAPITRE QUATRIÈMK
nassentgentilhommes, comme ils étaient, à Pistoie ; la seconde,
que la gloire des pontificats était d*ètre libres pour se main-
tenir avec honneur entre les princes, et que souvent ils n'avaient
pas bonne opinion des parents d*un pape qui recevraient des
présents de cette nature (1). »
Les offres de Louis XIV furent précisées dans un mémoire
adressé par Lionne au duc de Chaulnes (2) : « Sa Majesté, di-
sait le ministre, m'a commandé de vous dire encore que, vou-
lan t donner au pape des marques effectives de sa. reconnaissance^
et particulièrement en la personne de M. le cardinal Rospi-
gliosi, par l'estime qu'elle fait de son mérite et de sa vertu, elle
lui destine les abbayes dont elle vous a écrit, et elle souhaite
que vous tâchiez à faire en sorte que cet effet de la gratitude
et de l'affection de Sa Majesté soit bien reçu de Sa Béatitude
et du cardinal, et que Sa Majesté n*ait pas le déplaisir de se
voir refusée. Et, parce que la pensée de Sa Majesté regarde
toute la famille du pape, elle olFre encore à Sa Sainteté tout
ce qui se peut trouver en son royaume pour accommoder un
ou plusieurs de ses neveux par le moyen de mariages qui leur
portent des États, de la parenté et des rentes de grande
considération, que vous savez qui se peuvent trouver ici en
grand nombre. Sa Majesté se porte à faire ces offres, non
seulement par reconnaissanco et par gratitude envers Sa Sain-
teté, mais principalement pour lui tenir la promesse qu'elle
lui a faite de s'intéresser tout à fait dans la gloire de son pon-
tificat et le service du saint-siège. Sa Majesté voyant clairement
que, jusqu'à ce que la famille de Sa Béatitude soit pourvue de
revenus et Etats convenables au rang qu'elle tient aujourd'hui,
Sa Sainteté ne se pourra jamais faire honneur de ses saintes
intentions, de laisser à ses successeurs un exemple de modé-
ration envers l'Eglise et glorieux pour Sa Sainteté. Et, les
princes devant régler leurs actions non pas par la seule in-
tention mais par l'effet et l'opinion qu'elles produisent dans
(1) Cbaulaes au roi, 3 et 18 juin. Le roi à Chaulnes, 17 juin 1668. Rome,i9i.
(2) Juin 1668. Rome, 192. Plusieurs pièces fort louches tendraient à faire
croire que la démarche de Lionne était concertée avec le cardinal JacopoRos-
pigliosi dont Tinfluence était d ailleurs annulée, dans tout**» les affaires graves,
par celle des cardinaux Otlhoboni et Azzoliuo.
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CHAULNES 279
Tespril des peuples qui les reçoivent, le roi qui sait tout ce qui
se dit, tout ce qui s'apprend et tout ce qui s'écrit à Rome, est
obligé de dire à Sa Sainteté avec combien de déplaisir elle a ap-
pris que la conduite de Sa Sainteté sur ce sujet ne produit pas
l'effet et Tapplaudissement que méritent ses saintes volontés,
puisque sa même pieuse libéralité et celle do ses neveux, et ce
que Sa Sainteté donne si médiocrement pour leur entretien,
se prend pour une facilité d'ôterle bien au public; et les peuples,
se trouvant extrêmement oppressés, sont faciles à croire, bien
que faussement, que, s'ils ne sont pas soulagés, c'est que Ton
divertit dans la famille de celui qui règne ce qui devrait être
employé à leur soulagement, d'où vient que chacun se récrie
que le pape devrait établir ses parents par quelque mariage ;
que Sa Sainteté ne correspond point en quelque façon aux oc-
casions que Dieu lui envoie; — et disent que les princes et le
sacré collège lui devraient faire connaître que les biais et les
moyens dont s'est servie jusqu'à présent Sa Béatitude ne sont
ni utiles ni propres à sa (in... Et, afm que Ton voie que Sa Ma-
jesté lui rapporte lesdits sentiments avec toute sorte d'indiffé-
rence et sincérité, éloignée de tout autre intérêt propre, elle
sera très satisfaite que, dans le même temps que Sa Béatitude
fera pour un de ses neveux un mariage en France, elle en fasse
encore un pour un autre neveu en Espagne ou ailleurs, dans
les États du Roi catholique... » Clément IX déclina ces ouver-
tures, et le duc de Chaulnes écrivit : Le pape me dit qu*il a lu
le mémoire sur les intérêts de sa maison. Il est pénétré de gra-
titude, mais il ne peut vaincre son penchant : si quelqu'un l'en
pouvait faire changer, c'est le roi (i). — Le cardinal Jacopo
Rospigliosi, sensible à la grandeur de sa famille (2), encoura-
(1) Au roi, 26 juin 1668. Rome, 191.
(2) « J'ai fort approuvé que vous m'ayez envoyé un courrier exprés afiu que
vous pussiez recevoir plus diligemment le mémoire que le cardinal Rospi-
gliosi a désiré que j'ordonne à Lionne de vous écrire sur les intérêts de la
famille du pape, s'étnnt promis que, par mes offices et parla considération de
mes sentiments..., il aurait plus de Heu de porter S. S. à donner à ses frères
les mêmes établissements que ses prédécesseurs ont toujours donnés à leurs
parents. Lionne vous adresse aujourd'hui ce mémoire qu'il a écrit de sa main
par mon ordre, et j'écris aussi à S. S. la lettre qu'on a désirée en créance sur
vont pour cette affaire, et elle est datée du 9 mai. Je souhaite extrêmement
280 CHAPITRE QUATRIÈME
geait secrètement le duc à ne point abandonner le projet de
mariage en France pour un de ses frères ; mais l'ambassadeur
répéta bientôt: «Je tiens qu'il sera très difficile ou, pour mieux
dire, impossible de faire changer une résolution qui platt si
fort au pape, parce qu'elle est conforme et à son inclination
et à son genre de vie (1). »
La cour de France offrait certaines grâces avec d'autant
plus d'insistance qu'elle prévoyait un refus, et comptait sur
le profit de propositions qui ne lui coûtaient rien. Mâ-
chant écrivait : « L'on me dit de bon lieu que Toffre que
vous avez faite à M. le cardinal Rospigliosi [sia un tiro di
Mom, di Lionne^ lequel fait admirablement les honneurs de son
maître, et dans le même temps veut établir solidement les
avantages de Sa Majesté ; car si M. le cardinal eût pris l'ab-
baye, vous l'engagiez infailliblement ; s'il ne la prend pas, on
satisfait à l'obligation qu'on avait de reconnaître les services
qu'il a rendus (2). '> Au surplus, Louis XIY se flattait de tenir
toujours en réserve contre Rome cette virga ferrea^ à laquelle
il attribuait ses prétendues victoires sur les deux derniers pré-
décesseurs de Clément IX, et il écrivait à son ambassadeur :
<i Je serai bien plus aise d'avoir moins de cardinaux de ma fac-
tion que de la fortifier, si la faiblesse d'un parti est ce qui oblige
le plus lesdits cardinaux de s'y engager, parce qu'ils espèrent
d'y être plus considérés qu'ils ne le seraient dans un autre qui
n'a pas tant de besoin de leurs services. Après tout, quand
deux papes consécutivement ont voulu mal vivre avec moi, ils
se sont fait du préjudice au centuple de quelque petit déplaisir
ou embarras qu'ils m'ont pu causer, et aucun de leurs succes-
seurs ne saurait avoir un pontificat tranquille et glorieux qu'au-
tant qu'ils sauront prudemment se prévaloir de mon extrême
dévotion envers le saint-siège (3). »
La cour pontificale n'avait pas encore obtenu que les
que l'une et l'autre puissent ôtre utiles aux parents de S. S. Cependant vous
témoignerez au cardinal que je lui sais beaucoup de gré de la confiance qull
a prise en ce rencontre à mou affection, et avec raison... » (Le roi à Chaulnes,
17 juin i668. ïiome^ 191.)
(1) Au roi, 4 août 1668. Rome, 192.
(2) A Lionne, 18 juin 1668. Rome, 191.
(3) 2 décembre 1667. Rome, 187.
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CHAULNES 281
Français fissent disparaître d'Avignon et du Comlat toutes les
nouveautés introduites pendant leur invasion : les réclama-
tions de Clément IX n'étaient pas plus écoutées que celles
d'Alexandre VII. Ainsi, contrairement au traité de Pise,
Louis XIV continuait de soumettre les sujets du pape « au
payement d'une traite domaniale [sur le sel]^ quoiqu'ils en
eussent toujours été exemptés, et qu'ils eussent joui de la qua-
lité de régnicoles depuis Charles IX (1). » Chaulnes appuyait
vainement leurs plaintes (2). Louis XIV et Lionne virent là
l'occasion de tendre un nouvel appât à la cupidité présu-
mée du cardinal Rospigliosi, légat d'Avignon. Je veux bien,
écrivit le roi (3), permettre au légat de « vendre à son profit
du sel de France dans Avignon et dans cet État-là jusqu'à
la quantité de quatre mille minots de sel par année », et à cet
effet, il touchera de mes fermiers un abonnement de trente
mille francs. Le ministre ajoutait : « Quoique Tintention du
roi soit de donner les trente mille francs à M. le cardinal Ros-
pigliosi^ sous le prétexte de la vente des quatre mille minots de
sel, autant de temps que sa légation d'Avignon durera, néan-
moins, afin que les autres neveux de pape puissent tirer moins
à conséquence cette grâce, Sa Majesté estime à propos que,
quand vous la déclarerez, vous ne parliez que de deux années,
c'est-à-dire que Sa Majesté lui a accordé la permission de
vendre à son profit dans l'Etat d'Avignon huit mille minots de
sel en deux années : il devra savoir néanmoins qu'après qu'ils
seront expirés. Sa Majesté lui renouvellera la même grâce,
et plût à Dieu que ce put être d'ici à trente ans! » Mais ni
Clément IX ni son neveu ne voulaient recevoir comme grâce
ce qui était dû au saint-siège, ni tirer un profit personnel d'une
taxe injustement exigée des provinces pontificales. Machaut
écrivait à Lionne : « M. le duc de Chaulnes vous aura mandé
qu'il ne faut pas songer à des abbayes, à des pensions, à des
mariages ou à quelque autre établissement que ce soit pour
les parents du pape. Les seuls sels d'Avignon, qui leur sont
dus par justice, qui ont été promis dans d'autres temps pour
(1) Mémoire de Lionoe, 21 juillet 1667. ftome, 185.
(2) A Lionne, 12 avril 1668. Rome, 190.
(3) A Chaulnes, 17 juin 1668. Aome, 191.
282 CHAPITRE QUATRIÈME
les moindres grâces accordées, les peuvent accommoder (1). »
L'ambassadeur répondit : La proposition du roi est une « pen-
sion déguisée » qui offenserait « la délicatesse des esprits ».
Je suis informé que le cardinal Rospigliosi ne veut rien rece-
voir directement ni indirectement (2).
Les sages conseils donnés par le duc de Chaulnes étaient
dédaignés, et son séjour à Rome ne flattait plus sa vanité.
Pendant la campagne de Flandre, il avait cru relever son pres-
tige en cherchant toutes les occasions de disputer le pas, dans
les rues de Rome, au marquis d'Astorga. A la suite d'une ren-
contre où il avait fait reculer son adversaire, il écrivait triom-
phalement à Lionne : « Voilà comme nous pouvons répondre
à vos prises déplaces... Si l'ambassadeur d'Espagne n'est pas
sage et qu'il m'échauiïc la bile, il pourra bien payer le chagrin
que j'ai de n'être pas auprès du roi, et lui ferai voir qu'il ne
trouvera pas mieux son compte ici que Castel-Rodrigo en
Flandre (3). » Mais ces rodomontades n'aboutissaient qu'à des
querelles de cochers (4), et, comme c'était principalement en
(1) 18 juin 1668. Rome, 191.
(2) Au roi, 15 juillet 1668. Rome, 192.
(3) A LioDoe, 23 et 28 août 1661. Rome, 185.
(4) Il n*y a pas de règlement à Rome sur le rang des carrosses dans les cor-
tèges, u Les carrosses des cardinaux et ceux des ambassadeurs, princes, ducs,
gentilshommes, etc., prennent tels postes qu'ils peuvent avoir, et il dépend de
Tadresse des cochers et de la bonté des carrosses et des chevaux de le main-
tenir, étant libre à qui que ce soit de le leur disputer et de l'enlever, jusqu'à
fracasser les carrosses s'ils peuvent, sans que jamais l'on ait vu prendre au-
cun intérêt pour ces débats de cochers, non pas même ceux qui se trouvent
dans les carrosses brisés, et c'est une loi si universellement suivie à Rome gu il
y aurait grande honte d'entrer en tiers entre le débat des chevaux et des cochers. »
(Bourlemout à Lionne, 16 août 1667. Rome, 185.) Le duc de Chaulnes eu fait
lui-môme Taveu : « L'abus est venu même à ce point qu'un cocher n'obéit
point à son maître en ces occasions et que Ton n'en trouverait pas à Rome à
condition de n'être pas libre de combattre. Ainsi le rang dépend seulement
des meilleurs chevaux et voitures. » (Chaulnes, /î<»/fl/;on rfe /a querelle des car-
rosses^ août 1667. Rome, 185.) — La lettre suivante de Lionne à Chaulnes
donne encore une idée des scènes que recherchait l'ambassadeur de France :
« Que vous coûtait, Monsieur, un pauvre petit compliment à un ambasdadeur
à (]ui vous «l'es tué an cheval et peut-être un cocher, k\\x\f di«-je, qui vous avait
fait de si grandes excuses d'une simple irruption sur l'un de vos carrosses?
Je veux dire tout de bon que, quand vous auriez fait ce compliment, on n'j
aurait pas ici trouvé à dire; mais il Test aussi sans doute que, si vous en
avez pu sortir sans cela, il a été encore mieux. » (20 janvier 1668. Rome, 189.)
FIN DE L AMBASSADt: OU DUC DE CHAULNES 283
se rendant au palais pontifical que le duc et le marquis met-
taient leurs cortèges aux prises, le pape les menaça tous deux
de supprimer leurs audiences, et le calme se rétablit (1).
Parmi les Français qui visitaient Rome à cette époque,
ceux qui approchaient la personne du roi étaient rares, et ne
contribuaient pas à resserrer les liens d'amitié entre le palais
Farnèse et les Romains. Le duc de Chaulnes eut à présenter
au pape le jeune abbé Charles-Maurice le Tellier, dont l'arri-
vée avait été annoncée comme celle d'un prince; que les Ro-
mains comblèrent de soins et de gn\ces, et qui laissa derrière
lui les plus fâcheux souvenirs. Voici ce qu'il disait lui-même
secrètement à son père de l'accueil qui lui était fait : « Par
l'ordinaire qui partit hier de cette ville, vous aurez vu avec
quelle honnêteté le pape et toute sa famille continuent de me
traiter. Cela ne se peut, en vérité, pas exprimer, et cela esta un
point que, quand je me réveille tous les matins, j'ai de la peine
à croire que ce que je vois tous les jours soit vrai, etc. (2). »
Les lettres de Chaulnes attestent que, jusqu'au dernier moment,
il reçut partout les traitements les plus courtois ; mais, à peine
âgé de vingt-cinq ans, le nouveau docteur de Sorbonne avait
déjà la morgue et la brutalité qui distinguèrent toute sa vie
l'archevêque de Reims. Sa principale occupation à Rome fut
de solliciter des bulles et des brefs ratifiant la concession de
nombreux et riches bénéfices que son père et son frère avaient
fait accumuler sur sa tête par Louis XIV (3). « Je le menai
dimanche au Cours, écrivait le duc de Chaulnes à Lionne, et
le fis mettre à mon côté, et vous savez que les Français ne s'y
mettent point sans les titres nécessaires qui règlent ici les
rangs; mais j'ai cru devoir passer par-dessus les autres consi-
dérations (4). » Les honneurs rendus en sa personne aux deux
puissants ministres le Tellier et Louvois ne firent qu'exalter
son orgueil, et, quand il prit congé, Romains et Français
(1) Chaulaes au roi, 6 septembre 1667. Rome^ 186.
(2) 14 décembre 1667. — V. uos Recherches sur V Assemblée de l6Bi, 2« édil.,
pp. 221 et suiv.
(3) Machaut à Lionne, 19 décembre 1667. Rome, 187 : lettre citée ci-dei>sii!<,
chap. H du livre II.
(4j 8 novembre. Rome, 187.
284 CHAPITRE QUATRlÈBfE
étaient ulcérés de ses procédés (1). Chaulnes écrivit aussitôt à
Lionne : « Enfin, M. Tabbé le Tellier est parti et j'ai enterré
la synagogue avec honneur. Après cela, je n*ai rien à vous
dire, sinon que je me crois capable d'aller ambassadeur à la
Porte et traiter tête-à-tête avec le Grand Turc. J'aurais bien
souhaité pour lui qu'il eût cru conseil ; mais, quand il a eu
fait ses visites, il s'est imaginé connaître cette cour, et a voulu
se conduire selon qu'il lui a plu, et vous pouvez croire com-
bien l'on fait de faux pas. Il était parmi des espions, quand il
croyait n'être que parmi des amis. Aussi, tous les soirs, il y
avait des amples relations de lui au palais. Il est vrai qu'il no
s'est pas trop déguisé et qu'il a dit le bien ou le mal fort libre-
ment, et, en un mot, il est parti mécontent de cette cour, et cette
cour fort de lui, sans pourtant qu'il ait rien pai'u et qu'il me l'ail
dit même. Son chagrin a été, à ce que j'ai su, que le cardinal
Rospigliosi ne l'est pas venu voir, ne s'étant pas trouvé
d'exemple de particulier sans caractère, et de ce qu'il ne Ta
pas fait asseoir, mais seulement promener avec lui; mais le
mépris qu'il a fait de tout ce qui est à Rome Ta fort ruiné,
ayant poussé l'alfaire jusqu'à n'avoir pas voulu voir une anti-
quité et s'être moqué de ceux qui les voyaient; enfin il est venu
ici comme un Messie; il y a reçu des traitements extraordi-
naires; il a trouvé tous les bras ouverts, et son ambition
ne lui a rien fait concevoir de moins que l'ambassade et le
chapeau, et s'en est allé avec une besace. Il s'est fait dos
gazettes contre lui et des vers satiriques, et je vous prierai de
prendre un peu garde aux petites gazettes que l'on lit au
roi; aussi a-t-il fait ici des vilenies qui ne se conçoivent
(1) Les dépèches parlent souvent de son insolence envers les feuim«>> <]u
palais Farnèse. Machaut raconte, le 15 novembre, une première scène entre le
Tellier et la duchesse de Chauhies. •< Les dames, dit le duc lui-môme, ont eu
un peu de peine à s'y accoutumer, mais tout va pr<^seutement le mieux du
monde. Sa cour est un peu è[»ineuse et il lui faut des courtisans bien sounii;^.
Je vous en écrirai quelque jour; ce sera alors qu'il ne sera plus ici, et ue
ra])pellerai que V homme nons nom. » (Billet autographe, 2" décembre i66'.
Rojne, 187.; Un autre jour, M"® Lehruu, dont nous avons parlé pins haut,
ayant « envoyé quérir deux lettres qu'elle écrivait à M. d*Amiens et à M. labbé
Testu, M. l'abbé le Tellier, s'en saisit. 11 est vrai qu'elles étaient pleines de
petites satires contre cet abbé. 11 les lut brusquement et les jeta au feu. »
(Mâchant à Lionne, 9 janvier 1668. Rome, 189.)
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CHAULNES 285
pas { 1 ). » Quelques mois plus tard , le roi lui ayant donné la coad-
jutorerie de Reims rambassadeurécrivitàLionne : « Je ne crai-
gnais qu'une chose avant mon départ, et elle est arrivée, qui est
que M. l'abbé le Tellier eût un évéché. Il me prépare à deman-
der trente mille écus de gratis, et je ne crois pas même pouvoir
obtenir une composition; et, s'il donne un sou, il ne m'aura
pas d'obligation; il s'est décrié ici pour Tavarice, de manière
que MM. les cardinaux lui feront peu de plaisir (2). » Chaulnes
se trompait : les Romains ne répondirent aux impertinences
de l'abbé que par de nouveaux bienfaits. Le pape fit remarquer
combien ces exemptions, réclamées par ceux qui n'en avaient
pas besoin, blessaient les convenances et la justice. L'ambas-
sadeur écrivait : Sa Sainteté « me répondit que je savais bien
ce que c'était des gratis, de la misère d'un grand nombre de
cardinaux, de la destination de ces droits pour des officiers
qui achètent leurs charges sur cette espérance... » Mais bien-
tôt le duc informa sa cour que le sacré collège avait accordé
de bonne grâce l'exemption de vingt mille écus sollicitée pour
les bulles de Reims et pour la rétention des abbayes dont le
Tellier était déjà pourvu (3). Clément IX répondit de sa main
à la recommandation de Louis XIV (4) et forma le vœu que le
jeune prélat se montrât digne de sa bienveillance en consacrant
toute sa vie à la défense de l'Église et des bonnes doctrines.
Or, on sait que Charles-Maurice le Tellier, tout en faisant dans
son intérêt personnel une cour assidue au P. Oliva, général
des Jésuites (5), favorisa clandestinement le jansénisme; qu'il
fut l'un des plus violents adversaires du saint-siège, et qu'il
partagea même avec Ilariay de Champvallon la présidence de
TAssemblée de 1682 : il avait eu pour compagnons de son
(1) Billet autographe, 7 février 1668. Rome, 189.
(2) 18 Juin 1668. Rome, 191.
(M) A Lloone, 15 juillet 1668. Rome, 192.
(4) 10 juillet 1668. Rome, 192.
(5) V. DOS Recherches sur VAssemblée de 1682, 2« édit., p. 370. — Chaulnes
à Lionne, 15 novembre 16G7. Rome, 187 : L*abbé le Tellier a dit la messe aux
Jésuites; j'y suis allé « en fioc. » Il y a eu grand concours de monde. — Ma-
chaut «i Lionne, 9 juillet 1668. Rome, 192 : « J'ai vu le P. Oliva, qui m'a chargé
de vous faire des compliments. Il a eu une grande joie de la coadjutorerie de
M. Tabbc le Tellier : il voit par là un de ses bons amis dans nn grand poste. »
286 CHAPITRE QUATRIÈME
voyage à Rome un cousin de Colbert, l'abbé de Saint-Pouange
de Villacert(i), destiné à devenir évêque de Monlauban el
archevêque de Toulouse, cl l'abbé Gerbais qui publia, sur les
maximes gallicanes, un livre condamné par le pape : l'un el
l'autre devaient aussi faire partie de TÂssemblée où furent
dressés les Quatre Articles.
L^ambassadeur de France n'était pas plus content de ses
nationaux établis à Rome que des Italiens composant la faction
du roi. La cupidité des cardinaux Orsino (2), d'Esté et Mai-
dalchini était insatiable : le duc de Bracciano donnait toujours
avec plus de dépit que de gratitude une quittance de vingt
mille livres pour une pension de dix mille (3). L'abbé Servient,
envoyé par Lionne pour être son espion à Farnèse comme au
palais pontifical, excitait des plaintes qui ne déplaisaient pas à
son parent. Le duc de Chaulnes écrivait au ministre : <i J'ai
peine à vous parler d'une chose fâcheuse^ mais aussi bien faut-
il que vous la sachiez, qui est que Tabbé Servient se conduit
très mal. M. Bigorre l'avait fort bien gouverné; mais, depuis
qu'il s'est vu camérier, il s'est moqué de ses avis : ses maximes
sont qu'il ne doit qu'à son mérite son élévation. Il s'est mis en
tète que personne que lui ne devait être chargé de mes com-
missions vers le pape; el, en ayant donné quelques-unes à
Atto [Melani], je me suis bien aperçu qu'il lui a rendu de mé-
chants offices... Jugez, s'il vous plaît, delà conséquence... Je
lui ai lavé la tête comme il faut. . . Mais le pis est qu'il croit que
(1) L'abbé Colbert est arrivé aujourd'hui. «< Ce sont des Messieurs qu'on est
trop heureux d'avoir : eu sod particulier, il aura sujet d*être content, n L'abbé
le Tellier était à Rome depuis lu veille. (Machaut à Lionne, 6 novembre 1667.
Rome, 187.)
(2) L'évêque de Bayeux continue de chicaner au cardinal Orsino sa pension
sur cet évêché : il ne veut payer que « par lambeaux » . Il est vrai que cet
évoque, lorsqu'il a fait sa dernière réponse, n'avait pas encore entendu «votre
voix tonnante » lui ordonnant de payer. (Chaulnes à Lionne, 3 mai 1668.
Roîne, 191.)
(3) « M. le duc de Bracciano aura bien de la joie de ressentir les effets des
grâces de V. M. Je le disposerai aies recevoir, parce qu'il me paraît quï/ya
si longtemps qu'il n'a vu iVargenl comptant que j'appréhenderais que la pre-
mière vue, le surprenant, ne lui fttmal. Il a depuis peu beaucoup de ses biena
en vente malgré lui, ainsi que le cardinal [Orsino, sou frère], ses meubles en-
gagés. » (Chaulnes au roi, 8 novembre 1GG7, Rome, 187. Le même à Lionne,
13 mars 1668, Rome^ 190.)
FIN DE L^AMBASSÀDG DU DUC DE CHAULNES 287
le pape Télévera jusqu^au cardinalat. Ainsi, il s'attache au pa-
lais et il ne ferait pas sur de lui rien confier. Usez, s'il vous
plaît, de remèdes fort doux, car c'est un esprit qui ferait du
fracas : il parlerait au pape et ferait un éclat fâcheux. » —
« Il n'y a pas de mesure avec ledit abbé, ayant l'esprit fort mal
tourné; je crois que vous voulez bien que je vous en parle à
cœur ouvert... Par la rigueur, ce serait un esprit à prendre
Tessor... Je crains bien qu'il ne vous donne bien des affaires
en cette cour (1). » — Les jalousies et Tavidité de \difamiglia de
Farnèse ne cessèrent jamais d'être pour le duc de Chaulnes
une cause d'embarras. Il écrivait» par exemple, à Lionne :
« M"*' de la Buissiëre a fait ici un peu des siennes;... elle a
gagné un gentilhomme italien que son mari avait pris pour
moi et lui faisait faire mille petites choses dans ma juridiction. »
J'ai supprimé la maison de jeu qu'ils avaient ouverte dans mon
quartier; mais ils l'y ont rétablie sous prétexte de jeu de
paume. M. do la Buissière nous a déclaré « que, depuis fort
longtemps, sa femme était obsédée de Vagnozzi, du P. Ripa et
de l'abbé Gallo (2) », en vue de a débusquer... l'abbé Santis (3)
et son frère. » Tout est calmé aujourd'hui, ajoute l'ambassa-
deur. — Mais les désordres, les querelles et les scandales re-
naissaient le lendemain.
Ces méprisables agents trompaient sans cesse par leurs
rapports le maître du palais Farnèse. Le cardinal Azzolino
déplore devant l'abbé de Machaut, qui Técrit à Lionne, que le
duc se laisse hanter par de « méchants esprits », comme Ripa
et Gallo, qui servent et trahissent tout le monde (4). Lionne
lui-même signale quelquefois à Chaulnes la mauvaise réputa-
tion des gens dont il aime à s^entourer (5) : « Dans la dépêche
(1) 27 septembre et 4 octobre 1667. Romey 186. Servieat fut maiatenu à
Rome par la cour de France dans une situation subalterne, pendant près de
Tingt ans. Ses déclarations et ses intrigues envenimèrent souvent les diffé«-
rends de Louis XIV avec le saintrsiège.
(2) Pensionnaires, agents secrets et correspondants de la cour de France.
(18 juin 1668. Romef 191. V. ci-dessus passim et notamment chap. xii et xvi du
liv. I«t.)
(3) Secrétaire italien de Tambassade.
(4) 18 juin 1668. Rome, 191.
(5) 19 août 1667. Rome, 185. — 14 février 1668. Rome, 189.
288 CHAPITRE QUATRIÈME
interceptée de l'ambassadeur d'Espagne, lui écrivait-il, il s'est
trouvé une lettre et un discours qu'il mande lui avoir été
donné par un de vos confidents. Il vous sera peut-être aisé de
découvrir qui est celui qui a un si particulier commerce avec
nos ennemis^ après quoi vous ne lui confierez pas des choses
de grande importance... — ... Pour M. Ripa, je vous prie de
me mander le jugement que vous en faites; car je sais bien
que Ton faisait des railleries de M. de Créquy de ce qu'il avait
gagné l'affection pour la couronne d'un homme de néant et
qui n'est en aucune estime à Rome (i). » — Défiez-vous du
« petit Scarlati(2) », que je connais depuis longtemps comme
« un homme dangereux ». La crédulité de l'ambassadeur,
développée par le désir de paraître bien informé et de décrier
le précédent pontificat, n'avait pas de bornes, et ses familiers
le rendirent, à cette époque, victime de la mystification la plus
humiliante. Le 27 août 1667, dans une dépêche entièrement
chiffrée, le duc de Ghaulncs annonce sérieusement à sa cour
un coup monté par don Mario Chigi , frère aîné d'Alexandre VII,
père du cardinal Flavio, que l'ambassadeur vénitien Sagredo
appelait déjà un septuagénaire dans sa Relazione de 1661 (3),
retiré avec sa femme dona Bérénice au dernier étage du palais
de la place Colonna, et qui allait mourir quelques mois plus
tard (novembre 1667), accablé d'infirmités aussi bien que d'an-
nées. Ce vieillard a noué des rapports ténébreux avec les Es-
pagnols : il achète des biens en Sicile et dans le royaume de
Naplcs, et il vient d'envoyer à la cour de Vienne, pour l'aider
à lever des troupes contre la France, deux cent mille pistoles
en or (4), cachées dans les bustes des douze Césars, qui si-
mulent un présent adressé à l'Empereur ! Le duc de Ghaulnes
en est bien sûr, car il tient le fait de l'ouvrier, mal payé, qui
a placé l'or dans les bustes, et du voiturier Nicolas Usson,
Lorrain, qui transporte le trésor à Vienne, en passant par
(1) A quoi Chaulnes, uo peu honteux, répondit : « M. Ripa ne fait pas ici
grande figure ; je ne m*en soucie que parce qu'il fait nombre dans mon cortège
de prélats, et à cause des services qu'il aurait rendus au duc de Créquy. •
(27 mars 1668. Rome, 190.)
(2) 16 avril 1668. Rome, 190.
(3) Relazioiii, t. 11, p. 236.
(4) Deux millions de livres I
FIN DE l'ambassade DU DUC DE ClfAULNES 289
lan, Côme, le Saint-GotharJ, Altorf, Lucerne, Bâle et le
I du Bonhomme « où il veut être pris (1)! » Louis XIV
pond gravement que l'histoire n'estpas très vraisemblable,
lis qu'il va donner Tordre de guetter, sur le grand che-
in, les millions de don Mario (2). En effet les agents fran-
is vont jusqu'à Milan au devant du roulier, mais sans
?a rencontrer (3). Bientôt le duc de Chaulnes annonce que le
lof du convoi s'est cassé le bras au Saint-Gothard, puis, qu'il
t mort à Milan et qu'on ne sait pas ce que sont devenus les
istes (4) ! Cette correspondance, peu honorable pour la diplo-
aiie française, se clôt par cette réflexion ridicule de Lionne :
Quelqu'un aura vu emballer des bustes de cuivre pour en faire
1 régal à orner une galerie, et se sera imaginé qu'ils devaient
re rembourrés d'un autre métal plus précieux (5)! »
L*ambassade de Rome rapportait au duc de Chaulnes moins
^ profit que de gloire. Il se plaignait sans cesse des dépenses
normes qu'il s'imposait pour faire oublier l'avarice de Créquy,
l pour dépasser en faste les ambassadeurs espagnols. Vaine-
lent il avait conseillé d'envoyer à Clément IX un ambassade
'obédience, dans l'espoir qu'il serait lui-même chargé de cette
lission lucrative : quand il fut assuré que Louis XIV ne ren-
rait pas cet hommage au nouveau pape^ il exposa sa détresse
u roi et à Lionne et sollicita son rappel (6). Il obtint une gra-
fication extraordinaire, mais insuffisante, de trente mille li-
res (7). Le duc et la duchesse firent écrire par Tabbé de Ma-
haut qu'ils étaient ruinés et sans crédit ; le duc répéta lui-
lême au ministre qu'il était accablé de dettes en France et à
tome, le suppliant d'en informer secrètement le roi (8). Au
(1) Home, 185.
(2) 9 septembre 1667. liotney 186.
Ci) Lionne & Chaulnes, 25 novembre 16(>7. Itomc, 187.
(4) A Lionne, 20 décembre 1667 et 7 février 1668. Rome, 187 et 189.
("i) A Chaulnes, 10 avril 1668. Rotne, 190.
T)) V. notamment : Le duc et la duchesse à Lionne, 12 juillet 1667. HomCf
84 : ff J'ai tout abandonné pour obéir aux ordnts du roi et il y va de ma
ulnc entière. » — Le duc h Lionne, 2i septembre 1667. Home, 186 : Il a apporté
Home 1^8,000 pistoles et il n'en a plus que pour deux mois. — 31 janvier et
2 avril 1668. Home, 180 et lî)0.
(7) Le roi à Chaulue.^, 8 mai 1668. RomCy 191.
(8) 30 mai et 2 juin 166K. Rome, 191.
LOl'IS XIV KT LE SAINF-SIKOR. — IL 10
290 CHAPITRE QUATRIÈME
mois de mai 1668, Louis XIV se défendit de le rappeler sous
prétexte de ne pas déplaire au pape, qui pouvait s'oflFenser
d'être laissé sans ambassadeur (1); quelques semaines s'étaient
à peine écoulées, il n'avait plus de scrupules : il invitait le
duc à mettre les négociations en état de se passer de sa pré-
sence, et à revenir « après les chaleurs » (2). Le 3 a!oùt, il ia-
formait le pape qu'il relevait Chaulnes de ses fonctions et que
l'abbé de Bourlemont serait chargé des communications delà
couronne avec le saint-siège(3). Ce rappel, brusquement décidé,
sans que rien annonçât Tintention d'envoyer un autre ambas-
sadeur, émut et inquiéta justement les Romains. L*abbé de
Mâchant écrivait : « Songez à donner ici un ambassadeur qui
ait de la douceur dans ses manières d'agir et qui ne se laisse
pas prévenir : ayant ces deux parties, tout ira a^dmirablement.
Le contre-pied donne seulement de la peine, quand on y
songe. » — On sera mortifié, si vous n'envoyez pas ici un nou-
vel ambassadeur au printemps prochain (4).
Le duc lui-même tenta de dissiper les appréhensions de
Clément IX. « Comme il savait qu'après son départ, on don-
nerait une sinistre interprétation au retardement de la nomi-
nation d'un successeur, il voulut prendre les devants, disant
au pape que Sa Sainteté no se devait pas arrêter aux appa-
rences, mais au fond et à l'essentiel, et ainsi, ne pas prendre
ce retard... pour un mépris qu'on ferait de la cour de Rome,
après en avoir obtenu les grâces qu'on souhaitait, mais plutôt
l'attribuer à la circonspection que le roi voulait apporter pour
faire un bon choix (5).» C'était un mensonge : Louis XIV
laissa vaquer l'ambassade jusqu'à la mort de Clément IX, et
c'est le duc de Chaulnes qui fut renvoyé à Rome pour le con-
clave. D'ailleurs la désignation de l'abbé de Bourlemont était
de mauvais augure , et le duc, dans ses derniers entretiens,
invita le cardinal Azzolino à ne pas s'effrayer de l'exactitude
qu'apportait cet abbé dans l'exécution de ses ordres (6).
(1) 8 mai 1668. Rome, i91.
(2) n juin. Rome, 191.
(3) Rome, 192.
(4) A Lionne, 9 juillet et 29 août 1668. Rome, 192.
(5) Analyse de Sainl-Prèt, Rome^ Papiers et documents, 24.
(6) Chaulnes au roi; Machaut à Lionne, 29 août 1668. Rome, 192.
FIN DE l'ambassade DU DUC DE CHAULNES 291
Mais, précisément, Louis XIY ne tenait pas à rassurer la cour
pontificale sur ses intentions. Il venait de faire entrer la né-
gociation du mariage portugais dans une phase critique, où il
aurait peut-être besoin d^intimider Rome. Il avait à cœur la
promotion de MM. de Bonsy, d'Aversperg et d'Estrées, et il
entendait l'emporter de haute lutte (l).Il avait formé son plan
pour régler au gré de ses caprices les différends d'ordre spi-
rituel qu'il avait provoqués dans le royaume : la suppression
de certaines fêles chômées (2); la liberté des religieux (3) ; la
révision des décrets pontificaux par les juges séculiers (4) et
(i) Clément IX ayant, le 12 décembre 1667, donné trois des six chapeaux
▼acants à son neven Tabbé Jacopo Rospigiiosi, au prince Leopoido Medici et à
don Sigismondo Chigi, Louis XIV prétendit que le pape avait épuisé son droit
et que le tour dos princes était reyenu. Lioune écrivit au duc de Chaulnes :
Soutenez que « voilà une promotion complète et, partant, que la première que
Sa Sainteté fera doit être, suivant la coutume, pour les couronnes, et, cela
étant, il n'y aurait plus de difficulté à y faire comprendre M. de Béziers, elc... »
(30 décembre 1667. Rome, 187.) Le duc lui répondit : Il ne faut pas espérer de
réussir ici dans la prétention que le pape a fait sa promotion. La restitution
du chapeau [à la maison du feu pape] et Télévation d'un prince jointe à celle
d'un neven sont hors rang, surtout quand on laisse encore trois chapeaux
vacants. S'il faut insister, envoyez- moi des ordres. (Au roi, 24 janvier 1668.
Rome^ 189.) Cest ce que l'abbé de Bourlemont avait déclaré dès le premier
joar : Restent trois chapeaux qui serviront, avec d*autres, à la prochaine pro-
motion dn pape, car celle-ci ne compte pas comme telle, suivant Tusage de
cette cour. (A Lionne, 13 décembre 1667. Rome^ 187.) — J*ai peu d'espoir
pour Avereperg et cette nouvelle demande nuira à celle de M. de Béziers.
(Chaulnes à Lionne, 27 mars 1668. RomCy 190.)
(2) « Quelques évoques, à l'imitation de M. l'archevôque de Paris, ont ôté les
fêtes d'apôtres. Je crois que S. S. en fera du bruit, et j'aurais bien voulu que
M. l'archevêque m'eût fait savoir ses raisons pour répondre à S. S. » (Chaul-
nés à Lionne, 30 août 1667. Rome, 185.) — Le pape m'a parié du retranche-
ment des fêtes ordonné par l*drchevèque de Paris, auquel il reproche de
vouloir uniquement << choquer le saint-siège ». (Chaulnes à Lionne, 8 décem-
bre 1667.) •— « A rai?on du retranchement des fêtes, répondit Lionne, vous
n'avez qu'à tirer de longue, sans entrer dans la matière ni en aucun expé-
dient, vous excusant que vou» n'êtes pas suffisamment instruit et nous ren-
voyant cet esteuf à démêler avec le nonce. » (26 décembre 1667. Rome, 187.)
(3) Le pape et le cardinal Rospigliosi sont « aigris » par Varrél suspendant
la réception des novices dans tous les ordres religieux. (Mâchant à Lionne,
12 août 1668. Rome, 192.)
(4) On se plaint à moi des arrêts du Parlement contre les censures faites
à Rome du Rituel dAlet et de la Version de Mons, Je réponds « que, quant à
la censure que l'on avait faite à Rome desdits deux livres, cela était très à
propos puisque le débit s'en pouvait faire hors de France et par toute la
chrétienté, la cour de Rome qui doit veiller sur la pureté des dogmes ecclé-
292 CHAPITRE QUATRIÈME
surtout le procès des quatre évêques jansénistes (1). Il avait
reconnu dans le nouveau nonce Bargellini, archevêque de
Thèbes (2), un esprit faible et vaniteux, prêt à favoriser ses
desseins. Si la persuasion ne suffisait pas, il avait, en Bour-
lemont, Tagent le mieux disposé à remettre sur le tapis l'affaire
de Castro (3) et les querelles d'ordre temporel que les ran-
cunes françaises avaient toujours en réserve. Trois semaines
avant la dernière audience, le duc de Chaulnes écrivait à
Lionne : Le cardinal Rospigliosi me charge de signaler au
roi la prétention du Parlement à examiner les censures pro-
noncées ici contre le Rituel d Ahi et la Version de Mons, —
et la défense faite aux ordres religieux de recevoir des no-
vices (4). — L'abbé de Machaut que j'avais envoyé chez les
cardinaux Rospigliosi et Azzolino pour réclamer l'induit des
conquêtes « les a trouvés non pas tout à fait changés mais
beaucoup altérés sur le peu de considération que Ton fait du
pape en France et le peu de pente de l'obliger dans les moin-
dres bagatelles, dans le temps qu'il s'épuise pour complaire au
roi. » Ils font dos difficultés sur cet induit à l'occasion des dé-
pendances. « Ce que je puis vous dire est qu'il faut qu'on aitécril
au pape quelque chose de bien fort pour qu'il ait permis à ses
ministres de s'ouvrir et faire des plaintes sur ces matières (5). »—
siastiques devant y apporter les remèdes généraux et universels au susdit
cas, sans qu'il fût besoin de les appliquer particulièrement en France, oit le
clergé est en droit de censurer de semblables livres, par les libertés de l'E-
glise gallicane fou(iées sur les saints canuns, sur le consentement des papes
et sur un continuel usage aussi ancien que la religion catholique dedans la
monarchie française. » (Bourlemont à Lionne, 21 août 1668. Rome, 192.) Lionne
approuve ce langage et proclame de nouveau la maxime schismatique que U
France ne reçoit que les bulles plombées et revêtues des lettres royales d'at-
tache. (A Bourlemont, 14 septembre 1668. Rome, 193.)
(1) Le pape est inquiet du jansônisme, qui « a repris dans sa racine en
Flandre et fait voir ses progrès en Franco, etc.. >» (Chaulnes au roi, 26 juio
1668. Rome, 101; et 4 août 1668. Rome, 192.)
(2) Arrivé à Paris au mois de mars 1668.
(3) « En la finissant et en l'accommodant [rafFaire de Castro], Ton tarirait
la source de quelques grands embarras qui sans doute s'en ensuivront: mais
qui sait qu'il ne soit pas avantaiçeux de laisser un levain dont on se puisse
servir dans l'occasion qu'on cherchera d'avancer ses affaires? » (.Machaut à
Lionne, 15 mai 1668. Rome, 191.)
(4) Aa roi et à Lionne, 13 août.
(5) 14 août. Rome, 192.
nN DE l'ambassade du duc de chaulnes 293
Machaut lui-même écrivait : Pourquoi ne pas donner sa-
/isfaclion à cette cour sur Tarrêt du Conseil, sur la sup-
pression des fêles, etc.? Pourquoi M. le Tellier et son fils
3nl-ils si peu d'égards pour le pape ? <v Notre cher ami
VI. l'abbé Melani vous déduira d'autres griefs plus considé-
ables, et, avec une même sincérité, il vous représentera
'état de cette cour, lequel, sans doute, si vous ne vous y ap-
)liquez autrement, changera d'une façon qui vous surpren-
Ira (1). » — « Quand le pape et M. le cardinal Rospigliosi par-
ent de ce qu'on n'a pas encore rien fait pour les fêles, pour les
Tîoines ; que qui que ce soit, qui a des provisions de bénéfices
ivant que Sa Sainteté eût donné les induits des évêchés et
les abbayes, n'est venu à Rome pour se pourvoir de nouveau
iepuis ladite cassation; qu'il serait à propos de terminer pré-
;ontement Taffaire des jansénistes et celle de Parme, ils ne
âennent pas avec des sentiments de personnes intéressées et
[ui sembleraient avoir quelque prérogative pour demander
les décisions sur tous ces chefs, mais bien avec les expressions
lu monde les plus honnêtes et, s'il se peut dire, les plus
lumblcs et les plus pressantes; ils entrent dans les intérêts
le Sa Majesté comme vous pourriez le faire vous-même; ils
l'ont pas de plus forte raison que celle qui leur est suggérée
les empressements qu'ils ont pour son service. Je vous as-
sure que vous seriez touché de leurs maximes et vous avoue-
rez que le roi, sans même faire de réflexion sur ce qui le
egarde, est, en quelque façon, obligé de leur donner toute la
satisfaction qu'ils peuvent souhaiter (2). » La cour de France
Hait décidée à traiter avec le dernier mépris les remontrances
?t les conseils qui lui venaient de toutes parts, même d'hommes
lussi serviles que Alto Melani et l'abbé de Machaut. Lionne
•épondit à Melani : « Quand des oisifs ou spéculatifs des an-
ichambres (3) voudront vous porter quelque botte sur le peu
le reconnaissance qu'on a eue de la profusion de grâces que
(i) A Lionne, 1-4 aoîit. liojtic, i02.
(2) Au môme, 7 septembre 1()68. Rornc, 193.
(3) Ou la vu plus haut, Lionne était averti par le duc de Cbaulncs lui-mdme
|ue telle était Topiniou de toute la cour pontificale, et que le cardinal Otthoboni,
lataire, avait siguulé û Clément IX le danger de semer dans une ten^ ingrate.
29i CIIAPITKE QUATRIÈME
Sa Saintelé a versées, il est vrai, avec abondance sur Sa Ma-
' jeslé et sur ses ministres, vous pourrez leur fermer la bouche
jpar un mot sans réplique on leur faisant remarquer la con-
duite que Sa Majesté lient cl tiendra dans l'exécution du trailé
de Pise dans T affaire de Castro [K), » Mais ne donnez celle
raison ni au pape, ni au cardinal Rospigliosi, « car le roi veut
leur témoigner sa reconnaissance par une continuelle suite d'ac-
tions réelles de complaisance pour Sa Béatitude, et non pas lui
faire valoir qu'elle ne fasse rien qui la puisse choquer (2). »
Le duc de Chaulnes voulut, avant de partir, persuader à sa
cour que son habileté avait fait disparaître toute difficulté
entre les deux puissances, et il cherchait à reprendre quelques-
unes de ses dernières nouvelles; mais il s'embarrassa et ag-
grava ses aveux : « Quelque petite inquiétude » dontj ai parlé
a disparu, dit-il. Cela n'a pas dépassé les ministres, ou pour
mieux dire le cardinal Otlhoboni, « tout ce qui touche les
moines lui étant très sensible : rien ne m'a paru changé ni du
côté du pape ni du côlé du cardinal Rospigliosi. Il est vrai que,
Sa Saintelé me parlant des affaires des jansénistes et de toutes
les autres qui regardent la religion, elle me dit qu'elle m'en
parlerait plus au long une autre fois, et je m'imagine qu'elle
remet à m'en parler à ma dernière audience comme de ces
choses les plus chères que Ton réserve à la fin, sachant qu'elles
lui tiennent fort au cœur (3). » Heureux d'échapper à des dif-
ficultés sans nombre, l'ambassadeur fut comblé d'attentions et
de grâces par le pape et par tous les Romains. Jusqu'au der-
nier jour. Clément IX lui renouvela les plus pressantes ins-
tances en faveur de l'Église, et, suivant le propre langage du
duc, « fit voir pour le roi une tendresse qu'un père n'aurait
pas pour un enfant (4j. »
(1) Ce seul mot prouve riDgraliiudc et la niauvaige foi de la cour de Frauce.
Elle De faisait aucune grâce à Clcmeut IX sur l'article de Castro. Cest elle, au
contraire, qui tourmeutait sans droit Alexandre VII et Clément IX : car le cas
prévu par le traité de Pise ne s'était môme pas réalisé. Le délai étant expiré,
rincamération antérieure reprenait sa force et tout était consommé.
(2) 14 septembre 1668. Rome, 193.
(3) A Lionne, 20 août. Rome, 192.
(4) Chaulnes au roi et à Lionne, 11 septembre 1668. Rome, 193. — Le duc
eut sa dernière audience le 7 septembre et partit de Rome le 12.
CONCLUSION DE l'aFFAïRE DE PORTUGAL 293
L'abbé de Bourlemonl renoua sans retard et poursuivit ac-
ivement la négociation relative au mariage de la reine do
^orlugal. Le P. de Villes, qui avait quitté Paris depuis six
einaines, ralentissait sa marche, afm do n'être pas longtemps
;êof> à Rome par un ambassadeur qui n'a]q)rouvait pas entië-
enienl la conduite des cours de Lisbonne et de Saint-Germain,
.^f ndant que le duc de Chaulnes faisait ses derniers prépara
ifs, le confesseur de la reine se détourna encore une fois de
a route sous prétexte d'un pèlerinage à Lorette : enfin il prit
i bien ses mesures qu*il entra dans la ville quarante-huit
icures avant le jour publiquement indiqué pour l'audience de
•ongé. Il se fit présenter par le duc au pape et attendit son
lépart pour se mettre à l'œuvre avec Bourlemont (1). Celui-ci
essaya d'abord de faire réussir le projet formé par Lionne et
Toblenir que le pape se contentât d'une communication offi-
lieuse des actes de Portugal, sans rendre aucun jugement. 11
iavait bien que cette demande était téméraire et il écrivit au
oi : Je concerte avec le P. de Villes les moyens de ne pas
»oumettre à la Congrégation le procès-verbal de ce qui s'est
kassé à Lisbonne, ou du moins de n'en montrer que des ex-
raits et sous la condition du secret. Mais on n'ignore pas que
e religieux est porteur des pièces et on les exigera. Une
rrande difficulté vient de ce que le roi Alphonse VI était privé
le sa liberté quand la procédure eut lieu. Le pape a a déclaré
ésolument qu'il fallait lui remettre tous les actes des infor-
nations faites en Portugal pour les communiquer à tel et si
rand nombre de personnes qu'il lui plairait... » Il ne veut
•as valider la dispense du légat sans en avoir vérifié le fon-
lement. Le P. de Villes se serait passé de cette confirmation
dutôt que « d'en faire la poursuite avec le péril de voir en
iiëme temps donner quelque atteinte à la sentence et à la dis-
lense, si le pape ne trouvait pas assez de quoi se satisfaire el
ur l'un et sur l'autre. » Mais il sentait bien que, s'il obéissait
Lionne et à Louis XIV, il méconnaissait les intentions de la
eine et du régent. Il exposa au ministre fran(;ais l'embarras
ù le jetaient les ordres contradictoires de Lisbonne et de
1) Cbauloe:^ au roi, 29 août, {•* et U septembre 166S. Homey 192 et 193.
296 CHAPITRE OUATBIÈME
Sainl-Gcrmain, et lui écrivit (i) : « Mes instructions de Portu-
gal m^ordonnent non seulement de donner au pape tous les
actes et tous les papiers sans mettre de condition, mais encore
de lui demander confirmation par écrit et par bulle des trois
principales affaires dont je suis envoyé pour Tinslruire, qui
sont : la dissolution du premier mariage, la célébration da
second, et Temprisonnement du roi avec la régence du prince...
Je vois... des périls de tous côtés. En n'apportant pas avec moi
les actes, ou en refusant de les donner, le pape s'est déclaré
nettement à moi qu'il n'eût jamais rien fait, et que c'était, dil-
il, comme qui viendrait au baptême sans l'enfant ou sans eau.
En les lui donnant pour revoir et pour examiner, c'est risquer,
comme nous ne voulons pas, qu'on révoque jamais en doule
touchant la validité de la sentence donnée par les juges com-
pétents. En les lui donnant avec conditions, comme M. Tam-
bassadeur Tavait voulu, et comme MM. le cardinal de Ven-
dôme et de Laon m'avaient dit à Paris qu'il fallait faire, c'est
encore risquer, puisqu'il en sera le maître quand il les aura,
de quelque manière qu'il les ait, pour les faire examiner se-
crètement... Je supplie Votre Excellence, au nom de Dieu et
de la reine qu'elle a si avantageusement servie jusqu'à pré-
sent, de m'ordonncr, le plus tôt qu'elle pourra, la conduite
que j'ai à tenir, et comme je dois répondre au Saint-Père...
D'ailleurs l'affaire presse, comme je lui ai assez représenté,
par l'état et le temps de la grossesse de la reine, pour songer
au futur... » — Les princes portugais enjoignirent au P. de
Villes d'obéir au roi de France.
Clément IX avait déféré la cause à une Congrégation de
neuf membres, qui comptait au premier rang les trois cardi-
naux-ministres Rospigliosi, Azzolino et Otthoboni : a Leur
mérite et habileté, dit Bourlemont(2), sont bien connus du
roi... Il me semble qu'ils cheminent bien jusqu'à présent...
Il est vrai qu'ils cherchent l'avantage du saint-siège, et en
cela ils sont louables, l'adresse et la subtilité étant à estimer
dedans les termes d'équité et d'honneur... Pour les prélats,
(1) Bourlemont au roi, 18 et 25 septembre. — Le P. de Villes à LioDue,
2:i septembre 1608. Home, 193.
(2) 9 et 30 octobre, et 4 décembre 1668. Rome, 193 et 194.
CONCLUSION DK L* AFFAIRE DE PORTUGAL 297
e sieur Fagnano est sans contredit un des meilleurs canonistes
!e noire temps (1.); c'est un vieux prélat de plus de quatre-
•ingts ans, qui a perdu la vue entièrement aux continuelles
eclures qu il a faites, et no laisse pas, nonobstant cet accident
jiii lui est arrivé depuis vingt ans environ, d'être employé aux
dIus considérables Congrégations de Rome. Le mérite du
^ieur de Vecchis est assez connu de Sa Majesté, lui ayant
envoyé son portrait en une boite de diamants que lui donna
M. le duc de Chaulnes après l'expédition des induits; et le
sieur de Rossis est un des plus habiles et des plus employés
prélats de cette cour. Le maître du sacré palais, le P. Libelli,
outre sa grande capacité, est un fort honnête homme et qui
n'a pas les défauts de certains moines de cloître; le P. Tarta-
glia est un bon théologien, et le P. Conti, frère du cardinal
de ce nom, est d'une insigne dévotion... Sans contredit, ce
sont des plus habiles et intelligents de cette cour, chacun de-
dans son ordre, et qui n ont aucun apparent attachement aux
factions des couronnes. » Peu de temps après, la Congrégation
s*accrul de deux autres théologiens, bien dignes de siéger
parmi les premiers, et destinés Tun et Tautro à recevoir la
pourpre : le P. Bona, général des Feuillants, et le P. di Lauria,
Conlelier conventuel, consulteur du Saint-Office : elle fut
d*avis que le légat avait dépassé ses pouvoirs (2) ; que dès lors
\o pape devait examiner la validité du premier mariage et
exiger la production des actes. Bourlemont savait combien
cette sentence était juste; mais pour épargner au roi un affront
trop mérité, il retrouva toute la passion qu'il avait déployée
dans l'affaire des Corses, et il écrivit à sa cour : Il faut dire
nettement au nonce que, si Rome fait trop de difficulté, on se
passera d'elle ; qu'en définitive il y a un jugement. S'il demande
pourquoi ces princes sollicitent cette dispense, répondez que
;i) Od peut ajouter aujourd'hui : Kl de tous les temps. C'est l'auteur du fa-
meux commentaire sur les D^cr^talcs. V. ci-dessus chapitre vu du livre !•'.
(2) « On ne putjamais trouver à Rome d'avocats qui voulussent entreprendre
de soutenir que le cardinal de Vendôme n'eût pas excédé ses pouvoirs, à cause
que les bulles des papes, la pratique de cette cour et les d^^crets des Congré-
gations sur CHS semblables étaient entièrement contraires, outre que la restric-
tion qvoad $ponsaiia duntajat était expresse dans ses pouvoirs, m {Analyse de
M, deSaitU-Pret; Rome^ Papiers et documents^ 24.)
298 CHAPITRE OUATRIÈME
des « consciences timorées et scrupuleuses veulent abonder
en caulèle... Parce tranchant, l'on coupe le nœud gordien, qui
se rend tous les jours plus difficile à délacer ici par mille in-
cidents. » Faites menacer cette cour par celle de Lisbonne de
n'y pas envoyer d'ambassadeur, et de ne pas demander de
provisions pour les évêchés, tant que cette affaire ne sera pas
terminée (t)!
Louis XIV avait compris qu'il allait trop loin, et, après avoir
commis les princes portugais avec le saint-siège, il voulait
que son intervention demeurât ignorée. Lionne écrivit : « Sa
Majesté a été très fâchée que ce bon religieux, se voyant pressé,
ait dit qu*il lui était défendu par ses instructions de donner
les actes, mais qu'il en écrirait au roi et suivrait ses senti-
ments... Sa Majesté ne veut point être mêlée là-dedans, et par-
ticulièrement son avis étant qu'on ne communique point les
actes, et elle ne veut pas que le pape puisse penser qu'elle est
la cause du refus qu'on lui fera. » Redressez cela, invitez le
P. de Villes à déclarer que ses premières instructions étaient
de refuser, et que les derniers ordres les ont confirmées.
Lionne ajoutait que c'était « la plus importante affaire que
Ton eût à traiter de delà et à laquelle Sa Majesté prenait une
entière part, comme si elle lui était propre (2). »
Le P. de Villes se prêta volontiers aux nouveaux mensonges
que lui suggérait la cour de Franco. L'év(>que de Laon ayant en-
voyé à Rome un projet d'expédient, aux termes duquel le pape
aurait fait faire une seconde enquête par des commissaires in
partihus, choisis entre les confidents les plus sûrs des princes,
comme étaient les Inquisiteurs de Lisbonne, le P. de Villes
écrivit à Lionne que cette concession rendrait les Romains
« bien plus fiers ou plus fermes », énumérant les inconvénients
qui résulteraient « des longueurs ; du choix des commissaires^
n'en pouvant pas avoirde pires que les Inquisiteurs qui sont tota-
lement dévoués au saint-siège... ; de la révision du procès sur
les lieux; des interrogatoires à faire du roi. ..(3) » La jalousie
seule inspirait au P. de Villes ces soupçons, qui n'étaient pas
(1) 2a et 30 octobre 1668. Rome, 193.
(2) 29 et 26 octobre 1668. Rome, 193.
(3) 6 novembre 1668. RomCf 194.
CONCLUSION DE L AFFAIRE DE PORTUGAL 299
fondés, car Lionne répondit : « L'agenl de Portugal en cette cour
a témoigné un très sensible déplaisir de ce que le P. de Villes
n'a pas poursuivi Teffet du mémoire de M. de Laon, assurant
qu'à quelque Inquisiteur de ceux qui sont en Portugal que Sa
Sainteté eût adressé la commission de reprendre l'affaire de la
reine en l'état qu'elle se trouve, et de la finir par son autorité,
c'était une chose qui ne pouvait pas durer vingt-quatre heures,
et qui eut passe à l'entière satisfaction de la reine et du prince ;
ce qu'il eût été, disent-ils, fort à propos d'être fait avant les
couches de cette princesse. Dans cette diversité d'avis, le roi
ne veut point prendre de parti pour rien ordonner ou décider,
d'autant plus que M. de Laon écrivit en Portugal et y en-
voya son mémoire le même jour qu'il l'adressa aussi au
p/de Villes (1). »>
Celte idée est écartée; mais le temps s'écoule et tout de-
meure en suspens. Le roi de France a si mal conduit l'affaire
des princes portugais qu'il faut craindre d'obtenir une décision
conforme à leur dernière requête. Il désire que le pape n'exa-
mine pas le premier mariage : soit, mais alors la nouvelle
dispense ne produira d'effet qu'à partir de sa date. La validité
du second mariage ne sera certaine que pour l'avenir; et, la
grossesse de la reine remontant àTépoque intermédiaire, qui
osera défendre sa réputation et la légitimité de l'enfant qu'elle
porte? Le savant Bourlemont, qui vit le péril, en informa la
cour et multiplia les démarches pour la conjurer. Il proposa de
nouveaux expédients qui n'atteignaient pas encore le but. Le
pape lui fit dire « qu'il avait un sensible déplaisir que, jusqu'à
cette heure, l'affaire eût été traitée par des biais qui n'étaient
pas praticables (2). » Si Clément IX n'avait pas encore décidé,
c'est qu'il attendait le résultat des recherches prescrites par lui
sur le premier mariage. Le cardinal Orsino, protecteur de cette
nation, avait alors, h Lisbonne, un secrétaire que la reine
consultait sur les difficultés les plus délicates de sa si tuation (3).
Mais c'est surtout par la duchesse de Savoie (4) que le souve-
(1) 30 novembre. Rome^ 194.
(2) Bourlemont à Lionne, 4 décembre 1668. RomCj 194.
(3) Southwell à lord Ormond, 2/12 décembre 1667.
(4) Femoie de Charles-Emuiauuel lU
300 CHAPITRE QUATRIÈME
rain ponlife connaissail les secrets les plus cachés de la cour
de*[Lisbonne. Cette 'princesse ne cachait pas son irritation
contre le P. de Villes, et voulait que sa sœur obéît scrupuleu-
sement aux ordres de Rome : Saint-Romain et Bourlemontse
plaignirent à plusieurs reprises de la cour de Turin (1). Quand
il fut prouvé pour le pape et pour ses conseillers qu'Alphonse VI
était depuis longtemps infirme, et que le premier mariage
n'avait pas été consommé, ils n'hésitèrent pas et la décision
suprême fut aussitôt préparée. La droiture de Clément IX fui
loyalement attestée par Bourlemont lui-même dans la rela-
tion d'une de ses audiences. J'avais demandé, dit-il, une
nouvelle dispense pour un mariage ratum et non consumma-
tum, afin de mettre la seconde union « à couvert de toutes les
mauvaises suites ou sinistres jugements; car, le premier ma-
riage n'ayant point été consommé, comme il est très constant
qu'il ne l'a point été, la dispense aurait pu contenir quelque
clause tendant à approuver le second mariage. » Le pape ré-
pondit qu'il ne fallait pas « plâtrer une affaire de cette impor-
tance-là, de laquelle il devrait rendre compte à Dieu et satis-
faire la connaissance des hommes; qu'il ne refusait point
de donner une dispense sur les fondements que j'avais exami-
nés avec M. le cardinal dataire; mais, s'adressant à moi, il me
dit : Et si je vous fais voir que cola ne suffit point pour mettre
à couvert l'honneur et la conscience de la reine, et la succes-
sion des enfants, ne conviendrez-vous pas avec moi qu'il faut
en ce cas faire ce qui peut remédier à tout cela? et je vous dis
que je suis prêt à le faire ; et, si le P. de Villes ne veut pas ou-
vrir les yeux à cela, n'aiderez-vous pas à les lui dessiller?)»
Le pape ajouta « qu'il voulait faire ce qu'il fallait pour ces
princes et que, s'il ne leur voulait pas tant de bien et à leur
salut et à leur Etat, il se contenterait peut-être de donner ce
qu'on lui demande, sans rien rechercher de plus. — Je connus
aussitôt où le pape voulait venir et qu'il avait pénétré le point
dont j'avais parlé au P. de Villes pour y faire réflexion et
l'induire à faire couler un mot dedans la dispense qui mît à
(1) Bourlemont à Lionne, 10 octobre et 2 novembre IG08. Home^ 193 et 194.
— Saint-Romain au même, 4 janvier iCCU. Portugal, 9.
CONCLUSION DE l'aFFAIRE DE PORTUGAL 301
couvert cet endroit si délicat;... mais le Père n'j\avait pas
voulu entendre. » — Clément IX releva justement une faute
de la sentence de Lisbonne qui ne visait que l'impuissance
qnoad virgines, discutant ces choses brièvement, avec une pu-
deur et une majesté admirables, et observant « que cela lui
faisait peine de les dire, aussi bien qu'à moi de les entendre,
mais que le salut des âmes l'y obligeait... » Le pape termina
l'audience en invitant Bourlemont à conférer avec les cardi-
naux Azzolino et Otthoboni, et à chercher ensemble les moyens
de placer le second mariage à Tabri de toute critique. —
L'abbé se réjouit du tour nouveau que prenait Taffaire. Il n'y a
pas lieu, dit-il, de regretter le temps perdu : si le pape délivre
la dispense inradice^ Tclfet remonte au mariage même : s'il ne
peut pas la donner, le mal est depuis longtemps irréparable,
puisqu'elle aurait du précéder la conception (1).
Bourlemont put bientôt apprendre au roi que Clément IX
accordait la double dispense du mariage ratum et non consuma
matiim et de Tempêchement de publique honnêteté in radice
matrimoniiy « c'est à-dire, comme si la dispense eût précédé
le mariage, qui est tout ce que Ton pouvait demander au pape
pour rendre le second mariage incontestable et le mettre à
couvert de toutes exceptions. » x\utrement, dans le cas où,
<( par changement de complexion, l'impuissance du roi Al-
phonse put cesser, en quel pitoyable état se trouverait Thon-
neur d'un'î princesse si vertueuse et si sage! De quel malheur
se verraient accabler ses enfants!... Parce moyen, il n*y a
point de révision judiciaire; la sentence rendue sur l'impuis-
sance du roi Alphonse prouve constamment que le premier
mariage n*a point été consommé; et, quand le roi Alphonse
changerait de complexion. Ton ne peut jamais prétendre au-
cune validité de son premier mariage... L'on fait mention de
la dispense de M. de Vendôme, sans la ûétrir (2). »
(1) À Lionne, 23 décembre 1668. Rome, 194.
(2) Au roi et à Lionne, («' et 2 janvier 1669. Rome, 196. — Nous avons re-
trouvé »lcd Obsenmliona sur le bref, rédigées par le P. de Villes et où ce reli-
gieux, s'inclinant trop tard devant la justice et la bonté de Clément IX, recon-
naît aussi qu'eu cette circouAtauce, malgré les efforts de Louis XIV, le pape
déploya librement la piiis^^ance pontificale, dans toute sa plénitude ; « On a
fait au monde, dit-il, tout l'impossible pour se passer d'une nouYolle dispense
302 CHAPITRE 013ATRIÈME
Le 26 février 1669, le pape écrivant au roi de France se fé-
licitait d'avoir pu lui accorder cette grâce, ordine justiivt
servato (1). Tel fut en effet, pour le saint-siège, le premier cl
le dernier mot de cette affaire. Que resle-t-il des calomnies de
Voltaire (2)? Peut-on imaginer une conduite plus paternelle
et plus ferme, plus impartiale et plus prévoyante? D'un autre
côté, parmi les documents que nous avons étudiés, depuis la
révolution du 21 novembre 1667 jusqu'au bref du 26 fé-
et pour obtenir seulement l'approbation de celle de M. le légat; mais, le pape
ne voulant point avoir d*égard à toutes nos raisons, ni à toas nos écriu,
quoique très forts et très solides, et étant inflexiblement résolu, dès devant
même que j'arrivasse à Rome, à ne la point accorder, pour ne pas, disait-il, pré-
judicier à ses droits et à ceux de cette cour-ci, ... il fallait de nécessité, après
avoir longtemps et inutilement combattu sur ce point, ou se séparer sans
rien faire ou prendre Texpédient. qu'il me fit proposer, d*accepter ane ooavelle
et seconde dispense... Dieu qui a toujours un soin très spécial et quasi mir&-
culcux de toutes les affaires de la reine, a inspiré son vicaire de faire de lui-
même et de son propre mouvement, par une étendue de charité et de provi-
dence digne d'un aussi saint et grand pontife que lui ; et c^est ce qu'il me
disait et me faisait dire souvent pour me témoigner la sincérité de ses bonnes
intentions, et que je ne concevais pas pour lors, qu'il me voulait faire plus de
bien^ ou plutôt à mes princes^ que Je ne lui en avais demandé. Il a donc, eu re-
connaissant positivement et approuvant la validité de la sentence des juge»
de Lisbonne, fait une ampliation ou extension qui, sans rien préjudicier à
celle-là, apporte le remède aux craintes qu'elle n'empêchait pas pour Taveuir.
Car, le pape pouvant seul dispenser d*un mariage fait comme il tamt et valide,
pourvu qu'il n'ait pas été consommé, et rompre à jamais son lien, en supposaut
la vérification du fait exposé, qui se fera par commissaires, non pas de Tmi-
puissauce du roi, comme l'ont déjà fait et déclaré les juges de Lisbonne par
leur sentence, mais de l'acte non consommé par lui, qui est un motif nouveau
et tout différent de l'autre, il use de son droit et de la plénitude de son pouvoir
pour rompre derechef ce mariage déjà rompu, en cas même, disent les termes
du bref, qu'il pût jamais paraître de quelque façon que ce soit, ou sembler qu'il
eût été ou qu'il fût bon et valide... Sa Sainteté na rien omis pour faire con-
naître à toute la terre qu'il n'y a eu ni raison ni considération humaine qui
Vailempécfiè de faire son devoir... >i {Portwjal^ 6.)
(1) Home, 196.
(2) Marie de Savoie « osa concevoir le projet de détrôner son mari et d'épou-
ser son amant... Elle obtint bientôt de Rome une bulle pour épouser son beau-
frère... Ce que Jules II avait accord»^ sans difficulté au roi d'Angleterre
Henri VIII, Clément IX l'accorda à l'épouse d'un roi de Portugal. La plus pe-
tite intrigue fait dans un temps ce que les plus grands ressorts ne peuvent
opérer dans un autre. 11 y a toujours deux poids et deux mesures pour tous
les droits des rois et des peuples, et ces deux mesures étaient au Vatican de-
puis que les papes influèrent sur les alTaircs de l'Europe. » (Sikcle de Louis XiK,
chap. x).
JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊQUES 303
vrîer 1669, yen a-t-il un seul qui justifie la défiance et Thosli-
lité de la cour de France contre Rome? L'altitude de Louis XIV,
dans cette rencontre, serait inexplicable sans les doctrines
gallicanes qui avaient déjà fait tant de progrès autour de lui»
et qui dissimulaient à peine la négation formelle de la supré-
matie papale. N'est-ce pas cependant à une décision analogue
du pontife romain que Louis XIV lui-même devait son exis-
tence et celle de sa dynastie (1)? Henri IV n'avait-il pas obtenu
de Rome une exacte justice quand il avait demandé Tannula-
tion de son premier mariage, et n'a-t-on pas lieu d'être surpris
de l'ingratitude de son petit-fils ?
C'est précisément à la même époque que se négociait à Paris
raccommodement des quatre évèques jansénistes, protégés
par les gallicans ecclésiastiques et séculiers. On ne trouvera
pas ici l'histoire de la célèbre Paix de f Église y qui est partout;
nous voulons seulement prouver par des pièces authentiques
et inédites, que, si cet événement n'a pas produit les heureux
eifetsque s'en promettait Clément IX; si les jansénistes ont pu
en abuser pour fortifier clandestinement leur parti et préparer
la lutte qui troubla TÉglise et l'État pendant le xvni'' siècle,
la royauté en est seule responsable. On connaît aujourd'hui
l'aversion profonde des trois ministres les plus influents, le
Tellier, Lionne et Colbert, contre le saint-siège, et les liens
secrets qui les rendaient favorables aux novateurs. On sait
comment Lionne fit naître dans l'esprit du nonce Bargellini la
pensée d'éviter le procès bruyant des quatre évoques en obte-
nant d'eux une soumission complète aux décrets du saint-
siège, et que cette proposition fut agréée de Clément IX, dont
la bonté répugnait aux voies de rigueur. Mais l'histoire ignore
encore quels obstacles la cour de France opposa au pape dans
l'exercice de son autorité suprême, et jusqu'oîi elle porta sa
connivence avec les prélats rebelles, qui démentaient par des
rétractations connues des ministres et du roi, leurs promesses
ostensibles d^obéissance et de fidélité au souverain pontife*
Si les évêques d' Alet , de Pamiers, de Beauvais et d'Angers eus-
(I) Voir uotàumu'ut : La nuilité du mat'iafje de Henri IV avec Marguerite
de Valois ^ par M. Féret, Revue des Questions hisloriques^iVLÏiXei 1876.
304 CHAPITRE QUATRIÈME
sent été sincères dans leur fameuse déclaration du 1" sep-
tembre i668, tout était terminé sans retour : mais le pardon
qu'ils sollicitaient n'avait pas d'autre motif que la présomption
de leur bonne foi. Comme il s'agissait d'une matière purement
spirituelle, c'est au pape seul qu'il appartenait de régler le fond
et la forme de raccommodement, et le projet accepté par le
nonce ne pouvait être valable qu'après avoir été librement ra-
tifié à Rome. Ce n'était pas ainsi que l'entendait Louis XIV.
L'acte des quatre évèques porte la date du 1®' septembre 1668;
mais, ce jour-là, il réunissait trois signatures seulement : Pa-
villon, évèque d'Alet, ne donna la sienne que le 10 du même
mois, dans son diocèse (1), et c'est le 17 au plus tôt que le
roi put transmettre la déclaration au pape. Lionne écrivait en
même temps à Tabbé de Bourlemont (2) : « Je dois seulement
vous dire, pour votre information, que le roi a laissé conduire
à M. le nonce, comme il était juste, toute sa négociation sanâ
s'en mêler d'autre manière que de savoir ce qui s'y passait,
c'est-à-dire sans le requérir de rien, ni même lui donner aucun
conseil (3). . . Et comme il faut non seulement présumer, mais te-
nir pour indubitable qu'il ne se sera avancé à rien en une affaire
si délicate et si importante dont il n'ait eu et le pouvoir et
Tordre de Sa Sainteté, et qu'enfin il n'aura travaillé [que] sur
(1) Sainte-Beuve, PoW-/{o^/, t. IV, p. 390.
(2) 17 septembre 1668. Rome, 193.
(3) Rien ne s'était dit, écrit ou fait qu'à la connaissance, sous TinspiratioD
et par l'ordre de Louis XiV et des ministres ; il suffit de renvoyer à Sainte-
Beuve, qui résume tous les écrivains du parti : « Le plus actif et le plus utile
promoteur et négociateur... fut M. de Goudriu, archevêque de Sens, prélat de
qualité, do grand air, autorisé en cour, ayanl Pareille du roi et des ministres et
très affectionné h nos Messieurs... » (t. IV, p. 304). « Les négociations, pour-
suivies par M. de Gondria auprès du nonce et du pape avec i*agrémenl de
M. de Lionne et de M. le Teliier, se menaient très secrètement... » (p. 388). —
Le roi, en laissant faire le procès des quatre évoques en vertu des brefs poDli-
ficaux, « ouvrait plus d'accès à la cour de Rome dans ses propres affaires qn'il
ne convenait à la politique française. II le sentait et ses ministres aussi ; c'était
l'avis de Colbert, de Lionne, de le Teliier, de celui-ci notamment, qui estimait
l'affaire mal enfournée^ et qui désirait avant tout qu'on la terminât en Franc"
et par autorité royale; qu'on ne la laissai point aller toute à Rome, où c'était
une belle occasion d'empiéter sur les libertés gallicanes » (p. 363). — « Le
leœte projeté [de la lettre des quatre évoques] fut communiqué à MM. le
Teliier^ de Lionne, Colbert, au roi même, puis au nonce qui, dans l'intervalle,
avait reçu du pape pleins pouvoirs, etc. » (p. 389).
JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊO^ES 305
le bonnes et amples instruclions qui lui auront été d'abord
invoyées et depuis rafraîchies successivement sur le compte
[u'il rendait de son travail, il no faut pas moins lenir pour in-
luhitable qu'on ne voudra pas aujourd'hui de delà former la
noindre imaginable difficulté à tout ce qu'il a déclaré des in-
entions de Sa Sainteté, et sur quoi lui-même a dit au roi que
tfM. les quatre évêques lui avaient donné toute la satisfaction
ju'il leur avait demandée. Si néanmoins, contre toutes ces
3résomptions ou plutôt certitudes, il arrivait que l'on voulût
le delà regratter, comme on dit, la moindre chose à ce qui a
Hé arrêté ici entre le nonce et les évêques, dont vous devez
:)our plus grande sûreté vous enquérir de M. le cardinal Ros-
[)igliosi, si vous en avez quelque doute, en ce cas-h\ vous devrez
[aire fortement connaître au nom du roi, et mettant là-dessus
en avant et principalement le repos et le propre service du
pape, que, s'il fallait songer à reprendre ici la pensée et le
dessein de faire le procès aux quatre évoques, on serait si
éloigné de trouver l'affaire dans les mêmes dispositions où elle
eût pu être avant que M. le nonce eut traité et conclu l'accom-
modement, que ce serait exposer manifestement le pape et le
roi à recevoir ici un affront dans h» succès. Je ne sais pas même
si on pourrait seulement parvenir h former simplement le tri-
bunal ; car, comme M. le nonce a consenti lui-même, sur l'ins-
tance des évêques médiateurs, que Sa Majesté congédiât les
commissaires aussitôt que l'avis sera venu ici des nouvelles
signatures du formulaire qui auraient été faites dans les
quatre diocèses; que cet avis ne peut pas tarder d'arriver plus
de cinq ou six jours, et qu'ensuite les commissaires auront été
renvoyés chacun à son diocèse, il serait très difficile, pour ne
pa.s dire impossible, de les rassembler, puisqu'avant même
tout ce qui vient de se passer, trois ou quatre d'entre eux té-
moignaient déjà de grandes irrésolutions sur l'acceptation de
leur commission. »
Clément IX écrivit à Louis XiV, le 28 septembre, un pre-
mier bref dans lequel il prenait acte de ce que les quatre évo-
ques s'étaient engagés, sous la caution du roi, à signer et à
taire signer le formulaire purement et simplement [simpliciac
purâ suhscriptionp), et se félicitait d'une soumission et d'une
LOUIS XIV ET LB SAlNT-SlftOR. — II. 20
306 CHAPITRE QUATRIÈME
obéissance [obedientiam et obsequium) qui le dispensaient de
recourir à la rigueur (1). Mais, deux mois plus tard, le pape
interrogeait sévèrement Bourlemont sur un bruit parvenu
jusqu'à Rome, que les quatre évoques se seraient rétractés
dans des actes clandestins, et l'agent français répondait avec
embarras qu'il n'en était pas informé (2). La cour de France
ne fut pas moins émue quand elle vit sa fraude découverte.
Elle avait tenté vainement d'étouffer la vérité, au moyen d'un
arrôt du Conseil d'Etat (23 octobre) qui, par une usurpation de
l'autorité doctrinale appartenant à l'Église, plaçait sur la
même ligne Thérésie et la foi orthodoxe (3), et imposait un
égal silence aux défenseurs et aux adversaires du jansé-
nisme (4). Si Ton hésitait encore à croire que le roi et ses con-
seillers fussent dans le secret de la fourberie des quatre évè-
ques, les derniers doutes seraient dissipés par la lettre suivante
qu'adressait à Lionne César d'Estrées,.évêque de Laon, l'un des
(1) Rome, 193.
(2) Au roi, 27 novembre 1668. home, 194.
(3) Le vol. Rome, 193 renferme, cuire autres pièces intéressantes: l" ordres
du roi à la Reynie, lieutenant de police : interdire les écrits sur les matières
controversées; saisir les presses; arrêter les contrevenants (23 octobre 1668]:
20 ordre du roi aux intendants : faire exécuter Tarrèt prescrivant le sileocp
(6 novembre 1668). — C'est l'origine de cette loi du silence qui, remise en vi-
gueur sous Louis XV, causa des troubles si funestes à TEglise et à la monar-
chie.
(4) Le brouillon de l'arrêt du Conseil, avec des corrections de la main Ht
Lionne, est dans les papiers de France, 180 et 187, aux Archives des Affaire?
étrangères. — L'expédition de l'arrêt {Rome, 193) est contresignée par Lionne,
qui en est évidemment le rédacteur. En voici les principales dispositions : « Le
roi, ayant été informé par le bref que notre saint-père le pape a érrit à
S. M., du 28 septembre dernier, et par la vive voix da sieur archevêque d^
Thèbes, son nouce ordinaire..., que S. S. est demeurée pleinement satisfaite
de l'obéissance que les évoques d'Alct, de Pamiers, d'Angers et de Beauvii^
ont rendue aux constitutions des papes Innocent Xet Alexandre VII des 31 du
mois de mai 1653 et 16 octobre 1650, tant par la signature sincère qu'eux-mêmes
ont faite..., que par les lettres que lesdits sieurs évêques ont écrites au mois
de septembre dernier à S. S. pour l'assurer de leur soumission auxdites
constitutions, ... » pour le bien de la paix, il est ordonné aux archevêques et
évêques d'exécuter lesdites bulles et coustitutions, et «que les contraventions
et inexécutions faites auxdites constitutions et à la déclaration de S. M. da
mois d'avril 1055 demeureront comme non avenues m; il est défeudu de Itt
renouveler et à tous les sujets du roi » de s'attaquer, provoquer, usant de»
termes d'héritiques, jansénistes et semi-pélagiens ou autres noms de parti,
de publier libelles, etc. ».
JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊQUES 307
légociateurs de raccommodement (i ) : « Vous savez ce que je
rous ai toujours dit sur les égards qu'il fallait avoir à ne lais-
•er point connaître évidemment les procès-verbaux (2) dans le
e public ou les avouer trop franchement. En cela, nos amis,
e dis M. de Chàlons (3), devaient être plus précautionnés. J'es-
3ère pourtant que l'arrôt du Conseil fera un bon effet : car, à
Rome, on ne veut que Tapparencc, et elle y est très bien mé-
aagée, grâce à votre habileté. D'ailleurs, votre dernière Icl-
:re (i), leur ôtant toute espérance, leur ôtera aussi, à mon avis,
toute envie de remuer. Si pourtant les choses tournaient au-
.rement, je tiendrais mes plumes prêles pour écrire mes sen-
timents à M. le cardinal Rospigliosi quand vous me l'ordon-
lercz. Je tiendrai dans le dernier secret ce que vous me faites
l'honneur de me mander sur cela. »
Rome était si éloignée de vouloir seulement r apparence que,
sur le simple soupçon de ces restrictions déloyales, elle retint
pendant trois mois les brefs préparés pour les quatre évêques
st pour les prélats médiateurs : ils ne furent expédiés que le
19 janvier 1669 (5), après que Tévêque de Châlons et Antoine
\rnauld lui-même eurent envoyé une attestation que la signa-
ture des quatre évêques avait été donnée sans restriction ni
réserve et conformément à l'esprit des bulles d'Innocent X et
l'Alexandre VII ! Ces déclarations mensongères furent ap-
(i) 7 décembre 1668. Rome, 194.
(2) Ce 30Qt les procès verbaux secrètement dressés par les quatre évêques,
it renouvelant la distinction du fait et du droit que le saint-siège avait con-
iamoée !
(3) Vialard, évêque de Chàlons, médiateur de raccommodement.
(4) Lettre du 17 septembre citée plus haut.
(5) « M. le cardinal Rospigliosi m*a dit que le pape espérait de la part des
quatre évêques et des autres ecclésiastiques qu'ils se comporteraient de façon
]ae ni les paroles, ni les écrits ne dédiraient point la déclaration qu'ils ont
'aite d'avoir signé sincèrement le formulaire ; autrement, qu'ils confirmeraient
;c qu'on publie ici contre eux d'avoir voulu tromper et obligeraient le pape
l'y remédier. » (Bourlemont à Lionne, 20 janvier 1669. Rome, 196.) — La cour
pontificale observait avec une vive perplexité ce qui se passait en France :
I Ce qui a été résolu sur l'affaire des jansénistes, écrivait encore Bourlemont,
sst tenu extrêmement secret. On sait seulement que, dans une Congrégation
qui fut faite quelques jours avant le départ du valet de Votre Excellence, il
/ eut des voix qui allaient à révoguer sur-le-champ M. le nonce, » (5 février 1669.
Rom«, 196.)
308 CHAPITRE QUATRIÈME
puyées auprès du pape et du nonce par Tévêque de Laon, Cé-
sar d'Eslrées, par rarchcvêque de Rouen, Ilarlay de Champ-
vallon, et par les dépêches du roi. Lionne osa même conseiller
à Louis XIV d'employer Tintimidation. Dès le 14 décembre
1668(1), il avait ordonné à Bourlcmonl d'annoncer au pape
que, s'il n'acceptait pas Técrit des quatre prélats et qu'il per-
sistât à demander leur procès, il aurait contre lui soixante-
dix à quatre-vingts évoques « auxquels même, si les autres ne
se joignaient pour le fond, ils sV joindraient infailliblement
pour la forme, si on entreprenait de pousser quelques-uns de
leurs confrères, et en foraient une cause commune, et peut-
être même les voudraient porter jusqu'à la poursuite d'un
concile national . » Le ministre ajoutait une menace de schisme,
qu'il renouvela plus hardiment dans une dépêche écrite six
semaines plus tard, lorsque les brefs du 19 janvier n'étaient
pas encore parvenus en France. Si la réponse attendue de
Home, disait-il (2), n'est pas conforme à nos désirs, il peut en
résulter" un schisme formel et très considérable dans l'Église...
Si le malheur voulait que le courrier extraordinaire que le
nonce débuta, au commencement de décembre, pour porter
nue déclaration que les évêquos médiateurs et M. Arnauld ont
signée au nom des quatre évêquos, contenant leurs véritables
sentiments sur les cinq propositions et sur la condamnalion
du livre de» Jansénius, si ledit courrier, dis-je, revenait sans
qu'ori s(; fut contenté de delà de cette déclaration, après quoi
il n'y a plus rien à faire auprès d'eux sur cette matière, ilsonl
déjà tellement fait entrer le plus grand nombre de leurs col-
loijuos dans leurs sentiments qu'ils pourront désormais en-
voyer, quand ils voudront, la même déclaration à Rome, si-
gnée de quatre-vingts évêqut^s, qui certifieront de n'avoir point
d'autre croyance que la leur... »
Les brefs du 19 janvier arrivèrent enfin : en acceptant la
soumission des quatre prélats, le pape condamnait sévère-
ment les explications et restrictions secrètes dont ils étaient
soupçonnés, et imprimait à leur duplicité une flétrissure éter-
(1) iîome, 194.
(2) A Bourlemont, 1" février 1669. Home, 196.
JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊQUES 309
nelle. En efifet, il déclare aux médiateurs qu'il apprend d'eux
avec une joie sensible que les évêques d'Angers, de Beauvais,
de Pamiers et d*Alet lui ont donné, et au saint-siège, des mar-
ques d'une parfaite et entière soumission, en souscrivant le
formulaire de bonne foi et selon qu'il est prescrit par la cons-
titution apostolique..., et qu'ils ont rendu l'obéissance au
vicaire de Jésus-Christ en terre et au chef visible de l'Église
avec une pleine et sincère exécution des bulles. Le bref aux
quatre évêques rappelle leur propre lettre, par laquelle ils
faisaient connaître, avec de grandes marques de soumission,
que, conformément aux décrets apostoliques d'Innocent X et
d'Alexandre VII, ils avaient souscrit sincèrement et fait sou-
îîicrire le formulaire contenu dans les lettres du même pape
Alexandre VII; et Clément iX ajoute qu'à cause de certains
bruits qui avaient couru, il avait cru devoir aller lentement,
parce qu'il n'aurait jamais admis, à cet égard, ni exception,
ni restriction quelconque^ « étant très fortement attaché aux
constitutions de ses prédécesseurs. »
La cour de France prohiba la publication de ces brefs si dés-
honorants pour tous ceux qui avaient connu et favorisé les
manœuvres des jansénistes; et en même temps Lionne, avec
son impudence habituelle, affecta de ne pas comprendre la
portée des paroles pontilicales; il loua emphatiquement la
beauté dubrefde Sa Sainteté, t< qui est sans doute, la plus belle
pièce qui soit venue de Rome, il y a plus de cent ans : il y a
de la majesté, de l'habileté, de l'honnêteté; pour la prudence,
elle est incomparable. MM. les évêques de Châlons et de Laou
ne se peuvent lasser de louer cet ouvrage (i). » Il écrivit le
même jour au cardinal Bospigliosi : « Il ne m'est pas possible
de bien exprimer à Votre Emirence la joie que les derniers
oracles de Sa Sainteté... ont donnée au roi et à toutes lesper-
sonnes zélées pour le bien do l'Eglise et non prévenues de trop
de passion ou d'intérêt... Que pourrais-je dire à Votre Émi-
nence sur cette grande action que Sa Sainteté vient de faire,
qui pût être tant soit peu proportionné au mérite qu'elle en a
acquis envers Dieu et envers les hommes et à la gloire immor-
(i) A BourlemoDt, 8 février 1669. Rome, 196.
310 CHAPITRE QUATRIÈMC
telle qui en rejaillira sur son pontificat? J'assure Votre Émi-
nence que, depuis larrivée du courrier, il ne s'est passé jour que
ceux, qui ont vu le bref de Sa Béatitude aux quatre évèques,
et moi par-dessus tous les autres, n*ayons, moi surtout, donné
d*extrômes louanges, puis véritablement admiré cet ouvrage
dans toutes ses parties, considérant que, même voulant user
de rindulgence qu'elle a eue, ce bref n'était pas bien aisé à
dresser pour tant d'égards qu'il requérait de part et d'autre.
Cependant ses moindres paroles sont des chefs-d'œuvre ; enfin
il est rempli par tant de majesté, d'habileté et d^honnèteté! Les
évéques médiateurs en sont charmés, et n'y ont rien trouvé a
désirer de trop ni de trop peu, ni M. Arnauld lui-même, qui
le doit envoyer à son frère (1)... » — Le pape et le cardinal
Rospigliosi, aussi peu sensibles aux flatteries qu'aux menaces,
enfoncèrent le trait plus avant. Clément IX, non content de
faire répandre les copies de ses brefs dans le royaume, félicita
de nouveau Louis XIV de s'être chargé de faire rendre par les
quatre évêques une obéissance sincère au saint-siège, et lui
déclara que, s'ils tentaient quelque nouveauté, il appartenait
à l'autorité royale d'en procurer la répression et la suppression
complète (2). Le cardinal-neveu engagea plus précisément en-
core, s'il est possible, la conscience et la bonne foi du roi, et il
écrivit à Lionne : a Quanto verso i quattro vescovi si ë operato
da Sua Santità, deve allribuirsi alla divina grazia, laquale gli
ha indotti a merilar con la sincera h totale obbedienza da loro
dovuta la clemenza di Sua Beatitudine, e Vesser di cio assicu-
rata specialmente dal Rè christianissimo ha mosso ranimo pU"
terno di Sua Santità a quanto ha ella fatto(3). »
Quand les conseillers du roi connurent TefiFet produit dans
(1) 8 février 1669. RomCj 196.
(2) (( ... Vebementer gaudomas quod eximiâ pictate ac iDsigni zelo Majestatii
Tam effectum fuerit ut sincera obedientia a quatuor episcopU nobis ac sanclse
htiic Sedi prisslita aditum sollicitudiai nostrae apcruerit cum Ecclesis tum
etiam istius regni ratioDibas opportune consuleodi; pro certo enim habui-
mus quody sialiquid forte novi in hoc eodem génère puUiiIaverit, id omneauc-
toritate regia et spectato religionis orthodoxœ studio tuo observantiam consti-
tutionum apostolicarum coadjuvante repressum ac penitus extinctum iri. »
(Bref au roi, 26 février 1669. Rome, 196.)
(3) Smarâ 1669. Rome, 197.
JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊQUES 311
le public par la divulgation inattendue des brefs, ils imagi-
nèrent de nouvelles manœuvres pour surprendre au saint-
siège un désaveu implicite des condamnations portées contre
les jansénistes. Bourlemont présenta au pape une explication
mensongère des obstacles mis par le roi à la publication des
lettres pontificales. Lionne lui avait écrit le 26 mars : « Le
pape n*ayant pas parlé expressément dans ses brefs de la dé-
claration de M. l'évêque de Châlons et de M. Arnauld qui
contient Téclaircissement des sentiments des quatre évoques,
on ne la devait pas exposer au public^ sans être auparavant
informé si Sa Sainteté l'aurait agréable. En second lieu, on
n'a pas cru devoir publier ces brefs tant quils paraîtront déta-
chés de cette déclaration à laquelle, dans la vérité, ils sont re-
latifs; qui a servi de fondement à la réponse que Sa Sainteté
a faite à ces évoques etqu'elle avait suspenduejusqu'àl'examen
de cette déclaration qui contient leur profession de foi et leur
soumission au saint-siège. » Ces excuses hypocrites se termi-
naient par l'ordre donné à Bourlemont de réclamer l'abolition
du formulaire; de déclarer que beaucoup d'ecclésiastiques
offraient de signer dans le sens des quatre évèques ; et que
la signature, au lieu de prouver la soumission de ceux qui
la donnaient, était désormais « une pierre de scandale »,
propre seulement à « faire renaître les divisions passées ».
Lionne pressa sans relâche Tabbé de Bourlemont. Le 19 avril,
il lui écrivait encore : « On voit maintenant ici la copie du
bref aux quatre évêques, laquelle est venue de Rome, et,
depuis que les Jésuites l'ont, quoiqu'ils n'aient point encore
la déclaration signée de M. de Châlons et de M. Arnauld sur
laquelle ledit bref s'est principalement fondé (ces deux pièces
ne pouvant, ce semble, aller Tune sans l'autre), ils se laissent
non seulement entendre à leurs confidents que la paix n'est
poibt faite, mais qu'ils obtiendront à Rome une nouvelle cons-
titution. Je ne crois pas que cela soit à craindre, ou au moins
que Sa Sainteté en prît la résolution sans concert et sans par-
ticipation de Sa Majesté ; mais, à toute fin, j'ai estimé vous de-
voir donner cet avis. Le vrai moyen d'empôcher que nous ne
retombions dans d'aussi grandes divisions que celles dont on
vient de sortir, serait un ordre de Sa Sainteté pour la sup-
312 CHAPITRE OUATRIÈME
pression de la signature suivant les amples mémoires que je
vous en adressai dernièrement (i). »
Mais Clément IX déclina toutes les instances qui lui furent
adressées à ce sujet par le roi, et sa douceur accoutumée
s'altérait h la seule pensée que les jansénistes interprétaient
en faveur de leurs doctrines un pardon accordé seulement
aux assurances formelles et répétées d'une obéissance sans
réserve. Son indignation trouvait les termes les plus éner-
giques pour protester contre le soupçon d'une capitulation
avec les hérétiques. Un abbé de lionfils lui avait été envoyé
pour donner des explications sur la conduite du cardinal
de Vendôme dans Talfaire de Portugal (2), et pour solli-
citer la promotion de Tévèque de Laon ; Clément IX mil
l'entretien sur le jansénisme , sachant qu'un pareil audi-
teur rapporterait ses moindres paroles au roi et à Lionne,
et cet abbé écrivit en effet (3) : Sa Sainteté me dit « qu'elle
espérait de la piété du roi, qui est le fils aîné de l'Église,
et de celle de MM. les ministres... que Sa Sainteté empê-
chera qu'il ne s'imprime ni lettre, ni livre, et qu'il n'y
ait pas des médailles de la paix entre les papes et les é\v-
ques(4). Elle me parla de ces imprimés et de cette médaill»*
avec le dernier sentiment; à quoi je répondis que ça ne pou-
vait venir que do la part dos ennemis de ces Messieurs et de
ceux qui ne travaillent qu'à rendre Sa Sainteté mécontente
d'eux, et que je n'en avais pas ouï parler. Elle me dit que
cela pouvait être, mais que les imprimés et les médailles
étaient, où le mot concordia se trouvait; qu'on disait qu elle
avait modéré ce que les papes Innocent et Alexandre avaient
fait et déterminé après une très exacte discussion réitérée par
plusieurs fois; que toute l'Europe en parlait, et qu'elle était
abreuvée de cotte concorde^ qu'elle n'en avait pas fait, mais
seulement recules évéqucs qui n'avaient pas encore souscrit
(1) Home, 197.
(2) Bourlemout au roi, 28 septembre 1G68. /iowt», 193.
;3) HoiifiU à Liouue, 4jiiiu 1669. l\ome, 198.
(4) Voir notammeut sur l'histoire d'une nn^daillo mi-^e on pirculation par les
jansénistes, Ob restilutiun Ecclesim cuncovdhnny les Mtnnoirea iiu. 1*. Kapin, t. lHi
p. 488.
JANSÉNISME : LES QUATRE ÉVÊQUES 3(3
le formulaire, auxquels elle n'avait pas voulu tout à Tabord
répondre, quoique les lettres qu'ils lui avaient écrites fussent
pleines de soumission et de sincérité, à cause qu'on lui avait
écrit qu'ils n'avaient souscrit le formulaire que sous de cer-
taines protestations: mais qu'ayant reçu du depuis par eux de
nouvelles assurances de leur candeur et des témoignages des
évêques leurs amis, elle leur avait répondu d'une manière à
leur faire voir qu'elle n'avait jamais entendu porter préjudice
aux constitutions des papes Innocent et Alexandre, mais bien
les maintenir au prix de sa vie, auxquelles, pour mille, elle ne
voudrait pas avoir préjudicié, et pour l'honneur du saint-siège
qui ne saurait errer, et pour le sien propre, étant certain
que si elle avait fait ce qu'on publie, elle serait indigne de
vivre... »
CHAPITRE CINQUIÈME
SECOURS DE CANDIE. DÉSASTRE DU 25 JUIN 1669. ÉaiEC DU 24 JUIL-
LET. RETRAITE PRÉCIPITÉE DU DUC DE NAVAILLES. 1669.
Efforts de Clément 1\ pour porter les princes clirétienfl et particulièreroent le roi de France î li
défense de Candie. Élan de l'esprit militaire et de l'esprit religieux, reconnu et comprimé pu
Louis XIV. Inquiétudes de la Porte calmées par les agents du roi, qui prêtent des Taisseaoi
français pour transporter des troupes turques en Candie. Duplicité du langage tenu, au nom de
LouisXlV,à Coustautinopleetà Venise. — Permission donnée à la Feuillade de passer en Candie
avec un petit corps de troupes sotts la bannière de Malte. Caractère réel do cet armement. FoUf
conduite delà Feuillade. son échec et son prompt retour. Novembre l(»68^anTier 1609. — Nou-
yelles instances de Clément IX. Mouvement de l'opinion publique. Louis XIV^ consent à secou-
rir Candie, mais soux le nom et le drapeau du pape et sans interrompre ses rapports diploma-
tiques avec la Porte. — Instructions données aux ducs de Navailles et de Beaufort et an ronit^
de Vivonne. Les Français descendant k Candie et non à la Canée, comme le pape et les Véni-
tiens le demandaient : les assiégeants toujours libres de recevoir tous leurs renforts. Procédés
indignes de Vivonne envers le bailli Rospigliosi. Les généraux français refusent de se concerter
uvec le général vénitien et W général pontiflcal : ils ne >' entendent même pas entre eui, et
vont au devant d'un désastre. llunteu«ij déroute du i5 juin : mort héroïque de Beaufort, aban-
donné par ses troupes. Action du 24 juillet, résolue par Navailles contre tous les avis : nouvel
échec. — Départ inattendu des Français, 31 août. Conséquences fatales de leur retour. Capi-
tulation de Candie, 3 8ept«îmbrc. KlT^l produit en Europe par ces évéuements. Noble comiull".'
du bailli Rospigliosi, général pontifical, et de Clément IX. — Louis XIV désavoue le duc de
Navailles et l'exile. Doutes bur la sincérité du rui. Il refuse son assistance à Clément IX, qui
veut réparer la perte de Candie et former une ligue chn'tiennc. Humiliations auquel Loui:» XIV
se soumet pour conserver l'amitié du sultan : honneurs extraordinaires rendus à Mustaph<i-
Racu, oiticier subalterne de la Porte.
Cependant la France, qui donnait tant de soucis au souve-
rain pontife, allait peut-Otre lui apporter quelque consolation.
Louis XIV semblail moins indifférent au sort de Candie, dont
la chute imminente devait entraîner la perte de Tîle tout en-
tière. On se rappelle les efforts d'Alexandre VII pour épargner
cette honte et ce danger à Venise et à l'Europe : Clément IX
était, comme son prédécesseur, obsédé de cette pensée; depuis
le premier jour de son pontifical, il adjurait sans cesse les
princes catholiques de se liguer contre les infidèles, et nul sou-
verain n'avait reçu plus souvent que Louis XIV ses exhorta-
tions et ses prières (1). Mais le Roi très-chrétien se complaisait
(1) Sans parler des supplications que le duc de Chaulues et le nonce étaient char-
gés de transmettre, nous pouvons citer notamment : !<> (21 juin 1667, lendemain
SECOURS DE CANDIK 315
dans le spectacle des progrès faits par Tennemi séculaire de
TEmpereur, et il était si peu touché de l'épreuve subie par les
rivaux du commerce français au Levant que, pour éviter leurs
trop pressantes sollicitations, il avait cessée depuis quatre ans,
d'avoir un ambassadeur auprès de la Seigneurie (1). Il finit ce-
pendant par céder à un mouvement de Topinion publique, ré-
veillée par les pontifes romains. Le vieil esprit des Croisades,
un moment ranimé par la trop courte campagne de Hongrie
en 1664 et bientôt étouffé par la politique égoïste du roi, agi-
lait de nouveau notre pays. Longtemps avant que Louis XIV
décidât Texpédition de Candie, une foule de volontaires fran-
çais, grands seigneurs, officiers, soldats et matelots, s'enga-
gèrent sur les flottes et dans les régiments de la République.
La défense même de la ville assiégée était conduite, sous le
commandement suprême du capitaine-général Morosini, par
des Français de race ou de naissance. Le Savoyard marquis
Ville ayant été remplacé par le Dauphinois marquis de Saint-
André Montbrun, la renommée exagéra le nombre de compa-
triotes que ce dernier amenait avec lui, et Tambassadeur Denis
de la Haye écrivait, de Constantinople, à Louis XIV : Le Grand
Seigneur veut que le vizir prenne Candie cette année; mais,
H si M. de Saint-André Montbrun vient commander en Candie
de rélectioo) lettre autographe, déjà citée, déplorant la guerre qai vient d*éclater
entre la France et FEspagne « io tempo che Tarmi del comune inimico, opprl-
mendo il regno di Candia, espongono auco in Dalmatia la santa fede a gravis-
timi pericoll. n Le pape prie le roi de lui épargner « il rammarico che gli
apporta il vedere esposto il christianesimo ad irreparabile rovine... » ; 2<> (4 oc-
tobre 1667) bref au roi sur la paix qui est si nécessaire, « dum Turcarum ar-
mi^ civitate Candiœ in extremum discrimon addictà, et eoruindem potenter
invadendffi Poloniae minis urgeutibus, nullum sanctœ religion! tuendœ reme-
dium adhiberi potest, nisi principam christianorum animis et opibus coDjunc-
Um unitis. » {Rome, 184.); 3° (11 février 1668) bref très pathétique à Lionne;
4<* (14 février 1668) bref au roi, demandant qu'il s'engage à ne pas attaquer
lltalie cette année, pour permettre à tous les princes italiens de secourir
Candie, sans craindre pour leur sécurité. {Rome, 189.); 5o (l«rinai 1668) lettre
autographe : a Preghiamo ora la M. V. col più vivo dell* animo a volger la
grandezza degli spiriti e della potenza sua contro il comune inimico, per sot-
trarre il regno di Candia al giogo, etc. » ; 6o (12 juin 1668) lettre autographe au
roi. {Rome, 191.); 7o (7 juillet 1668) bref au roi. (Rome, 192.)
(1) Bonsy, évèque de Béziers, transféré de Venise à Varsovie, au mois de
novembre 1664, ne fut remplacé auprès de la Seigneurie qu'à la fin de Tannée
1668.
316 CHAPITRE CINQUIÈME
avec trois mille Français, ainsi que Ton me Técrit, M. le ma^
quis Ville m'a fait entendre qu'il n*appréhendait point toute
la puissance du Grand Seigneur^ et (]ue la ville de Candie était
en très bon état (1). >> La campagne de Franche-Comté rendit
bon espoir à la Porte : « J'ai vu, écrivait la Haye, une lettre
de Candie écrite par Païanoti, où sont ces paroles : Nous espé-
rons prendre Candie cette année, parce que les Vénitiens au-
ront peu de secours, à cause que la France fait la guerre à la
chrétienté (2). » Le même ambassadeur laissait s'accréditer
en Orient le bruit d'une guerre entre la France et l'Empire, et
il disait au roi : « Il parut à mon drogman que le caïmacan pre-
nait plaisir à ce discours... Ces questions font connaître que
cette cour... serait bien aise de voir l'Allemagne en une guerre
contre les armes victorieuses de Votre Majesté (3). » La Haye
cherchait ainsi à désarmer le ressentiment des Turcs, irrités
de rencontrer tant de Français parmi les Vénitiens, surtout
depuis le licenciement qui avait suivi les traités de Saint-Ger-
main et d'Aix-la-Chapelle (4). Avant la paix et dès le 4 fé-
vrier 1668, il rendait compte à sa cour des clameurs dont il était
assailli : les ministres ottomans se plaignaient de trouver des
Français partout. « A Malte, disaient-ils, tous Français ; en Can-
die tous Français ; tous Français à la mer; en un mot les Fran-
çais sont plus ennemis que nos ennemis mî^mes. » Le 8 juil-
let, il donnait encore avis qu'on se déchaînait, à Andrinople,
autour du Sultan, contre les sujets du roi: on y apprenait avec
indignation « que celui qui était venu en Candie, à la place du
Savoyard, était Français (5); qu'il avait amené avec lui un
(1)3 avril 1668. Turquie, 9.
(2) Au roi, 30 avril 1668. Turquie, 9.
(3) 10 juiu 1668. Turquie, 9.
(4) a... Dans Tattente de succès plus brlilaots encore, Topinion publique, eu
France, avait mal accueilli la paix... Dans l'armée surtout, la douleur était
violente : un grand nombre d'officiers, atteints par la réforme, et mis à la
suite des réf^imcnts conservés, enviaient la bonne chance de leurs cama^ade:^.
qui avaient au moins un commandement à exercer sur des compagnies ré-
duites, tandis qu'eux-mêmes, privés d'emploi, n'avaient plus à jouer que le
triste rôle d'officiers sans troupes. Ils se plaignaient, etc. » (Rousset, Histoire:
de Louvois, t. 1", p. 257 et suiv.)
(5) Le marquis de Saint-André Montbrun, <« très ancien maréchal de camp,
mais toujours jugé digne d'un rang encore plus élevé sans y être parvenu, à
SECOURS DE CANDIE 317
^rand nombre de Français; h la mer, tous corsaires français;
plaintes de tous côtés contre les Français. » L'ambassadeur
répondait que le roi comptait tant de sujets qu'il n'était pas
étonnant de les voir courir le monde, et chercher fortune où ils
pouvaient. Malheureusement, il avait été obligé, pour fléchir la
colère du divan, do faire des concessions plus humiliantes :
il avait prêté les vaisseaux du roi pour transporter des Turcs
on Candie, il écrivait à Louis XIV : « Le caïmacan et le capi-
tan-pacha m'ont demandé les trois vaisseaux qui étaient ici
pour faire un second voyage en Candie. Un des trois vaisseaux
est heureusement de retour depuis trois jours, après avoir été
poursuivi par les Vénitiens avant que d'arriver en Candie, où,
la veille de son départ pour ici, était arrivé un des deux autres
vaisseaux; mais le troisième a été pris par un corsaire ligour-
nois (1) avec tout son chargement de quatre cents Turcs et
quelques provisions. Le capitaine et son vaisseau ont été re-
lâchés par le corsaire : ledit capitaine a été blessé en combat-
tant. J'en ai fait [plainte] aux ministres d'ici, qui nV)nl répondu
autre chose sinon que c'était un malheur : je voudrais bien
quil les obligeât à ne me plus demander de vaisseaux. » Le
garde du trésor m'assura « que Ton était fort satisfait de moi,
particulièrement d'avoir accordé de bonne grâce les trois der-
niers vaisseaux pour Candie; que le capitan-pacha l'en avait
entretenu, et qu'il le dirait au Grand Seigneur, qui le savait déjà,
mais que Ton se plaignait de ce qu'il y avait trop de Français
parmi les Vénitiens (2). »
La parole du pape avait trouvé des échos retentissants dans
tous les diocèses de France, et les chaires chrétiennes y firent
entendre, pendant plusieurs années, de pressants appels en
faveur des fidèles de TOricnt (3). Nul orateur ne plaida plus
quoi sa religion protestante servait môme d'obstacle. » (Pcllisson, Histoire de
Louis XIW t. Hî, p. n,)
(1) De Livourne.
(2) 30 avril 1668. Turquie, 9.
(3j Les religieux de la Merci et de la Trinité, voués au soulagement et à la
rédemption des captifs faits par les musulmans, redoublaient de zèle pour
exciter celui do toutes les classes de la société : leurs prédications, et les
processions des esclaves rachetés par leurs soins les rendirent si populaires,
surtout à cette époque, que Louis XIV entraîné par la piété publique, de-
318 CHAPITRE CINOUIÈME
éloquemment que Bossuet une cause si chère au saint-siège.
Dès le 31 janvier 1665, à Paris, prononçant le panégyrique de
saint Pierre Nolasque, fondateur de la Merci, il exposait les
dangers de l 'Europe et de l'Eglise en termes qu'il répéta presque
textuellement, une année après, devant Louis XIV et sa cour:
« 0 Jésus, disait-il. Seigneur des seigneurs, arbitre de tous les
empires et prince des rois de la terre, jusqu'à quand endure-
rez-vous que votre ennemi déclaré, assis sur le trône du grand
Constantin, soutienne avec tant d'armées les blasphèmes de son
Mahomet, abatte votre croix sous son croissant et diminue
tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées?... Je
regarde la puissance mahométane comme un océan indomp-
table, toujours prêt à inonder toute TÉglise, sa force n*étanl
arrêtée que par des digues entr'ouvertcs, ce sont les puissances
chrétiennes, toujours cruellement divisées ! (1)... »
Ainsi la ferveur religieuse s'unissait à Tesprit militaire de
la nation pour seconder les intentions de Clément IX; mais,
pour arriver au but de ses efforts, le pontife eut bien des obs-
tacles à vaincre, et il est juste de dire que Louis XIV n'était
pas le seul dont il eùL à redouter Tinsouciance ou le mauvais
vouloir. Les Génois, sous je ne sais quel prétexte, avaient re-
fusé leurs galères pour la campagne de 1668. Venise elle-
même venait de soulever un conflit violent avec les autorités
papales au sujet des digues du Pô et des frontières deFerrare.
Le duc de Chaulnes communiqua au roi les confidences de
Clément IX : Il me retint, dit-il, « pour me faire savoir Tin-
gratitude avec laquelle la républi«jue de Venise (2) en usait.
maïKla au pape que l'oftico des deux fondateurs de la Trinité, les saints Jean
de Matha et Félix de Valois, ne fût plus réservé à leur ordre seulement, mais
établi dans rÈgllse entière, et que le corps du premier fût transféré à Paria,
dans le couvent où résidait habituellement le général, « afin que tout le culte
qui lui est dû lui fût rendu principalement dans le même lieu où sa piété et
ses vertus ont éclaté pendant qu'il a vécu. » (Le roi au pape, 16 novembre
1669. Rome, 201.)
(1) Sermon pour le jeudi de la deuxième semaine de Carême, 1666, à Saint-
Germain.
(2) Elle savait qu'elle ne trouverait jamais cbez aucun pape Tégoïsme dont
elle avait fait preuve taut de fois, pendant et depuis les Croisades, et au début
môme de la guerre présente. En effet, lorsque la flotte ottomane, qui devait
attaquer l'île de Candie, sortit des détroits, on crut en Italie qu'elle se diri-
SECOURS DE CANDIE 319
11 commença soq discours par me dire qu'il avait toujours
reconnu les maximes de cette République très méchantes, mais
qu'il avait voulu s'attacher à surmonter ses malignités ; que,
pour cela, il l'avait accablée de bienfaits;... que, dans ce
temps-là, sans aucune considération, cette République avait
fait prendre ses vaisseaux dans le golfe, et qu'elle avait cru
beaucoup faire que de les rendre; que, dans le commerce de
la mer, tous les marchands italiens avaient reçu mille déplai-
sirs, mais qu'il avait passé sur tout pour les pousser à bout;
que, du depuis^ il les avait assistés de toutes choses et de ses
pressantes instances auprès des t6tes couronnées et autres
princes; et que, dans un temps où il devait recevoir des remer-
ciements des Vénitiens, ils avaient envoyé deux mille hommes
travailler pour détourner le cours de la rivière du Pô, ce qui
pouvait facilement causer la ruine de tous les pays d'alentour
et l'inondation de Ferrare... Comme je crus, Sire, que cette
afTaire pouvait être avantageuse à Votre Majesté, tant parce
que je ne vois rien à craindre des ligues que par les Vénitiens,
quoique affaiblis par la guerre des Turcs, que parce que Votre
Majesté pourrait se servir de cet incident pour leur refuser la
liberté des galères d'Espagne et la levée des soldats en France,
par la considération même du pape, qui en aurait toujours
reçu le refus avec déplaisir, je crus devoir pousser encore à
la roue en faisant ma cour au pape... » Clément IX discerna
les sentiments cachés sous ces protestations de sympathie qui
furent encouragées par Louis XIV (1), et il annonça publique-
ment sa résolution de secourir la Seigneurie, dût-elle, comme
il le craignait, « attaquer l'Etat ecclésiastique du côté de Fer-
geait sur Malte. Veuise se réjouit et se promit de laisser les chevaliers sou-
tenir seuls leur querelle; mais elle changea de langage aussitôt que les Turcs
furent débarqués à laCanée. uU leur semble, écrivait fambassadeur de France
auprès de la Seigneurie, que toute la chrétienté doive faire une croisade en
leur faveur; et cependant il est bien vrai ({ue, lort^qu'ou croyait que Malte
pouvait être attaquée, ils dataient que ceux de la religion le méritaient bien
pour s être attiré volontairement cet orage,,. C'est une chose assez plaisante
de voir ces gens-ci réduits a mendier le secours de ceux de Malte, qu'ils
avaient publié hautement devoir être abandonnée au juste ressentiment du
tore. » (Le chevalier de Grémonville, i6 septembre 1645. — Daru, Histoire de
Venise, t. V, livre XXXHl, 4* édition.)
(1) Chaalnes au roi, 6 mars. Le roi à Chaulnes, 30 mars 1668. Aome, 190.
320 CHAPITRE CINQUIÈME
rare, dès qu'il serait dégarni de troupes {\), » Le pape n'ob-
tint d*abord du roi que la promesse d'une assistance indirecte;
il le pressa de faire mieux encore : « Adhuc majora quaiqae
superaddere et accumulare [Majestas Tua] dignetur, donec
tota illa insula, a faucibus Turcarum erepta, orbi christiano
simul cum securitate publicà restituatur (2). » En même temps
il invita tous les évêques de France à solliciter de nouveau les
libéralités des fidèles. Des nouvelles plus fâcheuses étant ve-
nues de la ville assiégée, « il tint un consistoire^ où il repré-
senta, la larme h l'œil, le péril de Candie (3). » A la cour et
dans tout le royaume, on se prononçait en faveur des chrétiens
orientaux; mais Louis XIV eût préféré que les Vénitiens ca-
pitulassent avec les Turcs, et il rétablit alors un ambassadeur
auprès d'eux, pour leur en insinuer le conseil : telle est la
vérité, trop clairement démontrée par les documents inédits
qui sont sous nos yeux. La Haye lui écrivait le 16 juin : Un
officier du caïmacan s'informe de mon drogman si Votre Ma-
jesté consentirait à secourir la Porte contre Candie, et regrette
que personne n*osc faire celte proposition au Sultan. Si on
m'adressait une pareille demande, ne devrais-je pas répondre
que, les Vénitiens étant amis de Votre Majesté, elle ne peut
que les obliger à faire la paix avec le Grand Seigneur (4)? Le
t octobre suivant, le nouvel ambassadeur à Venise, M. de
Saint-André, président au Parlement du Dauphiné, recevait
l'ordre de représenter Louis XIV comme « le plus assuré, plus
sincère et véritable ami qu'eût la République entre tous les
princes et potentats. » La guerre de Candie, soutenue par elle
depuis vingt-quatre ans, était « le miracle de ce siècle! » C'est
dans rintérôt de Venise que le roi avait conclu déjà deux fois
une paix désavantageuse avec les Espagnols; mais ceux-ci
avaient refusé de concourir aux projets formés par lui en vue
de recouvrer la Canée, etc. ! Depuis la paix d'Aix-la-Chapelle,
sa première pensée avait été de rappeler son ambassadeur de
(1) Chaulnes au roi, 3 mai 1668. Home, 191.
(2) Bref du 7 juillet 1668. Rome, 192.
(3) Chaulnes au roi 29 août. Borne, 192; Bourlemont à Lionne» 18 septem-
bn». 1668. Rome, 193.
(4) Turquie, 9.
SECOURS DE CÂNDIK 321
la Porte « il se peut dire dans la seule vue de Tavantage de la
République » (1) : il voulait maintenant complaire aux désirs
des Vénitiens comme à ceux du pape : il leur donnait cent
mille écus, avec la permission de lever des soldats et des
munitions, et il autorisait le duc de Rouannez à conduire un
corps de volontaires au secours des assiégés. Voilà ce que le
président de Saint- André devait déclarer à la Seigneurie, mais
il avait ordre en même temps de l'exhorter à traiter et à subir
les conditions imposées par la nécessité : c'était le dernier
mot de ses instructions (2).
La Feuillade, portant alors le titre de duc de Rouannez,
mena, en effet, à Candie « cinq ou six cents gentilshommes
d'entre les officiers réformés, à une paie égale ou plus grande
que celles qu'ils tiraient en France, non pas pour un long
temps, à quoi ses forces n'auraient pu suffire, mais pour ten-
ter, en deux ou trois mois de temps, quelque action de vi-
gueur qui fît craindre aux infldëles de pareils efforts de toutes
les nations chrétiennes, chacune à son tour (3). » On lit par-
tout que cette levée était faite aux dépens de la Feuillade ;
mais il faut bien rabattre de cette générosité, dont Thonneur
revient encore à Clément IX et à TEglise. Pellisson nous ap-
prend que le roi fit au chef des volontaires un présent do
dix mille écus, indépendamment des trois vaisseaux qu'il mit
à ses ordres. On peut croire aussi que ces volontaires qui ap-
partenaient généralement à la plus haute noblesse, le comte
de Saint-Pol, futur duc de Longueville, le duc de Château-
Thierry, cadet de la maison de Bouillon, le duc de Caderousse,
(1) Voici la vérité : DeDis de la Haye Vautelet, gui (Vailleursne guiita Cous»
laniittople quA la fin de 1670^ fut rappelé, parce que le roi êlait mécontent
de lai. Le souvenir des querelles que son père et lui avaient eues avec plu-
sieurs grands vizirs nuisait au maintien des bons rapports que Louis XIV
voulait conserver avec le Grand Seigneur. Il n'était pas môme parvenu, de-
puis trois ans, à faire renouveler Irs ancionnu? capitulations. D'un autre côté,
les commerçants français du Levant uc trouvaient pa^ auprès de lui une pro-
tection efficace contre les avanies et les violences des Turcs, et lui reprochaient
à lui-même de graves concussions. V. toute la correspondance, et notamment
te:) deux lettres du roi à la Haye, du 5 août 1668, et les instruction? à M. de
Nointel, son successeur, du 21 juillet 1670. {Turquie^ 9 et 10.)
(2) Venise, 88.
(3) Pellissoo, t. lU, p. 94 et suiv.
LOOISXIV IT LK SAL1T-SIÊ(iE. — U. 2i
322 CHAPITRE CI?ÏQUIÈMB
les marquis de la Mottc-Fénelon et de Sévigné, les Chamilly,
les Viliemor, les Matignon et tant d*autres, coûtèrent pea à
la Feuillado : le seul comte de Sainl-Pol reçut de son frère
aîné vingt mille livres « pour aider à sa subsistance en Can-
die (1). » Mais quelle qu*ait été la part de la Feuillade daas
les frais de cette courte expédition (2 novembre-5 janvier),
Tadroit courtisan avait su so ménager des ressources impor-
tantes sur les biens de l'Eglise, qui subvenait alors, sous tact
de formes et dans une si large mesure, aux besoins de l'Etat.
La Feuillade puisa sans scrupule à cette source si abondante des
pensions sur abbayes, des économats et des bénéfices simples;
et il fil même demander à Rome des dispenses qui rendissent
encore plus faciles les bienfaits du roi. Clément IX, en souve-
nir de la campagne de Hongrie et comme gage de services
nouveaux, donna son consentement a pour plus de trente
mille livres de rente ». Le duc de Chaulnes, en annonçant au
roi cette faveur, ajoutait : « Mais, Sire, j'espère que Votre
Majesté ne voudra pas que son nom soit employé souvent
pour des grâces de cette nature, lesquelles, étant très difficiles
et extraordinaires, ne pourraient peut-être avoir toujours le
succès que Votre Majesté désirerait (2). »
Du reste, rien ne fui moins bien concerté que ce petit ar-
mement. Le duc de Rouannez portait la bannière de Malte, et
non celle de France. En touchant à la Valette, il aurait pu
frrossir sa troupe d'un bon nombre de chevaliers ; mais sa
vanité souleva des difficultés pour le commandement, et les
Français repartirent presque seuls. Ils ne voulurent ou ne
surent s'entendre ni avec les auxiliaires italiens, ni avec les
galères d'Espagne. Une fois débarqués, ils se querellèrent
avec ceux qu'ils venaient défendre. L'attaque et la résistance
étaient dirigées avec un courage qui n'a jamais été dépassé,
et avec une habileté consommée^ : les ingénieurs turcs et véni-
tiens étaient de dignes adversaires, et» à cette époque, il n'y
avait pas en Europe une armée qui en comptât de plus sa-
vants. Les compagnons de la Feuillade affichèrent un grand
{{) Bourleuiout à Lionne, 2 janvier 16r)9. Home, 196.
(2) 22 f.Wrier 1668. Home, 189.
SECOURS DE CANDIE 323
mépris pour les assiégés comme pour les assiégeants, ne
voulant suivre aucun conseil, ni tenir compte d'aucune expé-
rience : ils ne consentaient qu'à risquer leur vie avec autant
de bravoure que d'élourderie. Ils dédaignaient les armes défen-
fensives, et la Feuillade marchait contre les Turcs, un fouet à
la main. A Malte, « quelques-uns des principaux )> d'entre eux
avaient dit » qu'ils allaient passer le carnaval seulement en
Candie, pour s'en retourner au printemps (1). » Ils n'eurent
pas môme la patience d'attendre jusque-là. Réduits à un petit
nombre par le feu de Tennemi ou parla maladie, ils se lassèrent
tout de suite de leur inutilité, et quittèrent la ville dans les pre-
miers jours de 1669, emportant la peste sur leurs vaisseaux (2).
C'était un grand malheur que Louis XIV aidât si peu les
Vénitiens dans cette année 1668, qui fut décisive. Et cepen-
dant que de ressources s'offraient à lui dans son royaume!
Le duc de Rouannez et ses volontaires n'étaient pas les seuls
qui fussent prêts à s'enrôler pour une si belle cause. Le duc
de Navailles dit dans ses Mémoires (3) : « J'eus la pensée de
faire un régiment de deux mille hommes pour le mener au
secours de Candie... J*en fis demander la permission au roi,
qui ne jugea pas à propos de me la donner, parce que M. de
la Feuillade, qui avait eu dessein avant moi d'aller à Candie,
se disposait à partir. » Le maréchal de Bellefonds offrait aussi
à Venise et au souverain pontife de lever, pour leur service,
quatre régiments qui marcheraient sous ses ordres (4). « Toute
la jeune noblesse la plus qualifiée, dit Pellisson, eût suivi en
foule, si le roi n'eût borné sa permission à un petit nombre de
ceux qui s'étaient présentés les premiers (5). »
L'enthousiasme public croissant toujours. Clément IX
redoubla ses supplications à tous les Etats catholiques, et
Tannée 4669 lui donna bientôt de meilleures espérances. Son
(1) Bigorre à LioDoe, 1" janvier 1669. Rome, 196.
'2, Voy. A. de Boislisle, Notices historiques sur ia place des Victoires et sur ia
place de Vendôme, dans les Mém. de la Soc. de VHist. de Paris, t. XV, 1888,
pp. 18-19.
(3) Édit. Moreau» chez Techener, 1861 : pp. 140 et suiv.
(4) Bibl. nat., mas. ilal. Dépôches des ambassadeurs TénlUens, 1668-1669,
filze 144 et 143.
(5) Bistoire de Uuis XIV, t. m, p. 97.
324 CHAPITRE CINQUIÈME
dessein était « de ramasser une armée de vingt mille hommes
de pied et mille chevaux, des forces des princes chrétiens,
pour faire, au printemps, descente en Candie et attaquer la
C?inée, et essayer avec ces troupes de chasser les Turcs de
nie (1. » Un nouvel ambassadeur de Venise, Jean Morosini,
était arrivé à la cour de France : toutes ses dépèches signaleat
à la reconnaissance de la Seigneurie le zèle infatigable du
nonce en faveur de ce projet do ligue (2) ; mais comment faire
marcher ensemble les Espagnols et les Français? La paix d'Aix-
la-Chapelle étant déjà troublée par les contestations sur les
dépendances , TEspagne demanda, pour envoyer ses galères à
Candie, que Louis XIV promit de ne point Tattaquer pen-
dant une année. Le roi de France refusait cette parole, allé-
guant de prétendus préparatifs de guerre dans les Pays-Bas (3).
Clément IX intervint encore. Enfin, le il janvier, Lionne
informa le cardinal-neveu de la résolution que venait de
prendre Louis XIV : « Monseigneur, disait-il, sur le dernier
bref de Sa Sainteté et sur les offices que M. le nonce a été
chargé de passer à son nom auprès du roi touchant le secours
de Candie, Sa Majesté a résolu que j^écrirais directement et
confidemment à Votre Éminence ses intentions pour les faire
savoir ànotre saint-père, sans s'en expliquer ici à M. le nonce,
ni à l'ambassadeur de la République, pour les raisons que je
déduirai plus bas dans cette lettre. J'aurai donc Thonneur de
lui dire que Sa Majesté, pour le bien de la chrétienté, mais
non moins sans doute pour complaire à notre saint-père
qu'elle sait ne souhaiter rien en ce monde si ardemment que
le salut de ce royaume-là, a résolu de faire toute la dépense
nécessaire pour composer un armement de quatorze vais-
seaux et de quinze galères, et de les entretenir pendant la cam-
pagne prochaine pour servir à transporter des troupes en
Candie et les en rapporter, et y agir même à la mer contre
les Turcs; qu'outre tout ce qui sera nécessaire pour fournir
les vaisseaux et galères de vivres, victuailles, munitions de
guerre et pour le paiement des soldats et matelots qui les
(1) BourlemoLit à Lionne, 4 décembre 1668. Home, 194.
(2) Filza 144.
(3) Jean Morosini, 8 janvier 166D. Fltza 144.
SECOURS DE CANDIE 325
devront monter, et qui seront au nombre qu'il faut pour pou-
voir combattre vigoureusement Tennemi, Sa Majesté fait état
de faire embarquer dessus d'autres troupes réglées, des meil-
leurs corps qu'elle ait, et en nombre suffisant pour pouvoir
débarquer dans la place de Candie quatre mille hommes ef-
fectifs, qui y serviront six mois entiers, s'il est nécessaire qu'ils
y demeurent tout ce temps-là^ et la solde des quatre mille
hommes courra toujours sur son compte, en sorte qu'ils ne
seront à charge en rien à la République, qui devra seulement
prendre le soin par avance de leur faire avoir des vivres pour
leur argent à prix raisonnable. Outre tout cela, pour rendre
plus utile à la République cet armement, qui pourra partir des
ports de Provence au premier jour d'avril, Sa Majesté fera em-
barquer dessîis cent milliers de poudre, trente milliers de
mèches, vingt milliers de plomb, dix mille sacs à terre, six
mille outils, vingt mille grenades, cinq cents mousquets, trois
cents pertuisanes et cinquante cuirasses à l'épreuve du mous-
quel. Les troupes qui devront débarquer seront commandées
par un lieutenant général des armées du roi, deux maréchaux
de camp, et deux brigadiers d'infanterie. Sa Majesté a jugé à
propos que tout l'armement se fasse sous le nom de Sa Sain-
teté, et cela pour trois raisons : la première, pour la plus
grande gloire de Sa Sainteté; la seconde, pour ôter autant
qu'il se pourra le prétexte aux Turcs de prendre occasion de
ce secours pour ruiner le commerce que ses sujets font en Le-
vant (i); et la troisième, afin que les Espagnols ne puissent
prendre sujet de l'envoi des galères du roi en Levant pour n'y
envoyer pas les leurs, sur la difficulté qu'ils feraient peut-
être, quoique très injustement, de donner ordre à leurs ga-
lères de céder le rang qui serait dû à celles de Sa Majesté, si
elles naviguaient à son étendard... Voilà le projet que fait le
roi et qu'il se promet devoir être d'autant plus agréable à Sa
Sainteté qu'il est certain que c'est principalement la considé-
ration de sa personne et de la gloire de son pontificat qui le
(1) L'ambassadeur de Venise écrivait, le 22 janvier 1669, à la Seigneurie
que le roi tenait au concours des autres États chrétiens dans la défense de
Candie, surtout « per non esporsi unicamente aUa colera e aUa vendetta dette
ottomane barlmrie. » (Fiiza 144.)
326 CHAPITRE CINOUIÈME
porte à faire de si graods eiïorls en toutes manières, et même
dans une conjoncture où il semble que les Espagnols n'ont
d'autre pensée et d'application qu'à lui jeter toute la chré-
tienté et même les protestants sur les bras (1)... » Lionne
passe ensuite aux garanties réclamées par les Espagnols, el
ses longues explications manquent de clarté : la cour de Ma-
drid eut été imprudente de s'y fier. Louis XIV le comprit cl
fit bientôt la promesse attendue (2).
Mais il ne voulut jamais revenir sur le refus de donner le
drapeau de la France à ses troupes de terre et de mer : il prit
soin d'éviter toutes les apparences d'une guerre formelle avec
la Porte, et ces réserves peu loyales eurent des conséquences
funestes pour le succès de l'expédition . Les instructions
données au duc de Beaufort, amiral de France, lui rappellent
avant tout « que Tarmée est destinée pour le secours de
Candie; que, Sa Majesté ne voulant pas déclarer ouvertement
la guerre au Grand Seigneur, elle a résolu qu'elle agirait sous
le nom du pape et prendrait l'étendard de Sa Sainteté, à quoi
le duc se doit conformer (3). » Le roi ne rompit pas ses rela-
tions diplomatiques avec la Turquie. Le chef de l'escadre du
Levant, M. d' Aimeras, reçut ordre de ne pas attaquer le pre-
mier^ et par suite la flotte musulmane eut la liberté de porter
des renforts aux assiégeants (4). Les calculs de Louis XIV
(1) Rome, 1%.
(2) Le roi au pape, 13 février 1669. ItUi. — - ... Nous déclarous par celtf'
leUre à V. S. que, pendant toute l'année présentement courante, qui ert ct>
que la reine a désiré, nouia entretiendrons inviolablement le traité de paix
signé à Aix-la-Chapelle, sans y contrevenir par aucune hostilité on vuie de
fait contre aucun des États, pays ou places de la domination de la couronne
d'Espagne pour quelque cause, occasion ou prétexte que ce puisse ètro, i'o
quelque endroit que lesdits pays ou places soient situés. Cest de quoi nooft
donnons a V. S. notre parole royale, sur laquelle elle pourra, si elle Ta agréable,
donner la sienne a la reino d'Espagne. »
(3; Archives de la Marine. Ordres du roi pour la Marine ^ 1669.
(4) Le 13 avril, le roi avertissait Beau fort que le Grand Seignear avait mandé
à Larisse ramb:îssHdeur français : « Quoique je sois persuadé, ajoutait-il, que
ce voyage n'a été résolu à la Porte que pour me donner satisfaction sur le
renouvellement des capitulations que j'ai fait ci-devant demander par mondil
ambassadeur, je suis bien aise de prendre les précautions nécessaires pour
empêcher, autant qu'il sera possible, que le secours que J'eavoîe en cûdii
ne donne quelque envie à la Porte d'arrêter mes vaisseaux. » Le mêmejov, ,
il ordonne à .M. d'Alméras de s'approcher secrètement du Ueu où Miml^P' ^
SECOURS DK CANDIF. 327
.'auraient pas échappé même a dos politiques moins clair-
oyants ot moins bien informés que le sénat de Venise. La
République n'ignorait pas, et nous le lisons dans les dépêches
le Jean Morosini comme dans celles de la Haye, que Tambas-
saJeur du roi à la Porte n'eut alors rien à craindre pour sa
sùroté personnelle, que jamais h» roi n'avait été plus considéré
en Orient, et que le Grand Seigneur venait do faire partir pour
la France un agent chargé d'une mission suspecte (1). Aussi
les Vénitiens, de leur côté, ne se faisaient pas scrupule d'en-
tretenir avec la Porte des relations secrètes qu'ils ne purent
cacher aux agents français. Jean Aforosini avertit fréquem-
ment la Seigneurie que les principaux personnages de la cour
lui adressent des questions embarrassantes à ce sujet. Le che-
valier de Grémoriville, ministre <lu roi à Vienne, l'informe
que Venise ne sollicite le secours des princes chrétiens que
pour se procurer des avantages particuliers, en faisant pi'ur
aux Turcs des puissances européennes (2).
La distribution des commandements ne permettait pas d'es-
pérer une bonne direction de Tenlreprise. Les trois généraux
français, entre lesquels était répartie la conduite des troupes
bassadeur, soit à ConstantiDople, soit à L'irisée, rie le faire embarquer aver
Mi fauiiUe el de revenir, u Vous devez observer, dit lu roi, que, si Taïubassa-
deur n'est poiut à Constauliiioplc lorsque vous incUroz ù la voile, vous du
d**vrez poiut faire couD.ittre que ce soit par aucuu motif de rupture entre
moi et le (irand Seigneur, mais seulement que, le retour de l'ambassa-
deur étant incertain, j'enverrai d'autres vaisseaux pour le prendre quand il
sera en état de partir. >• M. d'AIméras est informa en même tt>m[).s que, si le
Grand Seigneur veut empêcher son passage iuw Chdteniix (des Dardanelles),
Beaufort a reçu Tordre de l'assister de toutes ses forces. (Archives de la Ma-
rine, ifjifl.)
(1) Jean Morosini, 29 mai et 12 juin 1C69. Filzu 144. — La Haye au roi,
17 avril et 15 mai 1669. de Larissc : Le sultan envoie » un ambassadeur à V.
M. )'. et offre le renouvellement des capitulations. Il me retient « par un sen-
timent de vouloir toujours [vivre] en bonne intelligence avec V. M. >* Je reste
dnuc. — Je me félicite d'avoir obtenu IVnvoi de l'Hmbas>adeur turc. « Le
Gmud Seigneur aura recherché V. M. pour arbitre de la guerre de Candie. ••
Voici en quels termes équivoques Lionne s'exprimait, dans ses instructions
au marquis de Nointel, sur le retard mis par la Haye à rentrer en France :
m Soit qu'il crût de faire mieux le service de S. M., soit dans la vis»'>e de se
maintenir dans son emploi, il entra dans une négociation ou qui lui fut pro-
posée par le calmacan, ou peut-être que lui-mAme suggéra. » Louis XIV ne
rappela définitivement la Haye que le 12 juilhl 1670. (Turquie, 9 et 10.)
(Q Jeao Morosini, 15 et t9 mars et 5 juin 1GG9. f'i73(f 144.
328 CHAPITRE CtNOUlÈMK
royales de terre et de mer, ne s'entendirent ni entre eui ni
avec les assiégés. Le duc de Beaufort, qui avait spécialement
les vaisseaux sous ses ordres, (Commandait aussi aux galères
quand les deux flottes étaient réunies: mais leurs allures diffé-
rentes les tenaient souvent séparées, et le comte de Vivonne,
capitaine-général des galères, ne mettait aucun empressement
à rallier les vaisseaux. Le duc de Navailles, chef des troupes
de débarquement, effacé par Tamiral pendant la traversée, ne
devait plus dépendre de lui quand il serait à terre, et Beaufort,
au contraire, était obligé de demeurer avec la flotte à sa vue
et à disposition. Les attributions de ces deux oFficiers avaient
été d'abord exactement définies. Les lettres de service de
Beaufort portent que a la seule intention de Sa Majesté, pour
remploi de sou armée navale pendant la présente campagne,
étant le secours de Candie, Sa Majesté veut aussi que le duc
règle toute sa conduite à bien faire réussir cette importante
entreprise. » En conséquence, il doit conserver les vaisseaux
près du rivage pour recevoir et embarquer les troupes de terre,
« soit en cas que les Turcs soient chassés et que le siège soit
levé et la place en sûreté, soit en cas d'accident contraire ou
que la place soit prise par composition ou par force (1). » Et
Colbert, dans une lettre séparée, avait ajouté (2) : « En cas que
la nécessité ou les diverses actions de guerre qui se présente-
ront ou pourront être exécutées contre les Turcs assiégeants
obligent à commander un corps composé des équipages des
vaisseaux et des galères. Sa Majesté n'estime pas que vous
puissiez ni deviez mettre pied à terre, tant pour éviter toute
sorte de contestation dans le commandement, que parce que
votre personne est absolument nécessaire et ne peut pas aban-
donner les vaisseaux. » Le roi voulait en outre que l'officier à
qui Tamiral confierait ce commandement obéît au duc de Na-
vailles. Ce rôle ne suffît pas à l'ambition de Beaufort. Il se
plaignit au roi d'être ainsi condamné d'avance « à garder les
manteaux » pendant que les autres combattraient : il témoigna,
en termes chaleureux et certainement sincères, son désir de
(1) 30 mars 1669. Ordres du roi pour la Marine, 1669.
(2) 26 avril 1669. Ibid.
SECOURS DE CANDIE 329
ne pas perdre celte « occasion de s*iiiustrer (1 ) » ; et Louis XJV
lui donna l'autorisation « de mettre pied à terre et de comman-
der le détachement qui pourrait être fait des troupes des vais-
seaux et galftres pour le secours de Candie (2). » Vainement
le roi lui imposait la condition de se concerter avec Rospigliosi
et Navailles, et de ne quitter les vaisseaux que « pendant le
temps de l'action ». L'événement démontra bientôt l'impru-
dence de ces ordres contradictoires.
Le règlement des rangs entre les Français et les autres auxi-
liaires de Venise tint en éveil toutes les susceptibilités de
Louis XIV, et consuma des jours précieux. Le roi cachait son
drapeau pour ne pas encourir le ressentiment du Grand Sei-
gneur; mais en même temps il était humilié d'abriter ses
troupes sous les couleurs pontificales. Pour satisfaire la vanité
gallicane, il exigea que le bailli Rospigliosi, neveu du pape,
généralissime (3)^ arborât, non pas la bannière de TÉgliso ro-
maine, avec les clefs etles images des saints Pierre et Paul, mais
un étendard rappelant seulement la chrétienté et ne portant
qu'un crucifix (4). Le 27 février, Lionne informa le cardinal
Rospigliosi que la France voulait bien ne pas insister sur
(1) Jal, Abraham du Quesne, t. !•', pp. 569 et suiv,
(2) 17 mai 1669. Ordres du roi pour la Marine, 1669.
(3) Louis XIV teuta même d'abord de faire donner ce commandement k un
Français, ce qui aurait blessé ou peut-être écarté les auxiliaires étrangers, ce
général eût-il été d'une habileté et d'une réputation incontestées; mais le roi
avait proposé le cardinal de Vendôme. «... H était tombé dans Tesprit de S. M.^
écrivit Lionne au cardinal Rospigliosi le 18 janvier (Romey 196), une pensée
qui pourrait peut-être concilier toutes choses, qui serait que S. S. donnât sa
commission de commander toutes les armées auxiliaires à M. le cardinal de
Vendôme, avec lequel M. son frère s*accommoderait aisément. Les Espagnols
n'auraient, ce semble, rien à dire sur le commandement d'un cardinal. Je ne
sais même si, pour un emploi de cette nature, on ne pourrait pas lui donner
le caractère de légat qui Tautoriserait davantage et ferait plus de bruit dans
le Levant: et cette qualité ne Tempècherait pas de descendre dans la place et
d'y faire toutes les fonctions d'un bon capitaine avec le courage et l'expérience
qu'il a acquise dans le commandement des armées. S. M. soumet toutes ces
pensées au sublime jugement de S. B., n'ayant même aucune connaissance
de la manière dont ont accoutumé de se passer les choses en Candie entre
les armées auxUiaires, quand elles appartiennent à divers potentats, ni entre
lesdites armées et celles de la République. » 11 ne fut donné aiiruue suite k
rétrange proposition du roi.
(4) Jean Morosini, 22 janvier 1669. Filza 144.
.'{30 ŒAPlTmE
r*:X'r;iJi»I- d»- Lapant»/, ou don Marc -Antoine Colonna, général
A'r rK:^iise. oh*fit à don Juan d'Autriche, qui n'était pas de
plus grande naîs^^inr.; .:i:.- B»?iuf.Tt. ce dernier étant de plus
amiral d^ France f : le roi ordonnait au duc, commandaDt
de s'-s vaisseaux et «ral^^ros. de • reconnaître comme supérieur
le général de Sa Sainteté, pourvu que Tétendard qu'il porterait
fûl celui de l'Église, c'est-à-dire le crucifix. Sa Majesté dési-
rait aussi que ses galères et vaisseaux qui porteraient Télen-
dard du pape eussent, en toutes rencontres et occasions,
quelles qu'elles pussi/nt èlre, le rang: et la préséance sur celles
d^Kftpagne. quelque étendard que portassent celles-ci, ou de
Sa Sainteté ou le leur jiropre ;... et cela, Sa Majesté le mettait
si indispensable que M. de Beaufort aurait ordre, ou de se re-
tirer s'il y rencontrait la moindre difficulté, ou de forcer les
Kspagnols de faire ce qui est de la raison, auquel cas elle ne
doul;iit pas que le général du pape n'embrassât aussi son
parti {'2j, •> Le pape y consentit aussitôt. Comment réponJit-
oriîï sa complaisance? Quand les galères françaises arrivèrent
au rendez-vous de Zante. où Rospigliosi les attendait, le comte
(II* Vivonne, approchant du mouillage, prétendit que le bailli
vint au devant de lui avec Tétendard déployé du crucifix. Le
^'^énéral de TKglise s'était excusé d'abord « sur ce que le cru-
ridx ne doit jamais aller au devant d'aucun étendard, ni même
celui du pape qui lui est inférieur, ainsi qu'il pourrait savoir
de beaucoup de personm's, de MM, les Espagnols et de MM. de
Vrnisr, avrc lescjuels il s'était trouvé Tannée dernière et au
devant desrjuels il n'alla pas. M. de Vivonne, ir étant pas sa-
tisfait de cette excuse, lui dépêcha de nouveau pour lui dire
(I) Il y avait ijinîlquc lém^*rilé à riij»pel«^r la bataille de Lt'pante, où la Franc»'
ne fi^Mirait {>art parmi Icit chrûliciis, Chnrie? IX ctaut alors, au contraire, Talliè
du sultan. Si Colonna ronsontit à rocevoir les ordres de don Juan, il montra
une condoscondance que Louis XIV uni bien fait d'imiter; d'ailleurs le géné-
ral ])ontitical n'avait fias cach^soii drapeau comme fit Beaufort, mais ille dé-
ploya à r<M6 des »';h'ndardî* de V<*nisc et de l'Espagne
{'2) <« iNeir aftliicnza de' soccorsi rh' io spero e desidero incessantameute da
niiiù parte alla Si^uoria Vostra, puô accadere il solito sconcerto pregiudicia-
lissimo didia divi.tione de' raj)! di taute nazioui per l'honore del commando.
Si puô crudere baatante a toglicre ogni amarezza la concessione che si facesse
dal Poutiflcio del staudardo del Crocifisso... » (Jean MorosinI, 12 février 1669.
FUza 144. — Home, 196.)
SECOURS DE CANDIE 331
que Sa Majesté souhaitait que cela fût, et que le crucifix vint
au devant de sa galère. Alors M. le bailli, pour sa décharge
auprès du pape et du sacré collège et pour marquer sa sou-
mission à la volonté du roi, lui fit répondre qu'il lui suffirait
d'obéir à Sa Majesté, mais qu'il le priait de lui donner sa vo-
lonté par écrit, ce qui étant fait, il lui envoya Télendardpour
le recevoir. » L'agent français, auteur de ce récit, ajoute que
Rospigliosi fît cette concession « pour ne point porter de pré-
judice à une expédition aussi importante que celle de Candie. )>
Vîvonne eut encore pour le généralissime d'autres procédés qui
paraissent à peine croyables dans un siècle si renommé pour
sa politesse, et que le bailli souffrit avec une dignité parfaite(l).
Le frère de M"' de Montespan, le gros crevé, se croyait tout
permis, et il en fut quitte pour un simulacre de réprimande.
Louis XIV lui écrivit (2) : « Notre saint-père le pape s'étant
plaint à moi par son nonce,... je me suis expliqué, tant audit
nonce qu'à Sa Béatitude à Rome, qu'à l'égard de l'envoi de
toutes les galères au devant de vous, même de celle qui por-
tait Tétendard du crucifix, je ne pouvais approuver que vous
eussiez désiré une civilité si extraordinaire; et, quoique je
fusse bien aise d'en apprendre la vérité par vous-même, je ne
laisserais pas de vous faire savoir mes sentiments sur ce
point (3). » Cette arrogance envers le crucifix contraste péni-
(1) Bonfilfl à Lionne, 23 juillet 1669. Home, 199.
(2) 21 août 1669 : Ordres du roi pour la Marine, 1669.
(3) L'abbé Servieot raconte que le pape et la cour de Rome furent vive-
lueut affligés de ces procédés, mais que personne ne voulut en faire du bruit :
H En vérité, M. de Vivoune ne peut pas trop se tirer d'affaire à moins qu'il
n'ait un ordre préûx;... car, s'il commande comme général du pape, disent-ils^
c'est à tort qu'il prétend que le généralissime le vienne rencontrer... Si en-
suite il est vrai, comme ils l'avancent, qu'après avoir demandé de la neige à
M. le builli, il la lui ait renvoyée à cause de ce différend, disant qu'il ne vou-
lait rien de lui et que de véritables soldats n'avaient pas besoin de ces dé-
lices; et que M. le bailli ait répondu sans se f&cber que, si c'était l'intention
du roi que le général des galères fût ainsi traité, il le ferait volontiers, et
que, pour ne pas déconcerter une si grande affaire, il lui donnerait même le
commandement général; et que, d'abord qu'il a vu que M. de Vivonne s'en-
gageait par un billet à dire que c'était la volonté du roi, il ait cédé, on peut
dire qu'il a fait au delà de ce qu'on en devait attendre et que M . de Vivonne
n'a pas soutenu ce qu'il avait si bien commencé & Cività-Vecchin. Le pape a
le billet de M. de Vivonne, où le nom du roi est, dit-on, mêlé; il y a plusieurs
rolaUons de toute cette conduite, et ron a vu une lettre de ScariaU [un des
332 CHAPITRE aNQUlÈME
blement avec les humbles ménagemeDts observés, à la même
heure, envers l'étendard de Mahomet, Voici les ÎDstructions
récemment données par le roi au chef de l'escadre du Levant:
« M. d'Alméras ne devait pendant son voyage porter aucuDe
marque de commandement dans les mers du Levant, pour
éviter les difficultés des saluts en cas de rencontre avec les
vaisseaux du Grand Seigneur (1). »
On ne s'étonnera pas que les peuples, qui désiraient secou-
rir les Vénitiens, eussent peu de goût pour la compagnie des
Français. Les Espagnols en particulier, si maltraités dans les
campagnes de Flandre et de Franche-Comté, ne pouvaient vé-
ritablement pas fournir un secours considérable à Candie : la
régence de la reine-mère traversait une crise menaçante, cl
les troubles domestiques ne permettaient pas de rétablir les
finances épuisées, ni de reconstituer les armées et les flotte>
à peu près détruites dans les défaites antérieures. Louis XIV
cependant dénonçait au pape Tinaction de la cour de Madrid (2)
comme une marque d'ingratitude criminelle, et ne cherchait
que des occasions de conflit. Il se plaignit bruyamment de la
défense mise par le gouverneur de Bruxelles au passage d'un
bateau de charbon destiné à la France : c'était un attentat contre
le repos de TEurope! Par son ordre, Lionne invita le nonce (3j
à en informer sans relard le souverain pontife, dépositaire de
la promesse de ne point attaquer TEspagne, et à lui dire qu'il
allait exercer des représailles. Lionne promettait « une bonne
étrcnne(i) » à qui lui apporterait le premier la nouvelle de
véritables hostilités. Les Espagnols s'excusèrent à Rome de
ne pas se joindre aux Français sur Timpossibilité de vivre en
borme intelligence avec eux, et Ton ne peut les en blâmer.
L'agent français qui les raillait comme ayant eu honte de n'en-
voyer « qu'un secours délabré et chélif ))(S), manquait à la
familier.^ de l'ambassade française] gtii taxe M, de VUvonne de superbe^ dt
vain et d'emporté^ en propres termes. » (Servient à Lionne, 27 juUiet 166S:
Horne, 199.)
(1) Jal, Abraham Du Quesne, t. I«^ p. 532.
(2) Lionne à Rospigliosi, 22 mars 1669. Rome, 197.
(3) 24 mai 1669. Rome, 198.
(4) Lionne à Bourlemont, 21 juin, 1669. Rome, 198.
(5) Bourlemont à Lionne, 4 juin 1669. Home, 198.
I
SECOURS DE CANDIE 333
fois de jastice et de générosité. La France ne sut pas mieux
se concerter avec la Bavière, ni avec les pelits princes d'Italie
qui envoyèrent, Tune deux mille Allemands, et les autres, un
nombre à peu près égal dltaliens : dédaignés ou écartés par
la présomption des Français, ces auxiliaires furent absolument
inutiles.
Cette politique équivoque de Louis XIV, ces procédés hau-
tains envers les autres membres de la ligue chrétienne retar-
dèrent les préparatifs. Lionne avait annoncé au pape, le i 1 jan-
vier, que l'expédition partirait « au premier jour d'avril »•
Beaufort quitta Paris le 24 février seulement, et, le 31 mai,
Colberl lui écrivait encore que le roi attendait avec impatience
la nouvelle de l'appareillage (i). Il est vrai que Teffectif^
avait été porté de quatre à six mille hommes (2), mais rien ne
pouvait réparer ce temps perdu pour les assiégés, et si bien
employé par les Turcs. Sa décision une fois prise, Louis XIV
s'appliqua du moins à mettre sous les ordres de trois chefs
médiocres des officiers et des soldats choisis avec le plus grand
soin dans la foule immense de volontaires qui s'offraient de
toutes parts. L*approvisionnement des troupes, si important
dans une pareille campagne, avait été confié au célèbre muni-
tionnaire Jacquier (3), qui avait rendu tant de services dans
les guerres précédentes. Chacun se rendit avec empressement
à son corps dans le délai fixé, et il n*y eut pas un seul déser-
teur. Lionne lui-môme était ému lorsqu'il annonçait à Rome
le départ prochain de l'armée, et qu'il décrivait la joie, Pen-
thousiasme « inimaginable » des soldats et des matelots (4).
(1) Ordres du roi pour la Marine,
(2) Lionne à Rospigiiosi, 26 février 1669. Rome, 196.
(3) « Qu*on me donne, disait Turenne, Chamlay, Jacquier, Saint-Hilaire et
trente mille hommes de vieilles troupes ; il n'y a point de puissance que je
ne force à se soumettre. Jacquier était unique pour les vivres, Saint-Hilaire
]>our I*artillerie, Chamlay pour les campements. » (Mémoires du chanoine le
Gendre, p. 136. — V. aussi Roussel, Histoire deLouvois^t. !•', p. 250 et 259.)
(4) Lionne à Bourlemout, 21 juin 1669. Rome, 198. — « Ce fut, dit C. Rous-
90t d'après les pièces des Archives de la Guerre, à qui solliciterait de faire
parUe de l'expédition. Le nombre des candidats écunduits surpassa de beau-
coup celui des élus. » (Histoire deLouvois, t. l•^ p. 258.) —L'ambassadeur de
Venise rend compte À la Seigneurie d'une conférence avec les ministres Lionne
et te Tellier, « chi disse che la pronta volontà, dimostrata da soldait nelV m-
334 CHAPITRE CINQUIÈME
Vivonne et les galères avaient quitté les côtes de Provence,
le 21 mai(l); Bcaufort et les vaisseaux mirent à la voile le
3 juin (2). En passant à Gività-Vecchia, les Français reçurenl
les meilleurs traitements des officiers pontificaux, et le pape
fut charmé de tout de ce qu'on lui raconta de la beauté des
troupes, de leur discipline et des marques de piété qu^elles
donnèrent dans les églises (3). Il écrivit aussitôt de sa main à
traprendre la mossa presenlfi^ riese testimoiiio infallihiU délia toro otlima iu-
•lenlione di persevtfrare e di riuscire di prof fit to alla publica casa : vedenenf
pattnli rjCe/fclti nella regoiala marchia, sinora praticala, de/le imppe mede-
sime^ cfte avanzale digia in poca di/ttanza dal luoyo deW imbarco non re$tan»^
pur di un solda to minorate^ non accadute deserzioni, ogn*uno vedendosi infiopi-
mato perdiffesa cosi importante. » (Jeaa Morosini, 10 avril 1669. Filza 114.) —
La correspoadnnce d(* Bussy-Uabutin (édit. Lalauoe) reaferme plnaieurs let-
tres fort iotéressantes d'un officier, M. de la ProTeochère, mouté sur an de^
▼aisseaux de Beuuforl : eu voici une qui mérite d'être citée^ même après le^
pièces inédites qu'un vient de lire : « Toulon, 27 mai 1669... Noua sommei
sur le point de mettre à la voile ; toutes les choses nécessaires pour le voyage
de Candie sont arrivées, après les avoir si longtemps attendaes. M. de Vivonoe
partit de ce port avec les galères, il y a huit jours; mais, la nuit saivante du
jour qu'il commença sa route, il s'éleva un veut si fâcheux qu'il fut obligé de
relâcher vers les lies d'IIyèrcs... Ce qui a retardé le départ, c'est que les vi-
vres n'étaient pas arrivés, bien que Jacquier, depuis un mois qu'il est ici, n'ait
pas eu un faraud repos. Les derniers vaisseaux destinés pour les victuailie^
sont entrés ce matin dans eu port... Lan ne peut pas prendre plus de précautions
pour une affaire (jue celles que nous voyons prendre pour celle-ci. Vous cod-
naissez le général dont le mérite satisfait fort les troup<*s. L'on dit qu'il y a
bien de l'argent et des ordres pour le distribuer très honnêtement à c^uxqoi
serviront bien. L'on donnera lu subsistance aux officiers et soldats sur la terre
comme sur la mer; il y en a pour huit moia. M. de la Croix, intendant, est
un très honnête homme et fait mille offres aux officiers. Il faut que je vous
dise. Monsieur, que Ton ne peut voir un plus beau vaisseau que celui que
montera M. Tamiral [le Monarque, premier capitaine M. Forant, et second capi-
taine, le chevalier de la Fayette). Il est percé pour quatre-vingts canons, et
est enrichi par sa dorure et ses figures de sculpture de la valeur de cent mille
écus. C'est ici sa première sortie .. L'armée est composée de six à sept mille
hommes pour le moins... Les quatre pavillons de l'amiral sont d'une grandeur
extraordinaire : ils ont été faits sur le modèle de celui que Sa Sainteté envoya
à M. l'amiral, qui est au fond de damas rouge cramoisi, avec ses armes sou-
tenues de saint Pierre et do suint Paul. Ces pavillons sont si grands qu'il y a
pour cinq mille franco de damas. La peinture coûte ici cent pistoles, et il y a
autour du grand pavillon une frange d'or qui en coûte deux cents : il n'y a
rien de si grand que cet appareil. » (T. 1", p. 169.)
(1) Lionne à Bourlcmont, 7 juin 1669. Rome, 198.
(2) Le même au même, 21 juin 1669. Ibid,
(3) Bourlemont à Lionne, 18 juin 1669. Ibid.
SECOURS DE C4N0IE 335
Louis XIV, lui prodiguant, avec les témoignages touchants de
sa joie, ses vœux et ses bénédictions.
Si du moins ce petit corps de six à sept mille Français avait
eu des chefs habiles et prudents, il aurait pu prolonger la lutte
pendant toute l'année 1669, et donner le temps à Clément IX
de former cette ligue imposante dont il poursuivait toujours
le dessein. Le pape désirait qu'avant le débarquement les alliés
concertassent un plan d'action avec le capitaine-général Mo-
rosini, à qui ses grands talents et son expérience de cette guerre
auraient dû assurer une autorité décisive. C'est après l'avoir
consulté que le cardinal Rospigliosi d'abord, et ensuite le pape,
dans une lettre autographe (1), avaient pressé Louis XIV de
prescrire une descente à la Canée, mal défendue parles Turcs,
et d'intercepter les renforts envoyés aux assiégeants : cette
diversion aurait en outre procuré aux assiégés le répit dont
ils avaient besoin pour rebâtir une partie do leurs murailles
et se préparer à d'autres assauts. Le roi fît simplement répondre
que l'attaque de la Canée était d'une exécution difficile, mais
quïl en avait conféré avec le duc de Navailles, et que celui-ci
aviserait lorsqu'il serait sur les lieux (2). Or, Navailles avait
pris son parti avant de quitter les côtes de France; il fit mettre
le cap, non sur la Canée, mais sur la place assiégée, et c'est
là qu'il descendit, sans même laisser aux galères le temps de
rejoindre les vaisseaux.
Nous n*avons pas à raconter en détail cotte malheureuse
campagne : Pellisson, Daru et C. Rousset no laissent
presque rien à dire sur les opérations militaires des Français.
Il nous suffira de rappeler que les vaisseaux arrivèrent en
vue de Candie le 19 juin, et qu'à peine Navailles fut-il entré
en rapport avec Morosini, qu*il sembla prendre à lâche de com-
battre tous les projets du général vénitien. Les Français ayant
décidé de se jeter dans la ville, les Vénitiens leur conseil-
Ci) Le cardinal Hospigliosi à Lionne» 19 mars 1669. — Le pape au roi, 22 mar^.
Home, 197. « Ben conoscendosi, dit le pape, dalia sua real prudenza che la
félicita deir evenlo dipende dai preoenire ed impedire i soccorsi aspellali dal
campo nemico, » Et il ajouta, d'après le conseil de Morosiui, qu'eu se portant
rapidement sur la Canée, on s'en) parerait de la clef de Plie.
(2) Lionne au cardinal Rospigliosi, 26 avril 1669. Rome, 197.
336 CHAPITRE CINQUIÈME
laient sagement de ne tenter une action qu'après s^ètre fami-
liarisés avec un pays, un ennemi et des dangers inconnus. Na-
vailles, débarqué le 22 juin, exigea une sortie générale pour
le lendemain, croyant que tout céderait devant lui, et que les
Turcs allaient aussitôt lever le siège. II évitait ainsi d'être
commandé par Rospigliosi, et ne partagerait avec personne la
gloire de la délivrance (i ) . Les vaisseaux, favorisés parles vents,
avcdent devancé les galères, qui ne parurent que dans les pre-
miers jours du mois de juillet : comme elles portaient envi-
ron trois mille hommes de troupes de marine^ dont deux mille
Français, Morosini voulait qu'on ajouruât la sortie : Navailles
consentit avec peine à la différer jusqu'au 25 juin, et il ne sut
même pas choisir un moment où l'état de la mer eût permis
à l'artillerie des vaisseaux de prendre part à Faction. Les
Français commencèrent par tirer sur des Allemands auxiliaires
qu'ils ne reconnaissaient pas. Lorsqu'ils arrivèrent sur les
tranchées^ ils montrèrent leur bravoure et leur furie accou-
tumée; mais leur succès ne dura qu^un instant. La solidité
des Turcs les étonna; l'explosion des poudres d'une batterie
ennemie suffit pour les mettre en désordre. Nos soldats,
w nouveaux en cette guerre de Candie, mais remplis de tout
ce que la renommée en répandait en France, ou en exagérait
sur les lieux )> (2), furent saisis d'une terreur panique, et leur
déroute fut bientôt complète. Par surcroît de témérité, le duc
de Beaufort usa, contre Tavis de iNavailles, de la liberté qu il
avait reçue de descendre avec les troupes de marine. 11 mar-
cha au feu avec une ardeur chevaleresque, mais sans regarder
(1) « M. de Navailles, par un faux zèle de religion, ou par une avidité d't-
voir seul la gloire d'avoir levé le siège à propos, ayant précipité Tattaque des
tranclièes des Turcs... » (Note de M. Rose, secrétaire du cabinet : CEuvres de
Louis XIV, t. V, p. 451.)
(2) Pellissou, t. m, p. 155. — La fin précipitée de la campagne de Hongrie,
en 1664, et la faute commise par Louis XIV en réduisant l'Empereur à con-
dure la paix de Temeswar, avaient eu, sous tous les rapports, des cons^
quences regrettables. Il résulte des dcpôcbes comme des Mémoires de Colignj
que son corps d'armée, si bien recruté cependant, aurait eu besoin de rester
plus longtemps eu face des Turcs, pour étudier leur tactique et leur straté-
gie. Dès que ses troupes reconnurent Tarmée musulmane, il fut frappé da
trouble où aa seule vue les jetait. Il écrivit à Louvois : « Je trouve à notre
infanterie une fort grande estime pour les Turcs, et peut-être plus grande
SECOURS DE CANDIE 337
s'il était suivi. M. de Martel (1) écrivit à Colbert : « M. de Beau-
fort, qui était fort avancé sans être appuyé, y est demeuré sans
que Ton ait pu savoir de quoi il était devenu, et son malheur est
arrivé par sa précipitation, et qu*il n'a pas été suivi des siens,
qui Tout abandonné. Et comme je vous écris fort à la hâte, je ne
puis vous faire le détail de cette malheureuse sortie, sinon que
toutes les troupes ont très mal fait, sans en excepter aucune (2). »
a Dans cet état de trouble, dit une autre relation, Msrr l'amiral
commanda ses aides de camp de porter Tordre pour rétablir
les choses. Les officiers se mirent en devoir de lui obéir. Son
Altesse même cria : Saint Louis, mot de ralliement, et dit : A
moi, mes enfants, je suis votre amiral; ralliez-vous près de moi!
Mais la confusion fut telle qu*il fut impossible d'en venir à bout.
Ne pouvant réussir en un endroit, il se porta en d'autres pour
la même chose et trouva partout le même mal. Ne pouvant
encore se résoudre à se retirer, il envoya en divers lieux les
qu'il ne conviendrait pour leur conserTation. » Il fallut recourir aux plus ter-
ribles séTérités de la loi militaire pour arrêter les désertions. « Je trouve, di-
sait-il un antre jour, les officiers un peu mélancoliques et chagrins. » — « Vous
ne sauriez, répondait Louvois, rien faire de plus utile au service de S. M. et
an bien de la cause commune que d*ôter de l'esprit des officiers, cavaliers et
soldats, la terreur qu'il semble qu'ils avaient des Turcs. Ils ne sont pas plus
à craindre que d'antres hommes. » Et, après que la petite armée chrétienne
eut remporté une victoire longtemps incertaine, Coligny écrivit au ministre
le TeUier : « Je voudrais bien qu'on nous laissât aguerrir encore une couple
(Tannéeij'AÛaf après cela, de ne trouver jamais d'ennemis devant nous que
nous n'exterminassions ; car qui bat le Turc en peut bien battre d'autres, et
qaand ce ne serait qu'on accoutume la vue à une effroyable multitude et que les
armôes chrétiennes ne nous paraîtront plus que des partis envoyés à la guerre. >»
Au moment où cette dépêche parvenait au roi, et comme pour en démontrer
rexactitude, échouait misérablement l'expédilion de Gigeri sur la côte barba-
resqae, où Louis XIV, à l'instigation de Colbert, avait voulu fonder un éta-
blissement français. La descente s'était heureusement opérée, et Louis XIV en
avait informé Coligny en toute hâte, pour rendre la confiance à ses troupes :
u Je vous donne nouvelle, disait-il, que M. de Beaufort a fait sa descente à
Gigeri, dont il s'est rendu maître après quelque combat; je crois que ce bon
succès ne fera pas un mauvais effet parmi les troupes que vous commandez,
puisquHi confirme que les Turcs sont faits comme d'autres hommes. » Mais bien-
tôt les difficultés d'un nouveau genre de guerre découragèrent les soldats, et
commencèrent le désastre, qui fut achevé par les divisions des chefs. (Rousset,
Histoire de Louvois, t. !•% p. 44 à 65. — Œuvres de Louis XJV,i, V, p. 210.)
(1) Lieutenant général des armées du roi, remplissant les fonctions de vice-
amiral.
(2) 4 Juillet 1669. Archives de la Marine^ 1669.
Locn XIV rr li f»A«NT-»rè(»B. — H. 22
338 CHAPITRE a5C*C1ÈXE
officiers qui étaient près de lui, pensant, toujours par soi
exemple et par ses ordres, remettre le cœur aux fuyards ; mais
l'épouvante fut si universelle et si extraordinaire que ses efforts
furent vains. On plia de toute part en même temps (i). » Aucoa
autre récit, à notre connaissance du moius, ne rapporte le cri de
ralliement poussé par Beaufort dans son dernier combat. Des
historiens ont choisi ce moment pour le traiter d'areii/tfrt^/ (3).
Quelles qu'aient été les fautes de sa vie, n'oublions pas qa'il
est mort en combattant pour la chrétienté, et en invoquant le
nom du saint roi dont le sang coulait dans ses veines : qne
ce grand nom protège sa mémoire!
Quelques jours avant ce désastre, Louis XIV donnant au-
dience à Jean Morosini, lui disait sorridendo : « Monsieur
l'ambassadeur, je vous ajourne à bientôt pour venir m^annon-
cer, avec un visage joyeux et riant, Theureuse nouvelle d*une
grande victoire remportée sur les Turcs par Tarmée chrétienne;
et je vous assure que ni vous, ni la République, ne vous en
réjouirez plus que moi-même, non seulement pour la gloire
qu'auront acquise mes armes, mais pour l'avantage qaen
recueillera toute la chrétienté et en particulier la république
de Venise (3). » La première fois que Lionne revit ce ministre,
il lui dit coTi amarezza : « Je suis obligé de vous dire réellement
que les troupes de Sa Majesté n'ont pas répondu à son attente,
ne se sont pas conduites avec leur courage accoutumé, en un
mot, pour parler sans phrase, n'ont rien fait qui vaille (4). » Le
roi lui tint le même langage ; et à sa demande d'autres renforts
il répondit qu'il comptait que Candie tiendrait jusqu'au prin-
temps; que Navaillcs reviendrait sans doute prendre ses quar-
tiers d'hiver en France, selon la coutume de la nation, mais
qu'on allait se préparer à quelque chose de plus considérable et
de plus efficace pour la campagne suivante (5).
(1) Archives de la Marine, ibid.
(2) Henri Martin, Histoire de France^ t. XIII, p. 363. — Noas regrettons qoe
C. IlouBset tienne le môme langage que H. Martin : « Le duc de Beaufort
avait voulu combattre en aventurier; il périt en aventurier » (p. 263).
(3) Jean Morosini, 12 juin 1669. Fdza 144.
(4) Le même, 29 août 1669. — Ibid, u... In sommo, per dirlo senza fraie,
non hanno operato niente che vagli. »
(5) « M'averto precisameute che se le ^egoziati délia pace non si stabilisconoi
SECOURS DE CâNDIË 339
Le pape, informé de révéaement avant le roi, avait versé
des larmes (1). Louis XIV voulut le rassurer sans retard
sur ses dispositions : il commençait à comprendre qu'il n'a-
vait pas mesuré toutes les difficultés de Tentreprise. Lionne
écrivit au cardinal Rospigliosi : « Il faut se tourner du côté
de Dieu et de notre saint-père, en considérant qu'ils ont
sacrifié leur vie pour la défense de la foi et sous les étendards
de Sa Sainteté, pour trouver quelque matière de consolation...
Le roi néanmoins, ayant toujours en vue la considération
de Sa Béatitude et ses plus ardents désirs, ne relâche rien
de sa première Ferveur à sauver ce boulevard de la chré-
tienté, soit en continuant à sacrifier^ s'il en est besoin, le
reste de son armée, soit, quand elle-même sera toute périe,
en songeant dès à présent à lui substituer d'autres troupes
et un nouveau chef au commencement de Thivcr, ainsi que
Votre Eminence le pourra plus particulièrement apprendre
des lettres de M. le nonce. » Le même ministre invita Bourle-
mont à instruire le pape des préparatifs comntencés (2) : « Le
roi, disait-il, ayant su la disposition où était M. le maréchal
de Bellefonds d'offrir de nouveau au pape sa personne et son
service pour aller commander en Candie les troupes que Sa
Sainteté pourrait résoudre d'y envoyer, au commencement de
rhiver, pour être substituées au corps que commande M. le
M. le duc de Navailles quand il s'en reviendra, suivant la pro-
messe que Sa Majesté fit à tous les officiers de les retirer en
ce temps-là, lorsqu'il fut question de les engager à cette ex-
pédition, Sa Majesté a non seulement agréé et loué cet effet
du zèle du maréchal et trouvé bon qu'il en fit la proposition
à M. le nonce, lequel en aura donné part à Rome; mais
elle s'est déclarée qu'elle voulait épargner à Sa Sainteté
et au saint-siège la plus grande partie de cette dépense, et la
peine et l'incommodité d'avoir à fournir tout le nouveau corps
de troupes qui devra été envoyé, Sa Majesté ayant résolu et
e che la piaxza reâistl (corne spera) fino al primo tempo, 8i disporra la Maestà
Sua di fare cosa più considerabile e di peso maggiorc Tanoo veniente. »
(1) Il pleura c comme un enfant», écrivait l'abbé de Bonfils à Lionne, 9 août
iM9. Rome, 199.
(2) 20, 30 et 31 août. R(me, 199.
340 CHAPITRE CniQUlÈME
déjà ordonaé une levée de quinze cents hommes effectifs dans
son royaume, qui se fait à ses dépens, et qu*elle fait état de
payer et d'entretenir pendant six mois; dont ledit sieur nonce
et M. l'ambassadeur de Venise lui ont témoigné que le pape
et la République lui auraient une extrême satisfaction^ et que
c*élait la meilleure nouvelle qu*ils pussent écrire à leurs mû-
très. »
Pourquoi Louis XIY n'avait-il pas réuni tous ces petits corps
en une puissante armée sous la conduite de Turenne ou de
ses meilleurs lieutenants? Mais son zèle, quoique tardif^ pa-
rait avoir été sincère : dès le 7 août, avant de connaître la
perte de Beauforl, il avait prescrit au chevalier de Valbelle de
partir, à la tète d'une escadre, « pour fortifier, disait-il, mon
armée navale qui est à présent en Candie, y porter des muni-
tions de guerre et rafraîchissements, et faire en même temps
la guerre aux corsaires d'Alger, Tunis et Tripoli (1). » Au
premier avis de la mort de Tamiral, il pressa Valbelle de re-
joindre Vivonne, qui avait pris le commandement; et, pres-
crivant à ce dernier de ne faire revenir ses galères qu'avec
celles du pape pour rhivernage, il lui annonça Tonvoi d'une
seconde escadre de ravitaillement, qui serait prèle au com-
mencement d'octobre, sous les ordres du capitaine d' Aimeras:
les vaisseaux, qui portaient déjà des vivres pour subsister
jusqu'au 15 novembre, allaient en recevoir un mois de plus,
en argent; et la dépêche royale se terminait par ces paroles
qui n'expriment nullement la pensée que la campagne touche
à sa fin : Donnez mes troupes de marine, quand le duc de
Navailles les demandera, mais ne descendez pas à terre, « vou-
lant que vous vous appliquiez uniquement, comme je suis as-
suré que vous aurez fait, à faire sentir aux Turcs la force de
mes vaisseaux et de mes galères jointes ensemble par le feu
de mon artillerie; espérant que vous les aurez obligés d'aban-
donner leur tranchées, et qu'avec l'assistance divine et la jus-
(!) Commission du chevalier de ValbeUe, 7 août 1669. — Môme jour, Instruc-
tions au même : Aller à Malte, « d*où il s'en ira droit en Candie, où il exécu-
tera les ordres qui lui seront donnés par M. le duc de Beau fort, tant pour le
débarquement de tout ce qu'U aura porté, que pour tout ce qu'il aura à faire
pendant le reste de la campagne. » (Ordres du roi pour la Marine^ 1669.)
À
SECOURS DE CANDIE 341
tice de mes armes vous aurez remporté quelque considérable
avantage sur eux... {{). »
Que faisaient cependant Navailles et Vivonne pour réparer
le malheur du 25 juin? La campagne n*était pas perdue si les
Français avaient reconnu leur faute. La funeste sortie leur
avait coûté, il est vrai, deux cent cinquante (2) officiers tués
ou blessés, mais ils ne comptaient que cent soixante soldats
mis hors de combat. Les galères avaient amené deux mille
hommes qui ne furent pas mieux employés que le reste; et Vi-
vonne, qui succéda au duc, ne s*ententendit pas mieux avec
Rospigliosi que Navailles avec Morosini, Aucun effort sérieux
ne fut fait pour relever l'esprit des troupes, ni pour les aguer-
rir, et la plupart des officiers passaient leur temps à dénigrer
les Vénitiens, à leur reprocher la détresse où les avaient ré-
duits vingt années de siège! A les entendre, on leur avait
dissimulé l'état réel de Candie, comme si la Feuillade (3)
et ses volontaires n'avaient pas récemment constaté de leurs
yeux et révélé au roi et à toute la France les misères des
Candiotes et la destruction si avancée de leur ville! Refusant,
malgré les incessantes prières de Morosini et de Saint-André
Montbrun, d'opérer une diversion sur un point quelconque de
l'île, les Français attirèrent autour de la place toute l'armée
du grand vizir, tous les renforts qu'elle recevait, et ne surent
rien faire pour l'éloigner ni la disperser. Ils ne tentèrent au-
cune action importante jusqu'au 24 juillet. Ce jour-là ils firent
canonnerle camp turc par toute la flotte; mais, comme le dit
Pcllisson, qui écrivait sous les regards du roi, et qui avait en-
tendu des témoins oculaires, « ce fut une voix unanime qu'il
n'y avait pas de temps moins favorable pour attaquer. » L'ar-
tillerie n'atteignait point les infidèles, parfaitement bien abri-
tés par des ouvrages déterre; mais elle portait jusqu'aux for-
tifications de la ville dont elle élargit les brèches (4) ! En même
(1) 21 août 1669. Ordres du roi pour la Marine, 1669.
(2) D'autre» relations portent 350; je crois que le chiffre vrai est 250.
(3) c Le duc de Roannës en particulier faisait consister un des plus grands
fruits de son voyage à pouvoir rapporter au roi pendant i*hiver le Téritable
état de la place. » (Pellisson, t. H1, p. 119.)
\k) H Ceux de la ville avaient déjà fait connaître plusieurs fois par leur si-
342 CHAPITRE r.iNonfeME
liMiips im incondio s'élant décKinî à bord do la Thvrèsp, ce
vaisseau di» cinqiianto-qiialro canons saula en l'air avec son
capitaine cl quatre cents hommes; ses éclats mirent dans le
phis i^rand péril la £;^alèrc réale, blessèrent Vivoiine avec tous
ses officiers et firent encore anlourde lui un grand nombre <ie
victimes. C'est Xavailles qui avait fait décider cette tentative
dans un conseil de guerre, contre les avis du bailli Hospigliosi
et de Vivonne lui-m«>me. Bourlemonl écrivît à Lionne 1) :
u Sa Sainteté nie dit aussi que le bailli Uospitîliosi, général de
sainte Église, ni M. de Vivonne n'avaient [)as été île l'avis
de l'entreprise qui s'était failf peu à propos do canonner le
camp des Turcs, et qu'ils ne s'étaient résolus à cela que par
la pluralité des voix des autres chefs généraux qui obstiné-
ment l'avaient voulu; qu'enfin, dedans cette entreprise. les
chrétiens avaient canonné de la terre et des retranchements
d'un camp, pendant que les Turcs canonnaient des hommes cl
des vaisseaux à découvert. »
Un mois ne s'était pas écoulé, et. dès le 20 août, au déses-
poir des Vénitiens, à la suri)rise de IduI le monde, le duc de
Navailles ordonnait le rembarquement des troupes. J)ans la
nuit du ÎM août au ^*"' septembre, il reprit la roule de France
avec les vaisseaux sous le commandement de Martel. Celle
détermination de Navailles, suivie de la capitulation do Can-
die, excita dans toute TKurope ime vive émotion; elle fut de-
savouée par Louis XIV, qui défendit au duc de se présenter
devant lui elle tint en exil pendant trois années. On s'est sou-
vent demandé si le mécontenlemeut du roi était injuste ou
mérité, et même s'il était réel ou simulé. Houssel pense
que la disgnlce de Xavailles esl « une comédie d'intrigue où
le personnage de Louis XIV ih» se dislingue pas assez j)eul-
élre par la suite des idées ni par la fermeté du caractère (2). »
Le roi, dit-il, «« circonvenu, obsédé, forcé..., avo!iail en confi-
dence " son général, dont le sacrilico ne fut obtenu que par
1a cabale vénitienne,... le nonce et l'ambassafleur de Venise,
.... .'*■-' .-anon lie l'armée navale, portant tn'a souvent ^ians leure muraille?.
•fc*4Î *.-î.^"* *^" plu* de mal qu'à l\'nriemi. » (Pellissou, p. 163.)
.- J.^»;î^^^• Kowe, 199.
icit/».-.- Àr \ ^'f'oix, t. l". p. 268 et aniv.
SECOURS DE CANDIE 343
tous les envieux, tous les rivaux, tous les esprits chagrins, tous
les critiques de cour (1). » Les pièces connues avant la publi-
cation de V Histoire de Louvois, et celles qui ont paru pour la
première fois dans ce livre, auraient dû, ce semble, conduire
Tauleur à des conclusions différentes. Des preuves nouvelles
et catégoriques permettent aujourd'hui d'affirmer que, si
Louis XIV commit la faute d'envoyer en Candie des troupes
trop peu nombreuses et de leur choisir un général incapable^
Je duc deNavailles ne peut être disculpé d'avoir abandonné la
ville contrairement à ses instructions, et rendu la capitulation
inévitable.
Personne en France, dit C. Rousset, « si ce n'est Louvois
peut-être, ne s'attendait à un si prompt retour (2) », et le même
historien invoque, pour justifier Navailles, un passage de son
instruction lui laissant la liberté de revenir, « en cas que la
place fût réduite à pouvoir être emportée d'assaut, et qu'il n'y
eût aucune apparence que le nombre d'hommes qui serait
dedans pût résister à ceux qui l'attaqueraient. » Il semble, d'a-
près ce plaidoyer un peu confus, que la mission donnée au duc
fût vague et obscure, et qu'on eût préparé à ses fautes l'excuse
trop complaisante d'un malentendu. Loin de là, les ordres regus
par Navailles étaient fort clairs; et, comme ils étaient visés et
cités dans l'instruction de Beaufort, leur interprétation ne pou-
vait être incertaine. Ils prévoyaient deux hypothèses : si, à l'ar-
rivée des Français, Candie n'était plus tenable, l'armée devait,
sans même débarquer, repasser aussitôt en Provence. Si la
place était encore en état de résister, les troupes du roi de-
vaient être mises à terre, et rombarquées seulement lorsque,
malgré leur présence et leur concours, il y aurait imminence
d'un assaut certainement victorieux, ou capitulation déci-
dée. Or, le duc de Navailles n'était dans aucun de ces deux
cas, lorsqu'il ordonna le départ. Voici le texte de son instruc-
tion : «... Que si la place était réduite à une telle extrémité
que le débarquement des troupes de Sa Majesté ne put en
faire différer la prise que de quelques jours, ou qu'elle courût
(1) Page» 272 et 273.
(2) Page 2G8.
344 CHAPITRE aNQUIÈME
risque d*ètre emportée d'assaut. Sa Majesté ne désire pas que
le duc de Navailles fasse débarquer les troupes, mais bien
qu'il demande au duc de Beaufort de les faire repasser ei
Provence ; et afin que cette retraite puisse être bien reçue pv
toute l'Europe et particulièrement de Sa Sainteté, sous Tétei-
dard de laquelle doit agir le secours que sa Majesté envoie
en Candie, le duc de Navailles observera d'appeler à la visite
qu*il fera de la place tant les officiers commandant les troupes
de Sa Sainteté que de la religion de Malte, et, s'il se peut, le
général des galères du pape et de celles de Malte, s'ils se trou-
vent sur les lieux... Que si le duc trouve la place en étatde
tirer avantage du secours que Sa Majesté y envoie, elle désire
qu'il concerte avec le capitaine-général, ou celui qui se trou-
vera commander en Candie, les postes que les troupes deS&
Majesté devront occuper... » Si les Turcs lèvent le siège, les
troupes françaises ne devront partir qu'après que les ouvrages
des assiégeants auront été détruits, les brèches de la ville répa-
rées, et les dehors rétablis. «... Que si tous les secours que
Ton envoie eu la place n'empêchaient pas les Vénitiens de
prendre la résolution de capituler, dès le même moment que
le duc en aura avis, Sa Majesté désire qu'il fasse rembarquer
ses troupes; qu'il en use aussi de même en cas que la place
fût réduite à pouvoir être emportée d'assaut, et qu'il n'y eût
aucune apparence que le nombre d'hommes qui serait dedans
put résister à ceux qui l'attaqueraient. Que si les Turcs s'obs-
tinaient à continuer le siège et à demeurer dans leurs postes
sans faire des progrès considérables, t intention de Sa Majesté
est que le duc fen infof^me promptement, afin que, sur les avis
quil lui en donnera^ elle lui fasse savoir ce quil aura à faire
soit pour le plus long séjour des troupes e?i Candie, soit pour
leur retour dans le royaume.,, », les vaisseaux emportant de
quoi « les payer et faire subsister pendant six mois » (1). C'est
précisément cette dernière hypothèse qui s'était réalisée quand
Navailles se retira précipitamment.
D'un autre côté, le roi disait expressément, dans l'instruc-
tion de Beaufort : « En cas qu'après que le duc de Navailles
(t) 2 avril 1669. Archives de la Guerre, vol. 238.
SECOURS DE c^ndIe 345
aura reconnu Tétat auquel sera la place de Candie lorsque
Tarmée de Sa Majesté y arrivera, il estimera qu'elle ne fût plus
en état d'être secourue, et qu'il fût d'avis de repasser les troupes
en France, Sa Majesté veut qu'en ce cas le duc de Beaufort
suive l'avis du duc de Navailles, et qu'il reprenne la roule de
Franceavec toutes les troupes qui serontsur lesvaisseaux(l).»
Mais si Navailles entreprend la défense de Candie, il ne peut
repartir pour la France que : « soit en cas que les Turcs soient
chassés et que le siège soit levé et la place en sûreté^ soit en cas
(T accidents co7itraires, ou que la place soit prise par composi-
tion ou par force (2). »
Si Louis XIV avait entendu laisser au duc de Navailles une
liberté absolue, on ne s'expliquerait pas que le premier avis
du retour eût excité à un si haut point l'étonnemcnt et l'indi-
gnation. La note précieuse du président Rose, dont nous avons
extrait déjà quelques mots, peint à merveille le trouble véri-
table où cette nouvelle jeta le roi et les ministres (3) : « Le
roi la reçut à Châtres-sous-Montlhéry; il en fut extrêmement
surpris, mais il ne prit aucune résolution jusqu'à son arrivée
à Chambord, où il allait passer une partie de l'automne, et où
le nonce et l'ambassadeur de Venise lui écrivirent. Il est cer-
tain qu'à l'époque où le roi leur répondit, il aurait fallu que
M. de Navailles alléguât des raisons sans réplique pour justi-
fier sa conduite... Il y eut un des ministres, car ils étaient
demeurés à Paris, qui conseillait au roi par ses dépêches de
faire arrêter M. de Navailles au port de Toulon et de l'envoyer
sous bonne garde au pape, pour en faire telle justice qu'il lui
plairait : c'était l'avis de M. de Lionne. Mais M. le Tel lier
para le coup^ remontrant de quelle conséquence il serait de
soumettre les sujets du roi, et même ceux de cette qualité, à
la juridiction du pape... » Lionne écrit en toute hâte au cardi-
nal Rospigliosi (4) qu'il obéit à un ordre venu de Chambord
en expédiant au pape un courrier extraordinaire, avec une
lettre de la main du roi, pour exprimer ses sentiments sur « la
(1) 30 mars 1669. Ordres du roi pour La Marine, 1669.
(2) Ibid.
(3) Œuvres de Louis XIV, t. V, p. 451.
(4) 25 septembre 1669. Home, 200.
346 CHAPITRE ailQUlÈME
nouvelle'si imprévue qu'il a reçue du retour de M. le duc de
Navailles et des troupes qu'il commande^ et la résolution que
Sa Majesté a aussitôt prise de faire de nouveaux efforts pour
le secours de la Candie... Selon toutes les relations qui me
viennent de Cbambord, ajoute Lionne, il y a plus de dix ans
que Sa Majesté n'a ressenti un si cuisant déplaisir que celai
que lui a causé la nouvelle si surprenante du retour de ses
armées de terre et de mer dans les ports de Provence, lors-
qu'elle venait d'envoyer un nouvel ordre à M. de Navailles de
demeurer dans la place assiégée jusqu'au 20 de novembre. Ce
duc a néanmoins tant de prudence et de zèle pour la religion,
et acquis d'ailleurs tant d'estime par sa valeur, qu*il est à croire
qu'il donnera à Sa Majesté de bonnes raisons pour justifier qu il
n'en a pu ou dû user autrement qu*il a fait, et, s'il ne le faisait
pas, je ne doute point que Sa Majesté ne lui en témoignât un
ressentiment extraordinaire. »
Le duc de Navailles, qui essaie de se justifier dans sesMé-
moireSy se garde bien d'invoquer les termes de son instruction.
II se plaint de la diminution de son effectif par le feu de Ten-
nemi ou par les maladies : il prétend à la fois qu'il n'avait plus
que deux mille cinq cents combattants (1) et qu'il était me-
nacé de manquer de vivres. Il semble que, s'il avait moins de
bouches à nourrir, ses magasins devaient suffire pour un plus
long délai. « M. de Vivonne, dit-il, me faisait avertir tous les
jours que les vivres diminuaient sans que Ton en pût trouver
ailleurs, et que l'armée navale, aussi bien que celle de terre,
était en danger de périr si on demeurait plus longtemps (2). »
Mais aucune de ces allégations n'était exacte, ni même vrai-
semblable. Au grand scandale de l'administration militaire, il
ramena quasi autant d'hommes valides qu'il en avait embar-
qué; les vaisseaux avaient en abondance des vivres, des mu-
(1) C'cet aussi le chiffre donné par Pellisson, t. UI, p. 165. — Camille
Roussel cite un rapport de Navailles au roi, du 20 août, où il disait : a J'ai fait
faire une revue des troupes qui nous restent; j'ai trouvé trois mille hommei
en état de servir, quinze cents blessés ou malades; le reste a été tué. » (P. 267.)
Mais le 5 octobre, Navailles annonce au roi avec complaisance qu'il lui ramèoe
plus de quatre mille hommes d'excellentes troupes qui sont en étal de lui rendre
de trts bons services !
(2) Page 162.
SFXOURS DE CANDIE 347
nitions et de l'argent; et, peu de jours après leur départ de
Candie, l'escadre de Valbelle y était arrivée, portant à Na-
vailles un mois d'approvisionnements qui, d'après les calculs
du roi, devaient lui permettre de rester dans la ville au moins
fusquau 13 ou au 20 novembre (1). Le 1" octobre, quand le
(1) Le duc avait reocootré Valbelle dans les environ de Malte. Le 21 et
le 27 septembre, Colbcrt écrivait à M. d'Infreville, intendant de la marine à
Toulon : « Le retour de l'armée vous va donner de roccupation, mais il faut
redoubler votre vigilance et votre application pour en bien sortir, et pour en
faire le désarmement, en sorte que le tout se passe pour le plus grand avan-
tage du service de Sa Majesté... Il est surtout nécessaire que vous fassiez exac-
tement vérifier combien de vivres il restera aux capitaines^ lors de leur arrivée,
d'autant qu'ils ont dit en Candie qu'ils n'en avaient que jusqu'au dernier oc-
tobre, et vous savez qu'ils en ont pris pour sept mois gui n'ont commencé quau
15 d'avril, et que les capitaines en embarquent toujours plus qu'il ne leur en
faut: que leurs équipages sont rarement complets, et qu'il en périt toujours
soit par la désertion, soit par la mort, en sorte que vraii«emblablement ils en
avaient pour le moins pour un mois davantage; c'est ce que vous devez véri-
fier avec application. » — «< Le fonds des vaisseaux de l'armée qui est en Can-
die, qui ont été armés eu Levant, est fait pour sept mois de vivres et six mois
de solde qui ont commencé au 15 avril, en sorte que, s'ils achèvent leur qua-
rantaine au 15 octobre, comme il y a beaucoup d'apparence, les capitaines de-
vront tenir compte d'un mois de vivres et seront payés de toute leur solde. »
{Dépêches de la Marine j 1669). — Les prévisions de Colbert furent dépassées :
M. d'Infreville lui écrivait le 28 : « ... Comme nous étions ici à l'attente de l'ar-
mée arrivant de Candie, nous vîmes le signal qu'on a accoutumé de mettre à la
tour lorsqu'il parait des voiles à la mer. M. le premier président et moi nous
nWmes en chaloupe pour aller au devant de cinq vaisseaux qui paraissaient,
le premier étant l'un des vaisseaux nolisés a Marseille, dans lequel est M. Jac-
quier, qui nous dit que le reste de l'armée suivait, et que le lendemain nous
les aurions tous à la rade, comme en effet, co matin, nous avons vu entrer dix
ou douze vaisseaux, de trente-six dont cette flotte est composée. Le sieur Jac-
quier a trouvé toutes choses en bon état pour les recevoir; et, si ce qu'il nous
a dit est vrai, i7 nous ramène quasi autant d'hommes comme il en était parti. Ce
qu'il nous assure est qu'il y a cinq mille hommes dont Carmée de terre est com-
posée, et qu'en cette quantité il n'y a que trois cents malades. Il veut qu'il y
ait plus de maladies parmi les équipages des vaisseaux que dans leur infanterie.
A leur débarquement, nous connaîtrons mieux la vérité... Ils rentrent avec
sir semaines de vivres dont ils consommeront trois semaines ou un mois en
quarantaine... M. de Valbelle n'a point rencontré l'armée; quand il la saura
partie de Candie, il pourra revenir et nous rapporter le mois de victuailles en
argeut qu'il a embarqué. Je crois qu'il ne fera pas son retour sans aller débar-
quer les poudres si Candie en a encore besoin, de quoi l'on peut douter, puisque
M. Jacquier assure que cette place ne peut plus résister aux ennemis et qu'il
la croit rendue. Chacun vous écrira en quel état ils l'ont laissée et en pourront
parler plus certainement que moi. J*ai appris du sieur Jacquier qu'il nous rap-
porte cent milliers de poudre, de farine, de grenades et de charbon. Il me
semble quU devait laisser ces munitions de guerre en celte place qui en a be-
'm
Il •'
débaraaemrnt fa: oc^ré. dlnfreville écrivii à I>3avois : h
n^oni p*7i 7»#»;:> C^indi^ parn*^.*<.iiu d^ rirre*. paisqa'ils raj-
p-oreût <if ri/,. #/f farina et auUf* f:h'><^* en assez tonne quûk-
tii^ an^û hi^ft que àe ^omiron.^ de Querre. ayant ce-nt millùrt
de poudre oh i/« n on: poin: lou'c^te, for^e grenades.., » D
ajoute «jue M. Jicquier •i'r>ire .:i:'«:n >e serve rf? ee^ fariimtl
dey autres ricu*ie- t quil n rap^'jrtêes. Xavaîlles lui-même
dit. dans ^»ii ra:>por: du 3 cnriMbre 2 : c Les troupes qovje
ramène s*jrjl :rê? bonne*. p3rîicu!ièrem»?nt l'infanlerie: je crois
qu'il y a pha de quatre mille h-ymmes. f y a plusieurs blessés
et molade>; eli^s yont <ur un tm bon pied, et je crois que ce
petit corps-ia serait en état de rendre de trè< b^jns services à
Voire Majesté.
GDmment le duc de Navailles. malgré les vides faits dans
sf:^ ranes parmi les divers événements de la campagne, pul-
il ramener plus de quatre mille ou même cinq tnillp soldats,
lorsque, dans ses Mémo-re^. il réduit son etTectif à deux mille
cinq ceuts homm^< yf'ulement? Une parole de Clément IX à
l'abbé de Boiirlemonl n'~>!is a mis sur la voie. Cet abbé avant
été chargé, apr^s les éch».'Os liu 25 juin et du 24 juillet, d'an-
noncer que le r«"ii allait envoyer «le nouveaux secours, le pape
demanda troi^ chost'*; : 1* que B»'llefonds et ses troupes arri-
vassent en Candie avant le départ de Navailles; 2* que celui-
.* oin. // V ^QW'jnt fa» rf co i •: ': j .' rv <rf ç </ : U-^ /i obligés à rapporter ct;i m u •: iti ;n s. ■
Ih'jpécttei de la M'irine. l»j»:.9. — Jacquier ii'avail pas quiUé la flotte nu <eul jour,
et peT-^ouQf'. ne «av.iit mieux que lui U vérité. Nous aTon» sous les yeux I'ids-
tructioudoDuée* a M. Jaci^uier, ci-ievaut commissaire général «les vivres diui
l'année du roi. s'eu alLtut a Touloii et eu*>aite eo Caoïiie pour faire la fjumi-
nire des vivres aux troii>.'? que Sa Majtîstê fait passer en cette lle-lA, »• pen-
dant le passafje^ ie S'^j'>ur et le retour de l'armée. Ce n'est qu'au défaut de*
capitaines que M. Jacquier sVn chargera. ■ Quant au fouds nécessaire puur
la fourniture. S. M. a fait le fonds de la subsistance des troupes pour le trajet
de Provence en Candie pendant diux 7/io/<, comme aussi pour le pain de mu*
uition pendant trui* mois de S'jjour eu l'ile. sur le pied de 6,500 rations par
jour: elle fera de plus un pareil fonds de deux rtwi.i pour le retour. » (10 mars
ir»69. Ordres du roi pour tu Marine. — Jacquier avait, comme à l'ordinaire,
répondu à tous les désirs du roi et de Colhert. et il fut choisi immédiatement
pour remplir le même oftice dans lu nouvelle expédition préparée sous les
ordres du maréchal do Bellefouds.
(1) Viandes avait aussi le sens général de vivres.
(2) Archives de la Guerre, vol. 238.
Secours de candie 349
ci déclarât que le roi permeltait de rester à ceux qui en au-
raient le dessein; et 3** quilne rembarquât que ceux qu'il avait
amenés. Il avait ét^ informé par le bailli Rospigliosi et par les
Vénitiens que Tappât d'une paie plus régulière avait attiré
parmi les Français des soldats et des matelots, tant de la gar-
nison de Candie que des flottes et des troupes alliées : et les
correspondances conservées aux Archives de la Marine justi-
fient les réclamations du souverain pontife. Ainsi Navailles
n*enlevait pas seulement aux assiégés le concours des Fran-
çais; il débauchait leurs autres défenseurs! 11 allègue que la
République traitait en secret avec les Turcs, et n'avait plus
dintérèt au salut de Candie^ le reste de Tîle étant au pouvoir
de Tennemi. Mais son instruction ne lui permettait, en ce cas,
de revenir qu'après le traité conclu, et sa présence devait pré-
cisément garantir aux Vénitiens des conditions plus favorables,
tandis que son départ les laissait à la merci du grand vizir. La
France aurait pu se plaindre sans doute si Venise avait traité
à son insu; mais il est certain que, dès le 27 juillet, la Répu-
blique chargea son ambassadeur, Jean Morosini, de porter à
la connaissance de Louis XIV les propositions faites par le
Grand Seigneur depuis l'arrivée des flottes alliées devant la
place, en déclarant néanmoins que le sénat, persistant dans
ses résolutions et dans ses engagements antérieurs, comptait
toujours sur la puissante protection des Français (1). Le roi
remercia la République de sa confiance et se réjouit avec elle
de voir les Turcs persuadés qu'il ne s'agissait pas seulement
d'une /wr/a francese, mais d'un dessein arrêté de la défendre
énergiquement. L'ambassadeur insistant pour que les Fran-
çais restassent à Candie jusqu'à la fin des négociations, « le
roi répondit avec bonté que les instructions données par son
ordre à Beaufort et à Navailles portaient de ne quitter l'île
qu'après que tout serait bien et solidement établi par une bonne
paix ou par une issue heureuse de la guerre (2). » Jean Moro-
(1) 5 août 1669. Filza 145.
(2) « Al che il rè beoigaamente disse oelle istrazioni date per suo ordine a
Bofort e NavagUa ^i ë di non staccarsi da quelle parti, se prima il tulto ooo è
bene a fermamente stabiiito, o con uDa buona pace, o con ona fortaoata
guerra. »
380 CHAPITRE CINQUIÈME
sinii rendant compte de cette audience à la Seigneurial ajou-
tait que le roi avait tenu un conseil sur cette affaire, et qu'on
y avait approuvé ce projet de paix qui, avantageux aux Véai-
tiens, délivrerait la France d'une guerre longue et difficile.
Louis XIV était d'autant moins fondé à critiquer ces négocia-
tions, qu*il avait lui-même laissé l'envoyé du sultan débarquer
à Toulon pour se rendre à la cour, et que Colbert venait d'ex-
pédier Tordre de lui faire partout Taccueil le plus honorable (1).
Navailles n'avait passé que soixante jours en Candie, du
22 juin au 21 août! Le capi laine-général vénitien et ses lieu-
tenants, le bailli Rospigliosi, le clergé, la garnison et les ha-
bitants l'avaient supplié vainement de demeurer et de leur
accorder au moins quelque délai. Il savait que Tescadre de
Valbelle était en roule pour le rejoindre; il attendait un corps
de deux mille Italiens qui se formait à Zante et qui arriva en
effet le jour même de son embarquement. Les forces qu'on
avait alors sous la main, et celles que préparaient encore la
France et d'autres pays suffisaient, sinon pour faire lever le
siège, du moins pour prolonger la résistance jusqu'à la pro-
chaine campagne. Pour expliquer à ses troupes ce départ
précipité, le commandant en chef avait répandu dans leurs
rangs le bruit que les vivres étaient épuisés; le gros de l'armée
le crut, comme nous l'apprend le correspondant de Bussy :
« Enfin, écrivait M. de la Provenchère, le temps ayant con-
sommé les vivres qu'on avait portés pourTarmée tant de mer
que de terre, il a fallu prendre le parti de s'en revenir et laisser
la ville de Candie sur le point de se rendre (2). » Mais, parmi
les principaux chefs de l'armée ou de la flotte, on entendait
bien laisser à Navailles seul la responsabilité de sa conduite.
Le maréchal de camp Colbert (3), partageant sur la direction
de cette campagne l'opinion de Saint- André Montbrun et du
capitaine-général, s'empressa d'écrire, le 21 août, au ministre
son frère, qu'il n'avait rien su du retour qu'après la résolution
(t) Jean Morosiui, 12jain, 1 et 20 août 1669; fiize iH et 145.
(2) « Des environs de Toulon, en quarantaine, 6 octobre 1669. • Tome K
p. 209.
(3) Colbert de Maulevrier était jalousé par Navailles, qui se plaignait de lu
à Louvois, dans une lettre citée par C. Rousset, p. 272.
SECOURS DS CANDIE 351
prise, et que, s'il y avait gloire ou blâme à recueillir, il voulait
n'y avoir aucune part (1). Une lettre de Vivonno à Colberl,
du même jour, atteste, avec son aversion contre le général de
l'Église et les Vénitiens, sa volonté de demeurer étranger à
une décision qui avait cependant son approbation secrète (2) :
il fut fort dépité de voir Rospigliosi moins sensible que les
Français à la crainte de la mauvaise saison ou de la famine.
Il écrivit au roi : Les troupes françaises et M. de Navailles
s'étant rembarques malgré les prières des Vénitiens, ceux-ci
veulent du moins me garder avec mes galères. M. Rospigliosi
cherche aussi à me retenir; pour lui persuader plus aisément
de quitter Candie, je lui propose d'aller croiser sur« l'île du
Mil, le cap Saint-Ange et les Cérigues (3), » et je lui fais es-
pérer que nous rencontrerons et combattrons les galères
turques en marche pour ravitailler la Canée. « J'ai été obligé
d'en user ainsi et de consentir même à quelque peu de retar-
dement, quoique la saison soit déjà fort avancée, pour leur
fermer la bouche et pour les empêcher de se vanter d'avoir
proposé quantité de choses auxquelles les Français n'auraient
pas voulu donner les mains. » Au surplus, peut-être rencon-
trerons-nous des voiles turques, et finirons-nous la campagne
par un combat glorieux (4).
L'abandon de Candie par les Français fut jugé sévèrement
dans toute l'Europe. Si Louis XIV fut troublé et indigné, le
pape et le sacré collège furent consternés. Bourlemont écrivait
à Lionne (5) : L'ambassadeur de Venise se plaint ici que
M. de Navailles ait « refusé d'attendre huit jours à la prière que
lui en faisait instamment le général Morosini, pour pouvoir faire
avant son départ une capitulation avec le Turc qui sauvât la
vie et la liberté à ce qu'il y a de chrétiens en Candie ; que son
départ avait fait mutiner la plupart de sa garnison, se voyant
abandonnés, et que le général avait eu toutes les peines pos-
(1) Galères^ 1669. Archives de la Marine.
(2) « A TEstantier, à bord de la capitaae, » 21 août 1669 ; Galères, 1669. =i
L*EstaDtier est la rade de Staodia, où la flotte était mouillée.
(3) L*lle de Milo ; le cap Saint-Ange, à l'extrémité de la Morée, et Ttle de
Cérigo avec son groupe.
(A) Galères, 1669.
(5) 24 septembre 1669. Rome, 200.
3S2 CHAPITRE CINQUIÈME
sibles de les apaiser; qu*il était assuré que ce départ précipité
était contre Tintention du roi et contre ce que, par ordre de
Sa Majesté, M. le président de Saint-André avait déclaré au
sénat... Il eût été bien à propos que M. le duc de Navailles,
partant de Candie, eût écrit ici des motifs de son départ pour
fermer la bouche à ceux qui en parlent si désavantageusemaQl
pour lui... Il y a des principaux de cette cour qui disent qu'il
y a eu de Timpalience dans son départ de n^avoir pas régules
ordres du roi, mais que les traitements peu favorables qu'il a
reçus des Vénitiens Tout chagriné (1). Le pape a un extrême
déplaisir de ce départ si prompt. »
Malgré cette cruelle déception, il ne sortit de la bouche de
Clément IX aucune plainte contre Louis XIV. Bourlemont écri-
vait encore (2): « Le pape reçut la lettre du roi avec tant d'expres-
sion de tendresse et d*amitié pour SaMajesté qu'ilne se peut rien
désirer de plus afTectueux (3). Sa Sainteté me dit qu'elle ne veut
pas accuser M. de Navailles, mais qu'on lui mandait de toutes
parts qu'il avait eu de la grande dureté envers les pauvres chré-
tiens de Candie, leur ayant refusé jusqu'aux moindres choses
qu'ils lui avaient demandées pour leur défense ; qu'il priait Dieu
de lui pardonner. » II exprima le désir de voir Vivonne, et lui fil
le meilleur accueil. «... Je n'ai pas cru, dit le comte lui-même (4},
me devoir dispenser de donner à Sa Sainteté cette marque de
mon obéissance, surtout depuis que Votre Majesté m'a or-
donné de m'appliquer à gagner ses bonnes grâces (S), celles
de ses parents, et nommément celles de M. le bailli de Rospi-
gliosi, qui en a témoigné en son particulier une passion in-
croyable. Il souhaitait que je débarquasse avec lui à Nettuno,
à soixante milles de Civilà-Vecchia. » Je suis arrivé hier à
Rome. A peine étais-je descendu chez M. de Gastaldi, que
le pape m'envoya chercher. « Je me suis rendu ce matin
(1) Les pièces qui ont passé sous mes yeux ne justiûent nallemeot cette
plainte.
(2) 8 octobre 1669. Rome, 200.
(3) C'est la lettre datée de Chambord, dont Lionne parle dans sa dépèche da
25 septembre citée plus haut.
(4) Au roi, 21 octobre 1669. Galères, 1669.
(5) Dans la lettre où le roi lai reprochait de s'être fait saluer par Tétendard
da crucifix.
SECOURS DE CANDIE 353
à son lever, et j'ai reçu de Sa Sainteté tous les honneurs
et toutes les honnêtetés possibles. Sa Sainteté voulait savoir
de moi comme les choses s'étaient passées en Candie... »
Vivonne ajoute qu*il a été traité de même par le cardinal et
par le bailli. Ce dernier ne rappela pas les torts que s'était
donnés envers lui le général des galères françaises. Il décla-
rait en toute occasion qu'il n'oublierait jamais Thonneur que
lui avait fait la France de placer sous ses ordres tant de braves
guerriers. La seule allusion au passé qu'il se permît, c'était,
en célébrant les mérites des officiers français, de dire qu'il se
louait principalement du maréchal de camp Colbert (i).
Louis XIV paraissait disposé à réparer la faute de Navailles. Il
avait écrit au nonce (2) : « . . . Pressé par mon zèle pour la défense
de la chrétienté et pour la consolation et la gloire de notre saint-
père, plus encore que pour la mienne propre, j'ai donné mes
ordres pour faire passer incessamment en Candie les troupes
dont vous trouverez le mémoire ci-joint, et je me promets de
votre affection envers moi que vous serez bien aise d'en infor-
mer Sa Sainteté d'une manière aussi officieuse que le mérite
la passion que j'ai de lui complaire. » Trois jours après, il au-
torisait le maréchal de Bellefonds à prêter au pape le serment
de général pontifical, et il lui écrivait en même temps (3) :
« Si vous avez beaucoup de joie de l'augmentation des troupes
quej'ai résolu de joindre à celles de Sa Sainteté que vous devez
conduire en Candie, je n*ai pas moins de confiance que vous
les emploierez d'une manière dont j'aurai lieu d'être satisfait. Il
ne me reste qu'à prier Dieu qu'elles arrivent à temps. » Colbert
mit la plus grande diligence aux préparatifs (4). La flotte de
transport, composée de neuf vaisseaux, trois brûlots et un
magasin, devait être commandée par le marquis de Mar-
(1) Bourleinoat à Liouaef 12 novembre 1669. Rome^ 201.
{'2) Œuvres de LouisXlV, t. V, p. 451.
(3) 23 septembre 1669. Œuvres de Louis XIV, t. V, p. 455.
(4) Colbert à Louvois, 21 septembre 1669. — « J'ai reçu par mon courrier
votre billet du jour d'hier en exécution des ordres du roi qu'il contient. Je
travaille au projet d'armement qui est nécessaire pour porter 3,500 hommes
en Candie, et donnerai ensuite tous les ordres nécessaires pour que les vais-
seaux soient prêts à les embarquer au 15 novembre prochain. » (Ordres du roi
pour la Marine, 1669.)
LOUIS XIV BT LB SAINT-SIÈGE. — U. 23
CHAPITU ciHgciÈn
tel (1), et le soin des approvisioimeinents pour les marins et le«
soldats était encore confié à Jacquier. Mais on reçut la nouvelle
que Candie avait capitulé le 5 septembre; et, le il octobre,
Golbert contremanda Tarmement. Le désastre causé par le due
deNavailles était consommé : s'il eût attendu jusqu'au mois de
novembre, comme le portaient les ordres du roi ; si le maréchal
de Bellefonds était arrivé à temps, les assiégés eussent tenu
jusqu'à la campagne suivante, et il y a lieu de croire que les
princes chrétiens, déjà ébranlés en 1669 par les exhortations
et l'exemple du souverain pontife, eussent enfin formé une
ligue assez puissante pour délivrer la ville et peut-être Tlle de
Candie. Louis XIV comprit, dès le premier moment, que c'était
une tache pour sa réputation militaire; et, s*il pressa le dé-
part de Bellefonds avec tant d'activité, c'est que, comme Lou-
vois récrivait de Chambord à son père, il crut « ne pouvoir se
disculper avec succès dans le monde du retour de M, de Xa-
vailles qu en faisant aller ses troupes en Candie (2). » Lionne
avait avoué à Tambassadcur de Venise « que la douleur et les
regrets causés au roi par ce retour inattendu, contraire à son
intention, à ses ordres, à sa gloire même, étaient les plus sen-
sibles qu'il eût éprouvés de toute sa vie (3). » Pour calmer les
esprits, Louis XIV avait d'abord permis de répandre la fable
de l'insuffisance des vivres (4); mais, quand il fallut renoncer
à l'espoir de sauver Candie, il disgracia publiquement son
général plus incapable encore qu'indocile. La justice voulait
qu'il s'en expliquât franchement avec le pape, qui avait été le
promoteur et l'âme de l'entreprise : pour en procurer le succès.
(1) Ordres du roi pour la Marine : le roi au marquis de Martel, 27 septembre
i699. — V. aussi Dépêches de la Marine : Colbert à Jacquier, à dlofrevUle et
au marquis de Martel .
(2) Lettre du 20 septembre, citée par Rousset, p* 270.
(3) « Accepta udomi cbe, nel corso degli anni del rè, non haveva mai la Maestà
sua rissentito afflizioue e rammarico più seusibili di quello cbe al présente
havrebbe per questaimpeupata partenza, seguiti cootro la sua iateniione, contro
il 8U0 ordine e contro la sua gloria medesima. »
(4) Le 16 septembre. Louvois écrit, par ordre du roi| à son père, demeuré à
Paris, que, si le nonce et l'ambassadeur de Venise se plaignent, » il leur faut
répondre que> les galères et les vaisseaux n'ayant plus de vivres que ce qu'il
leur en fallait pour revenir, M. le duc de Na vailles n*a pas pu, aaivant ses
instractions» s'empêcher de f:e rembarquer. » (Rousset, p. 269.)
SECOURS DE ÇANDIB 355
imcnt IX avait épuisé à ce point le trésor poatifiçal| que la
ambre apostolique en était réduite à payer ses dépenses au
•yen de ce qui rentrait « au jour la journée » (1), ce qui ne
npôcha pas de donner au roi (2) une délégation de trente
Ile écus sur les revenus d*Avignon pour la levée préparée
* le maréchal de Bellefonds (3). Le 1*' novembre, Liojine
irgea Tabbé de Bourlemont d'informer le souverain pon-
! du contre-ordre donné à la nouvelle expédition, u la cause
étant maintenant cessée par la capitulation de la place et
3aix que le capitaine-général de la République a faite avec
arand Seigneur(4)...Iln'écherraplus, ajoute-til,de parler
cette affaire qu'en ce qui pourra regarder M. le duc de Na-
i/esn duquel Sa Majesté a sujet dêtre d'autant plus mal sa*
ait fi qu il s est vu, par f événement et par les conditions de
te paix^ que les Turcs considéraient encore leur entreprise
iteuse^ même après la sortie des troupes du roi de la place^
Il l'on peut tirer la conséquence quelle se pouvait sauver
quà t hiver et peut-être jusqu'au printemps,^ si le sieur duc
se fût pas tant pressé de revenir. » Et Lionne annonce qu'il
*lera encore à fond de ce sujet, lorsque Navailles aura été
endu dans sa défense. Louis XIV exprima, en ces termes,
is une lettre à Bourlemont, son jugement définitif sur la
iduite de Navailles : « Je vous dirai, que, n'ayant pas été
'fisamment satisfait des justifications que le duc de Navailles
pu m'apporter et qui ne consistaient principalenient que
is les avis qu'il prétendait avoir que le capitaine-génér^
la République avait commencé à traiter avec le grand vizir
I ) BooflU à Lioane, 3 septembre 1669. Home, 200.
\) Bourlemont à Lionne, 3 septembre 1669. Ibid.
\) U n'en était pas plus épargné dans les stupides propos des boargeoit
licans de Paris : « On dit ici, écrivait Gui Patin, que le roi a mandé à
de Navailles qu'il revienne de Candie, et qu'il ramène les troupes, puisque
Vénitiens et le pape n y font pas leur devoir pour en chasser le Turc, On dit
irtant que le pape avait envoyé pour cet effet des pardons et des bulles :
Quidquid Roma dabit, nugas dabit; accipil aurum.
Turcs ne sont-ils pas de mécbantes gens, bien incrédules, de ne rien dé-
ir à ces bulles, inventions italiennes et papalinesî » (26 septembre 1669. —
très choisies, édit. Rotterdam, 1725.)
0 Borne y 201.
356 CHAPITRE CINQUIÈMC
de remettre la place au Turc, à quoi il n'a point voulu assister,
et en d*autres raisons auxquelles je n'ai pas trouvé un fonde-
ment suffisant pour excuser la résolution qu'il a prise, de son
chef et contre mes ordres^ de faire rembarquer mes troupes et
de revenir, j'ai pris celle d'envoyer ledit duc à sa maison de
la Valette, ce que je désire que vous fassiez entendre de nu
part à Sa Sainteté, y ajoutant que tout le monde connaîtra bien
clairement Tintention que j'avais en cette affaire, quand on
aura vu, peu de jours après le départ de mon armée navale des
rades de Candie, y arriver l'escadre de vaisseaux que j'y avais
envoyée sous le commandement du chevalier de Yalbelle poar
y porter abondamment de l'argent, des vivres et les autres
provisions de guerre et de bouche dont madite armée et mes
troupes auraient pu bientôt manquer, dontmème ledit chevalier
a pourvu la Suda (1), sur la première réquisition du capitaine-
général de la République, ce qui ne servira pas dans le monde
à la justification du duc de Navailles; mais^ comme il n'a pas
manqué de cœur ni d*a(Tection pour mon service, mais qu'il
s'est seulement mépris à avoir mal jugé de mes intentions sur
la considération du reste de mon corps de troupes, je n'ai pas
cru devoir pousser plus loin contre lui mon ressentiment qu'eo
témoignant au public, par sa relégation, combien sa résolu-
tion m'a déplu (2). »
Clément IX ressentit la perte de Candie en chef et en père
de la chrétienté. « Ce quia le plus affligé Sa Sainteté, dit Bour-
lemont (3), est la paix des Vénitiens avec les Turcs, qui assure
leurs conquêtes et les fera pensera attaquer la chrétienté d'une
autre part. » Il connaissait bien Tétat de l'Europe et la division
profonde de ses princes, si favorable aux progrès des infidèles.
Le jour même où il apprit toute l'étendue de la catastrophe,
il eut un long évanouissement qui présagea une- fin prochaine.
Louis XIV en prit aisément son parti, et se sépara bientôt de
la ligue chrétienne pour regagner les bonnes grâces du sultan,
avec lequel ses rapports diplomatiques n'avaient pas cessé. Pen-
dant qu'il laissait la Haye prolonger son séjour à la Porte sous
(1) Forteresse de l'Ile de Candie.
(2) 15 novembre 1669. Rome, 201.
(3) A Lionne, 29 octobre 1669. Rome, 200.
SECOURS DE CANDIE 357
divers prétextes, il s'apprêtait à recevoir cet émissaire turc,
dont le voyage mystérieux avait inquiété les Vénitiens et qui
avait été d'abord retenu à Toulon (1). Tant que le sort de Can-
die fut en suspens, on retarda sa marche, mais en le traitant
avec distinction, comme l'avait recommandé Colbert. Des que
le roi eut appris la fatale capitulation, il pressa l'arrivée de cet
agent, quoiqu'il ne connût ni sa vraie qualité, ni Tobjet de sa
mission. Au milieu des splendeurs du règne, entre la cam-
pagne de Flandre et la guerre de Hollande, on remarque peu
cette apparition d'un envoyé de Mahomet IV. Soliman-aga
Mustafa-Raca, officier inférieur de la chambre du sultan, n'a-
vait pas d'autre pouvoir que de rendre à Louis XIV une lettre
insignifiante de son maître. Vainement Jean Morosini avait
informé le roi que jamais TEmpereur ne daignait admettre
devant lui un ministre du sultan qui ne fût pas qualifié d'am-
bassadeur, encore moins un chiaoux^ un capigibasst, tel que
Soliman-aga (2). On le fit d'abord venir à Issy, puis à Suresnes ;
on l'installa dans un logis somptueux, où il fut visité des plus
grands personnages. Pour sauver la dignité royale, on eut
l'air de croire qu'il était accrédité comme ambassadeur par la
lettre dont il était chargé; mais il n'en était rien. Louis XIV
lui donna audience dans la grande galerie de Saint-Germain,
et déploya en cette occasion toutes les pompes de la royauté.
La cour vit avec surprise de si grands honneurs prodigués à
un homme de basse condition, qui fut d'une insolence inouïe
envers les ministres et envers Louis XIV lui-même (3).
(1) Jean MoroMni, 42 juin et 7 août 4669, etc. Filze 144 et 145.
(2) 12 juin 1669.
(3) <« L*on |>arle souvent, dit Olivier d'Ormesson dans son Journal, dc« au-
diencep de l*ambap»adeur turc. 11 est arrivé à Paris sur la fin du mois d'octobre :
il a été logé chez M. de la Bazinière, au village d'Issy, où beaucoup de gens le vont
voir par curiosité... Il a vu deux fois M. de Lionni*, qui Ta reçu de la manière
que le grand vizir reçoit les envoyés de France;... qui lui parla de la manière
de gouverner du roi, qu'il n*y avait point de graud vizir on France, et s'éten-
dit fort sur les louanges du roi... L'on dit que le Turc lui répondit 7ii*i7 n'a-
vait point à faire de savoir s'il // avait un grand vizir en France^ ni quel en
était le gouvernement; qu'il était venu pour donner une lettre de l'empereur
son maître à l'empereur de France; qu'il Hait prêt à la présenter, si l'oji vou-
lait la recevoir; que si l'on ne voulait point la recevoir, on n'avait qu'à le lui
dire et qu'il s'en retournerait... Pour le recevoir avec plus de magnificence, le
roi s'était fait faire un babit tout couvert de diamants^ et l'on disait quil y en
358 CHAPITRE aUQUIÈBIE
Telle fut la conclusion de la campagne de Candie. Louis XIY
sera désormais indifférent aux dangers de la chrétienté : il
laissera aux Vénitiens, à la Pologne, à rAUemagne la gloire
de celte lutte contre Tennemi commun, dont il deviendra
même Fauxiliaire et Tallié. Un siècle auparavant, la prise de
Rhodes (1571) avait été suivie d'un effort généreux ; une ligae
chrétienne, qui malheureusement ne comptait pas la France
dans ses rangs (1), répondait à la voix de saint Pie V et, sou-
tenue par l'argent, les soldats et les vaisseaux du pape, rem-
portait la mémorable victoire de Lépante (1572). Après la
perte de Candie, il ne tint pas à Clément IX qu'il ne se formât
une nouvelle alliance; mais la France se tint à Técart, et l'Es-
pagne déjà vaincue, menacée encore par Louis XIV^ réduite k
se défendre elle-même, ne put qu'assister impuissa:::te aux
progrès des musulmans. Les successeurs de Ciémen^ IX sui-
vront fidèlement son exemple; l'un d'eux surtout. Innocent XI,
dévouera au même dessein, et avec plus de succès, son éner-
gie, ses trésors personnels et ceux de TÉglise, et ce sera une
avait pour quatorze millions. Je vis de près son chapeau, où étaient les plai
gros diamants. Monsieur était aussi vêtu et paré de pierreries et de perles, et
M. le duc, de diamants seulement. Pour recevoir le Turc, Ton avait préparé an
trône au bout de la galerie du château neuf. Cette galerie était meublée de
très belles tapisseries et entre antres de certaines étoffes de soie peintes, à per-
sonnages, comme les tapisseries. M. Le Brun les avait retouchées... Tous les cabi-
nets, les tables, les vases, les cuvettes et les guéridons d'argent y étaient..
Dans la place entre .les deux châteaux étaient les deux compagnies de moos-
quetaires â pied, ayant tous des justaucorps de velours noir avec des boutoDs
de cuivre doré. Après, les gardes suisse et française en haie. Derrière eux étaieui
les gardes du corps, les gendarmes et les chevau-légers faisant huit escadron»
de chaque côté; les gardes de la porte, les cent-suisses et beaucoup de'gardes
du corps étaient au dedans. Sur les ipois heures, le Turc arriva à cheval,
précédé de vingt Turcs, tous avec des robes vertes ;de serge 'et des torbans
fort sales, lui, avec une veste rouge de camelot au plus, car il u*y parut point
d'or ni de soie,... et après suivaient sept ou huit autres à cheval, aussi mal vëta»
que les autres. Rien ne parut si pauvre ni si misérable...*JSo\ïS sûmes qu*il était
entré assez fier dans la galerie, tenant à deux mains un sac de j toile d'or où
était sa lettre; il fit trois révérences baissant seulement la tête, et donna sa
lettre an roi et demanda qu'elle fût lue. Le roi la fit ouvrir, et, comme elle
était longue, il dit qu'il la verrait et ferait réponse. Le Turc se plaignit
que le roi ne s'était pas levé pour recevoir sa lettre, et dit qu'on le traitait
mal. Le roi répliqua qn*il en usait comme 11 avait accoutumé, et le Turc se
retira mal content. » (Tome II, p. 576 et sulv. — Novembre-5 décembre 1669.)
(1) Charles II était l'aUié du sultan.
SECOURS DE CANDIE 359
des causes principales de la haine que lui portera Louis XIY :
le roi de France laccusera d*ètre son ennemi, d'être autrichien,
parce que les subsides pontificaux entretiendront les armées
de Léopold et de Sobieski combattant pour le salut de TEu-
rope et délivrant Vienne au détriment de la politique française !
Si l'expédition provoquée par Clément IX avait eu un autre
succès, les traditions remontant à François P' auraient peut-
être été abandonnées; la défaite du grand vizir et la levée du
siège eussent amené une rupture avec la Porte : Louis XIY
n'aurait pu se démentir ni tromper l'attente de la chrétienté, et
il est permis de croire qu'il eût été détourné de ces guerres
d'ambition et de conquête, dont les suites furent si fundstes à
la France et à toute l'Europe.
CHAPITRE SIXIÈME
NOUVELLES AGRESSIONS DE LA COURONNE CONTRE l' AUTORITÉ PON-
TIFICALE. MORT DE CLÉMENT H. 1669.
Inquiétude! données à Client IX parla p«>litique religiense deLoait XIV. Projets de ramener
les protestants de France à l'unité sans consulter le saint-iiège. — L'abbé-duc d'Albrel prèscntr
pour le cardinalat. Missions de Tabbé de Bigorre. Sollicitations iopérieuses do roi et do cas-
didat. Promotion do l'abbé-duc (cardinal de Bouillon). — Chapeaux demandés pour le prince
d'Averspcrg et pour César d'Estrées. Mission do l'abbé de Bonfils et de M. Foucher. Concert
de Césir d'Estrées avec Lionne : leurs roaiinpuvre!t pour Tainere la rèsif tance du pape. Clé-
ment IX maintient ses refus. Promotion du 10 novembre 1669. — Obstacles opposés par le roi à
la juridiction du saint-si6ge : le Hituel d'Alet et la Vernion de Mont Suppression de fét0
chAmée^. Knlrave» apportées par le roi à l'autorilé des généraux d'orJres religieux. Augustin:.
Dominiraiuï. Célèbre arrêt d'Ay^-n (4 mars 1669) : théorie de la suprématie du roi (Uns
rt'gliso. Atteinte à l'autoritA des nonces. — Mesures oppressires de Louis XIV contre les babi
tants d'Avignon et du Comtat : leurs conséquences funestes. Aveux remarquables de Vhisiiy
rien de Colbert. — Louis XIV, embarrassé par ses prétentions sur Ict dépendances (traité
d'Aix-la-Chapelle), flnit par s'en remettre à l'arbitrage de Clément (X : le pape évite le piège.
— Louis XIV multiplie les difficultés entre le saint-siège et la couronne. Présages de conAiU.
— Mort prématurée de Clément IX.
Trompé dans les espérances que lui avait données Texpédi-
lion de Candie, et forcé de ramener toute son attention sur ce
qui se passait plus près de lui, Clément IX ressentit plus vive-
ment toutes les atteintes portées par Louis XIV aux droits de
la puissance spirituelle. Après s'être interposée, comme on l'a
vu, entre Rome et les jansénistes, la royauté française avait
conçu, dès cette époque, le projet d'en finir avec le protestan-
tisme, en ne réclamant du saint-siège que l'approbation silen-
cieuse de tous ses actes. Un ébranlement profond se manifes-
tait parmi les réformés français, dont un grand nombre, dans
toutes les classes de la population, reprenaient sans contrainte
et avec bonheur les croyances de leurs pères. Ces conquêtes pa-
cifiques de notre foi, auxquelles l'abjuration de Turenne (1668)
venait de donner un si grand éclat, étaient dues au zèle etàla
science du clergé, qui avait fondé ou rétabli tant d'institu-
tions étroitement unies au saint-siège. 11 était sans doute na-
turel que Louis XIV conçût l'espoir de rendre un jour à la
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l' AUTORITÉ PONTÎFICALE 364
ance le bienfait de l'unité religieuse; mais un si vaste des-
in ne pouvait réussir qu'avec l'assistance et sous la conduite
pontife romain. Or, le roi avait été élevé dans cette pensée
'il est t< dangereux de fournir à Rome des exemples de juri-
:^tion dont elle puisse après tirer de mauvaises consé-
ences (1). » C'est en conformité de cette doctrine qu'il
itait fréquemment avec ses ministres un plan général de
nversions où il faisait lui-même la part du pape, lui réser-
nt, ou plutôt lui imposant^ la dispense de quelques pratiques
ligieuses en faveur de calvinistes opiniâtres (2). Il laissa voir
pensée au nonce Bargellini, qui, rendu plus vigilant par
procès des quatre évoques jansénistes, s'empressa de de-
ander des explications sur le projet royal et d'avertir le
iHverain pontife. Clément IX s'inquiéta justement de voir
3UÎS XIV tenter de son chef une entreprise, dont le résultat
plus certain était d'exposer les catholiques à de nouveaux
;rils dans tous les pays où dominaient les protestants. Alors
ouvraient, de l'autre côté du Rhin, avec l'assentiment du
ipe, les négociations qui, sous les pontificats suivants, illus-
èrent les noms de Leibniz et du Cordelier Christophe de
ojas-Spinola, évéque de Tina (3), et qui, selon toute appa-
nce, auraient ramené à l'Eglise une partie des États alle-
ands, sans les guerres engagées par Louis XIV contre toute
Europe, et sans ses agressions répétées contre Innocent XL
ionne répondit aux plaintes de Bargellini par de hautaines
ïcriminations, ne niant pas la suprématie nominale du
linl-siège, mais bien décidé h repousser son intervention
Tective. Il écrivit ensuite au cardinal Rospigliosi (4) : « M. le
once m'ayant témoigné être en quelque inquiétude sur
iielques papiers qu'il remit dernièrement entre les mains
u roi touchant le grand dessein de la conversion des héré-
qnes et nommément sur ce que, dans iesdits papiers, qui
(1) aCuvres de hwis XIV, l. W, p. IM.
(2) Mirf., t. VI, p. 3ri5.
(3) Ou Tionia (Knin), eD Croatie. Spinola fut transféré au siège de Neustadt,
1 IfîSi. V. cot épisode, aussi iotéressant que peu connu en France, dans les
Cuvres liiî Leibniz, éiiit. Foucher de Careil.
(4) 8 mars 1609. Home, 197.
362 CHAPITRE SIXIÈME
est un prétendu projet de feu M. le cardinal de Richelieu, fl
y est fait mention d'une conférence ou congrès entre les catho-
liques et les hérétiques, j*ai dit au sieur nonce, et pour li
vérité et pour le repos de son esprit, qu'il yaplus de deux am
que Sa Majesté avait en main le même projet du cardinal de
RicheUeu, en quoi il ne lui avait rien apporté de nouveau;
mais qu'elle avait toujours traité de chimérique la pensée de
cette conférence, et que, quand elle serait plus solide^ jamais
Sa Majesté n'en prendrait la résolution qu'avec la participa-
tion, le consentement et l'emploi de Tautorité de notre saint-
père le pape (i); mais qu'il était bien vrai que Sa Majesté
ferait un reproche au sieur nonce de ce que Ton avait un peu
trop divulgué à Rome le secret de son dessein, qu il ne lui
avait confié que pour Sa Sainteté et pour Votre Ëminence,
d'autant plus que le succès dépend principalement de la con-
servation exacte de ce secret. Cependant il en est arrivé qu'il
s'est répandu un grand bruit dans le monde que le roi a pro-
mis à Sa Sainteté de faire un grand coup et capital contre les
huguenots, et en détruire quelques-uns, et que Sa Majesté en
a déjà reçu des plaintes et des reproches de divers princes et
potentats protestants, comme s*ils craignaient que Sa Majesté
put être capable de former le dessein d'une seconde Saint-
Barthélémy. » 11 ne convenait au pape de prêter son nom ni à
dos conférences théologiques tenues par l'ordre et sous l'auto-
rité du roi, ni à des manœuvres occultes dont ce prince l'aurait
ensuite requis de sanctionner les effets. Lu réponse du cardinal-
neveu louait en bons termes la piété de Louis XIV et son désir
de rétablir l'unité de créance, mais surtout sa promesse de ne
prendre jamais aucune résolution intéressant la foi, sans le
concours du pape, qui avait droit à celte déférence comme
vicaire de Jésus-Christ (2), leçon qui ne fut pas écoutée. Rome
(1) H csl d'ailleurs douteux que Liounef daus âOQ entreUen avec l'archevêque
de Thèbes, se soit exprimé si respectueusemeut pour la puissance pooUficale:
nous u'avous ici que la relatiou faite par lui de sa conférence avec le nonce
dans une lettre qui a pour but «le prévenir les reproches du pape et d'endor-
mir sa vigilauce.
(2) « . . Non prenrfïY, in simili affari di religione, rizoiuzione alcuna che
con participazione di Sua Santità, allaquale^ corne vicario di Chrislo, e dovuta
(fuesta dcferenza. >> (1 mai 1669. Rome, 198.)
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE L* AUTORITÉ PONTIFICALE 363
le connut les entreprises de Louis XIV, même la révocation
le redit de Nantes, qu'après Tévénement accompli.
L'expédition de Candie n'élait encore qu'un projet, lorsque le
oi avait réclamé le cardinalat pour Tabbé-duc d'Albret, à peine
igé de vingt-cinq ans. Clément IX devait mourir sans avoir
lonné la pourpre à Bonsy ni au prince d*Aversperg : il lui était
)lus difficile de la refuser au neveu de Turenne, qui avait an-
loncé lui-même au pape la conversion de son oncle (1), et dont
es intérêts furent soutenus par un agent spécial, Tabbé de Bi-
jorre, ancien secrétaire du duc de Chaulnes, renvoyé à Rome
30ur cette unique affaire (2). La première promotion apparte-
lait de droit au pape ; mais le roi demanda Tavance d*un cha-
leau sur le tour des couronnes. Vainement le souverain pontife
jpposa le danger d'abord de violer la coutume. On lui représenta
]u'il importait, en ce moment, de ménager la bienveillance du
roi. Bigorre écrivait : « Sa Sainteté s'échauffa un peu là-dessus,
3t joignant ses mains : Dieu sait^ dit-elle^ si nous voudrions
:ien refuser au roi ; mais que diraient nos successeurs quand
ils verraient que nous aurions perverti les ordres établis et
mis la confusion où nous aurions trouvé la règle? — Je lui
répondis d'une voix plus basse qu'à l'ordinaire, pour lui mon-
trer plus de respect, que son pouvoir n*ayant point de bornes,
elle trouverait peut-être à propos de s*en servir à déroger pour
une fois et sans conséquence à ces règles, en vue d'un inté-
rêt si puissant pour la religion en général et pour celle de la
France en particulier. — Elle me répliqua que c'était une
affaire de religion que de maintenir les coutumes établies par
les papes (3). » — L*abbé de Bigorre invita le roi à « rechar-
ger un peu sur sa première recommandation, » et à écrire
« de nouvelles lettres avec quelques motifs ou des secours de
Candie, ou do l'avancement de la religion en France (4). »
Lionne lit valoir le zèle déployé par Toncle du candidat en fa-
(1) Liooue à Bourleuioat, 25 octobre 1668. Rome, 493.
(2) Lu roi au pape, 18 novembre 1668, à BourlemoQt; Lionne à Rospigliosi,
l«r décembre; Bigorre à Lloune, 28 décembre. Romey 194.
(3) A Lionne, 1*' et 8 janvier 1669. Rome. 196.
(4) A Lionne, 8 et 15 Janvier 1669; ie roi au pape, 18 janvier; Lionne àRot-
pigliosi, 11 et 18 janvier. Rome, 196.
364 CHAPITRE SIXIÈME
veur de Texpédition projetée : « Si M. le cardinal Rospigliosi,
dit-il (1), pouvait voir par lui-même tout ce que M. deTurenne
fait ici tous les jours auprès du roi en faveur du salut delà
Candie, pour aplanir ou surmonter les obstacles sur la qualité
du secours, et détruire toutes les considérations qui pourraient
s'opposer à cette résolution, je suis assuré que Son Émi-
nencc serait plus échauiïée qu'aucun autre à supplier Sa Sain-
teté de l'avancement de cette promotion. » Le ministre écri-
vit au cardinal Rospigliosi lui-même : c(... J'assure aussi
Votre Éminencc que M. de Turcnne y a fait des merveilles et
qu'il a donné les plus grands coups (2). » Le pape eut beau
prier le roi, par deux lettres de sa main, de ne pas le presser
et « di riflettere a quoi grandi rispetii liqttali delta tnateria de-
vono considerarsi,.. » — Il ajoutait : « Se le gravi coîisiderationi
che abbiamo in queuta materia ci daran Inogoa farlo^ non aara
minore il nosiro contento che quello di Vostra Maesià [3),,. ^^
Lionne écrivit coup sur coup des dépèches impérieuses (i),
d'après le projet que Tabbé-duc en avait dressé lui-même en
ces termes : « La lettre que M. de Lionne prendra la peine
d'écrire à M. le cardinal Rospigliosi est la principale pièce
de notre batterie et l'unique fondement de mes espérances... »
Il devra dire que le roi est surpris que, sur la seule nouvelle
du secours destiné à Candie, le nonce ne lui ait pas apporté
le chapeau; « que le déplaisir du roi fut tel qu'il ne voulut
pas dire le moindre mot touchant cette promotion à M. le nonce,
se réservant d'en écrire à Sa Sainteté même, croyant qu'il
était en quelque façon indigne de lui de rebattre si souvent
la même chose à ce ministre, sans en voir l'exécution » ; qu'en
conséquence il prend le parti d'envoyer ce courrier exprès
pour faire connaître l'impatience du roi et son chagrin
incroyable de ce que l'affaire n'est pas déjà consommée ; que la
simple promesse du secours de Candie suffit pour tirer du
(1) A Bourlemont, 18 janvier 1661). «owc, 196.
(2) 12 février. /?ofwe,196.
(3) 19 janvier el 19 f«^vrier 1669. Rome, 196.
(4) Lionne à Rospigliosi et à Bourlemont. 13 mars 1669. Rome, 197. Le brouil-
lon autographe de l'abbé est dans le mémo volume.-— Le roi et Lionne a Ros-
pigliosi, 20 et 22 mars ; Lionne à Bigorre, 22 mars. Rome, 197. Lionne à Ros-
pigliosi, 26 juin et 12 juillet. Rome, 198 et 199.
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l'âUTOHITÉ PONTinCALE 365
pape « cette marque de sa généreuse reconnaissance »; qu'en-
fin il « ne croit pas pouvoir rendre un plus grand service à
Son Éminence et à toute sa maison qu*en la suppliant de
faire en sorte, par son crédit, que cette affaire ne traîne pas
sn de plus grandes longueurs... Tout ceci serait peu de chose
si M. de Lionne n'avait la bonté de se servir de ces pièces dar^
tillerie dont lui seul est l'ouvrier et dont le coup porte si à pro-
pos. » L'abbé de Bigorre prenait, à Rome^ une attitude con-
forme à cet indigne langage (i)^ et accusait le pape de vouloir
régler sa décision sur l'issue de la campagne (2).
Rien ne pouvait plus offenser Clément IX que le soupçon
le mettre une condition à un acte qui devait émaner de sa
Jbre volonté, et Bourlemont avait depuis longtemps éclairé
a cour sur les véritables dispositions du pontife. Il avait écrit
jës le 9 avril 1669 : Le cardinal Rospigliosi m'a déclaré « qu'il
:ic croyait pas avoir rien dit à M. Bigorre ni à qui que ce fût
]ui put être expliqué en ce sens-là (3), et que M. le cardinal
Vzzolino que Ton citait n*avait point eu cette pensée-là non
)lus que lui; que ce n'était pas le génie du pape ni le sien
le capituler pour les grâces; que Sa Sainteté allait au devant
le celles qu'il pouvait faire et principalement vers le roi pour
]ui il a tant d'amilié et do tendresse ; qu*il osait me dire qu'une
pareille pensée était contre le roi et le pape que Sa Sainteté eût
/oulu marchander sesgrùces et le roi les voulût acheter; que
:es deux monarques travaillent pour la belle gloire et Thon-
leur de Dieu, et par le lien d'amitié qui les unit pour le bien
le la chrétienté. »
L*abbé de Bigorre ruina son crédit par ses discours extra*
^'agants : personne ne prenait au sérieux un agent qui se
^-antait, dans Tantichambre du pape, de se faire bientôt un
(1) Liouoe cepeudaut prévoyait le daugor des formes Irop brutales : Faites
'aloir uoa raisous avec force, disait-il, tuais •< représentez-les doucement,
espectueuscment et sans uieuaces positives qui pussent donner un prétexte à
les gens tiui seraient peut-ôlre bien aises d'en trouver. >> (22 mars 1669. Rome^
97.)
(2) Bourlemout à Lionne, 1) avril 16G9. Home, 197.
(3) Ce que l'on appelait « la respectivité d'&yiiUceT la promotion de M. le duc
TAlbrct si les puissants secours que le roi envoie en Candie ont un heureax
.ucoès. '» ^Homf, l'J7.)
366 CHAPITRE SIXIÈME
matelas avec les moustaches des Turcs, tués par le duc de
Beaufort(i]. Lionne vint à son secours en faisant appel à la
libéralité du souverain pontife. Il répéta au cardinal Ros-
pigliosL que le roi avait des raisons ce très fortes et très consi-
dérables » de souhaiter cette grùce, et Tinvita de nouveau à
« supplier Sa Béatitude de son entière consommation. Je puis,
disait-il^ ajouter à cela que Sa Majesté s'attendait à en recevoir
la nouvelle huit jours après la Pentecôte (2), croyant que Sa
Sainteté aurait appris en ce temps-là le départ des armées et
ne pouvant se persuader que Sa Béatitude voulût attendre le
succès de leur action on Candie, comme si elle ne regardait
la chose que par l'événement heureux ou malheureux» laquelle
pensée Votre Éminence, aussi bien que tout le monde, a jugé
elle-même peu conforme à la générosité naturelle de Sa Béa-
titude (3). » L'abbé de Bigorre écrivit au ministre : « Sans
vos manières d'une adresse consommée, le secours de Candie
n'aurait pas été suffisant pour nous mener à notre fin, et les
armées de Sa Majesté, après avoir arraché des mains des Turcs
le royaume de Candie et épouvanté l'Orient, s'en seraient
retournées à Marseille, sans avoir tiré des mains des prêtres le
bonnet rouge dont Votre Excellence m^avait commis lasolli-
ritation (4). » Mais ces manœuvres auraient été vaines sans
la mort de Boaufort et le désastre du 23 juin, dont la nouvelle
ne fut rec^^ue à Rome que le i*' août suivant (îi). Dès le 5 août,
(i) Servieut à Lionne, 16 juillet 166î). Home, 11»9.
(2) Qui, cette aiiu6e-Ià, tombait le 9 juin.
(3) 26 juin 1669. Lionne uotc lui-même qu'il a écrit de sa main le brouillon
et rexpéilitiou de cette lettre.
(4) 9 juillet 1669. Home, 199.
(3) Le 30 juillet. Bourlemont écrit encore que le pape ne lui donne aucune
espérance; qu'il n'y a pas d'exemple qu'on ait avancé la promotion d'un car-
dinal national pour une ?eule couronne, et qu'il y a trop peu de vacances
pour satisfaire à la fois tous les droits et toutes les prétentions. Le môme jour,
le pape répond lui-même dans lo môme sens à une lettre récente. [Rome,
199.) — 3 août, Servient à Lionne : On a ici depuis trois- jours la nouvelle des
événements de Candie. — fl aoAl, lo papo au roi : lui annonce la promotioa
faite dans la matinée du même jour. — 6 aoùl, Bourlemont à Lionne : « Je
dois vous dire que je tiens pour indubitable que la résolution prise au palais
tout à coup de faire la promotion eu un jour de fête [Notre-Dame des Neiges,
grande solenoité à Saiule-Marie Majeure], et lors mèmeque toute la maison du
pape était en deuil [don Tommaso Rospigliosi. ueveu de Clément IX, mort la
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l' AUTORITÉ PONTIFICALE 367
le pape assembla un consistoire et, « déclarant la promotion,
il dit qu'il tirait deux chapeaux de sa promotion pour les cou-
ronnes, Tun pour M. d'Albret, pour le chapeau national de
France, et Tautre pour le chapeau national d'Espagne qu'il
réservait in petto (1). » La cour de France était-elle satisfaite?
Les remerciements ampoulés de la première heure (2) furent
bientôt suivis de nouvelles exigences. Louis XIV trouva
mauvais que l'Espagne reçût la même faveur que lui, sans
qu'on l'eût étendue au prince d'Aversperg, et il provoqua des
explications qui mirent en relief la délicatesse du pape. Bour-
lemont écrivit : On s'est conformé à l'usage. « Le cardinal
Rospigliosi médit confidemment qu'outre ce motif le pape en
avait encore un plus fort de ne s*en pas dispenser en faisant
seul M. de Bouillon, qui est la compassion vers la reine d'Es-
pagne^ dont la régence est si traversée et si mal obéie ; et que, si
le pape l'eût oubliée, en avançant la promotion pour la France,
cela lui aurait beaucoup diminué son estime, et l'on eût cru
que le pape la considérait peu dedans ses afflictions et ses tra-
verses; que toutes ces considérations-là ne se trouvaient pas
en Télat où était présentement TEmpereur (3). » Celte atten-
veiUe, 4 août], a eu pour principal motif la perte de M. de Beaufort que l'on
apprit vendredi par des lettres de Malte, mais que vraisemblablement Ton a
voulu dissimuler au palais pour rendre la promotion apparemment plus gé-
ûéreuse. »
(1) Bourlemont à Lioune, 6 août iG69. Romej 199.
(2^ Le 20 août, Lionne écrivit au cardinal Rospigliosi : Le roi m'ordonne de
vous dire « que bien loin que V. E. ait perdu un ni deux chapeaux, qaand mAme,
par un malheur qui me fait horreur à y penser, V. E. no les pourrait regagner
dans la promotion que S. S. feru^s'il plaît à Dieu, pour les couronnes et plu-
sieurs aatrcs ensuite, il veut et entend au contraire que V. E., dans cette seule
action si désintéressée qu'elle a faite par le seul motif de lui plaire, ait gagné
rix ou sept autres chapeaux à son entière disposition en tout temps, parce
que la faction de ses serviteurs dans le sacré collège aura un ordre perpétuel
d(* s'attacher inséparablement aux intérêts de V. E. et & ses volontés, voire
de la reconnaître comme leur véritable chef dans les conclaves et y suivre
tous les mouvements qu'elle estimera do son avantage de leur donner, et pour
autant que Dieu me prêtera de vie et a mon Ûls, j'ose dès a présent répondre
à V. E. que cet ordre sera aussi ponctuellement exécuté de delàpar MM.'nos
cardinaux que S. M. le leur aura donné d'ici avec la dernière sincérité, n'étant
pas à présumer qu'aucun d'eux veuille, on y manquant, s'exposer à encourir
l'indignation et la disgrâce de S. M. » (20 août. Home, 199.)
(3) Lionno k Rospigliosi, 25 septembre; Bourlemont à LioDne, 8 octobre 1669,
Rome^ 200.
368 CHAPITRE SIXIÈME
lion généreuse de Clément IX n'excita que de la colto i
Saint-Germain. Lionne répondit à Bonrlemont (i) : Quand le
pape nous accorde un chapeau, pourquoi se croit-il obligé
d*en donner aussitôt un autre à rEspagne?Les Espagnols ont-
ils fait tuer leur amirante en Candie? cet amirauté avait-il ud
frère cardinal, qui « a dépensé toutes ses forces dans le ser-
vice du saint-siège et en soit mort (2)? »
Louis XIV s appliqua dès lors à emporter une nouvelle pro-
motion, celle de César d*Estrées, évèque de Laon, au nom du
régent de Portugal. Cependant tout excluait ce prélat du sacré
collège. Non seulement il ne rendait aucun service à Féglise
de Portugal ni à celle de France, mais il venait de participer
très activement à toutes les machinations concertées entre la
cour et les quatre évêques jansénistes pour tromper le saint-
siège (3). D'ailleurs Tadmission périodique du Portugal aux
promotions des princes n était point passée en coutume; ot
enfin, quand venait le tour de cette couronne, les ecclésiasti-
ques nationaux devaient être préférés aux étrangers. Voici les
manœuvres employées par Lionne pour écarter les rivaux du
prélat français. Il écrivait à Tabbé de Saint-Romain, ambas-
sadeur à Lisbonne : « J'ai donné avis à M. Tévèque de Laon,
de la peine que vous font quelques ecclésiastiques portugais
des grandes maisons pour la concurrence avec lui au chapeau
de cardinal... Quant au prince, il est aisé, ce me semble, de
lui faire connaître qu'un des plus grands intérêts qu'il a pour
pouvoir gouverner son Etat plus souverainement, est de n'a-
voir jamais de cardinaux portugais, à moins que ce ne fùtuQ
de ses propres enfants, à cause de la vénération extraordinaire
qu'ont les peuples pour tout ce qui regarde le pape et rautorilc
de la cour de Rome, et qu'un cardinal présent partagerait la
sienne dans le royaume et lui causerait bien des embarras, s'il
voulait, en tant de diverses occasions qui peuvent s'ofifrir(4).»
(l) 11 octobre. Rome, 200.
(2j Allusion au cardinal de Vendôme, frère de Beaufort, qu'une maladie avait
emporté, à Aix, quelques semaines après la mort de l'amiral. — 11 faut ua
rare degré d'impudence pour transformer ce misérable personnage eu ser-
viteur du saint-siège, victime de son dévouement à rÉglise !
(3) V. plus baut sa lettre à Lionne, du 1 décembre 166S.
(4) 12 mai 1669. Portugal, 8.
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l'aUTOKITÉ PONTIFICALE 369
Le pape représentait du reste avec douceur qu'avant d'as-
pirer à de nouvelles grAces, la cour do Lisl>onne devait lui
témoigner quelque reconnaissance de ce qu'elle avait déjà reçu
du saint-siège. II traitait avec le régent; il lui avait accordé
les dispenses pour son mariage; il agréait sa nomination aux
évèchés; il promettait de recevoir son ambassadeur, et le
régent ne faisait rien ni pour le pape ni pourTËglise {i) !
L*abbé de BouPiIs, accrédité à Home comme agent du roi et
de la maison de Vendôme, ne craignit pas de rappeler comme
un titre de César d'Eslrées à la pourpre le lien honteux qui
Tunissait au duc de Beaufort : Le sang de Tamiral doit « rou-
gir l'habit de M. de Laon » (2), dit-il au cardinal Rospi-
gliosi (3). Le cardinal de Vendôme étant mort peu après
(6 août 16G9), la cour de France tenta également d'exploiter,
(1) BouûU à Liooue, 16 juillet 1660. Rome, 19'J. — La correspoudance du
temps U0U8 apprend luême que le pape avait à se plaiudre des obstacles ap-
portés par le réfçent au ministère des missionnaires envoyés dans les Indes
par la Propagande.
(2) Ce méprisable évoque, qui n'était encore connu que par ses galanteries,
avait depuis longtemps pris la résolution de mettre à prutit le triomphe aussi
bien que la mort de ramiral. Voici un mémoire qa'il avait chargé son frère
aiué, le marquis de Cœuvrcs, de présenter à Lionne : « J'ai fait réflexion sur
le bruit que l'abbé Bouûls me mande qu'on avait répandu dans Rome que
M. le duc de Beaufort aurait ordre, en revenant de Candie, de faire l'ambas-
sade d'obédience auprès du pape, et j'ai pensé que ce serait un (jrand coup
pour Vavancemenl de mes affaires si cette vue réussissait. Dans la bonté que
M. de Lionne a pour moi, jo vous prie ihi lui faire cette ouverture et de lui
dire qu'eu cela comme en toutes choses j'espère tout de sa bonté. M. de Beau-
fort, y séjournant un mois ou six semaines, aurait uu cortège admirable de
Varmée navale, et, de cette sorte, le secours qu'il en tirerait et le peu de séjour
rendrait la dépense bien moins considérable. Ainsi, il n'en coûterait pas ex-
trêmement au roi. et la chose serait d'une satisfaction infinie pour le pape.
M. de Beaufort irait liéharquer proche de Rome, et je ne sais même si, dans
la rencontre du succès de Candie, il ne pourrait pas faire comme une entrée
uavale par le Tibre, et aller immédiatement débarquer proche de Saint-Pierre.
La plus grande dépense, ce serait celle d'une livrée et de quelques attelages ;
encore peut-être que, <lansune conjoncture si extraordinaire, on pourrait tden
l'éviter... Je suis persuadé que cette résolution serait décisive pour mes affaires.
En cas qu'il fût à propos de procurer quelques diligences du ciMé de Home
pour demander un ambassadeur d'obédience, on attirerait des ordres qui obli-
geraient le nonce d'en faire des instances. Je supplieinstammeutM.de Lionne
de considérer avec sa bonté accoutumée ces proposiUoas. Ce 6« juillet 1669,
à Paris. » {Home, 204.^
['3} BonUUà Lionne. 9 août 1660. Home, 199.
LOUIS XIV BT LB SA1NT-Si60l. — 11. 24
370 CHAPITRE SIXIÈME
en faveur de son indigne protégé, sa parenté avec Gabrielie
d^Ëstrécs et la mort des deux frères issus de cette courtisane.
Elle envoya au pape une nouvelle supplique signée par les deui
enfants que le cardinal de Vendôme avait eus de son mariage
avec une nièce de Mazarin, et Lionne, rompu à tous les rôles
et à tous les mensonges, prit le style dévotieux pour sur-
prendre la complaisance du cardinal Rospigliosi. Il lui écrivait:
« M. le duc de Vendôme a cru ne pouvoir rencontrer de
plus solide consolation à l'excès de sou mal qu'en recourant
à la source en terre de tous les plus grands biens, qui est sans
doute la main toute-puissante et si bienfaisante du vicaire de
Jésus-Christ. Il prend la liberté de continuer les mêmes res-
pectueuses instances à Sa Sainteté que les deux princes que
nous regrettons lui avaient faites pour la promotion au cardi-
nalat de M. Tévêque de Laon, son plus proche parent et son
meilleur ami ( i ). . . » L'ardcu r passionnée que déploya le ministre
dans la poursuite de cette promotion s*expliquait parle projet
de mariage arrêté entre sa fille Madeleine et le comte de Nan-
teuil, neveu de Tévêque (2). Il dépêcha en Italie un second
agent, M. Foucher, pour solliciter, de concert avec Tabbé de
Bonlils, une nomination que le roi avait « infiniment à cœur ».
Ildisait àBourlemont(»l) : u En mon particulier, j'ai des raisons
si puissantes pour souhaiter à M. de Laon toute sorte d'avan-
tages et d'accroissement d'honneurs que je ne puis jamais, en
aucune autre occasion, de quelque nature qu'elle soit, quand
ce serait pour mes propres enfants, vous avoir tant d'obliga-
tion qu'eu celle-ci, si vous voulez bien, comme je vous en
conjure très instamment, donner vos soins et une particulière
application au bon succès de ralîairo. » L'abbé do Bourlemont
conduisit l'abbé de Bonfils et Foucher à l'audience du pape
(1) 30 août. Home, 199.
(2) Le comte de Nauteuil était fils du marquis de Cœuvrea, qui devint duc
d'Estrôes, eu J670, par la mort de sou père, et qui fut ensuite ambassadeur à
Rome. Le mariage fut célébré le 10 février 1G70. « Les malins Taccusèpent
[l'évoque de Laou] d'avoir fait dans la vue du chapeau le mariage de son neveu
avec la fille du célèbre Lionue; ... sur quoi il courut d assez plaisantes chaii-
sous, dont il se divertit le premier. » {Mémoires de Saint-Simon, êdit. Chéruel,
t. X, p. 350.)
(3) 30 août 1669. Rome^ 199.
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l' AUTORITÉ PONTIFICALE 371
et sollicita la promotion de César d'Estrées comme a la ré-
compense de la mort de deux grands princes pour le service
de rÉglise. » Clément IX répondit de sa main au roi que cette
grâce était impossible (1), etTabbé de Bourlemont écrivait :
« Sa Sainteté me répéta... que, n'ayant pas encore fait de
promotion pour lui, étant déjà dans la troisième année de son
pontificat, il est obligé, et par honneur et par conscience, de
récompenser, en la première promotion, des prélats de cette
cour qui consument depuis si longtemps leurs biens, le meil-
leur de leur âge et leur vie au service actuel du saint-siège;
qu*il ne devait pas leur faire ce tort d'aller prendre des étran-
gers et les laisser vieillir, eux, sans récompense, et qu'il ne
manquerait jamais de gratitude vers eux en ce qui lui serait
possible; et que, pendant que Dieu lui accordait quelque peu
de vie, il fallait songer à eux et faire que, par leur récom-
pense, les autres de cette cour prissent courage de s'employer
totalement au service de TÉglise et du saint-siège; que Dieu
même à qui nous devons tout, comme ses créatures, veut bien
encore nous animer à faire notre devoir par ses immenses
bienfaits; enfin que l'on considère qu'il n*a que six cha-
peaux à disposer pour sa promotion, et que, jetant les yeux
sur la cour de Rome, il la voit remplie de tant de prélats qui
ont vieilli au service du saint-siège que ce serait cruauté de
ne les pas consoler selon son pouvoir (2). »
Ces réponses exaspéraient Tévéque de Laon^ ses agents et
ses protecteurs; l'abbé de Bonfiis écrivait(3) : « Je ne sais plus
que dire. Je suis au bout de mon latin... Je suis en vérité outré
de voir une insensibilité pareille à celle-ci, et, si je n'étais
chrétien et prêtre, je souhaiterais quelque mortification à cette
cour, qui fit M^** de Bouillon cardinal quand on sut la mort de S.
A. de Beaufort, et qui parle absolument, se voyant, parla red-
dition de Candie, hors de besoin... » Bourlemont tâchait de
modérer ce zèle : Il faut prendre garde, disait-il, de faire con-
(1) « ... Sono taoti e si gravi i respetti, cbe vi si oppoagouo ed ë si prcciso
iu Doi Tobligo di considerarli che nou ci ë perinesso di sperar quel la cousola-
ztoDe. »> (24 leptembre 1669. Rome, 200.)
(2) A Lioane, 17 septembre et 8 octobre 1669. Rome, 200.
(3) A Lioiuie, 22 octobre 1669. Rome, 201. Dépêche classée par erreur sous
U date du 22 novembre.
372 CHAPITRE SIXIÈME
naître à cette cour « que, si M. de Laon D*a pas le chapeau en
cette première promotion, il s*eQ sentira désobligé, parce que
Ton ruinerait sa prétention pour tout ce pontificat, vu qaelt
nomination de Portugal n'est pas établie en façon que le pape
ne puisse favoriser celui qui Faura, passant sur certaines for-
malités, ou le chicaner s'il lui déplaisait (4). » Mais César
d'Estrées voulait entrer au sacré collège de gré ou de force.
Il préparait le texte des dépèches que la cour expédiait à Rome :
ce Sa Majesté, disait-il, réglera jusqu'où elle limitera TelTort
de ses instances; mais il est sans doute que, quoique les rai-
sons du Portugal, et surtout dans la conjoncture présente,
soient grandes et spécieuses, un engagement ferme et cons-
tant que Sa Majesté aura pris et quelle fera voir fondé sar
une jalousie et sur un sentiment de gloire et de réputation
fera une plus grande et plus forte impression. » Il faut faire
entendre que le roi ne voudra jamais « s'en départir... M. de
Lionne sait ce que l'abbé Melani marque dans toutes ses lettres
de ce mélange délicat qu*il faudrait faire de Vamaro coldolce,
en sorte que toutes les paroles de douceur fussent expresses
et formelles et qu'à travers de ses honnêtetés on fît entendre
un peu d'amertume et de chagrin pour Tex primer... Quand il
plaira à Sa Majesté d'entrer dans l'affaire de Portugal de celte
sorte et de faire sentir qu'il Tembrasse comme un intérêt
propre et personnel, il est sans doute que l'établissement d'une
nomination nouvelle dans un royaume, quelque légitime
qu'elle soit, est sujet à de grandes et de longues oppositions,
mais ce qui peut arriver de la fermeté vigoureuse avec laquelle
Sa Majesté témoignera y entrer, c'est que le pape, comprenant
que ce ne sont point des offices de bienséance qu'elle rend au
Portugal, mais des démarches essentielles et qui le commet-
tent même en quelque façon, ou qui dans la suite le peuvent
commettre, avec Sa Majesté, trouvera peut-être si incommode
la discussion de ce droit qu'il sera obligé de faire non seule-
ment avec le Portugal mais avec le roi même, que, pour évi-
ter les suites d'une telle contestation, étant pressé d'ailleurs
par beaucoup d'autres motifs, il fera des ouvertures pour
(1) A Lionne, 5 novembre 1669. Rome, 201.
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l' AUTORITÉ PONTIFICALE 373
donner quelque satisfaction au roi et au Portugal, et aura
moins de peine à donner un chapeau qui lui est demandé par
lanl d'endroits, sans rien décider pour ou contre le droit du
royaume de Portugal, quand il comprendra par les pas que
feront les ministres de Sa Majesté qu'il ne peut s'empêcher
d'avoir à démêler avec Sa Majesté comme avec le Portugal le
droit de nomination, sur lequel il y a véritablement beaucoup
de choses très apparentes à représenter, quand une aussi
grande autorité et aussi révérée que celle de Sa Majesté les
soutiendra, comme je le vois par'toutes les lettres qui me
viennent de Rome(i). »
Ni Vamaro ni le dolce ne touchèrent Clément IX, qui refusa
constamment la pourpre à César d'Estrées, comme au prince
d'Aversperg et à Bonsy : mais il fitbientôt (29 novembre 1661)
une promotion comprenant les plus éminents prélats de Rome
et où le futur conclave devait trouver son successeur : Altieri,
maître de chambre du pape, âgé de soixante-dix-neuf ans,
« et encore vigoureux, vu son grand âge » ; « d'un insigne
mérite et probité » ; et qui allait être Clément X ; — le P. Bona,
général des Feuillants, Tami d'Alexandre VII, « théologien
insigne » et dont le savoir était égalé par la piété; — Nerli,
archevêque de Florence, longtemps secrétaire des brefs aux
princes, dont l'esprit ne pliait pas sous le poids de soixante-
seize années; — Cerri, doyen de la rote, Romain, « d'un
grand savoir et d'un grand mérite » ; — Pallavicini, doyen des
clercs de chambre, ancien nonce en Espagne; — Bonaccorsi,
trésorier de la Chambre apostolique, qui avait accompagné le
légat Chigi en Frauce, Tun et l'autre sans partialité; — Ac-
ciajoli, auditeur de la Chambre, « prélat de mérite, » déjà en
possession d'une renommée dont l'éclat ne fit que s'accroître,
— et Porto-Carrero, Espagnol, doyen de Tolède, réservé in
(1) « Mémoire de M. révoque de Laon sur sa promotion. » Novembre 1669.
Rome^ 201. — Il est curieux de comparer à ce raémoiro la supplique adressée
par César dTstrées au pape, le 6 avril précédent : « ... Nou scribo postulatu-
ms beneficium, sed obsequium duntaxat approbaturus meum. Venlo adorons,
Don petens; adorans quidem, ut decet, in le culminis apostolici majestatem,
non voro petens societatem eminentissimi coUegii. Ego essem quam parsit
eoofidentior, si meritis quœ in me nulia sunt... » Mais il est recommandé par
deoz grands princes. {Rome, 197.)
374 CHAPITRE SIXIÈME
petto dans la promotion où le cardinal de Bouillon avait été
proclamé (1). On voit, par cette comparaison, si le pape était
fondé à défendre le sacré collège contre Tinvasion des créa-
tures de Louis XIV.
Clément IX continua de réclamer, dans la troisième année
de son pontificat, contre les obstacles mis par les tribunaux
séculiers à la publication en France des censures dont Rome
avait frappé le Rituel d Aie tel la Version de Mons^ œuvres des
jansénistes; mais le roi maintint cette prohibition en procla-
mant des principes qui détruisaient Tunité catholique. Lionne
écrivit an cardinal Rospigliosi (2) : « M. le nonce m'a fait en di-
vers temps do grandes instances sur la publication de ce qui
a été fait à Rome sur le sujet du Nouveau Testament de Mons
et du Rituel cTAlet; j'ai toujours cru et je suis encore persuadé
que le plus grand service du pape, en ces deux affaires, con-
sistait à se contenter de ce qui s'est fait de delà, dont tout le
monde ici a assez de connaissance, sans entrer en de plus grands
engagements qui causeraient mille embarras et pourraient
même donner atteinte à la paix que Sa Sainteté vient de réta-
blir dans rÉgliso, avec une gloire immortelle de sa personne
et de son pontificat... Que si Sa Sainteté se trouvait être dans
d'autres sentiments, outre que le sieur nonce devrait toujours
en attendre de nouveaux ordres pour ne commettre point de
faute, il faudrait nécessairement que, préalablement à toutes
choses, on changeât de delà la forme qui a été prise d'abord
et que l'on nous envoyât dos bulles avec du plomb, sur les-
quollos le roi aurait après à donner ses lettres d'attache, tel
étant l'usage constant et les lois du royaume que le roi ne
peut enfreindre sans se faire trop de préjudice et sans s'attirer
des remontrances de tous les Parlements, qui ne seraient qu'une
occasion de fAcherio à Sa Sainteté, outre le péril que Ton cour-
rait, touchant le Rituel dAlet^ de soulever tous les évèques
du rovaume en faveur de leur confrère, dont on a ordonné de
delà que le livre serait brillé, avant que l'avoir cité et entendu
ce qu'il peut dire pour sa justificalion. Enfin je supplie Votre
(1] Boiirlemont à Lionne, 30 novembre 1669. Rome^ 201.
(2) 8 mars 1669. Rome, 191.
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l'aUTORITÉ PONTIFICALE 375
Eminence do croire que le roi fait ce qui est le plus du service
de Sa Sainteté, quand Sa Majesté refuse d'accorder là-dessus
Jos demandes que lui a faites M. le nonce... »
Le roi persistait également à empêcher les évêques de ré-
tracter les ordonnances par lesquelles, sur Tinjonction de la
couronne et sans consulter le saint-siège, ils avaient supprimé
un certain nombre de fêtes chômées, et malheureusement les
prélats étaient plus dociles à la voix de Louis XIV qu à celle
du pape. Clément IX disait un jour à l'abbé de Bonfils : « Si
MM. les évêques de France voulaient, ils pourraient assuré-
ment faire les choses au gré de tous et d'une autre manière
qu'ils ne les font, et n'entreprendre pas à tous moments sur
Tautorité du saint-siège... Si ces messieurs, qui font souvent
les choses par imitation, parce qu'un de leurs confrères les a
faites, eussent considéré la demande du roi et leur pouvoir,
ils en auraient usé autrement. Sa Majesté a demandé la modé-
ration des fêtes qui sont en trop grand nombre ; elle a eu
raison, et MM. les ministres aussi, qui connaissent la néces-
sité des peuples; mais pour cela je suis assuré qu'ils n*ont
jamais entendu strapasser (1) l'autorité du saint-siège, à qui
MM. les évêques pouvaient recourir: et, connaissant comme
ils font ses intentions, ils savent bien qu'ils auraient eu satis-
faction comme encore tous les Français, que nous aimons ten-
drement; mais de se dispenser, de supprimer les fêtes que
les papes qui sont les chefs de l'Eglise et les vicaires de Jésus-
Christ ont établies depuis si longtemps, nous ne pouvons que
nous ne nous en plaignions et d'autant mieux que chaque évê-
que veut être le pape ! ... Ils peuvent bien dispenser et permettre
de travailler les jours des fêtes, selon la nécessité des saisons
et des personnes, mais non pas les supprimer, étant du seul
pouvoir du pape et non des évêques, et enfin [Sa Sainteté a
dit] qu'elle espérait de la piété du roi, qui est le fils atné de
rÉglise, et de celle de MM. ses ministres, toute sorte de sa-
tisfaction là-dessus (2). » Clément IX n'aurait pas manqué de
réprimer ces excès de pouvoir par un acte de sa juridiction
(1) De slrapazzare, mépriser, maltraiter.
(2) BoDfils à Lionne, 4 juiu 1669. Rome, 498.
376 CHAPITRE SIXIÈME
suprême, s'il n'avait été informé que la piété des peuples ne
ratifiait pas ces retranchements et que les ordonnances épis-
copales étaient bientôt oubliées : à Paris, sous les yeux du roi
et (le Tarchev^que, les fidèles et le Parlement chômaient les
fêtes supprimées (i). D^un autre coté, Louis XIV n'a jamais
appuyé plus fréquemment qu'à cette époque les vœux des laï-
ques et du clergé pour obtenir du saint-siège l'établissement
de nouveaux offices et la canonisation de nouveaux saints (2).
Il est à remarquer que la plupart des bienheureux auxquels
la reconnaissance populaire souhaitait de rendre un culte so-
lennel avaient porté Thabit monastique, et que Louis XIV
poursuivait en même temps les hostilités contre ce clergé ré-
gulier qui couvrait le royaume de ses bienfaits. Lacommende
lui permettant déjà d'étendre chaque jour son pouvoir sur les
instituts les plus riches, il s'étudiait alors à placer également
sous sa main les grands ordres mendiants, Âugustins, Domi-
nicains, Franciscains et Carmes, que leurs règles et leurpau*
vreté avaient mieux protégés jusque-là contre les usurpations
séculières. Clément IX refusait les commissaires m partibua
qui lui étaient demandés moins pour réformer que pour sup-
(1) « Le roi a envoyé au Parlement une lettre de cachet pour l'informer de
l'ordonnance de M. l'archevôque de Paria et le Parlement l'a reçue, sinon pour
les fêles de saint Nicolas, des Innocents et de saint Barthélémy^ patron de la
paroisse du palais. Le Parlement n'entrera pas ces jours-là, quoiqu'il ne foit
pas fôte. >i {Journal de d'Ormesson, t. Il, p. 478.) — Le mardi 40 août (1661),
fôte de saint Rocb, tout le peuple ff^ta^ nonobstant le retranchement de cette fête.
M. le chancelier donna conseil, et le Chûtelet entra, inais non le Parlement. •
{Ibid.^i. n, p. 517.)
(2) Notamment : 17 juin 1668, le roi au pape; demande l'introduction delà
cause de Robert d'Arbrissel. fondateur de Fontevrauld; — 29 juin 1668, le roi au
pape : supplique pour la canonisation de quarante Jésuites martyrs au Brésil;
— 1668, id. pour Rose de Lima, Dominicaine; 13 juillet 1668, présentatioD
par le duc de Cbaulnes des lettres du roi et de la reine pour la canonisation
de Madeleine de' Pazzi, Carmélite, 18 décembre 1668, supplique du roi au pape
pour la canonisation de François de Borgia, duc de Gandie, général des Jé-
suites; — lomars 1669, le roi au pape, pour la canonisation de Jean Cantius;
— 17 mai 1669, le roi au pape pour la n béatification de deux Capucins, les
PP. Âgathange de Vendôme et Cassian de Nantes, prêtres, religieux profès et
missionnaires en Ethiopie, où ils ont été pendus et lapidés, en 1638, avec une
grande cruauté » ; — 16 novembre 1669, le roi au pape : demande rextensiou
du culte rendu auxBB. Jean de Matha et Félix de Valois, fondateurs de Tordre
des Trinitalres. {Rome, 190, 191, 192, 195, 201, 204, etc.)
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l'aDTORITÉ PONTIFICALE 377
primer un grand nombre de couvents. Mais, afin de meltre à
l'épreuve la sincérité du roi, il avait prescrit aux généraux de
se rendre dans le royaume et d'y visiter toutes leurs mai-
sons (i ). Les dépêches françaises n*ont que des hommages pour
les vertus et les talents de ces religieux. Bourlemont, annon-
çant que le général des Augustins se mettra en route le len-
demain, ajoute : « C'est une personne de grand mérite. Il est
milanais ; toutefois tous les religieux français de son ordre que
j*ai vus ici se louent de lui. » L*un des plus éminents était le
général des Dominicains qui, dans une lettre précieuse^ nous
révèle les désordres déjà provoqués par la couronne au sein
de ces grandes communautés : c'est lui qui écrivait à Lionne (2) :
«... Bien que le mal ne soit ni si grand ni si général, comme
ceux qui n'aiment pas les religieux ont tâché de persuader à
Sa Majesté pour les décrier et avancer leurs desseins à leurs
dépens, ayant dans la France cinq provinces ou congrégations
réformées et où on vit fort bien, je députe aussitôt trois com-
missai res français, pris des corps les plus réformés de la France
et personnes de grande probité, prudence et expérience, ne
pouvant moi-même vaquer à ce bon œuvre et exécuter ses
commandements à cause de mon âge et de mes infirmités...
Pour faciliter ce bon œuvre et le faire avec moins de temps et
de frais, attendu la grande pauvreté des couvents de France,
j'avais divisé la France en trois portions et donné à un chacun
de ces commissaires la sienne, savoir : au P. Jean-André
Faure, provincial de la province de Toulouse, la Provence et
le Dauphiné et tous les couvents qui sont entre le Rhône, les
Alpes et la mer Méditerranée; au P. frère Jean le Pul, second
commissaire et ci-devant provincialde la province de Toulouse,
tout le Languedoc et l'Aquitaine et en général tous les cou-
vents compris entre le Rhône, la mer Méditerranée, les Pyré-
nées, la mer Océane et la Loire ; et enfin au troisième com-
missaire le P. frère Antoine Mousset, vicaire général de la
congrégation de Saint-Louis, tous les couvents situés entre la
rivière de Loire, l'Océan, la Flandre et le Rhin et la Saône, y
(1) Bourlemout au roi et à Lionoe, 18 et 29 i^eptembre, et 2 octobre 1668.
Rome, 1U3. — il juia 1609. Home, i9^.
(2) Octobre 1668. Home, 193.
378 CHAPITRE SIXIÈME
mettant encore la comté de Bourgogne, qui est au deçà de la
Saône; ayant donné à tous et un chacun tout mon pouvoir
pour visiter et réformer tous et un chacun des couvents de leur
ressort, autant que besoin en sera, selon rautorité que j'en ai
du côté de Tordre, et de la part de Sa Sainteté, afin de pouvoir
seconder les saintes intentions du roi de toute Tétendue de
mes forces et de mon autorité. Mais comme ceux qui avaient
inspiré ce dessein (1) à Sa Majesté pour affaiblir et décrier plu-
tôt l'état régulier que pour lui procurer son ancien lustre et
éclat, qu'il a perdu parmi les troubles de TÉtat causés par la
rébellion et Thérésie, virent qu'ils ne pouvaient pas réussir, si
le rétablissement de la réforme était laissé entre les mains des
généraux ou de leurs commissaires, ayant suggéré au roi de
demander des commissaires apostoliques àSa Sainteté, comme
il fit, mes commissaires sont demeurés jusques à présent sans
rien faire, Sa Majesté attendant réponse de Rome sur ses de-
mandes... A présent, comme Sa Sainteté a fait trouver bon
au roi (2) de se contenter que la réforme fût mise par les gé-
(1) De diriger la prétendue réforme des monastères sons le nom de com-
missaires apostoliques.
(2) Ce n était qu'un Jeurre, et le roi se réservait de ne permettre l'exécution
des nouveaux règlemeuts que s'ils étaient conformes à sa volonté. Les commis-
saires furent forcés de relâcher les liens de la subordination entre les coq-
vcuts français et le général, et d'enlever ainsi à ce dernier le moyen de les
défendre contre l'omnipotence laïque. Lorsqu'un siècle plus tard^ sous Louis XV,
la Commission royale des Réguliers, préludant à Tœuvre de TAssemblèe
constituante, chercha des prétextes pour bouleverser Tinstitut de saint Domi-
nique, elle les trouva dans les effets du régime imposé par Louis XIV; mai»
la piété n'avait jamais fléchi dans les maisons où le général avait conservé son
empire : c'est ce que démontrent les documents authentiques, publiés par
nous pour la première fois, et notamment le rapport suivant, dont Brieoue
lui-mcme, président de la fatale commission, n'a pas contesté TexacUtude :
« ... Tout Paris est édifié de la modestie et de la piété qui règne dans cette
maison [le noviciat général du faubourg Saint-Germain, aujourd'hui la paroisse
de Saint-Thomas-d'Aquin]... Elle s'est soutenue jusqu'ici dans la méine ferveur
que dans les commencements, c'est-à-dire depuis près de cent trente ans. Si l'on
en cherche la raison, il n'est pas possible d'en trouver d'autre que Cautorilé
immédiate que le P. général y exerce et qui lui est acquise par les lettres
patentes de Louis XIII enregistrées au Parlement. Il choisit dans tout l'ordre
en France, et principalement dans la province de Toulouse, les religieux qui
composent la communauté : il y nomme le prieur et les autres officiers...
La brigue, l'intérêt, la passion, l'esprit de relâchement peuvent bien influer
dans les élections que l'on fait dans chaque communauté; mais quel autre
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE L* AUTORITÉ PONTIFICALE 379
néraux de chaque ordre ou par leurs commissaires, et que Sa
Sainteté a trouvé bons les ordres que j'avais donnés pour ce
sujet, et que j'y travaillasse par mes commissaires, me dispen-
sant de le faire moi-même, à cause de mon âge et de mon peu
de santé, je ne manquerai pas d*ordonner de nouveau à mes
commissaires de faire leur devoir et y tiendrai la main. »
Si Clément IX avait pu croire que le roi, en renonçant aux
intérêt, quelle autre passion peut avoir le général que de choisir les sujets
qu'il connaît les plus capables de maintenir la discipline régulière et le bon
ordre dans une maison deotiuéc à former ceux qui doivent perpétuer Tordre
dont il a l'honneur d'être le chef? » Louis XIV n'avait pas osé toucher à des
règlements si récemment approuvés par son père, mais il avait fait introduire
dans d'autres maisons, par exemple dans le célèbre collège de la rue Saiut-
Jacqucs, des nouveautés, dont le même rapport nous révèle les conséquences :
il obligea le P. Jean le Pul, commissaire, à placer ce collège sous le gouverne-
ment de seize conventuels, choisissant leur prieur et leurs officiers, se dési-
gnant leurs successeurs, soumis seulement à la visite de religieux français, et
ne relevant plus du général que pour Tordre des études. Or, « l'expérience
qui est la pierre de touche de tous les règlements politiques, n'a que trop
fait voir l'insuffisance de ceux que le P. le Pul dressa pour le collège... Il ne
prévit pas que la place de conventuel et de modérateur du collège pourrait
devenir, dans la suite, un objet d'ambition pour des sujets qui auraient plus
d'intrigue que de mérite; qu*ils la regarderaient, selon Texpression de Tun
d*entre eux,... comme un petit évèché de province; qu'en conséquence^ ils se
donneraient des mouvements à la cour pour obtenir des lettres de cachet ou de
recommandation équivalentes^ qui leur procureraient ces places dont ils s'an-
nonçaient évidemment indignes par de pareilles voies d'y parvenir.,. Il y aurait
cependant un moyen aussi simple, aussi court, aussi aisé qu'efficace pour
rétablir les choses et le bon ordre dans le collège ; et tout Tordre en France
s'en ressentirait bientôt, et aurait la consolation de voir une génération nou-
velle qui réparerait ses ruines. Ce moyen serait d'établir à Saint-Jacques le
mime régime qu'au noviciat général de Saint-Germain, » Le P. de Bojadors,
général des Dominicains sous Louis XV, avait-il dégénéré de ses prédécesseurs?
Non assurément, et Brienne lui-môme lui rendit cet hommage :« Nous devons
cette justice au Père général de Tordre qu'aussi distingué par sa vertu, sa
sagesse et ses lumières que pur sa naissance, il jouit de la considération la plus
étendue et la plus méritée; que le gouvernement a toujours trouvé en lui la
condescendance et la modération désirables; que les religieux qu'il protège en
France sont les plus éclairés et /es plus réguliers^ etc. » Aussi, que fit la Com-
oiissiou des Réguliers sous l'inspiration de Brienne? Elle acheva de ruiner
Tantique régime des Dominicains et surtout la juridiction de leur général :
elle reprit et consomma Tœuvre de Louis XIV. — V. Rapport de Tarchevèque
de Toulouse à la Commission des Réguliers, 25 février 1771, et autres docu-
naents conservés à la Bibliothèque nationale, mss. fr. 13851, et aux Archives
nationales, G* 519 et suiv. — Cf. notre article sur Les Augustins et les Domini-
cains en France avant 1789, dans la Revue des Questions historicités^ ianvier
1877.
380 CHAPITRE SIXIÈME
commissaires apostoliques, entendait reconnaître les droits du
saint-siège et la liberté des religieux, il fut bientôt tiré de son
illusion par un arrêt du Conseil d'État qui^ même pour le spi-
rituel, soumettait les réguliers aux évéques français, et ceux-
ci à la couronne : c'est le célèbre arrêt d'Agen (1). ainsi nommé
parce qu'il fut rendu à l'occasion d'un différend entre Tévèque
d'Âgen et certains religieux de son diocèse (4 mars 1669).
Louis XIV n'ignorait pas la gravité de cette innovation, et
Lionne fut chargé d'écrire aussitôt à Bourlemont : « Le roi a
résolu ces jours-ci de donner un arrêt solennel sur le grand
différend qui est entre les évéques et les réguliers, à quoi l'af-
faire de M. l'évèque d'Agen a donné lieu. Comme les réguliers,
quoique l'arrêt ne soit pas encore expédié, ont déjà pénétré
quelque chose de sa teneur, qui ne leur plaît pas en beaucoup
de points, il se pourra faire qu'aucuns d'entre eux en écriront
à Rome aujourd'hui et parleront de la chose comme si le roi
avait porté la main à Tencensoir, ainsi qu*ils le disent ici, et
que Sa Majesté eût prononcé sur une affaire qui appartenait
plutôt à Tautorité du saint-siège. Si cela est ainsi, vous sup-
plierez Sa Sainteté et M. le cardinal Rospigliosi de suspendre
leur jugement jusqu'à l'arrivée des lettres de l'ordinaire pro-
chain, par lequel je vous adresserai plusieurs pièces qui prou-
veront clair comme le jour que Sa Sainteté, en cette occasion,
a plutôt à se louer du roi qu'aucun sujet imaginable de s'en
plaindre, Sa Majesté n'ayant fait autre chose que faire valoir
les règles de l'Eglise établies par les papes, ce que même les
Parlementsfont tous lesjours, etc. )>(2). Clément IX ne se laissa
pas abuser par ces hypocrites excuses, et le cardinal Rospi-
gliosi, en ordonnant au nonce de réclamer sans délai la rétrac-
taction de l'arrêt, chargea Lionne d'avertir le roi que de
pareils attentats n'étaient pas moins périlleux pour l'Etat
que pour la religion : «... Cio che, nel causa del vescovo
(1) On en trouvera le texte complet au tome V des Acles et procès-verbaux
du Clergé, Pièces justificatives, pages 21 et suiv. : il ne couvre pas moins de
cinquante colonnes in-foiio, petit texte, sous le titre suivant ; Arrêt du Con-
seil d'État du roi, intervenu sur les contestations formées par quelques régu'
liers du diocèse d'Agen , tant au sujet de la prédication de la parole de Dieu
que de V administra lion du sacrement de pénitence.
(2) 8 mars 1669. Rome, 197.
ÎJOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l'aUTORITÉ PONTIFICALE 381
d'Agen co' rcgulari si è fatlo costi, richiede efficace e pronto
rimedio dalla giustizia e bonlà singolare del rè. Sua Santità
lo sente molto e spera che Sua Maestà sara per sollevarla dî
questa pungente soliicittidine, et Vostra Eccellenza per scgna-
larvi l'usala sua virlù, parendo che, mentrc la Maestà Sua
iavia le sue armi sotto le bandiere della Santa Sede, non deva
permetter ch' cUa riceva costi prejudizi si grandi nella sua au--
torità^ che non possono finalmente partorir altri effetti che
dannosi anco aile convenienze medesime della Maestà Sua (1) . »
Aux plaintes répétées de Clément IX, Louis XIV se contenta
de répondre que, « si Sa Sainteté voulait bien expédier une
bulle qui contînt les mêmes règlements portés dans l'arrôt...,
il la ferait recevoir dans son royaume en l'autorisant de ses
lettres patentes (2). »
La jalousie tracassi^.re de la couronne prétendait intervenir
jusque dans le chois des confesseurs de religieuses, et Clé-
ment IX était réduit à défendre contre cette inquisition civile
le domaine inviolable de la conscience. Bourlemont écrivait
à Lionne (3) : J*ai parlé au pape, suivant vos ordres, de la di-
rection des couvents de filles; il m'a répondu que, s'il y a des
abus, il les réformera, « mais aussi qu'il fallait considérer la
réputation des ordres religieux et la volonté des religieuses
qui avaient fait profession en ces règles; que, si on leurôlait
d'abord et malgré eux ces directions, le monde en serait scan-
dalisé et leur réputation serait entachée; qu'il avait éprouvé,
depuis qu'il était pape, qu'ayant fait pressentir le sentiment
de certains couvents de filles pour les remettre à la direction
des évéques, elles y avaient témoigné telle répugnance qu'elles
avaient déclaré qu'en faisant profession, elles avaient consi-
déré d'entrer dans des maisons où la direction spirituelle fût
es mains de religieux de leur ordre... »
Quoique les courriers de France n'apportassent plus au
souverain pontife que des nouvelles aftligeantes, il accueillait
avec la même bonté tous ces agents subalternes qui suppléaient
si mal un ambassadeur. Le P. de Villes, les abbés de Bigorre
(1) 26 mars 1669. Borne, 197.
(3) Lionne à Bourlemont, 13 septembre 1669, Romet 200.
(3) 19 février 1669. Rome, 196.
382 CHAPITRE SIXIÈME
et de Bonfils, M. Foucher étaient traités avec plus de con-
sidération que n*en méritaient leurs missions équivoques. La
douceur inaltérable de Clément IX trouvait grâce devant la
morgue gallicane de Bourlemont, que lassaient les exigences
de sa cour et qui conseillait parfois une conduite plus modé-
rée : « Il ne s*est point vu depuis longtemps, disait-il, un pape
plus généreux ni plus bienfaisant que celui d'à présent, ni
qui accorde plus volontiers les grâces qu*il peut faire; mais
j'ai remarqué qu'il ne veut pas être pressé et qu'il veut que Ton
croie que ce que Ton a de lui vient librement de sa grâce, et
que rimportunité ne le lui a pas tiré des mains; et, quand il
prend cette opinion, il n*y a plus rien à faire avec lui, et Ton
obtient plus en louant sagénérosilé qu'en lui demandant prcs-
samment les choses (1). » Toute la correspondance de cet
abbé atteste que Rome ne lui refusa aucune des concessions
qui n'étaient pas manifestement contraires aux devoirs et à la
conscience du pape (2).
Cependant les dégoûts et les mortifications essuyés en France
par le nonce auraient justifié des représailles. La personne de
Tarchevêque de Thèbes avait été, comme on sait, désignée cl
souhaitée par le roi (3) : ce prélat défendait avec si peu d'é-
nergie les droits du saint-siège que, seul de tous les nonces
qui vinrent dans notre pays sous ce long règne, il fut rappelé
à Rome sans être élevé à la pourpre. Mais la présence d'un
ministre pontifical était si importune à Louis XIV que ce
prince disputa môme à Bargellini la plus légitime et la plus
nécessaire de ses attributions, le droit de faire les informations
canoniques sur les évoques nommés. Rome contestait un
procès-verbal, que l'évêque de Châlons avait dressé à Paris sans
alléguer l'absence ou rempèchement du nonce. Bourlemont
écrivit à Lionne : L'affaire est difficile, parce qu'elle soulève la
grande question de savoir si, d'après le concile de Trente, les
(1) A Lionne, 5 février 1669. Home, lUG.
(2) Après tous les exemples déjà cités, voir encore toutes les dépôclies à
Lionne, des mois de juillet et août 1669. {Home, 199.)
(3) L*abbé Rospigliosi, à son passage, m'a promis de faire envoyer ici
M. Bargellini, nonce à Turiu. N'en dites rien. (Lionne à Chaulnes, 5 août 1667.
Rome, 185.)
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE l'aUTORITÉ PONTIFICALE 383
évoques ont ce droit concurremment avec les nonces ou à leur
défaut seulement, comme Ta décidé Urbain YIII. Mais Tabbé
ajoutait lui-même que le consistoire offrait d'accepter pour cette
fois ce qui avait été fait, pourvu qu'on revînt à la règle et à la
coutume (4). — Les dispositions étaient moins conciliantes à
Saint-Germain, et Lionne répondit (2) : « On ne peut jamais
demeurer d'accord ici que les évèques diocésains ne puissent
faire lesdils procès-verbaux que subsidiairemcnt, au défaut des
nonces, selon Tinstruction du pape Urbain, que nous ne re~
cowiaissons point en ce cas-là. Je ne crois pas aussi que
fan ose hasarder, au lieu où vous êtes, une déclaration de celte
nature, laquelle, laissant môme à part l'intérêt du roi qui y est
si grand, leur mettrait sur les bras tout le clergé de France. »
Nous verrons plus tard la couronne, pour ôter au saint-siège
l'examen des sujets destinés par elle à Tépiscopat, tenter encore
d'attribuer aux évêques français la même compétence qu'au
nonce, et même d'en réserver le privilège à l'archevêque de
Paris. Empruntant aux princes qui se sont séparés de l'Église
une des maximes les plus contraires à la conservation de Tu-
nité catholique, Louis XIV assimilait la nonciature pontificale
à la légation d'un souverain étranger, et jamais cette qualifica-
tion ne fut donnée aux papes plus souventque sous son règne.
Habitué dès lors à considérer cet étranger comme un ennemi,
Louis XIV était trop peu généreux pour trouver, dans la fai-
blesse de sa principauté temporelle, une nouvelle raison d'ob-
server la justice envers lui : Clément IX n'échappa point au sort
commun des papes de ce temps, et il ne put soustraire ses
propres sujets à la politique oppressive de Lionne et de Col-
bert. Ainsi, la cour de France avait fait un crime au pape
Alexandre VII d'un bando ou édit publié, le 21 février 1667,
par le trésorier de la Chambre apostolique, pour protéger
les manufactures des Etats romains, en prohibant l'entrée
des draperies et étoffes de laine étrangères, sauf certains tissus
de Flandre, d'Espagne, de Hollande, de Milan et de Venise (3).
(1) 25 juiu 1669. Rome, 198.
(2) 18 juillet 1669. Rome, 199.
(3) Rome, 181.
384 CHAPITRE SIXIÈME
•
Le roi et ses ministres étaient cependant forcés d*avouer,'
dans leurs dépèches confidentielles, que le gouverneur pon-
tifical usait d*un droit incontestable, et ne faisait qu'imiter la
France! Lionne écrivait au duc de Chaulnes (1) : « Le pape
est le premier qui a osé défendre Tintrodjuction des étoffes des
manufactures de France; mais, entre vous et moi, selon ce
qui me revient de divers pays, je crains bien que son exemple
ne soit suivi par beaucoup d'autres États, parce que nous leur
apprenons nous-mêmes ce qu'ils doivent faire. » Clément IX
ayant maintenu le bando malgré les réclamations des Français,
Colbert y répondit par une mesure dont l'injustice et Tinhuma-
nité sont réprouvées par les apologistes mêmes de ce minis-
trc : un arrêt du Conseil d'Etat ferma tout à coup le royaume
à toutes les marchandises d'Avignon et du Comtat. Clément IX
rappela vainement que ces provinces, à titre d'enclaves, exer-
çaient et subissaient plusieurs servitudes dans l'intérêt com-
mun des Français et des sujets pontificaux; que^ par une con-
séquence nécessaire, le droit des gens, les traités écrits et une
coutume immémoriale avaient toujours placé les habitants
des terres papales sur le même pied que les regnicoles, et les
affranchissaient d'une réciprocité, à laquelle restaient d'ail-
leurs soumises les possessions italiennes du saint-siège. Clé-
ment IX était prêt à souffrir la prohibition des cires d'Ancône
et de tous les autres produits des Etats romains ; il consentit
même, à titre de transaction, à n'apporter d'abord que peu de
rigueur dans l'application du bandOy et à l'abroger pour les
draperies de Carcassonne, de Sedan et d'Amiens. Louis XIY
en exigea la suppression complète et Lionne écrivit à Bour-
lemonl (2) : « Vous devez savoir, pour votre instruction,
et vous réserverez cette particularité à votre seule connais-
sance, que ceci importe au royaume de sept à huit cent mille
francs que l'on débitait toutes les années en ces sortes de
marchandises dans l'Etat du pape... Je dois vous dire encore,
pour vous seul, que, si le roi renouvelle ses défenses aux Avi-
gnonnais, il passera d'abord en France, par une absolue né-
(1) 25 mars 1667. Rome, 182.
(2J 25 janvier 1669. Rome, 196.
NOUVELLES AGRESSIONS CONTRE L* AUTORITÉ PONTIFICALE 385
cessité, plusieurs milliers d'ouvriers et leurs familles, pour y
venir établir leurs manufactures, en quoi le royaume gagnera
incomparablement plus qu'il ne perd aujourd'hui par la cessa-
tion du trafic des étoffes de laine de TEtat ecclésiastique... »
Colbert répète lui-même ces menaces : « En maintenant ledit
bandOy il est certain que le commerce des petits étoffes cessera
dans rÉtat ecclésiastique, mais aussi que le royaume profitera
de toutes les manufactures qui se font en Avignon, et peut-être
de vingt mille sujets de cet Etat qui seront obligés de passer
en France par le défaut de moyens de gagner leur vie (i)... »
Vainement, pour faciliter les rapports avec les Français,
on envoyait de Rome en Avignon les prélats les plus estimés
et les mieux intentionnés. Clément IX y nomma vice-légat et
archevêque Azo Ariosto^ « personne d'un grand mérite », qui
eut pour successeur, dans ces deux charges, le P. Libelli, Do-
minicain, dont Bourlemont vantait aussi la science et la vertu,
et qui joignait « la prudence et Thabileté » à un penchant
marqué pour la France (2). Voici encore les aveux qu'est obligé
do faire le plus savant historien de Colbert : « Le nonce agis-
sait à Paris, donnant d'excellentes raisons qui durent embar-
rasser, mais qui ne touchèrent pas « un ministre peu généreux
envers les faibles et les vaincus. «La menace s'exécula.... »,
et le conclave qui suivit la mort de Clément IX fut troublé
par l'avis d'une révolte « qui avait pensé arriver à Avignon,
par suite des défenses que Sa Majesté avait fait faire des ma-
nufactures de serges. » Le nouveau pape, « réduit à ses propres
forces, sacrifia l'industrie des Étals romains, et c'est peut-être
à cette circonstance qu'il faut attribuer leur infériorité ac-
tuelle (3). )>
(!) DeppÎDg, Coïrespondance administrative sow Louis XIV, t. III, p. 463.
(2) Bourlemont à Lionne, il juin et 30 juillet 1669. Rome, 198 et 199.
(3) Pierre Clément, Histoire de Colbert, io-8% 1874, t. I", p. 305 et 306. —
Les agents français, sûrs d'ôtre appuyés par le roi lorsqu'ils s'attaquaient
à des États plus faibles et surtout à des sujets pontiûcaux, se portaient fré-
quemment à des exactions et à des violeuces qui révoltaient même nos
oationanz, témoin Bourlemont, qui écrivait à Lionne, le 26 mars 1669 (Rome,
191) : m Tout présentement, .M. le cardinal Rospigliosi m*a envoyé son secré-
taire me dire que le courrier du pape, qui est retourné d*Espagne, nommé
Lachesino, se plaint des mauvais traitements qu'il a reçus des douaniers de
LOCIS XIV KT LB SAINT-SitOE. — IL 23
386 CHAPITRE SIXIÈME
La bionveillanco de Clément IX ne se déoienlit jamais;
Louis XIV crut y voir une partialité secrète et assurée pour
sa couronne, et il tenta de la faire servir au succès de sa poli-
tique. Il cherchait alors les moyens de sortir avec honneur
des difficultés qu'il avait soulevées sur Texécutiou du traité
d* Aix-la-Chapelle : s'il en coûtait à son orgueil de renoncer
aux dépendances^ la Triple Alliance était encore trop récente
pour qu'il osât risquer déjà une nouvelle guerre. Espérant
trouver à Rome un juge prévenu en sa faveur^ il proposa de
s'en remettre à l'arbitrage de Clément IX. Mais le pape évita le
piège (1), et oiïrit seulement sa médiation, que le roi, voyant
SCS calculs déjoués, s'empressa de décliner. Lionne écrivit
au cardinal Rospigliosi : « Le différend des dépendances des
conquêtes » donne lieu de craindre la reprise des hostilités;
mais le roi « a pris enfin hier la résolution de faire la personne
sacrée de Sa Sainteté, c'est-à-dire seulement Clément IX, ar-
bitre souverain et juge de ce différend, et de se soumettre à la
décision de ce qu'il en prononcera après avoir ouï les raisons des
parties. » Seulement, le roi ne veut pas paraître intimidé par
« ce funiciilui triplex hœreticorinyï qu'on appelle, comme par
un épouvantai!, la Triple Alliance^ et qui ne lui fera pourtant
jamais ni peur, ni mal, quand elle grossirait encore au dou-
ble... Sa Sainteté pourrait dépêcher en même temps deux cour-
riers, l'un ici, l'autre à Madrid », et suggérer aux deux cours
la pensée d'un arbitrage ; le roi y consentirait et ferait choix
Lyon, où Fon lui a ouvert ses valiaes et voulu expier de Cargent de lui. Ce que
je vous puis diro, c'est que les courriers de France qui viennent ici ne sont en
aucune manière inguiélds des douanes de Rome, quoique l'on sache quih
portent ce qu'ils veulent^ et sans cette liberté ils ne pourraient pas subsister,
naijnnt point de gages que ce qu'ils gagnent on leur petit comm»?rce. M. le
cardinal Rospigliosi a désiré que j'en écrive à M. l'archevêque de Lyon, et ce
d'autant plus que, ledit courrier retournant préscuteiueut, dépôcbô par ordre
du pape au vir«;-légat d'Avignon, il no reçoive pas ces rudes traitements,
vu la liberté qu'ont les onlinair^îs do Lyon et tous les courriers qui viennent
do Franco ici. >»
(1) Ou se rappelle qu'à l'origine du conflit, les Hollandais avaient eux-
niéuies ouvert l'avis de s'adresser au pape pour prévenir une nouvelle rupture
de la paix; mais Louis XIV avait fait déclarer à Home que son droit, « clair
et incontestable » ne souffrait pas la discussion et que toute iatercession du
pape était superflue. V. ci-dessus, cbap. ii du livre il.
MORT DE CLÉMENT IX 387
du souveraia pontife. — Le plus profond secret était exigé (1).
La réponse de Clément IX força le roi de dévoiler ses vrais
sentiments, et Lionne écrivit au cardinal neveu (2) : «... Sa
Majesté entrera fort, à mon sens, dans les prudentes considéra-
tions que Sa Sainteté a eues de n'accepter pas Toffre du roi,
pour ne se point charger delà nécessité de désobliger par son
jugement ou l'aîné ou le cadet de ses deux plus chers enfants
et peut-^^tre tous les deux; mais, pour la médiation que Sa
Sainteté oiïrc pour l'accommodement amiable de tels différends,
comme elle emporterait avec soi la nécessité de former une
assemblée de députés et d*y faire trouver plusieurs ministres,
ce qui irait à de grandes longueurs et ne serait en effet rien
de nouveau, hors l'intervention du ministre de Sa Sainteté,
que ce qui se passe fort inutilement à Lille en Flandre depuis
plus d*un an, je ne crois pas que Sa Majesté accepte cette
offre de Sa Sainteté, d'autant plus que tous les autres princes
et potentats négligeraient pas ce nouveau congrès un remède
proportionné à bien guérir les vives appréhensions des Espa-
gnols, et celles qu'ils auront eux-mêmes, que Sa Majesté m*
voulût se servir de la formation de ladite assemblée pour sur-
prendre mieux au dépourvu la couronne d*Ëspagne ; et c*esl
pour cette raison que lesdits potentats font ici de continuelles
instances pour porter le roi à consentir de remettre le diffé-
rend à un arbitrage, suivant la disposition du traité des Pyré-
nées, ce que Sa Majesté n'a point voulu faire jusqu'à présent,
et n*en aurait pu prendre la pensée que dans la vue de donner
celte nouvelle gloire à la personne de Sa Sainteté et à son pon-
tilicat... »
Sur ces entrefaites, TËurope apprit que la santé de Clé-
ment IX déclinait rapidement. « On tient, a dit Pellisson, que
la perte de Candie et le déplaisir qu'il en eut contribuèrent
beaucoup à sa mort (3). » Déjà, au commencement de celte
(i) Lionne àRospigliosl, 20 aoiU 1669. Home, 496.
(2) 23 septembre 1669. Hoine, 200.
l'S) Histoire de Louis A7K, t. III, p. 178. — C'est uussi 1 opinion de tous les
coiitemporaiDS : •• Uisseuti umauauieute quel buou poutefice il termine dell'
ullima campagua, e fu creduto che quel colpo lo gcttaese nel aepolcro. m
( Relation de l'ambassadeur vénitien Grimaui. Helazioni^ t. II, p. 353.)
388 CHAPITRE SIXIÈME
année, I*abbé de Bigorre avait écrit à Lionne : c< Sa Sainteté
prend extrêmement les choses à cœur, et on remarque qae,
toutes les fois qu'elle s'émeut, elle souffre. Si bien que plusieurs
personnes qui l'approchent particulièrement sont persua-
dées que, si Sa Sainteté éprouvait un chagrin un peu fort, on
la pourrait perdre en peu de temps (i). » Les alarmes de la
cour pontificale étaient continuelles depuis la fin du mois d*oo-
tobre, « tant à cause de quelques excès que Sa Sainteté avait
faits en des exercices de dévotion que du chagrin qu'elle avait
reçu à la nouvelle de la reddition de Candie et de la paix que
les Vénitiens avaient faite avec le Turc (2). »
Clément IX, sachant sa vie menacée, n'en mit que plus d'em-
pressement à régler les affaires de l'Église et à ranimer le zèle
des princes catholiques contre Tennemi commun. Les princi-
paux membres du sacré collège étaient fréquemment appelés
autour de lui pour aviser au danger. L*abbé de Bonfils écrivait
à Lionne (3) : « On songe ici aux moyens d'éviter les suites de
Candie, et, pour cela, le pape a fait une Congrégation composée
de MM. les cardinaux Rospigliosi, qui en est préfet, Azzolino,
Otlhoboni, Barberini, Chigi, Spinola, Borromeo et Impériale,
et M. Albriccio en est le secrétaire. Je crois quêteurs décrets,
s'ils ne sont soutenus d'une très grande armée et d*un général
comme Mgr de Bellefonds, ne serviront pas de grand'chose.
S'ils ne l'ont pas, ils auront du moins montré leur bonne vo-
lonté et leur intention. » Le lendemain, Bourlemont, mieux
informé, mandait que cette Congrégation, « faite pour la dé-
fense de la chrétienté », venait d'apprendre l'accession du
roi de Pologne à une ligue, « moyennant que le pape fournît
de l'argent à cet effet. L'on dit môme, ajoutait Tabbé, que
l'Empereur y doit entrer (4). » Le roi de France s'irritait de ces
préparatifs d'une croisade à laquelle il avait résolu de n'avoir
aucune part : il était humiliant pour lui que d'autres puis-
sances entreprissent de réparer ses fautes et de venger un
désastre que son intervention avait rendu plus éclatant. Dès le
(1) 5 février 1689. Rome, 196.
(2) Analyse de Saint-Prêt. Rome, papiers et documents, 24.
(3) 26 novembre 1669. Rome, 201.
(4) 27 noyembre. Rome, 201*
MORT DE CLÉMENT IX 389
mois de septembre, le président de Saint-André, son ambas-
sadeur à Venise, écrivait à Lionne : « Je me crois obligé de
vous dire, par ce que je vois et par ce que j'entends, que la
réputation des armes de France a grand besoin d'être rétablie
dans l'estime des étrangers... Mon devoir m'oblige de vous
écrire que le départ de M. de Navailles avec toute Tannée,
que Ton considère ici pour un abandonnement dans une ex-
trême nécessité, a effacé des cœurs des Vénitiens tout le res-
sentiment des assistances que le roi leur avait données, et s'ils
perdent la Candie sans que les Français fassent autre devoir,
ils les accuseront toujours d'être cause de la perte de ce
royaume (1). » Les événements étant maintenant bien connus
en Europe, la conduite des Français était jugée partout avec
sévérité, et Técho de tous les discours revenait à Saint-Ger-
main. Louis XIV aurait voulu étouffer les plaintes et les cen-
sures, et c^est à Rome surtout qu'il tenta d'imposer silence.
Il ne lui eût guère coûté de rompre bien vile avec ces démons-
trations de confiance et d'amitié, qui n'avaient pas longtemps
abusé Clément IX. Qui pouvait croire à l'attendrissement
de Louis XIV et de Lionne sur la maladie du pape? Le 22 no-
vembre, le ministre écrivait au cardinal Rospigliosi (2) : i< Les
cheveux me dressent encore d'horreur à songer au péril que
nous avons tous couru, le 25** de l'autre mois, en la personne si
précieuse de notre très saint-père... » Mais, huit jours après.
Lionne prenait avec Bourlemont un stylo plus conforme aux
vrais sentiments de son maître : « Le roi, disait-il (3), a su de
bon lieu que, dans les antichambres du palais, on parle publi-
quement avec beaucoup d'indiscrétion et d'injustice du retour
de Candie de Tarmée de Sa Majesté. L'un dit que, si les Français
n'y fussent pas allés, la place se serait encore défendue jusqu'au
printemps; d'autre, qu'ils ne sont revenus que sur un ordre
exprès de Sa Majesté ; d'autres, qu'aussitôt qu'on a eu ici ce
qu'on voulait pour le cardinal de Bouillon, Sa Majesté a
dépêché un courrier exprès pour faire revenir ses armées. A
la vérité^ voilà une belle rétribution d^une dépense de plus de
(1) 25 et 28 septembre. Venise , 90.
(2) Rome, 201.
(3)29 DOTembre. Romet 201.
390 CHAPITRE SIXIÈME
trois millions et du sacrifice d*un amiral et de tant de brave»
gens, et Tavancemcnt d'un chapeau en était une belle récom-
pense, si Sa Majesté d'ailleurs n'eût eu pour seul et unique
motif d'obliger le pape ! Elle désire que vous parliez de tout
ceci à M. le cardinal Rospigliosi et que vous lui fassiez con-
naître le vif déplaisir qu'elle en ressent et que certainement
elle n'a pas mérité. »
Lorsque cette dépèche fut reçue à Rome, Clément IX n'était
plus. Après la mémorable promotion du 29 novembre, il avait
fait ses adieux au sacré collège. Les cardinaux « s'étant tous
rendus en sa chambre et assis à Tentour de son lit. Sa Sain-
teté leur avait fait un petit discours latin, prononcé d'une
voix assez intelligible, vu sa faiblesse et son abattement, leur
demandant excuse do ses manquements et les exhortant à
être unis pour l'élection d'un pape, selon les inspirations de
Dieu et leur conscience. » Il allait intimer un autre consis-
toire pour donner le chapeau à plusieurs de ses créatures,
mais les forces lui manquèrent, et le Français qui observait
les phases de celte crise suprême rendait un nouvel hommage
à rinlrépidité du pontife : u Comme il se sent hors d'espé-
rance de guérir, disait-il, il ne veut plus se ménager : ses
grands dangers sont les défaillances qui le prennent de temps
en temps, et il reste pArné. » Les évanouissements se répéttî-
rent et la fièvre survint. Clément IX reçut les derniers sacre-
ments, et l'abbé de Hourlemont écrivit à Louis XIV : « Co
matin, au point du jour, le pape a expiré après trente heures
d'agonie et un travail épouvantable. Votre Majesté y perd beau-
coup et toute la chrétienté (1). »
Si ce pontificat se fût prolongé, il n'aurait pas été moins
troublé par les prétentions de Louis XIV que ceux d'Alexan-
dre VII, de Clément X et d'Innocent XI.
(1) Bourlemont à Llonue, 30 uovcmbro : deux dépêche». — Au roi, 9 dé-
cembre. RumBy 201.
LIVRE m
PONTIFICAT DE CLÉMENT X
29 avril 1670 — 22 Juillet 1676.
CHAPITRE PREMIER
CONCLAVE DE CLÉMENT X. — CARACTÈRE DE CLÉMENT X ET DE SES
MINISTRES. — PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV. — AVRIL-
DÉCEMBRE 1670.
Coaclate. Iiitluence croissante des lodépendanU. Iiutractions données au duc de Chaulnos, am-
bassadeur de France. Candidats préfères pur le roi : raison de ses préférences : il veut avant
tout un pape qui fasse cardinal l'évAque de Laon ! Projet de lettre antidatée imn^iné par
I.iunnc. Le cardinal Hospigliosi refuse de se prêter à cette fourberie. Atto Melani» conclavistc
du cardinal de Bouillon, en lutte avec le duc de Cliaulnes : le roi donne raison i\ Melani ; il
n'appuig Buonvisi que dan^ l'espoir do suborner son neveu. Pratiques mullionnôtcs de la fac-
tion française, qui est forcée de se rallier au nom d'Emilio Altieri, proposé par les Indépen-
dants. — Portraits de Clément X et du cardinal Paluzzi, adopté pour neveu sous le nom
d'Altieri. Borromeo, secrétaire d'Etat, Carpegu.i, dataire, etc. Le uouvoiu pape et .«on gou-
Temement bien intentionnés pour la France : dispositions hostiles do Louis XIV. — Lo due
de Chaulnes quitte Rome six semaines après l'élection. Présages do nouveaux conflits. Jan-
sénisme : le nonce Bargellini ; le formulaire. Chapeaux de César d'Entrées et de Bonsy. Vues
opposées de Homo et du roi sur lu guerre contre lo Turc. Ou&r^lcr do l'ambassadeur de
France : assassins recelés au palais Farnèso. — L'abbé do Bourleniont chargé des affaires du
roi. Autres agents de Fr;uice h. Home : Fouchor, les abbés de Bonflls et de Bigorre. Manœuvrrs
pour emporter la promotion de (!!ésur d'Ëstrées : intérêt personnel do Lionne dans cette affaire.
Supposition d'un marrhé simoniaquc pendant lo conclave entre Chaulnes et Rospigliosi :
dépêches de Lionne, rédigérs par César d'Estréo*. — Première promotion de Clément X,
ii décembre 1070. Césur d'Estrécs n'y est pas compris. Colrrc du roi : son discours au nonce,
ses menaces au cardinal Altiori.
Le conclave fut fermé le 20 décembre 1669, et tout annonçait
que la majorité obéirait aux mômes inspirations qui avaient
392 CHAPITRE PREMIER
fait choisir Alexandre VII et Clément IX. Dès qu'on avait pu
craindre une prochaine vacance, Bourlemont avait mandé à
sa cour que les membres du sacré collège cités avec le plus de
faveur par leurs collègues étaient véritablement dignes de la
tiare. C'étaient : Scipion d*Elci, Siennois, ancien nonce à
Vienne, d'une famille affectionnée à la France et universelle-
ment honoré pour sa « vertu et probité » ; — Vidoni, « parais-
sant d'un naturel assez farouche, » c'est-à-dire fort zélé pour
les libertés ecclésiastiques, mais « témoignant être fort bon
serviteur du roi »; — Buonvisi, Lucquois, « fort honnête
homme », sans partialité; — Celsi, « homme droit, fin et tout
à fait Romain ». Bourlemont ajoutait à ceux que la voix pu-
blique désignait ainsi : Odescalchi, âgé de soixante ans,
Milanais, « fort dévot et pieux »; — Brancaccio, u homme
d'honneur »; — Bona, savant, pieux, désintéressé, qui venait
encore de refuser Tévèché d'Assise, et dont les inclinations
méritaient la confiance des Français (1). On reconnaissait dans
cette disposition générale des esprits Tinfluence de TEscadron,
dont Bourlemont disait : a Cette faction, quoique petite en
nombre, s'est rendue considérable par la valeur de ceux qui
la composent et par le crédit, ayant des amis et des partisans
dans toutes les autn^s factions, et en ce conclave plus qu'aupa-
ravant J'ose avancer que, si Chigi, Rospigliosi et l'Esca-
dron sont d'accord pour faire un pape, il n'y aura pas de fac-
tion qui les puisse empêcher par elle-même de trouver le
supplément de voix qu'il leur faudra, qu'eu faisant une exclu-
sion formelle dune couronne puissante. » Or, on sait quelles
preuves Azzolino oi Rospigliosi avaient données de leur sym-
pathie pour la France, et Chigi venait de déclarer à Bourlemont
que le roi pouvait compter sur ses offices dans le prochain
conclave comme dans le précédent (2). Au moment même où
Clément IX fermait les yeux, le sacré collège avait montré aux
couronnes quelle déférence elles pouvaient attendre de lui. Le
cardinal Chigi qui, pour être bien intentionné envers les
Français, n'était pas ennemi d(;s Espagnols, avait exprimé au
(1) A Lionne, 30 novembre et 9 décembre 10C9. Rome, 201.
(2) J'ai su que le» cardinaux Cbi^çi et Uo!itpi<,'liosi ne veulent pas d'un pape
qui me serait désagréable. (Le roi ii Cbaulnes, 17 janvier 1670. Rome^ 208.)
CONCLAVE DE CLÉMENT X 393
marquis d'Astorga les mêmes sentiments qu'à Bourleraont
Le ministre d'Espagne, abusant des paroles de ce cardinal,
annonça qu'avec le concours de la grande faction Chigi, il
serait l'arbitre de l'élection; mais l'altitude des cardinaux
écarta d'eux aussitôt tout soupçon de partialité, et Bourlemont
put écrire à sa cour (1) : « L'imprudence de l'ambassadeur
d'Kspagne l'ajeté dedans un grand embarras. Cet ambassadeur
s'éiant vanté que lui et le cardinal Chigi avaient fait un pape,
toutes les autres factions se sont unies contre ledit Chigi. »
D'ailleurs le neveu d'Alexandre VII se joignit à ses collègues
pour ne point presser les opérations du conclave en l'absence
des cardinaux étrangers.
Le duc de Chaulnes, nommé ambassadeur auprès du sacré
collège, ne put arriver à Rome que le 16 janvier 1670, accom-
pagnant les cardinaux de Retz et de Bouillon, qui composaient
la faction française avec les Italiens Antoine Barberini, Renaud
d'Esté, Orsino, Maidalchini etMancini : Grimaldi, archevêque
d'Aix, âgé de soixante-treize ans et malade^ demeura dans
son diocèse. Le roi demandait ostensiblement (2) aux cardinaux
<c ses serviteurs (3) une élection désintéressée et qui n'eût
d'autre égard que celui du service de Dieu (4), de son Eglise
et du bien public, et enfin que l'on pût avoir un pape dont les
intentions fussent détachées de toute passion particulière ; qui
aim&t la justice, l'avantage du saint-siège; eût les sentiments
(1) Au roi, 10 décembre 1669. Rome, 201.
(2) Instructions au duc de Chaulnes, 22 décembre 1669. Hanotaux, Recueil
aux ambassadeurs y vol. VI, Rome, t. 1, p. 230, d'après le volume des Affaires
étrarifçères coté Rome, 204, qui contient la minute, tout entière de la main de
Lionne, et une copie.
(3) Voici ce que le roi entendait par serviteurs. Le cardinal Orsiuo et son
frère, le duc de Bracclano, s'étant permis d'appuyer un candidat à la noncia-
ture de France, Lionne écrivit à Bourlemont : Parlez fortement à ce cardinal,
a étant juste qu'il s'accommode aux désirs et intérêts du roi, et non pas S. M.
aux 9iens, et S. É. s'étonne après cela, quand ils demandent le payement de
leurs pensions on de nouvelles grâces, qu'on fasse quelquefois la sourde oreille.
C'e9tqae S. M. sait très bien distinguer ceux qui biaisent dans son service ou
qui s'y jettent à corps perdu sans aucune considération, » (19 octobre 1669,
Rome, 200.)
(4) Lionne a bien écrit le service de Dieu; mais le copiste a substitué roi à
Dieu, ce qui était certainement plus conforme & la pensée de Louis XIV et de
son ministre.
394 CHAPITKE PREMIER
d'un vrai père commun; qui connût la sincérité et la piété de
ceux (lu roi pour l'avantage de la religion, et lequel enfin, ayanl
toutes les parties requises pour être aimé, estimé et honoré
des princes chrétiens, put régner et gouverner la sainte Église
avec fruit et édification de tous les fidèles et s'employer effi-
cacement et utilement pour la défense de la chrétienté conde
Tennemi commun. » Louis XIV protestait en outre de son
dévouement au saint-siège, de son respect pour la liberté do
conclave, défendant toute exclusion publique, sauf du cardinal
François Barberini, qu'il regardait à tort comme un ennemi
personnel de sa couronne; mais il permettait l'usage des voies
secrètes contre d'autres noms, et il terminait par ces paroles
qui démentaient brutalement les pieuses déclarations de
Texorde : « On a oublié de faire remarquer audit sieur duc que,
pour tenir éloignés du pontificat ceux pour lesquels Sa Majesté
n'a pas d'inclination et plus encore ceux qu'elle voudrah
exclure, c'est une très bonne pièce à faire jouer dans le con-
clave que d'y parler adroitement de l'exécution du traité de
Pise, comme faisant entendre que tel sujet pourra-t-on élire
que Ton tomberait bientôt en de grandes contestations avec
la France sur la désincamération de Castro, solennellement
promise par ledit traité. » On verra que ce post-scriptum seul
révélait la pensée intime du roi, dont la conduite, pendant
tout ce conclave, fut inspirée parles vues les moins élevées et
les moins conformes aux vrais intérêts de son Etat.
Son premier candidat était alors, comme en 1667 (1), le car-
dinal Albizzi, son pensionnaire secreL(2), ancien ami de Maza-
(1) Cf. les iuslruclioQs du 10 mai 166G, chap. i»' du livre H. Colle? du 22 dé-
cembre 1G69 diseut encore : « Le premier en raog que S. M. souhaiterait dp
voir élevé au pontificat est M. le cardinal Albizzi, personnage de grande érn-
ditiou et fort adroit et habile à traiter les plus grandes affaires, qui a reça
secrèlemeut, toutes les aun<^es, des bienfaits du roi, homme résolu, actif et
hardi, de grande vigueur et force d'esprit. Les difficultés xde son exaltation
seront vrai.^emblablement grandes, tant parce qu'il a des ennemis particuliers
que sa liberté de parler lui a faits, qu'à cause qu'ayant été autrefois marié,
il se trouve avoir bon nombre d'enfants, et par ce aussi que, pour rordinaire,
le collège en général ne se porte guère à élever un homme ferme et hardi. »
(2j « Faites savoir par quelque moyen au cardinal Albizzi que le duc de
Chaulnes lui porte la gratification que j'ai accoutumé de lui faire toutes les
années, et que les cardinaux de ma faction auront ordre de U; servir pour
CONCLAVE DE CLÉMENT X 395
rin, dont la partialité lui semblait assurée : le calcul n'était
cependant pas plus habile qu'honnête; car Albizzi, coupable
de félonies envers le pape Alexandre VII (1), ne s'était pour-
tant pas jeté à corps perdu dans le service du roi; et à ce
moment même, il blâmait avec une extrême vivacité de lan-
gage les intrigues qui s'étaient nouées en France , autour de
Louis XIV, pour favoriser les jansénistes dans le procès des
quatre évëques(2). Il louait comme le plus beau trait de
Clément IX d'avoir refusé la pourpre au nonce Bargellini, qui
avait, selon lui, fait plus de mal que Luther, et le roi expédia
au duc de Chaulnes Tordre de traverser son élection (3). Les
instructions royales nommaient ensuite Buonvisi, « la plupart
de ses ancêtres et de ses parents ayant suivi le parti de France
et s'y étant avancés dans des charges, et le cardinal ayant tou-
jours témoigné la même inclination, étant d'un esprit doux,
aimé de tout le monde;... » Vidoni, de la faction Chigi; Bran-
caccio, Ginetti, Carpegna, créatures d'Urbain VIII ;CeIsi,Litta,
d'Alexandre VII; et Odescalchi, dlnnocentX. Quand les car-
dinaux étrangers furent entrés dans le conclave, les scrutins
donnèrent un grand nombre de suffrages à Scipion d'Ëlci, qui
aurait bientôt obtenu l'unanimité, si le duc de Chaulnes n'eût
fait savoir, par les voies secrètes, que ce choix exciterait le
ressentiment de son maître. Le sacré collège eut la condescen-
dance d'écarter ce nom, et Louis XIV, dans ses vues indignes
d*uQ catholique et d'un homme d'État, entrava les aspirations
du conclave pendant quatre mois. Il avoue lui-même qu'il
voulait seulement frayer la voie à la candidature de Buonvisi^
parce que ce cardinal avait un neveu (4) dont on pouvait ache-
ton exaltation préférablcment k tout autre sujet du sacré collège. » (Le roi à
BoarlemoQt, 10 décembre 1669. Rome^ 201.)
(1) V. chap. VIII du livre I.
(S) « Comme M. le cardinal Albizzi ne peut retenir sa langue, il est plus dé-
chaîné que jamais contre l'accommodement avec les jansénistes. » (Bourlemont
au roi, 17 décembre 1669. Rome, 201.)
(3) 3 janvier 1670. Rome, 20S.
(4) «... Le pins grand obstacle qui se trouvera à Vexai tation du cardinal
Buonvisi, généralement aimé et estimé de tout le sacré collège, sera celui que
lui forme son propre neveu, dont la cour de Rome craint l*hameur fiëre jointe
à une habileté non médiocre et qu'elle a remarqué qu*il fait profession des
maximes de Tacite et Machiavel, dont assez imprudemment il cite souvent des
396 CHAPITRE PREMIER
ter un jour les complaisances. Les instructions disaient : L*abbé
François Buonvisi « a pris des mesures en France, au temps
de la légation du cardinal Chigi et depuis avec le sieur doc,
et connaît très bien que son oncle ne peut parvenir au ponti-
ficat que par Tobligation qu'il aura à Sa Majesté d*en avoir
tenu éloigné le cardinal d'Elci (1). » Et quel service la France
attendait-elle du futur padrone? La promotion de Tévéquede
Laon! L'âme de cette intrigue devait être Atto Melani, imposé
comme conclaviste au jeune cardinal de Bouillon ! Le roi voo-
lait accréditer le bruit d'un engagement que le feu pape aurait
pris en faveur de César d'Estrées; il comptait, pour cela, sur
la connivence du cardinal Rospigliosi, qui recevait de lui, en
retour, l'assurance que la faction française marcherait d'accord
avec les créatures de Clément IX (2) ; et enfin il espérait que
Tabbé Buonvisi déterminerait son oncle, avant ou apr^s le
conclave, à promettre d'acquitter la prétendue dette du der-
nier pape. Ces manœuvres, imaginées pour ouvrir le collège à
paBsages qu'il applique aux sujets dont il parle. » (loBtructioos du 22 décembre.
Recueil des instructions^ p. 237.)
(1) Ibid. — a Dites à l'abbé BuoQvisi que je souhaite avec passion rélévatioD
du cardinal sou ouclo, » et qu'une des priucipales raisons qui a détermîD^
l'envoi d'un ambai-sadeur est «< de servir plus utilement le cardinal Buonriài,
qui est le sujet qui tient le premier rang dans les souhaits que je fais. » (L«
roi à Bourlemont, 10 décembre. Rome, 201.) — « Je connais fort bien dequelb
gloire et de quelle réputation ma été le coup que vous avez porté au cardinal
d'Elci pour le tirer du trône sur les degrés duquel il était déjà si avancé, et
je vous eu sais tout le gré que vous-même pouvez désirer; et en effet ce n'a
pas été une affaire ordinaire qu'une seule faction, indépendante et sans udIod
comme est la mienne, ait ruiné, par un seul mot que vous avez fait dire, tous
les projets d'une triple alliance formée depuis trois mois pour Texaltation d'un
sujet également désiré de tous les trois chefs de la confédération, et eutiu doaaé
l'exclusion au chef du parti d'Espagne, après vingt-huit jours de conclave qui
avaient donné temps d'affermir ce parti. » (14 mars 1670. Borne, 209.) C'e^t
deux jours plus tard, le 16 mars, que la cour de France envoya un courrier
extraordinaire pour faire recommander le nom de Buonvisi aux cardinaui
François Barberini et AzzoUdo. (V. ci-après la lettre de Lionne, du 16 mars.
Rome^ 209.) Le cardinal d'Elci mourut dans le conclave, du chagrin, dit-oD,
que lui avait donné cette exclusion imméritée.
(2) Le roi désire <« que le nouveau pape soit plutôt élu dans la faction du
cardinal Rospigliosi que dans aucune autre, par le seul égard qu'il a aux avan-
tages dudit cardinal. » (Instructions du 22 décembre 1669, Recueil des iNi-
Iruc lions.) V. Revue des Questions historiques^ 1*' juillet 1881 : Le cardvuU di
Retz au conclave.
CONCLAVE DE CLÉMENT X 397
l'un de ses plus indignes membres, ont élé ignorées jusqu'ici.
Pour mieux gagner Rospigliosi à son dessein, Lionne avait
simulé une tendresse filiale pour Clément IX : « Si quatre ans
que je m'ôterais de ma vie^ disait-il, pouvaient prolonger au-
tant de celle de Sa Sainteté, je les donnerais de tout mon
cœur (i). » Et, le lendemain il écrivait à Tabbé Atto : « Je ne
sais plus ce que je suis ni ce que je fais depuis que cette mau-
vaise nouvelle est arrivée... Faites voir cette lettre à M. le
cardinal Rospigliosi quand vous pourrez... Je crois que, s'il
avait pu disposer à son gré de la promotion (2), plusieurs sujets
sont vêtus de rouge qui le seraient encore de noir; mais il a
été sans doute obligé de laisser satisfaire le pape sur ses vieux
amis. Hors de cette nécessité où la santé déplorée de son oncle
Ta jeté, je crois que Son Éminence aurait bien autant aimé
M. de Laon cardinal que le P. Bona, comme certainement il
en aurait tiré incomparablement plus de services . Son Éminence
pourrait encore m'obliger en la personne de M. de Laon,
presque aussi sensiblement que s'il Tavait fait promouvoir;
mais je ne sais s'il le voudra faire, ou si même je n'aurais pas
trop de hardiesse à le lui demander. Je vous dirai ma pensée
et vous laisserai faire le reste, remettant tout à votre prudence
et à votre discrétion : ce serait que M. le cardinal voulût bien
me faire la grâce de m'écrire une lettre datée dun mois ou
deux avant la mort du pape, par laquelle il lui plût marquer
que, venant de parlera Sa Sainteté de l'affaire de M. de Laon,
elle l'avait chargé de faire savoir confidemment au roi par
mon moyen que Tintention de Sa Béatitude était de faire car-
dinal M. de Laon à la promotion qu'elle ferait pour les cou-
ronnes, à la nomination de celle de Portugal, ou, s'il ne voulait
pas user de ce terme, à sa réquisition, ou contemplation ou
considération. Cela nous pourrait servir beaucoup auprès du
nouveau pape, et ne saurait faire aucun préjudice au cardinal,
non pas même auprès des Espagnols auxquels il pourrait dire
que c'était le sentiment de Sa Sainteté et sa volonté, non
moins pour complaire à la maison de Savoie, rendre un cha-
peau à la maison de Vendôme, qui s'était toute sacrifiée pour
(1) 10 décembre 1669. Rome, 201.
(2) Du 29 Doyembre.
398 CHAPITRE PREMIER
servir le saiot-siëge, que pour conteuler le Portugral. Je vous
prie cependant de ne jamais rien dire de tout ceci à M. Foucher,
ni à qui que ce soit, car M. de Laon ne sait pas seulement que
cette pensée me soit venue, ou, s'il le sait, je ne lui ai pas dit
positivement que jen voulusse écrire; car, si je suis refuséi
je ne désire pas que personne découvre que j*cn aie fait rini-
tance. Adieu^ mon cher ami^ votre considération et l'état où
vous demeurez augmentent encore notablement ma douleur
de la perte que nous avons tous faite (1) et que je ne liens pas
qu*on puisse jamais réparer. Assurez-vous que je ferai de deçà
tout mon possible pour vous servir auprès du roi (2)... » Hais
Rospigliosi ne se prêta pas à ces projets, et lorsque, les scru-
tins ne donnant plus de voix à d*Elci, on agita concurrcroment
les noms de Buonvisi et de Vidoni, il s*allia aux Indépendants
et à la faction Barbcrine contre le premier de ces candidats,
par appréhension d'un pontificat auquel aurait part Tabbé
Buonvisi.
Toutes les factions se seraient rapidement accordées sur le
nom de Vidoni, qui iigurait même sur la liste française; mais
le duc de Ghaulnes, qui l'appuyait, était combattu par Mclani,
qui voyait dans Télection du cardinal Buon>»isi le moyen le
plus sur de procurer la pourpre à César d*Ëstrées. Une lulte
scandaleuse s'établit entre Tanibassadeur et le conclaviste, et
c'est à celui-ci que Louis XIV donna raison. Lionne écrivit au
duc : « Atto me mande que, quand le roi voudra, il fera faci-
lement et certainement Vidoni pape. Il me semble qu'il fau-
drait auparavant essayer d'avoir mieux en la personne de
Buonvisi ou en celle de Bona, présupposé que vous puissiez
bien prendre vos sûretés, dans le conclave même, de la recon-
naissance de ce dernier, et particulièrement sur le fait du car-
dinalat de M. de Laon (3). » Le duc de Chaulnes se plaignit
(1) Le roi n'avait t'ncorc rerii que les dépêches du 30 novembre et du 3 d»*-
cembre, où Bourlcmout auuouçait les évanouissements prolongés et la mort
iminiueute de Ciémeul IX.
(2) 11. décembre 1669. Jiomet 201.
(3) 'S\ janvier 1670. Rome, 208. — H lui avait déjà écrit, le 24 du même mois :
« Je vous conjure, Monsieur, comme s'il Hait question de l'inlérèt de mon
propre fils Tabbé, de voir avec votre dextérité accoutumée, quand la cloche
86 fondra, dans quels engagements favorables pour M. Tévèque de Laou vuu?
CONCLAVE DE CLÉMENT X 399
à Lionne (1) : u Vous allez tomber de haut, lui dit-il. L'abbé
Melani en a usé le plus mal du monde à Tégard du cardinal
Rospigliosi, se plaignant hautement de lui, et cela lui a bien
fait tort : son entrée dans le conclave n'a pas été approuvée,
et, si j'avais pu Tempècher honnêtement, sous prétexte de lui
donner ici quelque confidence, je l'aurais fait, et ne m'en
serais pas repenti, parce qu'entre nous il n'en use pas bien
dans le conclave, et je n'aurais jamais cru qu'il eût eu si peu
de jugement. Il est au désespoir de l'union de Rospigliosi avec
TEscadron et Barberin, et m'en a écrit rage, prétendant que
c'est Azzolin qui a empêché sa fortune... Vous jugerez par
là de son entrée au conclave. Il avait fondé toutes ses espé-
rances sur Buonvisi; il en avait parlé à Rospigliosi, qui, sa-
chant ses liaisons, crut lui devoir répondre honnêtement : il
en conçut de belles espérances, et, lorsqu'il en a su l'exclusion,
je ne puis vous dire ce qu'il n'a pas dit contre Rospigliosi et
contre l'Escadron, et nous a pensé tout déconcerter, et je n'ai
jamais vu tant d'emportement... » Je lui parlerai '< des grosses
dents... J'aurai pourtant toute sorte de circonspection, sachant
que vous l'honorez de votre amitié. » — Je lui ai parlé, « mais
il a pris du depuis Tcssor plus que jamais, et il ne peut souffrir
que l'on ait commerce avec l'Escadron et Rospigliosi. Il rôde
la nuit tout seul; il entre en commerce avec qui veut, et j'ap-
préhende bien qu'il ne nous gâte tout, voulant en tm mot faire
seul wipapey et que, pour cela, je quitte Rospigliosi pour me
lier avec Chigi. » — « Je suis au désespoir de Melani, et ne
puis vous exprimer à quelles extravagances il se porte (2). »
pourriez faire entrer, dans le conclave uiùnic, le sujet que vous aurez résolu
d'exalter. C'est dans ces coujonctures-lA que MM. les cardinaux sont libres à
promettre, et, pourvu que nous ayons des promesses faites au roi, nous trou-
▼eroDs peut-être bien les moyens de les faire tenir quand on ne voudrait pas.
Vous voyez Tintérêt que je dois maintenant prendre eu cela, et pour le ser-
vice de S. M., et pour mon avantage et pour ma gloire particulière, et jugez
de dolà de quelle qualité sera Tobligation que je vous en aurai toute ma vie. n
— La mic de Lionne était fiancée au comte de Nanteuii, neveu de César d'Es-
trées. Le 10 jauvier 1670, Lionne écrivait à Chaulnes : Le roi me donne
200,000 livres pour marier ma Ûlle. —V. une autre lettre du 31 janvier. Romej
208.
(1) 4 février 1670. Rome, 208. La lettre est tout entière autographe, ce qui est rare.
(2) H et 18 février 1670. Rome, 208.
400 CHAPITRE PREMIER
— Le ministre répond qu'il n'est pas surpris de la « passion
de Melani pour l'exaltation du cardinal Buonvisi » ; il ajoate:
a A dire vrai, le service du roi s'y trouverait mieux qu'en tort
autre. » Puis, il rappelle à l'ambassadeur les mesures prises
avec Atto en faveur de Tévèque de Laon et dont le succès ne
peut être assuré que par le concert de Rospigliosi avec l'abbé
Buonvisi : « J*avais chargé Atto, dit-il (1), de prier M. le car-
dinal Rospigliosi de m'écrire une lettre datée des derniers joors
du pontificat de son oncle sur TafTaire de M. de Laon, dont
nous pussions nous servir avec le nouveau pape pour lui faire
voir que son prédécesseur avait intention de faire valoir la
nomination de Portugal et de le faire cardinal pour ce motif-
là, auquel se joignait encore celui des vives recommandations de
la maison de Vendôme... Atto en a parlé dans le conclave audit
cardinal, qui a commencé par lui en faire de grandes difficultés,
qui m'ont fait connaître qu'il n'est pas dans le fond du cœur
aussi bon ami qu*il veut qu'on le croie et qu'on le lui a été ; car.
si j'étais en sa place, celte lettre-là ne me coûterait guère, on
quelques termes qu'on me la demandât... » Déjà, le 21 février,
le roi avait écrit au duc de Ghaulnes en faveur du cardinal
Buonvisi (2). Ce n'était pas assez : l'abbé Buonvisi supplia
Louis XIV de faire recommander son oncle aux cardinaui
François Barberini et Azzolino, et de cacher cette démarche
à l'ambassadeur français, dont il se savait peu estimé. Lionne
écrivit en effet au duc (3) : « Je vous envoie, dans la dernière
confidence, Toriginai môme d'une lettre que je reçus par le
dernier ordinaire de monsignore Buonvisi et la copie de la
réponse que j'y fais. Le roi a cru ne devoir pas lui refuser ce
qu'il demandait, de vous dépC'cher un courrier exprès, quand
même son oncle devrait sortir cardinal du conclave, comme
il n'y a que trop d'apparence, ne s'agissant que de deux mille
francs pour le paiement d'un courrier qui pourrait produire
tant de gloire et d'avantage à Sa Majesté, si le cardinal Bar-
berin se voulait laisser fléchir, ou même, sans lui, si le car-
dinal Azzolin pouvait se laisser gagner par quelque moyen.
(1) 28 février 1670. Rome, 208.
(2) Rome, 208.
(3) 16 mars 1670. Rome, 209.
CONCLAVE DE CLÉMENT X 401
II n'est pas si aisé d'élevôr un sujet au pontificat qui n'a aucune
exclusion que d'exalter celui qui en a, dès qu'onlapeutfaire le-
ver. Cela se voit au conclave dlnriocent et en celui d'Alexandre.
Je vous conjure à genoux que monsignore Buonvisi ne puisse
jamais pénétrer, ni directement ni indirectement, que je vous aie
communiqué sa lettre ni la demande de Tenvoi d'un courrier...
Je vous prie de faire rendre ma réponse à monsignore Buon-
visi en sorte qu'il ne puisse découvrir que vous en ayez eu
connaissance, ni de sa lettre par le retour do ce porteur. »
Vainement le duc de Chaulnes avait averti Louis XIV que
l'abbé Buonvisi le trompait et traitait en même temps avec
l'Espagne : le roi réitéra l'ordre d'appuyer la candidature de
son oncle (1); mais les mêmes raisons, qui portaient les suf-
frages des Français sur le cardinal Buonvisi, éloignaient de lui,
malgré ses qualités personnelles, les cardinaux qui connais-
saient son neveu et qui avaient le plus à cœur les intérêts du
saint-siège.
Le nom de Vidoni, qui venait dans les scrutins après celui de
Buonvisi, ayant soulevé quelques objections, TEscadron,
uni aux factions d'Urbain VIII et de Clément IX, en présenta
un autre, fort estimé de tous les partis dans le collège et
agréé en même temps par la France et par TEspagne, celui
du cardinal Benoit Odescalchi. Mais le désir de plaire au roi
et à Lionne, en persistant à soutenir Buonvisi, porta Chaulnes
à entraver une élection qui allait réunir toutes les voix.
Quoique ses instructions rangeassent ce cardinal parmi les
papabili désirés par le roi, le duc prétendit que le ministre
espagnol approuvait trop bruyamment cette proposition, et
que la gloire de Louis XIV ne pouvait permettre un choix qui
u'humilierait pas assez la maison d'Autriche! Le 25 mars, il
informa la cour de cette candidature, à laquelle toutes les
factions s'étaient sur-le-champ ralliées, « parce que Odescalchi
était un sujet plein de dévotion ;... » mais, dit-il, le marquis
d*Astorga s'y prit de telle sorte que son adhésion éclatante
ressemblerait à un ordre, et que Texaltation de ce cardinal
serait un triomphe pour l'Espagne. L'élan était tel que les
(1) A Chaulnes, 21 mars 1670, Home, 209.
LOUIS XIV IT LE SAINT-tlBOS. — 11. 2G
402 OIAPITBE PRRMIER
cardinaux do Rolz et de Bouillon, si peu dévots, allaient
céder, lorsqu'ils trouvèrent moyen d*avertir Fambassadeur de
ce qui se passait, et celui-ci ajoute : « Je leur mandai que,
Odescalcbi étant un sujet qui était agréable à Votre Majesté,
il fallait voir si le torrent était assez violent pour nous devoir
emporter, ou si, eu parlant à Barberin, à l'Escadron et à
Rospigliosi, l'on pouvait Tarr^^'ter; que le premier parti était
le plus sûr, mais le moins glorieux; que le second était plus
difficile, mais plus rapportant à la justice qui était due à Yolro
Majesté d'avoir plus de part que personne à Texaltation du
pape, et qu'ainsi tout dépendait de Tctat dans lequel seraient
les affaires lorsqu'ils recevraient mon billet. Ils agirent. Sire,
en conséquence de celte réponse, et, ayant trouvé beaucoup
de disposition à ne pas concourir, ils dirent qu*ils ne savaient
pas mes sentiments, étant une affaire nouvelle dont on u Sa-
vait pas encore ouï parler, et, mettant ainsi l'affaire en négo-
ciation^ firent connaître que ces emportements gâtaient quel-
quefois plus les affaires qu'ils ne les accommodaient. Ils
temporisèrent du malin au soir, et me donnèrent lieu, non
pas de parler contre Odescalcbi, mais de me plaindre de la
manière dont cette alfaire s'était traitée, et, sur ces négocia-
tions, de Téluder d'autant plus facilement que, le matin du
lendemain, l'on courut au conclave comme pour un pape fait;
que l'on y lit l'ordonnance publique do ne rompre aucune
cloison, sous peine de la vie, qu'après la proclamation du
pape, et qu'un prédicateur, le même jour en cliaire, recom-
manda le pape que Ton faisait, dit-il, aux prières des assis-
tants, parce que c'était Tlioure du scrutin. L'affaire ainsi sus-
pendue, l'ambassadeur d'Espagne, ayant vu manquer son
coup, prit un parti assez extraordinaire, qui fut de demander
audience à la reine Christine, qu'il n'avait pas vue il y a plus
de trois mois, et la vint prier d'interposer ses bons ofticos
pour que je voulusse bien concourir à Odescalcbi. » Il semble
que celte démarclie publique d'Astorga donne une satisfaction
complète à l'ambassadeur de France; mais celui-ci répond
qu'il prendra les ordres de sa cour, et le sacré collège, ne se
trouvant pas dans uu de ces cas où sou devoir est de braver
le ressentiment d'un grand prince, ajourne encore sa décision.
CONCLAVE DE CLÉMENT X 403
L*ambassadeur écrit : « A Téganl de la personne dudit car-
dinal, sa grande, et l'on peut même dire la seule qualité qu'il a,
est d'être homme de bien, n'ayant nulle pratique des alFaires
du monde ni des intérêts des princes(l). 11 donna sur Theure
des marques considérables et extraordinaires de cette pre-
mière vertu, ayant dit à tous les cardinaux espagnols, qui le
furent féliciter, qu'il ne se croyait pas digne de ce poste dans
lequel il y avait tant de réformes à faire présentement ; que
l'on devait faire un meilleur choix; et Votre Majesté verra bien
qu'après une pareille déclaration dans ce temps. Ton ne peiit
pas douter de sa bonté, ni, de l'autre côté, que Talarme qu'en
curent bien des gens ne les rendit pas trop faciles à y concourir.
De ce compte que je rends à Votre Majesté sur cet incident,
j'espère qu'elle jugera qu'il n'en est jamais arrivé un dans un
conclave si surprenant et si embarrassant, et j'avoue à Votre
Majesté que je ne serai en repos sur ma conduite que quand
je pourrai apprendre le sentiment de Votre Majesté. Il m'eût
été aisé, Sire, de finir ainsi le conclave, et j'aurais peut-être pu
me vanter de l'exaltation d'un sujet dans le nombre de ceux
qui sont agréables à Votre Majesté ; mais, les formes étant con-
traires à sa gloire, j'ai cru qu'un sujet ne devait pas être
exalté sans en avoir au moins une partie de l'obligation à
Votre Majesté(2). » L'ambassadeur ayant ajouté, dans une
autre dépêche : « Il n'y a nulle stipulation à faire avec lui
[Odescalchi] , étant dans la dévotion la plus scrupuleuse que
l'on puisse imaginer(3;y » le roi approuva la conduite de son
ministre, qui descendit aux plus honteuses pratiques pour re-
mettre sur le tapis le nom de Buonvisi.
Le duc de Chaulnes avait ménagé entre le neveu de ce can-
didat et M. Foucher, agent de César d'Estrées, une conférence
secrète dont il rendit compte à la cour, en l'informant que le
sacré collège manifestait de plus en plus sa répugnance pour
(1) NouB ▼errons Odcsculchi, devenu Inuoceut XI, iluiiucr un éclataut dôuieuU
à ce jugement. Aucun homme d'État, dans ce siècle, ne connut mieux les
desseins et les intérêts des cours, et ne di^ploya plus d'éuergie pour conjurer
Ie« malheurs que la politique de Louis XIV attira sur la France et sur l'Eu-
rope, pendant la seconde moitié de son rèune.
(2) 25 mars 1610. Rome, 209.
(3) 31 mars. Rome, 209.
404 CHAPITRE PREMIER
ce choix. Il écrivit (1) : « Pour finir la conversation, le sieur
Foucher lui demanda de ma part s'il ne connaissait pas quelque
cardinal papable qui dût plus tôt mourir que les autres et que,
s'il voulait consulter les médecins, je lui promettais, de la part
de Votre Majesté, d'y concourir, pour placer bientôt Buonvisi
dans la même place. » Mais M. Foucher n'obtint de Tabbéque
des compliments sans aucune promesse. Cette conduite des
Français fit bientôt disparaître tout dissentiment entre les
factions. Les cardinaux Chigi, Azzolino, François Barberini
et Rospigliosi s'entendirent « de manière, dit Chaulnes lui-
même, que tous ces chefs parurent avoir beaucoup de salis-
faction les uns des autres. » L'ambassadeur de Louis XIV
chercha encore à les désunir, appuyant toujours Buonvisi (2):
tons les intérêts de la France et de TEglise se réduisaient
pour lui à faire cardinal un César d'Estrées(3)! « Je prendrai,
écrivait-il encore à Lionne le 17 avril, ce qui s'appelle gros-
sièrement des mesures pour M. de Laon, parce que je sais que
le neveu ne ferait pas la sourde oreille par principe de cons-
cience. » Mais les cardinaux avaient résolu de ne plus se lais-
ser diviser, et bientôt ils se mirent d'accord sur Tune des der-
nières créatures de Clément IX, Emilio Altieri, qui, dès le
pontifical de son protecteur Alexandre VII, avait été désigné
pour la pourpre, et même pour la tiare, par les Indépendants
et par la voix publique : le i2 juillet 1667, après rexaltalion
de Clément IX, l'abbé de Machaul avait écrit à Lionne (4), en
parlant de l'Escadron qui avait décidé les deux précédentes
élections : « L'on voit visiblement que leur but est d'avancer
le cardinal Ollhoboni, et, en cas que le pape manquât trop
tôt, ils destineraient M. Altieri, maître de chambre du pape,
(1) Au roi, 15 avril 1670. Rome, 209.
(2) « Comme la tranquillité qui paraissait dans chaque parti et l^assuraDce
des exclusions que chacun d'eux avait causait les longueurs du conclave, k
duc de Chaulnes crut que, pour les abréger, il fallait semer quelque zizanif
parmi les factions. Dans ce dessein, il rendit à Tumbasëadeur d'Espagne une
visite accompagnée de plusieurs circonstances qui pouvaient donner martel
en tête aux cardinaux Chigi et de Mêdicis : ils eu furent extrêmement alar-
mais... >' [Analyse de Saint-Prêt. RomCt Papiers et documents^ 25.)
(3) Rome, 209.
(4) Rome^ 184. Lettre citée plus haut. Livre II, chapitre i«r.
CONCLAVE DE CLÉMENT X 40. "
qui est fort vieux, qui sera cardinal infailliblement, qui lais-
serait le gouvernement comme il est jusqu'à ce que leur
temps fût venu. » L'élévation d'Altieri, qui prit le nom de
Clément X, était donc due à cette faction, qui n'avait jamais
cessé de compter pour adhérents les meilleurs sujets de toutes
les autres, et le parti français n'essaya même pas d'une oppo-
sition, qui d'ailleurs, au point où était arrivé le conclave,
n'aurait plus modifié ni retardé le scrutin définitif (29 avril
4670).
Le duc de Chaulnes s'empressa d'écrire à Louis XIV (1) que
c'était « Touvrage des seules mains de Sa Majesté », et que,
« dans Texallalion de Clément X, Sa Majesté avait eu sans
comparaison plus de part et plus d'honneur que dans celle du
feu pape (2). » Admis à l'audience du nouveau pontife, il « lui
dit que ses ordres étaient de préférer la faction Rospigliosi h
toutes les autres, et que le roi. n'avait pu souhaiter que lui dans
celte faction, sur toutes les relations qu'il avait faites à Sa
Majesté de son mérite et de toutes les grâces qu'il en avait
reçues. » Il lui rappela qu'en 1667, prenant congé et lui adres-
sant des compliments déjà faits à vingt autres^ il lui avait
prédit son élévation, et « cela donna lieu à ce duc de lui pré-
senter une lettre du roi qui était écrite d'une manière qui con-
venait fort bien à ce que l'ambassadeur venait de lui dire (3). »
C'était une de ces lettres sans nom ni date, dont chaque mi-
nistre étranger est toujours muni et qui prévoient diverses
hypothèses. Chaulnes savait bien qu'il mentait : « Ces petites
menteries, dit-il ailleurs (4), servent quelquefois et ne coûtent
pas beaucoup à un ambassadeur dans le temps d'un conclave,
qui, par le dû de sa charge, ne fait presque que mentir (5). »
(1) Au roi, 1" mai 1670. Rome, 200,
(2) Ce qui était assez difficile, puisque le duc de Ctiaulnes avait écrit à
Loait XIV après l'élection de Clément IX : « Le roi ne fait pas plus absolu-
ment, à Paris, le prévôt des marchands qu*ii a fait le pape. > V. ci-dessus
cbap. i*' du livre H.
(3) Analyse de Saint-Prét. Rome^ Papiers et documents, 23.
(4) A Lionne, 31 mars 1670. Rome, 209.
(5) Le duc de Chaulnes était d'ailleurs fatigué du rôle que sa cour lui faisait
jouer. Cent passages de ses dépèches révèlent le peu de confiance qu*il avait
dans le résultat de ses intrigues : Le conclave ii*avance pas, disait-il; on sait
406 CHAPITRE PREMIER
Des écrivains modernes ont pris au sérieux et répété les van-
tories de M. de Chaulnes, avec celle variante que le cardinal
de Retz aurait, par son habileté, réduit le sacré collège à sabir
les volontés du roi (1). Peut-on appeler candidat de Louis XlViî,
un cardinal auquel il n'est pas même fait allusion dans les
instructions originaires de Tambassadeur, ni dans la corres-
pondance échangée pendant le conclave, et dont la pratique
fut proposée par les Indépendants vingt-quatre heures seule-
ment avant le dernier scrutin (3)? Pourquoi Altieri aurait-il
été désiré par la faction française? Il avait précisément les
qualités et les vertus qu'elle avait proscrites dans les cardi-
bien qui ue sera pas élu ; mais no uc sait pas qui le sera. (Au roi, 4 février 1670.
Home, 208.) — Ailleurs, longs rdisoDOcmeuts et suppositions ^e termioaDt
ainsi : « Les projets que Ton peut faire sur Tavenlr sont si incertains, enca»
de coucluve!... Je tâcherai de faire tomber le sort sur quelqu'un, s'il se peut,
le plus agréable à V. M., devant tout espérer du pouvoir de V. >l. en cette
cour, etc. » (12 mars 1670. Rome, 200.) — Tout y est (au conclave) dans la der-
nière incertitude. (Au roi, 15 mars 1670. Rome, 209; etc.)
(1) Le récit de Chantelauze et de M. Bozon est des plus extravagants. Retz,
qui était déjà pour ces auteurs le plus étonnant des cardinaux, le plus accom-
pli dfis diplomates, s'est surpassé lui-môme en 1670. A peine paralt-il au sacrr
collège, « les principaux chefs des factions sont attirés vers lui comme par
un aimant irrésistible, ... et sentout qu'il est appelé entre tous à désigner un
pontife... Il semblait ccpondaut qu'aucime force humaine ne pût dissiper
l'union de rE?pagne avec les factions de Chigi et de .Médicis. » (Chantelauze,
p. .^)03, 508 vX suiv.) — <* Le poutificat était entrf» les mains de Retz. »» (M. Boiod.
p. \ 18.) Voyez notre article de la Revue des Questioris historiques, !•' juillet 1881.
(2) Cliantolanze, p. 510. — Cet auteur va jusqu'à diro (p. 489) que Chauluc?
avait r»çn l'ordre de faire rk^nsS'ir par-dessus tout l'élection du chef de la fac-
tion de Clément IX, c'est-à-dire de son propre neveu. Dans quelle pièce a-t-illu
pareille absurdité? Les neveux d'un pape étaient virtuellement et rigoureuse-
mont exclus : qui donc aurait jamais fait une proposition qui eût semblé
reii'lrel.i papauté héréditaire? Chanlclauzo avaucc que Louis XIV avait mis cinq
cardinaux de la faction Rospigliosi sur la liste donnée à sou ambassadeur :
«« L'î roi, dit-il (p. 491), déclarait à son envoyé que, s'il y avait de trop grands
obstacles pour l'élection d'Albizzi, de Buonvisi ou de Vidoni, il serait très aise
de voir nommer, dans la faction Rospiffliosi, Brancaccio ou Ginetti, Carpe^na
ou Ccl?i, ou Litta. » Or, Brancaccio, Carpegna et Ginetti étaient créature>
d'Urbain Vllï, et l«*s deux autres d'Alexandre Vil!
(3) M Quant aux inclusions, je serais bien en peine de vous dire de si loin
(|nel tour vous pouvez donner à l'affaire sur les fondements que vous posez,
c'est-à-dire : premièrement que, parle propre aveu du cardinal Rospigliosi, il
n'// a aucun sujet dans sa faction qui pf fisse réussir; eu second lieu, que dan?
le vieux collège, il n'y a que deux sujets papables, Brancaccio et Fachinetti,
dont je ne puis désirer le dernier et les Espagnol excluent l'autre. »• (Le roi
à Chaulnes, 21 février, Rome, 208.)
CONCLAVE DE CLÉMENT X 4U7
naux d'Elci et Odescalchi. Est-ce que le cardinal de Retz se
souciait de donner à rÉglîse un chef dîgno d'elle? Lorsque le
duc de Chaulnes avait traversé réleclion d'Odescalclii, Retz
avait-il résisté? avait-il rappelé l'agrément donné par le roi
à ce cardinal, et réclamé la liberté de son suffrage? Non, elle
dernier des conclavisles n'aurait pas exécuté sa consigne plus
servilement que Tancien chef de la Fronde. Quoique les élec-
teurs d*Altieri ne fussent pas inspirés par une pensée hostile
à la France, le duc de Chaulnes sentait si bien que ce choix
ne contenterait pas Louis XIV, qu'il cherchait à se le fa^re par-
donner en signalant l'Age avancé du nouveau pape comme le
présage assuré d'un prochain conclave, d'où sortirait peut-être
Buonvisi. Il écrivait (1) : « L'avantage considérable que Votre
Majesté tire encore de cette exaUalîon est. Sire, que Tôge du
pape donne à espérer à tout le monde, et que j'ai fait valoir à
monsignore Buonvisi ce que je lui avais mandé, que j'avais
ordre de Votre Majesté de concourir à un vieux cardinal pour
servir son oncle, et que tous ceux qui sont dans Tintérôt do
Votre Majesté en ont été très satisfaits. »
Clément X réalisait si peu Tidéal frauçais d'un pape com-
plaisant et timide, entouré d'une famille vénale, que les pré-
tentions du roi firent naître aussitôt entre les deux cours une
nfîésinteHigence qui dura, en s'aggravant, jusqu'au dernier
jour du pontiGcat; et cependant je prendrai les seuls agenis
do Louis XIV à témoin des qualités que les Indépendants et la
majorité du collège recherchaient dans leurs candidats. CVsl
d'abord le duc de Chaulnes quiécrit(2): « A Tégard de stipula-
tion, il n'y en a pas à faire avec le pape (8), qui refusa dix fois
le pontificat et qui, en présence de tout le sacré collège, lors-
que le cardinal Brancaccio entra dans sa cellule, dit à tous
MM. les cardinaux que c'était ledit cardinal qu'il fallait
exaller. 11 poussa le refus si loin que l'on proposa de le mener
(1) 1" mai 1670. Home, 209.
(2) A Lionne. 2 mai 1670. Rome, 209.
(3) Cela Atait hi yrai que CUmucuI X ne rendit pas la daterie ni la pccrétai-
rorie d*K(at aux cardinaii.x Otthoboni et Azzolino, quoique ces deux ministres de
Cl^meut IX eussent pris la part principale à .^on exaltation ; et ils en conçurent
si ppQ de ressentiment que Cliaulues lui-même atteste rétroite union du pa-
lais a^ec les Indépendants. (Au roi, 7 juin 1670. Rome, 209.)
408 CffAPIT RE PREMtRR
par force, ce qui fut exécuté : personne n'a cru qu'il jouât li
comédie. » — « Le pape a été un dos sujets de cette cour le
plus employé et qui a eu le plus de réputation dans toutes ses
charges. Sa famille a toujours penché pour la France, qui
avait souhaité de porter son frère au pontificat, s'il ne fût pas
mort au conclave où fut exalté Alexandre VIL II a beaucoup
de jugement, une humeur fort douce et obligeante^ se faisant
d'ailleurs un point d'honneur d'imiter la conduite de Clé-
ment IX, à quoi il aura [d'autant] moins de peine que sou na-
turel le porte h faire dos grAces. Il serait difficile que son
grand Age, de quatre-vingts ans dans un mois, lui eût laissé
la même vivacité qu'il avait auparavant, l'ayant beaucoup usée
dans le travail assidu des principales Congrégations et parti-
culièrement dans celle des Réguliers dont il a soutenu lonj:-
lemps le fardeau. Je ne me suis pas aperçu du manquement
de sa mémoire(t), ainsi que les bruits en couraient, ce quipeul
r^lre aussi un effet de la tiare, qui guérit facilement tous les
maux des cardinaux lorsqu'elle est mise sur leurs têtes. Il
n^aura pas. Sire, les mOmes ambitions de Clément IX d'agir
par lui-même. Il voudra bien tout savoir, mais il charg^era
sans peine le cardinal Altieri des discussions plus épineuses.
Il est réglé dans toutes ses actions ; il est sobre ; il se lève tous
les jours avant quatre heures. 11 se couche avec le soleil, au
grand regret de ceux du palais. Il s'habille et déshabille seul
et, le malin, emploie deux heures ou à ses prières ou écrire,
avant d'appeler «es gens. Il est robuste et d'une forte com-
plexion. 11 a le teint bon et n'est sujet à aucune indisposition,
ce qui peut faire espérer, selon toutes les apparences, un
assez long pontificat (2). »
(1) Le pape m*a parlé de vous et deB nfTairesqa'il a traitées avec vous, aprè!^
le conclave d'Alexaodre VII. « Si je ne savais quels cfTetf^ peut produire la
tiare, jo serais tombé de mon haut d'entendre le pape entrer iIhds toutes les
matières de vos négociations de ce temps-là et se ressouvenir de tout ce qui
se passa dans les différends entre le gouverneur de Milan et le prince de >1o«
dène, mais avec des particulnrités si recherchées dans toutes vos nép^ociation»
que je ne sais si M. de Montmort en eût pu faire autant, n (Chaulnes à Lionne.
3 juin 1670. Home, 209.)
(2) 7 juin 1670. Home, 209. — « Le pape est en parfaite santé, et il y a très
grande apparence que de bien plus jeunes passeront devant lui, étant de race
à vivre longtemps, son père n'étant mort qu'à cent cinq ans. Il fait une chose
CARACTÈRE DE CLÉMENT X 409
Clément X prit pour priacipal ministre le cardinal Paluzzo
Paluzzi degli Albertoni(l), au neveu duquel il avait marié sa
nièce, et lui donna son propre nom avec le rang de cardinal-
neveu. Ce prélat, disait le duc de Chaulnes, « a environ qua-
rante-cinq ans; il a passé par tous les degrés de la prélalurc,
dont le dernier a été Tauditorat de la Chambre, par où il a
monté au cardinalat. lia beaucoup d*esprit; il aime les aiïaires
et les entend, et il veut savoir jusques aux moindres choses et
est fort décisif. Il a acquis beaucoup d'estime dans tous ses
emplois, et son naturel le porterait, à ce que Ton dit, à s'é-
chaufTer facilement; mais il se gouverne si prudemment que
l'on ne se peut apercevoir de ce défaut. Il aura, selon les ap-
parences, beaucoup de crédit dans ce pontificat, pour la tran-
quillité duquel il travaillera avec beaucoup de soin, ce qui
n*est pas une méchante circonstance pour ceux qui auront
quelque autorité de lui parler fortement et de le toucher par
cette partie sensible. Comme il s'est vu dans un état assez mi-
sérable par la perte de sa place d'auditeur de Chambre pour
monter au cardinalat, sa pente ira à se mettre hors et loin de
la nécessité, mais par les voies honnêtes et légitimes. Son
neveu est un jeune homme de vingt-deux ans, qui n*a jamais
paru et qui n*aura nul crédit (2). »
bien différemment de Clément IX, qui est qu'il commence à donner aadieutc
à cinq heareB du matin, après avoir déjà dit sa messe. >• (Chaulnes à Lionne.
6 mai 1670. Rome, 209.) — « Pour la santé du pape, elle est d'une fratcheur
et d'une vigueur fort au-dessus de son âge. » (César d'Estrécs, évoque de Laon,
au roi, 7 juillet 1671. Romey 203.)
(1) Créature d'Alexandre Vil.
(2) 7 juin 1670. Rome^ 209. — 11 faut entendre encore, sur le pape et sur
Altieri, un autre Français, qui se déchaînera ensuite contre eux lorsqu'ils ré-
sisteront aux insoutenables prétentions de Louis XIV : « ... S. S., après m'a-
voir beaucoup parlé du roi et des obligations qu'elle et sa maison lui avaient
depuis longtemps, me fit l'honneur de me dire qu'elle espérait de la piété dn
S. M., aussi bien que de sa générosité, un secours dans ses besoins, un appui
pour soutenir le poids de l'Église ; qu'elle avait fait ce qu'elle avait pu pour
ne l'avoir pas, n'étant nullement propre à un homme de son Age et qui ne
songeait qu'À finir sa vie en repos... J'eus l'honneur de répondre à cela que
S. S. pouvait faire fond sur S. M. et être pleinement persuadée de la corres-
pondance, et même qu'elle n'aurait pas moins de passion pour la gloire de
son pontificat que pour celui du feu pape Clément IX, dont la mémoire sera
toujours très sainte et très illustre par tout ce que S. M. avait fait à sa prière
et à sa considération, et cela par la bonne correspondance qui se passait
410 CHAPITRK PREMIER
Clément X s*cntoura de minisires qui étaient bien vus des
couronnes. Les agents de Louis X[V n'ont que des louanges
pour les prélats Carpegna, dataire, et Borromeo^ secrétaire
d'État, parents assez éloignés du pape. Si son maître (fc
chambre Massimi, ancien nonce à Madrid, paraît ôlre d'incli-
nation espagnole, le gouverneur de Rome est BeviIacqua,doDt
le roi désire la nomination à la nonciature de France. Le pape
ne craignait même pas de faire des avances publiques à la
cour ombrageuse de Saint-Germain. Le duc de Chaulne?
écrivait (4): « Sa Sainteté vient de donner une marque considé-
rableet extraordinaire de sa pente vers la France, ayant donné
à l'abbé Baglioni la charge de secrétaire des chiffres et du
général de TElat ecclésiastique. Ce projet du pape a reçu
d*abord beaucoup d'opposition, et même avec quelque justice,
de confier au secrétaire d'un cardinal national (2) le secret de
toutes les affaires, non seulement de TEtat ecclésiastique, mais
même de tous les princes étrangers. Cependant le pape ni
entre elle et lui, co que S. S. devait aussi alteudre, étant dans la disposition
où elle était et daus laquelle elle ne devait pas r.eulement domcnrer, mai^
njftiiio Taugmontor, si elle pouvait, S. M. ne se laissant jamais vaincre en quoi
quecr s^oit. Elle m'assura qu'elle n'oublierait rien pour satisfaire le roi. duquel
elle espérait qu'il serait content eucore dft M'^»' le cardinal Altieri, et qup oc
qui l'ohli^'oait d«' le croire. cVtait de voir comme quoi S. M. Tavait traitt^ dan?
la lettre quVlle lui avait fait l'honneur de lui écrire; qu'il n'était pas comm»*
les autres nevrux «1»» papes qui vouaient neufs <lans Ip gouvernement, a^nr^i
fXisst^ par les plus (jvandes charges^ étant dt^jà consommé et s^apptiquant forte-
ment aux affaires. Ma répouse fut que je ne faisais nul doute que S. M. n'eût
fort agréé le choix que S. S. avait fait et qu'elle ne fût très satisfaite de S. É..
n'étant pas possible d'en mieux user qu'elle faisait: qu'assurément depuis quatr»*
sièclrs ou n'avait pas vu dans ce poste un homme plus juste, plus civil, plii'
appliqué et plus expéditif ; qu'en cette rencontre on avait reconnu les grand?*
lumières de S. B., et que, pour sa consolation, je voudrais qu'elle put se trou-
ver dans les endroits où je me trouve, «'t entendre ce que j'en entends dire. En
effet, jamais on n'a mieux parlé d'un neveu qu'on fait de celui-ci, qui donno
plus d'audiences dans une matinée et qui dépèche plus d'affaires que M^' le
cardinal Hospigliosi. sans lui faire tort, ne faisait dans quinze jours. Il parle
à tous; il reçoit Ips mémoriaux de tous, et même passant dans les rues, et don-
nant à tous des marques de sa caf/antc et de sa justice. Personne ne .sentit
capahte dr lui faire faire un pas contre ce qui est dû à chacun^ pas même
MM. ses parents, qu'il tient asspz bas, ne voulant pas qu'ils se mêlent «Ip*
alTaires. » (Bonfils à Lionne, Sjuilb't IHIO. Home, 210.)
(1) Au roi, f) mai. Rome^ 209.
(2) Antoine Barberini, archevêque de Reims.
CARACTÈRE DE CLÉMENT X 4H
M. le cardinal Altieri n'y ont eu aucun égard et ledit abbé fut
t>îen établi dans ce poste, dans lequel il peut être fort utile à
Votre Majesté et pousser peut-être bien loin sa fortune. »
Comment le roi ne sut-il pas vivre en paix avec Rome,
pendant un pontificat qui s'ouvrait sous de tels auspices? Il
commença par rappeler M. de Chaulnes^ sans annoncer ni
ambassade ordinaire ni ambassade d'obédience. Il s'en était
même fallu de peu que le duc ne parût pas du tout : ses ins-
tructions, prévoyant le cas otiil apprendrait en chemin Télec-
tion, lui ordonnaient de revenir s'il n'avait pas dépassé Gênes,
et de ne poursuivre que si une faible distance le séparait de la
frontière romaine. L'ambassadeur quitta Farnèse, le 9 juin,
six semaines après l'ouverture du conclave, et non sans laisser
derrière lui les germes de plusieurs conflits.
Louis XIV entendait réclamer de Clément X, comme de ses
prédécesseurs, une soumission absolue à ses volontés, même
en matière spirituelle. « Vous feriez un coup digne de vous,
écrivait Lionne au duc de Chaulnes (1), si vous emportiez du
nouveau pape la suppression du formulaire, ce qui ne consis-
terait qu'en un bref de douze lignes aux évéques de France,
et je puis dire que, dans TalTaire du jansénisme, il ne reste
plus rien de bon à faire à la cour de Rome que ce coup-là,
comme, au contraire, elle se jetterait d'elle-même dans des
embarras inextricables, si elle voulait tant soit peu toucher,
à la suscitation des Jésuites, à ce qu'a fait le défunt pape dans
l'accommodement des quatre évêques, sur la foi duquel nous
vivons tous, Dieu merci, dans un plein repos. M. le cardinal
de Retz peut encore être un grand acteur à conseiller de delà
le parti de la suppression du formulaire. » Le roi en personne
chargea le duc de déclarer « qu'il ne pourrait pas appuyer de
(1) 17 janvier 1670. Borne, 208. — Déjà, le 3 janvier 1670, le roi lui-même
avait écrit a CbauloeB : >< Dès que le nouveau pape pcrn élu, vous lui ferez
connattre l'embarras où il se mettrait lui-même s'il écoutait sur cette matière
ou suivait les sentiments du cardinal Albixzi ou d'autres, qui que ce soit, qui
voudrait lui persuader de toucher à ce qu'a fait Clément IX, et qu'en un besoin
vous lui fassiez entendre et lui déclariez avec fermeté qu'il serait mal appuyé
de mol, s'il se laissait aller à de pareils couseilsde troubler en ce fait la tran-
quillité que son prédécesseur a si glorieusement rétablie dans l'Église de
France. » {Rnme, 308. J
412 CHAPITRE PREMIER
son autorité aucune nouveauté que Ton vonlûl faire de deH
aux dernières dispositions de Clément IX, » et d'exiger «pi-
role de ne rien innover » (1). En même temps Lionne el
Chaulnes se faisaient confidence de leur mépris pour le nonce
Bargellini, dont la bonne foi avait été surprise par les jansé-
nistes et par la cour de France. L'ambassadeur écrivait aa
ministre (2) : « Il ne m'a point paru que M. le cardinal Altieii
eût une grande estime pour M^' Bargellînî, ce qui vous don-
nera peut-être meilleure opinion de ce cardinal; et, comme je
me suis aperçu en France que Ton était assez de ce même
sentiment, je n*ai pas témoigné audit cardinal que Sa Majeslé
souhaiterait qu*il rostAt. » Lorsque l'abrogation du formulaire
fut demandée pour la première fois à Clément X « il se sou-
vint fort bien, dit le duc de Chaulnes (3), de l'affaire qu'il dis-
cutait, me disant qu'il avait été consulté sur cette affaire sons
les deux derniers pontificats, mais qu'il ne savait pas si le mal
était bien gueri ; de quoi Tayant assuré, lui rapportant les sou-
missions que les évoques soupçonnés avaient faites au pape
Clément IX, Sa Sainteté me dit qu'il fallait voir comment cetlo
suppression se pourrait faire avec honneur pour le saint-
siège. » Le cardinal Alticri « me fit connaître par tous ses dis-
cours qu'il était encore moins persuadé que le pape que le
mal fut guéri, ce qui m'obligea d'entrer plus avant en ma-
tière avec lui, lui disant que, quand il serait vrai, dontjo
ne convenais pas, ladite suppression serait encore très né-
cessaire pour éviter de plus grands maux qui, dans la suite,
se rendraient irrémédiables et que le seul formulaire cau-
serait. »
Leduc de Chaulnes ne vil pas une seule fois Clément X
sans le presser d'accorder la pourpre à l'évêque de Laon, sur
les prétendues instances du régent don Pèdre; et cependant
il avouait lui-même à Lionne que « les sentiments de M. l'am-
(1) 7 mars 1670. Home, 209.
(2) 3 juin 1670. Rome, 209.
(3) « Le duc parla au pape, dans toutes ses audiences, de la suppression da
formulaire, disant que cet acte avait Hè demandé comme le seul remède qui
pouvait guérir le mal causé par l'hérésie; que ce remède .ivait produit tout
reffet qu'on pouvait souhaiter; que la plaie était ffuérie, cpie la partie étiit
saine et que l'emplâtre n'y pourrait plus faire que du maL »
CARACTÈRE DE i LÉMENT X il3
assad«^ur de Portugal 1 . étaient nou seuit*ment peu favo-
aiblos, mais tout à fait contraires à faire jouir de celte grâce
o sujet qui ne fût pas ua'ional. » N'ayant encore obtenu du
ape que des réponses polies, mais dilatoires. le duc essaya
.e le surprendre. Je brusquai TaBaire, dit-il, en le remerciant
omme d*une chose faite ou du moins promise : il ne me con-
redil pas, « ce qui était beaucoup, ce me semble 2 . v
Le sacré collège n'avait pas cessé, dans le conclave, de por-
er son attention sur les armements faits par les Turcs en vue
le la prochaine campagne. Les Vénitiens lui signalèrent les
.roubles de la Hongrie et de la Croatie, où le comte Serin, pour
échapper au joug impérial^ menaçait de se rendre tributaire
le la Porte : ils sollicitèrent une prompte élection afin qu'un
nouveau pape put provoquer une ligue des princes catholiques
contre les infidèles, et rappelèrent avec frayeur que les armes
ottomanes^ introduites en Croatie» ne seraient plus qu*à cent
cinquante milles de Venise. Le duc de Chaulnes protesta aussi-
tôt^ quoique sans ordre, du dévouement de son maître au salut
de la chrétienté, et se vanta au roi des fausses espérances qu'il
avait données, sachant bien, dit-il, « que les effets de ces
avances dépendaient de tant d'autres circonstances, tant du
c6té de TEmpereur que du côté de ces alTaires de Hongrie et
de Croatie, que cen*étail engager Voire Majesté qu a ce qu'elle
Test et naturellement, et par ses propres inclinations [V. -
Mais il fut moins fier, quelques jours après, lorsque le sacre
collège reçut un courrier du nonce de Varsovie, dévoilant ks
intrigues de M. de Bonsy, archevêque de Toulouse, ambassa-
deur du roi en Pologne, et qu'il devint manifeste à tous les
yeux que la protection de l'Europe contre les Turcs était le
moindre souci de Louis XIV : c'était précisément le temps
oii Lionne préparait les instructions d'un nouvel ambassadeur,
envoyé à la Porte pour apaiser le rossoniimonl que le secours
(1) Ces scnUmenU éUiieiil depuiâ loufitemps couuus : i J'ai tu deux foi*
raiuba«tad<iur de Portugal. Je pris le parti la première fois de traiter avec iu-
diSëreuce TatTaire de M. de Laou pour découvrir les seutimeuts de ce uiiuistre.
et je mettraid bien ma main au feu qu'il est contraire aM. de Laou. » (Chaulues
a LioDUC, 28 jauTÎer 1670. /toute, 208.)
(â) Au roi, 7 juiu 1670. Rome, 209.
(J) Au roi, 15 aviil 1670. Home, 209.
414 CHAPITRE PRKMIKR
de Candie avait laissé dans Tesprit du sultan (1). a Vdiciaoe
assez plaisante rencontre, écrivait le duc à Lionue (2} : M. le
cardinal de Bouillon s'étant trouvé chef d*ordre les trois de^
niers jours, pendant lesquels Ton a reçu les paquets d'Alle-
magne et de Pologne, il a assisté à Touverture des paquets et
a lu^ dans les avis du nonce de Pologne, deux choses que j'ai
cru vous devoir faire savoir : Tune, que Ton croyait que c'était
la France qui excitait les Turcs à faire la guerre en ces con-
trées, et l'autre, que les esprits se tournaient du côté de la
France par le peu de satisfaction que Ton avait du gouverne-
ment et la mésintelligence qui régnait partout. 11 ne perd pas
aussi l'occasion de dauber M. l'archevêque de Toulouse (31...
L'esprit du seigneur nonce paraît en ses nouvelles, et il est
assez plaisant que cela se soit trouvé juste aux jours de M. le
cardinal de Bouillon. »
La présence d'un ambassadeur français à Rome avait rendu
à ses nationaux leur insolence habituelle, et, quels que fussent
leurs méfaits, le duc de Chaulnes prétendait que l'honneur de
son maître leur assurât l'impunité. Une nuit, durant le con-
clave, un Français blessa mortellement un des gardes du Va-
tican : il devait être exécuté le lendemain, « le cas étant pré-
votable ». — « Comme l'action ne se pouvait pas approuver,
que c'était un crime de lèse-majesté, le Vatican étante dans le
temps du conclave, un lieu sacré, il n'eut pas été honnête de
soutenir ce procédé; mais, conimo il l'eut été moins de voir
rcxéculion d'un Français, » le duc, secondé notamment jiar
le cardinal d'Esté, suborna des témoins, surprit une sentence
qui bannissait le criminel, lui donna rhospilalité dans sa mai-
son, et le public fut indigné « de voir que l'on ne punissait pas
un crime de cette nature parce que c'était un Français (4). j»
Avant de quitter Rome, le duc de Chaulnes proposa au roi de
substituer à Farnèse, qui n'était que prôté ou loué par le duc
(1) Les instructions du marquis de Noiulel sont datées du 21 juillet 1670.
Turquie, 10.
(2) A Lionne, 18 avril 1670. Home, 209.
(3) Bonsy venait d'être transféré de Béziers à Toulouse, et Louis XIV rc-
clamait pour lui le cardinalat au nom du roi de Pologne.
(♦) Au roi, 8 avril 1670. -Rome, 209.
PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 415
de Parme, uu palais national semblable à ceux d'Espagne et
de Venise; « et dans ces palais, ajoute-t-il, Ton y peut mettre
des armes et des munitions, ce qui est très important (1); »
paroles qui présagent la fameuse ambassade de Lavardin. Ce
sont précisément les excès commis par les ambassadeurs, sous
le pontificat de Clément X, qui rendront inévitable la querelle
des quartiers, sous celui d'Innocent XL
Tels sont les sentiments que le représentant de Louis XIV reni-
porlait en France. Uaos quelles dispositions laissa-t-il toutes
les fractions du sacré collège et le souverain ponlife lui-même?
11 écrivait au roi : «< Je no crois pas devoir finir cette dépêche
que par où j'ai fini mes audiences avec le pape et le cardinal
Altierî, Sa Sainteté m'ayant chargé, trop expressément pour
y manquer, d'assurer Voire Majesté que les obligations qu'elle
lui avait du poste où elle se trouvait seraient toujours em-
preintes dans son cœur, pour en faire sortir, dans toutes les
occasions, les marques de son affection paternelle. Sa Sainteté
m^ordonna ensuite de recommander en son nom à Votre Ma-
jesté tous les intérêts de la chrétienté, comme au prince le plus
puissant, et qui avait déjà donné tant de preuves de son zèle
pour le maintien de la religion. Elle me fit ensuite quelques
compliments obligeants sur le déplaisir de mon départ; elle
m^ordonna, dans mon absence, de prendre en elle la même
confiance qu'elle savait que m'avait ordonnée le feu pape. Elle
me commanda de lui écrire avec toute sorte de liberté et sur-
tout de lui demander des grâces, ce qu'elle recevrait comme
des marques de Tintérêl (jue je voudrais prendre en sa per-
sonne. Elle me voulut faire ensuite elle-même des présents de
chapelets, en attendant un régal plus considérable, qu'elle
m'envoya deux heures après, d'un fort beau reliquaire qu'elle
fit accompagner d'un corps saint; ayant reçu ensuite ses trois
bénédictions^ après les deux embrassements que les papes
font aux ambassadeurs à la première et dernière audience.
M. le cardinal Altieri me témoigna ensuite, dans la visite que
je li:i rendis, que rien ne lui serait si cher que la protection
de Votre Majesté, qu'il tâcherait de mériter, et me pria fort,
(1) Mémoire autographe, joiut a la dépôche du 7 juiu. iiome, 209.
416 CHAPITRE PnEtflER
en attendant qu*il s*cn fût rendu digne, de lui vouloir pro-
curer souvent les commandements de Votre Majesté. Ilm'i
témoigné les mêmes sentiments dans deux visites qu'il m'a
rendues du depuis, et conclurai, Sire, par les assurances que
l'on ne peut rendre plus d^ïonneur qu'en a reçu mon caractère
dans le cours de mon ambassade (i). »
Le duc de Chaulnes laissa les affaires du roi aux soins de
Tabbé de Bourlemont, auditeur de rote. Lionne se défiait ud
peu de ce prélat, dont le gallicanisme sec et hautain ne des-
cendait pas aux basses pratiques : il Taurait vu sans regreb
accepter Tévêché de Lavaur; mais Bourlemont dédaigna ce
siège, et^ en attendant mieux, fut maintenu à Rome avecla
commende de la Grâce (ordre de Saint-Benoît), valant au moins
seize mille livres de revenu (2). Aussi le ministre, tout en le
félicitant de Tbabileté qu'il déployait dans les vacances de
l'ambassade, compta principalement, pour emporter la promo-
tion de M. de Laon, sur cette tourbe de Français et d'Italiens,
familiers, habitants ou pensionnaires de Farnèse, auxquels
on pouvait demander tous les services, sans se heurter jamais
à aucun scrupule : Atto Melani, UgoMaffei, Elpidio Benedelli,
de Sanctis, Gallo, Vagnozzi, Ripa; l'abbé Servient, que Clé-
ment X nomma camérior secret, avec logement à Monte-Ca-
vallo (3) ; Tabbé de Bonfîls et M. Foucher, accrédités Tun el
l'autre par le roi et par la maison de Vendôme, ayant, le secmi
surtout, le secret de la négociation, et l'abbé de Bigorre qui.
chargé de solliciter le chapeau pour M, de Bonsy, au nom de
(i) 1 juin 1670. lioinr, 209.
(2) (( Je crois qu'il fait une bonne afTuire, car quand la maladie des Suiss<!â
le prendra de revoir sa patrie, étant plus avancé en âge, il y a grande appa-
rence qu'il aura l'argent et le drap, c'est-à-dire un évôché et l'abbaye. »»(Liotti»
à Cbauhi^^.s 28 mars 1(170. Piome, 209.)
(3) Remerciements de Lionne au pape et au cardinal Altieri, 13 juin 161fi
pour « la grâce si considérable que S. S. a accordée à l'abbé Servient ",eoi«
nommant son camérier secret. {Romi% 207.) — Bourieuiout au roi, 7 o**
tobre 1670. liome^ 211 : « J'ai dit à celui qui fait ici les affaires de M. l'abbé
Servient de lui faire accommoder les chambres que le pape lui douneâMoLt^
Cavallo comme camérier secret. Il y eu aura assez pour lui et pour ceux q^i
sont proche de sa personne, et il n'aura plus quà faire prendre quelque re-
mise et écurie pour son carrosse et ses chevaux le plus proche de Monle-Ci-
vailo qu'il se pourra. >'
PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 417
Louis XIV el du roi de Pologne, pouvait servir indirectement
les intérêts de M. d'Estrées. Lionne ayant insinué maladroi-
tement à l'abbé de Bourlemont qu'il ferait bien de régler ses
démarches sur celles de M. Foucher, l'auditeur de rote ne
dissimula pas sa mauvaise humeur, et il fallut l'assurer que
M. Foucher lui était soumis (1).
Dès le mois de juin 1670, Bourlemont eut ordre de déclarer
à Clément X que l'amitié de la France était au prix de la
pourpre exigée par l'évêque do Laon : « Disposez le pape,
lui écrivit Lionne, j'ose dire par le propre intérêt de son ser-
vice et de sa gloire, à ne pas laisser échapper ni corrompre une
si belle occasion d'obliger essentiellement Sa Majesté dans la
seule chose, comme j'ai déjà dit, qui lui peut fournir la ma-
tière de donner à Sa Majesté des preuves de sa bonté pater-
nelle, avec quelque distinction des autres princes, qui n'ont pas
lanl de moyens qu'elle d'y bien correspondre, à l'avantage
même du sainl-siège et de la religion catholique. » — Pour com-
muniquer son ardeur à Bourlemont, il ajoutait : « Je sais par
mille épreuves que, dès que vous voyez le service et la satis-
faction du roi en quelque affaire, vous vous y appliquez avec
un soin inexprimable; mais je me flatte de plus qu'en celle-ci,
par rintérêt que j'y dois prendre et que j'y prends effective-
ment depuis notre alliance^ aussi grand que si je vous parlais
pour mon fils Tabbé lui-même et sans différence aucune, vous
aurez la bonté de prendre même un singulier plaisir de vous
y employer, avec une chaleur extraordinaire dont je vous aurai
la dernière obligation, et il ne sera jour de ma vie que je ne
recherche les moyens de me revancher(2). » Ce n'était pas
assez que Clément X n'écarlût point absolument César d'Es-
trées. Le duc de Chaulnes avait écrit à Lionne : « Pour repar-
ler de l'affaire de M. de Laon..., je suis persuadé que Ton peut
attendre autant du nouveau pape que de Clément IX, et du
cardinal Altieri... que du cardinal Rospigliosi (3). » Le roi
n'admettait ni objection ni délai. Cependant l'évêque de Laon
(1) Lionne à Boarlcmout^ li février, 2o avril, 30 mai et 12 septembre 1610.
Rome, 207.
(2) 30 mai 1670. Rome, 207.
(3) 2 mai. Rome, 209.
LOUIS XIV BT LB SAINT-SIÂGB. — 11. 27
418 CHAPITRB PREMnm
cûi-il réuni tous les mérilcSy les règles établies rejetaient»
promotion à une époque assez éloignée. A supposer qu'il fiât
vraiment présenté par la cour de Lisbonne et que le papete-
ceptàt du Portugal la nomination d'un Français, il falkû
attendre le tour des couronnes, et surtout qu'il y eût dans le
collège assez de vacances pour tous les candidats des princes.
Or, deux chapeaux seulement étaient alors à donner, ceux da
cardinal d'ËIci, mort en conclave, et de Clément X, qui réservait
le sien à un parent du feu pape, son créateur. Le successeurde
Lionne, M. de Pomponne, qui épousa les rancunes de MM. d'Es-
trées contre la maison Allieri, reconnaît lui-même quel était
Tusage en celte matière :« Un pape, dit-il dans ses Mémoires'ijj
aussitôt après son élection, donne son chapeau et ceux qaisc
trouvent alors vacants à ses neveux et dans sa famille : cette
promotion n*cst tirée à aucune conséquence. Celle qui suit est
pourlui, sans que les princes y prétendent, et la troisième doit
être pour les couronnes. Les autres qui se font après sont alter-
nativement pour le pape et pour elles. » Le même ministre
avoue également que la prétendue nomination de Portugal
était sans précédents (2) : d'ailleurs, si don Pèdre n'avait pu la
refuser aux obsessions de Louis XIV, il voulait que son am-
bassadeur ne fît rien, à Rome, pour en assurer le succès (3).
Pour vaincre tant d'obstacles, Lionne comptait toujours sur
le cardinal Rospigliosi : il espérait mettre à proGt le dépit que
la perte du pouvoir donnait au neveu de Clément LK et son
(1) M Mémoire sur l'état de l'Europe en 1679 •», t. H, p. 48.
(2) T. Il, p. 4.
(3) J'ai vu Tambassadeur de Portugal : « il De scnrira pas bien M. de Laon
et je l'ai trouvé si Portugais et si attaché aux lois prétendues de ce royaume
de ue couférer aucuue charge ni honneur aux étrangers que, quoiqu'il m'ait
usituré de faire son devoir, jo suis persuadé qu'il ne le fera que faiblemput. >
(Cliaulncs à Lionne, 6 mai 1670. Rome, 2U9.) — M. Foucher pense, comme moi,
que cet ambassadeur « no chemine pas de bon pied en cette affaire. » (Bour*
lemont au roi, 29 juillet 1670. Roinct 210.) — Le cardinal Orsino, protecteur
de Portugal, déclare à Bourlcmont que l'ambassadeur du régent a Pavait re-
tenu et empêché qu'il n'eu parlât. >> (A Lionne, 2 septembre. Rome, 211.) "
(I Vous dites fort bien qu'il ne faut pas se reposer sur l'ambassadeur de Po^
tugal seul des choses qui regarderont la promotion dudit sieur évèque. J*-'
crois niêuic au contraire qu'tV faut avoir l'œil de bien près à sa conduite pour
empêcher <fuil n';/ nuise. » (Lionne à Bourlcmont, 12 décembre 1670. Rome,
207.)
PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 419
LiiachemcQl aux iAéréls de sa famille. Mais, quoique ce prélat
'echerchàt avec trop d'empressement les bonnes grâces de
LfOuis XIV, Lionne le trouva moins complaisant qu'il ne s'y
àllendait. Le ministre n'osait plus reparler du faux billet qu'il
Bivaii fait solliciter de Rospigliosi pendant le conclave, mais
il essaya de l'engager dans les intrigues qu'il nouait autour du
pape. Déjà le duc de Chaulnes avait été chargé de lui offrir,
s'il voulait se déclarer ouvertement serviteur du roi : pour sa
personne, une abbaye de 30,000 livres de rente ; et pour son
Frère don Jean-Baptiste, le collier de Tordre du Saint-Esprit
avec une pension de 4,000 écus sur l'épargne (1). Rospigliosi
Q*avait rien accepté : « Cet honnête refus (2), répondit l'am-r
bassadeur, attire à Votre Majesté les mêmes obligations dudit
cardinal et de toute sa famille (3). » Prévoyant que le pape
opposerait d'abord à la promotion de M. d'Eslrées la nécessité
de garder le chapeau de gratitude pour un parent de Clé-
aient IX, le ministre de Louis XIV obtint que le cardinal Ros-
pigliosi renonçât à cette priorité en faveur de l'évèque fran-
çais (4). Mais cette manœuvre ne pouvait réussir qu*à la
(1) Le roi à Chaulnes, 21 mars 1610. Rome, 209.
(2) Ce n*e8t pas le premier refus que Rospigliosi eût opposé aux offres
malhoDDètee de M. de Chaulnes. Voici ce que ce doc écrivait au roi pendant
le coDclaTe : « .. Je crois. Sire, par toute la conduite de Rospigliosi, que ce
ne serait pas une chose impossible que de le faire déclarer pour V. M., et toute
sa maison, ne se pouvant imaginer avec combien do détachement il entre dans
les intérêts de V. M. Son frère Jean-Baptiste en use mieux avec moi qr/un
véritable Français, et Je ne doute pas que V. M., avec quelque marque de sou
estime et de son amitié, n'attachât cette maison à ses intérêts, et, comme,
dans le pontificat de Clément IX, V. M. offrit audit cardinal Rospigliosi une
abbaye de 30,000 livres de rente qu'il refusa, étant alors dans un posta où il
ne poQvait pas honorablement s*engager, je ne sais si quelques négociations sur
ce sujet ne pourraient pas avoir un bou succès... » (25 février 1670. Rome, 208.)
(3) 7 Juin 1670. Bome, 210.
(4) Lionne à Rospigliosi, 2o juillet 1670. Rome, 210 : « M. le duc de Chaulnes
m*a confié sous le sceau du secret, que je garderai Inviolablcment, la géné-
reuse et tout à lait extraordinaire bonté que V. É. veut avoir pour assurer,
s'il est nécessaire d'employer ce moyen-là, l'affaire de M. Tévèque-ducdc Laon...
Pour ee qui me regarde en cette générosité de V. É., j'en suis si pénétré et même
si confus qae» ne pouvant trouver aucunes paroles qui approchent à cent lieues
de la qoalité da ressenUment que mon cœur eu conservera tant qu'il respirera
le Jour, je me contente d'admirer cette actiou héroïque de V. E. et de rassu-
rer que je donnerais ma vie avec plaisir pour sou service, voire pour le moindre
de ses avantages... »
420 CHAPITRE PREMIER
condition d'être cachée au souverain ponCue, dont elle avait
pour but de gêner laliberté : ce secret fut trahi avant Theureil,.
Lionne informa le cardinal que le Teliier, coadjuteur de
Reims, on avait parlé devant de nombreux témoins : Ce pré-
lat, disait-il, n'a pu le savoir de son père, car, dans ce cas, il
« n*auraitpasoséIe révéler, quoiqu^il ait toujours une étrange
évaporation des qu'il entend parler de faire cardinal un autre
Français que lui. M. le cardinal de Bouillon me proteste qui!
n'a dit la chose à personne, et je le crois, si ce n'est qu'avant
que je lui eusse pu recommander le secret, il l'eût déjà confié
à M. de Turenne et que celui-ci reùt dit à une certaine dame,
la meilleure amie qu'il ait au monde (2), et qui, n'aimant pas
M. de Laon, aurait sans doute été bien aise, pour lui nuire, de
le divulguer... De quelque source que cela provienne, on a
coupé la gorge audit sieur de Laon (3). »
Cet échec n'arrêta pas Lionne, qui inventa aussitôt d'autres
mensonges : il conseilla au cardinal Rospigliosi, <c pour sauver
rintérêt et l'union de Son Eminence avec MAI. ses frères >•:
1® de nier qu'il eut oITert l'ajournement du chapeau de grati-
tude, et de dire seulement « qu'il avait témoigné sa reconnais-
sance au roi pour ses bontés dans le conclave en termes si
vifs que le roi avait pu croire que le cardinal ne lui refuserait
pas cette grAcc, si elle lui était demandée (4); » 2" de déclarer
au pape et au cardinal Altieri que, pendant le conclave, il s'é-
tait porté garant de cette promotion (5). En même temps Lionne
écrivit à Foucher : « Faites, s'il vous plaît, de très vifs remer-
(1) Liouue au môme, 12 septembre. — A Foucher, 19 septciubre lôlO-
Home, 211.
(2) M™*^ (le Coetqiieii. — Une anecdote racontée par Sainl-SimoQ (édil.
CliérueJ, t. XVII, p. SG) montre en otlelque Turcoue ne pouvait guère compter
sur la (liscnHion de son amie.
(3) 10 octobre 1070. home, 211.
(4) « V. Ë. voit bien que, comme 1 al)br> Huti aura sans doute écrit la cho«c
à l'abbé Ha^lioni <'l que par lui M. le cardinal Altieri aura été prévenu, iUera
presque impossible de pratiquer à l'avenir l'expédient que V. É. avait elle-
même proposé par son extrême bonté, parce que lé pape n*aura garde de
répondre à Tambassadenr, quand même il aurait omis de le faire, qu'il vt>i]ili<^
rendre dans la première occasion le chapeau qu'il doit à. la maison de V. E«
et sera fort en garde sur cette matière pour n'être pas pris au mot. »
(5) 21 novembre 1670. nome, 211.
PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 42 i
nmenls de ma part à Son Eminence de la boulé qu'elle a eue,
en \ous disant les biais qu'elle veut tenir pour faire réussir
son dessein, de vous offrir de suivre encore ceux que je lui
proposerai. Cela m'a donné la hardiesse de lui faire savoir,
par votre moyen, qu'il me semble que, pour nous favoriser
jusqu'au comble, il pourrait nous faire la grâce de dire au pape
que, s'étant autant engagé qu'il a fait à M. le duc de Chaulues,
lorsqu'ils convinrent d'exalter Sa Sainteté, que Sa Majesté se-
rait satisfaite sur l'affaire de M. de Laon, qui élait la seule que
le sieur duc avait ordre d'assurer et dont il lui avait fait parler
incessamment durant le conclave, et. Sa Majesté lui deman-
dant aujourd'hui instamment l'effet de ses paroles, il se sent
forcé de représenter à Sa Sainteté l'état embarrassant où il se
trouve, n'ayant nullement hésité de s'engager à tout pour assu-
rer son exaltation et ne pouvant y manquer sans préjudice de
son honneur et sans hasarder de perdre les bonnes grâces et la
protection du roi, à qui il a des obligations infinies ; qu'il espère
que Sa Sainteté aura la bonté de considérer l'embarras où il
s'est mis pour tâcher de la sei*vir; que Sa Majesté demande et
attend une prompte satisfaction et qu'elle déclare que c'est la
seule grâce considérable qu'elle prétendra de l'affection pater-
nelle de Sa Béatitude, dans tout le cours de son règne; que
Sa Sainteté connaît d'ailleurs de quelle conséquence il lui est
d'obliger un roi si puissant et si reconnaissant, qui a même
désiré son élévation préférablement à celle de tout autre sujet,
et qui peut tout faire pour la gloire de son pontificat. M. le
cardinal Rospigliosi, ayant la bonté de parler de cetle sorte au
pape, satisfera pleinement aux engagements que Son Eminence
a bien voulu prendre avec les cardinaux français et avec M. le
duc de Chaulnes, et ce discours, réitéré deux ou trois fois au
pape, lui donnerait lieu, pour soulager Sa Sainteté même, de
lui faire agréer l'expédient de son chapeau, ... lequel il repren-
drait après, dans une autre promotion. Ce moyen me parait si
naturel et si utile pour la fin que Son Eminence a la bouté de
poursuivre d'obliger le roi et nos deux familles, que je me tien-
drai infiniment redevable à Son Eminence, si elle veut bien
s'en servir... »
Mais le neveu de Clément IX ne se prêta pas davantage à
422 CHAPITRE PREMIER
cette fiction d*un pacte simoniaque, qu*il aurait rejeté avec
horreur et qu^aucun membre de la faction française ne se fât
permis de lui proposer. Foucher répondit (1) : « J'ai fait toat
mon possible pour Teng^ager à représenter au pape et aa ca^
dinal-patron que, pour le roi, ils n'ont que cette seule chose-li
au monde à faire, et que lui, M. le cardinal Rospigliosi, sen
est rendu le garant envers M. de Chaulnes. Il n'y a pas moyeo
de le résoudre à cette démarche, » c*est-à-dire à cette fourberie.
Bourlemont écrivait de son côté (2) : « Pour M. le cardinal
Rospigliosi, qui devrait être le principal auteur de cette pro-
motion par la gratitude qu'il doit à Votre Majesté^ il est si
irrésolu que tous les expédients vont à s'exempter de parler
autant qu'il devrait au pape et au cardinal-neveu. » Clément!
faisait déclarer par le cardinal-patron ou par le nonce, et ré-
pétait lui-même que, par égard pour le roi, il pourrait donner
un jour la pourpre à M. de Laon, mais que ce serait une pure
grâce qui viendrait « dans son temps », et il ne sortait pas
« des termes généraux ». Allieri écrivait au roi : « Le istanzc
portate dalF ambasciatore di Portugallo a favore di monsignorc
il vescovo di Laon,... no7i essendo sostenute da titolo alcuno di
raf/iofie, rimarrebbono dentro i limiti délie considerazioni di
convenienza, se dagli nffici e dalle premure di Vostra Maestà
non rîcevessero quella forza che per se stesse non hanno (3). »
Rien n*élait plus conforme au droit comme au devoir du sou-
verain pontife, et rien ne pouvait marquer plus de déférence
pour le roi. Cependîyit Bourlemont reçut bientôt, pour le lire
au cardinal Altieri, un mémoire insolent (4) où Louis XIV
(1) A Lionne, 19 août 1670. Rome, 210.
(2) Au roi, 23 Doveoibrc 1670. Rome, 211.
(3) Bourlemont au roi, 2 septembre 1670. Rome, 210. — Le pape et le car-
dinal Altieri au roi, 9 septembre. Rome, 211.
(4) L'envoi de ce mémoire avait été provoqué par une lettre de Foucher :
Il faut, disait cet ageut, que M. de Bourlemont •< parle /lati/ement et chaudement
sur rétoniiemcnt qu'aurait le roi de savoir la promotion faite sans que M. de
Laon y fût compris^ après tant d'espérances que le pape et le cardiual Altieri
ont fait concevoir au roi, par beaucoup de différentes personnes, de considérer
M. de Laon pour Tamour du roi et du prince et de la reine de Portugal, qui
ont toutes les plus fortes raisous de s'attendre à un des chapeaux pour M. de
Laon. » (A Lionne, 23 novembre 1670. Rome, 211.)
PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 423
prétendait que le pape, n'ayant été nommé que pa** Tappui de
la France, lui devait par reconnaissance la promotion d'un
évoque, « oncle de la reine de Portugal et de la duchesse de
Savoie, allié de doux souverains! » Le roi « s'apercevait avec
beaucoup de déplaisir, disait-il, qu'il n'avait nulle grâce à pré-
tendre de Sa Sainteté et peu de fondement à faire sur tout ce
qui lui avait été dit de sa part,... et il ne pouvait attribuer
qu'à rindiiïérence du cardinal Altieri à lui complaire, si cette
satisfaction lui était refusée (1). » Lionne revenait en même
temps à la charge pour arracher au cardinal Rospigliosi )a
fausse attestation d'un marché passé dans le conclave, et lui
écrivit la lettre suivante, dont la minute entière est de la main
de César d'Estrées (2) : Votre Eminence, disait-il, ne doit pas
oublier « rengagement où elle s'est mise envers le roi pour
procurer au saint-siège et à toute l'Église un si digne chef. »
Il vous importe de « faire connaître à Sa Béatitude que Votre
Eminence pourrait se trouver commise avec le roi, pour avoir
servi Sa Sainteté et à sa seule considération, si Sa Majesté ne
recevait pas, dans la promotion présente de M. de Laoû, la
seule satisfaction qu'il attend du pape. Votre Eminence peut
savoir de M. Foucher si M. le cardinal de Retz sortant du con-
clave ne lui dit pas que. Votre Eminence s'étant si fort en-
gagée dans l'affaire de M. de Laon, il n*avait plus de heu
d'en douter, et que le pape, devant toutes choses à Votre Emi-
nence, manquerait d'honneur et de reconnaissance s'il ne
dégageait vos paroles. Je suis très persuadé, Monseîgoeur,
que Votre Eminence ne s'est abstenue de faire ces offices que
par des considérationsjqu'elloa crues justes; mais puisqu'elle
veut bien me faire la grâce de me consulter sur la manière
dont elle doit agir, je ne puis m'empùcher de lui dire que ces
movens me semblent fort naturels et fort convenables à Taf-
fection de Votre Eminence et à l'appui que Sa Majesté lui a
(1) Le roi à Bourlcmont, 4 décciubre. Mémoire^ 5 décembre 1670. Rome,
201.
(2) 4 décembre 1610. Home, 212. Lioune, dau8 une leUrc du 19 septembre à
Foticheff avoue que le duc d'Ë:«lrûi:s et 1 evô(iue de Luou déchiUraicut eux-
mêmes les dépOches venues de Uome sur cetle affaire et |iar couséquent les
Toyaieol avant lui! (Romey 211.)
424 CHAPITKE PREMIER
donné... » Ce sacrifice est <r une suite fort naturelle des enga-
gements que Votre Émincnce a pris awc M. le cardinal de
Bouillon et M. le duc de Chaulnes et de la teconnaissance
qu*elle voudra bien rendre à Sa Majesté... Si M. de Bourle-
mont n'obtient pas présentement cette grâce, le roi n'entend
pas qu'il lui demande plus rien. »
Affligé, mais non intimidé, le pape tint, le 22 décembre,
un consistoire où il créa cardinaux le secrétaire d'État Bor-
romeo, le dataire Carpegna et le maître de chambre Massimi.
Mécontent de Rospigliosi, il ne comprit dans cette promotion
aucun membre de la famille de Clément IX (1). A cette nou-
velle, Louis XIV manda le nonce auprès de lui et lui adressa
les paroles suivantes, dont le texte avait été rédigé par Lionne:
« Le cardinal Rospigliosi a fait une action généreuse, dont je
lui serai obligé toute ma vie, ayant préféré mon contentement
à Tavantage de son propre frère et à tous les intérêts de sa
maison. Le cardinal Altieri a fait tout le contraire : je lui avais
fourni un expédient qui ne lui faisait aucun préjudice, et où
la réputation du pape, du côté de la gratitude, eût été plus à
couvert; mais il a mieux aimé obliger un simple prélat que
moi. Je sais que tout a dépendu de lui. Vous voyez donc bien
si je puis ("^Ire content do ce qu'il vient de faire; c'est à lui à
chercher les moyens de le réparer promptement, s'il en alin-
tonlion: sinon, il doit bien s'attendre que je vivrai à son égard
comme il a fait an mien. >> Le faible Bargollini, dont la révo-
cation était depuis longtemps décidée à Home, manqua en-
core celte occasion de défendre son maître, et le roi résohil
d'exiger son maintien dans la nonciature de France (2).
Les agents français rejetèrent les uns sur les autres la res-
ponsabilité de cet échec : leur propre correspondance atteste
en quel discrédit ils étaient tombés. L'abbé de Bonfils, man-
dataire dos princes de Vendôme et de MM. d'Estrées, dé-
nonça le scandale donné par Fouchor qui allait partout se
déchaînant contre le pape et le sacré collège. A l'instigation
(l) Bourlemont au roif 23 décembre. Foiicher et UonHIs à Lionne, 30 dé-
cembre. Romef 212.
{2) Le roi à Bourlemont, 16 janvier 1671. Rojne^ 207.
PRÉTENTIONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 425
le Bourlemonl, il écrivit à Lionne : M. le cardinal Altieri
n'apprend que M. Foucher « avait fait tort à bien des gens;
[u*il avait misM^''le cardinal Rospigliosi dans un élat pitoyable,
kl^*" le cardinal Buonvisi dans une réputation de simoniaque;
[u'il avait dit que M. de Chaulnes s'était servi de lui pour
)orter les paroles du conclave, etc. Je voulus l'excuser, mais
e n'y réussis pas, Son Eminence me disant que, qui voulait
nénager les grâces, il fallait qu'il se rendit agréable et n'être
>as si dangereux... M. l'abbé Buglioni me dit qu'il fallait que
Js^deLaon tirât M. Foucher d'ici... M. deBourlemontavoulu
[ue j'aie écrit tout ceci à Votre Excellence : je vous avoue
[ue j'ai eu de la peine à m'y résoudre^ mon naturel répugnant
L rendre mauvais office aux gens {\ ). » Le pape même n'ignora
>as les menées de Foucher, et dit un jour à Tabbé de BouPils :
Dio guardi duna talpersona pressa il signore ambasciatore !
iprès quoi, ajoute cet abbé. Sa Sainteté se jeta sur Mff' le car-
inal Rospigliosi et me dit qu'elle s*était étonnée qu'il eût
oulu céder ce qu'il n'avait pas (2). »
(1) 30 décembre 1670. Rome, 212. « M. 1 abbé Bonfils mande ici, par tous les
rdioaires.ce qu'on Pa chargé, au palais, d'écrire cootre .M. Foucher. Je vous prie
e l'avertir que ce sont tout autaut de lettres de recommaniiation qu'il envoie
our le sieur Foucher, et qu'il ue se saurait faire plus de préjudice à lui-même
ue lorsqu'il voudra blâmer, ou par ses propres sentiments ou par ceux
autrui, la conduite do ce sage gentilhomme. Ledit abbé ne sait pas encore,
)muie moi qui ai èlé sept ans à Rome, ce que c'est que il ripiglio. Il se re-
ait de paroles générales ou énigmatiques et les veut faire passer ici pour
oune monnaie. 11 vaudrait mieux qu'il ne se mêlât plus de cette affaire. Si on
vait boune intention de delà, on vous parlerait et non pas à un homme qui
'a ;i( n'aura jamais là dessus aucune mission. » (Lionne à Bourlemont, 6 fù-
ricr 1671. Rome, 212.) — Lionne feignait d'oublier que c'est lui-même qui
rait accrédité successivement l'abbé de Bonfils et M. Foucher au nom du roi
L comme agents particulier des Vendôme et de M. d'Estrées. Voy. plus haut,
vre H, chap. vi. 11 y avait entre eux cette différence que l'abbé de Bonfils
7ajt été dépêché le premier à Rome, comme agent du roi et des Vendôme, pour
>lllciter en faveur des princes de celte maison et de l'évèque de Laou; — et
\ie Foucher fut spécialement adjoint au premier par le roi, sur la demande
Q Lionne, quand ce ministre prit un intérêt personnel à la promotion de César
E^strées. Voy. toute la correspondance des volumes Rome, 199 et 200. Bonfils
:ait si bien en fonctions, à la date du 6 février 1671, que Tévêque do Laon
?nait d'élever son traitement à 1000 écus. (Bonfils à l'cvôque de Laon, 10 février
J7I. Rome, 212.)
(2) A Lionne, 13 janvier 1671. RoniCf 212. — Il est certain que ce faible car-
na), n'ayant plus Clément IX pour le soutenir, se prêta trop facilemeot aux
426 CHAPITRE PREMIER
Les artifices les plus grossiers semblaient bons à Louis XIV
pour effrayer la cour pontificale : il lui tit déclarer qu'il savait,
à n'en pouvoir douter^ qu'elle travaillait à former une ligoe
des princes italiens contre la France, sous prétexte de gaerre
contre le Turc, mais que Rome trouverait un adversaire ca-
pable de déjouer un pareil complot. 11 écrivit à Bourlemont:
«... Je suis fort entré dans le même sentiment que vous me té-
moignez d*avoir, qui est que c'est une ruse des Espagnols qui
ont surpris la piété du pape, lequel, sous prétexte d'une ligoe
contre l'ennemi commun où m^me il m'inviterait d'entrer,
voudrait parvenir à une ligue des princes chrétiens contre moi,
Intrigues des Français. Il n*alla certainement pas aussi loio que le préteDil
Foucher; mais il n*eut pas le courage de désavouer hautement les discourt
ni les démarches que ce méprisable agent lui attribuait. Lionne abusa indi-
gnement de sa confiance. Atto Melani, ulcéré d'avoir été négligé par Clémentll
et par son neveu, leur avait voué une proronde haine et faisait circuler ud
écrit où il déchirait le précédent pontificat. Il se vantait publiquement dèlre
u le confident de M. de Lionne », montrait les lettres de ce ministre, et allait
« déclamant partout que le roi avuit été trahi et comme vendu par Taoïbas-
sadeur et les cardinaux qui n'avaient pas voulu servir Buonvisi, conmie il leur
était aisé, et comme le roi le désirait. » (Foucher à Lionne, 26 août et 7 oc-
tobre 1670. /)ome, 210 et 211.) Ilospigliosi, instruit des rapports de Melaniavec
la cour de France, comptait sur «lie pour réduire son enurini au silence:
u Pour qu'il fût content sur le sujet de Melani, il faudrait qu'il sût qu'on lui
eût coupé le poing et la laujj ue. » (Foucher à Lionne, 7 octobre 1G70. Rome, 211.)
11 n'y a presque pas une dépêche de cette époque où il ne s.»it question du
resseutiment qu'inspire à ce cardinal la conduite de son ancien domestique.
Miiis Lionne ne songeait qu'à se servir de Rospigliosi dans l'iulérèt de M. de
Laon et continuait a couvrir Melani de sa protection. Le passage suivant d'une
lettre au neveu de Clément L\ dévoile une fois de plus les roueries habituelles
du ministre français : « Je me suis servi utilement, disait Lionne, de la pré-
sence de l'abbé Melani en cette cour pour faire écrire cent choses au palaif,
sous prétexte qu'il me les entendait dire. Ou les y a prises pour des menaces
qu'il leur faisait, et cela n'a pas fait un bon effet pour lui, et je crois qu'il
s'en apercevra à son retour. Du reste V. É. doit, s'il lui plaît, avoir l'esprit en
repos que je me suis très bien souvenu de tout ce qu'elle m'a ordonné sur le
sujet duJit abbé, et qu'encore qu'il ait un accès fort libre dans ma maison, je
ne lui ai jamais fait aucune contideuce, ni ne ferai, de la moindre chose où
V. É. puisse avoir quelque intérêt môme indirect .. » (20 mars 1671. Home, 213.)
— C'est dans cette môme lettre que Lionne, remerciant Rospigliosi du con-
cours compromettaut que ce cardinal donnait, en certain cas. à l'agent fran-
çais Foucher, s'exprime ainsi : « Je n'ai qu'à dire à V. É. que, si unquam im-
inemor sui fuero^ oblivioni Iradalur anima mca. Ce passage d'un ancien Père
m'est venu bien à propos pour exprimer à V. É, avec quelle passion et com-
bien de reconnaissance, etc... »
PRÉTEiNTlONS MENAÇANTES DE LOUIS XIV 427
et j'ai même reçu cet avis-là d'un endroit assez bon. » — « J'ai
vu, dit à son tour Lionne, une lettre de Rome... qui porte que
M. le cardinal Allicri (1), de concert avec les ministres d'Es-
pagne, veut promouvoir une ligue des princes d'Italie, en
apparence contre le Turc, mais en effet contre le roi. J'ose-
rais bien répondre que ce dessein ne lui réussira pas, et il est
même assez étrange que le neveu d'un pape plus qu'octogé-
naire puisse avoir formé un pareil projet. Il ne serait pas mal
que vous lui fissiez connaître que le roi en est informé (2). »
Le roi n'osa pas persister dans cette accusation extravagante,
mais il écrivit encore quelques semaines plus tard : « Je ne
vous dis plus rien sur \si prétendue ligue des princes d'Italie.
Ce que le cardinal Âltieri fera dans l'affaire de l'évêque de
Laon me déterminera à juger quelles sont intérieurement
à mon égard ses intentions sur toutes les autres matières, et
elles me détermineront aussi à la conduite que je dois tenir
avec lui (3). »
Avant que ces menaces parvinssent à Rome, Clément X
avait pris une résolution qui aurait dû apaiser la colère de
Louis XIV : il acceptait la présentation de César d'Ëstrées,
mais sans s'imposer aucun délai (4). Ce ne fut pas assez pour
(1) U aurait fallu, pour plaire à Louis XIV, mettre le cardinal-neveu au ban
du sacré collège. Le cardinal Orsino encourut Tindignation royale pour avoir
marié le dac de Grovina, son parent, à une nièce d*AUieri : « Vous ne pou-
vez ignorer, lui dil-il, le ressentiment que j*ai du traitement que ]*ai reçu dans
la dernière promotion... Je me serais plutôt promis de votre zèle et de votre
attention que vous n'eussiez pas achevé une affaire de cette importance, sans
m'en avoir auparavant consulté et su de moi si elle pouvait m'ôtre agréable
on non. C'est tout ce que je puis vous dire sur une affaire où ma considéra-
Uon n'est entrée en rien et qui est aujourd'hui sans remède. Le temps pourra
la rectifier, quand le crédit que vous avez eu principalement en vue d'ac-
quérir dans le palais du pape vous donnera lieu de m'y faire considérer pour
ce que je suis... » (27 mars 1671. liomey 213.) Il semble que, cette lettre partie,
on trouva trop fort, en France môme, de blâmer un cardinal pour s'alliera la
famille du pape régnant; car Lionne retira uue partie de ces indécents
reproches : « Ce n*est pas !a matière, écrivit-il à Orsiuo, mais seulement la
forme, qui a donné sujet à S. M. de se plaindre. » (21 mai 1671. /{orne, 213.)
(2) 20 février 1671. Rome, 207.
(3) 17 avril 1671. Rome, 207.
(4) Bonflls à Lionne, 13 janvier 1671. /tome, 212. — Le pape me dit qu'il satis-
fera plus tard le roi. Le cardinal Altieri dit un peu plus, mais sans se lier :
« Cela me fiiit juger, Sire, que, quand ils feront M. de Laon cardinal, ils veu-
428 CHAPITRE PREMCER
le roi. Le cardinal Ginclli étant mort, Bourlemont réclama sur-
le-champ son chapeau et une promotion spéciale pour Tévëque
de Laon : « M. le cardinal Altieri, écrivait Tabbé, me dit qu'il
s'avançait, mais avec bon fondement^ de m'assurcr que Us
premiers cardinaux que fera le pape, si Dieu lui conserve la
vie, seront : un de la maison Bospigliosi, et M. de Laon. Je
lui dis qu'il y avait un chapeau vacant dont le pape pouvait
contenter Votre Majesté en le donnant à M. de Laon : il me
répliqua aussitôt qu'il ne pourrait résoudre le pape à faire un
cardinal seul, ni d'en faire aucun, qu'il n'en fasse un de la
maison Rospigliosi (1). » Le cardinal-neveu « se déclarait
toujours plus de vouloir contenter le roi en ce qu'il désirait
pour M. de Laon, mais sans se déclarer pourtant de le faire
dans une promotion de trois (2). » Et cependant les procédés
des Français étaient blâmés de tous, même du cardinal Bor-
omeo, secrétaire d'État, si favorablement disposé pour cette
couronne (3).
ent raccompagoèr de quelque autre. » (Bourlernoot an roi, 24 février 1671.
RomCf 212.)
(1) 24 mars 1671. Rnrue^ 212. — Je ne publie cette dépêche qu*avec réserre.
Le volume des A flaires étraugères n'eu coutient qu'un extrait^ donné en coyie
par l'évèque de Laon lui-même, qui parait en avoir gardé roriginal. J'ai eu
' sous les yeux assez de preuves de la mulbouuèleté de ce prélat, pour que je
me d^fie de sou témoi^'ua^e.
(2) Bonfils à Lionne, 21 avril 1671. /lome, 213.
(3) L*i cardinal Borromeo t>st toujours bien intentionné, mais il me déclare
qu'il no pt^ut prendre d'engagement envers M. de Laon, et blàme verlenieut
la chaleur avec laquelle le cardinal Altieri est censuré en France, au sujet de
la dernière promotion. (Font*her à Lionne, 14 avril 1671. Rome^ 213.) — - Vou*
devez tâcher do vous maintenir dans la possession de voir souvent le c^mlinal
Borromeo. Vous ne pourriez lui mieux parler que vous avez fait à cette pre-
mi«^re fois, lorsqu'il voulait blâmer que l'on fût tombé si furl ici sur lecnrps
du cardinal Altieri... » (Lionne à Kouchcr, 12 mai 1671, Rome^ 205.)
CHAPITRE DEUXIÈME
PREMIÈRES HOSTILITÉS. LE CHAPEAU DE CÉSAR d'eSTRÉES. MORT DE
LIONNE. LE DUC d'ESTRÉES AMBASSADEUR A ROME. 1671-167'2.
Cénar d'Estrées, évéqoe-duc de Laon, est ncramé enroyé extraordinaire du roi à Rome, poar négo-
cier iai-méme sa promotion : il n'est chargé d'aucune autre aflaire. Son voyage, son arrivée
k Rome. Sa vanité : VErcetlence et VÉminence. Bon accueil que lui font le pape et les Ro-
mains. II avoue que le pape n'était pas engagé : il a été trompé par les rapports des agents
français. — 24 août 1671 : il a été créé cardinal m petto ; il exige une déclaration publique ot
immédiate. Discours do Louis XIV à l'internonce Vibo : graves menaces au pape et au car-
dinal Altieri. — Mot do Tévéquâ de Laon : Comment le pape résiste-t-il à un roi qui a deux
cent mille soldats snr pied? — Mort subite de Lionne, 1*' septembre 1C7I. Louvois chargé de
l'intérim jusqu'à l'arrivée de Pomponne. La négociation prend, du cAté delà France, un carac-
tère pins brutal encore. L'évéquc de Laon et Melani conseillent au roi de soulever les princes
catholiques contre le gouvernement poutiQcal, de faire chasser et chûlier Altieri, d'envoyer
vaisseaux et gtlôres pour forcer le pape de céder. — Le roi menace de ne pas recevoir le nou-
veau nonce Nerli. Rupture imminente. Promotion du ti février 1672, qui comprend Bonsy,
archevêque de Toulouse. Fureur de César d'Bstréos, qui conseille au roi de no pas tolérer que
Bonsy reçoive la barrette. Louis XIV témoigne do nouveau son indignation au cardinal Altieri.
— Le duc d'Estrces, ambassadeur, arrive à Kome et le nonce Nerli part pour la France (avril
1672). — 16 mai : Cosar d'Estrécs est déclaré; querelle faite par ce prélat à Bonsy qui se
plaint au roi, et prédit le rùle funeste que jouera le cardinal d*Ëstrées entre le roi et le pape.
— Citation du cardinal d'Ossat. — César d'Estréos reçoit l'ordre de rester à Rome comme
envoyé extraordinaire et cardinal national : il habite le palais Farnèse avec son frère : leurs
agents, leurs confidents, leurs amis. — Faction française : le cardinal Cybo devient pension-
naire secret de Louis XIV. — Peinture du gouvernement de Clément X.
C'est alors que Louis XIV exécuta un dessein depuis long-
temps formé, mais ajourné par prudence, et dont la seule
pensée révèle quelle passion animait les conseillers de ce
prince : à Tinstigation de Lionne (1), Tévèque de Laon fut
dépéché à Rome pour y négocier lui-même sa promotion ! Le
roi avertit le pape que le duc d'Estrées était nommé son am-
bassadeur auprès du saint-siège, mais que, n'étanl pas prêt à
partir, il serait précédé par son frère, Tévèque-duc de Laon,
en qualité i'envoj/é extraordinaire {2). L'abbé de Bourlemont
(1) a Lioune crut que la présence de Tévèque de Laon à Rome serait plus
puissante que toutes choses pour y avancer ses affaires. II fil prendrelà réso-
lotion au roi de Vy envoyer, etc.. (Pomponne, Mémoires^ t. II, p. 8.)
(2) Le roi au pape, 5 mai lC7i. Rome, 205.
430 CHAPITRE DEUXIÈME
fut avisé conridentiellcmcnt de la résolution royale et de ses
motifs : On a voulu, lui dit Lionne (i), « donner à M. de Laos,
pendant ce petit intervalle de temps, plus de poids, plus de
créance et d'autorité dans son affaire propre que vous satez
être assez considérable pour obliger à n'y rien négliger;...
afin que, s'il n'y recevait pas de M. le cardinal Altierî toute la
satisfaction que Sa Majesté a lieu d'espérer, il pût s'adresser
au pape même, pour lui parler quand il lui plaira et qu'il le
jugera nécessaire, sans qu'on puisse lui refuser les audiences
de Sa Sainteté, lorsqu'il aurait droit de les demander soit ordi-
naires, soit extraordinaires pour les affaires du roi dont il se
trouvera chargé... » Mais ces prétendues affaires du roi se
réduisent à une seule : imposer au pape la promotion d'oo
Français, sous le nom du régent de Portugal» qui n'y a pas
droit et qui n'en veut pas, contrairement aux privilèges des
autres couronnes et sans attendre les vacances suffisantes pour
leurs candidats ! On lit dans les instructions de Tévèque-duc:
« Comme, par le nombre et la qualité des grandes grâces que
Sa Majesté a obtenues dans le pontificat de Clément IX, il se
rencontre aujourd'hui qu'elle n'en peut désirer aucune consi-
dérable de ce pape-ci que cette promotion, et qu'elle soit faite
avant le temps de celle qui sera due aux couronnes, c'est aussi
à ce seul objet-là que Sa Majesté trouve bon que le sieur
évêque, quoique dans une matière où il est si fort intéressé,
puisse tourner toutes ses pensées et agir pour la faire réussir,
parce que la gloire et le service de Sa Majesté aussi bien que
la mortification de ses ennemis ne s'y rencontrent pas moins
que rintérêt particulier dudit évoque. » Si le pape lui donne
tout de suite le chapeau du feu cardinal Ginetti, ou s'il le lui
promet, dès qu'il y aura une deuxième ou une troisième va-
cance, ce chapeau équivaudra pour le cardinal Altieri à si.K
chapeaux italiens, car l'évêque-duc est autorisé à lui assurer
l'appui de la faction française dans le prochain conclave, et le
roi, reconnaissant envers lui pendant tout ce pontificat, le
protégerait encore après la mort de son oncle, s'il était persé-
cuté comme l'ont été d'autres neveux; sinon, « les ressenli-
(1) 5 mai. Rome^ 205.
LE CHAPEAU DE CÉSAR d'bSTRÉES 431
ments que Sa Majesté a témoignés de la dernière promotion
contre le cardinal Altieri revivraient avec justice, puisqu'il
est aujourd'hui au pouvoir du cardinal de ne pas mettre au
hasard la satisfaction de Sa Majesté. » Le pape avait laissé
entendre qu'il nommerait, avec M. de Laon, un prince de Baden,
Bénédiclin, abbé de Fulde, désigné depuis longtemps par l'Em-
pereur. Le roi ne tolérera pas cela : s'il n'obtient pas une pro-
motion unique^ extraordinaire, sans précédents, pour la mor-
liGcation de ses envieux, il veut que le pape attende une
troisième vacance, et que, sur les trois chapeaux, deux soient
attribués à des Français, Tun à M. d'Estrées, et l'autre à M. de
Bonsy, archevêque de Toulouse, ambassadeur en Pologne,
dont la nomination a élé surprise au roi Jean-Casimir, comme
celle de l'évèque de Laon a été arrachée au régent de Portu-
gal. Si le cardinal Altieri ne satisfait pas le roi, l'évèque-duc
ira se plaindre directement au pape ; le roi « lui laisse même
la faculté de cesser de voir le cardinal Altieri et de négocier
avec lui^ s'il en fallait venir à cette extrémité-là pour redresser
la conduite qu'il tiendrait dans son affaire (1)... »
César d'Estrées prit la route de terre et s'arrêta dans plu-
sieurs cours de la Haute-Italie, qu'il choqua par ses préten-
tions vaniteuses : c'est chez le duc de Parme^ peu sensible aux
avantages du traité de Pise, qu'il fut reçu avec le moins de
considération (2). Arrivé sur les terres papales où l'attendait
le plus bienveillant accueil (3), il se préoccupait d'une seule
chose : quels honneurs rendrait-on au titre de second duc et
(i) « Mémoire du roi au aieur évoque de Lioa s'en allant à Rome. » 6 mai
1671. {Recîieii des instructions ^ p. 254.)
(2) L*évêque de Laoo au roi, 17 juio 1671. de Bologne. — RelaUoa de ce voyage
par l'abbé Servient, qui accompagnait l'évoque de Laoa, 18 juin. — Je vais
faire écrire au duc de Parme par l'abbé Vittorio Siri, sou résident à Paris,
pour qu'il vous fasse des excuses. (Lionne à Tévéque de Laon, 17 juillet 1671.
• Aome, 214.)
(3J « M. le cardinal Altieri a fait ordonner, partons les lieux de l'État ecclé-
siastique où M. de Laon passera, qu'on lui reudc tous les honneurs dus à an
personnage de sa qualité. » (Bourlemont au roi, 16 juin 1671. Rome, 214.) —
m II est coustant que ce procédé est extraordinaire; et, comme on m'assure
que la cour romaine ne le pratique pas sou vent, j'ai dît beaucoup de fois qu'il
De pouvait avoir de fondement que sur la grandeur du maître que j'avais l'hon-
near de servir. » (Au roi» 30 juin. Rome, 214.)
432 CHAPITBE DHlUÈn
pair attaché à soo siège épiscopal « 1}? II roagissail de soac«'
ractëre ecclésiastiqne, qa'il trouvait trop répaDdu à Romel,
et sa mission diplomatique ne lui assurait pas on rang égali
son ambition. Voulait-on lui plaire, on ne l'appelait que •« M. le
duc de Laon >» 3'. Il entra incognito à Rome le 24 juin, eU
peine installé au palais Famëse. il prit le lit pour se sooi-
traire à certaines règles de l'étiquette romaine. L'abbé de Bour*
lemont, qu'il avait aussitôt relevé de sa charge, lui conseilla
vainement de renoncer à des distinctions inconnues des Ro-
mains, et, par exemple, à \ Excellence ; il ajoutait : a Us ne
l'accorderaient pas et ils diraient que ce titre-là n'est pas ec-
clésiastique; que les nonces ne le donnent point et ne le pren-
nent point ;4 . »
Lionne lui-même lui reprocha une vanité qui menaçait,
avec la violence notoire de sou caractère (5), de lui aliéner
aussitôt la cour pontificale; il lui écrivit : « Je ne crois pas
que vous deviez vous mettre dans une prétention absolue
de recevoir de tous les cardinaux le traitement d'Ejccel/ence.
Cela vous ferait peut-être trop d'affaires. » — «< Je vous avoue
(I, Il renvoie aux cardiulux Cerri et GabrioUi leurs leUres oh ils ne lui dnn-
Dcntqiio Je Vlllu.sfriifsime. >• S. M. aura saus doute de la satisfactioa de voir
relever la dignité des durs et pairs, couime ou la fait en cette occasion fort
hf-ureusi-ment ju?ques ici. II est à souhaiter qu'il en soit autant à Rome, où h
v/'iiération qu'où a pour la grandeur et la puissance de V. M. ne doit pas èir?
fuoiudre qu'elle n'a paru dans les lieux do notre passage. » (Relation de Vàbbi
Scrvicut. liomcj 214.)
(2^ Je lue servirai des honneurs que j'ai obtenus sur ma route pour m'i'la-
blir ici « dans un raufç bien ditlorcntde la foule des prélats, qui sont peucoa-
hidi'îr/'H, et dauri lequel j'ai bien compris que cette cour aurait voulu me pou-
voir réduire eu m'insinuaut les complaisances et les facilités que je devaiî
avoir. ». ( Au roi, 30 juin. Home, 214.) — Le pape me fait offrir, pour siiopli-
fier le r/jj^lement des prés/ances, le titre d'évùque assistant au trône poutificil.
J'«':liide, nllé^uant la nécessité d'attendre la réponse de la cour. Je désirent
p«H recevoir l'autorisaliou d'accepter. (A Lionne, 7 juillet. Home, 205.)
(.'«) Serviifit à Lionne, 18 juin. Home, 214. Au même, 7 juillet, nome, 205.
(4; A Lionne, 30 juin. Home, 2U.
(.'i; Lionne reprochait durement à Ugo Maffei, l'un des pensionnaires, d'avoir
écrit à un ami d«; Paris que les Romains « avaient une grande aversion à
Invanceinent diidit sieur évêque, parce qu'où craignait il sua spirito iortidù
HimiUa fjudlo dd padrc. » (8 août. /i'yme,215.) Cf., sur la brutalité du maré-
chal d'Kslrées, ambassadeur à Rome, les exemples que nous en aTons cités»
livre l«f, chap. u.
Le CHAt^EAÙ DE CÉSAR D^ESTRÉES 43^
que je ne m'étais point attendu qu'après avoir été déjà cinq
ou six jours à Rome, vous n'eussiez encore à nous entretenir
que du titre A' Excellence, Buli demande fort agréablement si
vous êtes allé à Rome pour avoir vous-même de VÉminence,
ou pour établir YExcellence pour les pairs ecclésiastiques, qui
n'est pas contestée aux séculiers que vous précédez; et, à vous
parler franchement^ si j'étais, moi indigne, en Tétat où vous
êtes, je donnerais pour cinq sols le choix aux autres de me
traiter A' Excellence ^ de Lei ou de Vostra Signoria Illustrù'
sima, etc. Permettez-moi de vous dire que vous avez poussé la
chose un peu loin et que vous la pouviez traiter de plus grande
bagatelle... J'aurais voulu que vous eussiez d'abord autant em-
porté l'amour de toute votre cour, grands et petits, que je suis
assuré que vous en remporterez l'estime. Voyez comme vous
pourrez remédier à cela con disinvoltura et moins de 50s-
siego{\). C'est ce qui gagne les cœurs et je voudrais que vous
les eussiez tous. L'abbé Vibo (2) m'est venu communiquer un
long mémoire qu'il a reçu sur cette matière : les raisons m'en
on t paru incontestables. Car si le palais ni les cardinaux ne don-
nent aux princes souverains même ni aux ambassadeurs des
têtes couronnées, quand ils sont ecclésiastiques, de Y Illustris-
sime^ je ne vois pas comment ils peuvent se départir de cette
règle pour un évêque-pair, sans se faire bien des affaires avec
les autres. Je n'ai pas laissé de soutenir audit abbé, autant
que j'ai pu, le droit de votre prétention; mais je lui ai dit enfin
que vous me mandiez que vous la sacrilieriez à tout ce que
M. le cardinal Altieri désirerait de vous, ce qui Ta fort contenté,
et j'ai ajouté la réserve : pourvu que le roi trouvât bon ici dans
la suite que vous en eussiez usé de la sorte, ce qui nous don-
nerait lieu de revenir suivant votre pensée, si vous n'étiez pas
d'ailleurs satisfait dudit cardinal. J'ai dit les mêmes choses à
Buti, qui m'a dit qu'il manderait aujourd'hui à son ami que,
si la grande affaire allait bien, tout le reste serait approuvé;
(1) C'est bien ainsi que Lionne a écrit ce mot dans l'original : cest Tespa-
guol so^iegOi flegme, Iranquiilitû, pris ironiquement.
(2) Mictiei-Aaloiue Vibo, andileur de la nonciature, « chargé de faire les
affaires du saint-siège par iutôrmi » (Lionne à Vibo, 5 juiu 1071. Rome^ 214),
déjà nommé au chapitre i*** du livre 11.
LOt'lS ZIV BT U£ SAl.Nr-SlÈUE. — II. i8
434 CHAPITRE DEUXIÈME
sinon 7ious prétendrions que tout aurailclé mal fait (i). » Mais
le pape, le cardinal Allieri et Ions les membres du sacré collège
comblèrent de prévenances le prélat français et ne pensèreni
qu'à écarter toules les causes de conflit. 11 écrivait au roi : Les
honneurs qu'on me rend sont supérieurs à ceux dont j'aurais
pu me contenter. Je ne témoigne pas en èlre satisfait, et on
m'enoiïre encore davantage. — Il lui plaisait déjà de croire
que tout le momie tremblait devant lui : « J*ai connu, disail-il,
par la joie qu'ils ont eue de voir mes traitements réglés, qu'il
n'est pas difficile de les embarrasser (2). » — Dès la première
audience, Clément X fut avec lui bon, alTectueux, simple, fa-
milier et s'exprima sur Louis XIV et sur la maison royale avec
une tendresse paternelle.
L'évôque-duc dressa aussitôt son plan de campagne, et il
écrivit à Louis XIV : u La conduite que je me propose, quand
je verrai le cardinal Altieri, ce sera d'écouter ses ofires; de
montrer une enlière confiance; d'exagérer mon extrême re-
connaissance, s'il me promet cette élévation ; de lui faire sentir
délicatement que Votre Majesté ne se propose pas d'attendre
longtemps ce contentement et que l'efTet de toutes les vues
qu'il pourrait avoir sur la protection de Votre Majesté en dé-
pend. » J'inviterai le cardinal Borromeo, secrétaire d'État, à
« faire entendre bien clairement que Votre Majesté veut la
promptitude et la certitude entière en cette afTaire (3)... » —
Le succès ne répondit pas à sa présomption. Il feignit d'abord
de croire que Clément X était aux portes du tombeau, gou-
verné par des conddenls, et que le cardinal-neveu, inquiet de
l'avenir, serait trop heureux d'ofîrir au roi de France Tunique
chapeau qui vaquerait avant la mort de son oncle. Il se pré-
senta devant Clément X comme le protégé du prince qui, à
(1) 24 juillet 1671. Home, 214. Lionne se repentit bicDtôt d'avoir fait ce
reproche an vauiteni pn'îlat, et il Ini écrivit par le courrier suivant : a Je me
rétracte de tout ce que je vous mandai il y a huit jours, avec peut-être Iro;»
de liberté sur vos né{;oeidtious touchant les traitement!»... que vous prétendez.
Je trouve mainteniut que vous avez conduit la chose adiuirablement bien et
que vous eu Oies sorti avec lous les avantajjres ({uon pouvait désirer. » (31 juillet.
Home, 2U5.)
(2) 7 juillet. Pxomc, 205.
(3) 30 juin 1G71. Home, 21 i.
LE CHAPEAU DE CÉSAR D*EbTRÉES 43S
Ten croire, avait disposé de la tiare dans le dernier conclave ;
il aborda le cardinal Altieri en homme qui comptait sur une
promesse spontanée de la pourpre : ni le pape ni Altieri ne
lui en ouvrirent la bouche. Il reconnut bientôt que Clément X
avait une volonté propre, et qu'il n^avait livré à personne le
secret des promotions futures : « La santé du pape, dit-il, est
d'une fraîcheur et dune vigueur fort au-dessus de son Age, el,
par Celte raison, il est pardonnable à M. le cardinal Altieri de se
flatter qu'il peut faire plusieurs promotions (1). » Il espéra
tirer quelque éclaircissement du cardinal Borromeo, qui n'a-
vait pas le pouvoir d'engager le pape, et, procédant comme
un huissier, il dressa une sorte de procès-verbal de leur
entretien (2), pour l'envoyer au roi. Il écrivit : Le secrétaire
d'Etat croit que le pape me réserve le premier rang dans la
prochaine promotion et que le cardinal Altieri est prêt à em-
ployer ses bons offices pour que cette promotion ait lieu lors-
qu*il y aura deux vacances. Mais il ne tarda pas à reprendre
cette nouvelle : Le cardinal Borromeo, dit-il, m'a écrit sur
mon affaire « quelque chose de vague et ambigu, qui me pa-
raissait affecté et non seulement peu conforme au mémoire
qu'il avait approuvé Tordinaire précédent, mais aux assurances
précises qu'il avait lui-même fait donner à Votre Majesté, avant
que je partisse. » J'ai répondu à ce ministre avec force pour
accroître l'inquiétude causée par « les relations sèches et déci-
sives que l'abbé Bonfiis, Tabbé Melani et Vagnozzi leur avaient
faites de mes discours et de mes intentions. » Le cardinal Bor-
romeo et l'abbé Baglioni (3) me font avertir (|ue je risque do
« gâter mon affaire par cette dureté ; » mais je demeure ferme.
J'ai revu le cardinal Altieri, qui ne promet rien de plus que
par le passé. Je fais tout ce que je peux pour Teffrayer ; mais
il réserve formellement la résolution où peut èlre le pape d'at-
tendre une troisième vacance, pour rendre le chapeau à la
famille de Clément IX (4).
L'évèque de Laon s'en prit de ces premières déceptions aux
(1) Au roi, 1 juillet. Rome, 203.
(2) L'expresdion e8t de lui.
(3) Secrétaire des ctiiffres.
(4) 14 et 28 juillet. Rome, 214.
436 CHAPITRE DEUXIÈME
agents que Louis XIV el Lionne, disciples de Mazarin, mé-
laienl dans toutes l<^urs négociations avec Rome, et surtout
aux Italiens, Ugo Maiïei, Vagnozzi, Ripa, Melani et autresqai
avaient annoncé ces assurances précises (1). Foucher lui-même
signalait dt^puis lonjjlemps le danger de leurs faux rapports,
el il écrivait : « Vagnozzi affecte de me paraître passionné
pour M. de Lionne, M. de Laon et M. Tambassadeur (2). Ce-
pendant il n*est pas imaginable combien de tort tels discours et
telles gens font aux afTaires dans lesquelles mal à propos ils
se font de fête (3). » Les récriminations de l'évèquc de Laon
ne furent pas moins vives : ce ... J'ai tiré, dit-il, peu de secours
de tous les pensionnaires français, et je m*aperçois tous les
jours qu*ils gagnent assez indignement Targent qu'on lear
donne, je dis ces trois ou quatre Italiens. Melani vaut mieux (1)
que pas un, mais le palais ne Taime pas, et Baglioni lui est
contraire, et par cette raison il est fort opposé à Baglioni :
ainsi, il peut quelquefois exagérer les méchantes intentions de
celui-ci au delà de ce qu'elles sont en effet (5). »
L'éveque de Laon avoua enfin à Louis XIV que Topposilion
venait du pape lui-même et non d'Allieri. Sa dépêche du
28 juillet, déjà citée, ne s'accorde plus avec le discours si vio-
lent tenu par le roi au nonce Bargellini. Il écrivait : « Je ne
puis croire, Sire, que le cardinal AUieri n'ait pas parlé sincè-
(1) Au roi et ^ Lioune, 7 juillet. Rome^ 205.
(2) Le duc d'Es^trée?, ambassadeur désigué.
(3) A Liooue, 28 avril 4671. Rome, 203.
(4) C'est moins qu'il faut dire. M. de Laon le préfère, parce que c'est en loi
qu'il trouvera le plus de passion et le moins de scrupules.
(5) Au roi et à Lionne, 7 juillet 1671. /{orne, 205. Tous ces llalieas se dé-
noncent mutuellement, comme nous l'avons vu tant de fois; ils dénoncent les
agents français et sont dénonc<^8 par ceux-ci. L'abbé Servient, qui ne vaut pas
mieux, voudrait les supplanter tous, i>t se plaint de ne pas recevoir un prix
sufUsant de ses services. « 11 n'y a pas, dit-il, un Italien qui ait étéenFrauce,
sans être même appuie, qui n'ait obtt^nu quelque grâce du roi. L'abbé Bt*oe-
deiti vu revint avec une ubbnye, de l'argunt comptant, uu portrait de diamauls
de 100 pistoles et une pension ; Maffei, à peu près de la même manière, et
i'abbô .Melani, en dernier Heu, n'a pas été moins bien traité. » (A Lloone,
uiômu jour. — « Le palais lui-même (qu'il trahit après y avoir obtenu un poste
de couOaoce) a fait connaître qu*on y souhaitait que ce fût par mon canal qoe
passassent à l'avenir les affaires qu'on voudrait être secrètes. » (Le même aa
môme, 18 août 1671. Rome, 213.)
LE CHAPEAU DE CÉSAR D^ESTRÉES 437
remcnt, car je lui ai vu tant de marques de crainle de demeurer
brouillé avec Votre Majesté que sans doute il recherchera
toutes les voies possibles pour Téviter, et ce n'est que par cetle
machine que j'ai tiré de lui toutes ces déclarations qu il ne
voulait pas faire lui-même et dont il se serait défendu, si je ne
l'avais extraordinaircment pressé. » Lorsqu'il interrompait
SCS déclamations contre la cour pontificale pour représenter
confidentiellement au roi et à Lionne la situation vraie des
choses, il ne donnait plus pour des assurances précises, mais
pour ce qu'elles valaient en réalité, les lettres courtoises du
cardinal Borromeo à Lionne, et de l'abbé Ba^lioni à l'abbé
Buti, l'ancien secrétaire de Mazarin, conservé dans les bureaux
des A ITaires étrangères. Ainsi, après avoir raconté longuement
au roi un entretien oii il avait opposé au cardinal Altieri ces
correspondances purement personnelles, il s'arrête pour dire
avec simplicité : « Ce n'est pas que, n'ayant pas dit précisément
le temps de cette promotion (i), ils n'aient quelque chicane
(1) Voici, par ordre de datet, les avif traosmis de Rome à Saiat-G^rmnja
par les agents du roi et les aveox de Lionne lui-même : Bonfils à Liouue,
13 janvier i67i. Rome, 212 : Le pape et Altieri expriment leur bon vouloir
pour révèquH de Laon, mais sans fixer d'époque. — Bourlemont au roi, 24 fé-
vrier. Rome, 212 ; Je me plniuti encore au pape de la promotion du 22 décembre ;
il me répond que sa résolution était arrêtée avant l'arrivée du courrier du
roi, que d'ailleurs il y avait trois vacances seulement : il satisfera plus tard le
roi. Le cardinal Altieri en dit un peu plus, mais sans se lier, n Cela me fait
juger. Sire, que, quand ils feront M. de Laon cardinal, ils veulent raccompa-
gner de quelque autre. » — Lionne à Itospi^liosi, 20 mars i6'<i. Rome, 213:
« ... On ne nous paye au palais que d'insinuations, ^l'espérances fort générales
qn*on donne à l'abbé Bonfils eu termes même sujets à diverses interprétation^^
mais on ne veut rien dire de précùt à M. de Bourlemont, m — Bourlemont à
Lionne, 14 avril. Rome, 'J13 : Le cardinal Altieri me promet que le candidat de
l'Empereur ne sera pas nommé pans M. de Bousy, candidat du roi de Pologne,
et que l'évèque de Laon Fera de la première prom(>tion. (Mais quand aura-
t-elle lieu? Le pape n'atteudra-t-il pas qu'il y ait as^icz de chapeaux pour eu
donner a l'Espagne, à Venise, et à ses propres créatures ?| — Foucber à Lionne,
même date : Le cardinal Borromeo manifeste de la bonne volonté, mais répond
nettement qull ne peut prendre d'engagement pour M. de Laon. — Bonfils à
Lionne, 21 avril. Rome, 213 : Le cardinal Altieri « se déclare toujours plus de
vouloir contenter 1« roi en ce qu'il désire pour M. de Laon, mais f&Hs se dé-
clarer pourtant de le faire dans une promotion de trois. ■ — • Lionne a Fou-
cher, 12 mal. Rome, 205 : « ... Je ne doute nullement, comme l'a dit le cardi-
nal Rospi^lioH, que, »:i l« cardinal Alturi pouvuit s'érliHp|i«T par qu« Ique
purte dunt il crût ne devoir recevoir hucuu préjudice, il ne le fit, et cVst pour
438 cifAPiT::E decxièmk
à faire; maÎA il faut s'en plaindre comme d'une surprise, qoi
ne se pratiqtio pas avec un tel prince que Votre Majesté M.;. »•
Au surplus, renvoi de (iésar d'Estrées & Rome, où il y avait
déjà pour arracher sa promotion l'abbé de Bourlemont, assisté
do deux agents spéciaux, et où il allait être rejoint par son
frère, revôtu de la qualité d'ambassadeur et porteur des mêmes
ordres, surPh^mit h prouver que, dans la pensée du roi, il dc
s'agissait pas encore de recueillir les fruits d'une victoire dé-
clarée, mais seulement d'tme bataille à engag'er. C'est bien
ainsi que Tentendait révr?qne-duc lui-même : « Vous verrez,
écrivait-il à Lionne, comme j'assiège M. le cardinal Aliieri et
comme il se retranchi» (2). »
La mort du cardinal Antoine Barberini (3 août iGU] ayant
ouvert une nouvelle vacance, le pape chen ha un expédient
qui lui permît, sans violer aucune règle, de ne pas irriter trop
profondément un prince dont la politique altière inquiétait on
ce moment même toute TEtirope, et qui venait de faire en
pleine paix, k la tête de trente mille hommes, ce mémorable
voyage de Flandre, prélude de la campagne de Hollande (3).
crli qui/ évitera tou< les eii'jnffemfnt^ positifs .. Non» ne pourrions montrer
(1 .-i< repter ici, quand ou nous la ferait, la proposiliou de» trois chapfaux dont
M de (jion aurait l'un. La raison est que nous ne sommes pas a,isun*s que le
pap" puisse roir seulement la vacance du second. C'est pourquoi il faut s'atta-
cher loujoiirg à prétendre et demander^ mais honnêtement, celui qui vaqae.
piMir mettre le cardinal Allicri dans son tort et ne le tirer point du péril qu'il
aurait à craiudrf* du resftentimeni de S. M., s'il laisse mourir son oncle saos
avoir fait M. de Laon cartiiual... »
(1) 6. 7. 8 aoftt ifiTl. Rome, 215.
(2) 14 juillet, nome, 214.
(3) Dès le rommoncLMnont de l'année. Louis XIV avait cher.'h»'? à prévenir
les justes alirmes du pape : « Je vis hier M. le cardinal Altieri et lui dis
la résolution, qu'avait prise V. M., d'aller faire un v ovaire en Flandreà ceprin-
tt^mi)?, aux pays de s s cnuqurte*. et «l'y mener un corps de trente mille
hi>iuuies, V. M. faisant état d'y s^'jouriM'r quatre ou cinq mois, et que V. M.
me cliarj:»'uit d'as-ur^r tie sa part 1^ papo et le CHniinal qu'il n'a aucun des-
sein d«» cimhvvenir en rien au traili^ d'Aix-la-Chapelle, V. M. se proposant, en
c»'tte expédition, d'employer ses troupes à finir promptement et en sa pré-
soure les forlilioatious de ses pla-^es et des applanissements dc hauteur dnns
les lieux qui appartiennent à V. M., ce qui ne se pourrait faire sans une puis-
sance égale A celle que V. M. y veut conduire. M. le cardinal Allier! m»» dit
qu'il donnerait cette honiie nouvelle-là au pape dès le m^me soir et avant que
je voie S. S..., que S. S. s'assure tant en la sincère et géuéreuse volonté qu'a
V. M. de maintenir le repos de la chrétienté, qu'elle n'a nulle appréhensiou
LE CHAPEAU DE CÉSAR d'eSTUÉES 439
Li'évêqiie de Laon écrivit : « Le pape m'a fait quelques ques-
tions sur le retour de Votre Majesté de Flandre, sur l'état de
ses places et de ses troupes et sur les grandes levées quon
croit partout qu'elle fait faire. J'ai lAché de répondre surtoutes
ces choses proporlionnémeut à la grandeur de Votre Majesté,
el je Tai assuré beaucoup de fois qu'elle sera toujours prête
d'employer celte grande puissance pour le service de la reli-
gion et pour l'avantage du saint-siège; et, comme il est entré
de lui-même sur le sujet de feu M. le cardinal Antoine, dont
il a parlé avec beaucoup de regret, cela m'a donné lieu de lui
insinuer que Votre Majesté perdait en lui un serviteur très
considérable, mais qu'elle espérait que Sa Sainteté se servi-
rait de la place qu'il alaissée vacanle pour la réparer en quel-
que sorte. Il a bien compris ce que je lui voulais dire, et m*a
répondu que son intention était de satisfaire Votre Majesté,
et que je ne doutasse pas qu'il ne le voulût et qu'il ne le fît ;
qu'il m'assurait qu'il songeait à ma satisfaction. 11 me redit
encore quelque chose do semblable, ijuand je pris congé de lui,
et cela fait voir que sa disposition est très favorable et que ces
messieurs trouveront moyen de le persuader, s'ils se mettent
bien en peine de le chercher. » Or, le même jour, le cardinal
Altieri annonça au prélat français que le pape se proposait de
lui donner place dans une très prochaine promotion avec Fabbé
de Fulde, nommé par TEmpereur. Comment répondit-on à
une grâce si peu méritée?
« Je ne laissai pas durer plus longtemps ce projet, dit
M. d'Estrées, et je déclarai au cardinal Altieri que Votre Ma-
jesté m'avait commandé de ne pas souffrir qu'on fit une pro-
motion pour l'Empereur, snns contenter en même temps le roi
de Pologne; que j'étais d'autant plus obligé de Tempécher
que, par un excès de confiance en ma fidélité, il avait plu à
Votre Majesté de me charger des intérêts de M. l'archevêque
de Toulouse comme des miens propres; et, comme il repartît
que je n'en serais pas le maître el que je ne pouvais pas em-
qne rc %-oyago de V. .M. nvpc tant de troupes préjiidicie en rl*»D à la pnix, et
ce, d*aiitaut plu» que V. M. a la bonté dVn fntre a^isurer S. S. qui co resterait
obligée à V. M» » (Uourleniont au rui, 6 janvier 167i. Home^ 212.)
440 CHAPITRE DEI'ZIÈME
pécher que le pape ne prit cette résolution, je lui répliquai que
je me jetterais à ses pieds et à ceux du pape pour lui demander
en dernière grâce de vouloir bien ne me pas comprendre dam
une promotion dans laquelle les ordres de Votre Majesté me
défendaient de prendre part en excluant rarcbevëque de
Toulouse (1)... » L'évèque de Laon avait prié Lionne de faire
adresser par le roi à Tintcrnonce « de ces mots essentiels que
ce ministre savait si bien trouver imperatoriâ brevitate (2). »
Ses espérances furent dépassées. Dès l'arrivée du courrier ex-
traordinaire qui lui apprit la mort du cardinal Antoine Barbe-
rini, Louis XIV fit appeler Tabbé Vibo et lui dit (3) : « Il ae
me serait janiais tombé dans Tesprit que lecardinal Altierime
considérât si peu qu^il eût voulu ajoutera l'injure publique,
qu'il me fit en la dernière promotion, un manquement formel
à sa parole. Il fit créer cardinaux trois nonces d*Espagne et
perdre même à la maison Uospigliosi, parce que je Taime, le
chapeau qui lui était dû. II m'a depuis fait assurer, huit mois
durant, que, pour réparer cette offense (4) et regagner mes
bonnes grâces, dès qu'il y aurait deux chapeaux vacants, il
ferait faire la promotion en laquelle M. de Laon serait compris.
Il y on a ici vingt lettres du cardinal Borromeo on de Tabbé
Baglioni. Vous-même en avez assuré Lionne, arrivant ici, et
le cardinal Allieri Ta dit lui-même audit sieur de Laon, quatre
jours avant la mort du cardinal Antoine. Cependant, dès que
(1) 11 août 1671. Home, 215. La suite du récit montrera les scntimeDts qne
Céear d'E&trées cachait bous ce langage. 11 est si peu vrai que Tou comptai
sur lui pour défeudre les intérêts de BoDsy connue les sîen^ propres^ qu'un
agent spécial, l'abhé du Bigorre, fut envoyé à Rome, pour solliciter la prooio-
tiou de l'archevêque de Toulouse.
(2) lAWAque de Laon à Lionne, 14 juillet. Home, 214.
(3) '< Ce que le roi a dit à l'abbé Vibo surrafT.'iiriî de M. de Laon, le 19 août 1611. »
— « L'abbé Vib<» mVst Vfuu aushi rouimuuiqucr sa dépôche, pour savoir de
moi s'il avait bien pris le sens de tout le discours que le roi lui a tenu. J'ai
trouvé que S. iM. n'avait pab usé des mômes termes que je lui avais laissas
par écrit, mais pourtant qu'elle vn avait pris toute la substance, en y doonaDt
seulement un antre tour, «t que ledit abbé eu rond compte fidèlement à son
maître, sans lui rit-n dé;/nisHr. Amsi, vouî^ pouvez compter que le roi a parlé
audit abbé au sens entier du papier que je vous adresse. . » (Lionne à l'évèque
de Laon, 20 août 1671. Home, 215.)
(4) Il n'y avait ni offense ni injure publique ^ et jamais Altieri Q*avait regretté
une promotion très louable, qui était Tœuvre personnelle de Clément X.
LE CHAPEAU DE CÉSAR d'eSTRÉES 4 il
ce chapeau a vaqué, et en la personne même d*un Français(i),
de la dépouille duquel il a profité du camerlingat et de plu-
sieurs abbayes, il ne se souvient plus de ses engagements ni
de sa parole et dit qu*il faut encore une troisième vacance»
faisant traîner et laissant même ma satisfaction en incertitude,
puisque le pape peut être surpris d'un accident (2). Si l'Empe-
reur ou le roi d^Espagne m'avait donné quelque parole, je la
leur ferais bien tenir: mandez-lui que, s'il veut que je sois de
ses amis et son protecteur en tout temps, il fera faire la pro-
motion comme il me Ta promis, au moins dans quinze jours
après que ce courrier sera arrivé. Que s'il ne le fait pas, je
donne ordre à Tévèque de Laon et au sieur de Bourlemont
d'aller conjointement au pape lui exposer tout ce qui s*est
passé, dont peut-être il ne sait rien (3), lui porter les extraits (4)
(1) Loui» XIV qualifie Antoine Barbeiini de Français, parce qu'il lavait
nownié archevêque de Reims et grand aumônier ; — et, quand il y trouve
son îutér^t, il soutient que Bonsy, eon ambassadeur à Venise et en Pologne,
ëvêque de R^ziers et archevêque de Toulouse, n*a pas cef^sé d'être un étranger^
un Florentin!
(2) Louis XIV nous a depuis longtemps habitués à pareille indélicatesse : il
ira plu!« loin encore.
(3) Toutes les lettres de l'évî^que de Laon attestent qu'il était reçu par Clé-
ment X auf>si souvent qu'il le souhaitait, et que tous les incidents de la né-
gociation étaient portés à la connaissance du pape par lui-même aussi bien
que par Altieri et les miaistres pontificaux, et par les ambassadeurs étrangers
qui discutaient avec le pape l'intérêt de leurs maîtres dans la promotion an-
noncée.
(4) Nouveau mensonge, ajouté à tant d'autres. Si ces lettres, d'ailleurs toutes
privées, eussent engagé la parole du pape ou seulement celle d'AUieri, Lioune
Jes eût envoyées k l'évêque de Laon pour le mettre en état d'exécuter cette
menace ; mais le ministre se garde de le faire et prétend que ces pièces sont
entre les mains de Buli, qui dépend de lui et qui n'a rien & lui refuser! Et
pour que M. d'Estrées ne doute pas que ce soit une pure comédie, il lui avoue
que d'ailleurs il serait dangereux de les montrer au souverain pontife et au
cardinal Altieri : a J'oubliais de vous dire que, dans une course que je fis
avant-hier à Paris, je parlai a Buti de me remettre les extraits de tout ce que
Baglioni lui avait écrit sur votre aCfHire en diverses dépêches, et i7 ne me
sembla pas qu'il en fit aucune difficulté. Cependant, après avoir dtué ensemble
chex M. votre frère, je ne me souvins plus de lui en reparler et je revins le
leudemaiD ici. Je n'ai pas cru devoir relarder le départ du courrier pour envoyer
quérir à Paris ces extraits, dont aussi bien vous ne devez jamais vous sei^ir
effectivement pour les porter au pape. Cependant on pourra croire dtdetà tfue
voui les avez tous en main. » (20 août. Rome, 215.; On peut voir, aux volumes
215 et 216, des extraits de lettres de Borromeo, de Baglioni, de Maffei. etc., an-
442 CHAPITRE DEUXIÈME
de tout ce qui a élé écrit ici par le cardinal Borromeo elpar
Baglioni. Je sais que Sa Sainteté m'aime assez pour me faire
justice et pour ne souffrir pas que son neveu m'eût imposé
sous son nom. »
Louis XIV écrivit, en m^me temps, au pape une lettre si
dure, qu'il la jugea capable de causer au saint vieillard une
émotion mortelle, et, s'il exprinja le désir que M. d'EsIréesse
contenlftt d'en donner lecture au cardinal-neveu, ce ne fat
point par humanité, mais pour éviter les retards que la mort
du pontife ferait encore subir à lapromolion de Tévêque-duc!
Il disait à celui-ci (1) : « Mon cou'^in, je vous fais cette lettre
k part pour vous dire deux choses : Tune, que je n'ai écrit la
leltre do ma main au pape que [)onr faire trembler le cardinal
Alliori, que, s'il voulait nous amuser plus longtemps, vous
avez ordre de recourirà Sa Sainteté mrme et de l'informer de
toutes les choses passées, et nommément de son manquement
de parole; mais que je ne désire pas qu'en aucun cas vous
employiez effectivement ce moyen-ci qui pourrait causer un si
sensible déplaisir à Sa Sainteté^ dans I Age où elle est, qu'il
serait capable de la faire mourir, et alors votre affaire se trou-
verait encore bien plus reculée et plus incertaine qu'elle noie
saurait jamais être pendant ce ponlificat-ci, quand même il
faudrait nécessairement attendre encore la vacance d'un
troisième chapeau. C'est pourquoi, quand vous jugerez qu'il
sera temps, vous pourrez vous faire un honneur et un mérit»^
auprî»s du cardinal Altieri de ne vouloir, pour rien du monde,
donner cette afllirtion h Sa Sainteté, ni qu'il put jamais être dit
que, pour votre intérêt particulier, vous eussiez contribué la
moindre chose k faire recevoir quelques mauvaises paroles de
Sa Béatitude à une personne, à laquelle vous voulez devoir
un jour toute votre élévation, et partant que vous aimez bien
mieux vous mettre sur le dos la désobéissance dans laquelle
vous tomberez envers moi en manquant d'exécuter mes ordres
nonrnnl le désir d'arcordor coUp pràrc dans un délai que le pnpo fixi^rait, Mns
préjudio»^ dp8 droits et di»? intérêts dos aiilros couronnes, et des promesses
de bons offices qui ont été tenues et snivies d'efftils.
(1) 20 août 1671. nome, 215.
LE CHÂPFAU DE CÉSAR D*£STRÉES i4â
n ce point-ci, que de devenir l'instrument d'aucune division
u mésinlellig^ence dans la famille de Sa Sainteté, et autres
hoses semblables, pour vous retirer honnêtement de renga-
gement où je vous ai mis, par le discours que j*ai fait à Tabbé
îTibo, de recourir à Sa Sainteté même, après les quinze jours
«pires. » Si, sans parler du P. Gravina ni de l'abbé Rospi-
l^liosi, on vous dit « que le pape veut promouvoir avec vous
e marquis de Raden, nommé par rKmpereur, pour satisfaire
la maison d'Autriche, mon intention » est que vous refusiez,
lisant « qu*il faut attendre, en ce cas-là, la vacance d*un
troisième chapeau, pour contenter la Pologne en même temps
que l'Empereur, suivant les paroles que Sa Sainteté m'a
données et sur lcs(|uolles j'ai donné la mienne an roi de
Pologne que sa satisfaction ne serait jamais séparée de celle
de l'Empereur. » Et Lionne félicitait Tévêque-duc des armes
nouvelles qu'il mettait entre ses mains, ou plutôt, en termes
corri.'spondant à la bassesse de ses sentiments, de la denrée, de
la marchandise ({\i'\\ lui envoyait (I)!
Le 22 août, avant que ces dépêches fussent parvenues à
Rome, Clément X intimait pour le surlendemain un consis-
toire où il créa i?i pelio deux cardinaux et fit informer secrète-
ment l'évêque de Laon qu'il avait la première place dans cette
promotion (2). Sans révéler alors un dessein facile à deviner,
il ajournait la proclamation publique à une époque où il y au-
rait assez de vacances pour satisfaire en même temps toutes
les couronnes. Puisque la création in petto fixe invariable-
mont le rang d'un cardinal dans le sacré collège. César d'Es-
Irées va sans doute se montrer reconnaissant de cette éléva-
tion inespérée? Non, il réclame sur-le champ une déclaration
solennelle! J'ai droit, dit-il (3), de me plaindre « avec toute
la hauteur qni convient à la grandeur de mon maître et qui
(1) Lîonne à Tév^que do I^aon, môme jo!ir. Pome^ 215 : « Je ne vous ferai
pas «le lonjf» «liproiirs», parce qu'il me semble que loute /a denrée qii»* j»» von»
♦*nvoie est si b»nne qui* je ne dois» pn8 retarder d'im momeDt le départ du
courrier... — Je croi* qu'avec la marchandise que je vous envoie vous pouvez
prét*»ndre, etc.. >»
(2) Le 26 aoAt, le cardinal Alti^ri m'annonça que j'iMai? « cardinal comme lui ».
(3j S* aoûi-l«' septembre 4611. Homej 215.
444 CHAPITRE I)Ei:ZIÈlfE
n*est pas opposée à mon naturel dans les affaires d*éclatelée
réputation. >» Il hésite cependant et semble se souvenir qui
est évoque et partie intéressée; mais il reçoit les lettres écrita
par le roi et par Lionne le 20 août, et il fait taire aussitôt ce
dernier murmure de sa conscience : « J^ai pensé, dit-il, qu
je pouvais quitter le ton de créature, dont je crus devoir user
lorsque M. le cardinal Altieri me déclara ma promotion, pour
prendre celui d'envoyé de Votre Majesté et d'exécuteur de
ses commandements avec toute la jalousie qu'on doit avoir
pour sa grandeur et pour sa gloire. » Il retourne chez Altieri
et s'emporte avec tant d'arrogance que le cardinal est obligé
de lui rappeler qu'après tout « les papes sont maîtres des pro-
motions et qu*ils les peuvent faire comme il leur plait... ■
Il disait au roi : « Celte contestation fut si vive, que je crois
que le cardinal en conserve beaucoup de chagrin contre moi,
et ce qui Taugmcnle vient de la recherche que j'ai faite de
beaucoup de moyens qui établissent cet engagement, que
j'établirai puis après. J'aurais un extrême regret de l'avoir
poussé si vivement sur mon affaire; mais, s'agissanl d'un
ordre de Voire Majesté sur celle d'un autre [M. de Bonsy], el
voulant répondre à la confiance extrême dont elle m'a honoré,
je me trouvai plus animé en sortant de cette audience. »
Quinze jours se passèrent sans que M. d'Eslrées rendît grâces
au pape; enfin il se présenta au palais, non pour porter dos
remerciements, mais, comme il le dit, pour donner à ClémentX
occasion de lui parler de la promotion. Le souverain ponlife
ne manqua pas de lui dire aussitôt qu'il avait été bien aise de
satisfaire le roi, et que la déclaration publique tarderait peu.
J'exprimai, dit Tévêque, ma gratitude personnelle, mais
j'ajoutai que j'étais étonné que Sa Sainteté ne m'eût pas encore
déclaré, comme le demande un prince « qui a plus de deux
cent mille hommes sur pied (1) et une infinité de vaisseaux à
(1) C'est le mot de Cacaiill retourné : « LorsquMl avait pris congé du Pre-
mier ConFU). M. Cac»ult lui :ivail demande comment il fallait traiter le pape :
Traitez-le, répondit le guenit-r. comme s'il avait deux cent mille bomuies. >
(Artaud, Histoire de Pie VII, t. I, p. 105.) — L*évèquc de Laon tenait à a
pensée si peu généreuse, si peu catholique, si peu française : il l'avait déjà
placée dars une conversation avec le cardinal Altieri, auquel il avait reproche
LE cuapëâu de César d^kstré^s 4i5
a mer, » au lieu de ména;^er TËspagne, <r un Etal faible et
tbattu,' et qui à peine avait de quoi se défendre contre des
forces beaucoup moindres que celles de Votre Majesté; que
véritablement elle ne pourrait apprendre sans beaucoup de
peine que Taulorité du saint-siège eût été si fort attaquée en
ce rencontre^ et que Sa Sainteté eût pu appréhender de
déclarer une grâce qu'elle avait résolu de lui faire (1). »
Lorsque Tévèque-duc écrivait ces lignes, le plus ardent de
ses protecteurs, Lionne, venait de mourir (2), épuisé par la
débauche et par le travail; mais ses intérêts ne furent pas
défendus avec moins d*âpreté par le marquis de Louvois,
chargé des Affaires étrangères jusqu'à l'arrivée de M. de
Pomponne, ambassadeur en Suède, désigné pour succéder au
ministre défunt. La famille le Tellier ambitionnait la pourpre
pour le jeune Charles-Maurice, auquel la mort du cardinal
Antoine Barberini avait fait passer depuis quelques semaines
l*archevèché de Reims; elle servit avec zèle MM. d'Eslrées et
de Bonsy, dont il fallait assurer la promotion avant de réclamer
celle du nouveau pair ecclésiastique. Aussi n'est-on point
étonné de retrouver le style brutal de Louvois dans les dépêches
qu'il préparait pour Rome. Deux jours après la mort de
Lionne, Louis XIV écrivait à Clément X : « Votre Sainteté est
sans doute assez informée de la manière dont je me gouverne
pour juger facilement que le décès du sieur de Lionne n'est
pas capable de rien changer à mes résolutions. » J'attends
toujours avec la même impatience que l*év6que de Laon soit
déclaré cardinal, w La seule diiïérence, si Votre Sainteté agrée
que je le lui dise avec le respect filial que je dois, est que les
de oe pas a^assurer par ses romplaisaDces « TassistaDce itifaillible d'un prioce
qui avait dt?uz ceut uiilie hommes sur pied et plus de ciuq cents voiles à la
mer. » (L'evèque de Laou au roi, !«' septembre lG7i. /{omf, 215.)
(1) Le même au môme, S septembre. Home^ 215.
(2) Il est assez curietix de rapprocher de cette date la lettre adressée par
l>vèque de Laoïi à Lionue, le 14 juillet prècédeut : a... M. le cardinal Antoioe
m'attend après demaiu à dluerà Ncmi, où nous n* oublierons pas de boive votre
santé. Je fonde sur elle et sur l'exlrùmc bonté que vous avez poi\r moi non
seulement toute mou élêvaliou, maiâ la plus sensible et la plus véritable
joio de toute ma vie. »> (/?ome, 214.) — Le cariliual Antoine mourut le 3 août
à Nemi, et Lionne le l»' leptembre suivant.
446 CHAPITRE DBUXIÉlMe
choses soQl présentement en un tel état que Tacconriplissemeil
de ces paroles ne peut plus èlre relardé, sans vouloir doota
que ce soit moi qui aie ordonné et fait les instances qui oui
été faites sur ce sujet et qui les réitère encore. » Le roi disait
en même temps au cardinal Altieri : «... Je mV attache toos
les jours plus fortement jusqu'à m'en faire un point d'honneor.
Vous pouvez juger par là du plaisir que vous me ferez si vous
favorisez ces instances en procurant la consommation réelle
d'une grâce appuyée sur des engagements trop solennels et
trop positifs pour y pouvoir plus manquer (1)... » La création
in peUOy dont la nouvelle parvint à Saint-Germain après le
départ de cette lettre, ne fit qu'exaspérer le roi. Louvois
rédigea une dépèche à l'adresse de Tinternonce Vibo, loi
enjoignant de transmettre au pape les plaintes de Louis XIV
et de demander que M. de Laon fût déclaré dès Tarrivécda
courrier. Mais un reste de pudeur détourna le roi de permettre
que cette lettre fut signée; il consentit seulement que Louvois
portât au ministre du saint-siège un message impérieux, dont
il ne donnât pas de preuve écrite, et qui pût être nié parla
cour de France (2). Bourlemont reçut Tordre de déployer « la
dernière vigueur »; — de « sommer le pape et le cardinal
Altieri; de ne les point laisser en repos » qu'ils n'eussent
déclaré M. d'Estrées et que M. de Bonsy ne fût nommé con-
jointement avec l'abbé de Fulde (3). L'évêque de Laon fut
informé des instructions données à Bourlemont, « afin, disait
le roi, que, dans le même temps que le cardinal Altieri vous
aura fait déclarer cardinal, vous ne soyez pas obligé de le
persécuter de nouveau; » et l'ancien secrétaire de M. de
Chauines, l'abbé de Bigorre, fut renvoyé à Rome avec le
mandat spécial de suivre cette nouvelle négociation (4).
Clément X faisait répondre par Altieri « que les promotions
étaient des choses si absolument dépendantes des papes, et en
(1) Au pape et an curdioal Allicri, 3 septembre 1671. liomef 205.
(2) Projet de lettre de Louvois à Vibo, 15 septembre 1671, et note inscrite
sur celte pièce. Rome, 215.
(3) Louvois à Bourlemont, 10 et 17 ^eptfmbre 1671. Rome, 207 et 213.
(4) Le roi à l'évêque de Laou, 16 9e[»tembre. Romcy 215; — 28 octobre 167K
fiomc, 207 el 216.
LE CIJAP£A(T DE CÉSAR D^ESTitÉlCS 4i7
la substance et en la manière, qu'ils veulent être entièrement
les maîtres (1); » mais ce langage si juste attirait à la cour
poutificale de nouvelles menaces. Louvois écrivit à César
d*Estrées : « Toutes vos lettres, celles de M. de Bourlemont,
et toutes les autres que Sa Majesté reçoit de Rome lui fai-
sant voir clairement que l'intention du palais n'est que de
temporiser, elle a résolu de faire incessamment partir AI. le
duc d'EsUées, de consulter M. le duc de Chaulnes sur toutes
les mortifications qu'un ambassadeur de SaMajesté peut donner
à un cardinal-patron... » J'en ai instruit Tinternonce et lui ai
déclaré en même temps que « M. l'ambassadeur aurait ordre
de faire connaître à M. le cardinal Altieri que le roi n'est pas
satisfait de lui, et qu'il irait si bien accompagné qu'il ne crain-
drait point que la désobligeante manière, dont l'ambassadeur au-
rait ordre d'user avec lui lui, put rien attirer de fâcheux. L'abbé
Vibo parut fort surpris de la fermeté avec laquelle le roi m'a-
vait commandé de lui parler et beaucoup craindre les suites
des démêlés personnels d'entre l'ambassadeur et M. le cardinal
Altieri (2). » Melani lui-même s'elForça vainement de faire
comprendre à Louvois que cette conduite était inhabile et
dangereuse; il lui écrivait (3) : « M. le cardinal Borromeo
vient de m'assurer que M. le cardinal Altieri n'a point changé
de dessein sur la promotion de MM. de Toulouse et de Baden,
mais qu'il voudrait encore un autre chapeau (4) pour fondre
la cloche tout d'un coup, aPm que les Espagnols ne pussent
après détourner la promotion de Gravina (5) et d'un Rospi-
gliosi, son projet étant présentement de faire la promotion de
ces quatre personnes, en gardant ùi petto M. de Laon pour le
déclarer après, avec celui que Sa Majesté nommerait et le Jé-
(1) Bourlemout à Louvois, {"octobre. Uorne^ 215.
(2) Louvois à révoque de LnoD, 6 et 13 novembre 1671. liome^ 216.
(3) 17 iioveuii)re 1671. home, 216.
(4) Depuis le couâisloire du 24 août, le sacré coliëge avait encore perdu les
cardinaux Viscooti et Celsi.
(5) Le P. Viuceut-Marie Orsiui, duc de Gravina, Dominicain, si attaché à
son bumble profoBsiou qu'il n'aurait pas accepté la pourpre saus les ordres
répétés de i^on général et de Clément X : il devint pape suus le nom de
Benoit XUI.
448 CHAPITKE DEUXIÈMIC
suite (1). Quand il s^agîssaii de la promotion de Badenetde
M. de Laon, le roi venait à courre risque de perdre d'une
main ce qu'on lui offrait de Tautre. Présentement que H. de
Laon est créé in petto^ il n'y a aucun risque pour lui, d autant
que, la promotion de M. de Toulouse faite, le pape et le cardi-
nal Altieri ne sauraient refuser de le déclarer par un bref (âj.
en attendant la publication; car, le pape venant à mourir, le
roi aurait toujours eu deux chapeaux, sans que TËspagne en
eût eu aucun, et M. de Laon, en vertu de ce bref, sera cardi-
nal comme si le pape même l'eût déclaré (3). »
Ces manœuvres allaient avoir pour résultat une nomination
publique de M. de Bonsy avant la déclaration de M. d'Ëstrées;
et, quoique la création m petto assurât au dernier la préséance
(1) Le P. Jean Everard Nidhard, qui allait quiUer les cooseils de la régeote
d'Espague pour résider à Rome, comme chargé des affaires de Charles II.
(2) Ce bref, daté du 22 septembre 1671, était déjà eutre les mains du roi:
« Guudemus..., disait Clémeut X, opportuoam iu praeseutià uobis occasioaem
prœstari dou taotum ea coulirmaudi quiB dileclus filius uoster cardiaaiis Âlte-
rius ad te, Dobis coDsealieutibas, dédit, sed lis iosuper poudus addetidi qus
prœdicto veuerabili fralri [César d'Ëstrées] expresse coram significavioiua. >
{Rome, 215.)
(3j Melaui était bien iuformé, et Louvois écrivit eu effet à Bourlenjontquele
souverain poutife se proposait, Iai>saut in petto l'évoque de Laou, de uommer
rarcbevôque de Toulouse etjle caudidat de l'Empereur, avec deux créature* ce
S. S., mais que le roi était uiêconteut de ce projet. (12 décembre 1671. Koim,
216.) — Le jugeineut de Alolani sur les prétentions outrées du roi etiiit d'au-
tant moins su.^pect qu'il avait alors une pressante raison de flatter la cour de
France. Lionne, son principal protecteur après Muzariu, étant mort, il s'otlrit
aussitôt a Louvois. C'est moi, dit-il, qui ai mené le dernier conclave ; j y ai
réparé les fautes des Français; j'ai décidé l'élection de Clément X. La faveor
de M. de Lionne m'a permis de rendre « de grands services à la France. »Je
suis prêt à continuer. « M. de Lionne eu avait pris l'ordre du roi, et noî« tra-
vaillions pour cela. Il souhaita de me voir pour être iuformé de mille inci-
dents qui survinrent dans le dernier couclave, aussi bien que des affaires et
des inlrigues de c€tle cour et de ce que S. M. pouvait faire à l'avenir. 11 me
commanda de lui eu faire des méu)oires qui doivent être dans sou cabinet,
divisés en cinq purlies. La première, etc.. » Louvois lut les papiers et jugea
qu'il fallait ^unier dans le parti du roi un homme qui avail, d'ailleurs, promis
à Lionne de faire un de ses tils cardinal, et qui pouvait reudre les uièuies
olbces à rarcbevôque de Reims. (13 octobre 1671. Home, 215.) U lui ré{)Oud>t
bieutiM qu'il avait informé le roi de ses offres; qu'elles étaient acceptées; qu'il
pouvait lui écrire à lui même jusqn a l'installation de M. de Pomponne, — et
ensuite à celui-ci « avec la même confiance que voua faisiez à /eu M. de Lionne, t
(30 octobre. /{orne, 216.)
LE CHAPEAU DE CÉSAR D^ESTRÉES 449
sur son confrère, il redoubla d'efforts pour obtenir une publi-
cation immédiate. Croyant Pomponne installé déjà dans son
nouveau poste, il lui fit entendre qu'ayant rendu, sous le pré-
cédent pontificat, de si grands services aux quatre évoques
jansénistes, il comptait en retour sur les bons offices d'un Ar-
nauld : « Sans craindre, lui dit-il, de me brouiller dans ce
pays-ci, louant trop un homme de votre nom, j'ai fait votre
éloge, ou pour mieux dire, votre portrait au pape, au cardi-
nal Altieri, à toute la cour et même au général des Jésuites...
Nous poursuivons le dénouement d'une promotion in petto
que cette cour diffère tant qu'elle peut de déclarer. Je crois
qu'elle attend votre retour et qu'elle veut qu'il soit les pré-
mices de votre ministère. Je ne doute pas que la gloire de
Sa Majesté et quelques réflexions sur mes intérêts particuliers
ne vous portent à le désirer (1). » II conseilla au roi d'exhorter
un parent de Clément IX, le cardinal Gabrielli, légat de Ro-
magne, auquel le pape avait préféré le cardinal Altieri, à
venir disputer, dans Rome, le pouvoir à celui que Lionne appe-
lait avec mépris un neveu posticcio (2) : « ... Un coup terrible
pour le cardinal Altieri, disait-il, ce serait que, dans le temps
que l'ambassadeur serait obligé de faire quelque déclaration
contre lui, ce qui toutefois ne peut arriver, car il préviendra
infailliblement cette extrémité. Votre Majesté engageât le
cardinal Gabrielli, comme plus proche parent du pape, de re-
venir à Rome pour lui représenter la mauvaise conduite du
cardinal Altieri et Tengagementoù il met les affaires du saint-
siège par les différents manquements qu'il a commis, et l'in-
jure qu'il a faite à Votre Majesté. Elle lui promettrait de le sou-
tenir en même temps. Il me fit faire toutes ces offres par son
auditeur, qui est son favori, quand je passai dans sa légation,
et, sans y entrer, je ne rejetai point ses propositions (3). »
De concert avec M. Tabbé Melani, dont les avis étaient fort
goûtés à Saint-Germain, l'évéque de Laon écrivit à Pom-
ponne (4) : Si le cardinal Altieri tarde encore, il faut « qu'il
(i) 1" décembre. Home, 216.
(2) Melaui a Louvois, 31 décembre 1G71. Aomc, 21G.
(3) 1" décembre 1671. Rome, 210.
(4) 8 décembre. Home, 216.
LODISZIV KT LE Ml.NT-0IÉtiE. — II. 20
450 CHAPITRE DEUXIÈME
y ait en même temps des bruits répandus de vaisseaux et de
galères prêtes à s'approcher pour soutenir Tambassadeur en
cas de nécessité... » Faites-lui entendre qu'on se vengera
sur lui et sur sa famille, u Je vois si clairement les consé-
quences de cette affaire pour la grandeur et la réputation de
Sa Majesté,... que je me console plus aisément d'être Tocca-
sion de ce démêlé qui sera plutôt dans Tapparence que daos
TelTet. » Louis XIV promit que le duc d'Ëstrées aurait ordre
« de rompre tout commerce avec le cardinal Altieri, de ne
point visiter ses parents, de se prévaloir de toutes les occa-
sions qui se présenteraient pour le décrier et informer le col-
lège des cardinaux des sujets de mécontentement que lui
avait donnés ledit cardinal (i). » L'évêque-duc insista : « Votre
Majesté, dit-il (2), Ten pourrait punir en faisant faire un affront
sanglant au frère et au neveu du cardinal Altieri;... ou bien
en profitant du passage de ses galères qui pourraient venir
jusqu'à Palo (3), qui n'est qu'à un pas de cette grande terre
d'Oriole qu'ils viennent d'acheter de la maison des Ursins:
faire faire une petite descente, en passant, dans ce château, et
lui apprendre par là que les rois ont les mains longues et que
celles de Votre Majesté sont bien d'une plus grande étendue
que les autres. » Des dépèches de Melani développaient le
même plan(4) et recommandaient en outre des attentats directs
contre la personne et contre le pouvoir spirituel du souverain
(1) Le roi à Tévêque de Laoa, !•«• jauvier 1672. Rome, 218.
(2) 9 janvier. Rome, 218.
(3) « Si, après tout cela, il fera encore le difficile et Textravagant et qu'il se
vante d'être trop glorieux d'avoir pour ennemi le plus puissant roi d<î la terre,
comme il a dit à quelqu'un, S. M., ayant des galères qui ne font rien à Mar-
seille, avec une seule promenade jusques à Pulo, lui peut causer une appréhen-
sion si mortelle avec deux ou trois cents hommes, qui pourront se promener
ainsi jusques à Rome, que toute l'Italie et tout le pacré collège s*intéressera
pour la satisfaction de S. M., tout de inéine qtiil arriva au traité de Pise. •
(Melani à Louvois, 31 décembre 1071. Rome^ 216.)
(4) Melani, ne sachant pas si Pomponne est revenu de Suède, continue
de correspondre avec Louvois, mais il adresse à Pomponne les duplicata de
ses rapports. Ainsi, le 5 janvier 1672, il écrit à Louvois deux lettres, dont il
envoie des copies, le 9, à Pomponne, et répète encore à ce dernier : « Enfin,
Monseigneur, le roi, avec deux mille hommes seulement et les galères qui
peuvent les amener à Palo, peut se rendre maître de Rome et chasser Altieri. *
{RomCi 218.)
LK CHAPEAi: DE CÉSAR d'eSTRÉES 4o l
pontife : « Comme le roi, disait-il (1), n'est pas on état de rien
craindre, Dieu merci, et qu'il a assez de moyens pour mettre
à la raison ces messieurs, il peut, avec ses galères seulement
et deux mille hommes qu'il envoie ici avec M. l'ambassadeur,
chasser de Rome et faire enlever et transporter en France
ceux qui lui manquent de respect. L'on peut après faire exa-
miner par la Sorbonne si TÉglise puisse (2) être gouvernée par
un cardinal seul, qui n*a nulle alliance avec le pape, au défaut
d'un pape qui n'est pas capable de gouverner, et si, pour le
bien de toute la chrétienté, une députalion des cardinaux, plu-
tôt qu'un seul qui dévore tout le bien de l'État ecclésiastique,
soit donnée au pape pour son conseil. L'on peut demander,
après cela, un concile pour la réforme du népotisme et de mille
autres abus qui rendent la papauté dangereuse au bien public,
et les embarrasser d'une manière qu'ils apprennent à connaître
le roi et sa puissance. » Il faut provoquer une ligue de tous
les princes catholiques contre le saint-siège : «... Il est del'in-
térét de TEspagnc et de cette reine de se joindre au roi, non
seulement pour demander au pape la promotion des couronnes,
mais pour lui faire instance de châtier et chasser Altieri,
comme perturbateur du repos public et qui s'est servi de Tau-
torité du saint-siège avec mépris et pour maltraiter les rois, et
qu'il plaise à Sa Béatitude de rappeler le cardinal Gabrielli^
son véritable parent, auprès de soi, en quoi les Espagnols ne
peuvent avoir aucune difGculté, ledit Gabrielli étant créature
de Barberini. » L'Empereur ne manquerait pas de se réunir à
l'Espagne et à la France dans les mêmes vues. — Le lende-
main, M. d'Estrées écrit encore au roi : « Si Votre Majesté
prenait le parti de pousser tout à fait ces gens sur le prétexte
de leur emportement, elle en pourrait tirer plus d'un chapeau ;
mais il faudrait pour cela leur faire voir les abîmes ouverts et
leur montrer des vaisseaux et des galères prêtes, au premier
beau temps, pour en venir demander justice au pape (3). »
Voilà comment débutait, dans ses rapports avec le saint-siège,
(1) A Louvoie, janvier 1672. Romet 218.
(2) Les leUres frauçaises de Melani soat pleines dUtaliauisuoes : il écrivait
plus souvent en italien.
(3) 10 janvier 1672. Rome, 21 S.
452 CHAPITRE DEtJXtÈMK
le prélat gallican que nous verrons un jour préparer, dans Ie5
rues de Rome, renlèvemenl à main armée d'un ministre dln-
nocentXI !
Si Louis XIV ne prêta pas encore Toreille à ces exécrables
avis^ il viola ouverlement, dans Tintérèt personnel de Tévéque-
duc, le droit des gensel les prérogatives qui appartiennent aux
souverains pontifes dans les pays catholiques : il fit menacer
Clément X de fermer sa cour et son rovaume à tout ministre
du saint-siège, s*il dilTérait la déclaration de M. d'Estrées, et
c*est à ce dernier qu*il conlia le pouvoir d'imposer ou de retirer
cette condition!
On se souvient que Clément IX, mécontent du nonce Bar-
gellini, avait exprimé Tintention de ne point lui donner
le chapeau, suivant Tusage, au terme de sa mission. Clé-
ment X, sans rien précipiter, résolut de le rappeler et de le
nommer vice-légat d'Avignon. Louis XIV demanda avec
hauteur son maintien ou sa promotion, et prétendit que sa
disgrâce était une offense à la couronne; Âltieri répondit que
ce ministre, n ayant plus la confiance du pape (1), aurait pour
(1) C'était un esprit médiocre et au caractère faible, que Lionne avait do-
miné et doDt il ue parlait qu'avec dédaiu : « M. le uouce prendra congé do
roi cette semaine pour s'eu aller à sa vice-légation d'Avignon. Entre vous et
moif il a fait toutes choses possibles pour m'obliger à porter le roi à ne U pas
iaisser partir. Je m'en suis défendu par toutes les raisons que vous poQvei
juger. 11 ue faudra, s'il vous platt, rien dire de delà de cette circonsiaDce,
pour n'achever pas de perdre ce pauvre homme, quoique je sols fort mal sa-
tisfait de lui pour le discours qu'il a tenu fort imprudemment à plasieun
personnes que je l'aurais sacritié & votre intérêt... » (Lionne à l'èvéque de
Laon, 17 juillet 1671. Home, 214.) « 11 est dans la dernière consternation et,
quoiqu'il fasse graud effort poui se contraiudre, je crois que préseiitemeut je
suis la personne du monde à qui il veut le plus de mal, et cela le plus iojus-
tcment du monde : c'est pourquoi aussi je ue m'en metd guère en peine. ■
(24 juillet 1671. Home, 214.) La sévérité de Clément IX et de Clément X et le mé-
pris de Lionne ne sont que trop justifiés par le mémoire suivant, où l'ancien
ministre du saint-siège, si complaisant pour la famille Amauld, implore pour
lui-même la protection de M. de Pomponne, et dénonce le cardinal Altieri au
ressentiment de Louis XIV : « M. le cardinal Altieri se montre tout à fait con-
traire à la France en toutes choses; ses ministres tant à Rome qu'à Avignon,
qui sont les sieurs Zaccarie et Pecci, ont les mêmes sentiments. Les agents des
princes d'Allemagne et particulièrement celui de l'Électeur de Cologne sont
témoins du déplaisir qu'on a eu de la prospérité des armes du roi et de la
joie qu'on a témoignée de l'union de l'Empereur avec les princes d'Allema-
gne contre S(t Majesté... » Le retard delà promotion de Hospigliosi en est nue
LE CHAPEAU DE CÉSAR d'eSTEIÉES 453
successeur François Nerli, archevêque de Florenco, dont la
personne ne pouvait manquer d'êlre agréable au roi (1) : en
effet, révêque de Laon lui-môme dépeignit ce prélat à
Louis XIV comme u un homme de bonnes mœurs,... d'une
inclination modérée,... aimant Tétude », et dont il n'y avait à
craindre ni « troubles ni cabales » (2). Lionne déclara cepen-
dant que le roi « soutiendrait autant qu'il serait possible M. le
nonce dans son emploi, en rejetant tous les autres sujets qu'on
lui pourrait proposer (3). » Cette prétention était si criante
preuve. « M. de Pompoonedoit considérer que M. BargelUui aétéUré de France
en même temps qu'on a fait cardinaux trois nonces d'Espagne, au préjudice de
la France;... qu'il fut envoyé à Avignon à la recomnaandation de Sa Majesté,
ce qui n a servi qu'à lui attirer cent affronts, parce qu'il a paru trop partial
pour la France. Ce ministre considérera, avec sa bonté ordinaire, que M. Bar-
gellini est de la même façon maltraité à Rome et laissé sans emploi, et qu*on
dit de lui qu'il lui suffit d'avoir été le nonce du roi; que cela ne fait pas bon
effet pour le crédit de S. M... » Les affaires d'Allemagne auraient tourné plus
avorablement, si M. Bargellini eût été encore à Paris : il eût conseillé au pape
nue meilleure conduite. « Il sert à quelque chose d'avoir un nonce bien affec-
tionné... Ces sentiments viennent plutôt du zèle que M. Bargellini a pour
le service de S. M. que pour son intérêt particulier, qui a bien les sentiments
qu'il doit pour sa réputation, mais non pasd^ambitionetde snpprbe. Il demande
encore cette fois ce qu'il peut espérer de S. M. et de M. de Pomponne, et de
savoir si ce ministre a écrit quelque chose sur ce sujet à M. l'ambassadeur. •>
Cette pièce est en français, mais d'une écriture italienne, et porte au dos :
« Mémoire de M. Bargellini. » (Rome, 222.) — Le 19 février 1673, le cardinal d'Es-
trées disait à Pomponne : « M. Bargellini vous écrit, » et demandait qu'on lui
répondit « obligeamment. » {Rome, 225.) — Maintenu dans cette juste disgr Ace
sous les pontificats suivants, Bargellini conserva jusqu'à la fin In faveur de
Louis XIV, qui lui écrivait encore, le 8 mai 1687, cette lettre significative, dont
le brouillon est de la main de Torcy : « Monsieur l'archevêque de Thèhes, j*ai
appris avec plaisir, par la lettre que vous m'avez écrite du 29 mars dernier^
le dessein que von» avez de donner an public V histoire de ce gui s'est passé
de plus considérable pendant votre nonciature auprès de moiy sous le pontifi-
cat de Clément IX, et, comme vous navez rien fait, pendant ce temps, qui
n'ait été à mon entière satisfaction et qui ne doive faire connattre A tout le
monde l'habileté avec laquelle vous avez toujours exécuté les ordres de ce
saint pape, j'approuve extrêmement la pensée que vous avez de faire impri-
mer cette histoire et de la faire dédier au gouvernement de Bologne, et vous
devrez être persuadé que je serai bien aise de vous taire connattre, dans toutes
les occasions qui s'en présenteront, l'estime que je fais «ie votre mérite. Sur
ce, etc. M {Rome, 308.)
(1) Bourlemont au roi, 24 février 1671. Rome, 212. Le roi à Altieri, 3 juin
1671. Rome, 214.
(2) 16 et 17 février 1672. Rome, 218.
(3) Lionne A Rospigliosi, 20 mars 1671. Rome, 213.
454 cHAi>rrRE dïxxiêlmk
qu'on n*osa pas d'abord y donner suite, ni contester à Vibo,
abbé de Rivalta, auditeur de la nonciature, le droit de se
dire « chargé de faire les affaires du saint-siège par inté-
rim » (1). Mais Tévëquo de Laon avait vu, dans le départ de
Bargellini, une occasion de contraindre la volonté du pape:
« Le nonce Norli et tous ses parents, dit-il, sonl dans une
grande inquiétude du succès de son emploi, et il est très néces-
saire que Tabbé Yibo puisse écrire qu*on n'écoutera pas même
ce qu'on en peut dire de la part du pape, si le roi n*a la satis-
faction qu'on souhaite... Vous saurez mieux que personne
comme il faudra répondre sur la nonciature de M. Nerli. Je
m'imagine que le roi voudra voir Taifaire consommée, au
moins in petto ^ avant que de le recevoir [2)... » En même temps
qu'il écrivait ces dépêches, il affirmait eifrontémeut à Rome
qu*il appuyait Nerli auprès du roi, et il demandait à Lionne
une lettre qu'il put montrer pour donner créance à ce men-
songe : « Quoi qu'on réponde, lui disait-il, il est nécessaire
que je puisse faire voir des articles ostensibles qui marquent
à M. le cardinal Altieri que je me suis employé de tout mon
pouvoir pour la réception de Nerli, qui nraccusent d'une trop
grande crédulité, etc. (3)... » Après la mort de Lioune, Louvois
écrivit à Melani : « Sa Majeslé n'a pas jugé à propos de rece-
voir M. Nerli pour nonce en France auparavant que M. l'évèque
de Laon ait été déclaré cardinal, à moins que ledit évèque ne
mandât lui-même que cela pourrait avancer son affaire (4). »
L'intcruonce Vibo ne fut plus admis chez le roi ni chez les
miuislres, et Louvois écrivait à l'évèque de Laon (5) : «< Je lui
ai déclaré qu'il n'aurait aucune audience ni de Sa Majesté ni
(1) Lionne à Vibo, .*> juin 1G71. I\nmc, 21 V. A lïvOque tle Laon, oO juin 1671.
Home, 215.
{•!) A Lionntî, 30 juin et U juillet 1C71. Rome. 214.
(H) Lp roi lui oriivit. en effet, nue lettre couforine à ce modèle et doot le
]iniicip.il f);ispa.if«* se termine ainsi : «... Et e'est là un inconvénient que ji»
Vois que vous n'avi z pns reiujuqu»^, quanti vous m'avez éaût si pressarnmenl
pour l'accfjtlafiou pré>ente iiuriif Nerli, ce gui fuérne me donnerait lieu de mus
accuser d une trop t/rande r rédu/i lé àaus une. uffaire où vous avez uéaniiioiuâ>
le principal intèn't. »i;8 août i()71. Home, 2[o.)
(4) 30 u»:IuImv KHt. l{omp,'Mi'K
(o) a novembre. Homey 2: G.
LE CHAPKAU DE CÉSAR D*ESTRÉES 485
de pas un de ceux qui ont Thonncur de la servir, qu'elle n'ait
eu une entière satisfaction sur votre chapitre. »
Mais bientôt Févêque-duc et la cour de France se heurtèrent
à un nouvel et grave obstacle, suscité par leurs indignes pro-
cédés. Le pape ayant eu avis que le duc d'Eslrées devait venir
prendre son poste auprès de lui, Allieri fit porter à Tévèque
de Laon un billet où il lui disait : Sa Sainteté est prête à rece-
voir l'ambassadeur, et compte que, par réciprocité, le nonce
sera reçu par le roi. Avez-vous quelque communication à me
faire (1)? Cetle simple question causa autant d'émotion à Saint-
Germain qu'au palais Farnèse. Réclamer la réciprocité entre
le pape et le roi de France! Comparer un nonce apostolique
à un ambassadeur français ! c'est ce que l'orgueil gallican no
put jamais supporter. La modération naturelle de Pomponne
répugnait aux insolences dont Lionne avait introduit la cou-
tume, et l'emphase de ses instructions au duc d'Ëstrées cache
mal l'embarras du nouveau ministre. Un mémoire ostensible
débutait ainsi : « La dignité du roi ne souiïre pas que la cour
de Rome puisse avoir d'autre part dans le choix ou la récep-
tion de ses ambassadeurs que d'accepter avec reconnaissance
l'honneur qu'elle reçoit du plus grand prince de la chrétienté,
jet d'une couronne dont les mérites sont si anciens et si conti-
nuels envers le saint-siège. Le droit et la possession (2) dans
ri) H jaDTier 1672. Rome, 218.
(2) Le droit n'a jamais varié : la loi de réciprocUé, à laquelle sont soiimlA
les 80uveraiu8 indépeadauts, n'était assurémeutpasamoiodrie par la réanioa
des deux puisFauces en la personne du pape. Quant À la possession, le duc de
Ctiaulnes, dernier auibo8sadenrà Home, écrivait en 1667 : « A propos de nonce,
j'tturais bien envie de faire quelque chose gui pût mettre le roi plus qu en pré-
tention d*agréer ceux que les papes nomment, n (A Lionne, !«' novembre.
Home, 187.) Plus tard, consulté par Pomponne, il répondit : Clément IX, s'é-
tant arrêté au nom de Bargellini, était sur le point de m'auuoucer ce choix,
lorsque je le prévins et lui demandai moi-même ce prélat de la part du roi,
avec paroles obligenules pour le pape qui, « ne pouvant rebuter ces civilités,
fut comme forcé d'accorder la demande que je lui fis, an lien de me déclarer
la nominaliou qu'il avait fuite de M. Bargellini. Et, comme les exemples à
Home sont souvent bien plus forts que les raisons et qu'ils autorisent les pré'
tentions el les ufTcrmiasent souvent, je crois que de ce dernier l'on pourrait
prétendre à Vavenir que non seulement le consentement du roi est nécessaire
pour le choix du nonce, mais que ce doit être à S. M. de proposer des sujets,
leuN partiiilités devant 6ti*e bien plus indilTéreiiteA au p&pë qu'au roi. » (20 jan-
vier 1672 : Mémoire de Af. le duc de Chuulnes sur les nonces, Itotne^ 218.) n fttut
456 CHAPITRE DEUXIÈME
lesquels est Sa Majesté de ne point recevoir les nonces qui
lui sont destinés, qu'elle n*ait examiné auparavant s*ils lui
sont agréables, et l'assurance qu*elle doit avoir, ou que le
palais de Rome n'approuve pas ces sortes de bruits, ou qu'en
tout cas il n'oserait les soutenir à la vue de son ambassadeur,
ne laissèrent pas délibérer un moment Sa Majesté d'or-
donner au duc d'Estrées de continuer son voyage (1)... » Or,
un mémoire confidentiel nous apprend que cette assuraace
manquait absolument au ministre et au roi(2). Ils s'expriment
l'un et l'autre avec peu de précision : ils n'ont aucun motif
de refuser Nerli, mais ils ont peur que sa réception ne paraisse
leur être imposée par la fermeté de la cour pontificale. L'am-
bassadeur devra la promettre dès son arrivée, mais en récla-
mant aussitôt la déclaration de M. d'Estrées. Ils voudraient
bien menacer le palais, en cas de refus, de fermer l'entrée du
royaume annonce même agréé; mais, disent-ils, « depuis que
le palais s'est voulu attribuer le droit d'accepter ou de ne pas
accepter l'ambassadeur» ce moyen pourrait paraître accom-
pagné de quelque inconvénient. » Et, comme la raison et la
jusliccleur échappent, ils ne mettent leur espoir que dans la
violence : « Parce que. dit Pomponne, dans une affaire de cet
éclat et dans laquelle le duc d'Estrées se trouverait opposé
dans Rome au crédit et à l'autorité d'un cardinal-neveu, il
importe qu'il soit en état de soutenir, même avec la force, les
marques qu'il lui voudrait donner du mécontentement de Sa
Majesté, Sa Majesté a jugé à propos, en cas que l'ambassa-
deur le juge nécessaire, d'appeler le cardinal d'Esté (3) à
Rome, de le prier de la part de Sa Majesté d'y venir bien
accompagné, afin que ce qui viendrait de gens à la suite de
ajouter qu'en /ai/, pour assurer plus d'efficacité au ministère de leurs oooces
et pour engager les cours catholiques à user de réciprocité, les papes avaient,
à diverses époques, comuiuui(|né aux priucen des listes de deux, trois et même
quatre noms, — et qu'ils avaitMit tenu compte des objeclious faites contre
certains prélats.
(1) 26 janvier 1072 : « Mémoire du roi au sieur duc d'Estrées^ son ambassa-
deur à Home. » {Recueil des instructions aux ambassadeurs, p. 203.)
(2) Second mémoire, daté du 28 janvier 1672. Rome, 218.
(3) On se rappelle le rôle odieux de ce prélat dans l'affaire de Créquy, et en
d'autres rencontres où les gens à la suite de ce prince firent couler le sang
dans les rues de Rome !
LE CHAPEAU DE CÉSAR D*ËSTRÉES 457
ce prince, et ce qui se pourrait réunir do Français dans Rome
k la maison de l'ambassadeur, le mettent en état de marcher
parla ville dans le dessein de ne faire pas arrêter son carrosse
à la rencontre dudit cardinal. » Enfin le roi autorise les deux
frères à réveiller l'affaire de Castro. Pomponne écrit à Tévêque
de Laon : ce II peut être bon de maintenir de temps en temps
cette prétention à la cour de Rome, et, comme me disait il y
a quelques jours l'abbé Siri (1), de réserver dans les besoins
questa spada arrugiiiila del trattato di Pisa ! »
La sag-esse de la cour pontificale s'appliquait à prévenir les
conflits que les Français recherchaient avec tant de témérité.
Clément X avait rappelé, dans les termes les plus mesurés,
le principe qui doit régir les rapports de Rome avec cette
couronne : « L'honneur du saint-siège demande qu'en rece-
vant un ministre de Sa Majesté on ne refuse pas celui du
pape (2). » La personne de l'ambassadeur lui était indifférente :
elle ne pouvait pas lui être moins agréable que celle de
Tévêque-duc. Il avait mis tous les torts du côté de Louis XIV
en lui désignant pour la nonciature quatre candidats dont le
caractère ne souffrait aucune objection (3), et il sacrifiait toute
vaine susceptibilité à l'avantage d'établir le plus tôt possible,
à Paris, un ministre habile et fidèle. Enfin, une troisième
place ayant vaqué dans le sacré collège, il convoqua pour le
22 février un consistoire où, après avoir déclaré que l'un des
deux cardinaux, créés in petto le 24 août précédent, était le
marquis de Baden, abbé régulier de Fulde (4), nommé par
l'Empereur, il éleva au même rang le P. Vincent-Marie
(1) Résident du duc de Paroie k Paris, 12 février 1672. Rame, 218.
(2) L^évêque de Laon au roi, 19 janvier 1672. Rome^ 218. u On ne parle plus
du refus de M. rambassadeur, mais seulement de la convenance réciproque
et comme nécessaire de la déclaration du nonce en môme temps, m {Ibid.) —
Le cariiinnl Altieri m'a mandé pour me dire qu'il n*a jamais refui^é riimha<«-
iadeur; qu*i) a seulement soutenu qu'il était do convenance que le nonce fût
agréé eu même temps; que tout autre bruit est faux. (Bourlemont à Pomponne,
18 février 1672. Rome, 219.)
(3) Uévéque de Laon au roi, 16, 17 et 23 février 1672. Rome, 218 et 219.
(4) L'abbé do Fulde a demandé la dispense de porter l'habit bénédictin,
mais le pape refuse : « la coutume est indispensable ici que les reUgicux qui
sont promus au cardinalat honorent l'habit de leur ordre. » M. de Baden s'est
cootenté de cett< réponse. (Bourlemont à Pomponne, 8 mars 1672. Rome, S19.)
458 CHAPITRE *DEUXrÈME
Orsini (1) et M. de Bonsy, et créa un troisième cardinal doÉ
le nom fut réservé. Personne ne doutait que ce dernier cfai-
peau ne fût destiné à Tancien Jésuite Nidhard, arclicvèqic
d'Édesse, présenté par TEspag^ie, et dont la déclaration dépct-
dait d*une négociation ouverte entre Rome et Madrid. Qk-
ment X avait donc observé les égards dus à toutes leseoi-
ronnes. L*Espagne n*était pas fondée à se plaindre d^ime
promotion où la maison d*Âutriche gagnait un cardinal poor
chacune de ses branches; mais, comme son candidat, Tarche-
vèqiie d*Edesse, n*élait pas encore proclamé, un rela/dail.poar
la ménager^ la déclaration de M. d'Ësirées; et cet ajounie-
ment ne pouvait être critiqué par les Français qui recevaient
une faveur exceptionnelle en la personne de M. de Bonsy.
Aussi Tabbé dn Bourlemont félicitait sa cour : « Après les
paroles positives, disait-il (2), que le pape et le cardinal-neveo
m'avaient données pour faire savoir au roi que les promotions
de Baden et de Toulouse iraient ensemble, je n*ai jamais cnif
quoi qu*on piit dire^ que Ton y manquât. Seulement, il était à
craindre que l'on ne porlAl raiïtiire jusqu'à la promotion des
couronnas... »
Mais, quoique la préséance de M. d'Estrées sur le cardinal
do Bonsy fût fixée depuis le 2 1 août i 671 , la jalousie de Tévêqur
(liic contre son collègue l'entraîna aux plus singulières extra-
vagances; il écrivit au roi (3) : « Le palais espère que la pro-
motion de M. de Toulouse satisfera Votre Majesté et servira
di' preuve des intentions qu'il a toujours eues de la contenter.
(1) Des ducs (le Gravina, ruiné de sa fuiiiille et qui avait cédé sod titre à
son Frère puîné. » Le courrier qui a été dépêché au P. Graviua pour lui porter
la nouvelle de sa prouiotiou rapporte qu'il a fait graude difficulté de recevoir
ct'tlc disrnllé. Cela obligera le pape à lui commander de Taccepter, aiusi qu'il
sVsl prati(|ué autrefois vers de.-^ religieui qui out voulu faire ces façons-ia- Le
)>at>e Alexandre VU eu u^^a ainsi à lej^ard du P. Pallaviciui, Jésuite. » (Boarle-
niont à Pomponne, 1*'' mars.) — « Le P. de Graviua a refus<i le cardionlat,
quelque instance que les cardinaux Palluvicini [uo autre que le Jésuite dool
ou vient de parler]. Honr.ompaguo et llossetti, qui se sont trouvés h Bt-tlogoe,
lui aient faite. Le courrier en est arrivé ce maliu et l'on en n dépéché un
autre avi'c un commandt-meut absolu que le pape lui fait irac^cpter. et fou
fait partir le ^rénrral des Jiicobius eu même temps pour l'aller per^ioader. -
(L'evéque de Laon au même, 2 mar«. Home, 219.)
(2; A Pomponna. 23 février 1671 liomc, 219.
(:\) 23 février. /?o;»f, 219.
LE CHAPEAU DE CÉSAR D*£6TRÉES 459
Dans la vérité, il est avantageux au service de Votre Majesté
que le nombre des cardinaux nationaux augmente et surtout
par un sujet capable de la servir; mais, Sire, les circonstances
en sont bien extraordinaires... Cette promotion, faite dans
l'instant de l'arrivée de M. l'ambassadeur, préjudiciera extrê-
mcnaent au crédit que les affaires de Votre Majesté demandent
qu'il établisse en cette cour... En mon particulier, après la
gloire d'èlrc martyr pour le ciel qui n'entre en comparaison
avec aucune autre chose, je n'en imaginerai jamais de plus
grande que de l'être du service et de celle m^me de Votre Ma-
jesté. » Non content de ses perfides iosinualions contre M. de
Bonsy (1), il dépêche en France son socrélîiire, l'abbé de Saint-
Martin Barez(2), pour faire défendre par le roi à Tarchevêque
de Toulouse de recevoir la barrette envoyée par le pape et il
écrit (3) : « Il n'y a personne dans toule la ville, hors ceux qui
sont de liaison avec le palais, qui ne dise qu'assurément Sa
MaJQslé ne recevra point le Cataloni (4), si ce n'est qu'il lui rap-
porte la déclaration du chapeau de M. de Laon; que c'est par
où elle commencera, quand elle saura sa venue, de lui faire
(lire et déclarer elle-m^me que, s'il apporte la déclaration,
elle consentira de lui faire l'honneur de le voir, mais que, sans
cela, il peut s'en retourner comme il est venu, ne voulant Ten-
l(M)dre ni le voir, ni admettre directement ni indirectement
aucune communication avec lui. On ajoute même tout publi-
quement qu'il ne faut pas douter que le roi (ainsi qu'en un cas
à i»eu près semblable le pratiqua Charles V) ne supprimât la
Cil lotte envoyée au cardinal de Bonsy, si elle n'était rete-
nue par la considération du roi de Pologne, à la nomination
(lu(]uel appartient cette promotion. Et même ils passent jns-
quesà dire que Sa Majesté ne ferait rien qui ne fut digue de sa
jirudence, s'il renvoyait ledit Calaloni plus vile qu'il ne serait
venu, et déclarât à M. le cardinal de IJonsy qu'il ne lui fera
(1) A Pouiponnp, nu* me jour. Ihid.
(2) Diinhîl <le Saint -Murtiu Barez oii de Barrez, abbé de la Cast^ Dieu (Pré-
inniilré),iiu diorèso d'Auch.
(:j) • Second m^nioin^ pour M. l'dbb.'î de Saiul-.M.irliu j»uup parler au roi et
à M. de Pomponijo. >. Home, 211).
{\) Labbé Calaloni, ininutante de la seçrélaireric d'État, chorgé de porter la
bairelle au Douveau cardinal.
460 CHAPITRE DEDXlfcMK
pas plaisir de lui parler en aucune manière des affaires di
Rome, jusqucs à ce qu'on ait réparé Tinjure faite à SaMajestf
et publié pour cet effet la promotion de H. Laon. » Louis XI?
ne daigna pas remercier Clément X de la grâce accordée à
M. de Bonsy : après Tavoir rappelée négligemment, il fitu
pape de longs et amers reproches sur la déclaration retardée
de M. d*Estrées(i). Puis, prenant avec le cardinal AUierile
ton d*un mallre irrité, il lui écrivit en ces termes (2) : n Entre
le choix que je vous donne de mériter mon amitié ou mon in-
dignation, je ne dois pas douter que vous ne preniez le parti
qui s'accorde le plus avec la gloire et la justice de Sa Sainlelé.
avec la satisfaction d'un prince qui sait et peut mieux recon-
naître les sentiments d'affection que l'un a pour lui, et avec
l'avantage et Tintérèt qui vous peut revenir plus sûrement de
la certitude de ma bienveillance et de mon estime. » Mais ces
nouvelles menaces étaient inutiles. Clément X avait donDéà
la cour de France le temps de réfléchir qu'elle abusait sc|nda-
leuscment du droit de présentation que la coutume lui recon-
naissait : le pape et la régente d'Espagne s'étant mis d'accord
sur les dini(*ultés qu'avait soulevées la situation personnelle
de Nidhard, Louis XIV put bientôt se flatter d'avoir introduit
violemment dans le sacré collège un des plus méprisables
évêques de son royaume.
Le duc d'Eslrées s'était embarqué, le 6 février, à Marseille,
pour venir prendre possession du palais Farnèse, où il de-
meurajusqu'à sa mort, en 4687. C'était un homme d'un esprit
étroit et commun, incapable de traiter les affaires ecclésias-
tiques. Son ignorance et la faiblesse de son caractère permirent
à son frère de prendre sur lui un empire absolu, et l'ambassa-
deur, inspiré parTévèque, se porta plus d'une fois à des actes
qui répugnaient à sa droiture naturelle. Reçu à Cività-Vec-
chia avec de grands honneurs, et à Rome avec la courtoisie li
plus empressée, il est comblé d'attentions par le pape etparAl-
tieri. Ce cardinal le visite incognito, « ce qui est une chose, dit
le duc, laquelle ne s'était pas encore pratiquée. . . avec aucunam-
(1) 10 mars. Rome, 219.
(2) il mars. Ibid.
LE CHAPEAU DE CÉSAR D*ESTRÉRS 461
bassadeur, et cela a été remarqué comme une très grande dis-
" tinclion pour moi(l). » Clément X Taccueille « d'un visage fort
ouvert », et lui dit, dès la seconde audience :« ...Lapromozione
è faita; la vogliamo dichiarare. » Le cardinal-neveu ajoute :
« Bisognava per questo un poco di tempo per poLer farlo con
fonore délia Santa Sede e qualche niezzi termini con li Spa-
nuoli. )) Le cardinal Borromeo, secrétaire d'État, lui fait remar-
quer « qu'en six mois Sa Majesté a obtenu deux chapeaux:
qu'il en a coûté deux au 1res, pour la symétrie, au cardinal
Allieri;... que le pape n'a fait encore que quatre créatures;
que, dans les quatre chapeaux donnés aux couronnes, il n'y
a, à vrai dire, qu'un Espagnol contre deux Français, et un
Allemand, qui véritablement est dépendant de la maison d'Au-
triche, mais qui est [l'abbé de Fulde, né marquis de Baden]
d'une nation en soi indifférente (2). » Pomponne avoue avec
plaisir que « la face de Rome est un peu changée et que la
venue de l'ambassadeur semble apporter quelque tempéra-
ment à la chaleur qui y paraissait auparavant (3). » Cataloni,
loin d'être chassé de Saint- Germaip, y reçoit le meilleur trai-
tement (4). Le pape fait partir aussitôt (23 avril) le nonce Ncrli
pour la France, et le roi est informé que l'évèque de Laon sera
déclaré dans un très prochain consistoire (5). L'ambassadeur
entend Clément X lui dire avec bonté : « Sara presto conso-
laiOy » et il écrit : « Je dois bien souhaiter la conservation du
pape; car je suis fort avant dans ses bonnes grâces, et, M. le
cardinal Borromeo Tétant allé voir après mon audience du
vendredi, Sa Sainteté lui dit que j'en usais d'une telle manière
avec elle que je lui avais gagné le cœur, et qu'elle avait une
si grande satisfaction de me voir qu'elle croyait que, si je la
voyais plus souvent, elle s'en porterait mieux (6). »
Dès le 16 mai 1672, l'évèque de Laon et l'archevêque
(1) Au roi et à Pompooue, 16 mars 1672 ; au roi, 22 mars, 6 et 12 avril. Romit
219 et 220.
(2) Au roi et à Pomponne, 12 avril. Romet 220.
(3) A l*évi^que dd Laou, 15 avril. Romey 220.
(4) Le roi au pape; Pompoune aux cardiuaux Altieri et Borro:n30, 23 avril.
Rome, 220.
(5) Le pape et Allieri au roi, 10 mai. RomCj 22U.
(6) Le duc au roi, 10 mai. Romey 220.
462 CHAPITRE DEUXIÈME
d'Edcssc étaient déclarés cardinaux. Le souverain ponli&
rapprit à Louis XIV par une lettre de sa main, et AUieri,r^
cevant les remerciements de l'ambassadeur, lui exprima, daes
un langage simple et élevé, digne d'un cardinal et duo mi-
nistre du pape(l), les meilleurs sentiments pour le prince et
pour la nation. Le roi répondit à Clément X et au cardinal
patron avec une courtoisie hautaine. Il disait à Altieri :« De
tout ce qui s'est passé dans cette affaire, je ne veux plus ou
souvenir que de la nomination que Sa Sainteté fit. Tannée der-
nière, du sieur évèque de Laon pour la dignité de cardinal, de
la déclaration qu'elle en vient de faire à cette heure, et de U
part que vous y avez eue. Je ne veux pas oublier toutefois tout
le temps qui s est écoulé entre deux, parce que je veux con-
server avec plaisir la mémoire de la promotion du sieur cardi-
nal de Bonsy. Je sais à quel point vos bons offices y ont con-
tribué. Je veux bien vous dire qu'ils m'ont été très agréables,
et vous reconnaîtrez en toute occasion que les soins de me
plaire et de me témoigner de Taffection, dans les choses qui
• regardent ma gloire ou mes intérêts, ne meurent jamais auprès
de moi (2). » Il écrivit en même temps à Tévêque de Laon :
« A présent que votre alfaire s'est terminée avec toute ma di-
gnité, je désire que vous changiez en assurances de monalTec-
lion et de ma protection pour le cardinal Altieri toute la fer-
meté que vous lui avez fait paraître auparavant; que vous
fassiez bien connaître au pape que la vénération et le respect
filial que j'ai toujours eus pour sa personne sont encore aug-
mentés par cette marque si effective de son amitié pour moi,
et qu'il peut, dans les occasions, se promettre do véritable»
preuves de la mienne (3). » Déjà, depuis quelques jours, César
d'Estrées daignait solliciter « des réponses extrêmement
tendres et obligeantes à Tégard du pape » et « dos expressions
douces et satisfaisantes pour le cardinal Altieri » (4). Son in-
térêt seul avait réduit le brutal prélat à cet effort passager de
modéralion : il n'était pas encore déclaré, et il savait que ses
(1) Bref au roi; le duc au roi, IG mai. Home, 221.
(2) Au pape et à Altieri, tî juin. Rnme, 221.
(3) Ibid.
^4) A Pomponne, 10 mai. Rome, 220.
LE CHAPEAU DE CÉSAR D*ESTRÉES i63
.3rocé(lés trouvaient de nombreux censeurs à Rome et en
.France. Le 16 mars, il disait au roi : Le palais m'en veut de
« la conduite trop haute que j'ai tenue avec eux sur TaiVaire
du nonce et sur ]a venue de l'ambassadeur. » L'abbé Vibo
écrit ici que, « représentant à un des ministres de Votre Ma-
jesté ma résistance sur la nonciature, votre ministre lui aurait
répondu ces mots en parlant de moi : Passons-lui encore ce
pas de clerc-là. » — Et le 10 mai, le duc d'Estrées, à Tinstiga-
tion de son frère, disait à Pomponne : « Par une audace qui
sans doute mérile d'être réprimée, Ugo Maffei a mandé au car-
dinal Mai dalchini(l), comme vraisemblablement il aura fait à
beaucoup d'autres, que je témoignais, à la vérité, de ladouceur
et de rhonnëteté, mais que je changerais bientôt ce procédé en
des violences qui me seraient inspirées par M. de Laon, par
M. Tabbé de Servient et par Jes abbés Scarlati et Melani(2). »
L'év6que-duc, en elfet, ne désarma pas, et, le jour même où
il fut déclaré, il écrivit à l'archevêque de Toulouse en termes
qui attestent la ténacité de ses ressentiments. M. de Bonsy
communiqua sa lettre à Pomponne (3) et lui prédit Tinfluence
funeste que le nouveau cardinal exercerait sur les rapports de
la France avec le saint-siège : « Je ne croyais pas, dit-il, d'avoir
mérité une lettre comme celle de M. le cardinal d'Estrées,
et je ne pensais pas qu'autre qu'un cardinal-duc pût quereller
personne dans le jour de sa joie et de sa pompe. Il commença
par recevoir très mal le compliment de mon agent (4)... et Son
(1) Qui était alors en Krauco.
(2) Homey 219 et 220.
(3) Je l'ai retrouvée, avec celle de Boasy, à la Bibliothèque de l'Ardeual, ms.
fr. n^ 6038 Papiers de la famille Arnauld, t. V. « Home, 16 mal 1672. Mooseigueur
Je me persuade qae la déclaratlou de moo cardinalat, que Mv^ Âltieri et tout le
•acre collège ont accompagnée de témoignages d^estime et de bouté que je ne
puis jamais mériter, sera une nouvelle d'autant plus agréable à V. K. que,
suivant ce que Tabbé Morel m'a dit de son opinion lorsqu'il partit, e//e ne le
croyait pas du tout si proche. Je n ai pas voulu manquer d'en informer V. É.
par cette lettre, en l'assurant que je suis avec beaucoup de respect et de vé-
rité, etc. »
(i) L'abbé de Bigorre. L'envoi de cet agent lui causa un vif mécontentement,
qu'il ne cacba pas au roi : L'abbé de Bigorre est arrivé. « Je dois remercier
infiniment V. M. de ce que, dans la lettre qu'il lui a plu d*écrire en faveur de
M. de Toulouse, elle a bien voulu se souvenir d'y parler de la déclaration de
oioD cardinalat, comme d'une chose qu'elle souhaite par préférence et qu'elle
464 CHAPITRE DBUXIÈMB
ÉmineDce m'écrivit aux termes que vous verrez, pour salisbÎR
sans doute à l'usage qui établit une certaine obligatioD à
donner part à tous les cardinaux de sa promotion. Onn y mék
pas d*ordinaire des plaintes, et, si on vivait de cette sorte, oi
ferait un scandale qui ne s'est pas encore vu parmi les cinE-
naux... S'il vit comme cela à Rome, il vous y fera biendei
affaires et vous donnera de Texercice. Cela n*est bon ni pour
le service, ni pour votre ministère qui. je m'assure, ne laissen
plus engager des choses si avant par les passions particolièrei
et par des tempéraments peu flegmatiques. Le palais ne d^
mande pas mieux que de vivre dans les bonnes grâces du roi,
si on use bien de la victoire; mais on craint un peu Tardeor,
la vengeance et Tirascible de celui qui a profité du grand res-
pect que Sa Sainteté et le cardinal Altieri ont pour le roi^àU
puissance et volonté de qui ils ont sacrifié tout intérêt...
Quatre ans avant que le roi eût écrit un mot à Rome en
faveur de M. de Laon, j'étais sur le tapis; ma nomination y
était admise par la protection de Sa Majesté. M. de Laon est
venu sur moi ; je n'ai pas souftlé, et, tant par la nature de son
affaire que par le leiiips que j'avais l'honneur de servir dans
les ambassades, j'aurais pu espérer que Sa Majesté m'eût
écouté avec sa bonté ordinaire. Je ne lui ai rien 6té quand on
m'a fait cardinal; cependant il m'attaque pauvrement, ce me
semble, et sans raison. Sil en use ainsi le jour de sa promo-
tion, il battra le monde dans la suite (i)... »
Nous sommes loin du temps où le célèbre d'Ossal, évêque
rt'garde comme iudépeodante des Douvclles propositions. » (8 décembre 1671.
HomCj 2iC.) — Des lettres nombreuses attestent les mauvais procédés de l'é-
voque de Laon envers Tabbé de Uigorre. La colère de M. d^Estrées fut portée
au comble par la nouvelle que M. de Bonsy allait venir à Rome avant ladécU*
ration de son confrère.
(1) 28 mai 1612. — Pomponne lui répondit : x J'ai cru. Monseigneur, Df
pouvoir me dispenser de faire voir... a S. M. ce que vous m'écrivez sur la
lettre que vous avez reçue de M. le cardinal d'Estrées et la réponse que vuas
y avez faite. Saus entrer dans la discussion de l'un et de l'autre, je vous di-
rai qu'il m'a paru que S. M. voyait avec quelque peine cette espèce de divi-
sion entre des personnes de votre rang et qu'elle affectionne ; aussi m'a*
t-elle commandé de vous écrire qu'elle sernit bien aise que l'amitié succédât I
ces petits démêlés et qu'elle le croyait avantageux pour son service. •< (7 juin
1672. Borne, 221.)
LE DUC d'eSTRÉES AMBASSADEUR 465 \
de Rennes et minisire do Ilenri IV à Rome, pouvait écrire li-
brement à ce prince : « J'ai encore estimé, pour le respect du
pape, n'être expédient à voire service, puisque j'ai à traiter
avec Sa Sainteté, que feutrasse en contestation avec elle pour
' mon propre intérêt.,. Aussi pourrai-je ci-après débattre avec
Sa Sainteté et soutenir vos droits en occasion semblable et en
toute autre avec plus de liberté, de fermeté et avec moins
d'offense sienne, et avec plus de fruit et de bon succès pour
votre service, quand j'aurai fait preuve en son endroit que je
ne me meus point de mon intérêt propre et que ce j'en ferai
ne sera que dans le devoir de ma charge (1). »
Le roi ayant ordonné au cardinal d'Ëslrées de demeurer à
Rome comme son envoyé extraordinaire et cardinal national,
les deux frères vécurent ensemble au palais Farnèse, qui était
redevenu, depuis l'arrivée de Tévêque de Laon, le rendez-
vous du parti français. Les hommes dont ils aimèrent à s'en-
tourer étaient, comme eux, des protégés de Lionne et péné-
trés du même esprit que le ministre défunt. Le premier rang
dans leur cortège appartenait toujours à l'abbé Elpidio Benc*
detli, agent du roi. La Buissière, maître de chambre sous
les ducs de Gréquy et de Chaulncs, reprit ses fonctions auprès
de leur successeur. L'abbé de Saint-Martin Barez^ amené
par M. de Laon, devint le secrétaire français de l'ambassade,
dont l'abbé de Sanctis était le secrétaire italien. Les nou-
velles du Vatican ou de Monte-Cavallo étaient apportées à
MM.d'Estrées par Tabbé Servient, camérier secret, prêt à trahir
le roi comme le pape, et que sa parenté avec Lionne fit d'abord
ménager par le duc et par le cardinal : cet abbé comptait alors
sur leur appui pour avancer sa fortune et s'appliquait à les
llatter en attendant qu'il se vengeât de leur prétendue ingrati-
tude (2). Celui qui avait toute la confiance du cardinal d'Ës-
Irées, et qui, selon ce prélat, « excellait à découvrir et à démê-
(1) Au roi, 19 janvier 1597. (Lettres, éd. in-12, t. Il, p. 351.)
(2) V. (le Dombreuaes lettres de cctatibé. Aome, 219, etc. ; uolammeot celle du
12 octobre 1672 à Pouiponue. Rome, 223. Lubbé sollicite les bieufuits du roi
pour le cardinal d'Estrées, malgré la défeuse formelle de ce prélat si désiu-
téressé, et par uo pur zèle pjur le service du roi! La mort du cardiiinl d'E^^t'i
laisse vacantes laprotectiou de France et l'ubbaye de Cluui : a qui les duuurr,
si ce n'est au cardinal a'Kstrces? u Ce serait une luariiuj ecldtiiule de Li pro*
LOL'18 XIV BT I.B SAlNr-SIÈOB. ~ 11. 30
466 CUAPltRg DEUXIÉMB
1er les aiTaires et les vues de celte cour, » était Alto Mclani,
auquel Clément X avait rendu, comme à Servient, son loge-
ment au palais et qui s*en fit ulors chasser pour toujours. Le
roi lui-même eut Tair d'abandonner ce fripon, non par scru-
pule, mais afin d'éviler un scandale préjudiciable à ses
affaires (1). En même temps que Louis XIV imposait aux
deux frères Téloignement de leur confident préféré, il les
forçait de conserver dans leur intimité un autre Italien, aussi
méprisable que Melaui, et dont ils ne songèrent point à se
séparer, taut qu'il les épargna dans ses délations : c'était Ugo
tectioQ da roi pour un cardioal qai o'est pas accommodé, qui est Touvraxf
de S. M. seule, et qui par U se seaiirait de lai-même eof^gé de rester et de
servir utilemeot à Rome, où il est déjà si estimé, sans flatterie, dans toutes
les' factioQs, qu'il y a peu de pareils exemples. S. M. pourrait, après une telle
grâce, le déclarer ambassadeur quand M. son frère partira... » Servient ne
manque pas de décrier le cardioal Orsioo, déjà com protecteur et par consé-
quent rival de M. de Laon pour la prolectioo : ■ Les sollicitations du cardinal
Urslu, dll-il, se détruisent d*elles-mèmes par la connaissance qu*on a si gé-
néralement de son caractère. » — Les fêtes à donner pour les victoires da roi
vont coûter cher à MM. d'Estrées. Si Ton ne donne pas Cluni au cardiual, il
devra, pour avoir une grosse abbaye, attendre la mort de Tex-roi de Pologne!
— M. d'Estrées eut en effet la protection, et peu après, l'abbaye de Sainl-Ger-
main-des-Prés.
(1) L'évèque de Laon à Pomponne et an roi (8 mars 1672. Rome, 219) : 11
dénonce la » persécution scandaleuse » que subit Melaui et demande que le
roi le prenne •< sous sa protection m. ~ ■ La protection de S. M., répond le
minisire, ne peut aller à le conserver dans le palais, si le pape ordonne qu'il
s'en retire, m ^16 mars 1672.) — « S. M. a été informée de divers endroits, et
par des personnes pour qui elle a autant de considération et de confiance au
lieu où vous êtes, que, la manière d*agir de Tabbé Melaui étaut très désa-
gréable à Rome, même parmi ceux qui sont le plus attachés à S. M., il appo^
terait un notable préjudice à ses affaires tant qu'il paraîtrait que les ministru
de S. M. s'y servissent de lui... » Mais le roi, qui est satisfait de son zèle,
permet que son départ de Rome soit expliqué par une mission à Florence.
(25 mars 1672. Rome^ 219.) — « S. M. n'a point pris la résolution qu'elle vous
a communiquée sur son sujet sur aucune considération des mauvais offices
qui peuvent lui avoir été rendus par le palais, puisque^ bien loin de lui nuire,
ils lui auraient dû acquérir quelque mérile aupi'ès d'elle. C'est par les per-
sonnes les plus considérables et les plus attachées aux intérêts de S. M. a
Rome qu'elle a su que la confiance que ses ministres paraîtront prendre audit
abbé Melaui nuirait à son service. » Le roi d'ailleurs réserve cet abbé pour
Tavenir et lui continuera ses bienfaits. (18 mai 1672, Pomponne à Tévêque de
Laon.) — Ce ministre renouvelle ces assurances dans une lettre du 6 juin. {Rome,
221.) — Melaui fut eu effet appelé à la cour, où le roi, avaut de le renvoyer
en Italie, lui donna eucore pensions et bénéfices : il reparaîtra souvent dam
nos récits.
LB DUC d'eSTRÉES AMBASSADEUR 467
Maffei, lo même qui avaît envoyé en France des récits trop
exacts sur les emportements de Tévèque-duc et, sur « il suo
spirito torbido simili a quelle del padre. » Servienl fut chargé
de révéler au roi la conduite de son pensionnaire : \]go
Maiïei, dil-il, va aussi souvent chez les Espagnols que chez
nous (1). Il a pour secrétaire un autre espion, Tabbé Gallo (2),
adonné à l'astrologie. « Une se sert do l'introduction qu'il ne
manque guère de rechercher parmi les personnes même par-
ticulières qui peuvent être mal ensemble, que pour achever du
les rendre irréconciliables par ses rapports... » 11 est « Thorreur
déclarée de toutes les antichambres. » Le duc d'Ëstrées eut
beau écrire : On ne devrait pas laisser impuni un homme « qui
s*est acharné contre nous au point qu'il a fait, sans fonde-
ment... C'est un fait que M. de Créquy Ta chassé du palais
Farnèse comme un espion, et Vagnozzi (3) m'a dit qu'il eut
ordre en ce temps-là de le suivre... Je u*ai jamais vu un pen-
sionnaire plus inuûle au service de son prince... » Sur les
ordres répétés de Pomponne, les deux frères durent rendre
leurs bonnes grâces à Maffei (4), dont les rapports ne cessèrent
pas d*ètre reçus avec faveur par le ministre. Les délateurs
Vagnozzi et Gallo qui, on le voit, soutenaient leur ancienne
réputation, continuaient d'avoir pour émule, à Farnèse, le
P. Ripa, qui avait surpris la confiance de quelques personnes
dans la maison Allieri, et pour lequel une gratification extra-
ordinaire fut demandée (5). Bourlemontseul se tenait à Técart
et conservait la dignité de sa robe : il avait bien vite reconnu
l'incapacité de l'ambassadeur, et il était déjà fatigué des allures
querelleuses du cardiual ; il se plaignait à Pomponne et récla-
mait un emploi dans le royaume (6).
Louis XIV ne se contentait pas de Tautorilé légitime que
(1) A Pomponne, 10 mai 1672. Rome, 220.
(2) Autre pensionnaire de France.
(3) Antre protégé et pensionnaire de Lionne et du roi. V. ci-dessus, pas^tim,
sartous ces misérables, si souvent cilés dans les dépêches du duc de Cbaulnes,
de l*abbé de Macbaut et de la Buissiërc.
(4) Le duc à Pomponne, 16 août 1672. Romef 222, et plusieurs dépêches du
même Tolunie.
(5) A Pomponne, 7 novembre. /?om^, 223.
^6) A Pomponne, 2 et 21 févrior 1672. liomt\ 218 et 219, etc.
468 CHAPITRE DEUXIÈME
lui assuraient auprès du saint-siège la prééminence de sa cou-
ronne et la prédilection invariable des papes pour la nation:
il descendait, pour faire réussir ses desseins, aux plus basses
manœuvres de la politique. A peine arrivé à Rome, Tévéque
de Laon avait conclu un traité secret avec un cardinal, dont
personne ne soupçonnait alors la vénalité (1), et que sa grande
réputation semblait désigner pour la tiare : le cardinal Alde-
rano Cybo, issu de la famille d'Innocent VIII, qui avait rempli
des charges importantes avec une parfaite intégrité, accepta
du roi une pension secrète de 12,000 livres, qui fut portée
plus tard à 18^000(2). — La faction française ayant perdu
(i) Dans les iostructioas de l'évèque de Laoo, Lionne raconte ainsi le début
de Id Dégociation : « Dans Toccasion da retour de Rome de l'abbé Bigorre, le
cardinal Cybo, sujet de mérite et de naissance, créature du pape Innocent,
mais qui ne s*cst jamais lié avec ceux de TEscadron, écrivit une lettre au roi
eu créance sur ledit abbé, lequel dit, de la part dudit cardinal à S. M., après
plusieurs compliments, le grand désir qu'il avait de la servir et de 8*alt-ich<v
à tons ses intérêts; en substance que, si S. M. voulait bien le gratifier st-
crèlement (Tune pension annuelle de f 8,000 francs^ il engagerait sa parole el
son honneur de rendre ^sincèrement et invariablement à S. M. ses services tn
taule sorte de rencontres d'affaires^ avec la même passion et la même fidélik
et dépendance que les lui saurait rendre le plus zélé cardinal français, w»i
aucujie distinction ni différence, et nommément, dans les conclaves , marcherait
toujours et donaerait ses sutTrages, soit pour les inclusions ou les exclusion?,
selon qu'il lui serait prescrit par l'ambassadeur de S. M., ou par tel autre
cardiual ou miuistre qui aurait alors en main la direction de sa faction el de
ses iutérêts... Voici maiuteuant, en peu de mot:?, quelle est la réponse que
S. M. désire que ledit sieur évoque [le Laou] lui fasse : que, s'il veut se dé-
clarer ouvertement du parti du roi et mettre les armes de France sur sa porte.
S. M. lui accordera bien volontiers les 6,000 écus de pension qu'ii a demandes
et même, avec un peu de temps, les lui donnera en bénéfices ou en peusioos
ecclésiastiques; mais que si, pour ne pas se faire de préjudice sur les prè-
teiiliouâ qu'il peut fort justement avoir un jour an pontificat, il aime mieux
servir S. M. secrètement en la manière quMl l'offre, elle lui donnera aussi se-
crètement 4,000 écus de pension annuelle qui lui seront toujours très pooc-
luellement payés des propres deniers de son trésor royal. » (6 mai 1671.
Recueil des instructions, pp. 2^)0-2^1.) Lionne écrivit en outre à Cybo une lettre
eu créauce sur l'evôque de Laou. (7 mai. Home, 205.) Le marcbé fut bientôt ter-
miné. (L'évèque de Lion au roi, 30 juillet 1671. Rome, 203.)
(2) Dès à présent, il me promet des avis, et nous réglons par qui nous com-
muuiquerons. « )1 mène une vie fort retirée et selon les mesures d'un prèten*
daut. » S*il avait plus de bien, il aurait servi le roi, dit-il, sans rieu deman-
der; il a toujours été français dans le cœur, môme sous le cardiual Mazarin,
cl l'a prouvé daus le dernier conclave, h Dans tous les suivants, il se sou-
mettrait aux seutimeiits de V. M. pour les exclusions et pour les iuclusiou»,
et ne manquerait pas de les suivre en toutes rencontres... Le cardiual Cybo
LE DUC d'eSTRÉES AMBASSADEUR 409
deux de ses membres, Antoine Barberiniel Renaud d'Esté^ le
cardinal d'Estrées lenta de combler les vides en altachant au
service du roi les cardinaux Roberti, Nini et Cerri; mais il
échoua dans ces démarches (1). Il ouvrit bientôt une autre
négociation avec le cardinal Frédéric de Hesse, créature
dlnnocent X, disposé à passer publiquement de la faction im-
périale dans le parti français : il avoua que son collègue
n'était « pas extrêmement fondé en théologie »^ mais il le
vanta comme ayant « beaucoup de hardiesse et de courage, et
capable, dans une action d'éclat, de hasarder toutes choses. »
Louis XIV trouva trop élevé le prix du prélat allemand, et
le cardinal français fut très mécontent que la France ne
fit pas cette acquisition, qui aurait illustré l'ambassade de
son frère (2) !
La France avait-elle donc besoin de tant d'étrangers pour
défendre ses légitimes intérêts, auprès du saint-siège? Le
duc d'Ëstrées, malgré la conduite de son frère, ne trouvait-il
pas, auprès de Clément X et de ses ministres^ le même accueil
que le duc de Chaulnes? Les ennemis avoués ou secrets du
saint-siège n'avaient qu*une voix pour attester la douceur,
rintelligence et l'activité du vieux pontife. C'est précisément
à cette époque que le cavalier Antonio Grimani, ambassadeur
est très estimé dans cette cour; il passe pour un grand ecclésiastique et ou
le oomine constamment entre les sujets papables. » (L'évèque de Laon nu roi,
3 août 1671. Rome, 214.)
(1) « Quoiqu'il soit impossible de remplacer nn cardinal d'Esté et un cardi-
dinal Autoine, il sera toutefois très avantageux de pouvoir gagner quelque
Italien, n (Mémoire du cardinal d'Estrées, 5 octobre 1612. Rome, 223.)
(2) Mémoire du cardinal d'Estrées, 23 octobre 1672. — Pomponne au môme,
4 novembre. — Le même à Pomponne, 23 novembre : « Pour mol, je n*ai
garde de rien répliquer aux ordres de S. M. Vous savez, Monsieur, voùis sum^
mum judicium Du dedére; nobis ohsequii gloHa relicta eft^. Mais je ne puis
m*empécher de dire pour vous seul que, selon les connaissances que j'ai de
cette cour, qui ne m'ont pas trompé jusqu'à cette beureet qui me tromperont
oucore moins à l'avenir, parce que le temps les fortifiera, rien ne pouvait
être d*un si grand éclat pour le roi et d'un si grand décri pour TEspagoe
qa'nne telle déclaration dont je ve trouvais pas le traité difficile,,. Je ne puis
voir sans beaucoup de regret échapper une occasion si favorable et de quelque
distinction pour l'ambassade de M, le duc d^Estrées. » (A Pomponne, 23 no-
vembre 1672. Rome, 223.)
a. Cette parole, attribuée, par Tacite (Annn/., VI, 8), à l'un des plus serviles sujets de Til>èrt,
est bi«D placée sous la plomo de César d'Estrées.
470 CHAPITRE DEI7XIÈMC
de Venise, disait de lui (1) : « Il est maintenant dans sa quatre-
vingt-deuxième année; mais sa vigueur naturelle elle régime
auquel il 8*est depuis longtemps soumis ne laissent pas deviner
par quelle voie secrète son corps pourra être envahi par Taffai*
blissement final {gfi ultimi languori). Son tempérament fait
d*ailleur£ croire que ce lermeestcncorc éloigné, quelque avancé
que soit son àgc, quand on pense aux précédents de sa familier
son grand-père ayant vécu cent cinq ans sans infirmité, et son
oncle paternel ayant atteint quatre-vingt-quinze ans. Tous s'ac-
cordent à louer la délicatesse angélique de ses sentiments, son
humilité, sachante,^ sa droiture, ses inclinations généreuses; et
il est certain qu'il ne dissimule pas son déplaisir quand il ne
peut accorder une faveur aussi promptement qu'il le voudrait.
Malgré son élévation, il n'a rien changé jnsqu*à présent à la
simplicité de sa vie, de ses vêtements, de son service. II
expédie avec promptitude les affaires qu*il peut traiter person-
nellement (è diligente nelle operazioni permessegli dalla sua
habilita). Il est, autant que sa mémoire lui permet {per
qiianto gli è dalla memoria pejinesso)^ très circonspect dans
l'emploi des deniers de TEglise, aimant à répéter qu'il n'en est
pas le maîlre mais seulement Téconome, obligé d'en rendre
c >mpte à un souverain qui voit tout. Rien ne révèle en lui un
excès d'affection pour ses parents, qu'il regarde plutôt comme
des cWenis {dipend€7Ui), ei, s'il répand sur eux ses bienfaits,
c'est plutôt pour récompenser leurs services que pour fonder
une nouvelle maison pontilicale... Consacrant de longues
heures à la prière, il répète que sa haute charge est au-dessus
de ses forces, mais qu'il demande à Dieu de faire un usage
irréprochable (A/^o sincero) de ses faibles talents dans une
place qu'il n'a point souhaitée... Quant aux princes, il a cou-
tume de dire qu'ils mériienl e^^tim»^ et bienveillance (che devons
es<;ere stimati e favoriti), et il témoigne une considération et
une amitié particulière pour Votre Sérénité. » Le duc d'Estrées
s'exprimait dans les mêmes termes : « Je ne puis, disait-il.
assez représenter à Votre Majesté l'effet que produisent ici.
dans la personne de son ambassadeur, le respect et la véné-
(1) Belazione du 15 novembre 1G71. Re/azioni di Roma, t. l\, p. 356.
LE DUC D*£STRÉES AMBASSADEUR 471
ration qii*on a pour Votre Majesté. J*ai trouvé un bon visage
au pape, qui ne m'a pas paru manquer de mémoire dans une
conversation que nous avons eue, le cardinal Ursin et moi,
avec lui, et, selon les apparences, à moins qu*il n*arrive quel-
que accident, il n'est pas pour finir sitôt ((}. » — « L*occasion
s'en étant présentée, il me conta Tordre qu'il avait apporté
dans la cherté du blé^ ce qui est très louable et d*une grande
charité, et comme il faisait bâtir une maison afin que^ dans
de pareilles nécessités, l'on pAt encore mieux pourvoir au
soulagement du peuple. Je lui dis qu'il avait bien témoigné
la reconnaissance de ce qu'il devait à un si bon pape par ses
cris de joie, le voyant en si bonne santé, à la procession. Il me
répondit qu'étant allé Taprës-dinéc à Saint-Pierre, c'avait été la
même chose, mais qu'à me parler sincèrement, il aimerait
mieus que cela ne fût point, voyant qu'il ne le méritait pas;
et me dit par deux ou trois fois, me témoignant beaucoup de
regret, qu'il ne s'acquittait pas comme il devait de Temploi
qu*il avait plu à Diim lui donner, mais qu'il fallait considérer
qu'il était dans un âge bien avancé lorsqu'il y avait été appelé,
me faisant entendre en quelque façon qu'il eut plulôt sou-
haité ne l'avoir point. Ces sentiments ne sont pas aifcctés, et
quand il entre sur ce sujet avec ses plus confidents, il en parle
ainci (2). » Le vigoureux vieillard ne connut pas la décrépi-
tude et il devait tomber tout d'un coup; il ne fut jamais ce
pontife impotent dont parlent des récits mensongers, et sous
le nom duquel se serait établie la domination personnelle et
absolue du cardinal Altieri. En e(Tet, quatre ans plus tard, un
autre ambassadeur de Venise, Pierre Mocenigo (3), montre
encore Clément X, levé en plein hiver à sept heures de la nuit,
priant ou lisant l'office jusqu'à onze ou douze heures, enten-
( 1 ) A'] roi, 6 ETril 1672. Rome, 220.
(2) Le duc au roi, 22 juin 1612. fiome, 221.
(3) Belazione du 26 février 1676. Relazioni di Roma, t. IT, p. .373 et sulv. — Mo-
cenigo est beaucoup plus uialvoillant que Grimani pour la cour de Rome.
L>diteur moderue, eoucmi du saiut-siège, nou» apprend iui-uième qu'avant
i)*antoriser la lecture de cette »atir.^ les Prtfgadi firent sortir t papalisti, cioè
tutti guelli che aveano rapporti od aderenze colla corte di Roma. Il ajoute que
les couteuiporains joiguaient habitueilemeutà cette relazioni une lettre in cui
sono confutali gli argomenti del" ambasciatore e difesa la corte di Roma dallé
accuse del Mocenigo : mais l^auteur se garde bien de publier cette rèfutatioD.
472 CHAPITRE DEUXIÈME
dant alors la messe et, après la cioccolaia^ commençant, dès
que le soleil paraissait, à recevoir en audience les ministrei,
c'ent-à-dire le dataire, le secrétaire des brefs et les autres,
suivant Tordre réglé pour ses journées (1). « Voici la sixième
année depuis son exaltation, ajoute le Véaitien, et Ton peat
espérer que ce ne sera pas la dernière, tant il se porte bien, si
un accident imprévu ne vient à le frapper. »
Le principal de ses dipendentt\ le cardinal Altieri, justifiait^
il, dans Texercice du padronatOy les heureux présages que k
duc do Chaulncs et Tabbé de BonPils avaient tirés de sa vie
antérieure? Il faut bien avouer que son seul crime était de
n*avoir pas procuré plus tôt la pourpre à Tévéque de Laon, et
le cavalier Grimani nous le représente aussi comme parfaite-
ment digne du poste auquel Clément X Tavait élevé : « Il a,
dit-il (2), une grande expérience et pratique de Rome et de
cet État, où il a rempli de nombreuses charges, notamment
celle d'auditeur de la Chambre. Il a de la résolution dans le
conseil; ses mœurs sont pures; ses intentions droites; il est
véridiquc; il manque parfois de flegme, mais il se domine
presque toujours. Il est admirable par son respect pour sa
mère, no laissant jamais passer un jour sans lui rendre visite
et lui demander sa bénédiction. Il s'applique à détourner du
pape tout embarras, et ne laisse point arriver jusqu'à lui les
nouvelles qui raffligeraient. Il est fort attaché à ses amis, qui
peuvent compter sur sa reconnaissance et sur son désir de les
servir. Aucun de ses actes ne révèle jusqu'à présent qu'il ait
des vues contraires aux inclinations de Sa Sainteté, ni une
grande ambition do s'enrichir; mais il a eu ce bonheur qu'eu
peu de temps sont survenues bon nombre de vacances consi-
dérables. Il s*amusc (si irai lie ne) à bâtir, et il a des goûts de
magnificence qui peuvent faire supposer qu'il est riche, tandis
qu'il concilie la grandeur et la prudence [so^tenendosi Ira il
nobile e il prudente). Il se montre, avec toute sa maison, fort
reconnaissant envers Votre Sérénité de son admission au pa-
triciat vénitien, et il professe publiquement l'estime que la cour
(0 T. H, p. 382.
(2) T. n, p. 338.
LE DUC d'eSTRÉES AMBASSADEUR 473
!. doit avoir, par tanl de raisons, pour la Sérénissime République.
-\ Il fait tous ses efTorts pour que la vieillesse et la bonté du
: pape n'affaiblissent pas le respect dû au gouvernement, et jus-
qu'à présent sa conduite envers les princes a toujours été ins-
pirée par la sagesse. »
Les couronnes, et la France en particulier, étaient-elles
fondées à se plaindre du choix des ministres appelés au palais
par Clément X et par Allieri? Nous avons déjà cilé le témoi-
gnage si favorable de Chaulnes; le Vénitien Grimani tenait le
même langage que Tancien ambassadeur de Louis XIV : Fe-
derigo Borromeo, secrétaire d'Etat, âgé de soixante ans,
« mérite le plus grand respect par la noblesse de sa naissance
à laquelle répond la beauté de son génie, par sa générosité,
son désintéressement, sa droiture, par Tétendue de ses con-
naissances et par ses talents. Il a passé trente cinq années dans
les charges et dans les gouvernements de l'Etat ecclésiastique;
il a été dix ans nonce en Suisse, gouverneur de Rome et enfin
nonce en Espagne... Il est aimé et considéré des Français
comme des Espagnols, et, j'en parle avec assurance, il a l'es-
time de toute la cour et de tous les gens de bien... Il est cher
au pape, qui l'a investi de sa confiance... Il a une grande dé-
férence pour le cardinal Altieri, et comme sa conduite ne per-
met pas de soupçonner qu'il veuille étendre son pouvoir, l'u-
nion règne entre les deux prélats... » — La datcrie avait été
donnée à Gasparo Carpegna, vieilli dans la difficile magis)
trature de la rote, et tenu en haute estime (biton concetto-
par la cour. — Enfin Clément X avait attaché à sa per-
sonne, comme maestro di caméra et conseiller intime, Ca-
millo Massimi, âgé de soixante ans, bien connu pour ses
vertus (molia virtù) et pour sa grande expérience : d'abord
clerc, puis doyen de la Chambre; ancien nonce à Madrid,
gouverneur du dernier conclave, et qui avait, dit Grimani,
conquis dans ces divers emplois une réputation des plus
éclatantes par sa prudence et par sa générosité (1). — Ces
trois ministres avaient été créés cardinaux, dans la promo-
tion du 22 décembre 1670, et leur crédit n'avait fait que s'ac-
(1) T. H, p. 359.
474 CHAPITRE DErXtÈME
croître auprès du pape et dans toutes les factions du sacré
collège.
Telle était la cour pontificale, au moment où le duc etk
cardinal d*Estrées, détournant leur attention de leurs alTair»
personnelles, la portèrent enfin sur les intérêts communsdek
couronne et de l'Église.
CHAPITRE TROISIÈXfE
ENTREPRISES DE LA COURONNE SUR LES LIBERTÉS ET SUR LES BIENS
DE l'église. MISSION SECRÈTE DE L*ABBÉ COGQUELIN A ROME. 1673.
A^re^sioD de Lonis XIV contre la Juridiction spirituelle. Clément X reprend la lutte aa point où
elle a été interrompuo par la mort de Clémont IX. Décret pontifical (août 1670) qui répond
à l'arrêt d'Agen (mars 1600) sur les rapports des évéques avec les réjaliers. IjO Far'ement
interdit la publication de cette bulle, et le roi défi'od à l'assemblée du clergé d'en délibérer.
Cr«klit croissant de« prélats français ho^til^s au saint-siège. Harlay de Cbamptallon est nommé
archeTéque de Pari*, et Gilbert de ChoisenI du Plessis-Pr.islin, évéque de Tournai. — Alarma
causées en Europe par l'inTasion de U Hollande. Manœuvra de Louis XIV pour p-rsuadcr à
Roroo que ses desseins sont dé<<intére8!»és et pacifiques : il modèrt pendant quelque temps le
xèle iraca<sier de MM. d'Ëstrêe». Clairvoyance et impariialité d-) Clôment X, qui s'applique à
maintenir la piii eu Italie. — Vaste plan formé par Louis XIV, le Tellier, Louvois et l'ar-
chevêque de Hcims pour faire supportnr à l'Ég'ise une gr.inde partie de^ dépenses milita res.
Edit de lft7i qui p'ace entièrement sous la main du roi les ordres de Sa-nt-Lasare ot de
Notre- Dame-du-Munt-C^rmei, et en agrandit arbitrairement les possi'ssions aux dépens d'autres
instituts ecclésiastiques. Quand l'édit est publié et déjà en cours d'exécution, le roi veut en
impos'^r la ratification au pape. Mission de l'abbé Cocquelin à Rome, cachée à Pomponne et à
IIM. d'Ëstrées. Il est chargé de requérir, outre la trausformition des ordres précités : 1* la
«uppression et la i*ét!ularisation des petits monastères: 2* une extension démesurée de la
commende au profit de la couronna, dans toutes les maison^ ^soumises à la règle de saint
Benoit ; 1* le droit pour le roi de mettre des pensions, au profit de toute personne, sur tous
les bénéfices à sa nomination, jusqu'au iit*rs du revenu ; 4* l'approb ition d'un édit (mars 1673)
créant des officiers royaux, dont l'emploi sera obligatoire pour tous les Français dans leurs
ci>mmnnication4 avec le saint-sièg-^. même en mitière spi>'ituelle. Clément X donunde que
les deux èJits soient retint ou suspendus. Prétentioas gallicanes sur l'autorité de la couronne
d iiis le règlement des affaires ecclé.'tia «tiques. Bref de Clément X à Louis XIV, 22 avril 1673.
Intrigues de Cocquelin contre MM. d'Bfttrées : droiture du cardinal Altieri, qui refuse de s'y
j><K>rier. Fchor et départ de Cocqueliu : ta colère et sei menaces de vengeance.
Un des premiers actes de Clément X laissa chez Louis XIV
un profond ressentiment. On se rappelle Y arrêt dAqen qui,
sous Clément IX, avait attribué à la couronne le droit de ré-
gler les différends purement spirituels entre les évèques et le
clergé régulier, et de contrôler la discipline ecclésiastique,
dans les cas mêmes où TEglise ne réclame pas Tassistance du
pouvoir civil. Les plaintes i\i nonce ayant été méprisées. Clé-
ment X répondit à celte agression, comme l'aurait fait son
prédécesseur, si la mort lui en avait laissé le temps. Un décret
ponliKcal détermina les droits respectifs des ordinaires et des
religieux avec une prudence que Tabbé de Bourlemont lui*
47j chapitre TROISIÈBIE
m^me s'empressa de reconnaître : a Le pape, dit-il (1), a fût
publier la présente constitution que j'envoie à Votre Majesté»
qui déclare jusqu'où s'étendent les privilèges des réguliers
pour la confession et prédication. Plusieurs desdits régulien
sont mal satisfaits ici de cette constitution qu'ils disent éire
toute à l'avantage des évèques. Comme le pape, étant prélat,
a exercé longtemps les fonctions de Tépiscopat au diocèse de
Gamerino, dont il était évèque, et, depuis, a eu la charge de se-
crétaire de la Congrégation des Évèques et Rég-uliers, il cod-
naît la subordination des réguliers aux évèques, quant à l'ad-
ministration des sacrements et à la parole de Dieu qui leur sont
commises. » L'arrêt du 4 mars 1669 avait si manifestement
empiété sur le spirituel que Louis XIV lui-même, pour ras-
surer les consciences, avait voulu y joindre la sanction ponti-
ficale ; mais (ce qui montre à quel degré d'orgueil ce prince
était déjà parvenu), après avoir surpris l'Eglise par la pu-
blication de son arrêt, il ne tolérait pas que le pape se défendît
ni qu'il réglât de son côté la même matière sans l'approba-
tion préalable du roi de France. Lionne écrivait à Bourle-
mont (2) : « Quand l'arrêt du conseil du roi fut donné,... leroi
fit connaître par mon moyen à M. le nonce qu'il serait bien à
propos que Sa Sainteté le voulût autoriser par une bulle qui
achèverail d'établir l'union entre tous les évèques du royaume
et les réguliers, en sorte qu'elle ne pùl plus être altérée, parce
que toutes leurs prétentions respectives s'y trouvaient réglées.
J'ajoutai que, si Sa Sainteté voulait faire sabuUe entièrement
conforme à l'arrêt, Sa Majesté la ferait recevoir par tout le
royaume sans difficulté ; que, si elle y apportait quelque chan-
gement, il faudrait qu'elle eut agréable d'envoyer sa constitu-
tion à M. le nonce, lequel me la communiquerait secrètement.
On lui dirait avec ingénuité ce qui pourrait ou ne pourrait pas
passer dans le royaume selon nos mœurs et nos usages, et
que Sa Sainteté là-dessus prendrait de nouveau ses résolu-
tions pour y changer, ajouter ou retrancher, ainsi qu'elle avi-
serait. Cela veut dire qu'on ferait la chose avec un concert
(1) Au roi, 5 août tC70. Rome, 210.
(2) A BourlemoDt, 29 août 1670. Romt, 207 et 210.
ENTREPRISES SUR LES LIBERTÉS DE L*ÉGLISE 477
secret) afin qu'elle ne trouvât point d'obstacles et que Sa Sain-
teté ne se compromît pas avec les Parlements ou avee les
évëques. Tout cela s*est exécuté jusqu'à un certain point; car
le nonce ma communiqué, depuis trois semaines, une copie de
la bulle signée par un notaire apostolique, et je lui promis
d'en faire examiner toutes les clauses par des personnes
intelligentes, et de lui dire si le roi pourrait employer ou non
son autorité pour la faire recevoir, et en cas que non, lui
donner un mémoire bien raisonné des considérations qui
Tavaient empêché. En effet, on avait travaillé bien avant à ce
mémoire ; mais la publication de la bulle qui s'est faite à Rome,
avec leur permission, fort imprudemment, a rompu toutes nos
mesures et gâté tout notre concert; car il y en a déjà plus de
cent exemplaires dans Paris et je ne doute nullement que, dès
qu*il en viendra quelqu*un entre les mains de M. le procu-
reur général, il ne se croie obligé par le devoir de sa charge
de requérir le Parlement de donner un arrêt par lequel il
recevra son appel comme d'abus de ladite bulle, et cependant
défenses de la publier , et ensuite tous les autres Parle-
ments en useront de même. Je ne doute pas non plus que l'as-
semblée du clergé qui est à Pontoise ne s'élève contre cette
constitution, et je ne saurais assez exprimer le déplaisir qu'a
Sa Majesté que, par le pas qu'on a fait à Rome contre le con-
cert (i), on Tait mis en état de ne pouvoir entrer dans cette
aiïaire; car elle n'ira pas^ comme vous le jugez bien, prendre
l'intérêt des réguliers contre celui de tous les évêques de
France et contre tous les Parlements, qui ne manqueraient pas
de soutenir, les uns et les autres, qu'ils n'ont d'autre but que
de maintenir les droits et les [usages du royaume... )> Lionne
savait bien qu'il ne s'avançait pas trop en menaçant le souve-
rain pontife des évèques réunis à Pontoise et du Parlement :
car ces deux compagnies ne faisaient rien que par ordre de la
cour. Par un arrêt du 42 septembre 1670, le Parlement défen-
dit la publication de la bulle. L'assemblée du clergé voulait
imiter les juges séculiers en soumettant à son examen le décret
(1) Mais, encore une foisjaquelle des deux puissaucea avait attaqué l'autre?
Le roi pirlait-il de concert avant son arrêt?
478 CHAPITRE TROtSlÊME
pontifical; mais Louis XIV lui fit défendre par son présiden
Harlay de Champvallon, de rien mettre en délibération sur
ce sujet, avant les explications attendues de Rome. Le
18 novembre, quand il fut certain que Clément X maintenait
sa constitution, une partie desévèques voulaient pousser plas
loin la résistance ; mais le roi leur imposa silence, en se réser-
vant la connaissance de l'aiTaire, et les congédia brusquement
deux jours après (20 novembre) {{).
Ainsi Louis XIV éprouvait peu à peu la docilité de ces
assemblées ecclésiastiques qui allaient être les auxiliaire5 de
ses eutrcprises contre le saint-siège et contre le clergé même
de son royaume. Harlay de Cbampvallon venait de s'acquérir
de nouveaux titres à la confiance du roi, qui Tappela bientôt
(janvier 1671) à Tarcbevéché de Paris, rendu vacant parla
mort de Péréfixe. Harlay s*étail de plus recommandé à la
faveur de la cour par sa connivence aux intrigues qui avaient
dérobé les quatre évëques à la justice pontificale, et, même
après la Paix de rÉglise, il avait continué de proléger les
hérétiques : c*cst lui qui avait rédigé les mémoires envoyés à
Rome pour justifier la suppression du formulaire (2). Un autre
défenseur des jansénistes, Gilbert de Choiseul, évéque de
Comminges, avait été récemment transféré au siège de
Tournai, dans une province encore soumise à rinternoncia-
lure de Bruxelles, mais que Louis XIV s'empressait dassu-
jeltir au régime et aux maximes de France. Ce choix donna
de légitimes inquiétudes à Rome, et plusieurs cardinaux répu-
gnaient à la préconisalion. Bourlemont écrivit au roi (3) : Je
leur fis déclarer « que je ne pouvais imaginer qu*ils eussent
une pareille pensée d'olfenser, sur des fausses suppositions,
un des plus savants et pieux évéques du clergé de France, et
si illustre par sa vertu et sa naissance; et qu'il suffisait, pour
leur ôler tout soupçon, que Votre Majesté, qui connaît par-
faitement ses sujets et fait observer si religieusement la pureté
(1) Procès-verbaux du clergé, t. V, p. 61 et suiv.
(2) Lionne à Bourlemont, 4 juillt^t 1670. liome,201. — a... Les mémoires que
vous avez eus eu ayant été dresses par M. l'archevôque de Roaeu, prélat ue
riinbiitité que vous savez...»
(3) Au roi, 23 novembre 1670. /towe, 2H.
L^INVASION t>Ë LA HOLLANDE 479
de la doctrine orthodoxe^ ait choisi cet évèque-là pour régir
un diocèse de Timportance qu^est celui de Tournai, et que
c'était assez leur dire que je les priais de faire cette sage
réflexion. Cela les arrêta... )> Ainsi^ avant de mourir, Lionne
. avait procuré des dignités et un crédit considérables aux trois
prélats d^Ëstrées, Harlay et Choiseul, dont Tappui avait été
le plus utile à Port-Royal dans son dernier péril» et qui
devaient èlre les principaux champions du gallicanisme en
1682. Au même moment, il employait toute Tautorité du roi^
à Rome, pour dissiper les soupçons qu'on y avait conçus
contre Tabbé le Camus» nommé à Tévéché de Grenoble (1),
qui eut toute sa vie des relations équivoques avec les jansé-
nistes, et contre l'ancien Oratorien Neercassel , évéque de
Castorie» vicaire apostolique en Hollande, dont la faiblesse et
rimprévoyance devaient faciliter les triomphes de Thérésie à
Utrecht (2).
La seconde moitié de l'année 1671 et l'année 1672 tout
entière se passèrent sans que Louis XIV provoquât de nou-
veaux diiïérends avec Rome. Il prévoyait que la défaite des
Hollandais leur rendrait des alliés, et il lui importait de mé-
nager le chef do TËglise, à la veille d*une guerre générale,
lorsque, recherchant Talliance de Tarchevéque- Électeur de
Cologne et des autres princes ecclésiastiques d* Allemagne, il
(1) Le roi à Bourlemunt, 17 avril 1671. Rome, 213 : lettre très Yïve et très
aigre, pour presser rexpédition des bulles, suspendue « sous prétexte d*uoe
médisance qu*on a faite contre loi à rinquisiUon... Mes sujets ne reconnais-
sent aucunement ce tribunal qui u*est pas fait pour eux, principalement lors-
qu'ils sont en France. » — Lionne au même, 24 avril 1671. Rome^ 20S. fiourle-
mout au roi, 19 mai 1671. Rome, 213.
(2) « M. révoque de Castorle, vicaire apostolique en Hollande, a obtenu de
la Congrégation où était son affaire tout ce qu*il a désiré, nonobstant les
puissants efforts de ses parties : on lui confirme sa pleine autorité de vicaire
apostolique en Hollande. Cet évoque s*est comporté ici avec taut de sagesse
et de retenue qu'il n*a donné aucun sujet à ses ennemis de lui faire des
affaires, quoiqu'il fût observé de tous côtés, et t7 a eu f adresse de tenir se-
crètes les pratiques et les recommandations que Von faisait sous main pour
lui... Les Jésuites l'avaient accusé d'être Jaoséoiste, et le cardiual Albizzi a
fait contre lui ce qu'il a pu en faveur des PP. Jésuites, msis la Congrégation
D*a pas eu égard à ce que l'on alléguait sans preuves. 11 part bientôt pour
retourner en Hollande. Il se reconnaît infiniment redevable à la protection de
V. M. n vBourlemont au roi, 10 mars 1671. Rome, 213. — Sainte-Beuve, Port-
Royal, l. V, p. 362 et suiv.)
480 CHAPITRB TROISIEME
sollicitait d'autre part les bons offices des Étals italieos pour
recruter ses régiments (1). Aussi, quoiqu'il ne fût pas animé
de meilleurs sentiments pour le saint-siège» se montra-t-il
parfois importuné des querelles que MM. d*Eslrées suscitaient,
sous tous les prétextes, à la cour pontificale. Ils aimaient
mieux devoir le succès des affaires à la violence qu'à une
négociation courtoise et loyale. César d'Estrées écrivait à Pom-
ponne : « Sous le pontificat de Clément IX, les grAces venaient
en volant; dans celui-ci, elles marchent à pas de tortue; mais,
comme les honnêtetés étaient alors un moyen infaillible pour
les obtenir, les instances exprimées doucement mais mêlées
d'un peu de crainte et d'embarras font à la fin le même effet
dans ce temps-ci, et l'affaire du cardinal Rospigliosi (2), des
résignations (3) et du Saint-Office (4) ne finiront que de cette
sorte, mtis enfin elles finiront lorsque Sa Majesté le vou-
dra (5). » Le nouveau cardinal avait été attaché aux trois Con-
grégations dellndex, des Évèqucs et Réguliers et du Concile :
il avoue qu'elles sont très importantes, les deux premières su^
tout, mais il veut encore entrer dans celle de Tlnquisition,
parce que le cardinal Porlo-Carrero en faitpartic. Vainement on
lui répond qu'il n'en est pas exclu pour toujours; qu*il vient à
peine de revêtir la pourpre; que pour s'attirer la confiance du
pape, il devrait, au lieu de se plaindre, « témoigner de Tagré-
menldecequ'on faisait, dansrespéranced'oblenirdavanlage;...
que, rinquisilion n'étant pas établie en France comme en Es-
pagne, on avait plus de lieu dV admettre les cardinaux espa-
gnols que les français » ; qu'enfin elle comptait déjà dans ses
rangs un membre de la faction française, le cardinal d'Esle.
— On pouvait aussi lui demander pourquoi il tenait si fort à
donnersa voix dans ces Congrégations romaines, pour lesquelles
les Français ail'ectaient tant de mépris. Il se servait de son
frère pour intéresser le roi à sa querelle, w II est certain,
(i) C. Roussel, Histoire de I^uvoiSy t. !•', p. 328 et suiv.
(2) La promotiou de Felice Kospigliosi retardée uniquemeot par les intrigues
du cardinal Jacopo avec la cour de France.
(3) Ampliatiou de l'induit des Trois-Évt^chés.
(4) Entrée du cardinal d'Estrées dans cette CoogrégatioD.
(5j Mémoire du cardinal d'Estrées:, 12 octobre 1672. Home, 223.
l'invasion de la hollande 481
disait le duc, qu'il se peut présenter tous les jours des occa-
sions où un cardinal français peut être utile à la nation, en
détournant^ rectifiant ou modérant des résolutions contraires
à nos maximes... Comme la jalousie des distinctions et des
préférences nationales est ce qui doit le plus occuper les mi-
nistres et ce que les indifférents remarquent le plus, c'est aussi
ce que la qualité de père commun doit obliger le pape d'éviter
avec le plus de soin (1). » La cour fut lente à s'émouvoir :
« ... Sa Majesté, dit Pomponne, ne juge pas à propos de se
faire comme une affaire nationale d'une chose qui semble
devoir plutôt venir du choix et de l'honnêteté du pape que
d'une obligation. Ainsi, Sa Majesté n'en fera point parler au
nonce et croit qu'il suffit que le pape puisse connaître, après
ce que vous lui en avez dit^ qu'il pouvait mieux agir avec le roi
en mettant M. le cardinal d'Estrées dans une place qui rap-
procherait aussi près de Sa Sainteté que les cardinaux espa-
gnols, et qu'il remplirait si dignement (2). » Quoique le pape
déclarât avec bonté que le cardinal d'Estrées or aurait assuré-
ment satisfaction (3) », ce prélat fut blessé de rindifférence
témoignée par le roi. Il écrivit aigrement au ministre (4) : « Je
n'ai^ je vous assure, point do ragoût pour cette assemblée ;... »
mais il faut montrer sans cesse à cette cour qu'on n'est pas
c( capable de s'endormir ou de se refroidir sur certaines af-
faires. » Ses clameurs obtinrent enfm que Louis XIV en fit
parler à Nerli, et Pomponne répondit (5) : « La chaleur de M. le
nonce fut assez grande pour me faire voir que l'on ne pouvait
pas ôter la liberté au pape de choisir les personnes qu'il
croyait les plus propres pour les Congrégations; que, si le
cardinal Porto-Carrero et d'autres cardinaux de la faction
d'Espagne avaient presque toujours été admis dans celle du
Saint-Office, ils l'avaient été sans autre raison que du seul
choix du pape ; qu'il pouvait même y en avoir une particulière
(1) Le duc au roi, 9 aoiU 1672. Home, 222.
(3) Au duc et au cardiual, 9 septembre 1672. Rome, 222.
(3) Le duc au roi, 13 septeuDibre 1672. Rome, 222.
(4) 28 septembre, laid,
(5) Le roi au duc, 4 novembre; Pompoaae au môme, 18 novembre. Rome,
223.
LOmS XIT IT U SAIlIT-SlftOI. — IL 31
482 OIIAPITRE TROISIÈME
plulol pour les cardinaux espagnols que pour les cardioaui
frani^ais, puisque, Tlnquisition n'étant point connue en France.
ils étaient moins instruits de ses règles. Je veux croire quel*
compte qu'il aura rendu de ce que je lui dis sera reijQ
plus doucement à Rome, et que, bien que Sa Majesté ne de-
mande point cotte place comme lui étant due absolument, on
y aura pourtant égard de ne pas changer un usage qui s'esl ob-
servé depuis si longtemps. » Ces derniers mots prouvent que
les papes n'excluaient la faction française ni de cette Congréga-
tion ni d'aucune autre. Clément X n'avait pas Tintention de
déroger à celte coutume, et le cardinal d'Esté, mort le 30 sep-
tembre de celte même année, fut remplacé par le cardinal
d'Estrées (1).
La guerre fournit à MM. d'Estrées Toccasion d'exciter les
défiances du roi contre la cour pontificale; tantôt ils accusaient
le pape d'avoir écrit à TElecteur de Cologne en termes olTen-
sauts pour Louis XIV; tantôt ils le blâmaient de ne pas célé-
brer avec oslentation les victoires de la France. Leur malveil-
lance dul encore être contenue. Pomponne leur écrivait : « Le
roi a vu le bref du pap<» à l'Elecleur de Cologne dont vous
avez envoyé la copie, mais le style dont il est écrit laisse jus-
Icmenlilouler s'il a été conçu en elfel de cette sorte, ou s'il a
été envoyé... — Je ne vous dis rien de particulier... surle>
excuses que M. le cardinal Horronieo avait faites du bref de
Cologne. Vous saurez, Monsieur, el le cardinal d'Estrées, et
déinùler et faire un usage assez avantageux de cette bonne
disposition apparente (2). » — u Quelque bien que Sa Majesté
veuille procurer à l'Eglise dans ses conquêtes, vous connaissez
Irop qu'il lui importe de ne pas faire regarder la guerre qu'elle
a enlreju'ise connue une guerre de religion, et par là elle ne
veut point paraître s'en assurer dans le public un mérite par-
liculier <ï Rome. Elle laisse au pape toute la liberté des actions
de grâces el des témoignages publics qu'il en voudrait rendre
à Dieu; mais en elfel elle serait plus aise qu'aucune de ses
démonslralions ne donne sujet à ses ennemis défaire regarder
\K) Le cardinal à Po[n|)L»UDe, 11 juillet 1673. Wome. 226.
(2) Au rardiual, 19 août; au duc, 9 septembre 1672. Rome. 222.
L INVASION DE LA HOLLANDE 483
a querelle de la Hollande comme une cause commune à tous
os protestants. Ainsi, loin de contribuer à inspirer au pape
le donner des marques publiques de ce que la religion doit au
'oi dans cette rencontre, vous pouvez laisser éteindre ce que
TOUS avez cru de dispositions jusqu'à celte heure, sans toute-
bis faire connaître la raison que Sa Majesté peut avoir de ne
point vouloir cet éclat (1). »
La cour de France supportait impatiemment que, dans le
Touble où elle jetait de nouveau l'Europe, le pape remplît
ivec tant de prudence son devoir de père commun et de prince
italien. Elle eût volontiers favorisé Tagrandissement de l'Élat
3CGlésiastique et Télévation de la maison Altieri, si Clément X
sût facilité l'entrée des Français dans la péninsule; et son
dépit contre le cardinal-neveu avait surtout pour cause la réso-
lution où il était de résister à de pareils desseins (2). Altieri
demeurait fidèle à la maxime de maintenir ce tous les princes
d'Italie dans une bonne correspondance pour empOcher les
desseins de ceux qui en voulaient troubler le repos. » Et, tant
:jue rambassadeur Mocenigo répondait à ses sages conseils
c que la République n'aurait jamais d\autres pensées que
;elles qui seraient agréables au roi de France, et qu'elle voulait
Hre ioujours sotto il patrocinio de Sa Majesté », il ne cachait
3as son étonnement « de ce mot AepafrociniOj comme s'il l'eût
rouvé trop soumis. » Mais la politique pontificale était si par-
'aitement irréprochable que les Vénitiens, malgré leur désir
le plaire à Louis XIV, n'osèrent jamais accuser le pape de
îomenter une coalition contre lui (3). ('es bruits de ligue
lalienne partaient, comme nous l'avons déjà vu, de Farnèse
ju même de Saint-Germain, et l'ambassadeur Mocenigo
(1) Au duc, 12 aoùl 16*2. Uotfte, 222. — Louis XIV doinaudait niors des re-
;rues aux canlous protesitaDts de la Suisse, et il avait cuininencé la campaf^ue
liplouMlique dout le hul était de mettre TEmpercur aux prises avcr les
^huces luthériens d'AlIema^'ue et ave<* les Turcs.
(2) <• Li più savi Togliuno ch* atteudi (il rè di h'rancia) di veder nel puiitili-
:ato alcuu «uggetto che pnr l'etâ, pcr li pareuti, per il ^euio possi eeser por-
:alo a dar mano alV occujHitiom' dalvun sfaio confinante per investi fe la casa
9ropria con le forme prima convenule : a che la dcholezza degli altri e la posi-
tura délie co^e prcdeuli pare vi diauo facilita. » {Helazione de Griuiaui,
L II, p. 362.)
(3) Le duc au roi, 16 aoAt 1072. Rome, 222.
484 CHAPITRE TROISIÈME
avouait aux Pregadi que Louis XIV avait cherché dans ces
rumeurs des prétextes pour intimider le souverain pontife et le
menacer de représailles (i). Celte vigilance de Clément X était
bien justifiée par les tentatives du roi pour prendre pied, dès
cette époque, au delà des Alpes, et notamment par sou inter-
vention menaçante dans les querelles des Génois avec la cour
de Turin (2). Clément X et son successeur Innocent XI,
oubliant les sujets de plainte que Gônes avait donnés au saint-
siège sous le pontificat d'Alexandre VII, devaient être senlsà
la défendre contre la France. Le roi trahissait parfois son res-
sentiment de cette généreuse conduite, comme lorsqu'il fit
déclarer de bonne prise les blés achetés par le pape pour l'État
ecclésiastique et saisis sous pavillon hollandais (3). Mais la
bienveillance de Rome lui était trop nécessaire en ce moment
pour qu'il persistât dans ces procédés hostiles. Nous Tavons
entendu protester contre la pensée de faire aux Etats généraux
c< une guerre de religion. » Le voici qui dénonce l'Empereur
comme traître à TEglise pour avoir arrêté dans ses conquêtes
le vainqueur des Hollandais; il écrit au duc d'Estrées (4):
(c Dans le temps que Sa Sainteté emploie les prières de l'Église
(1) «t Circn le voci che artificiosamrnte si sono faite correre per Rouia delk
leghe d'ilalia, sobl)eue i France:*! non lemono che sia per se^çuire uoioae dei
priiicipi in qnesta provincia. ad ogni utodo moslrano di dar credenza pfr vu-
lersi del prelesto in caso tl'altre risoluzioui. » {Helaztonc de Mocenigo, t. Il,
p. 389.)
(2) Gènes consentait à une suspension d'armes, mais refusait de rendre, araat
le traité. l;i pince d'Oueglia prise sur le duc de Savoie. Pompoune écrivit ao
duc d'Estrées : « En cas que la République refuse ce que S. M. désire, le
sieur de Gomont a non seulement ordre de se retirer, mais de déclarer à la
République (jue les vdisseuux et les yalèrcs du 7'oi se mellronl en iHat découd
sua à ses sujets... On doit croire que les choses n'en viendront point en «l
état, '« et que les Génois préféreront le parti delà paix à celui de laguerri^el»
la perte des bonnes pràces de S. M. » (30 septembre 1672. Rome^ 222.) — La coar
de France aimait les conseils semblables à ceux que uous trouvons dans Icf
lettres de .Melani à Louvois : « Je répète a V. E. ce que je lui ai déjà maaJè,
que S. M., sans contrevenir à aucun traité et sans que les Espagnols fus.<eut
en état ilc l'empêcher ni aucun autre prince, pourrait leur couper les bras
la bours»^ «'t les j.iml)os en faisant Venlrcprise de Gènes, qui le rendrait maître
de toute l'Italie, en donnant au duc de Savoie le pays qui l'accommode et«
serait une conquête d'une conséquence incompréhensible et très facile 4
garder. .. (D janvier U'Hû. Rome, 218.)
(3) Le roi au duc, 28 septembre 1672. Rome^ 223.
(4) 2 décembre. Ibid.
l'invasion de la hollande 485
et les assistances temporelles pour défendre la Pologne des
progrès du Turc, qui pourront ensuite menacer les pays héré-
ditaires, il doit paraître assez étrange que TEmpcreur, qu'un
intérêt général et particulier engagerait si fort à s'opposer au
commun ennemi du nom chrétien, semble tourner aujour-
d'hui ses forces contre moi en faveur des ennemis déclarés de
la religion. Je ne vous répète point ce que vous avez déjà vu,
dans une dépêche précédente, du soin que j'ai apporté pour
faire cesser le soupçon que l'Empire pourrait avoir de mes
armes. J'ai assez fait connaître qu'elles n'avaient pour objet
que la guerre que j'ai été obligé d'entreprendre contre les
États généraux (1). Mais, lorsque l'Empereur fait marcher ses
troupes sur le Rhin et se joint au plus puissant des princes
protestants d'Allemagne (2), il ne laisse plus douter que le
vœu de favoriser mes ennemis ne l'emporte sur l'intérêt de la
religion et du repos de TFlmpire. Il serait digne sans doute du
zèle de Sa Sainteté qu'en même temps qu'elle exhorte la cour
de Vienne [à s'opposer] aux progrès des infidèles, elle la
détournât d'appuyer un parti contraire au saint-siège et à
l'Église ; d'autant plus qu'en finissant une guerre, dans laquelle
j'ai déjà fait assez paraître mon désir de procurer l'avantage
de la religion, je me trouverais plus tôt en état de seconder
les saintes intentions de Sa Sainteté contre le Turc. Vous
vous servirez de toutes ces raisons pour faire connaître à Rome
combien le pape devrait s'employer auprès de l'Empereur pour
lui faire perdre le dessein d'allumer la guerre dans l'Empire,
sans autre intérêt que celui des États généraux ou celui de sa
passion particulière. »
Louis XIV apprenait, d'ailleurs, par des faits publics et par
(1) Les deux branches de ia maison d'Autriche étaient dans lo cas de légi-
time défense. Tout le monde sait aujourd'hui que la gnorre de Hollande n'était
qu'un moyen d'arriver à la conquête des Pays-Bas sur i'Espague. Dès le
!•' novembre 1671,Louvoi8 disait dans uu raémoiro cité par M. Mignot : « Le
véritable mnyen de parvenir à la conquête dex P(v/s-Ha.f r.ç/>fl7no/.v est d'abaisser
les Hollandais et de les anéantir, s'il est possible. » {Ségociationa reln.tiv**s à la
8ucce:fsion d'Espagne^ t. 111, p. 665. — C. Roussel, Histoire de Louvois, t. !«',
p. 325 et suiv.)
(2) L*Ëlcctenr de Brandebourg, dont Louis XIV venait de rechercher inuti-
lement L'alliance. (Mémoires de Pomponne, État de l'tJurope, p. 279 et suiv.)
486 CHAPITRE TROISIÈME
des communications confidentielles que la cour pontificak
conservait les meilleures intentions pour la France. Il venait
d'obtenir de Clément X un bref important qui amplifiait et
complétait Tindult do Clément IX sur la collation des bénéfices
dans les Trois-Évôchés (1). D'un autre côté, Serroni, évéqiie
do Mendc (2), avait depuis peu fait lire au roi une lettre où le
P. Libelii, Dominicain, maître du sacré palais (3), s^exprimail
ainsi, sous le sceau du secret, sur le cardinal Altieri : Vous
pouvez dire au roi c que Son Kminence est un homme sans
pareil, d'un cœur qui ne se donne pas à demi, sans orguoil
aussi bien que sans bassesse; et, quoique ses indispositions le
chagrinent quelquefois, après ces moments il n'y a rien de si
doux, do si affable, de si sincère, de si ouvert, ni de moins
violent dans ses entreprises et dans ses résolutions; qu'il a
toujours parlé de Sa Majesté avec un grand respect et une véri-
table estime; que personne n'a reçu et ne recevra avec plus
de joie que lui les nouvelles de ses victoires; qu'au surplus on
ne peut rien ajouter à sa conduite et à son zèle pour les afifaircs
de la chrétienté, ot moins encore à Taffection avec laquelle il
s'empresse en toul ce qui regarde le service ou les volontés du
roi. 0
Aussi Louis XIV crut-il le moment venu de s'attacher Al-
tieri par des lions secret, ot d'obtenir par lui l'appui du sainl-
siège dans une entroprise considérable qu'il avait récemmeol
formée contre TK^^lise do son rovaume. Colbert et Louvois,
aussi pou scrupuleux l'un quo l'autre, ne se contentaient pas
d'onrichir leurs familles aux dépens du patrimoine ecclésias-
tique : comme ministres, ils jetaient un œil d'envie sur des
biens qu'ils rêvaient de mettre ù la discrétion de la povaulé.
(1) 10 octobre 1612. Rome, 223.
(2) Aaci(în prolé^'é de Mazarin, qui îillait devenir archcvftque d*A1hi. (23 no-
vembre 1672. Home, 22'i.) La table désigne ainsi cette pièce : « Copie d'une
lettre du maître du sacré palais à l'évêque de Monde, touchant le gratis qu'i!
demandait [pour les bulles de l'abbaye de la Chaise -Dieu] et V inclination du
cardinnl Allieri pour ic roi. » — La lettre porte en outre cette Dote : o il im-
porte extrAmement de la tenir [secrète], parce que, si elle était sue, elle rui-
nerait celui doit elle vient. »>
(3) Dont Bourlemont lui-même avait plusieurs fois signalé la vertu, le mé-
rite et riuclinatiou pour les Français. V. notamment ci-dessu9, chap. vi du
livre II.
ENTREPRISES SUR LES BIEXS DE t/ÉGUSE 487
Ce n'est pas seulement vers la fin de son règne que Louis XIV
enteudit des conseillers serviles proclamer son souverain do-
maine sur toutes les propriétés de ses sujets : il avait été
nourri dans celte doctrine, qu'il enseigna de bonne heure à
son fils : (c Tout ce qui se trouve, disait-il, dans félendue de
nos Etats, de quelque nature qu'il soit, nous ai>parlient à
même titre (1)... » Déjà en 1662, il avait eu la pensée de de-
mander au clergé des subsides particuliers pour la caisse de
rarniée, indépendamment des contributions que votaient les
assemblées quinquennales; mais il n'entendait pas encore se
passer de l'approbation du saint-siège . Ses instructions secrètes
au duc de Créquy(2), où il nous révèle sa résolution do no
jamais entrer dans une ligue contre la Porte, parce qu'il avait
intérêt à ne pas accroître les forces de l'Empereur contre les
Turcs, contenaient ces lignes : « Une seule chose serait capable
de tenter Sa Majesté à passer sur toutes les fortes considéra-
tions que l'on vient de dire, qui serait si, par l'autorité du pape
et avec son concours, en la joignant à celle du roi, on pouvait
trouver, de commun concert, quelque voie de faire que les
dépenses de cette guerre, où l'on veul engager Sa Majesté, ne
tombassent pas entièrement sur le tiers Etat de son royaume,
dont les forces sont déjà si épuisées; mais que, comme il s'agit
de la cause de Dieu et que le corps de l'Eglise y doit prendre
le principal intérêt, le pape et Sa Majesté se joignissent j)()ur y
faire contribuer notablement tous les ecclésiastiques de France
parles voies qui peuvent être pratiquées, et qu'il sera aisé de
sucrfférer à Sa Sainteté et lui en faire voir la facilité et même
la justice, pourvu qu'auparavant elle soit demeurée d'accord
avec ledit sieur duc du principal fondement que cette guerre
doive être principalementsoulenue aux frais du clergé. Il ne doit
pourtant pas proposer d'abord la chose si crûment, mais atten-
dre l'occasion de quelque difliculléde considération qui naisse
dans les pourparlers de la ligue, et alors sonder avec dexté-
rité les sentiments du pape sur cette ouverture, sans témoi-
gner d'en avoir aucune charge du roi, mais en parlant comme
(1) fEuvrts, t. n, p. m et 121 : Année 1600.
(2) Hecucil îles insfrurtionft an.r atnfmssadrurs. Romet t. I, p. 138. Voir plus
haut, cliap. tu du livre \**.
488 CHAPITRE TROISIÈME
(l*une pensée qui lui est tombée dans l'esprit, pour surmonter
ledit obstacle et Tappuyant même de Texemple des Espagnols
à qui le saint-siège accorde tant de décimes et de croisades,
sous prétexte de la guerre contre les inPidëles que l'Espagne
ne leur fait point, et ne laisse pas de jouir de toutes ces le-
vées. » Ces derniers mots ne laissent aucun doute sar la pen-
sée intime du roi : il lui suffisait d*un prétexte et de créer un
précédent. Une fois ces levées établies, ses Parlements et ses
intendants les auraient perpétuées comme un droit antique et
inaliénable de la couronne.
Le projet d*édil sur Tâge requis pour la profession reli-
gieuse, et les autres mesures tentées pour réduire le
nombre des couvents, en se réglant sur Texemple des
nations protestantes, avaient pour but de séculariser, c'est-
à-dire de confisquer une grande partie des propriétés monas-
tiques. La couronne rangeait les évéques de son c^té en
leur réservant les menses abbatiales, grossies aux dépens
des monses conventuelles. L'arrêt d'Agen n*avait été qu'un
épisode de la campagne ouverte contre les ordres religieux.
En menaçant à la fois leur domaine spirituel et leur domaine
temporel, la royauté espérait que, forcés de se défendre
au même moment contre tant d'attaques, ils laisseraient à
découvert quoique côté vulnérable, par où elle entrerait plus
siiremont dans le corps de la place. Mais la réforme qui avait
été introduite dans un si grand nombre de communautés, et
qui produisait tant de merveilles sur tous les points du terri-
toire, permettait à l'institut monastique de lutter encore avec
avantajfo contre lacommende et contre tous les empiétements
du pouvoir civil. Les conseillers du roi durent sinon reculer,
du moins changer leur plan d'invasion. Pourquoi n'allaient-
ils pas droit au saint-siège pour Tinviter à régler d'un com-
mun accord les questions où les deux puissances ont des in-
térêts divers à concilier? Il aurait fallu d'abord reconnaître
avec respect et loyauté la liberté de TEglise et les prérogatives
pontificales : le gallicanisme ne le permettait plus ! Rome se
refusait-ollo aux mesures qui, sans violer aucun droit, assu-
raient le meilleur emploi des biens monastiques? Est-ce qu'A-
lexandre VII n'avait pas supprimé, sur le territoire de Venise,
ENTREPRISES SUR LES BIENS DE l'ÉGLISE 489
plusieurs religions dégénérées, et permis d'en attribuer le
prix à la République pour la délivrance de Candie? Un seul
prince en Europe protesta contre cet acte : le roi de France
en fit le texte de violentes invectives contre un pontife qu'il
avait pris en horreur, et auquel il reprocha « de rendre au
siècle et de profaner les biens par des suppressions de cou-
vents, par des aliénations et ventes de leurs revenus, contre
toutes les lois divines et humaines (1) I » Dix ans n'étaient pas
écoulés, le même roi mettait la main sur une portion consi-
dérable du patrimoine ecclésiastique, et en réglait à sa fantai-
sie la répartition et l'usage !
Quels que fussent alors les progrès de la richesse nationale,
les revenus ordinaires du trésor public ne correspondaient pas
aux dépenses faites par la couronne. Cependant TEglise, in-
dépendamment des impôts qu'elle payait directement au fisc,
pourvoyait alors au culte, à l'enseignement de tous les degrés,
à la charité publique et à une foule de services qui sont au-
jourd'hui au compte de l'État ; et un grand nombre de bénéfices
ecclésiastiques, détournés de leur destination par le roi, en-
traient pour une large part dans la fortune de sa famille, de ses
ministres, de ses courtisans, de ses maîtresses et de ses hk-
tards. Cela ne suffisait déjà plus à Louis XIV, qui cherchait
sans cesse de nouveaux expédients pour se décharger sur le
clergé séculier ou régulier, dans une mesure plus étendue,
des dettes créées par son ambition et par sa prodigalité. Lou-
vois surtout, qui flattait et stimulait, au lieu de les contenir,
les projets belliqueux de son maître, et qui commençait à
creuser Tablme où la royauté finit par se perdre; Louvois, ap-
puyé par le Tellier, son père, et par Tarchevêque de Reims,
son frère, suggéra au roi le dessein de faire supporter à TÉglise
une partie des dépenses de la guerre.
On sait que, depuis plusieurs siècles, les abbayes et prieurés
entretenaient dans leurs murs ou pensionnaient à domicile,
sous le titre d'Ohlats, un grand nombre de militaires invalides.
Henri IV, obligé de réparer les ruines accumulées sous les
règnes précédents, avait songé aux moyens d'affecter à Ten-
(i) V. plat haut, chapitre ix du livre 1*'.
490 CHAPITRE TROISIÈME
treticn de s^cs officiers et de ses soldats, portant les armes oo
retirés du service, les bénéfices qui avaient appartenu â
Tordre hospitalier de Saint-Lazare et que les guerres civiles
avaient livrés au pillage. II dressa le plan d*un ordre militaire
qui, sous le nom de Notre-Dame-du-Monl-Carmel, serait sub-
sliluéaux chevaliers de Saint-Lazare , considérés comme abolis,
et qui jouirait de tous les biens abandonnés par cette milice.
Mais Henri IV ne fit rien qu'avec l'assentiment préalable de
Paul V, et la déclaration de Fontainebleau, d*avril 1608, avait
été précédée de plusieurs bulles, dont la première remonte an
46 février 1607. Malheureusement la mort de ce prince et
les troubles qui la suivirent laissèrent inachevée une réforme
qui exigeait le bon accord des deux puissances. Deux bulles
* d'Innocent X et de Clément IX firent revivre en France le titre
de grand maître de Saint-Lazare, porté aussi par le grand
maître de Notro-Dame-du-Mont-Carmel ; mais la possession
et remploi des biens n'étaient pas réglés selon l'esprit et la
volonté des fondateurs, et la couronne tendait à ne voir dans
ces propriétés que des bénéfices militaires dont elle disposait
à son gré. Louvois trouva dans cet abus, contre lequel l'Église
no cessait pas de réclamer, le prétexte dune incursion formi-
dable sur le domaine ecclésiastique. Au mois de décem-
bre i(}12y sans que le saint-siège eut été pressenti, un é«1it
parut tout à coup qui déclarait le roi souverain de ces deux
ordres ; leur unissait les maladreries, hôpitaux, maisons-Dieu
et autres lieux du royaume, où il plairait au roi de dire que
l'hospitalité n'était pas observée; supprimait en France plu-
sieurs ordres militaires et hospitaliers, entre autres ceux du
Saint-Esprit de Montpellier, de Saint-Jacques-de-rÉpée, du
Saint-Sépulcre, de Sainte-Christine de Somport, de ISotre-
Dame Toutoniquc, de Saint-Jacques du Haut-Pas ou de
Lucques, de Saint-Louis-de-Bouchor au mont, et transférait
leurs biens et revenus à Notre-Dame du Mont-Carmol. De toutes
ces propriétés, le roi ferait des commanderies dont il aurait
« l'entière et pleine disposition en faveur des officiers de ses
troupes », et sur lesquelles il mettrait telles pensions qu'il ju-
gerait convenable : il réserverait quelques fonds pour des hôpi-
taux militaires, afin de ne pas effacer complètement le souvenir
MISSION SECRÈTE DE l'aBBÉ COCQUELIN 491
des fondateurs, et il établirait une juridiction spéciale pour in-
lorpréler et appliquer cetédit(l)! Louvois fut nommé grand
vicaire des deux ordres, pour « régir leurs affaires » sous Tau-
lorité du roi. La retraite et la connivence du marquis de Néres-
lang, dernier grand maître de Saint-Lazare et du Monl-Carmel,
furent payées quatre cent mille livres. Ceux qui voulaient ré-
sister devaient s'attendre à rejoindre l'abbé du Colombier,
nommé par le pape, Tannée précédente, précepteur du Saint-
Esprit de Montpellier et qui, sur son refus d'obéir à Tédit, fut
envoyé à la Bastille, où il demeura huit ans prisonnier (2) !
Quand l'édit eut été rendu public et toutes les mesures
prises pour en assurer l'exécution, même par la force,
Louis XIV et Louvois entreprirent de le faire ratifier par le
souverain ponlife : ils entamèrent avec le cardinal Altieri une
négociation, qui fut cacbée d'abord k Pomponne et à MM. d'Es-
trécs, et qui a échappé jusqu'à ce jour à tous les historiens.
Sur le conseil de le Tellier et de ses fils, elle fut confiée à
leur domestique, Tabbé Cocquelin, docteur de Sorbonne, an-
cien précepteur de l'archevêque de Reims, théologien érudil,
besoigneux, rédacteur des six articles gallicans de 1663, et
(1) Cette chambre royale, siégeant à rArâenal, se composait d'un conseiller
d'Etat ordinaire, de huit con:^eilIer9 au Grand Conseil, et d'un procureur gé-
néral. Outre ce tribunal, chargé de rétablir les ordres de Saint-Lazare et du
Mont-Carmcl « dans tous les droits qui leur avaient appartenu, m et par con-
Si''quent de susciter des procès sans nombre sur tous les points du royaume,
le roi se réservait d'expliquer et d'amplifier lui-même sa déclaration de 1613.
Vi-i le mois de mars 1674, des lettres patentes aunoucërent qu'il avait « en-
tendu comprendre » dans les lieux transférés aux deux ordres même « h;»
hôpitaux fomlés pour la réception des pèlerins et pauvres passants; «• et un
Douvelédit d'avril 1675 mit les deux ordres u en possession et saisine » môme
des hôpitaux, maladreries.. commanderies et autres lieux pies qui avaient été
pn>cédemment unis à des communautés ecclésiastiques ou laïques, régulières ou
séculières, « de quelque qualité et ordres qu'elles fussent ».
(2) Hélyot, t. n, p. 210. On peut voir au VU» volume des Archives de la
Bastille^ p. 362 et suiv., l'histoire lamentible de cet ecclésiasti(iue. L'édi-
teur, M. Ravaisson, approuve les persécutions subies par l'abbé du Colombier,
qui avait eu l'audace de contrarier « une des mesures les plus sages » de
Louvois, et d'invoquer les bulles pontiUcales « comme si l'édit de suppression
n'eût pas existé : il voulut les faire reconnaître, mais ce fui à non dam.,, » Or,
redit est de décembre 1672, et les provisions du pape étaient antérieures au
mois (/e^'ui/i précédent! (Sourlemont à Pomponne, 14 juin 1672; le duc d'Es-
trécs au roi, 16 du même mois. Rome^ 221.)
492 CHAPITRE TROISIÈME
qui jouera Tun des rôles los plus actifs dans TAssemblée de
4682 (4). La famille le Tellior attachait le plus grand intérêt
au succès de cette mission : elle travaillait dès lors à niiDer
Pomponne dans l'esprit du roi, pour faire donner à Louvois
les aifaires étrangères ; et, comme elle ambitionnait en outre
le cardinalat et l'ambassade de Rome pour rarchevèque de
Reims, elle cherchait à décréditer le cardinal et le duc d'Es-
trées, dont la conduite leur attirait tant d*ennemîs. Arrivé à
Rome au commencement de Tannée 4673, sous le nom de
labbé de Villandry, Cocquelin se rendit au palais directement,
avant de se présenter à Farnèse, et remit ses lettres de créance
au cardinal Âltieri. Il visita Tambassadeur comme un Français
en voyage, mais seulement après avoir laissé pénétrer à tous
les Romains, par le mystère aiïecté de ses allures, qu'il était
chargé d'une affaire dont le duc d'Estrées n*avait pas le secret
Il loua une belle maison oti il tint table ouverte» mena grand
train, entouré de gens que tout lo monde savait appartenir an
marquis de Louvois, expédiant et recevant des courriers. Il
ne négligea rien pour accroître la mortification de MM. d'Es-
trées, dont les alarmes redoublèrent, lorsque Pomponne,
averti par eux, leur répondit avec embarras : « Je ne puis
vous rien dire sur cette affaire qui ne m'a point été com-
muniquée. Ce dont je puis vous assurer seulement, est
qu'autant qu'il dépendra de moi, j'entrerai avec un extrèmo
plaisir et une extrême affection dans tout ce qui vous re-
garde (2). »
La transformation de Tordre de Saint-Lazare n'était pas le
seul sujet dont Cocquelin eût à entretenir le pape. Il avait
encore à lui présenter plusieurs requêtes d'une portée incal-
culable, qui auraient dû être l'objet d'un Concordat, débattu
solennellement entre les deux cours par leurs ministres ordi-
(1) Voy. le portrait que traçait do CocqutîUn, eu lfi63, un confident do Col-
bert, et qui a été publié pour la première fois dana nos Recherches sur T.i*-
semfdêe de 1682,2* édition, p. 281.
(2) 11 nous revii^ut qu'il « témoigue beaucoup d'aigreur contre M. le cardiml
d'Estrécs. >» N'ajoutez pa? foi à ses rapports avant de nous entendre. (Le duc
à Pomponne, 10, U, IV janvier, 8 et 22 février. — Pomponne au duc, 24 fé-
vrier 1673. home, 225.)
MISSION SECRÈTE DE l'aBBÉ COCODELIN 493
n aires et avec la participation du clergé français. En effet, le
roi demandait :
1*" La suppression et la sécularisation, au profit de la cou-
ronne, d un grand nombre de petits monastères. L*assembléc
du clergé de i 670 avait entendu un de ses membres, l'évêque
de la Rochelle, appeler son attention sur « quantité de petits
couvents, abbayes et prieurés claustraux, où les religieux ne
vivaient pas dans la régularité, parce qu'il n'y avait point de
lieux réguliers ni propres pour l'observation de leurs règles,
à faute de bâtiments et de revenus que les hérétiques avaient
usurpés, » Les cvOques pensaient que « le moyen d'empêcher
les désordres qui arrivent de ces petits couvents, où souvent
il n'y a pas deux moines, serait de pouvoir réunir ces sortes
de inojiastères aux séminaires et ceux des Mendiants aux plus
proches couvents de leur ordre;... et que, pour y parvenir, il
faudrait supplier Sa Majesté de vouloir autoriser les instances
que le clergé poinr ait en faire à Sa Sainteté, en lui demandant
pour la France la même bulle qu'Innocent X accorda en Italie,
portant suppression des petits couvents mal situés ou inca-
pables de pouvoir soutenir la discipline monastique (4). » Il ne
convenait pas à Louis XIV que de pareils rapports s'établis-
sent entre le saint-siège et le clergé de son royaume : il ne
laissa pas l'assemblée aller plus loin; mais il s'appropria l'idée
d'Innocent X et de l'évêque de la Rochelle, et il conçut le projet
d'obtenir une bulle qui réunirait ces conventiiii au domaine
roval.
2"" Un décret pontifical imposant la règle de la congrégation
de Saint-Maur à toutes les congrégations bénédictines, et
même à l'abbaye chef d'ordre de Cluni, pour permettre au
roi^ qui s'était déjà fait céder par la congrégation de Saint-
Maur la nomination aux prieurés électifs relevant d'elle, de
substituer également la nomination royale aux élections dans
tous les prieurés bénédictins; concédant au roi le droit : pre-
mièrement, d'établir des vicaires au lieu d'abbés dans les
abbayes régulières de tous les ordres; deuxièmement, de
changer ces vicaires à son gré et de les faire passer d'une ab«
(1) Procès-verbaux du clergé^ t. V, p. 62.
19 i CHAPmC TEOISIÈME
baye a l'autre, avec facalté pour Sa Majesté, à chaque chao-
gemenl de vicaire, de nommer aux bénéfices dépendants de
chaque abbaye; lui donnant enfin < ce qui resterait du revena
des abbayes en rês'Ie, après avi>ir laissé à l'abbé régulier el
aux religieux ce qui leur était nécessaire pour leur subsis-
tance. » — Cette extension démesurée de la confimende, ce
bouleversement de toutes les règles, ces prétextes innombra-
bles d'empiétement et d'usurpation aux tribunaux séculierset
a l'État, ne pouvaient avoir été imaginés que par un ministre
habitué à lever des contributions en pays ennemis, et traitant
l'Église comme une province hollandaise ou espagnole.
3^ La permission d'imposer sur tous les bénéfices consisto-
riaux évèchés et abbayeS; de nomination royale^ des pensions
perpétuelles s'élevant jusqu'au tiers du revenu, el dont le roi
pourrait gratifier successivement toutes sortes de persoones
tant d'épée que d'autre condition. Louis XIV voulait même
que ces pensions pussent être établies dès lors sur tous les
bénéfices, sans attendre la mort des titulaires, et qu'à chaque
vacance ces pensions courussent au profit du trésor royal jus-
qu'à la nomination des successeurs ;i\
Le pape n'était pas encore remis de la surprise que lui avait
causée l'ordonnance de Saint-Lazare, lorsque le nonce lui si-
^Miala un nouvel édit qui, sous l'apparence d'un acte fiscal,
atlt'ifrnait profondément la liberté de l'Eglise. Los évoques, les
pretrcîs cl les fidi'h^s avaient un ci>mmerce intime et néces-
saire avec le saint-siège pour leurs besoins spirituels comme
pour h'urs intérêts temporels : dispenses de toute nature pour
Icîsecclésiasliquesrt pour lesséculiers; réhabilitations; recours
à la péiiileiicerie roniaine; balles, expéditions, provisions bé-
néiiciales et autres; mille affaires importantes et délicates exi-
gt'aieiit nue corresj)(>n(lanco sûre et ininterrompue entre Rome
el Ions les (li()c<>ses du rovaume. Des coutumes séculaires, les
lois (Tclésiasliquiîs et civiles avaient réservé le soin de cette
corres[)on(lance. à certains agents accrédités à Rome et en
(1) Ami/i/sc de Stiint'I*réi. KomCf Sr;fOciatioTis, 25. — Archives de la Guerre:
lla/ic et Savnir, 355 : Coc(jUfliii à Loiivois, 28 juin 1673. — Home, 226 el 228 :
Serviciit à Pompouue, i* juiu cl 29 décembre 1673, et autres dépèclies daiL<
rintervulle.
3dlSS10N SECRÈTE DE l'âRUÉ COCQUELIN 495
France sous le nom de notaires apostoliques, banquiers cl ex-
péditionnaires en cour de Rome. Plusieurs fois, en 4607, en
1613 et en 1633, la couronne avait voulu transformer ces
agents en officiers purement royaux qui lui auraient acheté
leurs charges ; mais les assemblées du clergé avaient fait rap-
porter les décisions déjà prises. Louis XIV, a l'instigation de
Colbert, reprit les anciens projets et publia, le 23 mars 1673,
un édit plus onéreux pour la bourse de ses sujets catholiques
et surtout plus menaçant pour leurs consciences (1). Il érigeait
en litre d'offices de nouvelles agences, qu'il vendit à haut
prix, et dont les acheteurs se remboursèrent aux dépens du
public; et il déclarait nuls et de nul effet les bulles et rescrits
qui n'auraient point passé par les expéditionnaires de sa créa-
lion (2).
Clément X se laissait facilement aborder par Cocquelin ;
mais il ne l'accepta pas comme unique ministre entre lui et le
roi pour Tobjet le plus important de sa mission : c'eut été
avouer que, comme le prétendait Louis XIV, lafTairede Saint-
Lazare ne dépassait pas la compétence de la royauté, et pou-
vait être soustraite à la connaissance du saint-siège. Le pape
et Altiori évitèrent le piège qu'on leur tendait : ils se plaigni-
rent directement au duc et au cardinal d'Estrées des deux éditt
de décembre et de mars, et le nonce Nerli fut chargé d'en ré-
clamer le retrait ou du moins la suspension jusqu'à ce qu'un
accord fut arrêté entre les deux puissances. Clément X déclara
iui-niùme à l'ambas^sadeur que le premier « était absolument
contre son autorité et Thonneur de son pontificat. » Le duc
d'Eslrées écrivait : « 11 médit, avec beaucoup d'altération, qu'il
ne pouvait pas subsister et que, lorsqu'on l'aurait fait révoquer.
(1) Lasseinbléc du clergé de 4615, la première qui se nhinit après la publi-
cation de cet édit, protiista éucrjL,nqaeniei4 contrt; la création de ces officiers
liouveaux : elle rappela que les afTaires spirituelles et temporelles dont ils
^*laiont chargés exigeaient un grand secret et une probité dont le clergé de-
vait être le seul juge ; que les anciens expéditionnaires avaient la confiance
des cvêques et des fidèles, taudis que les nouveaux « pour se rembourser des
taxes qui leur étaient imposées par le roi, » avaient commencé par augmenter
ronsidérableiuput, « d'un tiers pour le moins, » le tarir de tout ce qui passait
par leurs mains. {Açlcs vt procès-verbau.L' du c/vrgt^y t. V. p. 263.)
(3) Le duc au roi, 11 et 15 avril 1G73. Uotue, 22:\.
496 CHAPITRE TROISIÈMB
Votre Majesté pouvait s'assurer qu'il ferait tout ce qui dépen-
drait de lui pour la satisfaire dans rétablissement qu'elle dési-
rait;... qu'il avouait que l'Eglise devait beaucoup à Votre
Majesté, mais qu'il ne fallait, en procurant tous ces avantages,
la blesser d'ailleurs essentiellement dans son autorité, s Le
duc d'Estrées ayant fait observer que, si Ton voulait expédier
une bulle conforme à Tédit, elle serait exécutée, le pape ré-
pondit (c qu'il ne pouvait donner une pareille bulle et qn'fl
fallait commencer par la révocation de Tédit, après laquelle 3
faisait espérer toutes choses... » — << La clause qui les blesse
le plus, dit l'ambassadeur, est celle qui porte que... les res-
crits qui s'obtiendront autrement seront nuls et de nul effet
Ils prétendent que le défaut d'un particulier qui ne se sert pas
des voies établies par Tédit ne peut pas lier l'autorité du pape
dans la dispensation d'une grâce, ni en annuler la concessioQ,
et c'est sur cela que le cardinal Âltieri a formé l'objection que
je marque et qui suppose que cet édit, déclarant les rescrits
nuls, blesse et anéantit la puissance dont ils sont émanés, ce
que sans doute on n'a pas prétendu et qui pourrait avoir besoin
de quelque explication. » De son côté le cardinal d'Estrées
répondit au cardinal-ncvcu » qu'une des maximes les plos
constantes du royaume était que les rois pouvaient faire des
règlements en matières ecclésiastiques, non pas en s*attribuant
la puissance spirituelle par laquelle les papes et les conciles
avaient droit de les régler et de les établir, mais en suivant
l'esprit des canons et des décrets qu'ils avaient faits, et en
exécution de ce qu'ils contenaient; que, quoique pour lors les
rois n'agissent qu'en appuyant et fortifiant les ordres de TE-
glise par l'assistance dont ils ont besoin d'être soutenus, leurs
déclarations et leurs arrêts traitent des choses en soi ecclé-
siastiques et spirituelles; et que... si SonÉminence eût consi-
déré les édits dans celte vue, ils ne lui auraient pas sans doute
paru des entreprises si extraordinaires et si préjudiciables au
saint-siège, comme elle venait de me le représenter. » En ex-
posant ainsi la théorie gallicane et en revendiquant pour le
roi, dans le gouvernement de TÉglise, une autorité qui tient
sans cesse en échec et qui annule en fait celle du pontife ro-
main, le cardinal d'Ëstrées fut, comme toujours, plus hautain
MISSION SECRÈTE DE l'aBBÉ COCQUELIN 497
»t plus cassant que son frère. Il se vantait à Pomponne d'a-
voir ému Âltieri en affirmant que le roi ne retirerait jamais
'édît de Sainl-Lazare, qui demeurerait immuable» comme l'ar-
rêt d'Agen (1).
Il importait que le pape apprît à^ Louis XIY personnelle-
naent quelles atteintes ses édits donnaient à Tautorité pontifi-
cale, et quelle sanction protégeait les droits et les libertés de
rÉglise, même contre les tètes couronnées : c'est ce que fit
Clément X dans un bref dont je n'ai trouvé trace dans aucun
historien et qui mérite d'être placé à côté des brefs célèbres
d'Innocent XI contre la Régale : a ... Nous ne croirons jamajs,
disait-il, que Votre Majesté puisse oublier tant d'actions où
elle a cherché la gloire de Dieu autant que la sienne; dé-
mentir le respect et la soumission invariables de ses ancêtres
pour le siège apostolique; rompre avec ses propres inclina-
tions; désavouer sa conduite passée et sa renommée. Aussi
lorsque nous avons appris que vous aviez décrété la transfor-
mation de Tordre de Saint-Lazare fondé autrefois par les pon-
tifes romains, supprimé les asiles, hôpitaux, lieux pies et cha-
pelles, érigés en titre de bénéfices par cette même autorité;...
que vous aviez en outre établi à Paris et dans tout le royaume
des officiers dont le ministère serait obligatoire^ à Texclusion
de tous autres, pour toutes les expéditions et provisions ecclé-
siastiques et spirituelles, émanées de Rome et d'Avignon, ce
qui est un empiétement considérable sur la juridiction pon-
tificale, et une violation manifeste de la liberté qui appartient
à tous les fidèles de réclamer les conseils nécessaires au repos
de leurs consciences; que votre édit va jusqu^à déclarer nuls
et de nul effet nos décrets, quand ils seraient obtenus par
une autre voie; sans parler d'ailleurs de plusieurs autres en-
treprises de même nature, ces nouvelles si graves nous ont
causé, comme de juste, la plus amère douleur et notre âme
est en proie à des soucis et à des inquiétudes dont rien ne peut
la distraire; cependant nous n'hésitons pas en faire part à
Votre Majesté pour satisfaire en même temps à notre charité
envers elle et au devoir de notre charge pastorale. Cette charité
(i)Le dacaa roii 15 avril; le cardinal à Pomponne, 19 avril 1673. Aome, 225.
Loun ziv R LB AAurr-siiGi. — II. 32
498 CHAPITRB TR0I8IÈMB
ne nous permet pasde croire Votre Majesté capable d'une actioi
contraire à sa déférence pour nous et nous oblige plutôt à o-
pérer et à compter que, lorsqu'elle y aura mûrement réflédii,
elle fera cesser le scandale, puisqu'elle s*est déclarée soa?eot
et en des rencontres diverses que les droits de sa couronne se
lui sont pas plus chers que les prérogatives et la dignité di
saint'siëge. Nous formons sans cesse dos vœux au fond de
notre cœur pour que tout réussisse au gré de Votre Majesté,
que sa personne et sa maison parviennent^ avec la bénédiclios
divine, au comble de la gloire et de la prospérité; mais as-
surément nous perdrions Tcspoir d*ètre exaucés, si Votre Ma-
jesté consentait à de si graves attentats contre le pouvoir qae
nous tenons de Dieu, surtout après avoir reçu de si éclatanb
témoignages de notre bienveillance et de notre prédilecticm
pour elle (1)... »
(1) 22 avril 1073. IlomCj 22.'> : t... Nos sane adduci Duuquam polerimui ut
credamus Majestatem Vestrain rerum tantâ cum tai ac diyini oomiaU gloru
gestanim oblivisci posse, atque ab hereditariA majorum suorom pietate ci
spectatà in apostolicam sedem observaiUià, imo a se ipsA et ab ioclyt iodolc
sua degenerare quodam modo atque desciscere, quicquam aduiiUendo ù
aoteacts vitœ cursu et a comparatd sibi ubique gentium famà alienom.
Quamobrem ubi allatum ad uos fuit decretam iDstauratiooem ordinis Saocti
Lazari oliin apostolic auctoritate instituti, et... supprimi ac suppressa de-
clarari xeiiodochia, valetudiuaria, aliasque piaa domos et sacella quampla-
rima ia tituluni beueficii eddem auctoritate erecta;... creatos prsterea Parïsiii
totoque in Galliie regoo ofQciales per quorum tantummodo manus omoe$
Romanœ et Avcuioueusis curiœ expeditiones et provisiones ecclesiasticas te
spirituales in po^terum facieudas esse rcgio edicto sancitur, UQ«Ie et grave pcoU'
ticicB auctorituti vuluus iutligitur, et de mcdio tollitur ratio coDsuleudi secretje
coDscientiarum quicti, sicuti cuivis facile est inteUigere: additum insuper
ediclo nulla algue irrita fore ponlificia diplomata guœ alid vid impeirarenUr;
ut pliira alla lu codem génère patrata sileamus; justum nos quidem ex tali
Duncio dolorem ccpimus et pro rei maguitudine peracerbum, qui animuo
nostrum a sollicitudine curÂque tam gravi couquiescere doq sinit; sed euo
tamcn valemus ad Majestatem Vestram nos ipsi déferre ut non minorem pt-
teroœ noslrx erga ipsam caritatis quam partium quas pastoralis ofûcii debi-
tum nobis imponlt, rationem baberemus. Quaequidem caritad non solum Qoa
patitur nos de Majestatis Vestrœ voluntate quicquam absonum suspicari.
verum etiam spcrare jubet ac plane coufidere Majestatem Vestram, ubi quiJ
actum sit serio animadverterit, obviam scaudalo ituram, cum toties ac dob
un.! iu re palam foccrit, anliquiora sibi non esse ipsa regiae sus magnita*
diuis dccora quam jura diguilatemque bujus sanctse sedis. Assiduo cupimui,
et quidem ex iutimo auimi sensu, omnia Majestati Vestrœ ex voto fluere et
cum ipsam tum regiam domum suam novis in dies, benedicente DomioOf
MISSION SECRÈTE DE l'aBBÉ COCQUELIN 499
Mais, avant même que ce bref parvint en France, Louis XIV
avait déclaré à Nerli, dans les termes les plus durs, que le
pape n'avait rien à espérer de lui, et Pomponne écrivit à
l'ambassadeur : « ... M. le nonce a reçu ordre de faire de
grandes instances au roi sur Taffaire de Saint-Lazare et sur
redit des expéditionnaires qu'il prétend n'avoir pu être faits
sans Tautorité du pape et demande qu'ils soient révoqués. Sa
Majesté lui a fait répondre et lui a répondu elle-même... que,
n'ayant rien fait, dans Tadaire de Saint-Lazare, qu'elle ne fût
en pouvoir de faire, elle était dans la résolution de le mainte-
nir ; qu'elle avait eu recours au pape afin qu'il confirmât par
son autorité ce que Sa Majesté avait établi par la sienne, et
qu'elle serait toujours bien aise que Sa Sainteté voulût en cela
lai accorder ce qu'elle lui avait fait demander. Sa Majesté
s'est expliquée de plus qu^elle avait grand sujet de se plaindre
de M. le cardinal Âltieri^ de qui elle voyait assez que venaient
ces difficultés (1), Sa Majesté s'assurant que le pape, par lui-
même, se serait porté volontiers à l'obliger. M. le nonce té-
moigna, dans toutes ces choses où il n*y a proprement que de
la forme^ qu'elles se pourraient accorder dans le fond, mais que
des ordres ne peuvent être supprimés sans l'autorité du pape,
ni les bénéfices qui ont été unis à quelques maisons ou hôpi-
taux, désunis que par son autorité. Il aurait désiré sans doute
que Sa Majesté eût révoqué les édits, mais il s'était renfermé
à demander au moins qu'ils fussent suspendus; Sa Majesté
n'a pas jugé devoir admettre ni l'une ni Tautre de ces proposi-
tions. G*est assez pour vous instruire de la conduite que Sa
Majesté désire que vous teniez, si Ton vous reparle sur ce sujet.
Cette affaire ne pourrait recevoir de changement, à moins que
le pape donnât sa bulle entièrement conforme à l'édit de Sa
Majesté. Alors Sa Majesté pourrait délibérer peut-être sur la
gioris et felicitatis incrementis provehi ac florere. Verumtamen idsperare mi-
nime po88emuSy ubi Ma j estas Vêtira adeo gravia iraditœ nobis a Deo potesiati
prœjudicia inferri paleretur: praesertim podtquam satiâ teslata sunt et illus-
tria pecuiiaris nostne io ipsam propensiouis et benevoleotiie docunienla >
(i) L*affaire a été reuvoyée à uue Congrégatiou où siégeât, avec le cardinal
Altieri, les cardinaux Imperiali, Ottboboai, Carpegna et Albizzi : ils sont una-
nimes à dire que Rome a rarement reçu un pareil affront. (Servient à Pom-
poDoe, 12 avril 1613. Rome, 223.)
500 CHAPITRE TROISIÈlfE
satisfaction qu'elle pourrait donner au pape à Tégard deFédil
après qu'elle aurait reçu tout le fruit qu'elle a pu attendre de
cet établissement. » Le ministre écrivait le même joar is
cardinal d'Ëstrées : « Votre Éminence verra, dans la letire
que j*écris à M. l'ambassadeur, qu'autant que Ton prend haute-
ment à Rome 1 affaire de Saint-Lazare, autant le roi est-il ré
solu de la soutenir. De la manière toutefois que M. le nonce
m'en a parlé, il semble qu'elle ne tient qu'aux formalités, et
que le pape voudrait seulement que la suppression des ordres
se flt par sa seule autorité. Pourvu qu'il donnât sa bulle entiè-
rement conforme à Tédit, je ne sais si le roi ne se contenterait
pas d'obtenir par cette voie ce qu'elle désire, mais^ jusquesà
ce qu'elle fût bien expédiée, je ne vois pas que Sa Majesté
veuille suspendre le moins du monde l'exécution de son édit
On n'aurait pas donné un bon conseil à Rome de porter le
pape à écrire des brefs sur ce sujet aux évèques, au Parlement
de Paris et à la Sorbonne. Vous savez s'ils y seraient reçus.
Je ne doute pas que M. le nonce ne rende compte aujourd'hui
de la force avec laquelle le roi lui a parlé ce matin sur celle
aflaire(l). »
L'abbé Cocquelin, en vertu de ses pouvoirs, soumit l'inté-
grité d'Allieri à une épreuve redoutable. En effet, indépen-
damment des affaires que l'on connaît, il « poursuivait encore
secrètement un chapeau pour Charles-Maurice le Tellier, ar-
chevêque de Reims, et avait tâché d'obtenir une nomination
ou une recommandation de la reine de Suède en sa faveur,
faisant espérer au cardinal Altieri que, si cet archevêque était
promu sur celte nomination, Ton ne solliciterait de long-leoips
la nomination du roi... Cet abbé promettait qu'aussitôt après
Texpédition de ces grâces, le roi rappellerait le duc et le car-
dinal d'Estrées, l'abbé Servient et les autres personnes qui
avaient quelque attachement à eux dans la cour de Rome,
et qu'on leur ferait quelque mortification; que Tarchevêque
de Reims, si on le faisait cardinal, sinon, le cardinal de Bonsy
viendrait faire la fonction d'ambassadeur du roi et qu'en atten-
dant, l'abbé Cocquelin y aurait la direction des affaires de Sa
(1) 28 avril 1673. Rome, 225.
MISSION SECRÈTE DE L*ABBÉ COCQUBLIN 501
Majesté ; que cet abbé et ensuite le cardinal de Bonsy ne trai-
teraient qu*avec le cardinal Âltieri et ses amis, et n'auraient
que de Tindifférenco pour les autres sur le moindre désir de
ce cardinal; qu*il y aurait une union indissoluble entre la
faction de France et celle du cardinal Altieri envers et contre
tous; que Ton ferait divers avantages en France, aux parents
de ce cardinal^ et que le roi lui donnerait Tabbaye de Cluni,
trente mille écus de rente et la protection de France, qui reste-
rait indécise jusqu'à ce qu'il la voulût accepter (1). «Cocquelin
ne doutait pas que ses offres ne fussent irrésistibles et n'apla-
nissent les obstacles suscités par l'édit des expéditionnaires.
Le docteur de Sorbonne, si mal préparé pour cette mission,
se posait en rival de MM. d'Ëstrées, auxquels il rendait de rares
visites^ et répandait le bruit de leur prochaine disgrâce (2). Le
duc écrivait (3) : « Par des soupers solennels qu'il fait une
fois la semaine^ oh il convie tous les Français, et par de nou-
veaux cuisiniers qu'il prend, dont il vante la délicatesse, il
affecte tous les dehors de ministre, jusques à une vanité pué-
rile. » Il ne parlait à l'ambassadeur que des deux édits, lui
cachant avec soin les autres affaires qu'il sollicitait (4). Altieri
(i) Analyse de Saint-Prêt. Rome, NégociaiionSy 25.
(2) L*Bbbé Buti, pensionnaire de France, qui fréquente Cocquelin, disait
récemment nu cardinal Chigi « que vous n'entendiez pas les affaires de ce pays-
ci et que le roi n'avait plus la môme considération pour vous qne lorsqu'il
TOUS avait choisi pour être M. de Lionne; que nous nous en retournerions
bientôt en France et qu'il croyait que M. le cardinal de Bonsy viendrait faire
les affaires en notre place, et que nous avions deux grands ennemis, MM. le
Tellier et de Lonvois, qui étaient les deux plus habiles ministres. » (Le duc
à Pomponne {confidentielle), 8 août 1673. Rome, 227.) Déjà, le i«r Juillet, le duc
d'Estrées avait écrit à Pomponne : Cocquelin répand le bruit « que M. de Lou-
Yois avait empiété sur les finances et heureusement, puisque cela lui avait
réussi; que, pour les affaires de Rome, il voyait bien que les plus considé-
rables passaient par les mains de M. de Louvois; qu'il en était de même de
celles d'Allemagne ; qu'il fallait demander à M. le cardinal d'Estrées et à moi
si vous reculiez on si vous alliez en avant ; qu'assurément vous n'avanciez
pas ; que M. de Louvois n'était pas tout à fait premier ministre, mais qu'il
ne s'en fallait guère, et qa'il fallait le regarder comme le soleil levant. »
{Rome, 226.)
(3) A Pomponne, 8 août 1673. Rome, 227.
(4) L'abbé Servient et MM. d'Estrées avaient pénétré son secret par an ami
du marquis Nerli, frère du nonce à Paris. Comme les discours de Cocquelin
intéressaient et menaçaient Pomponne autant qu*enx-mèmes, ils faisaient
passer lours informations au ministre par les voies les plus secrètes, par la
502 CHAPRRE TROtSlteB
négligea l'occasion qui s'oiïrail de s^acquérir ramitié de
Louis XIV et de deux puissants ministres; il chercha unique-
ment dans quelle mesure les instances du roi pouvaient èlreae-
cueillies sans sacrifier les droits de TÉglise, et il marcha cois-
tamment d'accord avec le pape comme avec les cardinaox
consultés sur ces affaires. Un jour, le cardinal Gastaldi^ croyant
le cardinal d'Estrécs au courant de toutes les négociations de
Cocquelin, lui apprit que Clément X et le cardinal-patron mon-
traient d*abord des dispositions favorables, « mais que ceux
auxquels on avait donné le soin d'examiner et d'étudier la ma-
tière n avaient pas cru qu'elle fût faisable; que d'ailleurs
quoique cardinal qu'il ne nomma pas à M. le cardinal d'Es-
trées, en ayant pénétré quelque chose, en avait parlé au pape
si fortement et représenté tant de considérations au cardinal
Âlticri qu'ils en étaient présentement fort éloignés, et qu'en
un mot on avait conclu que il negotio fion era facile^ et que
les réponses que Ton avait faites jusqu'à cette heure, quoi-
qu'elles ne fussent pas una negaliva cruda^ tendaient néan-
moins à la faire recevoir (i). »
Le pape et Altieri craignaient plus le ressentiment de
Louis XIV qu'ils no souhaitaient sa bienveillance; mais, tout
en ajournant leur refus définitif, ils ne lui laissèrent jamais
espérer qu'ils fissent passer leur intérêt avant celui du saint-
sœur de Servient, par M™" de Pomponne, et par Pachau, premier commU
des Affaires étrangères. (Le duc à Pomponne, 20 juin, l«r et 4 juillet, 8 et
29 août 1G73; Servient an môme, 21 juin et 30 août; à Pachau, 5 juillet,
23 août et 29 décembre 1673. Rome, 2i«, 227, 228, et un grand nombre de
lettres de 1673 et de 1674.) — < Cependant TabbéCocquelin sollicitait incesfaoï-
ment, sous les ordres de MM. le Tel/ier et de Louvois, l'affaire de Saint-Lazare...
Outre cette affaire, il était encore chargé de diverses autres pour letquellei
le roi avait recommandé le secret au cardinal Altieri par une lettre particn-
lière de sa main, en sorte qne le duc ni le cardinal d^Estrées n'en soreDt
rien que par le moyen du sieur Pignateili, ami du marquis Nerli, qui en fit
coufldence à Tubbé Servient et sur la foi duquel est fondé tout ce qui va être
rapporté des négociations de l'abbé Cocqueliu, » {Analyse de Saint^Préi . Rome,
Sf^gociationSf 25.) — A côté de renseignements précieux, il y a nécessaireDient,
dans les rapports de Servient et dans V Analyse de Saint-Prôt, bien des faits et
des conjectures coutrouvés, qu'il faut compléter ou rectifier avec les dépêches
de MM. d'Estrées et celles de Cocquelin, dont une grande partie est conservée
aux Archives de la Guerre, Italie et Savoie, 355. Je n*ai pu découvrir le^
lettres que lui ont écrites le Tellier, Lonvols et l'archevêque de Reims.
(1) Le duc à Pomponne, 4 juillet 1673. Rome, 226,
MISSION SECRÈTE DE l'aBBÉ GOGQUELIN SOS
siège : « J'apprends^ disait l'abbé Servient (1), qu'après bien
des réflexions on commence à condescendre (je ne saissiCoc-
quelin le sait) à Tune des deux affaires, sur le pied d'accorder
au roi quelque assistance dans une guerre contre les hérétiques
et sur la considération des avantages qu'on oiïre pour le saint-
siège : c'est la seconde à laquelle on pourra se résoudre^ qui
regarde l'imposition des pensions sur tous les évèchés et sur
toutes les abbayes de France. On en tirera les évèchés, si l'on
peut, et Ton tftchera de ne permettre cette imposition sur les
abbayes vacantes et qui viendraient à vaquer; mais on pré-
tendra par là d'être délivré de toute sorte d'instance pour les
autres affaires dont l'abbé Cocquclin peut être chargé... » Le
2 septembre, après huit mois de séjour à Rome, cet abbé
« non seulement mélancolique, mais mortifié », venait à Far-
nèse avouer la crainte d'un échec et son prochain départ pour
la France (2). On délibéra sur des projets de brefs; mais une
grave maladie de Slusio (3), secrétaire des lettres aux princes,
avait encore prolongé la négociation, sans que le palais mon*
irftt l'intention de céder sur les points essentiels, et le duc
d'Estrées écrivit à Pomponne (4) : « Nous avons su par un
canal bien sûr que le sous-dataire a dit, depuis quelques jours,
que les affaires que sollicite Cocquelin ne sont pas encore ré-
glées, non pas même celle de Saint-Lazare, sur ce que l'on ne
veut pas accorder à ceux qui ont une possession centenaire
qu'ils pussent être dépossédés ; que l'on n'est pas encore d'ac-
cord de donner la nomination des bénéfices dépendants de
Cluni, parce que ce serait une conséquence pour demander
ceux de Tordre de Saint-Augustin et tous les autres du royaume,
et que, si Ton savait les choses exorbitantes que Cocquelin lui
demande. Ton en serait surpris. » En l'absence de Slusio,
Cocquelin avait envoyé en France un projet de traité dont le
roi fut content, mais auquel manquait l'approbation du pa-
lais (5). Slusio, rétabli, prépara des brefs, et l'on cherchait
(!) À Pomponne, 30 août. Aome, 227.
(2) Le duc à Pomponne {iecrèU). Romet 227.
(3) Qui fut créé cardinal par Innocent XI.
(4) 8 noyembre. Romet 228.
(5) Le duc à Pomponne, 18 octobre et 20 décembre {iecréies) . Aome, 2S8.
504 CHAPITRE TRoISIÈlfE
de bonne foi de nouveaux expédients, lorsqu'un incideqt inat^
tendu vint mettre fin à la négociation de Cocquelin.
On apprit tout à coup, à Rome, que, loiu de révoquer Tédit
des expéditionnaires, comme cet abbé Tavalipromis, LouisXlY
venait de lui donner une nouvelle vigueur et de rendre, es
conseil d'Etat, un arrêt prononçant des peines contre ceoi
qui n'y obéiraient pas. Altieri en ayant fait des reprodiesà
Cocquelin, celui-ci, « pour Tapaiser, lui dit que M. Colbertet
peut-être M. de Pomponne, par Tamitié qu'ils avaient poar
l'ambassadeur, avaient subrepticement emporté cet arrêt, afin
de ruiner les affaires qui se traitaient à Rome à leur insu par
le canal de M. de Louvois. Mais le cardinal Altieri lui répon-
dit qu'il fallait ou que M. de Louvois, qu'il avait fait tout-
puissant en France, fût bien faible, puisqu'il n'avait pu détour-
ner cet arrêt, ou qu^il se souciai bien peu de satisfaire le pape
et même d'obtenir ces grâces qu'il était sur le point d'accorder,
ayant déjà les brefs dans sa cassette... L'abbé Cocquelin s'em-
porta d'abord qu'il vit l'indignation du cardinal Altieri et dé-
clara, par manière de menace, qu'il s'en irait dans dix jours.
Ce cardinal témoigna s'en peu soucier et lui souhaita bon
voyage, étant fort aise d'avoir ainsi un prétexte pour rompre
cette négociation. L'abbé Cocquelin aurait pu raccommoder
l'affaire si, sans s'emporter, il eût montré le plein pouvoir
qu'il avait du roi, en vertu duquel il aurait pu promettre la
révocation de Tédit et de l'arrêt... Après que son emportement
fut dissipé, il voulut user de ce moyen; mais il ne le put, les
esprits s'étant alors trouvés trop aigris, et le cardinal Altieri
étant bien aise de sortir ainsi de cette affaire. Cet abbé fît tout
son possible pour engager la reine de Suède et le cardinal
Azzolino, qui étaient alors fort unis avec le cardinal Altieri,
à s'employer pour faire renouer la négociation;... mais la
reine et ce cardinal le rebutèrent et ne le voulurent plus
écouter. Il vit successivement le marquis Nerli, l'abbé Baglioni,
le cardinal Basadonna et le cardinal dataire;... mais toutes
ces diverses tentatives ne lui servirent de rien, et il trouva de
tous côtés des gens résolus à ne plus traiter avec lui. Ainsi,
il partit brusquement de Rome, le dernier décembre, à la
pointe du jour, sans prendre congé du cardinal Altieri, du duc
MISSION SECRÈTE DE l'âBBÉ COCQUELHf 505
d'EstréeSy ni d*aucun autre, disant qu'il en avait reçu un
ordre exprès de Sa Majesté (1). »
(i) Analyse de Saint-PréL RomCf Négociations, 25. — Le duc d'Estrées à
Pomponne {secrète), 26 décembre 1673. Rome, 228. Le 3 janvier 1674, le duc
d'Estrées informe le roi que Cocquelin a disparu tout à coup : un des ses
parents, M. Boisrenard, est venu seulement présenter « ses civilités et com
pliments Ȉ l'ambassadeur, mais non au cardinal. (Le duc au roi; le cardinal
à Pomponne, 3 Janvier 1674.) Dans sa réponse du 26 Janvier, Pomponne, visi-
blement embarrassé, avoue que ces procédés donnent en effet « sujet de se
fort étonner. » {Rome, 229.) — Une lettre curieuBe de Cocquelin à Louvois
nous montre le docteur de Sorbunne se piquant aussi de connaissances mi-
litaires : « Monseigneur, si, parmi tant d'occupations qui font la gloire et la
grandeur de l'État et tant d'heureux succès,... il reste quelques moments à
Votre Grandeur pour se délasser dans le temps où cette lettre lui est rendue,
e la supplie très humblement de vouloir Jeter les yeux sur ces lignes pour
recevoir, ou comme un avis ou comme un divertissement, la pensée d'un
homme qui m'est venu chercher pour me proposer un secret par lequel il
prétend avoir trouvé le moyen de faire marcher sur les eaux une armée dis-
posée en bataillons comme sur terre, et cela sans bateaux et sans aucune autre
machine que celle dont chaque soldat se servira et qui ne l'empêchera ni de
marcher, ni de combattre quand il sera à bord et même avant que d'y arriver...
Je l'ai obligé de m'en dire assez pour me faire croire que la chose n'est pas
impossible. Il s'offre de perdre la vie en cas qu'elle ne réussisse pas, et il demande
si peu pour la première expérience que, si Votre Grandeur a la bonté d'agréer
que l'on en fasse ici l'épreuve, je tâcherai d'en faire la dépense sans que per-
sonne en entende parler... La machine de chaque soldat, selon ce que Je
puis comprendre, ne reviendrait pas à plus de deux ou trois pistoles et elle
servirait plusieurs années, soit dans l'eau, soit hors de l'eau. » Louvois a fait
écrire en tête de cette lettre, par la main d'un secrétaire : « Ce ne peut être que
folift, n (Archives de la Guerre 1672. 276.)
CHAPITRE QUATRIÈME
INTÉRÊTS GÉNÉRAUX DE L'EUROPE. — AFFAIRES EGCLÉSIASTIQUCS K
FRANCE. — GLÉUENT X EST, SUR TOUS LES POINTS, UN OBSTAOI
AUX PRÉTENTIONS ILLÉGITIMES DE LOUIS XIV. 1673-1674.
Promodoa du 1î Join !673 : plaintes mal fondées de Lonif XIV. Portraits Ses canfiaiii a
des prélats qai ont le plus de crMit sous Clément X et auxquels il confie les affaires dt Frim
Congrégations romaines : areux du cardinal d'Estrées. — La cour de France désire qw b
pape inTÎto lo régent de Portugal à prendre le titre de roi : refus de Qément X. — Vanafi
du duc d'York avec la princesse de Modène : intrigues de Louis XIV pour le Caire eéèAm
sans la dispense pontiflcale. — Clément X poursuit la fermatioa d'une li^e contre l« Tsrt.
Louis XIV s'y oppose et empêche les Polouaii d'y entrer. Mort da roi de Pologne MiclielK*-
rybuth. Élection de Sobieski : est-il vrai qu'elle soit dua à l'inBuance de Forbin4aBsoB,éTéfM
de Marseille, ambassadeur de France? — Atteintes nouvelles portées par Louis IIÎ »
droits spirituels du saint-siège et aux libertés ecclésiastiques. Abbayes de Prémoniré et à
Saint-Martin de Laon. — Les (iénovéfains. Les Doctrinaires. Les Budistea, Violeaecs eoatit la
procureurs généraux des ordres religieux. — L'abbaye da Cluoi.
On lit dans V Analyse de Saint-Prêt : « Le cardinal Altieri
ayant écrit au roi qu'il avait une extrême douleur de ce que les
empêchements qui s'étaient rencontrés l'avaient empêché de
rendre à Sa Majesté les services qu'il désirait^ dans les affaires
dont l'ahbé Cocquelin était chargé. Sa Majesté ne lui fil point
de réponse, étant bien aise de lui faire connaître qu'elle n'a-
vait pas été satisfaite de sa conduite dans ce rencontre. Elle
désira que le duc d'Estrées le lui fît connaître dans les occa-
sions qui se présenteraient, et témoigna qu'elle serait bien
aise que le désir que ce cardinal devait avoir de se conserver
dans ses bonnes grâces le portât à lui donner plus de satisfac-
tion à l'avenir dans ces mêmes affaires (1). » Louis XIV savait
pourtant, à n'en pouvoir douter, qu' Altieri n'avait fait que
se ranger à l'avis du sacré collège et obéir au pape. Coc-
quelin lui-même venait de le répéter, depuis son départ, dans
une lettre datée de Lorette. Il disait à Louvois : Il y a dans le
cardinal-neveu « beaucoup plus de faiblesse que de mauvaise
volonté... Je crois qu'il est bon de savoir que, quand je vis le
(l) Analyse de Saint-Prêt. Rome^ Négociations^ 25.
PROMOTION DU 12 JUIN 1673 507
cardinal Altîerî pour la première fois après la nouvelle de
l'arrêt, je ne le trouvai nullement échauffé; au contraire^ il
me proposa quelques moyens de remédier à la chose et de ré-
tablir les affaires... » Et quinze jours après, écrivant de Ve-
nise à Louvois, il rendait le même hommage à la vérité (1) :
« J'ai pris congé, dit-il, de M. le cardinal Altieri dans les deux
dernières audiences que j'ai eues de lui... Après n'avoir rien
oublié pour lui faire connaître ses véritables intérêts;... que
c'était se tromper que de croire que le roi révoquât les arrêts en
question, si Ton ne commençait par l'exécution de ce que j'avais
ordre de solliciter,... il me répondit, dans la pénultième au-
dience : Dimque, caro mioabbate, bon viaggio, epiùfelice suc-
cesso degli altri suoi affaril Mais ayant parlé avec encore plus
de fermeté, dans la dernière, et lui ayant toujours représenté
que le seul moyen d'accommoder l'affaire des expéditionnaires
et toutes les autres était de tenir parole, il me prit par les
deux bras, me demanda pourquoi je n'avais pas écrit qu'tV
fallait commencer par la révocation des arrêts^ après quoi on
le trouverait dans la mêfne disposition que devant^ et me dit
que cela ne se pouvait autrement, et quHl n'en était pas le
maUre.., »
Toutes les pièces que nous avons sous les yeux établissent
que le duc et le cardinal d'Estrées, menacés d'un rappel igno-
minieux (2), ne durent alors leur maintien à Rome qu'à la
loyauté d'Altieri (3), et que, dans toutes les affaires qu'ils
avaient traitées eux-mêmes avec le palais, pendant le séjour
de Gocquelin à Rome, le pape et le cardinal-neveu avaient
témoigné les meilleurs sentiments pour la France.
(1) 20 janvier 1674. Archives de lu Guerre, Italie et Savoie, 355.
(S) Cocqudlin se vaatH de aous faire partir quand il voudra. (À Pom-
ponne, 22 novembre 1673.) — Gocquelin anuonce notre rappel prochain : Je
dois être remplacé par le duc d'Auriiont. (Au môme, 29 novembre.) — J*ai
appris que, « dès le moment que M. de Reims aurait obtenu cette dignité
[le cardinalat], il viendrait dans Tinstant exercer ici l'ambassade, comme les
cardinaux Nidhard et Landgrave [de Hesse]; qu'on rappellerait M. l'ambas-
sadeur et M. le cardinal d'Estrées. » (Servient à Pacbau, 21 décembre. Rome,
228.)
(3) «« Le cardinal Altieri, soit par générosité, ou par politique, se relâcha du
rappel du due et du cardinal d'Estrées. » [Analyse de Sainl-PrêL Rome, Né-
gocialions, 25.)
508 CHAPITRC QUATRlteK
Ainsi, le 16 janvier 1673, Clément X avait donné le chofHn
de gratitude à l'abbé Felice Rospigliosi, dernier neveu de Clé-
ment IX, prélat « studieux et appliqué », dit Bourlemont, et
tout le monde fit honneur au roi de cette promotion : le cardi-
nal Altieri s'en réjouit avec l'ambassadeur de France, et loi
déclara qu'elle aurait eu lieu plus tôt, si le pape n*eût cniint
de paraître céder aux instances trop peu discrètes des cardi-
naux fiarberini, Chigi et Fachinetti. Le nouveau cardinal re-
çut en même temps la protection des Capucins, charge très re-
cherchée, et pria le duc d*Estrées d'en remercier le souverain
pontife. Le palais Farnëse fut flatté de ces grâces accordées à
une famille amie des Français (1). Il ne s'applaudit pas moins
du consistoire tenu le 12 juin suivant, où le pape proclama
quatre cardinaux et en réserva un cinquième in peiio. Le pre-
mier nommé était Nerli, archevêque de Florence, nonce à
Paris, où il avait été bien accueilli par le roi, et qui fut appelé
à la secrétairerie d'État, vacante par la mort de Borromeo.
« La promotion du nonce de France, écrivit l'ambassadeur,
quoique déguisée sous le titre de secrétaire d'État, a été fort
remarquée par le sacré collège et jugée avantageuse à Voire
Majesté, les nonces d'Espagne et de Vienne ayant été négli-
gés. » Le cardinal d*Ëstrées voulut bien faire des c< honnê-
tetés » à Clément X et au cardinal-patron : celui-ci les reçut
« avec plaisir », et déclara que le pape allait de nouveau « choi-
sir pour la nonciature de France un prélat qui pût être agréable
à Sa Majesté. » — Après Nerli, venait Casanata, « homme de
mérite et de grande érudition, selon Bourlemont. Il a passé
par les plus considérables charges de la prélature C'est un
esprit adroit, accort et fort studieux. Le pape a toujours eu
beaucoup d'estime pour son mérite et Ta élevé à cette dignité
de son propre mouvement. » Quoique né dans le royaume de
Naples, il n'avait plus ni parents, ni biens dans la dépendance
de l'Espagne, et il en avait informé le duc d'Estrées, qui écri-
vait : « Depuis ce matin, il a pris soin de me faire confirmer
par le pape toutes les assurances qu'il me fit donner il y a
quelques jours... Il a plus de connaissance des livres et des
(i) Bourlemont à Pomponne, 7 janvier; le duc au rot, 18 et 24 janvier, et
28 février 1673. Rome, 225.
PROMOTION DU 12 JUIN 1673 S09
maximes de France qu'aucun autre cardinal et parait moins
capable des préoccupations de cette cour. Les vues qu^il aura
sans doute pour le pontificat et qu'il a peut-être déjà conçues
Tobligeront assurément à se ménager extrêmement sur les
intérêts de Votre Majesté et à s'efforcer de lui plaire. » Cepen-
dant le duc conseilla au roi de se plaindre au pape de ce choix,
sous prétexte de la naissance^ mais en réalité afin de se créer
un moyen d'obtenir quelque grâce en compensation. — Le
troisième cardinal était un Génois, Gastaldi, trésorier de la
Chambre, qui avait déployé de grands talents dans cet emploi»
c( Par l'activité de son esprit, dit Bourlemont, et la fécon-
dité de ses expédients, il plut à don Mario^ frère du pape
Alexandre VU, qui le porta à la charge de clerc de Chambre*
Ensuite le cardinal Rospigliosi [Jacopo], étant neveu de pape,
réleva à la première et plus considérable charge de la préla-
ture de Rome, qui est celle de trésorier de la Chambre, et à
présent il a été fait cardinal. Ce qui est de considération en cet
homme, c'est que, sous trois pontificats qu'il a travaillé ici à
sa fortune, il a su agir si adroitement que, sans déplaire aux
parents des défunts papes, il s'est acquis les bonnes gr&ces
des régnants en se rendant utile pour le bien de leurs affaires
domestiques et de leurs intérêts... La mine ne lui est pas avan-
tageuse, étant borgne et fort gâté de petite vérole; mais c'est
un esprit de grande ressource en matière d'économie et de
départis. C'a aussi été jusqu'à présent toute son application. »
Quant au cardinal Basadonna, « c'est, dit le même abbé, un
homme d'un insigne mérite; il a été avec son père à l'ambas-
sade de Constantinople... Il a fait les ambassades d'Espagne et
de Rome avec beaucoup de réputation... C'est un esprit net, pé-
nétrant et délicat, homme do probité, de bonnes mœurs et sans
vice. Il vivait ici avec une retenue, comme si Dieu l'eût déjà
appelé à l'état ecclésiastique. Il fut procureur de Saint-Marc,
étanlencore ambassadeur à Rome. » Il représentait la Seigneu-
rie auprès d'Alexandre VII, pendant la querelle des Corses, et
« sa conduite dans cette conjoncture avait été très bonne pour
la France. » Clément IX voulait déjà lui donner la pourpre (1).
(1) Le duc au roi, 6 et 12-14 juin; — Bourlemont à Pomponoe, 13 juin 1673.
Romêf 226.
510 CHAPITRE QUATRIÈm
Louis XIY n'était donc pas fondé à prétendre que ses eaat
mis fussent introduits de préférence par Clément X dans k
sacré collège, où la France comptait tant de sympathies : die
trouvait de i*imparlialité mémo dans les factions où elle au-
rait pu craindre de n'avoir que des adversaires. C'est le cardi-
nal d'Ëstrées qui écrivait (1) : « Les Italiens sujets du roitTEi-
pagne sont souvent les mieux intentionnés pour tiotis et les moins
agréables aux Espagnols, comme le cardinal Bran caccio, le car-
dinal Yidoni et le cardinal Caraffa. » C'est encore César d*Es-
Irées qui s'exprime ainsi sur le cardinal Bona, Piémontais,doat
la vie était en danger : « Le sacré collège perdrait en lui im
sujet d*une grande vertu et d'un grand désintéressement, et le
roi un serviteur forl affectionné (2). »
Le même cardinal dËstrées, qui obtint alors Tenlrée duSaint-
Office, s'assura que, dans cette Congrégation comme dans les
trois autres où il siégeait déjà, Icsaffairesdes princes étaient élu-
diées et jugées avec autant de droiture que de science, et il écri-
vait à Pomponne (3) : « . . . Hors les opinions qui regardent laulo-
rite du pape, sur lesquelles le Saint-Office est de longtemps trop
engagé et trop prévenu, f équité d'ailleurs et l indifférence (4) y
paraissent assez grandes sur les autres matières, comme on en
verra quelques effets dans peu de temps. Dans le jugement des
procès, qui est l'autre partie qui occupe ce tribunal, j'y trouve
aussi plu^ de douceur et de condescendance que l'idée de l'In-
quisition n'en fait d'abord imaginer. »
Dans quel livre gallican ne lit-on pas que le zèle pour les maxi-
mes dites ultramontaines tenait lieu de tout, àRome, pourvu que
la France fût inondée d'émissaires et de suppôts du pape? L'his-
toire vraie doit s'exprimer autrement. Le P. Eudes sollicitait
alors l'approbation canonique de son institut. Son dévouement
au souverain pontife était profond, et les clercs formés par lui
passaient pour « promettre que, même dans les choses dou-
teuses et volontaires, ils professeraient et soutiendraient les
opinions les plus favorables au saint-siège. » Celte considéra*
(1) A Pomponne, 15 novembre 1673. Iiomt\ 228.
(2) 22 novembre 1673. Rome, 228.
. (3) 28 février 1674. Rome, 229.
(4) C>pt-à-dire VimparlialiU.
LES CONGRÉGATIONS ROMAINES SU
tion, quoique fortifiée par les services déjà notoires des Ëu-
distes et même par les instances personnelles du roi, ne pré-
valait pas sur la prudence ordinaire des Romains. La Congré-
gation dos Réguliers différa longtemps sa décision : elle exigea
une plus longue épreuve^ « ne croyant pas qu'il fût utile de
multiplier le nombre des congrégations de missionnaires en
France, y en ayant déjà quatre ou cinq d'établies et fort éten-
dues, et d'ailleurs le nombre de cinq ou six maisons, resser-
rées dans quelques diocèses particuliers et sans apparence qu'il
pût beaucoup s'augmenter, ne suffisant pas pour ériger une
nouvelle congrégation (1). »
Si du sacré collège on passe à la prélature^où se recrutaient
la plupart des cardinaux^ on voit que ceux de ses membres qui
avaient le plus de crédit auprès de Clément X et du cardinal
Altieri n*étaient pas moins connus pour leur déférence en-
vers la couronne que pour leur mérite et leur vertu. Le palais
Farnèse fut mis en émoi par la maladie du secrétaire des brefs,
Slusio, dont l'abbé de Bourlemont et MM. d'Estrées vantaient
à l'envi les talents, l'intégrité et TafTection pour la France (2).
— Le gouverneur de Rome, Luigi Bevilacqua, s'appliquait à.
(i) Le cardinal d'Estrées à Pomponne, !«' août 1673. Rome, 227. — « S. M.
s'est très bien ressouvenue des ordres qu'elle avait donnés à V. É. de favo-
riser rétablissement que le P. Eudes propose de six ou sept maisons de mis-
sionnaires 6(1 Normandie, mais en même temps elle a fait réflexion sur ce que
V. É. lui a mandé sur ce sujet. Outre que S. M. a trouvé la difficulté de la
Congrégation des Réguiiers assez bien fondée de ne pas établir une congré-
gation de missionnaires et renfermée dans si peu de maisons et dans une seule
province, elle a fait beaucoup de considération sur le mémorial porté de la
part desdits missionnaires et dont vous lui avez envoyé copie. Il a pat^u d'une
dangereuse conséquence à S, M. d'admettre un nouveau vœu dans les religions
gui les oblige, dans les choses douteuses ou volontaires, de soutenir les opinions
tes plus favorables au saint-siège. Il est peu nécessaire de faire voir dans
quelle rencontre de semblables principes peuvent être dangereux aux rois, et V, Ê.
sait que rien n'écfiappe aux lumières de S, M. Aussi elle ne demande plus de
vous de fort appuyer l'intérêt de ces missionnaires ; mais autant que vous ju-
ges, Monseigneur, qu'il vous importe que Ton ne pénètre pas que vous ayez
donné un tel avis, autant sera-t-il bon sans doute que vous laissiez aller la
chose sans Tappuyer et sans faire connaître qu'il y ait rien de changé aux
ordres de S. M. » (Pomponne au cardinal d'£strées, 8 septembre 1673. Rome,
227.)
(2) Lionne et Bourlemont à Pomponne, 3 et 4 octobre 1673. Roms, 228. — .
« M. Slasius est également intelligent et bien intentionné. » (Le cardinal d'£s*
trées à Pomponne, 23 juin 1676« Rome, 244.)
512 CHAPITM QUATRlftMK
pacifier sans éclat les querelles si nombreuses que provoquait
la turbulence française. A la suite d'un incident de cette natunt
le duc écrivait à Pomponne : « U est certain que, si le sbire ni
pas offensé le Français, il ne se peut rien de plus violent ni de
plus criminel en ce pays-ci que Tinsulte qu'il [le Français] a
faite au corps de garde et que Ton a eu de très grands égards
pour les sujets de Sa Majesté de ne faire aucune démonstn-
tion contre eux. » Pour éviter la vengeance des sbires irritis,
je vais faire sortir ces nationaux de TÉtat ecclésiastique. Be-
vilacqua « a eu un de ses frères tué en Allemagne au service
de Sa Majesté dans le régiment Mazarin et parait fort affec-
tionné à la France ; c*est un prélat de mérite et fort sage et
aussi j'ai jugé de me fier aux assurances qu il m'a données (1). ■
— Aussitôt après )a promotion de Nerli, le pape chercha iid
nouveau nonce pour la France : il prévint les prétentions éle-
vées en pareil cas par Louis XIY, et, désirant surtout établir
une bonne correspondance avec ce prince, il lui laissa le choix
entre plusieurs noms. Les agents français recueillirent sur ces
prélats des informations confidentielles qui [donnent de pré-
cieuses lumières sur le gouvernement pontifical (2), Louis XIV
(!) 28 mars 1673. Rome, 225.
(2) Mémoire, 22 août 1613. Rome, 227 : c Negroni, dit le duc d'Estrées, eat gé-
nois, d'uoe maisoo riche et noble : il peut avoir de quarante -quatre à quarante-
cinq ans. Il se mit en prélature pendant le pontificat d'Alexandre Vil. Il a eu plo-
sieurs gouvernements dans l'État ecclésiastique, el particulièrement celui de Pé-
rouse, qui est un des plus difficiles, à cause de ia fierté des habitants et de la divi-
sion des familles; il s'en est acquitté dignement. Clément IX lui donna une
commission pour visiter l'État ecclésiastique et découvrir les abus, vexations et
autres inconvénients qui s'y rencontraient. Il satisfit si bien à cet emploi que ce
pape, pour récompenser son mérite, le fit clerc de Chambre. l\ exerça, cette charge
avec beaucoup de réputation. Il a paru en lui de l'intelligence, de rappIicatioQ
et de la rectitude. Son naturel pourrait être un peu ardent; mais sa prudence
et son expérience le modèrent tellement que, dans les négociationa, il parait
traitable et accommodant; c'est par ses mains qu'a passé celle du différend
de la république avec cette cour, dans laquelle il a contenté les deux parties.
U a quelque parente- avec le cardinal Impériale; il a des obligations aux mai-
sons Barberine et Rospigliosi, et vit d'une manière avec tous qu'ils ont de la
confiance pour lui, et qu'ils le tiennent un homme d'honneur. Il a su même
s'insinuer dans les bonnes grâces du cardinal Altieri, nonobstant ses antres
liaisons. Ses mœurs sont bonnes et réglées; il a entrepris, dans l'église des
Jésuites, le bâtiment d'une chapelle qui lui coûtera plus de trente mille écas.
Il n*a pas paru de partialité dans son humeur, ni dUnclinatioa pour la France
ou ponr l'Espagne; mais la préférence d'estime' et de respect qu*il a pour Si
LA ROYAUTÉ DE PORTUGAL 513
ne voulut pas profiter de Toption qui lui était offerte : il com-
prit sans doute que son exigence était maladroite, car il lui
eût été ensuite plus difficile de se plaindre d'un ministre dési-
gné par lui même. Le pape choisit Spada, dans Tespoir que le
souvenir de son grand-oncle lui ménagerait un meilleur ac-
cueil à Saint-Germain (1).
Le roi eût été peut-être plus sensible à cette bienveillance
de Clément X, s*il ne lui avait pas fallu la partager avec les
autres princes; mais rien ne pouvait faîre sortir le pape de sa
neutralité, non pas même les occasions qui lui étaient offertes
Majesté l'obligerait saas doute d'y chercher les moyens d'y servir avec son
agrément. » — Martelli, âgé de quarante ans, Florentin, d*une maison assez
riche et très noble; « d'une humeur un peu trop chaude.. .. altier ; a de l'esprit
et du talent ;... quelque étude et de l'intelligence pour les affaires;... pas as-
sez accommodant;... plus capable de servir dans les tribunaux et dans les
postes qui sont à Rome que dans les emplois étrangers. Pour son inclination,
il n'a fait paraître de partialité ni pour la France, ni pour l'Espagne, et, d'ail-
leurs, on croit communément que les Florentins penchent plutôt de notre
côté. » — Spada, Romain, a est petit-neveu du cardinal Spada, qui fut nonce
eu France et qui depuis témoifçna toujours de l'inclination pour la nation...
11 est d'un médiocre esprit et d'une capacité fort ordinaire... C'est un prélat
honnête et sans vice, mais dont l'étendue est bornée. » Il est nonce à Turin. —
Fieschi, Génois, « capable de soutenir une nonciature avec éclat. A peine
peut-il avoir vingt-neuf ou trente ans., et n'est entré en prélature que sur les
fias du pontificat d'Alexandre VII ou au commencement de celui de Clé-
ment IX. Ce pape lui donna la vice-légation d'Urbin à làge de vingt-irois ans,
dans laquelle il réussit admirablement, comme il fait présentement dans le
gouvernement d'Ancône, qui est le premier après ceux des provinces. C'est un
sujet de grande espérance, parce qu'il parait en lui beaucoup d'esprit, de
douceur, de discrétion, d'intelligence et d'application à l'étude... Neveu du
cardinal Franzoni, Génois, créature du cardinal Chigi. Son oncle parait sans
partialité pour les couronnes. Il est homme d'un esprit libre et particulier,
attaché à ses opinions, fort studieux et plein d'une grande estime pour le
clergé de France, ami du cardinal Altieri, et proprement d'un esprit répu-
blicain. »
(1) V. aussi le mémoire de Servient, du 23 août 1673. Rome, 227. — o Bien
que S. M. ne veuille pas porter le choix que le palais a témoigné lui déférer
jusqu'au point de nommer celui des sujets qui lui plairaH le plus, d'autant
plus même qu'ils lui sont également inconnus, elle peut se conserver par là
dans l'avantage qui lui fut acquis lors de la nonciature dernière, puisque,
bien qu'elle remette cette nomination au pape, elle l'aurait pu faire elle-même,
après la liste qui lui a été envoyée. » (Le duc à Pomponne, 20 septembre 1673.
Aomf, 227.) — Le pape et le cardinal AUieri nous donnent avis qu'ils ont in-
tention de nommer Spada nonce en France, « croyant qu'il serait agréable à
Votre Majesté, puisqu'il était d'une maison affectionnée à la F>*ance, et qu'il
avait les mêmes sentiments. » (Le duc an roi, 17 décembre 1673. Romef 228.)
LOUIS XIV BT LB SAINT-SIÈOB. — H. 33
314 CHAPITRE QUATRIÈIIB
par les Français de relever d^anciennes prérogatives da saiol-
siëge, admises autrefois dans le droit public de TEarope, et
alors tombées en désuétude. On se rappelle que, malgré u
démence notoire, Alphonse VI de Portug^al portait encore le
titre de roi, quoique son frère don Pëdre se fût emparé di
gouvernement, avec Tapprobation de tous les ordres de l'État
Déjà, sous le précédent pontificat, Louis XiV avait appuyé
les démarches secrètement faites à Rome par Marie de Sayoie,
femme du régent, pour obtenir que le pape conseillftt à son
mari de prendre la couronne; mais Clément IX, après avoir
forcé, non sans peine, les cours de France et de Portugal à
respecter la juridiction de TEglise et du saint-siège sur les
mariages des princes, avait formellement refusé d'entrerdans
un débat dynastique, où la religion n'était pas intéressée. Les
scrupules sincères de don Pèdre résistaient à l'ambition de
Tex-reine, toujours favorisée par le roi de France, qui voyait
là un moyen de reconquérir son influence à Lisbonne, ^ol
ne montrait plus de zèle pour le succès de cette négocialioD
que le cardinal d'Estrées, parent de la princesse : c*est lui qui
avait le premier réclamé Tintervention du souverain pontife
pour vaincre la délicatesse du régent (1). A peine arrivé à
Rome, il renouvela sa tentative et pria Louis XIV de la faire
appuyer par l'ambassadeur : « Nous fixerions plus aisément,
dit-il, ce reste d'incertitude qui paraît dans le cardinal Altieri
sur l'expédition du bref qu'il a promis (2). »
(1) a ... Je m'imaginai, connaissant la dérérence particulière des Portagaii
pour le saiut-siègfi, que, si on pouvait disposjr le pape à témoigner au prince
qu'il jugerait son couronnement légitime el qu'il le croyait utile aa repos d<
ses peuples et au bien de la religion, il arriverait peut-être que, ses plus con-
fidents dêsarmé'i par cslle. edhortation des scrupules dont ils tenaient fesftnt
du prince eniOarrassé^ il ne résisterait pas longtemps a prendre le titre de
roi. J'entretins M. de Lionne de cette pensée..., etc. » (A Pomponne» 29 août
1673. Home, 227.) Cf. encore Bourlemontau roi, 12 août 1670. Rome, 210.
{2) « Quand je vins à Home, la reine de Portugal^ avec laquelle j'ai tenu »ar
cela une continuelle correspondance, souhaita que je me prévalusse des ren-
contres qui se présenteraient pour avancer ce dessein, et comme je savais que
Sa Majesté avait agréé non seulement les premières démarches que Je fit avfC
M. Baryellini, mais guette avait ordonné plusieurs fois à M, de Saint-Homain
[ambassadeur de France à Lisbonne] d'employer toute sorte d'offices pour le
faire réussir, le jugeant convenable à ses intérêts comme à ceux de la reine
de Portugal et au bleu de ce royaume, je trouTai moyen d'en parler dans
LE MARIAGE DU DUC D*TORR 515
La reine de Portugal donnant l'assurance que le régent céde-
rait si le pape le lui conseillait, Altieri laissait simplement espé-
rer qu*un bref serait adressé en ce sens, non à don Pèdre, mais
'au nonce à Lisbonne. Pomponne répondit bientôt : « Après que
le pape se trouve déjà disposé à exhorter ce prince par un bref à
achever par cette cérémonie de prendre F autorité entière qui est
déjà entre ses mains, Sa Majesté approuve que Votre Ëminence
et M. rambassadeur acheviez par vos offices d'y porter Sa
'Sainteté. Ce qui sera de la satisfaction de la reine de Portugal
lui sera toujours agréable, et elle sera bien aise que le prince,
acceptant la couronne, satisfasse au désir de ses peuples et
reçoive en cette rencontre une nouvelle marque de son ami-
tié (1). » Évidemment Louis XIV ne condamnait plus la théorie
du pouvoir direct on indirect, si le pape voulait bien en subor-
'■ donner Texercice au gré de la politique française! Mais Clé-
ment X n entra même pas dans cette affaire {^). L^honnête
' régent ne souhaitait pas 6! exhortations, et il ne consentit à
prendre le titre de roi qu'en 1683^ après la mort de son frère.
Louis XIV s'opposait, d'un autre côlé, à l'intervention du
pouvoir pontifical dans une rencontre où elle était nécessaire^
et on le vit renouveler à peu près, pour précipiter le mariage du
duc d'York avec la princesse de Modène,le scandale qu'il avait
donné pour faire épouser Mario de Savoie au frère d'Al-
phonse VL Marie d'Esté^ qui manifestait un vif penchant pour
nne audience que j'eus du pape, el d'expliquer ensuite plus au long au cardi-
oal Altieri Jusqu'où Sa Sainteté pouvait entrer. Supposant donc que tout ce
qui aurait une apparence cV autorité ne serait jamais écouté dans ce royaume,
je lui dis que Sa Saintet«'s qui doit veiller au repos de tous les peuples chré-
tiens, étant informée des justes motifs qui devaient persua ier au prince de se
couronner, et de la modestie avec laquelle ses scrupules Ten avaient toujours
éloigné, pourrait Vexhorter et le convier i»ar un bref de le faire^ soit que ce bref
contint expressément ses avis paternels el ses exhortations, soit qu'étant général
el donné en créance sur son nonce, ce ministre expliquât au prince les sentiments
el les conseils de Sa Sainteté, » (Le cardinal d'Estrées à Pomponne, 29 août
1673. Rome, 227.)
(i) 27 septembre. Rome, 227.
(S) Cette conduite du pape ne lui était inspirée que par sa prudence aocou-
lumée. La reine de Portugal, dit le cardinal d'£strt>es lui-même, paraissait
craindre qa'à Rome on ne refusât d'intervenir par ménagement pour les Es'
pagnolf, mats j'ai dissipé ses défiances, (A Pomponne, 22 novembre 1673.
Rome, 228.)
516 CHAPITRE QUATRIÈME
la vie religieuse, avait cependant écouté les propositions à
prince anglais, sur Tavis de Tévêque de Verceîl et par dtf-
rence pour un bref exhortatoire que le pape avait adressé ktt
prélat, en vue des avantages que cette union devait procotv
au catholicisme. Mais le duc d'York, qui n'avait pas cnc«
abjuré publiquement Thérésie, ne pouvait obtenir sa nuk
qu'après avoir promis au pape d'assurer à la future dachesv
la liberté de son culte et de faire élever ses enfants dans lifa
catholique (1). Laure Martinozzi, nièce de Mazarin, et mèret
la jeune princesse, ne sut pas se défendre contre lesintrignes
de la cour de France (2). MM.d'Estrées déterminèrent les théo-
logiens de Modène à supposer que la dispense pontificale était
implicitement comprise dans le bref à Tévèque de Verc«il,<t
le mariage fut célébré brusquement, par procuration, à rinsi
du pape, dans les premiers jours d'octobre 1673(3).
(i) « Il a été décidé dans la Congrégation députée sar ce sujet et compoiii
de MM. les cardinaux Otthoboni, Albizzi, Cybo, Allieri, Nerli, Carpegna, ^
taire, Casanata et Santo-Pilastro, sous-dataire, que le pape ne pouTatt dotiv
la dispense en conscience, qu'il n*eûl auparavant des assurances positive.* <•
par écrit pour ce qui regarde l'exercice libre de la religion dans la mai^n k
M°^<> la duchesse d*York. Cette décision m*a obligé de demander des audieoo^
extraordinaires au pape et a M. le cardinal Aitieri. Je lear ai représenté toë
ce que j'ai cru pouvoir contribuer à l'expédition de la dispense par i'iotti^*
que V. M. prend au mariage, par l'avantage de la religion et parla gloire â
pontificat de Clément X; mais le cardinal Âltieri m*a toujours répondu qoei
pape ne la pouvait donner en conscience ni en honneur, que Ton n'eût stîpsii
auparavant les mêmes choses pour la religion catholique que Ton anil^ùi
lors du mariage de la feue reine d'Angleterre, tante de V. M. » (Leduc aunl
30 septembre 1673. Rome, 227. Le cardinal à Pomponne, 17 octobre. Romt,^
(2) « Le bref du pape que M. l'ambassadeur, par Tentremise de M. le a^
dinal d'Estrées, a tiré adroitement de M. le cardinal Altieri avant qu'il s'an?^*'
de convoquer une Congrégation pour examiner l'affaire du mariage de b
princesse de Modène avec le duc d'York, peut suffire à M™« la duchés*
de Modène pour faire présentement par procuration le mariage de U pnB-
cesse sa fille et l'envoyer sans délai à son mari, vu le péril qu'il peut f a^^i^
à différer une affaire qui peut apporter tant d'avantage à TËglise et à la r^
gion... u (Bourlemont à Pomponne, 30 septembre. Home, 227.)
(3) Le mariage va se célébrer dans la chapelle du palais à Modène, ■ ^
secrètement, mais en particulier, » sans attendre la dispense, les théologies*
de Modène se contentant du bref exhortatoire à l'évoque de Verceil. (Le ftf*
dinal d'Estrées à Pomponne, 4 octobre.) — Les théologiens ont wppof^ ^
dispense dans les exhortations pontificales. On apprend, à Modène, que ^
pape a ordonné à l'évêque de Verceil de lui renvoyer son bref : la célébwlJ*
a lieu dès le lendemain. (Le même au même, 10 octobre. Rome^ 22S.)
LE MARIAGE DU DUC d'tORK 517
La nouvelle duchesse d'York el sa mère, honteuses d^une con-
"" . ...
duite dont le pape élait indigné(l), se pourvurent à Rome, mais
\ Clément Xleur imposa les mêmes conditions^ dont il ne se re-
"lâcha jamais, malgré les efforts du roi et de MM. d'Estrées(2).
' Louis XIV s'étant donné le principal rôle dans cette négocia-
' tien, le pape réclama de lui directement les garanties propres
à mettre sa conscience en repos, et en reçut une letlro qui fut
jugée insuffisante (3). Enfin, Rome, ne pouvant obtenir la
' (1) Le cardinal Masslmi me fait savoir qa'il a trouvé le pape « dans une très
-. grande colère sur le sujet de ce mariage. » (Le duc au roi, H octobre 1673.
Borne, 228.)
(2) « Je me servirai des motifs de votre lettre pour leur marquer combien
rattachement qu'ils ont à des formalités inutiles donne d*ôtonnement à tout
le monde comment ils peuvent se persuader qu'une dispense, qui rCest dési-
rée que par un sentiment de soumission au saint-siège et pour sauver quelques
apparences, doit souffrir tant de difficultés, et qu'enfin, comme les oppositions
seules du Parlement devraient faire voir au pape qu'une chose que les héré-
tiques abhorrent si fort, ne peut être qu'utile à la religion et glorieuse à son
pontificat, il semble que cette solide considération devrait uniquement préva-
loir à toutes celles qui n'ont de fondement que dans des formes extérieures.., »
(Le cardinal à Pomponne, 29 novembre 1673. Home, 228.) — « Depuis que
îlme la duchesse d'York est passée à Londres, M™* la duchesse de Modène
n*a point encore envoyé la lettre de M. le duc d'York, par laquelle il devait
assurer S. M. que M»« la duchesse, sa femme, aurait toute liberté et tout
exercice de religion en Angleterre. L'intention de Sa Majesté est, lorsqu'il
l'aura reçue, de témoigner au pape, soit par M. l'ambassadeur, soit par une
lettre, qu'après ces assurances S. M. ne peut plus douter, et qn'elle croit
que S. S. ne doutera pas de même, de la sûreté entière que cette princesse
trouvera pour la religion en Angleterre, et que S. M. s'assure que le pape la
trouvera sans doute plus que suffisante pour accorder sa dispense. C'est en
cette manière seule que S. M. peut donner cette parole, puisqu'elle narrive-
aaii pas à répondre positivement d'une chose quHl ne serait pas en elle de faire
observer. Ce doit être suffisant pour le pape, qui par là aura pourvu à toutes
les précautions qu'il aura jugé nécessaires. » (Pomponne au cardinal, 22 dé-
cembre. RomCf 228.) — Le duc d'York a-t-il écrit au roi? 11 importerait que le
roi écrivit à cette cour, afin de calmer les scrupules et de mettre fin à l'embar-
ras que ce mariage a créé entre cette cour et Modène. (Le cardinal à Pomponne,
21 mars 1674. Rome, 229.)
(3) M Très Saint-Père, ayant reçu des assurances très précises de notre frère
le duc d'Yurk que notre sœur la duchesse, son épouse, jouit présentement et
Jouira toujours en Angleterre, pour elle et pour toute sa famille, du libre et
entier exercice de sa religion ; que même notre frère le roi d'Angleterre la
conservera toujours dans cette possession, nous avons bien voulu rendre
témoignage à V. S. et lui faire connaître que le zèle qu'elle a fait paraître pour
la liberté que notre dite sœur trouverait dans sa religion, doit être pleinement
satisfait. C'est sur quoi nous joignonit nos prières a celles qui lui ont déjà été
faites par notre dite sœur et par notre cousine la duchesse de Modène, se
518 CHAPITRE QUÀTaiÈME
preuve des engagements pris par le roi d'Angleterre (1), n-
fusa la dispense : premier présage de rinfluence funeste qv
le roi de France devait avoir sur la destinée du prince anglais!
On sait aujourd'hui combien la défiance du souverain pontife
était légitime. Louis XIY poursuivait en Ang-leterre Vdiccm-
plissement de ses desseins politiques, aux dépens de la religion
comme de la royauté : il entretenait des relations étroites avec
« les restes de la faction de Cromwell », avec le répoblicaiB
Algcrnon Sidney, devenu son pensionnaire, et avec tous les
ennemis du duc dTork(2). Il n'encourageait les préférences
. de ce prince pour Tancien culte qu*en vue de jeter le royaume
de Charles II dans une plus grande confusion, et la réponse
cruelle qu'il fera bientôt au successeur de Clément X, recom-
mandant les catholiques anglais à sa protection, donnera la
mesure de son dévouement à la foi romaine (3). La condaile
mère, pour lui accorder ]a dispense qu*elle a trèa humblement demandée i
V. B. Nous prendrons une part singulière àrobligation qu*eUe8lui enaaronU
et, après avoir assuré V. S. de notre respect et de notre affection pour sape^
sonne, nous ne ferons la présente plus longue que pour prier Dieu, etc. •
n avril 1674, Rome, 229.)
(1) La Congrégation qui délibère sur la dispense de la duchesse d'York ex-
prime le désir d'avoir, dans la lettre de Louis XIV, rattestation que le roi lait
donné la mf^me parole que le duc d'York touchant la liberté laissée à la duchesse;
mais, tt outre que le roi aurait peine à témoigner qa*ii aurait reçu une parole
guif en effet, ne lui a point été donnée ^ S. M. considère encore qu'elle doit
faire d'autant plus de scrupule d'en assurer S. S. que, dans la commotion oi
sont les esprits en Angleterre sur le sujet de la religion, ce pourrait être nne
occasion aux malintentionnés d'un nouveau sujet de plainte contre le roi de
la Grande-Bretagne. » Faites en sorte qu'on se contente de la lettre que le roi
a envoyée. (Pomponne au cardinal dEstrées, 24 août 1674. Rome, 231.)
(2) u D'une pari, je ménageais les restes de la faction de Cromwell pour ex-
citer, par leur crédit, quelque nouveau trouble dans Londres; et d'autre part,
j'entretenais des intelligences avec les catholiques irlandais, etc.. Sur ces dif-
férentes pensées, f écoulai les propositions qui me furent faites par Sidney,
gentilhomme anglais, lequel me promettait de faire éclater dans peu qvelqvt
soulèvement, etc. » [Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 203.) — « CommunicatioDf
wcre openod between Barillon, tbe ambassador of Lewis, and those English
politiciaos, etc. The most upright member of the Country party, William lorJ
Russell, son of the cari of Bedford, did not scruple to concert wilh a foreiqn
mission schemes for embarrassing his own sovereign.., The effect of thèse intri-
gues was that Eugland... remaiued inactive till the continental war, having
lasted near seven years, was terminated by the treaty of Nimeguen. ■ (Ma-
caulay, t. I, p. 112 et suiv., éd. in-12.)
(3) « Le nonce m'a témoigné que S. S. (Innocent XI) avait appris avec doQ-
LE MARIAGE DU DUC d'yOBK 519
de Clément X et du cardinal AUierî, au cours de ces débats,
fut si loyale que, même au palais Farnëse, on n'attribua ja-
mais leur refus qu'à des scrupules sincères : MM. d'Ëstrées
attestaient Tun et Tautre en termes exprès la droiture et les
bonnes intentions du cnrdinal-neveu (i).
Quelque désir qu'eût Clément X de contenter la cour de
Saint-Germain, il est un point capital sur lequel, sans manquer
à son devoir de père commun, il eut, comme ses devanciers
et ses successeurs, la gloire de ne jamais conniver à la poli-
tique française. La prise de Candie avait donné au Grand Sei-
gneur Tespoir et les moyens de poursuivre ses conquêtes sur
les Vénitiens, sur la Pologne et sur les provinces héréditaires
de l'Empereur. Rome pressait vainement les puissances chré-
tiennes de se liguer contre Mahomet IV : cette union était
rendue impossible par Tambition personnelle de Louis XIV,
qui, pour assurer le succès de ses entreprises contre la maison
d'Autriche, secondait les projets du divan contre la chrétienté.
II venait d'envoyer à Constantinople un nouvel ambassadeur,
le marquis de Nointel^ conseiller au Parlement de Paris, qui
avait ordre d'effacer les souvenirs laissés à la Porte par ses
prédécesseurs, Jean et Denis de la Haye, et d'apaiser les res-
sentiments qu y avait excités l'expédition de Navailles et de
Beaufort à Candie. Il avait repris toutes ses défiances contre
leDf les peines qui avaient été imposées depuis peu, en Angleterre, contre les
prôtres anglais qui célébreraient la messe, ou contre les particuliers qui y as-
sisteraient. 11 m*a fait voir que S. S. désirait de moi que j'employasse mes
offices pour faire révoquer ces défenses ... etc. J'ai fait connaître au nonce, que
J^étais très fâché de ne pouvoir rien en faveur des sujets du roi de la Grande-
Bretagne, auxquels ce prince est maître d'imposer les lois quil lui plaît. Le
Dooce a fort compris et la sincérité de mes désirs et le peu que je pouvais sur
ce point. Il en informera le pape et vous lui parlerez en mon mon dans le
môme sens. » (Le roi au duc d'Estrées, 8 janvier 1677. Rome, 250.) Or, Louis XIV
pensionnait A la fois le roi Charles U et les chefs des deux partis dans le Par-
lement, et c*est alors que commençait la persécution rendue si terrible par
les impostures de Titus Gates et de ses complices.
(1) Le duc au roi; le cardinal à Pomponne, 30 septembre 1673. RomCf 227.
Cependvit les agents français faisaient espionner Altieri jusque dans sa pins
secrète intimité : « Ayant su, disait Servient, par un valet de chambre du car-
dinal Altieri que fax fait gagner de longue main et qui est perpétuellement aux
écoulée^ etc. (À Pomponne, 11 octobre 1673. Rame, 228.) — V. encore une lettre
confidentielle da cardinal d*Estrées à Pomponne, 23 août 1673. Rome^ 227, etc.
820 €UÀPITRB OUATMÈMB
Venise, dont la maxime fondamentale j disait-il, était de tenir
l'équilibre entre les États européens, et qui sans doute allait
favoriser les Espagnols contre la France (1) : la Seigneo-
rie ne pouvait donc plus compter sur son assistance dans un
nouveau danger. D'un autre côté, pour empêcher Léopold
de secourir l'Espagne contre lui, il suscitait partout des adver-
saires à TEmpire. Tous ses efforts tendirent à soulever U
Hongrie contre T Autriche, à rétablir la paix entre la Pologne
et les Turcs et à diriger contre TEmpereur isolé les redoutables
armements du sultan. II n'y avait pas encore un an que Clé-
ment X régnait, lorsque Louis XIV lui fit signifier qu*il enten-
dait, sous prétexte des intérêts commerciaux de son royaume,
séparer sa cause de celle des autres nations chrétiennes. Le
20 février 1671, il écrivit à labbé de Bourlemont : « Répondez
à Tabbé Baglioni (2) que je ne juge nullement nécessaire ni à
propos cette mission de nonces extraordinaires pour un sujet
lequel, devenant bientôt public dans toute la chrétienté, ne
serait pas longtemps sans parvenir aussi à la Porte, où cette
connaissance donnerait lieu aux Turcs de recommencer leurs
avanies à mes sujets dans leur commerce du Levant; ajou-
tant à cela que j'ai déjà eu assez de peine à faire oublier à ces
barbares ce que y ai fait si hautement et si publiquement [i]
contre eux, k la réquisition du feu pape, pour le salut de
Candie, et qu'à présent qu'à F arrivée de mon nouvel ambassa-
deur à Constantinople je suis venu à bout de faire un peu cesser
leurs ressentime7its,]e ne veux pas que ces diligences publiques,
qui se peuvent et se doivent éviter, leur donnent de nouvelles
occasions de tourmenter mes sujels|; concluant que, si le pape
a quelque chose à me faire dire pour le bien de la chrétienté,
il peut vous en parler ou m'en faire entretenir par son nonce
ordinaire, sans qu'il soit besoin d'en faire des démonstrations
publiques, quiiraient^ à la vérité^ à sa gloire^ mais qui seraient
(1) iDstniclioDs à Nointel, 21 juillet 1670. Turquie, 10.
(2) Secrétaire des chiffres.
(3) Louis XIV n'a pas le droit de tenir ce langage. On a vu plus haut qu1l
désavoua formellement la campagne de Hongrie comme roi de France, et qu'il
en fit exprimer ses regrets a la Porte ; — qiio, d'autre pai t, les troupes eo-
voyées au secours de Candie portaient, non les couleurs françaises, mais celles
de Malte et du pape.
l'élection de POLOGNE 821
. trop préjudiciables au commerce des Français au Levant (1). »
Rome observait avec une inquiétude trop bien fondée ces
démonstrations d'amitié entre Louis XIV et l'ennemi corn-
■: mun, et le duc'd'Estrées écrivait à Pomponne (2) : « Il y a des
nouvelles de Constantinople du 27 décembre, par lesquelles
on a appris que, sitôt que le Grand Seigneur est arrivé à
Andrinople, le premier vizir a écrit à M. de Nointel pour se
réjouir avec lui des conquêtes de Sa Majesté avait faites sur
les Hollandais et pour l'assurer de vouloir renouveler les
capitulations et lui accorder tout ce qu'il avait demandé avant
le départ du Grand Seigneur. »
Aussi des nonces pontificaux, choisis avec soin, se succé-
daient sans relâche, à Varsovie, pour terminer les divisions
des Polonais, entretenues par les ministres étrangers et sur-
tout par les agents français (3). Le règne de l'incapable Michel
Korybuth allait finir, et longtemps avant sa mort (10 no-
vembre i673), Téleclion de son successeur préoccupait la
plupart des cours européennes. Les Polonais avaient reçu de
Rome assez de bienfaits et le pape était assez intéressé lui-
même à la sécurité de l'Europe pour qu'on ne lui disputât pas
(1) Rome, 207.
(2) 25 février 1673. Rome, 225.
(3) « Le pape dépêche un courrier avec assurance de 40^000 écus, dont les
leltres de ctiange scrout portées par l'ordinaire de samedi, témoigne en vou-
loir envoyer d'autres et délibère sur la mission d'un nonce exlraordiuaire ou
d'un légat, pour travailler à la réunion du roi et de la république et pour sol-
liciter le zèle des princes d'Allemagne dans une si pressante conjoncture. »
(Le cardinal d'Eslrées à Pomponne, 18 octobre 1672. Rome, 223.) « Le pape
m'a envoyé, cette après- dinée, Tabbè BagUonl pour me donner part qu'il
mande & tous ses ministres d'exhorter les princes auprès desquels ils sont de
te réunir contre un ennemi aussi puissant que les Turcs, et pour me prier de
témoigner à S. M. qu'elle ne peut jamais l'obliger plus sensiblement que de
Yooloir bien y apporter ce qui dépend d'elle, la chrétienté ne pouvant attendre
de remède aux maux qui la menacent que de S. M. m (Le duc à Pomponne,
22 octobre 1672. Rome, 223.) — « Les Turcs ont déjà commencé A paraître
dans ces mers, et trois de leurs vaisseaux en ayunt rencontré, vers le port de
Netluno qui est à treize lieues d'ici, pareil nombre et deux caravelles, chargés
de hait cents soldats, que le vice-roi de Naples envoyait à Porto-Longone et
Porto-Ercole, en ont pris un, sur lequel il y en avait deux cent cinquante.
Un des vaisseaux et les deux caravelles se sont retirés sans combattre. » (Lt
même au même, 8 avril 1673. Rome, 225.) — Des dépêches antérieures ap-
prennent que Venise craint une entreprise des Turcs sur Niplet et sur la
SicUe, qui ne seraient pas en état de résister.
522 CHAPITRE QUATIIIÈIIE
le droit de témoigner ses préférences. Mais, précisément poor
ménager au roi futur l'alliance des principales puissances
contre les Turcs, il évita d*appuyer un candidat qui, mêoe
avant de recevoir la couronne, aurait contre lui rinimitiécer
laine du roi de France ou de FEmpereur. Liéopold favorisait
Charles de Lorraine^ qui devint plus tard son beau-frère et k
généralissime de ses armées, et qui avait de trop légitimer
ressentiments contre Louis XIV. Celui-ci donnait toutes ses
sympathies à un fils de Philippe-Guillaume, duc de Neuboarg,
qui était alors, dit Pomponne dans ses Mémoires {l), n nndes
princos de TEmpire le plus attachés à la France et qui avaient
le plus de raison de Tétre. » Louis XIV espérait enlever fui-
lemcnt un roi de cette maison à la ligue contre les infidèles
et Tentrainer avec lui dans les guerres d'Allemagne parmi les
ennemis de la maison d'Autriche. Pomponne écrivait au duc
d'Estrées : Le prince Charles de Lorraine a de tels liens avec
la cour de Vienne (2), que Sa Sainteté « ferait paraître quelque
partialité si elle se déclarait pour lui, et cet esprit serait fort
éloigné de celui de la médiation que M. le nonce a offerte dans
l'audience particulière qu'il a eue du roi. » Le cardinal Allieri
renouvela les assurances de neutralité (3). Bourlemont fit
passer en France Tavis « que le nonce du papo avait ordre
d'appuyer secrètement de tout son possible les prétentions do
prince Charles de Lorraine pour être élu roi de Pologne ; » mais
ce bruit fut démenti par l'ambassadeur lui-même (4). Les
Polonais choisirent (21 mai 1674) leur compatriote Jean So-
bieski, grand maréchal, qui avait vaincu les Turcs en tant de
combats et qui avait remporté sur eux la victoire de Choczim,
le jour môme où mourait le roi Michel.
M. de Forbin-Janson, évêque de Marseille, ambassadeur de
Louis XIV et chargé de ses pleins pouvoirs auprès de la diète,
s'attribua Thonneur de cette élection; mais tous les documents
({) T. II, p. 365.
(2) 11 avait pris une part brillante à la campagne de Hongrie, sous les ordres
de Montecucullif en 1664, ei, depuis cette époque, il avait conservé des rela-
tions très étroites avec la famille impériale.
(3) Le duc au roi, 20 décembre 1673. Rome^ 228. Pomponne an duc, 2 IDa^
1674. Le duc au roi, 7 mars. Rome^ 229.
(4) 18 avril 1674. Rome, 229. — Le duc au roi, 2 mai. Rome, 230.
l'élection de POLOGNE 523
inédits et les Mémoires de Pomponne nous apprennent que
. Sobieski ne dut la couronne qu*à sa popularité et à ses ma-
nœuvres personnelles. Ponnponne écrivaitau duc d'Estrées (1) :
M. de Marseille va partir, « et vous croyez bien qu'il n'oubliera
rien de ce qui sera en lui pour empêcher Télection du prince
Charles et pour favoriser M. le prince de Neubourg. » Mais,
quoique Tévèque français eût apporté de grosses sommes
d'argent (2), destinées à l'achat des consciences et à la récom-
pense des trahisons, le candidat de Louis XIV n'était pas plus
que celui de l'Empereur en état de lutter avec succès contre
un tel rival. Pomponne explique fort bien que, M. de Forbin-
Janson ayant « ordre de se conduire particulièrement selon les
lumières » du grand maréchal, et celui-ci déclarant qu'il n'en-
tendait user de son influence que dans son propre intérêt (3),
Tarobassadeur de France, au lieu de diriger les électeurs,
n'avait fait que subordonner ses intrigues à l'ambition de
Sobieski (4). D'ailleurs les Polonais comprenaient de quel prix
étaient pour le souverain pontife les services rendus à la chré-
tienté par le chef de leur armée (5), et ils étaient assurés que
i) 30 mars 1674. Rome, 229. » Ce qui est confirmé par les Mémoires de ce
ministre, t. II, p. 428 : o Tous les ordres de Févèque de Marseille se renfer-
mèrent à exclure le prince Charles de Lorraine, comme le principal intérôt
que S. M. eût dans cette affaire, et à favoriser le prince de Neubourg. »
(2) Pomponne donne quelques chiffres, t. II, p. 430 et suiv.
(3) T. II, p. 432 et 433.
(4) Une note de l'éditeur des Mémoires de Pomponne, p. 435, donne comme
principale preuve de l'influence prépondérante exercée par l'évoque de Mar-
seille dans la diète, la reconnaissance que Sobieski en aurait témoignée en
lui accordant sa nomination pour le cardinalat. Or, on verra plus loin que la
lettre officielle de présentation fut arrachée à Sobieski par les obsessions de
la vénale Marie-Casimire d'Arquien, sa femme, et de Forbin-Janson qu
n'avait pas plus de scrupules qu'elle, — et que le roi de Pologne avertit se-
crètement Rome qu'il ne se souciait pas de cotte promotion.
(3) « Le nonce da saint^siège avait à remettre une offrande de 100,000 Uvret
envoyée par Clément X (mai 1672.) Le légat ^ craignit que^ dans le délabre-
ment des finances, cette faible suhveutiou fût employée à tout autre usage
que la guerre sainte, et il ne s'en dessaisit que pour la confier à Sobieski, »
(Salvandy, t I•^ p. 398 et s.) — Toute la cour pontificale rivalisait de géné-
rosité : « L'archevêque de Gnesen n'offrant que mille écus pour l'expédition
de set bulles, qui devait en payer plus de douze mille, les cardinaux ont
a. BaoDTisI, qui n'était pas nn légat, mail qq nonce ettraordlnaira, et le fait ■'•st pasr^,
non en 1672, mais l'année suivante. V. Boarlemont à Pomponne, 14 JanTler 1671. Rome, SIS;
~ et il octobre 1673. Home. 228.
824 CHAPITRE QUATRlfcMK
nul autre quo lui n'obtiendrait de Rome des subsides pliu
abondants (1) : « Je sais bien, disait-il, pourquoi la nation ma
mis sur le trône... Ma mission est de faire la guerre aux Turcs:
c'est ma consigne de roi. » Aussi, dès que son élection fut
connue à Rome (2), Clément X lui envoya le stoccOj comme
récompense de ses triomphes passés sur les infidèles, et gage
de ceux que la chrétienté attendait encore de lui. L'Europe, el
la Pologne en particulier, couraient de grands périls. « On ne
peut douter que Mahomet IV n'eût dessein d'asservir la Ré-
publique à tout prix. Dans les conseils du divan fermentait
remis au roi de Pologne ce qui leur devait Tenir de cette expédition pour
s'en servir à la guerre contre le Turc. Quelques cardinaux y veulent aus^i
contribuer de leur propre ; le cardinal Odescalchi a déjà envoyé liuil mi'Ie
écus eu Pologne; le pape y veut envoyer des sommes considérable „ mais
cela se doit négocier par son nonce. » (Bourlemont à Pomponne, 13 septembre
1673. Rome^ 227.) — Rome ayant appris la victoire de Chocrim : « On a
quelque pensée de porter le pape à gratifier Sobieski et son armée de Tépée
et du cbapeau qu'il bénit tous les ans à Noël, et qu'il envoie aux princes qui
font la guerre contre les ennemis de la religion. Comme je suppose qu'il
est toujours dans les intérêts de S. M., j'ai excité le cardinal Ursiu [protecteur
de l'ologne] et le cardinal Vidoui, qui prend toujours part aux affaire? à^
Pologne, à s'y employer. Si cela réussit, comme il sera d'un grand éclat [lour
ce général, ou pourra, du côté de la France, lui faire valoir le^ oftices qaî
auront été rendus. » (Le cardinal d'Estrées à Pomponne, 27 décembre 1673.
Rome, 228.)
(1) u S. S. a de la peine à accorder aux pressantes instances qu'on lui fait
de remettre les décimes en Italie et en Allemagne pour le secours des Polonais
au sujet de la guerre qu'ils ont avec le Turc, ayant été avisée de plusieurs
endroits du mauvais usage qui s'en fait, et que la moindre part va à ceux à
qui elles sont destinées, outre que lesbéuéficierset les communautés religieuses
d'Italie qui doivent contribuer s'en plaignent. L'on croit que cette conr veut
attendre l'élection d'un roi en Pologne pour la gratifier de ces décimes, s'il y
a occasion d'espérer qu'il entreprenne fortement la guerre contre le Turc. ■•
(Bourlemont à Pomponne, 6 mars 1674. Rome^ 229.) — Lundi, le pape atenuUD
consistoire où il déclara qu'il voulait établir les décimesà raison de 3 pour 100
pendant trois ans pour le secours de la Pologne. (Le duc à Pomponne, 16 mars
1674. Rome, 229.) — Les cardinaux envoient de l'argent en Pologne pour It
guerre contre le Turc : Altieri, 6,000 écus; Barberini et Rospigliosi. 3,000 écu$;
Nerli, 2,000 écus. (Le duc au roi, 18 avril 1674. Rome, 229.) — Le 13 de ce
mois, cette cour envoya en Pologne la bulle pour lever les décimes de guerre
contre le Turc et une avance de 40,000 écus sur ces décimes à la disposition
du nonce, ce qui arrivera justement au temps de la diète. (Bourlemout à
Pomponne, 18 avril 1074. Rome^ 239.) — La correspondance de ce temps e^t
pleine de nouvelles semblables.
(2) Le duc au roi, 27 juin 1674. Rome, 230.
l'élection de POLOGNE 525
avec une ardeur nouvelle, depuis la soumission de toutes les
places du Péloponèse et la chute de Candie, Tespolr de régner
sur le monde chrétien. L'islamisme \o\il3dlrecomme?icer parle
nor^les conquêtes qu'il avait accomplies quelques siècles aupa-
ravant par les rivages de TAfrique, de l'Espagne, etc. Achmet
Kiuperli regardait la Pologne faible et divisée comme une posi-
sion à prendre sur les derrières de TEurope, entre les Mosco-
vites, qu'il méprisait, et l'Empire, qu'il eût ainsi tourné... (1).»
Cependant « la Porte ottomane restait Talliée du roi, ou plutôt
comme elle disait trop bien, du sultan de France. — Louis
excitait sa colère contre l'Empire (2). » Pour dissimuler le rôle
joué par son souverain, le duc d'Estrées feignait d'entrer dans
les vues de Clément X : il le pressait de s'attacher le nouveau
roi par ses bienfaits ; il lui reprochait de n'avoir pas décerné
la rose d'or à la reine (3); il sollicitait l'envoi de subsides à
Varsovie, et ajoutait qu'il ne fallait pas « s'imaginer que le roi
de Pologne voulût jamais ternir la gloire qu'il s'était acquise
toute sa vie, non plus que celle de son élection, />ar une paix
également honteuse et préjudiciable^ ainsi que ses ennemis le
voulaient faire croire (4). » Mais au même moment l'évêque
de Marseille, par Tcnlremise de la reine, entamait les négo-
ciations qui devaient bientôt amener la paix préjudiciable et
honteuse Aq Zurawno : « L'évêque de Marseille, dit Pomponne
lui-môme, avait eu ordre de proposer un traité au roi de Po-
logne. Il devait l'inviter à porter la guerre dans la Prusse
contre l'Electeur de Brandebourg, qui depuis peu avait manqué
à la parole qu'il avait donnée au roi [de France] dans le traité
de Vassen et s'était joint à l'Empereur. 11 devait aussi l'en-
gager à agir dans la Hongrie et à favoriser les mécontents, qui
y nourissaient toujours un parti contre l'Empereur. Ces articles
qui devaient demeurer secrets furent signés par le roi de Polo-
gne, avec l'évêque de Marseille et le marquis de Béthune (5). »
(1) SaWandy, t. W, p. 9.
(2) Ibid., t. 1", p. 398-400.
(3) Qui traitait ca môme temps a^ec Louis XIV et Léopold, poar les trahir
Tun et Tautre, et qui exerça la plus funeste influenoe sur tout le règne de son
mari.
(4) Le duc A Pomponne, 18 juillet; au roi, 25 juillet 1674. Rome^ 230.
(5) Mémoires, t.. U, p. 436. — M. de Béthune, qui avait épousé la sœur de
826 CHÀPtTRI QUATRIÈMB
On ne saurait assez déplorer que les desseins parliculien
de Louis XIV Téloignassent chaque jour davanlag^e d'un pape
dont la politique était si conforme aux intérêts du monde
chrétien. L'éclat que jetaient sur TEglise romaine les hommes
dont les derniers pontificats avaient peuplé le sacré collège,
la réforme des abus poursuivie dans TÉtat ecclésiastique
comme partout ailleurs, lo caractère personnel et la vertu des
papes, la modération chaque jour plus marquée des cardinaux-
neveux (1), avaient rendu au saint-siège un grand presti^
dans toute l'Europe, et même chez les nations protestantes.
Jamaisla papauté n'avait moins demandé aux États catholiques
pour leur part dans les dépenses du gouvernement central de
l'Église. Nous avons trouvé un mémoire des plus précieux,
transmis de Rome à Louis XIV par le cardinal d'Estrées, en
1674, et donnant précisément « l'Abrégé du revenu annuel de
la Chambre apostolique, extrait du registre du contrôle tenu
pour Tannée 1672 (2). » Or, les expéditions de la daterie, qui
avaient précédemment produit 260,000 écus, ne rendaient plus,
par suite du gratis total ou partiel si fréquemment accordépar
le pape et de la réduction des, tarifs, que 144,540 écus. Le
spoglioii à la mort des ecclésiastiques tant dedans que dehors »;
Marie-Casioilre d'Arquien, était alors adjoint comme ambassadeur i M. de
ForbiD-Jansou.
(1) (c Le cardinal Altieri travaille autant qu'il peut A régler ses affaires do-
mestiques, qui demeureront fort embrouillées, si le pape vient à mourir, la
dépense excessive qu'il a fuite dans le bâtiment de son palais l'ayant empêché
de les accommoder. Pour lui, il se trouvera avec 35,000 écus de revenu ecclé-
siastique, mais son neveu sera faiblement établi. » (Mémoire du cardinal
d'Estrées, 24 octobre 1673. Romet 228.) — Que l'on compare cette forlaae
avec celle d'un grnnd nombre de prélats français, fils et neveux de ministres
ou de simples courlisans ! — Le cardinal Paluzzo-Âltieri réunissait, d'ailleurs,
à sa fortune personnelle le patrimoine très considérable que Clément X lui
avait abandonné en l'adoptant, et il n'eut à supporter qu'une partie des dé-
penses du palais Altieri : la construction eu avait été commencée depuis long-
temps par le frère de Clément X, le cardinal Giambattista Altieri, mort en
1654. V. Dizionario di Moroni, vo Altieri (Vincenzo-Maria), cardinale.
(2) a Je vous envoie le mémoire des revenus et des charges de la c^ur <ie
Rome et de TÉtat ecclésiastique dont je vous parlai il y a quelque temps. Il
a été recueilli avec beaucoup de soin par le sieur Nazarrî, qui l'a recherché
par sa curiosité particulière. » Il m'eu a donné une copie en me demandant
le secret. (20 décembre 1674. RomCf 233.) Le mémoire n'est pas joint i cette
dépêche : il a été classé dans le 223* volume.
ENTREPRISES CONTRE LES ORDRES RELIGIEUX 527
les nonciatures de Naples, de Madrid et de Lisbonne (droits
de chancellerie et aanates pour les bénéfices des Indes, etc.)
- n'avaient pas dépassé, en 1672, 55,000 écus. Les taxes pour
dispenses de mariage dans toute la chrétienté ne s'étaient pas
élevées au-dessus de 126,000 écus, qui, suivant une coutume
constante et comme l'atteste une seconde partie du mémoire,
' contenant u l'Abrégé de la dépense », avaient été scrupuleu-
sement employés en aumônes (i). Combien n'était-il pas facile
à Louis XIV de s'entendre avec Clément X sur tous les points
qui intéressaient l'Église et l'État ! Cependant c'est sous ce pon-
tificat qu'il avait conçu tous les projets dont l'abbé Cocquelin
devait exiger la ratification, et c'est aussi à la même époque
que se place une nouveauté encore plus considérable, dont
Cocquelin n'avait pas parlé : la déclaration sur la Régale, qui
devait donner lieu au démêlé de 1682, est datée du mois de
février 1673!
La résolution du roi de France était depuis longtemps
arrêtée, et, aussitôt que Tabbé Cocquelin lui eut annoncé son
retour, il multiplia des prétentions et des entreprises qui de-
vaient mener rapidement aune rupture ouverte entre les deux
puissances. Avant de menacer la personne même du pape, il
s'en prit au cardinal-neveu. Attribuant à la peur les regrets
courtoisement exprimés par Altieri depuis la fuite de Cocquelin^
il ne daigna pas répondre aux lettres respectueuses de ce car-
dinal, et il disait à son ambassadeur (2) : « Je suis bien aise
qu'il connaisse que je n'ai pas été satisfait de sa conduite dans
cette rencontre. Je désire même que vous le lui fassiez con-
naître dans les occasions qui s'en présenteront... » Pomponne
cependant eût été flatté de réparer l'échec de Louvois,et il exci-
tait l'émulation de MM. d'Ëstrées. Il lui écrivait : « Je sou-
haiterais que le palais voulut, en elTet, reprendre avec vous la
négociation que le sieur Cocquelin a laissée interrompue, et
(1) « Pour les aumônes qui se font du revenu des dispenses des mariages,
126,000 écua. » Il est énoncé, dans ce mémoire, que Técu romain valait alors
3 livres 10 bous 8 deniers en monnaie de France, et on y lit cette annotaUon
importante : « 11 est à remarquer que, depuis l'année 1672, les revenus de la
daterie et des dépouilles [spoglio\ ont encore diminué. »
(2) 9 février 1674. Rome, 229.
528 CHÀPITRI QnATBIÈME
VOUS croirez aisément que, si elle est réussible, je sais bien
persuadé qu'elle s'achèverait plus aisément par vos soins qie
par tous autres. — Vous avez vu que Sa Majesté étaithienaiie
qu'il parjll à M. le cardinal Altieri qu'elle n'était pas satisftite
de sa conduite. Comme il faut seulement regarder le serric»
de Sa Majesté dans toutes les affaires, j^aurais bien de la joie
que le palais, se portant à sa satisfaction, se rapprochât de
vous, et qu'en reprenant avec vous cette négociation, elle eût
un plus heureux succès entre vos mains. — Je souhaite fort
que M. le cardinal Altieri, se rapprochant en effet de vous, et,
prenant le véritable canal que Von n aurait point dû quitter,
vous ouvre les occasions de travailler, pour le service de Si
Majesté, à des affaires qui auraient assurément mieux succédé
entre vos mains qu'entre celles dans lesquelles on les avait
mises, et qu'il se facilite à lui les moyens de donner des preuves
de son affection pour les intérêts de Sa Majesté et s'acquérir
un mérite auprès d^elle (1). » Altieri opposa au dédain royal
une froide dignité, et chaquejourapportait à MM. d'Estrées une
preuve nouvelle de sa droiture. Le duc d'Estrées écrivait au
roi : Le cardinal Basadoona me dit « que noui^ étions obligés
à M. le cardinal Altieri de la manière dont il avait rejeté Us
offres et propositions que le sieur abbé Cocquelin lui avait sou-
vent faites contre nous, quiaUaîent, à ce qu*îl me fit entendre,
à nous perdre, si cet abbé avait pu; que non seulement /e car-
dinal Altieri 71 y avait pas voulu entrer y mais qu'il avait ton-
jours répondu au sieur abbé Cocquelin que cela n'avait rien
de commun avec les affaires dont il était chargé, et qu'il lui
suffisait de parler de ce qui lui était ordonné par Sa Majesté.
Le cardinal Basadonna me dit que cet abbé n'avaH pas aussi
épargné d'autres personnes de considération de cette cour,
ayant essayé de leur faire tout le mal possible ; mais qu'il n'é-
tait pas croyable avec combien do hauteur le sieur Cocquelin
parlait sur toutes sortes de matières. »
Mais AU'eri avait trop à cœur les droits du saint-siège pour
accepter un nouvel entretien sur ce sujet, si on ne lui offrait pas
d'abord la révocation des édits (2), Le roi, qui était l'agresseur.
(1) Au duc, 2 et 16 février, 16 mars; au cardinal, 23 février 1674. Ro7n^2f9.
(2j Toutes les lettres de ce temps altcsteol les bous procédés d'Altieri pour
ENTREPRISES CONTRE LES ORDRES RELIGIEUX 529
. , exigeait, au contraire, que les avances fussent faites par l'of-
fensé, parle papc(l). Le duc d'Estrées répéta maladroitement
à Louis XIV reloge que les Romains faisaient de Pomponne :
; Allicri « l'assurait savoir certainement que les ministres des puis-
sances étrangères étaient tout à fait contents de son honnêteté, de
. Ml douceur et de sa manière de traiter (2). » Cette affabilité, qui
contrastait si fort avec la hauteur de Lionne, avec la dureté
de Colbert et de Louvois, déplaisait déjà au roi et devait
, amener un jour la disgrâce de ce ministre (3). La cour de
Saint-Germain craignait de laisser paraître trop de déférence
pour le pape, et Pomponne écrivit au duc d'Estrées (4) :
« Quelques ouvertures qu*il semble que M. le cardinal Alticri
vous ait faites pour reprendre les affaires que le sieur Cocquelin
a laissées indécises, Sa Majesté ne trouve pas à propos que
vous fassiez paraître quelque empressement pour le faire rap-
procher. S'il revient de lui-même, vous aurez soin seulement
d'en rendre compte à Sa Majesté. Et, comme la négociation
dudit Cocquelin est finie, il sera bon que vous ne reparliez plus
de cette affaire (5). »
les FruuçaiB. V. entre autres la leUre de Scrvieat & Pachau (17 mura 1G14.
Rome, 22U) : Ces jours derniers, le palais a gratifié d\in cauonicat un Français
appuyé par le cardiual d'Estrées. — Un règlouieut défendait l'adtnissiun des
Français dans les chevan-lé^ers du pape : sur un mot du cardinal d'Estrées,
AUieri fait lever cette tiéfense u à Texclusiou de plusieurs autres, m ^ « J'en
pourrais, ajoute Servient, apporter encore d'autres exemples. »
(1) Analyse de Sainl-Prét, Rome, Négocia lions y 25.
(2) Le duc au roi, 16 mars 167i. Rome, 229.
(3) LouTois, qui convoitait le département des AITaires étrangères, ébranlait
peu à peu le crédit de Pomponne, et faisait répandre le bruit que don col-
lègue songeait lui-môme à la retriiite : « J'ai su en grand «secret, par la voie
d'un prélat vénitien, que Cocquelin avait fait espérer au jmlais, sur ((uelque
difficulté qu'on y avait témoignée dans les commencements de traiter par un
autre canal que celui de Monseigneur de Pomponne, crainte qu'y retombant
après cet éclat on n'y fût pas bien reçu, tfue U même Monseigneur de Pom-
ponne se déferait de sa charge, à laquelle il n'avait pas trop d'attacbemcut,
8*étant aperçu du peu de progrès qu'il faisait dans l'esprit du roi qu'il con-
traignait notablement, parce qu'il était trop scrupuleux... u (Servient à Pachau,
14 février 1674. Rome, 229.)
(4) 30 mars 1674. Rome, 229.
(5) Le marquis de Louvois, vicaire général des ordres de Saint-Lazare et du
MoDt-Carmel, tenta de consommer l'œuvre de spoliation «lu'il avait rêvée, et
découpa, dans les biens usurpés sur l'Église, un grand nombre de béuétices
militaires et civils. A quelques abus, causés en partie par les empiétements
LOUIS \IV KT Ll SAINT-SiftOE. — II. 34
530 CHAPITRE QUATRIÈBfB
Toutes celles où Tintervcation du saint-siège était in£s-
pensable furent désormais poursuivies par la couronne avec
le même mépris des règles séculaires, concertées entre TEglift
et rÉtat. Le roi, comme on Ta vu (1), s'était attaqué à Tordit
de Prémontréy qui, sous le gouvernement d*un excellent n-
ligieux, le P. Lcscellier, avait vu rétablir la régularité àm
les monastères où le malheur des temps Tavait affaiblie; maii
ce général, quoique peu âgé, était d*une santé débile : lacoor
lui surprit sa démission, et le remplaça, au moyen d'une éle^
tion simulée, par le P. Michel Colbert, très jeune religieux di
même ordre et parent du ministre. Clément IX avait refusé
sa sanction ii la décision du chapitre, qui était Tœuvre violenle
d'un commissaire royal. Après de longs débats, et pour sauver
autant que possible la liberté de TÉglise, il avait conféré,
motu proprioj le généralat au P. Colbert, dont la réputatioD
d'ailleurs était encore sans tache, mais qui devait, après trente-
deux ans d'une administration tyrannique, laisser l'abbaye de
Prémontré' presque ruinée, et Tordre entier appauvri et di-
visé (2).
, Pour asservir cet institut plus sûrement et plus vile.
de la couronne et qu'il «Huit facile do corriger en se coDccrtant loyalemeni
avec le iiaint- siège, il eu 8ul)siitua mille autres et reacoutra uoe Tioleute cp-
position. Tous les tribunaux du royaume reteotircut des plaiutes foroiéesp^
les villes, les villages, les communautés, les hôpitaux, les héritiers des foL-
dateurs, etc.. Peu de temps après la mort de Louvois, Louis XIV révoqua sofi
édit de 16*12; mais il ne put ré[»arer tout le mal qu'il avait fait. Ou ne pea'>
s'imaginer le désordre introduit alors par la royauté dans la répartitiou Jrs
biens affectés à l'entretien des hôpitaux. J'ai vu, il y a quelques années, ilf*
communes piaillant encore a grands frais sur rapplication des édits iie 16^i
et de 1()U3. V. (Jautier de Sibert. Histoire de l'ordre de Saint-I^zare^ etc. —
On lit dans les mémoires récemment publiés du marquis de Sourches : •> Le
' [avril l()y:i], on sut que le roi, ayant mûrement examiné si Tordre de Saiul-
Lazare était hfjithne et canonique^ de la manière dont le défunt marquif di
Louvoixy l'avait réglé, avait enfin pris lo parti de Tabolir; qu'il avait seuleaieiit
réservé les fonds qui appartenaient anciennement à cet ordre, et qu'il avait
fait rendre tous les autres biens^ qu'on y avait réunis du temps du mnrguit dt
Loiu'tjiSy à leurs possesseurs légitimes. Le roi créa eu même temps l'ordre df
^^aiut-Louis pour substituer à Tordre de Saint-Lazare et il en fit publier U
déclaration. ». (T. IV, p. 185, Paris, 1885.)
(1) Chapitre xiv du livre !•', et chap. u du livre IL
(J) Prémontré, Étude sur l'abbaye de ce nom^ etc., par Ch. Taiée, 2* partie,
p. 130 et suiv., Paris, 1874.
ENTREPRISES CONTRE LES ORDRES RELIGIEUX 531
Louis XIV avait étendu en même temps la main sur la grande
abbaye de Saint-Marlin de Laon, première fille de Prémontré ^
dont le titulaire était définiteur général, covisiteur avec le
général, visiteur particulier de plusieurs monastères et pré-
sident-né du chapitre qui élisait au généralat : aussi cette mai-
son n'avait-elle jamais eu que des abbés réguliers. Louis XIV,
de connivence avec le P. Michel Colbert, en nomma tout à
coup abbé commendataire un des prélats les plus sorviles
de sa cour, François de Clermont-Tonnerre, si connu pour
sa vanité, autrefois impliqué dans le procès des quatre évi^ques
jansénistes et qui appelait le souverain ponlife, M. de Rome,
Dès Torigine, l'ambassadeur, invité à solliciter des bulles con-
formes au brevet royal, répondit qu'un refus était inévitable.
Mais Louis XIV, décidé à ne souffrir aucune opposition, or-
donna de nouvelles violences qui, en frappant les Prémonlrés,
menacèrent tous les ordres. Cette religion avait, comme les
autres, un procureur général pour défendre ses intérêts au-
près du saint-siège : le P. Buyrette, investi alors de cette
charge^ protesta contre une nomination sans exemple; mais
le cardinal d*Estrées résolut aussitôt d'appeler la colère du
roi sur tous les procureurs généraux, et il écrivit k Pomponne :
« Nonobstant le consentement du général de Prémontré, ex-
pédié en si bonne forme,... et quoique j'aie pressé plus d'une
fois le procureur général de cet ordre de retirer son opposi-
tion, il ne Ta pas voulu faire, et a prétendu s'excuser en me
disant qu'étant officier de Tordre et non du général, il doit
rendre compte au chapitre de sa conduite, et n'est pas obligé
d'acquiescer au consentement que celui-ci a donné. Tant que
cette difficulté subsistera, il sera diflicile d'avancer l'aiTaire de
cette commende; c'est pourquoi il importe, et pour le succès de
celle- ci et pour celui de toutes les autres, où les procureurs géné-
raux des ordres se mêlent, que Sa Majesté fasse parler cTwie
manière 'àxix généraux et aux principaux ofliciers qui les gou-
vernent, qu'ils se sentent intéressés à faire cesser de pareilles
chicanes (1). » — Sa Majesté fit parler d une manière qui plut
aux évèques de Laon et de Noyon : une lettre de cachet or-
(1) 4 avril 1673. nome, 225.
532 CHAPITRE QUATRIÈME
donna au P. Buyrctte de quitter Rome. sur-le-champ (l).[i
débat s'établit donc entre le roi et le pape personnellemeÉL
Clément X offrit d*abandonner une grosse pension kJLk
Clcrmont-Tonncrre, pourvu qu'il ne disputât pas aux religim
leur droit d*élire un abbé régulier : sa proposition fut rejetêt
II consulta une Congrégation, et, lorsque le cardinal Allia
informa le duc d'Ëstrées que la demande du roi ne pouvaitptt
être accueillie, Tambassadeur répondit qu'il importait pei,
« puisque C évêque de Noy on jouirait toujours de F abbaye fv
économat^ » et « qu'il ne fallait pas s'attendre que Sa Majestc
la donnât à un régulier après rengagement où elle était (2). i
Le langage devint beaucoup plus impérieux, après que Tabbé
Cocquelin eut quitté Uome : « Il semble, dit Pomponne, qae b
seule autorité de Sa Majesté doive emporter cette affaire. * -
Le duc d'Estrées écrivit de son côté : « Le cardinal ÀltierioM
témoigna de la surprise sur ce que je lui reparlais de la coffl-
meude de Saint-Martin, prétendant que, cette affaire ayant
passe au noïice, Voire Majesté aurait pu connaître les senti-
ments de Sa Sainteté par la réponse qu'il avait faite à M. tie
Pomponne. Je lui dis que j'avais reçu de nouveaux ordres et
très pressants pour la poursuivre, et que, si mes audiences
ordinaires ne suffisaient pas pour l'obtenir, j'en demanderais
d'extraordinaires. Il me répliqua que, quand Votre Majesté
coudrait les choses dautorité absolue^ il ne saurait plus quf
faire ni que dire, mais qu il croyait qu elle voudrait bien laisser
le pape dans sa liberté, principalement sur un sujet où il eiad
persuadé qu'il allait de sa conscience. Je redoublai mes ins-
tances et représentai que, quand cette grâce serait encore
plus extraordinaire qu'il ne me disait, Votre Majesté la devait
raisonnablement prétendre cl quilny avait pa^ même de bien-
séance pour moi que je la sollicitasse depuis si longtemps sati^
{{) « Voici, Monsieur, uue leUre de cachet que je vous adresse, par orjr*
de S. M., pour ordonner au P. BuyreUe, procureur général de Prémouirè,
de sortir de Kouie et de se rendre en sou lieu de profession, s'il ne retira
pronipteuient le mémoire, qu'il a donné au cardinal C&rpegua, pour foruicr
opposition à la conimcnde de Saint-Martin de Laon. »» (Poiupoune au djc
d'Estrées, Il mai lô^a. /lowf?, 226.)
(2) Le duc au roi, 1^' août, 19 septembre; 15 et 23 novembre 1613. Romf^
227 et 228.
ENTREPRISES CONTRE LES ORDRES RELIGIEUX 53«3
*obte7iir. Il m'assura qu'il en parlerait au pape et verrait avec
lui ce qui se pourrait faire, mais il eut la précaution de me
répéter deux fois qu'il ne me donnait aucune parole (1). » Le
même cardinal ayant rappelé à l'ambassadeur, dans un autre
entretien, que la Congrégation ne comptait pas une seule voix
favorable à la requête, le duc répliqua que le pape est au-
dessus des Congrégations! Après de nouvelles obsessions, il
fallut reconnaître que Clément IX ne céderait jamais (2) ; mais
Louis XIV empocha que les moines de Saint-Martin élussent
un abbé régulier et maintint Tévèque de Noyon en possession
de la commende ! Le cousin de Colbert put donc tyranniser et
ruiner les Prémontrés, sans avoir à craindre la vigilance des
contradicteurs que la sagesse des règles monastiques avait
placés à côté de lui et auprès du souverain ponlife !
Cette guerre déclarée par la couronne, avec le concours des
évèques gallicans, aux procureurs généraux des ordres reli-
gieux, fut ardemment menée : les nouveaux instituts ne furent
pas plus ménagés que les anciens. Le P. Asseline, procureur
général des Génovéfains, défendait vaillamment à Rome les
privilèges do cette grande congrégation, contre les empiéto-
nnents royaux, ou, suivant reuphémisme de Pomponne, tenait
« une conduite opposée aux choses que Sa Majesté pouvait
désirer. » Il fut aussi rappelé en France par une lettre de ca-
chet. Le cardinal d'Kstrécs applaudit à ces violences : « Il m'a
paru, disait-il, et dans le P. Asseline et dans sa congrégation,
trop de résistance à la sécularisation du chapitre de Beaumont,
et, dès que Talfaire fut portée ici, je m'en expliquai de cette
sorte avec lui, et j'en écrivis encore plus fortement à ses su-
jiérieurs que je connais de longue main et par les ordres des-
quels il excusait son opposition. » C'est une des raisons pour
laquelle je vous envoyai un mémoire démontrant la nécessité
d'assujettir les procureurs généraux à l'ambassadeur du roi.
Quand le P. Asseline arrivera en France, « on lui pourrait
faire entendre que, son opiniâtreté' ayant causé son rappel, il
ve pourrait espérer de retourner à Rome non plus que ses su-
(1) Pomponne au duc d'Estrée?, 8 mai; lo duc au roi, 0 juiu 1674. Hume,
230.
(2) Le duc d'Estrée? au rui, 27 juin et 29 août 1674. Rome, 230 et 231.
534 CHAPITRE OUATRIÈMC
périeurs, tant que cette affaire ne serait pas terminée;,., «
serait peut-être le moyen le plus court pour faire réussir
la sécularisation de ce chapitre. Ce P. Asselinc, à son entête-
ment près, a témoigné (tailleurs tout le zèle et toute tardeur
(fun bon Français pour les intérêts de Sa Majesté, Comme il est
homme de bon esprit et sans doute un des plus habiles pour ki
affaires de sa congrégation, il s est acquis^ dans le long séjour
quil a fait ici, beaucoup de créance et d'estime auprès de
quelques cardinaux et d'autres personnes co?isidérables^ et nest
pas un homme inutile à un ministre du roi. n Très sensible à
(le si précieuses suggestions, Pomponne répondit aussitôt :
« Pour suivre le sentiment de Votre Émincnce, touchant ce
qu'elle a écrit du P. Asseline, ou plutôt des procureurs géné-
raux de^ ordres, le roi fera témoigner à leurs gétiéraux qu'il
les rend responsables de leur conduite [i), »
Les Doctrinaires, enfants de César de Bus, accueillis partout
avec faveur par les populations, tentaient fort li*gitimement de
se soustraire au joug d'un Clermont-Tonnerre et de ses pareils;
mais un autre évêque français, le cardinal d'EstréesJeur fermait
le palais pontilical et les dénonçait au roi en ces termes : « Le
procureur général des Pères de la Doctrine chrétienne, que les
brefs dlnnocontX et d'Alexandre VU ont déclarés prêtres sécu-
liers et soumis à la juridiction des évéques, a dessein d'en pour-
suivre un nouveau pour le remettre dans Tindépendance. Il
vint hier m'en faire quelque ouverture. Je la rebutai et je lui
dis qu'il ne devait rien tenter contre Tordre établi, agréé par
Sa Majesté et fortifié par quelques arrêts du Conseil^ sans avoir
connu sa volonté, et que je m'opposerais à tous les pas qu'il
pourrait faire jusqu'à ce que je reçoive ses ordres : qu'enBn,
s'il en usait autrement, // mettrait M, ramhassadeur dans la
nécessité de le mortifier (2). »
Les Eudistes, qui avaient eu jusqu'alors le concours de l'am-
bassade pour obtenir Tapprobalion de leur règle, se le virent
retirer parce qu'on ne pouvait plus douter de leur dévouement
au saint-siège. Pomponne écrivit au duc d'Estrées : « L'affaire
(1) Pomponne au duc d'Eslrécs, 14 avril; le cardinal d'Estrées à Pomponoe.
23 mai; Pomponne au cardinal d'Estréea, 14 juin 1674. RomCy 229 et 230.
(2) A Pomponne, 18 avril 1674. Romey 229.
ENTREPRISES CONTRE LES ORDRES RELIGIEUX 535
lu P. Eudes ne peut êlre plus éclaircie qu'elle ne Ta été par les
némoires que vous avez envoyés... Ce sont sentiments dange-
reux dansunÉtat[\). » — Celte tyrannie n'était jamais plus arro-
gante que quand ses victimes invoquaient contre elle la protec-
lion du saint-siège. La rivalité prolongée de la France et de l'Es-
pagne avait été funeste auxTrinitaircs, voués à la rédemption
des captifs et recrutés surtout dans ces deux pays. Un décret
d'Innocent X, qui avait usé d'un droit incontestable pour con-
server Tunion parmi ces religieux, ordonna que le chapitre
général s'assemblât sous les yeux des papes. Qu'importait à
Louis XIV le bon gouvernement d'un ordre si utile à toute
l'Europe? Il écrivit à son ambassadeur : « Vous vous oppo-
serez fortement à l'indiction du chapitrequi a été faite à Rome,
et empêcherez que ces tentatives, qui se sont déjà faites deux
ou trois fois, ne contribuent à usurper un droit qui est attaché
i\ un ordre qui tire son origine de mon royaume. J'ai déjà
même fait ordonner un arrôl de mon Conseil d'Etat, pour dé-
fendre à tous les religieux duditordre de sortir de mon royaume
pour aller audit chapitre (2). » Le récit d'incidents analogues
remplit les dépêches diplomatiques de ce temps.
\) 2:> février 1674. Rome, 229.
(2) Au duc d'E«trcos, 4 novembre 1672. — Uno leUre de Bourlemont sif^ale
le dauger des jalousies nationales, que fomentait la royauté» française, et qui
aK^ravaicnt ainsi la diversité des observances : l'abbé fait comprendre que le
saint-siège avait seul Tautorilé et l'impartialité nécessaires puar apaiser et
doniiucr toutes les contradictions : « Si, dans le chapitre qu<? tiendra propa-
blemcut en France le général des Tdnitaires, il pouvait réunir son ordre en
France, qui y est divisé en Véctiaur, Mitigés et Larges, qui tous se décrient
les uns les autres et donnent lieu aux étrangers, et particulièrement aux Espa-
gnols, d'en faire peu de compte, s'estimant plus réguliers et plus studieux que
la plupart d'entre eux, ils n'auraient rien à dire contre le procureur général
français d*un ordre bien régulier, réformé et de bonne union ensemble; car,
même entre les religieux Français, les uns voudraient que le procureur général
fût des Déchaux, les autres des Mitigés et les autres des Larges; et par ces
diviâions ils donnent lieu k essayer de les priver de ladite procure, ce qui se-
rait d'un grand préjudice contre Ir maintien de la perpétudle généralité d'un
religit'ux français. >• (A Pomponne, 28 avril 1673. Home^ 220.) — Et voici un
témoignage irrécusable do l'esprit, qu'à cette même époque, le pnpe et le sacré
collège apportaient dans la direction des chapitres généraux qui se célébrnient
à Rome, soit d'après la règle des instituts, soit en vortu de décrets dérogatoires :
« Le chapitre général des Augustins se tint ici la veille de la Pentecôte, oi^ le
P. Oliva. Italien, dont l'on estime fort le mérite et qui était procureur général,
fut élu général. Il a toujoarn U'Mnoigné tant d'affection pour la France que le^
536 CHAPITBE OUATRIÈMS
C'est à la mémo époque qu'un coup presque mortel fk
porté par la couronne à la grande abbaye-chef d'ordre de CloiL
A la mort de Mazarin qui s'en était fait investir par la ré^oU.
Louis XIV avait, par la corruption et par la force, prévenu les
eiïets d^iinc élection régulière (1) et mis en possession da tem-
porel un prince étranger, le cardinal d'Esté, auquel le saint-
siège refusa justement ses bulles pendant plusieurs années:
elles ne furent accordées que sous la condition que l'abbaye
retournerait en règle après ce nouveau titulaire. Renaud d'Esté
étant mort, les capitulants réunis, le 14 octobre 1672, sous la
présidence de dom Guillot, prieur claustral, àTunanimité^par
la voie de l'inspiration postulèrent, nommèrent et élurent le
R. P. dom Henri Bertrand de Beuvron, sous-prieur et aumô-
nier de ladite abbaye, pour abbé, chef, supérieur et général,
administrateur de Tabbayc et de tout Tordre de Cluni (2). » La
cour, par des manœuvres auxquelles se prêta le P. Ferrieri3,,
confesseur du roi, avait voulu empêcher cette élection (4".
religieux espagnols dëdarèreDt8*y vouloir opposer .'mais M. le cardinal Nidhird,
en ayant eu connai$>saucp, les envoya quérir et leur ordonna de ne le pas faire...
Le cardinal Impériale, qui a présidé à ce chapitre, comme protecteur de l'onlre.
m'a paru s'être aupsi très bien conduit. • ;Le ducd*Estrées au roi, 23 mail6T3.
Home, 220.)
(1) V. nos Recherchefi sur VAssemb/ée de fSSi^ 2« édit., p. 58 et suiv.
(2) Home, 223.
(3) Lo P. l'ftrricr et son successeur, le P. de la Chaize, furent les conseiller-
en titre de Louis XIV pour la distribution des bénéfices, et, par une faible«»e
personnelle dont leur compagnie ne doit pas être responsable, ils favorisèrent
les abus de la commendo et l'intrusion de la couronne dan:» le régime de?
monastères d'hommes et de femmes : les documents qui ont passé sous me?
vfiix montrent toujours ces Pérès preuaut le parti du roi contre les reprtwn-
talions et la n'^sistance des souverains pontifes. V. déjà la 2» édit. de nos ft"-
cherche.s, p. 2IS«ît suiv.
(4) M Le roi ayant été averti par le P. Ferrler que les religieux de l'abbaye
de Cluni » se préparaient à élire un abbé, leur fit expédier par M. de Chi-
teauneuf, secrétaire d'État, une lettre de cachet avec défense de s'as^mbler
M sur peine de désobéissance,... de laquelle lettre ledit P. Ferrier ayant élé
cbargé le 13 du présent mois d'octobre au matin, il la remit aussitôt entre ki
mains du P. du Laurens, grand prieur de tout l'ordre, » qui, malgré sa dili-
gence, ne put arriver à Cluni qu'une heure après l'élection. (Mémoire envoyé
par le roi à son ambassadeur. Rome, 223.) — A la suite de cette trahi?^n.
Pierre du I/mtp .^dut quitter l'ordro de Cluni : il eu fut récompensé par l'év?-
ché de Belley, et 1»^ roi le fit élire plus tard à l'Assemblée de 1682 conimo un
d«îs «>vrqiios dont il était le plus sûr. V. nos Recherches, etc., 2? édit.. p. 2bS.
ENTREPRISES CONTRE LES ORDRES RELIGIEUX 537
•
N'ayant pu y réussir, Louis XIV adressa sur-le-champ au duc
d'Estrées des dépêches impérieuses, qui menaçaient le pape
lui-mOme : Opposez-vous, disait-il, à la délivrance des bulles,
et, si elles sont déjà expédiées, réclamez-en la révocation.
« Cependant ye donne ordre que toute celte procédure soit dé-
truite dans mon royaume par t autorité de mes arrêts. Je ne
veux pas douter que Sa Sainteté ne se rende facile dans une
afTaire si juste, lorsque vous lui en parlerez de ma part, et
qu'elle connaîtra le droit où je suis d'y apporter f ordre néces-
saire par moi-même. »> — « Vous n oublierez rien, ajoutait
Pomponne, ou pour arrêter ou pour détruire cette élection faite
contre les ordres de Sa Majesté , ou au moins sans lesattefidre (1). »
— Le cardinal d'Eslrées conseilla au roi d'en prescrire une
autre, « soutenue de toute la puissance de Sa ^Majesté... » et
Pomponne répondit bientôt que Louis XIV avait déjàw donné
les ordres nécessaires dans son royaume, où sa seule vo-
lonté pouvait à cette heure décider de cette abbaye (2). » Le
souverain pontife ayant défendu le droit des religieux, le roi
leur fil une proposition qui atteste la justice de leurs re-
vendications : Qu'ils me cèdent, disait-il, la collation des
prieurés dépendants de Cluni, et « je veux bien, à cette con-
dition^ les laisser dans la jouissance du droit qu*ils prétendent
d'élire toujours leur abbé (3). » Ce marché ne fut accepté ni
à Cluni ni à Rome, et le roi, ne gardant plus de ménagement
envers Clément X, s'en tint aux arrêts de son Conseil d*État,
qui avaient cassé Télection du P. de Beuvron, et prohibé toute
assemblée nouvelle des capitulants : a Pendant onze années,
Tabbaye resta vacante; des lettres royales nommèrent Paul
Pellisson, maître des requêtes, administrateur général de Tordre
de Cluni au temporel, » et ce grand ordre ne put avoir de
réunion générale qu'avec la permission de la cour, « en pré-
sence de Pellisson, de rarchevêque de Paris et du confesseur
de Louis XIV (1676) (4).»
(1) 19 octobre 1672. Rome, 223.
(3) Le cardinnl d'H^trues* à Pomponne, 6 nof embre ; Pomponne au cardinal
a*E»trée8,25 novembre 1672. Home, 223.
(3) Au duc d'Kstrùe». 4 janvier 1675. /?omr, 236.
(4) LoraÎD, Histoire de t abbaye de Cluni, 1845, p. 233 et suiv.
CHAPITRE CINQUIÈME
NOUVEAUX CONFLITS PROVOQUÉS PAR LA COUR DE FRANCE. RFA.V
CHISES ET QUARTIER DE L'AMBASSADE FRANÇAI^B- PROMOTIONS DES
COURONNES. 1672-1674.
Quartier et franchises de l'ambassade française à Rome. Maintien et aggravation des abns fv
le duc et le cardinal d'Bstrées. Graves incidents. Plaintos portées au roi par le DOnre. la
propositions conciliante de Clément X sont rejetées par Louis XIV. Kdits de réforae -
MM . d'Kstrées, pour y ré.Histcr. provoqu< nt une ligue des ministres étrangers. Complot d««
quatre ambassadeurs pour entrer ensemble ù Monte-Cavallo, de gré ou de force ; ils marrhmt
sur io palais : Altieri fait tendre les chaînes. — .Manœuvres de MM. d'Estré«< pour renverMf
Altieri. Modération du pape. I/union des quatre ambassadeurs va se di*M>udrf ; pour U res-
serrer, MM. d'Rstrée^ s«>ulèvent une nouvelle querelle. Us déterminent le roi à eiiger ane
promotion des couronnes. <^ qu'était alors, en fait et endroit, l'alternalice des promotion*.
— La France avait ét<^ la nution la plus favorisée dans les promotions de Clément IX et de
Clément X. Prétentions croissantes de Louis XIV : il veut que le pape nomme un Français
(Forbin-Janson) pour cardinal national do Pologne, — et un Allemand (Fursteoberg] pour
cardinal national de Franco. Supercheries de MM. d'Estrées pour faire agréer la présentitioD
de Forbin-Janson. — Leurs manœuvrer pour lier les deui affaires. Ils sont abandonnés pv
les autres ambass^adeurs. Consistoire du 10 décembre 1674 : Clément X, tout en témoignant
sa bienveillance pour lo Français, maintient la liberté des promotions.
Nous avons raconté les querelles personnelles de MM. de
Créquy et de Chaulnes avec le gouvernement pontifical. Mais
ces deux ambassadeurs avaient passt» rapidement, et les dé-
sordres cessaient autour du palais Farnèse, dès qu'il n'étail
plus occupé par les Français. MM. d'Estrées s'y étaient ins-
tallés avec l'espoir d'y faire un long séjour, et ils avaient sur-
le-champ revendiqué, avec les droits attachés à leur caractère
et qu'on ne leur contestait point, des immunités abusives qui
scandalisaient jusqu'aux nations protestantes. « Tout le monde
sait, disait Leibnitz, que les franchises des quartiers étaient
insupportables dans la ville capitale du pape, où il y avait par
là autant de juridictions étrangères qu'il y avait d'ambassa-
deurs, qui faisaient les maîtres chacun dans une bonne partie
de la ville, au préjudice des droits du souverain; que ces
franchises étaient des asiles des plus méchants et des retraites
assurées des assassins, voleurs, gens de mauvaise vie, ban-
queroutiers et autres mauvais garnements; que les gens des
FRANCHISES ET QUARTIER DE l'aMBASSADE 539
ambassadeurs s'en faisaient un revenu considérable, et em-
pêchaient l'exécution de la justice, contre le droit divin et
humain (1). » Selon Voltaire lui-même, « ces prétentions ren-
daient la moitié de Rome un asile sûr à tous les crimes. Par
un autre abus, ce qui entrait à Rome sous le nom des ambas-
sadeurs ne payait jamais d'entrée; le commerce en souffrait
et le fisc en était appauvri (2). » Le duc d'Estrées, qui devait
mourir insolvable à Rome, avaii déjà sa fortune embarrassée
lorsqu'il fut envoyé vers le pape. 11 s'était épuisé pour marier
son tils, le comte de Nanteuil, à Tune des filles de Lionne, et
le roi qui avait fait à celui-ci, pour cet établissement, un don
de 200,000 livres, n'ajoutait que de rares gratifications aux
24,000 écus qui formaient le traitement de Tambassadeur (3).
Le cardinal* non encore pourvu des nombreuses commendes
qu^il cumulera un jour, se complaisait dans le désordre de ses
afTaires domestiques (4), et n'était que d'un faible secours
pour son frère, sous le toit duquel il vivait. On se rappelle
les doléances répétées de M. de Chaulnes qui, outre les appoin-
tements de ses charges militaires et de cour, son traitement et
ses gratifications d'ambassadeur, avait dépensé à Rome, en
moins de dix-huit mois, 28,000 pistoles (300,000 livres) de ses
deniers personnels (5). MM. d'Estrées, forcés de soutenir leur
dignité, craignaient les reproches du roi s'ilsy avaient manqué;
et, comme ils déployèrent le faste accoutumé, l'extension qu'ils
donnèrent aux franchises provoqua bientôt des plaintes, qui
furent portées au roi par le nonce (6). Voici la vérité, avouée
(1) Œuvres publiée? par Foucher de Carcil, t. UI, p. 15i.
(2) Siècle de Louis XIV y chap. xiv. - Cf. plus haut, chap. vu du livre !•'.
(3) Lionne à Chaulnes, 10 janvier 1670. /{orne, 20S.
(4) V. les anecdotes racontées par Saiut-Simon, son grand admirateur,
(û) V. plus haut, chap. iv du livre II.
(6) Le duc d'Estrées se plaint (à Pomponne, 16 août 1672. Rome, 222) du
bruit répandu que son frère et lui vont ôtre rappelés parce qu*ils sont trop
pauvres ; il ne dit pas cela pour provoquer indirectement les grâces du roi : leur
train démentirait ce discours ; leurs équipages sont les plus somptueux de
Ronae. — Pomponne au duc, 25 novembre 1672. Rome, 223 - <« S. M. a été in-
formée de la magnificence de la première comparsa que vous avez faite avec
tout votre équipage et vos livrées que la triste occasion du deuil de Msr le
«lue d'Anjou vous aura obligé de renfermer bientôt. Comme ces sortes de pa-
nades sont une partie, quoique inconnue, de l'ambassade de Rome, on peuf
540 CHAPITRE ClTVQUlÈBfE
par lôs Mémoires de Pomponne (i ), qui vil naître et s'aggraver
le conflit sons deux pontificats. L'abus, dit ce ministre, « s'é-
tait porté si avant que des quartiers entiers étaient compris
dans cette exemption. La justice du pape n*osait y faire aucon
acte, ni y poursuivre aucun crimineL Ces lieux servaient de
refuge aux gens qui avaient de mauvaises affaires, aux jeux
et autres lieux publics défendus, à la vente des vins et d»
marchandises, dont les domestiques des ambassadeurs tiraient
souvent un grand profit. — Outre la franchise qui s*était établie
en cette sorte dans les quartiers voisins des ambassadeurs, une
autre, par un même abus, se répandait indilTéremmeot dam
le reste de la ville, sous le nom de lettres de familiarité : ^
terme voulait autant dire que d'être de la famille de l'ambas-
sadeur. Sous le prétexte de ces lettres, qui étaient données!
toutes sortes de gens, mais particulièrement aux artisans, les
armes de l'ambassadeur qu'ils mettaient sur leur porte ren-
daient leurs maisons exemptes de la juridiction ordinaire.
Ainsi, ces exemptions de toute nature étaient montées à un
tel point que Ton prétendait qu'elles occupaient une troisième
partie de Rome. — L'usage, qniesl venu dans toutes les cour?,
que les denrées que les ambassadeurs font venir pour leur
maison ne payent point les droits d'entrée, avait donné lieu à
un autre abus qui faisait grand tort aux revenus de la Chambre.
Au lieu de renfermer ce droit à ce qui se consommait effccli-
vemenl dans leurs maisons, les maîtres d'hôtel donnaient leurs
certificats aux receveurs des douanes et faisaient entrer, sous
ce prétexte, beaucoup de marchandises qui n'appartenaient
point à leurs maîtres. »
Aux premières plaintes le duc d'Estrées répondit : « Je nai
point de connaissance jusques à cette heure que mes gens aient
Toir que vons y avez apporté tout ce qui pouvait répondre davantage au «er-
vice et à la dignité du roi. » — Le duc à Pomponne. 11 avrU 1673. /?omf,2i5:
« L'on m'a mandé de Paris que le uouce vous avait donné un mémoire qià
coutient que je subsiste principalement pnr les franchises et qu'il y a de mw
fi;en» qui abusent de mon autorité pour faire beaaconp de violences et de
vexations. >. Mais j'ai, outre mes 24,000 écus comme ambassadeur, ce que cii
vaut mou gouvernement de Tlle-de-France et quelque bien. J*empIoie c« que
j'ai à tenir mon ran^, sans jeu, ni tableaux ni autre dépense superflae,
(1) T. Il, p. 27 etsuiv.
FRANCHISES ET QUARTIER DE l'aMBASSADE 541
rien fait de ce que M. le nonce leur impute (1). » On s'explique
ces dénégations et cette facilité de conscience quand on lit,
dans la propre correspondance du même ambassadeur, les
incidents qui se renouvelaient sans cesse autour de Farnèse.
Un Français, Tabbé Morcl, rentrant au palais vers dix heures
du soir, est attaqué par deux malfaiteurs et reçoit un coup de
feu dont « il pense être tué ». Le duc d*Estrées va-t-il faire
punir les hommes qui, presque sous ses yeux, ont mis en dan-
g-er la vie d'un de ses nationaux? Non, les assassins sont ses
protégés et ses tributaires, et c*est contre la cour pontificale
qu'il tournera la colère du roi! Les coupables, c'est lui qui ré-
crit (2), sont « deux Ornancs [Ornano] frères, dont Tun est si
chargé de crimes qu'il a été chassé de TEtat ecclésiastique, de
celui de la république de Venise, de Gênes et de Florence...
Quand ils n'auraient eu d'autre crime que d'être pris avec des
pistolets, ils étaient perdus sans ressource, et dans vingt-quatre
heures on leur coupait la tête ; mais, bien loin de les faire livrer
à la justice, ce qui aurait été un procédé non seulement contre
la dignité d'un ambassadeur, mais qui ne peut pas tomber
dans l'esprit d^une personne qui a le cœur bien fait, j'ai toléré,
comme ils n'étaient pas en état de se sauver, qu'ils demeu-
rassent dans Farnèse... » Je les ferai sortir de Rome dans
deux ou trois jours. « Je vous mande le détail de cette aven-
ture, afin que^ si le palais voulait se plaindre, dont je doute
pourtant fort, n'y ayant pas de sujet, que j'exerce une telle
autorité dans Farnèse que j'y tiens les gens prisonniers, vous
soyez informé de la vérité. 11 se trouve en tout cela que je suis
le plus offensé, parce que les Ornanes ont eu si peu de respect
que de maltraiter, sous mes fenêtres, un Français qui est
comme mon domestique; mais, quand on a les personnes en
son pouvoir, on leur peut pardonner sans être blâmé. Ces
deux Ornanes ont deux frères, dont l'un a eu l'honneur d'être
nourri page de Sa Majesté, et l'autre est un abbé qui est sou-
vent à nos cortèges. » Un mois après, Tambassadeur écrit
encore au ministre : (3) « Quoique nous ne puissions pas évi-
(1) A Pomponue, 11 avril 1673. Rome^ '2'2'6.
(2) Mémoire du 12 juillet 1612. Home, 222.
(3) 16 août 1672. Rome, 222.
542 CHAPITRE CINQUIÈME
ter de souffrir dans le quartier des gens qui s'y réfutent,
témoin M. de Chaulnes qui tint deux mois durant (t) un gen-
tilhomme qui avait tué un Suisse dans la salle de Monte-C»-
vallo et fort près du pape^ parce qu'il ne lui permettait pas
d'entrer; cependant j'ai eu ce bonheur de n'avoir point en de
réfugié considérable depuis six mois que je suis ici, et dans II
suite je ne les attirerai point, comme je ne pourrai pas l'éviter
quand il ne s'agira pas de crimes énormes (2). » — Les scélérats
prenaient le costume français comme sauveg-arde contre la
police romaine. L'évc'fque de Laon écrivait au roi : « Le gou-
verneur de Rome a eu ordre de M. le cardinal Altieri d'en-
voyer prendre dans le quartier de l'ambassadeur [d'Espagne]
un Majorquain, qui se déguisait toutes les nuits avec des ha-
bits à la française et qui volait et assassinait. Cet ordre a été
exécuté sans aucun concert avec l'ambassadeur, qui pouvait
voir l'emprisonnement presque de ses fenêtres: on croit que
ce Majorquain sera pendu ^ et ce spectacle ne lui fera pas
grand honneur. »
Le duc d'Estrées défendait avec le même cynisme ses pra-
tiques lucratives de contrebandier : n'était-il pas de touic
justice de se procurer, aux dépens du pape et de ses sujets.
l'argent que leur refusait le roi de France? « Bien loin, disait-
il, d'abuser de ce droit à mon avantage, je ne m'en sers pas
comme je devrais à proportion de ce que nous dépensons par
an dans Rome, qui passe soixante mille écus. Ils se fondent
sur une fausse apparence dont ils veulent éblouir artificieuse-
ment les gens. 11 est certain qu'étant franc de toutes choses,
la somme de franchise qui m'est due légitimement doit être
réglée selon la qualité de ma dépense, et, lorsqu'elle ne l'ex-
cède pas, mais (ju'au contraire elle est moindre, bien loin
d'abuser de ce droit, je n'en use point dans son étendue légi-
time : de sorte qu'à proportion d'une dépense de soixante
mille écus, je ne fais point de tort à la douane quand je donne
des mandats, où je suis franc à neuf pour cent dont il ne m'en
(1) Pour lu faire évader.
(2) Les Oruano, assassins d'un Français, et mis au banc des États italien^
D'i'taieot doQc pas des râfuyiés considérables l Quel crime sera énorme poar
MM. dEstrées?
FRANCHISES ET QUARTIER DE L^AMBASSADE 543
revient que six, jusqu'à la concurrence de la franchise qui
m* appartient, et je retire ainsi, par des mandats de choses
qui véritablement ne sont pas réelles, ce que je paye en détail
dans le cours de Tannée aux marchands, qui me servent, pour
les marchandises et les denrées dont ils m'ont fait payer les
droits en me les vendant même plus, chèrement... Pour juger
de l'excès et de la justice des franchises, il ne faut pas s'arrêter
à des mandats qui seront ou moindres ou plus grands, et qui
paraîtront excéder la consommation qu'on peut faire de vivres
et denrées, mais revenir de bonne foi à la qualité de la dépense
et la compenser avec toutes les sommes contenues dans les
mandats d'une année... » Et M. d'Ëstrées conclut, sans hési-
ter, qu'il doit être loué de son désintéressement (1).
L'Age avancé de Clément X rendait son gouvernement cir-
conspect, et l'on ne poursuivit pas à la fois la répression de tous
les excès reprochés aux ministres des princes. L'introduction
et le maintien des officiers pontificaux dans tous les quartiers
eussent exigé Temploi de la force et amené des voies de fait
qu'il était prudent d'ajourner. Mais on résolut de s'attaquer
à la contrebande des ambassadeurs. Encore le pape ne négli-
gea-t-il rien pour ménager la dignité do leurs souverains. Il
fît avertir Louis XIY de son dessein, dans le temps qui s'écoula
entre le rappel deChaulnes et l'arrivée de son successeur. Le
roi approuva d'abord la réforme. Bourlcmont se félicita de
porter au palais cette bonne nouvelle et répondit (2) : (c Je
dirai à M. le cardinal Altieri la favorable répanse de Votre
Majesté sur ce qu'il m'avait prié de lui faire connaître les abus
qui se commettent ici chez divers ambassadeurs par des man-
dats de franchises avec un notable préjudice de la Chambre
apostolique, et je l'assurerai, de la part de Votre Majesté,
qu'elle peut donner des ordres là-dessus à ses ambassadeurs
qui seront ici, et lesquels ils exécuteront ponctuellement, de
(1) A Pomponne, 26 septembre 1674. — « Le» ambadRadeurs cousouimeut de
si graudefl sommes dans Rome que, quand ils y jouiraient de quelques pri-
vi/éges sinfjuliers^iU les achètent trop cher pour leur pouvoir ôtre rcprocbés. »
(Le cardinal d'Entrées & Pomponne, 25 septembre 1674. Rome, 232.)
(2) Le roi à Bourlemont, 11 juillet 1G70. Rome, 207. Bourlemont au roi,
5 août; à Lionne, 19 août. Rome, 210.
544 CHAPITRE CINQUIÈMB
se contenter des franchises accoutumées de ce qui se consume
effectivement dedans leurs maisons selon l'intention de Si
Sainteté. » Comptant sur l'effet de cette promesse, Altieri
proposa au duc d*Ëstrées une allocation annuelle de trois milk
écus [10,600 livres], pour tenir lieu des droits d'entrée sur
toutes les fournitures de sa maison, et de lui conserver même
les mandats d'ingresso et de sortie, à Tarrivée et au départ,
dans les cas extrordinaires, fêtes, mariag^es, etc., ce qui
« pour le moins aurait monté aussi haut », suivant M. d'Es-
trées lui-même (l).Maisces vingt mille livres, au lieu desmiUe
écus que Tordinaire des franchises pouvait rapporter qua-
rante ans auparavant, ne suffisaient pas à Tavidité de Tambas-
sadeur : il rejeta cette offre « comme n'étant pas bienséante ni
convenable à sa dignité » (2); et, avec l'approbation du roi, il
exigea le maintien des franchises sans modiGcations, pour ThoQ-
neur, disait-il, plutôt que pour le profit (3). Le gouvernement
romain répondait avec raison qu'il était moins déshonorant de
toucher une indemnité publiquement réglée que de chercher
ungain malhonnête dans les friponneries décrites en ces termes
par une relation française (4) : « Un ambassadeur achetail en
apparence deux barques de vin ou d'autre denrée. Le mar-
chand s'entendait avec des particuliers : il gagnait son quart des
droits ; Tautrc quart était pour l'ambassadeur ou pour ses
gens ; le troisième pour les véritables acheteurs, et le qua-
trième pour le douanier. Ces billets étaient rapportés à la
Chambre par le général des douanes, et, bien qu'il eût eu un
quart en secret il se faisait tenir compte du total sur le prii
de sa ferme. On a môme des preuves que les ambassadeurs
gratifiaient leurs gens de cette manière : on leur payait ainsi
leurs gages... Les officiers des ambassadeurs commettaient un
autre abus : quand ils arrivaient à Rome, ils donnaient un rfinn-
datodinfjresso signé de leurs maîtres. Les derniers de France
et d'Espagne ont été de six vingt mille écus chacun de hardes
(1) A Pompoune» 5 juillet 1673. Home, 226 ; 27 juillet 1677. Rome, 252.
(2) Mémoire sur les franchises, 18 octobre 1672. Rome^ 223.
(3) Le duc au roi, 5 juillet 1673. Home^ 226. — Bourlemont au duc, 9 août.
Rome, 227.
(4) Rome, 337.
FRANCHISES ET QUARTIER DE L AMBASSADE 543
' el meubles neufs; en un ou deux mandats de chaque ambas-
sadeur; car, pour les étoffes coupées, vaisselle, meubles qui
• ont servi un seul jour, on ne paye rien à Rome... La compo-
sition était que le douanier recevait un mandat de six vingt
mille écus de bardes neuves qui lui assurait (sur sa ferme) un
rabais d'environ douze mille écus : il en donnait six mille en
argent comptant pour les ambassadeurs et quelque douceur
aux enlremetleurs, de sorte que les ambassadeurs, leurs offi-
ciers et le douanier trouvaient également leur compte dans ce
commerce. »
Le duc d'Estrées se coalisa donc, pour résister à cette ré-
forme, avec les ministres de TEmpire, de TEspagne et de
Venise. Le cardinal-landgrave, Frédéric de Hesse, évêque élu
de Breslau, dont nous avons déjà parlé, était alors chargé des
affaires deLéopold : luthérien converti et présenté au cardinalat
par l'Empereur, quoiqu'il n'eût ni les mœurs, ni la science d'un
ecclésiastique, il s'était rendu populaire à Rome par le cou-
rage qu'il avait déployé pendant la dernière peste, sous le
pontificat d'Alexandre VII, et il devait mourir sur son siège
épiscopal, fort regretté de son diocèse; mais il désolait alors
Clément X par une turbulence qui rappelait trop les habitudes
militaires de sa jeunesse. Il se plaignait de son souverain, qui
lui payait mal de chétifs appointements, et il avait offert d'en-
trer dans la faction française aux conditions suivantes qu'a-
vait approuvées le cardinal d'Estrées : il rendrait à l'Empereur
son mandat, mais en retenant l'évêché de Breslau et le grand
prieuré de Malte en Allemagne; le roi lui donnerait la pro-
tection de France avec des abbayes, lui ferait restituer les
biens de son grand prieuré situés dans les Provinces-Unies et
appuierait sa candidature aux évèchés de Liège et Hildesheim.
Louis XIV n'avail pas ratifié le traité, mais le cardinal d'Es-
trées et son frère conservaient une étroite liaison avec ce prélat.
— Le représentant de la cour de Madrid était l'ancien Jésuite
Nidhard, naguère confesseur et premier ministre de la régente
Marie-Anne d'Autriche, récemment nommé archevêque d'E-
desse et cardinal : il ne se résignait pas à la perte du pouvoir,
et il était fort irrité du blâme sévère que sa conduite politique
lui avait attiré à Rome comme en Espagne. Des rancunes per-
LOOIB XIV BT U SAI?IT-SlÈOB. — H. 33
K46 C31APITRE CIXQUffeME
sonnelles contre Altiori le disposaient à seconder les projtli
des ambassadeurs : le cardinal d'Ëstrées disait de lui (i) : «Di
quelque dehors de religieux à garder; mais dans le fond, sa
ressentiments sont vifs, et le mal que le cardinal AUieriiA
de lui avant et depuis son cardinalat et Texclusion du SûbI-
Ofiice (2) lui ont imprimé une profonde aversion contre loi.»
— La république de Venise prétendait depuis longtemps èlR
traitée à Rome comme les UHes couronnées^ et, quoique les
princes ne reconnussent pas cette égalité^ Pielro MocenigOi
ambassadeur de la Seigneurie, fut admis dans le complot
ourdi contre le palais. Il avait au maintien des mandats d*m-
gresso un intérêt que Bourlcmont expliquait ainsi : « Jasqni
présent on lui conteste ici plusieurs droits de franchises, et il
n'en jouit pas si pleinement que les autres ambassadeurs des
couronnes, ce qui fait croire qu'il marchera de bon pied,
puisque cela lui donne sujet d'accroître les droits et la réputir
tion de son ambassade i3). » D'ailleurs il venait de monlrer.
dans son quartier, une cruauté qui lui assurait Tappui et la
confiance d\i Faruôse : cinq sbires passant dans son voisiaage
avaient été attaqués par ses domestiques : l'un avait été tué
surplace, un second était mort le lendemain, et les trois autres
avaient été blessés (i).
Le duc d'Eslrées et ses collègues ayant refusé rabonncmcai
généreux que leur offrait la Chambre apostolique, les ordon-
nances fiscales qui parurent rappelèrent, dans le style usuel,
que les gabelles étaient dues par toutes personnes, de quelque
qualité et condition qu'elles fussent. Un premier ùando omet-
tait les ministres des princes : ils furent désignés dans un se-
cond, du 14 septembre 167i, qui augmentait de trois pour cent
la taxe des marchandises étrangères, même pour les ambas-
sadeurs, cardinaux et autres privilégiés, sous les peines por-
tées (3). Les quatre conjurés, après avoir tenu un nouveau
(1} A Pompomio, 2o seutcaibre 167 i. Kome, 2:32.
(2) C-îllo exclusion était fort sîij^.^ NidliarJ, aydiil été grand Inquisiteur ea
Ei»paj;uo, pouvait troubler une Cou^régiliou chargée de réformer \eé décisio:.?
de 9011 ancien tril)aual.
(3) Le dnc d'Kélréea a Pomponne, 2:» septembre 1674. Homey 232.
(i) Le même au môme, 19 juillet 1673. Rome, 226.
(o) Analyse de Saint-Prêt. Rome, Négociations, 25. — Bien entendu, le noa-
FRANCHISES ET QUARTIER DE L* AMBASSADE $47
CODciliabuIe à la vigae Montalte^ voulurent être reçus tous à
la fois par le pape dans une audience extraordinaire. Ils allé-
g^uerent plus tard qu*ils avaient aussi sollicité des audiences
séparées, « si Sa Sainteté Tavait plus agréable »; mais ils
furent démentis expressément par le maître de chambre Cres-
centio, Tun des membres les plus considérés de la prélalure,
futur cardinal, et, suivant Bourlemont lui-même, « d^ùne
grande piété et vertu » (1). Le pape avait diiîéré de répondre
à une prétention si insolite : « Cela, dit le ducd*Ës(rées, donna
lieu de demander une audience à M. le cardinal Allieri pour
se plaindre du procédé du mattre de chambre. » Allieri consen*
lit aies entendre Tun après l'autre, « ce qu'ils jugèrent ne
devoir pas accepter ». Us prirent alors la résolution la plus
insensée, pour entrer de force tous les quatre chez le cardinal-
neveu, au risque de provoquer une émeute dans les rues de
Rome. Voici la relation du ministre français : « Les ambassa-
deurs ne pouvant croire que le cardinal Altieri, lequel même
n'ignorait pas la fin de leur visite, pût persister dans un refus
mal fondé, se rendirent Taprès-dîner aux Chartreux (2)^ et de
ce lieu, qui n'est pas éloigné de Monte-Cavallo, renvoyèrent
leurs gentilshommes au maître de chambre du cardinal Altieri,
pour lui dire qu'ils ne pouvaient différer de le voir ensemble
et qu'ils s'acheminaient vers Monte-Cavallo pour cela... (3).
Cependant leurs gentilshommes les vont retrouver à pou près
à moitié chemin des Chartreux à Monte-Cavallo et leur dire
que le maître de chambre avait répondu que son maître ne les
verrait que séparément, et qu'il ne se chargerait pas de cette
ambassade, puisqu'il savait bien son intention. Les gen-
veau tarif ne causait aux ambussadears aucun dommugc dout ils pussent se
plaindre légitimement, car la Chambre était toujours prête à leur rembourser
par voie de mandats dHngresso ou autrement les gabelles qu*ils justifiaient
avoir payées. Les règlements ne supprimiiieut que les plus gros profits de
leur contrebande.
(1) Au roi, 23 décembre 1670. Home, 212.
(2) Sainte-Marie-des-AngeSf aux Thermes de Dioclétien
(J) Le cardinal d'Estrées s'exprime un peu plus maladroitement : les am-
bassadeurs, dit-il, renouvellent leur demande d'uue audience commune, « et.
eiji la faisant porter par leurs secrétaires, $ acheminent en même tempa^ pour
âter au cardinal Allieri le moyen de la refuser^ na devant pas croira qu'il fût
capable d*une pareille conduite. >• (A Pomponna, 25 saptembre i67i. Aoum, 242.^
548 CHAPITRE CINQClfofK
tilshommcs insistërenl qu'il allât demander cette audience, A
lui s*en défendit toujours et se relira. L'on tendit en mèiK
temps les chaînes devant deux portes de Monte-Cavallo, etn
renforça le corps de garde des Suisses à la principale, et on
en ferma quelques autres d*aulres côtés. On ordonna aux sol-
dats de se retirer dans leurs quartiers et d'attendre les ordres
qu'on leur enverrait, et Ton prit les mêmes précautions qoll
aurait fallu prendre^ si les ambassadeurs eussent eu dessein de
forcer le palais du pape et faire une violence au cardinal AI-
lieri... (1). »
Ce prélat ne faisait pas injure à ses agresseurs : il savait
fort bien qu'un des meneurs du complot était le cardinal de
Hesse, ancien homme de guerre, qui était demeuré, an dire
de l'évêque de Laon, ^' capable dans une action d'éclat de ha-
sarder toutes choses » (2), et dont les services en cette renconire
pouvaient décider Louis XIV à le recevoir enfin danssafaclioo.
au prix précédemment marqué. Le cardinal-neveu n'ignorait
pas que les émissaires de Farnëse et des autres ambassades
animaient les esprits contre les derniers édits de la Chambre,
contre « une imposition, disait Tabbé Servienl, contraire air
bien du peuple qui en est déjà si chargé (3) ; aux nations étran-
gères puisqu'elle est établie sur toutes les denrées qui viennent
du dehors; à la noblesse qui, bien que sans bonne raison, se
voit à regret nommée dans l'ordonnance (4)! »
L'émotion causée par ces quatre cortèges se précipitant sar
le palais pontifical, avec une populace recrutée dans les quar-
tiers, aurait pu amener des scènes sanglantes^ sans la présence
d'esprilet la fermeté d'Altieri. Supposons que le fait se passât
à Paris, à Madrid ou à Vienne : les souverains de ces pavs
eussent aussitôt chassé les ambassadeurs factieux qui, pour
couvrir leurs friponneries, mettaient aux prises plusieurs
États. Le vieux pontife ne s'effraya pas : il refusa TaudieuM
commune, mais il autorisa chacun des quatre ministres à se
(1) Relation du duc d'Estrées, 26 septembre 1674. Rome, 232.
(2) Mémoires du cardinal d'Eâtrées, 12 et 23 octobre 1672. Rome, 223.
(3) Le peuple ne se plaignait que des ministres étrangers et de la surcharge
rejetée sur lui par leur contrebande.
(4) A Pomponne, 26 septembre 1674. Rome, 232.
FRANCHISES BT QUARTIER DE l'aMBASSADE 549
présenter seul devant lui. « Le pape, dit le duc d'Eslrécs, me
témoigna d^abord qu'ayant fait mon frère cardinal, dont il
me dit de grands biens, et ayant eu toujours tant d'amitié
pour moi, il avait été extrêmement touché que je me fusse
uni avec les autres ambassadeurs, et que je lui eusse fait de-
mander avec eux de les voir tous ensemble; qu'il m'assurait
que son repos en avait été troublé pendant deux nuits, disant
souvent en lui-même : L ambasciatore di Francia^ al quai vo-
glio ianio betie, s'èpotulo unir con lialtri! » Malgré les inter-
ruptions de son interlocuteur, Clément X rappela les événe-
ments du 17 septembre; la « méchante intention » de celte
ligue contre son neveu; a le tumulte )> excité par la marche
des quatre cortèges. Le duc d'Ëstrées prétend que le peuple
s*assemblaseulement((aprèsIerefusqu'onleur(itderaudience,
et que Ton eut fermé etgardé les porteset redoublé les gardes. »
Soit : cela suffit pour la justification complète d'Allieri.
« M'ayant remis, ajoule-t-il, sur le sujet de ce cardinal, pour
Texcuser encore de ce qu'il n'avait pas reçu notre visite, je lui
apportai l'exemple de M. de Fontenay-Mareuil qui, sans avoir
demandé audience à Innocent X, alla droit à son antichambre
et demanda à lui parler, pour avoir raison de ce que les sbires
avaient arrêté des bandits dans un de ses carrosses (1). Le
maître de chambre et les autres domestiques furent extrême-
ment surpris de la présence de l'ambassadeur, et, quoiqu'on
lui répondit qu*il ne pouvait parler au pape, il s'y opiniàtra et
dit hautement qu'il coucherait plutôt dans cette antichambre
que de s'en aller sans avoir vu Sa Sainteté. Cela ayant été
rapporté à Innocent X, il fit aussitôt entrer M. de Fontenay.
Je suppliai ensuite le pape de juger par cet exemple et par la
différence très grande qu'il y a entre un pape et un cardinal-
neveu^ combien le cardinal Altieri avait de tort d'en user aussi
mal avec nous qu'il avait fait. » Les cardinaux de Hcsse et
Nidhard reçurent un accueil semblable, et s'entendirent repro-
cher leur ingratitude. Mais Clément X, que cet incident sur-
(1) Cet aveu est accablaot pour Thooneur des ambassadeurs français : il
prouve leur brutalité traditionnelle, la longanimité des papes et l'énormité des
abus que Clément X et Innocent XI eurent à détruire.
5S0 CHAPITRK aNQDIÈMB
prenait au moment où il avait Tespoir le mieux fondé de fuR
accepter sa médiation par les grandes cours calholiqaei,
plaça l'intérêt de la chrétienté au-dessus de toute considératioi
personnelle et congédia les ambassadeurs en leur disant qne^
s'ils ne voulaient plus traiter avec le cardinal Altieri, il les
recevrait lui-même « à toute heurc^ quand ils voudraient, Il
nuit, le jour et même dans le lit (1). » Il ne put (oulefoisw
dispenser de faire porter ses plaintes à leurs souverains. C'est
à Saint-Germain qu'elles furent écoutées avec le moins de
respect^ et les Français répandirent de nouveau contre la Coor
pontificale mille calomnies qui ne sont nulle part mieux réfu-
tées que dans leurs propres écrits.
Lorsque, après la mort de Clément X, son successeur voalat
poursuivre la réforme commencée, un bando parut (27 juillet
1677] quiassujcttittoutes personnes, prélats, princes, cardinaux
et ambassadeurs à la gabelle établie sur le bois, le vin qui dé-
barquait à Ripitta, le foin, les fruits, etc. (2). MM. d'Estrées
pousseront les mêmes clameurs qu'en 4674; mais Tabbé de
Bourlemont tenta de leur épargner de nouvelles fautes en rap-
pelant au roi celles qu'ils avaient commises sous le précédenl
pontificat. Il écrivit à Pomponne (3) : « J'ai dit à M. l'ambassa-
deur qu'avant qu'il se déclarât oiïensé du présent édit, il me
semblait qu'il faudrait considérer la voie que les ambassadeurs
ont tenueici depuis longtemps pourjouirplusavantageuscmenl
de leurs franchises, qui est qu'en divers temps de l'année,
selon qu'ils le jugent à propos, ils envoient au fermier général
des gabelles de Rome des mandements pour les sommes des
marchandises, denrées et vivres que l'on a pris pour le service
de leur maison, et à proportion desdites sommes le fermier
leur paye la gabelle pour restituer celle qu'on présume qu'ils
ont payée aux marchands qui leur ont vendu Icsditcs denrées.
(1) Le duc tiu roi, 26 sc[>tembre 167 i. Rome^ 232.
(i2) Celait le style ordinaire des édiU sur les douanes, et le duc d'Estréei
uvnit été obligé d'avouer au roi que celui de 1674 était conforme à deux ou
trois autres qui n'auraieot pas été sus des ambassadeurs et notamment a
u un misérable exemple de Inédit ou bundOf « de 1573, renouvelé en 1569 et
intitulé : Dando générale sopra la gabella dei cavallL (Le cardinal et le doc,
25 et 26 septembre 1674. Rome, 232.)
(3) 3 août 1677. Rome, 252,
FRANCHISES ET QUARTIER DE L*AMBASSAD£ 551
Ainsi, quand les édits qui se publient à Rome disent que les
ambassadeurs payeront la gabelle des bois, du vin, des fruits,
elc, s: Ton continue à leur faire valoir les mandements de
franchise, on leur restitue en gros la gabelle qu'ils ont payée
en menu aux marchands qui leur ont vendu lesdites denrées»
et cela selon leur assertion. Mais j'ose dire de plus qu'il serait
injuste eue le fermier général des gabelles payât aux ambassa-
deurs le> mandements de franchises pour restitution d'une
gabelle ru'ils n'auraient pas payée. Ce qui aggrava l'aiTaire du
cardinal Altieri, pendant l'autre pontificat, ne fut tant, ce me
semble, d'avoir dit dans un édit que les ambassadeurs paye-
ront deu! Jules de gabelle par baril de vin, vu qu'on la leur
restituait et au delà par les sommes qu'ils tirent des mande-
ments de franchises, que la mauvaise expression de Fédit et
le procédé du cardinal d'avoir fait fermer la porte du palais du
pape Jonque les ambassadeurs allaient pour avoir audience...
Et quand les ambassadeurs s'unirent et firent tant de bruit
touchant Tédit qui les obligeait à la gabelle du vin. si le car-
dinal Altieri eut fait voir au roi qu'on leur restituait cette
gabelle dars leurs mandements dt* franchises, Taflaire n'eût
pas été maliisée à accommoder; mais ce furent les mauvaises
suites qui gâtèrent tout(l . Enfin, si Ton restitue aux ambas-
sadeurs, dam Il'S mandements de fran<*hises, les gabelles qu'ils
ont payées, y crois que le pape peut dire aussi qu*ils doivent
payer en meiu la gabelle que Sa Sainteté leur fait restituer
en gros... J*aipris l'assurance de dire à M. l'ambassadeur que
je ne voyais pas qu'il y eût lieu de plainte, le pape faisant payer
équilablementaux ambassadeurs leurs mandements de fran-
chises; ot, qmnt à la jonction des ambassadeurs, qu'il était
bon de paraître unis et de bonne intelligence aux affaires d'hon-
neur et de pré'ogative des ambassades; mais de se lier, aux
moindres incidents, à ne rien faire que d'un commun concert,
cela fait un grand éclat, et, s'il n'en résulte de grandes choses,
il y a plus à p^i dre qu'à gagner, principalement puur ceux
qui ont le plus le sincérité et de bonne foi. les autres faisant
(1) Mau cet maun ir:» îuitf éuieiit le fait dr» aujLa&?aieari qui, coutre-
baiidier* et fausftiris, ciuriIuTérent U violcoc^ pour s'atiurer riuipuuilc.
552 iSlAPITRE CINQUIÈME
souvent leurs traités aux dépens de ceux-ci, co.mnie on Tan
à la dernière jonction des ambassadeurs sous le précédai
pontificat... »
A quel excès devaient donc se porter les collëgjesde
M. d'Ëstrées, pour que Tabbé de Bourlemont, dans la mèou
lettre, vante sa grande retenue^ après Tavoir vu réclame:, en un
seul jour, des mandats d'ingresso sur le pied de cent viiçt mille
écus de bardes et meubles neufs, sans compter les étoffes
coupées, vaisselle et meubles ayant servi une seule fois, non
soumis à la taxe et dont il trafiquait avec les marchands de la
ville! Aussi Tabbé Servient, mêlé de plus près qie Bout-
lemont à la vie du palais Farnèsc, écrivait conficentielle-
mcnt à Pomponne que tous ces contlits, soulevés par
MM. d*Estrées, avaient pour cause Tétat déploré de leurs
affaires, et le besoin de vivre aux dépens du pape! ...« Quand
le désordre, disait-il, est invétéré dans les finances d*un
homme, il n'est plus de conseil à propos. 11 fallai; apaiser
des domestiques que Ton voit à tout moment et qu'oi ne paye
pas depuis vingt ans, en les laissant profiter de ce {^ain, et en
leur donnant des mandats de vin (i) : cependant cîs sommes
ne sont pas comptées, et Ton a le préjudice de tolérer leur
violence, d'y contribuer même, d'être blâmé ei public, de
s'attirer des affaires avec les souverains à qui Tonest mandé...
C'est ce qui m'engage, Monseigneur, à vous repr&enler ce que
Votre Excellence sait mieux que personne, que nous avons
besoin, sur toutes choses, d'un ambassadeur dent la dépense
soit réglée, qui soit maître de ses domestiques, qui pave tous
les mois exactement, qui se gouverne de lui-même, qui ne
soit point emporté, qui ne passe pas pour avor à la cour de
puissantes inimitiés (2). »
Louis XIV reçut avec son dédain accoutumi les représen-
tations du nonce contre les derniers actes de soi ambassadeur:
il se flatta d avoir inspiré à Spada une terreurqui se commu-
niquerait au cardinal Altieri et au pape, et il écrivit au duc
d'Estrécs : « Je ne doute point que le nonce m rende compte
(1) Ce n'est qu'un exemple entre beaucoup d'autres; claqae jour amenait
un incident nouveau.
(2) A Pomponne, 30 décembre 1676. Rome, 248.
FRANCHISES ET QUARTIER DE l' AMBASSADE 5S3
à Rome, avec beaucoup d'inquiétude, de la fermeté qu*il a
connue dans mes sentiments; au moins, en fit-il paraître beau-
coup dans une visite qu*il rendit le lendemain au sieur do
Pomponne, et dans laquelle, n'apprenant rien que ce qu'il
avait su de moi la veille, il parut seulement embarrassé de la
distinction que je lui avais faite entre le commandement qui
serait venu directement du pape ou Tordre que le cardinal
Altieri se serait attiré (1), et c'est en cette sorte que vous devez
toujours séparer extrêmement Sa Sainteté de son ministre et
faire voir à quel point je sais ne les point confondre Tun avec
Tautre. » — Pomponne écrivit à MM. d'Estrées avec la même
confiance : « Aujourd'hui que M. le cardinal Altieri doit cher-
cher apparemment les moyens de sortir du mauvais pas où il
s'est engagé,... vous trouverez celte occasion, Monsieur^ de
ménager tellement les avantages de Sa Majesté qu'il se croira
peut-être assez heureux de faire entrer dans un accommode-
ment les diverses affaires sur lesquelles il se rend si injus-
tement difficile jusques à cette heure. » — « C'est en cette né-
gociation» que je vois un grand champ ouvert à Votre Émi-
nence pour en tirer des conditions avantageuses (2). » On
n'était pas moins crédule à la cour de Saint-Germain, qu'au
palais Farnëse, où l'on accueillait avec une joie puérile tous
les rapports des sof/ioni (3). Le pape, disait-on, était in-
digné contre Altieri, qui calomniait les ambassadeurs^ les
plus désintéressés des hommes ! il allait chasser de la cour ce
neveu postiche, posticcio ! L'affaire présente serait « un accrois-
sement de gloire et d'autorité » pour Sa Majesté! Altieri,
abandonné de tous, était abattu et mélancolique ; il mourait
de peur; c'était un lâche qui ferait tout ce qu'on voudrait,
(1) Le noQce alléguant les ordres exprès du pape au cardinal Altieri, « je
lui dis que Ton devait toujours Taire une grande distinction entre ces sortes
de commandements; que je mettais une grande différence entre ceux gui ve-
naient directement des princes ou ceux que leurs ministres s'attiraient^ et que,
quand il serait vrai que le pape aurait donné cet ordre au cardinal Altieri, je
le considérerais plutôt comme un effet du soin qu'il aurait pris de se le faire
donner que comme un pur mouvement de la volonté de S. S. »
(2) 13 octobre 1674. Home, 232.
(3) Espions : ainsi étaient nommés par les Romains les familiers de
MM. dEstrées.
SB4 CHAPITRE aNQUIJtMK
fliaon, son successeur était déjà désigpné! ce serait ou amiie
HM. d'Estrées, qui n'aurait rien à leur rofuseri et les Françab
régneraient à Rome! L'union des quatre ambassadeurs, fa
avait remporté ce triomphe au profit du roi* était indissoluble!
— On ne lit pas sans chagrin que Louis XIV ait pris ces bblei
au sérieux (1) ; Pomponne écrivait au cardinal d'Estrées:U
roi voit avec plaisir que le pape est disposé à remplacer M. le
cardinal Altieri par M. le cardinal Rospigliosi. Gomme ce de^
nier a a confié ce secret à Votre Éminence^ vous pouvex de
même, si vous le jugez à propos, lui confier les sentiments de
Sa Majesté, si pleins d^afTcction pour lui. Du reste, si Votre
Ëminenco pouvait, par ses soins et par son application, coih
tribuer à faire réussir ce point, elle peut s*assurer qu'elle ne
pourrait rendre un service plus agréable à Sa Majesté! »» -
« J'ai continué à faire voir au roi en particulier le mémoire
que vous m'avez adressé pour elle seule. Vous croyez bien
que Sa Majesté continuant toujours dans les mêmes senti-
ments d*afTection pour le cardinal Rospigliosi, elle verrait
avec plaisir que TafTaire qui fait aujourd'hui tant de bruil à
Rome servit à son élévation, et y fit passer toute Tautorité des
mains du cardinal Altieri dans les siennes (2) . »
La cour pontificale ne s'apprêtait point à subir le joug i^
Louis XIV : elle connaissait son artifice accoutumé de se pré-
tendre ofi*ensé, quand Toutrage venait de lui seul, et elle atten-
dait avec une patiente curiosité qu'il précisât ses conditions.
Le roi écrivait de son côté au duc d'Estrées : « Vous devei
laisser au cardinal Altieri le soin de proposer » une satisfac-
tion. On va sans doute me faire des offres : tâchez de les péné-
trer. — Mais Pomponne ajoutait : Nous ne voyons rien venir
de Rome; donnez-nous votre avis et celui de votre frère sur
« la manière dont vous croyez que celte affaire put ôtre réparée
pour la dignité du roi (3). » Moins rassurés qu'ils ne semblaient,
In cardinal et Tambassadeur épiaient toutes les rumeurs de
(i) Seraient à Pomponoe, 11 octobre. » Le cardinil d'Estrées au mèint.
5 et 18 octobre. — Le duc au roi, 25 octobre 1674. Rome, 232.
(2) 9 novembre et 21 décembre 1674. Rome, 232 et 233.
(3) .Le roi au duc, 13 octobre et 30 novembre. — Pompoooe au m^me,
30 novembre 1674. Pome, 232 et 233.
FRANCHISES ET QUARTIER DE l'aMRASSADE S66
Rome, soudoyaient les valets de chambre, subornaient un reli-
gieux avec lequel le pape disait son bréviaire (1), et faisaient
voler la correspondance d'Altieri avec le nonce Spada, pratiqué
familière à la chancellerie française depuis Mazarih et
Lionne (2)! Clément X embarrassa singulièrement MM. d*Es*
Irées et leur souverain en se prêtant d^abord à la fiction d*une
querelle privée entre son ministre et les ambassadeurs. Puis-
qu'on plaçait sa personne et son autorité au-dessus de ces dé-
bats, il proposa la médiation des princes ou la sienne (3)!
Louis XIV refusa Tune et l'autre, exigeant qu'Altieri négociât
avec le palais Farnëse, et que « la discussion, la conclusion
et l'exécution » du traité fussent réservées au duc lui-même.
Puis il ajouta que, s'il avait décliné la médiation pontificale^
c*est qu'il n*avait pas cru que Sa Sainteté « dût descendre à
s'entremettre d^un accommodement, lorsqu'il était en elle
d'ordonner la satisfaction qu'il avait droit de se promettre (4). »
MM. d'Estrées avaient trop présumé de leur habileté. Le bon
sens de Bourlemont les avait cependant avertis des le début
qu'ils s*égaraicnt; que cette confédération des quatre ambas-
sadeurs, née d'un accident, contraire aux intérêts permanents
de leurs souverains, n'était pas durable; il écrivait : L'alliance
avec le ministre espagnol, est « d^autant plus difficile à entre-
tenir que nous sommes en temps de guerre entre les cou-
ronnes. » D'ailleurs^ « la conduite et le procédé du cardinal
Nidhard..., qui feint d'être malade, qui ne se trouve plus aux
(1) Le cardinal k Pomponoe, 25 octobre et 22 novembre. — Pomponne au
dac, 14 décembre. — Le duc au roi, 22 décembre 1674. Rome, 232 et 233.
(2) J'ai fait intercepter un paquet du nonce de Paris au cardinal Altieri,
expédié extraordinairement à un courrier qui avait déjà dépassé Gênes. J*al
fait cela pour empêcher « que le palais ne reçût des nouvelles plus fraîches de
quelques jours que je n*aurai9 fait parles dépêches de Sa Majesté. » (Le duc
à Pomponne, 9 novembre 1674. Rome, 232.)
(3) « Cum post accuratam a nobis exhibitam operam pro componendis ora-
torum animis la negotio de quo Majestatem Tuam docuimus, sollicitis iidem
curis nostris acquiescere noluerint, necesse unice duximus ad principes quoa
ipsi referont rei tractatum convertere, omnino scilicet nobis pollicentes fore ut
patemsB caritativ nostra) sensus eâ quà par est observantià filial! exoipiant, etc.
Id autem dubio procul a Majestate Tuà nobis prAstandum enimvero eonfi-
dimns, etc. » (Bref au roi, 8 novembre 1674. Rome, 832.)
(4) Pomponne au duc, S3 novembre; le roi au pape, 7 décembre 1(74.
Rome, 233.
S56 CHAPITRB CINOUIÈME
assemblées, qui n'a pas voulu aller avec les autres quand ik
se sont mis en chemin pour aller à Taudience d u cardinal-neveo
qui leur fui refusée, font voir peu de sincérité pour TunioD. ?
Les Espagnols « tâchent d*insinuer à cette cour que les de-
mandes les plus fortes pour la réparation ne viennent point de
leur part) et que leur ministre se trouve aux assemblées pour
les modérer (1). » — Les deux branches de la maison d'Au-
triche étant également menacées par Louis XIV, la cour de
Vienne devait certainement régler sur celle de Madrid sa cod-
duite envers le sainl-siège. Enfin les Vénitiens prenaient une
altitude équivoque : leur ministre, Mocenigo, jaloux de donner
du relief à son ambassade, paraissait fort zélé pour MM. dTs-
trées et pour la France; mais Basadonna, son prédécesseur,
devenu cardinal, soutenait énergiquemcnl Allieriet lepalais(2).
Les illusions des Français s^évanouissaient l'une après Tautre:
les discours et les écrits oiiils déchiraient Altieri n'avaient pas de
succès. Le cardinal-padrone ne s'alarmait pas, et il avait rai-
son; car jamais le pape ne lui avait été plus attaché. Clément X
recevait de la meilleure grâce le duc d'Estrées, échangeait avec
lui des présents de confitures cl d^oiseaux. rares, louait son
désintéressement, et imputait volontiers l'abus des franchise^
à la famifjlia de Farnèse; mais il ajoutait en souriant : « //
signore nmbasciatore vorebhc dividere la nostra persona del
negotio (entendant sans douto celui de M. le cardinal Altieri),
ma questo non si pifo{*i)! » Le cardinal d'Estrées, moins prompt
que son frère à se désabuser, écrivait : « L'esprit du pape n'est
point, dans le fond, remis pour le cardinal Altieri; mais, dans
les intervalles des audiences, et dans l'assulrance qu'on lui
donne que les cours calmeront tous les troubles que les ambas-
sadeurs ont excités et assureront son repos, il ne s'aliène pas
de nouveau du cardinal Altieri (4). » L'abbé de Bourlemonl
confessait crûment la vérité : « Le cardinal Nidhard, disait-il,
est si mal suivi de ses nationaux et de ses factionnaires, que
(1) A Pomponne, 26 septembre et 10 octobre 1674. Romêj 232.
(2) Bourlemont à Pomponne, 26 septembre; le cardinal d'Estréea au même.
25 octobre 1674. Rome, 232.
(3) Le duc à Pomponne, 15 novembre. Rome^ 233.
(4) A Pomponne, 29 novembre 1674. Rome, 233,
PROMOTION DES COURONNES 357
non seulement les principaux d'iceux ne l'assistent pas, mais
lui sont contraires et adhèrent au cardinal Altieri, comme il
est public que font les cardinaux Porto-Carrero et Pio et le
duc Gaetano que j'ai toujours vu ici le conseil des ambassa-
deurs de cette nation. Si le conseil d'Espagne chemine droit en
cette affaire-là, les Espagnols n'ont plus pour leurs intérêts
cette union qu'ils ont toujours fait paraître à Rome, et, depuis
le temps que M. le cardinal Nidhard a pu faire savoir en Es-
pagne leur mauvais procédé, il y aurait remédié, et il n'y a
pas un de ces gens-là qui voulut désobéir, si on leur comman-
dait tout de bon. Gela fait reprendre cœur au cardinal Âltieri.
et le pape se déclare plus en sa faveur qu'il ne faisait aupara-
vant (1). »
MM. d'Estrées entrevoyaient le terme prochain de cette indis-
soluble union et cherchaient à la reconstituer sous un prétexte
plus sérieux qu*un tarif de douane et le refus d'une audience
commune : ils voulurent perpétuer le conflit en le couvrant du
nom et des intérêts de leur cour. Ils persuadèrent au roi qu'il
était en droit do réclamer, avec la réparation exigée par les
ambassadeurs, une promotion de cardinaux pour les cou-
ronnes.
On se rappelait bien, à Saint-Germain, que Glément X était,
pour les promotions, en avance avec les princes et que
Louis XIY était le moins fondé de tous à demander alors un
cardinal national. Élu au mois d'avril 1670,1e souverain pon-
tife avait créé quatorze cardinaux, dont cinq nationaux, et sur
les cinq, deux étaient français, MM. de Bonsy et d'Estrées. La
cour de France avait un autre motif de se montrer plus réser-
vée dans ses prétentions, c*est que déjà, sous le précédent
pontificat, l'égalité avait été violée à son profit : elle avait
demandé et obtenu le chapeau du cardinal de Bouillon par an-
ticipation sur le prochain tour des couronnes. Louis XIV,
malgré les justes griefs que Rome avait contre lui, y était donc
mieux traité que les souverains les plus favorisés, lorsque tout
à coup le cardinal d'Estrées lui suggéra la pensée d*exigor
une promotion immédiate de sujets nationaux, qui compren-
(i) A Pomponne, 4 janvier 1675. Rome^ 236.
SB8 CHAPITRB CnfQUfftMS
drait l'évèque de Marseille, présenté par le roi de Pologne.
M. de Forbin-Janson, qui craignait que Sobieski ne se ré-
tract&t, recommandait ses intérêts à MM. d'Estrées (1), eiiis
engagèrent Taffaire avant d'avoir reçu les ordres du roi, sou
prétexte de prévenir Télévation de prélats trop agréables à la
maison d'Autriche (2). Leur prétention parut d*abord témé-
raire, et Pomponne répondit : « Je ne vois pas que Sa Majesté,
jusques àcequ'elle ait pris sa résolution pour la nomination des
couronne», voulût s*opposerà celle de M. Pig-aatelli, ni mèoK
disputer avec le palais sur les chapeaux qu*il voudrait donner
aux nonces de Madrid et de Vienne. Je vous prie seulement
de me mander si, comme il en a paru quelque chose, il y a
déjà assez longtemps, dans vos dépêches, TËoipereur et l'Es-
pagne continuent à demander la promotion des couronnes (3).>
Le cardinal d'Estrées ne put dissimuler qu'il n'était venu d'ins-
truction ni de Vienne ni de Madrid, et que les cardinaux
Nidhard et de Hcssc^ ministres de ces deux cours, suivaient,
dans cette aiïaire comme dans celle des franchises, rimpaUion
de l'ambassade française : «Il est constant, dit-il, que ces deux
prélats témoignent souhaiter ouvertement que uous eussions
des ordres de pousser la nomination du roi et que le cardinal
Altieri, comme je crois vous Tavoir mandé Tannée passée,
les (4) appréhendait extrêmement, se persuadant que les deux
(i) Le duc et le cardinal à Tévèque de Marseille, 30 juiUet et 10 août 1674.
Rome, 230 et 231 .
(2) Je crois savoir qu'eu cas de vacance de trois chapeaux, le cardinal Altiert
les ferait donner à Mareacotti et à Alberizzi, nonces à Madrid et à Vienne, et
à Pignatelli, secrétaire de la Congrégation des Réguliers, Napolitaia. Ce sertit
un triomphe, au moins apparent, pour les Espagnols : ou pourrait empèdier
cette promotion en intimidant Altieru (Le cardinal à PompooDe, 23 mai 1674/
— Je lui disque cette promotion serait mal vue par le roi. N'ayant pas d'ordre
j'ai cru devoir faire cette ouverture pour réserver à V. M. la faculté de prendre
le parti qu'elle voudra. (Le duc au roi, 6 juin.) — •« M. TambassaJeur reod
compte à S. M. de la mauière dont il a traité le plan de cette promotion pré-
tendue, dont j'avais été averti. M. le cardinal Aîtieri a paru ne 30U{>r:oDDer
iiucun art dans son discours; mais quand même il rannit pénétré ou sVa
serait délié, cette précaution peut être ou un moyen de le détruire, ou uu
titre très authentique pour le reprocher, si jamais il IVxécute. » (Le carJiual
à Pomponne, môme jour. Homey 2.i0.)
(3) Au duc, 21 juin. Rome, 230.
(4) Ces ordres.
PROMOTION DES COURONNES 8S9
autres (1) ne le tourmenteraient pas, comme il est arrivé^ ou
lai donneraient peu de peine, s'ils n'étaient unis et concertés
avec Tambassadeur de Sa Majesté. Quand elle voudra qu'oa
fasse quelque diligence, il nous sera aisé de faire inspirer à ces
deux cardinaux, par des voies secrètes et assurées, le désir de
se joindre à nous (2). » Pomponne résistait encore; il bornait
alors son ambition à faire accepter en principe la présentation
de M. de Forbin-Janson et prévoyait un long délai : c( Votre
Éminence, disait-il, ne sait pas peut-être qu'étant uni au point
que je le suis d'amitié et d'alliance avec M. Tévèque de Mar-
seille, je ressentirai autant que lui-même l'obligation qu'il lui
en aura. Il s'agit d'attendre une promotion des couronnes, et
c'est ce que j'appréhende que M, le cardinal Allieri ne travaille
à différer longtemps (3). »
Le cardinal d'Ëstrées persuada enfin sa cour que son grand
crédit auprès des cardinaux Nidhard et de Hesse et des factions
Cbigi et Rospigliosi ne pouvait manquer de faire réussir son
projet, et il reçut pour son frère et pour lui les ordres qu'ils
sollicitaient. Le roi lui écrivit : « Mon intention est que vous
vous déclariez de la juste raison que j'ai d'attendre de Sa Sain-
teté une promotion pour les couronnes. Le désir que le car-
dinal Nidhard et le landgrave de Hesse en ont fait paraître (4)
(i) Les cardinaux de Hesse et Nidbard.
(2) A Pompooae, 4 juillet 1674. Rome, 230.
(3) Au cardinal, 20 juillet 1674. Rome, 230.
(4) SupposiUoQ puérile du cardinal d'Estrôes, dont le roi et Pomponne
s'étaient d'abord défiés et qu'ils auraient dû rejeter jusqu'à la un. Comment
ces deux cardinaux, représentant à Rome les deux branches de la maiaon
d'Autriche, se seraient-ils prêtés sincèrement i\ une manœuvre qui avait pour
but de mettre obstacle à une promotion de cardinaux favorables à ces deux
coars? Voir, dans une note précédente, la lettre du cardinal d'Estrées, du
23 mai, et ceUe de son frère, du 6 juin (Rome, 230), dont l'abbé Servient re-
produit les termes, le il juillet (môme volume) : « Le pape ne se porte pas
fort bien. Le cardinal Brancaccio et d'autres encore sont fort baissés. On te
promet la promotion au mois d'août. 11 est certain que, si M. l'ambassadeur
a le moindre ordre de parler directement ou indirectement, Us n'oseront faire
eeiU des deux nonces autrichiens, ce qui est toujours regardé comme un affront
poar la France, mais le plus considérable qu'elle puisse recevoir en cette
cour dans la conjoncture présente, n II n'y avait pas à' affront, ou, s'il y en avait
OD, il était pour l'Empereur et pour l'Espagne ; car, sur les trois noncea qui
généralement ne sortaient de charge que pour entrer au saei^ eoUège, il en
était un qui avait déjà reçu la pourpre depuis plus d'un an, le 12 juin 1673,
560 CHAPITRE CINQUIÈME
appuycra encore davantage la demande que vous en ferez. et
il importe même en quelque sorte pour ma dignité que, lors-
qu'il est public à Rome que je n'ai pas sujet d'être contedi
de la manière dont le palais a agi avec moi, on y voie qoeje
me mets en état de tirer du pape une grâce qui m'est égal^
ment acquise par le droit et par l'usage. Je crois même quli
m'est plus avantageux en cela de donner l'exemple à TEmpe-
reur et à l'Espagne que de me joindre seulement à la demande
qu'ils en auraient faite les premiers. Je désire que vous vous
expliquiez au pape et au cardinal Altieri, en la manière lapins
favorable et la plus honnête que vous pourrez le faire, deTal-
tente où je suis que la première promotion sera celle des cou-
ronnes. » Et Pomponne écrivait le même jour au cardinal
d'Estrées : « Votre Éminence verra, par la lettre de M. lam-
bassadeur, que le roi a fait réflexion sur ce que vous lui avez
écrit touchant la promotion des couronnes. Si M. le cardinal
Nidhard a attendu que Sa Majesté s'en déclarât, il se trouvera
en état de suivre son exemple, et on pourrait détourner en
celte sorte la première promotion que le cardinal Altieri parait
avoir dessein de faire toute tomber sur des sujets attachés à
la maison d'Autriche (1). »
Ni le droit m fusage ne justifiaient la demande de Louis XIV.
Les cardinaux dits nationaux doivent nécessairement être
beaucoup moins nombreux que les autres, et les papes sont
maîtres, quelques vides qu'il y ait à remplir, de fixer le temps
des promotions : il ne peut donc pas y avoir entre elles d'al-
ternative proprement dite et réj^^lée. Leur ordre et leur étendue
Nerli, le nonce de France! Et MM. d'Estrées avaient alors célébré son éléva-
tion comme un triomphe du parti français! Le dac d'Estrées écrivait au roi
(12 et 14 juillet 1673. HomCf 226) : '< La promotion du nonce de France, quoique
déguisée sous le titre de secrétaire d*État, a été fort remarquée par le sacré
collège et jagée avautageuse à V. M., les nonces d'Espagne et de Vienne
ayant été 7i&/lùjés. » Il n'y avait eu ui préférence, ni affront, ni négligence.
La mort imprévue du cardinal Borromeo, secrétaire d'État, arait forcé CJé-
mcnt X de rappeler subitement Nerli pour en faire son ministre, et il l'avait
aussi rev(Hu d'une dignité presque inséparable de ses nouvelles fonctions. S'il
n'avait pas promu avec lui les nonces de Vienne et de Madrid, c*est qails
n'étaient pas arrivés au terme de leur mission et qu'il n'y avait pas d'autres
cbapcaux à distribuer.
(1) Le roi et Pomponne au duc, 27 juillet et 10 août 1674. Home^ 230 et 231.
PROMOTIONS DES COURONNES 561
dépendenl de la durée des pontificats, du nombre des vacances
et d'autres événements ou circonstances impossibles à prévoir.
Sans doute certains usages s'introduisent, mais qui peuvent
varier sous chaque règne : ainsi Clément IX et Clément X ont
fait des promotions fréquentes et de peu de sujets. Innocent Xl
qui leur succéda n'en fit que deux en treize ans. Tune de seize,
l'autre de vingt-sept cardinaux. La coutume s'établit peu à peu
de réunir tous les nommés des princes dans une même promo-
tion, dite des couronnes, même lorsqu'elle comptait un plus ou
moins grand nombre de créatures; mais le tour des princes
ne pouvait revenir assez souvent pour que la constitution du
sacré collège fût allérée et l'indépendance pontificale mise en
danger par une proportion trop forte de sujets nationaux. Cette
sorte de roulement n*avait jusque-là donné lieu à aucune con-
testation sérieuse, quoique les princes eussent été les premiers
à trdubler Tordre tacitement convenu, eu sollicitant, et quel-
quefois en imposant (1), la création d'un cardinal national, en
avance ou anticipation sur la prochaine promotion des cou-
ronnes. L'avance du chapeau obtenu par la France pour le
jeune abbé-duc d'Albret (2), à l'occasion du secours de Candie,
fournissait précisément à Louis XIV, avec l'acceptation de
deux Français comme candidats de la Pologne et du Portugal,
un prétexte bien inattendu pour tourmenter Clément X. Car,
les autres cours étant fondées à se plaindre de cette inégalité
de traitement, les grâces extraordinaires concédées à la France
par la promotion de Bouillon, de César d'Ëstrées et de Bonsy,
avaient dû être compensées par celle de Tabbé de Fulde pour
l'Empereur, de Porto-Carrero et de Nidhard pour l'Espagne
et de Basadonna pour Venise.
(1) Mazarin n'obtint le chapeau Je son frère que 80U3 le coup de la terreur
inspirée à Innocent X par les sièges d'Orbitello et de Piombino.
(2) Et poar quels hommes la cour de France réclamait-elle ces faveurs?
Pour un Michel Mazarin, que son frère fait nommer en quelques années ar-
chevêque, cardinal, vice-roi de Catalogne, et dont la carrière extravagante est
heureusement interrompue par une mort prématurée! Pour un duc de Mer-
cœnr, fils d*un b&tard royal, veuf d'une nièce de Mazarin, encore laïque et
attendant sa promotion pour entrer dans les ordres : Tajournement do cette
grâce fut une des causes delà haine dont le roi poursuivit Alexandre VIII Pour
un cardinal de Bouillon I
LOOIB ZIT R LB SAUIT-SIÈGB. — II. 36
562 CHAPITRE CINQUIÈME
Eq vue de concilier des préteations si opposées, ClémeolK
rt ('lémeat X avaient divisé à l'excès leurs promotions, et la
Français en profilaient pour embrouiller ralternative (i). Di
voulaient faire oublierle chapeau du cardinal de Bouillonet^
croire que la promotion accoutumée des trois nonces, commea-
céelc i2 juin 1673, était incomplète. On s'attend, disaitBoiu^
lemont (2), à une promotion de trois cardinaux. « Commele
iionci' qui est en France (3) ne serait pas cardinal à ladite pro-
moîion où Ton ferait les nonces d'Allemag'ne et d'Espasne,
contre la pratique ordinaire, il se dit par avance ici quence
cas celle promotion des deux susdits nonces serait une suite
à celle [du 12 juin 1673] où Ton fit le cardinal Nerli,etqaainâ
Ton ferait successivement en deux promotions les nonces des
trois couronnes. » Ce n'était pas une défense inventée après
coup : le pape s'en était expliqué ouvertement, au témoi:niac<
de cet abbé lui-même, qui écrivait un an plus tôt: « ,.. 11 v«
a qui disent que cette réserve d'un cardinal in petto (4) est un
levain pour faire sortir ime autre petite promotion, quisen
dite n'être que la suile de celle-ci aux premiers chapeaux va-
cants ; mais le pape est trop juste pour faire ce tort-là aui
couronnes qui s<;:it en tour d'avoir, aux premières vacance?,
leurs chapeaux nationaux. L'avance du chapeau national quVal
le roi pour M. le cardinal de Bouillon fut bien récompensée
par tant de troupes envoyées en Candie, et l'Empereur. Vh-
pagne, la Pologne et les Vénitiens ont eu successivement les
leurs à bon marché. » — <( L'on remarque ici, disait encor?
BijurieniùnU que de quatorze cardinaux que le pape a déjî
faits en cinq i)ri>motions, il n'y en a pas un de nomination pour
France. etcei)endant l'Empereur, rEsDao:ae,Poloe-ne Porlu-
gai et Venise ont eu leurs naliikuaux 5;. » La réponse est
facile et péremptoire. Le droit île présentation n'a été attribué
à certains princes qu'au nom et pour le bien de leur État et
,;• <;«'?t HourlcQiontqui fait ce reproche a Clémeul X. (A Pomponne, IS scf-
yj Lo iii-Miie iiu lu»* me, 15 août 1674. Rome. liol.
:.) Spul.i, suoces^our de Nerli.
(+) Foderico Bal Icschi.
vô) A Pouipoon?, iS septembre 1674. Home, 231.
PROMOTIONS DES COLRONNES 363
sans impliquer la faculté d'exercer celle prérogative dans
d*aulres royaumes. Si un pape le leur permet, c'est à titre de
grâce et d'exception, et les cardinaux ainsi nommés conservent
le caractère national do leur pays d'origine. César d'Estrées,
évèque de Laon, et Bonsy, archevêque de Toulouse, sujets
français, n'ont jamais eu de lien personnel avec l'Église catho-
lique en Portugal ou en Pologne : chacun d'eux a toujours été
cardinal national de France et n'a jamais été que cela. La
vérité est donc, même en omettant le chapeau du cardinal de
Bouillon, que les cinq promotions rappelées par Bourlemont
avaient donné deux cardinaux nationaux à la France, tandis
que l'Empereur, l'Espagne et Venise en gagnaient un seul (3),
et que la Pologne et le Portugal ne recevaient rien, par la
faute des souverains de ces pays, qui n'avaient présenté aucun
de leurs sujets.
Comment les cours de Vienne etde Madrid se seraient-elles
unies à celle de France pour exiger du pape une réparation
identique, quand elles ne pouvaient pas même s'entendre entre
elles sur l'existence d'un grief conjmun? MM. d'Estrées l'a-
vouaient secrètement au roi : « Le cardinal iMdhard est prêt à
nous suivre; » mais ils ajoutaient aussitôt : C'est un homme
c( d'un esprit particulier et fort attaché à ses sentimeuts et à
ses idées. Il s'imagine ({ue le fondement sur lequel il faut pré-
tendre la promotion des couronnes no regarde que la France
et l'Espagne : sur quoi même il n'est pas d'accord avec le
cardinal landgrave, qui prétend avec raison de n'avoir reçu le
chapeau de Baden (I) que sur le compte de la promotion im-
parfaite de Clément IX. Le cardinal Nidhard prétend donc
que, dans ce ponlilicat, l'Empereur, la Pologne etlarépuhlique
de Venise ayant été satisfaits, et son chapeau et le mien accor-
dés seulement par recommandation, la France et l'Espagne
sont en droit de demander qu'on les satisfasse après avoir
soulfert que le pape fît une [iromotion de ses créatures, et ue
s'aperçoit pas qu'il tombe justement dans l'expédient que le
cardinal Âlticri imagine, en cas (]ue le [)ape dure quelque
(L) L'abbé de Fuido, Milliard et Rasadouua.
(2) Marquid de liadeii, abbé de Fulde.
564 CHAPITRE CINQUtÈBIB
temps, pour sauver deux ou trois chapeaux, après avoir rem-
pli pour lui les deux, trois ou quatre premiers qui pourronl
vaquer... On tâchera de lui faire entendre raison (1). »
D'un autre côté, de quel droit le roi de France, après avoir
récemment substitué Tarchevèque de Toulouse à un Polonais,
venait-il encore, avec tant d'empressement, imposer un de ses
sujets, Tévêque de Marseille, au roi de Pologne et au pape,
lorsqu'il n'avait pas désigné à Rome son propre candidat? D
n'était pas même sûr que Sobieski persistât à présenter Forbin-
Janson. Aussitôt après son élection, dans un moment de sur-
prise, obsédé par la reine et par Tévêque de Marseille, il avait
signé la lettre officielle de nomination; mais le pli expédié
au cardinal Orsino, protecteur de Pologne, ne devait pas être
remis au pape sans un ordre de la main royale, qui ne vint
jamais. Sobieski, au contraire, chargea son secrétaire italien
d'inviter confidentiellement Orsino à ne se point bâter; mais
ce cardinal, pensionnaire de la France et subjugué par
MM. d'Estrées qui prévoyaient une rétractation, désobéit au roi
de Pologne et rendit la lettre au pape (2).
Le cardinal d'Estrées prétendait que, contester à la cou-
(1) A Pomponne, 5 septembre 167 i. — Le cardinal Nidhard prétend tou-
jours que le cardinal de Hesse ne doit pas parler de la nomination de TEui-
pereur, disant « qu'elle a été remplie avec celle de Pologne et de Veuièe par
la promotion de MM. les cardinaux Bonsy, Bade et Basadonoa, et que, pour
rendre celle des couronnes complète, il sufQt de donner un cbapeau à la Frau<:e
et un autre à l'Espagne... >« (Le duc au roi, 12 septembre. Rotnc^ 231.)
(2) « M. le cardiual Ursin m*a montré confidentiellenieut et sous le secret
une lettre du secrétaire italien du roi de Pologne, qui lui mande que son io-
ieutioo est que Tonne déclare pas la nomination de M. de Marseille jusqu à ce
qu'on ait réglé avec le cardinal-neveu le secours d'argent que l'on attend liu
pape. C'est un artifice des ennemis de M. de .Marseille, ainsi que je l'ai repré-
senté au cardinal Ursin et qu'il ferait un graud service au roi de ne pas re-
tarder la nomination de ce prélat. » (Bouriemont à Pomponne, 25 juillet. Romi',
230.) •— Nous dirigeons le cardinal Ursin : nous lui conseillons d'exiger uue
prompte décision et de déclar er au palais « qu'il ne se chargerait pas de la rt^-
ponse sur les décimes, si elle n'était accompaguée de celle que nous préten-
dons avoir à la lettre de uomiuatiou. » (Le cardinal d'Estrées au môme, 15 août.
Romcy 231.) — H L'on approuvera sans doute le parti que M. le cardiual Ursiu
a pris de rendre la lettre au pape et à M. le cardinal Allieri, bien que le roi
de Pologne ne lui eu eût point écrit de particulière ; mais en tous cas le roi or-
donne à M. l'évoque de Marseille de combattre les plaintes qu'on en pourrait
faire. >* (Pomponne au cardinal d'Estrées, 24 août 1674. Rome^ 231.)
PROMOTIONS DBS COURONNES Î565
> ronne de Pologne le droit de désigner un prélat étranger,
:. « c'était blesser la royauté dans son essence » (i). Louis XIV
; aimait les évêques qui proclamaient de pareils principes, et il
. feignait d'oublier que, deux ans auparavant, le prédécesseur
. de Sobieski ayant présenté au cardinalat Gonzaga di Bozzolo,
sujet étranger mais se rattachant du moins à la Pologne par
Louise-Gonzague de Nevers, veuve duroiWladislaset femme
du roi Jean-Casimir, il s'était lui-même opposé à cette pro-
motion. Le 19 août i672, il faisait écrire par Pomponne au
même cardinal d'Eslrées : « Sa Majesté remet de même à la
prudence de Votre Éminence et à votre conduite à traverser
secrètement par les voies que vous jugerez les plus propres,
la nomination que la Pologne pourrait faire d'un Gonzague,
et de faire que cette couronne rentre dans l'usage ordinaire de
la faire retomber sur les nonces (2). » Le 22 novembre 1673,
Tabbé de Bourlemont disait à Pomponne : a M. le cardinal Ursin
a fait instance au pape pour le chapeau national, selon la no-
mination que le roi de Pologne a faite d'un Gonzague de Be-
solo (3)... Celle cour n'a jamais demeuré d'accord du droit de
nomination du roi de Pologne... Si le cardinal Altieri accepte
sans façon la nomination présente... en la personne dudit
Gonzague que l'on sait èlre aussi espagnol que M. de Bonsy
est français, il veut obliger sensiblement les Espagnols et il
n'y a pas de doute qu'ils le font recommander (4). »
La cour de France changea de langage en 1674, et l'on va
voir comment elle reconnut la grâce faite à M. de Bonsy.
Louis XIV écrivit à son ambassadeur (5) : « Quelque peine
que le palais témoigne que la Pologne s'accoutume à nommer
(1) A révoque de Marseille, 13 août. Rome, 231.
(2) Ce BODt les évoques polonais qui avaient donné lieu À cette substitution.
« Comme cette dignité [do cardinal], dit Pomponne dans ses Mémoires (t. il,
p. 3), n'était point recherchée par les prélats polonais qui se croient assez
élevés par la leur propre, et qu'elle les embarrasserait pour le rang dans les
diètes qu'ils estiment plus que toute chose, les rois nauaienl nommé depuis
très longtemps que les nonces du pape qui résidaient auprès d'eux,,. L'affaire de
Portugal recevait encore plus de difûculté... »
(3) Bozzolo, dans le Milanais.
(4) nome, 228.
(5) 24 août 1674. Aom«, 231.
-r/'f
"HIPÎ'-^S •TI?lj':rW^
• • • ■■ '
A ! "■ •■•:■. ••■; i-* 'i::v t-Ti.'-r c-::-? nomir.i:: " q fur Ir nirî
F; : '/ ^*. ■- i'*- r !:■ :':- .-ir M'— n-^ rourri priver !e ^iit
i' . ' - - '; ?;' ii*- r\ i'riuye lie mi re.:>n:niiii:ri'3
•■-. ;?;.-■ . -. — r.'i- •:•■:»• ri: -jQ l inar:-je ilec;i>
V . - ji-:.-. n iin- - ^l'iin -1 Aliu.-rî r*"»ir .?e oui mererari*,
:-. .- .1 .-ir- •:•: • vr. :i i;;i l-m'izrrez en mon nom c<.'nib:-a
■ "::■.:. ri ' 1-v* '•':'-*i •!•• m'»- l'na-.-r «rue, r«t>ur exolure u" -ie
'i: * - .' ->. '.. v.iii. - t'i'*'*:^ .^ r-'î J*^ P«-'I«»^n»:- d'un iir«.»iL «i cl
— ' >. . ..,< ;:r- îi" »■-■.• i-ri {■'^^r-^sion ju'iquL»s ;i cetlv heure
• * *: U' i- :■ î: ■ .i -i: •■::<•' li»-- n> si p- u d*' [en\i'^ ^-n »ii i.trrs^DL'?,
■:ii ."■i.ri il .■; li- ::-;. 2 . :i L»^ lu-; ii'K>îrées prit |m ton i^^'ius
il i.: i! . :•.!::• ir.t:'.» !.;;:•'.' Il «i-inriir du roi : il reven-liaui-^
dr-i* .i iiiK'O-i-r >oïi :rr.»-[vrn .'»n entre U* roi de Pit!i>2^nf» et Ir
T. .'M.-. < .ii-i riv-i'-xN' •!'!»• 1 a?r.iiï».' întêrf<sail un suiet de s*:-!!
iii'iïr*'. ♦•* i: ••xi-''-i 'i i-'n *i" pr-»nonçAt sans délai sur la lettre
f!». :•• ;i:'r"»rli}t' r.'ir !•• .Mr^lriii <>rsino. Vain».Mn»»nî Aîîieri til
• •;•- »■ • !' i:!i'.* «• t.'liit 'ii'MMnl'T n iii i»:is <■ unr- rénon>f iniiiTt-
l'.'it-. :: :iis î.r 'iif'-Mivnî. un»' .trciTilili in anrt-s la-iu».'!!».- un ne
[■'»u:r li: inii^ îl-^jnit»-!' : «jii- i«* ri-fiis île colle réponse rfoîait
j»:^ iif:»' îiéjaiv.'. i iii^ijM»' 1»* pa]»* avait r.-çu la lettre du n»:
':■■ i* ■,'•<_ II'' «-t r.'i\:i:l i.'Uv-'i-t»' s.iris !a rfnv.»\i'r. i> La réflexion
iIm ■ ariiii i. '-itit >i jn<'f i[ii" I iiini).*i<sailfur ilit à Li")uis XIV :
" 0 r-l m ••!:»'t «ni'liiur rMmse, mais il se faut bien irarder «1 • îi
f''»[iv«'riir. ■ Aii-'-i pinir-iiiil-il si»ri dismurs eu nienaçanl Allifri
'!♦• la v»*riL'«"iii'«» p"'r.>niiiirile du roi, et, lorsque le caniinal-
:.♦•.. Il -:' r. tr.ui'"i.«* •!• rii«.T«* la vnlnnlé Ju pape : Je répliqiiti,
ériii II' iji]»-, . «jur ).' n»' pouvais nreinpèolier de lui dire qui!
IH* Hi«* (:i«»yail [-as sans doule assrz mal habile pour être per-
1 l-.'i ri.ili'm'ilit.' •]♦• K'trMii-.hnfoii.
_ L" fti iii <îii'', 7 .-f'îtlt'iiilir.» {C'i't. — Pomponiip ajoutait dans une l»Mtrf
r.-.r-iriil.. I r. ri-.'';ii" jit.ii' >\',>tiu\ j.M . : <■ C'f?t il<nnn:." uru». trop gr'aii'.ie hîa:-
<jii.- tif ////'• iii iff ijii-' (11* v.»!!!«j!r î.iirp ti>:'t au mi do poloifut» pour n^ pr.^
fiiinriM'r A' /*•*/. ■> (/»■«<! in< iiît»':! i!»!»"". I'r»''i'i'»?iuciit pircc.' »pie le r'>i «i.» France
.iv.il il'- (1. j.i />// 'y/N/'. m li.TJ. p-ii' 1.1 ii'uniiijition (ie lJ(Mj«y, il DO pouvait ropra-
rlnr .111 [MjM' Ir r'fii^ «l'uin: innivolle farriir, dout les autres courourics étaient
fondre-* ii tii- )d.-iiu Ire et à réclamer la couipensHtiou.
PROMOTlOxNS DES COURONNES 567
Buadé de ce qu'il me disait; que je serais le seul de Rome,
d'Italie et de toute TEurope de cette opinion, puisque partout
il n'était que trop établi que Sa Sainteté déférant entièrement
à ses sentiments, s*il n'était pas pape, il exerçait absolument
toute Vautorité; que, pour moi, j y trouvais beaucoup de jus-
tice, puisque son zèle et son intelligence le méritaient (1). »
Al tieri avait expriiné les sentiments personnelsde Clément X,
qui ^'étonnait en eiTet de Timmixtion de Louis XIV dans les
affaires du roi de Pologne, et de Tempressement de Sobieski à
faire ine présentation pour le cardinalat, avant d'avoir reçu,
par le couronnement, la plénitude de la puissance royale :
« Le pipe est demeuré ferme, dit le duc d'Estrées, et m'a
témoigîé qu'il ne voulait pas répondre, quoiqu'il m'ait dit
qu'il ne me donnait ni négative ni affirmative. » Il déclara
a qu'il élait surpris que je lui parlasse de la nomination de
Pologne, puisque ce n'est pas celle de Votre Majesté. » Il ré-
péta pluâeurs fois : Le roi de Pologne n'est pas couronné.
<i Uno du non è coronato vuol coronar gli altri [2]! » Il ajouta
d'ailleurs« quil n'y avait point de difficulté d'accepter cette
nominatioi si c'était pour un cardinal national, mais que les
rois ne la levaient donner qu'à leurs sujets et cita le concile
de Trente, dans lequel pourtant il n'est dit autre chose si ce
n'est que Ion prendra des cardinaux de toutes les nations; —
qu'il ne voalaitplus que ses nonces en Pologne demandassent
la nominaton ni la reçussent... (3). »
Cette lute nouvelle, provoquée par la cour de France, fut
poursuiviede sa part avec la même dureté que colle des fran-
chises. Le cardinal d'Eslrées écrivait à Pomponne (4) : « Je
ne sais passi le pape ne se repentira pas de cette opiniâtreté,
ayant été aerli par M. le cardinal Cyho (5), qui n'en savait pas
(1) Au roi, 2 ai.ûl 1674. Rome, 231.
(2) LescardiBux sout réputé» coBouveruins de rÉlatpontilical.
(3) Le duc a roi, 22-23 et 29 août 1674. Romey 231.
(4) 12 septeuDrc. Rome, 231.
(5) Cybo redublail de zèle en ce moni'ul, pour obtenir le terme écbu do sa
pension secrètt: « Le carJiuul Cybo, qui luit très bieu son service,.,, attend
impatiemment a pension, ot je n'ose plus lui en parler. Vous devez toutefois,
Monsieur, le cmpt<?r comme le âujrt le plus respecté du sa'^ré collège soit par
ses mœurs, soi par sa sagesse ou par sa naissance, et sur qui Ton tourne les
568 CHAPITRE CINQUIÈME
le détail, qu'il avait été chagrin quelques jours après cetteair
dience. Il faudra qu^il en esssuie beaucoup d*autres s*ila
prend pas le bon parti, et M. l^ambassadeur en prépare ans
vendredi, qui ne sera pas moins vive que la dernière... » les
dépèches du roi se succédaient sans interruption, chaque jiur
plus impérieuses : « Je ne puis trouver la raison de ce refus,
disait-il, que dans la seule qualité qu'a l'évèque de Marseille
d'être mon sujet. » — « Bien que cette aiTaire regarde [broi
de Pologne] principalement, elle est devenue la mienne (]bpuis
que Ton n'a apporté ces difficultés que par ce qu'il a mmmé
un Français. » — « Vous ne vous relâcherez point d'enpadcr
de colle sorte tant au pape qu'au cardinal Altieri, et leirferei
voir à l'un et à l'autre combien j'ai celte affaire à cœir, mais
particulièrement à ce dernier qui, ayant la principab parla
celte affaire, devrait aussi avoir la principale consiiération
pour ne me pas déplaire (1). » — Clément X répomait avec
une douce fermeté : « La promotion du 12 juin i673 étant de
peu de chapeaux, ne se peut compter. Il est juste qie la pre-
mière soit pour moi. — Quand je ferai celle des couonnes, le
sujet nommé par le roi de France aura la premièreplace. —
Je considérerai, comme je le dois, les instances de Satfajeslé. »
Il ne retranchait ni n'ajoutait rien à sa réponse antcieure sur
la présentation de Pologne (2).
C'est alors que, pour rendre infaillible la pronotion des
couronnes, MM. d'Estréos conseillèrent au roi de Ic/î'er àTin-
cident des franchises, prétendant que ces deux affaire, quoique
mal engagées, se prêteraient un mutuel appui, et qie le pape
ne résisterait pas à l'union des quatre puissances Ce projet
fut loué par Pomponne comme une conception de fénie, et il
yeux pour les affaires considérables... Le service du roi Jemaije qu'il ne se
croie pas plus loDgtemps négligé. » (Le cardinal d'Entrées i Pomponne,
5 octobre 1674, Rome, 232.)
(1) 14 et 21 septembre, et 5 octobre 1674. Rome, 231 et 232.
(li) Le .;:i., an roi. 5 octobre. — « Je remarquai bien ce diicoui, qui peut s«
rapporter à l'iiitenlioii que l'on m'a dit qu'a le palais d'attends cinq ou six
ch:i{)oaux, d'eu doiiiiLT seulement à la France et à l'Espago, en exclure
l'EmperiMir, /r roi de Pologne et la république de Venise, prétenânt que leun
nomiiiatiui? out déjà été remplies par les cardinaux Bonsy, Badet Basadonna,
et par ce moyeu protiter encore de quelques chapeaux. » (Le môie aa même,
9 novembre 1674. Home^ 232.)
PKOaiOTIONS DES COURONNES 569
écrivit au cardinal : J'ai lu au roi « les belles et grandes dépê-
ches que Votre Eminence m'a fait l'honneur de m'écrire le 28
et le 30 du mois passé. Elle verra dans la lettre du roi à M. le
duc d*Estrées que Ton a suivi ses avis, et que c'est par voire
couseil que Sa Majesté m*a ordonné de parler à M. le nonce
ainsi que j'ai fait (1). » Cependant la cour de France ne pou-
vait commettre une plus lourde faute. Elle avait feint jusque-
là de ménager le pape, pour s'attaquer au cardinal-neveu.
Ge mensonge, si facile à pénétrer, lui permeKait du moins de
se retirer à propos; mais, eu annonçant sa volonté d'emporter
de gré ou de force une promotion, qui est Tœuvre personnelle
du souverain pontife, elle se condamnait à lutter contre Clé-
ment X lui-même. D'autre part, n'était-il pas absurde de sup-
poser que les quatre cours, déjà prêtes à se diviser sur les
franchises^ s'entendraient mieux sur une promotion où la
Frauce prétendait gagner deux chapeaux, M. de Forbin-Jan-
son et le prince Guillaume de Furstonberg, tandis que l'fJmpe-
reur, l'Espagne et Venise eu auraient trois seulement à se
partager? Aussi la double entreprise se lermina-t-elle par un
double échec pour Louis XIV.
En premier lieu, le cardinal Altieri ne devait et ne donna
point satisfaction sur Tédit des franchises ni sur le refus de
Paudience commune. Une Congrégation de douze cardinaux,
députée pour examiner les griefs des quatre ambassadeurs,
estima que ni Altieri ni aucun officier du pape n'avait manqué ;
que Ton ne refusait pas aux ministres étrangers la jouissance
de leurs franchises légitimes, et que les peines portées par
redit ne regardaient pas leurs personnes : Altieri iraitlui-môme
leur en donner l'assurance. Mais, comme cet avis de la Congré-
gation n'impliquait point, pour Tavenir, la tolérance des dé-
prédations commises au préjudice de la Chambre, MM. d'Es-
(I) 18 novembre 1674. — Le roi, môme jour, et 28 déi!embre. Rome, 233.
Loais XIV ne doutait pas du succèà ; aussi ses prôteutloos n'avaient plus de
bornes : Altieri a peur. Voici mes conditions : l» édit sur les francbises révo-
qué, et engagement de n*en plus faire do pareil; 2» visite et excuses d'AUieri
chez vous; 3o promesse du pape et d'AUieri de faire la promotion dès qu'il y
aura assez de vacances pour les couronnes ; 4^ bulle conforme à mon édit sur
Saint-Lazare; 5» bulle me donnant la nomination à tous les bénéfices dépen-
4aQi de Cloni»
570 CHAPITRE CTVOinÈME
Irécs jugèrent qu'on leur faisait « une nouvelle et sensibb
injuje, » et le roi écrivit au pape : « Ce ne nous a pas été une
petite surprise d'apprendre, par le nonce de Votre Sainteté el
par le compte que le duc d'Estrées, notre ambassadeur, noM
on a rendu, que, lorsque, après une si longue patience, nous
avions droit d'attendre une satisfaction plus prompte de l'in-
jure que le cardinal Altieri a faite à notre ambassadeur et à
tous ceux des couronnes qui sont auprès de Votre Sainlelé,
quelques cardinaux assemblés dans une Congrégation aient
voulu nous persuader que nous n'avions point été offensé en
la personne de notre ambassadeur... Nous n'avons point besoin
(le dire à Votre Béatitude que, comme nous n'admettons point
déjuges sur le tort qui nous a été fait, nous n'en recevons point
aussi sur la réparation qui nous en est due... Nous ne pou-
vons nous empêcher de donner par cette lettre un nouveau
témoignage à Votre Sainteté du respect que nous avons pour
elle, en lui témoignant encore une fois que, si le cardinal Al-
tieri ne se dispose à faire promptement à notre ambassadeur
une telle réparation de l'injure qu'il lui a faite que nous puis-
sions eu domeurer satisfait, nous prendrons alors les résolu-
tions (juo nous jujjorons les plus convenables à notre dignité. >
Louis XlVadressa, le môme jour, au duc d'Estrées une dépêche
moins lière, où il permettait de prendre pour arbitres du diffé-
% rend les trois chefs d'ordre du sacré collège, au nombre dos-
quels se trouvait le cardinal Cybo, son pensionnaire secret (1 .
Clément X y consentit voloïiliers, et ordonna aux trois cardi-
naux de lui dire par écrit a s'il pouvait, sans préjudicier à la
réputation du saint-siège, donner un bref tel que les ambassa-
deurs le demandaient pour la réparation des otfenses qu'ils
prétendaient leur avoir été faites. » Leur réponse fut conforme
à celle de la Congrégation des douze : ils déclarèrent « que. si
Sa Sainteté jugeait que ses officiers ou ministres fussent cause
I ar leur mauvaise conduite de cet embarras-là, elle les fU punir
pour la satisfaction des ambassadeurs; mais que de donner ua
bref qui fùl préjudiciable à rhouiieur du saint-siège, ils ne
(1) Le cardinal d'Eslréos avait écrit que le succès semblait assuré psr si
« secrète communicatiou » avec Cybo. (A Potnpoune, 14marî> 1675. Rome, 237.)
PROMOTIONS DES COURONNES S71
:. pouvaient y consentir, étant chefs des trois ordres des cardi-
, naux {{), » — Bourlemont en avertit la cour : « Le cardinal
V Allieri, dit-il, alla samedi visiter le cardinard Nidhard en exé-
, culion de leur accommodement. Ils furent une heure ensemble
avec tous les témoignages d'amitié possible. Il visita aussi le
. cardinal de Hesse, qui le reçut avec beaucoup de marques de
, bienveillance. Cet accommodement n'a pas été difficile à faire
entre des gens qui, dans le fond, ne se voulaient pas grand
. mal, quelque mine qu'ils eussent faite au contraire (2). »
MM. d'Estrées voulaient lutter encore, mais ils furent aban-
donnés par leurs collègues, qui se contentèrent de banales
explications et d'une visite de courtoisie rendue par Altieri.
Le cardinal d'Estrées écrivit avec dépit à Pomponne : « Les
Espagnols ont acquis peu d'honneur^ dans le public, de cet
accommodement, dans lequel les conditions sont inférieures
au mémoire qui leur avait été présenté de la part des média-
teurs, et les clauses et explicationsnécessaires ont été omises...
Je vous envoie... tous les actes, dans lesquels vous remarque-
rez que la forme soumise, dont les cardinaux Nidhard et land-
grave [de liesse] reçoivent les satisfactions du pape, ne con-
vient pas au caractère indépendant et royal qu'ils soutiennent.
Il s'est répandu (3) un bruit dans le peuple que Tambassadeur
de France n'est pas entré dans l'accommodement parce qu'il
(\) BourlemoDt à Pomponne, 19 juin 1675. Rome, 239. Cet abbé qui ne dis-
siuHilait pas que les fraucbisc<>, telles que les ambassadeurs prétendaient les
oxcrC'^r, étaient insoutenables, ne cachait pas non plus que la procédure
?nivie par MM. d'Estrées et leurs collègues pour régler ce litige les exposait
*à un'écbec humiliant : « J'o^e vous dire que, si Tiulention de MM. les ambas-
sadeurs a été de se servir de l'occasion du présent différend pour moyeuner
quelque chose honorable au saint-siège ou la réparation de quelques a'.)us, ils
ne pouvaient mieux faire que d'insister d'avoir pour médiateurs les trois chefs
d'ordre du sacré collège des cardinaux; mais, s'ils ont prétendu quelques
choses qui pussent aller contre Véclat de cet ordre et du saint-siège^ les chefs
d'urdre, qui en sont les promoteurs, ne &ont, ce me semble, gaère propres k
les négocier.» (Môme lettre.)
(2) 20 juillet 4675. f?ome, 239.
(3; Lisez : Vomî avons fuit répandre^ etc., et ce bruit n'a pu aller bien loin;
car personne n'ignorait les fraudes des ambassadours», qui, eu diminuant les
ressources de la Chambre, causaient un grave dommage a'ix Romains. Aussi
Clément X disait-il un jour au duc d'Kstrées « qu'il ne voulait pas chargt*r ie
peuple pour les franchises des ambassadeurs. » (Le duc au roi,5oclobre 1674.
Rome^ 232.)
572 CHAPITRE aNQUIÈME
voulait la suppression de la gabelle, ce qui redouble raffectioi
qu*on a pour lui et les bénédictions que ron donne à la France
et aux Français. » L'incident fut clos par une lettre de Pom-
ponne déclarant qu*aprfes la défection des trois autres ministres
le roi remettait à un autre temps la suite de cette affaire (1).
La cour de France eut encore moins à se féliciter d^avoir
soulevé la querelle des chapeaux. A peine Clément X avail-il
annonce son intention d*ajourncr le tour des princes, qu'elle
expédiait au duc d'Estrées Tordre « d'arracher au cardinal
Alticri, par une promotion des couronnes, que le pape ne
pouvait refuser avec justice, les nouvelles créatures dont il se
proposait sans doute de remplir les quatre lieux qui étaient
déjà vacants. » Pomponne se rendit chez le nonce pour lui
tenir un langage conforme à ces prétentions. Vainement Spada
représenta « qu'il lui paraissait que le pape avait donné au roi
assez de chapeaux depuis qu'il était monté sur le saint-siège, h
Pomponne répliqua a qu'il était bien vrai que Sa Sainteté avait
fait des cardinaux français, mais quejusques à cette heure elle
n'en avait pas fait pour la France (2)! » Sans plus tarder, le
pape tiut un consistoire, pour déclarer une de ses créatures
réservée in petto dans la promotion du 12 juin i673. Etonné?
et confus, MM. d'Estrées n'osèrent pas en faire des plaintes
publiques : « Il est difficile, disaient-ils, de s'opposer à celle
dt'claralion, puisque ce n'est pas une promotion nouvelle,
mais une suite » de la précédente. — « Il paraîtrait même de
la dureté pour le pape dans les ambassadeurs, de le vouloir
contredire sur cela (3). » Ils avaient d'ailleurs fait eux-mémos
plus d'une fois l'éloge du prélat qui entrait dans le sacré col-
lège. C'était un des grands canonisles du temps, Federico Bal-
deschi, secrétaire de la Propagande, assesseur du Saint-Oflice,
allié aux Colonna-Carbognano, dont il prit le nom. Le cardinal
d'Estrées disait de lui : H est de Pérouse, « dont la plupart des
familles passent pour être françaises : en cas qu'il eût quelque
partialité, ce serait plutôt pour nous; mais au moins il me
paraît libre et indillerenl. 11 a toujours fort bien vécu avec moi,
(1) Au cnrdiual, 19 août 167.Ï. Home, 2;J9.
(2) Le roi au duc, 18 novembre 1074, Rome, 233.
(3) Le duo el le cardinal, 9 décembre 1G74. Borne, 233.
PROMOTIONS DES CODRONiNES 573
et j'ai connu quelque droiture et assez de liberté dans ses
avis. » — Le duc, disait en même temps : « II témoigne beau-
coup de zèle pour le service de Votre Majesté (1). » Clément X
attestait donc par le même acte sa bienveillance constante pour
la France et sa volonté de maintenir la liberté des promo-
tions.
(1) A Pomponne, 20 décembre; le duc au roi, 22 décembre. Romet 233.
CHAPITRE SIXIÈME
LE DUC D'eSTHÉES A l'aUDIENCE DE CLÉMENT X : 21 MAI i*)75.
Nouvelles intUnces pour obtenir une promotion des couronnes, qui comprendra Forbtn-JuiH.'u
Le duc d'Estrées annonce tout à coup que le pape, qui jusque-là s'était serri cTexprcHMb
générale* et honnélee, a pris un engagement formel et à brè^e échéance. laTraisembUace ie
cette prumc^se. L'ambaHsadeur de France e«t le premier à en douter. Il aroue qu'elle a'&ptf
ét<^ faite aux autres ambassadeurs. Ses efforts |>our obtenir du pape des eKplicatiuDS phi
claires. — Irritation croissante de UM. d'E»trfes : ilsderaandcnt que le roi consulte le^évr^
et la Surbonne sur Vimh^cillité du p.ipe. — Audience du SI m«i 16T5 : \ioleoce fAileinrraa-
bassadeur di» France à la f>crsoijne de Clément X. — Quand Louis XIV reçt>it cette noaTe'.U,
il est à la t^te de son arm<''-.>, en Flandre. Sou embarras : prétexte qu'il chercbe pour ne r^T-
voir ni le nonce, ni son mcs^a^er, ni s.i lettre, et pour ne répondre pas au bref du pape. I'l*-
sago supprimé dans les Lettres dcPolli^sun. — Pro-notiju du ^7 mai 1673. qui ne <*{im^ir«a<!
aucun cardinal national. Les préti^ntions de Louis XIV répudiées par les aulref ctiur «"f î-
Fureur de MM. d'Estrros. Projets de vengeance qu'ils proposent au roi: soulcrer nmtre Hr-
ment X leclergé, la Sorbonne, les universités et le sacré collège ; forcer !cpap« à sed^nwlt-;
proYoquerdes sédition^ dans l'Etat ecclé^iaslique ; brûler le palai^des parents du pape;raT.'cr
leurs terres : enlever leurs por.^.unes ; introduire des bandits dans Rome; faire dégrader .Vlt^-'
et les six cardinaux de la dernière promotion, etc., etc., etc. — Le ducd'Estrées cesse tojte
relation personnelle avec* le pape et Altieri. Mal subit et mystérieux de l'ambassadeur. Auu
de l'abbé Servient. Bonté du pape pour le duc d'Kstrées.
C'est ici que se place un épisoJe grave et jusqu'à présent
ignoré de celle négocialion. L'année 1674 va parvmir ii >on
terme, lorsque commence une série de dépèches où 1»? duc
d'Eslrées annonce au roi (1) que Clément X, changeant d'avis
(i) Au roi et à Pompotiuc, 22 décciDbrc. iîomf, 233, Voici le passive de U
lettre au roi : - Je renouvelai les iusLaiices touchant la promotioD des cou-
ronnes et je dis au pape que M. de Pomponne eu avait parlé de la part de
V. M. au noure. Sans me lai:»9or achever ce que j'avais a lui représenter, i.
me téui(>i::ua qu'il pe pouvenait bien de celles que j'avais faites en me dounaol
audience et qu'il y aurait ^pnrd. L'ayant un peu pressé, afin guU s^xpiiquât
davantufjc, il me dit qu'il pourrait déclarer le chapeau in petto dacs la promo-
tion du 12 juin 1673; que ce n'eu était pas uue nouvelle, le sujet qu'il déclarait
étant d»jà cardinal; que, pour les trois autres chapeaux vacants, il ne ferait
rien dont les couronnes n'eussent sujet d'être satisfaites. Comme je fus surli
fin de uion audience, je le suppliai de me vouloir marquer plus précisémt^l
ce que j»; pciuvai-i fain» savoir à V. M. sur ce pujet. 11 me dit : Vogliumo parier
piii rhiaro : la prima promotione faraper ie coron f : sono solamenle adesso trt
capeliivacanti. Après l'avoir rcmeroii' dcR assurances qu'il me donnait, je cros
lui devoir .:ire Le pape me répondit : Soiisi puôparlar con maggior ragvjne
ne maggior modestia. Uavremoguslo di dure aile corone Ucapelliche havreisimo
AUDIENCE DU 2l MAI 1676 575
tout à coup et sans motif connu, lui aurait déclaré que la pre-
mière promotion serait pour les couronnes. L'ambassadeur
avoue que le langage du pape fut si peu clair, qu'il dut le
presser à plusieurs reprises afin qu'il s'expliquât davantage;
— qu'il marquât plus précisément ses intentions ; et c'est seu-
lement sur la fin d'une très longue audience que cette promesse
inattendue serait sortie de sa bouche. Il semble que, si Clé-
ment X a résolu vraiment de sacrifier aux princes sa promo-
tion, il va s'empresser d'annoncer cette grâce inouïe aux mi-
nistres des trois grandes cours en termes qui ne l'exposeront
à aucun reproche de parti^ilité. Cependant le duc d'Estrées re-
connaît, dans la même dépêche, « que Sa Sainteté donna aussi
à MM. les ambassadeurs des assurances de la promotion, mais
non pas si positives ni si particulières qu'à lui. » Et ni le mi-
nistre de l'Empereur, ni le ministre d'Espagne ne demandent
au pape pourquoi leurs maîtres seraient moins favorablement
traités que le roi de Franco! D'après la même lettre du duc
d'Estrées, c'est avec lui, au contraire, que Clément X aurait
dû être le plus réservé. En effet, il ajoute : « Sa Sainteté me
parla de la nomination de Votre Majesté et me dit qu'il était
nécessaire qu'elle sut pour qui elle était. Je lui répondis que,
lorsqu'il serait temps, je la lui remettrais et que j'avais déjà
eu l'honneur de lui dire que je l'avais. Si elle est pour le prince
Guillaume de Furstenberg, le pape pourra faire difficulté de la
remplir tant qu'il sera, quoique très injustement, en prison.
Je n'oublierai rien pour essayer d'obliger Sa Sainteté de passer
par dessus cette considération. » Or, c'était précisément le
nom inscrit dans le pli cacheté dont le duc d'Estrées était
dépositaire. Kome le savait depuis longtemps, comme toute
l'Europe. Dès le 30 août 1672, le même ambassadeur écrivait
au roi (1) : Le palais commence à craindre que Votre Majesté
jjolulo pigiiar per noi. Pour essayer de pénétrer si soq iiiteutioo est do fairt
la promotion des courouues dès qu'il y aura un nombre de chapeaux suffisant
pour toutes, je lui dis que S. S. voudrait apparemment en attendre quelques-
ans pour elle, il me dit eu souriant : forse non aspettaremo tanio Le pape
donna aussi à MM. les ambassadeurs des assurances de la promotion, mais
ion pas si positives^ ni si particulières qu*à moi,., n
(l) Rome, 222.
. ■" J*
ZZZZK
a ir- ï. i>f Xir-
X «-
ij. "".-r ^ -î x« -:Ei:^-iir a uioi:-
r --r-iz.*i liu -lai tir Pinieif. î
-11 i-i- -- r '"uu - Il El xn. -î*: : lesLis-
— . .. - " in j. ■ - ;-
é'KÂ. -..r»^..T
'" I;-r
~~ :.: - l: r--
- 'vl
-' • — - l: :^ !-i:^i::x
■ L
- "^ ^^ • — — ^ * "^ ^''t * t * ^
' i ■
•i. "^ ■: A.Z • ii Z- _î
z't • .'.'.
.1 - - :*T .-^ p.: ir*:
r - - -.-•■■» 5-* i m
-■ >
■•• /
-* • -
1 > • •■'.!.
:: -:^r *j.- :i ?r•^3iolioa pour lei
AUDIKNCE DU 21 MAI 1675 577
chargé d'en porter la nouvelle au roi, et cependant il n'y a trace
de cette communication dans aucune correspondance!
Louis XIV répondit qu'il tenait les paroles de Clément X,
telles que son ambassadeur les interprétait, comme « une
parole positive, » un « engagement pris » ; et le duc d*Ëstrées
continua d*écrirc à la cour dans le même sens ; mais il était si
peu sur de son fait qu'à chaque audience il obsédait le pape
de cent questions pour obtenir des éclaircissements conformes
à ses désirs, et qui cependant ne le contentaient jamais. Les
audiences réglées par l'usage ne lui suffisaient pas : il en sol-
licitait d'extraordinaires, sous prétexte que des courriers
exprès seraient arrivés de Saint-Germain^ et n'entretenait
jamais le pape que de la promotion ou des franchises (i). Plu-
sieurs dépêches sont d'ailleurs peu explicites : l'ambassadeur
écrit, par exemple, le 6 et le 24 janvier 1673, que le pape a
confirmé les mêmes choses, et renvoie à des lettres anté-
rieures (2).
On approchait manifestement d'une crise, et Tirrilation de
MM. d'Estrées les poussait aux extrémités. Le cardinal écri-
vait (3) : « On peut considérer à ce propos s'il ne serait pas
bien utile qu'on fit revenir au nonce, par quelque petite dé-
monstration naturelle, que, sur le point de Timbécillité du
pape et de son grand âge (4), Sa Majesté songe, si elle n'est
pas satisfaite, à prendre l'avis de quelques évèques ou doc-
teurs. Cette alarme fera un très grand effet, et vous pouvez
vous souvenir d'avoir lu dans quelques dép^^chcs de M. Tam-
{{) Ainsi, le 26 avril 1675, rendaut compte d'une nouvelle audience, il rap-
pelle les sic audiences consécttlives^ qui Tout précédée : « la première, ordinaire
du 21 décembre; extraordinaires^ des 3, 21 janvier; ordinaires, dvs 25 jan-
vier, 8 février; extraordinaire eu particulier, du !•' mar», etc. » {liome^ 237.)
(2) Rome, 233 et 236.
(3) A Pomponne, !«' février 1675. Romet 236.
(4) Si Tesprit du pape est certainement affaibli, comme le prétend cet
évéquc français^ pourquoi la France, seule entre les puissaucos CJittioliquefl,
lui deuiande-t-elle une promotion, qui exi^c la plcniludo de rintclligenoe «^t
de la liberté? Pourquoi lui tendre mille pi(>gi>i>, dans dod culrt'ticu» fréquem-
ment répétés? Pourquoi drcss r procès-vrrbal do paroles rhoisirs avec un
soin perfide et dont on espère tirer partie Louis XIV et ses agents ont violé
ici, comme en tant d'autres rencontres, non seule moût le respect dû au chef
de i'Ëglise, mais les premières règles de la probité.
LOUIS XIV KT LE hAl>r-blKi*E. II. 3î
S78 CHAPITRE SIXIÈME
bassadeur que, dans le temps que AI. le cardinal Allieri ré-
sistait à la promotion du cardinal Felîcc, il avait crainte
qu'on ne proposât de donner des nssistanls et un conseil au
pape(1), sur un discours, quoique éloigné, que le canlinalCvbo
lui avait fait (2). (.omme Tarlicle de la promotion est le plus
important, il faut Tappuycr avec le plus de force et faire envi-
sager au cardinal Allieri sa ruine, s'il est capable de la négli-
ger. Sur ce point, je dois vous informer que le pape confirme
toutes les paroles qu'il a données, mais que, comme le cardinal
Allieri robsèdo, il faut prendre de continuelles précautions...
Quand on parlera durement au nonce, il faut bien qu'il con-
naisse jusqu'tà quel point Sa Majeslé portera son ressentiment
contre ce cardinal, s'il entreprend de renverser la promotion
des couronnes ou s'il prétend n'y comprendre pas M. l'évèque
de Marseille, parce que, ne se pouvantconsoler de perdre cinq
cbapeauxy il voudrait au moins en ^5croy?/<?r quelques-uns aux
couronnes. »
Les menaces dont retenlissait le palais Farnèse contre la
personne du souverain pontife effrayaient l'abbé Servienl lui-
même, qui écrivait au ministre : «... Les plaintes contre le
pape feront d'abord un effet 1res dilTérent de celui que je m'a-
perçois qu'on se promet, et dans le public et dans l'esprit des
cardinaux les plus gens de bien et qui, comme tels, ne s'op-
posent point aux invectives contre le neveu (*i)... D'aillour>
c'est se déclarer contre le prince même, ce qui se doit éviter
par l'intérêt des autres potentats : c'est insensiblement se ré-
duire à prétendre des satisfactions aux dépens de la répulalion
du pape et du saint-siège ; ou bien, c'est le déclarer inhabile,
mais avec préjudice pour la religion, puisqu'on ne veut pas
(1) Kelice Roapigliosi, appuyé par MM. d'Etirées. — lU avaient eu déjà c?!!-"
coupable idée au commeiiciMneiit de l'année 1673, maia il est juste de dire
qu'à celte époque le roi l'avait r»^[)OUï^!«ée : a Le roi, Muosieur, u*avait pciiiî
oui parler jusqiiea à cette heure de la propo-^ition de donner des a^i/iflat'''
aupupe^ dont M. le cardinal Allieri vous a parlé ai^ec une chaleur qui ptirait
en t'/fet assez juslc. >» (Pomponne au du«\ i'.i février 1G73. Uotne, '22:).)
(2) Cybo alhiit recevoir de MM. d'Estrées le terme échu de sa peufiou.
(3) L'abbé Servienl a on vue le cardinal Cybo, dont ou i^'norait les litu!
secrets avec la France, et qui devait conserver longtemps sa graude rî'pulJi-
tiou.
AIDIENCE Dr 21 MAI l675 579
le déposer, qu'il n'est pas queslion d'assembler un concile pour
le différend des ambassadeurs, et qu*au fond ce serait entre-
prendre beaucoup pour le priver peut-être de quelques mois
de pontificat qui lui peuvent rester; car je sais de bonne
part qu'il est harassé. Les personnes qui rapprochent ne
croient pas qu'il puisse résister à plusieurs audiences (1). »
Est-ce pour l'achever que le duc d'Eslrées exigeait tant d'au-
diences consécutives, ordinaires et extraordinaires? Il se van-
tait ensuite à sa cour de les prolonger avec la plus cruelle im-
portunité el de se faire imiter par les ministres étrangers. Ainsi,
le 26 janvier 1675, il écrivait (2) : a Le pape m'interrompit une
fois lorsque je lui parlais de l'affaire desambassadeurs, comme
s*il eût voulu faire finir mon audience; mais, lui ayant repré-
senté que l'on ne fermait pas la bouche à un ambassadeur
de Votre Majesté, qui, se tenant dans les bornes d'un grand
respect, soutenait Thonneur de son maître et exécutait ses
ordres, il en demeura là, et je lui parlai autant que je le
jugeai à propos, ce qui dura près d'une heure sans pouvoir
tirer d'autre réponse... Le pape tenta par deux fois de faire
finir l'audience de iM. le cardinal Nidhard (3), mais il lui ré-
pondit comme j'avais fait. » Comment s'étonner que le vieil-
lard succombât à une pareille obsession? « Il y a eu ensuite,
écrit encore l'ambassadeur le 8 février 1675, de si grandes va-
riétés dans ses réponses qu'il y a beaucoup de sujet d'en être
peu édifié, m'ayant dit plusieurs fois que le cardinal Altieri
devait donner satisfaction aux ambassadeurs, et, plusieurs
autres, tout le contraire. » Si pour se délivrer de cette impor-
lunité, le pape finissait par dire comme son interlocuteur, cela
môme donnait lieu à une nouvelle et inextricable discussion:
n Je l'ai supplié, écrit le duc, de considérer que le retarde-
ment aggravait les injures; qu'il en pourrait arriver de grands
accidents qui pourraient troubler son repos, et que l'on devait
(1) A Pomponne, 1" février 1673. i?owe, 236.
(2) An roi. Home, 236.
{'4) Minière d'Eâpagne à Roin<ï. — D«'>jà, le 9 novembre IGld parlant au roi
du cardinal de Hessc, ministre de l'Empereur, le dnc aviiit ccril : »... Môme
après trois quart? d*lieure d'andienre, le pape a soon^ la clochette pour
appeler du monde et pour le congédier, ce qui ne se doit pas pratiquer à
Cégard d'un ambassadeur. »
S82 CHAPITRE SIXIÈME
non è tanto vicina. Vogliamo anco far délie nosire creaturt;
ma, quando lafaremo, il nominato dell Imperatore ci entrara.
Il a assuré M. Tambassadeur de Venise de même pour k
sujet que sa république doit avoir. J*ai passé de ce discours à
celui de la nomination de M. Tévéque de Marseille, afin qu elle
soit comprise dans la première promotion, mais à peine Tavais-
je commencé qu'il m*a interrompu pour me dire qu*il avût
jugé que j*en voulais venir là; qu'il se souvenait de toutes les
choses que je lui avais représentées sur ce sujet, qu'en donnant
un chapeau à ce prélat, ce serait obliger Votre Majesté elle
roi de Pologne, et qu'il n'était pas nécessaire que je les lui
répétasse. Je lui ai répondu que j'avais ordre exprès de Votre
Majesté pour lui parler de cette affaire toutes les fois que j'au-
rais rhonncur de le voir, avec toute la force qu*il convenait
à rintérét qu'elle y prenait et auquel il ne se pouvait rien ajou-
ter, et que, si on Tavait informé de ce qui avait été dit an
nonce qui est en France, il ne pourrait douter que je ne lui
parlasse conformément aux sentiments de Votre Majesté. Il
m'a dit qu'il ne m'avait rien promis pour M. Tévêque de Mar-
seille et qu'il vtMTait ce qui se pourrait faire. L'ayant supplié
de vouloir s'expliquer d'une autre manière et de considérer
que, si le cardinal Allieri rempêchait de donner cette sali?-
facliou si juste h Voire Majesté, elle ne pardonnerait pas kce
cardinal une telle offt^nse, il m'a répondu : Vostra Sif/uoriafa
tutto quel cliP puol per obli(/arci a dargli ima parola cateyo-
rira per il sif/nore t^psc(H)o di Marsiylia^ ma non In poiiamo in
coscimza nr per Marsifjlia jip per quaUicoglio altro noMinato
de priticipi.,. Tout ce que j'en ai pu tirer, après l'avoir pou:îsè
encore vivement et plusieurs fois, c'a été que, lorsqu'il ferait
la pn)?)io/ion des couronnes, il aurait tout Céfjard qu^ il devait
aux sujets demandés par les princes et que M. de Marseilk
en était un. »
Les lettres suivanlcs de l'ambassadeurachevèrent d'éclairer
sa cour : Si nous obtenons la promotion des couronnes, di-
sait-il (1), « ce sera l'ouvrage de Sa Majesté, puisque MM. los
cardinaux Nidhanl et de Hesse, soit pour n'avoir pas assez
\\) k Pompoiiue, 2 mai, Home, 238.
AUDIKNCE DU 21 MAI 1675 S83
pressé le pape, soit par appréhension de celle de M. le prince
Guillaume de Furstenberj^-, n'en ont pas tiré les assurances
positives el réitérées qu'il m'a données. » — « Mes collègues
m'onl lémoi«j:né mètre d'autant plus obligés d'avoir porté cette
aiïaire au point où elle est qu'ils n'ont jamais pu tirer des pa-
roles positives du pape, mais seulement générales et honnêtes
pour leurs maîtres, qui ne l'engageaient pas. »
L'ambassadeur pénétra encore une fois, sous un faux pré-
texte, jusqu'à Clément X, et fit les derniers efforts pour vain-
cre sa résistance. (irAce à la générosité des papes, qui ont
caché à rhistoire plus d'un outrage commis envers eux par des
princes calholiciues, on a ignoré jusqu'aujourd'hui ce qui se
passa dans l'audience extraordinaire du2i mai 1673(1). Voici
ce que raconta le duc d'Estrées : Après plusieurs discours qui
me fournirent l'occasion d'apprendre au pape « l'arrivée des
galères de Votre Majesté à Cività-Vecchia et des autres grands
secours qu'elle envoie à Messine (2), dont il me parut étonné,
admirant la puissance et les grandes forces de Votre Majesté
de tous côtés, » je passai à l'aflaire des quatre ambassadeurs.
« Je fus surpris de me voir interrompu par le pape qui, sans
que je lui parlasse davantage de promotion, me dit : Non
votjiuuno sentir pià parlar di promotione; la faremo qnando
vor/r/fio.., Lfi prùna promotione sara per ?wi, » — a Sur quoi,
je lui représentai qu'elle pouvait èlre pour Sa Sainteté et pour
(i) Le caniiutil ilKslrée,:», véritable chef de l'ambassade, revendiqua l'honneur
d'.ivoir décidé sou frère à récIauuT, «ous un faux pnHoxte, cette audience
exlraordiuaire. (A Pouiponut», 20 uiai. Hnmc, 233.) Il y avait été délcrmiué lui-
même par uu évéuetneut qu'il avait appelé de tous ses vœux. Chargé depuis
luui^tiuiips par Louis XIV de fomenter à Naplcs et à Messine une iusurrecUon
cuulre la maison d'Autriche, il avail réussi a soulever les Deux-Siciles, et une
Hotte du roi rdài.hait alors à Cività-Vecchia, se diri^'caut vers le midi de
Mlulie pour appuyor les révoltés. (Pomponue au cardinal, 20 avril 1613. Rome,
2M. Le cardinal à Pomponue, 20 mai. Hotnc, 238, et toute la correspondance.)
Or, il voulait qiio les vair^s^aiix et les troupes du roi ne se rcudissent pas
luoius redoutables aux Romains ([u'aux Espagnols : u J'ai marqué quelquefois
au roi, disait-il, un lui purlant des j/mi/eni de fonder un f/ ru nd pouvoir en celle
cour, la nccossité de ^'l•ulp.^rer de quelque- ports de Toscane auprès de Home,
(Test pourquoi non seulemenl ci^lte prise troublerait N.tples et atfaiblirait les
Espagnols; mais, par un contre-coup infaillible, tiendrait Rome et te pontifical
dans une ptiis grande déférence pour S. *V., et une extrême crainte de lui
déplaire. » (A Fompouue, 22 décembre 1674. Kome, 233.)
(2) Amenés par Duquesne. Cf. lloubset, t. 11, p. 391.
584 CHAPITRB SniÈIIB
les prÎQceSy parce qu'elle pouvait attendre, pour le Caire, tant
de chapeaux qu'il lui plairait pour ses créatures ; mais, ~ Si
Sainteté m'ayant dit sur cela qu'elle n avait jamais assuré que
la première promotion serait pour les princes, mais seule-
ment que, quand elle ferait la promotion pour les couronnes,
elle aurait égard aux sujets qu'elles avaient nommés, — je
répliquai que Sa Sainteté avait pu parler de la sorte à mescol-
lëgues, mais que moi, elle m'avait assuré positivement de ce
quecontient l'abrégé des sept audiences,... et que Votre Ma-
jesté se ferait bien tenir la parole qui lui avait été donnée.—
Le papo dit sur cela : Non ci ricordiamo (Taver deiio a VostraSi-
gnoria: La prima promotione saraper le corone^ ma^ quàndo
sarehhe vero^ qiiesto 7ion si chiama dar una parola positiva. —
Sur quoi, lui ayant dit que, pourvu que Sa Sainteté con\iat
des termes, je n'aurais pas sujet de me plaindre, elle me soutint
do nouveau qu'elle n'avait point parlé de la manière dont je di-
sais, et, ayant reparti à Sa Sainteté que non seulement elle m'a-
vait parlé ainsi, mais même qu'elle l'avait confirmé à MM. les
cardinaux médiateurs, elle répondit : Possono dire quel che gli
piace, et, après avoir un peu hésité, elle ajouta : Se fho detto,
mi disdico. Ce sont les propres termes dont elle se servit. —
Jo lui disque je souhaiterais bien pouvoir cacher ce qui s'était
passé sur cola, mais que j'étais obligé avec déplaisir, pour
sauver mon honneur, de faire connaître dans Rome et partout
ailleurs les engagements qui avaient été pris depuis tant de
mois touchant la promotion des couronnes, dont j'avais rendu
compte à mon matlro, et que j'avais toujours vécu d'une ma-
niènî que j'espérais qu'on me rendrait assez de justice pour
croire que jtî ne les avais pas inventés. — Sur quoi le pape
me dit : Vostra Signoria ptiol fare quel che li piacera. Parmi
cesconleslations, le pape ajouta aux mauvais traitements dont
j'ai déjà parle celui do sonner la clochette pour me licencier,
et voulut deux fois s'en aller; mais. Tayaut supplié avec beau-
coup de respect de demeurer et lui ayant représenté qu'on ne
fermait pas la bouche au ministre d'un si grand roi, qui écou-
tait son non:*.e toutes les fois qu'il le voulait, ou bien lui en-
voyait M, de Pomponne, secrétaire et ministre d'État, SaSain-
lelé se remit sur sa chaise, de sorte que mon audience dura
ArDlENCB DU 2f MAI 1675 S85
près d'une heure. Je ne dois pas omettre que lorsqu'elle sonna
- la clochette^ je lui ai dit que, si elle voulait Faire entrer des
témoins, je n'aurais nulle peine à répéter devant eux les vé-
- rites que je venais de dire... Je dis au pape que, quoiqu'il me
parût dans des sentiments si opposés à ceux que je lui avais
vus pour la promotion des couronnes, je ne laisserais pasde lui
parler de celle de M. de Marseille — Il répondit d'abord
que^ si Votre Majesté voulait donner la sienne à ce prélat, il
la remplirait. — Sur quoi, lui ayant représenté que cela
n'était pas nécessaire puisqu'elle avait celle de Pologne, Sa
Sainteté me répondit qu'il n'était point Polonais, qu'il ne le
ferait pas cardinal et que mes vives instances réitérées ne ser-
vaient pas à M. de Marseille. — Lui ayant demandé si c'était
la réponse que j'avais à faire à Votre Majesté par un courrier
extraordinaire que je devais renvoyer, il se reprit en me di-
sant : Non diciamo questo; non parliamo ne pro ne contra il
vescovo di Marsiglia, Ci haveremo risgnardo quando faremo la
promotione de* principi. Ce que je lui fis répéter, afin de le pou-
voir mander plus positivement. Votre Majesté jugera aisé-
ment que, si elle fait parler fortement au nonce et lui témoi-
gner son ressentiment de la manière offensante dont le pape
m'a traité, et qu'elle lui en écrive dans celte conformité, l'on
me satisfera bientôt si je ne l'ai été auparavant. Outre cela,
il y a apparence que ce serait le moyen d'affermir la promo-
tion des couronnes et celle de M. de Marseille, et obliger le
cardinal Altieri à finir promptement l'affaire des ambassadeurs
dont il parait toujours s'éloigner... (1). »
Dès le lendemain, le 22 mai, Altieri avait porté les faits à la
connaissance du nonce Spada (2), et joint à sa dépêche la re-
lation suivante, écrite immédiatement sous la dictée de Clé-
ment X et destinée à être placée sous les yeux de Louis XIV (3) :
(1) L« duc au roi, 24 maf. Rome, 238.
(2) Arch. Vallc, Cifrt con nunziatura di Francia, 151. 22 maggio 1675.
(3) « Que«to si^nore ambaâciature di Fraiicia, cou ingaoïio allre voUo «la loi
pratticato di chiedere al papa udienza atraoni inaria, pollo ]>rctesto di liaver
riceTuto ieUere Tonute ia dili^enza cbe a far tilo iualanz i l'obbligavano, la
chlede douienica, e roUeniie uiartedi 21 del correute. U\ esaa prese a dccla-
mare, coo vehemenia magiore del solilo, che durasscro ancora 11 iconcerii tra
lui e 11 auoi collegbi da uoa parte e il cardiuale Altieri dalt' altra, e cbe al tar-
586 niAPlTHE S1XI^.MK
u L'ambassadeur de France, renouvelant un artifice, déjà em-
ployé par lui, de demander au pape une audience extraordi-
naire^ sous prétexte d'avoir reçu des dépCckes pressées qui
dasse ancora di dar loro le doTute sodiifatUoDÎ, millantando egU, in qaeito
proposilo, nou solo la graudezza, tua aachc le taute arniatc dcl iiuo rè, parti-
colnrizzaudo quella che si irovuva a CÎTità-Vecchia. A cbe il papa, qiiauluDqu4
Borpreso, disse : Noi ci meravigliauioche VustraSignoriaci parli più di «imilt
diffcreiizef doppo buvcrlenoi riinesse alli mediatori, cheleie li suoi compigiii
haunu cou tauta feruiezzd voUuti. Cou essi hanuo loro a trattare e non coi
noi ; e quando es«i ci rereriranuo corne si poâsauo ragionevolmeQte comporrc.
Doi ri^olvereiuo in cio qiiollo stiuiaremo giusto e couveuevole. Sog^'iUD^eu-
duj^li : Vustra Sif{Uoriu« da luoito tempo nou ci parla più di veruu* affare del
suo rc, ma»o1iimi'Dtti délie sue )>roprie passioui. Nod sono queali i st-usidrlU
Maestd Sua; uoi li sapi»iau)0, c^li scrivcreuio tutto. A tali parole, iutiinorilo
l'ambasciatore si gilto iu giuocchione, e suoplico Sua Saulità di non scrirere
cio al rè.
« Eutro poi ramhasciiitore a far nuoTe iostanze per la promotione del ves-
covo diMarsiglia, coine nouiinato alla porpora dal rè di Polouia, e il papagii
rispose : Vos^tra Sigiiuria uou fa che purltrci di quebtoMarsiglia e uonsa che,
IU vece di farhi.ue a quosto prelalo, gli fa dauuopcr seuiprecouie »?ulraVoîtra
Siguoria a parlarci di cio? AU'hora l'anibasciatore si diede ad iuvettivare più
cbe mai coiitro il cardinale Altiori, eupponendo c\ï e^Vi »la che iuspiri a Sui
Saiilità simili scLitimciili. A che il papa replico : Noi uou s>appiamo compreo-
dcre com».' Vn^ira Siguoria ptis^a dlrci taiilo maie del cardinale Altieii uoi
havtMnli»la qiieslo ollcso mai lu iiieiile, ma solo iiiLerceiieiitc d:i uoi j;ratie jwr
Ici. (Vi hanuo gia Voslra Si-^Mioria c li siioi compagni dello taute cose coAtj
di lui, rhe noi siaino o^gimai avvi'/zili a non crederue ])iù nieute.
«« E havrnilo Sua S.iiitità preso il campauello per dar liue ail' udienza, l'ara-
l).isi-i,iior«' ^le^a la s»ui mano e pn^sa quella dfl pap.i gl'interrnpp»! il ?i)Uûrl".
ma havondo M»"'' copier»^ iule^ji i primi tocchi cntro, e l'auibaitcîutore lo ferf
rluscir fuoh drlla canuMa cou diigli auttorovolmente clic Sua Sinlità n<'U la
ohiamava, e cho havi-va ancora qualche oo?a da traltare. l)o[ipo diche I.iQ:t'n-
tiudt>si «'lie Sua Uf-itiUiiilut», liavenJ«n;li proim-sso pin voll».» che hi prima yT>
nn)lioni' da farsi sarelihe [«cr le corone, vo!ei»se hora luancargli, il jm:'*.
coiniu«!iau<i(j a«i allerarsi, griutouo : Vediamo biMio ch«i quando havreuio a
ttallare cim lei ci roiivfrra hav»Tle?tiuionii c scnvcpi» lutU» cio che le direu;o.
Noi non <;li halibiamo mai proiiiossa ta! cosa, e tulto qiiello cl).* in id ]iro-
posito le iuihiMamo sulamente detto e che le replichiamo, è slato che, q-iaui'o
saia il ItMupo di lar la promoLione ptM* U: coron»*, havreuju il d«>vut«> ritfjini«»
ali(; ins«laijze d»'i piincipi ; ma (iuislo tempo tocca e appartient' a ui)i s^oïi Ji
M*i«'gli''rio, rssemlo noi di r.io l'a^polulo pailrono, e ci nnTavi^liumo lii Vostn
Si^'iu.ria ch»^ voirlia rifoiivenire un papa di qnrllo cl»e non ha mai dtll'». K.
prrso di nuovo il rani: aiu'llo, son»» e tere intrare a liaciargii i pinli al.iiJi
for.islirri pi r h qnaii il mriU-.-lnio ambasfialore haveva supplicata Sua Sftiilita
di tal ^Tatia. Compiti una tal fimlione ch.* suol ebScril fin dell* udienza. l'iiui-
bd?cial<ire non î^i liot'nli<i, come Fccondo il coblnme doveva, ma licouiinoiu
più ardentamonle che i>rima le .«-uddetle dugliauze, onde il papa Uuu put> uJolu
più s«dîrire voirie «izai^i dalla sedia, ma qm^jH i»05le a Suu Sauiila couleiue-
ArDlENCE DU 21 MAI 1675 S87
l'obligeaient à celle ^démarche, la sollicita dimanche et l'ob-
tint pour mardi, 21 de ce mois. Il en profila pour réclamer
avec plus de véhémence que de coutume contre la prolon-
gation du démêlé entre le cardinal Allieri et les ambassadeurs,
et contre le retard de la satisfaclion due à ces derniers, exagé-
rant^ à cetle occasion, non seulement la grandeur de son
prince, mais encore ses puissantes armées, et particulièrement
celle qui se trouvait alors devant Civilà-Vecchia. A quoi le
pape assez étonné répondit : Nous sommes surpris que Votre
Seigneurie nous parle encore de ces différends, après que nous
en avons remis rajustement aux médiateurs que vous avez
réclamés avec tant d*opiniAtreté. Traitez avec eux et non avec
nous, et, quand ils nous auront proposé un projet raisonnable
d'accommodement, nous prendrons le parti qui nous paraîtra
juste et convenable. Le pape ajouta: Depuis longtemps Votre
Seigneurie ne nous entretient plus des affaires du roi, mais
seulement de ses ressentiments personnels. Telle n'est pas
rintention de Sa Majesté, nous le savons, et nous l'instruirons
de tout. A ces mots, l'ambassadeur effrayé se prosterna et sup-
plia Sa Sainteté de ne pas écrire en ces termes au roi. Il ne
laissa pas de faire ensuite de nouvelles instances en faveur de
la promotion de l'évêque de Marseille sur la nomination du
roi de Pologne, et le pape lui répondit : Votre Seigneurie re-
bat sans cesse l'affaire de cet évoque, et ne voit pas qu'au
lieu de rendre service à ce prélat, sa manière de parler ne peut
que lui faire tort. Alors Tanibassadeur s'emporta plus que ja-
mais contre le cardinal Altieri, qu'il accusait d'inspirer ces
pensées à Su Sainteté. A quoi le paj>e repartit : Nous ne com-
prenons pas que Votre Seigneurie se permette de dire tant do
mal du cardinal Altieri, qui ne vous a janiais oirensé, et ne
nous a jamais demandé que des gn\ces pour vous. Votn? Sei-
gneurie et ses collègues nous ont déjà fait taiit de rapports
contre lui, que désormais nous ne voulons plus en rien croire.
ritii non più aiidiU le maiii nel petto, 1o ritcnDC, e Sua Satitità act^csa diglusto
Bde^uo gli sgrido : Vuvtra Signoria èscomuiuuicitta; c rhiedeuJogliil perche,
il papa gli rispodc : Perche ella ha unata viuleuza alla persunu dcl papa, e
»«»nzi più altpo M levo Sua Sanll'à bnisrimpiite (lalla sfi'Ha, « <fii*»îrii parti
turbatiiidiuiu. • [Rome, 23S.)
S88 CHAPITBE SIXIÈME
Et Sa Sainteté ayant pris la clochelte pour avertir que l'au-
dience était terminée, Tambassadeur étendit la main et, sai-
sissant celle du pape, interrompit la sonnerie; mais» le matlre
de chambre étant entré aux premiers coups^ l'ambassadeur le
fit sortir en lui disant impérieusement que Sa Sainteté ne
l'avait pas appelé, et qu'il avait encore quelque chose à dire:
puis il se mit à reprocher à Sa Béatitude qu*aprës lui avoir
souvent promis que la première promotion serait pour les cou-
ronnes, elle voulût maintenant lui manquer de parole. Lcpapt*,
qui commençait à s*émouvoir, lui dit : Nous voyons bien que,
quand nous aurons à lrait<)r avec vous, nous devrons avoir des
témoins et écrire tout ce que nous vous dirons. Nous ne vous
avons jamais fait celte promesse; nous n'avons jamais dit sur
ce sujet que ce que nous vous répétons encore : que^ quand
viendra le tour des couronnes, nous aurons tel égard que de
raison aux instances des princes; mais c'est à nous seul quil
appartient d*en fixer le temps; nous en sommes le matlre ab-
solu, et nous sommes surpris que Votre Seigneurie ose im-
puter à un pape ce qu*il ne vous a jamais dit. Agitant de nou-
veau la clochette, il fit entrer et admit au baiscment des pieds
plusieurs étrangers pour lesquels Tanibassadeur avait solli-
cité cette grâce. Après celte cérémonie qui marque la fin de
raudienco, l'ambassadeur ne se releva pas, comme Tusage le
voulait, mais, avec plus de violence qu'auparavant, il recom-
mença ses reproches, et le pape, ne le pouvant souiïrir, vou-
lut quitter son siège: alors l'ambassadeur, avec une audaw
sans exemple, porta la main à la poitrine de Sa Sainteté et
Tempi'^chade se lever. Sa Sainteté, animée d'une juste indigna-
lion, lui dit : Voire Seigneurie est excommuniée, el, l'ambas-
sadeur lui en demandant le motif, le pape lui répondit : Pour
avoir fait violence à la personne du pape. Puis, sans rien ajou-
ter, Sa Sainteté se leva brusquement de son siège, et l'ambas-
sadeur s'éloigna fort troublé (1). »
(1) La dépêche dAUieri uu nonce, datée du 22, partit le lendemaia aTecU
rcUliou et une letlre ppéciale de cn'-ance, datée du 23. Voici ce brefau roieo
créance sur le nonce an sujet de la conduite du duc d*E8trées à regard d*
S. i^. : « Canssiuie, etc. Venerabilid frater Fabrilius, archiepiscopns Palreo-
Bis, apostolious apud Majestutem Tuam Duiitins, pluribus ju?su Dostro tibi
AUDIENCE DU 21 MAI 167S 389
Il avail fallu plusieurs jours au ducd'Eslrées pour concerter
son récit avec le cardinal . Sa première dépêche au roi est datée
du 21, mais elle ne partit certainement pas de Rorpe avant
le 27 (1). Il était fort inquiet de l'effet qu'allait produire en
France ce qu'il appelait la fausse relation^ Icîs suppositions du
palais. Vainement il écrivait à Pomponne : « Je ne doute pas
que vous ne soyez extrêmement surpris de la manière donlle
pape en a usé^ qui est tout à fait extraordinaire et désapprou-
vée dans Rome par toulc sorte de raison. » Vainement il
flattait Louis XIV de Tespoir que Rome céderait à la peur de
la flotte stationnée à Cività-Vecchia, et à la menace de publier
le prétendu engagement du pape. Il avait été obligé d'avouer,
dans les mêmes lettres, l'abandon où le laissaient ceux qui
avaient pourtant le plus d'intérêt \% se prévaloir de cette pro-
messe! « Nous avons eu, disait-il, de fort bons avis que le car-
dinal Nidhardeslfort refroidi sur la promotion des couronnes. »
Je tiens de l'ambassadeur de Venise que les minisires de
Madrid et de Vienne ont ordre de ne s'unir à moi que pour
TalTaire des quatre ambassadeurs et de n'y pas mêler celle de
la promotion « Les cardinaux de liesse et Nidhard ont
changé de sentiment et ne feront point de protestation en cas
de promotion, ainsi que j'ai mandé qu'ils l'avaient résolu au-
trefois. »
L'éclat provoqué par le cardinal d'Kslrées fut plus grand
qu'il n* avait supposé. Dès qu'il en prévit le danger, c'est sur
exponet quomodo se Dobi8cum gonl nobilis vir dux Desirœus orator tuus.
Ut \^\i\iT oft quA soles huuiauitute ipsuiu aiidire, sensustjue noslros expro-
menti plénum eidem fidem prœstare vtlh profecto cupiiiiu^, qui scilicirt uou
dubiUiDUs qtiii), propeiisa; uiiruin iii modum erga Majcslatem Tiiaiii pateruio
vuluiitati uoslr», paribus vi^-issiui tilialis t-r^'a nos ubsurvanliu; ducumeutis
ouiuiuosisrespousurud. Majeslati ▼oroiiileriiuTuiu apustolicaui beuediciioueiu
aiiiauU«sime iiupertiiuur. Datuiu Roiiiœ apud Sauclain Mariau Majorcui sub
auuulo Piscalorii^, dit; xxiii uiail MDCLXXV, poutiticalus uostri auuo sexto. •
Sigué : u Marius Simnala. » {Home, 23^,)
(i)M Nous avons eu avis que le palais a dépêché celte nuit au nonce, mail
étaut bien perbuadé qu'on ne peut surprendre par aucune fausse relation de
Dion audience S. M., et qu'elle voudra bien suspendre ï^ou jiigonicut jusqu'à
ce qu'elle soit infornii^e par moi de ce qui s'est pai^sé, j'ai retenu encore ce
courrier^ pour ne pas' être obligé d'en dépérher un autre en cas quil se passe
quelque c/iose de considt*ralion dans le consistoire qui se tiendra lundi pro-
cfiain (27 mai) •. (Le duc à i'onipuunc, 2i mai. liotr.e, 23b.)
590 CHAPITRE SIXIÈMB
le pape cl sur le sainl-siège qu'il entreprit de détourner la
colère de Louis XIV. La violence impie de ses invectives dé-
passe ce que nous connaissons déjà de celévèque. Il écrit ao
ministre (1) : « Ce procédé achève de faire voir Timbécillité en-
tière du pape et l'incapacité d'occuper le poste qu'il remplit...
Sa Majesté peut faire un fondement assuré sur la relation de
M. le duc d'Estrées, qui n'a jamais menti de sa vie... Le pape
s'était fait un tel eiïort dans cette audience qu^à peine trouvait-
il les paroles (2), et tout le jour il parut tonl étourdi: mais
son potage le remit le lendemain. L*imbécillité en tout cela
n*est que trop visible; l'audace et la folie du cardinal Allieri
bien extrêmes, et Sa Majesté peut et doit les châtier, ce me
semble, par une voie par laquelle il est plus attaquable, qui
est de Tcmpôcher d'usurper insolemment le pouvoir du chef
de TEglisc et du vicaire de Jésus-Christ; et, quand elle n'en
viendrait pas là, si, en menaçant le nonce d*y venir et se pré-
valant de l'assemblée du clergé qui est maintenant sur pied,
et qui sera d*un grand poids pour peu qu'on remue ou qu*oa
semble y remuer cette matière, ou dans la Sorbonne, et parler
d'une députation de l'Église de France au sacré collège sur ce
sujet, Sa Majesté tirera du cardinal Altieri telle satisfaction
qu'elle voudra.... On attend ici quelque chose de fort et de
proportionné à ce qui est du à Sa Majesté et à sa puissance.
Si Ton sait seulement qu'on parle de députer quelqu'un pour
examiner cotte malière ou d'une mission à Rome vers le sacré
collège, le cardinal Altieri tremblera. » Cette mesure, approu-
vée des cardinaux Cybo et Rospigliosi (3), « contribue à re-
({) A Pomponne, 26 mai. Rome, 238.
(2) Acceptons un instant le récit de cet évoque : la probité permetlaU-elle
d'abuser des paroles écbappées à un rieillard de quatre-viogt-cÎDq ans, d'une
imbécilliU' entière, qui peut à peine trouver tes mois ei qui perd la mémoire?
(3) Cybo, que MM. d'Eslrées rôvent de voir pape, el qui, eo attendant la
tiare, louche de leur» mains sa pension secrète; — et Rospigliosi, qui vient
de fs'eu^ai^er avec eux dans un honteux complot pour discréditer et sup-
pluntr AllitMi. — « Je ne sais si létal de la santé du pape peut donner lieu à
la p».'ust*e d*un surcesseur; mais, se/on Vav'm de V. E., et pour le saint-siège
et pour nou?, le choix ne pourrait mieux tomber que sur .M. le cardinal Cybo. •
(Pomponne au cardinal d'K&lrées, 20 avril 1613. /lome, 238.) — « Je donne ordr«
pour vous faire remettre la peusion de l'année dernière du cardinal Cybo. *
(Le roi au duc, 21 août 1676. i{om«, 246.) — « J'ai continué à faire voir au roi en
AUDIENCE DU 2l MAI lfi7"> o9 1
donner au sucré collège l'autorité qu*il n'a perdue tout à fait
que depuis trente ans dans les affaires de rKjjlise... Le motif
de l'Age et de la faiblesse du pape, de la mauvaise et scanda-
leuse conduite du cardinal Altieri, Tabominalion où il est dans
rÉtat ecclésiastique ne rendent ce moyen que trop plausible
et trop autorisé. Sa Majesté pourrait ordonnerâu cardinal Gri-
maldi, qui est ici dans une grande vénération et que son Age
et sa probité rendent des plus considérables, de faire de pres-
santes et de fortes plaintes au pape sur le cardinal Altieri et
de déclarer aux principaux du sacré collège que, si on ne songe
à remédier à ces désordres, SaMajestéseraobligée dedemander
qu'on pourvoie aux abus que l'autorité du cardinal Altieri
cause dans le gouvernement de l'Kglise, autant qu'elle fait à
la dignité <lu saint-siège, que Sa Majesté honore plus que per-
sonne et qu'elle s'elïorcera partout de maintenir et de défendre ;
mais que, si on n'y apporte le remède nécessaire, elle sera
obligée dV remédier par les voies qui lui sont propres; que
toute l'Eglise de France ne peut s'empôcher de s'intéresser
dans une telle occasion. On peut marquer au cardinal Grimaldi
que, selon les réponses que Sa Majesté aura de lui, Sa Majesté
emploiera les autres moyens qu'elle a dans sou royaume pour
le bien de l'Église et le service du saint-siège, qu'elle considère
encore plus que l'intérêt de son ministre, quoiipril lui soit ex-
trêmement à c<rur. Je tiens sans difficulté que de tels ordres
entre les mains du cardinal Grimaldi, qui saura bien les faire
valoir, porteront une grande consternation dans le cœur du
pape et du cardinal Altieri, et, détrompant le premier de
parliculier le nicmoirc que vous m'avez adresaé p-iur lui seul. Vous croyez
bieQ que S. M. coiitinuaut toujours duus les inî^iiKM scutimeots d'atrectioa
pour le cardinal Uospigliosi, oUc verrait avec plaisir que latrairt'. qui fait
aujourd'hui tant du bruit à Kome servit à son élévation et y fit passer toute
rautoriié des mains du cardinal Altieri dans les siennes. » (Le même au môme,
21 décembre 1014. /{orne, 233.) — u Le P. Poilini estim<* impossible que le cardinal
Altieri se maintienne si on b; viMit comiiatlre et conclut que, si l'alTaire dure,
ou le carilinal Allirri sortira du p;il;iiH, ou le papo siuM'onibora. «(Le cardinal
d'Kstrées à l*ouipoiiue,i2 novombre Uil-i.) — Le p. INdliiii élail un reli;»ieux avec
lequel Clémt-nt X avuit r.outunio de réciter sou bréviaire et ({ue MM. d'Entrées
cherchaient à suborner. — Espérons i\iw le P. Poliini inspirera au pape la
pensée de prendre le cardinal Uospigliosi pour premier miuistre. (Pomponne au
duc» 14 décembre lt>75.)
592 CHAPITRE SIXIÈME
TopinioD qu*ils lui ont donnée sur les fins que mon frère agis-
sait do lui-mëmo, renouvelleront en lui Taigreur naturelle qull
a pour le cardinal Allieri (1), et feront concevoir à celui-ci
qu*il lui convient de s'accommoder plutôt que de se perdre...
Tout cela demande une prompte réponse et par un courrier
extraordinaire, s'il est possible^ pour tenir l'afTaire vive, et
échauiïcr le zèle de ceux qui veulent parler sur les désordres
et le scandale de cette autorité usurpée (2). »
(1) Ou verra ci-après que Grimaldi fut bieu loin de répondre à l'atteute de
MM. d*E8trées.
(2) L'abbé Servient ne pouvait manquer d'écrire, sous rinspiration de
M.\l. d*Estrées, sur raudiouce du 21 mai. 11 adressa donc à Pomponne une
longue et ignoble diatribe contre AlUeri et contre le pape (2S mai 1675, t
minuit, lioine^ 238), mais il ajouta au récit de Tambassadeur plusieurs traiU
qui se rapprochent de la vérité. « Il est vrai, dit-il^ que sur les deux mouce-
menls que fit le pape pour éloif/nei' M. l'ambassadeur, celui-ci iepria d'atlendrt,
comme il avait fait d'autres fois, et lu! représenta qu*uu ministre d'un roi tel
que le nAtre doit être écouté liest encore vrai que, voyant qu'on avait en-
gagé S. S. de lui nier positivement un point qa'elle lui avait confirmé sept
fois..., il ne put et ne dut pa.^, ce semble, s'abstenir de repartir vigoureusement. *
— Je ne connais pas de dépêches où Dourlemont ait exprimé sou opinion sur
la sincérité de rambassadeur dans le récit de THudieuce : mais il v a anx
Archives des Aiïaires étrangères, un manuscrit où cet abbé a parlé trois foi»
de rincideut. Ce volume inachevé, au dos duquel on lit : liomc, 1675 à 10*9,
et (par une erreur inexplicable) Souvenirs de Vabbt} Burlamaqui^ contient quel-
ques notes, rangées par ordre alphabétique, sur le séjour de Bourlemont à
Home. Voici ce qu'il a écrit de sa main : 1° V® « Ambassadeurs : .Mai 1675.
M. le duc d'Estrées, en une audience qu'il eut du pape, où S. S. lui nia
d'avoir promis la promotion dos princes pour la première, f ambassadeur
s'empoi ta et dit qu'il était homme d'honneur et véritable, et que le pape lui
avait promis. Après diverses paroles départ et d'autre, le pape sonna la cloche
pour finir l'audience, mais Tambassadeurne bougea, et ditqull était bien aise
que tout le monde entre pour le voir soutenir une vérité. Le maître de chambre
entra, mais le pape le lit sorlir.Qi l'ambassadeur demeura encore unquartdheure
à contester. Le pape se levait de temps en temps, mais Vambassadeur voulht
finir tout ce tjuil avait à dire. Le pape dit à l'ambassadeur qu'il dépécberail
un courrier au roi; l'ambassadeur répondit qu'il en dépêcherait aussi. !<'«
autres ambassadeurs ne firent pas de ressentiment de cela autrement. L'ambas-
sadeur lumba peu de jours [après] malade de chagrin très dangereusemeut. '
2° yo « Maladie de l'ambassadeur de France : L'an 1675 et au mois de juin,
après une audience que M. le duc d'Estrées eut du pape, où l'on lui nia de
lui av«.ir promis la proniotiou, elle pape dit qu'il lui avait voulu faire violrnct,
lui portant In main à l'estomac, afin que Sa Sainteté ne s'en allât pas. ledit
duc prit tel déplaisir de cela que vingt-cinq jours après il tomba d'une fièvre
continue. » li° V^ « VromoUnn au tour des nations : L'an 1675, du 21 mai.
rambas:îadeur de France, M. le duc d'Kstrécs, ayant eu une fière audience arec
le pape sur la promulion des couronnes, S. S. lui nia de lui avoir douué parole
AL-DtENCE DU 21 MAI 1675 593
Lorsque le roi reçut le premier courrier de son ambassadeur
après le 21 mai, il commandait ses armées en Flandre, et cam-
pait sur la hauteur de Nay. Sans attendre les communications
de la cour pontificale, il prit son parti et répondit au duc :
o Je n*avais pas besoin de votre dépêche du 24pour juger que
ces prétendues violences, que cette relalion vous attribuait,
autant que cette excommunication qu'elles vous avaient atti-
rée, étaient des suppositions du cardinal Altieri.,. » Voici Tac-
cueil qu'il réservait au nonce Spada et à son envoyé; le pas-
sage suivant de Pellisson a été supprimé dans le recueil de ses
Lettres historiques (1) et n'a été imprimé qu*en 180G (2) : a Le
secrétaire [de Spada] s'adressa à M. de Pomponne (;t lui remit la
lettre du nonce pour le roi, demandant d'avoir l'honneur do
voir Sa Majesté, pour lui rendre lui-même le bref... M. île
Pomponne, après avoir parlé au roi, a dit à ce secrétaire, par
son ordre, que, quant aux plaintes et à la relation entièrement
opposée à ce que son ambassadeur lui écrivait, Sa Majesté les
regardait comme de nouveaux eiïets de la mauvaise conduite
du cardinal Altieri k son égard et des artifices du palais pour
porter Sa Sainteté à ne faire point la promotion pour les cou-
ronnes, contre la parole que Sa Sainteté elle-même pn avait
donnée six ou sept fois à son ambassadeur; qu'ayant co dou-
ble sujet de plainte, Sa Majesté n'était pas en état de donner
aucune audience au nonce, s'il la demandait en personne,
mais encore moins à un domestique envoyé de sa part, qui
n'avait aucun caractère pour cela; que Sa Majesté n'avait pas
voulu ouvrir même la lettre du nonce, laquelle fut remise en
même temps à ce secrétaire cachetée comme elle était; que
néanmoins, par respect pour le saint-siège en général, elle
était prête de recevoir le bref de Sa Sainteté par les mains de
M. de Pomponne. Le secrétaire, n'ayant pas voulu remettre le
do faire ladite promotion à la priMiiicre. L'amUmsadeur s emporta de manière
que le pape snnna trois fois la clochclie, et raiiibassadour n-sti toujours», soii-
Icoant au pnpe qu'il lui avait proiiil;»... » — 11 st'Uiblc que, ?i Bourleu)ont avait
cra le duc d'Estrées caloiunié par la relation du palais, ses Souvenirs n'au-
raieut épargné ni le pape ni lo cardinal Altieri.
(1) 3 vol. in-12, 1729.
(2) Rélégué parmi les pièces diverses, à la fin des Œuvres de LouLx XI T,
t. VI, p. 487.
LOl'Ii XIV BT LB SAlXT-SlftOE. — II. 38
591 CHAPITRE SIXIÈME
bref sans la lettre du nonce, a été renvoyé comme il était venu.
sans autres plaintes ou menaces, quoique le ressentiment soil
tel qu'il doit être et doive éclater en temps el lieu (1). » Mai?
Louis XIV avouait à son ambassadeur que son procédé envert'
Spada n'était qu*unexpédienti maginé pour éviter de faire droilà
la demande du souverain pontife : « J'ai vu avec plaisir, lui di-
sait-il, que le secrétaire du nonce n'ait pas voulu remettre le bref
deSaSainteté,parceque,m'étanto(rert de le recevoir, j'ai doQDé
une marque de mon respect pour elle, et que, ne l'ayant poiot
reçu, je ne connais que par une relation sans nom tout ce qui
vous a été imposé dans votre audience, au lieu que ces mêmes
suppositions du cardinal Altieri, tout injustes qu'elles sont,
auraient paru avoir plus de force dans un bref de Sa Sainteté. »
Le nonce ayant renvoyé son secrétaire en Flandre, le roi
ne put éluder de nouvelles instances qu'en mettant à nu si
mauvaise foi. Pomponne écrivit à l'ambassadeur (2) : « Vous
avez vu que le secrétaire de M. le nonce n'avait pas voulo
séparer le bref du pape de la lettre de son maître au roi;
qu'ainsi le roi élait toujours en état de traiter la relation
de votre audience, qui avait couru à Rome, de fausse et sup-
posée, au lieu qu'il y aurait eu quelque embarras à s'en
expliquer tout à fait de cette sorte, si le pape, dans son bref,
avait rapporté Tairaire conforme à celte relation. Le secrétaire,
ayant attendu quelque temps à Liège la réponse de M. le
nonce, me vint trouver ensuite, et me dit Tordre qu'il avait
de me remettre le bref sans sa lettre. Il le fit et je crus y trou-
ver une ample répétition de tout ce que la relation contenait.
Aussi m'avail-ii raconté le fait de la m«^me sorte, et préten-
dait que son maître en devait parler en conformité à Sa Ma-
jesté; mais, ayant ouvert le bref lorsqu'il fut parti, je trou-
vai qu'il était seulement en créance... Ainsi, le roi n'avant point
entendu M. le nonce (3), Sa Majesté se trouve toujours hors
(!) L«' récit de Pollis^oi), qui aoroiiipa^iiait Louis XIV ou Flandre, e!«t con*
finiM' pur 1rs dép'ches du loi et de Pomponne. (Le roi au duc d'Eslrû.-*.
16 juin lG7o. liovw, ii.îS, •^li'.'i
(2) 30 juin IGToj.iu »Mnip de Ilepsolin près ïilmouL Rotnc, 230.
(.*{) Lt Pelli>sou nous îi informé plus haut que, si le uoace s' éiaii présmi:
en personne, le r ti lui aurait refusé audience'.
PROMOTION DU 27 MAI 1675 595
de la nécessité d'opposer le pape même à ce que vous lui avez
écrit, et de n'être point obligé de répondre à ce que me dit le
secrétaire delà part de son maître qu'il ne croyait pas que le
roi voulût ajouter plus de foi h son ambassadeur qu'à Sa Sain-
teté. »
Clément X releva le défi de MM. d'Estrées (1). Les galères
françaises, dont on l'avait menacé, étaient encore à Cività-
Yecchia, quand il intima un consistoire pour le lundi 27 mai.
Jamais le vieillard n'avait montré une plus grande vigueur de
corps et d'esprit (2). A peine les cardinaux eurent-ils pris
séance, qu'ils entendirent la formule célèbre : Intendimus creare
cardinales^ suivie de six noms qui devaient honorer et illustrer
le sacré collège : l"" Galeazzo Marescotti, Romain, nommé
assesseur du Saint-Office par Alexandre VII, qui avait de
bonne heure distingué ses talents et sa piété ; ancien nonce
en Pologne et en Espagne, destiné à porter la pourpre pen-
dant plus de cinquante ans avec une réputation qui le dé-
signa plusieurs fois pour la tiare; — 2** Alessandro Crescenlio,
Romain, religieux Somasque, patriarche d'Alexandrie, maître
de chambre et ami particulier de Clément X: « personne de
bonnes mœurs et de piété, et qui pensera bientôt au ponti-
ficat. » Il s'étaitrécemment attiré la haine de MM. d'Estréespar
la fermeté qu'il avait montrée, comme maître de chambre, à
faire respecter la résolution de refuser raudience commune aux
quatre ambassadeurs; — 3** Bernardino Rocci, Romain, ma-
jordome, et grand maître du palais apostolique sous trois
(\) « ... Quel fatlo risaputovi per la corte e publicalo in gran parte benche
Jiversamente dal veru da questi sigDorl d'Estrées, havcodo cagionato nel
sacro collegio, nella prelatura et iu tutti gli buouiini scnsati un indicibile
horrore, ha neir istesso tempo eccilati neir animo di Norf^lro Signorc i ragio-
nevoli motivi di riparare aU' bonore pontiûcio et alla diguità dcUa sodé apod-
toUca COQ accelcrarc la promotione gia diseguata «lalla Sua Sautità per risto-
rare Délia più moderata forma latto usatosi e la riconvciiziouepratticataneir
udienza sudetta contro lutte le leggi del rispetto, délia conveuevolezz i, délia
veuerazziooe al grado supremo del pastore universale doll?i Cbiesa. » (Au cardi-
nal Spada^ Dooce, 21 mai 1675. Arcb. Vatic. Nunzialhra di Francin, 151 : Cifre.)
\2) « Le jour de la Pentecôte [2 juin], j'aid.ii, roMiino le plus ancien audi-
teur de rote, à parer bî pape de ses habits poutiliraux. Je trouvai Sa Sain-
leié en bonne santé et avec la même vigueur que ci-devant. Je l'ai dit à M. rani-
bassadeur, qui m avait chargé de le remarquer. » 'Bourlcmout à Pompounc,
5 juin 1673. Rome, 238.)
S96 CHAPITRE SIXIÈME
ponlilicats (l) : « homme posé, retenu et sage, ot qui a tou-
jours vécu ici avec grande probité et grand honneur : c'est ud
sujetà Jevenirpapable,n ayantpas témoigné de partialité ■[2):
— 4* Fabrizio Spada, nonce en France, qui avait, danscei
emploi, conservé Testime du pape et gagné celle de
Louis XIV (3); — 5* Mario Albcricci, Napolitain, nonce à
Vienne , ancien secrétaire de la Propagande : « On l'estime,
dit le cardinal d*Ëstrées (4), un des plus savants cardinaux du
sacré collège dans Thistoire ecclésiastique et dans les conci-
les... Onle croit un homme capable et de bon jugement dans
les affaires, et cette cour a fort loué sa conduite dans la noncia-
ture de Vienne. Scsinclinationsne sontpas mauvaises, »> c'esl-
à-dire qu'il penche plutôt pour la France que pour une autre
couronne; — G* Philippe Howard de Norfolk, cadet de celle
grande maison, exilé de son pays pour sa foi, Dominicain el
pratiquant les plus dures austérités de son ordre; ayant épuisé
sa fortune à créer di^s refuges, des couvents, des séminaires
pour les catholiques anglais en Belgique et en France; réduit
à vivre d'aumônes ; particulièrement aimé du cardinal Allieri.
qui se chargeait de toutes ses dépenses, et du pape qui lui ré-
servait un appartement à Monte-Cavallo : l'Eglise de France,
si puissante et si riche, ne comptait pas dans le sacré collège
un seul prélat comparable au représentant de TEglise persécu-
tée des Trois-Royaumes!
Le cardinal s'était préparé à troubler le consistoire et à pro-
(1) Bonrlcmout à Pomponne, 29 mai 1(175. Tîowe, 23S.
(2) Ibkl, — Le duc d'Estrées au roi, 21 mars 1674 : <« Ce prélat a de la piété cl
est d'un esprit doux, judicieux, bonuôte, et ces qualités lui out acquis reslimu
de toute cette cour. » {Home, 220.)
(ii) Louis XIV eut li maladresse de refuser au nouveau cardinal ?oa a:i-
diouce de congé : « Je l'ai seulement fait assurer, delà part de S. M., par suu
auditeur qu'il m*avait envoyé,... que S. M. avait conçu autant d'estime pi)ur
s.i pris 'UU'.î (in'elle avait ou do satisfaction do ?a conduite dans tout le teoip?
qu'il avait passé auprès d'elle; qu'elle ne le confondait pas avec les sujets «iti
plainte qu'elle avait tant d'occasions de faire de M. lecardiual Altieri, et qu'oK-^
était filchée que la manière dont ce cardinal avait ag,i à sou é^fard robIi;:cali
ne pouvoir avoir de communication avec ceux qu'il faisait agir sous ses or-
dres, lorsque le pape lui abandonnait tout le soin de ses alTaires. » (Pomponae
au cardinal d'Estrées, 19 août 1675. Rome, 239.)
(4; Troisième mémoire sur les cardinaux en 1G7C. Rome, 245.
PROMOTION DU 27 MAI 1675 S97
lester contre la promotion (1), complanl être suivi par les car-
dinaux d'Espagne, d'Autriche et de Venise. Mais le cardinal
Nidhard, assis à ses côtés et pressé par lui de se déclarer, ré-
pondit qu'il n^avait pas d'ordres; le cardinal de liesse était
parti la veille pour la campagne, et le cardinal Basadonna ap-
plaudit à la promotion. Le cardinal d'Estrées n'eut avec lui
que les cardinaux Orsino et Grimaldi, de la faction du roi.
Vainement il tenta d'émouvoir le sacré collèsre : la violence
de son langage ne servit qu'à prouver la liberté des délibéra-
tions. Il écrivit à Pomponne (2) : « Les cardinaux Ursin et
Grimaldi parlèrent fort bien et selon qu'ils en rendent compte
à Sa Majesté... Pour moi, je parlai selon Técrit que je vous en-
voie (3), dans lequel je crus devoir soutenir la vérité des pa-
roles données et de l'audience de M. l'ambassadeur, et mar-
quer en même temps au pape que cela ne lui serait pas attri-
bué, mais à ceux qui le servaient et le consultaient mal, et que
(l) Conféiences tenues chrz Tambaseadt^ur entre les cardinaux Grimaldi,
Orsino et d'Estrées en vue du consistoire prochain. (Le cardinal à Pom-
ponno, 20-27 mai. Rome, 238.)
(2)26-27 mai 1675. Rome, 238.
(3) Votum do cardinal d'Estrées au consistoire du 27 mai 1675. RomCy 238 :
€c Multis licet gr.ituliinlibus, graviter non dolere nequeo, lum ut christia-
uissimi Régis acdomiui mai snb<iitn8, cui omniadebeo, tum ut E^'clesio» Ro-
inan.'e m»»mbrum, et a Sanclilate Veslrà in oardinalium numoruni rojiplatus,
eri?a quaui a no^lrà nec ab corum qnos novi parle vel obsoqnium vcl débita
venoratio unquam dt'fuit. Aliis de factis sibi a Sanctitate VeslrA promissis
agendum relinquo; facient illi et ita quideni ut, etiam vitaî fu.t perioulo, ca-
vi-ant. ne qua faniœ sua» et gloriît» macula inuratur. Ego vero sapiontissima»
rt ?>clesi.K spirilui conveuiontissima; eminenti>simi <*ardiualis r.rimaldi s«*n-
tentiie penitus adh.Trcns, subjirio Sanclilali Vtstra» ignotum ip«i esse non
posse quin régi ac domino meo a s»»x meusiïmii persuasum fitsihi Sanrititatem
Veslram per oraioretn suum esse poilicitam cardinales ex votis reguin \u\c. vir<».
creandos esse. Id enim permultœ teslautur epistola». Qua» cum ila siut, Sanc-
tilas Vestra, nisi p«-ius cnin U«'ge chri.-liauissimo eà de re convenerit, nec
débet oltra progrcdi. nec jure potest. Si secus fariat, gravis sane fiet injuria
ngi potenlissinio, Ecclesiaî primogenito, quique omnium maxime a sede
apostolicà faciendus est, ob «grcgia tum majorum ac decessorum suorum
tum sua in eam mtuita ac bénéficia. Ego quidem, pro meo erga Eccicsiam
studio, coram Sanctitate Vestrà dis?imulare non pn>s(Mii quîP, inde et quanta
mala animo percipiiim. Nota pridem orbichristinno Sanrtilatis Vrstro» comilas
ac sinceritia ojusmodi consilii suspicionem ab eà remov.-nt, et iis duntaxat
tribuere cogunt qui ipsi deserviunt et maie pr<»fer!o deserviunt : imo priva-
tis rationibus suis et ambitioni unice deserviunt: atqu* in ho> otiam niala
omnia quoe accident recidcre ncccs^tc est. »
598 CHAPITRE SIXIÈME
sur eux au<^si toutes les suites en tomberaient. Je ne fus poiol
interrompu, quoique cette harangue fût assez forte; maîsje
n*en pouvais aussi dire moins après un cngag'ement aussi pu*
blic et aussi solennel, et aussi témérairement et infidèlemeot
violé. » Personne n*avait fait attention au votum du cardioal
Orsino, que sa vénalité notoire privait de toute autorité. Gri-
maldi (1), qui ne devait la pourpre qu'à la faveur de Mazarin,
évoqua en gémissant les coutumes delà primitive Église dans
l'élection des cardinaux, et s'apercevant sans doute que ses
paroles condamnaient trop sévèrement Tintervention abasive
des princes, il tourna court et se réduisit à proposer que la
promotion fût ajournée à la fîn de la guerre.
L^ambassadeur se vengea en ne mettant pas de « flambeaux
aux fenêtres », comme c'est l'usage le jour des promotions. Il prit
aussi de lui-mt^me la résolution de ne point visiter les nou-
veaux cardinaux, et de n'aller ni aux audiences ni aux cha-
pelles. Mais rien ne manquait à la mortification des deux frères.
Le cardinal écrivit àlacour(2) : « Il est sans doute que les Es-
pagnols 71 ayant pas reçu les mêmes paroles que M. Pambas-
sadeur, quoiqu'ils eussent fait des instances communes et par
écrit, ont sacrifié leur honneur et leur réputation à la crainte
du cardinalat (in prince Guillaume, mais beaucoup plus à la
(1) « Cum mihi qiiid île fntriiin elcctione vidcalur proferre iuciimbat, sin-
cère uliqne, iitpjicri coiis'Oiîsùs coiisilinriiim, hiimiliter tamcu, ut filium ilerel,
qr.;i; iiiea sit iiieii3 proferain. Non possum non ex imo pectore saspiria eniit-
terc dum mente rcvolvo dcoursorum teniporum mcntorias. Exqulrebaulir
priiis bujus ophiio et coiisiliutn; dciiidCi audilo cardiualiuin senatii, quasi ex
condicto, asinnnio pontilice prodibal eloctio, moremque hune apostolicà imi-
talione^utTultinn, por quindecim s.TCula.catholica Ecclcsia tutissimum experU
est et altsque invidià; et. ut ad rem veuiain, cum longe lateque in orbe chris-
tiaiio f^^rassetur biUum, atquc etiam Itali.e immineat iuceudii periculum, lu
hoo tanto discrimine mihi viiletur e re esse christianse reipublicœ qaod S. V.
electioni superrit-dcal, alque inl«'rim, quoi* summopere nccessariuiu est, pa-
ternà sollicitudiue operam det rébus componeudis, ut, redditd orbi christiaDO
pace et quiète, de cardinalium electione postmodum agatur. » {Home, 23S.]
{•!] L'ainbar^ciatore di Francia ne domando l'udieuza ne si è lasciato
più vt'dtTC ad aicuna publica fuuziorie, dalle quali si è asteDuto ancora il
cardinale suo fratt-llo riliratosi, si corne si dice, al casino deir abbate ElpiJio
lÎMiedtîtti, alla porta di San Pancrazio, o altrove, forseper non acccttar^ ne
rifiulare la vir^ila dei due c trdiuali novelli. » .C. Altieri au nonce de France.
11 juin 1675. Arch. Vatic, Sunziatura di Fraiizia, 131. Le cardinal et le duc à
Ponjpouue, 21 mai. liotnr, 2o8.;
PROMOTION DU 27 3IAI i67o 599
consternation où les affaires de Sicile et de Naples les met-
tent... (1). » Pomponne ne s'attendait pas à une défaite aussi
humiliante : « I! serait fort à souhaiter, dit-il, que la promo-
tion eût été aussi mal reçue à Vienne que M. le cardinal de
Hesse l'avait témoigné au pape, mais les nouvelles publiques
assurent que TEmpereur en avait témoigné beaucoup de satis-
faction (2). » Le ministre espérait qu'au moins les Vénitiens
marcheraient d'accord avec le roi; mais le palais de Venise
avait été illuminé le 27 mai, et le judicieux Bourlcmont avait
annoncé que la Seigneurie « se rangerait du côté où elle trou-
verait son plus grand avantage (3). » Sa défection devint
certaine et causa un vif dépit à Louis XIV. Pomponne fit sem-
blant de retrouver son calme en écrivant : « La France ne
sera pas moins forte, lorsqu'elle se trouvera seule en cette oc-
casion (4). »
En attendant que le roi exécutât ses menaces, ses agents
(1) Les aveux de Roiirlemont sont pin» complets et plus humiliaDtd : « Les
Espjignols, dit-il, out fait voir... qu'ils étaient d'accord que la promotion fe
fit sans y comprendre les nommi^.s des couronntf^ et que ce que leur iniuistre
et celui de rEmpercur disaieut ici, aux conférences des ambassadrur:*, qu'il
De fallait point se lai^^ser faire tort, s'agiss.uit du tour des couronnes, u'étnit
que matoiseries, pendant quMls négociaient secrètement le contraire avec le
cardinal Altieri par le moyen des principaux officiers du palais. M. le cardinal
Nidhard n'a pas seulement loué cette prory-otior^ en plein consistoire; niais, à
la fin d'icelui, il uUa publiquement s'en réjouir avec M. le cardinal Altieri,
l'embrassant tendrement, et en a fuit de grandes réjouissances. M. le cardi-
nal de liesse, amha-sadcur de l'Empereur, sortit de Homo, la veille de la
promotion, pour ne pas assister au consistoire, sachant l»i»'n ce que l'on y
devait faire; il s'est contenté d'en faire faire des feux do joie devant son
palais... » Le cardinal Nidhard « s'élonno fort que l'ambassadeur ait dit que
le pape lui avait promis de faire la promotion nationale et par conséquent
le cardinal pour la France, vu que lui, (pii était chargé de la promotion de
relui pour l'Espagne, n'a jamais eu parole de Sa Sainlelé qu'elle voulût faire
la preunère promotion pour los <'ouronnes, et que le cardinal de liesse, qui
en a fait de pressantes instances de la part de rEm|«ereur, n'en a jamais pu
tirer de parole du pape, ni même espérance do l'avoir. L'on connaît bien à
quelle fin ce discours-IA et que le cardinal Niilhard fait cola, en étant prié
par le cardinal AUiori. avec lequel il est eiili».'rernent uni. >»
{■2) Au duc, 14 juillet. Home, :>:VJ.
(3j Servient disait au^^i : «• Il ne faut pa«» se fier à l'apparonco sur l'ambas-
sadeur de Venise. 11 ne ^'est pas accordé comme les autres; il nous voudra
vendre celte démarche, mais pout-èln? sera-ce pour être notre espion et péné-
trer nos dessï^ius. » (12 juillet. Rome, 235.^
(i) Au cardin.il. 9 août. Rome, 230.
600 CHAPITRB SIXlftME
s'abandonnaient à une colère voisine de la folie : le c^riM
d'Estrées écrivit (1) : « Sa Majesté a tant de moyens particalicD
pour ruiner la famille du cardinal Altieri et sa fortune, enk
séparant de la personne du pape, que rimbécillilé metàco-
vert de tout, que, quand elle voudra le ruiner, il ne loi sfta
pas difficile de le faire... On peut l'attaquer dans sa terre dU
riole(2). On peut attendre un passage où l*on trouve des vais-
seaux de Sa Majesté, et, dans ce temps, faire des inslancesu
pape qu'il chasse un ministre si indigne et si criminel vers Si
Majesté, ce qui sera suivi de Tapplaudissement de tous les peu-
ples. On peut encore appuyer le zèle des cardinaux qui paIl^
ront sur l'état du gouvernement de l'Église tout à fait intolé-
rable. On peut demander qu'il soit pourvu au désordre qaeli
faiblesse de Tcsprit et de Tàge de Sa Sainteté, incapable dt
toute sorte d'application, et Temporlement du cardinal Allieri
causent dans les affaires de l'Eglise et même dans TËtat dn
pape, afin d'y intéresser le public. On peut consulter sur cela
l'assemblée du clergé, la Sorbonne et les autres universités,
flatter en même temps le sacré collège et demander que la
pari qui lui appartient nalurellemeut dans le gouvernement
des affaires lui soit rendue et ne soit pas usurpée par un m^-
veu postiche, indigne par tant de chefs de la place qu'il remplit,
et coupable de tant de fautes... Il suffirait qu'un cardinal ou
deux fissent voir au pape des consultations de la SorbonQ-J,
ou du clergé de France, etTextrémité où l'emportement du car-
dinal Allieri réduit sa personne et le saint-siège, pour l'obli-
ger à l'abandonner ou même h se démettre (3), comme il en a
souvent envie, et sa stupidité ou imbécillité ne laisseraient
pas d'êlre sensibles à ce chef et d*y succomber... Je n'ai pas
attendu de l'union [des ambassadeurs] un grand effort sur la
promotion depuis quoique temps, comme je vous l'avais mar-
(1) A Pomponne, îiC-2' mai. Ilowe, 238.
(2) Oriolo, à pen d(3 distance do Braccianoet do sou lac : cotte terre appar-
tient encore à la fiimillo Allieri.
• {?,] L'histoire de rKgli:?e. montre peu de cardinaux qui se soient conduit»
d'une manière au?si infâme envers le pape dont ils tenaient la pourpre : Ip
cardinal d'Estrécs n'eut, sous Louis XIV, qu'un imitateur de fou ingratitude:
ce fut précisément M. de Forbin-Jauson, que Clément X et lunorcnt XI n?
voulurent jamais élever au cardinalat et qui l'obtint cuûu d^Alexaudre Vlll.
PROMOTION DU 27 MAI 1675 601
qué;^aisla chose était tellement liée avec le pape qu*0Q ne
pouvait présumer un attentat et un assassinat pareil. »
Sous l'inspiration de MM. d'Estrées, Tabbé Sorvient déve-
loppait, dans de volumineux mémoires, les projets qui pou-
vaient le mieux satisfaire la passion de Tambassadeur et du
cardinal (1). Voici quelques-uns des conseils qu'il donnait :
Ce sont, dit-il, « divers tempéraments que Sa Majesté peut
prendre, selon les diverses vues des personnes qui, pour être
nés Italiens ou dès longtemps habitués dans cette cour, croient
avoir quelques lumières sur cette matière : -^ l® Déclarer
le pape incapable du gouvernement. » Il faudrait, pour cela,
inviter l'assemblée du clergé à délibérer « sur les talents du
pape, sur la destruction du népotisme. Les consultations de
la Sorbonne sur les mêmes matières ne nuiraient pas, ainsi
que des ordonnances consécutives de ne plus reconnaître la
daterie de Rome jusques à ce que le pape eût un nouveau con-
seil ou qu'il se fût démis, ou jusques à un nouveau pontifi-
cat...»— 2" «Maintenir l'intelligence avec le baron Cappelletli,
. . .chef de huit ou neuf cents bandi ts dans le royaume de Naples ,
et capable de faire révolter toute la ville et lieux circonvoisins
de Rieti. On prétendrait, par cet homme, faire introduire [dans
Rome] une quantité de bandits,... en leur donnant fort peu
d'argent et leurpromettant une forte protection. lisseraient ca-
pables do brûler le palais du cardinal Alticri en une nuit et se
retirer en Tinstant, enlevant ceux ou celles de sa parenté qui
tomberaient entre leurs mains, ce qui leur servirait et pour la
sûreté du retour et pour le rachat que ces bandits font faire,
quand ils sont retirés en leurs postes ordinaires et qu'ils y ont
amené leur proie. L'exécution de ce projet n'est pas difficile,
parce qu'il n'y a nulle garde aux portes de la ville, qu'elles
restent ouvertes toute la nuit; que le château Saint-Ange
n'oserait tirer, pour ne pas détruire la ville inutilement... » —
y « Les mômes proposent que les mêmes bandits, au nombre
de deux cents seulement, pourraient émouvoir une sédition
(1) Voir notamment qnntre mémoires, du 19 juin 1675, et une lettre confi-
dculielle, du 22, à M. Pachau, premier commis des AfTaires étrangères. Rome,
23î>.
602 CHAPITRE SIXIÈMR
en certaÎQS quartiers de la ville : cela serait facile; maiseei
moyens sont violents et d'une vengeance fort indirecte. Qoaflt
aux bandits, Ugo MalTei (i) m'a promis qu*au moindre ordic
il en fera trouver secrètement cinq cents dans Rome et qoH
en répondra de sa vie (2). » — 4* « Les mêmes imaginent en-
core que, dans le retour des galères, on pourrait, en une noit
et à l'imprévu, quand on les attendra à Cività-Vecchia, faire
débarquer mille ou quinze cents hommes à Palo, pouvant tim
encore, si Ton on avait besoin, trois ou quatre cents bommei
de Bracciano (3)..., qui marcheraient toute la nuit à Rome,
où M. l'ambassadeur aurait eu soin de former un* corps de sept
ou huit cents hommes qu*il peut armer des armes qui sont
dans son palais, et composés de sa famille, de pèlerins et autres
(i) Od fc rappelle que c*e8t un des principaux pension aaires du roi et cot-
reppondauts du secrétaire d'Etat des Affaires étrangères. Il servait d'aillecn
aux communications de Fa^nè^c avec la duchesse de Bracciano, qui chaDjCft
plus tard ce nom contre celui de princesse des Ursins. (Pomponne au cardi-
nal d'Estréos, 15 mar:^ 16'5. liume, 237, etc.)
(2) Le cardinal d'Estrécs avait des rapports suivis avec ces bandits qui
employait à toute espèce (reiitreprise. Voiri des lettres de ce prélat, qui moa-
trent à quris offices il n'avait pas bont» de de.-^ccndre : Ayant en avis aq:e
quelques mulets charjîés de piastres avaient passé par Floreuco et s'en allait dI
à llonic pour le compte de quelques Génois qui devaient les remtttre à Na-
ples, j'ai fait les dili;:ences que je devai:ssur cela... J'ai pris soin do faire av»r-
tir quelques gens f l'être alertes sur le jiassafje de celte voilure et de tâcher d'n
profil'fr, qu(»ique le prince de Gullioano a.-eure que cet argent va à la mon-
nuie de Saples, comme ou vu envoie souvent de GCues à Lyon, à cause d-^
cjTtaius profits que I03 iutére??«^s y font, et qu'il n'est pas destiné pour le< Ei-
pdf/nols. n — «Ceux qui devai«'nt envoyer les soixante mille piastres à Na-
ples l'ont (lilleré, craii^uaiit les bandits par terre et les vaisseaux de S. M. par
mer. lU ont voulu coiisuller auparavant leurs correspondants sur la rout''
qu*ils devaitmt prendre. \ous faisons tws dili-jences pour en tirer queh^nf
partit mais la conduite eu ««st diflirile, et je n'ose m'en rien j>romettre.
(Ke canlinnl il'Kî'lri'e* à Pi»m[)onne, liO Juillet et 1 août 16~o. Ilowe, 23;». —
Une lettre de Bourlenuuit nous îipprcud que cotte riche ]>roie échappa aux
bandits du cardinal d'Estréos : c Les Ksp-iiruols ayant fait feinte de fair»' voi-
turer parterre les cent mille écus qui leur avaient éié remis par des (ténoisi
Livourue, ils los ont fait embarquer serrètement sur des felouques arnuie*
au-dessous do lîomiî sur le Tibre, pour être ptirtis à (îaoto par mer. lA P<»tti-
ponuo, 14 août KH.*). Wowe, 2'^î».; — Voir enodre la lettre du cariliiial d'E-tri'iî
à Pomponne du 11 juillet 1C7V (Wowr, 2 <0) et toute sa correspondance dopni*
Ot'ltiî OpO(pii'.
(3) Palo et B.a-ciano appartenaient a la maison «les Orsini : Bracciano et
son lac, à 2G milles de Rome; Palo, sur le bord de, la mer, entre Fiumiciuo
et Civilà-Vecchia.
PROMOTION DU 27 MAI 167S 603
Français et de trois ou quatre cents Italiens dont on serait
sur en quatre heures de temps. Il faciliterait ainsi l'entrée aux
troupes qui viendraient de dehors : il se rendrait maître de quel-
que porte et de plusieurs postes; il menacerait do permettre
le pillage à la moindre apparence de résistance; il se saisirait
des papalins ; il ferait convoquer un consistofre, menaçant tous
les cardinaux qui ne s'y trouveraient pas (il n'y en aurait pas
trois ou quatre qui osassent manquer), et il ferait ensuite ou
priVer de son chapeau le cardinal Altieri, faisant informer con-
tre son gouvernement et dresser son procès en trois jours;...
ou bien il ferait priver de leurs chapeaux les six derniers car-
dinaux, remettant les papes à Tancien usage de no plus ré-
soudre les promotions sans les vœux, mais véritables et non
pas apparents, du sacré collège ; ou bien par une bulle il ferait
excéder le nombre des soixante-dix de trois ou quatre cardi-
naux, en cas qu'il voulût en faire accorder, outre ceux de Po-
logne et de France, au Portugal et à Venise, pour les engager
dansle même intérêt, etlestroupesserembarqueraientensuite
avec le cardinal Altieri, ou deux do ses parents, pour garants
des suites qui en pourraient arriver, et l'ambassadeur pourrait
s*embarquer ou non avec elles ; car, comme Allieri serait pris
ou éloigné, on ne penserait qu*à remplir son poste et non pas
à le venger. » — 5*» On peut encore faire enlever don Angelo ou
don Gasparo Altieri quand on les rencontrera seuls la nuit, et
« les traduire en France, en lieu de sûreté ». — 6" Envoyer
de l'argent comptant au duc d'Estrées qui ferait un aiïront
public au cardinal Altiefi ou à Tun de ses parents, puis se re-
tirerait et s'armerait dans Farnèse, et le roi enverrait à son
secours. — 7®Le roipourrait aussi exiger« quelessix cardinaux
no fussent pas reçus dans le collège, se déclarant de ne les vou-
loir pas reconnaître et réduisant le pape par négociation, au
lieu des voies de violence, à ne plus faire de promolioti que de
lamanière ancienne... » — 8*" « D'autres seraient encore d'avis
d'engager le cardinal Allieri dans un traité, par quelque canal
que ce pût être, comme sérail celui du cardinal;de Bonsy, à qui
Sa Majesté pourra l'ordonner expressément, ou se conPiant à
lui de ses véritables fins, ou bien ne s'en découvrant, soit
qu'elle envoyât ici ce cardinal, soit qu'il traitai son pacte des
604 CHAPITRE SIXIÈME
lieux où il se trouve; qu'ensuite on découvrit le traité sincè^
rcmcntaiix Espagnols, ou qu'on le leur fit pénétrer fioemol
et qn*on le perdit après d*un commun accord, donnant cd
exemple qu*on saurait fourbcr aussi bien qu'eux si on levoi-
lait, et qu'on peut punir un artifice par un second... » —«Ob
n'auraitjamaisfail, Monseigneur, si l'on voulait vousrediretont
ce que disent et pensent les diverses personnes de cette cour
qui concourent également à la nécessité do. soutenir l'ambas-
sadeur et do fournir un grand exemple. Ce sera à Sa Majeslé
de choisir ou d*cn marquer de meilleurs, et j'aurai toujours
rempli une faible partie de mon devoir en rendant compte a
Votre Excellence de tout ce que j'ai pu entendre ou penserde
cetle matière. »
Est-ce tout? Ce qu'on vient de lire est-il le dernier mol des
projets de vengeance que Ton agile au palais Farnèse? Non:
les amis du cardinal Altieri doivent être enveloppés dans ii
même proscription. Le cardinal Azzolino est soupçonné de
s'être opposé h la promotion réclamée par la France. On w
peut le séilniro; mais il doit être accessible à la penr. On re-
marque qu'il ménage aujourd'hui dos princes plus faibh^s dont
il contrariail autrefois les prélonlioiis : il a ét«* «c i^tin^nlé«a^^
donlo par les doux aocidonls qui arrivèrent au fou r.irdinil L'>
niolliui, son nioillcur ami, do mémo faction (1) et do n^èm-'
sontiinenl que lui (2). Pondant qu'il était Irosurior, feu Ma-
dame de Sav(MO ('i) lui fit tirer dans Rome, riMilranl danss-»r.
logis, quatre coups do mousqueton, parce qu'il en avait ma.
usé pour son ambassadeur; elle le fit moins pour lo tuorquo
pour lui faiie aliVout ou pour lui insiûror «h» la crainte. L'*ù:':
do Manlour lui on fit faire autant du depuis dans Bi^li^gne.
étant cardinal légal, par quarante maîtres qu'il y fit entrer en
plein jour, à dessi'in do le faire mourir dans uno procession
dont il s'absoula par hasard, en sorte qu'on ne put tirer quà
(I Ils apîiarli'iiah'M; t.ius «Imx à l'A'.v ml f»« vilani.
\1; (iiiiii-Jiirolaino LonicUiiii. tiôst>n«T j7»''iiL'raltio la Ch.-iïiiîiro, criV* cirii;:.'.
pnr limotM'iit X on Uy.vi, pui> U*j;at «lo Bt»In|:ii»', mort eu !C50, laissa une irmo-
rôputatiDU «If pi/'fô, <1«' jiisliro et tU» sévtiitc.
\.\, Christine de France, lîlle de Henri iV, roijcnle de Savoie an nom i-"
son fds Franeids-Hvacinlhr.
PROMOTION DU 27 MAI 1675 605
ses fenêtres au moment qu*il y parut. On ne propose pas ces
exemples, afin qu'ils soient imités, mais seulement pour faire
voir qu'on ne vient à bout de ces gens-ci qu'en les attaquant
personnellemenl, ce qui se peut faire de diverses manières et
sans nous écarter de nos coutumes. »
Louis XIV, qui n'avait pas encore pris une résolution défi-
nitive, écrivit à son ambassadeur (1) : « Afin de conformer vo-
ire conduite sur la mienne, mon intention est que, comme j'ai
interdit mes audiences au nonce de Sa Sainteté, vous vous
absteniez aussi de celles du pape; que vous témoigniez que
vous n'irez plus auprès de Sa Sainteté, à moins qu'elle vous
fasse témoigner qu'elle le désire, mais qu'alors vous vous
mettrez en état d'entendre ce qu'elle voudra vous dire; que
vous démêliez toujours la personne du pape de celle du cardi-
nal Altieri; que vous attribuiez à celui-ci seul la négligence
de satisfaire tous les princes dans l'affaire de leurs ambassa-
deurs, la fausse relation qu'il a fait répandre de votre audience^
et l'abus du pouvoir qu'il a sur l'esprit du pape en le portant
"à blesser toutes les couronnes iKins la piomotion qu'il vient
de faire. Je désire encore que, demeurant à Rome sans voir
le pape, vous visitiez en mon nom tout le sacré collège, mais
qu'alin de faire durer l'affaire plus longtemps, vous ne pres-
siez pas les visites que vous rendrez à cliaque cardinal en par-
ticulier. Vous leur parlerez à tous dans le même sens; vous
leur ferez voir combien est juste la mauvaise satisfaction que
j'ai du canlitial Allieri; que je ne puis attribuer qu'à lui
seul la conduite qu'il a inspirée au pape dans celte rencontre,
si opposée d'ailleurs aux justes et bonnes intentions de Sa
Sainteté. Vous pourrez appuyer sur le mauvais usage que l'on
ne voit que trop qu'il fait de l'autorité que le pape lui a don-
née; et, sans vous expliquer précisément que je veuille lui
faire éprouver mon ressentiment, insinuer toutefois le sujet
qu'il a de l'appréhonder... Cependant vous continuerez à lui
donner ces sortes de mortifications qui se pratiqutuit à Home,
soit en n'arrêtant point devant lui, soit en ne rendant à sa fa-
mille aucune des civilités qui sont en usage de la part des ani-
(I) lùjuiu 1613. Home, 238.
606 aiAPITRE SIXIÈME
bassadeurs. » Pour calmer l'ardeur désordonnée du cardiod
d'Estrées, le roi ajoutait (i) : « A Tégard de la personne à
pape, mon intention est que vous la sépariez toujours dumU'
vais usage que fait le cardinal Altieri de Tautorité qu'il loii
confiée et que, plus vous témoignerez le juste mécontent^
ment que j'ai de la conduite que le cardinal Altieri Ini a fui
tenir à mon égard, plus vous témoigniez qu'elle ne diminue
rien de mon respect et de ma vénération pour le chef ée
TËglise. »
Mais, lorsque cette dépêche parvint à Rome, le duc d'Es-
trées n'était pas en état de la comprendre ni même de la lire.
Peu de temps après le 21 mai et pendant qu*il insultait à la
vieillesse du pape, un mal mystérieux abattit sa 6erté et mit
sa vie dans un extrême péril. Le cardinal d*£strées ne s'expli-
que pas sur les causes de l'étrange mélancolie qui envahit
tout à coup son frère; mais un familier de Farnëse^ Tabbê
^rvient, est moins réservé. On avait parlé d*empoisonnemeiit;
mais Servient, après avoir affirmé qu'il n'y en a pas « le moia-
dre signe », s'ouvre à Pacliau et à Pomponne « dans leur se-
cret ordinaire. » Le duc, dit-il, mène une vie trop retirée,
trop contrainte; il a trop d'affaires et elles sont trop « épi-
neuses. » — « De plus, quelque soin que j'aie tâché d'en
prendre depuis la promotion jusqu'au jour où il tomba malade.
(1) <« Quoique le roi fût très mécouteut de la proinotiou, il troava qa'il était
de trop graude const-qucuce d'employer des iiioyeus gtie le cardinal (TEttnti
avait juffr quon pouvait prendre pour marquer sou ressentimeut, comme d?
faire agir la Sorboiiue et rassembli'e du clergé, d'appuyer sur la faiblesse du
pape et d.; faire couuaitre qu'il s'était en elTet dépouillé du gouvememeut
de rEglise lor*«iu'il eu avait remis tout le soin au cardiual Altieri, qui abu-
sait lie ï=a facilité. 11 ne voulut point non plus prendre le parti de la protes-
tation contre la proun)tii»n qui venait d'être faite et qui apparteuait de droit
aux couronnes, parce que les suites de cette protestatiou auraient pu ctr?
fort jzraudcs, niéin»; dans un conclave, et qu'outre cela l'Empereur et rEfp'i-
gne trainssoicnt leurs infrréts^ et qu'il n était pat assuré que la Polognt ft
Vfni.'ie porlassf^ut ie.x choms avec toute la fermeté qui serait uêcessaire. Euiit
il jugea que Itiitreprise que te cardinal dEslrces lui avait conseillé de faire
sur la terre dOriole, qui appartient au c.iniinal Altieri, requérait du leiup5
et de l'applieation, et ainsi coùl.-r.iit trop, si elle dêtourniit les vaisseaux -t
les ira'ères de S. M. lie l'aetion plus importante à laquelle olles étaient oivn-
pics II Mes^iue. S. M. voulut di»nc (pie toute sou indiguatiou touiljàt ^ur !-•
cardinal Altieri en même temps qu'elle professerait sou re.f/M^ct oriiin.i.ri
pour le chef de l'Kg'.ise. <• {Ana/f^fe de Stiint-I*rét. Séfjociations di Rum^, t'j.
MALADIE DU DUC d'eSTHÉES 607
il ne fut jamais à mon pouvoir de dissiper un peu le profond
chagrin auquel il s'abandonna, qui parut à tout le monde et
donl je crois vous avoir écrit. .. Les motifs principaux de son
chagrin... ont été la colère et quelque honte de se voir pcrfi-
dément trompé parle palais et par les autres ambassadeurs et
nommément par celui d*Ëspagne, ce qu'on lui avait prédit
plusieurs fois contre son opinion; la perte de deux chapeaux
pour le roi, et surtout celui de M. de Marseille, dont Taffaire
est plus douteuse et plus difficile et pour lequel il a plus d'a-
mitié; la crainte que ses ennemis ne lui donnassent à dos en
France (1); celle d*y être rappelé brusquement, ce qui parais-
sait naturel par l'interruption de son commerce avec le pape
qu'il n'avait pu éviter en cette occasion comme il l'avait fait
en toutes les autres; et ce point en particulier l'embarrassait
étrangement, parce que, h vous parler entre nous, il se trouve
chargé de 30,000 écus romains de dettes en celte ville, et qu'il
ne voyait aucun moyen d'en sortir honnêtement dans un rap-
pel aussi précipité que celui qu'il prévoyait. Ce point est digne
de beaucoup de réflexions, surtout s'il venait quelque autre
occasion, dans la suite, do le rappeler. 11 fut encore agité de
divers avis qu'il reçut d'Italie qu'on avait écrit du palais qu'il
était excommunié; car il a véritablement de la piété; il crut
avoir embarrassé Sa Majesté dans une afTaire difficile pendant
la guerre; et enfin la remarque que Maucini (2) ne relournait
pas, se joignant à Tavis anticipé que M. de Gomont (3) lui
donna de son arrivée ici, dans le temps même qu'étant aussi
donné de Florence h divers particuliers et fournissant au pa-
lais l'occasion de publier que c'était une marque assurée de
son rappel, acheva de le mettre dans l'état où il s'est trouvé
depuis, puisqu'il tomba malade le même soir que M. de Go-
mont fut arrivé, m'en ayant parlé plus de deux heures le jour
qu'on l'attendait, et ensuite le premier jour de son arrivée.
(1) Il eut bientôt la mort ification de u\'*\vv. pas compris duuB la promotion
den liuit marérliaux qui fnroiil la monnaie de Al. de Turenne. (Servicut à Pa-
cUau, 22 août lôl.'i. Honie, 2'M).)
(2) Courrier du rui« qui avait porté ca Fraucc la priMuièrc relatiuu du
21 uiai.
(3) A^cut (lu roi daiiâ plu^it•ur8 cniirs ilalieuiics.
608 CHAPITRE SIXIÈXE
II a toujours cru d'en mourir et le croit encore : il n'a parlé
dans ses délires que des jugements de Dieu, et on v a dis-
tingué beaucoup de piété, mais aussi une forte impression qae
lê bruit de celle cxcimmunicalion supposée avait faile dam
son espril 1]. » Los Romains remarquèrent avec surpris*
qu'au plus furt du danger et lorsque l'ambassadeur avait déjà
deux fois rei^u la communion .'2), personne ne sollicitai pîmr
lui la bénédiction apostolique. L'orgueil g-allican s'v était op-
posé : « Je rroyais. dit Tabbé de Bourlemont, qu'il îfallailctre
d'autant plus réservé à ne pas envoyer demander cette béné-
diction bur^ de temps eî avec précipitation , que cela donne-
rait îiujei d'augmenter les bruits impertinents que sèment les
ennemis de M. l'ambassadeur, comme si, à son audience, il
avait encouru Texcommunication et que Ton se pressait do k
faire rebénir au commfnoemenl de sa maladie .3,. »
Le cardinal d'Eslrées chercha dans cet événement une oc-
casion d'irriter le roi contre le pape, mais il fut bientôt obligé
de se rétracter : Clément X témoigna un vif intérêt au duc^qui
lui dut vraiment sa ^^uérison {i). « On tint des Cons^ré^^ation?
(1 [1 j.ii.:.;! \û',:\, /^w •>, '1')),
qui p.-'t-ùt ii'if lo ■Mniia.i'i T.t.l «au.i r.»v,iii oiiv.iyô qu/rir p.^ur lui «liiv q.ie IV-J
av.ût a^iprÏTi .111 palai- q;:'o:i t^i,ut tl'.'Htn^ à Fani»><e «K* ce i]ue l'ou u'\ a\jil
r.;oti aiK'i;;ii' oivlî'.tO .Ir^ la part ilii papo diu? cr.'tle oocasiou ; mais qiioii èt;^l
eiir.»r«' p •.;:i <iitpîi? .lU pii:ii>, d-.' Cl' qae M. rainlhis^adcur Otaut à IVxtri-Ujité
et s'tlant inùai-' «•■•:iiimi:jic denv f'i>, il n'avait pa< oiivo\v dom.iïuI»»r, s- Io:i t
coîiluiii'.', 1.1 l)'':i-''ii'.-li'>:i «io S. S ; qu'il n'avait ri.?u rOpoudii; «ju'îl uie pririiî
d'en dtiuurr avi> à S. E. i.t do lui marquer tv qu'il avait d f.nre. J'ous ordre
de lui ri'pv'n-lr ■ do '.^ouch-.' et eu peu de uMts que la béujJîclion ne »e ài-
mandiit qa'i rai:»:iie. «e qui est véritable: que M. l'ambassadeur u'v vialt
paii eucor.-; •lu'on n'avait pu découvrir aucun étouuemeut daos Karnt'se »;:r
quoi i\-w c: piii •'l:v, mais «pie ce soupç«^n du palais était «a? preuve qu'i s
u't-taicut la- eu\-mèin -> eo:ite[its df liiir propre coaduite. »
(3 A Pomponne, 10 jiiill.-t. /îo?h*-, îî:J'J.
{t) i Le? c ir<iinaux*larlo B.u'heiiui^ et Cybo m'ont fait dire qu'il leur --arlji Je
la faute •]•' '.non frèr.^ et î-.iir en «l'-Muau la «ic? nouvt.-lîesavec un empressemi^nt
et uu'.^ annti? qui le* surprit... L»' résident de Savoie, qui eut audii-uoe voi.-
dredi de la ,-euniu' pa^fée, m'a dit que S. S. lui en parla avec l-eaucoi^p <i?
déplaisir «t d»^? sentiin -ntî d'estime, ajouiaut qu'il s'ctaii piss:- ^jui-^^-i^
petile c7i' vse //.;//> iit:r aiuLcfict\ mais que cela n'avait pas altéré la bonu-* vo-
lonté quil a\ait pour lui et u emprchait pas qu'il ne le counût pour un hou-
uète homme. « Le cardinal d'Estré- s à Pomponne, 12 juillet i67o, avec uo^i-
scripium du U. Home, '2o0.,
MALADIE DU DUC d'eSTRÉBS 609
allais pour savoir si le pape envoyerait savoir Tétat de sa
ë, et il fut conclu que, sous prétexte (1) que celui que Sa
ileté envoyerait au palais Farnôse n y serait peut-être pas
ireçUy le pape ne laissât pas de consentir que le chevalier
ri, qui était prisonnier à Tlnquisition, vint traiter le duc
Urées (2), et qu'il demeurât même au palais Farnëse tant
l serait nécessaire pour la santé de ce duc, lequel il gué-
par ses remèdes (3). Cependant il lui demeura une telle
ancolie dans Tesprit (4) et il fut si longtemps à se rétablir
fl fut près de huit mois sans pouvoir vaquer aux affaires,
demeurèrent cependant sous la direction du cardinal d*Es-
8 (5). »
Le prétexte était une excellpDte raison^ quand on connaissait la violence
ferdiual d*Esirées.
L'ambassadeur est daus le dixi6:ne jour d'une fièvre maligne : « M. le
mal d*Estrées ayant obtenu de tirer le Borri des prisons de l'Inquisition
assister à M. l'ambassadeur, ou remarque qu'il a beuncoup mélioré de-
les remèdes qu'il a faits. » (Bourlcmout à Pomponne, 3 juillet 1675.
?, 239.)
François Borri, qui a laissé une réputation jui^tem^^nt flétrie pour la
avation de ses mœurs, le scandale de ses aventures, le carat^tère pcrni-
c de ses écrits, était un chimiste savant et un médecin fort hibile : ou
re un abrégé de son histoirr', dans les Discours histoHqnes do Cantu,
aits sons le titre de : Les hérétiques d' Italie, par A. Digard, t. IV, pp. 431
lïr.
m Son chagrin t't ses inquiétudes ua se passent point. » (Bourlemont à
ponne, 21 août 1675. Romej 239.) «... U lui reste toujours, disait Servient
mélancolie qui m'inquiète fort, couiui? n'étant guère propre à l'état pré-
des affaires. » C<.'t abbé répétait que les causes eu étaient la crainte
•e rappelé sans pouvoir payer ses dettes et '< l'allaire présente avec .VI-
. 9 (22 août et 5 octobre IG75. Rome, 2JU et 2i0.)
Anahjse de Saint-Prét. Séifociations rfe Rome, 2:î.
^IT BT LB SAi:(T-BlèOB. — H. 33
CHAPITRE SEPTIÈME
FIN DU PONTIFICAT DE CLÉMENT X. POLITIQUE VIGILANTE, GÉNÉ-
REUSE, IMPARTIALE DE CE PAPE. DANGERS DE L'eUROPE. PRÉSAGES
DES LUTTES QUE LOUIS XIV ENGAGERA CONTRE LE SAINT-SIÊCI
SOUS LE PONTIFICAT SUIVANT. 1675-1676.
Jubilé de 167} : bref à Louis XIV. — Canoiiisalion <lo saiat Pio V. — Progrès an réktrmai
Homo. Dée.ii<*nc«} du népotisme : los princot cherchent à le relever. Offres teoilcs éi
Louis \IV au cardiiiil Altieri. L'nioa du sacré colley et des familles punliûcalcs. FonM-
tiun du parti des Zelanti. DisorMit croissant des factions nationales, et en particulier d-^li
faction française : les cardinaux Maidalchini, Orsinj, de Bouillon, de Bon»j, Griouliii. \k-
nii<)sion du cardinil de Helz refusée par le pape. Barons romains achetés par le roi : ài^'J
do la princesse des Ursins à Home. — Affaires générales de l'Europe : négociations oarer»
par Cément X pour le rétabli Ksemcnt d-j U paix entre la France et la maison d'AatrùÀ.
Trogrès do^* Turcs : l'Italie mcme est menacée. Louis XIV détourne Sobieski de repreeiR
les armes contre la Porte. Ambassade de M. de Nointel à Consiontinople. Ce qail jià»
vrai sur la protection des Lieux saints par Louis XIV. Progrès incessants des Grecs. Adai-
rablc peinture des religieux latins de Terre sainte. Nointel adjure Louis XIV de prendra u
moins la défense de la chrétienté contre les infidèles. Le roi répond pir l'ordre de prf»*»* U
conclusion delà paix entre Sobieski et le sultan. — Nouvelle caus« d'alarme pojr C'émcsil:
le palais Farnèse devient le foyer des conspirations fomentées par le cardinal d'Estrées «U»
les D<!ux-Siciles, fief du saint-!<ièg<>. Asile donné par l'ambissadear franç-iis aux rebelles et
bandits napolitains : MM. d'Hslrées se vantent de leur donner Us meilleures mitftonf dt ri'
volte. Déloyauté et cruauté de Louis XIV envers les rebelles. — bfTurls inceiSAnti àc Cle-
m<^nt X pour favoriser l'alliance des chrétiens contre le Turc et pour écarter la guerre de
ritalit*. Brefs à Louis XIV. Préparatifs du Congrès de Nimègue. La médiation poniiric-.k e«:
«►stensiblemenl acceptée par le roi de France, mais il travaille secrèlemeut à la r.'ndr* ioeî-
licace. Un m »is avant sa mjrt, Clément X supplie encore Louis XIV de couseulir à «a
armistice : le roi répond que xcs actions n'ont jamais tendu qu'au repos de la c A »■<'»• iV i f-?- —
Maladie et mort do Clément X. InJigne conduite du cardinal d'Lstrées. Sinistres préiafi^ de
ce que seront les rapports de la cojroanc de France et du saint-siège, sous le pontificat mi*
vant.
Tout Rome avait fini par s'émouvoir de ces querelles inces-
santes que provoquait l'ambassade de France, et Ton s'indi-
gnait surtout que MM. d'Eslrées n'eussent pas fait trêve à ces
scandales pendant le jubilé, en présence des pèlerins accourus
en foule de toute la chrétienté. Le pape, en effet, avait récem-
ment publié une indulgence plénière, dont une condition éîail
de visiter le tombeau des saints apôtres pendant l'année 16T3.
11 avait pressé Louis XIV, dans les termes les plus lou-
chants (1), de donner aux princes et aux peuples cet exemple
(1) 23 octobre 4674. Rome, 232 : » Carissimo, etc. Suprema hœc orlhodoxi
religioDis regia, qum triumphatores orbis terraruin ad sacros apostoloruio
JUBILÉ DE 1675 611
de piété, qui aurait exercé sans doute sur le roi lui-même et
sur le royaume une heureuse influence, et rompu peut-êlreces
barrières que les défiances gallicanes dressaient entre la Franco
elle saint'siège. Mais Tinvilation fut déclinée : « Très Saint-
Père, répondit Louis XIV, nous avons reçu, avec toute la
reconnaissance que vous devez attendre de notre vénération
pour Votre Sainteté, la part que vous nous avez donnée de
l'ouverture que vous étiez sur le point de faire de Tannée
sainte. Nous nous sentons extrêmement redevable à Votre Béa-
titude de Taffection tendre et si paternelle avec laquelle elle
nous invite à venir prendre part aux trésors que rÉglisc va
ouvrir et répandre à Rome avec tant d'abondance; mais^ comme
nous ne pouvons par nous même profiter de cet avantage, nous
recevons avec une satisfaction respectueuse lesassurances que
Votre Sainteté nous donne d'étendre jusques à nous ses
prières dans une si sainte occasion, et nous nous promettons
qu'elles nous attireront les bénédictions divines qui nous sont
nécessaires et pour notre personne et pour le bien de notre
État. Cependant nous favoriserons autant qu'il sera en nous le
cineres recolendos in geuua rccumbere non scniel vidil, iMRJeslatem qnoque
Tuam, qaam heroes iuterjure merilo receuset œtas, eadem vesiigia prenien-
tem ceniere impense cuperet. Quainvis ilaquc, nostrorum prnedecessoruni mo-
rern secuti, anuum sanctiim rite iudiierimus, atque ad euindem unaniinitcr
in Domiuo c«^l«braudum univer!?am christianain rempublicatii ac Majesla-
tem proinde Tuam^ a quà cximiuui eadem oruamcntum sumit, invilaverimuSy
peculiaribiis uibilomiuus bisce pateruie caritatis nostnr sigoificatiouibus te,
carissimum lu Cbristo filium nostruoi, ad taiu prcTciarain solcmuitateiu no-
minatim advocandum duximus, quà te ipso major^ io boc nalionuin omnium
theatro anteactis longe rel!»iored pielati tu;p triumphos val as ejcciare. Quod
si regui tui ratioues tanto nos frui solatio, Urbisquc vola impleri non siueut,
in te uibilominus fuerit ingens desiderium tui religioso supplemculocompeu-
sarc. Sacrorum enim prsDsulum operam ad lier Cfiristifiddibus adeo sa/utare
sufcipi'ndum créditas sibi oves adbortantiuni regid ubi aulhoritate juveriSt
luis ubi in diliouibUA obvia peregrinanlibus hospilia patefieri, facilcsque ci*-
dem ac tutas vias parari mandaveris, interfuiàsc cnimvcro lantie festivi-
tati reputaberis, ac glorioAd de te prccdicabuntur in boc sauctuario Domini
et templo sancto ejuâ. Age itaque, carissime fili, aunuin pra; ciptcris ab
Ecclcsià c«Tle8'ium donorum elargitioue insiguitum, eximiis quoque Tu prx
munificcnti.'P dorumcutiâ illustra, utque factorum excfllentià mortalium Tibi
plausus concilias, cbristianaruni ita virtutum prœsliintià Cœlilù'n sutTragia
magis magisquc promereare. Sensus nostros ab npostolico nuntio uberius ac«
ceperit Majestas Tua^ cui a bonorum omnium authorc Dco prospt>ra cuucta
intérim precamur atque amantissime bcuedicimus. Datum, etc. »
612 CHAPITRE SEPTIÈME
zèle de tous les peuples chrétiens et particulièrement celui de
nos sujets que cetle année pleine de grâces appellera aux pieds
de Votre Sainteté et au tonnbeau des saints apôtres. » Les com-
munications des Français avec Rome étant de jour en jour pins
étroitement surveillées et gênées par le roi, notre pays n'en-
voya que peu de visiteurs à la Confession de Saint-Pierre, elle
jubilé parattn*avoirété considéré, aupalais Farnëse, quecomme
une occasion ce d'introduire une quantité de bandits habillés
en pëlerinSy ce qui serait fort facile pendant Tannée sainte »,
pour « brûlerie palais du cardinal Altieri... et enlever ceux ou
celles de sa parenté qui tomberaient entre leurs mains (1)! «
Clément X ne négligeait rien pour entretenir et renouveler
la ferveur religieuse des peuples. 11 avait placé sur les autels
un grand nombre de saints, et, parmi eux, son prédécesseur
saint Pie V. Il est à remarquer que Louis XIV avait sollicité
lui-même la canonisation de ce pape, en qui Tallié de Maho-
met IV aurait vu un ennemi do sa couronne, s*ils eussent vécu
dans le même temps (2). Clément X espérait que le culte pu-
blic décerné à ce grand pape réveillerait en Europe, avec le
zèle pour la pureté de la foi, Tesprit militaire qui avait animé
les vainqueurs de Lépante (3).
(1) Mémoire de l'abbé Servieut du 19 juia 1675, déjà cité. Rome, 239.
(2) La lettre du roi est iutéressaute : elle a été publiée daus la i te de sainl
Pie Vf par M. de Falloux, élit, iu-12. Elle est du icr fêvriiT 1671. nom? 2«/3.
(li) Louis XIV reçut les remerciemeuts du maître général des frères l'ri-
cheurs, Jeau-Thomas de Roccaberti, futur archevêque de Valence, qui com-
battra un jour la Déclaration de 1682 et dout Bossuet dénoncera les écrits au
roi et au Parlement de Paris! « V. M., disait le savant religieux, ayant eu la
bouté d'eutremeltrc son autorité royale pour la béatiûcatiou du pape Pie V,
à la très humble prière que je lui en avais faite, il est bien juste que je lui
fasse savoir qu'elle a été accordée par notre Saint-Père le pape, et qu'elle fut
solennisée eu cette ville et dans l'église de Saint-Pierre, dimanche dernier.
Tout mon ordre, qui est intéressé en la gloire de ce saint homme, demeure
très redevable à V. M. de ce qu'elle a contribué à l'accoinplissemeut de ce
qu'il désirait depuis si longtemps, et je n'ai pas manqué de demandera Dieu,
par les mérites et les intercessions de ce bieuheureux, l'accomplissemeot de
vos souhaits, la conservation de votre personne sacrée, de "Slsr le daupbiu.
et de toute votre maisou royale. J'espère que ce serviteur de Dieu qui, pen-
dant le cours de sa vie mortelle, avait de si grandes tendresses pour vutre
monarchie, ne l'oubliera pas dans l'état de sa gloire, et qu'il obtiendra pour
votre royaume toutes les bénédictions du ciel. Je le sonhaite de tout mon
cœur et suis avec un profond respect, etc.. » (3 mai 1672. Rome, 220.)
DÉCADENCE DU NÉPOTISME 613
Malgré de funestes préventions, il arrivait encore que la
royauté fût forcée par l'opinion publique de recourir au saint-
siège pour rassurer les consciences; et les mœurs chrétiennes
se conservaient même au sein des armées, qu'assistaient tou-
jours des religieux et principalement les Récollets. Pom-
ponne écrivait au duc d'Estrées : « Nous avons vu pendant les
dernières campagnes que Ton a été obligé de permettre do
manger de la viande dans les armées, parce que l'on n y trou-
vait pas du poisson pour tout le monde ; mais, comme bien des
officiers et soldats ne laissent pas d'user de cette permission
avec quelque scrupule, Sa Majesté désire. Monsieur, que vous
en demandiez en son nom une bulle à Sa Sainteté pour éten-
dre celle de Clément VI (i). »
Clément X se souvenait, et personne en Europe n'oubliait
qu'un de ses prédécesseurs avait élé médiateur au Congrès de
Westphaiie. A peine la guerre s'était-elle rallumée entre la
France et la maison d'Autriche qu'il avait offert ses bons of-
fices aux trois cours catholiques. Mais Louis XIV espérait
récarter du congrès futur en Toccupant chez lui par une diver-
sion, et c'est dans cette pensée qu'il avait favorisé la coalition
des quatre ambassadeurs contre Altieri. Les courtisans de
Louis XIV ne se gênaient pas pour dire autour de lui : « C'est
une chose fort extraordinaire de voir les principaux potentats
de la chrétienté, en guerre entre eux, se réunir à Rome con-
tre le père commun (2). » L'artifice si souvent pratiqué par
Mazarin et par Lionne de combattre le saint-siège, en ne pa-
raissant attaquer que les neveux ou les ministres des pontifes
régnants, était depuis longtemps décrié et avait perdu toute
efficacité. Servient écrivait à Pomponne (3) : « Le pape, qu'il
ne faut plus distinguer d'Allieri, du palais, de l'Escadron et
de la reine de Suède, qui ne sont qu'une même chose et agis-
sent d'un même esprit, est vain qu'on le sépare du cardinal
Altieri, comme ce dernier l'en avait assuré, suivant l'ancienne
maxime de feu M. de Lionne de distinguer le pape et le saint-
siège d'avec les neveux. Cette séparation un peu métaphysi-
(1) 31 mars 1673. Rome, 223.
(2) Lettres historiques de Pellisson : 15 janvier 1675, de Soiat-Germaio.
(3) 19 septembre 1675. /{orne, 240.
614 CHAPITRE SEPTIÈME
que peut (^tre néanmoins excellente en de certaines occaaioDs-
mais elle peut être si pernicieuse en d'autres, qu*OQ peut, en 11
suivant, se trouver insensiblement dans la nécessité d'envoyer
des troupes, comme sur i*aiïaire de M. de Créquy, si on n'arrête
de bonne heure le cours des nouveaux incidents que la tolé-
rance des princes ne manque pas ordinairement d'attirer, ao
moins en cette cour. » Mais la cour de France, qui avait es-
péré opposer le sacré collèire au pape et au cardinaUneven,
no réussit qu*à désunir la faction française. Les famille papi-
los, au lieu de former des cabales hostiles, associaient leurs
forces en vue des futurs conclaves, pour mieux résister aux
intrigues des princes. On a vu plus haut les titres personnel»
des cardinaux déclarés dans le consistoire du 27 mai. L'abbé
deBourlemont, au travers de ses jugements passionnés, nous
révèle que celte promotion avait été le sceau de I*alliance con-
clue entre plusieurs factions par la sagesse de Clément X. Il
écrivait à Pomponne (i) : « Le cardinal Altieri a présentement
quinze cardinaux créatures et ses factionnaires, de vingt que
le pape a faits. Le cardinal Chigi n'en a guère plus à sa dispo-
sition. Ceux qui ont manipulé celte dernière promotion n*ont
pas manqué d y comprendre des sujets que désiraient Barbe-
rin [2) ol Chigi, dont est le cardinal confesseur, quo Barberin
demandait avec passion et pour lequel il avait fait des ins-
tances, sous le dernier pontificat : Taulre est le cardinal Ma-
rcscotti, dont le frère est maître de chambre du cardinal Chigi.
qui tî\che de Tavancer. L'on a même voulu que le peuple de
Home s'imaginât qu'il avail été favorisé en celte promotion;
car Ton fait sonner bien haut que, de six cardinaux, il y en a
quatre de Romains qui sont Rocci, Crescentio, Spada et Ma-
rescotli. »
Di'puis Innocent X, le népotisme se renfermait dans se»
bornes légilimos. et c'est do l'Église même qu'était vomie
cotte réforme. Los princes, ol le roi de France surtout, décla-
maient souvent contre los anciens abus, mais ils ne cessaient
pas d'on souhailor ni d'en provoquer secrètement le retour.
Nous avons dit quels pièges avaient été tendus inutilement
(1) 29 mai 1675. Rome, 238.
(2} Frauçois liarberiui, uevou d'Urbain Vlll et doyen da sacré collège.
r.f
DÉCADE>XK DU .NÉPOTISME 615
jusqu'alors par Louis XIV aux parents d'Alexandre VII et de
ses successeurs. L*abbé Servicnt rappela un jour à Pomponne,
en termes curieux, la théorie qu'il avait entendu professer par
le prédécesseur de ce ministre : « Un pape sans parents, écri-
vait-il, pourrait être utile à TÉglise; mais s'il était entier et
obstiné, il serait impraticable pour les couronnes, et il fau-
drait que les nations étrangères et les ambassadeurs s'atten-
dissent dans Rome à bien des changements désagréables. Le
népotisme est la ruine des peuples, il est vrai (i), mais c*estlc
fondement véritable de la faiblesse des papes et de la puissance
des princes de la chrétienté et surtoutdes deux couronnes (2). »
Aussi Louis XIV ne renonçait-il pas à Tespoir de suborner le
cardinal Allieri. Au moment où MM. d*Estrées s*étaient van-
tés, sans raison, de le faire écarter du gouvernement^ Pom-
(1) NoD, cela n*est pas vrai : les écrivaius les moins suspects de partialité
envers l'Église, eu parieut autrement, pourvu qu'ils soient de bonne foi et
bien informés : « Ces riches domaines, ces apanages princiers tant à la ville
que dans les provinces, ces grands ûefs octroyés par les souverains pontifes à
leurs neveux, ont non seulement profité aux arts, mais à la civilisation, à la
técarité publique, à l'instruction, au mouvement des cité?. Lorsqu'on déclame
contre le népotisme de ces souverains, on oublie que des charges, que des
servitudes assumées par leurs familles étaient les conditions onéreuses des
donations et vestitures. Un personnage curule ainsi pourvu et astreia^ se
voyait tenu de fonder une église, un couvent, un hôpital, des bàtimeiAs de
lervlce, des fermes, des collèges et de mettre son luxe, ses livres, ses jardins
À la disposition du peuplp. Il Fubissait l'obligation i!e subventionner un
personnel, d'assumer pour un quartier de la ville les dépenses de l'édilité,
d'y exercer la police par ses agents, de payer jusqu'aux médecins et apo-
thicaires pour les employés et les moindres serviteurs. Dans ses domaines de
campagne, le seigneur devait créer ou tutrfteuir les routes, pratiquer les
canaux ou les endiguemcnts, aménager le sol tt bâtir des chapelles... Puis-
santes, mais responsables, engagées féodaicment envers le pape et ses suc-
cesseurs, ces seigneuries formaient autant de riches intendances. On avait là,
dans la terre par excellence des hiérarchies, des gouverneurs héréditaires et
aucune prescription ne les a jusqu'ici libérés. Rappelons-nous qu'en quittant
Avignon les souverains pontifes ne retrouvèrent à Home que dix-sept mille
âmes éparses dans des masures : c'est par l'entremise des parents à qui ils
léguaient leurs intentions avec leurs trésors que les papes ont tout recons-
titué. Tel est le poids des obligations qui pèsent encore à titre héréditaire
»ur quantité d'apanages qu'tn 18i8, quelques drlentours appauvris, n'y
pouvant plus suffire, avaient espéré que la Uévolnlion les di-gagerait de
leurs redevances féodales, en les laissant dnns leurs immeubles comme de
simples propriétaires. Tel est le motif inavoué qui a jeté dans l'opposiUou
plus d'un prince romain. » (Francis Wey, fiome, pp. 2k6 et suiv., 1812.)
(3) 9 septembre 1676. Home, 240,
616 CHAPITRE SEPTIÈME
ponne écrivait : « Ce que Sa Majesté jugerait plus à propa
sur ce poial serait que, s*il y avait quelque jour à la disgrlttl
de ce cardinal, vous lui facilitassiez les moyens de s'engam-
lir, pourvu qu'il fit les choses que Sa Majesté désire éi
lui (1). » — Le roi répétait (2) : « En même temps qne je
vous ordonne de parler avec cette force lorsque le cardinil
Altieri ne se rendra pas raisonnable, je vous renouvelle les
ordres que je vous ai donnés de lui faire paraître sous mûi
de la facilité à rentrer dans mes bonnes grâces, lorsqu'il ei
apportera aux affaires qui me peuvent plaire davantage.*
Après Taudience du 21 mai, le duc d^Estrées conseillait au roi
d'acheter le cardinal-padrone; de lui promettre la protectioA
de France et une abbaye pour lui-même, avec un titre de duc
et pair pour son neveu : « On pourrait encore, disait-il, le flat-
ter d'une charge de général d'une escadre de galères, et même
d*une souveraineté pour sa maison dans les conquêtes que le
roi et le pape pourraient faire aux dépens des Espagnols ou des
Génois (3). » Le môme jour (4), Servient développait le même
plan, qui avait clé tracé par Lionne dans les instructions rédi-
gées pour le duc de Chaulnes (5), et qui servait de texte aui
onlrelions do Farnèso; il écrivait à la cour : a Un neveu ambi-
tieux )î partagerait Tllalie entre le roi et le saint-siège : « car,
se liguant avec la France, puisqu'on ne peut l'agrandir qu'aui
dépens de l'Espagne et des Génois, et qu'il est difficile de les
séparer, il pourrait faire banqueroute aux derniers, par une
rupture facile à faire uaître au sujet de Tlnquisition, cl, par
ce moyen, acquitter tout d'un coup la Chambre apostolique de
(1) Au cardiual d'Estrécs, 18 janvier 1675. Rome^ 236.
(2) Au duc, 15 février 1675. flowe, 236.
(3) 19 juiû 1675. Home, 239.
(4) Rome, 230.
{f}) «... Les royaumes des Deux-Siciles sout grands, et S. M. ne ferjit au-
cune difficitllé dy donner aux neveux du pape un État souverain^ qu'ils re-
coimaitraieiit d'elle en arrièrc-Gcf... Si ... S. S. désirait de rtfi/rtir au sainlsiègi
quelque petite portion du royaume de tapies, comme la province des
Abruzzes et quelques autres terres contiguës à l'État ecclésiastique et qui
seraient le plus à sa bienséance, S. M, ne ferait non plus aucune difficulté
d'en demeurer d'accord. » (10 mai 1666. Hanotaux, Recueil des Instructions
aux ambassadeurs, vol. VI. Rome, t. I, p. 210.) V. plus haut, chap. xiii du
livre I«',
DISCRÉDIT DE LA FACTION FRANÇAISE 617
A presque vingt millions dans les délies dont elle paie les inté-
rêls à celle nation, en quoi les ducs de Savoie et de Parme se-
: raient favorables, si on leur laissait étendre leurs frontières
; aux dépens de cette république. Le roi se réserverait les ports
et les villes principales, et pourrait élever à la souveraineté
de rile de Corse le neveu d*un pape qui serait son allié dans
une semblable entreprise; d'ailleurs ce môme neveu pourrait
agrandir TÉlat ecclésiastique du côté des frontières du
royaume de Naples, et s'acquérir la gloire d'avoir contribué à
bannir les Espagnols d'Italie et à détruire les Génois, qui sont
au fond regardés du reste des princes dllalie comme les
sangsues qui s'attirent tout lecommerceàleurpréjudice,etc... »
La majorité du sacré collège défendit sa liberté contre les
eCTorts des princes. Le parti des Indépendants, constitué sous
le pontificat d'Innocent X, avait vu presque tous ses membres
emportés par la mort; mais leur esprit survivait, et suscita,
sous le règne de Clément X, un nouvel Escadron, voué, dès
son origine, au ressentiment de la cour de France. L'abbé
Servient en écrivit à Pomponne : « Ce corps ou escadron,
comme ils le nomment déjà, de zelantiy bien qu'il ne com-
mence qu'à se former, est composé de têtes pour la plupart
accusées d'inquiétude et de hardiesse; ils parlent, au com-
mencement, avec le respect qu'ils doivent aux couronnes;
mais, quand ils pourront s'assurer les uns des autres, il est
fort douteux qu'ils continuent dans celte juste déférence. Il
en est de ces corps comme d'un pape sans népotisme. Un
chef de faction peut être attaqué par vingt endroits, et
aura toujours mille égards. Un corps de zélés n'en a
point (1)... »
Pendant que celle heureuse union s'établissait entre les fa-
milles ponliPicales^ les partis nationaux perdaient chaque jour
de leur considération. Les cours de Vienne et de Madrid ne
pouvaient s'en prendre qu'à la médiocrité des sujets qu'elles
proposaient pour le cardinalat, et la faction du roi n'avait pas
le crédit qu'elle aurait obtenu, si elle avait représenté fidèle"
ment la meilleure partie du clergé français. Le cardinal Mai-
(1) 9 septembre 1676. Rome, 246.
618 GHAPITRB SCPTiftXK
dalchini était toujours décrié pour ses mœurs (1). Le cardinl
Orsino, criblé do dettes comme tous les membres de sa nui*
son» allait bientôt terminer une vie qu'il aurait dû rendre pin
digne de sa naissance (2). Les cardinaux de Bouillon etdi
Bonsy, peu connus^ ne méritaient d*ètre comparés quus
moins estimés de leurs collègues. Le cardinal de Retz, suppor-
tant sa disgrâce avec impatience, venait de rappeler TattenlioD
publique sur sa personne par une résolution dont les vrais
motifs sont encore ignorés. Il s*élait démis du cardinalat, eo
annonçant le projet de vivre désormais en simple moine dus
un couvent. Nous savons aujourd'hui quc^ si ses lettres à Clé-
ment X et au sacré collège étaient ce empreintes des senti-
ments les plus religieux », celles qu'il écrivait avec la même
plume à son confident le plus intime, étaient conçues en termes
K du cynisme le plus révoltant » (3), La démission, déposée
entre les mains du nonce à Paris, parvint à Rome au momenl
où la promotion des princes divisait les deux cours. Clément X
se décida sur-le-champ et sans attendre que Louis XIV lui
exprimât ses intentions. Retz, qui avait autrefois donné puis
repris la démission de son arrhcvêché, rendait-il librement son
chapeau? lo roi ne voudrait-il pas lui substituer aussitôt Guil-
laume de Furstenberg ou un autre candidat? ne serait-il pas
imité par d'aulrcs princes? quand il affichait des prétentions
si extraordinaires, était-il sage de créer un précédent, qui pùi
(1; •< .. Je voQ:» aln*:<se la copie dune leUre que le roi ccril à AI. le car-
dinal Maidalchini pour l'obliger à demeurer à Roiiie.aûa que vous lui parliez,
s'il vous plait, CD la nirme conformité. Je vous dirai là-dessus confidcuimenl
que le pape chargea M. le car.iiual de Bouillon de dire a S. M. qu'elle lui
forait un trè? grand plaii^ir, et à tout le sacré collège, d'empêcher que ledit
cardinal nt* vînt ici se faire moquer de lui et peut-ùlre y vivre avec scandale.
Lak'lln* du roi e^t courue en terme:^ qu'il trouvera très oMigeauts. •. (Lionne
à Hourlemont, 29 noiU ItHO.) Maldalciiini avait demandé la penuissiou de
faire un voyage en France.
(2) Il ne faut rien exanérer. S'il trahit souvent et houteu-^emeut se» devoirs
envers le* souverain? pontifi-s, il eut des mœurs pures et de la piélê. lldou-
niit beaucoup aux pauvres; il fonda une î^glise et un mouastère. Il mourut
en 1676, âgé de soixante-un ans.
(3) Revue (tes Quesliuns historiques, 1" janvier 1817 : Les dernières annéts
du cirriinal de Retz, par Chantelauze. — Les dernières années du cardinal
de Retz, par Gazier, Thorin, 1873, in-S». — Le cardinal de Retz à Rçme, par
Tabbé Rozou 1878. in-go^
DISCRÉDIT DE LA FACTION FRANÇAISE 61 9
gêner la iiberlé des souverains pontifes (1)? Des le 22 juin, le
pape informa Louis XIV qu'il n'y avait même pas lieu à né-
gociation : il avait signifié à Relz un refus péremptoire (2).
L'ancien Frondeur conserva donc la pourpre et demeura dans
sou exil, employant ses dernières années à la rédaction de ses
scandaleux mémoires.
Restait le cardinal Grimaldi qui, sans avoir les mêmes torts
à so reprocher, avait dû cependant réformer sa vie, et dont la
conversion était sincère. L'ancienne créature de Mazarin mon-
trait maintenant un rigorisme chimérique (3), dont on abusait
pour couvrir des projets peu honnêtes, et MM. d'Estrées avaient
essayé de rengager dans leur cabale. On a lu plus haut son
voium équivoque dans le consistoire du 27 mai : on espérait
le mener plus loin. Après avoir demandé que le roi lui pres-
crivît de prolonger son séjour à Rome, MM. d'Estrées le pous-
saient à l'audience du pape et chez les cardinaux : ils lui ré-
digeaient ses mémoires, ses discours, ses répliques; mais
Tarchevèque d^Âix déconcerta leurs desseins (4): il retourna
bientôt dans son diocèse^ persuadé que l'audience du 21 mai
s'était passée comme il était dit dans la relation du palais et pro-
mettant d'appuyer auprès du roi les plaintes portées contre
(1) « En cas, disait Louis XI V au duc d'Estrées, que le pape et les cardi-
naux agréent cette démission, vous devez vous en prévaloir pour faciliter
encore davantage la promotion des couronnes à mon égard et celle de l'é-
voque de Marseille en faveur de la Pologne. Quoique Tune et l'autre doivent
être acquises à deux Français par toute sorte de justice, c'est toutefois une
raison bien puissante contre la difficulté que Ton oppose d admettre deux de
mci sujets dans une môme promotion que de voir le cardinal de Retz, qui
était à la tète delà faction de France, se démettre volontairement de sa place,
et que j'y consente. » (3 juin 1673. Rome, 238.)
(2) «... Non possumus... cjus cousilium ullo modo probare... Quamobrcm
ei tignificavimus nos ad ejus desideria obsecundanduni adduci minime posse,
eique mandavimus ut in eà statione in quà eum locavit Altissimui» permauere
ttudeat. Hœc autem MajeStati Tuop indicauda esse censemu?, ut ipsa quoque
illum ab inconsultà hujusmodi cogitationo abducere non dcdignetur. » (bref
au roi, 22 juin 1675. Home, 239.)
(3) n C'est une personne, dit Bourlemont, d'un insigne m/'rite et d'une
étroite régularité et telle qu'elle n'agréerait pas a plusieurs de cotte cour,
qui ne sont pas fâchés de l'en voir partir, d'autant plus qu'il parlait libre-
ment de ce qui est à redire à la marche d'ici. » (\ Pomponne, 16 octobre 1673.
Rome, 240.)
(4) Le cardiQal d'Estrées & Pompoqne, 12 septembre 1675. RomCf 240,
620 CHAPITRE SEPTIÈME
Tambassadeur! Tel fut le résullat des manœuvres auxquelles
le cardinal d*Estrées eut la principale part et de Tentreliei
que, sur ses instances, Grimaldi eutavecle souverain pontife:
« Le pape répondit fort honnêtement sur les témoignages de
rafiection que le roi avait pour lui, mais il parla avec fermeté
et hauteur pour soutenir la promotion cl la conduite du car-
dinal Altieri, et dit qu'il ne se laissait pas mener par le nez;
qu*il avait été inspiré par le Saint-Esprit pour faire la promo-
tion, et qu'il n*avait rien dit que des paroles obligeantes quon
avait voulu prendre pour des engagements. Il offrit de faire
accorder au duc dEstréos les mômes conditions qu'aux autres
ambassadeurs sur TaiFaire commune [des franchises], et ra-
conta la dernière audience qu'il avait donnée à ce duc confor-
mément à la fausse relation (1), et faisant mention qu'il loi
avait dit qu'il était excommunié (2). Il témoigna aussi à ce car-
(1) Bicu cutcudu, ce qu'uue plume frauçaise appelle fausse relaUoo, est
celle du pape.
(2) Négociations de Rome^ 25. — Cette analyse de Saint-Prèt résume ewc-
temeut les dépêches que jai sous les yeux : « Le même Cerri [prélat romaio'.
écrit Scrvieut, m'apprit que le pape avait raconté pour très véritable au
cardinal Grimaldi, dans l'audience qu'il lui donîta^ Crlle gui fut suppo<ée d?
M. Vamb'tssadeur avant la promotion^ sans oublier a^tcun des incidents inven-
tés pour élahlii'la querelle... On ajoute que le cardinal Grimai li, se déclarant
persuadé sur la narrationdu pape, lui promit d'eu rendre compte au roi siQ?
participatiou des ministres eu cette cour, en quoi il serait tombé, si le fait
était véritable, dans une grande fanlc; mais il y a longtemps que j'avais excil'/
M. le cardinal d'Estrécs à no s'en servir eu rien que comme d'un aide, et en
ne le laissant primer en aucune occasion. » (A Porapouue, 26 septembre
1675. liotnct 240.) — <» M. le cardinal Grimaldi n'a pas suivi, en deujt choso5,la
rè«j:liî que nous nous étions prescrit)*, car il a voulu lire à tous les cardinaux
qu'il a visités l'écrit commun que nous n'avions dressé que pour notre ins-
truction, et qu'il avait approuvé avec le cardinal Ursiu ; mais ce qui m'a déplu
davantage, c'est qu'il ait confié cet écrit au cardinal Barberin parce que,
l'ayant visité trop tard, il n'avait pu demeurer assez pour lui faire bien com-
prendre ce qu'il contenait. Je me suis fort récrié sur cette conduite, et lui
ai dit... que S. .M. pouvait bien faire dire aux cardinaux les sujets de «on
mécontentement; mais que c'était faire trop d'honneur au cardinal Âltieiide
laisser un écrit qui semble être unmmifestede S. .M. contre lui... o GrimiUi
avait pris respectueusement congé du cardinal Âltieri, et s'était entretenu
avec lui plus de trois quarts d'heure; le cardinal d'Estrêes ajoute aigrement:
« 11 aurait pu, ce me semble, concerter avec nous cette visite avant que de
la faire, ou du moins, s'il la croyait d'une bienséance inévitable, il aurait pu
la finir en un moment. 11 me semble que, l'ayant vu quelque temps aupara-
vant et lui ayant dit qu'il était sur le point de partir, il avait plus de liea de
DÉBUTS DE LA PRINCESSE DES URSINS 621
dînai qu'il n'était pas persuadé du bon état des affaires du roi,
ce qui fit connaître que c'était cette opinion qu on lui avait
donnée qui le faisait parler avec autant de fermeté. Le palais
Bt extrêmement valoir la vigueur que le pape avait fait pa-
raître au sujet de la promotion et de la personne du cardinal
Allieri, et prétendit qu'il avait parlé en Sixte-Quint, et que
le cardinal Grimaldi, se rcpenlant de ce qu'il avait dit à Sa
Sainteté, s'était jelé à ses pieds, et lui en avait demandé par-
don, lui avait promis de rendre compte au roi de ce qui s'était
passé en la dernière audience du duc d'Eslrées, et ne s'était
point voulu relever qu'il n'eût eu sa bénédiction : ce qui était
fondé sur ce que le cardinal Grimaldi, en se retirant, avait
baisé les pieds du pape, quoiq uecela no fût pas ordonné à
l'égard des cardinaux, et lui avait demandé sa bénédiction. »
Voulant regagner à tout prix, dans Rome, une influence
qu'il n'avait pas su conserver par des voies légitimes,
Louis XIV tenla de s'attacher plus étroitement divers membres
de la noblesse romaine, avec lesquels il avait déjà noué des
rapports secrets ou publics. Le frère du cardinal Orsino, le duc
de Bracciano, chef de la famille des Orsini, pensionnaire du
roi, n'avait ni vertu ni talent, et succombait sous le poids de
ses dettes. L'éclat de son nom séduisit une femme destinée à
une grande célébrité, la fille du duc de Noirmoutier, veuve du
prince de Chalais. alors retirée à Rome. Protégée par le car-
dinal d'Estrées, qui passait pour avoir été un de ses amants,
elle crut trouver dans son union avec le duc de Bracciano le
moyen de conquérir un rang et une influence dignes de son
ambition, et Louis XIV jugea dès lors que les intrigues de la
future princesse des Ursins seraient utiles à sa politique. Pom-
ponne écrivait (1) : « Sa Majesté a extrêmement approuvé,
et par son intérêt même elle sera bien aise que cette maison,
qui a toujours été si fort attachée à ses intérêts dans Rome,
se continue par une alliance avec une personne de la première
8*eQ dispenser... Le voyant si détcnniiié à partir, je ne lui ai rien voulu dire
parce que je n*ai pas cru devoir coulrarier iuutiicmout un homme de cet
âge et de co mérite, sur une chose qu'où ne pouviiit réparer. * (Le cardiual
d*Eslrées à Pomponne, 12, 15 octobre 1675. Rome, 240, etc.)
(1) Au cardinal d'Lstrées, 19 octobre 1674. Rome, 232.
622 CHAPITIUB SEPTIÈMt
qualité de son royaume. Ce n*est pas que Sa Majesté n'ait vo
la peine que M""^ de Chalais fait paraître pour le mariage, et
les larmes que lui coûte le souvenir de celui dont la mort l'a
séparée. Sa Majesté a approuvé des sentiments qui marquent
beaucoup d'amitié et de vertu, mais elle croît qu'ils doivent
être surmontés par la considération d*un établissement consi-
dérable, et elle croit même que TafTection de M"* de Cha-
lais pour son service lui peul être un motif d*embrasser d aa-
tant plus tôt cette pensée que le rang qu'elle tiendra à Rome
lui fera naître plus d'occasions de lui en rendre... « La pen-
sion de M. de Braccianolui sera conservée et il aura le collier
du Saint-Esprit, à la prochaine promotion (1). L'ambassadeor
(l) Je suis fâché de le dire, mais Pomponne paratt avoir aidé M"* de
Chalais à tromper son mari sur lu véritable état de sa fortuDe : & M"^* de
Noirmoutier, dit-il, prit la peine de venir chez moi; je lui parlai de l'affaire
et particulièrement de ce qu'elle peul devoir encore du mariage de Madame
sa fille. Elle me ht voir que la ruine de Noirmoutier et de ses autres terre»
la mettait peu eu état de pouvoir y satisfaire à cette heure. Ce serait sur quoi
Je croirais qu*il ne faudra ii pas trop parler avec M. le duc de Bracciano. niait
lui faire connaître seulement que ce bien ne peut être plus assuré à M»* de
Chalais, et qu'aiusi elle se peut dire en toute manière nu parti avantageux.*
Pomponne ne pouvait pas être sinrùre, quand ii parlait de la vertu et des
larmes de cette veuve, dont les mœurs étaient déjà décriées : elle vécut fort
mal avec son second mari, et le récit de leurs querelles remplit un «rand
nombre de lettres qui ont passé sous mes yeux. — » Ma cousiue, si j'avais
pris beaucoup de part aux propositions de votre mariage, j*ai vu avec bien
du plaisir, la juste satisfaction que vous m'en témoignez depuis qu'il tit
achevé. Autant que je me suis assuré qu'il sera plein de bonheur et de satis-
faction pour vous, autant suis-je persuadé qu'il contribuera à alferuiir encore,
s'il se pouvait, davantage dans la maison Ursine le zèle et raffectiou qui y
sont héréditaires pour moi. Aussi sais-je que mon portrait, qui vous a été
donné de ma part par mon ambassadeur et dont vous me rendes vos remer-
ciements, ne sera point néoessairtî pour vous faire souvenir, dans toutes lo*
occasions, du service que vous serez l)ien aise de me rendre. Soyez assurée, eu
échange, de mon affection pour vous, et sur ce, etc. » (Le roi à la duciiessede
Bracciano, 29 mars 1675. Rome, 237 ) — Voici une lettre précieuse de riiilêJli-
gcnt abbé de Bourlemont, qui jette une 5inistre lumière sur l'intérieur de ce
ménage et de toute la famille des Orsini à cette époque. «Le c.irdinal Orsict-
est mort vendredi... H laisse plus de dettes qu'il n'avait de biens, solvant le
malheur de ceux de sa maison de s'être endettés sans avoir fait de dépcnf^-*
qui paraissent. M. le prince de Vicovaro, son frère, est eu résolution de se
faire d'Kglise. Véritablement je ne sais d'où lui vient cette pensée après ia
mort du cardinal, vu que ci-devant il s'était déclaré de vouloir se marier,
parce que le duc de Bracciano, son frère, ncsl pas en étal cTavoir des enfants.
S'il se fait d'Église, tout le dAhris de la maison de Bracciano, après la raortlu
DÉBUTS DE LA PRINCESSE DES URSINS 623
fut chargé de faire les mêmes promesses à deux autres sujets
du pape, 8*ils entraient dans la faction de France : Tun était
Louis Sforza, duc d'Ornano et de Segni, gendre du marquis de
Thianges; l'autre, le prince de Sonnino, frère du connétable
Colonna et gundro de ce duc Cesarini, gonfalonier du peuple
romain, qui, pendant le démêlé des Corses, avait offert de
m
livrer aux troupes françaises un port de ]*Ëtat ecclésiastique.
Pomponne recommandait au duc d*Estrées de veiller particu-
lièrement à Texécution du traité passé avec le prince de Son-
nino, et concluait en ces termes : « Ainsi, vous aurez entre les
mains de faire trois chevaliers de Tordre..., et d'attacher en
cotte sorte à la Frauce trois des premières maisons de
Rome (1). » Or, les services que le roi attendait de ses pro-
tégés, c*était la violation de la fidélité due à leur souverain,
rintroduclion des bandits napolitains ou des soldats français
à Palo, à Bracciano^ sur les terres papales! Lorsque, après le
dernier édit sur les franchises et la promotion du 27 mai 1675^
l'ambassade française agita divers projets de vengeance contre
la famille Altieri, elle compta sur ces barons romains pour le
succès de ses complots et le cardinal d'Ëstrées écrivait \ Pom-
ponne (2) : « Je dois vous témoigner encore avec combien de
zèle et de chaleur M. le cardinal Ursin et MM. le duc de Brac-
ciano et le prince de Yicovaro se sont conduits dans cette occa-
sion, oGfrant tout sans garder aucune mesure. Ce redouble-
ment d^ardeur doit être sans doute attribué aux sentiments de
M*"^ de Bracciano, qui répond parfaitement à ses obliga-
tions... » Le duc Sforza et le prince de Sonnino donnèrent
également au roi des gages de leur félonie, et les trois nou-
veaux chevaliers reçurent ensemble les insignes de Tordre,
au mois d'octobre 1675, des mains du duc dcNevcrs. Mais de
tels auxiliaires u*élaient pas pour rendre du prestige à la fac-
dac, passera au duc de Graviua, qui est de factiou espaguole, et qui a épousé
une oièee du cardinal Altieri dont il a des enfants, au lieu que, le prince de
Vicovaro se mariant, il pourrait conserver la maison do Bracciano, ayant des
eafants. C'est à quoi le duc, son frère, devrait le porter; mais iU vivent avec
une telle froideur entre eux, qu'ils semblent peu se soucier où aille le bien
après leur mort. » (A Pomponne, 25 août 1676. Kome^ 216.)
(1) 8 mars 1675. Aome, 237. — Journal de Dangcau, t. 1*% p. 336.
(2) 2 juin 16:5. Rome, 238.
624 CHAPITRE SKPTtÈME
tion française, et Tabbé Scrvient signalait bientôt à la cour
Tempire dangereux pris sur le cardinal d*Estrées par la nou-
velle duchesse, « brouillonne et avide de montrer son auto-
rité (1). »
Les intérêts de la France n* avaient plus pour défenseurs
attitrés, à Rome, que les abbés de Bourlemont et Servient, et
MM. d'Estrécs. Mais Bourlemont était mécontent et fatigué :
touchant à sa soixantième année«» il aspirait à retourner en
France et souhaitait un grand évéché. Quoiqu'il n*aimÂt pas le
cardinal d*Estrées, dont la violence le choquait et dont ii
méprisait rinhabileté, il avait voulu, par bienséance, recevoir
de lui la prêtrise (2). Ordonné depuis quelques jours, il solli-
cita rarchevêché de Toulouse (3) ; mais on ne lui offrit alors
que le siège de Saint-Papoul, qu'il refusa comme trop petit
et trop pou riche. Si j'étais plus jeune, disait-il, je compterais
sur les translations ; « mais, moi qui ai les cheveux blancs et
la barbe grise, je dois considérer Tévéché qu'il plaira au roi de
me donner pour seule et unique épouse et avoir égard à la
réputation de ma sortie de la rote (4). »
Servient, âgé de trente ans et déjà traité avec une faveur
que son mérite ne justifiait pas, n'était pas plus satisfait
de sa condition ; il rappelait sans cesse « les services de
son père, ambassadeur en Piémont, et de ses oncles, feu
M. Servient le surintendant, et feu M. de Lionne (o;; » et
ii se proposait pour remplacer Bourlemont à la rote. 11
ne doutait pas qu'il ne fût aussi chargé des affaires du roi
(1) A I*ac!iiii, 20 jiiillcl Uu'k Rome, 23D. Lettre euti^rcment chilTrûe.
(2) -c Je ihuinai dimanche Tordre de prôtrise à M. de Bourlemout, et j? lui
suis ohliu'é qu'il m ait choi'^i pour i-etlc fonction. Il y a dix-sept ans qu'il
sert dan? sa charj^ro, avec beaucoup d'honneur et d'application; elle est labo-
rieuse tt surtout p >ur un houinie il'une extrême exactitude comme lui. Il n'y
a point de devoir qu'il n'ait rempli dij:nemenl soit pour les mœurs, soit pour
les négociations et les alTaires. Il approche de soixante ans et soupire aprê*
quelque repos, mais, quoique sa grande mudeslif l'empôche de le témoign-r.
il vou«irait olium ou tictfutium cum dignilate. >• ;Le cardinal d'Estrées à Pom-
ponne. 11 octobre 167». Ilomc, 132.) — Bourlemout n'était pas si mor/e.«/e que
cela : il demandait sans ces.*e pensions et bénéûces, et désignait d'avance les
seuls évêohés ou archevêchés qu'il lui conviendrait d'accepter.
(3; A Pomponne, 2i octobre 16T4. Rome, 232.
(4) Au môme. 17 décembre 1674. Rome, 233.
(o) Lionne n'était que son oncle à la mode de Bretagne.
AGENTS DU ROI A ROME 623
pendant la vacance de l'ambassade. Il se croyait en effet une
aptitude héréditaire aux emplois diplomatiques. Le bon
accueil fait par la cour à ses rapports et à ses mémoires redou-
blait alors son zèle. Malheureusement cette abondance d'écri-
ture cachait une imagination très pauvre, qui ne trouva jamais
qu'un moyen de faire réussir une négociation avec le saint-
siège : la violence. Le roi n'obtiendra rien du pape, écrit-il,
s'il ne lui fait craindre « un affront à ses parents séculiers;...
une persécution sans relâche au cardinal Altieri sous un autre
pontificat:... des émotions en Avignon ;... une suspension
entière de la datcrie;... des propositions en Sorbonne et des
consultations par toutes les facultés sur les incidenls de ce
présent pontificat;... des assemblées du clergé de France sur
la même matière; la convocation d'un concile national dont
tous les sujets dépendraient absolument du roi; une protes-
tation contre la dernière promotion et les sujets qui en ont élé ;
un refus de les recevoir dans un futur conclave; un ordre aux
ministres et aux cardinaux français de les insulter partout;
une exclusion pour eux sans retour du pontificat et de toutes
sortes de fonctions ; et une protestation de ne pas reconnaître
un pape qui serait élu parmi eux ou par leurs suffrages. Mille
autres moyens enfin, Monseigneur, pourraient être mûrement
examinés, choisis ensuite avec prudence, et élant cités avec
force, pousser non seulement le pape mais tout son conseil
dans une consternation extrême et de celle consternation à
Taccomplissement sans délai des satisfactions que la gloire et
rînlérêt du roi paraissent exiger indispensahlement, etc.. »
Un jour même, Servient rédigea pour Pomponne un projet de
lettre du roi au pape pour refuser sa médiation au Congrès de
Nimègue ! « On peut, disait-il, abréger la lettre ou l'augmenter,
en adoucir les termes ou les aigrir : les plus forts seront les
meilleurs (i). »
(1) 4 janvier 1674. Rome, 229; 20 et 25 juilkt et 11) septembre 1675. linwv,
239 et 240. — Voici de quel style, le sa^e et doux Pompoune écrivait à c» t
énergumène : « Bien que vous ne receviez pas, Mousieur, di* réponses pré-
cises à toutes les lettres que vous prenez la peine de m'écrire, ne douiez pa.**,
s'il vous plaît, que je ne les reçoive avec toute la reconnaissance qu'elles mé-
ritent et que je ne lise avec un extrême plaisir les mémoires et les avis que
vous voulez bien y ajouter. L*on ne peut recevoir de lumières plus clairos
LOUIS XIV R LB SAINT-SIËGB. — II 40
626 CHAPITRE SEPTIÈME
Le cardinal rrEslrées conservanl son tilre d*envové extraor-
(linaire, malgré la présence d*un ambassadeur^ est le cooseiOer
nécessaire de son frère; mais sa conduite Ta rendu odieaxaii
sacré collège et à toute la cour pontificale : son ingratitude
cynique envers le pape qui l'a décoré de la pourpre lai alièi»
tous les cœurs : aussi sera-t-il rappelé en France, aa débat
du pontificat suivant; et, quand il reviendra au palais Far-
nèse, ce sera pour y accomplir une mission de guerre et de
vengeance.
Quant au duc d*Ëstrées, le scandale de ses derniers actes,
sa maladie^ sa longue convalescence, sa rupture avec le pape,
avec Alticri,avecles cardinaux de la dernière promotion lent
relégué dans la solitude au fond du palais Farnèse. Le dé-
sordre notoire de ses affaires privées le livre au mépris de ses
domestiques, et, après trois ans d^ambassade, Tbomme qoi
représente directement auprès du saint-siège la personne du
roi de France n'est pas beaucoup plus considéré à Rome
que le dernier de ses nationaux.
Gêné par la médiation de Clément X que TEnrope accueil*
lait avec faveur, Louis XIV croyait utile au succès de sa poli-
tique de rendre plus rares ses communications avec la cour
pontificale. Il avait réussi au gré de ses désirs. Le nonce
S{>a(la n'était déjà plus admis en sa présence quand ce prélat
fui nommé cardinal et rappelé en Italie. Le pape ne s'en émal
pas et laissa MM. d'Eslrées comploter librement dans leur
désert; mais il reprit avec une énergie nouvelle la néirocia-
lion ouverte pour la paix générale; et toutes les cours, protes-
tantes et catholiques, sauf celle de Saint-Germain, avouaient
que rintcrvenlion du pape, comme prince italien et chef de
TEi^'^Iise, n'avait jamais été mieux justifiée.
Depuis la prise de Candie, les Turcs faisaient partout des
progrès eifrayants : leurs vaisseaux de guerre avaient été vus
récenimenl dans les eaux pontificales. L'Italie ne pouvait pas
compter, pour sa défense, sur les Vénitiens qui ne s'étaient
pas encore relevés de leurs dernières défaites^ et qui necher-
qiio les vntn's sur la cour de Uouio. Pcrsouue ne la counait plus distiucto-
meut et iiitiineiucut que vous, et je sens que je tire toujours beaucoup J u-
ilité de la couuaissauce que vous ui'cu doouez. » (fîome, 239.)
PROGRÈS DES TDRCS 627
chaient qu'à écarter de leurs possessions les armcmcnls du
Grand Seigneur. Leur attitude n'avait pas changé depuis que
le président de Saint-André, ambassadeur du roi auprès d'eux,
écrivait : « Ils sont dans de très grandes appréhensions d'en-
trer dans une nouvelle rupture avec la Porte et de retomber
en guerre avec un si puissant ennemi, maintenant qu'ils ont
licencié le peu de troupes qui leur restaient; parce que le
vizir leur demande une bonne partie de leur territoire de Dal-
matie, un port en cas de besoin dans l'une des trois îles qui
leur restent dans l'Archipel, et ne veut plus absolument que
les galères ni galéasses de Venise passent dorénavant Tîle
Ccrigo pour aller au Levant, ni souffrir qu'il y ait que des vais-
seaux qui puissent porter les choses nécessaires pour la Suda,
Spinalonga et Carabusa (1). Ces messieurs néanmoins ne
désespèrent pas de pouvoir adoucir le vizir et les aulres offi-
ciers de la Porte à force d'argent et de présenta qu'ils ont résolu
de leur offrir, et d'ajuster avec le temps le différend pour les
confins deDalmatic,cn abandonnant au Turc tout le territoire
qu'ils ont occupé, et se conservant, s'ils peuvent, leurs places
et forteresses (2). » — « J'ai su de M. le nonce Varese que la
cour de Rome est en grande appréhension que le ïurc n'atta-
que encore (3) cette année l'Italie du côté des États du Roi
catholique ou même de Sa Sainteté, h cause des grands pré-
paratifs de mer qu'on a eu avis qu'il fait. Le nonre a ordre de
Sa Sainteté de faire office au sénat afin que la République
tienne une bonne flotte et armée navale prèle;... mais ces
messieurs-ci ont si grand'peur de l'irriter et se l'attirer sur les
bras qu'ils n'oseront pas seulenn'nt se mettre en état de
défense (l). » L'ICnipereur ayant besoin de toutes ses forces
pour résister aux Français, il ne restait plus que la Pologne
pour protéger la chrétienté contre les Ottomans. Mais
Louis XIV travaillait à rendre stériles les exploits du vainqueur
de Choczim et il était sur le point d'obtenir que Sobieski con-
clût avecle sultan le traité funeste de Zurawuo. Clément X
(1) Postes que les Vénitiens conservaient dans l'ile de Candie.
(2) Au roi, 4 avril IGTl. Vcnife, 02.
(iJ) Comme il avait récemment att.u|né la Pologne.
(4) A Lioone, 3 mai 1G71. Venise 92.
628 CHAPITBE SBPTIÈSCB
était exactement iostniit des intrigues Françaises par ses nonces
de Varsovie et de Vienne, et, s'il avait pu en détourner soo
attention, elles lui auraient été rappelées par les instances de
MM. d'Estrées en faveur de Tévèque de Marseille, Forbin-JtD-
son, négociateur de la paix entre la Polog^nc et les Turcs.
Le marquis de Nointel, arrivé à Constantinople au mois de
novembre 1670 pour remplacer Tancien ambassadeur Denis
de la Haye, avait été frappé, comme ses prédécesseurs^ de Tétat
lamentable des chrétientés d'Orient, dont le roi de France
n était plus que le protecteur nominal. Il se rendit en Palestine
et constata que, depuis plus de trente ans, les Lieux saints
étaient envahis parles Grecs, avec l'autorisation de la Porte,
malgré les capitulations obtenues autrefois par les Françai>
en faveur des Latins et renouvelées récemment (1673). On ne
peut rien imagiuer de plus intéressant que les dépèches oui!
dépeint les malheureux Franciscains de Terre sainte, presque
abandonnés par la royauté française. Forcés de donner aui
pachas les deux tiers des aumônes qu'ils recevaient d'Europe,
ces religieux étonnaient les infidèles par leurs vertus, entre-
tenaient daus tout rOrient le souvenir de notre pays, et
demandaient à Dieu d'y faire revivre la foi et le dévouement
des Croisés! Après s'être félicité de raccueîl que lui a fait
« leur gardien, qui est italien et dans lequel la force de la
science et de la piété supplée à la faiblesse d'un grand âge, qui
néanmoins ne Tcmpêche pas d'agir, » M. de Nointel se répand
en éloges sur ses moines, « vivant tous exemplairement et
ayant beaucoup d'érudition et de piété(l); » il admire «la
majesté et le bel ordre » de leurs cérémonies; il est touché
des prières qu'ils a«lressent au ciel pour Louis XIV et delà
gratitude qu'ils conservent pour nos anciens rois, et il ajoute,
daus un langage qui, après plus de deux siècles, émeut encore
le lecteur : « Quand ceux qui ont l'avantage de vivre dans ces
saints lieux ne tiendraient pas un langage si juste, les illustres
morts qui y sont ensevelis, les instruments de leurs victoires
qui s'y gardent comme des reliques, parlent assez par leur
silence et ils continueront de parler français jusqu'à la consom-
(1) A Pomponne, lo avril 1674. Turquie, 12.
AMBASSADE DE NOINTEL A CONSTANTINOPLE 629
mation des siècles, malgré la malice des Grecs qui paraissent
n'avoir usurpé les sépulcres de Godefroi de Bouillon, du roi
Baudoin et de leurs enfants que pour rayer et falsifier les lilrcs
de leur mémoire. Leur artifice ne saurait réussir, et il est si
peu possible de ne pas rendre ici justice à la France, qu'en
manquant de le faire on s'expose avoir tomber les montagnes
sur sa tête, y en ayant une fort élevée sur laquelle les Français
s'étant retirés, après la perte de Jérusalem, y ont demeuré
quarante ans, attendant du secours. Pour ipieux dire, ils y
sont encore, puisque par leur mort ils en ont fait un cimetière
glorieux. Si l'assistance qu'ils attendaient leur a manqué, si la
domination française avait cessé auparavant, Ton peut croire.
Sire, que ce sont des effets de la Providence qui veut combler
les conquêtes de Votre Majesté par la délivrance de la Terre
sainte, et qui n'a permis cette seconde captivité que pour vous
en rendre le libérateur. Les précieux et saints monuments que
nous y possédons encore, où les religieux de Saint-François
rendent à Votre Majesté les premiers devoirs qui appartiennent
non seulement à un fondateur, mais au fils aine de TÉglise;
où, les traverses des Grecs étant dissipées, ils pourront prier
Dieu sans tumulte et sans confusion pour Votre Majesté, qui
est si bien distinguée par une prééminence légitime, établie
même par l'autorité des papes; ces précieux monuments, dis-
je, sont des arrhes de ces grandes victoires que le ciel veut
acheter de Votre Majesté, et dont il achèvera de lui fournir le
prix, par l'abondance de toute la force qui lui est nécessaire
pour une si grande entreprise. Je le souhaite de tout de mon
cœur, etc.. »
Pour toute réponse, Louis XIV ordonna au marquis de
de Nointcl de se conformer aux instructions qu'il recevrait de
l'évêquede Marseille, et de négocier aune paix qui ne pouvait
gu être avantageuse à f empire ottoman (1). » Noinlel laisse voir
quelquefois des scrupules qu'on ne rencontre jamais chez
révêque Forbin-Janson. Il dénonce avec indignation à sa
cour les avanies incessantes dont les peuples et les pachas
accablent les catholiques d'Orient. Il étudie avec soin l'état
(1) 13 juiUet 1614. Turquie, 12.
630 CHAPITRE SEPTIÈME
de la Turquie : il fait connaître au roî qiio, malgré lerèik
des Kiiiperî^li, les (JUomans n'auraient pas résisté longtemps
à une C(»nfédération des puissances chrétiennes, el il déploit
les divisions intorienres de TËurope qui expliquent senles
les progrès el Faudace ilo Tennemi commun : ce On leur de-
mande la paixy écrit-il à Pomponne ( 1 ) ; on la presse par toutes
les instances les plus forles ; on leur donne le temps de preadre
haleine et de se reposer. On laisse échapper les avantages di"
leur faiblesse et l'on voudrait que, comme des animaux inca-
pables de raisonnement, ils manquassent à la conclusion iné-
vitable qui se doit tirer de tant de principes. Ils sont faibles
au dernier point par mer, par terre, en soldats et en tinance<,
et encore plus en oflioiers, et cependant ils sont très forts. La
paix et la guerre dépondent d'eux, puisque leurs ennemi;» Ie>
en rendent les arbitres. A la moindre disgritce qu'ils souffrent,
ils sont sûrs d'un traité; ils ont le crédit de s'en faire prier.
A la derni«>re campagne, ils se sont trouvés dans la dernière
consternation, jus(iue-là qu'on assure que le Grand Soigneur
s'était retiré etquo, pour ne pas intimider l'armée. Ton faisai:
mannMivrer ses lilièivs, carrosses et équipa.î^es et sa suite par-
ticulii're avi'C porte-turban, connue s'il y eût été. Non soule-
ment ces désavantages no leur ont point nui, mais ils ont été
suivis de la deniamle de la paix (2). Leur fortune et ravougle-
ment de leurs ennemis présents et passés va bien loin. Lo
grand vizir est mis in\ déroute ])ar les Français en Hongrie
(lOiii), et réduit au désespoir (.">); mais il fait la paix en même
temps, commandant au résidant dt» l'Empereur auprès de lui
dt) l'en prier, et il n'tu fallut pas davantage pour la conclure
o[ conlirmcr la perte d'une place importante au préjudiciî deSa
Majesté Impériale. La paix de r.jindie a été négociée pi us do vingt
ans. Jesuistémoinqiie, dauslescominiMioemouts, lesTurcsap-
préhendani les suiies d'une longiieguerre, mais publiant ri nipos-
sibilité d'abandonner volontairement la ('anée, deuiauilnient
qu'on les en cbassàt, et ils promettaient, cet obstacle levé. Je
(1) 4 ort«»l»ro 1(î7j. ////-'///iV, 11.
(2) C'i'st cetto p.iix qur m'imriait révrinip de Marsfille.
(3) V. sur le vrai simk d»' l.i partiripatiou de Loui:^ XIV à la campnirno «Je
Uonjino, cbap. v, vu ol m d\\ livre \*'.
AMBASSADE DE NOINTEL A CONSTANTINOPLE 631
- faire la paix. La négociation a toujours été conlinuée, sans
oublier mille sortes d'expédients et de tempéraments^ et Ton
- arôussi comme vous savez. Les traités de Pologne fourniraient
- bien des exemples, mais vous êtes à la source. Monsieur,
• mieux instruit que moi... Je ne puis m'cmpëcher de croire
i - que... la difficulté de la guerre en Pologne, la rigueur de son
. climat, l'impossibilité de porter les conquêtes au delà de Co-
minieck, l'aversion de la milice pour ce pays, l'apprêt d'une
>. puissance formidable de la part de Sa Majesté Polonaise, ne
soient autant de convictions présentes d'attaquer la Hongrie.
Je puis même me persuader que la dilation de conclure la paix
avec la Pologne est un artifice pour amuser davantage l'Em-
pereur, et que, lorsqu'il s'y attendra le moins, peut-être vers
. le printemps, elle sera terminée et qu'il verra fondre sur lui
les forces qu'il n'attendait point. » Mais des ordres précis et
répétés arrivent de Varsovie et de Saint-Germain et M. de
Nointely obéit (1).
Vainement Clément X, dans un bref éloquent (2), cherche
à ranimer le zële de Louis XIV pour l'afFranchissement des
Lieux saints et lui dit que son honneur est intéressé à ne les
pas laisser profaner, au mépris des capitulations obtenues par
lui-même du sultan. Le roi était au milieu de son armée,
lorsqu'il reçut la lettre pontificale, et Pomponne écrivit au
(ij Pomponne à Nointel, 23 mai 1673. Turquie, 12. — V. les lettres de For-
bin-Janson à Noiutel, publiées pour la première fois dans nos Recherches sur
VAuftmhlée de 1682, 2» édit., pp. 297 et suiv.
(2) 18 mai 1675. Rome, 238 : «« Cum ad aures nostras pcrveucrit quid ad de-
turbandos Latiuos catholicos a po.-sesirione suucioruui Locorum, in quibus
Redemptionis nostrœ mystcria peracta suut, contra pactioncs in eorumdcm
favorcm cum Majestatc Tuà uuper a Turcis initas, agi^redi ausl sint Graici
Hiero9olyml«degentes, eximiaîpietali Majestatis Tuœ taiitie causae propugna-
tiouem ex omni cordis nostri sensu imprimis duxinms cnmuiendaudam, pro
certo scilicet habcntes te, propensà i«rga prnedictos catholicos voluntate duc-
tuni, nihil eoruui per administrum (uum Conslautiiiupoli conimorautem in-
teutatum omissurum, qute ad sarla loctaque sorvaiidu privilcgia, aulhore te,
eisdem indulta conducere posse reputavoris. Age itaquc, rex praîstaniissime,
in rem lanti niomeuti totus iiicumlae, validisquc mcdiis cura ut dilectus lilius
commissarius Terraî sanctm, Miuoris Observant iiR ?ancti Francisri, orbisquc
tiuiversus intelligat a barbaris quoque niasTuilieri awthorilati'm tuani. Votis
autem nostris apprime responsuram Majestatem Tuam profi^cto non dubi-
tantes, tibi intérim, carisslme in Chrid>to tili nor^ter, apostolicam benedictio-
ncm amantissime impertiinur. »
632 CHAPITRB SBFniOlB
nonce Spada (1) : « Les ordres de Sa Majesté pour toi
ce qui pcuL contribuer au bien de la religion à Conslanti-
nople, et les soins de M. de Nointel, son ambassadeur, onl
prévenu le zèle que Votre Seigneurie Illustrissime fait
paraître pour empêcher reiïet du décret de la Porte qui
donnait aux Grecs schismatiques les Lieux saints de Jén-
salem. M. de Nointel marque, par ses dernières dépêches ao
roi, qu*il en avait fait parler fortement à la Porte, et que mèoM
il avait obtenu la suspension de cette ordonnance, et que le
grand vizir le faisait assurer qu*il ne serait point touché à un
point si important des capitulations qui ont été renouvelées
avec Sa Majesté. Ainsi j*espère, Monsieur, que la protection
qu'elle dounc à la religion en tous lieux se fera sentir encore
particulièrement dans la Terre sainte. » La vérité est que ces
plaintes du souverain pontife étaient importunes à la cour de
France, et que les instances de son ambassadeur en faveur des
catholiques étaient méprisées àConstantinople (2). Louis XIV
apprit avec indiiïérence que le grand vizir avait ôté aux reli-
gieux latins Tadministration du Saint-Sépulcre et l'avait mise
entre les mains des Grecs; et il n'en fit pas moins écrire à
M. de Noiiitel (3) : « En l'état oii sont aujourd'hui les affaires
générales, celle paix [entre Sobieski et Mahomet IV]... serait
d'un intérêt extrême à Sa Majesté : elle pourrait tourner en
sa faveur doux puissances si considérables, la Pologne, par
les assistances qu'elle serait capable de donner à Sa Majesté:
la Porte, par la guerre quelle pourrait porter en Hongrie, C'en
est trop pour vous inviter à continuer les soins que vous avez
déjà donnés sur cette affaire. » Aussi, au mois de mai 1676,
dans la dernière audience que le représentant de Louis XIY
ait eue du grand vizir sous le ponlificat de Clément X, le
ministre turc, ne craignant rien des Français (4), lui déclara
qu'il n'avait fait que justice aux Grecs, en les maintenant dans
(1) 5 juiu lG7o. Home, 238.
(2) Le ^Tand vizir a refusé de rendre les Lieux saints aux Latins, nialfiré
les nouvelles capitulations. (Nointel au duc d'Estrées, 21 octobre 1675. Tur-
quie, 11.)
(3) Pomponne à Nointel, 3 février 1676. Turquie, 13.
(4) « Les Turcs entreprendront cette guerre [de Hongrie] avec beaucoup de
joie, se promettant de n'y plus trouver de troupes françaises^ et de n'entendre
RÉVOLTES DANS LES DEUX SIGILES 633
leur ancienne possession ; et le souverain pontife n'avait plus
que quelques semaines à vivre, lorsque Pomponne écrivait à
Nointel : Je vois par vos lettres au roi et à Tévèque de Mar-
seille ce que vous faites pour la paix de Pologne; «je n'ai
point besoin de vous faire connaître de nouveau combien, en
contribuanl à cette paix, vous rendrez un service important
et agréable à Sa Majesté (4). »
Un danger plus prochain menaçait Tltalie et attirail depuis
longtemps Tattention du souverain pontife : les desseins de
Louis XIV sur le Milanais et sur les Deux-Siciles pouvaient
d'un jour à l'autre transporter la guerre dans la péninsule.
Clément X n'ignorait aucune des menées de la cour d»^. Saint-
Germain. MM. d'Estrées avaient été chargés de favoriser, par
tous les moyens possibles, le soulèvement des provinces espa-
gnoles en deçà comme au delà du phare; et celui des deux
frères que son caractère sacré paraissait rendre le moins
propre à une pareille mission y eut cependant la part princi-
pale (2). Au surplus, l'un et Tautre, en fomentant la trahison
et la révolte dans les États soumis à la suzeraineté du saint-
siège, encouraient la déchéance de leurs immunités diplomati-
ques, et commettaient la plus criminelle violation du droit
des gens envers le souverain auprès duquel ils étaient accré-
dités. Ils allèrent même jusqu'à donner asile, dans le palais
Farnèse, aux bandits et aux conspirateurs napolitains, recher-
chés par les Espagnols ou par la justice pontificale (3)! Ils se
plus proférer le nom de la Feuillade. Je puis prc^juger qu'assurément le prin-
cipal motif du vizir dans une telle entreprise sera fondé sur cette dernière
circonstance... m (Nointel à Pomponne, 27 mars 1675.) — La Porte a promis
aux Hongrois d«î les secourir. On y est très joyeux des vicloirea du roi, sur-
tout en Alsace. Quoique la puerrc se poursuive en Pologne, peut-tMrc les Turcs
attaqueront-ils encore la Hongrie. (Le nii'me au uiAme, 9 mai 1G75. Tunjuie^
12.)
(1) 10 juin 1676. Turquie, 13.
(2) Pomponne au c^irdinal d'Estrées, li juin; le cardinal & Pomponne. 4 et
Il juillet, 1" août; le duc à Pomponne, 21 juillet; le roi auduc, 10 août 1674.
Rome, 230 et 231.
(3) Le duc d'Estrées au roi, 2 août et 6 septembre 1674. Rome, 231. — « Le
roi voit avec beaucoup de satisfaction cette application continuelle de V. Ë.
pour une affaire aussi importante pour le bien de sou service, puisque nulle
autre ne le pourrait être davantage que le soulèvement du royaume de Na-
plcs contre rEspagne... Il s'agirait de voir s'il serait possible de faire *om-
634 COAPtTRE SEPTIÈME
prêtaient sans hésiter aux calculs machiavéliques deLouisXIV,
qui, sacrifiant toute humanité à son ambition, laissait espérer
aux rebelles plus do secours qu'il ne leur en pouvait fournir.
lever le royaume par lui-même^ parce qu'alors il serait plus aisé d'appujerou
révolte que de rexciter par la force. Aiusi, tout ce que je vois que S. X.
croit faisable dins cette afîaire, est de cultiver le mécontentement des pe>
pies et d'eo atteudre les effets. » (Pompouoc au cardinal d*Estrées, 21 oui
1673. /{ome, 238.) — Un de mes aj^euts offre de « faire déclarer pour la France..
UQ prince de Carpino, qui s'était mis en campagne depuis deux ans arec
denx cents chevaux, s'était saisi depuis peu de la principale [San Domeoic^
dos trois lies de Tremiti [dans l'Adriatique], qui sont sur les côte^ de h
Fouille, dans laquelle il y a un uingasiu de blé, fait par des chanoines réfx-
licrs à qui elle appartient, de 400,000 inuids, c'est-à-dire 200,000 sac«, doài
on fte pourrait prévaloir. .. Eu même temps l'on pourrait faire iigir lesbandh»
dans l'Abruzze, qui continuent de battre les troupes du vice-roi, en toutes If'
occasions où ilssc trouvent, ayauttué plus de trente iioninies, sau-^ eop«nire
un seul, dans une dernière rencontre... Ainsi, dans le temps que ces deux
provinces seraient émuea, on se pourrait servir, pour tenter le souK*vcineDt
des intelligences qu'on entretient dans Naples. « (Le cardinal d'Estrêes à
Pomponne, 5 juin 1675. /{orne, 238.) — u... Si !00,000 écus produisaieut ce
soulèvement, comme je crois qu'ils le pourraient faire, jamais argent n'au-
rait été plus utilement employé. Il faudrait aussi que ceux qui commcoce-
raient à prendre les armes eussent quelques officiers français pour les con-
duire et pour les conseiller. Us les demandent de Snples et de loirs Us côkfou
nous faisons nos pratiques et avouent qu'ils ont besoin d'êtr«j conduits... U
faut pourvoir au fDuds nécessaire pour leur subsistance et les enfrelenir i^i
pour les envoyer à la première occasion. 11 faudrait aussi, dans un soulève-
ment de Naples, fournir «le la poudre abondamment... Je me rends importuD,
par l(uU de rcprtitions sur la même affaire; mais je l'clais autant l'année pa-t-
sre sur relie de Messine^ dont je ne me puis pas repentir... •> (Le même aj
même, 23 juin 1615. Home, 239.) — « Si toute l'Ile iSicile] secouait le jouj de?
Espagnols, S. M. lui donnerait bientôt le roi qu'il lui a promis, mais il sem-
ble que nous ayons encore trop peu de part dans ce royaume pour faire une
semblable déclaration. Dims la disposition où sont ces peuples, il y aurait
beaucoup plus de lieu de croire que l'exemple de la Sicile serait suivi parle
royaume de Naples, et que S. .M. profiterait des soins que V. E. donne à cellt
affaire depuis si longtemps. » (Pomponne au cardinal d'Estrées, 13 décembre
1675. Rome, 2H.) — S. M... «t a témoigné une satisfaction particulière lie
l'heureux succès qu'avaient eu les soins et l'application de V. É., et a re-
gardé comme la plus grande et la plus avantageuse occ.l^ion du mouiK
["entreprise qui parait si avancée pour le touriun des Carmes [Naples], et pour
la surpriftc de (iaële. Mais... l'état présent des alTaires générales ne donn-.'
pas lieu d'y entrer... Il sera cependant de la prudence et do l'adresse de V. Ë.
de ne pas faire connaître tellement les inteutious du roi à ceux qui con-
duisaient cette alîaire, qu'ils perdent toute espérance que S. M. veuille ou
puisse appuyer les révoltes qui se formeraient à Naples, et que le désespoir
d'être secourus ne les porte à se soumettre tout à fait au joug des Espa-
gnols. Il serait même à craindre que cette connaissance ne passAt en Sicile.
RÉVOLTES DANS LES DBDX SICILES 635
afin de les pousser à des excès impardonnables et de rendre
impossible toute conciliation entre eux et leur maître légi-
time (1)! Le cardinal exprime « une joie sensible » des évé-
nements de Messine, qu'il se vante d'avoir prédits et préparés :
Venise, dit-il, commence à s'en inquiéter et à craindre que ces
peuples ne se jettent dans les bras des Turcs; elle redoute
aussi l'intervention des Français. Les Siciliens qui sont à Rome
espèrent que la vue de nos vaisseaux provoquera une insur-
rection générale dans leur île. « Nous leur donnons les meil-
leures missions de révolte qu'il nous est possible, ils promet-
tent d'agir fortement dans leur ville et au dehors (2). » Cette
conduite méritait la gratitude du roi, et Pomponne écrivit au
cardinal : « Sa Majesté... a fort approuvé le zèle avec lequel
Votre Éminence et M. l'ambassadeur observent tout ce qui peut
contribuera ses avantages, autant dans la révolte de Messine
que dans les apparences d'une autre au royaume de Naples (3). »
Le cardinal d'Estrécs avait si complètement abdiqué tous les
sentiments de son état, qu'il conseillait à Louis XIV démettre
à profit ces événements pour asservir le saint-siège. L'évêque
gallican n'avait rien plus à cœur que de placer le pape et le sacré-
collège sous le joug du roi de France : ilyrevientsanscesse.il
écrit leil juillet 4674 : « Le moindre avantage que Sa Majesté
puisse prendre de ce côté-ci, l'y ferait tellement redouter que,
s'il se rencontrait, dans Toccasion d'un conclave, avec les autres
et qu'elle y prodiiibit un mauvais etîet. C'est ce qui vous obligiTa sans doute
à nourrir toujours ces gens (Vamusemenl et d'espérance^ sans vous engager tou-
Ufois. n (Le même au môuic, 27 décembre 1015.)
(1) «... La révolte qui augmente de plu$ en plus, et TintérM qu'out les ha-
bitants de Messine de la soutenir avec plus de force, hrsfjiiils se rendent de
Jour en jour plus coupables àVégard du Hoi catholique, m'a fait jugor de mou
service de ne pas laisser <5t«ûn"ire un feu qui s'est allumé de iui-mrme, et
dout les suites peuvent ùtrc si pW^judiciablcs à mes ennemis. » J'envoie cent
milliers de poudre «tdu l)lé par un convoi escorté de neuf vaisseaux. « Vous
pourrez faire concevoir aux Siciliens qui sont à Home, les espérances de se
voir assistés, et tAcherez à eu faire naitre de telle sorte l'appréhension aux
ministres d'Espagne », que tout«'s les forces des États d'Italie y soient appli-
quées. Faites concevoir « une idée générale, mais plux grande, des secours que
Je suis capable de leur donner. » (Le roi au duc d'Estrées, 7 septembre 1674
Rome, 231.)
(2) Le cardinal d'Estrées à Pomponne, 19 septembre 1674. Uome, 231.
(3) 21 septembre 1074. nome, i!3!.
636 CHAPITRE sE^ntum
moyens déjà assurés, le roi en serait l'arbitre absolu (1). •
— L* année suivante il répète : <c Je souhaite au pape toute li
durée que Dieu lui a destinée, mais il ne me semblerait pas
désavantageux qu'il vécût encore quelques mois, parce que les
progrès des affaires de Messine, ou Texécution d'un des des-
seins qui se pourraient former dans le royaume de Naples
relèverait infiniment nos intérêts dans un conclave, et nous
donnerait peut-être lieu de joindre les avantages de Sa Majesté
et ceux du pape qui serait élu (2). » Le succès des révoltés
paraissait si avancé en Sicile que Louis XIV se demandait déjà
ce quil ferait de ce fief pontifical, et le cardinal d'Estrées était
le premier agent de cette révolution (3). C'est encore lui que
Louis XIV avait pris pour confident de ses desseins sur une
autre partie de Tltalie : il avait été envoyé secrètement en Sa-
voie, « pour disposer Madame Royale à entreprendre contre
TËspagne une guerre dont M. son fils tirerait de grands avan-
tages, qui illustrerait sa régence et qui porterait en faveur do
Sa Majesté une diversion considérable dansTÉtat de Milan (4); «
mais cette entreprise fut ajouruéft.
Ainsi, le palais Farnèse n'était pas la résidence d'un ambas-
sadeur français, chargé de régler loyalement avec le pape les
questions intéressant la religion cl TEgliso, mais un foyer
d'agitation et de complots mettant on péril Rome et les Etats
voisms et menaçant l'indépendance même du souverain pon-
tife. Si Clément X s'interposait entre les puissances belligé
(1) A Pomponne. Rome, 230. Cf. sa lettre du 22 décembre 1674, citée plus
haut, p. ')83, n. 1.
(2) Au nn>ine, 1"-2 mai 1675. liorne, 238.
(3) u Voici un m(''moirc que je mandai, il y a huit jour^, à V. É. que je <ui
enverrais par cet ordinaire. Il fait voir que le roi n'a point eu le desseiu ac
s'approprier la Sicile, et qu'il est dans la pensée de lui donner un roi. Il im-
portera, s'il von* plaît, qu'autant qu'il sera en V. E., elle le fasse répandre
non seulement dans Rome, unis dans toute l'IUlie, et pcirticiilièremeut datii
les roYaum<»s de Naples et de Sicile, où il peut faire sou plus grand effet. Le J
peuples de ces deux royaumes ne seront plus retenus de secouer le joug «le*
Espa^'uols par la crainte de passer sous la domination de la France, et i.»
pourraient se mettre en état de vivre sou» leur propre roi. S. M. ne nom^^t
pas encore celui gu elle leur voudrait rfi)/irjer, mais elle eu dit a^scz pourfAir*
Toir combien il serait avantageux, etc. » (Pomponne au cardinal d'Estrées.
Il octobre 1673. Rome, 240.)— Suit le mémoire ou manifeste, « fait à Ver-
sailles, le il« jour d'octobre 1675. »
(4) Pomponne au cardiual d'Estrées, 26 juillet *67a. Borne, 239.
PRÉPARATIFS DO CONGRÈS DE NIMÈGUE 637
rantes, ce n'était pas seulement pour les liguer contre le Turc,
mais encore pour écarter la guerre de lltalie. Los querelles
que MM. d'Estréeslui avaient suscitées au sujet des franchises
et de la promotion n'avaient jamais ralenti ses efforts, et c'est
des Français que venaient toujours les obstacles, parce que
la fortune des armes leur étant alors favorable, ils ne
croyaient pas qu'ils pussent jamais éprouver son inconstance.
Le pape s'adressait personnellement à Louis XIV et lui sug-
gérait des pensées de modération : « Après avoir donné, lui
disait-il, tant de preuves d'un courage invincible et obtenu
les applaudissements du monde entier, Votre Majesté ne peut
mieux couronner ses exploits qu'en facilitant une pacification
si féconde en bienfaits pour la chrétienté. Aussi, dans notre
préoccupation pour la félicité des peuples et pour Taccroisse-
ment de votre gloire, voulant satisfaire à notre devoir pastoral
et à notre prédilection pour vous, nous vous adjurons pater-
nellement de vous apj)liquer à une entreprise qui vous attire-
rait des bénédictions universelles. Notre voix suppliante, Roi
très pieux, est celle de TEglise qui voit avec tant de douleur
ses enfants s'entr'égorger; écoulez cette mère à qui vous
devez votre foi; rendez-lui la paix en reconnaissance des
faveurs dont vous êtes comblé, et, si l'intérêt particulier de
votre État vous faisait hésiter dans la consommation d'une
œuvre si importante pour le salut des nations chrétiennes,
sacriGez-le au bien public. Pour vous en faciliter Taccomplis-
sement, nous vous renouvelons ici, avec les plus puissantes
instances, l'offre de notre médiation, toujours prête à terminer
ces différends mortels par un traité d'amitié, et nous promet-
tons en retour à Votre Majesté les plus éclatantes marques de
notre paternelle affection. Nous espérons du fond du cœur que
vous écouterez avec votre bienveillance accoutumée le nonce
apostolique, chargé de vous expliquer plus au long nos senti-
ments, et nous vous bénissons, très cher fils, etc. (1). » Les
(1) Brfif du 3 octobre 167i. Womc^tM : «... Qiio«l iil Ticilius prapstarc valoa.^,
paratam usquc ad lutlialia dissidia aiiiiois paclioiiibiia ruiicili.iuda mediatio-
uein tibi oostram iteruin iteruiiKiiie cxhibemu!«, pripclariscuiiiivcro pro ine-
rcud&rotributiouc pateriKC caritatis tesUmoiiiis Majc:>tateni Tuam prosecuturi.
Ut incDtcm oostram ab apostolico uuntio eà quà boIcs hiimaDitate proUziiis
intérim agnoscas ex auimo cupimas, Ubi, carissime in Cbrisloflli uoster, etc. n
638 CHAPITRE SEPTIÂME
mêmes ouvertures, faites à Madrid et à Vienne, y furent bien
accueillies, tandis que Louis XIV inventait des prétextes poar
différer sa réponse définitive : tantôt il demandait s'il conve-
nait que le pape participât à une négociation où étaient entrée;
déjà des puissances protestantes, TAngleterre, la Suède et le
Danemark; tantôt il faisait déclarer au nonce, en termes bles-
sants, qu'il en exclurait au moins la personne du cardioal
Altieri(l). Aussitôt que le roi eut donné de meilleures espé-
rances, Clément X, sans s'arrêter à ses griefs personnels, le
remercia chaleureusement (2) et pressa la convocation du con-
grès. Louis XIV ne put alors se dispenser d'écrire de sa main
au pape : « Nous avons déjà, disait-il (3), fait paraître à Votre
Béatitude le respect et la satisfaction avec laquelle nous rece-
vions les soins qu'elle s'était offert de donner à la tranquiliitf
publique, et avec quelle confiance nous la verrions a]»pliquêe
à rendre par sa médiation le repos à toute l'Europe... w Kous
seconderons ses désirs : nous espérons qu'elle trouvera les
mêmes dispositions chez nos ennemis, que ses bons offices
mettront fin à la guerre, « et que ses prières obtiendront fie
Dieu un bien si général et qui peut combler son pontificat do
bénédictions et de gloire. » Mais en mémo temps le roi s'appli-
quait à prévenir reifet de ces prières et de ces démarcbes :
c'est lui qui fut le plus opiniâtre à exiger, pour rassemblée des
plénipotentiaires, une ville de Hollande, où le représentant
du pape devait trouver plus d'obstacles à l'exercice de son
ministère. 11 désigna d'abord Bréda, puis Nimègue (i); mais
(1) Le roi au duc d'Estrées, 2 et 9 uovcmlire 1G74; 4 jauvior 1675; IV.;; -
porine au même, 28 liéceinhre 1674. Home, 232, 233 et 236.
2) «... Exspectatioui no-trœ prorsus reepoudit prœclarum teslimoniniu
quod de fillali erga nos observantià iiocuoii de propeiisà erpa chrisliauœ rei-
publicœ trauquillitatom animi regii voluntate orbi tt-rraruiu exhibuit Majtf-
tas Tua... uhi propositam tibi ad camdom !=edulo procurandani luedmtjou-.iu
nostram puis ip?is triumphis major ultro acceptare consentit... Feli.:itati ila-
quc publicae bene omiuantc?, tauti operis ad perfcctioiiem duni studium
nostruin impense coavertimus, Majeatatem Tuam ex omui cordisuosîri sea?u
iu Douiino complectimur, ttc. » (Bref au roi, 28 janvier 1615. Rome, 236.'
(3) 15 mar.^ 1675. Rome, 237.
(4) « Je dois ajouter à ce que je vous ai déjà «lit de l'acceptation que j'a-
vais faite de la médiation du pape, que je lis dire au noucece qu'il avait di- à
appris du choix que j'avais fait de la ville de Bréda pour le lîeu des confé-
rences de la paix. » Le nonce demande « quelque autre lieu qui fût moiai
PRÉPARATIFS DU CONGRÈS DE NIMÈGUE 639
le pape, qu'il espérait lasser, trompa son attente, et, avant de
mourir, trouva moyen de résoudre toutes les difficultés. Ces
efforts de Clément X n'étaient, pour le cardinal d'Estrées,
qu'un sujet de moquerie : « Il paraît, écrivait-il, par toutes
les lettres de Vienne, que l'Empereur est fort porté à la paix :
c'est pour cette raison qu'il ménage davantage cette cour
depuis quelque temps, s'imaginant qu'il pourra se prévaloir
de la médiation du pape. En cela ses mesures me semblent
aussi justes qu'en toute autre chose; car je crois que Tentre-
mise essentielle sera celle des médiateurs armés, et non d'un
pape de quatre-vingt-six ans, qui n'y pourra tout au plus faire
qu'une figure de bienséance. )> Ce sera « le médiateur le plus
inutile de tous et le moins considéré, si toutefois, après de
dignes réparations, Sa Majesté continue de vouloir l'y ad-
mettre (1). »
Louis XIV risquait, par ces procédés injurieux, do jeter la
cour pontificale dans les rangs de ses ennemis. Mais rien ne put
enlever aux Français la bienveillance de Clément X : la droi-
ture de ses intentions se révéla d'abord dans la nomination de
ses ministres. Au mois de mars 1674, le duc d'Estrées écrivait
déjà (2) que le choix du nonce extraordinaire « pour aller vers
exposé aux embarras qui s'y pourraient trouver à cause de S. S. Je ne lui
ai point encore fait rendre de réponse sur ce sujet. » (Le roi au duc d'Estrées,
4 janvier 1675. Rome, 236.) — uS. S. se plaignit... du choix de la ville de Ni-
mëgue. Le palais a pensé d'en proposer uue catholique, dans les États du
roi d'Espagne; mais on y a déjà donné l'exclusion en faisant connaître que,
si les intérêts ne s'accommodaient pas d'une ville d'Hollande, on en pouvait
choisir une dans son royaume [France] comme ou l'avait fait autreTois. Je crois
que cette considération suspendra pour quelque temps la déclaration du nonce
extraordinaire de S. S. » (Le cardinal d'Estrées au roi, !•' mai 1675. Rome,
238.) — « Je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai déjà mandé des raisons
qui m'avaient obligé à convenir de la ville de Nimègue pour le lieu des con-
férences, et vous avez assez fait connaître qu'il no s'en présentait aucun au-
tre, à moins que de porter le traité dans mes États. C'est ce que j'ai fait ré-
pondre au nonce de S. S. depuis le commencement de cette affaire, et
qu'ayant eu tant de raisons d'exclure tout l'Empire, il ne restait plus que les
terres des États et les miennes, où l'on pût porter le traité de paix. » (Le roi
au duc d'Estrées, 21 mai 1675. Rome, 238.) — Clément X mourut le 22 juillet
1676. Cf. Pomponne au duc d'Estrées, 18 juillet; le roi au méme^ 24 juillet 1676.
Rome, 243.
(1) Au roi, 1« mai; à Pomponne, 24 juillet 1675. Rome, 238 et 239.
(2) Au roi et à Pomponne, 21 mars 1674. Rome, 229.
640 CHAPITRE SEPTIÈME
les princes... ne pouvait èlre que boa » ; que le pape déclare-
rait ou Albericci, nonce à Vienne et dont rimparlialité étail
notoire, — ou le grand maître du palais apostolique, Bocci.
toujours animé « des mêmes sentiments d'alTcction pour la
France ». Ces deux prélats étant devenus cardinaux, il fallut
en chercher d*autrcs, lorsque la médiation eut été acceptée
parles trois cours catholiques. Clément X envoya en missioa
spéciale Pompeo Varese et Luigi Bevilacqua, le premier à
Saint-Germain , le second à Vienne. L*abbé de Bourlemoat
écrivait de Varese : « C'est un prélat précieux et sage, qui a
toujours exercé ses charges avec honneur... Je dois ce témoi-
gnage à la vérité que, lorsqu'il étail gouverneur de Borne,
m'étanl trouvé chargé ici des affaires du roi, je Tai toujours
connu très prompt en ce qui regardait le service de Sa Majesté
et le bien de ses sujets qui sont ici (1). » Le même abbé ne
tenait pas en moindre estime le prélat Bevilacqua, qui avait
« eu un de ses frères tués eu Allemagne au service de Sa
Majesté dans le régiment Mazarin, et paraissait fort affectionné
à la France : c'est un prélat de mérite, ajoutait-il, et fort
sage (2). » Aussi, quand sa nonciature fut déclarée, le cardinal
d'Estrées écrivit à Pomponne : « Vous connaissez son incli-
nation héréditaire pour le scrvi(?c du roi (3). »
Comment Louis XIV répondait-il à tant de prévenances?
Le lieu du congrès n'étant pas lixé, le pape n'avait pas encore
déclaré son plénipotentiaire ; mais on avait prononcé le nom
de Guinigi, archevêque de Ravenne, homme de talents distin-
gués, « ardent, vif, résolu et ayant de l'esprit », disait Bour-
lemont (A), et que ni cet abbé ni aucun agent du roi n*accusait
de partialité. Sans savoir si ce bruit était fondé, Louis XJV
récusa Guinigi sous prétexte de son amitié pour Altieri, ce qui
(1) A Pomponne, 2 octobre 1675. Rome, 240. — Le bref en créaDce sur Va-
rese. archevêque d'AudrinopIis pour la paix gt^uérale, est du 22 octobre lt"ô
(Home, 240.) — « C'est uue per^^uQue judicieuse et modérée, et d'un proct'dé
autant sincère dont le naturel de ce pays-ci peut être capable. » Il doit dési-
rer de plaire au roi et de réussir eu France dans cet emploi qui est « lacri»<
des prétoutions de sa fortune. » (Bourlcmont à Pomponne, 4 février lôTiî.
Hume, 2Î2.)
(2) A Pomponne, 28 mars 1673. Rome, 22.1.
(3) 2 octobre 1675. Rome, 2i0.
(4) A Pomponne, 2 octobre 1675. Rome, 240.
PRÉPAKATIFS DU CONGRÈS DE N1MÈGUE 641
aurait fait exclure toute la cour pontificale. Il écrivit au
pape : « Les maius entre lesquelles ce cardinal a porté Votre
Sainteté à remettre la médiation sont trop légitimement sus-
pectes pour nous y abandonner... Ainsi nous nous trouvons
obligé de dire à Votre Béatitude que, quelque respect que
nous ayons d*ailleurs pour sa médiation, nous no la recon-
naîtrions point dans le sieur archevêque de Ravenne, et qu'en
cas que Votre Sainteté le fit passer au lieu du traité de paix,
nDs ambassadeurs auront ordre de ne point traiter avec
lui (1). » Le nonce ordinaire Spada ayant été rappelé pour
recevoir le chapeau, Clément X se proposait de le remplacer
par Varese, qui prendrait cette qualité après s'être acquitté de
sa mission spéciale. Mais Louis XIV prétendait encore faire
son choix sur une liste de candidats envoyée de Rome. Le
pape n'acceptant pas cette condition, le roi l'avertit que Varese
ne serait autorisé à lui parler que de la paix générale. Lorsque
ce nonce extraordinaire fut arrivé à Paris, il attendit long^
temps sa première audience, et les évéques eurent défense
(( d'avoir aucun commerce avec lui ». S'il voulait entretenir
Pomponne des aiïaires de l'Église, le ministre ne l'écoutait
plus. Varese s'élant plaint de ce traitement, Pomponne répli-
qua qu'un nonce extraordinaire n'était qu'un ambassadeur,
sans qualité pour traiter d'atl'aires ecclésiastiques. L'évêque de
Toul lui ayant rendu visite, « Sa Majesté ordonna à MM. les
agents du clergé de lui témoigner de sa part combien elle
était mal satisfaite de sa conduite ^ et, pour en donner un
plus grand témoignage, elle lui (it commander de sortir de
Paris (2). »
Rien ne pouvait rebuter Clément X qui poursuivit son
œuvre paternelle jusqu'à son dernier soupir. Un mois avant
sa mort, il adjurait encore Louis XIV de consentir à un ar-
mistice (3), et ce prince a fait lui-môme le récit de Taudience
(1) 8 oovembre 1675. Rome, 241. — Guiuigi fut, Tauuée saivaDte, Dommé
nonce à Cologne. (Boiirlemout à Pooiponne, 7 juillet UM6. Romey S45.)
(3) Pompoooe au duc d'Estréeâ, 3 et 10 avril 1676. RomCy 343. Au cardinal
d'EsiréM, 24 juillet 1676. Rome, 245.
(3) 20 juin 1676. Rome, 2i4. «... Quia vero ad votonim nostrorum summam
tflseqaendam proximum esse gradum ducimus armorum mutuas in clade:»
iotentorum feriationem, cnixis ideirco .Majestatcm Tuani offlr.iîA in Domino
LOUIS nv KT LE SAIMT-BIÈUB. — II. 41
642 CHAPITRE SKPTlfcME
OÙ ce bref lui fut remis, quand le pape n'avait plus que quatre
jours à vivre : « L'archevêque d'Andrinople^ dit-il (1), me
témoigna que, comme Sa Sainteté n'avait plus rien à cœur que
la paix, elle ne voulait point faire un incident qui pût retarder
reffel de sa médiation sur ce que l'assemblée se tient dans nu
lieu qui n'est point catholique; que, ne pouvant y envoyer
de nonce extraordinaire ainsi qu'elle l'avait résolu, elle vou-
lait faire en particulier auprès des couronnes ce qu'elle
aurait fait dans le lieu des conférences; qu'elle l'avait chargé
aussi bien que ses collègues dans les cours de Vienne et de
Madrid d'agir d*un commun concert pour lapais Il ajouta
à ce discours que, comme Sa Sainteté ne voyait rien de si con-
traire à l'ouvrage de la paix que les armes, qui se faisaient
entendre présentement avec tantde bruit dans toute l'Europe,
elle croyait aussi que rien n'était plus capable d'en avancer la
négociation que de les arrêter par une suspension. II joignit
aux exhortations de Sa Sainteté tout ce qui pouvait marquer
davantage la gloire qui me reviendrait de donner cet exemple
de modération après tant de victoires que je venais de rem-
porter, et me présenta le brefde Sa Sainteté... — Je lui répon-
dis que je verrais toujours avec plaisir les soins que Sa Sain-
teté donnerait à un si grand et si saint ouvrage ; que je
souhaitais qu'elle trouvât les mêmes dispositions dans mes
ennemis ; mais qu'autant que ma conduite passée y avait fait
voir de dispositions, autant en avaient-ils témoigné d'éloigne-
mont, toutes les fois que j'avais fait plus de pas pour y arriver;
que, pour ce qui touchait la suspension d'armes, comme une
telle résolution me devait être commune avec mes alliés, jeleur
donnerais part de la proposition qu'il me faisait^ et que je lui
obsecramus ut ab bostilibus ezercendis daces tuos abstiaere jubeas, dumoos
per apostolicos dudUos a reliquis carissimis in Christo filiis aostris idem ae-
curatissime petimus. Nec multis opus esse ccnsemus ad reglum aDimum tuuo
in tam prœclaram deliberationem pertrahendum ; seu eoim propeosam ad pu-
blicas calaniitates sublevaudas Yoluutatem, sea fiUalem erga nos, qui easden
tibi oboculos ponimus, MajcstatisTuœ observantiam coQsulamus, de prospero
rei exquisilœ successu ubique dubitare Dequimus. Rependendas itaque a po-
pulorum exultatione eximiae pietati tus laudes anteTerteutes, te carissimum
in Christo filium nostrum amantissime io Domino complectimur atqueapof-
tolicà beuedictione ex omni cordis nostri sensu donaoïus. »
(1) Au duc d'E<»trée9, 18 juillet 1676. Romey 245.
\
MORT DK CLÉMENT X 643
ferais savoir ensuite quels seraient mes senliments elles leurs.
J'ai voulu vous instruire de ce qui s'élait passé dans cette
audience, afin qu'elle servit à faire connaître, ainsi qu'ont fait
toutes mes actions, que je n'oublie rien de ce qui est en moi
pour procurer le repos de la chrétienté. » Le souverain ponlife
épuisait ainsi ses forces à préparer la paix de Nimègue.
Sa vigueur se soutint jusqu'à l'été de 4676, et quelques
semaines seulement s'écoulèrent entre les premiers symp-
tômes de maladie et la mort. Le duc d'Estrées écrivait, le
16 juin : « M. le cardinal Cybo nous a fait savoir... qu'il
trouve de la ressemblance entre son indisposition et celle
qu'eut Innocent X, cinq ou six mois avant sa mort : il juge
qu'elle est au moins un commencement d'hydropisie. ce Le
15 juillet, on perdit tout espoir (1) : MM. d'Estrées ne se pré-
sentèrent pas au palais; ils attendaient à Farnèse que le car-
dinal Altieri, éperdu et craignant pour lui le sort des Barbe-
rini sous Innocent X, ou celui des GarafTa sous Pie IV, vtnt
solliciter à leurs pieds le pardon et la protection du roi. Mais
ils sont obligés d'avouer que, sur le point de quitter le gou-
vernement, le cardinal -neveu montra un calme, une dignité,
un désintéressement qui lui conquirent de nouvelles sympa-
thies. Le duc d'Estrées écrit au roi (2) : u Le cardinal Altieri,
qu'on a flatté toujours que le ressentiment de Votre Majesté
ne produirait point des effets considérables ou extrêmes contre
lui, parait être dans quelque opinion que les choses se passe-
ront doucement dans le conclave, et qu'il aura des amis qui
les modéreront du côté de la France (3). » Les Français, qui
(1) Au roi, 7, 14 et 15 juiUet. — Le cardinal À Pomponne, 15 juillet Rome^
245.
(2) Au roi, 21 juillet. Rome, 245.
(3) Le cardinal d'Estrées, plus passionné et plus léger, atteste le même
fait, en y ajoutant les brnits les plus eztravaiçants, apportés à Farnèse par
•es familiers : « Le cardinal Altieri seul, parmi beaucoup de mouvements de
crainte, se soutient par les assurances de son astrologue, qui continue de
lui promettre qu'après le 26 juillet, le pape se portera mieux. » (A Pomponne,
15 Juillet. Rome, 245.) — Le cardinal Altieri a laissé le pape un mois « sans
aucun secours spirituel ». — Dans sa dernière nuit, le pape ne pensait qu'aux
firanchises, et il s'écria m deux ou trois fois en soupirant : Qnesti ambascia-
tori non havevano tanto torte, e non li havevamo creduU I • (Le cardinal 4
Pomponne, 22 juillet. Le duc ao roi, 28 juillet. Rçme, 245.)
644 CHAPITKK SEPTIEME
l'auraient blâmé de dislribaer alorfi & ses amis les grâeei
vacanles, ne criliquërent pas moins la discrétion donl il fit
preuve dans les derniers jours de son pouvoir. Us auraient
voulu soulever conlre lui les cardinaux et les prélats de sa
faction : « La plupart, dit Je cardinal d*Ëstrées, demeurent
fort pauvres et se plaignent déjà d'être mal pourvus : Gastaldi
surtout et Massimi, auxquels réellement on n'a rien donné»
quoique l'un ait fait vaquer plus de 60,000 écus et l'autre pins
de 130,000 de charges. La datcrie pouvait disposer de plus de
32,000 écus de bénéfices ou pensions, qui demeureront à la
disposition du successeur, parce que le pape n*a pu ou n a
voulu souscrire. Cette perte et celle de trois chapeaux et tant
d'autres fautes qu'a commises le cardinal Altieri, sont de
méchants augures pour la suite de sa fortune (I). » — L'am-
bassadeur écrit à son tour: « Le mardi, à vingt et une heures,
le pouls, les forces et la connaissance manquant au pape, le
cardinal Alticri envoyait assurer ses créatures qu'il se portail
bien cl le croyait lui-même... II semble qu il ait été tenu dans
cet aveuglement par quelque fatalité qui doive encore le mener
plus loin. II a perdu trois chapeaux, le pouvoir de faire mille
grâces par le concessum^ beaucoup de pensions ecclésiastiques
et beaucoup de vacances à remplir dans la dateric et, ce qui est
de pire, il est demeuré dans l'indignation de Votre Majeslé
aprèsavoirpu^pendantplus dequinzemois, réparer safaute(2].i»
Lorsque le danger fut imminent, le cardinal Altieri iit
inviter le sacré collège et particulièrement les créatures du
pape à se réunir dans sa chambre, pendant qu'on lui adminis-
Irait les derniers sacremcnls, Le cardinal d'Eslrées refusa
d'admettre en sa présence renvoya; d' Altieri ; si un scrupule
de rospocl humain le C(»nduisilau Quirinal, il régla ses pas de
telle sorte qu'il n\ arriva qu'après toutes les cérémonies et
quand ses confrères s'étaient déjà dispersés. Il n'avait pas
daigné solliciter la suprêmebcnédiction du pontife auq uel il de-
vait le cardinalat ! C'esl à l'évêque français qu'il faut demander
le récit de cette scène : « Le viatique, dit-il (3), et Textrème-
(1) A Pompouue, 22 juillet.
(2) 28 juillet.
(3) A PoiiipuiiUL', 28 juillet.
MORT DE CLÉMENT X 645
onctioD furent portés au souverain ponlife à trois heures de
nuit (22 juillet). Le cardinal Allieri envoya, selon l'ordre, en
donner part aux créatures, et l'abbé de Cabanes (1) vint me
trouver pour cela. En étant averti, je songeais si je le verrais
ou le renverrais, ayant ordre de ne point traiter avec lui, et
d'ailleurs, comme créature du pape, dans une conjoncture
si pressante, ne voulant commettre aucune dureté, je pris
le parti de faire dire que j'étais enfermé à déchiffrer mes
lettres qui venaient d'arriver et qu'on ne me pouvait parler. )•
Le comte de la Penne (2), mon maître de chambre, reçut ce
que l'abbé de Cabanes avait à dire, qui consistait dans un
simple avis de Tétat du pape^ et pour moi je partis aussitôt
pour aller à Monte-Cavallo, où je n'arrivai qu'après l'extrême-
onction. Je fus quelque temps dans l'antichambre avec quel-
ques-unes de ses créatures, les autres étant déjà parties. Je
parlai au confesseur et au coupier, et, après avoir satisfait à
mes devoirs, je me retirai. » — Ce n'est pas ainsi que le roi
et l'Église de France auraient dii être représentés auprès d'un
pape mourant!
Le saint vieillard disparaît au moment où de graves conflits
vont éclater entre la royauté française et le saint-siège. Un
mois après l'élection de son successeur, le roi de Pologne et
Mahomet IV concluront le funeste traité de Zurawnopar les
soins et à l'avantage du Roi très-chrétien, et il faudra qu'Inno-
cent XI rompe cette alliance pour faire de Sobieski le sauveur
de l'Europe. Toujours jaloux de la puissance ecclésiastique,
Louis XIV va poursuivre ses agressions contre le chef de
l'Église : à Rome, ses agents redoubleront de violence; à
Paris, les procédés les plus humiliants sont réservés au nonce
Varcse, dont le cadavre même ne sera pas épargné. La que-
relle des franchises se réveillera, et le roi de France scandali-
sera l'Europe, protestants et catholiques, par l'ambassade
armée deLavardin. Ses entreprises sur le spirituel auront une
(1) «... M. Tabbé de Cabanes, qui est uu prôlre français de grande piété
et de grand mérite et de naissance, attaché depuis longtemps à la famille de
M. le cardinal Alticri et qui a grande part à sa confiance. » (Le cardinal de
Forbin-Janson au roi, 23 janvier 1691. Borne, 352.)
(2) Comte ou marquis de la Fi>nna, de Pérouse.
646 CHAPITRK scrnÈMi
bien plus grave portée. Sa déclaration de 1673 sur la régale
est en pleine vigueur : le Conseil d'État ôte et confère les
bénéfices ecclésiastiques (1). L'évèque d'Alet a formé co&tre
ses arrêts et contre Tordonnance royale une plainte reçue avec
faveur par l'assemblée du clergé de 1675 ; mais Harlay de
Champvallon, archevêque de Paris, a immédiatement étouffé
le débat en disant que raiïaire n'est pas sans difficulté et en
offrant de s'en charger (2). Des thèses gallicanes soutenues à
Paris, le 30 avril 1675» sur l'ordre de la cour, par Fabbé de
Noailles, futur archevêque et cardinal, ont provoqué de vives
explications entre la nonciature, la Sorbonne^ le Parlement et
le roi (3). Ces incidents laissent déjà prévoir le grand démêlé
de la régale et des Quatre articles. Mais Dieu garde pour un
pontife moins chargé d'années la lourde tâche de soutenir de
pareils combats, et Clément X rejoint en paix ses prédéces-
seurs, après avoir bien mérité de l'Église et de la France.
(i) 23 JQin 4676 : arrêt qui eoToie eo possession du doyenné et caDOoicat
d*Alet Gaston de Foiz, quoique ces bénéflces soient possédés depuis plus de
dix ans par Pommier. — 1 août : autre arrêt qui ordonne au chapitre d'Alet
d'exécuter le précédent. —17 octobre suivant : ordonnance de Tévêque d'Alet
portant défense à Gaston de Foix d'obéir aux provisions obtenues en ré-
gale, etc., etc. — /tome, 246.
(2) Actes et procès-verbaux du clergé^ t. V, p. 268.
(3) V. une lettre curieuse de Pellisson, du 1*' mai 1675, omise dans le re-
cueil de ses Lettres historiques et publiée dans les Œuvres de Louis XIV, t. VI,
p. 484, édit. 1806. — «... M. Tévêque de Condom, précepteur de M. le dau-
phin, présidait. La qualité du répondant et celle du président firent qu'oa
ne douta point dans Paris que tout cela n'eût été fait de concert avec U
cour. On ne se trompait point, et voici ce que J'en ai appris, etc.. »
TABLE DES CHAPITRES
LIVRE PREMIER (suite)
Pontificat dAlazandre ?II (7 avril 1655-22 mai 1667;.
Ghapttri DOuziiMB. — Vacance de Tambassade française à Rome :
Tabbé de Bourlemont, chargé d^affaires. —Gal-
licanisme et Jansénisme (juin 1665 àjuin 1666). 1
Chapitrb TRnziÈVB. — Arrivée du duc de Cbaulnes a Rome. — Début
de son ambassade (juin à décembre 1666). ... 24
Cbapitrx QUATORziiiiB. — Appel d* Alexandre VII aux princes catholiques
contre les Turcs : Louis XIV resserre son al-
liance avec le Sultan. — Empiétements de la
couronne sur les droits et sur les libertés de
l'Église : résistance d*Alexandre VU. Noncia-
ture de Roberti (1665-1667) 105
CBApmiB QOUfziiHB. — Cc qu*il y avait sous la politesse il vantée de
Louis XIV. — Maladie d*Alezandre VII : ses
adieux au sacré collège : sa mort (22 mai 1667). 134
LIVRE DEUXIÈME
Pontificat de Clémant IX (20 juin 1667-9 décambra 1669).
CHAPiraB PRBMiBR. — Lc couclave de Clément IX (juin 1667) 170
CHAPiraB DBUxiiaiB. — Clément IX et Taffaire de Castro. — Guerre des
« droits de la reine » : médiation de Clé-
ment IX.— Présages de nouveaux conflits en-
tre la couronne et le saint-siège (1667-1668). . 206
Chapitrb troisièmb. — Louis XIV et le • démariage » de Marie de Sa-
voie, reine de Portugal : lutte engagée par le
roi de France contre la juridiction spirituelle
du pape (novembre 1667 à septembre 1668). . 281
CaApiTRB QOATRiÈvB. — Fin de l'ambassade du duc de Cbaulnes ! nou-
vel intérim deTabbé de Bourlemont. —Con-
clusion de TaCTaire de Portugal.- Jansénisme:
les quatre évoques. — Affaires diverses (1668). 274
Cbapithb cniQUiiiiB. — Secours de Candie. Désastre du 25 juin 1669.
Échec du 24 juillet. Retraite précipitée du
duc de Navailles (1669) 814
CRAPRRt BixiÈMB. — Nouvellcs agressious de la couronne contre l'au-
torité ponUflcale. Mort de Qémant 11 (1669).