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LOUIS X\l
MARIE-ANTOINETTE
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MADAME ELISABETH
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MADAME ÉMSAIVF/ilI
L'auteur et l'éditeur déclarent réserver leurs droits de re|>roduciiuii
et de traduction ;i l'étranger.
Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur (Direction de
la Librairie), en 1863.
Paris. irponniiMiiK dk ukmu pi.on, imphimkih nt i. KMPKHktn,
Hnc Garancière. 8.
LOUIS XVI
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MADAME ELISABETH
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PAR F. FEUILLET l>E CONCHKS
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Tacitl, Histor., 1, xl.
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MINICCLXV
Tou$ droits réserve*
Une publication de la nature de celle qui m'occupe'
devait faire sortir de certaines archives publiques ou
particulières des documents qui avaient échappé à mes
anciennes recherches. En effet, depuis la mise au jour
de mon second volume, des glanes nouvelles, des
glanes précieuses sont venues enrichir mes moissons
précédentes; et des pièces de dates diverses, dont
quelques-unes même appartiennent aux premières
années de l'entrée de Marie-Antoinette dans la maison
de France, vont me forcer à intervertir Tordre chro-
nologique que j'allais poursuivre, à remonter en un
mot à l'année 1770, après être arrivé déjà au commen-
cement d'octobre 1791. J'en demande pardon à mes
lecteurs ; mais j'ai la confiance que l'intérêt des pièces
qui m'imposent la nécessité de revenir sur mes pas me
fera trouver grâce, devant eux. Quelques-uns de ces
documents m'ont été obligeamment offerts par des
TOME III.
II
curieux qui se plaisent à Thistoire ou par des hommes
d'État qui la font. La découverte do beaucoiq^ d'autres
documents a été le fruit de nouvelles recherches dans
des cartulaires princiers inexplorés encore. Ainsi le
fils de l'illustre Prince Charles d'Autriche, Son Altesse
Impériale et Royale l'Archiduc Albert, a bien voulu,
avec une grâce particulière, me permettre l'entrée de
ses archives, en partie formées de celles de la sœur
aînée de Marie-Antoinette, l'Archiduchesse Marie-
Christine, duchesse de Saxe-Teschen. Ces archives,
d'une richesse incomparable pour l'histoire, la littéra-
ture et surtout pour l'art, m'ont fourni des lettres d'un
haut intérêt, écrites par les Empereurs Joseph II et
Léopold II à cette dernière Princesse, leur sœur, tou-
chant les affaires de France.
A mon retour de Vienne, je puisai au Ministère de
la Marine quelques documents pour l'histoire de la
marine française, à laquelle le Roi Louis XVI donna
un élan si patriotique, lors de la guerre de l'indépen-
dance américaine; et, pour me guider dans les archives
de ce département, je trouvai un homme obligeant,
instruit, opiniâtre au travail, habile à la découverte,
M. Pierre Margry, qui m'adonne, pour le commentaire
des lettres trouvées à la Marine, des notes dont j'ai
fait mon profit. Mais d'autres bonnes fortunes m'atten-
daient encore.
J'avais déjà recueilli un certain nombre de papiers
inédits; j'avais obtenu, par exemple, de la bonté de
M. le duc de Polignac , communication des lettres
III
qui lui restent de Marie-Antoinette et de Louis XVÏ à
son aïeule, quand M. le comte Gustave de Reiset,
aujourd'hui niinistrfc de TErapereur à la cour de Ha-
novre, et qui a résidé longtemps en la même qualité à
celle de Darmstadt, me fit connaître que, pendant son
séjour auprès du (îrand-Duc de Hesse, il avait trouvé
dans les archives de ce Prince vinjjt-sept lettres auto-
graphes de la Reine Marie-Antoinette. Toutes ces lettres
avaient été adressées, de 1780 à 1792, à la Landgra-
viiie Louise, grand'mère du Grand-Duc régnant, femme
d'un mérite accompli et encore en vénération dans le
grand-duché. M. de Reiset avait été frappé, à son
arrivée à Darmstadt, du nomhre de portraits de la
Reine de France qui se trouvaient dans le palais grand-
ducal. L'un d'eux portait la signature de madame
Vigée-Lehrun, avec cette inscription : « Donné par la
Reine à la Princesse Louise, en 1783. » Inférant de là
que la Landgravine avait eu des relations particulières
avec Marie-Antoinette, il s'était enquis s'il en existait
des traces écrites , et c'est alors que le Grand-Duc lu
avait ouvert ses archives. M. de Reiset s'était promis
de mettre au jour cette correspondance; déjà même
son travail était prêt pour la presse, quand la publica-
tion de mes deux volumes et surtout sa bonne grâce
lui suggérèrent l'amicale pensée de concourir à cet
ensemble en versant son petit trésor dans mon escar-
celle historique.
J'en étais là lorsque je reçus d'un homme éminent
et par la délicatesse de son esprit et par sa position
IV
politique, M. le comte de Manderstrôm, ministre des
Affaires Etrangères de Suède, la lettre suivante :
Stockhoiiii, le 15 septembre 1864.
« Monsieur ,
» Vous ne sauriez douter de l'intérêt et de la recon-
naissance avec lesquels j'ai reçu votre aimable lettre
du 28 août passé, ainsi que l'envoi que vous m\
annonciez du premier volume de votre grande publi-
cation des lettres de Louis XVI, de Marie-Antoinette
et de Madame Elisabetb. Ce volume vient de m'arriver.
Je n'ai pu lire encore que votre belle introduction, qui
iBxe si bien, dans un court espace, les points principaux
de l'épopée si féconde en intérêt (pie vous illustrez
par d'aussi précieuses révélations; mais je vais inces-
samment me plonger dans la correspondance même.
» Quoique privé, depuis plus de six ans, du plaisir de
vous voir, ce souvenir bienveillant n'était point néces-
saire pour vous rappeler à ma [)ensée : vos Causeries
d'un Curieux, dont les trois volumes parus m'ont fait
éprouver un bien véritable plaisir, s'étaient cliargées
de ce soin. Néanmoins votre lettre m'en a fait un plus
grand encore , et je vous prie , Monsieur, d'en agréer
mes bien sincères remercîuients. En ce sens, je puis
me vanter d'être un peu de vos collègues; (pie je suis
aussi un Curieux et un grand amateur de vieilles lettres
et de vieux |)apiers ; mallieureusement, mes loisirs sont
devenus de plus en plus rares, mais je me plais toujours
à revenir à mes anciennes amours, pour lesquelles j'ai
conservé une grande tendresse.
» Il y a de cela douze à treize ans , alors que mes
occupations me le permettaient encore, j'ai réuni
d'assez nombreux documents, jusqu'alors inédits, rela-
tifs à l'histoire de Gustave III, et principalement à celle
des deux dernières années de son rèyne, en vue d'une
publication dont j'ai été plus tard forcé à abandonner
l'idée. Tous ces documents ont été copiés de ma main
sur les originaux, — ou bien, dans des cas plus rares,
sur des copies parfaitement authentiques. Je ne les
avais pas revus depuis des années, lorsque votre lettre
est venue m'ofifrir un motif de les déterrer.
» Vous me demandez , Monsieur, la lettre intégrale
du comte de Fersen à Gustave III, du 1" janvier 1792 :
je vous l'enverrai avec les nombreuses et intéressantes
annexes qui l'accompagnent. — Quant à la réponse de
Gustave III à la lettre de la Reine Marie-Antoinette,
de fcSrrier 1776, il n'en existe pas chez nous de minute,
et souvent, pour les lettres autographes de ce Prince,
il n'en gardait aucune. Il y a bien des lacunes dans les
correspondances de son temps : une partie de ses
papiers — mais ceux-là tous antérieurs à 1789 — se
trouvent, comme vous le savez, à la bibliothèque
d'Upsal, à laquelle il les avait légués; je les ai vus au
galop, mais il ne m'a pas été possible de les dépouiller.
9 Je ne sache pas ici d'autres lettres de la Reine
Marie- Antoinette : on assure qu'il s'en trouve dans la
famille Fersen ; mais personne n'a jamais pu les voir.
VI
» Afin de vous étrç agréable, Monsieur, et afin de
concourir, en ce qyi dépend de moi, à compléter la
précieuse collection que vous publiez , je viens de
t ormer un dossier de pièces qui pourront vous offirir de
l'intérêt et dont quelques-unes au moins pourront
entrer dans votre ouvrage. Afin d'éloigner, autant que
possible, les erreurs trop fréquentes des copistes, je
prends le parti de vous envoyer les copies que j'ai faites
moi-même , et de l'exactitude desquelles je crois pou-
voir répondre, y ayant apporté une scrupuleuse atten-
tion. Voici, d'après l'ordre des dates, les pièces que
je me propose de vous transmettre :
M 1. Lettre du Comte d'Artois à Gustave 111, en
«
date de Parme, le 8 avril 1791. Demi-feuille.
M 2. Lettre de Gustave 111 au baron de Breteuil, en
date de Haga, 17 mai 1791. Deux feuilles.
» 5, Lettre du baron de Breteuil à Gustave 111, en
date de Soleure, 9 juin 1791. Deux feuilles.
» A, Lettre de Monsieur, frère du Roi, à Gustave 111.
Schonbornslust, 16 juillet 1791. Demi-feuille.
» 5. Lettre du comte de Fersen au Roi de Suède.
Vienne, 6 août 1791. Demi-feuille.
» 6. Lettre du marquis de Bouille à Gustave 111.
Aschaffenbourg , 11 août [1791]. Une feuille.
» 7. Lettre du comte Fersen à Gustave III. Vienne,
17 août 1791. Demi-feuille.
M 8. Lettre (le l'Empereur Léopold à Gustave III.
Vienne, 19 août 1791. Demi-feuille.
VII
» 9. Lettre du Comte d'Artois à Gustave III. Dresde,
29 août 1791. Demi-feuille.
» 10. Lettre du comte Eszterhazy au Roi de Suède.
Dresde, 30 août 1791. Demi-feuille.
» 11. Lettre du comte Fersen à Gustave 111. Prague,
18 septembre [1791]. Une feuille.
» 12. Du même au même. Prague, 6 septembre 1791 .
Trois feuilles.
» 13. Lettre collective de Monsieur et du Comte
d'Artois à Gustave 111. Schonhornslust, 14 septembre
1791. Demi-feuille.
» 14. Lettre de Louis XVI à l'Empereur Lêopold.
Paris, 18 septembre 1791. Demi-feuille.
» 15. Lettre du comte Fersen à Gustave III. Prayue,
21 septembre 1791 , avec annexes :
» A. Mémoire présenté à TEmpereur.
» B. Résumé des moyens à employer.
» C. Note remise au comte Cobenzl.
» D. Convention entre TEmpereur et le Roi de
Suède.
» E. Réponse du comte Cobenzl.
» F. Réponse du Roi d'Espayne à la lettre de
l'Empereur. 7 août 1791. En tout sept feuilles.
» 16. Lettre collective de Monsieur et du Comte
d'Artois au Roi de Suède. Coblentz, 1 8 décembre 1791.
Demi-feuille.
» 17. Des mêmes au même. Coblentz , 2i dé-
cembre 1791. Demi-feuille.
VIII
» 18. Lettre du corate Fersen au Roi de Suède, en
date de Bruxelles, le 1" janvier 1792, avec annexes :
» A. Lettre de la Reine Marie-Antoinette a l'Impé-
ratrice Catherine. Paris, 3 décembre 1791.
» B. Lettre de Louis XVI au baron de Breteuil.
Paris , 1 4 décembre 1791.
» C. Lettre de Louis XVI au Roi de Prusse. Paris,
3 décembre 1791.
» D. Copie des instructions données au comte de
Séyur [décembre 1791].
» E. Lettre de Louis XVI à Gustave 111. Paris,
3 décembre 1791. En tout huit feuilles.
» 19. Lettre du comte Fersen à Gustave 111.
Bruxelles, 8 juin 1792. Demi-feuille.
» 20. Lettre du Roi de Prusse à Gustave III.
Berlin, 6 février 1792. Demi-feuille.
» 21. Lettre du comte Fersen au Roi de Suède.
Bruxelles, 24 mars 1792 (arrivée après l'assassinat du
Roi). Deux feuilles.
» Voilà ce que j'ai cru pouvoir servir à votre cadre.
Je vous donne là-dessus y w5 vîtœ et nects : servez-vous-
en à votre {fuise ; supprimez ce qui vous paraîtra
inutile, et soyez persuadé de la parfaite authenticité de
tout ce que je vous transmets. Je me sentirai heureux
d'avoir pu apporter quelques bonnes tuiles au magni-
fique édifice dont vous êtes le constructeur.
» Tout cela est trop volumineux pour pouvoir être
expédié par la poste ; mais, dans cette saison, les voya-
IK
geurs à Paris sont fréquents, et je me flatte de l'espoir
de pouvoir vous envoyer mon paquet dans la huitaine :
je profiterai de la toute première occasion.
» Si mes veillées d'autrefois peuvent vous être utiles,
j'en serai amplement dédommagé. Je guetterai vos nou-
veaux volumes, et je serai charmé d'y retrouver quel-
ques-unes des pièces dont je me dessaisis volontiers, si
elles peuvent contribuer à jeter du jour sur l'histoire de
Tauguste infortunée dont, comme vous, je suis l'un des
amoureux.
» Croyez, Monsieur, à la sincérité de mes senti-
ments très-distingués.
» Manderstrôm. »
Trois mois après, je recevais du même et généreux
personnage la seconde lettre qui suit :
Stockholm, 3 déccitibrc 1864.
ce Monsieur ,
» L'on ne saurait être plus aimable que vous l'êtes,
et votre bonne lettre du 5 novembre , accompagnée du
second volume de votre intéressante et précieuse publi-
cation, en offre un nouveau témoignage. Veuillez en
agréer mes remercîments les plus empressés, et croyez
que peu de lecteurs suivent avec autant de cœur l'in-
térêt toujours croissant qui s'y rattache. Les illustra-
tions dont vous ornez votre correspondance y ajoutent
encore un nouveau charme ; mais pour moi ce sont les
lettres et vos remarques éclairées et judicieuses qui don-
nent le prix principal à cette monumentale publication.
» En fouillant dans mes vieux dossiers, j'ai retrouvé
encore quelques pièces qui pourront vous offrir quelque
intérêt, et que je me permets de joindre ici , vous lais-
sant le maître de vous en servir ou non , d'après le plan
que vous vous êtes tracé. Entre autres qualités, vous
avez un flair excellent et vous jugez tout de suite la
valeur des documents. Je vous garantis ceux-ci exacts
comme les précédents. Vous trouverez donc ci-après .
» i. Lettre de Gustave 111 au Comte d'Artois, du
20 mai 1791.
» 2. Un mémoire lu par Gustave III à une confé-
rence à Aix-la-Chapelle, le 5 juillet 1791, entre le
Roi, Monsieur, le Comte d'Artois et l'évêque d'Arras.
» 5. Mémoire adressé à Catherine II par Gustave 111.
Aix-la-Chapelle, 9 juillet 1791.
» 4. Mémoire du même au Roi d'Espagne, d'Aix-
la-Chapelle, 16 juillet 1791.
» 5. Lettre de Monsieur et du Comte d'Artois à
Gustave III. Schœnburnslust, 30 octobre 1791.
» Si vous croyez que ma dernière lettre puisse devenir
utile pour constater l'authenticité des pièces envoyées, il
faut bien en passer par là, et vous autoriser à la publier.
Seulement, je crains que mon baragouin serai-français
ne défigure trop votre livre (J). Je vous prierai cepen-
(1) J'avais en effet demandé à M. le comte de Manderstrbin la per-
mission de publier sa lettre. J'étais heureux de me parer de son {jra-
cienx témoignage et de donner en même temps aux pièces que j'allais
XI
dant, en ce cas, de vouloir bien supprimer la phrase qui
a rapport aux lettres que je suppose existantes dans la
famille Fersen, puisque je n'ai, h cet égard, aucune certi-
tude. Je suis convaincu toutefois qu'elles sont conser-
vées, mais je puis d'autant moins le constater que la
comtesse de Gyldenstolpe se trouvant à l'étranger, je
n'ai pu lui en parler. Elle n'a guère pu vous dire qu'à la
suite de l'assassinat de Fersen, en 1810, son hôtel avait
été incendié, puisque tel n'est point le cas : peut-
être aura-t-elle voulu dire que le frère et la sœur de la
victime, en proie à l'an imad version populaire, et crai-
gnant un assaut contre l'hôtel, auront jugé à propos
de faire un holocauste de certains papiers; mais, en ce
cas (et je n'en ai jamais entendu parler), il me paraît
évident que ce sacrifice se serait borné à des papiers
concernant la Suède (1).
pulilier d'après lui une garantie irrécusable d'aullienlirilé. Il est njor-
▼eilleux du reste de voir un étranger écrire d'une façon aussi parfaite
notre langue, et renouveler les curieux phénomènes de l'Anglais Ma-
millon écrivant en français les Mémoires «lu conile de Gramonl;
d*Uoraco Waljiole, de l'ahhé Galiani, de Goldoni, de Grimm, du
prince de Ligne, des deux Schlegd, des deux Ilumboldt, parlant
notre langue du dernier siècle comme s'ils étaient nés à Paris; enfin,
du Franc^aLs Adalbert de Chamisso écrivant en allemand le roman si
populaire de Pierre Schlemil qui a perdu son ombre, (^Note de iédi"
leur.)
(1) M. le comte de Mauderstriim me pardonncra-t-il T indiscrétion
d'avoir laissé subsister le passage relatif à la correspondance présumée
de Marie- Antoinette a\cv Fersen. Ce passage a ini intérêt dans la
<]uestion historique. Il y a trois ans à ]>eu près que j'ai eu l'honneur
de me rencontrer avec la petite-fille du comte de Fersen , madame la
comtesse de Gyldenstolpe, et que je lui demandai s'il existait dans
ses papiers de famille des lettres de la Reine Marie- Antoinette,
XII
» Vous comprenez l'impatience avec laquelle j'at-
tends la suite que vous voulez bien m'annoncer, mais
je n'ose vous retenir :
Tu |)ii])licn cominoda j)ercpm,
SI loii{;() serniune morer tua tcnipoiM.
» Mille compliments dévoués.
« Mandkrstro^i. »
Après toutes ces conquêtes , il ne me manquait plus
que d'ajouter à la série, déjà si abondante, des lettres
de Madame Elisabeth, dont les premières ont eu une
part si large dans le succès de mon recueil. Louis XVI,
Marie-Antoinette, Madame Elisabeth, trois martyrs !
Le premier, à qui il est trop facile de reprocher sa fai-
blesse, quand avant tout, pour être juste, on eût dû
songer à glorifier son bon sens, son invariable droiture
et son ineffable bonté. La seconde, née fière, sensible,
ouverte, élégante, pleine d'àme, d'intelligence et de
adressées an cuiiite. Elle iii'aCHrina qu'il ne s'y (roiivait pas le moindre
billet de la main de celte Princesse, et que, du reste, on professait,
parmi tous les siens, pour eelte grande infortune, un respect profond,
une sorte de culte traditionnel.
Depuis, un pelit-nev<Mi de ce mèin(> seijjneiir suédois, M. de Klinc-
kowstrtim, dernièrement secrétaire de la l(';(;ation de Suède en Autriche,
et maintenant fixé a Stockliolui, m'a fait conHruier par le ministre de
France ù la cour de Suède, M. Fournier, que ni dans la branche de
Madame de Gyldenstolpe, ni dans la sienne propre, on n'avait en réa-
lité aucun S(mvenir écrit quelconque de la Reine. Le préjugé plus fort
que ia vérité veut qu'il en exijîCe. Le préjugé s'appuierait-il sur quelque
exception ? (Note de VcdUeur,)
XIII
cœur, méconnue, insultée, calomniée dans les régions
les plus hautes, dans la propre famille qui lui avait été
donnée , en même temps que dans les bas-fonds de la
populace aveugle et de la littérature occulte. La troi-
sième, une sainte, un ange, Tinstinctméme de la bonté
et pureté céleste, mais une sorte de garçon volontaire,
disant tout sans ambage , sinon parfois sans goût, mais
Tancien régime coulé en bronze, comprenant tout
sans terreur, voyant avec calme et résignation , du
haut de sa foi chrétienne, la formidable tourmente où
le passé allait s'engloutir; pouvant se réfugiera l'étran-
ger, et restant néanmoins au poste du devoir et du
sacrifice, auprès du Roi son frère, jusqu'aux portes de
l'éternité. Eh bien ! de cette figure si c: rieuse, si ori-
ginale et à la fois si sublime, constituant à elle seule,
en quelque sorte, le chœur antique dans le drame ter-
rible qui se jouait, — un trésor inappréciable m'était
réservé : quatre-vingt-treize lettres autographes que
m'a confiées M. le marquis de Gastéja, qui appar-
tient, comme on l'a vu par notre premier volume, à
cette noble famille de Bombellesque Madame Elisabeth
a tant aimée. On n'a pas plus de grâce, plus de géné-
reuse bienveillance, plus de tact pour les choses de
l'histoire, que n'en a le possesseur de cette corres-
pondance. Ce sont toutes lettres adressées à la mar-
quise de Bombelles et complétant celles que m'avait
communiquées le comte de Bombelles en Autriche. Le
temps finit toujours par distraire quelques feuilles des
groupes de lettres. C'est ce qui déjà était un peu arrivé
XIV
pour la correspondance de Madame Elisabeth avec la
marquise de Raigecourt; mais la série des lettres à la
marquise de Bombelles a été plus disséminée encore
dans une famille si nombreuse, et offrait plus de
lacunes. Quelques-unes de ces lettres sont tombées aux
mains du comte de Blosseville , qui en a détaché deux
existant encore dans ses papiers, et qui, dit-on, a
remis le reste à la nièce de la Princesse, madame la
Duchesse d'Angouléme. D'autres se sont égarées, et
la trace .n'a pu en être suivie k travers les vicissitudes
des révolutions et de l'exil.
Parmi les lettres, s'en trouvaient quatre qui portaient
quelques indices confus d'écriture en encre sympa-
thique. J'ai montré les feuilles à l'illustre chimiste
M. Dumas, qui, avec une complaisance tout amicale,
a tenté de faire revivre les caractères éteints. M. de
Gastéja s'était volontiers prêté à l'expérience : — qui
n'aurait eu foi en un homme tel que M. Dumas? — De
quelle nature pouvait avoir été cette encre sympa-
thique, et dès lors par quels réactifs était-il possible de
la faire revivre? Ce fut pour lui un jeu, et la résurrec-
tion a été rapide et complète. Avec quelle anxiété les
yeux suivaient lettre à lettre , mot à mot , ligne à
ligne, cette renaissance! avec quel intérêt et quelle
gratitude je suis entré dans le secret de Tintime pensée
de la Princesse, pour la livrer à mes lecteurs !
Telles sont les acquisitions nouvelles que je leur
offre aujourd'hui, tels sont mes meilleurs arguments
pour m'excuser dans ma revue rétrospective.
XV
En réglant tous mes comptes de conscience, je ne
dois pas oublier la presse française , qui m*a encou-
ragé avec tant d'indulgence et d'unanimité dans la
poursuite de mes recherches et de ma publication. Ce
n'est pas que je ne voulusse soigneusement éviter ici
Tattitude si comique d'humble fierté de l'éditeur ou
auteur remerciant son public et ses juges d'avoir fait
le succès de son livre. Cet orgueil sous le masque m'a
toujours plaisamment rappelé le vers ridicule de M. de
Bellov faisant dire avec emphase à son chevalier sans
peur et sans reproche :
Conterapicz Je Hayard l'ahaissciiK^nt aiigii^Ce.
Mais j'ai un devoir à remplir, c'est de remercier en
toute sincérité quelques critiques des excellents con-
seils que j'en ai reçus. Les conseils profitent plus que
les éloges; j'ensuis avide et je les appelle. Ainsi, l'un de
ces critiques aurait voulu qu'à chaque pièce j'en indi-
quasse l'origine, au lieu de me contenter de signaler
mes sources d'une manière générale, au début de mon
livre. L'observation était juste; mais, quand elle me
fut faite, j'allais achever mon second volume, et je ne
pus que me réserver d'y satisfaire , comme je l'ai , en
effet, accompli, dans un second tirage. Un autre aurait
demandé que je reproduisisse constamment l'ortho-
graphe des lettres. L'orthographe est, il est vrai, un
des côtés de la physionomie des personnages; mais
XVI
c'est surtout pour les œuvres de littérature proprement
dite, et quand il s'ayit des maîtres de la pensée et du
style, que l'orthographe a une signification et une
valeur réelle. Dans les conditions qui ne sont pas
essentiellement littéraires, il m'a toujours paru que si
la première obligation d'un éditeur est de reproduire
ses textes scrupuleusement, qu'ils respectent ou qu'ils
blessent la langue, il suffit, quant à l'orthographe
d'une collection de lettres, d'en imprimer quelques-
unes telles quelles, et d'en donner de bons fac-similé.
Autrement, qu'arrive-t-il? pour être tout à fait exact,
il faut ou mal ponctuer, ou ne pas ponctuer du tout,
conformément aux originaux, et l'on rend la lecture
gênante et difficile, sans aucun profit. Qu'on se figure
d'ailleurs la bigarrure d'un recueil où les lettres d'un
même personnage ne sont pas toujours reproduites de
première main sur les autographes eux-mêmes, quand
autographes il y a , mais aussi d'après des copies qui ,
pour être d'une authenticité indubitable, n'en sont
pas moins généralement transcrites avec l'orthographe
moyenne et typographique du temps. Pour satisfaire à
trois ou quatre délicats :
Les délicals sont iiialhcureiix,
Rien ne saurait les satisfaire,
a dit La Fontaine, — on indisposerait la plupart
des lecteurs, qui veulent le vrai, mais sans l'acheter
par la gêne. Autant donc j'applaudis à ce genre de
minutieux scnipule, quand il a sa raison d'être,
Yv:i
autant j'ai cru devoir l'éviter quand il ne m'a point
semblé strictement commandé. Les pédants s'en vont,
et je les regrette; mais il faut qu'ils soient à leur
place et viennent dans leur temps. Il ne faut pas se
faire appliquer l'épitaphe du précepteur du chevalier de
Boufïlers, l'abbé Porquet :
D'un écrivain soi{;nea!c il eut tons les s(!nij)ules ;
Il ajiprofondit l'art ili'S puintA et des virgules;
Il pcMa, calcula tout \e Hn du métier,
Et sur le laconisme il fit un tome entier.
Tous mes scrupules se sont donc portés sur l'exa-
men critique et sur le choix des pièces; sur l'exacte
reproduction des textes; sur la tâche si ingrate, si dif<-
Hcile et si longue d'en fixer les attributions et les dates.
J'avais acquis de deux conventionnels beaucouj) de let-
tres autographes de Louis XVI et un très-petit nombre
d'originaux et de minutes de Marie-Antoinette. Toutes
ces pièces ont trouvé leur place dans mon recueil. Or,
après plus de vingt ans d'étude sur les documents du
règne de Louis XVI, je croyais avoir acquis quel(|ue
ex[>érience; et certes la dernière critique à laquelle je
me fusse attendu, c'était de voir taxer de supposition
des pièces si sévèrement examinées sous toutes les faces,
comparées, pesées, percées à jour ; des pièces tirées pour
les quatre-vingt-dix-neuf centièmes d'archives [)ubli-^
ques où la vérification en serait si facile. Et cependant
voilà que l'Allemagne essaie de jeter du doute sur
1 authenticité des premières : rAllemagne qui excelle
TOMK lit. **
XTIU
dans la critique minutieuse, subtile et raffinée, comme
si elle se complaisait à fendre un cheveu en quatre et
à broder sur toile d*araigpiée; TAllemagne qui, pour
ju{jer la moindre lettre moderne, déploie tout l'appa-
reil de son microscope, comme s*il s'agissait d'un ma-
nuscrit palimpseste ou de quelque monument vingt ou
trente fois séculaire d'une hypogée. A des articles
anonymes, j'aurais dédaigné de répondre; mais celui
qui s'est fait l'organe de la critique s'est nommé.
C'est le docteur von Sybel, professeur à l'Université de
Bonn, auteur d'une Histoire de Prusse et d'une Histoire
de la Révolution française. Aussitôt les journaux alle-
mands et les correspondants allemands des feuilles accré-
ditées à l'étranger d'obéir au signal et de faire écho.
C'est à cette attaque que je vais répondre (1).
Pour plus de clarté dans la position de la question,
je rappellerai ici les trois recueils épistolaires de
Marie- Antoinette qui sont en jeu.
M. le comte Vogt d'FIunolstein a publié chez Dentu
un volume qui a obtenu et devait obtenir du succès,
ne fut-ce que parce qu'il offrait un ensemble de lettres
de Marie- Antoinette, une autobiographie de cette Prin-
cesse , en quelque sorte un fragment de toutes les
époques de sa vie, surtout des commencements (2).
(1) M. Je Sybel a inséré son arllcle dans la Gazette lii.storicjuc
allemande de Munich, ^iporifc^e ^cilfâjvift; septième année, pre-
mière livraison.
(2) Correspondance inédite de Marie- Antoinette , publiée sur les
documents originaux, par le comte Paul V^oct d'Huîcolsteix. Paris,
18G4.
XIZ
Quelques semaines après, je mettais au jour les deux
premiers volumes du recueil dont je donne ici le
troisième.
Un littérateur allemand, M. le chevalier Alfred
d*Arneth, auteur d'une Histoire du Prince Eugène de
Savoie et d*une Histoire de Marie ^Thérèse en cours
d'exécution , directeur-adjoint des Archives hnpériales
de Vienne , avait découvert dans un carton oublié sous
la poussière, à la bibliothèque particulière de l'Empereur
d'Autriche, une correspondance de Marie- Thérèse
et de Marie- Antoinette, embrassant une période de
dix années, — de 1770 à 1780, — par consé-
quent de l'époque du mariage de la jeune Archi-
duchesse, jusqu'à la mort de sa mère. Il publia sa
découverte dans le dernier mois de 1864, en un
volume à Vienne et à Paris, avec préface et notes
allemandes (1).
On applaudit beaucoup en Allemagne à ce dernier
volume, dont l'éditeur est justement estimé. Mais sur-
le-champ on en prit texte pour crier haro sur ce qui
venait de France. « C'est faux! c'est faux! » s'exclama
en un concert de voix le servum pecus, qui fleurit
outre Rhin comme ailleurs. Le faux est démontré
devant la science : flagrant , indubitable , comme
pour les Livres saints. Malheureuse inflrmité de notre
(1) Mariu'Theresia und Maric'Àntoiuette ; ihr Briefwechsel wah-
rend der Jahre 1770-1780, Hcraiisgegeben von Alfred Hitter TON
Arseth. Paru, 1865 : Ed. Jung-Ticutt' 1. Wicn : Wilhclm BraumuIIer.
XX
ëpoqne de tout ébranler, de crier à la supposition
d'un document historique, quand une chose ne s'y
explique pas du premier coup! On se donne si faci-
lement par le doute un air de connaisseur! et le
doute, en notre temps de scepticisme, fait si bien son
chemin en tout pays, en Allemagne surtout quand il
s'agit de la France! Avant de taxer de supposition des
documents publie's avec bonne foi par des hommes de
cjuelque expérience historique et paléographique, il
serait louable cependant d'y regarder à plus d une
fois; et de pays à pays, d'homme de lettres à homme
de lettres, on se devrait plus d'égards et plus de res-
pect. Qui publie appartient au public, je le sais; et
tout critique qui signale et prouve le faux sert la
vérité; mais à la condition de le prouver péremptoi-
rement et sans conteste. J'ai toujours eu, pour mon
compte, une répugnance invincible pour les pastiches,
les suppositions et interpolations, pour les mémoires
et correspondances apocryphes. A plus forte raison
ai-je horreur du faux, notre ennemi personnel à nous
Curieux d'études et de documents historiques. Toutes
ces supercheries et roueries littéraires, tous ces jeux
de l'esprit , de l'esprit de mensonge , qui ne sont
qu'une variété du faux, sont, comme le faux lui-même,
des crimes contre un des premiers biens de la con-
science humaine , contre l'honnêteté de l'histoire. La
certitude en toute chose de bonne foi est déjà assez
fragile sans qu'on la vienne fausser encore de gaieté de
cœur. Est-ce dans l'intérêt, est-ce contre l'intérêt d'un
XXI
personnage qu'on a voulu a{jir? Eh! bon Dieu! laisse;
faire la vérité, elle servira toujours mieux que la sup-
position, en quelque sens que ce soit. Il faut donc qu'il
y ait à faire des du|)es une jouissance bien vive pour
que des hommes qui, ce semble, auraient mieux à faire
de bonne foi, usent leurs veilles à ces mensonges pour
le plaisir d'un instant, suivi le plus souvent de sifflets.
On comprend au moins ces imposteurs qui taillèrent
leurs impostures dans le (jranit, ceux-là par exemple
qui fabriquèrent la Chronique de Turpin et ces Décré-
tales (pii, depuis le huitième siècle, furent la clef de
voûte (le la puissance pontificale. Oh! que s'il s'agissait
d'une action dramatique feinte, il n'y aurait, touchant
telle ou telle parole, qu'à s'occuper de la vérité de
sentiment, de la vérité relative. FJn effet, peu importe,
en matière purement littéraire, qu'un mot ait été
dit en réalité, pourvu qu'il ait pu l'être. (Juand
la ressemblance morale est conservée, embellir par
l'expression est un mérite de plus. Mais lorsqu'il
s'agit d'une situation , d'une parole , d'une épître
inanpiée au sceau de l'histoire elle-même, je n'y veux
que la vérité vraie. La fiction , encore une fois, serait ,
dans ce cas, une «atteinte portée à notre bonne h)i
et à notre conscience. Ce n'est pas qu'en repoussant
les jugements de M. de Sybel, je veuille les taxer de
mauvaise foi , non ; si je le croyais de mauvaise
foi , je ne lui ferais pas l'honneur de lui répondre ;
mais je l'accuse de légèreté, de prévention et de partia-
lité. Or, tout esprit d'exclusion offusque le jugement.
XXII
Je ne sais qui a dit : a Donnez-moi deux lignes de
l'écriture d'un homme, et je me charge de le faire
pendre. » M. de Sybel aurait dit le mot que je ne m'en
étonnerais pas. Une fois qu'on s'est chaussé d'une idée,
tout vient y converger, tout s'y moule ; on y fait tout
rentrer bon gré, mal gré, comme un coin dans le bois.
C'est de la demi-science qui n'a encore su voir qu'un
côté des choses. Dans tous les cas, l'attaque était aujour-
d'hui d'autant plus intempestive qu'en un second tirage
de mon recueil, j'ai, comme il est dit plus haut, donné
l'origine, une k une, des pièces que j'ai pubhées, et que,
bien entendu, je continue le même système dans le pré-
sent volume, pour le continuer dans les deux suivants.
Examinons
Que le livre de M. Alfred d'Arneth se compose de
pièces authentiques , personne ne le conteste ; moi ,
moins qu'aucun autre. Ces pièces ne sortiraient pas du
cabinet particulier de l'Empereur d'Autriche, que le
savoir et le caractère personnel de Féditeur jureraient
suffisamment pour elles, à mes yeux. Mais, en vérité,
on a fait trop de bruit autour de cette correspondance,
qui n'avait pas besoin pour faire sa voie du glas de
tocsin sonné contre les publications françaises.
De ce qu'elle est authentique, s'ensuit-il qu'elle soit
l'unique parangon de toute droiture, et que d'autres
lettres de la même époque et des mêmes personnages
n'aient pas la même valeur d'authenticité? Ces lettres
de M. d'Arneth ne constituent en définitive qu'une
petite portion de la correspondance échangée dans la
XXllI
réalité entre Marie - Thérèse et sa fille pendant dix
années (1). Elles sont loin de se répondre toujours
lune à Tautre. M. Arneth n*a pas trouvé en originaux
même la moitié des pièces qu'il a imprimées; il lui a
fallu recourir a des copies du baron de Pichler, un des
secrétaires de l'Impératrice et le chef de son cabinet
noir : des copies exécutées évidemment après coup, on
ne sait à quelle date. Gomment explique-t-on les lacunes
si considérables de cette correspondance de famille?
Comment explique-t-on la disparition des originaux
aujourd'hui manquants? Ainsi, Marie -Thérèse avait
accoutumé de donner à chacune de ses filles de longues
instructions écrites , au moment de leur mariage. On
connaît celles qu'elle remit à Marie-Christine en 1760,
quand elle l'unit au duc de Saxe-Teschen. On connaît
également celles qu'elle écrivit pour la Reine de Naples.
Comment la collection de M. d'Ameth n'a-t-elle pas eu
en copie celles qu'emporta Marie-Antoinette et que pos-
sédait l'illustre chancelier de France, M. leducPasquier?
C'était là cependant un document capital (2). Les
(1) Le volume ne se compose que de soixante et onze lettres de
Maiie-Tli<'*rèse et de quatre -vinjrt^douze de Marie- Antoinette. Or,
ocllc-c'i écrivait ré(»ulicrenient tous les quinze jours par le courrier de
l'ambassade d'Autriche, sans préjudice des envois par les courriers
français. A ne supputer que deux lettres par mois, il devrait se trouver
deux cent quarante lettres de la Reine dt> France.
(2) On trouve au supplément du présent volume la pièce impor-
tante des instructions de Tlmpcratrice h. Marie-Christine. Nous don-
nerons dans notre prochain volume celles qu'elle destina à Marie-
Antoinette, et que nous avons son{;é trop tard à demander à M. le
Jnc d'Audiffret-Pasquier, fil» adoptif du chancelier, pour les faire
Cïlrer ici.
XXIT
révolutions, qui ont mis la main sur tant de documents,
•
les invasions, la néyliyence des secrétaires et des
archivistes, après un certain nombre d'années écoulées,
peuvent fournir matière à bien des conjectures. A
moins qu'elles n'aient été détruites, il faut cepen dan t
que ces feuilles, absentes du giron autrichien, se trou-
vent quelque part. Les vicissitudes que le hasard (si le
mot hasard n'est pas vide de sens) inflige parfois aux
papiers les plus précieux, même les plus secrets, ouvrent
un vaste champ à l'imagination. « Brûlez ma lettre, »
ce mot sufBt pour la faire garder; un demi-siècle
s'écoule, et cette lettre intime, cette lettre écrite même
d'une main royale, figure dans la collection du premier
Curieux. De ces lettres de Marie-Antoinette à sa mère,
j'en possède, depuis plus de trente-cinq ans, quelques-
unes , apparemment sans avoir recouru à la générosité
coupable d'archives se dépouillant en faveur d'un
étrang(îr. Il y a donc place dans la correspondance
entre l'Impératrice ,- la Dauphine et la Reine, pour
d'autres lettres que pour celles de la série de M. Arneth.
Assurément je n'ai point à me constituer le défenseur
officieux des lettres imprimées par M. d'IIunolstein , qui
d'ailleurs me semblent suffisamment protégées par leur
qualité d'autographes. M. d'Hunolstein est un ancien
Curieux, un connaisseur, et il n'a besoin de personne
pour se défendre. Je me borne donc à répondre sur ce
qui me regarde personnellement.
M. le docteur de Sybel n'a pris à partie que deux
ou trois de mes pièces, et le procès qu'il m'intente est
1>.!AHIE-ANT0INETTF
^/fù-î^^i
//ut
/
'••fV^Z/V^'i/S^ ;/<
fjiif une ^/Va j;
i û
7/d/t
f/i/^
Or,
^9^^1*4
IXVI
chibald Bower, Chatterton , Lauder, Crébillon fils,
Angliviel de la Beaumelle , M"" Pherson , Surville , Sénac
de Meilhan , qui se transforma en princesse palatine ;
Courchamp, qui s'afFubla des coiffes de la marquise
de Créquy, n'étaient pas non plus des mystificateurs
maladroits. Il n'y a guère que le fils du pauvre tisse-
rand de Spithafields, le pseudo-Shakspeare Ireland,
et les modernes fabricateurs de poésies du Tasse et de
lettres de Schiller et de saint François de Sales qui se
soient montrés de véritables niais. Il fallait aussi qu'il
fût bien avisé et bien subtil ce Constantin Simonides
qui, dans ces dernières années, tint en échec les savants
les plus éminents de la Prusse :
Oinnes cœlicolaïJ, oiniies supora alta Icnjiiles;
qui fit accueillir h Berlin une prétendue rédaction
grecque du Pasteur d'Hermas, et se joua si mécham-
ment des lumières transcendantes des professeurs de
cette ville , en leur présentant des manuscrits antiques
de sa fabrication , en leur promettant des comédies de
Ménandre et leur servant un faux Sanchoniathon publié
à Brème par Wagenfeld.
Oh ! maintenant je comprends la préoccupation de
M. de Sybel. Depuis les audacieuses supercheries de cet
incorrigible Simonides qui s'essaie aujourd'hui même
à Londres, où l'on a si vite jugé un homme, et qui
déjà y est démasqué; depuis les mésaventures de
l'Hermas et du Sanchoniathon, messieurs de la Prusse
IXVII
sont ombrageux; toutes leurs vedettes littéraires sont
sous les armes et voient partout le faux et la peste :
« Quand on a la jaunisse on voit tout en jaune » :
Lurida przterea fiunt quaBcumquc tucntur arquati.
Marie- Antoinette, objecte-t-on tout d'abord, ne
signait que Antoinette dans ses lettres intimes et de
famille et n'en recevait que ce nom (1) . C'est une erreur
pour le premier point. Elle a signé, à la même époque,
tantôt d'une manière, tantôt de l'autre, une fois qu'ap-
pelée à mettre sa signature sur son acte de mariage ,
déposé à l'église de Saint-Louis de Versailles, elle eut
signé Marie-Antoinette, et non pas Antoinette tout court.
C'est Marie-Antoinette qu'elle a signé son premier billet
à sa mère en sortant de la chapelle où elle venait
de recevoir l'anneau de Dauphine. Est-ce que l'on
taxera de supposition les lettres de Louis XVI signées
Louis, parce qu'au recueil Arneth, le recueil-type de
ces Messieurs , Marie-Thérèse l'appelle Louis-Auguste ,
et que déjà Roi , il avait parfois continué cette signature
de Dauphin? Je possède des minutes autographes de
lettres de Marie -Antoinette à sa sœur Christine, non
signées; mais à côté de deux lettres autographes h
Marie-Thérèse, signées seulement Antoinette^ j'en ai
deux autres , également à sa mère , signées Marie-Antoi-
nette. De ces dernières, il s'en est trouvé une en copie
(1) Voir page 85 du présent Tolume.
XXVllI
parmi celles qu'a publiées M. d*Arneth. Ce sont des
autographes tout aussi authentiques que les authen-
tiques du recueil viennois.
Reste la gouvernante des Pays-Bas, l'Archiduchesse
Marie-Christine, qui, dit-on, était la Marie par excel-
lence dans sa famille, et que dès lors Marie-Antoinette
n'a pu appeler Christine tout court. Or, j'ai vu chez
Son Altesse Im|)ériale et Royale Monseigneur l'Ar-
chiduc Albert, à Vienne, des lettres de la Gouvernante
signées de ses deux noms à son mari le duc de Saxe-
Teschen. Depuis que Marie-Antoinette, arrivée en
France, eut adopté son nom de Marie ^ qui prouve
que la Dauphine n'ait pas donné à sa sœur ce nom
de Christine ou Marie- Christine ^ qui était son nom
politique? Qu'on me montre plusieiu^s lettres de la
Reine lui attribuant ce nom exclusif et d'intimité de
Marie, tandis que j*ai des minutes, provenant des pîi-
piers de Vermond, où elle la qualifie de ma chère sœur
ou ma chère Christine, Il est dangereux de tomber dans
les assertions.
M. de Sybel se tire daffaire |)()ur démontrer la
supposition des lettres de Marie-Antoinette à Marie-
Christine, en disant que la Reine n'a jamais écrit
qu'une ou deux lettres à sa sœur la Gouvernante des
Pays-Bas, en 1791 et 1792, et que les deux Princesses
n'avaient entre elles aucune relation. Et pourquoi le
dit- il? parce que l'historien de Marie- Christine,
M. Wolf, n'a donné que ces deux lettres. Belle raison
à mettre à cùté de celle qu'il avance sur la non-
XXIX
authenticité des lettres de la Reine à rimpératrice :
Parce qu'elles ne sont pas dans le recueil Arneth !
Gomme s'il était admissible que deux Archiduchesses,
deux sœurs, dont les intérêts, comme les États, se tou-
chaient de si près, pussent ne pas être en relation!
Qu'elles ne se soient pas beaucoup écrit dans les
années d'ébullition révolutionnaire, à cause de la dif-
ficulté des rapports, cela se conçoit, bien que Marie-
Antoinette, même à cette époque, ait trouvé le moyen
d'écrire à Christine en même temps qu'à Mercy, on le
voit par la correspondance de ce dernier. Mais les lettres
discutées ne sont pas de cette date : elles sont des pre-
miers temps du séjour d'Antoinette en France. Un
peu plus tard , la politique mit du froid entre les deux
sœurs : le voisinage qui devait les unir les avait divi-
sées. Gomment ces lettres sont-elles sorties des archives
de Saxe-Teschen? comme sont sorties des archives de
l'Impératrice les lettres qui lui avaient été adressées.
M. Wolf n'a donné que ce qu'il a trouvé.
Quand on parle de la différence de ton et d'allure des
lettres de Marie-Antoinette qui ouvrent mon premier
volume, avec celles du recueil de M. Arneth, différence
qui ne me parait pas aussi tranchée ni aussi générale
qu'on le suppose, on ne songe pas assez à l'âge qu'avait
alors cette Princesse ; on oublie qu'il est acquis à l'his-
toire, nous l'avons déjà dit dans notre premier volume,
que l'abbé de Vermond, d'abord son précepteur, puis
son lecteur, ou plutôt son confident jusqu'en 1789, écri-
vait souvent les lettres de la Reine et les revisait toutes,
zxx
et que celle-ci se bornait à les copier de sa main , ou
bien les écrivait sous sa dictée (1). Et ici je veux
parler de lettres intimes, car les réponses à des placets,
les lettres officielles étaient du domaine d'hommes
spéciaux (2). Plus d'une fois, dans les premiers temps,
durant quelques voyages de l'abbé , elle s'était risquée
à écrire sans conseils, et s'en était mal trouvée : une
de ses lettres relative à madame de Boufflers avait
été tournée en ridicule dans la famille des Broglie, et
elle l'avait su. Une autre fois, elle était dan» une mor-
telle inquiétude, et avait « grande peur » , comme elle
dit, des critiques de la Du Barry sur la première lettie
qu'elle venait d'écrire au Roi , la Du Barry les lisant
toutes. Ce n'est pas cependant qu'on ne s'exposât à
une grande erreur en poussant à l'extrême cette obser-
vation. Si Marie-Antoinette se faisait aider par Ver-
(1) Copier ne lempèchait pas de fiaire des fautes d*orthographe. Qui
ne «init pas l'orthographe ferait des fautes en copiant un imprimé.
L'orthographe Hxe, il faut le reconnaitit% est une science toute mo-
derne. Au sicVle de Louis XIV, cliacun à peu près avait la sienne.
Misâmes de Sévigné, de La Fayette, de Maintenon faisaient des fautes
nom l>i'« uses. On n'inventerait jias Torthographe de madame de Mon-
tespan , <pii est digne de Martine, la servante du bon Chrysale. Le
système général était en quelque sorte de n'en point avoir : on se
bornait à écrire comme on prononçait. Voltaire, par systc-me et par
tapsusy accumulait les fautes. Plus tard, quand Téducation est devenue
plus ({T'a mmatica le, sous la Restauration, juir exemple, la petite-fille
corrigeait les fautes de sa grand'mère.
(2) « L'abbé de Vennond revoyait toutes les lettres qu'elle envoyait
à Vienne. La fatuité insoutenable avec laquelle il s'en vantait dévoi-
lait le caractère d'un homme plus flatté d'être initié dans les confies
intimes, (|ue jaloux d'avoir rempli dignement les importantes fonctions
d'instituteur. « (Mémoires de madame de CàMPAn, t. I, p. 42, 43.)
XXXI
mond , devant lequel elle ne rougissait pas de son peu
de savoir ; si elle se faisait parfois corriger par Louis XVI
lui-même, ainsi qu'il résulte d'intercalations de la main
de ce Prince sur le brouillon d'une lettre de la fille à
la mère, je n'en suis pas moins convaincu qu'elle n'a
pris le conseil de personne pour la plus grande partie
de ses lettres à Marie-Thérèse, desquelles Louis XVI, —
Dauphin ou Roi , — était le sujet trop confidentiel pour
qu'elle en fit l'ouverture à qui (pie ce fiit. Ma remarque
n'en subsiste pas moins pour ce qui n'avait pas un
caractère essentiellement intime, et Vermond n'est pas
le seul qui ait rédigé des lettres pour elle. C'est ainsi
que s'expliquent et la différence dans les nuances (hi
style et la différence dans les formules. La révélation
des lettres si heureusement trouvées par M. le cheva-
lier d'Arneth n'a fait que me confirmer dans cette
pensée que j'avais pressentie et déjà exprimée en
Voyant un registre de lettres de la Reine tenu par
A/^ermond , et où je crus reconnaître qu'il s'était borné
è faire entrer celles qu'il avait écrites pour elle ou bien
ï'etouchécs sur les minutes de son ancienne élève. Dans
Aes correspondances de cette catégorie , il y a évidem-
^nont, non pas de l'élégance, — il n'y en a jamais,
mais certains idiotismes , certaines locutions essen-
Uellement françaises (|u'un long usage de la langue
J)eut seul fournir et qui accusent la main de l'homme ;
tnais il est rare qu'il n'y ait pas en même temps çà et
là quelqu'un de ces traits d'individualité qui fasse recon-
naître la griffe de la jeune lionne, ou plutôt la jeune
xxxu
fille qui avait ses éclairs, sans être femme encore. Voilà
un fait pour moi évident et palpable qui ne s'est point
présenté à l'esprit de ces ouvriers de la dernière heure
qui naguère se souciaient si peu de Marie-Antoinette,
et qui daignent aujourd'hui s'empresser autour de sa
statue relevée par d'autres mains que les leurs.
La vérité est que les préoccupations du trône et le
poids de l'âge avaient empêché Marie-Thérèse de
donner à sa dernière enfant tous les soins de sa ten-
dresse. On a imprimé que Marie-Antoinette était fort
instruite, et qu'un jour même elle avait improvisé en
latin une réponse à un discours en cette langue. C'est
une erreur. De telles harangues n'étaient que des
phrases dynastiques apprises par cœur sans qu'elle les
comprît ; et il n'y avait (elle en convenait elle-même)
que la flatterie qui pût la donner comme humaniste et
aussi comme véritable auteur des dessins qu'elle pré-
sentait à Marie-Thérèse le jour de sa fête, et qui font
encore avec les crayons et les lavis des autres Archidu-
chesses et des Archiducs, l'ornement de l'un des petits
salons d'un palais impérial d'Autriche. En réalité, son
éducation avait été fort négligée, et elle avait beaucoup
plus deviné qu'elle n'avait appris, alors qu'enfant de
(piinze à seize ans, elle apparut en France. Née avec un
génie intuitif, elle avait même, dans sa première jeu-
nesse, de ces saillies frappées de bon sens qui ne sont
pas rares près des marches du trône, et que venaient, en
quelque sorte, offusquer les premiers bouillons de la
jeunesse. Elle n'acquit son développement d'esprit et de
XXXIII
caractère que par degré et ne se mit tout entière dans
ses correspondances que vers la Révolution , alors
qu'elle eut mûri en pleine lutte contre les faiblesses de
son mari, contre les défiances et les haines du palais
et de la rue qui méconnaissaient son âme et son cœur.
Elle avait commencé à faire quelques lectures. Elle en
donne même la liste. Son mari, qui avait aimé les livres,
l'y aidait, ainsi que Vermond. En somme toutefois, elle
s'instruisit peu par l'esprit des autres ; elle dut beau-
coup plus au temps, à l'épanouissement de;son âme, à
l'observation, au malheur, à ce qu'on appelle l'expé-
rience. Mais encore une fois , dès l'époque où elle ac-
ceptait des secrétaires, elle avait, pour ainsi parler,
des accès et saillies de bon sens qui éclatent dans ses
lettres. C'est alors que le besoin d'expansion, les pétille-
ments d'une gaieté native, la recherche de vives distrac-
tions, l'inquiétude latente des satisfactions intimes du
cœur que son mariage lui avait promises et n'avait pas
tenues , la jetaient dans les exercices violents de l'équi-
tation et du bal, et donnaient à ses instincts féminins
un air de légèreté excessive dont elle ne devait que trop
se guérir. Sa mère elle-même, prévenue par les mé-
disances de cour, les cailletages des gazettes et les
méchancetés, cachées sous le masque de l'intérêt, s'y
est parfois méprise. La correspondance donnée par
M. d'Arneth a le mérite de fixer l'opinion sur plusieurs
points délicats , touchant la nature des rapports exis-
tants entre la mère et la fille. Ou y voit avec un vif
intérêt combien la tendresse de l'Impératrice s'anima
TOMK III. **'
XXU¥
des plus vives sollicitudes pour Marie-Antoinette, quand
elle l'eut donnée à la France ; et l'on se prend , à son
insu , pour la grande souveraine , de je ne sais quel
attendrissement qui est plus que le respect; mais ce
sentiment diminue en même temps que l'on poursuit
la lecture. Maiie-Thérèse couve d'abord sa fille, en
tremblant, avec un redoublement de cœur, elle la sou-
tient comme à la lisière, pour prévenir les faux pas que
cette enfant pourrait faire encore. Aux conseils sur la
santé, sur la tenue, elle enjoint sur la conduite. Elle
observe et surveille, donne des avis, commande et
ordonne, loue peu, gronde souvent, (rop souvent
même. Il est vrai que souvent aussi l'espièglerie de la
jeune femme sans expérience méritait des reproches.
Poussée par madame de Péquigny, sa première favorite
(elle l'a reconnu plus tard), elle lançait des volées de
sarcasmes un peu vifs contre les douairières et les
collets montés, et s'aliénait ainsi, par étourderie, sans
méchanceté réelle, des familles influentes. Tout a son
importance sur le trône ou sur les marches du trône ;
mais l'aimable Princesse, qui ne demandait qu'à bien
faire, n'avait auprès d'elle, depuis Choiseul , aucune
amitié considérable qui veillât sur sa personne ; de loin,
bien des nuances échappaient; et Vermond pouvait la
conseiller dans une certaine mesure , non pas la con-
duire.
Dauphiue, Marie -Antoinette reçoit d'abord avec
la plus filiale déférence , comme à Schœnbrunn , les
gronderies maternelles. On la voit s'incliner avec sou-
mission et humilité ; on la voit rougir tout en essayant
de s'expliquer timidement et de se défendre. Mais à
mesure qu'elle avance dans la vie, elle se fatigue de
tant de minutieuses remontrances et d'impérieuses
fâcheries. Sa vénération pour l'Impératrice dominera
toujours son indépendance et sa fierté natives ; mais
en revanche , on la verra , sans jamais se mutiner ou-
vertement ni se cabrer, sans jamais manquer de respect
ni de mesure, commencer à protester avec vivacité,
avec fermeté, et finir par éluder les reproches et n'y plus
répondre. On voit qu'au fond son cœui' se serre, et le
lecteur se révolte avec elle. La question de madame
Du lîarry surtout fut une des pierres d*achoppement.
Si les maiti'esses avaient fait perdre à Louis XV le
sentiment moral, Marie-Thérèse, dans sa politique,
dans son affection même poui' la trop jeune Dauphine,
livrée sans défense à tous les écueils , ne voulait pas
que celle-ci manquât aux bienséances envers Louis XV
dans la personne de la favorite. L'Impératrice , ren-
seignée de tout côté par le zèle de Vermond , de
Mercy, de voyageurs, et particulièrement du baron
Corneille de Neny, conseiller d'État, premier secré-
taire de son cabinet, qu'elle avait expressément en-
voyé à Paris pour observer la Dauphine, savait à
merveille que madame Du Barry avait en aversion
Marie-Antoinette , qu'elle n'apj)elait devant le Roi que
U petite rousse; elle savait qu'elle travaillait de toutes
ses forces à lui ahéner le cœur de Louis XV, et mena-
çait la Dauphine des conséquences d'une telle influence.
♦••
Marie -Thérèse, la femme forte et religieuau, .^
raison d'État avait poussée un jour à capituler avec elle-
même en ménageant madame de Pompadour; elle qui
avait su Tenivrer dans l'intérêt de Vienne, en lui écri-
vant, ce qui était beaucoup ; on l'appelant 3/^ Cousine,
ce qui était trop, vonhiit que sa fille adressât au moins
la parole à la favorite régnante, comme à toute autre
dame reçue à la Cour. Elle lui écrivait :
« Vous êtes la première sujette du Roi, vous lui
devez obéissance et soumission ; vous devez l'exemple
à la Cour, aux courtisans, que les volontés de votre
maître s'exécutent. Si on exigeoit de vous des bas-
sesses, d(*s familiarités, ni moi ni personne pourroit
vous les (onseilIcT; mais une parole indifférente, de
certains regards, non pour la dame, mais pour votre
grand-père, votre maître, votre bienfaiteur? et vous
lui man(|uez si sensiblement dans la première occasion
où vous pouvez l'obliger et lui marquer votre attache-
ment, qui ne reviendra plus de sitôt Vous avez
peur de parler au Roi, et vous n'en avez pas de lui
désobéir ou le désobliger. » Et ailleurs, toujours sur le
même sujet, elle lui écrivait encore : « Vous
devez cela au Roi et à moi. En faisant son devoir, on
ne doit pas penser au qu'en dira-t-on, et vous n'avez
à rendre compte qu'à nous de vos actions. »
A la bonne heure; mais, ce semble, elle avait aussi à
rendre compte à son mari, à qui la favorite répugnait
XXXVll
et qui avait une l)rus(|ue volonté à menacer. Deux
mois après son mariage , elle avait écrit à sa mère :
« Le Roi a mille bontés pour moi, et je Taime ten-
drement; mais c'est à faire pitié la foiblesse qu'il a
pour madame Du Barry, qui est la plus sotte et imper-
tinente créature qui soit imaginable. »
Voilà la première impression. Mais la favorite a-t-cUe
fait quebpie acte de bienfaisance , car elle n'avait pas
mauvais cœur; la Dauphinc, qui l'avait excellent, la
trouvait au fond bonne femme, et le disait. Ses clian-
gements de langage sur cette femme sont un des carac-
tères de la jeunesse de Marie -An toi nette, toute de
premier raiouvement. Elle croyait en faire assez en
n'étimt point agressive; mais sa mère, à qui le terme
moyen de cette neutralité n'agréait pas, harcelait la
malheureuse Dauphine de remontrances. Et, à ce
propos, M. de Sybel range tout d'abord parmi les
apocryphes une lettre de mon recueil qui ferait dire à
Ma rie- An toi nette, écrivant à sa mère : « Je ne vous ai
. pas encore parlé de madame Du Barry. » La réponse
est facile. Dans la minute autographe, surchargée, (jue
je possède, on lit reparlé, et non parlé. Dans l'imprimé,
la faute typograplii(pie, qui a été reconnue pendant le
tirage, n'est pas en tous les exemplaires. Le mot équi-
voque existàt-il d'ailleurs dans la minute et dans Tori-
ginal, ce serait un lapsus : il en a échappé bien d'autres
à la jeune Princesse !
XXXTIII
Ensuite, est-il bien équitable d'arguer de telle ou
telle date d'une lettre contre l'authenticité de l'épître
elle-même, quand la date, comme tel est le cas pour
nombre de lettres du recueil Hunolstein, publié trop
vite , n'est qu'une conjecture plus ou moins heureuse
d'éditeur? Tous deux, M. d'Hunolstein et moi, avons
imprimé, — lui sur l'original, moi sur la minute, —
une même lettre de Marie-Antoinette à sa mère, sûr
l'état d'esprit de Madame Elisabeth, après le mariage
de sa sœur et compagne, madame Clotilde, devenue
princesse royale de Savoie. Marie-Antoinette a suggéré
ridée de constituer une maison à la jeune Elisabeth
pour l'enlever à des pensées de cloître. La lettre qui ,
dans le recueil Hunolstein, est donnée au 17 août 1775,
doit être datée du 17 avril [1778], d'après une anno-
tation de la minute et le fait qui y est traité. Les adver-
saires allemands nient l'authenticité delà pièce. Quelles
sont leurs objections chargées d'un fastidieux enche-
vêtrement de dates? C'est que :
1* La Reine a écrit le 25 du mois précédent à sa
mère sur la politique , sans plus ;
2® Qu'elle lui a écrit de nouveau le 19 avril — deux
jours après la lettre en question — pour lui annoncer
sa grossesse qu'elle regrette de ne pas avoir fait con-
naître depuis huit jours, comme elle se le proposait;
3* Que, dans sa réponse du 2 mai, l'Impératrice ne
parle que de grossesse et de politique, et ne fait aucune
mention de Madame Elisabeth ni de la lettre du
17 avril qui lui est exclusivement consacrée.
XXXEX
4" Enfin, que la Reine, écrivant de nouveau a sa
mère, à la date du 5 mai, dit les paroles qui suivent :
4
« Ma santé et mes espérances continuent toujours à
être bonnes, et on les croit si sûres que Ton commence
à nommer la maison d'Elisabeth, dont Téducation ne
pourroit se continuer avec celle de mes enfants. »
Ah ! c'est pour le coup , si une pareille phrase se Fût
trouvée dans une des lettres de mon recueil, que T Alle-
magne ameutée eût crié à l'apocryphe! Quoi donc?
aurait-elle dit , « est-ce que la Keine peut escompter
ainsi un avenir obscur et parler de ses enfants, quand elle
en est encore au premier mois de grossesse du premier?
Peut-elle s'inquiéter de la concurrence qui s'ouvrirait
entre l'éducation de Madame Elisabeth, parvenue au-
jourd'hui à sa majorité princière. Madame Elisabeth, à
qui l'on donne maison, — et l'éducation d'enfants encore
à naître, d'enfants à la mamelle quand Elisabeth, arri-
vée à seize ou dix-sept ans, aurait pu être mariée et
avoir aussi des enfants en éducation ? Et disons-le en
passant, si j'avais comme l'Allemagne critique du temps
à perdre et le goût du cheveu fendu en quatre, je trou-
verais dans le recueil de M. d'Arneth, si authentique
cependant, d'autres étrangetés de même force, par
exemple des impossibilités de dates, qu'on s'explique
aisément d'ailleurs quand on apporte dans l'examen
calme et bienveillance, et non prévention et parti pris.
Mais revenons aux objections contre cette lettre du
XL
17 avril [1778] . Et d'abord, qu'importe que la Reine
ait écrit sur la politique sa petite lettre du 25 mars?
En quoi cela implique-t-il contradiction avec la lettre
qui ne parle que d'Elisabeth, le 17 avril suivant? En
quoi celle du 19 serait-elle incompatible avec cette der-
nière? Marie-Antoinette dit que, depuis huit jours, elle
voulait déclarer sa grossesse; qui sait? peut-être le 17
s'était-elle mise à son bureau pour révéler cet important
secret, quand soudain elle aura changé d'avis, et au
lieu de s'ouvrir encore, elle n'a parlé que de l'entretien
qu'elle venait d'avoir avec le Roi sur un autre sujet dont
elle était toute remplie. Disputez donc sur un fait aussi
délicat, sur les volontés et caprices d'une femme grosse !
J'en demande pardon à M. de Sybel, mais il est humi-
liant de se voir opposer de si vaines objections. Est-il
donc besoin d'être un grand clerc ou un grand physio-
logiste pour s'en étonner? Mille motifs intimes et secrets,
dont le cœur et la raison d'une femme sont seuls juges,
peuvent lui faire hâter ou suspendre l'annonce d'une
grossesse, et les critiques n'ont rien à y voir.
L'objection tirée du silence de l'Impératrice, le 21 mai
suivant , sur la lettre du 17, traitant exclusivement
de Madame Elisabeth, est aussi frivole. N'était-il pas
tout simple que Marie-Thérèse ne répondît que sur la
politique qui l'obsédait, que sur la grossesse de la Reine
de France, une nouvelle si grave, si importante, si dési-
rée, si peu attendue! Et puisque, suivant le système de
l'écrivain allemand, la Reine n'aurait parlé pour la pre-
mière fois h sa mère que le 5 mai, de la maison consti-
XLI
tuée à Madame Élisabetl), et que sa mère aurait dû lui
répondre à ce sujet, quand donc Ta-t-elle fait î
Jugez encore d'une autre légèreté de M. de Sybel.
« Ces exemples , » dit-il , après des critiques sur quel-
ques pièces du recueil Hunolstein, que je n'ai point à
relever, « n'admettent ni doute ni contradiction. La
question est de savoir quelle est la valeur des autres
pièces. » Et alors il fait une sortie contre moi, à propos
d'une lettre de la Reine à sa sœur Christine, en date
du 27 juillet 1770. « Antoinette mande à sa sœur
qu'elle est sur le point d'établir son séjour à Com-
piègne, tandis qu'en réalité elle demeurait déjà, le
18, à Compiègne. » C'est M. de Sybel qui parle, mais
le fait parle autrement , et rien , on le sait . n'est
obstiné comme un fait. Ouvrez la Gazette de France, un
journal qui court les rues , et vous y verrez que le Roi
et la famille royale étaient le 4 juillet à Marly, le 10 a
Choisy ; que Louis XV s'était proposé de partir pour
Compiègne le 17 ; mais qu'une fièvre survenue à M. le
Dauphin, par suite d'un gros rhume, fit suspendre le
départ royal ; vous y verrez que le plus fort des accès
étant passé le 20, le Roi se détermina à partir et que le
Dauphin demeura à Versailles avec la Dauphine; que
de la sorte ils n'assistèrent point avec le Roi à la messe
patronale du château, fête de Saint-Jacques, et qu'en-
fin ce fut seulement le 30 (pie Marie-Antoinette fut
conduite par son mari à Compiègne où la famille royale
les attendait. Qui veut trop prouver ne prouve rien.
« Et voilà justement comme on écrit l'histoire. » Je ne
XLII
connais pas celle de la Révahition par M. de Sybel,
mais si elle est écrite dans un pareil esprit de cri-
tique, je ne la mettrai pas, je Tayoue, sous mon cberet,
comme le grand Alexandre mettait Homère sous le sien.
Le Critique a été bien mal inspiré en avançant que
les lettres de mon recueil auxquelles il a fait allusion
ont été combinées d'après madame Campan. En efFet,
qu'était-ce que madame Campan ? La femme de chambre
de la Reine ; femme de chambre un peu maniérée et pré-
tentieuse, mais instruite et insinuante, ancienne lectrice
de Mesdames, et que Marie-Antoinette employait volon-
tiers aussi au même titre ; qu'elle voulait bien mettre
assez souvent dans la confidence de délicates affaires ;
une femme qui écoutait aux portes, était parfois chargée
de fermer les lettres que la Reine venait décrire, et
entendait à la volée la lecture de certains billets de Ma-
rie-Antoinette et ile Marie-Thérèse ; qui tenait note, au
moment même, de tous les mots qu'elle recueillait par
surprise ou dans les conversations directes et suivies.
Ses manuscrits en font foi, manuscrits sur lesquels, plus
tard, elle rédigea ses Mémoires, et qui de temps à autre
contiennent plusieurs versions du même fait, suivant
sans doute les récits divers qu'elle avait entendus suc-
cessivement des seigneurs de la Cour. Or, dans une
Cour tout se sait, à plus forte raison des officiers et
domestiques de l'intimité. Les princes ne se méfient
pas assez de leurs entours ; il y a là parfois tels indis-
crets, tels espions qui n'ont d'yeux et d'oreilles que
pour la postérité. Voyez par exemple cette caillette de
XLiir
cour sans vergogjne, ce Procope hardi et délibéré, si
digfne de la Cour de Bas-Empire où il vivait, ce Bran-
tôme, le familier des princes : — il ne les a pas quittés
• que déjà sa plume va les trahir! A peine si la vie pri-
vée des simples particuliers réussit à se murer; que
sera-ce pour les princes? Leur vie est ouverte, et leur
maison de verre. Qu'y a-t-il donc de surprenant à ce
que la femme de chambre ait été l'écho de Marie-
Antoinette? Qu'y a-t-il de surprenant à ce que le por-
trait des trois tantes coïncide chez madame Campan
avec celui qu'en fait la Dauphine? Qu'y a-t-il de sur-
prenant à ce que celle-ci, assez encline à une nuance
de moquerie fort pratiquée par sa première favorite,
se rie légèrement de Madame Sophie qui ne regarde
pas en face, et mentionne le nez de Madame d'Artois?
Apparemment cette princesse avait un long nez pour
tout le monde : y a-t-il donc tant a s'étonner qu'une
jeune personne, qu'une enfant en prenne la mesure
quand elle fiiit à sa sœur le portrait de la nouvelle
venue ! La remarque est au moins oiseuse, et, pour
mon compte, au lieu de nuire dans mon esprit à
l'authenticité des lettres, ces rapports entre les lettres
et les Mémoires me la confirment, en même temps
que les lettres donnent, à mes yeux, plus de crédit à
madame Campan elle-même.
L'Empereur Joseph a été l'objet d'une ovation au
théâtre de l'Opéra. La Reine l'a tiré du fond de sa loge
pour se parer de son frère. Elle en parle à sa mère.
Cet incident qui a remué la Cour, et dont madame
XL IV
Campan a peut-être dix fois entendu le récit, est men-
tionné par elle. Il n*en faut pas davantage pour faire
taxer de fausseté la lettre de Marie-Antoinette. Ab
uno disce omnes.
La Reine dit à sa sœur que Joseph II a a causé et
plaisanté avec une bienveillance très-grande avec Eli-
sabeth, (pii est maintenant charmante de caractère et
fort grandie. » C'est faux encore, suivant M. de Sybel,
parce que madame Campan a écrit (pie « Joseph mon-
tra de l'intérêt à la princesse Elisabeth, qui sortait alors
de l'enfance et avait toute la fraîcheur de cet âge. »
Eh bien, qu'y a-t-il là qui n'ait pu être dicté ni par l'une
ni par l'autre? Joseph II était veuf; il parut alors aux
contemporains qu'on aurait volontiers dirigé ce prince
vers une alliance, avec la jeune Princesse. La Reine et
madame Campan devaient y faire allusion. Seulement,
la Reine appuie moins que ne le fait la suivante, ce qui
donne à penser que le projet de mariage était moins
dans la réalité que dans les conjectures de l'entourage.
On songeait alors, un peu de loin, à un prince de Por-
tugal.
La Reine parle de ses soupers en famille, rien de
plus simple. La suivante, (|ui tient registre, le dit
également. La Reine exprime son ennui des dîners en
pubhc, alors ([u'elle est Renie; et comme madame
Campan rapporte que l'usage des dîners en public était
fort désagréable à Marie-Antoinette « tant qu'elle était
Daupliine » , M. de Sybel trouve indubitable qu'il y a
là anachronisme , et que ces dîners publics n'ont pu
xr.y
être désagréables à la Princesse quand elle était Reine.
Voilà les objections auxquelles un homme du rang lit-
téraire de M. de Sybel a cru pouvoir descendre. Est-il
bien certain qu'il y voie en effet des argimients sérieux
et irréfragables? mais, sous son drapeau, les gens à la
suite sont tout prêts a crier plus fort que lui.
C'est encore sur le thème éternel de la répugnance
de la Reine pour ccilaines exigences de « l'étiquette
de chambre et toute intérieure » , comme dit cette
Princesse, que va triompher M. le docteur de Sybel.
Est-ce que, demande-t-il , on peut attribuer à la Reine
une expression aussi louche et aussi peu technique
[étiquette wtérieure^^ — Distinguons. Il v avait,
comme il y a encore aujourd'hui, le cérémonial public
auquel se soumettait la Reine, parce qu'il était utile à
la représentation. Il y avait l'étiquette de l'intérieur du
palais, l'étiquette de la chambre. Les petits cabinets
n'admettaient point d'étiquette, et c'est là qu'Antoi-
nette aimait le ])lus à se retirer, là qu'elle se sentait le
plus elle-même, comme à son Trianon. Qu'y a-t-il
donc après cela qui ne soit, suivant la langue de cour,
dans l'expression qu'il a plu à la Reine d'employer? Je
ne doute pas que M. de Sybel ne soit un homme de
cour: — il en est digne par ses talents; — mais je crains
qu'il n'en ait oublié la langue. — Il incrimine cette
correspondance pour ce qu'il y rencontre; faudra-t-il
donc encore qu'il l'attaque pour ce qu'il n'y trouve pas?
Ainsi, la Reine dit à sa sœur que « l'étiquette de chambre
et toute intérieure » lui est odieuse. « Il y a des détails
XLVI
qui m'obsèdent. Si je vous voyois, j'en aurois long à
vous dire là-dessus. » Alors M. de Sybel évoque sur-
le-cliamp l'étiquette de la chemise mentionnée par
madame Campan, qui eût pu en citer encore bien
d'autres, plus ou moins {jénantes pour une Reine.
Et là-dessus le Critique s'enflamme et proteste qu'une
femme ne saurait faire allusion à « des détails aussi
dégoûtants » , quand après tout cette femme s'adresse
confidentiellement à qui? — à sa sœur. Une pres-
bytérienne anglaise n'aurait pas mieux dit. Mais en
somme, qui prouve que la pensée de Marie- Antoi-
nette se portât expressément sur cette fatale chemise
et n'ait pas eu ici quelque autre détail en vue? On dirait
d'ailleurs que cette fameuse étiquette de la chemise
fût une monstruosité inqualifiable; ce n'était, à le bien
prendre sans exagération , qu'un ennui. Peut-être ai-je
mal saisi la phrase du docteur , embrouillée ici comme
le nœud gordien. Toujours est-il que le fait de l'abs-
tention de la Reine à citer le mot propre dans cette
lettre est pour l'adversaire la preuve indubitable de
l'apocryphe. Retournez la question et supposez que
la lettre n'eût rien omis, infailUblement le jugement
eût été le même. On croira peuirétre que j'exagère.
Non, je n'invente rien, ami lecteur; c'est bien là
textuellement comme discute et prononce ex cathedra
un professeur de l'illustre Université de Bonn, un
historien lu et estimé : « 0 physique, préserve-moi
de la métaphysique ! » disait tous les matins le grand
Newton.
XLVII
Ce n'est pas tout, la Reine mentionne un couplet
des poissardes que chante le Roi ravi à la naissance
de Madame Royale, Gomme ce couplet, le plus joli de
la chanson qui courut alors par milliers d'exemplaires
et dont un bouquet de roses contenait pour la Reine
une copie imprimée sur satin ; comme ce couplet,
dis-je, est rappoilé par madame Campan, c'est encore
chez madame Campan que le &brîcateur serait allé
s'inspirer. Une pareille critique relève-t-elle de la jus-
tice? Est-elle bien digne d'une revue historique, et
ne suis-je pas fondé à plaindre M. de Sybel qui n'a
de sève qu'en épines , et qui , de gaieté de cœur, s'est
ainsi évertué à se diminuer en me cherchant une
querelle d'Allemand?
Que dirait-il donc si partout on voyait conune lui
des bâtards de l'histoire, et si l'on faisait en face de la
correspondance publiée à Vienne l'opération faite par
lui à l'égard de mon livre ? si l'on établissait un con-
trôle du recueil viennois au moyen des Mémoires de
madame Campan et de Weber, et du manuscrit de
Hardy, quejpossède notre Bibliothèque impériale (1)?
Voyez, par exemple, dans la première lettre de Marie-
Antoinette^ du livre de M. Arneth, ces mots (2) :
« Pour mon cher mari , il est changé de beaucoup,
et tout à son avantage. Il marque beaucoup d'amitié
(1) Aotice d'éveuemcnts remarquables et tels qu'ils parviennent a
ma connoissance , par Hardy. Ribl. Imp., mss., suppléai, français,
ijo 2886.
(2) Lettre du 9 juillet 1770, p. 3.
XI.Vlll
pour moi, et racmc il commence à marquer de la con-
fiance. Il n'aime certainement point M. de La Vau-
giiyon , mais il le craint. Il lui est arrivé une singulière
histoire l'autre jour. J'étois seule avec mon mari ,
lorsque M. de La Vauguyon approche d'un pas préci-
pité à la porte pour écouter. Un valet de chambre, qui
est sot ou très-honnéte homme, ouvre la porte, et M. le
duc s'y trouve planté comme un piquet sans pouvoir
reculer. Alors , je fis remarquer à mon mari l'incon-
vénient qu'il y a de laisser écouter aux portes, et il l'a
très-bien pris. »
Or, il n'est pas certain que la leçon ait corrigé le
duc.
Madame Campan parle en effet des intrigues de ce
gouverneur attardé pour éloigner le Dauphin de sa
femme; elle en donne de curieux détails; mais Hardy,
plus explicite, parle des espionnages de ce fâcheux qui
s'obstinait à s'interposer entre les jeunes époux, et s'ou-
bliait jusqu'à une persécution fatigante; il raconte enfin
une scène identique à celle qu'on vient délire, et les
paroles que la Dauphine excédée adressa à M. de La
Vauguyon : « Monsieur le duc, Monsieur le Dauphin est
d'un âge à n'avoir plus besoin de gouverneur, et moi
je n'ai pas besoin d'espion : je vous prie de ne pas re-
paraître devant moi (I). »
Dira-t-on que Marie -Antoinette a copié sa lettre
(1) Hardy, second volume, 4 février 1772.
XLll
(le 1770 dans le manuscrit de Hardy, ou que Hardy a
Fait son récit d'après celui de la Dauphine? De même,
(|uand les M(;moires de Webcr et ceux de madame
Campan racontent les mêmes faits presque dans les
mêmes termes , ce qui n'est pas rare, en in(e'rera-t-on
aussi qu'ils se sont mutuellement copiés?
Vilain métier que celui de la chicane, du dénigre-
ment et de l'ergoterie cassante , dirai-je rondement et
privément à M. le professeur Sybel. Encore une fois,
il n'y aurait qu'à gagner à se respecter davantage les
ims les autres, à ne pas se donner les airs d'exécuter
les gens en effigie, comme si l'on était de ces grands
qui marchent sur les multitudes. Laissez donc de côté
Tos haines nationales, pour ne vous occuper que de
la sainte Vérité. Essayez de faire la lumière, et que le
feu ne s'allume nulle part. Vous qui n'êtes point un
des condottieri de la science et de la littérature, je
vous conseillerais, en toute cordialité, de vous abstenir
d'émousser vos armes courtoises à imiter ces preux du
pédantisme, indignes et de vous et de nous. Notre épo-
que si active, où l'on perd son temps d'une manière
violemment affairée, a peu de minutes de reste pour
contrôler le mystère des mauvais dires, du vide et de
rinconsistance des griefs allégués , et ces dires ne font
ijue trop leur chemin. Il y a là ce que, pur politesse,
j'appellerai ces guerriers de l'Iliade qui, plus faibles,
se cachent derrière le bouclier du plus fort, pour lancer
leurs flèches; il y alà, derrièreM. deSybel, les écoliers qui,
sans jamais entrer intimement dans aucune discussion
TOMK III. •*••
didactique et technique, jurent in verba magistri^ei se
mettent bien vite en devoir de suivre les moutons de
Panurge. Elle ne voit donc pas, cette partie agressive
de la grande Allemagne, qu'ici au fond ce n'est pus
seulement de nous qu'il s'agit , mais de la plus infor-
tunée des Reines, mais d'une Princesse qui fut Alle-
mande? Que si nous l'avons tuée; que si, au dernier
siècle, nos fureurs révolutionnaires n'ont eu qu'un
« cercueil de sept francs pour la veuve Capet » ^ les
générations présentes se lèvent pour étendre pieuse-
ment un voile de deuil sur ce terrible souvenir, pour
dresser à la noble Reine un monument expiatoire, une
éclatante et pure statue. Et vous , pendant ce temps-
là , que faites- vous? Vous vous amusez de statuettes
indécentes de la victime; et en discutant ses lettres ^
qui sont sa plus glorieuse oraison funèbre , en vous
jouant de l'adoration moderne, vous diminuez la Reine,
vous la dépouillez du légitime respect qui lui revient. Oh !
que si la critique se bornait à examiner la mise en œuvre,
le choix des pièces , les attributions , les dates et les
appréciations, on pourrait prêter l'oreille avec intérêt
à d'utiles paroles de contradiction réfléchie, sensée et
loyale. Mais en taxant d'apocryphes les pièces d'un
recueil publié par un homme de vieille expérience,
M. de Sybel n'a pas assez craint de se fourvoyer: il a
trop oublié que c'est s'attaquer sans droit à la probité
même de son interlocuteur, ou lui donner, sans com-
pétence, un brevet âepueriua mentis. Si j'avais reconnu
l'inexactitude d'aucune des pièces que j'ai recueillies,
Ll
ê
je l'aurais sacrifiée sur-le-champ. Mais je n'admets pas
que qui que ce soit fasse étourdimènt si bon marché de
mon intelligence, et encore moins de ma bonne foi. Que
M. de Sybel dédaigne, s'il lui pla&t, les révélations
originales fournies parles lettres de la Reine, deMercy
et de Brienne, par moi publiées sur la chute de ce
dernier et sur le rappel de Necker, il est dans son rôle,
bon ou mauvais. Mais quand il ajoute que cette série
de lettres « aurait été instructive et importante , si un
auteur contemporain, Soukvie, n'en avait déjà publié
le contenu, tiré des papiers de Brienne» , ici je l'arrête,
en m'étonnant qu'un historien qui se re^>ecte s'appuie
à priori sur un compilateur aussi décrié, pour l'opposer
à des documents authenti<pies de première main.
Trivial, fastidieux, menteur et libelliste, Soulavie a
eolanté des volumes condamnés au pilori des quais
après une vogue éphémère, doe, pour quelques-uns,
aa scandale. Il est vrai qu'il avait, en diplomatie,
écoiité aux portes; qn'il a possédé de bonnes pièces
dérobées dans les bureaux des Affaires Étrangères ou
adietées par corruption. Mais il n'est pus chez lui une
pièce, pas une, quelle qu'elle soit, dont il ne foille con-*
tiéler avec une critique sévère la vérité ; et , enssé^
seulement apporté cette lumière, qoe je n'en applau-^
dirais et remercierais les afrchives de Vienne de m'en
avoir fourni les moyens. L'approbation de M. de
Sybel est secondaire.
Maintenant , qu'on veuille bien nous permettre
•*• •
LU
un d€rnier mot touchant l'exposition publique de
statues nues de Marie-Antoinette et de Madame
Elisabeth, dans le Palais de Marbre (Marmorpallast)
ou Nouveau Jardin , à Potsdam , sur lesquelles il s'est
engagé une polémique qui a fait trop de bruit. Disons
ce dernier mot, après quoi nous reprendrons notre
joie et nos ailes> pour voler, comme dit Joubert, a
d'autres clartés.
Après avoir parlé de toutes les tribulations que
Marie*Antoinette avait eu à subir dès son arrivée à la
Cour de France, j'ajoutais, dans le second volume
d'un livre paru deux ans avant le premier tome de
celuî-^i (1) :
« Et comme si l'étranger devait être complice de
ces horreurs , un Roi voisin , qui n'avait dans son
palais que des statues d'Antinoiis ou de Vénus impu-
dique , outrageait à sa manière la jeune Reine en fai-
sant sculpter, avec le nom de cette Princesse, deux
figures en pied dont la nudité complète est la moindre
indécence. Que le ciseau ait représenté entièrement
nue, Inadame Du Barry, une audace de nudité était
dans le rôle de cette belle abandonnée : sa statue, en
marbre blanc, de grandeur naturelle, et signée Hou-
don, 1780; (2), fait partie du musée de sculpture de
- — • — ■ — • ■ ■ » -
(1) Causeries d'un Curieux, p. 194.
(2) « La comtesse Du Barry, maîtresse de Louis XV (guillotinée le
12 décembre 1793), représentée en Diane, tenant l*arc dans sa main
gauche. Une répétition de cette statue, mais en bronze, se trouve au
Musée du Louvre. De Houdon. »
TelU est la notice du Màsée impérial dt -l'ermitage, imprimée à
LUI
l'Ermitage, à Saint*Pëtersbourg. Mais qu*un Roi tel que
Frédéric II de Prusse (mort le 17 août 1786, quand
Marie-Antoinette régnait depuis douze ans) ait accepté
le naturalisme de son temps jusqu'à oublier de la sorte
envers une jeune souveraine les droits. du trône, de la
morale et de la décence, c'est révoltant. Et cependant,
c'est une profanation qui s'affiche encore , de nos
jours, à Potsdam, et dont le goût d'une noble nation
sur laquelle a régné la charmante Reine Louise eût
dû nous épargner l'injure et s'épargner à elle-même le
scandale et la honte. »
La Prusse ne dit mot , et les statues restèrent. Je
reproduisis ces paroles dans la préface du premier
volume de mon présent recu^ de lettres de Louis XVI,
Marie-Antoinetle et Madame Elisabeth, paru en août 1 864.
La Prusse commença enfin à s'émouvoir, et le fait fut
contesté, dans le fond et dans les détails, parl'éminent
historiographe de la Prusse, M. J. D. E. Preuss, dans
la Gai^ette qui s'intitule Gazette privilégiée de Berlin (1).
A tout cela cependant je n'ai rien aujourd'hui à
retrancher, si ce n'est le nom du Grand Frédéric qui
n'aurait pris aucune part à l'exécution de ces statues,
dont l'une cependant, celle de la Reine , est datée de
1775. M. Preu&s l'affirme, il le faut croire, car l'étude
^— , MB ■ M - -■ 1 1 l-M-»^ 1-T ^
Péterâbourg, en 1860. J'ai vu cette statue, cette même année, dans
cette ville superbe, qui est tout : italienne, allemande, française,
anglaise, avant d'être russe, et je n'ai pas été frappé de la ressemblance
avec les traits de madame Du Barry.
(1) dïiït ^tila^e ^ut f5ntg(i((en piit^iUdiirten ber(mif(^ni Sritund-
N» 61 , dimanche 12 mars 1865.
toute particulière qu'il a faite de ce prince , dout t«
écrit une savante biographie, lui donne une irréooiable
autorité dans la question, d'autant mieux qu'H parle
d'après des documents déposés aux arcbÎTes de la
Maison du Roi. lfidé{>endamnient de son aiticle (1),
il a rédigé sur cet incident un long mémoire où j*ai
reoonatti sa plume, et c^est à son apologie conten-
tieuse trop absolue que je vais répondre.
M. Preuss commence par protester contre les vilains
bruits accrédités sur Frédéric par Voltaire et par nombre
d'autres écrivains. Il rappelle que TeKistence de tableaux
obscènes dans la résidence royale est une des nom-
breuses calomnies répandues par le coupable du dix-
huitième siède , ce même Voltaire contre Frédéric , k
qui , de aon côté, Joseph de Maistre refuse le titre de
grand Homme, ne voyant en lui qu'un grand Prussien,
qui a inoculé chez ses peuples le goût et l'audace des
conquêtes. Il y a déjà quatorze ans, dit M. Preuss,
que les calomnies sur les peintures ont été réfutées
historiquemei^ (2), et que des conversations du
ministre de la guerre, de Rohdich, et du général
baron de SchliefFen ont établi : « qu'ils n'ont jamais vu,
dans ancune pièce des châteaux royaux , des tableaux
• obscènes, et encore moins le tableau hideux que décrit
Voltaire. » Le point capital sur lequel se portent les
(1) Voici le titre île Farticle inséré dans la Gazette de Berlin :
$(rr 8. Stfuittft be Sonc^eé ^t^tn SHebrict^ trn ®iopn7.
(î) Observations sur des fragments de M, le chevalier de Zimmer-
ntann sur Frédéric le Grand, par un patriote du Brandebourg.
LV
honorables et constants efforts de l'historiographe est
Texonération de la mémoire de son héros, qui fut sans
contredit le père de la patrie. Ce serait seulement en
1834 que ces statues, qui ne dépassent pas de beaucoup
la dimension de demi-nature , seraient entrées dans la
possession du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III.
Elles auraient été proposées à ce prince par im comte
François-Simon Pfaff de Pfaff(Miho(en (1). « Ce comte,
qui avait habité Vienne, ensuite Tile d'Obcrwerth près
Coblentz, et demeurait alors au château de Ileiffenberg
près Vienne (c'est Thistoriographe officiel qui parle),
prétendait avoir rendu de grands services aux Bourbons,
et espérait trouver, à un àgc? avancé, des ressources dans
là vente de ces sculptures. Suivant lui, ces statuettes
de Vénus en marbre rcprésetUaient Marie-Antoinette et
Sa beUe-sœur Madame Elisabeth plus jeune de neuf ans ,
ft provenaient du château de Trianon, » Voici ses
paroles :
„ 'JJîit bcr tarauf folgcubcn Statuctten9efcl)icl)tc t)cô ^mn
$. Çeuiflct bc 6ond)cô abcr tjcrtjâlt cô fic^, na(^ bcn offliiellcu
Slften alfo. SBcibe gfgurcn flnb crfl fm 3a^rc 1834, b. f).
^8 3vi^re itac^ bem îîobc beé gro^cit jtônigê, iinb 24 3a^re
(1) A I.i base de l'une d'elles est en effet inserit ce nom sur l'un des
^Ctié». Cette inscription a échappé à l'ipil de M. Preuss. La seconde
lote qui a tiuivi rarticie de la gazette privilégiée dit que ce nom de
ï*faffenliofen a été souvent confondu avec celui du sculpteur belge,
-•Alexandre de Papenhoven, par qui le Roi Frédéric II a fait faire,
<t«ns les premiers temps de son rè^ne, une statue de Vénus et VÀmour,
«îii marbre, qui, dit-il, ne trouve encore à Sans-Souci. N'est-elle
|»as plutôt au Palais de Marbre?
LTI
nac^ bcm îïobc bcr t^oc^fcUgcn ^ôniflin Soiiife, bem bamalô
regierenbcu ^crrit S^^iebrid) 2Bilt)eIm bcm î)ritten, unb jtt)ar
von cincm ©rafen ^faffcnl^ofcn, bcr bci iffiicn, baun aiif bcr
3nfcl £)6cnt)crtt| bci ^oblcnj wot^ntc, jum ^aufc angcbotcn,
unb cmpfotilcn worbcn. 2)icfcr ®raf woKtc um bic Sourbouô
vicie 93crbicnjic Ijaben, unb gcbac^te ftd) in fcinem ï)oï)en Sïlter
burd) vort]^cilt)aftcn SScrfauf icner Si[bn)crfc cinc Unterftù^ung
ju flcn)al[)rcn. 3taà) fcincr Slngabc warcn bicfc 3ïîannorgcbi(be,
©tatucttcn bcr 33cnuô, bic Sîgurcn bcr ^ônigin SJÎaric Sln-
toincttc unb bcr (ncuntct^alb 3cif)rc iùngcrcn) SKabamc Slifa-
bctti, i^rcr ©c^wdgcrin, unb ^attcu iu îrianon gcjlanbcn. ''
Ainsi, voilà bien leur attribution établie : c'est Marie-
Antoinette, c'est Madame Elisabeth ; du moins les sta-
tues ont-elles été vendues et achetées à ce titre à la
cour de Prusse.
Il est vrai que M. Preuss ajoute :
« Ces indications sont à coup sûr également fausses,
car les deux figures, qui se ressemblent comme deux
soeurs, sont de même modèle, et l'exécution en est trop
peu soignée pour une exposition publique, »
„ î)icfc Slngabcn fmb abcr gcwif gicid) falfc^ ; benn bcibc
©cjlaltcn, welc^c flc^ wic ©c^n)c(icru ftbnlic^ fcbcn, fînb nac^
bcmfclbcn îRobclt, unb fur cinc ôffcntlid^c 3lufflcHung nur
obcrflàc^Iid) gearbcitct. "
c'est-à-dire sans doute pour être vues de près dans le
palais; comme tel' est probablement le sens de cette
phrase obscure. Mais alors comment, si elles étaient
si mauvaises , en a-t-on fait la décoration , à portée de
l'œil , d'un des palais royaux de Potsdam ?
Lvir
M. Preuss suit trop droit son raisonnement sans
regarder autour de lui, pour s'apercevoir qu'il va à ren-
contre de sa propre pensée, en disant tout court que
ces noiarbres n'ont pu figurer dans le palais dé plaisance
de la Reine, par cela qu'ils étaient d'exécution trop
médiocre. Quoi! c'est la raison, c'est la seule qu'il ait
trouvé à alléguer, quand il eût pu dire tout d'abord ,
avec plus de délicatesse, que la nature même des
Bgures les eût rendues impossibles en un tel lieu. Que
l'époque volcanique de la fin du dix-huitième siècle
ait été doublement ravagée par la corruption des esprits
et par la corruption des mœurs, est-ce une raison pour
oublier que la jeune Reine, à l'âge des pensées les
plus pures, que Louis le Sévère ^ conune on l'avait sur-
nommé , n'auraient pu admettre quelque part que ce
fut et moins encore dans l'étroite bonbonnière du petit
Trianon, les images toutes nues de Marie -Antoinette
et de la sœur du Roi , cette religieuse Elisabeth que
vous isavez? C'est impossible jusqu'à l'absurde, et
l'admettre eût été verser gratuitement le ridicule sur
l'un , l'opprobre sur les deux autres.
Le comte de PfafFenhofen , qui . aurait acheté ces
statues sous la Restauration et les aurait proposées,
le 18 janvier 1834, à la cour de Prusse, en les don-
nant comme œuvres de son père, le baron Simon-
Georges de PfafF, Bavarois d'origine; à ce que je
présume, se serait adressé d'abord au comte de Brûbl,
•
intendant général des musées royaux, et voyant sa
demande ajournée, aurait sollicité l'intervention delà
Lvrii
princesse douairière de la Tour et Taxis, belle-sœur du
Roi, qui aurait fait effectuer l'acquisition dans les der-
niers mois de 1839. Pure charité, disait-on, pour un
vieillard tombé dans Tindigence après avoir joui d'une
grande fortune.
Les marbres furent sur-le-champ placés au Jardin
Nouveau.
Ce PfafFenhofen serait évidemment le malheureux
qui prétendait avoir avancé des trésors à l'émigration,
et dont les réclamations contre Louis XVIIÏ firent tant
de scandale en Angleterre comme en France, au retour
do ce prince, et furent repoussées. Remarquez que,
demeurant auprès de Vienne , il se garda de proposer
les fameuses statues à la cour d'Autriche , et les offrit
à celle de Prusse , dont il espérait trouver les yeux
moins ouverts et la cassette plus facile.
En toutes ces assertions de Pfaffenhofen , qu'y avait-
il de vrai ?
La ressemblance répondait-elle aux attributions?
Ces marbres étaient-ils le fruit d'une vengeance?
Ou n'était-ce qu'une de ces profanations d'artiste
subalterne mettant sur un corps indécent des têtes
connues, pour mieux vendre son œuvre? Ainsi, Fouc-
quet, dans une pensée d'outrecuidant espoir, avait fait
peindre madame de laVallière, à l'insu de cette jeune
femme. Ainsi le fat Villarceaux avait fait subrepti-
cement représenter nue madame Scarron. De nos jours
même, l'exemple n'est pas rare.
Enfin, les inscriptions qu'elles portent, et dont nous
LIX
parlerons tout à rheure, ont-elles été mises après coup,
pour leur donner de Tintérét et faire croire a la lé^^ende
de leur présence à Trianon?
Ce sont autant de points, la ressemblance exceptée,
sur lesquels le défaut de documents ]>récis ne permet
pas de répondre caté{>[oriquemcnt.
Et d'abord, les figures sont-elles ressemblantes, ou
sont-ce, comme le déclare M. Preuss, de ces figures
banales, de ces Vénus en l'air, qui se ressemblent
comme deux sœurs, ou plutôt qui ressemblent à tout
sans ressembler à rien? Non; ici pas d'équivoque.
M. l'historiographe me pardonnera de lui objecter qu'il
a vu trop vite, et qu'il en veut trop, au point de vue
de l'art, à ces malencontreuses statues.
Je passerai, si l'on veut, condamnation sur la Vénus
aux colombes, qui rend mal la figure de Madame Eli-
sabeth , moins connue et moins facile à saisir avec jus-
tesse; mais la Vénus sortant du bain est bien Marie-
Antoinette. Ce n'est pas une rencontre fortuite, un
(aux air, comme on dit, de traits analogues, c'est un
vrai portrait, une étude faite à dessein. En un mot,
c'est le buste de Pajou, sculpté d'après nature en 1 773,
et dont il avait couru des plâtres, comme il s'en répand
de presque tous les marbres (1). Mais soyons de bonne
foi, est-ce que le fait était douteux en Allemagne avant
la polémique qui s'est ouverte? Trois fois j'ai visité la
(1) Aii{rii8tin Pajou, né en 1730, mort en 1809, est atidsi l'auteur
è!wk cbarmant buste de madame Du Barry.
LX.
Prusse ;^trois fois j'ai fait le pèlerinage de Potsdam ; la
première dans la compagnie du ministre des Affaires
Étrangères, le général de Radowitz; la seconde dans
celle de Tami de Goethe eV<l 'Alexandre de Humboldt,
Varnhagen de Ense, avec lesquels j'étais depuis long-
temps en rapports historiques et paléographiques. En
leur compagnie, j'ai parcouru ce fameux Palais de
Marbre, bâti par Frédéric-Guillaume II pour les plaisirs
permis et ceux qui ne le sont pas, et j'y ai vu les deux
statues dans le complet déshabillé de l'Olympe en belle
humeur; toutes deux pprtant, au front du socle, une
inscription en grands caractères de bronze doré, in-
crustés dans le marbre et appelant le regard :
MAR. ANT. GALLIARUM REG.
La troisième fois , dans la société de l'ambassade en-
tière de France, j'ai visité le même Palais de Marbre, et
j'y ai retrouvé les mêmes statues; et cette fois, comme
la seconde, comme la première, une femme, une sorte
d'House Keeper de musée se^cret, avait conduit toute la
compagnie, en disanX : « Je vais vous faire voir la statue
de Marie-Antoinette, Reine de France. » Quelques jours
auparavant, un pair d'Angleterre était entré au même
Palais , avait reçu la même insinuation , avait 'vu les
mêmes statues; et le baron de Hqmboldt lui-même, le
chambellan de Sans-Souci, faisant les honneurs de
Potsdam au traducteur de son Cosmos, M. de Galusky,
couronné par l'Académie française, le menait devant
LXT
les statues, et lui montrant la Vénus sortant du bain ,
lui disait : «Voici Marie-Antoinette. » En un mot comme
en cent, l'attribution n'était pas i^ne équivoque, mais
un fait indisputable, traditionnel, public, consacré.
Pas un visiteur a qui la même invitation ne fût faite et
qui ne fiii appelé à jouir du spectacle d'une Reine nue.
Et de tout cela faut-il une preuve plus explicite , plus
concluante encore? Ouvrez le Guide illustré de Poisdam,
imprimé à Berlin par W. Btixcnstein, pour le libraire-
éditeur Albert Goldschmidt (1); ouvrez ce guide h la
page 21, et vous lirez à l'article du Palais de Marbre,
ou Nouveau Jardin :
ê
« Salon blanc. Cheminée de marbre de Carrare , de
bronze et en mosaïque, représentant le temple de
Tivoli et des ruines de Rome; vases noirs ornés de
dessins étrusques; table de marbre, sur laquelle est
placée la statuette de
MARIE-ANTOINETTE,
sous la figure de Vénus soiiant du bain , tordant sa
chevelure et s' essuyant de sa robe. »
Et plus bas, même page : « Salon jaune. Tapisseries'
de soie jaune; cheminée d'acier poli, horloge astrono*
mique, dessus de table d'agate, sur laquelle il y a une'
charmante statuette de
LA REINE MARIE-ANTOINETTE,
sous la forme de Vénus, jouant avec T Amour. »
(1) Grieben, Bibliothèque des voyageurs y ii** il*.
LXIl
Toujours, toujours Marie-Antoinette 'en Vénus. Est-
ce assez clair? Et notez, en passant, que c'est ici encore
une troisième statue.
Or, ce {juide n'est pas une brochure occulte et
subreptice, c'est un livret officiel, autorisé, « privile-
girten, » comme on dit, qui se vend partout à Potsdam,
aux portes des palais , sur la voie publique , aux gares
des chemins de fer, et qui, en 1863, en était à sa dix^
septième édition.
Après une telle démonstration, continuera-t-on à
disputer encore sur ce que j'ai avancé, toutefois bien
entendu le grand Frédéric mis hors de cause? A quoi
bon m'attaquer solennellement, en des manifestes qui
n'ont fait que me fournir des armes, m'imposer l'obli-
gation, et comme Français et comme historien qui a
consacré sa vie et sa fortune à tout ce qui se rattache
à l'histoire, de me défendre et d'enfoncer plus avant
le clou? Pour un peu ce fût devenu affaire interna-
tionale. N'eùt-il pas été préférable de me communi-
quer, avec la courtoisie qui va si bien à M. Preuss et
qui lui est si naturelle, une note particulière sur
laquelle je me serais plu avec empressement à faire
ici , dans ce troisième volume , toutes les rectifications
et réparations possibles à l'endroit du grand Frédéric?
Ce que je cherche est ce qu'il faut chercher avant tout,
la vérité. Continuera-t-on maintenant à se réfugier der-
rière une équivoque épigrapliique d'écolier, en répétant
que le nom de la Reine, inscrit de face sur la base du
marbre, n'a pas traita l'objet même de la statue, mais
LXIll
à sa destination ; que c'est un datif, une dédicace, et
que les lettres abrégées signifient :
MARIiE ANTONIiE OALLIARUM RKOINiE ,
et non Maria Antonia GalUarian Regina ; que ce sont,
en un mot, des Vénus banales offertes
A MARIE -ANTOINETTE?
(c Ëntendez-vous le latin? » me dit-on, comme Sga-
narelle à Géronte. — «En aucune façon, » avons-nous
répondu ainsi que le bonhomme : l'auteur des C«î/-
series d'un Curieux en étant resté aux prémisses du
rudiment.
Soudain alors on partit en démonstrations latines,
et Ton dit : « Encore une fois ce ne sont point deux
portraits, c'est tout simplement un présent qu'on vou-
lait faire à Marie-Antoinette. MAiiiiE antonia galuauim
REGINE. Le datif est ici souverain. Ces grosses lettres
placées au front du socle, comme cela se pratique
souvent dans les dédicaces adressées à de grands per-
sonnages, ont fait tout le mai. Voyez plutôt : sur le
côté, se lit en caractères microscopiques :
Sculp : ac. obt : S : G : J : Hb : bar : A. Pfaff ,
et tout derrière ,
1775.
Faites le tour de la base, assemblez tout cela, et vous
aurez :
MARI.C ANTONIiE GALLIARUM REGIME
ScuipsU ac obtuUt S. G. J. liber baro à P/a/f, 1775.
LXIV
C'est-à-dire, en passant par-dessus la construction
forcée et antigrammaticale : « Sculpté par le libre baron
(lo Pfaff et présenté à Marie-Antoinette , Reine de
France, en 1775. »
Voilà, — je n'invente rien, — c'est le grand raison-
nement des adversaires; c'est leur épée de chevet pour
prouver qu'il n'y avait point là de statue de Marie-
Antoinette! O Molière! ô Beaumarchais!
Or, moi qui n'entends nullement malice, je me
disais, comme dans le Barbier de SéviUe': « Qui trompe-
t-on ici? » Ces inscriptions, communes aux deux statues,
avaient eu pour objet, comme je le présumais tout à
l'heure, d'en rehausser l'intérêt et la valeur pour la
vente. Eh! mon Dieu! dédicaces o uattributions, c'est
tout un ; car enfin , oui ou non, n'ai-je pas démontré que
l'une des figures était donnée pour celle de Marie-Antoi-
nette et l'était en effet? Eh bien ! la profanation est
dans l'effigie tentée, la profanation est dans la res7
semblance, la profanation est dans l'expositioil de la
Reine au pilori public dans un palais de la Couronne.
Retournez un instant la question , — et rien que d'y
penser j'en ai horreur : — Que si un artiste de mauvais
goût eût sculpté en France une pareille figure de l'ado-
rable Reine de Prusse que j'ai évoquée et de qui per-
sonne ne saurait parler qu'avec respect; que s'il l'eût
livrée sans voiles aux regards de tous dans un de nos
palais impériaux et se fiit excusé en disant : « Ce n'est
point une attribution, c'est une dédicace, » je sais
bien ce qu'eût fait la France : elle eût sur-le-champ
LXV
brisé l'œuvre; mais si, par impossible, on Teùt main-
tenue, qu'aurait dit la Prusse justement indignée? Est-
ce que le sentiment français, blessé dans une des plus
intéressantes figures de l'histoire de France, n'avait
pas le droit de s'étonner aussi et de protester avec
chaleur? Vous exonérez la responsabilité du grand
Frédéric ; à la bonne heure ; mais sur qui donc la faites-
vous retomber?
« Ah ! si le Roi le savait! » s'écriaient tous les Fran-
çais à la vue de cette profanation si longtemps obsti-
née. Eh bien ! le plus honnête homme de son royaume ,
l'auguste souverain sous qui repose la Prusse , le ma-
gnanime Guillaume V\ a été plus droit et plus juste que
nos imprudents adversaires : — dés le premier moment
qu'il a su l'existence des statues, dès qu'il en a connu
la nature , il ne s'est pas petitement arrêté à de vaines
subtilités de gra'mmaire et d'épigraphie, il a vu de haut
une question de décence publique : il se fût révolté à
l'idée de subterfuges et d'échappatoires ; il a compris que
tous les souverains sont solidaires entre eux du passé
comme du présent, et, dans l'exquise délicatesse de
ses sentiments royaux. Sa Majesté a ordonné que les
statues équivoques fussent enlevées. Elles ont disparu.
Vive le Roi!
TOME III.
LOUIS XVI
MARIE-ANTOINETTE
ET
MADAME ELISABETH.
LOUIS XVI
MARIE-ANTOINETTE
KT
MADAME ELISABETH
CCCLXXXVFII
LE DAUPHIN, DEPUIS LOUIS XVJ, A L'ARCIIIDUCIIRSSK
MARIE-ANTOIINKTTE 1).
Envoi (le Min |iortrait, en rjiiiilité de Haiiré.
[2 avril 1770.)
Maduino ma Sœur et Cousine, je reçois une marque
bien loucliante de l'estime (|ue Tlmpëratrice, madame
ma Sœur et Cousine, fait paroître de moi, en vous
accordant ii mes vœux vX à ceux du lloi, mon seiyneur
et grand-père. Le consentement que vous voulez l)ien
donner à une union qui met l(* comble à mon bonheur,
loe cause la plus sensible joie et me pénètre de recon-
[l) Archives tlu Miiiiitèrerliî.s \ff;ni«'H «uraugères de Eraucc. Miinil*?.
TOME III. 1
± LOUIS DAUPHIN.
uoissance. J'attcndois avec la plus vive impatience
qu'il me fût permis de vous en assurer. J'ai chargé le
sieur marquis de Durfort, ambassadeur extraordinaire
et ministre plénipotentiaire du Roi, de vous présenter
mon portrait. Je vous prie de le recevoir comme un
gage des sentiments qui sont gravés dans mon cœur
pour vous et qui dureront autant que ma vie. Je suis,
Madame ma Sœur et Cousine,
Vôtre affectionné Frère et Cousin ,
Louis-Auguste.
A Versailles, le 2 avril 1770.
O fut le 1(> avril que rainbassiideur de France, comte de
Durfort, depuis duc de Civrac, fit ofRciellcment la demande
en mariage de rarchiduchesse Marie-Antoinette. La renon-
rtatîon solennelle à sa succession héréditaire tant paternelle
que iriaternelle, qui allait la séparer de la maison d'Autriche
pour la lier irrévocablement à la France, fut signée le len-
demain. Le 19, elle fut épousée, par procuration, au nom
du Dauphin, dans le couvent des Augustins de Vienne, par
Tarchiduc Ferdinand. Le 21, à neuf heures un quart du
matin, elle avait quitté Vienne pour se rendre eu France.
i;impi:ratrigf m arik-tiiékése. 3
CCCLXXXFX
L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE AU DAUPHIN,
Al- MOMEKT Dr DKPAHT DE MARIK-AKTOISETTE POUR LA FRANCE (1).
Cuii.sc'iis iiiateriicis.
Vienne, le 21 avril 1770.
Votre cîj)oiise, mon cher Duuphiu, vient de se sépa-
rer de moi. Gomme elliî iaisoit mes délices, j*espère
<(u'elle fera votre honlienr. Je l'ai élevée en consé-
«juence, parce que, depuis longtemps, je prévoyois
<|u'el]e dcîvoit j)artager vos destinées. Je lui ai inspiré
l'amour de ses devoirs, envers vous un tendre attache-
ment, l'attention à imaginer et à niicttre en pratique
les moyens de vous j)laire. Je lui ai toujours recom-
mandé avec beaucoup de soin un(î tendre dévotion
(învers le Maître des Rois, persuadée qu'on fait mal le
l)onheur des peuples qui nous sont confiés, quand on
manque envers Celui qui brise les .s('e|)tres et renverse
les trônes comme il lui plait.
Aimez donc vos devoirs envers Dieu. Je vous le
dis, muon clier Dauphin , et je le dis à ma fille : Aimez
le bien des peuples sur lesquels vous régnerez toujours
trop tôt. Aimez le Roi votre aïeul, inspirez ou re-
nouvelez cet attachement à ma famille. Sovez bon
<*omme lui. Rendez-vous accessible aux malheureux. Il
(1) Mémoires de Wcl>er, frrrc do. lait i\c Marie- Antoinette.
J.
4 I^OUIS XVI.
est iiD])ossible qu'en vous conduisant ainsi , vous
n'ayez le bonheur en partaye. Ma fille vous aimera,
j'eu suis siirc, parce que je la connois; mais plus je
vous réponds de son amour et de ses soins, plus je
vous demande de lui vouer le plus tendre attachement.
Adieu , mon cher Dauphin , soyez heureux. Je suis
baiyncîe de larmes.
M\Hn:-TKUKSK.
cccxc
» %
LOUIS XVI A MMPEHATKICK MAIUK-TIIKHKSK
DArTIUCHE (1).
Le jeiiiK* Hoi iiotiHc son .ivéïioiiu'iil.
[A la Miu'ttc, 5 juin 1774.]
Madame ma Sœur, Cousine et Helle-Mère, je recou-
nois bien Tamitié que Votre Majesté avoit pour le Roi
mon aïeul, par la part qu'elle a prise au funeste événe-
ment qui vient de nous l'enlever. J'espère qu'elle me
conservera toujoiu's la même amitié qu'elle m'a témoi-
gnée. Je ferai toujours mon possible ])our la mériter.
Les liens du saii{j ipii m'unissent avec elle, et qui me
sont si chers, me la rendent bien [)récieuse. Je prie»
Votre Majesté de me dispenser de l'éticjuette en lui
'!) Aiito(jiM|>Iic (Jt'>|)(><»ô \\ la niiilioilit'qiie im|KViale do Viciinr. ('.\'sf
Mil rlicl'-d'œuvn' «Je I.t c:i1ii{>r.i|»liic de Louis XVI.
MAlUE-ANTOir^ETTE. 5
écrivant à raveiiir, et de me dire?, Madairif^ ma Sœur
f^l l{('Ile-Mère,
De Votre Majesté,
Bon Frèie, Cousin et (Jeudre,
Loi'fs.
A la Muette, ce 5 juin 111 A.
CCCXCI
M A HIE- ANTOINETTE :
4 M.\ COrSINK MADA3UK LA 1)I'CUE88K DOUAIRIKRK OR LA THIUOl'Il.I.h (1..
ProiiicsMî «11* s'inlcressiM' auprès du lloi à la (leiiiaiulo qirrlle lui a l.iilr
du rnrdiui Ideu eu fn%'(Mir de nnn fïU.
^ Juillet 1774.
Je ne puis vous expliquer, Madame, par cpiel acci-
dent ma réponse vous parvient si tard. J(î serois l)ien
lach('»e que <vous puissiez soupçonner oubli ou défaut
d'intérêt : le nom de La Trimouille ne doit éprouver
iii Tuu ni l'autre. Je profiterai de toutes les circon-
stances pour rappeler au Roi les intérêts de M. votre
fils, et je serai bien charmée de pouvoir vous prouver
les sentiments que j*ai pour vous.
A.NTOLNETTK.
.riii recherché dans les lislcs de TOrdre, et n'y ai pas
trouvé, sous le ^'(jne de Louis XVI, le nom de M. de J.a
Triiiioiiille. Il parait que les sollicitations de sa mère n'ont
pas eu de suite.
(1) De rrnui cabinet.
6 LOUIS XVI.
CCCXCII
LOUIS XVI AU GARDK DKS SCEAUX
HUE DE MlROMESiNIL (1).
Dis|»osilioii> à prendro jïonr l'iimt;illation des l*.irleinêntj».
Versailles, 6 déeembre 1774.
Je vous renvoie, Monsieur, le procès-verbal du par-
lement (le Douai. Je suis très-content de la manière
dont M. de Gastries a parle et comme tout s*est passé.
Vous me l'enverrez quand il sera imprimé, aussi bien
que celui de Kouen et celui de Paris, que j'ai oublié de
vous demander, et en général tout ce qui paroitra sur
ces matières-là. Pour ce qui est de l'invitation de mes
Frères, je reçois dans le moment votre seconde lettre.
J'avois voulu avoir votre avis hier au soir, avant que de
voir mes Frères : il s'est trouvé conforme à ma façon de
penser. Ainsi, je leur ai dit que je leur permettrois d'y
aller, car ce dont j'aurois peur, c'est que Monsieur n*y
mît un peu trop de chaleur pour mes intérêts mêmes ;
mais je le rc verrai avant et lui expliquerai ce dont je
crois qu'on parlera. Je crois que ces messieurs seront
attrapés, étant accoutumés à avoir une grande partie
des pairs pour eux, et je pense qu'ils en auront fort
peu. Vous pouvez partir pour Paris quand il vous
plaira; il n'y avoit que faire de recevoir l'avis de
M. de Maurepas hier : vous le verrez aujoiud'hui et
vous ne conviendrez de rien davantage , parce que
(1) Collcrtidii (In roîuîo d'Aiiffiiy.
LOUIS XVI. 7
nous ne faisons que suivre le plan de marche dont
nous étions convenus depuis le commencement. Si
vous savez quelques nouvelles, vous me les manderez.
J'ai été content de la façon de parler de M. de Viarmes,
j'espère qu'il y fera bien. La Reine m'a demandé si
vous m'aviez parlé du mémoire d'im galérien, qu'elles
vous a donné. Je vous envoie un autre mémoire, dont
vous me rendrez compte, qu'il y a très-Ion çtemps que
j'ai oublié.
Louis.
CCCXGIII
LOUIS XVI AU GARDE DES SCEAUX,
HUE DE MIROMESNIL (1).
Instructions de détail. — Lettres de l'ermite Jean. — Mémoire du
Conseil d'Etat. — Réponso à faire aux remontrances du {^rand
Conseil.
Versailles, le (> janvier 1775.
Je vous renvoie, Monsieur, la lettre de l'hermitc
"•Jean, et l'autre adressée à vous. Je pense de même que
^ous sur la première. Pour la seconde, ce n'est qu'un
ibtras de bêtises, et il faut toujours aller, comme vous
Jites bien. Je vous renvoie aUvSsi le mémoire des Cou-
ailiers d'État, et l'arrêt du Conseil y joint. Le mémoire
est bien fait, et je crois y reconnoître la plume de
^. Joly de Fleury. J'ai fait aussi des observations sur
(1) (îette lettre auto(;raplie faisait partie du cahiuot du comte de
^«'sralopier, fpii la tenait du comte d'Auffay.
8 MARIE-ANTOIJNETTK.
les remontrunces, et je vous écouterai dimanche matin,
comme M. de Maurepas a dû vous le dire. Mais j'ai
oublié de vous parler des remontrances du Grand Con-
seil, auquel je n'ai pas répondu encore. Il faut s'en occu-
per aussi.
Louis.
CCCXCIV
MAIUK- ANTOINETTE A SON FRÈUE I/EMPERECR JOSEPH II,
ROI DES ROMAINS (1).
Elli> ré|M)n(l à ilos i*cpr()i'lie:$ funtlén sur des cailleta{;cji et des cliaiiftoiis.
— Libellas de fripons. — Pn)|»os d'ctoiiitlis.
Choisy, 8 octobre 1775.
Laissez-moi vous din^, mon cher Frère, que vous êtes
bien cruel avec vos lettres de reproches ; elles me cau-
sent trop de cha{;rin au milieu de toutes les difficultés
qui m'entourent. Avant de quitter ce château pour
vousétablir à Fontainebleau avec toute la famille royale,
y compris Monsieur et Madame, de retour de leur voyage
du mariage de Madame Glotilde, je veux causer avec
vous une bonne fois sur cela. — Il faut être loin comme
vous l'êtes pour vous arrêter un instant à des propos
tels que ceux dont vous me parlez. Quel crédit, mon
Dieii, accorder à des chansons? Ici, tout se chante;
et si on se préoc*cupoit de pareilles sottises, ce seroit
prendre au s^^rieux ce dont les auteurs eux-mêmes ne
(i.) Gabier de b'ilres de IWivbicbiebess»* Reine de France.
\'.iR!E-ANTÛiNE'Th A LA DUCHESSE DOUAIRIÈRE DELA TREMOUILLE
f
fi€ ^CK-J t/PtX^ C7i/7/iCJH €t-, ^y^^T^ct t/9.
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MAHIE-AiNTOlISETTE. 9
se soucient guère et dont ils ne se souviennent même
plus le lendemain , on ne vivroit pas. Il y a des choses
plus graves que cela : — L'année dernière, le Roi et
moi nous avons été mis sur la voie d^abominables libelles
préparés contre moi, et encore mouillés de la presse.
On a découvert que c'étoit une spéculation de fripon
4]ui nous donnoit à nous-mêmes ce dont il étoit Fauteur.
La chose qui me frappe le plus, c'est Tobstination de
certaines gens à me représenter comme une étrangère,
toujours préoccupée de sa patrie et Françoise à contre-
cœur; c'est indigne. Toutes mes actions prouvent
que je fais mon devoir, et que mon devoir est mon
plaisir. C'est égal, les mauvais propos courent, et les
choses les plus simples deviennent de gros péchés. —
L'autre jour, n'y a-t-il pas un insensé qui m'a fait de-
mander pour lui et une dame la jiermission de visiter
mon petit Vienne! Il appeloit ainsi mon Trianon, ce qui
m'a fait découvrir que j'avois contre moi une coterie
dont la malveillance accréditoit le bruit que j'avois
ainsi débaptisé le présent que m'a fait le Roi. Des
escrocs et des intrigants tournent autour des avenues
(lu château : pouvons-nous être responsables de leurs
menées? L'indignation du Roi, quand il apprend des
choses de cette nature par les ministres et par le lieu-
tenant de police, dépasse la mienne; mais la plupart
du temps, comment y remédier? En faire du bruit se-
roit ajouter au scandale. — Soyez de loin, mon cher
Frère, aussi indulgent et juste que le Roi est bon pour
moi. Son estime est ma protection. Mais enfin, quelque
chose que vous ayez à m'écrire, écrivez toujours, j'aime
mieux des reproches que le silence. J'ai besoin de bons
10 LOUIS xvr.
conseils et d'avis : ne me les ménagez pas, car je sais
qu'après tout ils partent de votre amitié et tendresse.
Je vous embrasse, quoique vous m'ayez Fait bien pleurer.
cccxcv
LOUIS XVI A HURSOX, ANCIEN INTEiNDANT DE LA
MARINE A TOULON (1).
Fontainebleau, 6 novembre 1776.
Mons Hurson, j'ai jugé du bien de mon service de
faire des changements dans l'administration et la régie
de mes ports et arsenaux de marine, et j'ai expliqué mes
intentions dans mon ordonnance du 27 septembre der-
nier. Le nouveau régime que j'y prescris donnant aux
officiers de mes vaisseaux la direction des travaux,
mouvements et opérations mécaniques des poils et ar-
senaux de marine, fonction qui a été jusqu'à présent
remplie par les officiers de l'administration de la ma-
rine, j'ai jugé devoir supprimer le corps de ces der-
niers officiers, et les écrivains de la marine et des
classes, et de créer des commissaires généraux et ordi-
naires, contrôleurs garde-magasins des ports et arse-
naux, et des commissaires et des syndics des classes aux
fonctions qui leiir sont attribuées par madite ordon-
nance. Mes volontés sont expliquées dans mes trois
ordonnances de la même date du 27 septembre.
(1) Archives iln MiniHlèro tlo l:i Marine.
LOUIS XVI. n
L'établissement du nouvel ordre de service prescrit
par mesdites ordonnances pouvant, dans les circon-
stances présentes, rencontrer quelques difficultés, j'ai
ju{jé à propos de vous en confier l'exécution, et, per-
suadé que vous y apporterez le zèle et les lumières dont
vous avez donné des preuves dans les emplois impor-
tants de l'administration des colonies et de la marine
dont vous avez été précédemment chargé, je vous fais
cette lettre pour vous dire que mon intention est que
vous vous rendiez successivement dans mes trois ports
de Brest, Rochefort et Toulon, en passant par ceux de
Lorient et de Bordeaux.
La première opération que vous aurez à faire dans
chacun de ces ports sera de réformer les commissaires
{{énéraux et ordinaires, contrôleurs, sous-commissaii'es,
élèves commissaires et écrivains de la marine et des
classes et les garde-magasins et sous-garde-magasins,
en leur annonçant les pensions que j'ai jugé devoir
accorder à chacun d'eux, proportionnément h l'an-*
cienneté de leurs services et d'après les états que j'en
ai arrêtés et qui vous seront remis. Et cependant si
aucuns desdits officiers avoiont des représentations fon-
dées à faire sur leur traitement de réforme , je vous au-
torise à prendre leurs mémoires et à me les adresser,
étant disposé à récompenser particulièrement ceux qui
par des services extraordinaires paroîtront susceptibles
de quelque distinction.
Vous établirez ensuite dans leurs nouvelles fonctions
les commissaires généraux ordinaires et surnuméraires
des ports et arsenaux de marine, les contrôleurs de la
marine, les commissaires des classes, et les garde-ma
\'2 LOUIS XVI.
(;asins que j'ai jugé devoir établir dans chaque port
conformément à ce qui est réglé par mon ordonnance ;
et vous remettrez à chacun d'eux les commissions ou
brevets que je leur ai fait expédier.
EnHn, vous procéderez dans chacun de mes ports
de Brest, Toulon et Rochefort, à l'établissement des
cinq bureaux qui sont désignés dans mon ordonnance
concernant la régie et administration générale et par-
ticulière des ports et arsenaux de chacun desquels vous
chargerez un des nouveaux commissaires ordinaires,
conformément aux états que j'en ai pareillement
arrêtés. Vous destinerez également les deux commis-
saires surnuméraires que mon intention est d'employer
au port de Brest et le commissaire surnuméraire em-
ployé dans chacun des deux ports de Rochefort et de
Toulon, de même que les contrôleurs; vous prescrirez
(juels registres chacun desdits commissaires doit tenir
dans son bureau, et le contrôleur dans celui du con-
trôle, ainsi que le service que chacun d'eux aura doré-
navant à remplir. Vous réglerez en même temps le nom-
bre de commis qui devra être employé dans chaque
bureau, et les appointements qui devront être payés à
chacun desdits commis et les sommes à payer pour tous
frais de chaque bureau.
Mon intention étant que le nouveau régime que j'ai
ordonné commence au port de Brest le 1" du mois
de décembre prochain, j'adresse au sieur comte d'Or-
villiers ( 1 ), chef d'escadre de mes armées navales, com-
(1) Louis Guilloufrt^ comte (rOrvilliort), HIs il*uii capitaine de freinte,
était garde de marine le 5 avril 1728, capitaine de vaisiteau le 23 mai
1754, lieutenant {jénrral le 6 février 1777. — C'est lui qui, raiinéc
roris xvf. i:{
iiiaiidunt pour moi audit port, mes ordres pour qu'il
établisse à cette époque dans leurs nouvelles fonctions
les directeur général, directeurs et sous-directeurs par-
ticuliers, et les autres officiers qui devront être aff^ectés
à chaque détail. Vous vous concerterez avec ledit sieur
comte d'Orvilliers pour que rétablissement réciproque
des détails militaires et des bureaux des commissaires
se fasse avec l'union et l'harmonie nécessaires au bien
(le mon service.
Dès que les opérations relatives à ces établissements
seront terminc^es, vous requerrez ledit sieur comman-
dant d'assembler le conseil de marine dans la fornit?
prescrite par madite ordonnance, et vous y prendrez
si»ance en votre qualité d'intendant de la marine, vous
donnant dans lesdits trois ports, pendant le temps que
vous y resterez, toute l'autorité d'intendant et de eom-
niissaire départi pour l'exécution de mes ordres.
Vos opérations finies au port de Brest, vous remettrez.
le détail du port au commissaire général (jue vous aurez
établi , et qui y remplira les fonctions d'ordonnateui-
jusqu'à l'arrivée de l'intendant que je me j)ropose d'y
Commettre, et vous vous rendrez successivement à Lo-
'ient, à llochefort et «à Bordeaux, et ensuite à Toulon,
iHuir y procéder de la même manière que vous aurez
iikii à Brest. Je vous adresserai alors mes ordres de
tïiéme qu'aux commandants des ports de llochefort el
H<iivante, devait, à Ouc»âunt, c)Lli{;i*r la Hodc tic rainiral Kcppel à
■'C'Tilrcr dans se* ]H)rtâ, et qui, en 1779, fut chargé di; l'eTcécutîon
^11 projet de descente en Angleterre. Mallieureusenicnt , lu lenteur
«le:* Espagnols et les maladies qui décimèrent les équipagost et <;nle- ,
viVcni à d'Orvilliers son fih môme, Hrcnt avorter rcntrepris'r.
14 LOUIS XVI.
(le Toulon, pour fixer Tépoque à laquelle le nouvel
ordre de service devra y être établi, mon intention
étant qu'il n'y soit procédé que lorsque vous y serez
arrivé.
Mes volontés étant d'ailleurs bien expliquées dans
anesdites ordonnances, je ne juge pas nécessaire de
vous les détailler davantage; et je m'en rapporte à ce
([ue votre zèle et votre expérience vous dicteront pour
l'exécution de mes ordres et le bien de mon service.
Et la présente n'étant à autre fin , je prie Dieu, Mons
Hurson, qu'il vous ait en sa sainte garde.
Écrit à Fontainebleau, le 6 novembre mil sept cent
sf)ixante-seize.
Louis.
L'administration do M. de JJoynes avait bouleversé le
département de la Marine. Une ordonnance que oe ministre
avait fait signer à Louis XV, le 18 février 1772, avait assi-
milé, par certains côtés, le service de la marine à celui des
armées de terre et divisé l'armée navale par régiments. Il y
eut le régiment de Brest, le ré(fiment de Toulon, le régiment
de Rochefort, et celui de Marseille, et celui de Bayonne, et
celui de Saint-Malo, et le régiment de Bordeaux , et le régi-
ment du Havre. Cette ordonuauce avait aussi rendu à l'Ad-
ministration, dans les ports, une importance que l'ordon-
nance de I7G5, portée sons le duc de Clioisenl, avait au
contraire attribuée? aux Officiers de vaisseau. L'antajfonisme
des deux corps suscitait des luttes depuis Colbert, et l'ordon-
nance de M. de Boynes n'avait fait que l'envenimer. Il y eut,
sous le règne nouveau, contre les officiers d'administration,
une réaction très-forte qui commença par la destitution de
M. de Boynes et finit par le triomphe des idées que le com-
mandant de la marine à Brest, le comte de Ro(|uefeuil , avait
LOLMS XVI. 15
.soiiteiiiics sans succès à rencontre de ce ministre. Roqncfeuil
lui avait écrit w qu^en général son ordonnance avoit fait une
sensation de peine ». Et, plus tard, ajoutant d'autres oliser-
vations qui déplurent, il disait : u J'ai assurément de mon
côté le nombre des opinions les plus éclairées du corps. Mais
nous ne pouvons en appeler, Monseig^ieur, qu*à votre propre
expérience dans l'avenir. » M. de Boy nés avait tenu bon ce-
pendant. Vint son successeur M. de Sartines, qui fut riionime
des ofHciers de vaisseau, et tout changea.
L'ordonnance du 27 septembre 1776, à laquelle Lamotte-
Picquet concourut, remit donc les choses sur l'ancien pied,
pour la constitution du corps des officiers, et diminua de
nouveau le rôle de l'administration, — comme le montrent
les considérants de l'ordonnance :
« Sa Majesté, dil-elle, s'étant fait représenter l'ordonnance
» du 15 avril 1089 pour les arsenaux de marine, celle du
^ 25 mars 1765 et son ordonnance du 8 novembre 1774 pour
ry régler provisoirement ce qui seroit observé dans les diffé-
" rentes parties du service des ports, et s'étant assurée que les
^ officiel^ militaires ont acquis depuis plusieurs années, par
n la nouvelle forme donnée à leur éducation militaire, la
" théorie de l'architecture navale et les connoissances néces-
» saires pour bien diriger la construction, le gréement et
" l'équipement des vaisseaux, elle a reconnu la nécessité de
* &ire divers changements à l'ancienne constitution de sa
-' marine. Cette constitution, qui n'admettoit les officiers
'' militaires à aucun détail dans les arsenaux, étoit propre
*' îsans doute aux temps où elle fut adoptée. Mais Sa Majesté
a jugé qn*elle ne ponrroit être maintenue dans son entier,
^ans renoncer aux avantages qui dévoient résulter, pour la
** perfection des ouvrages et jxïur l'économie, tant des lumières
** et des talents desdits officiers que de l'intérêt qui lie essen-
** tiellement leur propre gloire au succès des opérations méca-
** niques des ports et à la conservation des forces navales. »
Tels furent les motifs qui inspirèrent à Louis XVI la lettre
^tii précède et amenèrent la refonte des règlements d'organi-
sation de la marine. Malheureusement l'équilibre entre les
^cux services n'avait pas été suffisamment ménagé, et il en
Résulta des tiraillements. Si le ministère de M. de Boynes
16 l'p:mpkrrijr josepii h.
avait lait la part trop lar(fe à l'adininistratioii , le ré(pin('
nouveau avait poussé trop loin la réforme, et le Roi le vit
trop tard alors cpic les abus fui^îiit manifestes. Devenus
administrateurs à la mer, les ofBciers de vaisseau, par le
désordre qui sMntroduisit dans la comptabilité pendant la
((uerre de 1778, ne justifièrent que trop les prévisions et les
remontrances que M. Rlouin, premier commis de la marine,
avait, à trois reprises, tenté d'opposer à la promul(j^ation de
rette ordonnance du 27 septembre.
CCCXCVI
1/EMPE1\EITH JOSEPH II A MARIE-CHRISTINE (1).
Tendresses de famille. — Il visite les ports, dont il est fort satisfait.
Eh»ge de Marie-Antoinette, qui, indéjRMidanimcnt des prâces de sa
Hpiire, sait être eliarinante par le tour délieat qu'elle donne à tonte
ehose.
Hrest, le 9 juin 1777.
Ma chère Sœur, je vous suis iiifiniraent obligé pour
votre chère lettre. La nouvelle cpi'elle contient m'a
vraiment effrayé. Des incommodités pareilles peuvent
être dangereuses, mais elles ont cela de bon qu'elles ne
laissent aucune suite, et que dès que la cbose tourne en
mieux, elles scmt finies. Faites, je vous prie, mes com- •
phments au Prince, et assurez-le bien sincèrement de
toute la part que j'y ai prise et combien je suis charmé
(|ue la chose ait tourné ainsi. Pour vos inquiétudes, elles
n'auront pas été petites. Enfin votre plaisir de revoir
(1) Arelii\es de 8. A. I. et K. 1 Areliiduc Albert d'Autriche.
JOSEPH 11 ES FRANCE. 17
votre mari bien portant anra tout fait oublier. Me voici
au milieu de la marine et très-content des choses cu-
rieuses que j'y vois. J'ai quitté Paris sans regrets :
j'avais tout vu. Versailles m'a coûté infiniment, car j'ai
(juitté la Reine avec bien de la peine. C'est une femme
charmante en vérité, et sans sa figure elle devroit plaire
par sa façon de s'expliquer et l'assaisonnement qu'elle
sait donner à toutes les choses qu'elle dit. Adieu, ma
chère Sœur, portez-vous bien et le Prince aussi. A
revoir. Ce sera toujours avec un vrai plaisir que je
vous embrasserai, étant pour la vie votre (1).
P. S. Cette lettre, à mon adresse par méprise, vous
t'ippartient ; je vous l'envoie.
Uc.'inpereur Joseph 11 voyageait sous le nom de comte de
Falkeiistetn (2). Les Archives du Ministère de la Marine
domient une relation détaillée de ses visites dans les ports
de France. 11 arriva à Brest, à trois heures du soir, le G juin
1777. Le marquis de Lanjferon, le comte d'Orvilliers et le
comte Du ChaFlàult se rendirent aussitôt aupri\s <hi prince
et ne restèrent que peu de temps, attendu qu^il venait de
recevoir son courrier et avait à y répondre.
-Le lendemain 7, à huit heures du matin, TEmpercur
C) C'est ainni que finit la leUro orl({iiinl(*, et que finit d'ordinaire
''**^^"|ili II en écrivant à «a suMn*. On liien il entend écrire vôlre, ou
oi«.*ti j| sou^-entend nne finale d'amitié. Son frère François termine
**^ l»ins itonvent de même «e* let^n'?* par des sons-enlendns.
C^) Falkenstcin est nn fief attenant an comté de Biiche, entre l'Al-
«»«"o 4»! J.J l^orrainc, et qni avait été concédé, par le traité de Ry8w\clc,
*** **îio de Lorraine, (»rand-pére de l'Emperenr. Le grand-duc de Tos-
t"**^!! I-'i-aiicois I*'' se l'était réser%'é en cédant la Lorraine à la France,
* ^** Ue rester membre du Corps peruianiqne.
TOMK ni. S
18 JOSEPH II EN FRANCE.
commençait sa yisite par Je vaisseau le Conquérant^ qui était
en radoub dans le bassin de Brest. Il parcourut ensuite toun
les ateliers depuis la porte du bassin jusqu'à la tonnellerie.
Il vit travailler dans chacun divers objets, se rendant compte
de l'emploi et de l'utilité de tout ce qu'il voyait. Il visita les
han(fars à bois, et avec assez de détail le magasin particu-
lier du vaisseau le Duc de Bourgogne complètement armé.
A une heure, il sortit du port et se rendit chez lui. Comme
on savait qu'il n'aimait point à être accompa(][né de beau-
coup de monde, on so plaçait à distance dans les différent^
endroits où il passait, mais on ne le suivait pas.
A quatre heures, le même jour, il visita les bassins de
Pontanion ainsi que le vaisseau tOrienty qu'on était occupé
à radouber. 11 vit après cela tous les ateliers et les frégatCN
la Nymphe et la Sibylle, alors en construction. Ensuite il
s'embarqua, alla à la batterie royale, ot, avant de se rembar-
quer, il visita dans les phis petits détails les boulan^jeries^
et les magasins de vivres. A huit heures, il rentrait chez lui.
Le lendemain 8, il alla au champ de bataille voir défiler
les troujics de l'infantiTic qu'il inspecta, entendit la messe
au Petit Couvent, et rentra chez lui pour dîner.
Sorti de nouveau à deux heures, il monta k botti du /{o-
buste, qui mit en rade et courut deux bords avant de mouiller.
Il s'embarqua ensuite pour aller à bord du Magnifique , v
trouva chacun à son poste, visita avec un soin |)artirulier ce
vaisseau, fit beaucoup de questions sur la manière de ser\*ir
l'artillerie, monta ensuite sur la dunette, examina la mâ-
ture, vit déçréer les perroquets, et demanda que l'on At des
sig^naux.
A cinq heures et demie, il descendait dans son canot, ren-
trait dans le port, visitait le vaisseau la Bretagne, et retour-
nait à si^pt heures chez lui.
Le 9 juin, il allait dans le port voir caréner à flot le
vaisseau le Sphinx; et dans le bassin, la frégate le Zepliir.
Il voyait ensuite accoler une ancre de six mille; il visitait le
ba[]^ne, où il parcourait une salle et rhôpital des forçats. Il
visita enfin toutes les salles du nouvel hôpital du Hoi, et
rentrait à une heure.
A quatre, il descendait de nouveau dans le port, visitait
JOSEPH II e::! FRâNGB. 19
tous le» ateliers de l'artillerie et la salle d'armes. 11 assistait
ensuite à l'exercice du canoo et des bombes, et à des épreuves
de poudres. Tous ces diffV^rents objets donnèrent matiiVre à
de nombreuses questions de la part du Prince. Le marquis
de Lang[cron raccoiiipa(jna chez lui, pour lui montrer les
cartes et plans des fortifications que l'on exécutait pour la
défense de la place.
Le 10, le comte de Falkenstein , toujours accompagnr du
marquis de Langeron, visita à cbeval les fortifications et ou-
vrages auxquels on travaillait dans les environs de la ville,
et, à quatre heures, il vit mater le vaisseau ie Glorieux, II
s'embarqua ensuite dans son canot, prolongea tout le port
et iiiêuie la rivière de Penfeld jusqu'au Martinet, pour exa-
miner rarran(j^eineiit des bois et les mâtures. Il descendit
dans le hangar aux mâts de cette rivière, pour voir ceux du
BoyaJrLouU; et après êtit3 resté longtemps devant les vais-
seaux la Bretayncy lu Ville de Paris et Le Saint-Esprit, à faire
des c^>m})arai.sons sur les avantages et la manière de les
mouvoir et de combattre avec ces bâtiments, il débarqua è
la salle de Tintendance, où il exalta la grandeur de la
France, la curiosité d'un arsenal de marine, et proclama
u Brest une superbe chose ». Les évolutions dont il avait
été témoin l'avaient enchanté : il aimait, comme il disait,
les choses spectaculeuses, « Quel empire! s'était-il écrié plu-
sieurs fois, en voyant manœuvrer notre flotte; quel empire!
la terre et la mer ! »
Le 11, visite aux salles des gardes de la marine, où il
assista aux leçons d'instruction que ces gardes reçoivent
tons les jours, et là encore il fut prodigue de questions
sur la tactique et les évolutions navales. On fit devant lui
qnelques-unes de ces dernières avec la table et les vaisseaux
destinés ù cet effet. 11 termina par la parade des troupes de la
marine, dont il visita les casernes.
Le itièine jour, à deux heures, il reprenait ses visites,
montât à bord du Bizarre, qui mit sons voile au môme
instant, ain.si que la frégate t Inconstante. Ces deux bâtiments
<*ourureiit plusieurs bordées dans la rade. Pendant ce temps,
les vaisseaux de l'escadre faisaient l'exercice de la manœuvre.
1/ Empereur parut très-satisfeit de la navigation. Il passa
2.
20 JOSEPH II EN FRANCE.
ensuite une heure a bord de P Actif y et se montra sutpris de la
grandeur de la salle qu^on y avait pratiquée pour recevoir
des dames. Cette salle était en effet assez vaste pour contenir
au moins cent cinquante personnes, et permettre de danser
fort à l'aise deux contre-danses.
Enfin le comte de Falkenstein quittait Brest à quatre
heures du matin, ayant, pendant tout son séjour dans la
ville, fait preuve d'une merveilleuse sag^acité, par la justesse
et la multiplicité de ses questions. Les officiers (généraux de
terre et de mer, le marquis de Lançeron et le comte d'Or-
villiers, l'avaient conduit partout, sans toutefois lui faire
rendre aucun honneur personnel , tandis que Ton en rendait
à ces officiers généraux, afin de mieux constater V incognito
qu'il avait voulu (garder.
A Bordeaux, l'Empereur fut escorté par M. de Lombanl,
commissaire du port, et montra la même curiosité intelli-
gente. Sa conversation roula sur le commerce de la ville, sur
son étendue, ses ressources, l'avantage de son sol, de sa po-
sition. Il vit avec surprise l'abondance de ses différentes
branches de richesse, dont tout le royaume était tributaire.
Il se renseigna sur nos colonies, sur l'Amérique anglaise, sur
la situation politique actuelle, sur l'Angleterre. Il s'enquit
enfin, dans les plus petits détails, sur la nature des fonctions
du commandant, sur l'étendue de ce département, sur les
ressources dont il pouvait être pour la marine royale, sur
l'état de notre marine, etc.
En rendant compte de cette visite au ministre (1), M. de
Lombard fait remarquer que c'est la partie du commerce qui
avait paru occuper le plus le Prince, surtout les branches qui
|>ouvaient intéresser le Nord et l'Allemagne.
Le comte de Falkenstein arriva le mercredi 2 juillet 1777
à Toulon. Ce fiirent le marquis de Saint-Aignan (2), le che-
(1) Archives du Ministère de la Marine.
(2) Le marqiiiâ de La Perte Saint-Ai{;nan, Bb du duc de Saint-
Aignan, commandant de la marine à Toulon et à Marseille depuis 1772,
était entré au ftcrvice, en qualité de («ardc de l'étendard, le 4 octobre 1728,
au port de Toulon. 11 avait été fait chef d'escadre le l'i* octobre 1764,
JOSEPH II EN FRANCE. 21
valicr de Fabry (I) et le major de la marine, M. de Coincy,
qui lui servirent de (jiiides. Il mit le même zèle à visiter les
vaisseaux, les chantiers, la corderie, le parc d'artillerie, les
magasins.
Le lendemain, il voulut visiter le lazaret, sV instruisit des
moyens et précautions usités pour les bâtiments mis en qua-
rantaine; puis, le soir, il parcourut le nouveau bassin, les
vaisseaux, les différents ma[jasin8, et s'enquit des procédés
de conservation des divers efifets de (!haque bâtiment. Puis il
sortit du port en canot pour monter sur un chebeck armé en
rade. Cette espèce de bâtiment lui était inconnue, et il mul-
tiplia les questions. Rentré dans le port, il alla au champ
de Mars voir manoeuvrer, jusqu'à la nuit, le régiment de
Navarre.
Le vendredi 4, il se rendit à Hyères, sans autre compagnie
que sa suite. A son retour, il visita le fort de La Malgue;
mais comme il était arrivé à l'improviste et sans qu'on eût
donné des ordres, le fort ne put lui être montré en détail.
A nuit close, il rentrait et faisait visite à Monsieur , qui
arrivait à l'instant même pour visiter le port. 11 demeura
avec lui un assez long temps, et tous deux firent le projet
d'aller de compagnie au lancement du vaisseau le Caton, fixé
au lendemain.
Après y avoir assisté en effet à neuf heures du matin, et
avoir examiné avec Monsieur quelques autres détails mari-
times, il prit congé, partit à trois heures, et alla coucher à
Marseille.
Dans tout le cours de ces excursions maritimes, l'Empereur
avait voulu loger à l'auberge. C'est ainsi qu'il en avait usé
et lieutenant général le 24 septembre 1769. Il fut nommé vice-amiral
le 17 novembre 1781.
Il avait, en 1756, commandé /le Lyon clnns l'escadro du comte de La
CalUsonnicrc, lors de l'expédition de Mahon.
(i) Le chevalier de Fabrè(jiieft-Fal>r\', entré dans la marine, en qiia-
'ité de {^arde, le 17 mai 1734, brij^adier de» armées navales le
15 août 1771, chef d'cHcadre en 1776, le 9 novembre, enfin directeur
général de l'arsenal à Toulon le 1*^*" décembre 1776.
ti JOSEPH II EN FRANCE.
à Venaîiles et à Paris. Eu vain la Reine lui avait-elle fait
préparer un logement au château, il Pavait refusé, allé^iant
que dans ses voyages il avait accoutumé de « descendre an
cabaret ». Toute l'insistance de Marie-Antoinette ne réussit
à rien ga()^ner sur ce premier refus, a Je sais, avait-il ajouté,
combien est g^rand le château de Versailles, et qu'il y lo§e
assez de u polissons » pour que j'y puisse bien aussi trou\'er
une place; mais mon valet de chambre a déjà fait dresser
mon lit de camp dans un hôtel g^ami, et j'y lofj^erai (1). n
Partout dans sa visite des ports, il garda le pli» strict
incognito^ et nulle part il ne coûta à personne de la gêne
par l'offre d'aucun présent ni g^ratiâcation. Il a(jissait là, du
reste, comme il en avait usé à Versailles, où cependant tous
les officiers de la chambre de la Reine avaient eu, durant
son séjour, beaucoup d'occasions de le servir. Aussi rapporte-
t-on que l'on s'était attendu à le voir se répandre en Qéné'
rosités le jour de son départ. Or, comme le serment des
charges portait qu'on ne recevrait rien des princes étrangers,
on était convenu de suspendre d'abord toute acceptation et
de prendre son temps pour se Faire forcer la main et auto-
riser. L'Empereur, instruit probablement de la règle, avait
épargné tout embarras à cet égard en ne faisant aucun pré-
sent sous quelque forme que ce fût (2) ; mais il s'était montré
plein de grâce à Paris, dans ses visites à l'Académie et chez
divers académiciens. Son frère, l'archiduc Maximilien, lec-
teur et archevêque de Cologne en 1784, évêque-prince de
Munster et grand maître de rordre Teuton ic] ne, était venu
avant lui en France. Quand il avait visité le Jardin dos
Plantes, où Tavait reçu le comte de Buffbn, ce grand écri-
vain lui avait offert un exemplaire de son Histoire naturelle ,
et l'archiduc lui avait répondu : « Merci, je no veux pas
vous en priver. » Joseph II, qui connaissait Tanecxlote, alla
visiter M. de Buffon, et lui dit en l'abordant : « Je viens,
monsieur, chercher Texemplaire de votre livre que mon frère
a oublié. »
Il ne fut pas , en Franco , toujours prodigue d'aussi aima-
(1) Mémoires de madame Campiuiy t. î, p. 17(>.
(2) Idem, t. T, p. 185.
MADAME KLISABËTH. 33
hics paroles; il laissa au contraire le souvenir de vifs sar-
casmes, car il avait le {[oùt, même le talent, de la satire.
Son dernier mot cependant, quand il quitta Nantes, fut un
madrigal d'adieu d'une (;râce qui fiit remarquée. En quittant
«on auberge à la petite pointe du jour, il avait trouvé, dans
la cour, sa voiture entourée de toutes les jeunes dames de la
ville, toutes excessivement parées : l'Empereur, après les
avoir saluées, dit en les regardant : « Voilà une si char-
mante aurore, qu'elle promet plus d'un beau jour (1). n
Comme on l'a vu, Momieur, comte de Provence, s'était
rencontré à Toulon avoc le comte de Falkenstein, dans la
visite de ce port. Lt^ Roi avait voulu que les princes ses
frères visitassent les principales villes et ports de leur apa-
uage. Peut^tre l'empereur Joseph n'avait-il pas été étranger
à cette détermination. Monsieur était parti pour voir Tou-
louse, Marseille, Toulon; le comte d'Artois, Rochefort, Brest,
1-a Rochelle. On trouvera au Supplément du présent volume
les rapports officiels des commandants de la marine sur ces
voyagçs princiei-s.
CCCXGVII
MADAME ELISABETH A LA MARQUISE DE SORAN (2).
[Mai 1778.]
Je suis bien fâchée, Madame, de n'avoir pas répondu
l^Ius tôt à votre lettre, mais je n'ai pas eu le temps.
(i) Madame de GshKh, Souvenirs île Félicie.
(2) La marquise de liosièred-Suraii , née de Mailk', était Dame |ioiir
4Ci!oiii|)agncr Madame Elisabeth, et femme du maréchal de camp de
**^ nom y précédemment colonel de Bresse et d'Artois et des Grenat
^^ers royaux, — La lettre fait partie des papiers de famille de
madame la marquise de Perthuis, née de Soran.
24 MADAME ELISABETH.
Soyez sûre qu'elle m'a fait beaucoup de plaisir, et que
je serai toujours enchantée de recevoir de vos nou-
velles, surtout quand elles seront bonnes. Pour moi,
j'en ai de fort bonnes à vous annoncer, car le Roi m'a
promis que, quand mademoiselle votre fille (1) seroit
en âfje, elle auroit une place chez moi, ce qui m'a
fait yrand plaisir. Vous devez en juger. Madame, par
l'amitic que j'ai et que j'aurai toute ma vie pour vous.
Je vous prie de ne point en parler; comme on m'en a
refusé une autre, et que je n'ai pas encore osé le dire,
je serois fâchée qu'on sût que le Roi m'en a promis
d'autres, parce que l'on pourroit croire que je n'y ai
pas mis autant de zèle que je pouvois, — et certaine-
ment cela n'est, pas vrai. Puisque vous me demandez
mon portrait, Madame, je vous prie de ne point le
faire faire de ma part, parce que cela pourroit faire
des jalousies, et j'en serois au désespoir, et surtout que
Campana croie que c'est vous qui le faites faire. Et
quand vous l'aurez, je vous prie de le dire à tout le
monde; cela fera que, quand je serai en fonds, je vous
le donnerai à toutes ensemble. Adieu, Madame, soyez
sûre de la tendre amitié que j'ai et que j'aurai toute
ma vie pour vous.
ELISABETH.
(1) La comtesse Delphine de Soraii, rhanoiiicssc de Reiiiiremont,
devint Dame de Madame Elisabeth, épousa le comte de Clermont-Toii-
nerre, et, en secondes noce.^, le marquis de Talaru. C'était une per-
sonne vive, d'un esprit rempli de gaieté et de saillies quelquefois ris-
quées. « Elle savait les histoires de chacun, les aventures, les familles,
les querelles, les raccommodements et tout ce qui en résultait. Une
pointe de malice assaisonnait ses récits, w Voir les Mémoircx de la
baronne d'Oberkiivh, t. l*^»", p. 247.
MADAME ELISABETH. 15
CCCXGVIII
MADAME ÉLîSAKETH A MADAME DE BOMBELLES (1).
Annonco «l'une affain» entre les flottes franrai.4e et anglaise. — Le
vaisseau «le Famiral Keppel se battait fort hien et tout à coup a viré
de boni, ce qui fait ci*oire rjue l'ainiral a ««té tue; ou blesse. —
Retour du duc de Chartres. — M. Du ChafFault dan{>ereu8einent
blessé.
[Vers les premiers jours d^août 1778.]
Je n'ai que le temps, mon ange, de vous dire qu'il
y a eu une affaire entre les deux flottes; que le pre-
mier choc a été très-vif, qu'ensuite elles se sont sépa-
rées , et que la notre s'est avancée pour un second ,
mais que les Anglais se sont retirés. On dît que l'on a
remarqué cjue le vaisseau de l'amiral Keppel se battoit
fort bien , mais que tout d'un coup il y a eu une grande
évolution, cju'il a cessé de se défendre et s*est retiré.
Huit ou dix bâtiments l'ont accompagné, ce qui fait
croire que l'amiral est ou très-blessé ou tué. Il y a dix
vaisseaux fort endommagés, et nous, nous n'en avons
que deux qui seront en état de repartir dans huit jours.
Le duc de Chartres revient passer deux à trois jours
ici. M. Du Chaffault est très-dangereusement blessé. Je
m'affermis encore plus dans ce que je vous ai dit la der-
nière fois. J'attends votre réponse avec impatience pour
me décider sur ce que je dois faire. Ne dites point la
(1) Cette lettre, roinuic relie du 24 novenibi-e suivant, appartient
à M. le comte de Rlos^teville, ancien député sous la Ki^stanration.
28 GUERRE MARITIME AVEC I/ANGLETERRE.
colonel du ré(yimeiit d' Auvergne, qui s'était travesti en ma-
telot pour s'embarquer sur le Saint-Esprit en qualité de
canonnier, n'avait pas, durant toute l'action, quitté les côtés
du prince, et que celui-ci, voyant quelques hommes tomber
morts autour de lui sous le canon angolais, lui dit en sou-
riant : « Les boulets qui passent ont la voix claire comme
les enfants de choeur, n Et d*ailleurs ce serait bien à tort
que Ton attribuerait au duc la responsabilité de ce qui s'est
passé à bord du Saint-Esprit, car le général de Vaulx, qui
tenait le fait de La Motte-Picquet lui-même, rapportait en
1811, qu'au moment où le comte d'Orvilliers fit les premiers
signaux, La Motte-Picquet vint en rendre compte au duc de
Chartres et lui demanda ses ordres : u Monsieur de La Motte,
lui répondit le prince, c'est vous qui êtes ici le marin, et
l'exécution des ordres vous regarde plus que moi qui n'ai pas
votre expérience. Allons prouipteuient où il faut êti-e pour
l'honneur du pavillon du Roi, et là, faisons notre devoir
en bons gentilshommes. Je n'ai pas autre chose à vous
dire (I). »
En résumé, il n'est donc point vrai que le duc de Chartres
ait manqué de bravoure à l'affkire d'Ouessant. 11 faut être
bien malavisé pour calomnier un tel personnage!
Madame Elisabeth parle de la blessui-e du lieutenant gé-
néral comte Du ChafFault (2). En effet, notre avant-garde
avait longtemps soutenu seule le feu de l'ennemi, et c'est en
cherchant à dégager un de ses bâtiments que Du Chaffault
reçut un éclat de mitraille si terrible, qu'on trembla longtemps
pour ses jours. On parvint enfin à lui extraire de l'épaule un
morceau de fer pesant environ cinq onces; et depuis cette
opération sa blessure prit un caractère plus consolant, u Ce
pauvre M. Du Chaffault, que je le plains! disait Marie-
Antoinette, alarmée de la situation inquiétante de cet
(1) Lettre du colonel de In Jumelière, parent de LmI Motte-Picquet,
et note de M. Jal à l'appui de cette lettre, publiées dans VHixtoire de
Louis-Philippe d* Orléans par M. Tournois. Paris, 1842.
(2) Louis-Charle.4 , comte Dn ChafFault de Besné, (^arde de la ma-
rine le 15 novembre 1725; capitaine de vaisseau le 24 mai 1754, chef
d'escadre le i*^*" octobre 1764, lieutenant général le 6 février 1777.
GUERRE MARITIME AVEC L'ANGLETERRE. 29
oflicier. Je voudrais être oiseau pour aller lui servir de
(j^arde (I). »
Ce brave marin était probablement appelé à un plus haut
renom, s'il n^eût formellement refusé, en août 1780, de
servir à Cadix, sous les ordres de ce comte Charles-Hector
d'£staing[ qui, pendant toute sa jeunesse, avait servi dans
l'armée de terre en qualité de colonel d'infanterie, puis de
brigadier des armées du Roi; qui, prisonnier dea An(»lais
dans rinde, et libre sur parole, avait, au mépris de son
engag^ement, repris sur-le-champ les armes; et qui enfin
était devenu vice-amiral sans jamais s'être acquis la con-
fiance et l'estime de la marine.
Du Chaffuult était le second officier ([(Miéral qui faisait nu
pareil refus. En 1779, le chevalier de Ternay, qui était
prêt à partir pour l'Inde, aima mieux perdre le commande-
ment de la flotte que de ser\'ir sous un tel chef. Quand des
hommes d'un caractère aussi droit et aussi élevé que l'étaient
ces deux marins en sont venus à de semblables extrémités
sans apporter dans leurs correspondances ni les violences du
marquis de Bouille, ni les dédains éclatants du comte de Grasse
contre sa personne, il y a bien à préjuger en défaveur de
eehii qui les motive. « Mon honneur, écrivait, le 18 août 1780,
le brave Du Chaffault, est le seul bien qui me soit cher. »
D'Estaihg couronna sa carrière par sa conduite dans le
j)rocès de la Reine. Lui , ancien meniu du i^ère de Louis XVI,
on le vit tout à coup transformé par calcul en ardent patriote,
«t, courtisan de tous les pouvoirs, déposer contre Marie-
^ntoinetle, et faire afficher au coin des rues sa déposition,
^lais sa lâcheté ne lui réussit pas deyant des révolutionnaires
c]ui battaient monnaie sur la place de la Révolution. Il était
:riche, et sa tête déshonorée roula sur Téchafaud , le 28 avril
1794, avec tant d'autres têtes honorables.
Au surplus, on apprendra avec le même intérêt que nous
l'avons appris nous-mênie, que l'amiral Jurien de La Gravière
(1) Histoire impartiale des événements militaires et politiques de
la dernière guerre dans les quatre parties du monde [par ralihc Pierre
do Loiig<'hainp.«, mort le 22 avril 1812]; t. fer, p. 380.
30 LOUIS XVI.
prépare une histoire des (j^iierres maritimes de cette époque. Il
y apportera la conscience dans les recherches et la vig^ueurdans
l'exposé qui distinguent les ouvrais que nous possédons déjà
de lui. Il rectifiera les &utes que nous aurions pu commettre.
CCCXCIX
LOUIS XVI A L'AMIRAL DE FRANCK
(LE DUC DE PEJNTHIÈVRE).
Ordre d'armer en guerre contre l'Angleterre^ qui a insulté le |>avillon
de France.
Versailles, le 10 juillet 1778.
Mon Cousin , Tinsulte faite à mou pavillon par une
frégate du Roi d'Angleterre envers ma frégate la Belle
Poule y la saisie faite par une escadre anglaise, au mé-
pris du droit des gens, de mes frégates la Licorne et la
Pallas, et de mon lougre le Coureur; la confiscation
des navires appartenant à mes sujets, faite contre la
foi des traités ; le trouble continuel et le dommage qne
la puissance anglaise apporte au commerce maritime
de mon royaimie et de mes colonies d'Amérique, soit .
par ses bâtiments de guerre, soit par ses corsaires,
dont elle autorise les déprédations ; tous ces procédés
injurieux, et principalement l'insulte faite à mon pavil-
lon, m'ont force de mettre un terme à la modération
que je m*étois proposée , et ne me permettent pas de
suspendre les effets de mon ressentiment. La dignité
de ma couronne et la protection que je dois à mes
sujets exigent que j'use enfin de représailles, que j'a-
GUERRE MARITIME AVEC l/ANGLETERRE. 31
gisse hostilement contre rAnglotorrc , et que mes vais-
seaux attaquent, prennent ou détruisent les vaisseaux,
frégates et autres bâtiments appartenant au Roi d*An-
^eterre; qu'ils arrêtent et se saisissent pareillement de
tous navires marchands an(][lois dont ils pourront avoir
occasion de s'emparer. Je vous fais donc celte lettre
pour vous dire qu'ayant ordonné en conséquence aux
commandants de mes escadres et de mes ports de
prescrire atix capitaines de mes vaisseaux de courre sus
à ceux du Roi d'Anjfleterre , ainsi qu'aux navires ap-
partenant à ses sujets, mon intention est gu'en repré-
sailles des prises faites sur mes sujets par les corsaires
et armateurs anglois , vous fassiez délivrer des commis-
sions en course à ceux de mesdits sujets qui propose-
ront d'armer des navires en {juerre avec: des forces assez
considérables pour ne pas conipromettix* les équipages
qui seront employés sur ces bâtiments. Sur ce, etc.
Louis.
Le capitaine de fiV*gate C4hadeaii de [^a ClochcCerie, coiu-
mandant la BeUe Pouiey était parti de Brest le lundi
15 jwin 1778, marchant de conserve avec la frégate la Li-
ror/ir, commandée par Oouzillon de Bclizal, et la fré^^ate
i Hirondelle.
Le mercredi 17, à une liciire après midi, il rencontrait
l'armée de l'amiral KeppeU forte de vinjyt voiles. Prévoyant
de la part de TAnglais quelque procédé hostile, bien que la
^'uerre n'eût point été déclarée, son parti fiit pris tout
<l'aboid. 11 laissa maîtres <le leurs manœuvres, |X)ur échap-
per à la chasse de Tennemi, les commandants de la Li-
<'ornc et de t Hirondelle , l)âtîmcnts plus légers que le sien,
<*t se présenta seul. A six heures et demie du soir, il était
al»ordé, à une portée de pistolet, par une frégate anglaise,
32 GUERRE MARITIME AVEC L'ANGLETERRE.
qui Tinvîta à aller trouver son amiral. La Cloclicteric ré-
pondit que sa mission ne lui permettait pas de suivre cette
route. L'ofBcier angolais répéta son injonction ; et comme le
Français ne s'y prêtait pas davantage, l'Anglais lui envoya
toute sa volée. L'Angleterre n'a point sur mer sa courtoisie
du champ de bataille de Fontenoy : elle va droit aux coups
sans déclaration de guerre, et c'est ainsi qu'elle la déclare.
La Belle Poule avait la mèche allumée. Alors s'engagea un
rombat sanglant, dans lequel nous eûmes plus de quarante
morts et cinquante-sept blessés. La Clocheterie reçut des
contusions, l'une a la tête, l'autre à la cuisse. Chefs et mate-
lots rivalisèrent de valeur intrépide et de sang-froid. Un
enseigne, le jeune La Roche -Keraudren, avait eu le bras
cassé; à peine l'appareil du pansement était-il posé, que le
brave enfant reparaissait sur le pont, où il combattit encore
pendant trois heures. Le lendemain, on lui confiait le bras.
L^n officier auxiliaire. Bouvet, gravement blessé, ne cessa de
demeurer à son poste et d*y faire son devoir. A onze heures
et demie, La Clocheterie avait lieu de croire la frégate an-
glaise réduite et punie de sa déloyale agression, attendu
qu'après être arrivée vent arrière, elle n'avait pas une seule
fois riposté à cinquante coups de canon envoyés dans sa
poupe. Malheureusement, la route qu'elle faisait l'eût jeté
lui-même en pleine escadre anglaise, et il se vit forcé de ne
pas poursuivre son avantage. Alors il courut vers la terre,
où il mouilla, à minuit environ, auprès de Plouescat (1). Au
jour, il se trouva entouré de rochers, au milieu desquels
deux vaisseaux anglais qui l'avaient suivi ne songèrent pas à
venir le chercher.
Cette belle conduite méritait une récompense : le Roi
ne la Bl pas attendre, et nomma Chadeau de la Cloche-
terie capitaine de vaisseau , avec promesse de la pre-
mière pension vacante sur l'ordre de Saint-Louis; et au
dire de la Touche -Trév il le, le ministre M. de Sartines
honora cet officier d'une « lettre qui méritait d'être en-
châssée M .
(1) A sept lieues 0. N. 0. de Morlaix.
GUERRE MARITIME AVEC L'ANGLETERRE. 33
Les firéffates, que La Clocheteric avait livrées à leurs
propres manœuvres, furent moins heureuses que la Belle
Poule.
Les deux commandants, placés, il est vrai, dans des circon-
stances plus difHciles, en face d'adversaires plus nombreux,
ne purent se refuser à la démarche de déférence à laquelle
La Clocheterie n'avait pas voulu se prêter : « Si c'est ordre,
avait répondu le commandant de la Licorne, je n'irai pas.
Si c'est prière, avec plaisir. » — « Je vous en prie, » avait
n>pliqué le capitaine de l'Hector^ vaisseau de soixante-qua-
torze. — Alors Gouzillon de Belizal l'avait accompa(;né.
]\1ais, en dépit des paroles du commandant de l'Hector, le
capitaine français ne put arriver à l'amiral. C'était une per-
fidie de (fuerre sans guerre déclarée : il était entre quatre
l>âtinients de la marine royale an(;laise, et P Hector, pour
plus de clarté, envoya à son bord deux coups de canon à
boulet. lielizal, se voyant insulté et arrêté, n'amena son
pavillon qu'après avoir envoyé sa volée de tribord et de
bâbord, u comme cela se pratique, dit-il dans son rapport au
ministre, quand une force supérieure ôte tout moyen de
livrer un lou(j combat. »
Cette seule volée, qui tua quelques hommes, servit le lende-
main de prétexte pour arrêter Le Breton de Ranzanne, com-
mandant de la Pallas. Le capitaine d'une frégate anglaise
Tabordant, lui avait dit : a Faites l'honneur à M. l'amiral
(le lui venir parler, et je vous donne ma parole, I engage
my ivord, qu'il n'a que des honnêtetés et des politesses à
vous foire. » Perfidie préparant une insigne violence : l'An-
(^lais n'entretenait le brave Ranzanne que pour agir plus
ù coup sûr et donner le temps à une autre frégate et à un
çros vaisseau d'approcher. Le commandant de la Pallas, qui
avait le droit de se croire en paix, se voyant près d'être enve-
loppé par l'armée d'Angleterre, avait enfin cédé à l'invitation
du capitaine anglais. Entouré tout à coup de seize vaisseaux,
il fîit contraint, lui et tout son état-major, de passer à bord
des bâtiments anglais, et bien qu'il fit tous ses efforts pour
Ile donner co titre lui aucun prétexte, il se trouva arrêté à
bord du Robuste, où il déclara nettement au capitaine Ilood
4ui le commandait, que la façon dont les Anglais l'avaicnl
TOMB ni. 3
3* LOUIS XVT.
trompé était contraire à toutes les lois du droit des gens, de
l'honneur et de la justice.
Ce môme Le Breton de Ranzanne devait mourir g^lorieu-
sement dans la nuit du 5 juillet 1780, commandant la Ca-
pricieuse y en un des plus beaux combats de cette (jiierre,
contre deux frégates anglaises, te bras gauche percé d'un *
coup de fusil, blessé encore une heiu*e après à la cuisse
gauche, il n'avait quitté le commandement et le combat
qu'après avoir été frappé à mort, à cinq heures du matin.
CCCG
LOUIS XVI AU DUC DE PENTHIÈVRE (i).
A MOKSIECR l'aMTBAL.
Fiintion de l'époque de la déclaration de (;iieiTe contre TAngleterre,
par suite de Tuisulte faite par elle au pavillon du Roi.
Le 5 avril 1779.
Mon Cousin, je suis informé qu'il s'est élevé des
doutes sur l'époque à laquelle doit être fixé le commen-
cement des hostilités, et qu'il pourroit résulter de cette
incertitude des contestations préjudiciables au com-
merce. C'est pour les prévenir que j'ai jugé nécessaire
de vous expliquer plus particulièrement ce que je vous
ai déjà fait assez connoitre par ma lettre du 10 juil-
let [1778], Je vous charge, en conséquence, de man-
der a tous ceux qui sont sous vos ordres, que c'est
l'insulte faite à mon pavillon par l'escadre angloise,
en s'emparant, le dix-sept juin mil sept cent soixante-
(1) Archives du Ministère de la Marine.
MADAME ELISABETH. 35
dix-huit , de mes frégates la Licorne et la Pallas , qui
m*a mis dans la nécessité d*user de représailles; et que
c'est de ce jour dix-sept juin mil sept cent soixante-dix-
huit, que Ton doit fixer le commencement des hostili-
tés commises contre mes sujets par ceux du Roi d'An-
gleterre. Et la présente n'étant k autre fin , je prie Dieu,
mon Cousin , qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
Fait à Versailles, le cinquième jour du mois d'avril,
l'an de grâce mil sept cent soixante-dix-neuf, et de
notre règne le cinquième.
Louis.
CCCCI
MADAME ÉLISARETII A MADAME DE BOMBELLES.
Madame Adélaïde indisposée contre la Princc^^se. — Interposition de la
Reine. — Madame Élisaheth présente des excuses, bien que per-
suadée de n'avoir tort qn'i\ demi. — La Princesse demande que
madame de Bombelles se fasse peindre.
24 novembre 1779.
... Vous croyez peut-être que je suis consolée, point
du tout ; d'autant plus que moi , qui déteste les expKca-
t:ions, je viens d'en avoir une avec ma tante. La Beine
9l été ce matin chez elle , pour lui demander ce qu'elle
^voit hier , et elle lui a dit qu'elle étoit fort mécontente
<le moi , parce que je ne lui avois pas écrit avant mon
inoculation, et qu'elle devoit m'en parler. J'y ai donc
été ce soir : je suis arrivée chez ma tante Victoire , qui
m'a parlé avec beaucoup d'amitié, et qui m'a dit que
3.
36 MADAME ELISABETH.
j'avois eu tort de ne leur pas écrire, ce dont je suis
convenue, et lui ai demandé pardon. De là, j'ai été
chez ma tante Adélaïde. Je lui ai dit que je lui deman-
dois de me conserver toujours son amitié. De là je suis
revenue, et j'ai dit cela à la Reine, et puis à mon petit
ange. Je ne puis celer que je n'ai que la moitié des
torts dont je suis convenue.
A propos, mon ange, je t'en prie, si tu as le temps,
fais chercher Campana (1) , fais-toi peindre pour moi.
Dis-lui de faire ton portrait de la grandeur de ceux des
médaillons, et coiffée et habillée comme celui qu'il a fait
de moi. Ne va pas l'oublier, et fais dépécher Campana.
La baronne doit revenir aujourd'hui ; aussi je ne te
charge de rien pour elle; mais dis à madame de Tra-
vannette (2) que je meurs d'envie de la voir.
(1) J'ai fait de vaines recherches jK)ur découvrir ce qu'était ce Cam-
pana. Il n'est mentionné nulle part. J'ai su seulement qu'il avait di*
fréquentes relations avec le miniaturiste Sicardi. Puisqu'il peignait dcii
médaillons, ce devait être aussi un miniaturiste. Or, on connaît à peine
quelques noms des miniaturistes du dernier siècle, où les plus célèbres
et les plus habiles furent le Suédois Hall, Honoré Fragonard, madame
Nattier, Vestier et sa femme qui peignirent aussi à l'huile, Sicardi,
Augustin, Diîmont, Sieurac, etc. Ce serait une histoire à faire, mais
difficile, car le plus grand nombre des œuvres des artistes de cette
classe n'est pas signé.
(2) Le marquis de Bombelles, mari de mademoiselle de Mackau,
à qui la Princesse vient d'écrire, avait deux sœurs, l'une qui avait
épousé le marquis de Travanet (prononcez Travanette, comme écrit
Madame Elisabeth), et l'autre qui avait eu le courage de devenir la
quatrième femme de cette barbe-bleue de marquis de Louvois, appelé
])rimitivement le chevalier de Souvré. Madame de Travanet, une
feinuie charmante, spirituelle a ravir, intarissable causeuse, ayant
toujours quelque chose à dire sans être jamais bavarde, et qui a com-
|K)sé la chanson si touchante du Pauvre Jacques, avait été primi-
tivement dame de Madame Elisabeth.
MARIE- ANTOINETTE. 37
En vérité, Madame Angélique, vous devez être bien
(-entente de moi, car mes lettres sont assez longues, et
les lignes assez serrées. Je vais arranger mes affaires,
et tu les trouveras en très-bon ordre. Adieu, ma petite
•>ORur Saint-Ange : il me paroit qu'il y a mille ans que
je ne t'ai vue. Je t'embrasse de tout mon cœur.
ÉUSABETH-M ARIE .
CCGGII
NIARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE IIESSE-DARMSTADT (1).
Invitation pour Trianon.
[Mai 1780].
J'accepte avec grand plaisir votre proposition, Ma-
dame ; je vous prierai seulement de me faire dire de
houche par l'homme que j'en voie, lequel des jours vous
^imez mieux de demain ou de vendredi, si vous voulez
>'enir à mon jardin tout de suite (2). Il fait si beau que
je serai charmée de vous le montrer, ainsi qu'à Mes-
sieurs les Princes Héréditaire et Frédéric. Pour la prin-
^-esse Charlotte, j'espère qu'elle me connoît assez pour
*îe pas douter du plaisir que j'ai toutes les fois que je
'a vois, ainsi que vous,- Madame, quej'embrassede tout
tion cœur.
(1) Archives de S. A. R. le Grand-Duc de Hi'SAcr.
(2) Trianon.
38 LA PRINCESSE LOUISE DE HESSE-DARMSTADT.
Comme il fait plus beau le matin que le soir, si vous
voulez venir à midi , je vous donnerai à déjeuner. Je
serai toute seule ; ainsi je vous demande en grâce de
ne point venir parée ; mais vous comme on est à la
campagne, et ces messieurs en frac.
La princeSvSo Louise-Caroline-Henriette, à laquelle est
écrite cette lettre, était née à Francfort le 15 février 17G1,
fille (le Georges- Guillaume, prince de liesse -Dannstadt,
second fils du Landgrave Louis VIII, d'abord au service de
Prusse, puis feld-inaréclial et pro])riétaire du régiment de
dragons liessois au service de TEmpennir, et gouverneur
de Philippsbourg, et de Marie-Loui8e-All)ertine de Linanges-
Daxbourg-lleidesheira. Elle avait été élevée à la Cour de
Vienne avec sa sœur Charlotte, dont nous parlerons plus loin.
(Voir V Histoire généalogique de la Maison Souveraine de
Hesse, 2 vol. Strasbouqj , 1819, in-8", par de Turkheim.)
La princesse Louise était mariée, depuis le 19 février 1777,
à son cousin germain Louis, prince héréditaire de Hesse-
Darmstadt, qui devint premier Grand-Duc de ce pays, sous
le nom de Louis X, à la mort de son père. Il était ué le
14 juin 1753 à Prcnzlow, fils du Landgrave Louis IX, et de
la princesse palatine Caroline-Henriette-Christiane-Louise de
Deux-Ponts, personne de trempe vigoureuse, à laquelle le
grand Frédéric fit cette épitaplie : u Sexufœmina, ingénia
vir, n
Le Prince Héréditaire avait fait ses premières armes au ser-
vice de Russie contre les Turcs, en <]ualité de lieutenant
général. De retour à Darmstadt, il s'adonna surtout àTéiude
des arts, particulièrement de la musique. La princesse, sa
femme, partageait tous ses goûts, et passe pour avoir allié
à une grande beauté un esprit de rare distinction^ avec
cette exquise aménité d(? nature (jue caractérise si bien
Shakspeanî en l'appelant : « milk of Imman kindness », le
lait de la doucinir humaine.
Ce fut trois ans après leur mariage que tous deux visitèrent
LA PRINCESSE LOUISE DE HESSE-DARMSTADT. 39
la France. Le prince Louis avait alors vingt-sept ans, sa
femme dix-neuf. Elle professait une particulière admiration
pour Marie-Anloi nette et correspondait assez fréquemment
avec elle. Il s'est retrouvé, dans les archives du Grand-Duc
de liesse, vingt-sept lettres de la Reine à la Landgravine
Louise, (^t portant sur Tenveloppe ces mots de la main de la
Landgravine :
M 4J€ paquet contient les lettres de feue la chère Reine de
France.
n Darmstadt, le II novembre 1801. »
Ce sont celles que M. le comte de Reiset a copiées pendant
qu'il remplissait les fonctions de ministre de France auprès
du Grand-Duc, et à la publication desquelles il a bien voulu
renoncer en ma faveur. Il est de tradition à Darmstadt
qu'après la journée du 20 juin, la Landgravine Louise avait
poussé son frère Georges à tenter de délivrer la Reine à
l'aide de quelques amis dévoués. Une des lettres de la Reine,
se reportant à la fin de juin ou an connnencement de juillet
1792, conserve des traces de cette tentative. Il y a eu plusieurs
projets d'enlèvement de la famille royale depuis le triste
retour de Varcnnes; mais tous ces projets devaient échouer
soit devant l'ardente surveillance des révolutionnaires, soit
devant les refus de la Reine, qui ne voulait absolument pas
^tre sauvée sans son mari et tous les siens.
Les châteaux du Grand -Duc de Hesse- Darmstadt sont
«emplis de portraits de Marie-Antoinette, et cette profusion
est due aux soins de la Landgravine Louise. Il y en a un,
dans la galerie des tableaux, qui a été peint par madame Le
^run, et qui porte cette inscription :
M Donné par la Reine à la Princesse Louise, en 1783. »
La princesse Charlotte, dont a parlé la Landgravine et dont
le nom revient souvent dans ses lettres, était celle de ses
sœurs avec laquelle elle avait été élevée à Vienne. Cette
princesse Charlotte s'appelait Charlotte-Wilhelmine-Chris-
line-Marie. Elle était née le 5 novembre 1755, épousa,
le 28 septembre 1784, Charles, duc de Mecklenbourg, veuf
d'une sœur de cette princesse, et mourut à Hanovre, le
12 décembre 1785.
40 MARIE-ANTOINETTE.
CCCCIII
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Félicitations sur raccouchement de la Princesse. — Annonce
du portrait de la Reine.
12 septembre 1780.
La part que Madame votre mère (2) a bien voulu
me donner de votre heureux accouchement, Madame,
m'a enchantée. Ma sincère amitié pour vous me fera
toujours partager avec plaisir tout ce qui" peut vous
regarder. Il est bien heureux que vous soyez accouchée
si heureusement et que votre fils se porte aussi bien,
car assurément vous ne vous êtes point ménagée, et
j'étois bien inquiète que le voyage que vous avez fiiît
ici ne vous fît mal (3). Je devrois être bien honteuse
envers vous de n'avoir pas encore envoyé ce portrait
que vous avez bien voulu me demander. Il étoit pres-
que fini, mais il est si peu ressemblant que je n'ai pas
trouvé qu'il fiit digne de vous être envoyé. Voulez-vous
bien, Madame, faire tous mes compliments à M. le
Prince Héréditaire et l'assurer que je n'ai pas oublié la
(1) Archives de S. A. R. le Grand>Duc de liesse.
(2) Marie- Louise -Albcrtine de Leinin(;en (Linan{Tes)-Daxl>ourg-
Heidesheim, ncc le 16 mars 1729, mariée, le 13 mars 1748, à Gcorgtut-
Guillaume, prince de llesse-Darmstadt, morte, le 11 mars 1818, à
Stréliu.
(3) La princesse avait mis au jour, le 31 août 1780, le prince Louis-
Georges, son second Bis. 11 fut marié, le 29 janvier 1804, à Caroline-
Odile, comtesse de ?iiddn.
MARIE-ANTOINETTE. 41
promesse qu'il m'a faite en partant de revenir avec vous?
Four vous, Madame, vous feriez injure h mon amitié
si vous doutiez du plaisir que j'aurai a vous embrasser
et vous renouveler mon tendre et sincère attachement.
Ce 12 septembre 1780.
Marie-Antoinette.
Snscription :
A Madame la Princ(?sse Héréditaire de Hesse-Darm-
î>tadt.
Au coin, le directeur de la poste aux lettres a apo-
'^'tillé du mot chargé et a signé : Rigolky u'OciNv.
CCCCIV
'■^t AlUE-ANTOhNETTE A LOl^SK, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE IIESSE-DARMSTADT (1).
Annonce de sa seconde gro.sKCHMe. — Ln princesse Charlotte. —
Le piiiirc Georges.
Le 17 mars [1781].
Je compte trop sur votre amitié, Madame, pour dif-
■<îrer de vous faire part de révénement le plus intéres-
^imt et le plus heureux pour moi : je me trouve grosse
^l e deux mois, et en outre je me porte à merveille depuis
^-€tte époque (2).
(i) Archives de S. A. R. le Grand-Dut; de lleitrfe.
(2j II sagit de la seconde {rto.48es.4e de la Reine, qui, le 20 octobre
*le cette année, mit au inonde le premier Dauphin, mort eu 89.
42 MARIE-ANTOINETTE.
Si j'uvois plus de temps, j'écrirois aussi à la priu-*
cesse Charlotte. Embrassez-la pour moi. Vos deux let-
tres m'ont charmée, et surtout l'espérance que vous
m'y donnez Tune et l'autre de recevoir quelquefois de
vos nouvelles. Vous ne pouvez douter du plaisir qu'elles
me feront si vous rendez justice à la tendre amitié que
vous m'avez inspirée.
Mes compliments et remercîments à M. le Prince
Héréditaire pour le souvenir qu'il m'a fait témoig[ner.
Je crains d'avoir oublié, en écrivant à Madame votre
mère, les compliments pour le prince Georges (1) :
Voulez-vous bien réparer mon omission et mander à
votre frère que je ni(î flatte que les charmes des villages
de Hollande ne lui feront pas oublier entièrement toutes
ses connoissances ?
ccccv
MARÏE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (2).
On lui a |)ré(lit un garçon, elle en accepte l'augure avec beaucoup
de foi.
Ce 7 mai 1781.
J'ai été désolée, madame, de n'avoir pas pu répon-
dre tout de suite à votre charmante lettre; mais nous
sommes depuis quinze jours ici, à Marly, où il y a
(1) Georges-Guillaume, irere du Landgrave régnant et père de la
Landgraviue Loui.se.
(2) Archives de S. A. R. le Grand-Duc de Hessc.
M A RIE- ANTOINETTE. 43
beauccTup de monde, et où l*on [n'] a pas un moment
à soi. C'est ce qui m'a empêchée aussi de voir M. Wein-
lau. J*aurois été charmée de m'entretenir avec lui de
vous et de tout ce qui vous intéresse. Ma santé est par-
Faîte, je {jrossis beaucoup. Votre sorcellerie est bien
2]iimable de me prédire un garçon. J'y ai beaucoup de
foi et je n'en doute nullement. Adieu, Madame, bien
mes comphments à M. le Prince Héréditaire. Je ne fini-
v*ois pas si je vous parlois de toute mon amitié pour les
-vôtres. Je vous prie de les en bien assurer, et de croire
cjue je vous aime aussi tendrement que je vous em*
brasse. Je vous prie, Madame , de m'écrire sans aucune
cérémonie et sur du petit papier.
CCCCVI
M ARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE UESSE-DARMSTADT (1).
^^»' un régiment dont le prince de liesse sollicite le comniaudement
^*i France. — Espoir d'un iiouvean voyage de la Princesse en France.
Ce 8 juin [1781].
Je suis bien touchée, Madame, du sentiment que
^Ous me témoignez et de Tintérét que vous marquez
t^our ma santé. Elle est présentement fort bonne. Re-
^^vez mes remerciments , et faites-les agréei-, je vous
T^rie, à M. le Prince Héréditaire. J'ai parlé au Roi et à
(1) Ai-cliives de S. A. R. le Grand-Duc de Hc^c.
44 MARIE- ANTOINETTE.
M. de 8ëgur (1) pour l'affaire du régiment. Vous ne
devez pas douter du plaisir que j'aurai toujours à vous
obliger tous deux. Mais cette affaire rencontre des dif-
ficultés qu'il paroit bien impossible de vaincre. J'ai tout
lieu de croire que le Roi n'a jamais entendu parler des
espérances que l'on vous a données pour le 23.
Vous ne sauriez croire, Madame, combien votre
lettre m'a fait de plaisir. Je trouvois qu'il y avoit bien
longtemps que je n'avois eu, de vos nouvelles et de
celles de la princesse Charlotte (2) ; j'étois au moment
de vous écrire pour vous en demander. J'avois eu l'es-
poir de vous voir l'une et l'autre, ce printemps; j'ai
• été fort affligée d'y renoncer. J'espère que vous m'en
dédommagerez cet hiver. Mes compliments, je vous
prie, h M. le Prince et à madame la Princesse Geor-
ges (3). J'embrasse bien tendrement la princesse Char-
lotte. J'espère que M. votre Frère (4) n'est pas toujours
(i) I.c iii.-irqiiilt (le Sc'piir, sociétaire d'Etat au «lépartc'inent de la
Guerre eu inar.H 1781 ; entré au Conaeil en qualité de ministre d'Ktat,
le 21 avril suivant. Sa nomination, de même que celle de M. de
<!astries à la Marine, avait été l'œuvre de la société Polipnac, qui
exploitait son crédit auprès de la Reine. Cette Princesse, au rap|x>rt
de madame Campan (^Mémoires, t. I , p. 261), redoutait de faire des
ministres. « Vous venez de voir, lui disait-elle au moment où M. de Séçur
sortant de chez elle, un ministre de ma façon. J'en suis bien aise ]Mmr
le service du Iloi , car jiî crois le choix fort bon ; mais je suis presque
fâchée de la part que j'ai à cette nomination; je m'attire une respon-
sabilité : j'étais heureuse de n'en point avoir; et pour m'en alléger
autant que possible , ji.> viens de promettre à M. de 8c{pir, et cela sur
ma parole d'honneur, de n'aposliller aucun placet et de n'entraver
aucune de ses opérations par des demandes pour mes protégés. »
(2) Voir la Hn de la note de la page 39.
(3) Le père de la Landgravine Louise, Georges-Guillaume.
(4) Le P" Georges-Charles, né le 14 juin 1754, servait aux Pays>Has.
C'est un de ceu\ que la calomnie avait donnés pour amants à la Reine.
MARIE-ANTOINETTK. /|5
confiné dans son vilain village de Hollande , ei qu'il se
souvient quelquefois de moi. Pour vous, Madame,
l*amitié que vous m'avez inspirée est trop tendre el
trop sincère pour que je ne compte pas sur la vôtre.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
CCCCVII
:%iARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Condoléances sur la mort du père de la Prinrcnsc.
Ce I" juillet [17^1].
Je partage bien votre douleur , Madame, et personne
•le sent plus que moi la perte que vous venez de faire (2) .
«*le vais faire de mon mieux pour engager l'Empereur à
c!onservxT le régiment. Vous ne devez pas douter du
|)laisir que j'en aurai et pour votre famille et pour le
Prince Georges (3). Vous connoissez trop ma tendre
amitié pour vous, Madame, pour douter de mes senti-
»)ents dans cette triste circonstance.
Le Prince Héréditaire voudra bien recevoir ici mon
c^omplimcnt.
(1) Archives de S. A. R. le Grand-Duc de Hctisp.
(2) Le j)c*re de la princesse Louise, Georgcs-Guillauine , ctai( mort à
^^•innriudt le 21 juin 1781, à cinquante-neuf ans.
1,3) Frère de la Frinces.<«c Héréditaire.
46 L'EMPEREUR JOSEPH H.
Au-^assous de l'adresse écrite de la main de la Reine,
est la signature de Rigoley d'Ogny^ avec ces mots :
Charcke et très-recommandke.
CCCCVIII
I/EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (i).
A son second voya^je en France, il tiouve la Reine se préparant à
donner un Dauphin. — Annonce du voyage du Grand-Duc et de la
Grande-Dnchesse de Russie à Vienne.
Versailles, le 1"" août 1781.
Ma chère Sœur, j'ai reçu votre chère lettre. Je vous
suis infiniment obligé pour tous les sentiments qu'elle
contient. Croyez que ma peine n'a pas été moindre en
vous quittant, et que ce n'est que la fermeté innée
aux hommes et exercée par des revers qui m'a fait avoir
contenance. J'ai trouvé ici la Reine très-bien portante,
mais excessivement grosse pour six mois. Je ne vis
qu'à la Cour et n'ai donné qu'un coup d'œil à Paris.
J'ai reçu ici une singulière nouvelle, c'est que le Grand-
Duc et la Grande- Duchesse de Russie viendront à
Vienne pour le mois de novembre , et iroient ensuite
en Italie. J'aurois bien besoin d'une maîtresse du logis,
et si Bruxelles ctoit comme Presbourg, vous ne doutez
pas de celle que je prierois. Mais ainsi il faudra s'ar-
ranger comme l'on pourra. Adieu. Je pars toujours
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d* Au triche.
L'EMPEREUR JOSEPH II. 47
climanche d'ici. Je tous embrasse, de même que le
Prince y de tout mon cœur , et croyez-moi pour ]a vie
'wotre.
CCCCIX
M/EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE^HRISTINE (i).
Kl quittant Versailles, il test rendu a Montbéliard pour visiter le
prince de Wurtemberg, duc de Montbéliard, dont la plus jciwc
fille est destinée à Tarchiduc François, depuis empereur, neveu
favori de Joseph II. — Portrait peu flatté de cette princesse.
Montbéliard, le 8 août [1781].
Ma chère Sœur, je n'oublie pas les comissions
<|u'on me done, et contenter la curiosité chés une
ielle femme est une chose bien précieuse pour mériter
son amitié. Ici c'est encore plus, c'est interest qui vous
foit désirer de mes nouvelles, en voici. Mon voyage à
Versaille a ete tres^heureux. J'ai ete fort content du
moral et du phisicque des deux personages interessans
savoir le Roi et la Reine, et j'ai trouvé un changement
et) mieux considérable. Pour ici, dans le plus vilain
trou y loge une famille de 11 enfans, père et mère,
donts les principes me paroissent vraiment respecta-
I>les. La princesse Elisabeth destiné à mon neveux re-
levé d*uiie maladie assez grave quelle a eu. Par conse-
(1) Archives de Son Altessc^Impériale et Royale TArchiduc Albert
«I^Aatriche.
lettre autographe. Orthographe conservée.
kS L'EMPERKtTR JOSEPH H.
quent, Elle a très mauvais visage, est fort maigrit,
est foible au point qu'il n'y a que trois jours qu'elle se
levé du lit. Elle est grande pour son a{fe, maigre, bien
faite, point belle ni sera même jamais jolie. Une trop
grande bouche et des cheveux blond tirant vers le
blanc , y mettent empêchement. Sa phisionomie est au
reste assés intéressante, et elle voudroit avoire de cette
douceur prévenante et spirituelle de la petite duchesse
d'Âremberg. Cest la seule ressemblance mais pas si
bien de beaucoup, que je lui trouve. Pour une femme et
d'un juen homme de 19 années, ce sera tousjours un
morceau assés friant. Je ne puis pas vous parler de sou
esprit ni de son caracteure, mais elle m'a paru fort à sa
place et attentive sur elle-même, sans «ifFectation.
Voilla ma relation , chère Sœur, pardonnes le peux aux
circonstances. Adieu , je vous embrasse. Faites mes
complimens au Prince et croyez moi pour la vie votre.
L'Empereur fait allusion dans cette lettre à son second
voyage en France dont il parlait dans la lettre précédente.
De Versailles il s'était rendu à Montbéliard, alors capitale
d'un comté qui avait autrefois relevé de l'empire d'Alle-
magne sans appartenir à aucun cercle, et se composait du
comté de Montbéliard proprement dit et de sept ou huit sei-
gneuries. Cette ville était la résidence d'une branche de la
maison de Wurtemberg, qui, du pays, avait pris le nom de
Wurtemberg -Montbéliard, ou, pour le faire court, de Ducs
de Montb<''liard. Le Duc régnant était, en ce temps-là, ce
Frédéric -Eugène qui avait ser\'i brillamment sous Frédé-
ric II, et que ce prince avait marié à sa nièce, fille de su
sœur, margrave de Brandebourg-Schwedt. C'est la dernière
des niles de ce Duc, qui, destinée dès l'enfance au neveu
L'EMPEREUR JOSEPH II. ' 49
**Iiéri de Joseph H, rArchidiic François, avait été élevée dans
I a reli{|ion catholique, Tépoiisa en 1788, devança de vin^jt-
«^natre heures dans la tombe TEmpcreur Joseph, qui fut
■ 'eniplacé par Léopold. Celui-ci voulut [garder aupms de lui
^5on héritier présomptif, devenu veuf, et laissa à son second
#ils le trône de Florence. La princesse Elisabeth était sœur
«Je la Grande- Duchesse de llussie, femme de Paul, depuis
Vaul I"", qui tous deux vinrent en France cette année-Ij\.
11 parait que Joseph II ro|^retta ses paroles [leu flatteuses
^ur la princesse destinée par lui-même à son neveu. Du
moins, dans une lettre du 15 janvier 1782, qui fait é(jale-
mrnl partie des Archives de S. A. 1. et R. l'Archiduc Albert
d'Autriche, ^oici ce qu'il écrit :
«Je vous joins ici, ma chère Sœur, deux objets qui peu-
vent vous paroître curieux; l'un, c'est des points que j'ai
envoyés dans toute la famille au sujet de la \isite des Russes,
dans krsquelles vous verres les indications que je leur ai
doués, et qui pourront servir à les debarasser. L'autre, c'est
la copie de la <lesc*ription que j'ai faite à mon frère de la
princesse Elisabeth. Vous sentes bien, chère sœur, qu'abso-
lument celle-ci doit rester seci-ète, et que, hors voti*e chère
mari, personne au monde doit la voire ou en aprendre quel-
que chose. Je vous prie même ou de me renvoyer ou de la
brûUîr lecture faite. Je n'y flatte pas, et j'aime mieux en
dire moins que trop
y* Les Russes viendonts je crois à la Bn de juilliet, ou com-
inencem(Mit d'aoust,.chés vous. J'ai été fort contents d'eux et
surfout du Grand-Duc, que je préfère de beaucoup à son
épouse, n
baronne d'Oberkirch, qui avait été élevée avec la future
^randt^Duchesse et la princesse Ëlisabi'th , parle de cette
visito dt; Joseph H, dans ses Mémoires, t. I", p. 138-liO. Le
port^^i^ qu'elle fait de l'Empereur n'est pas mal tracé.
"rOMB UT. 4
50 MARIE-ANTOINETTE.
CCCCX
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Envoî (lo son portrait.
Ce 28 septembre [1781].
Je vous fais un véritable sacrifice, Madame, en cé-
dant à Toccasion que me propose M. de Nassau pour
VOUS faire passer mon portrait. Je le trouve fort peu
ressemblant, et il ne peut servir qu'à vous prouver ma
bonne volonté h vous satisfaire. M. de Nassau ayant
voulu me remettre lui-même la lettre de Madame votre
mère, je ne l'ai reçue qu'il y a peu de jours. Voulez-
vous bien lui en faire tous mes remcrcîments ! Quoique
ma santé soit fort bonne, la gène naturelle et souf-
france de mon état m'empêchera de lui écrire. J'entre
le 12 octobre dans mon neuf, et j'espère accoucher
promptement(2) . Mes compliments, je vous prie, à M. le
Prince Héréditaire et à tous les vôtres. N'oubliez pas
d'embrasser la princesse Charlotte pour moi. Vous de-
vez être bien sûres toutes deux de ma sincère amitié et
du prix que j'attache à la vôtre.
(1) Arcllivci» de Son Altoisc Royale le Grand-Duc de Hcssi'.
(2) Elle accourha le 22 octobre 1781 du prtuDÎer Dauphin.
LOUIS XVI- 5i
CCCCXI
LOUIS XVI AU COMTE DE GRASSE (1).
.c Roi invite l*aniirnl à faire chanter un Te Deum à son bord^ en
l'honneur des succès remportes sur les An^rlais, en Amérique, par
ses armées de terre et de mer.
Versailles, le 2i novembre 1781.
Monsieur le comte de Grasse, les succès de mes
srmes ne me flatteront jamais que comme étant un
acheminement à la paix. C'est sous ce point de vue que
je me plais à envisager la suite d*évënements heureux
<ju'ofFre cette campagne. — L'armée navale dont je
'vous ai confié le commandement, après avoir eu aux
Antilles un avantage sur celle des Ânglois et pris à
leur vue l'île de Tabago, s'est portée sur les côtes de
la Virginie pour concourir à la forcer d'évacuer cette
province. Une flotte ennemie est venue l'attaquer, a été
battue et obligée de se retirer dans ses ports. Enfin,
une armée angloise renfermée dans la ville d'York,
attaquée par mes troupes combinées avec celles des
États-Unis de l'Amérique, sous le commandement du
ge'néral Washington et du comte de Bocbambeau, lieu-
tenant général de nos armées, a été forcée de se ren-
dre prisonnière de guerre. — En reconnoissant com-
bien l'habileté des généraux et la valeur des troupes
ont rendu cette campagne glorieuse, mon but est d'ex-
citer dans tous les cœurs, comme dans le mien, la
(i) Archires da Ministère de la Marine.
5Î PAIX AVFX L'ANGLETERRE.
plus profonde reconnoissance pour rAuteur de toute
prospérité ; je vous fais donc cette lettre pour vous dire
que mon intention est que vous fassiez chanter le Te
Deum a bord du vaisseau que vous montez, que vous y
assistiez avec les autres officiers étant sous vos ordres,
que vous fassiez tirer le canon des vaisseaux composant
l'escadre dont vous avez le commandement. Sur ce,
La lettre qui précède, analog^ue à celle qui fut, vers la même
date, adressée aux commandants des flottes on des ports de
France, était d'autant plus flatteuse pour le comte de Grasse,
si malheureux plus tard, que les succès dont le Roi ordonnait
<|u'on remerciât Dieu étaient dus principalement à l'action
de Tannée navale commandée par ce marin.
Dans les Antilles , il s'était conduit vaillamment , le
29 avril 1781, pour faire entrer un convoi important au
Fort-Royal de la Martinique. 11 s'était signalé encore en déci-
dant, le 2 juin suivant, par son appui naval, la prise de
Tabago, qu'assiégeait le marquis de Bouille, et en conduisant
à Saint-Domingue un autre convoi de deux cents voiles.
On s'accorde généralement à regarder la capitulation du
lord Cornwallis à York, le 19 octobre de la môme année 1781,
comme l'événement qui influa le plus sur la paix et sur la
reconnaissance définitive de l'indépendance des colonies
anglaises d'Amérique. Or, ce fut encore l'heureux concours
qu'avait prêté notre armée navale à celle de terre qui avait
enlevé ce succès. Cerné par Washington, Rochambeau, La
Fayette, Saint-Simon et Clioisy, Cornwallis ne pouvait non
plus tirer de secours de la mer. Le 5 septembre, le comte de
Grasse avait contraint l'amiral Graves à se retirer ; et depuis
lors il l'avait tenu en respect par la supériorité de ses forces
et l'activité de ses manœuvres.
Le Roi parle de son amour pour la paix. Ce sentiment
était chez lui dominant. Ainsi, quand à la fin de 1782 on
pensa que des négociations pour la paix seraient de nature
PAIX AVEC L'ANGLETERRE. 53
à être entamées avec T Angleterre, le premier commis des
affaires étrangères, Gérard de Rayneval, père et çrand-père
(Ic*$ illustres ambassadeurs de ce nom, avait été envoyé sans
Giractère officiel à Londres, ponr y prendre lang^ue et tenter
(l'y nouer les premiers fils d'un accord. Déjà rAn(jleterre
s'était décidée à acheter la paix, plutôt qu'à la faire avec les
Etats-Unis. ]\lais les ministres angolais, les lords Shelburne
et Grantham , qui la désiraient avec nous autant que nous-
inèmes la désirions avec eux, jouaient au fin et tentaient
sur l'agent français l'effet des hauteurs britanniques.
u L'Angleterre, disaient-ils, a tout avantage à continuer
la guerre : la France et l'Espagne sont à bout d'hommes et
d'argent. L'Angleterre pourrait cependant consentir à la ces-
sation des hostilités, mais à des conditions précises, irrévo-
cables, qu'il faut accepter sur l'heure, etc., etc. n
Rayneval fit connaître avec anxiété cette mise en demeure,
dont le cabinet de Versailles ne fut pas dupe.
u Le Roi a donné trop de preuves de sa modération ,
répondit de sa main le comte de Vergeiuies, le 7 décembre
1782, — pour craindre la rupture d'une négociation où le
public impartial ne verra peut-être que trop de facilité de
^a part pour la paix. Sa Majesté la désire de bonne foi : elle
Aie le dissimule pas. Mais ce désir est une vertu et non
|)as une foiblesse. Je n'ai que trop lieu de croire qu'on s'y
méprend en Angleterre, et qu'il suffit, à ses yeux, d'en-
fler ses prétentions pour obtenir. Le Roi a été au-devant
« le tout ce qui peut contribuer à faire cesser les calamités
€.le la guerre, et ce ne sera pas sans le plus vif regret que Sa
Alajesté les verra se prolonger. Mais dès qu'on lui en i«ra
i.ine nécessité, il y souscrira avec résignation et ne fera
jamais rien qui puisse blesser la dignité de son caractère
^•t celle de sa couronne. »
Vergennes a été un ministre habile. Si sa plume n'avait
fias le vol du grand seigneur comme celle du duc de Choiseul,
cîlle avait du moins l'allure simple, digne, ferme, et l'on a
€?utort d'attribuer à Rayneval, qui était homme de sens, mais
lourd," les bonnes dépêches de ce ministre, que, du reste, les
Affaires Étrangères possèdent de sa main.
54 LEMPEREUR JOSEPH II.
CCCCXII
L'EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
Prochain Toyagc h Bruxelles da Grand-Duc et dn la Grande-DucfaetM
de Russie, sous le nom de Comte et Comtesse du Nord. — Gomment
il les faut recevoir. — Les Hollandais. — Le pape Pie VI.
Vienne, ce 26 mars 1782.
Ma chère Sœur, j'ai reçu vos chères lettres et vous
en rends bien des grâces, surtout pour le tendre com-
phment que vous voulez bien me faire à l'occasion de
mes fêtes, et des expressions charmantes dont votre
amitié se sert à mon égard. J'en suis d'autant plus
touché que j'en connois toute la réalité et valeur.
Quant aux Comtes du Nord, je crois que, comme ils
n'ont point accepté de logement à Florence et qu'ils
ont logé à l'auberge de Vanini, prenant même des voi-
tures de remise, ils en feront de même partout, et par
conséquent il faudra les laisser faire à ce sujet; et j'ima-
gine qu'en envoyant toujours un de leurs messieurs en
avant, ils se choisiront quelque bon logement dont le
plus convenable à mon avis seroit certainement l'hôtel
de Bellevue sur la place Royale , près de chez vous ,
dans une belle situation et assez commodément arrangé.
Je suis bien charmé que les HoUandois, en6n lassés
par la constance, quitteront nos villes et nous prive-
ront de la vue assez désagréable de leurs uniformes
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d'Autriche.
LE PAPE PIE VI A VIENNE. M
iileus. Si le Pape pliera également à une constance en-
tremêlée de politesses et de distinctions comme les
Hollandois, c'est ce que je ne puis pas vous dire; car
je lui crois bien le peu de courage qu'on attribue aux
Hollandois ; mais sa tactique est différente, et il est
plus manœuvrier que ces bons mangeurs de fromage et
de beurre. Si vous voulez savoir quelque chose des
détails de Sa Sainteté, je vous joins ici un journal
evact de ce qu'il a fait jusqu'à présent, et je le ferai
«•ontinuer de même, si vous en êtes curieuse.
Le voyage à Vienne de Jean-Ange Draschi, pape sous le
nom de Pie VI , est un des épisodes intéressants de la vie
de oe pontife, que les plus grandes vertus ne purent
■nettre à l'abri des plus terribles orages. L*esprit du temps
Poussait a la sécnlarisation et a la suppression des ordres
''lonastiques , à la confiscation des biens du clergé, à des
''^^ifications radicales dans l'institution des.évêchés, à la
'^^'endication de certains domaines placés sous la puissance
|c>K^pordle des papes. Ce qui n'avait été d'abord qu'une
Ki6e philosophique et spéculative s'était infiltré dans les
'0»%inctt des classe» inférieures de la société, et avait en même
^^'^ (M remonté jusque dans les conseils de gouvernements
P^^ciîaants. Joseph II, dans les Pays-Bas , Léopold, son firère,
"®*^« la Toscane, avaient réduit ces systèmes en pratique.
"'^•^ph s'était mis à la tête de la réforme et avait tranché
"**^^ le vif. 11 s'était aliéné le clergé par son édit de tolérance
^^ 1781, et plus encore par l'abolition presque totale des
^^'^^ Vents et la vente de leurs biens, par une nouvelle circon-
'^'^ Jîtion des diocèses, par l'interdiction du recours à Tauto-
^^^ pontificale et la défense de publier les bref^ du Pape
***^si la permission de l'autorité civile, par des règlements
^'^iî.Ji sur le culte et sur la discipline ecclésiastique. « L'Em-
P^ï'^enr, écrivait le grand Frédéric à d'Alerabert, continue
^^ . sécularisations sans interruption : chez nous , chacun
56 LE PAPE PIE VI A VIENNE.
reste comme il est, et je respecte le droit de possession sur
lequel la société est fondée. » La France, encore monar-
chique, en était seulement alors aux spéculations philoso-
phiques, et la lar(je part qu'elle devait prendre par le radi-
calisme de ses réformes n'était encore qu'une menace
latente. Aux bons temps de la puissance des Papes sur les
Couronnes, il eût suFB d'une bulle fulminée du Vatican pour
arrêter court les innovations de l'Empereur. Autres temps,
autres mœurs. Le Pape, dans l'impuissance des bulles, ne
voulut pas, devant les prt»mières violences de Joseph, s'en
tenir aux notes diplomatiques; il résolut, mal^jré les opposi-
tions de sa famille et de son conseil, malgré les représenta-
tions du cardinal de Bernis, d'aller en personne traiter ces
questions brûlantes à Vienne même avec le souverain.
L'Euipereur déploya à^e recevoir une splendeur et une
magniRcence, une affectation de respect, mesurées sur les
échecs qu'il était déterminé à lui faire subir. Les populations
seules, par la chaleur de leur enthousiasme et la profondeur
de leur vénération, dédommagèrent le Saint-Père de l'invin-
cible obstination de l'Empereur et delà superbe dédaigneuse
et incivile de son ministre Kaunitz.
Cependant l'attitude admirable de calme, de dignité, de
mansuétude du Souverain Pontife avait agi sur l'esprit de
TEmpcreur; et quand, l'année suivante, Joseph 11 se rendit
à Rome, on vit dans les concessions sérieuses qu'il consentit
touchant l'archevêché de Milan, le chemin qu'avait fait chez
l'Empereur son estime pour la personne du Pape. Le temps
et les événements devaient ajouter encore à ces dispositions
conciliantes, et l'on vit plus tard, surtout en 1789, que la
terrible leçon du soulèvement du Brabant avait alarmé sa
politique, quand, pour ramener ses sujets révoltés, il demanda
à Pie VI l'appui de ses armes spirituelles.
Imbu des mêmes idées philosophiques, mais moins ardent
et plus maître de ses passions, le Grand-Duc de Toscane
Léopold avait tenté aussi des réformes dans ses États. Assisté
de l'évêque de Pistoïa, Ricci, neveu du dernier général des
Jésuites enfermé par Ganganelli dans le château Saint-
Ange, et que Braschi n'avait pas eu le courage de rendre à
la liberté, Léopold avait provoqué en 1786, à Pistoïa, la
LOUIS XVI. 57
réunion d'un synode qui avait consacré toiles les maximes
antiromaines. Enfin, Tannée suivante, un concile tenu à
Florence, et auquel avaient pris part dix-huit archevêques
ou évoques, avait été appelé à sanctionner ces maximes. Mais
voyant qu'elles n'avaient reçu Tapprohation que de trois
VWêques, Léopold comprit à temps qu'il faisait fausse route;
et, comme on le verra plus loin, il n'attendit pas la mort
de son frère pour désavouer les inchcuses mesures prises par
Joseph II dans les Pays-Bas. A son avènement au trône d'Al-
lemagne, les commotions révolutionnaires de la France,
dont la réaction se faisait sentir dans les provinces belgiques,
lui fiirent un motif de plus pour hûter sa réconciliation avec
le clergfé brabançon.
CCCCXIII
LOUIS Xtl AU GARDE DES SCEAUX,
HUE DE MIROMESML (1).
Interdiction de la rcpicscntatioii du yfarinije de Fujaio.
[Premiei-s mois de 1782.]
Je vous renvoie , Monsieur, lu comédie de Beaumar-
• ohais. Je l'ai lue et fuit lire : le censeur ne doit en
permettre ni la représentation ni l'impression.
Lotis.
La FoUc Journée ou le Mariage de Fifjurn, qui ne parut
«ur la scène de la Comédie fiaiiraise que le 27 avril 1784,
(1) GabiiieC de M. Itoiirron-llliarlard, ineinbre de l' Académie de
médecine. I^i pièce provient de la rente du conito d'AufTay.
J'ai rencontré cbcz toug le4 curieux d'autographe», et particuliè-
38 LE MARIAGE DE FIGARO,
datait de 1781. C'est dans les derniers mois de cette année
que cette pièce avait été lue à la Comédie, et y avait été
acceptée. Dès ce mouient commencèrent les oppositions contre
le Mariage de Figaro, jusque-là bien accueilli dans les lec-
tures de salon, et que Tauteur intitulait, par antiphrase sans
doute, Opuscule comique, La question était devenue en quel-
que sorte ^gouvernementale, et la Couren était fort agitée. On
s'y parta(jeait sur le mérite et la portée de l'œuvre. Les uns,
le cœur serré, criaient à l'immoralité, à l'indécence, à la
monstruosité. Les autres répétaient avec l'auteur « qu'il
n'y avait que les petits esprits qui craignissent les petits
écrits », et ils n'étaient nullement irrités contre l'œuvre
do s'en être amusés. Le baron de Breteuil et tous les
hommes de la société de madame de Polignac se procla-
maient les protecteurs de la comédie. Monsieur lui-même,
qui affectait de prendre le contre-pied de ce que faisait le
Roi, se rangeait ouvertement du côté des partisans de l'ou-
vrage. Enfin Louis XVI était obsédé de recommandations en
faveur de Beaumarchais. La Comtesse dji Nord, de passage
à Paris, éprouvait une vive curiosité de connaître la pièce
qui surexcitait si ardemment l'intérêt public, et le baron de
Grimni fit des instances auprès de l'auteur pour qu'il en
renient chez M. Boiitron, que j'.iime à remercier, le plus gracieux
ctnpreâsement à me cominuniquer les pièces qu'ils pouvaient posséder
dans la sphère de ma pui)lication, comme je m'étais plu moi-même
à donner des communications, soit au Gouvernement, publiant les
lettres de notre grand et adorable roi Henry IV et celles de Napo-
léon I^^, soit ù une multitude d'auteurs qui m'ont fait l'honneur de
s'adresser à moi pour leurs publications. Demandez à l'honorable aca-
démicien M. Régnier, a qui j'ai prêté de grand cœur sept lettres
inédites de madame de Scvigné ; demandez à M. Lavallée, le savant
et fidèle éditeur de madame de Maintenon, à qui j'ai prêté neuf cents
lettres de la marquise. La seule et unique difficulté que j'aie rencontrée,
dans tout le cours de mes recherches , et dont j'ai éprouvé plus de sui"*-
prisc encore que de regret, est auprès de M. Ilathery, attaché à la
Bibliothèque impéinale, qui a refusé la communication d'une petite lettre
de Marie-Antoinette. Il en avait un second billet, qu'il a cédé à l'expert
en autographes M. Charavay, lequel me l'a cédé à son tour. C*est le
n9 CGGXCI de ce volume. L'autre billet est adressé au même personnage.
LE MARIAGE DE FIGARO. 59
donnât une lecture devant rhéritière de la couronne de
Russie (1). La princesse de Laniballe avait, pour son propre
compte, réitéré les mêmes instances, par l'entremise du duc
de Fronsac, et Beaumarchais avait déjà lu chez la maré-
chale de Richelieu la pièce incriminée. Chacun s'amusait à
y reconnaître sou voisin sans s'y reconnaître soi-même, peut-
être en s'y reconnaissant; et sur la mine volcanique a
laquelle cette oeuvre hardie et diabolique allait contribuer k
mettre le feu, on ne sou(j^eait qu'à rire aux éclats de soi et
surtout des autres.
Louis XYI avait évoqué par^Ievers lui le manuscrit, pendant
qu'à Varsovie la pièce était jouée devant le Roi de Pologne
Poniatowski, et que l'Impératrice Catherine en demandait
copie pour s'en donner le ré^al sur le théâtre de l'Ermitage.
Il est évident que toutes les hardiesses de Figaro contre la
noblesse, u qui n'avait pris que la peine de naître », contre
l'administration corrompue, contre les lettres de cachet,
contre la censure, la diplomatie et le i*este, n'étaient plus
que des lieux communs de pamphlets et de gazettes. Mais là
elles frappaient la société eu pleine poitrine, elles appe-
laient à brûle-pourpoint la dérision et les sarcasmes de la
foule ; elles résumaient dans un ensemble d'action le
mépris public , et l'écrivaient dans tous les esprits en lettres
de feu.
De haut et de loin on voit souvent ])lus juste que de près :
le Roi vit le danger que lui avait signalé le garde des sceaux :
« C'est détestable ! s'écria Louis XVI après Kî fameux mono-
logue du cinquième acte, qu'il se faisait lire par madame
Campan devant la Reine, c'est détestable : cela ne sera
Jamais joué. Il faudroit détruire la Bastille, pour que la
t^epréseutation de cette pièce ne fût pas une inconséquence
dangereuse. Cet homme déjoue tout ce qu'il faut respecter
dans un gouvernement.
« — On ne la jouera donc pas? dit la Reine (que ses pen-
chants portaient à souhaiier la représentation, bien que.
(1) Les Mémoires de fa baronne D'OsKiiKincn, t. I**", p. 223, con-
tiennent le récit de cette lecture dcvuiit la Grande-Duchcs;se de Russie,
^*t un portrait assez bien fait de la personne de Beaumarchais.
i
\
i
60 LE MARIAGE DE FIGARO.
suivant l'opinion de plusieurs, elle y fût un des personna(»i*s
ridiculisés).
« — Non certainement, répondit le Roi : vous pouvez en
être sûre (1). »
Elle Rit jouée cependant à la Comédie française, après
l'avoir été chez lo comte de Vaudreuil et sur d'autres scènes
intimes; et le jour de la première représentation publique,
le Comte de Provence affecta de s'y foire voir en loge décou-
verte. Le Roi n'au(jurait pas bien de la réussite, et quelques
courtisans renchérissaient sur son avis. Ce fui au contraire
un succès prodî(jieux d'acclamation, et Beaumarchais étonné
s'écriait : « Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce,
c'est le succès! » La célèbre Sophie Arnould, qui l'avait
prévu le premier jour, avait dit de son côté : « C'est un
ouvra(je à tomber cinquante fois de suite. » Et de fait, à la
soixante-douzième représentation, la salle était comble
comme à la première (2). Mais avant ce triomphe de Beau-
marchais, quelle adroite tactique! que d'efforts souterrains
et patents ! que de puissantes entremises n'avait-il pas dû
mettre en jeu pour enflammer en sa faveur l'opinion pu-
blique, pour préparer un moment où l'on pût dire sans
trop se tromper que tout le monde voulait la représentation,
tout le monde, hormis le Roi !
Cet épisode do la vie dramatique de Tauteur du Mariage
de Fiyaro est parfaitement raconté dans le livre de M. Louis
de Loménie sur Beaumarchais et son temps. C'est là qu'il le
faut lire.
(1) Mémoires Je madame Campan, t. I , |>. 278.
(2) Voir l(s notes des éditeurs de in.idatne Caiiipnn , ibiil., p. 28f.
^EMPEREUR JOSEPH II. 61
CCCCXIV
JOSEPH II A SA SOEUR MAIUE-CHRISTIISE (1).
Le Pape à Vienne. — DUsidencea entre le Saint-Père et l*Empereur.
— Le Comte et la CointcHse du ^ord.
Vienne, ce 15 avril 1782.
Ma chère Sœur. . . . voici le jour où j'espere que vous
serës défait de messieurs les Holiandois. Une volonté
ferme et conséquente dans ses démarches est presque
toujours tôt ou tard couronné de la réussite : tel a été
ce cas.
Vous verres par le journal ci-joint ce que le Pape
fait à Vienne. Si on y mettoit le nombre de bénédic-
tions et des baisers aux quatre pattes qu'il donne et
qu'il reçoit, il faudroit se servir des lettres de Talyèbre
pour diminuer le nombre des zéro, seul produit qui eu
revient aux Bénits et aux Baisants.
Quant aux questions que Lui dit subversées entre le
Sacerdoce et TEmpire, je crois que nous resterons cha-
cun du même avis et que l'un et l'autre méritera par
là le pain qu'il mange, savoir : Lui, celui de l'Eglise, en
défendant même tous ses abus d'autorité; et moi, en
revendiquant ceux de l'Etat que je sers. Et amis de la
personne nous le serons jamais de la différence de la
(1) Archires de Son Altesse Impériale et Royale l'Arcliiduc Albert
«l'Autriche.
Orthographe coDsenrée.
62 L^EMPEREUR JOSEPH IK
cause, tendants néanmoins tous les deux, Lui de pa-
roles et moi de faits, à l'accroissement de la Religion
et de l'instruction des peuples.
Je croirois presque que le Comte et la Comtesse du
Nord vicndroit plutôt chës vous que je ne le supposois,
puisqu'il me paroit qu'ils ont renoncé à la tournée des
provinces de France. Les dispositions dont vous voulés
bien m'instruire seront excellentes, et on peut là dessus
entièrement se reposer sur vous, ma chère Sœur. Leur
séjour à Florence a réussi au delà de mes espérances
des deux côtés, car mon frère en paroit aussi content
qu'ils le sont de lui.
Adieu, ma chère Sœur. Si j'avois le plaisir de me
promener avec vous dans votre petite maison au bord
du lac, je pourrois vous raconter de bouche bien des
anecdotes sin^jidières et qui vous feroient bien rire au
sujet de l'effet que le Pape a fait sur quelques tètes à
Vienne.
Présentés mes tendres complimcns au Prince, et
croyés moi pour la vie,
Votre tendre frère,
Joseph.
L'EMPEREUR JOSEPH II. 63
ccccxv
I^'EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE^GHRISTINE (i).
Départ du Pape Pii; VI de Vienne. — Attiiiide de la population. —
Il se félicite du retrait des (garnisons hollandaises en Rrabant. —
Nouvelles du voyage de Sa Sainteté.
Vienne, ce 26 avril 1782.
Ma chere Sœur, je vous ai écrit , Taulre jour, par le
courrier. Depuis, j'ai reçu votre chère lettre; je vous
suis infiniment obligé de l'intérêt tendre que vous pre-
nez à mes yeux. Je ne puis pas encore dire d'en être
satisfait; il y a toujours du haut et du bas; bientôt ils
sont un peu plus, bientôt un peu moins rouges sans
de vraies raisons, et le beau temps étant venu, je vais
même me promener; mais il ne paroît pas que le grand
uir leur fasse du bien. Je continue toujours les remèdes,
et surtout celui de la patience.
Je vous joins ici la continuation du journal et l'orai-
son ou j)lutôt le compliment que le Pape a dit en pu-
tlic dans le Consistoire. Il est parti d'ici lundi passé.
liCS derniers jours de son séjour et siu'tout le dimanche,
\reille de son départ, l'afifluence du monde sous ses
fenêtres étoit si prodigieuse que cela a fait le plus beau
spectacle et même d'un genre dont je n'ai rien vu, ni
ne verrai plus rien. Il n'est pas possible de déSnir, pas
néme à peu près, le nombre du monde qu'il y avoit;
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d'Autriche. •
64 ^EMPEREUR JOSEPH II.
carc'étoit vraiment innombrable, et peut-être 100 mille
hommes n'est pas trop dire. Une femme a été écrasée;
c'est le seul malheur qui est arrivé. Depuis la maison
où demeure Hatzfeld jusqu'à celle du prince Kaunitz,
tout le Spanier et la place de parade , tant sur les para-
pets qu'en bas, ce n'étoit que têtes; et, comme il n'y
avoit pas moyen d'entrer ni de sortir par aucun débou-
ché, le reste du monde s'est tenu hors les palissades
jusque vers les Ecuries et l'Hôtel des gardes.
•Je suis enchanté d'appreniire que nous nous sommes
défaits des garnisons hollandoises ; la fermeté et la
suite qu'on donne aux affaires sont pourtant bonnes à
quelque chose.
Aujourd'hui Sa Sainteté sera arrivée à Munie; je
voudrois pouvoir être spectateur pour voir la façon
dont elle sera traitée et obsédée. Son entrevue à Ins-
prugg avec l'Abbesse et son Chapitre ne sera pas moins
curieuse. J'ai envoyé le Comte Sternberg avec une
lettre pour complimenter le Saint-Père à Inspi'ugg et
pour l'accompagner ensuite jusque sur mes frontières.
Adieu; présentez, je vous prie, mes tendres compli-
ments au Prince, et en vous embrassant avec toute la
tendresse possible, je suis pour la vie
Votre tendre frère
JosiPH.
L'EMPEREUR JOSEPH II. 65
CCCCXVI
J/EMPERECJR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
Prochaine arrivée aux Pays-Ras du Comte et de la Comtesse du Nord.
— Conseils sur la réception qu'il convient de leur faire.
Vienne, ce 28 avril 1782.
Ma chère Sœur ! je puis me tromper sur les idées du
Comte et de la Comtesse du Nord, mais après que j'ai
lu votre mémoire, je crois, que si vous ne leur faites
pas savoir que vous serez en personne à Marimont ,
ils ne penseront point de s'y arrêter pour coucher, et
que plutôt ils iront de Valenciennes à Lille, et de là
peut-être à Beloeil chez Ligne (2) .
Au reste, pour Ostende, je crois qu'ils sont curieux
(l'en voirie port, quoiqu' après qu'ils ont renoncé aux
ports et aux provinces méridionales de la France, je
les dois croire furieusement pressés d'abréger leur
Voyage.
Je ne crois pas qu'ils accepteront jamais, vu ce qu'ils
ont fait autre part, ni logement à Bruxelles, à la Cour,
ni ceux que vous proposez des Evêques , des Comman-
dants et des Abbaïes.
Le voyage en barque sur le canal, surtout de Bruges
ù. Gand, pourra leur être ennuyant aussi.
(i) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'Archiduc Albert
^'Autriche.
(2) Le château et les jardins de Belœil du prince de Ligne, les
Jardins surtout, étaient célèbres par leur beauté recherchée. Le prince
^* déployait une hospitalité royale.
TOMB III. 5
ce L'EMPEREUH JOSEPH II.
Les hôtels garnis sont assez bons pour les loger.
Quant à Bruxelles , si vous ne laissez venir que ce qui
vient ordinairement à la Cour, votre maison pourra
être suffisante, et même me paroît plus convenable
pour leur donner un bal , en leur présentant toute la
Noblesse, d'autant plus, que les appartements que
j'occupois peuvent être uniquement destinés pour les
soupers , et que vous gagnez par là votre salle à man-
ger de plus pour le bal.
Au reste, je crois qu'il faut les laisser faire, et leur
seulement proposer les objets qui sont à voir. Je crois,
par la raison ci-dessus dite, (ju'ils seront très-pressés,
et qu'ils ne s'arrêteront guères qu'une couple de jours
à Bruxelles, pour passer ensuite en Hollande.
Au reste, il ne faut ])as vous étonner si vous n'ap-
prenez d'eux de décision que peu d'heures avant son
exécution, car telle est leur méthode. Plus qu'il y aura
d'aisance , plus qu'on leur accordera de jouir un peu de
la liberté, et même de repos, après le brillant séjour
de Paris , mieux cela sera.
L'Hôtel de Belle-viie leur conviendra beaucoup à
Bruxelles, et il n'est pas nécessaire que vous y fes-
siez faire aucun changement, ni pour ameublement,
ni pour logement. Ordinairement ils envoyent une
voiture avec leurs Messieurs en avant; je ne sais
s'ils le feront de même à cette occasion. Voilà tout ce
qu(î j'ai voulu vous marquer en réponse à votre chère
lettre.
Le Pape a accordé aux sollicitations du Prince Clé-
ment de venir en Personne à Augsbourg. On prétend
que ce que les Bavarois désirent avec le plus d'avidité
L'EMPEUEUR JOSEPH II. 67
de voir, c'est : ob der Pabst (ieissjiïsse liât (1)? vous
sentez Lien qu'ils seront agréablement surpris en voyant
la belle jambe de Pie VI.
Adieu ma chère Sœur! je vous embrasse de tout
mon cœur, et en faisant mes compliments au Prince,
croyez-moi pour la vie
Votre tendre frère et ami
Joseph.
CCCCXVII
1 ^'EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (2).
Lettre dont rEiiiperour a chargé le Comte et la Comtesse du Nord
pour âa sœur.
Ce 19 mai 1782.
Ma chère Sœur, cette lettre vous sera remise par les
Jeux intéressants voyajjeurs dont je n'ai pus faire la
conoissance sans les aimer et estimer; il vous en ar-
rivera de même, et je desirerois bien pouvoir être en
cinquième dans les deux bons ménages qui se trouve-
ronts réunis, et c'est en vous embrassant tendrement
que je vous assure, de même que le Prince votre cher
époux, que je serai toujours votre.
(i) Si le Pape a un pied de chèvre.
(2) Archives de Son Altesse Impériale et Royale rArchiduc Albert
d'Autriche. '
5.
68 MARIE-AMTOINETTE.
CCCCXVIII
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE IIESSE-DARMSTADT (1).
Appui qu'elle a donné à la demande d'un n'^'iment en Autriche en
faveur du prince Georges. — Conditions qu'y inel Joseph II.
Ce 6 septembre [1782].
Je suis bien fâchée, Madame, de n'avoir pu vous ré-
pondre plus tôt sur les intentions de l'Empereur. Le
zèle et l'activité que j'avois mis à ma demande dévoient
naturellement me procurer cet éclaircissement un mois
plus tôt. Il a été retardé par un malentendu.
Par la lettre de mon Frère, je vois qu'il n'est pas
éloig[né d'accorder un régiment à M. le Prince Georjjes;
mais il exige deux conditions préalables : V qu'il lui
écrive et que , dans sa lettre ou mémoire , il exprime
son désir d'entrer au service d'Autriche et le grade
convenable auquel il aspire. Mon Frère ajoute qu'il ne
doit réclamer que l'intérêt que j'ai marqué (2). J'ai été
surprise de cette réflexion, et j'ai hésité à vous la mar-
quer : l'intérêt de la chose et la confiance que j'ai en
vous et dans les vôtres me décident à ne vous rien ca-
cher. — 2* L'Empereur désire que le Prince qui est
actuellement h son service comme lieutenant colonel ,
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Hessc.
(2) C'est-à-dire probablement qu'il ne doit s'appuyer que sur
l'intérêt que la Reine lui a montré.
MARIE-AiSTOINETTE. G9
passe à celui de Hollande à la j)lace du prince Geor-
-•jos ( J ) . Je désire bien , Madame , que ces arrangements
puissent se faire à votre entière satisfaction. Mes ami-
tiés, je vous prie, à madame la Princesse Douairière,
que je n'ai pas voulu fafi{juer de tout ce détail. Il me
larde bien d'avoir de vos nouvelles à tous. J'embrasse
bien tendrement la Princesse Charlotte. Mes compli-
ments au Prince Héréditaire et au Prince Georges.
Pour vous. Madame, j'espère que vous ne doutez pas
(le la tendre et inviolable amitié (jue je vous ai vouée
pour la vie.
CCCCXIX
MARIE-AXTOLNETTE a LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE lïESSE-DARMSTADT (2).
La Comtesse du Nord. — Amitiés. — Intérêt quVllc prend à la de-
mande d*un régiment en Autriche faite par le prince Geoi-ges.
Ce 14 octobre [1782].
Quoique je n'aie pas de vos nouvelles par vous-même,
^ladarae, on connoit trop mon amitié pour vous pour
'en laisser iynorer. Madame la Comtesse du Nord m'a
Viande qu'elle avoit passé plusieurs jours avec vous et
'^otre sœur. Elle ne m'a pas laissé ignorer la manière
-harmante dont vous voulez bien parler toutes les deux
(1) Ce prince Geoi-ges-Charles , né en 1754, était en eftet, comme
ou« l'avons dit, au service des Pavs-Has.
(^2) Archive;* de Son Altesse Royale le Grand-Duc de liesse.
70 MARIE -AN TOI NETTE.
de moi. Mais elle m'a inquiétée en me mandant que
vous souffriez de la poitrine. Je vous prie de me rassu-
rer sur cela le plus tôt possible, et d'entrer dans tous
les détails de votre santé : mon amitié Texige. Je n'ose
pas dire que Tair de Paris vous feroitdu bien : cela au-
roit Tair trop intéressé ; mais j'aime à le croire. Ma
fille vient crétre inoculée et s'en porte à merveille.
Il me tarde bien de savoir la réussite de Taffaire
de M. le prince Georges. Vous pouvez compter que
tous mes vœux sont pour qu'il obtienne le régiment.
Voulez-vous bien lui faire mes compliments, ainsi qu'à
Madame votre Mère et à M. le Prince Héréditaire?
J'embrasse la princesse Cbarlotte, et j'espère que si
jamais votre régime vous mène à Paris, elle voudra
bien ne pas vous quitter pendant le voyage.
Adieu, Madame?. Mon amitié pour vous est trop
vraie, et, j'espère, vous est trop connue pour vous
faire de grandes phrases. Je vous embrasse de tout
mon cœur.
Suscriptiou :
Madame la Princesse Héréditaire de Hesse-Darmstadt.
Contresigné : Rigoley d'Ogny. CHargi-:.
MâRIE-ANTOINETTE. 71
CCCCXX
9 9
MARIE-AKTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HEREDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Encore raffaire du ri'jjiment sollirité par le jirincc Gcorjjcs. — Fête
do la Reine.
Ce 18 novembre [1782J.
J*atten(ls du premier jour un courrier do Vienne,
Madame, j'en profiterai pour renouveler à mon frère
mes instances, et vous devez être bien sûre (jue je n'ou-
blierai rien de ce que vous me confiez sur l'afVaire de
M. le prince Georges. Recevez tous mes romercînients
pour les sentiments que vous me témoignez et la ma-
nière si obligeante avec laquelle vous vous êtes souve-
nue de ma naissance (2). Ne craignez jamais de m'écrire
trop souvent. Faites, je vous prie, mes compliments à
M. le Prince Héréditaire. Je suis charuice (jue vous soyez
tous deux d'accord sur le désir de venir ici, j'espère
cju'à la fin cela arrivera. Adieu, Madame, j'espère que
'VOUS êtes bien persuadée de la tendre et sincère amitié
avec laquelle je vous embrasse tendrement.
(1) Archives de Son Altesse Rovale le Grand-Duc de Hes!»e.
(X) Marie- Antoinette était lu'e le 2 novcnihri' 1755.
7t MARIE-ANTOINETTE.
CCCCXXI
MARIE- ANTOINETTE A LOCISE, PRIXCESSJE HÉRÉDITAIRE
DE IIESSE-DARMSTADT (i).
Réponse de l'Empereur sur les princog Georges et Charles. — Le
prince Max de Deux-Pont5. — Visite annoncée de la mère de la
princesse Louise et du prince Geoi^es.
Ce 24 décembre [1782].
Je viens, Madame, de mander à Madame votre mère
la réponse de l'Empereur sur Jes princes Georges et
Charles (2). J'espère que vous en serez contente. Le
prince Max de Deux-Ponts (3) m'a beaucoup parlé de
votre séjour à Stuttgardt. Il m'a dit en même temps
que Madame votre Mère et le prince Georges comp-
taient venir cet hiver. Ce seroit une belle occasion
pour vous de tenter à venir. Dites-le, je vous prie, de
(1) Arcliives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de liesse.
La lettre porte la reronnnandation CHAnoÉE, de la main et avec la
signature du directeur de la poste aux lettres, Rigolet d'Ocxy.
(2) Charles, autre frère de la princesse Louise, né le 16 mai 1737,
{{énéral-major de cavalerie au service d'Autriche, mort le 15 août 1795.
(3) Maximilien -Joseph , frère du Duc régnant Charles- Auguste,
prince palatin, duc de Deux-Ponts, colonel du régiment de Royal-
Deux- Ponts, au service de France.
Maximilien-Joseph, connu alors sous le nom de Prince Max, né le
27 mai 1756, était aussi au service de France, et commandait le régi-
ment d'Alsace. Ce n'était alors qu'un bourreau de temps et d'argent,
enfant prodigue, dont les femmes, la chasse et le jeu formaient la plus
sérieuse occupation. Au demeurant, du meilleur air, de grand cœur,
d'intarissable gaieté et de causerie assez spirituelle pour faire |>asser
les contes les plus délicats. L'extinction de tous les princes de la mai-
son de Wittelsbach, possesseurs, avant lui, des droits de souveraineté
sur la Bavière^ devait ouvrir un jour à ce prince des destinées que nul.
MADAME ÉLISABP:TII. 73
ma part à M. Je Prince Héréditaire, en lui faisant mes
compliments. Vous ne j)()uvez pas douter de tout le
plaisir que j'aurai à vous embrasser et à vous renouve-
ler la tendre et bien sincère amitié que je vous ai vouée
pour la vie. J'embrasse la princesse Cbarlotte. J'espère
i)ien qu'elle accompagnera sa mère. Mes compliments
au prince Georges.
CCCCXXII
MADAME ELISABETH A LA MARQUISE DE SORAN (1).
La duchesse de Roiirbon. — Delphine de Soran a peur del'orajje.
1782.
J'ai été cbarmée, Madame, de savoir de vos nou-
velles par vous-même, et surtout de ce que votre
•* cette éjMJfpie, n'eût hien nettcuieut osé prévoir. Cependant, la cour
*l€* FVaiice ménageant en lui cette brillante éventualité, Louis WM, qui
■**i accordait eu janvier 1783 les entrée» de sa chainhre, ajoiilait, en
^<i*veur du Prince, à son traitement de colonel, une pension de qua-
■*^nte mille livres sur sa cassetle, et payait pour lui plu» d'un million
*ifB dettes.
Héritier de Deux-Ponts, en 1795, par la mort de son frèr<' ; de
ï*Klectoral palatin, en 1799, ]>ar la mort de Charles-Théodore, Maxi-
••lilicn- Joseph, jeté à travers tous les prands événements politiques de
*^l*)mpire de France, devint Uoi de Bavière en 1805; et, nuiins par
•^^hileté que par fl(?\il»ilité de politi(|ue, il sut ménajjer la couronne
"^Kir sa tête, marier une de ses Klles au prince Eu{jène de Reauharnais,
^*C devenir le Ijeau-père de l'Empereur d'Autriche François l*^"". Il
*^:»ourut à Munich le 13 octobre 1825, laissant une couronne paisible
*«* son HIs Louis, encore vivant a l'heure où nous écrivons.
(1) Papiers de famille de madame la marquise de Perthuis, née
^le Soran.
74 LOUIS XVI.
santé est un peu meilleure. J'espère que les amuse-
ments que le séjour de madame la duchesse de Bourbon
vous procure, vont vous rétablir tout à fait, et que
vous reviendrez pres(|ue aussi {jrasse que moi. Vous
trouverez peut-être que c'est beaucoup ; mais je ne
peux m'empéclier de vous souhaiter autre chose.
Votre fille a eu bien peur la semaine passée d'un
petit orage qui n'a duré (jue sept heures : Il y en a un
dans ce moment-ci, (pii ne dure (|ue depuis trois, mais
que je j'allois vous dire que je le croyois fini. Il
est survenu un coup de tonnerre qui m'a fait changer
tout àTait de sentiment. Je suis obligée de finir. Adieu,
mon cœur; vous connoissez mon amitié.
CCCCXXIII
LOUIS XVI AU COMTE D'ESTAIKG (1).
Supprcdsion de toute hostilité avec rAn{rleterre. — Mesures à exécuter
eu cotte circonstance.
[Ce 22 janvier 1783].
Monsieur le comte d'Estaing, les préliminaires de la
paix entre la France et l'Espagne d'une part, et rAn-
gleterre de l'autre, ayant été signés, et voulant faire
cesser aussitôt qu'il est possible les malheurs insépara-
bles de la guerre, je vous fais cette lettre pour vous
dire que mon intention est qu'aussitôt qu'elle vous sera
(1) Archives du Ministère de la Marine.
LOUIS XVI. 75
paryenxie, vous vous absteniez de tous actes (l'Iiostilité
envers les possessions et les sujets de S. M. Britanni-
^|ue ; el pour entrer dans mes vues à cet égard, si, dans
>^otre traversée ou à votre atterrage sur «juelqu'une des
î les de TAniérique, vous faisiez rencontre d'une escadre
u de vaisseaux détachés appartenant au Roi d'Angle-
rre, vous donneriez communication au commandant
e ces forces navales de la signature des préliminaires
e la paix, dont il pourroit n'être pas encore instruit.
t vous ne feriez usage des forces que je vous ai con-
ées que dans le cas où, nonobstant la notification que
%rous auriez fait faire par un bâtiment parlementaire.
Inédit commandant feroit des dispositions pour vous
^attaquer.
Vous conununiquerez la précédente lettre au sieur
I)e Langara ; vous autorisei'ez ce général à con-
duire les vaisseaux de Sa Majesté Catholique dans
tel port où il jugera à propos de les faire relâcher
pour attendre les ordres ultérieurs de sa Cour, s'ils ne
lui sont pas parvenus lors(jue la séparation s'opérera.
Si le bâtiment que je vous fais expédier pour vous
porter mes ordres vous rencontre dans votre traversée,
vous vous rendrez aux îles du Vent pour y attendre
que je vous aie fait connoître mes intentions ultérieures
sur la destination des vaisseaux et des troupes qui de-
vront faire incessamment leur retour en Europe ; et si,
lorsque le bâtiment expédié vous joindra, vous êtes déjà
''endu dans le port de quelqu'une de nos colonies, vous
y ferez séjourner mes vaisseauxjusqu*à ce que mes or-
dres vous soient parvenus. Ausurj)lus,je m'en rapporte
^ vos lumières et à votre expérience, dans le cas où
76 LOUIS XVI.
cette lettre vous auroit été remise pendant votre tra-
versée, (le faire tout de suite votre retour en Europesans
toucher aux colonies, si vous en reconnoissez la pos-
sibilité. Kt, dans le cas, vous expédieriez pournion port
de Toulon les vaisseaux le Bien -Aime, le Zodiaque,
le Robuste, V Indien et le Lion, et vous rangeriez sous
leur escorte tous les bâtiments m'appartenant ou
frétés de mes sujets, qui srmt chargés des troupes qui
avoient été embarquées à Toulon. Vous ramènerez à
Brest le surplus de mes vaisseaux et des bâtiments du
convoi.
Je fais passer mes ordres au marquis de Vau-
dreuil, relativement aux vaisseaux actuellement ras-
semblés SDus son pavillon, lesquels feront leur retour
séparément et conformément à ce qui leur sera
prescrit.
La cessation des hostilités annule le plan de campa-
gne dont la conduite vous avoit été confiée; et dans le
cas où vous relâcheriez dans les ports de quehpi'une
de nos colonies, vous n'y exercerez point Textension
de pouvoir et d'autorité qui vous avoient été attribuées
pour les o[)érations militaires dont vous étiez chargé,
d'après les instructions que je leur ferai expédier, des
opérations relatives aux évacuations et aux échanges
énoncés dans les préliminaires de la paix lorsqu'ils de-
vront avoir lieu. Et la présente n'étant à autre fin, je
prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur le comte d'Estaing,
en sa sainte garde.
Écrit à Versailles, le 22 janvier 1783.
Louis.
PAIX AVEC I/ANGLETP:RHE. 77
LVxcellento organisation (!<» notre arnu'e navale et l'expé-
■ ieiice (le la mer, soutenues d'un {jraiid élan national, nous
• ivaient valu d'importants avanta[jes pendant celle terrible
^ jneriv d'émanci])ation de l'Amérique an^jlaise. Les pertes
■ natérielles subies par les deux marines bellifjérantes s'étaient
iV peu j>rès balancées, et le bailli de SufFren, ce (jrand
j 'énéral de mer, arrêté par la paix dans son victorieux essor,
« ivait valu à nos armes assez de gloire pour nous consoler de
la délaite du comte de Grasse, tombé'aux mains des Aufjlais.
Les préliminaires de la paix de 1783 avaient été posés
«lès le 17 août 1782, époque du retour en France de l'infor-
Cuné comte de Grasse. Le lord Slielburne l'avait cbaqjé pour
le c(mite de Ver([ennes d'une note ainsi conçue, et qui forma
la base du traité :
^^ux Etats-Unis iCAmcrùiuc.
L'indépendance la plus absolue, la plus entière, telle
_*|irelle est désirée, et sans aucune modification ni condition.
A la France.
Siiinte-Lucie restituée; gardera la Dominique et Saint-
Vincent.
Restitutions réciproques pour le surplus.
Abrogation des articles de paix depuis 1713, au sujet de
I^unkerque.
A négocier, après les préliminaires signés : Une pécberie
^^Ux?, libre, avec possibilité de la fortifier et sans les gènes du
'raité de 1763.
Un établissement suffisant pour la traite des nègres.
IjC commerce des Indes orientales établi dans l'état du
**^ité dfe 1748 ou 1763 avec les possessions d'alors.
A t Espagne.
^fardera ses conquêtes dans le golfe du Mexique,
^linorque ou Gibraltar à son choix.
l>aissera à l'Angleterre un port dans la Méditerranée, com-
^ ^^»(le et fortifié, pour la sûreté de son commerce au Levant.
78 MARIE-ANTOINETTE.
A la HolLfinde,
A négocier : Entière restitution des conquêtes aux Indes
occidentales et aux orientales.
j4 toutes les nations,
La lil)erté du commerce, suivant les principes de la neu-
tralité armée.
CCCCXXIV
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE IIESSE-DARMSTADT (1).
Ce 2 juin [1783].
J'ai toujours tardé à vous répondre, Madanae, dans
l'espoir de vous voir arriver ici ; mais à présent que j'ai
appris l'inoculation de vos enfants, je ne peux pas dif-
férer de vous remercier de l'aimable lettre que vous
m'avez écrite. J'avoue que ma joie auroit été parfaite
si j'avois pu vous embrasser en même temps que toute
votre famille; mais j'espère bien que ce moment n'est
que différé. La malheureuse affaire du procès de Ma-
dame votre mère devant durer vraisemblablement très-
longtemps, c'est une raison de plus pour venir.
Je suis désolée: je sens pour ces dames toutes les
incommodités et l'ennui d'un aussi lonff séjour. Mais
j'avoue que pour moi, je suis ravie d'être sûre de les
voir plus longtemps et plus souvent.
(i) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de liesse.
MARIE-ANTOINETTK. 79
J'ai trouvé la princesse Charlotte un peu maifjre à
son arrivée. Mais à présent elle paroit se porter à mer-
veille. Pour la princesse Auyuste (1 ), dont jai (ait con-
noissance, c'est une charmante enfant. Elle avoit, avant
que je la connusse, des droits sur mon amitié, comme
toute votre famille; mais j'ose dire <|ue phis on vous
conn Dît tous et plus on vous aime. Adieu, Madame; je
désire que l'inoculation de vos enfants ne vous donne
nulle in(|uiétude et vous motte hientot ii même de
venir recevoir les assurances de ma tendre? et inviolable
amitié.
Faites, je vous prie, mes compliments à M. le Prince
Héréditaire.
Je désirerois bien vivement pouvoir rendre service
à M. le prince Georges et terminer ses affaires; mais
malheureusement il se trouve bien des obstacles à ses
désirs.
La lettre est, comme quelques-unes qui précèdent,
chargée et très^reconunnndéc par M, Rigoley (VOgny^
^ui contre-signe sur renveloj)pe.
(1) Marie-\Vilh('linim'-Au(jiist<' ('tait sdMir ilc la Laiulcravine Louise.
^* ée le 14 avril 1765, iiiaric're le 30 scpicMiihre 1785 au prince Maximi-
«ic.*n~J(>Mîph, duc de l)eu\-P(»nts, depuis Hoi de Bavière, dont noua
l^^^ïrlions tout à riieure, morte le 30 mars 1706 à llolisbach, près de
^î^eidelbcrg. Elle a été mère du Roi Louis de Bavière, qui, par aon
C»4^and goût jK>ur les arts, a transformé Munich en une .nouvelle
^ V. ihènejii , et qui a abdi(jué, le 21 mars 1848, en faveur de 8on fils,
axiinilieD II , mort Tannée dernière.
80 L'EMPEREUR JOSEPH II.
ccccxxv
L'EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE.CHRISTIiNE(l).
Après avoir huIû tant de lictcs de toutes couleurs, qu'on appelle pré-
traille, le voiri en honne santé et entre amis. — Il a expédié
le Pape, la Cour de Naples et le Roi de Suède. — Élo(»e de sa sœur
de Na[»les. — Défauts de son mari. — Portrait peu flatté du Roi de
Suède (Gustave III. — Il se rend à Milan. Il ren{;a{;e à berner les
Hollandais.
Pise, le 30 janvier 1784.
Ma chère Sœur, après tant de périls, de bétes
noires, routes, blanches, brunes, (ju'on apelle prè-
traille, rae voici, ici, en bonne santé, à vous sou-
haiter le bon jour. Quand on scait avoire raison , on
ne cniint rien, et quand les individus gagnent et que
ce n'est que les abus des corps qui soufrent. Ton peut
être nu parmi la foule comme moi. J'ai expédie le Pape,
la Cour de Napple et le Roi de Suéde. Me voici inter
amicos ici. Le premier, je l'ai bien traité, et nous somes
arrangés sur quelsques points de controverse. A Napple,
j'ai été infiniment content de ma Sœur, et d'une partie
de ses enfans. C'est une brave et excellente femme dans
toute l'étendue que je donne à ce terme. Le Roi est, et
restera, un bourreau de temps, et c'est domage pour
ses talents, que la dissipation extrême dans laquelle il
vit. Pour le roi de Suéde , c'est une espèce qui ne m'e.st
point homogène , faux , petit , misérable , un petit maître
(1) Ori{;inal autographe. Ortho{*raplie conservée.
Archiver de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d'Autriche.
MERCY-AnCENTEAV. 81
il la glace enfin. Il passera par la France, et si vous le
^oyés, je vous le recomande d'avance. Les enfans de
mon Frère et son Epouse se portent bien. J'ai eus un
temps horrible pour venir de "Napple ici , des neiges de
deux pieds de haut, et dans ce climat si rénomc, un
froid terrible auquelle les fenêtres, les portes et les
mauvaises maisons ajoutent leur agrément. Je compte
partir d'ici vers la mie février et me rendre a Millau,
et de la regagner ma tanière. Adieu, ma chère Sœur,
je vous embrasse de tout mon cœur, de même que le
Prince. Tachés de berner ces Ilollandois, et croyez moi
pour la vie votre.
CCCCXXVI
LE COMTE DE MERCV- ARGENTE AU AU DUC
DE SAXE-TESCHEN (1).
' 1 rend compte de la tnisëion qu'il a i-ec;iie de sonder les dispositions
de Marie- Antoinette, au sujet du voya^je en France projeté par le
Duc. — Le séjour de Marie-Christine à Versailles ou à Fontainebleau
^ ferait naître des difficultés d'étiquette que la Reine désire éviter. -—
Couipiè{;ne ne présenterait pas les mêmes inconvénients, les Princes
et les Princesses du sang n'étant point admis à cette résidence.
[2 mars 1784.]
Monseigneur ,
Pénétré des marques de bonté et de confiance que
■^otre Altesse Royale veut bien me donner j)ar sa lettre
u 25 de février , je me suis d'abjrd occupé des moyens
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale 1* Archiduc Albert
vl' Au triche.
TOMR III. 6
\
82 MERCY-AUGENTEAU.
d'y répondre avec tout le soin possible; mais il m'a
fallu à cet effet des occasions , et plusieurs jours pour
me les procurer. Sans sortir des bornes que Votre Al-
tesse Royale m'a prescrites, sans faire de demandes ni
d'insinuations de sa part, je me suis assuré très-positi-
vement que M. le prince de Li{jne ne s'est pas trompé
sur le fond des intentions de la Reine et du désir qu'Elle
a de revoir son au{juste Sœur ainsi que Votre xVltesse
Royale; mais il m'est démontré que M. le prince de
Lifjne s'est mépris sur le temps et les moyens que la
Reine croit les plus propres à se procurer une satisfac-
tion qu'Elle voudroit ne voir traversée par aucun des
incidents embarrassants qui ont presque toujours eu
lieu ici, dans de semblables circonstances, nommément
dans celles du voyage de Monseigneur T Archiduc Maximi-
lien, ainsi que vis-à-vis de Madame Ja Grande-Duchesse
de Russie, laquelle s'est assujettie à certaines formes
qui ne seroient pas admissibles à l'égard de Son Altesse
Royale madame l'Archiduchesse.
D'après d'anciens usages particuliers à ce pays-ci , et
que les souverains y ont toujours tolérés, les Princes et
Princesses du sang ne se contentent pas qu'on ne leur
demande rien en matière d'étiquette; ils se croient en
droit d'exiger beaucoup , même infiniment au delà do
ce qu'il est possible et raisonnable de leur accorder.
Cependant, pour ce qui regarde les Princes étrangers»
les embarras sont moindres, et Votre Altesse Royale
n'en rencontreroit aucun qu'il ne fut facile d'éviter;
mais il n'est pas ainsi à l'égard d'une Princesse qui réu-
niroit la double qualité d'Archiduchesse et de sœur de
la Souveraine du pays où Elle se trouveroit, parce que.
MERGV-ARGENTEAU. 83
cjansce cas, la moindre prétention élevée vis-à-vis d*EUe
deviendroit pour la Reine Elle-même une offense
c][u'Elle seroit forcée de réprimer de la manière la plus
Cette considération, avec toutes les conséquences
€fai en dérivent, ont fait penser à la Reine que des
inconvénients, presque inévitables à Versailles et à Fon-
'tainebleau, n'auroient point lieu à Gompièçne, où la
lenue et la composition de la Cour sont totalement
différentes de ce qu'elles sont ailleurs, et Sa Majesté
regarde cet endroit comme le plus convenable à y rece-
Toir la visite qu'Elle attend , qu'EUe désire , et qu'Eile
se promet de Vos Altesses Royales. Le séjour qu'Elles
feroient à Compiègne pourroit être entremêlé de quel-
ques petits voyages à Paris, ainsi que dans toutes les
maisons royales, où elles prendroient leur logement;
cette idée est du nombre de celles qui sont venues à
la Reine, lorsqu'ElIe m'a parlé de l'objet dont il s'agit.
La Cour n'ira pas cette année à Compiègne, parce
que l'état des bâtiments ne le comporte pas; mais ce
voyage aura lieu l'année prochaine; et à la manière
dont la Reine s'en est expliquée vis-à-vis de moi , j'ai vu
que ce qui a fait décider ce voyage une année d'avance ,
a eu principalement pour motif celui de s'y procurer
le plaisir d'y recevoir Vos Altesses Royales.
Voilà, Monseigneur, les détails dont je puis garan-
tir l'exactitude; ils serviront à constater que la Reine
désire bien réellement de revoir Vos Altesses Royales,
et que le retard qu'Elle y met n'a d'autre raison que
Celle de s'assurer une satisfaction exempte de tout inci-
dent qui pourroit la troubler. Que si, dans le plan que la
6.
d4 JOSEPH II.
Reine s'est formé à cet effet, il se trouvoit quelque
changement à insinuer qui s*accordât mieux avec les
convenances de Vos Altesses Royales, et qu'Elles vou-
lussent m'autoriser à faire une démarche plus positive
que ne Test celle dont j'ai été chargé, je m'en acquit-
ternis avec un zèle égal à l'empressement que j'ai depuis
longtemps de me retrouver à leurs pieds.
Je remets ici les lettres de M. le Prince de Ligne et
suis avec un profond respect ,
Monseigneur,
de Votre Altesse Royale ,
Le très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur,
Mercy-Argenteau.
Le 19 du même mois de mars, Marie-Christine avait écrit
à son frère l'Empereur Joseph , pour lui rappeler le consen-
tement qu'à son passage par Bruxelles, en revenant de la
cour de Marie-Antoinette, il lui avait donné de faire un
voyage à Paris. Elle prend de nouveau ses directions. Joseph
lui répond de Vienne, sous la date du 2 avril 1784 :
« Dans ce moment je reçois votre chère lettre. Vous
me parlez de l'idée de faire un tour à Paris. Il n'y a
pas la moindre difficulté , et vous ferez bien d'en pré-
venir la Reine et de tout arranger, pour le temps et la
façon , d'avance ensemble. »
Il ajoute en posl-scriplum :
«Le courrier de Paris étant, aussi revenu, il m'a
apporté une lettre de la Reine. Je vous joins ici la
copie exacte de ce qu'elle m'écrit au sujet du projet de
voyage. Je vous prie instamment, pour ne pas me
MA RIE- ANTOINETTE. 85
faire de tracasserie, de n*en point faire usage, mais
seulement de vous régler en conséquence. Je lui réponds
que je vous conseillois de vous entendre avec Elle sur
les temps, lieux et façon de vous voir. Adieu. »
Voici l'extrait :
a Ma sœur Marie (1) m'a fait témoigner un assez
^and désir de venir ici avec son mari. J'en serois fort
aise ; mais les misères d'étiquette inévitables ici pour les
Princesses, et qui se sont fait sentir pour les sœurs de
la feue Dauphiue, même pour l'Infante fille du Roi, me
fîeroit préférer qu'elle choisit le temps d'un voyage de
Compiègne, où tous ces inconvénients disparoissent.
iVIais par-dessus tout , mon cher Frère, c'est votre opi-
nion qui doit décider sa marche. Elle ne m'en a rien
écrit, ni moi à elle (2). n
Comme on va le voir, les correspondances continuèrent à
sujet.
(i) Dans sa famille, dans ses relations de pure intimité, Maric-
C]Ihristiiie était généralement appelée du seul nom de Marie : elle était
l«i Marie par excellence parmi ses sœurs, qui avaient toutes le prénom
^e Marie, mais avec d*autres prénoms qui servaient à les distinguer.
^insi, dans sa petite enfance, Marie- Antoinette était appelée seule-
^Kient de ce dernier nom, et quand elle fut devenue Dauphine de
K^rance, elle a, par habitude, signé seulement Antoinette quelques-unes
Oe ses lettres. Sa sœur 1* Archiduchesse Marie- El isabeth , celle qui
<ïiTait un goitre et qui habitait un couvent à Inspruck, était désignée
^i>ns le nom d'Elisabeth tout court. Ici, Marie- Antoinette vient d'ap-
peler Marie-Christine seulement Marie, tandis que dans beaucoup
^*autres documents, dans des lettres qu'elle lui adresse directement,
«lie l'appelle Christine,
(%) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d' Autriche.
• #
86 LE GENERAL SCHLICR.
CCCCXXVII
LE GÉNÉRAL SCHLICR AU DQC ET A LA DUCHESSE
DE SAXE-TESCIIEN (1).
Il confirme et développe les informations données par le comte de
Mercy sur le désir qu'éprouve Marie-Antoinette de recevoir le Duc
et la Dnchesse, et sirr les raisons d'étiqnette qui doivent faire ajour-
ner cette visite à Tépoqae dn séjour de la Cour à Cooipiègne. — La
Reine redoute les embarras que laî causeraient à Paris et à Versaillen
les prétentions et fesprit de familiarité des Princes et Princesses du
sang.
[Paris, 19 avril 1784.]
Je sors de chez M. le comte de Mercy, dont le cour-
rier doit partir cette nuit ou demain matin , suivant qu'il
recevra les paquets de la Reine. Son Excellence m'a
fait lecture de sa réponse aux deux lettres que Votre
Altesse Royale a daigné lui écrire ; il nie reste peu de
chose à y ajouter, si ce ne sont quelques particulari-
tés dans lesquelles il r\'a pas cru pouvoir entrer par
écrit, mais qu'il m'a confiées de bouche pour être ren-
dues de même à Vos Altesses Royales lors àe mon
retour à leurs pieds. Gonnoissant la juste impatience
qu'ElIes ont d'être instruites de tout ce qui a trait à
l'objet de leur voyage dans ce pays^, et l'occasion du
courrier étant sûre, je crois répondre mieux à leurs vues,
en mettant dès à présent très-respectueusement à leurs
pieds le narré succinct de tout ce qui est parvenu à
ma connoissance à cet égard.
(1) Archive* de Son Altesse Impériale et Royale l'Ardiiduc Albert
d'Autriche.
LE GÉNÉRAL SCIILICK. 87
M. le comte de Mercy persiste fortement dans son
opinion , ainsi que Vos Altesses Royales l'auront vu
par sa réponse. Il me Tavoit annoncé de même lorsque
j'eus riionneur de le voir pour la première fois il y a
dix jours, et me Ta répété avant-hier et aujourd'hui. Il
me paroit bien intimement convaincu du désir sincère
de la Reine et du plaisir qu'Ëlle éprouvera de revoir
Vos Altesses Royales après une aussi longue séparation.
11 prétend savoir à n'en pas douter qu'il n'existe plus
lien dans son esprit ni dans son cœur des anciennes
préventions qu'elle avoitconçues, ou, pour mieux dire,
({ui lui avoient été ins|)irées. Il assure aussi bien posi-
tivement qu'Ëlle s'occupe sérieusement de c(;tte entre-
vue, qu'Elle en a parlé au Roi, et que, de concert,
Leurs Majestés ont fixé, dès cette année, leur séjour de
Compiègne pour l'année prochaine, dans la vue prin-
<:ipalement de la réception amicale qu'elles se propo-
sent d'y faire à Vos Altesses Royales, sans y être aucu-
nement gênées par les fêtes ni par l'étiquette, l'un et
l'autre étant bannies de ce séjour, où les Princes ni les
f^rincesses ne viennent pas ^ et où il n'y a d'autres
^livertissements que ceux de la chasse, qu'Elles savent
«>tre du goût de Vos Altesses Royales.
Ce voyage de ' Gorapiègne n'a pu avoir lieu cette
^^nnée, parce que les architectes qui en ont rebâti le
^j*hàteau ont manqué de parole et n'ont pas fini leurs
tiravaux dans le temps qu'ils avoient stipulé. Le Roi,
« jui aime beaucoup ce séjour, se trouve fort contrarié
f)ar ce retard. La Reine, qu'il n'amuse pas autant, pa-
roit y désirer la présence de Vos Altesses Royales pour
se le rendre plus agréable. Ce n'est pas ccîpendant
88 LE GÉNÉRAL SCHLICR.
qu'Elle se propose de les y retenir tout le temps du
séjour ; son projet au contraire est que Vos Altesses
royales s'absentent quelquefois pour aller voir Paris,
Versailles, toutes les maisons royales, et tout ce que ces
différents endroits offrent de curieux et d'intéressant.
Toutes les dispositions seront faites pour ces excur-
sions, pour réunir autant que possible les agréments dont
elles seront susceptibles, à la distinction avec laquelle
la Reine a singulièrement h cœur que Vos Altesses
Royales soient traitées partout où Elles paraîtront.
Elles seront logées partout dans les maisons royales,
non pas sur le pied d'étiquette, qui feroit naître des dif-
ficultés d'un autre genre, mais sur le pied de fmternité
et de bonne amitié. La Cour ne s'y trouvant pas, il
n'existeroit aucune occasion de concurrence avec les
Princes et les Princesses du sang ; et même la Reine
prenant le parti d'accompagner Vos Altesses Royales
dans ses excursions (comme M. le Comte de Mercv
paroit persuadé que cela arrivera, quoiqu'il n'ait au-
cune notion certaine à cet égard), même dans ce cas
les difficultés d'étiquette n'existeroient pas, la Reine ne
tenant pas cour.
Quant aux motifs qui ont conduit Sa Majesté à for-
mer ce plan, indépendamment de ceux annoncés ci-
devant, Vos Altesses Royales doivent envisager comme*
presque invincibles dans son esprit ceux qui naissent
de la distinction éclatante avec laquelle Elle croit né-
cessaire pour Elle-même de recevoir Vos Altesses
Royales, et de la crainte extrême qu'Elle a de toutes
les tracasseries et difficultés d'étiquette qu'une récejv
tion de cette espèce feroit éclore immanquablement,
LE GÉNÉRAL SCULICK. 89
si elle avoît lieu pendant le Sf^our de Leurs Majestés à
Versailles ; au lieu qu'Elle se flatte que les choses étant
une fois montées sur ce pied pendant le séjour de
Compiègne, qui le comporte et écarte toutes difficultés,
cette première réception fera planche pour l'avenir, et
que le procès se trouvera jugé pour les voyages que
Vos Altesses Royales pourroient faire par la suite, soit
à Paris, soit à Versailles, sans qu'il pût y avoir de
réclamation au contraire, ou du moins sans qu'elles
ne pussent être levées facilement.
La difficulté que la Reine éprouve personnellement
de contenir l'esprit de familiarité que l'indulgence du
Roi laisse accroître journellement, et qu'il n'a pas la
fermeté de réprimer, dans des circonstances même qui
paroissent l'exiger absolument, rend la Reine inébran-
lable dans l'idée que Son Altesse Royale madame l'Ar-
chiduchesse, même en venant ici incognito^ ne peut
(par ménagement pour la Reine sa sœur) se prêter à rien
de ce qui pourroit tendre à augmenter cette familiarité,
soit en faisant des visites aux Princesses, allant chez
Elles sur le pied de société, y acceptant des diners,
soupers, bals ou fêtes ; qu'Elle pourroit encore moins
se prêter à leur faire la première visite, comme s'y est
soumise la Grande-Duchesse de Russie, qui a débuté par
se faire écrire à la porte de toutes les Princesses, et
qui ensuite a eu la mortification de s'entendre dire
par chacune d'Elles sans exception , en recevant leur
contre-visite, Qu elles ctoient désespérées de ne pas s'être
trouvées chez elles pour La recevoir lorsquElle s'est pré^
sentes à leur porte. Sa Majesté est dans la ferme opinion
que Son Altesse Royale madame l'Archiduchesse ne
1A \,f, f.'KjtkiAL *»:hlici-
t**rj^. iC^^ da»* a^iCLite de* suûv-^xt^ à-* Piiiioes, Prio-
*p;ki^^ik *jt ir/lr%* i»f:TV>fifie^ ce la f «tanière distioctîon,
^•j^ v.iv^ > : rH^olit 'ie Toîr et* nxakons méaies, si
**i^* P^»n*^#l ifiUfnevi*r la r-ariasi!e. ou dV voir des
tkr>4«^'/x. '!#>% lOiédiiiUes et autre» prétextes de ce genre,
fê$3n^, yiUtMi* hur le pied de société, psàrce que tout ce
'pwr iv/fi Altewe Hoyale Toodroit céder à cet égard,
fSêkttm éfti drf{Kiftarit son rang auguste, n'en retomberoit
pat% ffioins sur la Beine sa sœur^ en augmentant cette
iH$nilistriU% i|ij*dle a tant de peine à contenir. M. le
Comte d'f Merrry est intimement couTaincu (d'après ses
oliMfrvatîoiis personnelles, et dix-sept ans d'expérience
(ondé#f sur la cormoissance des individus) que la ma-
nière de voir de lu Heine est juste, bien fondée, et qu'il
fie résiilteroit que des désagréments très-sensibles pour
Klle, %i Vos Altesses Royales Tengageoient à s'en désis-
ter, il pense aussi (pie la manière dont Sa Majesté
rKnipereiir a réglé son incognito ici ne peut servir
d'exemple, f^e jiremier souverain de l'Europe parois-
noit pouvoir s'attendre que plus il cherchoit à cacher
M>fi riin{;, moins on pcnseroit à l'oublier. M. de Mercy
vient rie m'assurcr cependant que la familiarité fran-
i'tt'îHv a fait naître des occasions qui l'ont forcé à en
liiire souvenir.
y liant il M. le Baron de Breteuil, je ne l'ai vu encore
qu'une heule fois, vendredi dernier, à son retour à Ver-
sailles. Coninuï je me suis rendu le même jour ici,
pour y rester jus(pi'à la fin de la semaine, je ne le
reverrai qu'à mon retour. Il m'a chargé de mettre aux
pieds de Vos Altess(;s Royales l'hommage de son res-
pect, et m'a demandé si leur projet n'étoit point de
LE GÉNÉRAL SGHLICK. 9i
venir dans ce pays-ci . Je me bornai à lui repondre que
Vos Altesses Royales désiroient ce voyage depuis long-
temps, que les obstacles que les circonstances guer-
rières y airoient mis les premières années se trouvant
levés maintenant y tout dépendoit du moindre signe
que la Reine donneroit que ce voyage lui seroit agréa-
ble. « £Uc ne demande pas mieux, m*a-t-il répondu.
« Elle en a parlé au Roi, et m'en a parlé aussi il n'y
" a pas longtemps. Son projet est de recevoir Leurs
« Altesses Royales à Gompiègne , Tannée procbaine.
u Elle a déjà fait des dispositions en conséquence, et
« cela eût eu -lieu dès cette année-ci, si les architectes
« n'avoient pas manqué de parole , ce dont le Roi est
M fort contrarié. » Je lui observai, comme venant de
moi seulement^ que je ne concevois pas trop quel pou-
voit être le motif de la Reine de vouloir borner ce voyage
ù Gompiègne, que je craignois que cette circonstance
ue donnât lieu à quelque mauvaise interprétation ,
comme si Leurs Majestés trouvoient de la difficulté à
recevoir Vos Altesses Royales ici. — « C'est mal voir
« la chose, me dit-il ; au contraire, par le peu que la
« Reine m'en a dit en passant, j'ai pu remarquer clai-
tt rement qu'Elle se fait un plaisir de les voir, de les
« recevoir avec distinction, et qu'elle veut que cette dis-
M tinction les suive partout où Elles jugeront à propos
« d'aller. Mais je présume, quoique la Reine ne s'en
« soit pas expliquée envers moi, qu'Elle a donné la
« préférence à Gompiègne parce (ju'Elle y est plus libre
« de toutes entraves, qu'Elle pourra plus^se livrer à la
«t société de Leurs Altesses Royales, et qu'Elle se fait
« peut-être un plaisir aussi de les recevoir et leur ex-
92 LE GÉNÉRAL SCIILICK.
« pliquer tous les changements qu'on vient de foire
« dans ce lieu de plaisance, dont Elle ainsi que le Boy
« paroissent enchantés. D'ailleurs cela me paroit être
« le lieu le plus favorable pour une première entre^^le,
u à cause de la liberté qui y règne. Et si Leurs Altesses
« Royales venoient ici pendant l'été, je vous assure
« qu'Elles s'y ennuieroient a l'excès, la Cour étant
« morte et déserte h cette époque par l'absence de tout
« le militaire. »
Je n'ai rien répliqué, ne croyant pas devoir insister
davantage sur cet objet, dans une première visite.
Je n'ai pas pu joindre encore l'abbé de Vermond. Il
paroit fort occupé dans ce moment, du moins est-il
toujours allant et venant entre Paris et Versailles. M. le
Comte de Mercy se proposoit de l'aboucher avec moi ;
cela n'a pas pu avoir lieu encore.
Monseigneur le Dauphin a été incommodé pendant
plusieurs jours d'une manière inquiétante, mais son
état ne fait plus entrevoir le moindre danger.
Je mets aux pieds de Vos Altesses Royales mes très-
respectueuses félicitations sur l'avcnement de Monsei-
gneur l'Archiduc Maximilien à l'Électorat de Cologne.
M. de Mercy en portera demain la nouvelle à la Reine.
Je me mets aux pieds de Vos Altesses Royales.
SCHLICK.
Paris, le 19 avril 1784.
LE GENERAL SCHLICK. 93
OCCCXXVIII
• f
I.E GENERAL SCHLICK AU DUC DE SAXE-TESCHEN (1).
f ^'nbbé de Vermond coiifirine Irs détails duniics par M. de Mcrcy au
sujet du voyage de France. — Sur le point de quitter Paris, le
général sollicite les ordres du Duc et de la Duchesse.
NOTE TRÈS-RKSPKCTIEISE.
[Paris, le 4 mai 1784. J
Je viens d'apprendre que, dans une heure, M. le
cîomte de Mercy expédie le courrier qu'il a reçu de
Bruxelles. Je m'empresse de profiter de cette occasion
j)our me mettre aux pieds de Votre Altesse Royale,
5iinsi que le très-respectueux homma<je de la recon-
noissance dont je suis pénétré pour la grâce qu'ElIe a
daifpié me faire d'honorer mes notes du 19 d'une
réponse et de sa très-gracieuse approbation.
M. l'abbé de Vermond, que j'ai enfin trouvé le
moyen de joindre, et que je vois depuis assez fréquem-
ment , m'a parlé sur l'article du voyage de Vos
Altesses Royales d'une manière absolument conforme
ù ce qu'en avoit dit M. le comte de Mercy, et il m'as-
sura en dernier lieu que la Reine devoit même s'en
être ouverte dans sa lettre h Son Altesse Royale madame
rArchiduchesse, et qu'Elle avoit vraiment du regret
(le se voir forcée, par les circonstances, à différer jus-
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Alliert
d'Autriche.
94 LE GKXÉRAL SCHLIGK.
qu'à Tan née prochaine le plaisir qu'Elle se promet de
cette entrevue, qui l'occupe réellement beaucoup, à
en juger j>iir ce que M. le baron de Breteuil m'en a dit
encore il y a cinq jours. L'abbé de Vermond a laissé
échapper d'ailleiu's, dans la conversation, que la Reine
en avoù écrit ou aUoit en écnre à Sa Majesté l'Empe-
reur. Je n'ai pas pu discerner lequel des deux; mais
au moins paroît-il certain que c'est de concert avec
Sa Majesté l'Empereur qu'elle réglera à l'avance tout
ce qui concerne le voyage de Vos Altesses Royales.
Ayant eu le bonheur de parvenir à ces notions sans
m'avancer en rien, et sans donner lieu de soupçonner
que Vos Altesses Royales se fussent ouvertes à moi, à
cet égard, en quoi que ce puisse être, je crois devoir
m'astreindre d'autant plus rigoureusement à cette ma-
nière d'agir, que, d'après la réponse dont Votre
Altesse Royale a daigné m'honorer, je dois supposer
qu'Elle a pris le parti, de concert avec Son Altesse
Royale madame l'Archiduchesse, de déférer aux cir-
constances et à l'opinion de Sa Majesté la Reine ,
surtout d'après l'espèce de certitude acquise sur la
sincérité de ses sentiments.
Le baron de Breteuil met aux pieds de Vos Altesses
Royales l'hommage de son respect et de la recon-
noissance dont il est pénétré pour les assurances
gracieuses qu'Elles ont daigné lui faire par moi.
Le bailli de Breteuil et le comte Pignatelli m'ont
chargé aussi de les mettre aux pieds de Vos Altesses
Royales. Ce dernier a chez lui, depuis près d'un an,
la calèche dont s'est servi le courrier de Naples pour
venir de Bruxelles ici. Comme il est dans le cas de
LE GÉKKRAL SCHLICK. 95
purtir bientôt pour Naples, il craint que cette calèche
De souffre du dommage après son départ; je lui ai pro-
mis de la faire retirer de chez lui avant cette époque ;
mais je ne sais jusqu'à présent où la placer, et encore
moins comment la renvoyer à Bruxelles. Je supplie
Votre Altesse Royale de vouloir bien me faire parvenir
ses gracieux ordres à cet égard. Si Tun des deux cour-
riers qui viennent d'être expédiés ici avoit pu y venir à
cheval, il auroit pu se servir de la calèche pour son
retour.
Je mets aux pieds de Votre Altesse Royale le respec-
tueux hommage de ma reconnoissance, pour l'intérêt
qu'Ëlle daigne témoigner pour le rétablissement de ma
santé. Je reprends des forces d'une manière assez sen-
sible, quoique la consultation des médecins et chirur-
{{iens les plus fameux que j'ai rassemblés hier n'ait su
iTie dire autre chose, si ce n'(»st que le cours de ma
^iialadie et la tumeur qui en est résultée forment un cas
ïiouveau et particulier dans leur art, qui leur paroit
cîmbarrassant, dont ils sont curieux d'apprendre la
5^uite, et pour lequel ils ne peuvent me conseiller autre
<~:!hose, pour le moment, que les eaux d'Aix-la-Gha-
Joello, le mouvement, et surtout d'éviter les demeures
liumides.
N'ayant plus rien d'après cela qui exige la prolon-
çjation de mon séjour ici, si ce n'est pour y jouir
^iucore une douzaine de jours du plaisir de voir ma
^Tière, qui vient d'arriver ici pour s'assurer par elle-
Xnême de l'état de ma santé, j'espère, du 15 au 20,
^ne retrouver aux pieds de Vos Altesses Royales, les
suppliant de vouloir bien me Faire la grâce de me faire
96 LE GÉNÉRAL SCHLICK.
parvenir, d'ici là, leurs gracieux ordres sur la question
de savoir si je dois faire prévenir Sa Majesté la Reine
lors de mon départ, en lui faisant demander les oixlres
qu'Elle pourroit avoir à me donner. Ce qui fait naître
cette question, c'est que Sa Majesté est instruite de
mon séjour ici, et qu'Elle avoit témoigné de la surprise
de c(î que j'y fusse venu sans être chargé de rien pour
Elle. J'ai cru ne pouvoir mieux faire que de répondre
à M. Bazin, qui m'en a parlé, que, lors de mon dé-
part, ma santé avoit été si mauvaise, qu'il y avoit tout
à craindre que je ne pusse arriver jusqu'ici, et que,
dans cette position, il n'eût pas été prudent de me
confier une lettre, qui eût couru au moins le risque
d'être bien longtemps en route.
Je me mets aux pieds de Vos Altesses Royales.
SCHLICR.
Paris, le 4 mai 1784.
I/EMPEREUR JOSEPH II. 07
CCCCXXIX
L'EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE^HRISTINE(f).
Cionsulté 8ur le voyage de 1* Archiduchesse en France, TEmpereur fait
connaître son avis. — Les intermédiaires officieux ont tout gâté. —
Il n*est plus que deux partis à prendre : ou s*abstenir, ou bien se
rendre incognito à Paris sans se faire annoncer, descendre à l'hôtel
et y séjourner en simples particuliers.
Ce 13 mai 1784.
Trés-chere Sœur, j'ai reçu votre chère lettre. On ne
peut pas être plus sincère que je le suis avec mes amis,
j«3 crois que c'est un devoire, et puis c'est devenu nature
ot habitude chés moi. Or donc, pour repondre fran-
chement à la question que vous me faite sur le voyage?
c^uevous désirés de faire h Paris (car enfin il n'existe
Sur ce point plus d'equivocque), il n'y a pas deux par-
lis à prendre; l'un, vu les dificultés qu'on vous marc-
cjue , de vous en passer : c'est le plus sure et le plus
sage ; l'autre, si l'envie en est par trop grande, d'aller
%out droit, sans vous anoncer, a Paris, sous un autre
nom, d'y louer un hôtel garni ; et quand vous y serés
«rrivé a l'impromptu, écrire de Paris a la Reine que
Tousy ete, que vous en considererés en particulière touts
les objets, mais qu'en même temps vous desiriés infini-
ment de la voire ; que par conséquent touts les lieux,
les heures, les jours, qu'elle vous indiqueroit, et la
■
(i) Arahives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d'Autriche. — Orthographe conservée.
TOMB III. 7
98 I>'EMPEREUR JOSEPH II.
façon, vous etoient égales, et que vous ne paroitries ni
a Yersailie ni nulle part ou elle seroit, hors qu'elle le
trouvât convenable ; et qu'en attendant vous resteriés
en particulière a Paris. Yoilla la seule façon de pouvmr
débrouiller cette afaire qui me paroit avoire prise, par
les entremeteurs ou entremeteuse qui y onts êtes offi-
cieux, une tournure tout a fait déplacé, pour les deux
personnes intéressantes. Le prince de Staremberg est
parti. M. de Wasquez s'est fait opérer la cataracte et
l'on croit que cella réussira parfaitement. Adieu, je
vous embrasse et vous prie de me croire, de même que
le prince, pour la vie votre.
Dans ce moment je viens de recevoir votre chère
lettre, la mort de l'Evecque de Liège ne portera point,
jeTespere, de préjudice a nosarrangemensdecomerce.
Votre projest de voyage a Bonne est parfaitement juste,
et je désirerais être dans le cas d'en faire de même.
Adieu.
Voilà bien des négociations pour n'arriver à aucun résultat
immédiat. La visite du duc et de la duchesse de Saxe-Teschcn
u'cut lieu que deux ans après, dans le milieu de 1786. Comme
nous Pavons dit au premier volume, les difficultés résultant
du voisinage, les exigences de Joseph 11 à Foccasion des
contestations touchant les droits de la navigation de l'Escaut,
dont nous avons parlé précédemment, la pression que TEm-
pereur avait tenté d'exercer sur Louis XVI par l'entremise
de la Reine et à laquelle celle-ci avait dû se soustraire, avaient
jeté entre les deux sœurs une sorte de défiance et de désac-
cord, que l'intervention politique si généreuse du Roi n'avait
pas suffi à dissiper. Il n'y avait jamais eu de rupture ou-
DIFFICULTES DKTIQUETTE EN FRANGE. 90
verte, mais la correspondance, d'abord assez active, s'était
an peu ralentie depuis deux ans. Quelle que fut en général
la sagesse des conseils donnés par Marie -Thérèse et par
Joseph II à Marie-Antoinette, devenue Française, tous deux
pensaient, au fond, avoir en France une sentinelle avancée,
au ooear allemand, dans la personne de l'ancienne Archidu-
chesse. Le comte de Vergennes avait eu l'occasion, dans une
délicate circonstance , d'avertir respectueusement Marie^An-
toinette et d'affermir en son cœur le sentiment national de
Reine de France. Sur le terrain de l'étiquette, jusque-là si
{^lissant pour cette malheureuse princesse, Marie-Autoinette
rencontrait d'incessants écucils. Cette étiquette, fort sévère
à l'éçard des princes étran(jers non têtes couronnées, ne leur
reconnaissait point de rang, ne leur permettait d'être reçus
par le Roi et par la Reine que dans les petits cabinets, ne
leur ouvrait pas la table royale. Tout au plus étaient-ils
admis à la table des Princes, et encore ces Princes ne leur
donnaient jamais la main. Aussi, tous les princes étrangers
c|ui venaient en France avaient-ils l'habitude de se réfugier
<lans Yincognito. Marie-Thérèse avait eu l'imprudence de
l:>eaucoup trop reprocher à sa fille de ne pas être assez Alle-
mande , de ne pas assez faire pour les Allemands. De
pareils reproches, si peu politiques en présence des injustes
i^nais ardentes passions qui, dans sa propre famille nouvelle,
t ravaillaient à saper l'infortunée Marie-Antoinette, pouvaient
amener, et ont amené en effet, de fâcheux résultats. Les
prétentions des princes lorrains soutenues par elle, celles de
l'archiduc Maximilien, son frère, le meilleur, mais le moins
intelligent des hommes, qui, bien que couvert de Yincognito,
Vêtait refusé à faire la première visite aux Princes du sang; la
0aucherîedes conseils de l'ambassadeur Mercy et de l'abbé de
Termond, tout, avec certains sarcasmes de Joseph II, avait
soulevé contre la Reine le parti des Princes et des seigneurs
ie la cour, déjà si mal disposés. Cest à elle, en effet, qu'ils
reportaient les blessures faites à leur amour-propre, et ainsi
Ton s'était habitué peu à peu, comme nous Tavons dit, ù
d'indiscrets propos contre la jeune Dauphine, contre la jeune
Reine; et ces propos', en descendant de la haute société dans
la ville, dans les bas- fonds des faubourgs, avaient tendu
é.
100 MARIE- ANTOINETTE.
à flùtrir le caractèrc de la Princesse. Tantôt c'étaient des
exi(jences d'étiquette qu'on lui reprochait; tantôt, par une
contradiction étrangle, c'étaient des écarts à cette étiquette.
Toutes ces maladroites questions de préséance avaient fourni
matière à des anecdotes envenimées par la malice des dé^œu-
vrrs, inspiré de mauvais bons mots et des vers épigram-
maliques dont les livres du temps ont conservé une partie.
On comprend que la Reine prit ses précautions avant d'in-
viter sa sœur IMarie-Christine à se hasarder sur ces charbons
ardents.
ccccxxx
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Le Dauphin a embrassé sa mère an nom du la PriQce.<tse. — Mariage
de la princesse Charlotte.
Ce 6 septembre 1781.
Mon fils, ma chère Princesse, a fort bien fait sa com-
mission, et s'il savoit écrire, ce seroit lui qui vous en-
verroit ce que vous lui avez demande. Je suis bien
occupée dans ce moment-ci du mariage de la princesse
Charlotte (2). Je sens combien le moment où elle ira
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de He^ts^e.
(S) La princesse CAar/bl/e-Wiihelmine-Christine-Lonise de Hesjtc-
Darmstadt épousa, le 28 septembre 1784, Charles-Loui^-Frédéric, dur
de Mccklenbonrg-Strélitz, qui était veuf depuis deux ans de Frédé-
riqiie-Carolîne de Hesse-Darnistadt, sœur de cette même princesse.
On comprend c|u*en traversant le Hanovre, où était morte sa sœur
ainre, qu*elle allait remplacer, la princesse Charlotte éprouvât un ser-
rement de cœur. Elle mourut elle-même Tannée suivante, le 12 dé-
cembre, âgée de trente ans.
MÉMOIRE DU ROI SUU CHERBOURG. 101
à Hanovre sera pénible pour elle et pour vous tous. Je
iroublie pas le charmant projet que vous avez fait de
venir vous deux ici. C'est vous, Madame, qui en avez
eu l'idée, et c'est vous sur qui je compte pour le rem-
plir. Faites, je vous prie, tous mes compliments à M. le
Prince Héréditaire, et ne doutez jamais, ma chère Prin-
cesse, de ma bien tendre et sincère amitié.
CCCCXXXl
MÉMOIRE DU ROI
F*OrR 8ERVin l»'lS8TKU(riI0îl AIT SIErR VICOMTE DE LA COl'LUnK I>K LA
BRRTOTfSlKRK , CAPITAINE DBS VAISSEAUX DE SA MAJESTE, CO.MMANDA^iT
LES BATI.MK?IT.S DE MEH ET I.E DLTACURMKXT DE TROUPES DU COBP8
ROYAL DE MARIXE, EMPLOYES POUR LE SERVICE DE LA RADE DE CUER-
ROURC (1).
[20 septembre 1784.J
Sa Majesté ayant donné ses ordres pour l'établis-
sement d'une rade dans l'emplacement compris, sur la
^ôte du Cotentin , entre l'île Pelée et le cap de Querque-
"\'ille, duquel le port et la ville de Cherbourg occupent
à peu près le centre. Elle a choisi et nommé le sieur
"vicomte de La Couldre de La Bretonnière, capitaine de
ses vaisseaux, pour, sous l'autorité et l'inspection du
sieur duc d'Harcourt, lieutenant général de ses armées,
gouverneur de la province de Normandie, y comman-
dant en chef, avoir le commandement des bâtiments
de mer et du détachement de troupes du corps royal
(I) Arrliivcs du Ministèie de la iMariiic.
102 MÉMOIRE DU ROI SUR CHERBOORG.
de la marine, employés pour le service de la rade de
Cherbourg, et concourir à l'exécution des ouvrages
ordonnés dans la forme qui lui sera prescrite par la
présente instruction.
Le sieur vicomte de La Bretonnière aura le com-
mandement et la police des gabares, pontons, chasse-
marée et autres bâtiments de mer, du parc de marine
et de l'atelier particulier, qui sera monté pour les
réparations qu'il pourroit être nécessaire, accidentelle-
ment, de faire auxdits bâtiments; et tous les officiers,
maîtres et patrons de gabares, pontons, chasse-marée
et autres bâtiments flottants , employés pour le service
de Sa Majesté à Cherbourg, ainsi que les maîtres et
ouvriers attachés au parc de marine et à l'atelier en
dépendant, seront sous sou autorité.
Sa Majesté a approuvé et agréé le projet proposé par
le sieur de Cessart, inspecteur général des ponts et
chaussées, de fermer la rade de Cherbourg par des
digues à claire-voie , composées ensemble de quatre-
vingts à quatre-vingt-dix caisses coniques, à jour
dans leur partie submergée et sans fond, lesquelles
formeront trois passes pour les vaisseaux de lign^»
conformément au plan qui en a été arrêté; et elle a
chargé ledit sieur de Cessart de la direction et de
l'exécution des ouvrages de ladite rade.
Le sieur Deshayes, commissaire des ports et arse-
naux de la marine, a été établi commissaire des tra-
vaux de la rade de Cherbourg, ordonnateur dans cette
partie, et sera chargé en cette qualité de tout ce qui
concerne la recette , la dépense et la comptabilité des
deniers et des matières.
MÉMOIRE DU ROI SUR CHERBOURG. 103
Il aura sous lui un contrôleur, un garde-magasin et
un trésorier; et chacun exercera dans sa partie les
fonctions qui lui sont attribuées par les ordonnances
pour les arsenaux de marine, autant que la nature
de cette opération particulière et le local pourront le
comporter.
Il sera formé une enceinte sur le terrain qui aura été
choisi et suivant le plan qui en aura été arrêté, dans
laquelle seront réunis tous les chantiers de construction,
les magasins et hangars couverts, et les autres établis-
sements nécessaires pour le travail et le gréement des
caisses.
La direction desdits chantiers et la police de ladite
enceinte, ainsi que celles des caisses, considérées conune
ateliers lorsqu'elles sont établies sur la rade, appar-
tiendront au sieur de Gessart.
Il sera fait une enceinte particulière, à proximité du
port, dans laquelle seront établis les magasins pour les
effets de marine sei*vant pour la navigation des caisses,
«t un atelier pour les réparations à faire aux bâtiments
^e mer. La police de cette enceinte et la direction
de cet atelier appartiendront au sieur vicomte de La
firetonnière.
Il sera établi des corps de garde aux différentes
portes des deux dites enceintes, et le sieur duc d'Har-
Cîourt réglera les consignes qui devront leur être
données.
Indépendamment de la garde, il y aura à chaque
porte ou issue un suisse ou consigne, qui y sera établi
par le sieur Deshayes et y sera en poste fixe, pour faire
connoitre aux sentinelles et au corps de garde, qui
104 MÉMOIRE DU ROI SUR CHERBOURG.
seront tenus de lui prêter main-forte, s'il le requiert,
les ouvriers ou autres gens qu'on pourra laisser entrer
ou sortir, et pour s'assurer que nul n'emporte avec lui
des effets appartenant à Sa Majesté ; et lesdits suisses
ou consignes rendront compte au sieur Deshayes de
tout ce qui concerne le service qu'ils ont à remplir.
Le sieur de Cessart sera chargé de la construction
des caisses destinées à former les digues, et de tout
l'appareil et gréement nécessaire pour les disposer à
flotter, lorsqu'il s'agit de les enlever de leurs chantiers
pour les conduire en rade.
Mais la conduite desdites caisses, ainsi que tout ce
qui est relatif à leur navigation, jusqu'au point où elles
devront être coulées à fond , sera confiée au sieur
vicomte de La Bretonnière. Il sera chargé de les placer
dans la direction déterminée sur le plan, et fixera
l'instant où elles devront être coulées.
Le sieur de Cessart aura eu soin de faire à l'avance
toutes ses dispositions pour saisir cet instant, et il
donnera les ordres pour le coulage des caisses.
Le sieur de Cessart sera chargé de tout ce qui con-
cerne l'opération du remplissage en pierres.
Le sieur vicomte de La Bretonnière dressera, au mois
de septembre de chaque année, l'état détaillé par
espèces, dimensions et quantités des cables, grelins,
agrès, apparaux et autres effets de marine dont il fau-
dra se pourvoir en remplacement ou en augmentation,
du nombre de chasse-marée ou autres bâtiments à
acheter ou à affréter, pour la conduite des caisses et le
transport des pierres, et du nombre de soldats du
corps royal de marine , de gens de mer pour la navi-
MÉMOIRE DU ROI SUR CHERBOURG. 105
galion des caisses, et d'ouvriers pour le parc de
marine, qu'il sera nécessaire de rassembler à Cher-
bourg, à proportion des ouvrages ordonnés, dont le
projet aura été arrêté pour l'année suivante; et après
que ledit état aura été visé du sieur duc d'Harcourt,
il sera remis au sieur Deshayes, qui sera chargé de
pourvoir aux approvisionnements et bâtiments deman-
dés, ainsi qu'à la levée et au rassemblement des ouvriers
et gens de mer.
Le sieur Deshayes passera les marchés et adjudica-
tions, et tous les traités pour fourniture de munitions
et marchandises quelconques, nécessaires pour l'exécu-
tion du projet, ainsi que pour la main-d'œuvre et
autres ouvrages à prix fait ; et dans le cas où il s'agira
il'achat ou d'affrètement de chasse-marée ou autres
bâtiments de mer, pour le service de la rade, ou
d'agrès ou apparaux pour la navigation des caisses,
vt de munitions pour le parc de marine, le sieur
vicomte de La Bretonnière assistera, avec le contrô-
leur des travaux de la rade de Cherbourg, à la passa-
tion desdits marchés, adjudications et traités, ainsi que
le sieur de Cessart assistera h ceux qui concernent les
chantiers et ateliers sous sa direction.
Ils feront les obser^ations dont lesdits traités, adju-
dications et marchés leur paroîtront susceptibles, et
ils les signeront, si les conditions leur en paroissent
convenables.
Le sieur vicomte de La Bretonnière assistera pareil-
lement a la recette, qui sera faite par le sieur Deshayes,
(les bâtiments de mer, munitions et effets destinés
pour la navigation des caisses et le parc de marine.
106 MÉMOIRE DU ROI SUR CHERBOURG.
La recette desdites fournitures sera faite confor-
mément aux états ({ui en auront été arrêtés et aux
marchés qui auront été approuvés, lesquels seront lus
avant que de procéder à la recette, et lesdits bâtiments
ou effets ne pourront être reçus qu'après que le sieur
vicomte de La Bretonnière et le sieur Deshayes se
seront assurés que les conditions desdits marchés ont
été remplies.
Les agrès, munitions et marchandises qui auront
été acceptés, seront rangés, par les soins du sieur
vicomte de La Bretonnière, dans les magasins ou han-
gars où ils devront être déposés ; mais la garde et la
distribution de ces effets appartiendront au sieur
Deshayes et au garde-magasin à ce préposé sous ses
ordres.
Le sieur vicomte de La Bretonnière fera la demande
par écrit au sieur Deshayes des effets de marine qui
seront en approvisionnement à Cherbourg, à propor-
tion que le service dont il est charge en exigera l'em-
ploi. Le sieur Deshayes mettra son bon à délivrer au
bas des billets de demande , et le garde-magasin déli-
vrera les effets sur le reçu de l'officier que le sieur
vicomte de La Bretonnière aura préposé pour les
recevoir.
Le sieur vicomte de La Bretonnière, d'après les
demandes qui lui en seront faites, par écrit, par le
sieur de Gessart, chaque jour ou chaque semaine,
destinera, pour être employés en qualité de travail-
leurs ou journaliers, dans les chantiers de construction
des caisses ou sur les ateliers de la rade, le nombre de
soldats du corps royal de marine qui sera jugé néoes-
MÉMOIRE DU U0( SUR CHERBOURG. iOT
saire pour l'exécution des ouvrages ordonnés, à pro-
portion de la force et de Tétat du détachement qu'il
commande.
Il destinera pareillement, sur les billets de demande
du sieur de Cessart, le nombre de cbasse-marée ou
autres bâtiments de mer qu'exigera le remplissage des
caisses ou tout autre service de la rade.
Si quelque circonstance imprévue nécessitoit une
augmentation de bâtiments ou d'ouvriers ou journa-
liers, la demande en seroit faite dans la forme pres-
crite pour l'état à dresser au mois de septembre de
chaque année. Mais si le travail à faire étoit de nature
ù exiger la plus grande célérité, les sieurs vicomte de
Lia Bretonnière , de Cessart et Deshaves s'entendroient
ensemble pour pourvoir sans délai aux besoins du
moment, sans attendre d'avoir reçu l'attache du sieur
<luc d'Harcourt, s'il étoit absent, et l'approbation du
secrétaire d'État de la Marine ; et i^ls rendroient
compte, chacun de leur côté, des raisons qui les
auroient déterminés à faire cette augmentation.
Il est prescrit au sieur Deshayes de faire faire, matin
et soir, par les commis sous ses ordres , les appels des
ouvriers qui seront à la journée ; et dans le cas où les
besoiifes du service exigeroient l'emploi de quelques
ouirriers dans le parc de mai*ine, le sieur vicomte de
La Bretonnière nommeroit un officier pour suivre le
travail desdits ouvriers, assister aux appels qui en
seroient faits , et les certifier véritables.
il sera dressé, à la fin de chaque mois, un état général
(les journées des ouvriers qui ne travailleront pas à
prix fait, et ledit état sera pareiUement certifié véri-
108 MÉMOIRE DU llOI SUR CHERBOURG.
table par l'officier qui aiiru assisté aux appels. Il en
sera remis une copie au sieur duc d'Harcourt, et le
double sera envoyé au secrétaire d'Etat ayant le dépar-
tement de la marine. Mais pour parer à la difficulté de
suivre exactement l'emploi des ouvriers à la journée
sans multiplier les surveillants, et pour diminuer autant
<|u'il sera possible les écritures, il sera fiiit des mar-
chés à prix fait pour tous les ouvrages dépendant du
parc de marine, qui pourront être exécutés dans cette
Forme sans inconvénient.
Le sieur de La Bretonnière veillera assidûment à
maintenir l'ordre et la police dans l'enceinte et l'atelier
dépendant de sa direction , et sur les bâtiments de
mer destinés pour les travaux et le service de la rade ;
et il tiendra soigneusement la main à ce que le déta-
chement de troupes dont il a le commandement se
maintienne dans la discipHnc la plus exacte, soit dans
les casernes où les soldats seront établis, soit dans les
chantiers et ateliers de la direction du sieur de Ces-
sait, lorsqu'ils y seront employés en qualité de tra-
vailleurs.
Il rendra un compte exact et circonstancié de toutes
ses opérations au sieur duc d'Harcourt, et recevra ses
ordres pour tout ce qui concerne le service qui lui est
confié. Sa Majesté est persuadée que le sieur vicomte
de La Bretonnière, connaissant l'utilité et l'importance
du projet à l'exécution duquel il est chargé de con-
(!ourir, s'empressera de donner de nouvelles preuves
du zèle qui l'a fait distinguer dans d'autres occasions,
et que, dans les circonstances qui ont pu n'être paâ
prévues par la présente instruction, il fera tous ses
CONSTRUCTION DE LA JETÉE DE CHERBOURG. KM»
efforts pour contribuer par ses connoissances et ses
talents au succès de l'entreprise.
Fait à Versailles, le "20 septembre 1784.
Approuvé
Louis.
Le port miliUiire de Gherbourç, dont Louis XVI, inspiré
par M. d(î Maiirepas (1), oidonnc ici Ja construction, peul
être regardé comme l'œuvre nationale la pins considérable
du rè(jnc de ce Prince et comme un pro{frt*s des plus impot-
ents dans les fortifications du fiays. C'est en résumé un
monument d^art ég^al, sinon supérieur, aux plus [{grands que
mious aient laissés les anciens Romains.
Quand le cardinal de Richelien avait constitué la marine
«le rËtat, après Tavoir enlevée an pouvoir de PAmiral , il
svait affecté, par Tordonnance <le 1631, trois ports aux vais-
seaux du Roi : Bi-est et le Brouajj^e sur rOc(''an; le Havre,
«ur la Mancbe. De ces trois ports, le premier seul a (grandi,
^our le Broua(fe, qui n'est de nos jours qu'un hameau
presque mort de la Charente-Inférieure faivsant face à Pile
«l'Oléron, c'était, aux seizième et dix-septième siècles, une
|)]ac*e importante et par ses riches salines et par sa situation
centrale dans le çolfe d'Aquitaine. De son port , alors excel-
lent, une escadre pouvait manœuvrer lestement à la défense
^es deux branches du g[olfe, depuis la pointe de la Breta^e
jusqu'à l'embouchure de l'Adour. Aussi le (fonvemeur de
-Brouaçe était-il toujours un personnaffe considérable, et le
«cardinal Mazarin n'avait-il pas dédaigné d'en revêtir le titrcî.
IMfais le port commençant déjà à s'envaser fortement sous
(1) •» C'est le comte de Maurcpa^ qui a donne la pi-cmièrc idée du
port de Chcrhouq;; qui., en tout temps, a appuyé ce projet aussi utile
que glorieux. »
Note de Ddmociurz sur le port de Cherbourg,
410 CONSTRUCTION DE LA JETEE DE CHERBOURG.
Louis XIV, il fallut le remplacer par celui de Rocfaefort.
Rcstiiit le Havre, qui n'a jamais pu acquérir une oeriaine
importance comme port militaire, et l'on avait compris de
bonne heure qu'un (jrand refuge maritime était de première
nécessité dans la Manche, en cas de guerre avec l'Angleterre.
On avait pensé à y pourvoir en 1647, et une commission créée
par de Lionne, préposé à la marine du Ponant, avait conclu
à la fondation d'une digue de six cents toises de lonfpieur.
Le grand Colbert, dont la prévoyance s'est étendue si loin
pour la marine, et qui, en mourant, en 1683, laissa la France
en possession d'une flotte de cent quatre-vingt-dix-huit vais-
seaux de ligne, avait également songé à la fondation de cet
établissement. Mais la paix alors presque constante avec la
Grande-Bretagne, gouvernée par l'indolent Charles II, avait
trop entretenu la sécurité pour ne pas ralentir, de ce côté,
l'activité des projets. Le jour où le prince d'Orange eut
changé la face des choses politiques par l'expulsion de 9on
beau-père, Jacques II, les premiers projets reprirent crédit
dans le cabinet de France, qui se sentait désarmé contre
l'incessant antagonisme de nos voisins. Et de fait, ceux-ci
avec leurs ports magnifiques sur la Manche étaient maitres
de cette mer, qu'ils appelaient hautement English Channel^
en y afHchant une suprématie insolente dont il fallait lenr
disputer la prérogative. Déjà Vauban avait établi, en 1686,
à Cherbourg, des fortifications que plus taixl la guerre avec
l'Angleterre avait forcé de détruire, en prévision d'une des-
cente. Sous Louis XV, la facilité d'une invasion des Anglais
dans ce port, en 1758, avait été un avertissement. Sous
Louis XVI, l'imminence d'une guerre avec la Grande-Bre-
tagne, à cause de l'Amérique; nos projets de descente reoou-
velés de ceux de 1759; la campagne de D'Or\'illiers, appelé
k concourir à cette opération, tout s'accordait à provoquer
une résolution définitive touchant la création d'une vigou-
reuse sentinelle en regard de Pile rivale. Enfin, après bien
des tâtonnements sur le choix môme de l'emplacement, le
parti fut pris et mis à exécution.
Les plans dressés par Vauban en 1687 , et ceux de la com-
mission nommée en 175G, dans laquelle figurait Ghoqnet de
Lindu, le grand ingénieur de Brest, avaient éclairé la qaes-
CONSTRUCTION DE LÀ JETKE DE CHERBOURG. 111
tion. Mais Vauban, le çrand maître, qui ne pouvait se tromper
tout à fait et donnait au fond la pn^férence à Cherbourg sur
La Hoague, n'avait pas appuyé du poids de son génie avec
assez de puissance sur les grandes destinées de Cherbourg.
Concluant à des travaux restreints, son projet se bornait à y
fonder un port qui pût recevoir trente à quarante vaisseaux;
et quand la pensée de Louis XVI fut appelée sur le choix d'un
emplacement définitif pour un grand refuge à ouvrir, par
toute marée, à notre marine, dans les eaux de la Manche, La
Houg^e balançait dans les esprits la faveur de Cherbourg.
Ce fut le vicomte de La Breton nière dont la force de tôte et
la vigueur de conviction décidèrent enfin pour ce dernier
point et firent adopter un plan beaucoup plus vaste et
plus hardi, qui est sa gloire. Chargé, en 1770 et 1771,
de reconnaître les côtes depuis Brest jusqu'à Dunkerque;
t*etenu pendant près d'un mois a Cherbourg, par les vents
Contraires, dans la dernière année de son exploration, il avait
eu tout le loisir d'étudier profondément la question sur les
lieux mêmes, et s'était résolument fixé pour Cherbourg. On
^at dit, en effet, que la nature eût pris plaisir à accumuler
autour de ce port tout ce qui pouvait inviter à un grand
f>rojet : — Deux rades d'un mouillage sûr, circonscrites et cou-
v-ertes par l'Ile Pelée. Centre protégé par le fort établi sur
I^ rocher du Hommet. Gauche défendue par le fort de Quer-
<JiievilIe. — L'opinion de La Bretonnière, que rien ne devait
-K^^Froîdirdevant les obstacles que toute grande chose rencontre
Âftiévitablement, était donc toute formée, quand, en 1777,
^I. de Sartines le consulta sur l'emplacement du porta ouvrir
^^ir la Manche. Il démontra que la rade de La Hougue, plus
"^^stste mais moins avancée vers le canal que celle de Cher-
urg, avait de plus un fond de sable et était beaucoup
^Kioins sûre pour l'entrée comme pour la sortie des vaisseaux ;
lie les eaux qui se précipitent à toutes les marées, dans les
'^'^ys (1) devant la rade, y fermaient, depuis Barfleur, les
(1) Les veys toat des bras de mer formés par rcinbouchure des
v'Â'viéref de Vire, de Taate, de l'Aure et de Douve qui coulent dans
^^^^ vallées où sont situées les villes d'lsi{;ny et de Carentan, au-dessous
112 CONSTRUCTION DE LA JETEE DE CHERBOURG.
courants dangereux appelés Ras de Barfleur ou de Gatte-
ville; et que c'étaient ces seuls courants, joints au calme
survenu alors, qui avaient causé la perte de ravant-garde
de Tourville et la dispersion du reste de son armée, à la
g^lorieuse défaite de La Hougue. Et en effet, sa flotte n'avait
pu g^agfner le mouilla{];e de ce port et s'y embosser devant
l'ennemi , comme le maréchal l'avait projeté.
Présentées au commencement de 1781, appuyées par le
duc de Harcourt, soutenues par Dumouriez, lieutenant de
Roi à Clierbour(f , les obser\'ations de La Bretonnière réuni-
rent l'assentiment du prince de Condé, du comte de Ver-
(j^ennes, des ministres de la Marine et de la Guerre, et réus-
sirent à faire rejeter les anciens projets de port à La Ilouçue.
Tels furent les motifs qui' dictèrent à Louis XVI sa décision
du 29 novembre 1781 , ordonnant la formation à Cherbourg
d'un port capable de recevoir quatre-vingts vaisseaux de
ligne avec des frégates et autres bâtiments.
Mais dès l'abord surgit nne cause d'ajournement de cette
grande entreprise : Gomment fermerait-on la rade ? IJî-
dessus les officiers de la Marine et ceux de la Guerre entrè-
rent en concurrence.
La Bretonnière, instruit par ce qu'il avait vu lui-même
en li^spagne, aux ports du Ferrol et de Malaga, proposa de
couvrir la rade par une digue de pierres perdues, ayant pour
effet de rompre l'effort des vagues et des courants, et de
procurer ainsi du calme dans l'intérieur de la rade.
Le directeur des fortifications à Cherbourg, le maréchal
de camp Pierre-Jean de Caux de Blacquetol, proposa aussi
de la fermer par une digue; mais il voulait que celle-ci fut
formée de caissons remplis de maçonnerie et dirigée de la
pointe du llommet à l'ile Pelée.
Dumouriez, à qui cependant le marquis de Castries,
ministre de la Marine, ne reconnaissait pas une bonne tête,
attaqua les deux projets et en fit triompher un troisième
desquelles ces quatre rivières se réunissent. ( Troisième Rapport du dite
de Harcourt au Roi, pendant le voyage de Louis XVI i Cherbourg;.
Juin 1786.)
CONSTUUCTION I)K LA JETEE DE CHEUBOUUG. 113
dont la pensée primitive appartenait en grande partie à
M. de Cessart, ingénienr des Pontes et Chaussées de la géné-
ralité de Rouen (1). Ce projet consistait à fermer la rade
par une digue à elaires-voies , formée de quatre-vingts à
quatre -vin(j^t-dix rochers arliBciels ou caisses coniques en
charpente 9 remplies de pierres et placées hase à hase, en
laissant trois passes défendues par des hatteries étahlies tant
sur les cônes mêmes que sur les forts de Querqueville et de
J'ile Pelée, situés aux deux extrémités. Ces gi(]^autesques ca^es
à poulets , comme les appelle Alexis de Tocqueville (2), aussi
liantes que la colonne de la place Vendôme, et larges à Fave-
liant, devaient être transportées sur les lieux et là remplies de
pierres jusqu^à former un poids de cent millions de livres.
Or, Dumouriez, devenu Tami de M. de La Millière, maître
«.les requêtes, chargé des Ponts et Chaussées, homme fort en
crédit, tout-puissant en cette affaire, eut Part malheureux
de se faire écouter.
Vax vain éclatèrent les protestations d'un officier du corps
du génie. Bonnet de Demouvillc. En vain eut-on encore
<!cllcs d'une artiste peintre, une demoiselle Bertrand, per-
.sonne de mérite et d^étude, qui se mêlait de (j^énie maritime,
et qui, dans une lettre du 8 avril 1784 au ministre de la
Marine, battit en brèche le système des caisses coniques.
u Ces cônes, disait-elle, si Ton venait à bout d'en placer
dans la mer, n'y résisteraient pas dix ans. » M. de La
.Minière, qui trouvait à cette femme aussi peu de connais-
siince de Tensemble des travaux à exécuter que d'intelligence
de l'art de construire à la mer, se rit des objections de
mademoiselle Bertrand et des plans nouveaux qu'elle four-
nissait. D'accord avec M. de Castries et M. de Ilarcourt, il fit
écho avec Dumouriez, pour qui l'idée des cônes était u une
idée sublime et simple qui devait être suivie (3), » et l'on s'y
arrêta. II n'en est pas moins vrai que l'événement devait
(1) Le projet de Dumouriez différait de celui de Ce8)«art en ce (|u»
le premier voulait couler dans la uier des blocs bruts de; roclicr.
(2) Cherbourg, dans V Histoire des villes de France, puliiiée, en 1849,
-^Uft la direction de M. Aristide Gilbert, p. 12.
(3) Lettre de Dumouriez au ministre de la Marine, 15 septembre 1783.
TOME III. 8
114 CONSTRUCTION DE LA JETKE DE CHERBOURG.
donner raison à Bonnet de Demouville et à la p<uivre artiste
éconduitc.
Cependant l'œuvre des cônes se poursuivait. En 1782,
une cage, qui avait été construite au Havre et qui était
élevée seulement de trente-six pieds, ayant navigué, dans
la rade, au cabestan, le maréchal de Gistries la fît trans-
porter du Havre à Cherbourg; pour y être achevée et placée
en 1783. On employa pour en opérer la flottaison et la
navigation cent quatre tonnes désignées sous le nom de
pontons cylindriques disposés en trois amarrages. Mais
le cône arrivé à Cherbourg, l'épreuve faite en septembre
demeura incomplète, et force fut de remettre au printemps
une épnîuve nouvelle. Pour cette épreuve, les Ponts et
Chaussées, qui auraient bien voulu se passer du concours des
officiers de vaisseau, se virent obligés de le l'éclamer. Du-
mounez sentant alors l'impuissance de M. de Gessart à finir
seul cette grande entreprise, écrivit, le 2:2 septembre 1783, à
M. de La Millière la lettre qui suit :
(( On continuera autant qu'on pourra dans la belle saison,
en attendant qu'on ait simplifié la flottaison, la navigation
et l'immersion ; mais il faut bien se mettre dans la tête qncle
grand mérite du cône est sa simplicité, sa forme, sa solidité >
son élasticité, la promptitude de sa construction et son bon
marché ; que pour peu que M. de Ccssart veuille y appliquer,
de son invention, des moyens de navigation inhérents, il
compliquera sa machine et en rendra la construction lente
et incertaine ; qu'en un mot il la gâtera. Les moyens nau-
tiques doivent en être séparés et purement adhérents. D'ail-
leurs, pour cette navigation, il est entre les mains des marins,
qui rejetteront toujours tous les moyens qui ne sont pas les
leurs. Cest donc à eux k les trouver en les combinant avec
lui. n n'y a encore rien de perdu; M. le duc d'Harcourl est
tout aussi chaud que si le cône était en rade, il s'occupe des
moyens en grand et presse M. le marquis de Castries à cet
égard. J'ai mandé à ce ministre de m'envoyer un M. Denys,
fameux constructeur de Dunkerque. M. de Bavre, capitaine
de vaisseau, doit m'envoyer un modèle de son côté, dès
qu'il sera revenu de Saint-Malo. W faut établir la conçois
rence sur cet objet. Ceci n'est pas précisément un échec, mais
CONSTRUCTION DE LA JETÉE DE CHERBOURG. 145
y ressemble. Il faut du courage pour faire face aux circon-
stances. Je souhaite voir ici bientôt des constructeurs, pour
régler mes idées sur leurs plans. »
C'est dans ces circonstances que le Roi destina «Pabord
pour ces travaux trois cents hommes des troupes de la Marine
et nomma à la direction le vicomte de La Bretonnière. Ces
travaux furent alors poussés avec une activité qui fait hon-
neur au patriotisme du Roi et de ses agents.
On tenait donc pour les caisses coniques, et la première
expérience en fut complétée, sans accident, en 1784, par
rimmersion, base à base, de quatre cônes. Le premier fut mis
en place, le 6 juin, sous les yeux de la France attentive; le
second, les 16 et 17 juillet suivants. La Bretonnière y prétait
sotii concours et commandait la manœuvre. Mais la dépense
déjà faite pour ce complément d'expérience épouvanta sur
les dépenses à venir, si l'on continuait à poser les cônes en
contact par la base. Gessart proposa donc de les espacer de
trente toises en trente toises, en les liant par des digues inter-
médiaires construites à pierres perdues. C'était en partie, mais
pas assez encore, revenir au système primitif de La Breton-
nière. Dès ce moment néanmoins la réussite parut assurée, et
l'on comptait que la première partie de la digue d'enceinte,
située à l'Est et composée de dix-huit à vingt cônes, serait
achevée dans les premiers mois de 1788. On pourrait dès lors
commencer déjà à recevoir quarante vaisseaux de ligne, en
fermant provisoirement, soit par des batteries flottantes, soit
par quelque ouvrage établi sur la Roche Tenare, l'espace
compris entre le Hommet et l'extrémité N.-O. de cette digue.
La beauté du résultat apparaissait évidente, et les acclama-
tions de la France entière ne pouvaient s'égaler qu'à l'en-
thousiasme de la Cour. Louis XVI, voulant se donner en
1786 une idée plus précise et plus vivante des travaux en
cours d'exécution, fit partir d'abord pour Cherbourg son
jeune frère, le comte d'Artois. Ce prince arrivait en rade le
27 mai ; et tandis qu'il voyait couler devant lui le huitième
cône avec succès, Louis XVI lui-même annonçait confiden-
tiellemcnt sa propre visite au duc de Harcourt. Une escadre
d'évolution de vingt-deux voiles > commandée par M. d'Albert
8.
116 CONSTRUCTION DE LA JETEE DE CilERDOURG.
de Rions, se préparait, qui allait bientôt manœuvrer sons les
yeux du Roi. Le 23 juin 1786, dès trois heiu*es du matin,
Louis XVI, arrivé la veille au soir, entrait dans les chantiers
de construction des cônes, puis, aux cris immenses de Vive
le Roi! il assistait à l'immersion du neuvième. Trois jours
durant, il visita tous les travaux, excita le zèle des travail-
leurs, descendit dans tous les détails de la grande œuvre de
son siècle. Le 29 juin, il était de retour à Versailles, le cœur
(jros encore des superbes spectacles dont il avait été le témoin
et l'auteur.
Il ne devait cependant pas être donné à son rèf^ne de voir
rachèvement de ce monument maritime. Et d'abord, la nature
travaillait sourdement à la destruction du bois des caisses, et
les tempêtes balayaient l'œuvre si coûteuse et si pénible de
quatre années. 11 fallut recourir au système de La Breton-
iiière pour réparer de si terribles échecs, et comme le dit
Dumouriez, deux ans après : «Avec les quarante millions
qu'on avait dépensés en six ans, pour ne faire qu'ébaucher
le projet de La Bretonnière et peut-être pour le (jâter, on
aurait porté à sa perfection celui de Vauban (l). » Mais l'on fit
mieux. Loin de se décourag[er, chacun reprit les travaux
avec une ardeur nouvelle.
Cette ardeur même, soutenue des élans de fierté de la
France lors du voyag;e du Roi donnant une consécration
éclatante au port de Cherbour^j, avait allumé les récrimina-
tions jalouses de l'Angleterre et les imprécations de Burke.
M Ne voyez-vous pas, s'écriait-il, la France à Cherbourg^ placer
sa marine en face de nos ports, s'y établir en violant la nature,
y lutter contre l'Océan, et disputer avec la Providence qui
av^it assigné des bornes à son empire? Les pyramides d'Egypte
s'affaissent, comparées à des travaux si prodigieux. Les con-
structions de Cherbourg sont telles qu'elles finiront par per-
mettre à la France d'étendre ses bras jusqu'à Portsmouth et
à Plymouth ; et nous, pauvres Troyens, nous admirons naïve-
ment cet autre cheval de bois qui prépare notre ruine. »
Voilà qui prouve que de si utiles travaux ne pouvaient
s'entreprendre qu'en un temps de désaccord avec nos jaloux
(f) Mémoires de DuxooiiiBZ, t. I, p. 360.
CORSTRUCTIOK DE LA JETEE DE CHEUllOlTRG. 117
voisins d^outrc-Manche; voilà qui fait ressortir la pensée si
politique de La Bretonnièrc, qui sVcriait sans cesse: a La
rade avant le port! Viennent des revers, les traités stipulent
le renversement des fortifications, la destruction des ports,
témoin Dunkerque. Mais les {]^rands travaux de digues de-
meurent, et la main envieuse de Tétranger ne saurait arra-
cher des entrailles de la mer les blocs qu'elles recèlent. »
La Bretonnière reprit sur nouveaux frais les travaux. On
rasa au niveau de la basse mer les cônes que n'avaient pas
emportés les tempêtes. Un seul resta, celui qui était le plus
à Test, pour indiquer le commencement de la passe. Le
12 février 1789, il avait croulé en ruines. Les désastres révo-
lutionnaires firent interrompre les travaux en 90. En 92,
l'Assemblée Législative eut quelque velléité de les reprendre,
et l'on dressa alors un mémoire des plus remarquables qui
compte dans l'histoire du port. En octobre 1802, le Premier
Consul les avait fait recommencer. En 1811, Napol(''on y
donnait la dernière main, et terminait victorieusement les
/iittes contre les ouragans. La Restauration couvrait la digue
d'un couronnement que le second Empire acheva. Ainsi se
forniinait, après soixante-dix ans d'efforts, de contrariétés et
de vicissitudes de tout genre, l'ouvrage le plus gigantesque
^les temps modernes (1).
(1) Il a paru eu 1833 et Tannée dernière, quatre volumes fort 8oi-
f^ticiiâcinent f;iit4, publiés à Cnen par M. Ilippeau, sous le titre de
^Gouvernement de Normandie au diX'Septième et au dix- huitième
^dècle. Le tome troisième est entièrement consacré à la guerre et à lu
*«iarine, et contient les plus précieux détails sur le port dr Cherbourg.
C^c livre est le dépouillement, fait par un homme instruit et de bon
«^^jtprit, de8 archives de la maison de Hnrcourt. En donnant les cor-
it~«;«p<iiiilance.<( de Tillustre Duc de ce nom, (jui fut gouverneur de
^^iormandie, et, à ce titre, a betiucoup contribué au pro{p"ès de la
^^igue de notre grand port, M. Hippeau a fait acte à la fois de savant
^lït de bon citoyen.
118 I/EMPEREUR JOSEPH II.
CCCCXXXII
L'EMPEREUR JOSEPH II
A SA SOEUR L'ARCHIDUCHESSE MARIE-CHRISTLNE (i).
Il apprend la nouvelle de la délivrance de Marie- Antoinette qui vient
de mettre au monde le second Dau[^in. — Voyage du Graud-Diie
et de la Graude-Duch&fsc de RuMÎe.
Ce 3 avril 1785.
Ma chère Sœur, l'attente d'une réponse hollandoise
m'a fait traîner jusqu'à aujourd'hui de vous répondre;
je vous rends mille grâces de vos chères lettres. Je
viens d'apprendre avec bien de la satisfaction la nou-
velle de l'heureuse délivrance de la Reine. Elle arrange
très-bien ses affaires ; elle se laisse du temps et fait des
garçons. Vous saurez déjà la visite que le Grand-Duc
aura pour le jeu de pont. Elle ne laissera pas que
d'être embarrassante. Adieu, ma chère Sœur, je suis
bien fâché que le mauvais temps vous ait donné du
rhume
Le culte des idées philosophiques dont la France était le
sanctuaire, et dont les encyclopédistes reconnaissaient Vol-.
taire pour le patriarche, avait détrôné en Europe la supré-
matie jadis ouinipotente du Saint-Siège. Le Maro-Âurèle de
Voltaire, le grand Frédéric, professait théoriquement la
religion nouvelle avec un profond dédain pour la religion
révélée ; mais il se serait bien gardé de persécuter cette der-
(i) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArcliiduc Albert
d'Autriche.
L'EMPEREUU JOSEPH II. U9
DÎère, ni quelque autre que ce fût : il y voyait trop bien un
instrument de police gouvernementale; mtiis son admirateur,
Joseph II , dépassant son modèle , avait marché impétueuse-
ment de la théorie à la pratique; et, sans partir des mêmes
principes que les niveleurs français du 80, il voulait impro-
viser chez ses peuples des réfomn^s mdicalos, imposer l'usage
de la laD(jue allemande à nies pays de races diverses, et
partout établir, eu dépit des ori(;ines, des U8a(;es, des pré-
ju/jés, une complète uniformité lé([ale et ré(;lemeiitaire. Sa
foi org^ueilleuse en lui-même avait été jusqu'à a{;^(jraver une
sentence prononcée par un tribunal ré(j[uli(T. (^'tte manie
des réformes dans laquelle Tavait jeté un amour mal
entendu du bien public et ]v iK'soiu de faire pailer de soi,
menaçait depuis lon(jtruips de lui devenir funeste. Il ])er-
sécutait de tracasseries le cler(;é et les couvents, et s'im-
Jnnisçait dans les choses les moins compatibles avec le pou-
voir civil. 11 portait coup sur coup des lois et rè{j;lements
<Jiangeant la discipline ecclésiastique , entrant dans le détail
des fêtes, du cérémonial intérieur, des processions. Frédéric
<*n était venu à l'appeler mon frère le sacristain. Une fer-
ftiieiitation sourde agitait les provinces Belgiques, blessées
cJans leurs libertés provinciales, municipales et ivligieuses,
c?t le réformateur n'en tenait compte. L'année* 1784 s'était
ouverte par l'insurr(X!tion des Valaques et la rupture de la
Hollande avec l'Autriche au sujet de l'ouverture de l'Escaut,
^{ue la première refusait dét(?rminément, et que la seconde
fM'étendait pouvoir exiger. La feruieture de ce Heuve avait
j>orté un grave préjudice au port d'Anvers en <lcl misant son
^•ommerce. Aussi la marine aiivcrsoise avait-elle tenté de
9^'af franchir de la défense, et, le 8 octobre 1784, le canon
■iudlandais avait accueilli un brigantiu de cette marine qui
descendait vers la mer, en violant l'E.scaut. Joseph II, qui
^*tait loin de s'attendn» à une si énergique résistance, était
l^urieux. Louis XVI s'était porté médiateur, et négociait.
Au mois de ftévrier 1785, on ne savait encore en France
mi l'on était en paix ou en guerre. L'Empereur avait accu-
mulé approvisionnements et munitions, et massé plus de
^'ingt mille hommes sur notre frontièi^e, par ])eur à la fois
<les États généraux de la France et de ses propres provinces
iJO MARIE-ANTOINETTE.
brabançonnes. Louis XVI avait dû, de son côté, établir m
cordon vigoureux à Maubeuçc et à Valencicnnes ; et la Loi
raine avait été mise en récjuisition pour conduire une quai
tité de caissons d'approvlsionnemeufs. La vigueur et la tenu
des Hollandais leur donnèrent (jain do cause. Il est vrai qu
le médiateur leur arracha, en faveur de rAutrichc, le foi
de Lillo, mais l'Ks(*aut n'en demeura pas moins fermé. L
Roi, pour faire cesser touttlésaccord, consentit à payer nn
partie de rindcninité réclamée par TAutriclie [traité d
10 novembre 1785], — concession généreuse et politiqn
qui lui conciliait une double amitié, et enlevait en mèm
temps à rAngleterro et à la Prusse leur influence sur le
Provinces-Unies. Mais les passions malveillantes qui com
mençaientà s'acharner contre Marie-Antoinette faussèrent 1
sens de cet acte de la sa(>^e politi(|ue de Louis XVI et d
Ver(jennes, lui en firent un crime, et prirent de là occasio
de l'accuser de livrer à son fn;re les trésors de la France.
(Voir au premier volume la lettre de Louis XVI en dal
du 2G octobre 1784.)
CCCCXXXIII
MARIE-AXTOINETTE AU DUC DE CHOISEUL (1).
Naidsaucc du «cc('>iid Dauphin.
Versailles, ce 15 avril [1785].
J'ai appris. Monsieur, par Madame de Tourzel , 1
part que vous avez prise à l'allégresse publique su
l'heureux événement qui vient de donner à la Franc
un héritier de la couronne. Je remercie Dieu de 1
(1) Aut(){;raplic. — ColL'rriou de M. le docreur Sprague ù Alban)
Etats-Unis d* Amérique.
I/ARCIIIDUCHESSE MARIE-CHRISTINE. Ul
{fràce qu'il m'a faite d'avoir comblé mes vœux, et me
flatte de l'espoir que, s'il daig[ne nous conserver ce
cher enfant, il fera un jour la {gloire et les délices de
ce bon peuple. J'ai été sensible aux sentiments que
vous avez exprimés dans cette circonstance, ils m'ont
rappelé avec plaisir ceux que vous m'avez autrefois
inspirés chez ma mère, vous assurant. Monsieur le
Duc, que, depuis ce moment, ils n'ont pas cessé d'être
les mêmes pour vous, et que personne n'a le plus vif
désir de vous en convaincre que
Marie-Antoinette.
CCCCXXXIV
l/ARCHIDUCIIESSE MARIE-CHRISTINE, DUCHESSE
DE SAXE-TESCHEN,
A LA PRINCESSE ÉLÉO^ORE DE LIECHTENSTKIX (1).
jc\ffalre du Collier, qui livre la Reîiin do France en butte aux traits
méchants do la famille Souhise et Rolian.
Le 24 août 1785.
Vous aurez été bien étonnée de la terrible histoire
du cardinal de Ilohan. Il a enfui mis le comble h ses
mauvaises qualités et actions. Mais je prévois qu'il n'en
sera pas puni : l'intrigue et la cabale le sauveront. Le
(!) Minntc existant anv Arcliivei* de Son Altesse Impériale et
Royal»' l'Arcliiduc Albert d'AntricIie, juibliée par M. Adam Woll"
danj» son ffisUtire Je C Archiduchesse Marie^Christine y t. Il, p. 247.
m L'ARCHIDITGIIESSE MARIE-CHRISTINE.
fait est celui-ci : qu'il a pris, do concert avec une ma-
dameLa Mothe, grande intrigante, chez le joaillier Boeh-
mer, un collier de diamants de quinze cent mille livres.
Cet honuue, qui connoissoit le cardinal, ne voulut
point lui donner, ni à cette dame, le collier; mais
celui-ci prétexta en être commission né secrètement de
la Reine, lui enjoignant le secret. Il lui donna une
quittance signée de : Antoinette de France, imitant
récriture de la Reine, lui promettant ]>ayement en
quatre ou six termes. Le premier terme est déchu (1);
le joaillier demande son argent du cardinal qui, mal-
gré la vente du collier, n'en ayant pas, ne lui paya,
au nom de la Reine, (]ue soixante mille livres au lieu
de quatre cent mille, que d(»voit faire le premier tri-
mestre. Ce joaillier, qui va très-souvent chez la Roine,
demanda le payement de la Reine. Kllc étoit surjïrise
en voyant sa quittance, va tout de suite chez le Roi et
le lui dit. Ce fut le 15 août que, venjint en rochet et
camail à la cour, pour chercher comme grand aumô-
nier le Roi à l'église, celui-ci lui présenta ce faux
billet et l'interrogea, à quoi il ne peut répondre.
Il est arrêté. Je suppose qu'on palliera encore tout
cela , et qu'il n'en sera point fait justice. Mais si
toutes ces circ^onstances se vérifient et qu'on ne pende
pas Son Éminence, je ne sais qui dorénavant le pourra
être en France. Pour la Reine, je la plains d'être tou-
jours en butte à tous ces traits d'impertinence et de
mauvaise volonté de cette nation , et surtout de cette
famille Soubise etRolian. Adieu.
(1) Échu, pas^.
MARIE-ANTOINETTE. 123
ccccxxxv
» 9
MARÏE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HEREDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Réponse aux coniplimcnt.s sur In naissance du second Dauphin.
Ce 19 mai 1785.
Rien ne pouvoit augpmenter ma joie, ma chère Prin-
cesse, que l'assurance que vous me donnez de partager
mon bonheur sur ia naissance de mou fils (2) : il se
porte à merveille, ainsi que moi. J'ai tant de lettres à
répondre dans ce moment-ci, que, comptant sur votre
amitié, je me borne à vous renouveler, ma chère Prin-
cesse, les tendres assurances de la mienne.
(1) Arcliives de Son Altesse Rovah; le (îrand-Duc de Hesse.
(2) C'est le duc de Normandie, dont la Reine élait accouchée le
marâ 1785.
m MARIE-ANTOINETTE.
CCCCXXXVI
MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE MERCY-ARGENTEAU(l).
Elle est chargée de remettre a rambassadeiir, de la part de TEmpereury
le grand collier de Saint-Etienne.
Ce 9 octobre [1785].
Je reçois clans Tinstant, Monsieur, les lettres et le
]>aquet qui vient de Vienne. Mon frère a juyé de mon
cœur par le sien , en me chargeant de vous remettre
de sa part le yrand collier de Saint-Etienne. Je lui en
sais gré, quoique je sache bien que ces vains honneurs
ne font pas {jrand'chose sur vous ni ne peuvent jamais
compenser tout ce que nous vous devons dans cette
occasion, et moi en particulier. Vous m'avez toujours
montré tant d'attachement pour moi que vous ne devez
pas douter. Monsieur, de la sincérité de mes senti-
ments pour vous.
A votre arrivée à Fontainebleau, nous déciderons
ensemble le départ du courrier.
Marie-Antoinette.
(1) ArchivcA impériales d'Autrirlie.
L'année de la nomination, et {Kir conséquent le millésime de la
lettre, est établie par un livi'e in-folio public Tannée dernière k
Vienne et qui est intitulé : Memoria insi^nis Ordinis S. Stephani
Hung, Regix Apost. Secularix, Vindobona;. Typis status procasa.
M. I). CGC. LXIV. Voir page 72 de re livre, l'article du comte de
Mercv.
MARIE-ANTOINETTE. iî5
CCCCXXXVII
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (i).
Fête de la Reine. — Elle va bicntAt jouir de la société de la PrînceM»e
palatine.
Ce 29 novembre [1785].
Vous êtes bien aimable, ma chère Princesse, d'avoir
pensé à moi pour ma naissance. Je vais bientôt voir
la Princesse palatine (2). J*aurai un grand plaisir de
causer avec elle de vous et de tout ce qui vous inté-
resse. Il faut bien (|ue je me dédomma;;e par là du peu
d'espoir que vous me donnez de vous revoir jamais.
Vous connoissez assez ma tendre amitié pour ne pas
douter du plaisir sincère que j'aurois de pouvoir vous
embrasser et vous renouveler de vive voix , ma chère
Princesse, tous les sentiments que mon cœur vous a
voués depuis longtemps et pour la vie.
Chargez-vous, je vous prie, de tous mes compli-
ments pour le Prince Héréditaire et Madame votre
mère.
(i) Art*hive< de Son AltCi^se lloyale le (rraiid-Diic de HcHse-
Darmstadt.
(î) Marie-Wilhelminc-i^M^riivftf , sœur de la princesse Louise, uia-
Hée au Prince palatin Max, le 30 septembre [irécédcnt.
126 MARIE-ANTOINETTE.
GGCGXXXVIII
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Mort de la princesse Charlotte de Hesse-Darmstadt , mariée ea
Mcckienbour};.
Ce 18 janvier 1786.
J'ai été bien touchée, Madame, de votre lettre, et
personne ne partage plus sincèrement vos peines. Vous
connoissiez Tamitié qui m'attachoit à la Princesse
Charlotte, et vous devez juger par là combien sa perte
m'a affligée. Le pressentiment affreux qu'elle a tou-
jours eu, et dont elle me parloit encoi^ dans ses
dernières lettres, a augmenté mon saisissement à la
nouvelle de sa mort (2) .
Vous m'avez toujours montré de l'amitié, Madame,
mais à présent j'espère que vous voudrez bien l'aug-
menter pour remplacer en même temps l'amie que j'ai
perdue. Pour mon cœur, il n'y a rien à faire, vous
savez que depuis longtemps il vous est tendrement et
entièrement attaché.
J'espère que M. le prince Georges s'est acquitté de
ma commission pour vous; voulez- vous bien lui faire
mes compliments, ainsi qu'à M. le Prince Héréditaire?
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Hesse.
(2) La princesse Charlotte, qui avait épousé son heau-frère, était
morte le 12 décembre 1785, à Hanovre.
M A RIE- ANTOINETTE. 127
CGCCXXXIX
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (i).
J^a Heine avait donne sou portrait à la princesse Charlotte : elle
prie la princesse Louise de lui faire connaître quel a été le sort de
ce portrait.
Ce 22 février 178(5.
Vous ne devez pas être étonnée, ma chère Prin-
cesse, qu'après la perte que tous avez faite et que j'ai
partagée si vivement, je désire savoir plus souvent de
>'os nouvelles et de celles de tous les vôtres.
La pauvre princesse Charlotte avoit un portrait de
jnoi, pareil au vôtre ; ce sont les plus ressemblants qui
^ieut été faits : je désirerois bien le ravoir, ou au moins
.savoir entre les mains de qui il a passé.
Vous aurez sûrement entendu parler de ma grossesse ;
<|uoiqu'elle ait été longtemps douteuse , je crains bien
•à présent qu'elle ne soit tout à fait certaine ; ma santé
est d'ailleurs fort bonne. Mes compliments au Prince
Héréditaire et k tous vos parents ; pour vous, ma chère
Princesse , vous ne devez jamais douter de la tendre
amitié avec laquelle je vous embrasse de tout mon
cœur.
Voulea&-vous bien dire à M. le prince Georges de ma
|>art que malgré les bruits d'une promotion prochaine
elle me paroit encore éloignée; et que je n'oubUerai pas
ses intérêts.
(1) Archires de Son Altesse Royale le Grand^Due de Hcsse.
iî8 M A RIE- ANTOINETTE.
CCCGXL
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE FIÉRÉDITAIRE
DE IIESSE-DARMSTADT(l).
Elle destine à la princesse Auguste son portrait qu^elle avait donné
à la fciie princesse Charlotte.
Ce 23 mai-s 1786.
Votre lettre, ma chère Princesse, in*a bien retracé
l'honnêteté, la sensibilité de votre âme et votre amitié
pour moi. Ma grossesse continue très-heureusement ; je
compte accoucher à la mi-juillet, et les petites souffrances
n'altèrent point du tout ma santé (2).
J 'a vois toujours compté qu'on m'instruiroit de ce
qu'étoit devenu le portrait que j'avois eu tant de plai-
sir à donner à la malheureuse princesse Charlotte. Dès
le moment de sa perte, je l'avois destiné à madame la
princesse Auguste , qui me l'avoit demandé plusieurs
fois pendant son séjour ici. Comme elle est présente-
ment avec vous, voulez-vous bien le lui offrir de ma
part? Quoique je ne sois plus jeune, M. le prince Georges
l'est beaucoup trop pour avoir mon portrait en minia-
ture. Je ne lui réponds pas. Faites-lui bien mes com-
pliments ainsi qu'à M. le Prince Héréditaire. Pourvous,
ma chère Princesse, nedoutezjamaisde la tendre amitié
avec laquelle je vous embrasse de tout mon cœur. Je
vous envoie cette lettre pour la remettre avec le portrait.
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Hcste.
(2) Lia Reine était grosse de sa seconde fille, qui mourut en bas âge.
L'EMPEREUR JOSEPH II. lîO
CCCCXLI
I. EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MAllIE-CHRTSTINE (1).
•NJarie- Antoinette a invité sa sœur à venir en France. — L*Empercar
trace à cette deniiùrc qiicifjucs règles générales de conduite dans
cette circonji tance.
Ce 13 juin 178C.
Très-chère Sœur, je viens de recevoir votre clière
lettre, et je vous renvoie ici celle que vous m'aviez
onvoyée de la Reine. Je trouve très-convenable son
î nvitation et que vous Tacceptiez. Il y a longtemps que
c:ette visite auroit pu être désirde de sa part. Je ne puis,
ovec la meilleure volonté du monde certainement, vous
<donner d'autre conseil que d'être conséquente et de ne
^'ous pas laisser détourner en aucune façon du système
<^ue vous aurez pris. C'est la plus sûre méthode de
ix^ussir avec des François , parce que s'ils voient
ckhouer leurs sollicitations et manœuvi'es, ils croient
trouver une grande énergie dans leur caractère. La
^eine et le comte de Mercy pourront amplement vous
Caire observer les objets divers que Paris et ses envi-
rons présentent. Quant au reste, je suis bien tranquille.
Lasciafare Marc Antonio est un vieux proverbe italien
<]ui se vérifiera toutes et <juantes fois il y aura entre
Aos mains une besogne. Je pars après-demain pour
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale rArchiduc Albert
«l'Autriche.
TOME m. 9
130 VISITE DE MAHIE-CHRISTINE A LA REIiNE.
mes camps, et je vous embrasse, de même que le Prince,
de tout mon cœur. Croyez-moi pour la vie votre.
Enfin, deux ans après le voyage en France du Grand-Duc
et de la Grande-Duchesse de Russie, Marie-Christine accom-
plit à Versailles , avec son mari, cette excursion tant désirée,
et tous deux furent reçus avec une parf-aite cordialité par le
Roi et la Reine de France.
La baronne d'Oberkirch, qui avait accompa(jné dans les
Pays-Bas autrichiens le Comte et la Comtesse du Nord, parle
dans ses Mémoires du Duc et de la Duchesse, « sœur, dit-elle,
de l'empereur Joseph II , et par conséquent de notre bien-
aîmée reine Marie-Antoinette, qui la chérit tendrement et
dont elle est tendrement chérie. Cette Princesse (que la
baronne vit alors) avait quarante ans. Le Duc, son mari,
était lui peu plus à{jé qu'elle. Il avait pour ministre le prince
de Stahremberg-, ministre d'Etat de l'Empereur, et qui avait
été ambassadeur impérial en France, homme d'esprit, fin
diplomate et fin courtisan. La Princesse était contrefahe, et
n'en avait que plus de piquant et de piqué (1). » Et de fait,
c'était une personne aimable et d'intéressante figure, d'esprit
discret et distingué, et dont Marie-Thérèse avait soigné Fédu-
cation avec plus de sollicitude qu'elle n^'avait soigné celle de
Marie-Antoinette. Elle avait un goût inné pour les arts du
dessin qu'elle cultivait avec grâce, ot l'on a d'elle une suite
de compositions pour Don Quichotte qui dénote de l'esprit
et de l'imagination. Quant au duc de Saxe-Teschen , qui
aimait tout ce qu'aimait sa femme, il avait fondé à grands
frais et en vrai connaisseur une vaste bibliothèque et wne
magnifique collection de dessins, de portraits et d'estampes
de tout genre qui passa à l'Archiduc Charles d'Autriche, puis
à son fils, l'Archiduc Albert, et qui est réputée avec raison
pour un des quatre plus riches cabinets chalcograpbiques de
l'Europe.
(1) Mémoires de la baronne d'0))erkircli . t. I*"", p. 349.
VISITE DE MARIE- CHRISTINE A LA REINE. 131
Les Mémoires manuscrits inédits du duc de Saxe-Teschcn,
dont Toriginal, divisé en quatre volumes in-folio, est déposé
aux Archives de l'Archiduc Albert d'Autriche, et dont une
copie existe dans la Bibliothèque particulière du Roi de Saxe,
fdumissent sur ce voyage quelques informations particulières
qne j'ai relevées, et que je vais reproduire textuellement (1).
Le Duc et la Duchesse, partis de Bruxelles le 26 juillet 1786,
étaient accompa(]fnés du comte et de la comtesse d'Arberg
(alors dame du palais de T Archiduchesse , et la môme qui,
dans la suite, est entrée en pareille qualité à la cour de
l'Impératrice Joséphine de France); du [général Rempelen
et de l'aide de camp du Duc, baron de Seckendorff.
a En arrivant à Ermenonville, dit le Prince, nous
eûmes la visite inattendue et désagréablement bruyante
des poissardes de Versailles et de Paris, qui étoient
venues jusque-là à notre rencontre pour nous escroquer
quelques loùis par leurs compliments sur notre arrivée
(page 100, troisième carton).
» A Paris, nous vînmes descendre à l'hôtel du Grand
Conseil, rue des Filles Saint-Thomas. Là, nouvelle
visite des poissardes et femmes du peuple, connues
sous le nom de Dames de la halle, qui nous régalèrent
de leurs chansons grivoises.
(i) Deux de ces volumes, sauvés du naufrage qu*éprouva Tuu des
vaisseaux qui emportaient les trésors de littérature et d'art du duc de
Saxe-Tescken fuyant devant l'invasion française , portent encore les
traces de l'eau de mer dont ils avaient été baignés. Les deux autres,
perdus alors, ont été recopiés sur la copie de Dresde.
le me plais à saisir cette occasion d'offrir tous mes remerciements
au conservateur du cabinet de Son Altesse Impériale rArchidoc
Albert, M. Miiller, dont la complaisante et inépuisable courtoisie et
l'éradition variée m*oBt été si utiles dans mes recherches aux archives
du Prince.
9.
132 VISITE DE MARIE-CHRISTIINE A LA REINE.
» Arrivés au palais de Versailles, où nous descen-
dîmes du côté de l'escalier des Princes, je ne fus pas
peu frappé de la saleté que j'y rencontrai à chaque
pas, et je ne le fus pas moins des petites boutiques de
marchandises étalées sur les paliers et sur le haut de
l'escalier, qui avoit l'air d'une friperie, et où l'on ven-
doit, entre autres choses, tous les livres défendus.
» On nous introduisit d*abord chez la Reine, qui
alors setrouvoit encore dans ses semaines de couches.
» Comme elle étoit beaucoup plus jeune que mon
épouse, qu'elle n'avoit guère été à même de connoitre
cette sœur avant son départ de Vienne, et qu'il y avoit
eu des gens qui avant celui-là avoient donné des idées
défavorables de celle-là, dont elle n'étoit revenue que
dans les derniers temps, mon épouse fut d'autant plus
charmée de ce que cette entrevue la mit à même d'af-
fermir les sentiments qu'elle avoit adoptés du depuis
pour elle, et de la convaincre de la fausseté des rap-
ports qu'on lui avoit faits sur son compte.
» Elle fut dans le cas de se convaincre de son côté,
ainsi que moi, de la vérité de ce qu'on nous avoit dit
sur l'amabilité de la Reine et sur les agréments de sa
conversation, qu'elle poussoit même parfois, à mon
avis, au delà du point qui convenoit au caractère élevé
dont elle étoit revêtue.
» Nous eûmes occasion de nous convaincre par la
suite aussi que les sentiments estimables de la Reine
répondoient à la beauté de son extérieur, et qu'ils
auroient dû la mettre à l'abri des reproches que la
malveillance, excitée déjà dans ce temps-là contre elle
par les menées d'un parti qui par la suite a mis tout le
VISITE DE MARIE-CHRISTINE A LA REINE. 133
royaume en combustion, a fait faire sur sa conduite,
dans laquelle cependant on pouvoit trouver tout au
plus des traits de légèreté provenant de la bonté et de
la tranquillité que lui inspiroit la pureté de ses prin-
cipes, bien éloignés de ceux qu'on lui prêtoit, et bien
contraires aux démarches qu*on lui imputoit d'avoir
faites dans la fameuse et vilaine affaire du collier, agitée
peu de temps avant notre arrivée à Paris.
» Nous avions déjà passé près d'une heure dans sa
chambre lorsque leUoi y entra.
» Il avoit été arrêté jusque-là chez lui par une
audience donnée aux membres du Parlement de Bor-
deaux, qui avoient été appelés de là en cour.
» Quoique l'extérieur du Roi n'avoit rien de distin-
gué et que sa carrure et ses traits forts et rembrunis
tenoient à ceux d'un gros forgeur, on découvroit d'un
autre côté bientôt dans sa conversation le caractère de
droiture et de bonté qui auroit toujours dii rendre sa
personne chère et sacrée à ses peuples, et il y trans-
piroit même un fonds d'instruction et d'esprit qui,
n'étant déployé que dans les occasions où il se trou-
voit tout à fait à son aise, étoit inconnu à tous ceux
(fax n'avoient pas l'occasion de le connoître bien par-
ticulièrement.
» Cette première entrevue dura jusqu'à dix heures
du soir, où nous allâmes passer la nuit dans une
auberge de la ville de Versailles peu distante du
château.
» Nous passâmes ensuite la plus grande partie de la
journée suivante en cet endroit, où, après avoir eu le
Oiatin la visite de l'abbé de Vermond que nous avions
134 VISITE DE MARIE- CHRISTINE A LA REINE.
connu à Vienne, et celle du Comte d'Artois, nous nous
rendîmes à midi au château, chez la Reine.
» CelleK!i noQs y fit voir ses enfants, et nous retint à
dîner dans sa chambre, où nous fumes seuls avec elle
et le Roi.
» L'après-midi fut remplie par les visites que nous
allâmes faire aux autres personnes de la famille royale
établies à Versailles, qui étoient alors Monsieur et
Madame, ou le Comte et la Comtesse de Provence; mon-
sieur et madame Comte et Comtesse d'Artois, chez les-
quels nous vîmes aussi leiu^sdeux fils, le duc d'Angou-
léme et le duc de Bcrry ; enfin Madame Elisabeth, sceor
du ïloi. Et après que madame d'Arberg eut été pré-
sentée par mon épouse au Roi et à la Reine dans le petit
cabinet de celle-ci, nous retournâmes à Paris, où je
devois aller chez l'ambassadeur de l'Empereur, qui, ce
jour-là, avoit chez lui ime assemblée d'ambassadeurs.
Je rejoignis de là mon épouse au Théâtre-François, où
elle étoit allée en attendant, et où on donnoit ce jour-
là une tragédie assez mal rendue par les doubles de la
troupe des comédiens ordinaires. »
« A l'exception des moments donnés aux visites de
convenance, dans lesquelles nous ne fûmes cependant
reçus que chez la duchesse d'Orléans et madame de La
Vallière, d'un petit dîner chez mon frère (1 ) , d'une couple
(1) François-Xavier, comte de Lusace, frère naturel du Dve et
Saxe-Teschen. Il était lieutenant-général au service de France, et fat
adminiittratcMir de la Couronne de Saxe pendant la minorité du Roi Fré*
déric-Aupiisto, depuis Fami de Napoléon I**". M. de Lusace avait k
Pont-snr-Seine une terre où il habitait, et bien qu*oncle du Roi, il ut
VISITE DE MARIE-CHRISTINE A LA REINE. 135
de soupers chez la princesse de Conty, de la muisoa
d'Esté (1), où se trouvoit un rassemblage de toutes les
vieilles maréchales et autres personnes de l'ancienne
cour, et d'un souper précédé d'une petite fête et opéra-
comique que le vieux maréclial duc de Richelieu nous
donna dans son hôtel, nous avons employé tout le reste
du temps à courir la ville pour y voir ce qu'il y avoit de
phis remarquable et assister aux spectacles divers qui
s'y donnoient sur ses théâtres.
>» La duchesse d'Orléans, princesse respectable, qui
étoit indi^>osée alors, portoit sur elle l'empreinte de la
bonté et de la douceur qui lui avoient acquis une affec-
tion générale dans ce pays-là. Il n'en étoit pas de même
du duc, que je n'ai pu connoître que de vue, mais dont
jouissait d'aucune distinction à la cour de Versailles, et celles qu'on
accordait à son frère le Duc de Saxe-Teschen, dans son vovage, faisaient
un tel contraste, que ce dernier prince souffrait de la différence du
rôle qu'il voyait jouer à son aîné. Il avait épouse la comtesse Spinuzzi,
dame de la cour de Saxe, et mourut en 1806.
(1) Louis-François-Joseph de Bourbon, prince de Conti, colonel
général du régiment de Conti, gouverneur du Haut et Bas-Rhin, né
le !«' septembre 1734, mort en Espagne en 1807, avait épousé, en 1759,
Fortunée-Marie d'Esté, fille du duc de Modène, qui no lui donna
point de postérité, et en lui s'est éteinte la branche de Bourbon-Conti.
Il resta pourtant de ce Prince deux enfants naturels «pie le roi
Louis XVIII a reconnus; mais il refusa la même faveur à un troisième
fils natnrel de ce Prince, l'aimable et infortuné chevalier Charles de
Pougens, rendu aveugle à l'âge de vingt-fjuatre ans par la petite vérole :
homme curieux par la variété de ses connaissances, poète, antiquaire,
imprimeur et libraire, dont toute la vie fut une longue lutte contre la
pauvreté. Si Louis XVIII, dont il était connu et qui ne l'aimait point,
ne voulut jamais venir à son secours, l'Institut lui fut plus favorable
et lui ouvrit ses portes, et la duchesse de Créquy, cette femme si viri-
lement spirituelle qui mettait tant de discernement dans ses amitiés,
adoucit les tristesses de ses derniers jours.
136 VISITE DE MARIE-CHRISTINE A LA REIISE.
la face bourgeonnée (1) et le regard féroce et hagard qui
détruisoient tout le brillant de sa figure avantageuse,
dénotoient visiblement son abandon à la crapule et le
caractère vicieux qui Ta entraîné en tant de démarches
coupables.
» Madame de La Vallière, vieille dame chez laquelle
il se rassembloit d'ordinaire une société choisie, res-
sembloit, au reste, dans son extérieur et son accoutre-
ment, à celles du siècle de Louis XIV, représentées
dans les anciens portraits (2) .
» Quant au duc de Richelieu, doyen des maréchaux,
de France, qui par ses galanteries avoit fait parler
bien plus encore de lui que par ses faits militaires, il
avoit conservé jusque dans ce temps-là, à un âge de
passé les quatre-vingt-dix ans, et malgré les excès
de jouissance auxquels il s'étoit toujours livré, toute
la vivacité d'esprit et une amabilité qu'il porta jus-
(1) « Son teinpcrninniit l'ompôclic de roiijjir, » disait Rivarol.
(2) Celte duchesse, qui avait été d'abord duchesse de Vaujour.^,
était une Crussol, et le duc dont elle était veuve était le fameux
bibliophile, que trop d'attentiou exclusive pour ses livres avait em-
pêché de remarquor les assiduités du duc de Richelieu auprès de la
duihcssc.
« Vous ave/ de bien beaux livres, dis;ût-cllc un jour à son mari,
mais que M. le duc de Richelieu porte mieux que vous son épéc! ^
Madame la Duchesse, répondit M. de Vaujours, tous ne pouviez remar-
quer avec plus de grâce qu'il y a six mois que nous sommes mariés. ■
Madame de ha Vallière, j>elile-niècc par ce mariage de l'illustre et
touchante S'xur Louise d&la Miséricorde, avait été d'une beauté vrai-
ment exquise et gardait encore le plus grand air. Les charmes de sa
personne, de son esprit ouvert à toute bonne pensée, attiraient autour
d'elle un cei-cle de femmes aimables et éclairées, d'esprits brillants,
et le salon où elle ivgnait était un des plus distingués dans ce siècle
des salons.
VISITE DE MARIE-CHRISTINE A LA REINE. 137
qu'à sa mort, arrivée deux ans après notre séjour à
Paris (1).
« Quoique nous ayons passé , durant les séjours que
nous avons faits à Versailles, les journées tout entières
il la Cour, et qu'on nous y eût arrangé un appartement
de pied-à-terre, nous allions cependant passer toutes
les nuits à l'auberge en cette ville; mais nous n'y res-
tions le matin que jusqu'à l'heure du déjeuner de la
Reine, où ses porteurs de chaises venoient nous cher-
cher, et où mal gré, bon gré, il fallut s'y laisser transpor-
ter dans ces cages ambulantes.
» Je me rendois parfois <*hez elle au lever du Roi,
qui se tenoit toujours avec les cérémonies usitées, et où
les cavaliers de notre suite lui furent présentés par
l'ambassadeur de l'Empereur. Nous dînions ensuite
toujours seuls avec le Roi et avec la Reine.
» Les après-dînées se passoient en visites ou en pro-
menades ou bien chez la duchesse de Polignac. C'est
chez cette clame, favoritede la Reine, que celle-ci avoit
coutume de faire une partie de quinze, dont étoit aussi
le comte d'Artois. La société ordinaire y étoit, outre la
dame du logis , le duc , son mari , la comtesse Diane
de Polignac, le duc de Coigny, le comte d'Avaray,
MM. de Crussol et de Vaudreuil.
» Le soir, la Reine nous menoit le plus souvent au
théâtre de la ville, ou bien elle faisoit jouer par les
meilleurs acteurs de ceux de Paris des proverbes, des
petites pièces de parade et des comédies dans le salon
(1) Ne le 13 mni'H 1690, le ninrtVlial duc de Rieliclieii mourut
le 8 août 1788.
138 VISITE DE MARIE-CHRISTINE A LA REINE.
de la Paix, attenant a sa chambre, où j'ai vu jouer entre
autres le fameux Préville, qui , depuis quelque temps,
avoit déjà quitté le théâtre.
M La journée se terminoit enfin d'ordinaire chez Mar
dame , où les différents ména^jes de la famille venoient
y porter leur souper, et où on restoit assemblé jusqu'à
ce que le sommeil s'emparant des convives mettoit fin
à la conversation.
» La Reine nous conduisit à la fameuse abbaye de
Saint-Cyr, fondation établie par madame de Mainte*
non pour l'éducation de jeunes demoiselles et filles
d'officiers, où Madame Elisabeth, sœur du Roi, si res-
pectable par ses vertus et sa piété sans fard , vint nous
joindre également. »
Le Duc et la Duchesse dînèrent une fois avec la Reine
chez Mesdames, au château de Bellevue; et après avoir
fait une visite à Madame Louise, au couvent de Saint-Denis,
ils allèrent un jour à Saint-Ouen chez madame Necker et s'y
rencontrèrent avec madame de Staël.
Le Duc de Saxe-Teschen ajoute dans ses Mémoires (troi-
sième volume) :
« Nous assistâmes , pendant notre séjour à la Cour»
à deux cérémonies intéressantes.
» L'une fut celle des relevailles de la Reine , où cette
princesse devoit se tenir couchée sur son lit de repos
pour voii; passer une à une, à travers sa chambre,
toutes les dames en robe de cour et (jrand panier qui
venoient lui faire trois révérences.
y L'autre, celle de la fête de Saint-Louis. Après les
VISITE DE MÂRIË-GHRISTINE A LA RËINK. 139
cérémonies, nous allâmes dans la chambre à coucher de
la Reine ponr voir le dîner public qu'elle prenoit avec
le Roi, que je fus fort étonné de voir tenir en grande
cérémonie dans ce même salon attenant à ladite
chambre, dans lequel Ton plaçoit, pendant les couches
de la Reine, les lits de ses femmes de service. Nous
dînâmes, à la suite décela, en particulier avec la Reine,
et employàaies Taprès-dinée à faire nos visites de congé
auprès de toute la famille royale établie à Versailles,
ainsi que chez Mesdames, tantes du Roi, qui y étoient
venues ce jour-là.
» Le jour suivant, nous dînâmes encore avec le
Roi et la Reine et revînmes ensuite à Paris, où nous
reçûmes, de la part du Roi, des présents en porcelaines,
estampes, tentures de haute lisse et tapis de la Savon-
nerie d'un grand prix ; et, après avoir fait encore , le
matin du 28 , une course à Versailles pour y déjeuner
avec la Reine, nous restâmes le reste de cette journée
clans la capitale, où nous allâmes prendre congé de
rnon frère (1). »
Le Dnc termine le récit de son voyage en France par la
'Urade qui suit :
a Nous avions vu Paris, ce séjour des plaisirs et des
inconséquences. Nous l'avions examiné et parcouru
^ssez, dans le peu de temps que nous y avions passé,
(i) Le dac et In duchesse de Saxe-Te.schen n'imitèrent pas Joseph II,
^n moment de leur départ : ils firent à toutes les personnes qui avaient
«u rhonneur de les ajiprochcr ou de les servir de nombreuses largewes^
dont on trouvera la liste à V Appendice.
140 L'EMPEREUR JOSEPH II.
pour prendre quelque idée de la façon de vivre et d'agir
de ses habitants ; pour y admirer d'un côté, dans les
édifices publics , une noblesse et magnificence dignes
des beaux temps de Rome, et pour reconnoître, d'un
autre, dans l'état incomplet, ou même de décadence et
de ruine dans lequel la plupart se trouvoient , la légè-
reté du caractère national , les vues particulières de ceux
qui avoient eu successivement part à la construction de
l'une ou de l'autre, et le dérangement des finances qui
n'avoit jamais permis d'achever ou d'entretenir des
plans aussi grandement conçus ; pour y voir enfin tout
ce que le goût et le luxe, nourri par l'opulence, peu-
vent produire de plus beau et de plus recherché dans
ce gouffre où toutes les fortunes de la nation sembloient
devoir se précipiter. »
CCCCXLII
L'EMPEREUR JOSEPH H A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
H répond aux confidences que lui a faiteâ Marie-Chrisdne touchant la
Cour de France, et approuve son opinion sur Marie-Antoinette, dont
il a compris a demi-mots le portrait. Il la trouve trop francisée.
Laxeni bourg, le 31 août 1786.
Ma chère Sœur, au moment presque de mon départ
pour la Moravie, arrive le courrier avec votre chère
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'Archiduc Albrrt
d'Autriche.
MARIE-ANTOINETTE. I4i
lettre de Paris. Je vous en baise tendrement les mains.
Je crois que vous avez parfaitement bien vu et appré-
cié ce pays, et j'entends les demi-mots, puisque ci
conosciamo comme si vous aviez tout dit. Je suis
charmé que la Reine et ses enfants se portent bien;
mais elle est un peu francisée, et du bon pros Alle-
mand il n'y a plus que la figure. Vous faites très-bien
d'aller voir les bords de la Loire et les ports. Vous en
serez contente. Pour moi, j'ai dissipé mon rhumatisme
à force de le faire courir. Votre intérêt charmant m'a
infiniment obUgé. Aujourd'hui, nous avons la dernière
manœuvre, et demain je pars pour la Moravie. J'au-
rai donc été à peu près une demi-journée à Vienne.
Adieu.
CCCCXLIII
9 0
ARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HEREDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (i).
Accouchement de la Reine et de la Princesse palatine.
Compliments.
[23 septembre 1786].
J'aurois répondu sûrement plus tôt, Madame, à
'^'^os deux aimables lettres, mais je ne les ai reçues toutes
^leux ensemble que depuis huit jours.
(1) ArchÎTCA de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Hesse.
142 MARIE-ANTOINETTE.
L'intérêt que vous me marquez sur mon acooucbe-
ment (1) ne peut qne me faire plaisir, me donnant
une preuve de votre amitié. J*ai bien partagé votre
joie sur la naissance du fils de la Piîncesse palatine.
Madame votre mère a bien voulu me la mander tout
de suite (2).
J'espère que votre santé est entièrement remise; ia
mienne revient bien, aux forces près, que je ne peux
pas encore retrouva*.
Adieu, Madame, vous connoissez U tesdre et sin-
cère amitié que je vous ai vouée pour la vie.
Voulez-vous bien faire mes contpliments an Prince
Héréditaire et à monsieur votre père?
(i) La Reine était accouchée da sa seconde fille, née le 9 juillet
1786, morte l*annce suivante.
(2) 11 s'a{»it de la naissance du prince Aoui.ç-Cliarles- Auguste, qui
vint au monde le 25 août 1786. C'est celui qui fut Roi de Bavière,
abdiqua en faveur de son fils Maximilieu, et fut père du Roi de U
Grèce Othon. U vit encore.
MADAME ELISABETH. 143
CCCCXLIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES,
ALORS AMBASSADRICE EN PORTrCAL.
Humilité religieuse. — Discours de l'abbé xVsselin sur la nécessité de
»c sanctitier. — Elle est reprise de zèle [^our i*étudo de la chimie.
— Eloge de madame de Bonibeliex. — Elle est à Montreuil avec
madame de Raigccourt. — Madame d'Albert. — Madame du Chas*
telet. La duchesse de Duras. — Conseils.
Ce 27 novembre 1786.
•
Tu vois que je t*obéis , mon enfant , car me voilà
encore. Tu me gâtes; tu m'écris bien exactement, cela
tue fait bien plaisir; mais j'ai peur que tu ne te fasses
tïial à la tête. Il faut te ménager. Je préclie contre mon
ititerét, car je suis bien heureuse lorsque je reconnois
ton écriture; mais je t'aime, et j'aime mieux ta santé
<jue tout. Je suis bien aise que tu souffres mon bavar-
dage avec tant de patience. Tu dis que Fontainebleau
île m'a pas gâtée, j'aime à le croire. Tu trouveras
J>eut-étre cette phrase un peu orgueilleuse; mais je
t'assure, mon cœur, que je suis pourtant loin de croire
cjue je puisse en rester là. Je sens que j'ai encore bien
ciu chemin à faire pour être bien selon Dieu. Le monde
Juge bien légèrement, et sur peu de chose il vous éta-
\Xii une bonne ou mauvaise réputation. H n'en est
J>as ainsi de Dieu : il ne vous juge que sur Tintérieur;
^t plus l'on en impose au dehors, plus il sera sévère pour
le dedans. Je hsois, l'autre jour, un discours de l'abbé
144 MADAME ELISABETH.
Asselin (1), sur la nécessité de se sanctifier, chacun
dans l'état où le Ciel Ta placé; je vous assure, mon
cœur, qu'il fait frémir pour ceux qui disent : Je veux
être bien ; mais je n'ai pas la prétention d'être saint.
Il relève cela avec une force [qui] en prouve le ridi-
cule d'une manière où il n'y a rien à répliquer. En
tout, ce livre est superbe. Je suis fâchée de ne l'avoir
pas connu avant ton départ, car je suis sûre qu'il
t'auroit fait plaisir. Je ne sais si je t'ai dit que tu m'a-
vois redonné du zèle pour l'abbé Nollet (2). Je vais le
reprendre avec un peu plus de suite. J'aimerai à ni'oc-
cuper de ta science favorite; mais je n'espère pas y
réussir comme toi : — Souvent mon esprit est ailleurs.
Je suis convaincue de ce que tu me mandes de tes
succès : tu es faite pour en avoir. Si en France on a
le mauvais goût de ne pas admirer ta {jrâce, au m'oins
tu as la consolation de savoir que l'on t'aime pour de
meilleures raisons. Je ne serois pas fâchée que la néces-
(1) Gilles-Thomas Asselin, docteur do Sorbonnc, ne u Vire, en 168),
mort à Issy, le 11 octobre 1767, a été principal du collège d*Harcoart.
Il avait été distingué par Thomas Corneille, et Ton a de lui, sur la
mort de cet écrivain, une élégie des plus touchantes. Il a écrit des
odes qui ne sont pas sans mérite sur F existence' de Dieu, sur la Jhi
et la paix du cœur, sur le mépris de la fortune. On prise beaucoup
son Discours pour disposer les déistes à Cexamen de la vérité,
(2) L*abbé Jean-Antoine Nollet est un des hommes qui ont le plus
contribué à répandre en France le goût de la physique. Appelé k
donner un cours de cette science au palais de Versailles, il s'acquit la
protection du Dauphin; et l'étude dont il avait donné les premières
notions parmi les courtisans y fut quelque temps k la mode. Madame
de Bombelles s'y eLiit instniite avec ardeur et y avait trouve la solu-
tion de bien des questions avec la condamnation de beaucoup de
préjugés.
Nollet, né en 1700, mourut eu 1770.
MADAME ELISABETH. 145
site de faire des frais et de te rendre aimable te donne
un peu plus d'habitude du monde, quoique tu aies ce
qu'il faut pour y être bien , et qu'en effet tu y sois '
très-joliment. Un peu plus d'habitude ne te fera pas
de mal. Je suis bien insolente ou bien mondaine, n'est-
il pas vrai, mon cœur? Tu me pardonnes, j'espère, le
premier, et tu ne crois pas au second. Ne va pourtant
pas prendre les manières portu{jaises. Elles peuvent
être parfaites, mais j'aime que tu ne te formes pas sur
elles. Tu es bien béte d'avoir eu peur à tes audiences.
Puisque ton compliment étoit fait, je trouve qu'il n'est
embarrassant de parler que lorsque l'on ne s'est pas
fait un discours. Étoit-il de toi? J'ai bien ri de ton
molio obligato : cela tient beaucoup de {'effectivement
de ton cher cousin.
J'ai bien envie de «avoir des nouvelles de Charles.
S'il étoit ici, et que tu t'avisas {sic) d'être inquiète, je me
moqueroi^ bien de toi. Aussi ne le suis-je pas; mais je
Voudrois que tu dormis; rien n'est plus sain pour toi.
Je suis à Montreuil depuis neuf heures ; il fait un
lemps charmant. Je me suis promenée avec R. (1)
{>endant une heure presque trois quarts. *Lastic est
**«stée avec Amédée, qui est {jrandie et embellie que
Cî'est incroyable (2). Madame d'Albert (3) vient dîner
<-liez moi , ce qui fait que ma lettre sera moins longue.
(1) La marquise de Rai{jccoiirt.
(2) Madame de La.^tic, née de Moiitcsqiiiou, était veuve depuis \v
^Commencement de Tannée précédente d*un jeune colonel, que Ton
^'vait dît tué eo duel, tandis qu*il avait été trouvé mort dans son lit,
^*un coup d*apoplexie. Amédée était sa Hlle.
(3) La comtesse d* Albert de Rions. Voir la lettre du 3 janvier 1790.
TOMi m. 10
\
146 MADAME ELISABETH.
Il faut pourtant que je te conte que madame de Chas-
telet est dame d'honneur de ma tante; après avoir
bien dît qu'elle [ne] vouloit pas faire planche, elle a
accepté (1). Je trouve que c'est complètement ridicole
d'avoir fait bien du bruit, pour finir par se soumettre à
la volonté du Roi, qui ne veut pas la titrer, car voilà ce
qui tenoit au cœur. On est malheureux d'être ambitieux.
Gela fait faire souvent de grandes bêtises. Ton col-
lègue me fait frémir, et je suis bien aise que M. de
Bombelles ne soit pas tenté de le prendre pour modèle.
A propos de lui, la duchesse de Duras, que j'ai vue
hier (et avec qui je suis comme un bijou), est un peu
fâchée contre ton mari (2). Il lui avoit promis des
instructions pour son fils, devoit les lui porter, ensuite
les lui envoyer de Brest; mais il en a été comme de
mon voyage, il est parti sans les lui donner. Elle m'en
a parlé d'une manière qui t'auroit. touchée, sans au-
cune aigreur; mais les larmes lui sont venues aux yeux
en pensant que c'étoit un moyen de moins pour pré-
server son fils des dangers auxquels il va être exposé.
Que ton mari répare bien vite avec toute la grâce dont
il est capable. Tu as bien raison, mon cœur, de t'ap-
pliquer dans les commencements à te vaincre; sans
madame de Tavanette, tu serois perdue si tu cédois
(1) Elle n'est point inscrite parmi les dames des tantes du Roi.
(2) M La duchesse de Duras avait pour Madame Elisabeth un aUraic
particulier. La Princesse avait un plaisir extrême à se trouver ave^
elle. Elle aimait l'élévation de son âme, la solidité de son ju{j[eineot 9
l'agrément de son esprit. Elle la regardait avec raison comme une de
ses amies les plus intimes, comme une de celles en qui elle pouvait I0
plus justement mettre toute sa confiance. » Note de V Eloge historiaue
de Madame Elisabeth, par le comte Perrand, page 139.
LOUIS 3^VI. i47
une fois , et deux ans sont bien longs à passer ensem-
ble. Nous en parlerons plus amplement dans un autre
moment. Je me dépêche trop pour avoir le sens com-
mun, et je griffonne trop. Adieu; ces dames t'embras-
sent de tout leur cœur, et moi aussi. Que n'est-ce vrai!
CCCCXLV
LODIS XVI A M. DE LA MILLIERE (1).
^-''* lloi lui pro|)ose la place de «onirôleur général, en remplacement
de M. de Galonné. — Projets du Roi pour rnmélioration des
finances.
A Versailles, le 6 avril 1787. *
Le bien de mon service exigeant , Monsieur, que je
demande à M. de Caionne la démission de sa place de
contrôleur général, la connoissance que j'ai de vos
talents et de votre probité m'a engagé à vous choisir
pour le remplacer. Je sens tout le poids dont je vous
charge ; mais je compte aussi sur votre zèle pour mon
îiervice et votre attachement pour ma personne. Je ne
suis nullement dans l'intention de retirer les plans
d'amélioration des finances que j'ai fait présenter à
l'Assemblée des Notables ; je compte en suivre l'exécu-
tion avec fermeté , en admettant les changements rai-
sonnables que présenteront leurs représentations. Mon
intention est pour cela de rassembler un comité du
(1) Papier* de famille de M. Héron de Villefosse.
10.
148 M. DE LA MILLIÈRE.
•
Conseil qui se tiendra exactement devant moi, où les
représentations seront discutées et où j'arrêterai les
réponses à y faire et la manière d'exécuter les plans;
c6 dont vous seriez plus particulièrement chargé dans ce
moment-ci, sera d'examiner l'état des fonds du Trésor
Royal, et d'assurer le ser\^ice jusqu'à ce que les amélio-
I
rations puissent être exécutées. Répondez-moi , Mon-
sieur, par la même voie, et gardez (1) le secret jusqu'à
ce que je vous eu ordonne autrement.
Louis.
Ce M. de La Millière, aujourd'hui oublié, joua de son
temps un rôle graiuleuient utile. Il s'appelait Antoine-Loiiis
'Ghanniont de La Millière, était né à Paris le 24 octobre 174(),
fils d'un maître des requêtes, intendant du Limousin, et de
la fille d'un receveur {général di:s (tnances du nom de Héron
de Villefosse.
Il avait pour cousin germain le conseiller d'État Ghau-
mont de la Galaisière, et pour oncle un magistrat de ce
même nom, qui fut chancelier du Hoi de Pologne Stanislas.
Le jeune La Millière commença* par être fort négligé dans
ses premières études. Mais il savait prendre une résolution
et la suivre, et son bon sens lui faisant de bonne heure sen-
tir tous les échecs de son éducation, Il la reprit vaillamment
en sous-œuvre. Le succès d'un tel courage fut assez grand
pour que La Millière fut trouvé en état de remplir à dix-huit
ans les fonctions d'avocat du Roi au présidial de Nancy, et
d'être promu, cinq ans après, au poste de premier avocat
général. Mais il ne pensait pas assez bien de lui-même pour
accepter cette élévation ; il la refusa , eu déclarant qu'il ne
s'en croyait pas capable. Ce n'était là que le prélude d'actes
(1) Iri était le mot moi ^ que lo Roi a. effacé.
AMÉLIORATIOIS DES HOPITAUX PAR LOUIS XVI. 14»
(Fune rare modestie et d'une persistance modeste plus rare
encore, dont la vie de cet homme est pleine.
Eu 17G9, il <!*tait maître des requêtes au Conseil d'Etat, et
s'y fit la réputation d'un travailleur infati(jable, saçace,
«'clairé.
En 1781, il était nommé intendant des Ponts (^t Chaussées.
C'était sa vraie voie; c'était le théâtre où il devait rendre le
plus de ces services dont tout le pays éprouve le bienfait, et
</ont les traditions se perpétuent sans qu'on s'inquiète d'en
«'onnaltre les primitifs auteurs. Sur l'avis de La Millière, un
•in*êt du Conseil, en date du 6 novembre 1786, suspendit
|>ar forme d'essai la corvée, qui fut définitivement supprimée
|>ar la déclaration du 27 juin 1787. Ce fut pendant son
«nctivc administration que se terminèrent ou s'ouvrirent les
tr:avaux des plus importantes communications parterre, dans
i ^ intérieur de la France. En même temps, il soig;na la plan-
t^tîoii des routes, l'amélioration des pépinières, l'aména^j^e-
B ^leiit et l'assainissement des hôpitaux, toutes attributions
^f iii relevaient alors de l'intendance des Ponts et Chaussées.
^ >ii a vu plus haut son nom paraître dans le récit des tra-
'^ aux du port de Cherbourjj.
Un de ces hommes de caractère et de conscience sans les-
* I uels il ne se fait rien de {;rand, l'ilhistre chirur(;ien Tenon,
**'*était placé à la tète de la science, et rêvait l'amélioration
^ Ses aailes de la pauvreté et du malheur. 11 avait fondé de ses
^ deniers un hôpital modèle. Louis XVÏ était venu à son
•=^^î<!Ours, et avait attaché les revenus d'un bénéfice ecclésias-
^ ique à cet établissement, le premier qui ait été ouvert à
M *aris suivant les lumières de la science, et qui suscita de
^ oute part une émulation g^énéreuse. Le rég^ime des hôpitaux
^"^tait hideux; l'Ilôtel-Dieu particulièrement faisait horreur.
*-« Ne pouvant l'étendre en superficie, on avait élevé étages sur
^"■stages. Les salles basses étaient encombrées de lits, les lits de
^ naïades. Quatre , six misérables étaient souvent entassés sur
^^u (p-abat de quatre pieds, et quelquefois l'on en mettait
-^ autant sur le ciel du lit. Les souffrances de l'enfer doivent
-s^ urpasser à peine celles de ces malheureux , serrés les uns
«"ontre les autres, étouffés, brûlant, ne pouvant ni remuer
Bii respirer; sentant quel(|uef[)is un ou deux morts entre eux
150 AMÉLIORATION DES HOPITAUX PAR LOUIS XVI.
pendant des heures entières^ On jetait péie-mêie lontes les
maladies, sans distin^er les conta(jîeuse$. Celles de la femm.
Fanaient partout avec fureur. Les femmes en coadie, les
enfants nouveau-nés étaient à côté des hommes attaqués de
la petite vérole. Les fous furieux s'ag^itaicnt , hurlaient tout
près des blessés que Ton opérait. L'air était si corrompu
qu'aucune opération grave ne réussissait, et que la gang^'^ne
s'emparait aussitôt des plaies.
nTel était, de Taveu unanime des contemporains, le goufïirc
épouvantable que la ville la plus aimable de Tunivers offrait
pour dernier asile à cette foule d'ouvriers attirés pour entre-
tenir son luxe et ses plaisirs (1). n Tandis que la cour de
Louis XV dansait au milieu des splendeurs et de la prodi-
galité des maîtresses, u il périssait le quart de ce qui entrait
à THôtel-Dieu, et la moitié du reste n'en sortait qu'après
avoir échangé une maladie en eUe-mêafte de peu de durée
contre une langueur sans remède, n
Ce fut Louis XVI, et l'on ne s'en souvient pas assez, qui,
à l'aide de Tenon et de La Millière, mit lin à toutes ces
horreurs. Ah ! nous le répétons, si ce Prince avait eu dans
l'âme ou seulement dans l'esprit autant de fermeté qu'il
avait de bonté dans le coeur !
(1) Recueil des Ehgex historiques lus dans les séances publiées
de l'Institut, par George» Cuvier. Tome second, p. 286. Paris', Le-
vrault, 18W.
Ce livre, qui a trois volumes, n'est pas assez lu : fl y a une très-
solide instruction à en retirer. Indépendamment de l'attrait tout par>
ticulier qai s'attache à la yic de ces hommes dévoués «t modesten,
leurs Éào^ contiennent des notions très-profondes, trèi-iililet , qni
guérissent de be«'raco«p de préjugea
MADAME ELISABETH. 131
CCCCXLVI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
ReoToi de M. de Calonae pour ses malversations. — On dit <|U*il
sera remplacé par M. de Fourqueux, et que M. de La Moignon
succède au garde des Hceaux. — On a prédit à la Princesse qu^elle
changerait d*opinion sur M. de Galonné et finirait par Taimer. —
Les Notables vont parler avec plus de liberté. — Éloge de Louis XVI.
— Destinée du singe de madame de Bombelles. — Voyage de l'Im-
pératrice Catherine II dans la Ghersoncsc. — Projets de mariage
d*ane protégée de la Princesse.
Ce 9 avril 1787.
(Lisez Matthieu Lœnsberg.)
M. de Calonne est renvoyé d'hier; sa malversation
est si prouvée que le R. s'y est décidé, et que je ne
crains pas de te mander la joie excessive que j'en res-
sens et que tout le monde partage. Il a eu ordre de
rester à Versailles jusqu'au moment où son successeur
sera nommée pour lui rendre compte des affaires et de
ses projets; on vient de me mander que c'étoit M. de
Fourqueux qui le remplace (1). On me mande aussi
(1) Galonné se retira le 20 avril, et céda sa place à Michel Bouvard
de Fourqueux, ministre d'État et membre du Conseil des finances, dont
le règne dura deux mois, c'est-à-dire jusqu'au temps où l'archerèque
de Toulouse, investi du titre et du rang de chef du Conseil des finances,
voulut les administrer seul.
M. de Fourqueux était d'un âge avancé et d'une faible constitution,
et il £allut toute l'insistance de la Reine pour lui taire accepter le
Contrôle général. Dèé qu'il entra en exercice, son premier soin fat de
vérifier la caisse du Trésor dont Galonné avait laissé des états de
situation peu réguliers , non par aaalversation , mais par inexacti •
152 MADAME ELISABETH.
que M. le Garde des sceaux est renvoyé, et M. de
La Moignon a sa place (1). Je sais toujours si mal les
nouvelles, par des voies si peu au fait, que je n'ose pas
t'assurer ces dernières. Mais pour M. de Galonné, j'en
suis bien sûre. Une de mes amies disoit, il y a quelque
temps, quejenel'aimoispas, mais que dans peu je chan-
gerois. Je ne sais si son renvoi y contribuera; il auroit
fallu qu'il fit bien des choses pour me faire changer
sur son compte. Il doit être un peu inquiet sur son
sort. On dit que ses amis font une très-bonne conte-
nance. Je crois que le diable n*y perd rien, et qu'ils
sont loin d'être satisfaits. C'est M. de Montmorin qui'
lui a donné son audience de congé. J'espère que le
baron de Breteuil n'aura pas voulu s'en charger; cela
lui feroit honneur. L'Assemblée continuera comme
auparavant et sur les mêmes plans. Les Notables par-
leront avec plus de liberté, quoiqu'ils ne s'en gênassent
guère, et j'espère qu'il en résultera du bien. Mon frère
a de si bonnes intentions, il désire tant le bien, de
rendre ses peuples heureux; il s'est conservé si pur,
qu'il est impossible que Dieu ne bénisse pas toutes ses
bonnes qualités par de grands succès. Il a fait ses
pàques aujourd'hui. Dieu l'aura encouragé, lui aura
tude. Des sommes portées comme actif en caisse, avaient été confiées à
diverses personnes sous différents prétextes. Un de ces prêts de com-
plaisance avait été fait à un |>ersonnage dési^rné par l'initiale V, qui,
prié d*abord et sommé plus tard de restituer quatre ou cinq millions
qu'il avait reçus, se suicida. L'esprit faible de M. de Fourquenxen fut
troublé. Obsédé surtout des résistances opiniâtres qu'il éprouvait,
excepté du côté de la Reine, pour la réductitm dos dé|)enses, il rés^a
}ia place. (Voir le livre de M. de Montliyon, intitulé : Particularités
et observations sur les ministres des finances,)
(i) Le président de La Moi^rnon.
MADAME ELISABETH. 153'
fiait connaître la bonne voie: j'espère beaucoup. Dans
son compliment, le prédicateur Ta infiniment encou-
ragé à prendre conseil de son cœur. Il avoit bien rai-
son , car il est bien bon et bien supérieur à toute la
Cour réunie. J'ai l'air d'une vraie campagnarde; je te
(lis que l'on m'a mandé tout cela , c'est que je suis à
Mon treuil depuis midi. J'ai été à vêpres à la paroisse.
Elles sont aussi longues que l'année passée, et ton
rher vicaire chante VO filii d'une manière aussi
agréable. Des Es. a pensé éclater, et moi de même.
Je suis au désespoir du sacrifice que tu me fais de
f-on singe, d'autant que je ne pourrai le garder; ma
fiante Victoire a une peur affreuse de ces animaux et
îsicroit fâchée peut-être que j'en eusse un. Ainsi, mon
<:rœur, malgré toutes ses grâces et la main dont il me
^V'ient, il faudra s'en détacher. Si tu veux, je te le ren-
"v^errai, sinon j'en ferai présenta M. de Guémenée; j'en
^>^uis au désespoir, je sens que c'est très-maussade, que
^:ela te contrariera beaucoup, et j'en suis d'autant plus
^ àchée. Ce qui me console, c'est qu'à cause de tes enfants
t:u serois peut-être obligée de t'en défaire, parce que
^ 'ela pourroit être dangereux.
Félicie devient très-gentille, sa tache s'efface beau-
^•oup; j'espère qu'elle ne paroitra pas du tout. Avant
^on arrivée, quoique je sois charmée du départ de M. de
Calonne, j'ai peur que la petite ne s'en affecte pour
^on père, quoique pourtant il n'y gagne [ni] n'y perde,
|)as même un protecteur.
Tues d'une philosophie qui m'enchante, mon cœur;
tu en seras plus heureuse, et tu sais si je désire de te le
savoir. Je ne comprends pas trop pourquoi tu dis que
154 MADAME ELISABETH.
M. de G. est mauvais politique (1) ; il me semble que
Ton est fort content de lui, qu'il a fait d'assez belles
choses, et que M. de Ség^ur vient de faire la bêtise la
plus pommée que l'on puisse voir en accompagnant
l'Impératrice sur la route de Rherson (1). Elle remue
terriblement, la bonne dame, ce qui me déplaît beau-
coup : je suis partisante du repos. En conséquence, œ
que je t'ai mandé pour Minette n'aura, je crois, pas
lieu. Ce n'étoit pas un homme assez bien né; Pour
l'autre, mon cœur, je crois qu'il faut attendre comme
nous avons déjà fait. Il y a bien des choses à voir, et
pour elle et pour moi. Car il ne suffit pas de trouver
des gens qui prêtent ; il faut voir comment on rendra,
et si L'on ne se mettra pas dans l'impossibilité de faire
d'autre chose nécessaire et pour le moins aussi juste.
Tout cela, mon cœur, il sera temps d'y penser quand
j'aurai vingt-cinq ans. Jusque-là
(1) Le marécbal de Castrics.
(2) Ce Yoyage en Tauride Dictait que l'ouverture du Chemin de
Byzance , coihmc le disait un des ccritcaux dressés sur la route. L*Iiii->
pératrice , poussée par son favori Potemkin , eut bientôt commencé les
hostilités.
MADAME ELISABETH. 155
CCCCXLVII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Madame des Essarts et ses cavalcades. — Détails d*affectioB. — Dan-
gers du inonde. — Assemblée des Notables. — Économies réalisées
par le comte d'Artois. , — M. Falkner. — La marquise de Fonte-
nilles. — > Madame de Percerai.
Ce 2 juillet 1787.
Tu as, comme tu as toujours eu , raison , ma chère
petite, d'abord d'avoir été un peu en colère contre
moi, et puis déjuger que je te le rendrois, d'autant que
je n'ai reçu ta lettre que dimanche matin , au lieu de
samedi, ce qui me faisoit croire que la poste étoit encore
manquée. Tu as très-bien fait de me parier de cette
pauvre Constance; j'aime tous ces détails, surtout
j'aime les belles morts. Je ne sais si je t'ai mandé celle
de la pauvre femme de Rendoulet : elle avoit beaucoup
de piété et est morte en priant de tout son cœur. Son
pauvre mari est bien fâché ; mais cela ne l'empêche pas
de galoper très-joliment avec Des Es. (1), qui, je vous
(1) La marquise Lombelon des Essnrts, attachée à la Princesse en
qualité ée dame pour a(*rompagner.
Votcî qadle était à cette époque la composition de la maison de
Madame Elisabeth :
L'abbé de Montai{>u, aumônier ordinaire; Tabbé Madier, confes-
seur ; *^
La comtesfie Diane de Polignac, dame dlionneur; la marquise de
Sérent, dame d'atonr.
Les dames pour accompa^er étaient :
La narqoise de Soran, la marquise de Gansans, la comtesse de
Canillac, la marquise de Bombelles, la TÎcotntesse d'Imecoart, la
156 MADAME ELISABETH.
contle, fait des progrès de manière à me faire espérer
cjue , dans un an ou dix-huit mois , elle ira comme les
>
autres à la chasse. Ne lui en parle pas du tout, car je
ne veux pas qu'elle croie que cette idée peut me venir;
cela lui tourneroit la tête et lui rendroit peut-être ses
peurs, qui sont diminuées.
Ta mère va bien. Elle a repris son service auprès de
ma nièce, que la mort de Sophie (1) avoit interrompu ;
mais non sa santé qui, je puis t'en répondre, est infi-
niment tranquillisante pour amis et enfants. Je t'avoue
que je voudrois être sûre que la tienne fut aussi bonne.
Tu me dis que tu tousses toujours ; mais tu ne me
donnes pas de détails, et j'en voudrois. Souffres-tu en
toussant ? Tes crachats sont-ils abondants et épais? Ton
lait te fait-il du bien? Calme-il ta toux^? Enfin, quand
il fait chaud, souffres-tu davantage? Es-tu maigrie?
Voilà, mon cœur, beaucoup de questions qui ne te
plairont guère , mais auxquelles je te demande en
grâce de répoudre avec franchise. Cette lettre est pour
moi seule. Je n'ai parlé à personne de ce que je te
mande, et ne ferai point part de ta réponse. Tu as
raison, mon cœur, de dire qu'il faut achever son
romtesse de Deux- Ponts, In marquise de la Roche- Fontenilles, la
comtesse de Clermont-Tonncrre, la marquise de Lombeloii des Essarts,
la marquise de Lastic, née de Montesqiiiou ; la vicomtesse de Mérin-
ville, la marquise de Rnigecourt.
Le chevalier d'honneur était le comte de Coigny ; le pmmier éciiyer,
le comte d'Adhémar, depuis ambassadeur à Londres. Le chevalier de
Saint-Pardouv, écuyer du Roi , servait près de la Princesse. M. de Mar-
(ineau était porte-manteau, et M. Mesnard de Chouzy secrétaii-e des
commandements; le gracieux poète Imhert, secrétaire de la chambre.
(I) Seconde fille de la Reine, morte en bas u{;e.
MADAME ELISABETH. 157
ouvrage avec courage. Pour cela faire, il ne faut pas
penser que nous n'en sommes pas à la moitié. Cet
aperçu pourroit bien nous Tôter tout à fait ; et comme
il s'agit d'exécuter, il faut se bien garder de songer à
l'avenir. Tu fais des réflexions bien bonnes et morales.
L'on est heufeux, mon cœur, de savoir s'intéresser de
choses sérieuses. Plus on voit le monde, plus on le voit
dangereux, ou plus digne de mépris que de regret,
lorsqu'il faudra le quitter. Faisons des provisions pour
ce moment ; tu en as à faire pour toi et ta postérité. Je
te prie, mon cœur, de ne pas t'occuper d'autre chose,
et de ne pas te livrer aux idées noires que la mort de
Constance t'aura inspirées. Cependant, ma petite, ne
crains jamais de m'ennuyer de tes jérémiades : je t'aime
trop pour qu'elles ne me fassent pas plaisir à lire. Je
sais combien ça soulage ; et cette vue seule me feroit
désirer que tu t'y livras {sic) de tout ton cœur avec moi,
qui suis peut-être la seule personne à qui tu peux en
parler sans gêne.
Je crois que vraiment tu es un peu choquée du per-
siflage dont j'ai usé envers Votre Grandeur; je Lui en
demande pardon , et en même temps la permission de
recommencer au premier jour. Au reste, tu as peut-être
cru que j'avois été choquée: je t'assure, mon cœur,
que j'en serai toujours loin vis-à-vis de toi, quand même
il y auroitde quoi.
Mon amitié ne connoitra jamais ce sentiment, et je
juge de la tienne par la mienne. C'est me satisfaire ,
Car je t'aime bien tendrement. J'espère que l'agi-
tation où a été ta belle-sœur ne lui aura pas rendu sa
vivacité accoutumée. Je me suis bien impatientée,
158 ' MADAME ELISABETH.
parce que, pour changer, Ton m*a dit qu'elle avoit eu
un Anglois. Cela m'impatiente d'autant plus que, si
l'on veut soutenir le contraire , on le persuade daran-
toge. Voilà ce monde. Tu feras bien, mon cœur, de
faire sonder M. de M. pour Minette (1). Quant à moi,
je ne pourrai savoir au juste ce que je ferai que lorsque
mon sort sera décidé. Il faut que je voie avant que de
prendre des engagements. Mais tu peux être sûre que
je ferai tout ce qui sera raisonnable pour son bonheur,
et par conséquent le plus que je pourrai de ce que tu
désireras.
Nos affaires vont toujours. Mes frères s'occupent,
dans la minute où je vous écris , à faire accepter au
Parlement l'édit pour le timbre. On dit qu'il rendra
beaucoup , et de l'aveu des négociants sera très-peu
à charge à la nation. C'est un double bonheur. Mon
prince a fait pour cinq cent mille livres d'économie
sur son département. Il faudroit que tous en fissent
autant. Mais il n'y a encore que de lui que l'on parle.
Tu juges si mon amour-propre en est flatté. Plaisan-
terie à ma part (sic), quoique l'intérêt que j'y prends
soit extrêmement médiocre, j'ai été bien aise de
ce qu'il se montroit bien , et alloit au fond de la
chose. Son camarade ne se fait pas autant d'hon-
neur. Cela viendra peut-être : je le souhaite pour lui.
Il s'est fait des querelles parce qu'il étoit absent, et
n'est revenu que deux jours avant la mort de ma
(i) Page 311 de son livre imprimé à rimprimerie royale, en ISilh,
Ferrand met en note a ce nom de Minotte : « Mademoiselle de..,*, t^ue
Madame Elisabeth faisait élever, et dont elle-même suivait Véduca-'
tion, > Nous voilà bien avances ! C'était une mademoiselle de Mayé.
MADAME ELISABETH. 159
nièce. En efFet, il a eu tort, devant autant à la R[eine].
La société est revenue et me paroît en fort bon état.
Le petit échec qu'elle a eu ne peut que lui être utile,
à ce que je crois, puisqu'elle n'est pas tombée tout à
fait. On dit M. de Galonné décampé. Ce qu'il y a de
snry c'est qu'il a été très-affligé de l'ordre qu'il a reçu
de rendre son cordon bleu. Je trouve qu'il a fait une
sottise s'il s'est enfui, puisqu'il n'étoit jias question de
^ire son procès , et qu'en partant il prouve au public
-*. qu'il avoit tort. J'ai été très-aise de ce que le discours
du Boi avoit été si approuvé à Lisbonne (1). Les
pauvres gens, je crois, ne sont pas gâtés. Tout cela me
t*avit davantage, et malgré les belles oranges que tu
txi'as envoyées et dont je crois ne t'avoirpas remerciée,
j^ rends grâce au Ciel de tout mon cœur de ne m*a-
'V'oir pas fait naître pour être leur Reine. La comtesse
X>iane m'a rapporté d'Angleterre un bien infini de toi ;
c:^ela m'a fait un grand plaisir. Ton mari y étoit aussi
jT^our beaucoup. M. Falkner va bientôt venir ici. Il me
i^^mble qu'il n'a nulle rancune contre M. de B. (2),
^^SLV c'est lui qui a parlé de toi à la comtesse Diane.
-^^.dieu, ma petite, tu ne me paries ])lus de Saint-Cyr.
'ai envie de te faire une tracasserie : j'y vais demain.
e t'embrasse et t'aime de tout mon cœur. Tu sais
*il est vraiment à toi, ou si c'est une phrase. Louis
e peut que se trouver très-bien de tes projets. Pour
1 ^ abbé Du Rousseaux , c'est vraiment im homme de
(f) Le marquis de BombcUns était .imbassadeur en Portugal depuis
"ÏTSÔ et y demeura jusqu'en 1789.
(2) Bombclles.
160 ASSEMBLÉE DES NOTABLES.
mérite et très-instruit. Minette va tout doucemeut,
toujours paresseuse et nonchalante, pour ce qui lui
déplaît s'entend, car sa vivacité n*est pas diminuée.
Nous sommes inquiètes de savoir si tu as repris ton
gilet. Je suis débarrassée de F. (1) pour l'été. Sa tante,
qui la croit très-malade, l'a emmenée ii la campagne.
Dans le fuit, elle a besoin de repos, et je m'en console.
Des Es., qui t'écrit, fait sa semaine toute seule, et j'en
suis fort contente. Si tu y étois pourtant, ce ne gâte-
roit rien , et je suis , qui plus est , convaincue que tu
ne t'y déplairois pas trop : notre amour-propre nous
en flatteroit. Pour le cpup, je te quitte tout de bon, et
ce pour aller jouer au billard. Il faut que je te dise en-
core que j'ai vu madame de Perce val, et que je ne me
sens nulle disposition de me tuer pour elle, surtout
d'après ce que le petit baron dit de son amabilité. J'ai
lu des lettres de Pline, il les finit toutes par adieu.
Moi, qui ne varie pas plus que lui, je te dis donc adieu;
je regrette seulement que ce mot ait l'air si sec, car je
voudrois qu'il exprimât tout ce que je sens.
L'Assemblée des Notables a\ ait été ouverte par Galoiiue, le
22 février 1787, afin de pourvoir au mauvais état des finances,
et s'était séparée au bout de trois mois, le 25 mai. Elle était
composée de cent trente-sept membres, entre lesquels sept
princes du sang, neuf ducs et pairs, huit maréchaux, onz^^
archevêques, et seulement vingt-cinq magistrats des villes dis.
royaume.
11 n'y avait qu'nnt; voix sur l'existence d'abus énormes ^^
mais nul ne voulait iâirc le sacrifice de réformes person^—
(1) La murqiiUc de Fonteiilllcit.
ASSEMBLEE DES NOTABLES. 161
nellos. Les classes élevées procli([iiaieiit les phrases philan-
thropiques et phi]osophi(|iies ii Ja mode, (j^énussaieiit sur les
embarras du trésor et s'apitoyaient sur le pauvre peuple,
mais s'arrangeaient pour qu'il nen coûtât rien à leur fortune
ni à leurs privilèges. Même sentimentalité élocjuente des
I^arlements, qui ne se refusaient pas moins à Tég^alité de
répartition dans les impôts, à la suppression d'incurables
■"estes de féodalité. Le Cler(j^é ne manquait pas de Faire de la
clause de ses priviléjjes et de la richesse de ses communautés
la cause de Dieu lui-même. L'apparition de Tur(;ot, la réali-
sant ion d'économies par cet homme de bien, les expédients
l-iiianciers du fatal ^'ecker, sans ouvrir radicalement la tran-
c-hée sur les abus invétérés, avaient commencé à éveiller le
f->eiiplc. A fbix:e d'entendre parler du bien public, il allait
C^out à l'heure le comprendre et rexi(;er. Les Assemblées des
Notables n'avaient été convw|uées par nos Rois qu'«^ de lon^
i ntervalles. Leurs attributions se réduisaient à donner des
•^:mvîs sur différentes questions qu'on ju([eait à propos de leur
oumettre. La dernière Assc*mblée, réunie sous Louis XIII,
1626, n'avait eu pour résultat que de fortifier la puissance
t le crédit du cardinal de Richelieu. 3Lus la convocation
^nouvelle, si elle n'amenait pas virtu(^lh;ment de grandes
^^z^onséquences financières et administratives, devait jeter des
^5-emences politiques qu'un nouvel esprit public ferait promp-
^ enient lever. Elle creusait une mine sous le trône. I^s
^^ïotables, après des hésitations et des débals, avaient fini
ar consentir à tout ce qu'on leur avait demandé : impôts
<,»rritoriaux, droits de timbre, assemblées provinciales, sup-
ression des corvées, tout avait été concédé à M. de Brienne,
Liî avait chassé le présomptueux Galonné chez lequel cepen-
aiit, il faut se l'avouer, il y avait un côté d'homme
'État; mais Brienne n'eut pas l'habileté de tirer parti de
"^es concessions. Il laissa au Parlement le temps de se recon-
itre, de s'envelopper dans les plis de sa to(jc; et ce (jrand
rps, ambitieux, impérieux vi hostile, repoussant l'impôt
u timbre et l'impôt territorial, se donna par ce refus l'aj)-
"f^^arence d'un civisme courageux. Irrité de cette opposition,
Ï3rienne manda sur-le-champ à Vereailles, au nom du Roi,
1^ Parlement rebelle, et fit enregistrer les deux édits dans un
TOME ni. Il
162 ASSEMBLEE DES NOTABLES.
lit de justice. A peine de retour à Paris, celui-ci se hâta de
fkire des protestations et d'ordonner des poursuites contre
les profusions de Galonné. La Cour répondit par Texil du
Parlement à Troyes, et la justice fut ({uelque temps siu-
pendue. Cependant le 15 août, le Roi envoya le Comte de
Provence à la Cour des comptes, le Comte d'Artois à la
Cour des aides, pour y faire enregistrer les édits. Le premier,
qui avait attaqué ouvertement les mesures financières de
Necker et de Calonne, sentait bien qu'il avait quelque mau-
vaise grâce à porter à l'enregislrement forcé de la Chambre
des comptes l'tKiit du timbre contre lequel était soulevée
cette opinion publique dont il s'était iait le courtisan. Aussi
affecta-t-il de ne se rendre à la chambre que contraint et
forcé, et fit-il lire en toute sa contenance la répugance mar-
quée d'un opposant. Sa tactique réussit à faire croire à soja
chaleureux civisme, et il fut accueilli par des acclamations
immenses; tandis que le Comte d'Artois, connu pour être
l'appui de Calonne , fut poursuivi par des huées et des mur-
mures. Devenu président du premier bureau de l'Assemblée
des Notables, Motisieur y afficha un zèle bruyant pour les
réformes, et c'est de ce bui'eau que partirent les coups les
plus terribles contre le ministère, qui finalement croula. Tel
est le motif qui excite l'admiration, un peu ironique, de
Madame Elisabeth pour celui qu'elle appelle « mon prince » .
' De tous ces conflits devaient sortir les États généraux, que
Louis XV avait eu la prudence de ne pas admettre, pour ne
pas laisser discuter son autorité : u J'ai de quoi finir et ne
suis pas las de régner, avait-il répondu à d'Argenson, qui les
lui proposait; mon successeur fera comme il voudra. » Ce
fut le labyrinthe où se peixiit ce successeur, et dont la révo-
lution saisit le fil. Chez un peuple où tout se pousse à l'ex-
trême, discuter l'autorité c'est la miner et la précipiter da
l'abime. Déjà la révolution grondait dans les cœurs.
MARIE- ANTOINETTE. i6S
CCCCXLVIII
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Sur la mort de la seconde fille de la Reine.
Ce 1*' août [1787].
•
Vous ne pouvez pas douter, Madame, du plaisir que
me font toujours vos lettres. J'ai été bien sensible de
la part que vous avez prise à la perte que j'ai faite de
ma fille cadette (2). J'en ai été très-afïligée. Malheu-
reusement, presque depuis sa naissance je m'y atten-
dois, cette enfant n'ayant jamais profité ni avancé
pour son âge. Grâce à Dieu, les trois autres se portent
à merveille. Voule?5-vous bien, madame, vous charger
de mes remercîments et compliments pour M. le
Prince Héréditaire et M. le prince Georges? Vous con-
Qoissez mon inviolable amitié pour vous; quand donc
pourra i-je vous en assurer de vive voix?
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Hes^e.
(2) La princesse Sophie-Hélène-Béatrix, née Tannée précédente,
morte le 9 uin 1787.
il.
164 MÂRIE-ÂNTOlNEii^.
CCGCXLIX
MARIE-AiSTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Compliments d*amitié. — Madame Ruyale devient un i)er8onna{«e
et une société pour sa mère.
Ce II décembre [1787].
J'ai été charmée, Madame, de revoir M. le prince
Georges; j'ai bien parlé de vous avec lui, et vous savez
combien je m'intéresse à tout ce qui vous regarde ;
j'espère que votre grossesse et votre couche se passe-
ront aussi heureusement que les autres (2).
Ma santé et celle de mes enfants est très-bonne ; ma
fille vient d^avoir la rougeole, mais des plus heureuses.
Elle commence à devenir un personnage, et ces trois
semaines où j'ai été enfermée avec elle, elle m'a réelle-
ment tenu compagnie. Mille compliments de ma part à
M. le Prince Héréditaire ; vous connoisscz, Madame, la
tendre amitié qui me lie pour jamais à vous.
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Ilcdsc.
(î) La PriiireitiKc était alors grosse du prince Frédéric- A ngugle*-
Charles, qui naquit le IV mai 1788.
L'EMPEREUR JOSEPH II. 165
CCCCL
L'EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
Lest Etats (le Rrabant ont approuve les impôts. Il est tout simple que
la société concoure aux charges publiques, et il s*étonne qu'on
s'émerveille d'un résultat aussi naturel et normal. 11 remercie néan-
moins sa sœur tl*y avoir contribué. — Son opinion sur le caractère
des habitants des Pays-Bas. — Avec la force en main on Huit tou-
jours par avoir raison. — Fâcheuses nouvelles de lîl santé du Dau-
phin. — L'Empereur so propose de tomber sur les Turcs et de faire
le siège de Belgrade.
Semlin, le 13 juin 1788.
Ma chère Sœur, je viens de recevoir votre chère
lettre du 27 mai, où vous m'annoncez le pompeux
accord de la continuation des impôts par les deux pre-
miers membres du Brabant. Il faut être bien bas, et
les ressorts doivent être bien détraqués pour qu'on ait
à s'étonner, à se réjouir d'une chose aussi simple, aussi
juste , aussi nécessaire , et même à récompenser ceux
qui ont bien voulu sentir qu'il n'y avoit que le con-
cours de toute la société aux charges publiques, à la
défense du pays, à l'administration de la justice et du
fjouvernement en général, qui lioit entre eux le Souve-
raiu avec les individus de l'État et eux entre eux en
Société. Mais enfin on n'est pas pour cela dupe quand
On a la complaisance de le paroître, et je vous sais un
f^ré infini, ma chère Sœur, et au Prince, d'avoir con-
(1) Arrbives do Son Altesse Impériale et Royale rArrliidur Albert
^l'Aulriehe.
166 L'EMPEREUR JOSEPH II.
tribué avec autant d'intelligence que de zèle à faire
entendre à ces aussi mauvaises que pauvres têtes raison
sur les choses du monde les plus simples, et où leur
conscience, si ce n*est pas seulement un mot, ni leur
propriété, de laquelle il n'y a jamais été question, ne
couroient aucun risque, mais bien celui de jouer moins
les importants en partant et frondant dans les sociétës,
ou à s'amuser à faire peur et tapage. Voilà tout, croyez-
moi. Les habitants de Bruxelles et des Pays-Bas sont
des imitateurs en tout de leurs voisins. Le fonds est
hoUandois et le vernis françois. La bonne correction
qu'ont eue les patriotes de Hollande, celle que subissent
les Parlements en France, a fait effet, et je crois qu'on
s'est convaincu que celui qui a la force en main 6nit
toujours par avoir raison. Si l'on continue à a£[ir
avec fermeté, vous verrez que peu à peu toutes ces
histoires de méfiance, de craintes et de mauvaise hu*
meur, finiront, puisqu'ils verront qu'ils n'efïrayent
plus.
Je suis bien fâché des mauvaises nouvelles de la santë
du Dauphin. C'est d'autant plus fâcheux que si c'étoit
une maladie, on en guérit; mais c'est un défaut de
figure et de constitution qui est sans remède.
Ma santé est bonne ici , quoique je sois bien ennuyé
du rôle passif que les Russes^ qui n'ont encore rien fait,
nous obligent de garder. L'armée ottomane est en pleine
marche pour Widdin, où elle construit des ponts, et
pour Belgrade. J'ai renforcé le corps de Wartensleben
au Banat, et je me tiens en panne pour guetter le
moment qui se présentera de pouvoir leur donner
quelque bonne tape , et ensuite seulement j'assiégerai
NAISSANCE ET MORT DU PREMIER DAUPHIN. 167
Belgrade. Adieu, je vous embrasse de tout mon coeur,
de même que le Prince.
Croyez-moi pour la vie votre (1).
Marie- Antoinette était devenue grosse peu de temps après la
naissance de Madame Royale, Ayant levé avec force la glace
de sa voiture, elle se sentit blessée, et fit une fausse couche
huit jours après. Cette seconde grossesse avait été ignorée, et
Taccident fut gardé sous silence, sans quoi l'on n'eût pas
manqué de l'attribuer à quelque légèreté. Une autre gros-
sesse, déclarée en avril 1781, fut houn»use jusqu'au bout, et,
le 22 octobre, la Reine donna le jour au premier Dauphin,
dont parle Joseph 11. La joie fut immense et universelle à
Paris et à Versailles. Grands et peuple, tout nageait dans les
transports, comme si l'on n'eût fait qu'une mémo famille.
On s'abordait dans les rues les yeux pleins de larmes, ot l'on
s'embrassait même sans se connaître. Les dames de la Halle
Vinrent débiter au Roi une harangue superbe, composée par
J^A Ilarpe, et chanter des couplets qui firent fureur à la
Cour. Il en est un particulièrement qui a été conservé dans
cine lettre de Marie-Antoinette, et que le Roi se plaisait à
*^péter, de l'air le plus joyeux, à la Reine, alors en cou-
<2he (2). En voici un autre qui fut chanté à cette occasion,
^ur l'air de Joconde, à la Comédie italienne, et qui était
bilans la boUche d'une fée :
Comme fée je vais vous conter
Une grande nouvelle :
Un fils du Roi vient enchanter
Tout un peuple fidèle.
(1) Nous avons déjà dit que TEmpereur Joseph II finit ainsi, sans
ajouter rien de pins qu'un paraphe, la plupart de ses lettres intimei,
«t que son successeur Léopold imite cet exemple.
(2) Tome I^% lettre du 21 novembre 1781.
168 NAISSANCE ET MORT DU PREMIER DAUPHIN.
Ce Dauphin que Ton va fctcr
Au trône doit prétendre :
Qu'il soit tardif pour y monter,
Tardif pour en descendre!
Il est un antre couplet, de poésie de mirliton, bien curieux
encore, à causo du nom de Uauteur, et qui fut chanté par
lui au théâtre de Rouen, oii la troupe ambulante à laquelle
il appai-tenait donnait des représentations :
Pour le lionheur des Français,
Notre J)on Louis seize
S'est allié pour jamais
Au sang de Thérèse :
De retto heureuse union.
Il sort un beau ri'jeton !
Pour répandre en notre rœur
Félicité parfaite.
Conserve, 6 Ciel jirotecteur.
Les jours d'Antoinette !
L*auteur de la pièce oii se trouvait ce couplet, et qui était
toute brûlante d'amour pour la royauté, était ce Collot-
d'Ilerbois qui depuis fut un des terroristes les plus san-
g^uinaires.
Ce n'est pas tout encore. Tous les corps d'état, rivalisant
d'inçénienses inventions et de dépenses, se rendirent à Ver-
sailles pour défiler, chacun, musique en tête, devant la Cour
avec les attributs de son état. Il y eut même jusqu'aux, fos-
soyeurs, qui eurent l'audace (funeste présa(fe de la future
destinée de l'Enfant royal !) de venir attrister le spectacle en
s'y mêlant avec les signes représentatifs de leur sinistre
profession, que ce fafal Collot-d'Herbois eilt déshonorée.
Le I() octobre 1781, le ministre de la Maison du Roi,
Amelot, avait envoyé dans toutes les villes du Royaume
copie d'une lettre du Roi prCvScrivant la célébration d'un
Te Dcuniy pour le cas oiï la Reine accoucherait d'un Prince.
La nouvelle de l'heureuse délivrance était attendue dans les
provinces avec une sin(julière anxiété.
Tandis que Versailles et Paris éclataient dans le délire des
NAISSANCE ET MORT DU PREMIER DAUPHIN. 169
féieSj la marine, à laquelle Louis XVI, par son rôle dans la
(guerre d'Amérique, avait donné un essor si patriotique,
n'était pas en arrière d'enthousiasme et de démonstrations.
Les [>orts rivalisèrent de magnificence dans leurs fêtes. Brest
eut la palme. Le dimanche 28 octobre, un bal s'ouvrit à
Irois heures au Champ de Bataille, où la comtesse d'Hector,
femme du coiiimandant de la marine, avait amené un essaim
«le jeunes dames et convoqué un grand nombre d'officiers
<le tous les corps. La comtesse prit pour son dausenr le pre-
mier matelot qu'elle rencontra. Les antres dames suivirent
«•et exemple. Officiers généraux de terre et de mer, officiers
^\c rang inférieur, tous prirent pareillement pour danseuses
^es femmes de marins, aux acclamations répétées de Vive le
Koi! Vive la Reine! Vive Monseigneur le Daupluii ! Après le
l>al, comédie, où les chefs montrèrent à l'envi la même cour-
toisie pour leurs hommes de mer. Les matelots et les ouvriers
<le l'arsenal et leurs enfants remplissaient les loges et le par-
terre, les femmes occupant h» premier rang des loges et des
galeries. En un mot, chacun des officiers avait cédé son
rang, et nul d'entre eux n'eût songé à se présenter aux
belles places; plusieurs rangs de chaises, posés au fond du
théâtre , reçurent beaucoup de dames qui avaient voulu
jouir du coup d'œil; et ce qu'il pouvait rester encore de
places dans la salle, pour contenir du monde sans que le
spectacle en fût gêné, fut rempli par les commandants et les
officiers de tous les corps.
Dans le voyage que fit Louis XVÏ en Normandie pour
visiter les travaux de Cherbourg, il avait distingué François-
Henry, comte de Lillebonne, duc di) Harcourt, lieutenant
général gouverneur de la province, et il le nomma, dans le
mois d'août 1786, gouverneur du Dauphin. Ce vertueux per-
sonnage ne devait pas veiller longues années sur les cUrstinécs
du royal enfant. Le Dauphin annonçait une grande précocité
d'intelligence, et, avec une jolie figure, il montrait une
ouverture de caractère tout à fait séduisante. Mais bientôt on
le vit tomber de la santé la j)lus florissanle en une langueur
et un rachitisme qui lui courba l'épine dorsale, lui allongea
les traits et lui rendit les jambes si faibles, (|u'il ne pouvait
plus marcher que soutenu comme un vieillard en caducité.
iTO MARIE- ANTOINETTE.
Il mourut à Versailles, le i juin 1789. Drjà, deux ans aupa-
ravant, la Reine avait perdu une seconde fille, Sophie-llélène-
Béatrix, qu'elle avait eue le 9 juillet I78(), et qui était morte
le 9 juin de Tannée suivante. (Voir la lettre de Madame
Elisabeth en date du 25 juin 1787, t. I*'.) Il ne lui restait
donc plus (|ue Madame Royale et le nouveau Dauphin, né
en 1785. Dtîpuis la perte de cotte so<!onde fille, qui lui avait
coûté tant de larmes, l'infortunée Marie-Antoinette ne devait
plus cesser d'en répandre; et les catastrophes révolutionnaires
qui se suc^cédaient devaient la conduin», à travers toutes les
péripéties les plus poig^nantes, de la douleur à la mort.
CCCCLI
MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT (I).
Félicitations sur son accouchement.
Saint-Cloud, ce 23 [juin 1788J.
J'ai été enchantée, ma chère Princesse?, de vous savoir
heureusement accouchée (2) ; je vous avoue que je corn-
mençois à trouver le retard un p(>u long. J*espère que
vous et votre gros garçon vous portez bien; et pour
ne pas vous fatiguer, je me borne à vous renouveler (ce
dont vous ne pouvez pas douter depuis longtemps) la
tendre amitié avec laquelle je vous embrasse de tout
mon cœur.
(1) Archivct» de Son Altesse Royale le Grand-Dnc de Hesie.
(2) Du prince Frédcric-Auguste-Gharles.
MARIE-ANTOINETTE. ITl
Bien mes compliments au Prince Héréditaire; je ne
sais quand cette lettre vous arrivera : j'attends le prince
Georges pour la lui donner.
CCCCLII
LA REINE AU COMTE DE MERCY- ARGENTE AU (1).
Comédie qui a réussi. — Indisposition de Madame Royale.
[29 juillet 1788.]
Je ne comprends rien du tout à la nouvelle dont mon
frère parle. Je désire que cela soit vrai. Je vais remettre
au Roi sa lettre et lui montrer en même temps la vôtre
et la mienne. Je n'y vois aucun inconvénient, surtout
les retirant tout de suite. Je suis enchantée que vous
ayez été content de notre comédie. J*ai voulu vous
chercher dans votre lope après le spectacle, mais vous
étiez parti. Ma fille a la fièvre tierce bien décidément.
Son accès d'hier a été moins fort. J'espère que cela va
se civiliser. Adieu, voici le Roi.
(i) Archives impériales de Vienne.
172 MARIE-ANTOINETTE.
CCCCLIII
MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE MERCY-ARGENTEAU(l).
Les Et.its {jcnéraitx. — Loterie pour «ecrourir les malheureux. —
Fièvre tierce de Madame Royale.
Ce 3 août 1788.
Pour des nouvelles, je ne peux vous en mander de
nouvelles ; tout est toujours dans le même état. Les Etats
généraux paroissent sûrs pour le courant de Tannée pro-
chaine (2). Le Roi vient de publier une loterie de douze
millions pour aller au secours des malheureux ruines
par les orages affreux qui ont dévasté cinquante lieues
de pays. Le Roi se montre toujours le meilleur des
pères ; mais parmi ses enfants il y a toujours bien des
fous; voilà tout ce que je peux vous dire. J'ai été fort
inquiète réellement de la santé de ma fille ; sa fièvre
tierce a été opiniâtre, et j'ai veillé deux nuits auprès
de son lit : le Roi étoit avec moi toute une nuit. La
pauvre petite nous a dit des choses si tendres qu'elle
nous en a fait pleurer. Elle est mieux maintenant. Elle
a été un peu à l'air, qui lui a fait du bien. Âdicu, mon-
sieur le Comte. Yous savez quels sont mes sentiments
pour vous.
(1) Papiers du comte de Mercy.
(2) Le 4 mai 1789, il y eut procesiiioii ;i Versaille.') |>uiir rouverCurcr
des Étals géiicranx, qui s'ouvrirent en effet le lendemain.
MARIE-ANTOINETTE. 173
CCCCLIV
MARIE-ANTOINETTE A LA PRINCESSE DE LAMBALLE (1).
Elle a marié sans la Princesse leur protégée. — Elle lui a donné avec
une |>etite dot le présent de M. de Penthièvrc. — L'enfant était fort
pressée de se marier. — 11 serait p(>u sage de mettre la sœur au cou-
vent, car elle a plutôt la vocation d*iniiter sa sœur.
Ce m août [1788].
J'ai eu ridée de me passer de vous, ma chère Lam-
balle , puisque vous prolongez votre absence , et de
marier sans vous notre petite. Je lui ai donné notre
petite dot et le présent de M. de Penthièvre. Dans ce
•raoment-ci, je suis encore tout égayée de ma conver-
sation à Trianon avec la petite : on ne pouvoit plus
retarder, car elle étoit fort éprise de son futur. L'abbé
m'a rendu compte de la cérémonie et des propos de
i'oncle et de la jeune sœur, qui étoit coquette à ravir,
et ne cessoit de répéter : Elle a dix-huit ans, j'en ai
Seize. Ce que l'on a proposé pour elle ne me semble
pas sage; elle n'a pas la vocation du couvent, et il
Seroit peut-être fâcheux de revenir au parti que Diane
^^ous avoit suggéré, car l'enfant se révolteroit. M. N.
^st parti, mais il reviendra (2). Adieu, mon cher cœur,
J ^ai et aurai à jamais pour vous une amitié inviolable.
Marie-Antoinette.
(i) Cabinet de madame In comtesse de Le/ny-Mnrnozia.
(2) Neckcr fut en effet rappelé dans le même mois.
17* L'ABCHIDDC GRAND-DUC DE TOSCANE.
CGGGLV
L'ARCHIDUC GRAND-DUC DE TOSCANE, DEPUIS EMPEREUR
LÉOPOLD II, A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
Il se félicite de savoir tout arrainf^é aux Pays-Bas. — Il suit arec
curiosité la marche dcA affairen en France.
Le 7 mars 1789.
Je suis charmé que les affaires chez vous se sont
passées sans bruit. Si on avoit pu tout arranger à l'a-
miable et de concert, cela auroit été peut-être mieux;
et à présent, je crois qu'on n'aura plus besoin de mili-
taires, tout étant arrangé; car cet état de guerre ne
peut pas être avantageux ni agréable. Les affaires de
France prennent une toiu'uure bien singulière, et je
suis curieux de voir comment le Roi, M. Necker et
tous ceux qui depuis si longtemps l'ont si mal con-
seillé, pourront se tirer de la présente situation. Je
désire la paix et tranquillité ])artout.
(1) Arrliîves de Son Altesse Impériale et Royale l' Archiduc Albert
d'Autriche.
Cette lettre a déjà été publiée par M. Adam Wolf, dans son livre de
Marie'-Christine, Et-zherzogin von OEsterreich, Vienne, 1863, second
volume, p. 237.
LOUIS XVI. 175
CCCCLVI
rouis XVI A BAILLY, DOYEN DE L'ORDRE DU TIERS (i).
31 déxapprotivo lV>xpr<>.<^i(>ii dv classes privilégiées que le Tiers État
emploie en parlant des autres Oixlres. — Il attend plus de déférence
de la part du Tiers que cet Ordre ne lui eu a montré.
[16 juin 1789].
Je ne refuserai jamais, Monsieur, de recevoir aucun
des Présidents des trois Ordres, lorsqu'ils seront char-
gés d'une mission auprès de moi , et qu'ils auront
demandé, par l'organe usité de mon Garde des sceaux,
le moment que je veux leur indiquer. Je désapprouve
l'expression respectée de Classes privilégiées que le
Tiers État emploie pour désigner les deux premiers
Ordres. Ces expressions inusitées ne sont propres qu'à
entretenir un esprit de division absolument contraire
à l'avancement du bien de l'État, puisque ce bien ne
peut être effectué que par le concours des trois Ordres
(jui composent les États généraux , soit qu'ils délibèrent
séparément, soit qu'ils le fassent en commun.
La réserve que l'Ordre de la Noblesse avoit mise dans
Son acquiescement à l'ouverture foite de ma part, ne
devoit pas empêcher l'Ordre du Tiers de me donner un
^moignage de déférence. L'exemple du Clergé, suivi
^e celui du Tiers, auroit déterminé sans doute l'Ordre
^e la Noblesse h se désister de sa modification.
(i) Cabinet de M. Guizot, de l'Académie fraïK^aisc.
176 LOUIS XVI ET RAILLY.
Je suis persuadé que plus l'Ordre du Tiers Etat me
donnera de marques de confiance et d'attachement, et
mieux ses démarches représenteront les sentiments
d'un peuple que j'aime et dont je ferai mon lionlieur
d'être aimé.
AMarly, le l G juin (1789).
La mort du premier Dauphin, sur lequel nous nous
sommes éteudu à la suite de la lettre de Josc))h II, en date
du II) juin 1788, fut l'occasion d'un mauvais bruit répandu
contre une députation du Tiers, c|ui, au moment do la
vérification des pouvoirs, avant la réunion des trois Ordi^es,
avait été chargée de porter au Roi des paroles au nom des
Commîmes. On prétendit que deux heuiTs après la mort de
Tenfant royal, quand Louis XVI s'était enfermé avec la
Reine pour pleurer, le président de la députation aurait
insisté impérieusement, au mépris d'une si cruelle douleur,
pour être reçu par Louis XVI. On ajoutait que le Roi,
indifjné, se serait écrié : « Il n'y a doue pas de pères dans
cette chambre du Tiers! »> Le fait a été exagéré : tous les
partis alors se calomniaient. Le doyen du Tiers, qui con-
duisait cette députation , était homme de bien autant
qu'homme de tident et de cœur. C'était Jean-Sylvain Bailly,
(|ui fut depuis une des plus intéressantes victimes de la
révolution. Durant sa présidence de T Assemblée, il sut
constamment allier, sans jamais se démentir, la modé-
ration au courag^e, et il ne se fût pas oublié au i)oint de
mettre aussi indécemment aux prises la force populaire
naissante avec la di(jnité royale et une si lé(j[itime affliction.
Lui-même, au tome I*' de ses Mémoires (p. 94 et suivantes
de l'édition de Baudouin), parle de cet incident en termes
d'une convenance |)arfaite, qui atténuent la cruelle lé(j[ende.
Cependant, comme on le voit par la lettre qui précède, le
Roi avait été blessé de ce que le Tiers ne s'était pas tout à
fait abstenu de lui demander audience aux premiers mo-
LOUIS XVI. 177
inents de sa douleur. Bailly ne parle pas de (*ettc lettre dans
ses Mémoires.
En résumé, l'on ne saurait constater sans une amertume
profonde le contraste entre la morne et sinistre indifférence
publique avec laquelle fut accueillie la mort du Hls de France,
et les joies délirantes qui avaient célébré sa naissance. En
même temps que la majesté de la Reine traînait au fond des
plus impurs libelles , Tesprit révolutionnaire lui jetait à la
lace Tinsulte du dédain. La partie san(jlante n'était pas loin
de s'ençager.
CCCCLVII
LK ROI A M. DE JLTIGNÉ, ARCHEVÊQUE DE PARIS (I). ]
Mal{;rc la nécessité d'être sévère pour maintenir la discipline, il se
montrera indnl{;ent pour dea prisonniers violemment relàchéii, et
«pie lui recommande l'A-^semblée.
Ce 2 juillet 1789.
Je me suis fait rendre un compte exact, mon cousin ,
de ce qui s'est passé dans la soirée du 30 juin. La vio-
lence employée pour délivrer des prisonniers à TAbbaye
est infiniment condamnable; et tous les ordres, tous les
corps , tous les citoyens honnêtes et paisibles ont le
plus {jrand intérêt à maintenir dans toute sa force Tac-
tion des lois protectrices de Tordre public. Je céderai
Cependant, lorsque Tordre sera rétabli, à un sentiment
cle bonté; et j'espère n'avoir point de reproches à me
f«iire de ma clémence, lorsqu'elle est invoquée pour la
première fois par l'Assemblée des représentants de \a
(i) Minute de la main du Roi. Archives générales de TEmpire.
TOME III. i2
178 M. DE JUIGNÉ, ARCHEVEQUE DE PARIS.
Nation . Mais je ne doute pas que cette Assemblëe n'at-
tache une égale importance aux succès de tontes les
mesures que je prends pour ramener l'ordre dans la
capitale. L'esprit de licence et d'insubprdination est
destructif de tout bien ; et s'il prenoit de l'accroisse-
ment, non-seulement le bonheur de tous les citoyens
seroit troublé et leur confiance seroit altérée , mais
l'on finiroit peut-être par méconnoitre le prix des gi^é-
reux travaux auxquels les représentants de la Nation
vont se consacrer. Donnez connoissance de ma lettre
aux États généraux, et ne doutez pas, mon cousin, de
toute mon estime pour vous.
Louis.
Des gardes françaises avaient été envoyées par le due du
Chastelet, pour délits disciplinaires, aux prisons de TAbbaye,
et allaient être transférées à Bicêtre. Le 30 juin, une multi-
tude armée, usurpant les droits du pouvoir exécutif, s'était
portée à TÂbbaye, en avait forcé les portes, et avait enlevé
les prisonniers pour les conduire au palais d'Orléans, sous là
sauvegarde du peuple. Une députation d'une vingtaine d'in-
dividus sans caractère public, alléguant le patriotisme des
gardes incarcérées, était venue demander leur grAce à l' As-
semblée. Celle<i, placée entre le double danger de favoriser
l'insubordination et d'encourager le peuple aux usurpations
de pouvoir, et cet autre danger de prêter la main à un des-
potisme punissant comme délits des actes de patriotisme, au
moment où la liberté commençait À naître, délibéra. EJle se
décida, pour ne pas empiéter sur l'autorité royale, à en
référer au Souverain lui-même, et à recommander à sa bonté
les gardes délivrées. L'arcbevêque de Paris fut chargé de
porter au Roi Farrêté de l'Assemblée touchant l'incident.
Antoinc-Ëléonor&JLiéon-Leclerc de Juigné, fils du marquis
M. DE JUIGNÉ, ARCHEVÊQUE DE PARIS. 179
de Jui(j[né, colonel du régiment d'Orléans, issu d'une ancienne
famille du Maine, était né à Paris en 1728. D'abord grand
vicaire de M. de Bezons, évêquè de Carcassonne, son parent,
il fut ensuite agent du Clergé en 1760. Cette agence du
Clergé était une fonction qui durait cinq ans, et à laquelle
incombait le soin de tous les intérêts, de toutes les affaires
ecclésiastiques. En 1747, il fut nommé à révéché-comté-pairie
de Châlons, où ses aumônes le firent couvrir de bénédic-
tions. C'est de là qu'il fut tiré de premier mouveuient par
Louis XVI, pour être placé à la tête de l'archevêché de
Paris, à la mort de M. de Beaumont. Dans le rigoureux
hiver de 1788 à 1789, tandis que le duc d'Orléans assurait
sa popularité en faisant des largesses de roi, M. de Juigné
vendit sa vaisselle pour suppléer à l'insuffisance de son
revenu ecclésiastique, cependant considérable, pour soulager
les misères. Il alla même jusqu'à s'endetter de plus de quatre
cent mille livres, dont le man]uis de Juigné, son frère aine,
se porta garant. Député aux États généraux, il y soutînt
avec one telle opiniâtreté inflexible les privilèges du Clergé,
qu'à sa sortie de l'Assemblée, à Versailles, il fut assailli à
coups de pierres par ce même peuple auquel sa charité avait
distribué à si grands frais des vivres et des vêtements. Il
éai^a en 89, et mourut à Paris, le 19 mars 1811, âgé de
<juatre-vingt*trois ans. C'est un des hommes de bien, un
'«tes prélats vénérables qui aient honoré le siège de Paris.
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MARIE- ANTOINETTE. iSl
CCCCLIX
MARIE -ANTOINETTE A SON FRÈRE, I/KMPEREUR
JOSEPH II (1).
Les scènes d'horreur dont elle a c'té trnioin lui ôtent la force d*écrire.
— Le retour de M. Necker apportera ])robaJ)hîment la paix.
Ce 26 juillet [1780].
Le départ du courrier me surprend, mon cher Frère ;
je m*en rapporte à ce qu'il vous porte de moi. .l'ai à
peine la force de vous écrire : les scènes d'horreur dont
nous avons été témoins et dont vous n'êtes sûrement
que trop instruit, m'ont navré le cœur, et je ne puis
que me taire sur la douleur que j'en ressens. Je sou-
haite que le calme renaîtra bientôt. L'arrivée de
M. Necker apportera, j'espère, la paix. La justice et la
raison de tous les bons, et il en reste encore, mettront
du baume sur la plaie qu'ont faite les perturbateurs.
Mais, hélas! je ne suis point tranquille, il s'en faut, et
il est inutile de vous en dire les tristes raisons.
J'ai écrit hier a ma sœur de Naples. Adieu; je vous
embrasse du fond du cœur.
(I) Arcbives impériales de Vienne.
CCCCLX
L*EMPEREUR JOSEPH II A SA SŒUR L'ARGHIDUCHKSSE
MARIE-CHRISTINE (1).
Etonnement qu'il éprouve des affaires tic France poussées si rapide»
ment à l'extrémité. — On le lirait dans l'histoire qu'on ne croirait
pas à ce terrible sauve qui peut. — Ses inquiétudes pour Marie-
Antoinette, contre laquelle on e!<t acharné.
Le 29 juillet 1789.
Ma chère Sœur, j'ai reçu votre lettre par le courrier
expédié pour porter des nouvelles des incroyables
événements passés eu France. Trautmanstorf a très
bien fait de l'envoyer, car, jusqu'à ce moment, je ne
scais par quelle raison , nous n'avons pas un mot du
comte Mercy, et par conséquent je ne scaurois rien
que par les gazettes et la voix publique. Il est incon-
cevable conunent tout cela a pu être amené à ce point
sans nécessité et de libre volonté, et comment on a pu
conseiller au Roi un acte d'autorité sans rien prévoir
ni rien disposer avec les troupes étrangères qui pour-
tant se trouvoient rassemblées, et comment enfin 1a
prise de la Bastille a pu déranger les tètes à Versaille
au point a leur faire perdre tout courage, sauve qui
peut, et le Roi mené ignominieusement en triomphe à
Paris. Si on liroit cela dans l'histoire, on ne le croiroit
(i) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'Archiduc Albert
d'Autriche.
Ortho(praphe conservée.
LOUIS XYI. iSS
pas. Vos hôtes fugitifs ne vous seront pas, j'espère,
incommodes, et je croîs qu'ils retourneront chez eux.
Ils ont joué un bien misérable rôle. Je suis vraiment
inquiet pour ma sœur, car je n'en apprends rien , et
elle est seule : toutes ses connoissances se sont sau-
vées et très innocemment. On étoit très acharné contre
elle, la croyant antidémocratique. Adieu. Faisons seu-
lement que cet exemple ne tourne pas les têtes chez
nous. Je vans embrasse. Ma santé est meiHeure, et je
c^ommence à reprendre des forces. Croyez-moi, de
que le Prince, pour la vie votre, etc. (1).
CCCGLXI
LOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLIGNAC (ï).
Affectueux souvenir.
1789.
Le duc de Guiche m'assure , madame la Duchesse ,
^que la communication est libre pour vous écrire. J'en
profite avec empressement pour m'informer de vos
^miouvenes , ainsi que de tous ceux qui sont avec vous.
T'uissiez-vous être heureuse et tranquille! c'est tout ce
<|ue je désire pour vous dans ce moment-ci, sans perdre
^'autres espérances. Nous nous portons tous assez
]>ien ici. Bonsoir, madame la Duchesse, vous connois-
.sez toute mon amitié pour vous.
Louis.
(1) Cet etc. est de la main de l'Empereur.
(S) Papiers de famille du duc de Polignac.
84 L EMPEREUR JOSEPH II.
CCCCLXII
L EMPEREUR JOSEPH II A SA SOEUR LARCHIDUCHESSE
MARIE-CHRISTINE (1).
On ne saurait ctrc trop «ur êos garder dans les Pays-Bas contre la
conta(pon du délire français». — Un fuyer de réfugiés sur la frontière
du Hainaut est chose menaçante pour la tranquillité publique. —
Point de nouvelles du comte de Mercy. — Inquiétudes sur le sort
de la Reine.
Le aO juillet 1789.
Ma chère Sœur, je viens de recevoir votre chère
lettre avec celle que le comte d'Artois vous a écrite et
que je vous renvoie. Je ne scaurois porter de jug^emcnt
si le local de Marimont ou celui que le ministre vous a
proposé, et que vous dites avoir adopté pour son
séjour, soit plus convenable de l'un ou de l'autre,
puisque ni votre réponse au comte d'Artois ni le lieu
que le ministre a cru devoir préférer n'est exprimé dans
votre chère lettre, il est sur qu'on ne peut être assez
sur ses gardes dans ces moments de délire en France
pour que cela ne devienne contagieux, et il est sûr que
tous ces fugitives, plus de considération qu'ils sont,
plus prouvent-ils le pouvoir et l'autorité que le peuple
s'est arrogé. Un foyer de réfugiés, mauvaise espèce sans
cela , qui se rasseiublcroit alentour du comte d'Artois,
pourroit n'être pas sans inconvénient sur les frontières
(1) Arcbives de Sun Altesse Impériale et Royale rArcbiduc Albert
d*Autricbe.
OrtliO(|rapbe conservée.
MARIE-ANTOINETTE. 185
et en Hainaut. Je lui aurois plutôt offert de venir seul
avec son valet de chambre chez moi ù Lacken. Ses
enfants s'étant décide à voya{];er, ceci auroit été le plus
amical et le moins sujet à inconvénient. Le comte Mercy
n'a pas donné sig[ne de vie encore. Je ne puis comprendre
ce qui Ten empêche, et je suis comme vous fort inquiet
pour la Beine. Adieu, je vous embrasse, de même que
I e Prince, de tout mon cœur.
CGCGLXIII
MARIE- ANTOINETTE A LA DUCHESSE DE POLIGNAC(l).
Par Tentremise de madame de Piennes, elle «^applaudit de pouvoir
écrire à cœur ouvert. — Tout le monde fuit, et elle n*e8t entourée
que de malheurs et de malheureux. — Dans sa solitude, elle est
consolée par ses enfants, qui ne la quittent pas. — Madame de
Tourzel. — Discrétion dont on doit user dans les correspondances ,
qui toutes sont ouvertes. — Souvenir à madame de Guiche. — >
Somln-e avenir.
Ce 12 d'août [1789].
Je n'ose vous écrire qu'un mot, mon cher cœur;
mais je suis encore bien heureuse de ce que par
M** de Pienne (2) je peu vous parler de tout mon
amitié. Je ne vous exprime pas tout mes regrets d'être
séparé de vous : j'espère que vous les sentez comme
moi. Ma santé est assez bonne, quoique nécessaire-
ment un peu afToibli par tous les choquez continuel
(1) Papiers de famille du duc de Polignac. Orthographe conservée.
(S) Née de Montmorency.
\
186 MARIE-ANTOINETTE.
qu'elle éprouve. Nous ne sommes entouré que de
peines, de malheurs et de malheureux, — sans compter
les absences. Tout le monde fuie, et je suis encore trop
heureuse de penser que tous ceux qui m'intéressent sont
éloigniez de moi. Aussi , je ne vois personne, et je suis
toute la journée seule chez moi. Mes enfants font mon
unique ressource. Je les ai le plus possible avec moi.
Vous s'avez sûrement la nomination de M'* de Tourzel :
elle a bien coûte a mon cœur ; mais du moment que
vous aviez donné votre démission, et que ce n'étoit
plus l'amitié et la confiance qui présidoit à leurs édu-
cation , j'ai voulu du moins que ce fut une personne
de grande vertu et qui fut éloigniez par son état de
toutes accusations d'intrigues. Ma fille et Ernestine
ont été parfaite pour vous, et par conséquent pour moi.
Pour mon fils, il est encore trop petit et trop étourdi
pour bien sentire une séparation .
Guebillon vous dira de ma part la manière de vivre
des en&nts : je l'en ai chargé verbalement, car je n*ai
pas osé écrire par lui. Ne me repondez pas, a moins
d'avoir une occasion sure ; et encore n'écrivez que des
choses qu'on puisse lire , car on fouille tout le monde
et rien n'est sure. Je n'écris n'y ne veut que personne ne
m'écrive par la poste, quoique je sache bien que n'y moi
n'y mes amis ne mandrons jamais de mal ; mais je ne
veut pas qu'on puisse dire que je reçois des lettres , et
qu'après cela on en compose. Dites bien des choses
pour moi à M' de Polignac. J'embrasse M'* de Guiche.
Dites-lui , je vous prie , que ne pouvant la voir, j'ai au
moins embrassé de bien bon cœur son petit garçon,
il y a quelque jours, sur la terrasse. Je n'écris pas a
MARIE. ANTOINETTE. 187
mon frère (1), parce que je compte qu'il n'est plus arec
vous. Il est bien essentiel pour vous tous qu'il reste peu,
clans ce moment, en Suisse. Une fois établi a Turin, il
ira TOUS voir quant et comme il voudra. Il est bien
essentiel aussi qu'il mande promptement a sa femme
de venir a Turin. Elle le désire beaucoup, et c'est le
seul endroit ou elle puisse être décemment pendant
que ses enfants et son mary ne sont pas icy, et qu'on
réforme toutes leurs maison. Adieu, mon cher cœur.
Je ne vous parle point d'affaire : elles ne seroit qu'af-
fligeant pour toutes deux. Enfin , il faut espérer qu'un
Jour le calme renaitera; mais le bonheur du Roy et le
mien, par conséquent, existant dans la prospérité de
son royaume et le bonheure de tous ses sujets depuis le
plus grand jusqu'au plus petit, nous sommes encore bien
loin de la tranquillité. Pour moi, mou cher coeur» la
mienne ne sera parfaite que quant on vous aura rendu
justice et qu'on reconnoitra la pureté de votre cœur.
Ne doutez jamais de ma tendre amitié : elle est à vous
jusqu'à la mort.
P. S. Ecrivez quelquefois a M*** de Mackau; je s'aurai
du moyens de vos nouvelles.
Le 3 août 1789, M. Champion de Cicé, archevêque de
Bordeaux , avait été nommé garde des sceaux , à la place de
M. de Barentin. Le comle de La Tour du Pin avait rem-
placé M. de Puységur au département de la Guerre; et le
(1) Le comte d'ArtoU.
188 MADAME ELISABETH.
comte de Saint-Priest, M. de Villedeuil, à la Maison du Roî.
Le 4, avait eu lieu la fameuse séance de nuit dans laquelle
les élans patriotiques des membres de TAssemblée Nationale
s'étaient confondus dans un seul et môme sentiment, celui
du bien public, et où les ordres privilég^iés avaient rivalisé
de g^énéreux sacrifices.
Le 12, TAssemblée décidait, dans les bureaux, que chacun
de ses membres recevrait une indemnité de dix-huit livres
par jour.
CCCCLXIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
La garde bourgeoise de Versailles n*est point; encore habillée. — > Elle
demande des troupes à cheval pour Taider dans son senrice. — Le
peuple, Icfï croyant trop nombreuses, s'oppose d'abord à leur entrée.
— Vive le Roi, point de dragons! — Le lendemain, on les amène
en triomphe. — Premier serment prêté en présence des ofKciers
municipaux. — L'Assemblée Nationale n'est point encore décidée
pour les droits de l'homme. — La milice de Paris doit venir
complimenter le Roi, le jour de la Saint- Louis. — A Cacn,
querelle entre le régiment de Bourbon et des soldats du régiment
d'Artois. — Assassinat du comte Henri de Belzunce. — Le régi-
ment de Bourbon est chassé de la ville* — Les gardes du corps
s'ennuient de leur discipline.
[Versailles], ce '20 août 1789.
Bonjour, ma Bombelinette, comment te portes-tu à
Stuttgard? le petit baron a-t-il bien soin de toi? Nous
n'avons pas encore de nouvelles de ton arrivée, et cela
manque h notre parfaite tranquillité. Celles que tu m'as
données de Luxembourg m'ont fait un bien grand plai-
MADAME ELISABETH. 180
Sir. Tu mandes à ta mère qu'Henri ne te fait plus autant
souffrir ; je commence d'après cela à le croire un enfant
charmant. Notre physique est toujours en bon état;
mais le moral est dans la même position où tu Tas laissé.
La garde bourgeoise de Paris va être bientôt habillée ;
on dit qu'ils sont enchantés de leurs nouveaux vête-
ments. Celle de Versailles est encore dans la plus par-
faite bigamire. Ils ont demandé des troupes à cheval,
parce qu'ils sont sur les dents de tout le chemin qu'ils
ont été obligés de faire pour aller chercher de la farine.
Ite peuple s'est persuadé qu'au lieu de cent hommes, il
y en avoit six mille et plus. En conséquence, il n'en
^ouloit point. Si bien que ces malheureux, qui étoient
^n marche depuis quatre heures du matin, ont étéobli-
çjés à neuf heures du soir de se retirer au grand Trianon,
où on leur a apporté de quoi manger. Le lendemain ,
mIs ont été reçus à merveille : la milice bourgeoise et la
vnunicipalité ont été les chercher; on les a amenés en
triomphe dans la Place d'Armes, où on leur a fait prêter
le nouveau serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la
IjOÎ. C'est le premier qui ait été porté en présence des
«)fficiers municipaux. Ils sont à présent tous bons amis.
Le Roi a passé au milieu de la bagarre le jour qu'ils ne
A'ouloient point de dragons ; ils se sont mis a crier : Vive
le Roi ! point de dragons ! A l'Assemblée Nationale, on
n'est pas encore décidé pour les droits de l'homme (1).
^ï. de Clermont espéroit que la Constitution seroit finie
(1) C'est le jour même où la Princesse écrivait cette lettre, le
20 août, que le préambule et les premiers articles <le la Déclaration
«les droits de Thomme furent décrétés.
190 xMADAME ELISABETH.
pendant sa présidence; je l'aurais voulu, buhs je ne
crois pas que cela soit. On dit que la milice de Paris
viendra complimenter le Roi le jour de la Saint-Loviis.
Je te manderai si cela a lieu.
A Caen , il y a eu une querelle entre le régiment de
Bourbon, dont le comte Henri deBelzunce étoit major en
second, et deux soldats de celui d'Artois qui avoient une
plaque où étoit écrit Vive le Roi et la liberté ! que ceux de
Bourbon a [ont] arrachée. On a accusé M. de Belzunce
d*en avoir donné Tordre; il s'étoit mis de lui-même en
prison pour prouver le contraire. Mais dans l'instant où
on le menoit à la prison de l'hôtel de ville, il a reçu, ditr
on, dix-sept coups de fusil, et on lui a coupé la tète avant
qu'il fut expiré (1). Le calme a reparu dans la ville; le
duc d'Harcourt est toujours gardé à vue, le Régiment
a été chassé de la ville : on ne vouloit le recevoir nulle
part; mais, sur la demande de Caen , il l'a pourtant été
à Lisieux. Si la petite ne sait pas tous ces détails, ne lui
en parle pas, à cause de ses tantes. Le Béarn, le Yiva-
rais, et, je crois, l'Artois, ont déclaré qu'ils ne recon-*
noissoient que le Roi ; que si, dans ce moment, il n'étoit
pas assez puissant pour les gouverner , ils se gardoient
pour celui où il pourroit les commander. Les gardes du
corps, ennuyés apparemment de leur discipline, ont
présenté hier un mémoire.
(1) On déploya contre ce loyal et brave jeune homme une férocité
étrange : son corps fut mutilé et l'on alla jusqu'à manger des lambeaux
de son cadavre, comme jadis on avait mangé du maréchal d* Autre,
comme chez les flegmatiques Hollandais on avait mangé du grand
citoyen de Witt.
LOUIS XVI. 191
Le 23 août 1789, l'Assemblée décrétait la liberté des opinions
religieuses.
Le 27, un emprunt national de quatre-ving^ts millions était
arrêté.
Le 30, un rassemblement d'émcutiers envoyait une dépu-
tation, qui avait à sa tête le marquis de Saint-Huruge, pour
porter à TAssemblée Nationale un vœu contre Tadoption du
veto. La députation, improuvée par la municipalité de Paris,
était dissipée, et Saint-Huruçe était arrêté avec quelques
autres exaltés.
Enfin, le 31, une ordonnance du Roi supprimait le Téçi^
ment des ^rdes françaises.
CCCGLXV
LE ROI A MONSIEUR F. J. DE PARTZ DE PRESSY,
ÉVÊQUE DE BOULOGNE (1).
lU de la lituatiim de la France désolée par les troubles, les
désordres et les violences. — Le Roi conjure l'évêque d'implorer les
secours de la divine Providence et d'exhorter le peuple à Tobéissance.
Septembre 1789.
Mens. rÉvéque de BouIog[ne, vous connoissez les
troubles qui désolent mon royaume ; tous savez que ,
"^ans plusieurs provinces, des brigands et des gens
^^dans aveu s'y sont répandus, et que non contents de se
livrer eux-mêmes à toutes sortes d'excès , ils sont par-
(f) Ardiîves générales de TEmpire. Cette lettre, rédigée par le
Ministre, est corrigée de la main dn Roi.
192 LOUIS XVI.
venus à soulever Tesprit des habitants des campagnes;
et portant l'audace jusqu'à contrefaire mes ordres, jus-
qu'à répandre de faux arrêts de mon Conseil, ils ont
persuadé qu'on exécuteroit ma volonté ou qu'on répon-
droit à mes intentions en attaquant les châteaux et en
y détruisant les archives et les divers titres de pro-
priété. C'est ainsi qu'au nom du souverain, le protec-
teur-né de la justice, et au nom d'un monarque qui, je
puis le dire, s'en est montré le constant défenseur pen-
dant son règne, on n'a pas craint d'exciter le peuple à
des excès que les plus tyranniques oppresseurs auroient
craint d'avouer. Enfin, pour augmenter la confusion
et réunir tous les malheurs, une contrebande soutenue
à main armée détruit avec un progrès effrayant les
revenus de l'Etat et tarit les ressources destinées ou au
payement des dettes les plus légitimes, ou à la solde
des troupes de terre et de mer, ou aux diverses dépenses
qu'exige la sûreté publique.
Ce n'est pas tout encore, un nouveau genre de cala-
mités a pénétré mon àme de la plus sensible affliction ;
mon peuple, renommé par la douceur de ses mœurs et
de son caractère, mon peuple, dans quelques endroits,
heureusement en petit nombre, s'est permis d'être l'ar-
bitre et l'exécuteur de condamnations que les déposi-
taires des lois, après s'être livrés au plus mûr examen,
ne déterminent jamais sans une secrète émotion.
Tant de maux, tant d'afHictions ont oppressé mon
âme, et après avoir employé, de concert avec FAssem-
blée Nationale, tous les moyens qui restent en mon
pouvoir pour arrêter le cours de ces désordres , averti
par l'expérience des bornes de la sagesse humaine, je
LOUIS XVI. 198
veux implorer publiquement le secours de la divine
Providence , espérant que les vœux de tout un peuple
toucheront un Dieu de bonté et attireront sur ce royaume
les bénédictions dont il a tant besoin. La beauté des
moissons dans la plus g[rande partie du royaume, ce
bienfait devenu si nécessaire et si précieux, semble
annoncer que la protection du ciel ne nous est pas
encore retirée, et nous aurons ainsi des actions de grâces
à joindre à nos prières. Accompagnez ces prières des
exhortations les plus pressantes, faites sentir au peuple,
faites sentir à tous mes sujets que la prospérité de l'État,
que le bonheur des particuliers dépendent essentielle-
ment de l'exacte observation des lois. La violence ne
peut jouir qu'un moment de ses succès et de ses prospe-
ctés criminelles ; on s'élève bientôt de toute part contre
«elle, et les hommes qui rompent le pacte social, ce fon-
dement de la tranquillité publique, en reçoivent tôt ou
^ard la peine inévitable.
Nulle part les fortunes ne sont égales, et elles ne
peuvent pas l'être ; mais quand les riches vivent sans
défiance au milieu de ceux qui le sont moins, leur super-
^u se reverse nécessairement sur l'industrie , le com-
lanerce et l'agriculture ; et comme leurs jouissances sont
l>omées par les lois immuables de la Providence , sou-
vent ils sont moins heureux que ceux dont la vie, occu-
pe par le travail, se trouve à l'abri du tumulte des
passions. Mais ce que vous devez surtout rappeler à
mes sujets , c'est qu'en rassemblant autour de moi les
représentants de la Nation, j'ai eu principalement à
cœur d'adoucir le sort du peuple par toutes les dispo*
sitions qui me paroitroient pouvoir se concilier avec
TOMR III. 13
194 LOUIS XYI.
les devoirs de la justice. Déjà par un même esprit, les
prélats, les seigneurs, les gentilshommes, les hommes
riches de tout état, se disputent a Tenvi les moyens de
rendre le peuple plus heureux ; et pour atteindre ce but,
ils offrent des sacrifices qu'on n'auroit pas eu le droit
d'exiger d'eux. Exhortez donc tous mes sujets à attendre
avec tranquillité le succès de ces dispositions patrio-
tiques; éloignez-les, détournez-les d'en troubler le
coups par des insurrections propres à décourager tous
les gens de bien. Que le peuple se confie à ma pro-
tection et à mon amour; quand tout le monde l'aban-
donneroit, je veillerois sur lui. Mais jamais dans aucun
temps il n'y a eu en sa faveur un concours plus géné-
ral de volontés et d'affections de la part de tous les
ordres de la société. Exhortez-le donc, au nom de la
religion, à être reconnoissant et à montrer ce sentiment
par son obéissance aux lois de la justice; avertissez,
instruisez ce bon peuple des pièges des méchants , afin
qu'il rejette loin de lui, comme des ennemis de la patrie,
tous ceux qui voudroient l'induire à des actes de vio-
lence, tous ceux qui voudroient le détourner de payer
sa part des charges pubUques et le priver ainsi de l'ho-
norable qualité de citoyen de l'État.
Les divers impôts qui composent les revenus publics
seront examinés dans le cours de l'Assemblée natio-
nale ; ceux qui paroftront trop onéreux seront rempla-
cés par d'autres, et tous seront adoucis successivement
par le ménagement et la régularité des perceptions;
mais jusqu'à l'époque prochaine où les affaires seront
arrangées, tous mes sujets ont un égal intérêt au main-
tien de l'ordre ; car la confusion entraîne la confusion,
LOUIS XVI. 195
et souvent alors la sagesse des hommes est impuissante
pour remédier à la grandeur des maux, et pour arrêter
le progrès des inimitiés et des défiances mutuelles.
Je ferai pour le rétablissement de Tordre dans les
finances tous les abandons personnels qui seront jugés
nécessaires ou convenables; car, non pas seulement
aux dépens de la pompe ou des plaisirs du trône,
qui depuis quelque temps se sont changés pour moi en
amertumes, mais par de plus grands sacrifices, je vou-
drois pouvoir rendre à mes sujets le repos et le bonheur.
Venez donc à mon aide, venez au secours de l'État par
vos exhortations et par vos prières; je vous y invite
avec instance, et je compte sur votre zèle et sur votre
obéissance. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait,
mons. l'Évéque de Boulogne, en sa sainte garde.
Écrit à Versailles, le 3 septembre 1789.
Louis.
13.
196 MADAME ELISABETH.
CCCCLXVI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Le Duc d'Orléans est parti pour i* Angleterre. — La Princesse se loae
beaucoup de la milice. — Tout est pour le mieux.
Ce 20 octobre [1789].
Vous devez avoir reçu ma lettre, ma petite; depuis
que je t'ai écrit, tout est assez tranquille; M. le d. d.
est parti pour TAngleterre , il a été arrêté à Boulogne,
mais je crois qu'à présent il doit être passé (1). Nous nous
portons tous bien, à commencer par la Princesse, qui
ne vous écrira qu'un tout petit mot, parce qu'elle va
arpenter le jardin, où elle n'a pas encore mis les pieds
depuis qu'elle est ici ; il fait un temps superbe , et elle
va en profiter. Adieu, mon cœur; comment va tous les
enfants, et puis vous, votre lait n'a-t-il pas un peu
tourné pendant quelques jours? Ménagez-vous bien. Je
vous dis vrai en vous disant que nous sommes bien ici ;.
tout y est tranquille , beaucoup d'ordre , de soin de la
part de la milice , enfin tout est pour le mieux. Adieu,
ma petite , je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.
(i) Le Duc d*Oriéans était parti depuis le 14 octobre, sous le pré-
texte d*une commission particulière du Roi.
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. 197
GCCCLXVII
L'ARCHIDUC GRAND -DUC DE TOSCANE LÉOPOLD,
DEPUIS EMPEREUR, A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE,
GOUVERNANTE DES PAYS-BAS (1).
Il se réjouit des succès remportés par TAutriche sur les Turcs. — Les
nouvelles de la France font frémir. — Il est indi(rné de l'inconce*
vable faiblesse de Louis XVI, dont il redoute les conséquences pour
la Reine. ~— Il se refuse à croire à la gravité de la situation aux
Pays-Bas. — Il y blâme Temploi de la force, et pense qu'il serait
mieux de remonter aux causes du mécontentement pour les faire
disparaître.
[De Florence, le 27 octobre 1789.]
Très -chère Sœur, j'ai reçu votre chère lettre de
l'onze de ce mois, et l'ai très-bien pu lire. D'abord,
permettez que je me réjouisse avec vous des succès
multipliés contre les Turcs, de leurs défaites réitérées
et de la prise de Belgrade, qui aura encore, je me flatte,
d'autres bonnes suites, et cet hiver la paix. Les nou-
velles de France font frémir ; ce qui est arrivé à Ver-
^îlles dernièrement sous les fenêtres du Roi, et le
transport de Leurs Majestés à Paris, est sans exemple
et aura des suites incalculables dont la moindre sera la
guerre civile. Il est inconcevable comment Leurs Ma-
jestés n'ont pas Jenti l'imprudence d'aller au dîner des
gardes du corps et de s'imposer à une scène pareille,
et comment ensuite , au moment de l'attaque de Ver-
sailles, le Roi ne s'est pas fait plutôt tuer que de céder,
(i) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'ArcLiduc Albert
d'Autriche.
198 LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR.
casser et sacrifier ceux qui l'avoient défendu. Il fîaut
avoir le sang d*eau claire, les nerfs d'étoupe et rame
de coton pour se conduire de cette façon. J'en suis
indigné et ne plains que la Reine, car j'ai un pressen-
timent qu'on finira par l'enfermer.
Les nouvelles que vous me marquez de chez vous
sont singulières. On parle de révolte, de troupes hol-
landoises qui s'approchent, d'États de Flandre assem-
blés à Bréda , de secours demandés par les États en
France et en Hollande. Je ne crois pas tout cela : j'es-
père et me flatte qu'on restera tranquille chez vous;
mais je ne comprends point pourquoi, dans le moment
présent, on veut envoyer des troupes pour violer les
territoires liégeois et hollandois; je me flatte qu'on ne
l'aura que menacé et qu'on n'en fera rien , car, dans
le moment présent, ce seroit le comble de Timpru-
dence, car il ne vaut pas la peine d*y aller chercher
quelques mécontents , et si leur nombre est grand , il
seroit plus utile d'aviser aux causes de leur méconten-
tement et de les changer. Je vous embrasse tendre-
ment et suis.
MARIE- ANTOINETTE. 199
CCCCLXVIII
MABIE-ANTOINETTE
AU GÉNÉRAL BARON DE FLACHSLANDEN (1).
-Craelles alarmes de la Reine après la nuit des 5 et 6 octobre. — - Elle
redoute les mouvements qui s'opèrent en Alsace et les récrimina-
tions que les malintentionnés Tont tourner contre elle. — Dessein
de le renfermer absolument dans son intérieur et de se faire oublier.
— Elle ne veut prendre aucune part au choix des nouveaux mi-
nistres. -~ Demande de conseils.
Le mercredi 28 [octobre 1789].
Je suis bien inquiette de ce qui se passe en Alsace ,
^t je vous prirai, M' le baron, de m'en donner des
nouveUes par la même voye par laquelle vous recevrez
ma lettre ou par toute autre que la personne vous indi-
quera, je crains pour moi personnellement, tous les
mouvements de cette province, quelque chose qui
arrive, ont persuadera au peuple d'icy, que c'est des
allemands, et que par consequant j'y suis pour beau-
coup. TOUS trouverez peut-être de la purilité dans mes
craintes; mais j'ai besoin d'une circonspection et d'mie
(1) Autographe. — Orthographe conservée. — Bibliothèque royale
de Berlin» Collection du général de Radowitz. Cette lettre avait été
donnée an général par le baron de Malzen. Dans le catalogue de la
collection Radowitz, elle est portée comme écrite du Temple; erreur
qui saute aux yeux, quand on a lu le rappel que fait la Reine de la
nuit du 5 (octobre 1789) comme d*un événement récent. En outre,
est-ce que la Reine aurait parlé d'influence à exercer sur le choix des
ministres, alors qu'elle était prisonnière et entourée de féroces geô-
liers? On n'a d'elle du Temple que de très-petits billets qu'elle faisait
échapper avec peine à la stricte surveillance exercée 5ur sa personne.
200 MARIE- ANTOINETTE.
prudence audessû de tout pour rammener la confiance
en moi. mon rôle a présent est de me renfermer abso-
lument dans mon intérieure , et de tacher par une
inaction totale a faire oublier toute impression sur
moi, en ne leurs laissant que celle de mon courage qu'ils
ont si bien éprouvé et qui s'aura leurs en imposer dans
l'occasion, je ne dois donc n'avoir aucune influence
marqué n'y dans le choix des personnes a placer n'y
dans les affaires, mais on parle de tant de manière
différentes, sur tous ces objets , que je voudrois pour
moi seule avoir des idées fixe et arrêté, je vous prirai
donc, M*" le baron, de me mander vos opinions, vous
devez compter sur le plus grand secret, votre caractr,
votre esprit, et votre loyauté, m'assurent du votre, il
serait bien a désirer, que tout te monde pensa comme
vous, et qu'en voulant le bien même, ont eut autant de
prudence, nous n'en serions peut être pas aujourd'hui
ou nous en sommes, mais le mat est fait, la position
est affreuse, il faut s'avoir s'en tirer, non avec des
moyens violents, ils manqueroit tous, nous ne sommes
pas les plus forts, mais avec une suite et une constance
d'jdée et de marche , qui déjoue tous projets de mal.
la nécessité obligera peut-être a ce servire de per-
sonnes je suis interrompu : on m'apporte l'arrêtée
d'aujourd'hui : il couronne tous ce qu'on a fait jus-
qu'icy (1). mais quel peut être le but de tout cecy?
est-ce pour prouver que les personnes qui vissent aux
(i) La suspension provisoire des vœux monastiques. Le 2 du moiê
suivant , les biens du clergé furent mis à la disposition de la nation ,
et toute distinction d'ordres de citoyens dans l'État fut abolie.
MARIE-AKTOrMETTE. SOI
ministère, sont bien intentionnée et qu'elles veulent le
bien? assurément ils auront peine a le persuader de
cette manière; ou est-ce pour effrayer et forcer de
les prendres? je me perd dans les conjectures, c'est a
TOUS , H' le baroD , qui etez plus porté a les pouvoir
ju{[er, a m'eclairer. Il est toujours bien essentiel pour
moi, qu'en persuadent bien au public, que je ne dirige
pas les choix, qu'on fera peut-être [que] c'est personnes
la ne croyent point y être venu absolument contre ma
-volonté. Si M' l'arch. de toulouse avoit ete icy, je vous
auroîs épargné tous ce bavardage, je connois votre
amitié pour lui , et que vous avez la même manière de
penser; mais j'ai besoin d'avoir quelqu'un, qui me
conseil, non pas po,ur faire la moindre chose, — je ne
le peu pas pour mil raisons, — mais pour régler mes
jdées ,dsns ma tête, je m'adresse a vous , M' le baron ,
avec ta confiance que votre caractère ma toujours
inspiré, je vous prie de brûler ma lettre tout de suite,
j'en ferai autant pour la votre; et si vous venez chez
moi, je n'aurai pas l'air de vous parler plus qu'aux
autres (I). prudence, patience sont mon sort, surtout
courage, et je vous assure qu'il en faut bien d'avantage
pour supporter les peines de tous les jours que les dan-
gers de la nuit du 5. Recevez les assurances de toute
mon estime.
Ce mercredy a 6 h. du soir.
(I) • Si TOUS venez chez moi. • Comment en lisant de pareille*
parole! a-l-on pu supposer ([o'elles fua«enl ccrile» du Templeî Eit-ce
qae riaforiuaée Reine y tenait cercle?
20Î SUITES DE LA NUIT DES 5 ET 6 OCTOBRE.
Les journées des 5 et 6 octobre 1789, dont Marie- Antoinette
rappelle la nuit sinistre, étaient, nous persistons à le croire,
émanées de la spontanéité du peuple ; et s'il s'y est mêlé des
hommes déguisés en femmes , des sicaires et des ag^ents sti-
pendiés ou corrupteurs, c'étaient de ces ennemis publics, de
ces fauteurs de désordre, de violence et de crime, qui sont
à l'affût de toutes les occasions pour confisquer les événe-
ments au profit de leurs propres actions on de celles qui les
payent.
En effet, du milieu de cette foule hurlante qui demandait
du pain et s'enivrait de sa propre fureur, des inconnus
à visage sombre s'agitaient, circulaient dans les rangs,
recommandant de « bien faire ». « 11 ne faut épargner,
criait-on , que Monsieur, le Dauphin et le duc d'Orléans. »
Deux brigands, dont un déguisé en femme, s'étaient glissés
dans le palais pour assassiner la Reine, et avaient lutté corps
à corps avec un garde courageux qui défendait l'entrée de
l'appartement royal. Dans les cours, des cris effrayants se
croisaient, des cris de confusion, de tumulte et de meurtre;
et ce mot fut entendu : Nous voulons la peau de la Reine
pour en faire des rubans de district! Enfin, quand, après de
terribles péripéties, il fut décidé que le Roi et sa famille
iraient à Paris : u Nous les tenons, disaient les gens du
peuple : nous ramenons le boulanger, la boulangère et le
petit mitron : l'abondance va renaître. »
Cette installation de la famille royale â Paris ayant coupé
court aux intrigues et aux complots, l'abondance des subsi^
tances avait en effet reparu, et l'on eût dit, à juger par la joie
publique, que la révolution était terminée. C'était à peine
une trêve, et l'on vit alors les chefs du parti contre-révolu-
tionnaire, Mounier et Lally-Tollendal, abandonner l'Assem-
blée, au lieu d'y demeurer pour tenir tête à la tempête.
La Reine avait montré le plus héroïque courage dans ces
journées formidables où avait sauté la mine creusée sous
le trône par l'imprudente réunion des Notables , des Ëtats
généraux, et de l'Assemblée qui devait en être la suite.
SUITES DE LA NUIT DES IS ET 6 OCTOBRE. S03
•
Il se trouvait cependant* d'honnêtes niais qui en faisaient
Tapoloçie, tandis que d'autres désertaient le combat. Du seîn
du Ëimeux cercle Breton démembré sortirent des clubs
rivaux. La partie la plus avancée jeta les bases de ce redou-
table club des Jacobins, où régna Robespierre, où la Mon-
tagne affecta la toute-puissance. Naquit, au souffle timide
des plus modérés, le club de 89, qui bientôt alla se fondre
dans celui des Feuillants, dont firent partie La Fayette,
Baillj, Duport et les Lameth. Mais dans la tourmente d'une
révolution sortie de la démocratie, les plus violents finissent
toujours par l'emporter. Aussi les Feuillants, timides, battus
en brèche, décimés de toute part, furent-ils impuissants
à défendre la monarchie. Peu à peu les CSonstitutionnels
s*en retirèrent; et après le 10 août, le club des Feuillants
n'était plus que de l'histoire : les Jacobins avaient tout
dévoré.
Les ouvriers de là dernière heure, les clabaudeurs, si com-
muns dans les grandes villes aux temps de troubles, et qui
se donnent comme l'expression de cette opinion générale,
insaisissable, qui est partout et nulle part, envenimaient les
esprits. Ils semaient à l'envi des nouvelles fausses ou exagé-
rées dans la masse toujoivrs crédule de la bourgeoisie, dans
la tourbe populaire, toujours inflammable et prête à servir
d'instrument aveugle aux mains des meneurs et des ambi-
tieux. Les capitalistes, les rentiers et autres créanciers de
l'État, frémissaient à l'idée de la banqueroute tandis que
les maltôtiers étaient à l'affût pour s'enrichir de la ruine
publique. Une véritable dissolution menaçait. Une vive fer-
mentation dans les provinces était le contre-coup des com-
motions de Paris. Le Dauphiné, la Bretagne, la Provence,
le Languedoc, le Béarn, la Flandre, qui s'étaient soulevés,
sont prêts à la révolte. Partout le peuple, entré en posses-
sion de lui-même, s'est organisé en municipalités et en
gardes nationales. Ainsi que jadis sous la Ligue, il com-
mence à se compter, à se regarder comme un principe, à se
persuader qu'il n'y a d'autre autorité fondamentale que la
sienne. L'aristocratie descend, le peuple monte. Le temps
des grandes idées pratiques en politique n'est pas encore
venu, mais bientôt il va éclore, et le cœur va battre à l'opi-
204 SUITES DE LA NUIT DES 5 ET 6 OCTOBRE.
nion publique, cette puissance jadis inconnue. Cependant
FAlsace, la magnifique province aujourd'hui si française et
l'un de nos boulevards les plus patriotiques aux portes du
pays, était encore en partie allemande à cette époque, et se
répandait en murmures. La haute Alsace , qui avait apparu
tenu à la maison de Habsbourg, puis d'Autriche, avait été
gouvernée, depuis 1268, par des officiers de l'Empire,
quand le traité de Westphalie Pavait donnée à la France
on 1648. L'évêché de Strasbourg, déjà occupé, dès 1673,
par les armes de Louis XIY , avait été définitivement réuni
à la France, en même temps que la ville libre impériale de
Strasbourg, par la paix de Ryswyck, en 1697. Néanmoins,
il restait encore dans la province quelques enclaves féodales,
domaines des princes de Wiirtemberg, de Deux-Ponts, de
Bade, de Hesse-Darmstadt , et des barons de Wangen de
Geroldseck , qui relevaient des empereurs d'Allemagne ,
comme nous l'avons déjà dit dans notre premier volume, à
la suite d'une lettre de Louis XVI, en date du 8 août 1790.
Autant par peur que par répugnance pour les principes
de 89, ces personnages et les abbayes qui dépendaient d'eux
fomentaient des troubles et finirent par déterminer Tan-
nexion de leurs domaines à la Fratice.
Après les 5 et 6 octobre, quelle devait être la composition
du ministère? Les partis étaient plus divisés et tranchés que
jamais. Le duc d'Orléans, La Fayette, Mirabeau, Barnave et
les Lameth étaient les coryphées du parti populaire dont ces
journées avaient constaté le triomphe, et ils s'en parta-
geaient les sympathies à des degrés divers. On cherchait
bien à faire retomber sur le Duc et sur Mirabeau la respon-
sabilité personnelle des journées. Les patriotes exaltés les en
louaient, les constitutionnels les maudissaient ; mais, comme
nous l'avons déjà dit en notre premier volume, ils ne méri-
taient ni cet excès d'honneur ni cette indignité. La Fayette
seul avait encore, alors, les cœurs de la Cour, qui voyait
en lui un sauveur. Les exaltés rêvaient de porter au minis-
tère Mirabeau, dont le génie puissant avait soif de pouvoir.
Mais bientôt le terrible tribun allait perdre un de ses appuis
indirects qu'il désavouait, le duc d'Orléans, que Louis XVl
força de s'éloigner en faisant leurrer son ambition d'une
SUITES DE LA NUIT DES 5 ET 6 OCTOBRE. 205
élection princière dans les provinces Bclgiques. Le Duc
arrivait à Londres, et le roi d'Ân{jleterre, prenant un ton de
sympathie et de chagrin , le plaignait sur le traitement qu'on
avait fait subir au Roi, le louait ironiquement sur la dou-
leur que lui duc d'Orléans en éprouvait et comme monar-
chiste et comme prince du sang de France. Ncckcr, disgracié
parle Roi, en avait acquis plus de popularité. Rappelé, il
venait de nouveau mettre au service de la Couronne ses
demi-mesures, Texpédient d'aperçus plus que de vrais résul-
tats. En vain essaya-t-on de rapprocher de lui Mirabeau.
C'étaient deux natures trop antipathiques. Celui-ci , man-
quant trop souvent de conscience, de fixité et d'assiette,
mais homme d'État et penseur vigoureux, voyait avec raison
une révolution sociale dans la révolution présente; l'autre,
honnête mais court, mais plus financier et plus critique
qu'homme d'État, n'y voyait qu'une révolution financière,
et ce qui chez lui avait été pris pour génie n'était que pré-
somptueuse et fatale insuffisance.
Les ministres étaient alors , avec Necker, l'archevêque de
Bordeaux, l'archevêque de Vienne, le prince de Beauvau,
les comtes de Saint- Priest , de La Tour-du-Pin et de La
Luzerne.
S06 L'EMPEREUR JOSEPH II.
CCCCLXIX
L'EMPEREUR JOSEPH II Â SA SŒUR, L'ARCHIDUCHESSE
MARIE-CHRISTINE (1).
La Reine n'a pas osé écrire, mais elle a chargé l'ambassadenr d'Alle-
magne de faire connaître qu'elle est h. la merci de la plus vile canaille.
— Les folies françaises ont fait sentir lear contagion en Brabant. —
Différence de caractère des têtes françaises on brabaoçoanei.
Le 3 novembre 1789.
Ma chère Sœur, je viens de recevoir votre chère lettre
du 24 octobre. Je vous rends mille grâces pour les
nouvelles que vous voulez bien me donner de notre
sœur la Reine. Elle n'a pas osé même m'écrire par le
dernier courrier, mais m'en a fait prévenir par le comte
Mercy. Sa situation a été afFreuse, et elle est encore à
la merci de la plus vile canaille. Si je pouvois la sa-
voir hors de leurs griffes, je me soucierois bien de ce
que les François feroient pour se donner une bonne
constitution en se détruisant! En attendant, les mêmes
folies existent au Br£d)ant. Il n'y a de différence que
l'ivresse françoise provient de vin de Champagne , qui
est prompte , mais légère et se dissipe facilement, pen-
dant que celle des Brabançons vient de bière , qui est
tenace. Adieu, ma chère Sœur, je vous embrasse, de
même que le Prince, de tout mon cœur. Croyez-moi,
pour la vie, votre, etc.
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale FArcbiduc Albert
d'Autriche.
MADAME ELISABETH. M7
CCCCLXX
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
MyétaÂh sur sa correspondance. — Se« distractions. — Tout est assez
calme, seulement parfois on manque de pain. — L'Assemblée a
confisqué le bien du clergé. — Saint-Cyr. — Montreuil. — Madame
de Raigecourt. — Elle reçoit des nouvelles de Turin.
Ce 4 novembre 1789.
Je trouve, mon coeur, que ma lettre a eu bien de
i'esprit d'arriver plus tôt qu'elle ne devoit pour vous
^rassurer; la vôtre m'a fait bien plaisir, j'avois impa-
^ence de savoir si la mienne ne vous avoit pas fait une
'^rop grande révolution. Enfin, je suis bien aise qu'Henri
:21e s'en soit pas ressenti , et que toute la famille aille bien .
Je n'ai pas le temps aujourd'hui de vous parler de mon
^enre de vie, il est tout différent de ce qu'il étoit, mais
il ne me coûte pas ; je me promène tant que je puis dans
le jardin ; par exemple, ce matin j'ai fait courir Blanche
«t Des Es. tant que j'ai pu. Je me porte bien, je me
dissipe tant qu'il m'est possible, et au total je suis très-
J>ien. Tout est assez calme; de temps en temps l'on a
de la peine à avoir du pain, mais cela passe , et j'espère
<pik la longue Paris sera^approvisionné.
L'Assemblée a pris le bien du clergé, détruit les
Parlements, et arrêté aujourd'hui que l'on ne nomme-
Toît plus aux évêchés et archevêchés jusqu'à ce que la
Constitution soit faite (1).
(i) Le 19 octobre avait ea liea la première aéaaee de TAgaeinblée
nationale, à Paris, à l'archeTÂcbé. Elle ne tint ta première séance
208 MADAME ELISABETH.
Ta mère va voir demain le pauvre Saint-Cyr, tu
penses que je ne la vois pas partir sans envie (1) . Mon-
treuil se porte bien; j'ai vu hier ce pauvre Fleuri, cela
m'a fait plaisir. M. de Coudray est bien fàcbé de ne
me plus voir. Jacques m'apporte ma crème tous les jours ;
enfin, je suis fort contente d'eux tous , ils ont été comme
je pouvois désirer que leur attachement pour moi les
dans la salle du Manège que le 9 du mois de novembre. (Voir au Sup-
plément, à la fin de ce volume, le texte de la décision du Roi concer"
nant l'établissement de C Assemblée nationale au Manège des Tuileries,)
Le 28 , suspension provisoire des vœux monastiques.
Le 2 novembre, les biens du clergé avaient été mis à la disposition
de la nation.
Le 3, les vacances des Parlements avaient été pi-orogées. L'enre-
gistrement de la loi ordonnant cette prorogation avait été refusé par
les Parlements de Rouen, de Metz, de Rennes et de Bordeaux.
Les Parlements ne furent totalement supprimés que le 7 septembre
1790.
(i) ■ La maison de Saint-Louis était tellement endormie dans le passé
et vivant de la vie du dix-septième siècle, qu'elle ne s'aperçut de la
Révolution, de la tendance des esprits, des dangers qui la menaçaient,
qu'après les journées de juillet 1789. Il y eut alors dans toutes ses terres
et jusqu'à ses portes une fermentation extrême et presque un soulève-
ment. Les paysans s'attroupèrent, s'armèrent. Des bandes de vagabonds
coupèrent les bois des Dames, tuèrent leur gibier et menacèrent leurs
agents. L'un de ceux-ci, le sieur Chastel, receveur des revenus de la
maison de Saint-Louis dans la ville de Saint-Denis, fiit assassiné le
4 août au milieu d'une émeute. Le village de Saint-Gyr ne fut pas
moins prompt à remuer Les D^mes s'enfermèrent davantage et
redoublèrent leurs prières; mais elles ne crurent véritablement au
danger et ne comprirent la portée du bouleversement politique qu'aux
journées d'octobre, quand le bruit des Parisiens violant le château de
Versailles arriva jusqu'à elles, quand les paysans des campagnes voi-
sines y répondirent par des cris de joie et des menaces sauvages
• Saint-Gyr était si complètement immobilisé dans le passé, qu'on y
tombait brusquement de madame de Maintenon à Mirabeau. •
Tbrophilb LàVALLBB, Madame de Maintenon et la maiton royale de
Saint'Cyrj seconde édition, p. 338-339.
MADAME ELISABETH. 209
Pit être. Je voudrois pouvoir en dire autant de tous
ceux de Versailles. Cependant, le plus grand nombre
pense bien. Raigecourt n'est pas encore revenue, je
crois qu'elle passera encore quinze jours à Frianville (1) .
Elle est plus tranquille, quoique toujours bien affligée.
Elle a été d'une grande résignation à la volonté de
Dieu, mais elle est bien malheureuse. C'est un mal
qu'elle portera longtemps dans son cœur : il fait diver-
sion à tous les autres; c'est cela de gagné. Je reçois
souvent des nouvelles de Turin ; c'est consolation
|3our moi. Tu sais si mon cœur est susceptible de
sentir le prix de l'amitié ; aussi je jouis bien de
crellc que l'on me témoigne. Adieu, ma chère petite,
"tu connois celle que j'ai pour toi. Je t'embrasse de
'^out mon cœur.
(1) Terre qui appartenait aa beau-père de madame de Raigecourt.
TOME III.
14
810 LARCHIDUGHESSE MARIE-GHRISTIIHE.
CCCCLXXI
L ARCHIDUCHESSE MARIE-GHRISTINE
A LARCHIDCC GRAISD-D(JG DE TOSCAKE LEOPOLD,
DEPUIS EMPEREUR (1).
Insurroction des Pays-Bas. — Relation ilu départ forcé de FArdii-
duchesse, que l'on veut faire |)asserpour une fuite. — Conduite arro-
gante du ministre Trautmansdorff et sa précipitation ù exécuter
prématurément des ordres éventucla de rEmpcrcur. — Douleur de
TArcliiducliesse à la pensée de voir suspecter son courage.
Coblence, ce 25 novembre 1789.
Mon très-cher Frère, la date vous prouvera que nous
sommes au milieu de nos bons parents et amis, à cette
heure. Je prends toute cette matinée, et je rassemble-
rai toutes mes forces pour vous faire le narré de ce qui
s'est passé avec nous, par rapport à ce départ, qu'à
présent on fait passer pour une fuite, et je vous laisserai
juger, cher Frère, comme on en a agi avec nous, et ce
que nous avions à faire. Je ne pouvois vous faire ce
détail avant de partir: tant parce que affairée, malade,
je n'en avois ni le temps ni la force; mais aussi que, le
16 novembre, veille du jour de poste, à sept heures du
soir, j'ignorois encore parfaitement qu'il en seroit
question. Voilà comme la chose s'étoit passée :
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArchiduc Albert
d'Autriche.
Cette Irttre a été publiée par M. Adam Wolf, dans son livre inti-
tulé Marie 'Christine, Ei^herzogin von Oesterreich, t. Il, p. 252;
Vienne, 18C3.
L*ARCHIDUCHESSB MARIE-GHRISTINE. 211
Le 16, nous avions reçu par un courrier venu de
Tienne la lettre marquée ./• de Sa Majesté. Vous ver-
rez qu'Elle y parle du départ, si déjà toutes les cordes
^fiennent à se rompre. Nous lui avions répondu ce même
jour que, jusqu'à cette heure, nous n'en voyions aucune
apparence. Qui auroit pu s'attendre que, le 1 7 au soir,
le ministre viendroit nous proposer de nous en aller,
^sant, à cause de moi qui pourrois avoir quelque
épouvante, qu'il renverroit sa femme le lendemain?
J'avoue que moi qui n'avois pas la peur, je fus cho-
quée de ce discours et lui fis une sortie en lui disant :
^u'il ne me connoissoit pas, que je n'étois pas une
Jemme comme les autres, peureuse et découragée;
<|u'il s'agissoit de notre réputation à ne pas nous en
^ler mal à propos ; que j'avois écrit, la veille, sur ce
nnéme pied, à l'Empereur; je lui fis voir la minute de
xna lettre, et j'avois ajouté que nous étions résolus de ne
3partir qu'avec le gouvernement et la troupe. Jugez de
xnon étonnement lorsqu'il se mit en colère et qu'il dit:
IPuisque vous le prenez sur ce ton , voilà une lettre que
j'ai à vous remettre ; . je ne l'aurois peut-être pas fait
-«ncore, ne me paroissant pas imminent, mais vous m'y
avez poussé. C'est celle de Sa Majesté cotée |: (sans
-<late, pour qu'il soit le maître de disposer de nous à sa
^volonté) . Je vous avoue que les divers sentiments qui
-étoient en moi, et que vous, cher Frère, sentirez bien,
m'ont atterrée. Je lui répondis: « Eh bien, à l'Empe-
reur il faut obéir ; mais nous ne partirons que dans le cas
que vous et le commandant des armes nous le donniez
par écrit; qu'il le faut pour nous légitimer; que c'étoit
vous autres qui avez trouvé le moment nécessaire de
14.
214 L'ARCHIDUCHESSE MÂRIE-CHHISTINE.
croire la chose faite exprès , surtout puisque les lettres
du 21 du ministre portent que tout paroit se calmer,
qu'il reçoit des soumissions de partout. Le jugement
le moins méchant à en porter est : que la peur a fait
tourner la tête à ces deux Messieurs, et qu'ils craig^noient
exécuter trop tard les ordres de Sa Majesté à notre
égard. Car je ne veux pas les soupçonner de méchan-
ceté à cet égard envers nous. Je ne vous parle ici que
de la façon dont ils nous ont fiiit partir, cette hâte , ce
chemin détourné par Luxembourg qu'ils nous ont fait
prendre, sous prétexte que nous pourrions être enlevés
siur l'autre route, tandis qu'il n'y avoit pas une âme
sur cette route, sur laquelle passèrent une partie de
mes gens , le même jour et le lendemain ; la mauvaise
grâce que cela a dans le monde ; le découragement que
cela a répandu dans les bons serviteurs de Sa Majesté;
l'alarme de tous nos gens, qui ont aussi tous voulu s'en
aller, et augmenté par là le bruit; l'impression même
de manque de courage de notre part que cela peut
donner à l'Empereur, auquel ces Messieurs rapporte-
ront la chose à leur façon, comme ils le font dans toutes
les autres affaires. Mais que pouvions-nous faire, puis-
que, lorsquej'aiditàM. Trautmannsdorff: a Comment
ferai-je un voyage si fatigant, moi actuellement malade?»
il me répondit avec arrogance que si même nous nous
refusions de partir ou faisions difficulté, il devoit nous
presser, l'exiger , et, il marmotta quelque chose, nous
y forcer par ordre de Sa Majesté. Voila ce que nous
avons eu à essuyer; je ne m'afflige que de cela, car
d'être dehors , je loue Dieu. Ni le séjour de Bruxelles
n'a pu être agréable dans ces circonstances, ni ne l'au-
L ARCHIDUCHESSE MARIE-CHRISTIISE. 815
roit-îl été, cet hiver, d'aucune façon. Tout ce qui pou-
voit étoit parti ; nous aurions dû figurer pour quelques
François réfugiés, quelques autres étrangers. Aussi
étions-nous résolus , si tout auroit été calme , de venir
passer quelque temps à Bonn, et ici, où nous vivons
tranquilles et retirés. Je reste ici jusqu'au 5 , et vais
alors m'établir à Bonn ; mon frère me donne sa maison
de Popelsdorff , qui est très-proche de sa résidence. J'y
fais venir une partie de mes gens de Bruxelles, écuries,
cuisines, etc. , et y serai comme chez moi, ce qui est
pour moi d'autant plus agréable que je suis habituée,
depuis vingt-quatre ans, à avoir ma maison à moi , et
que j'aurois regardé comme un abus de l'amitié de mon
frère de lui être à charge ainsi pendant un espace de
temps.
A cette heure, mon cher ami, je vous parlerai de
ma santé, qui réellement est minée. J'ai été déjà ma-
lade, comme vous savez, avant de partir; les suites de
dévoiement m'avoient laissé une grande foiblcsse, une
petite toux sèche et peu de sommeil ; la fatigue du
voyage, la longueur et fatigue des chemins, m'ont entiè-
rement anéantie, joint au chagrin de notre position; et
à toutes les circonstances ci-dessus dites, j'ai cru devoir
rester.
Les réformes violentes de Joseph II dans ses possessions
brabançonnes avaient amené de graves complications poli-
tiques ; et les États voyant la suppression des monastères et
les blessures faites aux instincts nationaux, crièrent à la vio-
lation de la Joyeuse entrée, sorte de ma(jna cliarta séculaire
(garantissant les privilc^gcs des provinces. Dans ces pays de
216 MARIE- ANTOINETTE.
coutumes, chez qui le respect du passé était un des éléments
de la vie, et qui se plaisaient dans F inextricable labyrinthe
de vieilles lois superposées, toucher aux privi]é([cs et aux
préjugés nationaux, c'était s'attaquera Tarche sainte. On se
souleva. En vain la Gouvernante Marie-Christine passa de
concession en concession pour apaiser les esprits, Torag^e qui
grondait ne s'apaisa pas. Joseph était alors en Crimée. Blessé
au cœur par cette levée de boucliers durant son absence,
mécontent de ce que sa sœur avait pactisé avec l'émeute, il
avait ordonné qu'on fit sur-le-champ quitter la Belgique à la
Gouvernante des Pays-Bas; et, après avoir destitué le pre-
mier ministre donné par lui à Marie-Christine, il avait pro-
visoirement constitué dans la province un gouvernement
purement militaire et octroyé tout pouvoir au commandant de
SCS forces aux Pays-Bas, le comte de Murray.
CCCCLXXII
MARIE- ANTOINETTE A LA DUCHESSE DE POLÏGNAC,
A ROME (i).
Tendre» Bouvcnirs. — Recommandation en faveur d^une dame
forcée de fuir, et qui ie rend à Rome.
Ce 13 décembre [1789].
Enfin, mon cher cœur, il m'est possible de vous
dire un mot de ma tendre amitié. Croyez bien que
mat(j[rc que je ne peux pas écrire, vous n'êtes pas moins
gravée bien profondément dans mon cœur. La personne
qui se charge de vous faire tenir cette lettre est bien
malheureuse sous tous les rapports. Elle a été obligée
(1) Papiers de famille du duc de Polignac.
MARIE-ANTOINETTE. Î17
de quitter ce pays-ci et d'aller h Rome avec ses enfants
auprès du cardinal d'York. Elle s'y trouvera absolu-
ment abandonnée. Vous savez que nous sommes liées
depuis longtemps, et c'est à peu près une des seules
personnes qui me soit restée attachée pour moi seule
et sans intérêt. Je voudrois bien lui rendre service,
mais je ne connois personne. Vous qui êtes liée avec le
cardinal de Bernis (1), écrivez-lui, je vous prie, que je
regarderai comme un service personnel tous ceux qu'il
pourra rendre à madame de F. J. (2) pendant son
séjour. Je ne veux entrer en aucun détail avec vous,
ne sachant ni quand ni comment cette lettre vous
arrivera. Adieu donc, mon cher cœur. J'embrasse vos
enfants. Dites mille choses pour moi à votre mari et
aux vôtres, et ne doutez jamais de ma bien tendre et
oonstante amitié.
(1) Franroi«-Joachim de Picrrr.s, comte de Remis, cardinal, né m
1715, mort en 1794. De ])etits vers cuinniencèrcnt sa fortune, et lui
x-alurent de Voltaire le surnom de Bahet la Bouffuelicre. Il fut de
1^ Académie française dès Tâ^re de vinj't-nouf ans. D'abord ambassa-
deur à Venise, de 1752 à 1755, ministre des Affaires Etrangères en
■S.757 jusqu'en 1758, son pencbant pour la paix, devenue si nécessaire
^ft la France, mais qui n'entrait j>as dans les vues de madame de
iPompadour, le fit congédier et envoyer en exil. » On m'a fait, écri-
^X'ait-il à Paris-Duvemey, danser sur un grand théâtre avec des fers
•siux pieds et aux mains. «
Il fut rappelé en 1704, nommé ^ l'arclieyéché d'Alby, puis envoyé
^ Rome en qualité de chargé des affaires de France, un cardinal ne
ipouvant, ù raison de l'élévation de sa dignité, exercer avec le titre
^'ambajisadeur. Quand on exigea dans la Révolution le serinent des
prêtres, il le reftisa et se démit de son poste.
(2) I^ duchesse de Fitz-James, qui avait été dame du palais auprès
de Marie-Antoinette. Au commencement de 1792, la Reine fit faire
par Dumont son portrait en miniature et l'envoya à cette dame.
218 LOUIS XVI.
CCCCLXXIII
LOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLIGNAC, A ROME (1).
Souvenirs d*amitié. — Espérances de temps meillears. — La Beine
s'est un peu blessée à la jambe, et garde sa chaise longue.
Paris, le 20 décembre 1789.
M. d'Haiiaud (2) a reçu vos lettres, Madame la Du-
chesse, et sera fort aise d'avoir de vos nouvelles toutes
les fois que vous voudrez bien lui en donner, et se
servira de la voie que vous lui indiquez pour vous
répondre. La dernière qu'il a reçue de vous, il y a
quinze jours, est datée de Berne, du 29 septembre.
Comme vous y mandez que vous ne vous servez pas
de la voie de M. de Piennes, comme vous l'aviez
projeté d'abord, je suppose que vous l'avez gardée
jusqu'à une autre occasion. On m'a dit, en me la
remettant, qu'elle venait de Rome. J'espérois y trouver
des nouvelles de votre arrivée dans cette ville ; j'ai su
par d'autres personnes que vous étiez arrivée en bonne
santé, ainsi que votre famille, ce qui m'a fait grand
plaisir. J'espère que vous continuerez à y jouir d'une
bonne santé, et, étant dans le sein de votre famille,
vous pouvez y rester tranquille jusqu'à des temps plus
heureux, où nous pourrons nous revoir comme par le
passé. Mais quand viendront-ils ces temps-là? Sûrement
(1) Papiers de famille du duc de Polignac.
(2) C'est le nom de conTcntion sous lequel le Roi se désigne loi-
même.
MADAME ELISABETH. 219
pas -si tôt que je le dcsirerois. Yoilù une année qui va
commencer bien tristement; mais j'espère, malgré la
distance des trois cents lieues, que vous compterez
toujours sur mon amitié pour vous. Je vous avois écrit,
il y a environ six semaines, par Turin; j'ai peur que
la lettre ne se soit perdue en chemin. Votre amie ici
s'est un peu fait de mal au pied, ce qui Ta fait garder
sa chaise longue pendant quelques jours. Du reste, elle
se poi*te bien et les enfants aussi. Elle a été purgée de
précaution aujourd'hui. Bonsoir, Madame; puissiez-
vous, en 1790, être heureuse vous et les vôtres! C'est
tout ce que je désire.
CCCCLXXIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
«fixation de madame de Raigecoiirt dans sa douleur. — Stagnation
dans les affaires. — Vente des Liens du Roi et du clergé pour |)an-
ser une plaie. — Suppression des moines. — Bruits douteux. •—
Le Châtelet saisi de l'affaire des 5 et 6 octobre.
Ce 22 décembre 1789.
J'ai reçu tes lettres exactement depuis que je t'ai
'^^rondée, mon cher cœur ; elles me font grand plaisir;
^^t puisque tu en as le temps , tu seras bien gentille de
^:^ontinuer. J'ai lu à cette pauvre Raigecourt ce que tu
"^ne dis d'elle; elle en a été bien touchée, et de la nous
%ous sommes étendues sur tes défauts : tu peux juger
Tl'après cela si la conversation a dû tarir. Ta pauvre
220 MADAME ELISABETH.
mère est mieux, à ce que je trouve, mais cependant sa
pensée unique estson pauvre Stani (1) ; elle pleure sou-
vent et beaucoup, mais elle pleure avec résignation.
Dans cette occasion elle a bien fait usage des bons prin-
cipes qu'elle a reçus, car il est impossible d'avoir une
douleur plus vive et plus résignée.
Nous sommes toujours dans la même position, mon
cœur, depuis trois mois ; nous jouissons d'une douce
stagnation. L'Assemblée a décrété un plan de finances
qui, en vendant une partie du bien du Roi et de celui
du clergé, met un emplâtre qui adoucit nos maux,
mais qui ne les guérit pas. Dieu, pendant ce moment
de relâche, nous enverra peut-être des moyens de gué-
rison radicale. En attendant, nous vivons au jour le
jour. On dit qu'aujourd'hui les moines doivent être
détruits, surtout ceux des villes. Il n'est pas encore
question des religieuses : ce moment-là me fait trem-
bler. Pauvre Saint-Cyr, que deviendrez-vous ! J'ai fait
votre commission pour elle et pour M. de Sérent (2).
Je ne sais pas un mot de tes nouvelles imprimées, mais
je ne les crois pas. D'après ce que l'on me mande, le
sentiment n'a pas augmenté dans l'absence, et, encore
moins, je crois, en la présence. Jcf crois, mon cœur,
que Venise est un pays abandonné, non pas du ciel,
j'espère, mais des humains. Je ne connais personne qui
veuille entreprendre ce voyage ; il me seroit pourtant
très-agréable que cette fantaisie prît à quelqu'un, parce
(i) Abréviation de Stanislas, nom du fils de la marquise de Rai-
gecourt.
(2) Le marquis de Sérent était gouverneur des ducs d*Angouléroe et
de BeiTy.
LOUIS XVI. 221
qu'au moins je pourrois causer avec toi un peu à mon
iùse. A propos, tu sais que l*on a dénoncé la journée
du 5 et du 6 au Châtelet (1). On est venu du comité
de la ville prendre nos dépositions. Si tu savois comme
Ja mienne est bcte, tu en rirois; mais je n'avois rien à
<dire. Tu sais que ce n'est pas par la science quêta prin-
<2esse a jamais brillé. Adieu, ma cbère enfant, je t'em-
Xirasse de tout mon cœur et t'aime de même.
CCCCLXXV
.ouïs XVI A MADAME JULES DE POLIGNAG, A VENISE (2;.
n n'a que de si tristes choses à écrire qu'on nVst point tenté de
prendre la plume. — La Reine est toujours la mciuc^ mais on
redouble d'injustice à son égard, et il faut autant se tenir en garde des
soi-disant amis que des ennemis. — Le nombre des amis vrais est
bien minime. — Souvenirs à la famille de la duchesse. — Tristesses.
Paris, le 3 janvier 1790.
Il y a bien long^temps, Madame, que je n'ai reçu de
vos nouvelles. Il est vrai aussi que je dois me le repro-
cher par ma paresse. Ne croyez pas, je vous prie, que
je suivele proverbe: les absents ont tort; non, je songe
(1) Le 14 octobre, le Chiîtelet de Paris avait été investi du droit de
connaître des crimes de lèse-nation.
Ce fut seulement le 7 du mois d'août 1790 que le Chdtelet envoya
à l'Assemblée la procédure qu'il avait instruite sur les événements des
5 et 6 octobre 1789. Ce fut enfin le 2 octobre qu'eut lieu dans l'As-
semblée la discussion sur ce sujet.
(2) Papiers de famille du duc de Polignac.
n2 LOUIS XVI.
bien souvent à vous tous ; mais, outre le peu de temps
qu'on a, les choses qu'on peut écrire sont si désa-
gréables qu'on n'en est pas souvent tenté. Hélas ! cela
ne seroit pas de même si on pouvoit se parier. Que de
choses on auroit h se dire et à confier à l'amitié ! Voilà
une bien triste année de passée, et Dieu seul sait ce qui
arrivera dans celle-ci. L'horizon ne s'éclaircit pas, et
j'ai vu bien noir pendant quelque temps (1). J'espère
que des gens que vous aimez ont entendu la raison, et
qu'ils risquoient tout en faisant des opérations préma-
turées et mal combinées. Le cœur de votre ami l'em-
portoit. Je n'ai jamais douté de celui-là, et j'en doute
encore moins que tout ce qui m'est revenu de ce pays-là.
Mais le borgne est beaucoup plus fin, et, j'ai peur, ne
calculoit que pour lui. Ou dit qu'ils vont se séparer. Je
le souhaite bien de tout mon cœur. Alors je serai sûr
de l'autre, parce qu'il n'écoutera que soi-même. Votre
amie véritable est toujours la même, quelque chose
qu'on en puisse dire ; mais le monde est plus insup-
portable qu'il n'a jamais été, et ne veut laisser jamais
marcher droitement. Il faut être autant en garde contre
les conseils et les volontés des soi-disant amis que contre
les menées des ennemis. Ce qui console, c'est qu'il y
a encore d'honnêtes gens; mais le nombre de ceux qui
ne sont attachés qu'à la personne est bien petit. Mais
avec une bonne conscience on passe par-dessus bien
des désagréments. Le temps viendra où on découvrira
(i) II avait conçu de très-bonne heure de noirs pressentîmento, et il
avait sans cesse sur sa table Thistoire des derniers jours de GharlM I*'
d'Angleterre.
LOUIS XVI. t23
toutes les injustices. Nous nous portons tous assez bien,
mnalQvé toutes les peines qu'on essuie. J'espère que
^'otrc santé est bonne, et que quelque temps que nous
soyons réparés encore, vous ne douterez jamais de
toute mon amitié pour vous.
Je vous prie de dire bien des choses de ma part au
comte Jules et à la comtesse Diane et à madame de
Guiche. J'ai reçu une lettre du mari de celle-là qui me
mande compter me voir au l**" juillet. Dieu le veuille.
J'ai peur de vous paroitre bien' morose; mais j'ai été
ac(!Outumé à penser haut avec vous, et j'espère que
vous ne le trouverez pas mauvais. D'ailleurs, depuis
dix-huit mois, il n'y a eu que des choses bien tristes à
voir et à entendre. On ne prend pas d'humeur, puis on
<îst peiné, contristé d'être contrarié sur tout, et sou-
^'ent mal jugé.
2Î4 MADAME ELISABETH.
CCCCLXXVI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Vœux et tendrcs.Hcs ù l'occasion de la nouvelle année. — M. d'Albert
de Rions attendant son jiifreinent. — La Princcflxe demande à con-
naître Topinion qu'on s'est formée à l'étranf^cr de la conduite d i
comte d'Artois. — L'Assemblée a décide de fixer d'office la liste
civile du Roi. — Cette étrange motion effarouche la Princesse. —
On a suspendu le payement de toutes les pensions supérieure.* a
mille écus.
Ce 3 janvier 1790(1).
Ton jour de poste est si mal arrangé pour moi, que,
forcée d'écrire souvent, le même jour, dans un autre
pays, je n*ai pu te souhaiter une bonne année. Cepen-
dant, ma chère enfant, personne ne désire plus sincè-
rement que moi qu'elle soit heureuse pour tes enfiints,
pour tout ce qui t'est cher. Je compte en cela ne pas
faire de vœux qui me soient nuisibles. Ton amitié
pour moi est trop franche pour que j'en puisse jamais
douter. Crois que la mienne ne lui cède en rien, et.
durera toute ma vie, quelque événement qui arrive.
Nous sommes toujours dans la même position ici,
tranquilles, fort occupés des opérations de l'Assembiée
^et de l'avenir, et ne pouvant deviner quel il sera. Ah!
qui pourroit dormir pendant quelques années seroit
bien heureux : son sort, j'en suis sûre, seroit envié
de tout le monde. Mais voici une nouvelle année qui
ne peut certainement amener que quelque chose de
(1) La Princesse a daté par erreur de l'année 1789.
t
MADAME ELISABETH. 225
jDieux que la {)r(fco(lciite, quoiqu'elle ait eu la bêtise
<le commencer par un vendredi. Mais je crois son
effet nul.
Il continue toujours à paroître des brochures rai-
sonnables et souvent plaisantes sur tout ce qui se
passe. Nous avons eu Je plaisir de voir ce pauvre
M. Albert de Rion; il a eu bien du courage. Il faut
espérer que l'Assemblée lui rendra la justice qu'il mé-
rite. On ne s'empresse pourtant pas à le juger.
Les papiers ont dû t'instruire d'une démarche pu-
blique qu'a faite quelqu'un qui m'intéresse beaucoup.
Je sais ce que tous les François en pensent. Je devine
l'opinion de ton mari ; mais je voudrois connoîtrc un
peu celle des étrangers. Dans ce moment, les yeux
sont tellement ouverts sur notre malheureux pays, que
tout est un sujet de réflexion. Mande-moi donc, de
manière que je puisse te comprendre, ou par une occa-
sion, ce que tu pourras rassembler de l'opinion des
divers pays avec lesquels tu peux être en rapport.
Mon amitié pour cette personne-là me donne le be-
soin de savoir avec vérité tout ce qui peut être pour
et contre.
(Ici la Princesse reprend la lettre le 5.)
L'Assemblée a décrété, hier lundi 4, qu'elle privoit
le Roi de décider lui-même ce qu'il vouloit pour lui et
pour sa iximille, et qu'il seroit prié de considérer, dans
cette fixation, moins son économie accoutumée que la
dignité de la nation, qui exige que le trône d'un grand
monarque soit environné d'un grand éclat. Cette mo-
TOMB III. 15
226 MADAME ELISABETH.
tion faite par Chapelier (1) me paroit si étrange, que,
loin de me faire plaisir, elle m'effarouche beaucoup. Il
a été décrété aussi que Ton suspendroit les payements
de toutes les pensions au-dessus de mille écus. Cepen-
dant les septuagénaires recevront douze mille francs.
On avoit proposé aussi de ne plus payer ni pension ni
traitement aux gens qui étoient sortis de France. Je ne
sais pas si le décret a passé. J'espère que non. Adieu,
mon cœur. J'ai reçu hier des nouvelles de cette petite,
qui me paroît en très-bon état. Je vous embrasse et
vous aime de tout mon cœur !
Le comte d^Albert de Rions dont vient de parler la Prin-
cesse, était originaire du Daiiphîné. Garde de la marine le
26 décembre 17i3, capitaine de vaisseau le 18 février 1772,
(i) L^aaoRcné Gui Le Chapelier, ne à Rennes en 1754, avocat fort
distinjrué an Parlement de Bretagne, avait dû à la part qu*il avait prise
dans les troubles de 1787, entre la Cour et les Parlements, d'être nommé
député du Tiers aux Etats généraux. Dès ses débuts dans 1* Assend>lce, il
se mit aux premiers rangs de ses orateurs. C'est lui qui provoqua réta-
blissement des gardes nationales et fut l'auteur de la loi sur la propriété
littéraire. Il fut le rédacteur du décret d'abolition de la noblette et des
droits féodaux, s'opposa à la violation du secret des lettres, et pro-
posa néanmoins le fameux Comité des recherches. Il contribua à U
suppression du droit d'aînesse et de masculinité, obtint pour le^ pro-
testants d'Alsace le libre exercice de leur culte, participa à l'organisation
du tribunal de cassation et de l'ordre judiciaire, et fut un des membres
du Comité de constitution. C'était, en somme, un fort habile homme,
dont les ardeurs révolutionnaires s'apaisèrent en présence des eTcne-
ments, et qui donna la mesure de ses principes en s'associant au
club des Feuillants. Un vigoureux rapport qu'il avait fait à TA^sem-
blée pour réprimer l'audace des clubs l'avait signalé à la furemr des
Jacobins; il fut arrêté en 1794, condamné à mort, et, le 22 «Tril, U
était exécuté révolutionnairement avec Thuuret et Despréménil, comme
ayant conspiré depuis 1789 en faveur de la royauté.
LE COMTE D'ALBERT DE RIONS. Î2T
chef d'escadre le 20 août 1784, il était commandant de la
marine au port de Toulon depuis le !•' janvier 1785, quand
la présente lettre fut écrite. C'était un brave officier qui
avait commandé le Sagittaire dans Tescadre du comte d'Es-
tainç, à la prise de la Grenade, le 4 juillet 1779; puis au
combat du 6, au siéçe de Savannah. Pendant cette campa-
(pae, il avait pris seul le vaisseau anglais Expérimenta de
50 canons, dans lequel se trouvaient six cent cinquante
raille livres en espèces.
Pendant son commandement de Toulon, il avait été
accusé à tort d'avoir fait feu, lors d'une sédition qui avait eu
lieu dans ce port en décembre 1789. Après d' outra gréantes
et cruelles violences, il fut enlevé avec plusieurs officiers
de vaisseau et conduit dans les prisons de la ville, par un dé-
tachement même de (j^arde nationale venu pour le protéger.
La détention dura quinze jours, et la municipalité ne rendit
la liberté aux prisonniers que lorsque l'Assemblée nationale
Teut ordonné, sur le rapport de Malouet, député pour la
sénéchaussée de Riom , et intendant de la marine à Toulon.
Malouet avait conclu que si justice n'était pas rendue au
comte d'Albert et aux autres victimes de la sédition, il ne
se trouverait plus a ni administrateur, ni officier public qui
pût remplir ses devoirs et se mêler de gouvernement » . On
en était là, quand le comte de Rions vint demander en per-
sonne à l'Assemblée même une réparation publique. Mais
l'Assemblée éluda la question et déclara, le 16 janvier 1790,
^ue présumant avec une égale faveur des sentiments qui
«ivaîent animé et les officiers de la marine et la municipalité
^oulonnaise, il n'y avait lieu à suivre contre personne. Cette
<î^ision révolta les marins et fut le signal de l'insurrection
^«s équipages et de la dissolution des états- majors. (Voir
"Ciollection des Opinions de Malouet^ trois volumes. 1791.
omel*', p. 138.)
15.
3tt8 MARIE- ANTOINETTE.
CGCCLXXVII
LA REKNE AU COMTE DE MERCY-ARGENTEAU (1).
Elle ne veut se mêler de rien , l'a écrit ù Monsieur, et dès lor*
ne recevra pas M. de Lcvis.
[6 janvier 1790.]
Voici la lettre pour l'Empereur, Monsieur le Comte ;
je me borne à lui parler de sa santé et de la nôtre. Vos
dépêches parleront assez d'affaires. Voici le jour de l'an
passé tranquillement. J'ai écrit, ce matin, à Monsieur
pour lui mander simplement que, voulant suivre mon
plan de ne me mêler de rien et de ne voir personne, je
le prie de dire h M. de Lévis que je ne peux pas le rece-
voir. Je ne me suis permis ni plainte ni réflexion.
J'imagine, ce soir, j'aurai une explication. Je suis très-
décidée à tenir ferme à mon idée, et surtout à ne pas
me compromettre dans mes réponses.
Je vous préviens que le Roi verra les ambassadeurs
mercredi, jour des Rois, au lieu de jeudi. Adieu, Mon-
sieur le Comte ; tous mes sentiments vous sont acquis.
— 1^^— — ■ ■■ ■ ■■ ■^ ■ ■■■1 MMI I ■ l»,—-!!.!».! ■—■■» — ■ ■ - . .■ — I - ■ I ■ » I ■ ■ ■ I , ■ ■ — »■■ » —
(1) Papiers d'Argenteau. Arcliives impériales d'Autriche.
M A RIE- ANTOINETTE. S29
CGCCLXXVIII
MARIE-A>'TOINETTE A LA DCGHESSE DE POLIGISAC (1).
JLa position ext horrible. -~ On les surveille comme des criminels. —
Im|>os8ible de s'approcher d'une fenêtre sans cCrc insultés , de faire
prendre Tair aux enfants sans les exposer aux vociférations. -— Il
faut trembler toujours, et pour tout ce qu'on aime.
Ce 7 janvier 1790.
Je ne peux résister au plaisir de vous embrasser,
Tuon cher cœur, mais ce sera en courant, car l'occasion
^ui se présente est subite, mais elle est sûre, et elle jet-
tera ce mot à la poste dans un gros paquet qui est pour
TOUS. Nous sommes surveillés comme des criminels, et
en vérité cette contrainte est horrible à supporter.
Avoir sans cesse à craindre pour les siens, ne pas s'ap-
procher d'une fenêtre sans être abreuvée d'insultes, ne
pouvoir conduire à l'air de pauvres enfants sans expo-
ser ces chers innocents aux vociférations , quelle posi-
tion, mon cher cœur! Encore si on n'avoit que ses
propres peines, mais trembler pour le Roi , pour tout
ce qu'on a de plus cher au monde, pour les amis pré-
sents, pour les amis absents : c'est un poids trop fort à
endurer. Mais, je vous Tai déjà dit, vous autres me
soutenez. Adieu, mon cher cœur. Espérons en Dieu qui
voit nos consciences, et qui sait si nous ne sommes pas
(I) Cette lettre est une de celles que j'avais pi-ètées ù M. de fieau-
c^Kcsne, qu'il a fait lithographicr, et dont le lithographe a oublié d'iu-
^'iquer la provenance.
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MADAME ÉLISABETa. 231
M. du M., que cela n'arréteroit pas beaucoup; quanta
celle de L., il me semble qu'elle est détruite depuis
longtemps. Ne vous tourmentez pas pour deviner celle
que je prévois, cela est impossible; rapportez-vous-en
à moi pour lever les difficultés, et croyez que mon ami-
tié pour toi ne me laissera rien négliger pour cela.
Il y a eu du bruit ces jours passés à Versailles, c'étoit
un moyen que l'on avoit pris pour en faire ici , mais
heureusement qu'il n'a pas réussi; la municipalité de
Versailles, qui est plus poltronne que tout ce que tu
peux imaginer, a cédé ce qui lui étoit demandé par
douze cents hommes, et le pain est à deux sols et demi.
Lu fureur contre le baron de Besenval augmente ; on
^ menacé un juge, l'autre jour, de la lanterne s'il ne
1^ condamnoitpas. Je ne prévois pas comment tout cela
finira (1). On dit que M. de Favras (2) va être pendu
fl) Pierre -Victor, baron <lc Bésenval, né à Soleiire en 1722, ori-
ginaire de Savoie, était fils du mini.'ttre de France en Saxe, (;oloneI du
>^«'>(;iiii('nt des (tardes suisses. Il fut inspecteur ({entrai des Suisses et
^liriHons, puis lieutenant général au service de France. Char{»é, en
4 789, d'un commandement dans les troupes réunies autour de Paris,
-^ 1 abandonna son poste et, soit dégoût de la cause aristocratique qu*il
^5- lit été appelé à soutenir dans les luttes sanglantes qui allaient s'en-
^2a{*er, aoic défaut de caractère, il tenta de s'enfuir en Suisse. On
^ "arréu, et il fut traduit devant le Cbâtclet. Le peuple était fort en
^r^umeur contre lui. Les uns demandaient avec colère qu*on le jugeât,
^«d autres demandaient sa tète. Déclaré innocent et relâché, il réussit
<s^ vivre paisible et oublié dans Paris, jusqu'en 1794, époque de sa mort.
^$rA célèbres Mémoires sont d'un fat, bel esprit manqué, amoureux
^cl'anecdotes scandaleuses. Ce qu'on pourrait dire de mieux k sa dé-
^^liarge, c'est qu'ils ne sont pas de lui, comme on l'a soujx^onné.
\u résumé, on n'a jamais eu moins de moralité ni plus d'amabilité.
(2) Thomas Maby, marquis de Favras, né à Blois, en 17V4, victime
m 1790 de la délirante cruauté populaire, de la lâcheté du comte de
?rovencc et des juges du Châtelet. Voir au Supplément.
Î32 LÊOPOLD, DEPUIS EMPEREUR.
pour avoir voulu enlever le Roi de Paris. à peu près
comme il Va été de Versailles, à l'exception que c'étoit
pour lui rendre la liberté. Voilà ce qui se dit dans le
monde et la raison de sa mort. Adieu, ma chère petite,
je n'ai pas le temps de t'écrire plus longuement; j'em-
brasse tes enfants, et leur souhaite une heureuse année
J'espère que tu as de bonnes nouvelles de la petite.
CCCCLXXX
L'ARCHIDUC GRAND-DUC DE TOSCANE LÉOPOLD,
DEPUIS EMPEREUR, A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (i).
Il crnint qu'elle n'ait laissé â son départ tous ses papiL>rs à Rruxelles,
quand il eût été si important de les emporter avec soi. — Ses inquié-
tudes pour la santé de l'Empereur. — Il désapprouve tout ce qui
s'est fait aux Pays-Ras, mais n'a point osé manifester publiquement
son opinion. — Il se plaint vivement de n'être tenu au courant de
rien, ni de la conduite des affaires ni de la santé de Joseph II. —
Toutes ses correspondances sont interceptées. — On fait tout ce
qu'il est possible pour pousser la Ilon{p'ie à la révolte.
Le 15 janvier [1790].
Ma très-chère Sœur, j'ai reçu votre chère lettre, et
rends grâce à Dieu qu'au moins votre santé se sou-
tienne heureusement dans tous les terribles moments
présents. Si on a laissé tous les papiers à Bruxelles en
partant, on a bien mal fait, car il étoit de la dernière
importance de les emporter avec soi, et je crois que
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale F Archiduc A U>crt
d'Autriche.
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. 233
nous les verrons bientôt imprimés. £n outre, la santé
de Sa Majesté est, à ce que Ton dit, bien inquiétante.
Dieu veuille que la continuation de cette année soit
sneilleure que le commencement ; c'est ce que je désire
de toutes les façons pour vous et pour moi , mais ne
.saurois l'espérer ni m'en flatter. Soyez pourtant, je
^ous prie, bien persuadée du plus tendre attachement
avec lequel je vous embrasse et suis.
J'ai vu par votre lettre que le comte Persico n'est
point encore parti de Vérone; je suis étonné qu'il ne
me l'ait pas fait savoir au moins à temps. Adieu. J'ai reçu
exactement toutes vos lettres. Vous avez très-bien fait
de dire au duc d'Urse (Ursel) mes sentiments ; c'est un
(loniiéte homme. Si j'avois osé, j'aurois publié un écrit
où j*aurois manifesté mes sentiments sur les Pays-Bas,
et ma désapprobation de tout ce qui y a été fait : je les
CTois perdus sans ressource, et cela parce qu'on l'a voulu.
Ainsi je vous préviens une fois pour toujours que pas
tnéme à présent je suis informé d'aucune chose, ni de
Ce qu'on fait dans les affaires, ni de ce qu'on traite avec
l^s cours étrangères, ni des rapports qui en viennent,
ni des relations ou vues qu'on a ; que je ne saisies nou-
velles que par la gazette, ni celles des Pays-Bas que
par vous; qu'on ne m'a rien écrit ni de la mission de
*Thugut, ni des commissions dont il est chargé, ni des
idées qu'on a pour la paix ; qu'on ne me marque rien
sur la santé de Sa M. , ou tout exprès si confus que je n'y
puis rien comprendre; que François n'ose me rien
écrire, et qu'on arrête et ouvre toutes ses lettres : il me
l'a fait dire de bouche par quelqu'un ; enfin je ne sais
>*'• '"t^n»* *' ""f VO.S -"V- ^'„ e«i-«
«»«' * .,ec te '»' * , le V"»»* *
tocraw'- - Ce ^^ 1* ,
fort V«« *''^°to d'ar**"
Turcs 80«^' ui»V«»''" aIsi»*»**' ^a
MADAME ELISABETH. 235
M. de B. (1), et disant même , qu'à son avis, c'étoit
le seul qui pût remplacer M. de G. (2), parce quec'étoit
celui qui avoit le plus d'esprit. A cet éloge, j'ai ajouté
celui de fidélité dont on ne doute pas. On m'a montré
du regret de ce que les circonstances commandoient
tellement, qu'il étoit impossible de prendre un enga-
gement. Voilà, mon cœur, le résultat de notre conver-
sation. Au total, j'ai lieu de me louer de la bonne
volonté que l'on m'a montrée. Point de difficultés qui
viennent de chez l'étranger ; simplement le malheur du
moment qui empêche de rien prévoir, et l'impossibilité
par la position des États. Si les Turcs changeoient
d'avis, comme tu es plus à portée de le savoir, tu me
le manderois tout de suite. La Prusse est cause de leur
résistance, parce que l'on croit qu'elle a le désir d'atta-
quer l'Emp. Qu'il ne lui en prenne pas d'autre, voilà ce
que je désire bien vivement. Nous sommes tranquilles.
Mardi dernier, il y a eu un peu de mouvement pour
pendre le B. de B. et M. de Favras. Le peuple s'est
assemblé au Châtelet. En même temps, les déserteurs,
au nombre de deux cents, sont venus aux Champs-
Elysées pour demander une paye plus forte. Cinq mille
liommes s'en sont emparés avec beaucoup de grâce ; on
les a déshabillés et menés à Saint-Denis. Il y a un
oonseil de guerre pour eux ; ils seront, dit-on, décimés,
t.* attroupement du Châtelet s'est dissipé très-facilement.
On a pris l'homme qui a arraché le cœur de MM. Fou-
lon et Berthier. Il soutient, dit-on, qu'il a fait un acte
(1) Bombelles.
(î) Clioiseul-Gouffier.
236 MADAME ELISABETH.
(le patriotisme. On ne peut pas imaginer qu*un homme
puisse être aussi barbare de sang-froid. Il sera pendu pour
sa peine. Versailles n'est pas tranquille : il y a une ani-
mosité affreuse entre les deux quartiers. Celui de Notre-
Dame, qui est le plus mauvais, va élire un homme
affreux pour maire de la ville. Si on lui rendait justice,
il seroit pendu : il y a contre lui des preuves assez
fortes pour le faire exécuter. Voilà les monstres qui ont
toujours l'avantage sur les bons et honnêtes gens ; mais
dès qu'ils sont portés pour quelque place, on leur
applique ce vieux mot d* aristocrate^ et pour lors le
peuple et même beaucoup de gens bien pensants leur
refusent leur voix. A Versailles, le quartier Saint-Louis
voulait nommer M. de Lille à la mairie ; mais on lui a
donné ce surnom odieux, et pour lors on lui préférera
un monstre. M. Berthier le fils, qui est commandant
de la milice sous M. de La Fayette, se conduit à mer-
veille ; eh bien ! l'on a déjà voulu le pendre plus d'une
fois. Cependant il faut rendre justice au peuple de Ver-
sailles pour le train de mardi ; il y en avoit très-peu de
la ville ; c'étaient presque tout ce que nous appelons
bandits, que l'on ne connoit nulle part, et qui tom-
bent tout d'un coup dans un endroit sans qu'on les
ait vus arriver. Si ce n'étoient pas de si grands monstres,
on croiroit que c'est des saints, car cela tient beaucoup
du miracle, mais [on] ne peut pas s'y méprendre.
Votre mère a eu la fièvre ces jours passés, et votre
sœur est enrhumée ; mais tout cela, au fait, se porte le
mieux du monde, et je trouve que la vie que mène
votre mère, quoique fatigante, lui fait beaucoup de
bien. Elle ne met pourtant pas autant de grands habits
MARIE-AMOKNETÏE. 2:)7
que je te Tavoîs mandé. Adieu, ma pauvre Bombette,
aime toujours ta princesse, qui t*aime de tout son cœur
et t'embrasse de même.
CCCCLXXXII
LA REINE ACJ COMTE DE MERCY-ARGENTEAU (1).
[21 janvier 1790.]
Je serai demain, depuis dix beures et demie jusqu'à
idi sûrement, seule cbez moi ; j'aurois {jrand plaisir à
DUS voir, car j'ai bien des cboses à vous dire. Mon
nae est plus inquiète et plus agitée que jamais. Je ne
-""ous parle pas, monsieur, de tous mes sentiments pour
"ous. Ce seroit faire injure à tous deux que de faire des
h rases pour vous en assurer.
Ce jeudi, à midi, 21.
C^^) Papiers d'Argenteau. Archives impériales d'Autriche.
Î38 LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR.
CCCCLXXXIII
L*ARCriIDUC GRAND-DUC DE TOSCANE LÉOPOLD,
DEPUIS EMPEREUR, A SA SOEDR MARIE-CHRISTINE (1).
11 ne croit pas possible de rétablir la situation aux Pays-Ras, à moins
de franches et larges concessions. — Ses inquiétudes pour la santé
de l'Empereur augmentent.
Le 23 janvier [1790].
Très-chère Sœur, j'ai reçu votre chère lettre que j'ai
très-bien pu lire, et suis bien de votre avis que ni par
la force , ni par de petits moyens ou né(jociations par
des particuliers, on ne pourra plus rien faire, et qu'il
faudroit traiter directement les points que vous m'avez
marqués. Je les trouve très-justes et très-discrets, et
crois qu'on pourroit accorder et même offrir bien plus
que cela. Je souhaite seulement que quelque chose se
fasse, et que vous soyez tranquille et contente. Nous
sommes dans de bien grandes inquiétudes pour la santé
de Sa Majesté. Les rapports ne s'accordent pas sur ce
qui la regarde ; mais toutes les notices en sont bien
inquiétantes, surtout pour la difficulté de dormir et de
respirer. Dieu veuille nous en faire avoir bientôt de
meilleures nouvelles. Portez- vous bien, et soyez bien
persuadée de toute la tendresse avec laquelle je vou»
embrasse et suis.
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArcliiduc Albrr'
d*AutrIclie.
LEOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. Î39
CCCCLXXXIV
L'ARCHIDUC GRAND -DrC DE TOSCANE LÉOPOLD,
DEPUIS EMPEREUR,
AU DUC DE SAXE-TESCHEN, SON REAU-FRÈRE.
La lettre importante qui va suivre a été écrite par l'Archiduc
Grand-Duc de Toscane Léopold, pendant que son frère
Joseph II se mourait. Ckît empereur ne sur\écut que vin^ft-six
jours. Déjà miné par le poison d'une fièvre lente contractée
sur les bords du Danube, dévoré d'amertume par le mauvais
Succès de sa première campagne de Turquie et par Tinsurrec-
tton des Pays Ras autrichiens, Joseph n'avait pu tenir contre
los nouvelles, tous les jours plus douloureuses, de la révolu-
tion française et des attentats commis contre sa sœur Marie-
-Antoinette. Sa santé avait reçu une mortelle atteinte, él il
^cîscendait rapidement vers le tombeau. Ce prince, comme
^^ous le disions plus haut, avait été animé des meilleures
i ^itentions; mais dans son orig;inalité fantasque, l'amour du
ien public semblait toujours être chez lui à l'état de lyrisme
X d'ivresse. Avec plus d'esprit que de jugement, plus d'ar-
eur à acquérir des connaissances que de patience à les
^iûrir, il s'était imag^iné pouvoir refaire les peuples par
écrels et par ordonnances ; il s'était hâté d'opérer dans ses
*Ltats héréditaires, surtout dans ses États annexés, des ré-
armes dont la violence dépassait les limites qui les séparent
es révolutions. S' obstinant, mal(;ré toutes les remdn-
irances, à écraser les peuples de taxes exagérées, à renouveler
^enseignement th«k>logique dans le Brabant, à fermer les
ou vents de tous côtés, il avait blessé au cœur les populations
lig^ieuses , sans voir le point noir qui se formait et grossissait
l'horizon. Les Belges exaspérés avaient fini par chasser
tronpes impériales, et ces troupes n'occupaient plus que le
^uxembourg. Les gouvernants pour l'Empt^renr, le duc et la
nchcsse de Saxe-Teschen , s'étaient retirés à Coblentz, puis
Bonn. A la nouvelle de l'agonie de Jo.soph, le Duc avait
240 JOSEPH II ET LEOPOLD.
écrit au futiir empereur Léopold , qui était encore à Flo-
rence, pour lui demander ôca instructions sur la politique
à suivre, à rinau(juration du nouveau règne, vis-à-vis des
provinces révoltées. Y aurait-il, disait la lettre, convenance
à déclarer à l'Assemblée des États qu'ayant toujours dés-
approuvé les procédés dont on avait usé envers la nation,
sous le ré(jime qui venait de s'éteindre, sans que Léopold
eût en aucune façon le moyen d'y porter obstacle, ce
• prince saisissait le premier moment de son avènement pour
manifester publiquement le déplaisir qu'il en avait conçu
et pour assurer les peuples que, déterminé à observer exac-
tement tout ce que réclamaient leurs vieilles constitutions,
il voulait se concerter et s'entendre avec eux pour tout ce
qui y touchait? Fallait-il agir ainsi et parler en son nom
impérial, ou se borner à parler au nom des gouverneurs,
ou bien se taire et attendre? — 11 y a, ajoutait le Duc, à
se méfier de la Prusse, envers qui les États, on ne sait dans
quelles limites, se sont peut-être engagés pour soutenir le
caractère de pays indépendant. On voit en effet qu'ils pa-
raissent décidés à ne plus vouloir entendre à aucun accom-
modement. Les forces impériales sont insuffisantes, surtout
* si d'autres (|ue les insurgents venaient encore à se mêler de
la besogne. Suivant le duc de Saxe-Teschen ^ la révolution
du pays ne s'était pas opérée sans un plan concerté préala-
blement entre les puissances ennemies de l'Empereur et
surtout avec le Roi de Prusse, dans le dessein d'affaiblir la
maison d'Autriche. Le Duc avait deviné juste, car la Prusse
et l'Angleterre avaient traité avec les États révoltés et leur
garantissaient leurs anciens privilèges pour les empêcher de
se jeter dans les bras de la France. On croyait aussi voir
dans tous ces mouvements le doigt des terribles réformateurs
qui reuuiaient alors le sol de la France et insultaient à leur
Reine comme Autrichienne.
Les insurgés belges s'étaient divisés après le triomphe.
D'une part étaient les zélateurs des anciens privilèges, us et
coutumes, à savoir les catholiques ardents, les zélanti, sous
le nom de Statistes^ c'est-à-dire partisans des États. — De
l'autre, les patriotes animés d'opinions analogues à celles
des Constituants français, et qu'on appelait Vonckistes ^ d
DERNIERES LETTRES DE JOSEPH II. 241
2:10m de Yonck, leur chef principal, avocat au conseil sou-
'^^eraîn de Brabant, réfugié en France pour échapper, pen-
ant le cours de l'insurrection , aux persécutions du parti
pposé. Leur noyau le plus important se composait de la
urçeoisie des villes et de l'aristocratie municipale. Mais,
lits prêts et plus forts que leurs adversaires, les Statistes, un
nstant les maîtres, ne leur ména(jeaient pas les violences.
Edouard Walkiers, {jrand né^jociant et banquier, était un des
lus importants Vonckistes. Le chef reconnu des Statistes,
''an der Noot, nommé ministre par ses partisans, avait pour
icolyte le plus fidèle un prêtre fort remuant, nommé Van
ilupen.
Cependant le malheureux Joseph II, qui s'était si bien
int lui-même en écrivant son épitaphe : u Cï-qH Joseph II,
i qui jamais rien n'a réussi, » achevait de mourir, enve-
oppé dans les lambeaux d'une monarchie déchirée. Quel-
ues jours avant d'expirer, il disait au prince de Lig^ne :
:< Votre pays m'a tué. La prise de Gand a été mon ag;onie;
^abandon de Bruxelles, ma mort. Quelle avanie! Il faudrait
de bois pour que cela ne fût point, n
Esprit inquiet, mais cœur droit et âme aimante, Joseph II
<^tait le dernier ami vrai que Marie-Antoinette eût conservé
ans sa famille. Celui-là du moins ne l'eût pas abandonnée.
1 allait être remplacé sur le trône par un homme d'esprit
uvert sans doute, mais frotté de philosophisme, mais de
tf^rœur sec et froid , et avant toute chose calculateur ég^oïste.
Le 13 février 1790, Joseph dictait encore une lettre qu'il
F^^ascrivait et si(^nait, à sa sœur Christine :
Vienne, ce 13 février 1790 (I).
^la chère Sœur, la longue maladie qui me persécute
Kifin empiré au point que j*ai été dans le cas de me
C ^ 3 Archives de Son Altesse Impériale et Royale rArchiduc Albert
^*-^**triclic.
TOME in. 16
5M DERNIÈRES LETTRES DE JOSEPH II.
faire administrer publiquement aujourd'hui, et j*ai
voulu vous en donner part moi-même. Quelle que soit
la chose que la Providence disposera de moi, et à
laquelle je suis parfaitement résigné, comptez sur ma
tendre amitié, et que je ne cesserai jamais d'être, en
vous embrassant de tout mon cœur,
(De la main,)
Votre tendre frère,
Joseph.
Faites agréer mes compliments à votre cher époux.
Toujours préoccupé de sa famille et des Pays Bas aflran-
chis, il adressait de nouveau à la méine Princesse une der-
nière lettre qu'il signait d'une main mourante, la veille
même où il rendait le dernier soupir.
Vienne, le 19 février 1790 (1).
Me trouvant dans l'impossibilité absolue d'écrire
moi-même, et à peine pouvant encore signer mon nom,
je fte trouve cependant dans la triste nécessité de vous
donner part, ma chère Sœur, et à votre cher époux, du
malheureux coup qui vient encore de me frapper par
la mort de madame l'Archiduchesse Elisabeth, épouse
de l'Archiduc François, qui , après une couche un peu
laborieuse, mais heureuse, sept à huit heures après, se
(1) ArchÎTCs de Son Altesse Impériale et Royale TArcliidnc Albert
d'Autriclie.
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JOSEPH II ET LÉOPOLD. 243
*ouva frappée d'un coup d*apoplexie nerveux dont elle
5t morte sur-le-champ (1).
Vous voudrez bien prendre toute la part que cet
vénement mérite de la famille. Adieu, je vous embrasse
n prenant congé, puisque je sens combien ma disso-
iition s'avance.
{De la main.)
Joseph (2).
Dans sa n'îponse au duc de Saxe-Teschen , Léopold dit
1 entouré d'espions, il ose à peine parler ou écrire. Du
vaut de ^Empereur, il n'approuvera ni ne désapprouvera
^n , et il demeure tout à fait étran(jer à ce qui se traite à
enuc. Fort converti aux idées philosophiques du temps,
tis encore politique au fond dans ses doctrines spécula-
^4) G*était la femme du fiU de Léopold, FraiiçoÎH, neveu de prédi-
tion de Joseph II, qu*il avait fait élever auprès de lui, et qui lui
ma les yeux. Il sera question de ce Prince dans la lettre qui va
ivre.
C^) Joseph II, qui ne laissa point de postérité, avait été, comme
^^s Tavons dit au précédent volume, marié deux fois : la première,
l'Infante Iriabelic de Parme; la seconde, à la Princesse Marie-José-
**ne de Bavière, qu'il perdit en 1767. L'Infante mourut en couches
fut suivie de près par son enfant. Cette Princesse, qui avait em-
^>^ en Autriche une vive affection secrète pour un seigneur de la
^Ur de son père, n'avait jamais pu répondre aux sentiments que lui
^Outrait son mari. Et cependant celui-ci conçut un tel désespoir, une
-lie mélancolie quand il vint h. la perdre, que sa santé en était alté-
'^. En vain sa sœur Marie-Christine essayait-elle de le consoler, elle
'y poovait réussir, lorsqu'enfin, perdant patience, cette sincère
^îocessc, qui avait été la confidente d'Isabelle, s'écria : « Eh! bon
'^eu! apaisez-Tous donc, elle ne vous a jamais aimé! ■
Les papiers du Duc de Saxe-Teschen contiennent plusieurs dossiers
'^latjfs à l'Infante Isabelle. L'un de ces dossiers porte les mots sui-
vants, de la main du Duc :
No 1. Divers billets adressés à feu ma très-chère épouse y par VAr-
zhiduchesse Isabelle, première femme de t Empereur Joseph II, moite
16.
2W JOSEPH II ET LEOPOLD.
tives, il s'ouvre sur ses principes en matière re]i(;icuse c
(jouvernementale. Il est d'avis d'accorder aux Pays-Bas d
]ar(jcs concessions. On l'accuse de soutenir les jansénistes
comme si l'on savait au juste en Brabant ce que c'es
qu'un janséniste. On lui reproche d'avoir fait des lois su
les reliques et sur les enterrements : il se justifie. Puis i
développe des principes politiques du libéralisme le phi
avancé, (jui impliquent de piano un désaveu des mesures d<
l'Empereur dans les Pays-Bas. Le souverain n'est qu'ui
délé(pu», un employé du peuple. Son autorité est limitée
S'il enfreint la loi, on n'est plus lenu à lui obéir. A chaqw
chançomcnt de rè(}ne, le peuple cîst en droit de modifier l<
contrat qui l'unit au souverain. Le peuple seul est maltn
de la fixation des impôts, et le souverain lui doit compte di
l'administration des finances. L'armée ne doit être employés
qu'à la défense du pays. En un mot, le souverain ne régir
que par la volonté du peuple, et la liberté individuelle dcr
être entourée de toutes les g^aranties. Voici cette réponse (H
en 1763, à Vàge de vingt et un ans, et qui sont intéressants ,
que son esprit et son caractère estimables s'y trouvent manifestés, ttû
que dans tout ce qui reste d'ailleurs d'écrits de cette Princesse
admirable qu aimable.
On autre fascicule, n° 3, a pour suscription, toujours de la main dM
Duc :
Divers morceaux instructifs, gais et autres, écrits dans des heures
de loisir, de V Archiduchesse Isabelle.
L'un des principaux morceaux est intitulé les Exercices de tesprit 1
ou Réflexions pour trois jours de retraite.
Un autre morceau porte ce titre : les Aventures de VEtourderie;
Un autre. Us Charmes de C Amitié,
Un autre est un Traité sur les hommes.
On trouve aussi quelques chansons françaises, en vers jde mr^
liton.
Un autre morceau a pour sujet : Vues sur le commerce^ et il »»
suivi d'Objections au plan d'un traité de commerce, et d'Observatit
sur les Prussiens,
Quelques-uns de, ces écrits ne sont dénués ni d*idées ni d*agrémi
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'Arckidac Al
d*Antriche.
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. 145
Du 25 janvier [1700, à Florence].
Je ne suis informé de rien, ni des affaires publiques,
:Miitles intentions de Sa Majesté, et surtout de rien de
c-*equi regarde les Pays-Bas et des intentions sur cela.
Je vous suis bien obligé de tout ce que vous m'écrivez
^t savez de ce pays. Moi, je n'ose ni parler ni écrire,
ni songer seulement à envoyer quelqu'un aux Pays-
Bas. Je suis tellement entouré et espionné par des
doj>endants des alentours de Sa Majesté, que je n'ose
ni^ remuer, crainte d'avoir une histoire. Je tâche de
fiii m.^^ connoitre ma façon de penser aux honnêtes
Mc^arode; mais je dois m'en tenir là. Si jamais un mal-
■^^^-»r arrivoit, vous auriez d'abord un courrier de moi
c mes sentiments pour les faire publier, et ceux-là
'ont bien clairs et pas équivoques. Avant, je ne puis,
J^ ^ï^e dois et je n'ose rien faire. Je manquerois à Sa
"^^^jesté, lui ferois de la peine, et, de son vivant, je
'^ ^^ ^prouverai jamais ce que je ne trouve pas conve-
*^**^t>le; mais je ne donnerai jamais non phis une désap-
ï^*^^^bation publique et formelle à ce qu'il a fait. Dieu
^^^^^noît mes intentions, et il fera de reste.
Je vous réponds sur les choses dont on m'accuse et
^^^î sont fausses, afin que vous en puissiez faire l'usage
^^^ tliscours, que vous jugerez à propos. Soyez bien per-
^^^^dé et sûr que je ne sais absolument rien de ce qui
^^ ftit ou traite à Vienne, ni des intentions qu'on y a
P^vir la paix, la guerre, et surtout pour les affaires des
^"Ss-Bas. François (1) ne m'écrit jamais rien, et je
^^) L*Arc1)icliic, fil.s aîné de Léopold \\<ii de Mnrîc-Loiilse, fille du
^* d*E8pa0ne Charles III, était né le 12 février 1768, à Florence,
246 LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR,
n'ai jamais rien , et je n'ai des correspondances avec
personne. Figurez-vous de là combien ma situation est
agréable pour le présent et pour l'avenir.
Je vous envoie ci-joint une partie de mes principes
en fait de gouvernement ; vous pouvez en faire usage,
mais sans publicité. J'espère de pouvoir vous envoyer
un jour une dissertation que je fais sur les droits des
peuples et des souverains. Adieu.
Je trouve les treize points que vous m'avez envoyés^
et qu'on dit que les Pays-Bas désireroient, non-seule-
ment plus que justes, mais très-modérés, et je crois
qu'en bien des points on pourroit même leur accorder
bien davantage pour le bien de la monarchie, et qu'il
seroit bien à désirer que cet exemple se propage et s'ai
corde également à toutes les provinces de la monarchie.»
J'ai appris par hasard qu'on répandoit différente
bruits sur mon compte dans les Pays-Bas pour me
discréditer. Comme heureusement ils sont tous faux, je
vous écris ces lignes pour que vous soyez instruit des
faits et puissiez, le cas échéant, me rendre justice.
On dit que je soutiens les Jansénistes, le synode de
pendant que son père était grand-duc de Toscane. Il lai succéda, le
i*' mars 1792, en qualité d'Empereur d'Allemagne, sous le nom de
François II, et, en 1806, il prit le titre d'Empereur d*Autriclie. Au
moment où cette lettre a été écrite, il était à Vienne, auprès de son
oncle, qui voulait avoir à ses côtés Tliéritier présomptif de la mooar-
ckie autrichienne. Les règnes de Joseph II et de Léopold II, si fer-
tiles «n tristes événements , furent une leçon pour François , quand il
tînt les rênes de l'État : il prit le contre-pied de l'amour des innoTa-
tions de son oncle et de son père, et n*cn régna pas moins au bruit
des troubles, des révolutions, et de la guerre étrangère et intérieure.
Tour k tour l'adversaire ou l'allié de la France, ce fut lui qui derint^
le beau-père de Napoléon I^^ Il mourut à Vienne, le S mars 1835.
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. Î47
Pistoie et Tévêque qui Test, et que j'ai un résident de
l'Église d'Utrecht à Florence : tout cela est entièrement
iaux. On ne connoîtpas ici ce que c'est que janséniste,
ni de quoi il est question dans ces matières. L'ensei-
jpiement public, les séminaires-écoles sont librement
^ntre les mains des évéques, sans que le gouvernement
5'en mêle. On taxe ici de Jansénistes les évéques plus
xigoureux, et qui ont défendu à leurs prêtres d'aller aux
'théâtres, bals, etc. Jamais le gouvernement ne se mêle
des affaires de discipline ecclésiastique, hors par le moyen
<les évéques et en les soutenant. Le synode de Pistoie
ne contient que l'accession aux propositions de l'Église
gallicane, qui n'a jamais été soupçonnée de jansénisme.
Mais je ne l'ai pas approuvé, quant aux maximes, mais
seulement permis son exécution , quant à la discipline,
n'y ayant rien vu de contraire aux lois du pays ; et la
cour de Rome qui , depuis deux ans , fait examiner ce
synode, n'y a rien trouvé k redire. Le résident jansé-
niste n'a jamais existé, et n'auroit pas été souffert. Ceci
n'est qu'une absurdité.
On me taxe d'avoir fait une loi sur les enterrements
et une sur les reliques. La première est pour empêcher
qu'on porte et expose les morts à découvert dans les
églises, qu'on les tienne sur terre un nombre d'heures
avant de les enterrer, et qu'on les enterre hors des
villes dans les cimetières. A cela il n'y a rien à redire :
tout le reste est faux.
Sur les reliques, tout est faux. Jamais il n'y a eu
d'ordre ou règlement pour cela, aucun édit, rien. Cela
appartient aux évéques entièrement, et même on a laissé
à la ville de Prato, sans y toucher, une ceinture de la
tW LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR.
Vierge sans autlien tiques, pour laquelle il y a eu un(
émeute; et seulement, sur les instances desévéques,or
a ordonné que les clefs de beaucoup de reliques qu
étoient entre les mains des ma{jistrats des villes soienl
toutes remises aux cvéques, et j'ai fait bâtir dansTéglisc
de Saint-Laurent de Florence une chapelle où j'ai dépose
publiquement toutes les reliques à la vénération di
peuple, qui étoient ci-devant enfermées dans un<
chambre de son palais.
Quant à Tinquisition politique qu*on m'attribue, j'er
atteste à tout le monde, habitants et étrangers, qui on
été ici, s'ils ont joui autre part de 'plus de liberté civiU
qu'en Toscane; celle-là est entièrement contre mor
caractère.
Ma profession de foi est de soutenir, vivre et mourii
dans la religion catholique, apostolique et romaine ; d(
ne point persécuter, mais de ne point avancer ni dis-
tinguer des personnes qui n'ont ou affectent de ne
point avoir de religion , de soutenir les évéques aux-
quels appartient l'inspection des affaires de la disci-
pline de l'Église.
Je crois que le souverain, même héréditaire, n'est
qu'un délégué et employé du peuple pour lequel il esl
fait, qu'il lui doit tous ses soins, peines, veilles; qu'v
chaque pays il faut une loi fondamentale ou contrai
entre le peuple et le souverain, qui limite l'autorité et
le pouvoir de ce dernier; que quand le souverain ne la
tient pas, il renonce par le fait à sa place, qui ne lui
est donnée qu'à cette condition, et qu'on n'est plus
obligé de lui obéir ; que le pouvoir exécutif est dans le
souverain, mais le législatif dans le peuple et ses repré-
LEOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. S49
sentants ; que celui-ci ^ à chaque changement de souve-
rain, peut ajouter de nouvelles conditions ou restrictions
à son autorité.
Que le souverain ne peut se mêler ni directement ni
indirectement dans les affaires de justice civile ni cri-
minelle, en changer les formes, peines, donner des
commissions, délégations, etc.
Que le souverain doit un compte exact et annuel au
peuple de l'érogation des revenus publics et finances,
qu'il n'a point le droit d'imposer arbitrairement ni
taxes, gabelles ou impositions quelconques ; que ce
n'est que le peuple qui a ce droit, après que le sou-
verain lui a exposé les besoins de l'État, et que le
peuple par ses représentants les a trouvés justes
et raisonnables; qu'ils ne peuvent s'accorder que
comme subsides, pour un temps d'un an, et après
en avoir vu le besoin , et que la nation ne doit pas
les proroger que lorsque le souverain aura rendu
un compte exact, détaillé et satisfaisant de leur éro-
gatîon.
Que le souverain doit rendre compte et avoir l'ap-
probation pour tous les changements de système, nou-
velles lois, etc., pensions, gratifications à donner, avant
de les publier.
Que les ordres du souverain n'acquièrent force de
lois et n'obligent à l'obéissance qu'après le consen-
tement des États.
Que le militaire ne peut être employé que pour la
défense du pays, et jamais contre le peuple.
Que personne ne peut être arrêté ni jugé que sur un
ordre des juges ordinaires, et jugé que selon les formes
250 NOTE DU DUC DE SAXE-TESCHEN.
ordinaires, et publiquement, et jamais par aucun ordre
arbitraire, pas même du souverain même.
Enfin , je crois que le souverain ne doit régner que
par la loi , et que ses constituants sont le peuple , qui
n*a jamais pu renoncer ni être privé par aucune préoc-
cupation ou consentement tacite et forcé , à un droit
imprescriptible qui est celui de nature, pour lequel ils
ont consenti à avoir un souverain, c'est-à-dire à lui
accorder la prééminence pour qu'ilfasse leur bonheur
et félicite, pas comme il veut lui, mais comme eux-
mêmes le veulent et le sentent, car Tunique but des
sociétés et gouvernements est le bonheur de ses indi-
vidus.
Voilà à peu près mes principes. Je pourrois m'éten-
dre sur cela plus en détail pour en fournir les preuves,
mais cela seroit trop long et trop ennuyant.
NOTE DU DUC DE SAXE-TESCHEN SUR CETTE LETTRE.
« On a vu ici la confession de foi en matière de reli-
gion et politique du Grand-Duc même. Nous y ajoute-
rons quelques circonstances qu'il n'a pas touchées et
qui sont de notre connoissance.
» Tandis qu'on accuse le Grand^Duc de jansénisme,
il est de fait que son vieux confesseur est un ex-jésuite,
et que l'instructeur de ses enfants est du même ordre.
» Les ordres pour les enterrements pe tendent pas
à éloigner l'idée de la mort, comme dit méchamment
un journal connu ; ils ne se font pas sans publicité, et on
peut mettre toute la solennité possible aux Requiem
NOTE DU DUC DE SAXE-TESCHEN. 851
tenus dans les églises. Ce qui est défendu, c'est de por-
ter les morts à découvert, et de les laisser ensuite deux
ou trois jours en compagnie d'autres, — ainsi que nous
l'avons vu nous-mêmes, — dans les églises, pour y infec-
ter les vivants par l'aspect et l'exhalaison de leurs ma-
ladies dégoûtantes et parfois contagieuses; et de les
jeter ensuite tout nus, comme cela se faisoit, dans les
fosses qui se trouvoient sous ces églises, et que les
pierres sépulcrales, dont elles sont pavées, couvroient:
chose qui dans les climats chauds de l'Italie est plus
dangereuse que partout ailleurs. On dépose donc à
présent d'abord dans une chapelle de la paroisse les
morts renfermés dans une bière, et on les transporte
ensuite en plein jour dans le cimetière établi hors de la
ville, où ils sont enterrés avec tout l'appareil et la
décence requise. Quant aux rideaux des tableaux d'au-
tel, dont le journal ci-avant cité plaisante si ironique-
Xnent, nous ne savons quelle est cette ordonnance;
lïiais nous savons bien que, lors de notre voyage en
Italie, il nous est arrivé plus d'une fois que le sacris-
tain montoit sur l'autel pour tirer ces rideaux et nous
fïiire voir quelque tableau fameux, dans le moment où
1« prêtre étoit occupé des mystères les plus sacrés, dans
la célébration de la messe ; et c'est apparemment pour
empêcher cet abus général et difficile à prévenir que le
Cjrand-Ducafaitsubstituerdes glaces auxdits rideaux. ■
Le gouverneur des Pays-Bas fit usage en son temps de la
lettre de Li5opold, et elle circula avec commenlairei.
252 LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR.
CCCCLXXXV
L'ARCHIDUC GRAND-DUC DE TOSCANE LÉOPOLD,
DEPUIS EMPEIIEUR, A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (I).
On a croiipé uo liras à la inonarrhie d'Autriche en lui enlerant le»
Pays-Bas. — Soml>rei( pressentimcnu. — Il a fait parvenir a son
fils François, à Vienne, des instructions en prévision de toutes les
éventualités. — Il s*est décidé à conseiller à l'Empereur de faire
des concessions à la Hongrie. — Il persiste à s'abstenir de toute
démonstration publique. — Sa crainte d'être appelé k Vienne.
Le 7 février 1790.
Ma très-chère Sœur, j'ai reçu vos chères lettres du
23 janvier, et ai vu avec plaisir qu'enfin vous ayez reçu
toutes les miennes, ta'nt vieilles que jeunes. Je ne puis
vous rien dire de plus sur la perte des Pays-Bas; c'est
un grand malheur et un bras qu'on a coupé à la mo-
narchie. Je sens bien toute votre position personnelle
et son désagrément. Je suis curieux de voir la n*ponse
que vous aurez des États à votre lettre, mais ne la
crois pas heureuse. Il ne paroît pas que la confiance
se rétablit, et c'est là l'essentiel. Continuez, je vous
|)rie, à m'envoyer les brochures de chez vous qui sont
bien intéressantes. Je sens bien combien vous devez
être embarrassée pour vos affaires, meubles, et tous vos
(;cns, sans savoir qu'en faire, où les placer, ni quel
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale rArcbiduc Albert
d'Aiitriclir.
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEIIEUU. 253
parti prendre. Cette situation est bien cruelle « surtout
quand on n*y a pas donné cause par soi-même.
Les nouvelles de la santé de Sa Majesté sont toujours
plus tristes et affligeantes, quoiqu'on n'en sache aucun
détail. Il paroit que la paix ne se fera pas, qu'on aura
une guerre avec le Roi de Piiisse, et peut-être générale
dans toute l'Europe; et l'esprit de révolte et désordre
commencé en France fait de rapides progrès, même en
Italie; et l'aspect de l'avenir est bien triste de tous les
côtés. Je vous embrasse tendrement et suis....
J'ai bien pu lire toutes vos lettres, et vous remercie
l^ien, ainsi que votre mari et mon frère, de toute l'ami-
lié que vous avez pour moi. Quoique je sois entouré et
espionné, je ne manquerai pas, d'ici à quinze jours,
de vous envoyer un homme de confiance à moi , sous
c|uelque prétexte, car je ne me fie pas trop aux cour-
i"iers napolitains, pour vous porter, et à mon frère, mes
i ntentions et idées pour tous les cas possibles. Je ne
suis informé de rien , pas même de la santé de Sa Ma-
jesté, ni d'aucune affaire. J'ai envoyé à Vienne avec les
layettes pour ma belle-fille un homme affidé à Vienne
ovec des instructions détaillées pour mon fils pour tous
les cas possibles, et j'ai enfin pris sur moi d'écrire avec
Force et persuader à Sa Majesté de condescendre aux
demandes des Hongrois et de les ménager. Il me paroit
<]u'il en est convenu, et je souhaite seulement que
cela se fasse , pour éviter de nouveaux et plus grands
malheurs.
Vous sentez bien que , dans les circonstances pré-
sentes, je ne puis faire aucune démarche ni démonstra-
S54 MADAME ELISABETH.
tion publique, car il faudroit commencer par témoi-
gner de désavouer tout ce qui a été fait, ce qui seroit
terrible, et que, du vivant de Sa Majesté, je ne ferai
jamais. J*ai dit mes sentiments pour les Pays-Bas aux
Mérode et à quelqu'un d'autre : ils m'en ont paru con-
tents et en feront bon usage. Voilà tout ce que je puis
faire pour à présent. L'unique chose que je crains,
c'est d'être appelé à Vienne, où, dans cette confusion,
ne pouvant rien faire ni être toujours du même senti-
ment que Sa Majesté, je ne pourrois avoir que du cha-
grin. Je m'étonne qu'on exige de vous que vous signiez
des papiers et présidiez au soi-disant nouveau conseil.
Si j'étois de vous, sans un ordre exprès de l'Emp., je
le refuserois net.
CCCCLXXXVI
MADAME ELISABETH A LA MARQUISE DE BOMBELLES,
HOTEL DE FRANGE, A VENISE.
On doit les conduire à Notre-Dame pour chanter un Te Deum.
Elle en prend son parti.
Ce 9 février 1790.
Je ne t'écris qu'un mot pour te dire que tu recevras
d'ici à quelque temps des épitres de nous tous , ce qui
fait que la poste n'a pas vu notre écriture depuis long-
temps. Nous comptions que tu Taurois plus tôt, mais
le sort en a autrement ordonné ; tu les auras pourtant,
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. 255
ne t'impatiente pas. Ta tante me chargée de te dire qu'elle
a reçu ton argent « et ta mère qu'elle se porte bien, à
l'exception d'un très-petit mal de gorge, qui ne la retient
seulement pas chez elle. Ainsi, tu vois que cela n'est
pas inquiétant. Pour ma petite personne , elle se porte
fort bien. Elle est maintenant dans l'eau, et, dans peu,
elle sera dans le jardin. Adieu. Je vous embrasse de
tout mon cœur.
On dit que, dimanche, nous terminerons la journée
du jeudi quatre, en allant à Notre-Dame chanter un
Te Deum en son honneur. Si ce n'est pas ce jour-là, je
ne doute pas que l'on ne nous y mène un autre. Aussi ,
j'en prends mon parti.
CCCCLXXXVII
L'ARCHIDUC GRAND-DUC DE TOSCANE LÉOPOLD,
DEPUIS EMPEREUR, A SA SOEUR MARIE- CHRISTINE (1).
Appelé à Vienne pour être nomme co-Régent, il est résolu a refuser
cette situation , pour no point paraître approuver ce qui se fait. —
Instructions à sa sœur sur les affaires des Pays-Bas, pour le cas de
mort de l'Empereur.
Le 18 février [1790].
Très-chère Sœur, depuis que je vous avois écrit la
lettre par mon courrier que j'ai gardé ici jusqu'à mon
(1) Archives de Son Altesse Impériale l'Archiduc Albert d'Au-
triche.
256 LKOPOLD, DEPUIS EMPEREUR.
départ , qui sera le 23 de ce mois , pour Vienne , j'ai
reçu d'autres lettres de votre part auxquelles je vais
répondre. Si Sa Majesté continue de vivre , vous ren-
verrez mon courrier à Florence avec vos réponses et
pas à Vienne y et vous vous garderez bien de me rien
écrire à Vienne, car tout s'ouvre plus que jamais. Mais
si jamais Sa Majesté venoità manquer, alors vous pour-
rez m'envoyer mon courrier à Vienne. Sans cela, j'au-
rai également vos réponses, que ma femme m'enverra
par un courrier à moi.
Sa Majesté m'a fait appeler à Vienne, et, la poste
suivante, m'a écrit qu'Elle vouloit me déclarer co-
Régent, comme il Tavoit été du temps de feu l'Impéra-
trice. Vous avez vu alors les beaux effets qui en ont
résulté : figurez-vous à présent. Je vous préviens donc
(|ue je suis fermement résolu et décidé à ne pas me
luisser mêler directement ni indirectement dans les
affaires à Vienne, ni comme co-Régent ni autrement,
du vivant de Sa Majesté ; car si je témoigne d'y prendre
pail à la face du public ou des cours étrangères, j'au-
rois l'air d*étre dans les mêmes principes et systèmes
de Sa Majesté, et d'approuver tout ce qui a été fait ; et
je perdrois pour toujours ma réputation et la confiance
des cours et du public , et je ferois un grand mal aux
affaires sans aucune utilité. En outre, je devrois être
à tout moment en contradiction avec Sa Majesté , et cela
ne pourroit que lui faire du mal, et je me lierois les
mains pour l'avenir, ou serois ensuite obligé à protes-
ter contre tout ce que j'aurois fait. Je n'accepterai donc
point d'entrer aux aBaires. A moi on ne me dit plus
rien sur la santé de Sa Majesté, que je crois toujours
LÉOPOLD, DEPUIS EMPEREUR. 257
très-mauvaise, et on assure même qu'il ne passera pas
le mois de mars. Vous voyez donc que je vais à Vienne
pour assister ou peut-être accélérer sa mort , me trou-
ver à ce beau spectacle et ensuite avoir à débrouiller
tout ce cbaos, laissant ici mes afl^iiires, femme et famille
rie tant d'enfants. C'est une» situation bien agréable
|:»oiir moi ; mais je prie, espère et confie en Dieu qu'il
tTie donnera la force nécessaire pour tout finir selon sa
%r-olonté et les décrets de sa providence.
Pour les affaires des Pays-Bas, je vois avec bien
3e la peine qu'elles continuent à aller mal. Cette cor-
t^espondance de Sa Majesté avec le général d'Alton
[--jcnlue et imprimée, et surtout les lettres du comte
obentzl, font que celui-ci ne peut plus rendre de sér-
iées utiles, et doit avoir perdu à juste titi:e toute la
onfiance.
Je crois donc que, dans le cas de mort de Sa Majesté,
rous devez d'abord renvoverà Vienne le comte Cobentzl,
e décharger de quelconque commission sur les affaires
es Pays-Bas, faire appeler Cornet des Grès, ou qui
"^'ous croirez plus convenable, lui communiquer le mé-
^noire et propositions que je vous ai envoyés et les faire
publier, traitant toujours vous directement avec les
lEtats, et n'admettant aucune autre puissance à s'en
^mèler, hors pour la garantie qu'on pourra leur accor-
der. Le projet de prendre des troupes étrangères, et
surtout prussiennes, à la solde, est bien dangereux;
mais en dégoûtant par là les principaux seigneurs, peut-
être on engagera et disposera d'autant plus les deux
premières classes à se disposer à un rapprochement.
Voilà tout ce que je puis vous dire pour à présent. Con-
TOME III. 17
258 MADAME ELISABETH.
tiiiuez-moi votre chère amitié, et soyez persuadée de
toute la sincère tendresse avec laquelle je vous serai
toute ma vie (1).
CCCCLXXXVIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Grande colère tle la Priiicci^sc contre niatlanie de BomLellos, à projxis
de Texécntion du marquis de Favras. — Causes de cette mort. —
Panrf^yrique de la victime; son innocence et son courage. — L*A5-
scuiLlée donne plein pouvoir au\ nninicipalitcs : voilà comme on
sert le Roi.
Ce 23 février 1790.
Mon Dieu, ma Bombe, que ta lettre m'a mise en
colère! J'avoue que j'avois bien tort; mais n'importe,
il faut que je te dise pourquoi. J 'étois pénétrée de l'in-
justice de la mort de M. de Favras, de la superbe fin
qu'il a faite, de l'amour qu'il a montré à son Roi (qui
seul est cause de sa mort) (2). Il y avoit deux jours
que je ne pensois qu'à cela, que mon cœur, mon esprit, «- -^^7
tout mon être, n'étoient remplis que de cette idée, et -^ -^i^et
je reçois ton épitre où tu me dis : Mais aussi de quoi ce
malheureux s'avisoit-il? Tu juges si ta princesse, qui ne
—s
ce
c
(1) L*original est ainsi terminé, d'une façon brève, avec une «ort
de paraphe, à la manière de Joseph II.
(2) M. de Favras, condamne par jugement du Châtelet de Pari:
prononce a minuit, après une séance de onze heures, avait été pen
sur la place de Grève, à huit heures du soir, le 19, à la lueur d
flambeaux.
MADAMK ELISABETH. «59
se donne pas toujours le temps de la réflexion , s'est
mise en colère contre cette pauvre Bombe qui n'y pou-
voit rien pourtant, et qui, si elle eût été ici, auroit
admiré, comme tout ce qui respire dans Paris, et Tin-
justice de sa mort, et le courage avec lequel il a subi
son arrêt. Non, il n'est qu'un Dieu qui puisse le donner.
Aussi, j'espère bien qu'il en a reçu la récompense. Le
cœur des honnêtes gens lui rend bien l'hommage qu'il
mérite. Le peuple lui-même , le peuple, qui demandoit
à grands cris sa mort, le lendemain, et même eu reve-
Jiant de l'exécution, disoit : Mais il a protesté de son
roiiGcence sur la potence ; c'est pourtant bien mal de
le l'avoir pas descendu. Tu verras dans les journaux
'ywLÏ ce qu'il a dit de touchant. Au fait, mon cœur, aux
^uxde tout le monde, même aux yeux des gens de loi,
n'y a point eu dans ses interrogations la moindre
f^uve qu'il ait voulu faire assassiner MM. La F.
B. (1). Mais il falloit effrayer ceux qui voudroient
^^^ir le Roi; mais il falloit du sang au peuple, et le
L :Kig d'un homme à qui l'on pût donner le nom d'am-
^=^rate. Voilà, mon cœur, voilà les véritables causes
-^>i^ i ont conduit ce malheureux à la mort, et les jour-
^ ^s du 5 et du 6 restent impunies ! Et une autre affaire
'^^ même genre , qui est au Chàtelet depuis trois mois ,
- ^te aussi dans l'oubli ! Cependant, j'aime à croire que
juges ont eu des preuves que nous ne connoissons
5. Je ne t'ai plus reparlé de M. Albert de Rions,
Tce qu'il s'est passé tant de choses que je n'y ai plus
nsé. L'Assemblée est occupée , dit-on , à donner au
KX) La Fayette et BailJy.
17.
ÎCO M A RIE-AN TOï NETTE.
pouvoircxécutif delà Force ; et, pour cela foire, ils vont
rendre un décret qui donnera plein pouvoir aux muni-
cipalités. Voilà comme on sert le Roi, ou, pour mieux
dire, comme on Tabuse. Voilà le prix de tous les sacri-
Bces qu*il fait journellement; voilà la manière dont ou
veut calmer son royaume en donnant toute la puis-
sance aux gens qui sont ou gagnés, ou trop poltrons
pour en faire usage. Enfin, ma petite. Dieu veut ma-
nifester la {floire et la bonté qu'il accorde à la France.
Je l'espère, il se laissera fléchir par les prières que l'on
ne cesse de lui offrir. Adieu, ma petite, je vous em-
brasse du plus tendre de mon cœur. Je crois que cette
lettre pourra bien [Deux mots manquent aiTaclié
avec le cachet.]
J
CCCCLXXXIX
xM KM 01 RE
COMMCXIQUR AC COMTE DE PUTSKGUR , PAR LE COMTE DE BRIKTISe, C^^^fir
APPROUVÉ PAR LA RKINK, CONCERNANT LA SOMME DE QCINZE CENTS LITICs^ ES
DESTINÉE PAR SA MAJESTÉ A l'ÉDUCATIOX DE QrELQUES ORPOEUSE^^T -ES
d'invalidés (i).
[20 mars 1790.]
M. de Brienne, après avoir cherché, de concert ave»-^^^^
M. de Sombreuil, les moyens de tirer le meilleur partP'*'-*''^*
possible de la bienfaisance de la Reine, a tourné st^m-^s
vues du côté d*un établissement formé par une demor ^c:==>î-
(1) Cabinet de M. le Ii.iron do Girardot, sccrctalre gcnci'al de
préfecture de la Haute-Loire, à Nantes.
;
M A 1 U E - A N ï O I N E T T E . 261
selle irlandaise appelée mademoiselle 0*Kennedy. Cette
demoiselle s*est entièrement consacrée au secours des
pauvres. Elle a commencé à former un établissement a
la barrière de»Rcuilly, sur la paroisse Sainte-Marguerite,
où, à l'exemple de M. le chevalier du Pawlet, elle a
réuni déjà un certain nombre d'orphelines d'invalides.
Elle n'a pas les mêmes moyens que M. le chevalier
du Pawlet; mais M. l'archevêque de Paris, et particu-
lièrement M. Tévéque de Senez, la protègent et s'inté-
ressent à son établissement. Elle consent à prendre
tous les ans quatre petites orphelines d'invalides, moyen-
Haut les quinze cents livres que Sa Majesté a bien voulu
destiner à cette bonne œuvre. Elle les prendra dès
^'àge de six à sept ans, les gardera tant qu'elles vou-
dront, et toujours au moins jusqu'à ce qu'elles soient
On état de gagner leur vie, aux conditions que le pro-
duit de teur travail sera au profit de la maison, tant
^jii*elles y resteront. Elles seront habillées, nourries et
^entretenues et instruites de leur reli{;ion ; elles appren-
cl ront à lire et à écrire tous les ouvrages convenables à
^les filles, les soins du ménage, les travaux des ser-
"V^iuites des villes et de campagne. Ainsi, celles qui
^^viront des dispositions pour acquérir quelques talents,
^^t celles qui n'en auront pas, seront élevées au moins
^^«{jement, et pourront être destinées à faire de bonnes
^^îrvantes. De tout ce que M. de Brienne a vu , de toutes
ï^s propositions qui lui ont été faites, voilà celle qui lui
paru la plus convenable. L'on pourra placer tous les
ns quatre orphelines d'invalides, moyennant quinze
Clients livres. Si l'on veut multiplier cette bonne œuvre,
pourra en placer un plus grand nombre en ajoutant
Î62 M A lu E - A N 10 1 N ETTE.
trois cent soixante-quinze livres pour chacune. Made-
moiselle O'Kennedy a le projet de porter son établisse-
ment juscju'à cent au moins, d'y foimer différents ate-
liers d'ouvrières, et de se charger de la fourniture du
linge des Invalides ou autres grandes maisons. Pour
lors son établissement fournira plus de ressources ;
ainsi la Reine, en remplissant ses vues bienfaisantes
pour les pauvres or[)helines d'invalides, ftTa double-
ment une bonne œuvre, en favorisant un établissement
qui mérite sa protection, et dont on pourra par la suite
tirer un grand parti pour ces malheureux enfîmts.
Je, soussignée, déclare avoir promis et m'engage de
remplir exactement envers les quatre orphelines d'in-
valides, qui me seront présentées , et que j'admettrai
chaque année dans mon établissement, toutes les con-
ditions portées dans ce mémoire, moyennant la somme
de quinze cents livres accordée par la Reine j)Our cet
objet, laquelle somme me sera payée successivement
d'année en année-, sur les ordres du secrétaire de li
guerre, par le trésorier de l'hôtel des Invalides, à me-
sure qu'il en fera le recouvrement.
A Paris, le 20 mars 1790.
Approuvé récriture et signé :
O'Kennedy,
Institutrice de la maison des Orphelines d'invalîcB ^^
J'approuve que rétablisscmentdo mademoiselle O'Kenno^L/f.
se charge des quatre filles d'invaUdes, orphelines, qui
LOUIS XVI. J63
1 ""objet de ma fondation. J'approuve é{;alement les conditions
fDioposées par mademoiselle O'Kennedy dans sa son mission
<*i-dessns.
MARIE-ANTOINETTE.
CCCCXC
LE ROI AU MARQULS DK ROUILLÉ (1).
X I le remercie d\ivoir su maintenir la (garnison de Metz dans le devoir.
— Il fait éventuellement appel a ses serviees à Paris.
Paris, le 23 avril 171)0.
Il m'a été rendu exactement compte, Monsieur, de
"X-os efforts pour maintenir la garnison importante de
-^iia ville de Metz, et des succès que vos soins avoient
"^Dbtenus jusqu'à ce moment. Ce qui vient de se passer
-^lans cette place n'a fait qu'augmenter la l:onne opinion
'^jue j'aide vous depuis longtemps, et jeu. e plais à vous
■^^n témoigner ma satisfaction. En continuant à me bien
servir dans votre commandement, M. de la Tour-du-Pin
^'ous expliquera les motifs qui pourroient faire aperce-
voir de la convenance à ce que vous vinssiez passer
-^juclques jours à Paris ; mais je m'en rapporte absolu-
ïuent à vous pour juger du moment où vous pourriez le
faire sans que votre absence pût causer aucun incon-
^'énient.
Louis.
(1) Ori{;innI dans les papiers de M. le marquis de Rouillé; copie k
ia Rililiotlicque impériale.
i
264 MADAME ELISABETH.
CCCCXCI
MADAME ÉLISAHETII A MADAME DE ROMBELLES.
Nouvolles de faiiilllc. — Mort de TabLc Coligiion.
Ce 27 avril 179().
.l'ai reçu ta lettre qui n'étoit point datée, l'autre ne
m'est pas encore parvenue. Que ton mari ne fasse pas
ce qui lui est proposé, avant que tu aies reçu de mes
nouvelles. Ta mère est dans le chagrin à cause de la
mort de l'abbé Colignon. Sa santé est toujours bonne.
I^lle a été passer deux jours h Montreuil et a Saint-Cyr.
Ta tante me rendra compte de sa conversation avec
M. Durney. J'espère qu'il sera plus raisonnable que sa
lettre. Adieu, je n'ai pas le temps de t'en dire plus
long. Comment va ce bijou d'Henri ? Je t'embrasse de
tout mon cœur.
LOriS XVI. 265
CCCCXCII
XOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLIONAC, A ROME (1).
Amical souvenir. — Complimont sur le maiia({c du fiU tic la tluchcsae.
— Mort de madame de Picnucs. — Première eommunion de
Madame Itoyah,
Paris, Je 28 avril 1790.
J'ai reçu cxacteinrnt vos lettres, Madame la Duchesse,
et j'espère que vous n'imputerez pas à aucun oubli de
ma part si je n'y ai pas réj)ondu plus tôt. Je savois
(pie votre amie vous avoit écrit par une occasion, il n'y
a pas bien longtemps, et j'ai mieux aimé attendre
(juelque temps pour mieux partager le temps. Je me
suis acquitté de toutes vos commissions. On a dû
répondre directement à votre mari sur le mariage de
votre fils. S'il vous rend heureuse, vous savez combien
je serai content. Je crois que je n'ai [)as besoin d'en
dire davantage. Il n'y a (|u'une chose qui m'inquiéte-
roit, ce seroit le caractère de la tante ; mais on dit que
vous la gardez avec vous jusqu'à l'cipcxpie de l'accom-
plissement. Alors, vous aurez le temps de la former et
de la connoître à fond. La pauvre duchesse de (^»uiche
sera bien fâchée de la mort de madanio de Piennes. On
croit que c'est des remèdes pris mal à propos qui l'ont
tuée. Je vous prie de me rappeler sur cela au souvenir
de votre fille. Ici, votre amie se porte bien, et quelques
méchancetés qu'on fasse dont on ne se lasse pas, il me
(I) Papier-i de famille du due de Poli{jnac.
266 MADAME ÉLI S A lUCTII.
paroît que ses actions sont bien remontées dans le
public. Le bouzard est arrive et vons aura sûrement
donné de ses nouvelles. Votre petite amie a fait sa pre-
mière communion à Pâques. Nous avons eu tout sujet
d'être contents ^e la manière dont elle s'y est compor-
tée. Je vois aussi avec plaisir qu'elle se souvient de vous
comme elle le doit. L'autre se porte toujours bien et Ht
'assez bien h présent. En tout, le physique va assez bien
ici ; mais il n'en est pas de me»me du moral. Il est cruel
d'être séparé si loin de ses amis, et sans prévoir l'époque
où cela se terminera. Il seroit bien doux de pouvoir
causer ii son aise. J'espère que votre santé se soutient
toujours bonne : avec l'espérance et une conscience
pure, on se soutient. Je n'ai pas besoin, j'espère, Ma-
dame la Duchesse, de vous répéter l'assurance de mes
sentiments inviolables.
CCCCXCIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
T<*n dresses. — On ns<<a.ssine en Boiir{îogne. — H y a eu un prone
superbe à Saiiit-Sulpicc.
Ce A mai 179<).
Je t'ai beaucoup écrit la semaine passée, ce qui fait
que tu n'auras qu'un mot de moi aujourd'hui. Ta mère
va bien; elle a été passer trois jours à Montreuil, à
Saint-Cvr et à Vitry, cela lui a fait du bien, en la dis-
sipant un peu du chag^rin que lui a procuré lu mort du
MARIE- AMOIiNETTE. 267
pauvre abbé Golignon. Gomment va ton petit avorton
d'Henri? Étouffe-t-il toujours? A-t-il sa seconde dent?
Enfin es-tu sans inquiétude pour lui? Je t'assure qu'il
faut t'aimer beaucoup pour s'occuper d'un vilain enfant
cooune cela ; mais comme tu prétends que tu l'aimes^
il faut bien le croire et désirer son malheur en désirant
qu'il habite cette terre maudite avant que de jouir des
douceurs du ciel. Tout est tranquille ici ; mais en Bour-
{jofjne il n'en est pas de même, on y assassine avec
une recherche de cruauté abominable. Mon Dieu,
quand est-ce que cela finira? Il y a eu, avant-hier, un
prône à Saint-Sulpice qui avoit rapport au moment.
On dit qu'il étoit superbe, et bien capable d'animer le
zèle des pasteurs et des bonnes âmes. Te voilà tout au
beau miheu de ton carnaval ; je t'en fais mon compli-
ment, et t'y laisse en t'embrassant de tout mon cœur.
CCCCXCIV
MARIE-ANTOLNETTE A LA LANDGIIAVINE LOUISE
DE IlESSE-DARMSTADT (1).
Condoléances sur la niurt du Landjjrave Louis IX, et sur ravcnement
de son tils, mari de la Laudgravine Louise.
Ce 14 mai [1790].
J'apprends dans l'instant, Madame, qu'une personne
sure part, cette après-dînée, pour l'Allemagne; je sai-
(1) Archives de Son Altesse Royale le Grand-Duc de Hesse.
268 marie-a?jtoim:tte.
sis cette occasion pour vous assurer de toute la part
que je prends au changement de votre position (1). Si
j'ai tant tardé a vous répondre, vous en jugerez la cause
en ce que je n'écris à personne par la poste. Mais plus
je suis éloignée de vous, plus je sens combien mon
amitié pour vous et les vôtres est profondément dans
mon cœur. Veuillez bien les assurer de ma part et dire
particulièrement au Landgrave combien j'ai été tou-
chée de son souvenir, et lui faire mon compliment de
condoléance sur la mort de son père.
Nos santés se soutiennent bonnes ; mes enfants gran-
dissent beaucoup ; ils sont sans cesse avec moi, et font
mon seul bonheur. Il faut fermer ma lettre: on Tat-
tend. Adieu, Madame, soyez aussi heureuse que je vous
le souhaite et que vous méritez de l'être, et conservez
toujours de l'amitié pour celle qui vous embrasse
comme elle vous aime, et c'est de bien bon cœur.
(1) Louis IX, Laiit]{p'nvL' de IIcAsc-Duriiistatlt, né le 15 décoiuhrc
1719, élait mort le 6 avril 1790. Il avait épousé, le 12 at)ùt 1741,
Henriette-Caroline, Princesse palatine tl(> Hirkenfeld, née le 9 inar»
1721, morte le 30 mars 1774.
Louis X, devenu Landjjrave (mot à mot, maître de l:i terre), prit
le titre de Grand-Dur.
MADAME KLISAUETIÎ. 269
ccccxcv
MADAME ELISABETH A MADAME DE ROMBELLES.
Sa correspondance avec M. de Rombelles. — La Princesse e«t fort
maussade. — Le Roi n*a plus le droit de faire la guerre ou la paiz^
— Les enragés triomphent. — >L «le Choiseul.
Ce 22 mai 1790.
Je t'envoie, mon cœur, un fier paquet pour ton
mari. S'il a la patience de le lire tout entier, j'aurai
une haute idée de lui , car j'ai été effarouchée de sa
taille. Je n'ai que le temps de te dire un mot, et je
l'emploierai à te dire qu'il est impossible d'être plus
maussade que nous. Tu dois en savoir quelque chose.
Ton mari aura bien le temps de recevoir beaucoup
d'ordres de ma part, et j'en enraye, quoique je tienne
pourtant à ce qu'il suive mon conseil. Je suis fâchée
qu'Armand vous ait parle de sa tante comme il vous en
a parlé. Elle a fait une folie, j'en conviens; mais ce
n'est pas à ses parents à la publier, d'autant qu'elle ne
doit rester que quelques jours à [le nom est en blanc].
Le Roi n'a pas le droit de faire la guerre et la paix (1):
il la déclarera au nom de la Nation ; mais il sera chargé
des négociations et de nommer aux places. Hier que ce
fameux décret a été rendu, tous les enragés ont passé
(1) Ccsi le 22 et non le 21 mai 1790 (pic l'Assemblée déclara que
le droit de guerre et de paix appartiendrait à la nation. Il est probable
que la Princesse a par mcgarde antidaté d'un jour sa lettre, ou qu'avisée
de la rédaction du décret, elle en parlait avant la promulgation.
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M A H I E-A NTOl N ETTE. 271
que ce soit trouve mauvais, que deux sœurs se donnent
mutuellement des preuves d*amitie, et se demandent et
se dissent de leurs nouvelles. Aussi je n'aurois pas
liesité, mais c'est que je ne veux pas qu*a la poste on
puisse trouver de mon écriture ; il est si aisé de la con-
^efaire, et d'ajouter quelque chose dans une lettre, qu'il
faut prendre les plus grandes précautions. Je ne peu
craindre que les méchancetés de ce genre, car je défie
l'univer de me trouver un tort telle. Je ne peu même
<\ue gagnier a être gardez et suivie aussi exactement,
car toutes mes [laroles , tous mes désirs , et toutes mes
«actions ne tendent qu'au honheur du Roi d'abord, pour
lequel je donnerois mon simg, mais en vérité aussi pour
le honheur de tous, car je ne désire qu'un ordre de
chose qui remette le calme et la tranquillité dans ce
malheureux pays, et prépare a mon pauvre enfant un
avenir plus heureux que le notre, car pour nous, nous
avons vue trop d'horreur et trop de sang pour être jamais
véritablement heureux. Pardon, chère Sœur, de vous
entretenir de chose aussi triste pendant que mion cœur ne
devroit être emû que de tendresse et de reconnoissance
des marques de votre amitié. Notre santé ce soutien
^onne encore; on dit que la semaine prochaine on nous
*uissera faire des courses de quelque jours à Saint-Cloud,
^ii revenant souvent icy; cela est bien nécessaire : au
ïïioins pourrons nous respirer un air plus pure (1), plus
attendu <|u*iji la fin il est fait mention des troubles des Pays-Bas et du
^onibat de Marcbe et Eamion, livré le 23 mai de cette année, dans
^«quel les Impériaux avaient repoussé une attaque des Belges et les
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LOUIS XVI. 273
ne te parlerai pas de la proclamation faite au nom de
/a loi et du Roi : les journaux t'en rendront compte ; et
lorsque tu l'auras lue avec attention , tu sauras ce que
j'en pense (1). Ainsi, je n'ai pas besoin de te le dire.
Nous allons vendredi à Saint-Cloud passer deuxjours,
et puis nous y retournerons. Jeudi nous serons un petit
eu lasses. La procession est plus fatigante que celle
e Versailles, et tous les députés y seront. Cela res-
^mblera beaucoup à l'ouverture des États. Adieu, ma
petite, je t'embrasse de tout mon cœur, et t'aime beau-
oup.
P. S. Comme une béte, j'ai jeté ma lettre dans mon
•ain, heureusement elle peut encore se lire.
CCCCXCVIII
LOUIS XVI A M. LE PRÉSIDENT
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE, POUR L'ASSEMBLÉE (2).
-^ 1 eDamère les dépenses de sa liste civile, pour en faire régler le budget.
Aux Tuileries, le 7 juin 1790.
Messieurs, combattu entre les principes de la plus
'Révère économie et la nécessité de la représentation du
^lihef d'une grande nation, j'aurois préféré de m'en rap-
(1) Proclamation du droit national de paix et deg[uerre enlevé au Roi.
(2) Archives impériales de France. — Voir la lettre de Madame
^Ëlisaheth , du 3 janvier précédent.
TOMB III. iS
274 LOUIS XVI.
porter à l'Assemblée nationale pour qu'elle fixât elle-
méme les dépenses de ma maison ; mais de nouyelles
instances m'cnga(;ent à m'expliquer. Je vais le faire
clairement et simplement.
Les dépenses connues sous le nom de maison du
Roi comprennent :
V Ma dépense personnelle , celle de la Reine, celle
de mes enfants et de leur éducation ; la maison de mes
tantes et celle que ma sœur peut attendre incessamment
de moi.
2^ Les bâtiments et les garde-meubles de la cou-
ronne.
3" Ma maison militaire.
L'ensemble de ces divers objets, malgré les réduc-
tions qui ont été faites depuis mon avènement au trôno,^^^ — tj
indépendamment de neuf cent mille livres que je per — ■
cevois sur des droits à Versailles, s'élevoit encore -" '^^
trente et un millions, avec mon séjour habituel à Paris ^^s
Je crois que vingt-cinq millions, en y ajoutant le reveni^B^ ^iu
des parcs, forêts et maisons de plaisance que je conseï ^"^ **•
verai, pourront, à l'aide de beaucoup de retranche —
ments, suffire à ma dépense, quoique j'y compreni^ ^^
ma maison militaire.
Je n'hésite pas à penser que la garde pour la défen
de ma personne doit être réglée par la Constitution. Ei^e^ û
conséquence, j'ai retardé l'époque où les gardes dm^ ^u
corps doivent reprendre leur service. J'ai été d'aataiM — it
plus porté à ce délai que la garde nationale m*a moi ■■ ;-
tré beaucoup de zèle et d'attachement , et je dési'^^re
que jamais elle ne soit étrangère à la garde de ma p^^ t-
sonne.
LOUIS XVI. 275
Il me seroit impossible d'assigner les fonds annuels
nécessaires pour le remboursement de la dette arriérée
de ma maison et de celles de mes frères. Je pense que
l'Assemblée jugera à propos de s'acquitter de cette
liquidation. Ce remboursement est d'autant plus juste
que la vénalité des charges est supprimée.
Je finis par l'objet qui me tient le plus à cœur. J'ai
promis par mon contrat de mariage avec la Reine que,
dans le cas où je cesserois de vivre avant elle, une mai-
son convenable lui seroit conservée. Elle vient de faire
le sacrifice de celle qui a toujours appartenu aux Reines
de France, et qui, avec le comptant, montoit à quatre
millions. C'est un motif de plus pour que je désire que
l'engagement que j'ai pris avec elle et avec son auguste
mère soit assuré.
Je demande donc. Messieurs, la fixation de son
douaire. Il me sera doux de devoir aux représentants
de la nation ma tranquillité sur un point qui intéresse
«iussi essentiellement mon bonheur.
Après avoir répondu aux instances de l'Assemblée
nationale, j'ajouterai que jamais je ne serai en opposi-
tion avec elle pour ce qui me concerne; et, pourvu que
la liberté et la tranquillité soient assurées, je ne m'oc-
cuperai point de ce qui me manqueroit en jouissances
personnelles. Je les trouverai, et bien au delà, dans ce
spectacle attendrissant de la félicité publique.
Louis.
Je charge M. l'archevêque de Bordeaux de faire par-
'V'cnir cette lettre à l'Assemblée.
18.
GCGCXCIX
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
La TÎcomteiise est au mont Notre-Dame. — La Princc^e réside pour
huit jours à Saint-Cloud. — La comtesse D. est ramenée à Dieu. —
M. Duniev.
Ce 13 juin 1790.
Je me dépêche de commencer ma lettre par te
donner des nouvelles de la Vicomtesse (I). Je n'ai
jamais eu l'intention de ne te pas répondre sur elle.
Je ne connois pas une raison qui puisse m*en empê-
cher. Je te dirai donc qu'elle est tranquillement au
mont Notre-Dame, oïi l'on est fort cahne, quoique les
TÎUes d'alentour ne le soient pas trop, à cause des ^^"*"- s
assemblées primaires.
Je ne vous parle pas nouvelles , parce que je n'ai ^ "
pas le temps, et puis je glisse dessus les détails, tantu^^-^*'^
que je puis. Je trouve que c'est bien assez de savoir e
{jros ce qui se passe. Nous sommes à Saint-Cloud pow
huit jours. Il y fait un temps superbe. J'ai un peti
jardin fermé, sous la fenêtre de ma chambre , où j
passe une grande partie de mon temps, et qui me ren
fort heureuse. Je vais monter h cheval ce soir; ainsi
tu vois que je me secoue tant que je puis.
Je suis bien aise de ce que vous me mandez de 1
?s
(1) La vicomtesse de Mérinville, Dame pour accompa(>ner Mada
Elisabeth.
MADAME ELISABETH. Î77
comtesse D. (1). Dans une personne d*esprit comme
elle, il est bien difficile que le malheur ne ramène pas
à Dieu. Le ciel t'a peut-être réservé le bonheur de con-
solider son ouvrage. N'en néglige aucune occasion. Ce
sera une jouissance, et une récompense de toutes tes
vertus. Je suis bien aise que ta réforme soit faite, tiens
bon pour que ton mari ne veuille pas trop bien rece-
voir toute la famille; songe que M. Durney ne trouve-
roit pas cela bon : je le sais d'une manière positive.
Adieu , ma chère petite ; je te quitte pour faire ma toi-
lette pour dîner. Je t'embrasse et t'aime de tout mon
cœur.
Ta mère est en très-bonne santé.
D
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Bcflexion.s sur la derniers décrets de TAssemblée. — Elle espère bien
s'appeler Mademoiselle Capot, ou Hugues, ou Robert. — Tout cela
Tamuse beaucoup. — Préparatifs de l'anniversaire du 14 juillet. -—
Elle redoute fort les grandes chaleurs qui s'y feront sentir. — Plai-
santeries à ce sujet. — Il faut rire un peu, cela fait du bien. —
Madame d'Aumalc.
Ce 27 juin 1790.
Il y a longtemps que je ne vous ai écrit, ma petite
Bombelinette. Aussi je prends ce soir les avances, afin
de n'être pas prise au dépourvu par la poste, comme il
(1) La comtesse Diane de Polignac, clianoincsse, sœur du duc Jules.
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MADAME ELISABETH. Î79
;rois que j'y crèvcrois. Sans cela j'espère bien n'y pas
aisser mon pauvre corps, qui pourroit bien en quit-
ant cet endroit ne pas se rafraîchir de quelque temps;
nais au contraire j'espère bien le ramener tout comme
1 y aura été. Pardonne-moi toutes ces bêtises ; mais j'ai
ant étouffé la semaine passée, et à la revue de la milice,
;t dans mon petit appartement, que j'en suis encore
oute saisie. Et puis, il faut bien rire un peu, cela fait
lu bien. Madame d'Aumale me disoit toujours, dans
non enfance, qu'il falloit rire, que cela dilatoit les
)Oumons.
J'achève ma lettre à Saint-Cloud. Me voilà rétablie
lans le jardin , mon écritoire ou mon livre a la main ;
4 là je prends patience et des forces pour le reste de ce
[ue j'ai à faire. Ta mère, que je viens de quitter, se
>orte très-joliment. Adieu, je t'aime et t'embrasse de
out mon cœur. As-tu sevré ton petit monstre, et com-
nent t'en trouves-tu ?
280 L'EMPEREUR LEOPOLD II.
DI
L'EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (I).
II donne ses instructions sur la conduite ù tenir à Tégard des Pay«-
Bas. — Sombre tableau de la situation générale. — Urgente néces-
sité de traiter de la paix avec la Prusse. — Fausseté et malveillance
de l'Angleterre. — La Russie se renferme dans l'inaction. — L'Em-
pereur projette de prendre à sa solde les régiments étrangers qui
quittent le service de France. — Il ne faut compter que sur la forci
pour aj>puyer la rai^ton. — Les provinces autncliiennes sont en fer
mentation; leurs exigences. — Prétentions inouïes des Hongrois.
Découragement de l'Empereur.
Le 31 juin [1790] (2).
Très-chère Sœur, c'est par votre chasseur qui r
tourne ce soir, que je vous réponds à votre long
lettre. Vous aurez vu déjà les ordres et instruction
que j'ai envoyés au général Bender. Il fera bL
d'opérer, mais avec prudence, pour ne pas comp
mettre ses troupes et risquer de se faire couper
écraser par le nombre. Déjà chez vous on voit que
fanatisme est au point que sans des forces il ne h
plus rien espérer. Je crois que vous ferez bien de fai
bon visage à tous, aristocrates ou démocrates, maf
sans vous engager à traiter ni avec les uns ni avec le^
autres. Chacun ne pense qu'à soi, et les lettres d
sieur Edouard Walkiers et les choses de Cornes d
(1) Archives de Son Altesse Impénalc et Royale rArchiduc
d'Autriche.
(J) Il n*y a point de 31 juin. C'est donc un lapsus» L*Empereiir — '
voulu écrire le 30 juin ou le i«»" juillet.
L'EMPEllElTR LÉOPOLD II. 181
Grès en sont des preuves. Le négociant, M. Louis,
part après-demain d'ici pour aller trouver le premier
en France. Il aura une lettre de ma part pour vous,
pour vous le recommander, mais qui ne contiendra
pas autre chose que des compliments , car je ne m'y
fie pas plus qu'il ne faut.
•Pour les Pays-Bas, il faut d'abord la paix avec le
Roi de Prusse, et la sûreté qu'il ne vous empêchera
pas d'y envoyer des troupes, ce que je saurai en quinze
jours. Alors il faudra y envoyer six régiments d'infan-
terie et deux de dragons; et toujours en publiant qu'on
^'eut accorder aux provinces à chacune leur ancienne
constitution , et qu'on ne veut pas leur faire de mal ,
on fera avancer les troupes qui secourront et soutien-
dront les bien intentionnés, et engageront, j'espère,
les chefs plus enragés du jiarti à s'expatrier, et alors
on pourra traiter avec les provinces mêmes sur la for-
mation de leurs états, leur représentation, etc. Mais
en attendant ce temps, il faut aller avec prudence, ne
pas exposer nos troupes à cpielque échec ni engager
des gens à faire ou tenter des contre-révolutions (|ui
ne peuvent que les compromettre inutilement. La
marche des troupes prussiennes, de Wesel aux confins,
n'est que pour le cas de guerre avec moi et pour me-
nacer alors Liège et Luxembourg. Mais je me flatte
toujours que la paix est pres(|ue sûre, quoiqu'elle sera
à des conditions bien dures. Mais les circonstances
l'exigent ainsi, à moins que le Roi de Prusse ne veuille
contredire aux propositions qu'il a déjà faites pour
faire la guerre. Dès que j'en saurai quelque chose de
sûr, je vous le ferai savoir. En attendant, l'Angleterre
,2 i;p:MPEREru leofold ii.
e conduit aussi faussement et mal que possible envers
iious. La Russie ne se cache pas qu'elle ne peut ni ne
A'eut nous aider, et pas même nous défendre la Gallicie;
et la Hollande a remis au baron Buol et fait remettre
ici la très-forte et impolie déclaration que vous aurez
dc^à vue sur les affaires des Pays-Bas. Par votre chas-
seur nous leur envoyons la réponse que j'y ai fiiit foice,
qui est juste et ferme , et , je crois , convenable ; mais
je suis persuadé que ce n'est que la j)rinccsse d'Orange
qui veut tout cela. Pour les Pays-Bas, le duc de Wur-
temberg m'a offert mille hommes et deux cents canon-
niers, que pour le présent je n'ai pas cru devoir
accepter. Mais j'ai un autre j)rojct en tête, que je cooBe
à votre mari pour y [)enser. On dit que les régiments
étrangers vont tous être cassés en France. Ce seroit,
si cela arrive, une bonne occasion d'en prendre trois
ou quatre des meilleurs en entier à ma solde pour les
Pays-Bas. Les meilleurs sont Royal- Allemand Dragons,
Royal-Suédois Infanterie, Salm de même et quel-
que autre. Ceux-là seraient prêts et commodes. On les
dit bien disciplinés et à pouvoir s'v fier ; et ils m'épar-
gneroient la marche d'autant de troupes d'ici et les
grands frais. Et peut-être, lorsque la tranquillité seroit
remise aux Pays-Bas, on pourroit les rendre au Roi de
France, qui, à l'occasion » pourroit s'en servir chez lui
utilement. Mais tout cela n'est que pour A'ous deux.
Les plus mauvais régiments étrangers sont Lamark ( 1 },
(!) Avec le duc dTrsel et le duc d'Arenberj;, o» comptait, panoi
les Voncki8tci(, \v fi-rrc do ce dernier, le cuinte de La Marck, rami
de Mirabeau, et qui, ttmt en prenant une |>art active aux afFaires des
Pays-Bai, n'en avait pas moins conserve, en 1789, avec la qualité
i
L'EMPEHEUU LÉOPOLD II. 283
et celui que le prince Max de Deux-Ponts commande
et qui esta Strasbourjj, je crois. Je souhaiterois que
votre mari y pense, ainsi qu'à leur force et pour voir
si on pourroit en traiter à son temps.
Ce n'est qu'au yénéral Bender que vous pourriez en
confier l'idée , sous le plus grand secret. Soyez bien
sûre qu'en traitant de la paix, mes premières condi-
tions sont toujours d'avoir les bras libres et une assu-
rance du Roi pour envoyer des troupes aux Pays-Bas.
Du Pape il n'y a rien à espérer. Il anime et suscite la
révolte partout, et ici, et en Hongrie, et en Toscane, et
à Mayence, Cologne, il traite directement avec le Roi
de Prusse et avec l'Électeur de Bavière pour empécber
mon élection, et enfin il n'y a cliose qu'il ne fasse pour
Hae faire du mal. Dans les émeutes de Toscane, heu-
reusement apaisées à présent, il y avoit deux Braban-
çons mêlés, et deux Dominicains et un Jésuite qui
Cîorrespondoiént habituellement avec ceux des Pays-
fias. Il ne faut compter que sur la force })our appuyer
la raison ; car chez vous ce n'est plus le zèle de la
^T-eligion quand on met Vandernôt (1) dans l'église et
cju'on donne la bénédiction avec son buste. Ici, les
•fictive de colonel propriétiiire du ré^iincuc d'infanterie de son nom en
^^rancc, celle de membre de nos États Généraux, ^ié d'une maison
«souveraine de TEnipire, le comte de La Marck n'était en fait sujet ni
«de TAutriclie ni d'aucune autre puissance. En 8a qualité de grand
^'Elspagne de première classe, il jouissait, à la cour de Versailles, du
^^ng de duc et pair. Son régiment avait été envoyé dans l'Inde, à
^'occasion de notre guerre avec l'Angleterre pour rindépen<lance de
^'Amérique, et il l'avait ramené en France aprt*s la paix. On comprend
^ue l'Empereur Léojmld eût de la défiance contre le régiment de ce
personnage.
(i) Henry Van der Noot.
284 L'EMPEUEUR LÉOPOLD II.
affaires internes sont dans la plus grande confusion , et
un manque absolu de gens capables. Il y a de quoi
décourager quiconque. Les provinces sont toutes en
fermentation. Tout le monde, provinces, villes, no-
blesse, marcliands, évcques, clergé, moines, demande
des droits et privilèges, allant rechercher ceux qu'ils
avaient du temps de Gharlemagne, sans se contenter
du juste et discret, et veulent tous obtenir tout de
suite tout. Imaginez-vous quelle bonne besogne que
c'est, et surtout le3 Hongrois qui font des prétentions
inouïes et contre leur constitution, et injustes jusqu'à
me priver du droit de nommer aux charges et bénéfices,
et qui ont trouvé moyen de suborner les régiments
hongrois, au point qu'ils ont envoyé, à l'insu de tout
le monde, des députés à la diète pour s'accorder avec
eux et se déclarer indépendants du Roi et conseil de
guerre. Plaignez-moi dans cette situation, où, malgré
les efforts extraordinaires de travail que je fais , mon
physique et santé souffrent plus du moral que du
travail. Je vous embrasse et suis.
11 est assez douteux que les Cabinets se Fussent bien rendu
compte, dès le début, de toutes les conséquences que devaient
entraîner après soi pour TEuropc les commotions politiques
de la France. Ainsi, au langage de Joseph II, on a pu juger
qu^il n'y voyait d'abonl qu'un caprice d'humeur nationale,
une échauffourèe d^effervescence momeutanée, en un mot,
comme il dit, une ivresse de vin de Champagne. Mais FEu*
rope allait apprendre à ses dépens qu'il ne saurait éclater en
France une révolution sans que tous les peuples européens
n'en ressentissent le contre-coup. Déjà la guerre d'Amérique
L'EM1M:HKUII LEOPOLD II. 285
avait remué les entrailles des Hollandais. La prise de la
Bastille réagit encore sur eux et sur la Belgique. Les patriotes
hollandais commencèrent par diminuer le statliouder dans
la forme, ils le diminuèrent ensuite dans la réalité du pou-
voir, et la lutte, une lutte acharnée s'ouvrit, à laquelle se
mêlèrent et F Angleterre et la Prusse, et qui entraînait le
Brabant. Les traités garantissaient aux Hollandais, de la
part de la France, des secours que Tétat de ses finances
J'empécha de leur fournir; et plus fidèle à la prudence qu'à
]a parole du pays, Montmorin, successeur de Vergennes,
traita avec l'Angleterre. A son avènement au trône de Prusse,
IFrédéric-Guillaume II avait fait des avances à la France;
ouais Vergennes, qui gouvernait alors les Affaires Étran-
gères, n'avait accepté ces avances qu'avec une défiante
jéserve. Peut-être était-il trop persuadé que toute la gran-
deur de la Prusse ne tenait qu'au génie de Frédéric, et que
]e Boi nouveau, inégal à la tâche de successeur d'un grand
lomme, et mal préparé par ses mœurs à i\no si lourde
mission, succomberait sous le poids. Cependant, à travers tous
'Ces événements, les affaires de France empiraient chaque
jour, les embarras intérieurs se multipliaient, et l'on voyait
avec effroi s'agrandir le gouffre de la dette publique. L'An-
gleterre et la Prusse avaient l'œil sur nous et jouissoient de
l'abaissement de notre influence. La dernière surtout, chez
qui l'ambition est une condition d'existence, se flattait de
trouver dans nos préoccupations des occasions favorables de
se satisfaire. L'Autriche et l'Espagne, dont nous restions les
alliés fidèles, souffraient encore de nos souffrances. Pendant
ce temps-là, la campagne entre les Suédois et les Busses se
poussait avec fureur, et le feu était en Finlande et sur les
bords de la Baltique. Néanmoins, en dépit de toutes ces
complications et de la guerre avec la Turquie; en dépit des
oppositions qu'il rencontrait à son élection à l'Empire,
Léopold tint bon, et finit par triompher à force de prudence.
J^ar le traité de Beichcnbach (15 août 1790) il consentit à
^ndre aux Pays-Bas leur ancienne constitution, sous la
Cirant ie des puissances alliées, et enfin il conclut avec la
"Turquie, à Giorgcvo, par l'entremise de la Prusse, un armis*
*'cc de neuf mois.
DU
LOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLIGNAC, A ROMS (1).
Préoccupations affectueuses. — Éloge du duc de Guiche. — La gêne
dans les correspondances empêche l'effusion à laquelle on aimerait
à se livrer. — Quelques jours pass(';s à la campaj^ne lai font vanter
le bonheur de la retraite avec des amis. — État politique plus ras-
surant. — Cependant les souvenirs lui font faire du noir.
Paris, le 10 juillet 1790.
J'ai reçu exactement, Madame, votre lettre du
29 mai, de Venise. Je suis fort aise que tous ayez reçu
la mienne. Comme madame de M. K. n'étoit pas ici poui*
lors, je l'avois adn^ssée par la voie qui m*a paru la plus-
sûre; mais, au reste, je ne chercherai jamais à cachet"
mes sentiments pour vous. Je suis bien fâché d*avoÎB*
été le premier h vous certifier la mauvaise nouvelle pour
votre fille : je croyois que toutes les lettres en parloient .
J'espère que sa santé et les vôtres se soutiennent bonnes,
malgré toutes les peines et les chocs. Votre fille aura
bientôt le plaisir de revoir les siennes. On m'a dit qu'elles
étoient parties il y a quelques jours. Corisande sou
toujours de son œil. Je ne suis pas étonné que von
soyez contente de votre gendre; il a un très-bon coeu
et ce meuble-là dirige toujours. Le houzard est dans
même cas. Il m'a dit depuis qu'il avoit reçu de vos no^^j
velles et qu'il vous avoit répondu. 11 est bien triste cJe
ne pouvoir correspondre ensemble qu'avec bien d& k
(i) Papiers de famille du duc de Pollgnac.
LOUIS XVI. Î87
gène et de loin en loin. Nous avons été passer plusieurs
fois quelques jours à la campagne, étant plus à portée
de prendre l'air et de nous promener davantage. Cela
nous a fait du bien physiquement à la santé. Dans cette
quinzaine nous sommes trois qui nous soyons purgés :
cela chasse les humeurs qui ne s'amassent que trop
aisément par le temps qui court. Si vous concevez quel-
ques inquiétudes pour une époque très-prochaine, j'es-
père pouvoir vous dire. Madame, de vous rassurer :
non pas que tout s'y passera d'une manière agréable,
mais qu'il n'y a pas à craindre toutes les folies qu'on
pouvoit appréhender. Les arrivants montrent d'assez
bonnes dispositions, et tout n'est pas perdu.
J'espère qu'à présent vous avez trouvé une cam-
pagne. Vous l'avez toujours aimée, et j'espère qu'elle
X'ous fera du bien h votre santé et à la tranquillité de
'votre àme. C'est une charmante vie que celle de la
ctampagne : qu'on v est à son aise avec ses amis ! Hélas!
dans celle d'où je viens, je n'ai pas trouvé le déjeuner
dans le salon au bout de la galerie !
Bonsoir, Madame la Duchesse : je sens que les sou-
venirs me font faire du noir. Quelque part que vous
5oyez, je compte que vous ne douterez jamais de tous
mes sentiments pour vous. Ne sachant où vous adres-
ser juste ma lettre, je prie M. de Bombelles de vous la
faire tenir.
288 MADAME ELISABETH.
DIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Ci'ise procliainc de la fc'd oral ion. — Le duc d'Orléans. — Rè{»Icinpnt du
cérémonial de la fédération par l'Assemblée, qui pasHe par-dc8Sus les
observations du Roi. La f.uuillc royale n'entourera pas Louis XVI :
insulte préméditée à la Reine. — M. de Bombelles.
Ce 10 juillet 1790.
J'ai reçu ta lettre par ce Monsieur qui est retourné à
Venise, mais trop tard pour y pouvoir répondre, en
ayant une autre à écrire plus pressée. Nous touchons,
ma chère enfant, comme le dit la chanson, au moment
de la crise de la Fédération. Elle aura lieu mercredi;
je suis bien convaincue qu'il ne s'y passera rien de très-
ftcheux. M. le duc d'Orléans n'est pas encore ici, peut-
être y sera-t-il ce soir ou demain ; peut-être ne revien-
dra-t-il jamais. J'ai l'opinion que c'est à peu près indif-
férent. Il est tombé dans un tel mépris que sa présence
sera cause de peu de mouvemenf. L'Assemblée paroit
décidément séparée en deux partis, celui de M. de La
Fayette et celui de M. le duc d'Orléans, autrement
appelé celui des Lameth. Je dis cela parce que le
public le croit; moi j'ai l'opinion qu'ils ne sont pas
aussi mal ensemble qu'ils veulent le paroitre. Que cela
soit ou que cela ne soit pas, il paroit que celui de
M. de La Fayette est beaucoup plus considérable, et
cela doit être un bien , parce qu'il est moins sangui-
naire, et paroît vouloir servir le Roi en consolidant
MADAME ELISABETH. 289
Touvrafje immortel dont Taryet accoucha le A février
de l'an 90 (1).
Toutes les réflexions que tu fais sur le séjour du... (2)
sont très-justes, il y a longtemps qucj'en suis convaincue;
celles qui suivent sont bonnes à suivre, sont même
nécessaires. Mais de tout cela il n'en sera rien, à moins
que le ciel ne s'en mêle. Prie-le bien fort pour cela, car
nous en avons grand besoin. Cela me fait bien de la
peine, parce que j'ai une certaine frayeur que l'ennui
ne gagne tant que l'on ne puisse résister au désir de
s'amuser un peu, et d'une manière qui peut être ou
fort utile ou fort malheureuse pour l'éternité. Le choix
est difficile à faire dans deux choses aussi rapprochées que
celles-là, quoiqu'au premier coup d'oeil elles paroissent
fort dissemblables. Mais ton esprit est si fin, si juste,
qu'il apercevra sans peine le point qui les unit sans
que je me donne la peine de le démontrer. Si tu me
trouves le sens commun, il faut convenir que tu seras
bien indulgente.
L'Assemblée a décrété hier que le Roi seroit seul
avec elle dans lu fédération, le président à sa droite ; le
reste de sa famille sera, je crois, aux fenêtres de l'École
(i) Target, membre du comité de Conslitiition, en avait été le plus
Knbituel rapporteur, et cVst ce qui avait donné lieu à ses détracteurs
^e se railler de ses longs et fastidieux discours. Les plaisants disaient
<|u*il était en couches; tout le monde parla des couches de Target et
^c la Targétine constitutionnelle qu'il devait mettre au jour. Et,
oomme, disait-on, cet enfantement devait causer une souffrance
truelle, on alla jusqu'à répandre de la paille et du fumier à la porte
fie i«a demeure, pour que le bruit des voitures ne pût nuire à son tra-
'Vail et SI son repos.
(2) Allusion au séjour du Roi, dont la Princesse désirait le départ
^e Va ris.
290 MADAME ELISABETH.
militaire. Le Roi avoit désiré d'en être entouré, mais,
comme de raison . on n*a ])as pris garde aux désirs
de celui qui n'a de pouvoir que ])ar celui que la Nation
lui délègue. Tu sais que j'ai le bonheur de connoître
beaucoup un des membres de cette auguste famille du
siècle passé ; eh bien, je vous fais part que tout cela lui
est bien égal : elle n'en est affligée que par rapporta la
Reine, pour qui c'est un soufflet donné a tour de bras,
et d'autant mieux appliqué qu'il a été ménagé de loin,
et que jusqu'au dernier moment on avoit dit au Roi que
le contraire passeroit.
Je suis fâchée de penser que tu n'es plus à la cam-
pagne, parce que cela te fait du bien et du plaisir;
mais je suis bien édifiée de ta résignation et de ton
amour pour tes devoirs. J'espère que tes enfants te res-
sembleront et serviront Dieu et leur maître comme de
bons chrétiens, et tes enfants doivent servir l'un et
l'autre^, ayant de si bons exemples sous leurs yeux. A
pro])os, je suis bien fâchée que ma phrase t'ait déplu,
ce n'étoit pas mon intention, comme tu peux bien
l'imaginer. Je n'ai pensé qu'au temps qu'il y avoit que
ton mari ne s'étoit occupé de ce métier qui demande
un peu de pratique, surtout s'il le suivoit dans la posi-
tion où il est (1). Mais je te fais réparation, et te dirai
que je suis convaincue que le zèle que certainement il
y mettroit pourroit suppléer à ce qui lui manqueroit
de science, si par hasard il en avoit perdu. Mais je ne
(1) M II était question de m'employcr militairement à la suite àe-
M. le comte d'Artois, et Madame Éli^ibeth le voyait aycc peine. *
(iVofe du man/uis de Bombelles.'^
MADAME ELISABETH. Î9i
puis te dissimuler que , malgré la grandeur de tes sen-
timents, je ne me soucie point du tout que ton mari
soit appelé. J'ajouterai que je ne crois pas qu'il le doive
en conscience, parce que son sort est fixé et qu'il ne
peut le changer sans tout abandonner de bonne volonté
ou de force. Pèse encore cette réflexion, et sois bien
convaincue que je n'ai jamais eu le désir de te faire
de la peine, notre amitié est trop vraie pour que lu
puisses en douter. Tes parents se portent bien. Je t'em-
brasse de tout mon cœur; je suis bien fâchée de
ce que tu me mandes de Font. J'espère que tu te
trompes; si cela étoit, que nous serions ou bêtes ou
malheureuses! etc. Mais plus j'y réfléchis ainsi qu'à ses
propos, et moins je le crois.
M. de N., je crois, n'avoit pas besoin des conseils de
rhomme dont tu me parles pour le rejoindre. Je crois
que l'autre n'auroit pas souffert un séjour plus long,
mais c'est toujours fort bien à lui de Tavoir senti. S'il
pouvoit de même se p(Tsuader de rester toujours où il
est avec l'autre, cela seroit bien heureux pour tout le
monde.
Il y avait bientôt un an que la prise dv la Hastille avait
signalé rouverturo de Tèn.' révolutionnaire et Fentrée du
peuple en possession de lui-même. On voulut célébrer par
une féte splendide la commémoration de cet avènement de
la Natiou à sou propre gouvernement. Uncî fédération géné-
rale de toute la France, représentée dans la capitale parles
députés de toutes les gardes nationales et de tous les corps
d'armée, fut décrétée. File eut lien, le H juillet, au Champ
de Mars. Le Roi la présidait, entouré de rAsscmbléc natio-
nale et ayant à sa droite le président, M. de Bonnay. Leduc
19.
292 L'EMPEREUR LEOPOLD II.
d'Orléans, auquel ou attribuait des projets sinistres, (]u*il
n'avait pas môme Téuerçio do concevoir, était de retour. Au
moment où Louis XVI prêta solennellement, au milieu d'un
silence immense, le serment civique, des acclamations uni-
verselles éclatèrent, et la Reine, entraînée par le mouvement
général, se leva, et, prenant dans ses bras le Dauphin, le
montra au peuple du haut du balcon de l'École militaire où
elle était placée. Des cris d'amour, d'enthousiasme, de délire,
répondirent à ce mouvement inspiré. Tous les cœurs s'élan-
çaient vers elle et vers le Roi, et semblaient se confondre
en un seul sentiment de dévouement et de patriotisme.
Encore douze heures, et cette journée d'entrainement et
d'illusions mutuelles était oubliée. Tous les partis étaient do-
nouveau en présence avec leurs aspirations, leurs haînos^
leurs ambitions et leurs violences.
DIV
L'EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (I).
La paix tarde à se faire. — L'esprit d'insurrection est unîrersel dnn«
les provinces aiitricliienncs, malgré les condescendances de l'Empe-
reur. — Rôle qu'il attribue à l'Angleterre.
Le 15 juillet {1700].
Très-chère Sœur, j'ai reçu votre chère lettre; j'y ai -i-^iî
vu ce que vous me marquez pour les régiments firan *-
cois, et vos réflexions sont bien justes, mais ce n'est^^^st
que dans le cas de ne pouvoir vous envoyer que peu d^^JEIe
(1) Arcliiyes de Son Altesse Impériale et Royale rArdiîdnc A
d*Autrir1ie.
L'EMPERECU LÉOPOLD II. 193
troupes que j'y pense ; je n'ai encore rien de la paix,
et je crois que le Roi nous traine en exprès en long.
Vous aurez des régiments d'infanterie hongrois , mais
je crains qu'il me faudra même à la paix des troupes en
Bohême, Gallicie et Hongrie, et dans les pays intérieurs,
l'esprit d'insurrection étant, malgré toutes mes condes-
cendances, universel ; le maréchal Laudon touche à sa
fin, et je crains que nous le j)erdrons demain (1).
Votre conversation avec le ministre d'Angleterre est
bonne, mais sa cour est celle qui se conduit le plus mal
envers moi (2). Ses ministres appuient ici haut à la main
les prétentions les plus étranges du roi de Prusse, me-
nacent les Pays-Bas, y appuient les rebelles, gâtent nos
affaires avec les Turcs, et gardent depuis quatre mois
mon courrier a Londres, sans daigner donner de
réponse à mes ouvertures sincères et amicales, la pro-
(i) Gédéon Ernest, baron de Laudon, feld-maréclial et gcnéralis-
MÎme de» armées autrichiennes, né en 1716, a Tootzen, en Livouie,
mourut le 14 juillet 1790. 11 n'était donc déjà plus quand TEmpercur
Léopold écrivit cette lettre. Il avait eu une grande part à la victoire
de Dauw sur les Prussiens, en 1758. Apres avoir battu Frédéric II à
Kunersdorff, eu 1759, il fut à son tour battu à Licgnitz. C'est en 1788
cpi'à l'occasion de la guerre et de ses succès contre les Turcs, il avait
reçu le titre de généralissime.
(î) Cette lettre, écrite pendant le congrès de Reiclienbach, atteste
cliez l'Empereur Léopold des défiances déjà exprimées dans sa lettre du
30 juin, et qui ne paraissent pas suffisamment justifiées, contre l'An-
gleterre. Il faudrait au contraire inférer de rexcellente Histoire d'Au-
triche de Coxe, que ce serait l'Angleterre qui aurait pesé sur la Prusse
pour amener rarrangemcnt conclu à ReiclienbacK quelques jours plus
tard, et dont il est résulté la cessation des hostilités entre l'Autriche
et la Pinisse. L'Angleterre n'avait pas besoin de ce désaccord entre les
puissances allemandes. Elle avait à espérer de l'état contraire des
avantages commerciaux que laissaient libres les commotions et boule-
versements de la France.
594 MADAME ÉLISABEJIl.
mettant d*un jour à l'autre. Voilà ma situation. Dès
qu'il y aura du changement, je vous en avertirai, vous
embrassant tendrement.
1)V
MADAME KLlSABETIi A MADAME DE BOMRELLES,
A VEiNISE.
Questions (raiiiitié et nouvelle.^ de famille.
Ce 26 juillet 1790.
Je n*ai que le temps de vous écrire un mot, ma
chère petite Bombe, pour vous dire combien je sui
inquiète de vous. J'ai bien envie de savoir si ce pauvr
Henry a eu la force de supporter sa maladie, et si vou
êtes bien rassurée sur son état. J'espère que vous m'ai
rez écrit un petit mot sur cela. Ta mère t'a donné (X
ses nouvelles, tu peux être bien tianquille, elle
porte bien , il ne lui reste j)lus qu'un peu de faiblesse
suite nécessaire de la très-petite dyssen^erie qu'elle
eue. Tu sais que je ne te trompe pas, ainsi tu per
avoir foi en ce que je te dis, et être bien tranqu/7/
Adieu , ma petite, je t'embrasse et t*aime de tout m
cœur.
MADAME ELISABETH. 295
DVI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
nie craint d'avoir affligé son amie par les paroles d'une de ses loitres.
— Indisposition du Boi et du Dauphin. — Cercle au palaiit. —
Madame de llaijjecuurt devenue châtelaine. — Saint-C\r.
Ce 2 août 1790.
Je savois, ma petite Bombe , que lorsque tes enfants
tomboient malades tu (levenf)is un peu imbécile; mais
je ne croyois pas que tu le fusses (1) àj'excès de ne
plus savoir lire une lettre dans le véritable sens où elle
est écrite. Ta princCvSse n*est point folle, mais conmie
elle avoit la raye dans le cœur lorsqu'elle t'a écrit, elle
n'a rien su de mieux pour la soulager <|ue de te mander
tout le contraire d(» ce (pi'elle pensoit ; elle ne crovoit
pas que tu fusses (1) capable de prendre ses paroles au
pied de la lettre comme tu as fait.
Je t'envoie une lettre de madame de Cliermaut, ou
pour mieux dire de sa fille. Elle prétend t'a voir écrit
plusieurs fois, et (pie ses lettres ont été perdues. Gela
est possible, j'espère cpuî celle-ci n'aura pas le même
sort. Voilà sa pauvre mère ruinée de fond en comble
par la suppression des j)ejisions.
Le Roi et mon neveu ont été un peu malades, l'un
d'une fluxion, l'autre de la fièvre. Ils vont bien tous
(1) La PrinceSïie l'cr'it fut. Klle est consiainniont hrouillôe avec le.'
*^LJ0DCtif8.
S96 MADAME ÉLISADETU.
les deux. Tu ne peux pas imaginer a quel point il étoit
défiguré. Je n*ai jamais vu un visage enflé comme cela.
Celte petite incommodité, en nous procurant le plaisir de
ne pas aller à Paris hier, nous procure celui de recevoir
du monde depuis six heures jusqu'à sept heures, c'est-
à-dire que nous n'y serons pourtant pas avant six heures
trois quarts; mais on a dit l'heure entière pour que
ceux qui voudront y venir aient le temps : ce sera pré-
cisément ce que Ton appelle un cercle. J'en suis fort
contrariée; heureusement que cela ne durera que trois
jours.
Raigecourt vient d'aller prendre possession d'une
terre que son mari a achetée nouvellement; elle y aété
reçue à merveille , et si elle avoit le cœur un peu plus
gai, je crois qu'elle seroit fort contente. Ta mère va
très-bien.
J'ai été hier à Saint-Cyr (1); la pauvre Escaquelonde
0
(1) Madame Elisabeth n'avait pas visité Saiiit-Cyr depuis la fin de
1789. Elle visita de nouveau les Daines de Saint«Louis le 8 juin 1790,
puis le 2 août et le 23 octobre ; sa dernière visite eut lieu le 25 octobre.
M Je n'ose pas aller à Saint-Cyr, écrivait-elle; le village est si 'mauvais
pour CCS Dames, que le lendemain on feroit une descente chez elles en
disant que j'ai apporté une contre-révolution. »
« La nuit du 4 août 1789, où T Assemblée abolit tous les droits
féodaux, avait privé la maison de Saint-Louis de cent mille livres de
revenu. Le décret du 2 novembre suivant, qui avait mis les biens
ecclésiastiques ù la disposition de la nation; celui du 13 février 1790,
qui avait aboli les vœux monastiques et supprimé les ordres religieux,
lui avaient fait craindre non-seulement pour ses biens, mais encore
pour son existence
» Louis XVl, malgré ses cruelles préoccupations, avait songé à pré-
server l'œuvre de son aïeul de la tempête révolutionnaire en faisant ^
une grande concession aux opinions nouvelles : le 26 mars 1790, uncra
ordonnance avait paru sous forme d'arrêt du Conseil, qui révoquais ^
MADAME ELISABETH. 297
est dans le chagrin (1); elle vient de perdre un frère
(jirelle aimoit à la folie , qui heureusement pour elle
etoit plein de bons sentiments. C'est une grande conso-
lation pour elle , mais c'est aussi une raison pour que
son attachement fut plus fort. Elle a un courage de lion,
<|ue la religion plus que son physique lui donne. J'ai
vu de Grille (2), qui m'a paru en bon état.
Adieu, je vais faire ma toilette pour ce fameux cercle,
î'aimerois mieux causer avec toi. Aie la bonté de bien
j>rier Dieu et la sainte Vierge, le jour de l'Assomption;
si je puis, je ferai mes dévotions ce jour-là. Louis XIII,
< jui mit ce royaume sous sa protection ce jour-là, nous
«M montré à qui nous devions nous adresser dans nos
1 besoins. C'est une bonne mère qui ne nous abandon-
^lera pas. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur.
Henry (3) va-t-il toujours bien? Ménage-toi autant
<rjue lui en le sevrant, je te le demande en grâce.
^«s règiemcnts exigeant des preuves de noblesse pour l'entrce à Saint-
CL^vr; et désormais l'entrce de la maison avait dû être ouverte à tous
^ es enfants des ofHciers de terre et de mer, sans distinction de nais-
«^aiice Dès lors l'Institut du Saint-Louis était devenu simplement
^ine maison nationale d'éducation ; et les noms de Dames et de Demoi-
-relies, paraissant des appellations féodales, avaient disparu pour faire
^lacc aux noms d' Institutrices et d'Elèves, »
TuÉopuiLE LavallÉe, Madame de Maintenon et la Maison royale de
-^aint'Cyr, seconde édition, p. 339, 3W).
(i) Marie-Angélique de Croustcl d'Escaquelonde, Dame de Saint-
Xouis, avait fait profession le 2 décembre 1761. Elle sortit de Saint-
dyr en 1793, à la suppression de la maison.
(2) Thérèse -Gabrielle-Dauphine de Grille, autre Dame de Saint-
l^ouis, avait fait profession le 14 janvier 1776. Elle sortit, comme
anndamc d'Escaquelonde, en 1793, et mourut en 1802, âgée de
4suixante-cinq ans.
(3) Le quatrième des Hls de madame de Rombellrs.
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de
MAIUE-AINTOINETTE. 299
Le 28, établisseiueut des directoires de département et de
district.
Le 31, rAsseinI)l('*e avait mandé à sa barre Je procureur du
Roi au Cliâtelet j)Our lui ordonner de poursuivre les écrits
excitant le peuple à Tiusurrection.
I-e 2 août, Bailly avait été réélu maire de Paris à une
majorité de douze mille cinq cent cinquante voix sur qua-
torze mille votants.
Le 6 avait vu proclamer Fabolition du droit d'aubaine et
de détraction.
Le 7, le Cliâtelet avait déposé à la barre de l'Assemblée sa
proccnlure contre les événements des 5 et 6 octobre 1789.
DVIII
MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE MERCV (I).
Elle annonce une apparition qu'elle va faire à Paris pour la frie :
qu'il avise au moyen de la voir.
[12 août 17î)0.]
Je vous préviens, Monsieur le Comte, (|ue nous
allons samedi soir à Paris jusqu'au lundi matin, à
cause de la fête ; mais il ne sera yuère possible de vous
voir, à cause de Toffice qui nous tiendra une partie du
dimanche. Je n*aurois abscdument que le temps entre
la procession et le jeu. Voyez donc si vous voulez,
venir à Paris ou non. Peut-être pourrois-je vous voir
lundi à neuf heures du matin. Voyez ce qui vous con-
(1) Archives impériales d'Autriclic.
300 MADAME ELISABETH.
vient le plus. Je vous le mande tout de suite, pour
que, si vous ne comptez pas venir à Paris, vous puis-
siez vous arranger en conséquence.
Ce jeudi 12 (août 1790).
DIX
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Lettre toute d'amitié. — Jouir de la vie avec un cœur pur. — Une
mort dans la maison de la Princesse.
Ce 16 août 1790.
Eh bien, ma Bombe, tu es en colère contre moi ; tu
aurois raison si j'avois tort, mais, en conscience, je ne
puis pas en convenir. Le Monsieur qui t'a apporté une
lettre de ta mère en a, je crois, une de moi que je
charge une autre personne de te remettre, ou si ce n'est
pas lui, tu en recevras une du même temps ; du moins
il me vSemble qu'autant que je puis m'en ressouvenir,
voilà la raison pour laquelle je ne lui en ai pas donne.
Si je me trompe, et que je ne t'aie pas écrit du tout,
c'est sûrement la fiiiute du temps qui me manquoit ; car
tu sais bien que, dans tous les moments, je serai bien
aise de causer à mon aise avec toi, et que celui-ci étant
encore plus intéressant, je ne le laisserai pas échapper.
Au reste, pour obtenir tout à fait mon pardon, je te
promets de t' écrire par la première occasion, si pour-
MADAMK ÊLISAUETIl. 301
tant j'ai quelque chose à te mander ; car je ne crois pas
que vous désiriez que je vous fasse des contes.
Je ne conij)rends pas pourquoi tu n*as pas encore
reçu ton élixir, car Raigecourt te l'a envoyé, il y a
déjà quelque temps. Elle est h la campagne dans ce
moment-ci, avec sou mari, dans une nouvelle terre
qu'ils ont achetée. Elle est agréahie; mais ne ])ouvant
en jouir pour Stani, elle lui fait heaucoup moins de
plaisir. Je suis bien aise que ton pauvre Henri ne te
donne plus d'inquiétude. La description que tu me fais
de ta campagne fait bien envie. Jouissez-en bien, mon
enfant ; ne vous occupez point d'idées qui puissent
rendre nul le bonheur que la nature vous offre. Joi-
gnez-y le véritable, celui d'une conscience bien pure,
d'un cœur bien rempli de l'objet qui seul peut consoler
dans les maux qui accablent notre patrie, et tu pourras
te vanter d'être philosophe, et philosophe chrétien,
bien loin des principes de tes anciens amis, que l'expé-
rience doit te faire juger avec des yeux moins indul-
gents.
La mère Bastide vient de terminer sa longue carrière
avec le calme qu'elle a eu toute sa vie. Je l'ai vue depuis
$41 mort, elle n'étoit pas du tout changée. C'est bien
joune un cadavre, mais cela ne fait pas trop d'horreur.
Je ne sais plus si tu en as vu, je ne crois pas, h moins
<Jue cela ne fût la mère Gaugeard (1).
Nous sommes toujours à Saint-Cloud, toujours dans
1^1 même position, attendant avec résignation ce que le
Ciiel nous réserve. Bonsoir, ma chère Bombe; je t'em-
(1) Mère (lu .secrétaire dc5 commandements de la Princesfie.
302 MADAME ELISABETH.
brasse de tout mon cœur, je t'aime beaucoup, et je
voudrois bien être avec toi dans un petit coin de ta
campagne.
Bitcfae pense-t-il encore à moi ?
DX
MADAME ELISABETH
A MADAME LA MARQUISE DE BOMBELLES,
A L'HOTEL DE FRANCE, A VENISE.
Crlébratiun de la fête de Saint -Louis. — Détails de famille.
Saint-Cloud, ce 23 août 1790.
Ne vlà-t-il pas, ma chère Bombelinette, que nous
allons passer près de huit jours à Paris, et que cela me
déplaît beaucoup ; mais M. saint Louis, dont il faut
bien célébrer la fête, rexi{;e. En attendant, je t'écris
dans le jardin où je suis mangée de cousins, ce qui me
donne une humeur de dogue. Ainsi, arrange-toi pour
avoir de moi une épitre courte et maussade.
Il faut que je te parle des projets de ta petite belle-
sœur. Elle marque à belle-mère {sic) qu'elle veut passeï
riiiver à Strasbourg; mais, mon cœur, cela n*a pas l
sens commun. Je le lui ai mandé ; tu devrois la détoar
ner de cette idée. Si elle ne peut pas aller à Venise («
qui, de toute manière, vaudroit mieux), il faut quV
cherche une cour d'Allemagne où elle puisse jvi'
tranquillement ; mais rentrer en France on nourriss
MARiE-ANTOINETTE A LA DUCHESSE DE POLIGNAC
ce y/ d^tcçift
..fit- l)iJftèftnt,fK. eiH :u ^^ttif^ff^ai^
jMi'iifuC 'fait té //ifitc a //tiCi^^ j^iHn '
ait- et^î Arâttè ffg^ê//
304 MADAME ELISABETH.
écrit à votre cousine : je n'ai pu la laisser partir
avec sa mère sans leur dire adieu. Quoique le voyago
soit long et pénible pour cette dernière, je suis bien
aise qu'elle s'éloigne d'un lieu où tout est affligeant pour
elle.
Je ne sais combien ma lettre sera de temps en che-
min, .le ne vous dis rien des enfants. La personne qui
se charge de celle-ci vous en mandera des nouvelles.
Adieu, mon cher cœur: rien que la mort peut me faire
cesser de vous aimer.
Parlez souvent de moi à votre mari, votre fille et à
Armand; je les aime tous trois de toute mon âme.
DXII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES,
A VENISE.
Elle patronc les intérêts de son amie, malgré la difficulté de «e fair«-»'« ^»*
écouter, et n'occupe de faire assurer le sort du marquis de Bom — ^-^t»-
belles Duel de M. de Castries et de M. de Lametli. Sac àm fc» <*«
rhôtel de Castries, approuvé par l'Assemblée.
Ckî 13 septembre 1790.
Ne v'ià-t-il pas, ma Bombe, que je n'ai que le temptf:^' *P^
de t'écrireun mot encore aujourd'hui. Cependant j'sLS '^ /«'
mille choses à te dire. La première est que , comme t^ tu
penses bien, je n'oublierai tes intérêts d'aucunemanièr»-:* re,
et que si, malgré le moment qui n'est pas propice, ^^j^
puis réussir, je serai trop heureuse. Ta mère a A^^éjà
à
MADAME ELISABETH. 305
parlé à Hénin (1) ou u un autre que ton mari aime. Il
est très-disposé a parler à son ministre avec force en ta
faveur. Dans notre conseil nous avons décidé qu'il fal-
loit attend œ encore un peu que le moment fut plus
calme et que son sort fût décidé pour lui parler, ce qui
ne sera pas lonp. Et puis, sur quoi je me veux lamenter
avec toi, c'est sur la maladie de Lentz. Je conçois par-
faitement tout ce que tu as éprouvé. J'espère que le ciel
ne t'aura pas donné le chagrin de le voir mourir, ou
que tu auras eu la consolation de lui faire recevoir
ses sacrements. Qu'est-ce qu'il a? est-ce une fièvre
maligne?
Nous avons eu avant-hier un fier train : MM. de
Castres et de Lameth s'étoicnt battus la veille. Charles
a été blessé. On a fait courir dans le peuple que l'épée
de M. de Castres étoit empoisonnée. On faisoit des mo-
tions pour le pendre ; mais comme ces messieurs à grande
culotte ne l'ont pas trouvé chez lui, on s'est contenté de
piller sa maison. La garde est arrivée trop tard. La mu-
nicipalité n'a pas permis que l'on fit usage de la loi mar-
tiale, et M. de Castres en est pour une perte très-forte.
L'Assemblée a fort approuvé les brigands. Un M. Le
tloi , qui n'étoit pas de cet avis , a été mis à l'Abbaye
Jiour trois jours. Dès le soir, tout a été remis dans l'ordre.
C3n raconte que M. d'Ambly, qui étoit témoin pour
^^f . de Castres, à la fin du combat fit un grand signe de
roix en disant : Enfin nous voilà déguignonnés! D'autres
(i) CapitaÎDe des gardes du Comte d'Artois. Il était frère cndet du
rince de Cliimay, dont la mère était sœur de la marécliale de Mirepoix
^ da Prince de Beauvau. Il a été une des victimes de la Terreur.
306 MADAME ELISABETH.
disent qu'il l'a* fait avant , pour porter bonheur à
M. de Castres (1).
Adieu, ma petite, je t'aime et t'embrasse de tout mon
cœur.
it
DXIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Gaietés intimes. — Mariage d* Armand de Polignac. — Le Roi parait
plus dispose à partir : les jambes lui reviennent un peu. — Le sort -^"^
de la famille est attaché à ses déterminations. — Réforme des équi- — ^'
pages de chasse à la Cour. — Regrets. — Inter\'ention de I* Assemblée. — "^
*
Ce 20 septembre 1790.
Tu m'as écrit une très-jolie petite lettre, ma chère ^^ti
petite Bombe, mais ne v'Ià-t-il pas pourtant qu'elle m'a j^ *^'i
mise en fureur. Comment, ce petit monstre de Charles^^^e
ne m'aime que pour mon chocolat! Mais sais-tu biencrar^xi
que c'est indigne à lui? Heureusement que Bitche, pairie ^a
sa sensibilité , me dédommage des rigueurs de son frère ^^^nre
Embrasse-le bien de ma part. Vous voilà donc marianM^v^flan
Armand (2)? Je souhaite qu'il soit heureux et que ss-^ s
femme suive les bons exemples de sa petite belle-sœucr mim'm
Estr-elle jolie, et a-t-elle Tair d'avoir reçu quelques pricr^TW
(1) Nous avons dit, au tome I**", à la suite de la lettre de Sfi^n. J£i-
dame Elisabeth en date du 19 novembre 1790, quelle avait été^».are/i
cause du duel où Charles de Lameth fut blessé par M. de CSutries. — ^. Le
pilla{][c de Thôtel de ce dernier eut lieu le lendemain.
(2) De Polignac. C'est le Prince qui fiit ministre du Roi C3iarle:^^=y Jt
i
MADAME ELISABETH. 307
cipes? Je te chargerai peut-être d'une lettre pour sa belle
'tante. Je voudrois bien que la dévotion devînt sa conso-
lation; et puis je voudrois pour l'avenir quelque chose
^ui ne se peut pas mander par la poste, qui ne peut pas
TDéme se dire aux personnes intéressées, mais je vou-
drois qu'elles eussent le bon sens de sentir quand elles
"ne seront plus malheureuses. Je suis très-aise du voyage
que ton mari a fait; mais j'en ai été bien étonnée : je le
croyois avec toi. Mon Dieu, que je le trouve heureux,
et que je voudrois partager son sort! (1) Si, par hasard,
tu gardes mes lettres, relis-en une où je raisonnois avec
toi sur les inconvénients que pourroit avoir une dé-
marche d'un homme auquel vous vous intéressez. Vous
devez lui redire , toutes les fois que vous en trouverez
l'occasion, ce qu'elle contient. Je crois que celle-ci est
favorable , et d'autant plus nécessaire à saisir que je ne
suis encore sûre que son maître l'approuve. Cependant
j'ai des raisons d'espérer que sa santé est meilleure (2).
Ses jambes reprennent de la vigueur, et dans peu peut-
être pourra-t-il un peu marcher ; mais il y a si longtemps
que son sang se porte à cette partie-là et lui en ôte l'u-
sage , que je ne me résoudrai a le croire guéri que
lorsque je le verrai marcher : priez Dieu qu'il lui fasse
cette grâce. Tu sens combien c'est intéressant pour sa
famille entière, toute son existence dépendant de lui.
Tu feras bien, lorsque tu pourras écrire à ta mère, de lui
parler comme à moi de ce qui intéresse cet homme. Tu
(1) « Il s'agît du voyage à Adeîbcrg, en Carniole, où je vis FEmpe-
«r Léopoîd. » (Note du uianjuis de liornhcUex.)
(î) « G'cst-à-dire que le Hoi est plus disposé à partir. » (Note du
308 MADAME ELISABETH.
sais que ton intérêt lui rend cher tout ce qui t'en ins-
pire, et que de plus sa position fait que tu peux lui
ouvrir ton cœur avec une grande franchise, sans oublier
la prudence qu'exigent certaines circonstances. Dis-moi
franchement : ne me crois-tu pas un peu folle? Eh bien !
tenez, en conscience, je ne le suis pas du tout. Mais je
t'aime de tout mon cœur, et suis très-occupée de tout
ce qui te touche.
*
Le Roi a réformé son équipage de chasse. Que cela
m'auroit fait de peine il y a deux ans ! Te souviens-
tu des belles chasses que nous avons faites ? Tu sais
que l'Assemblée avoit déclaré que l'on pouvoit tuer au
nez du Roi l'animal qu'il couroit. Quand elle a vu
qu'il prenoit cela tout doucement, ainsi que la dévas-
tation du parc de Versailles, elle a voulu réparer. En«-^ ^j
conséquence, ils ont apporté avant- hier un décre^^^-^j
pour arrêter les brigandages, et en même temps on^m-^m-nt
prié le Roi de ne pas réformer l'équipage, ce à quoi S: ^aZSa
Majesté a répondu qu'elle voyoit avec plaisir qtmi^mTie
l'Assemblée s'occupoit enfin de rétablir l'ordre ; qu-^^ai/e
pour son équipage c'étoit un arrangement particulier — r,
que depuis longtemps il ne chassoit point et n'en ayczzzjit
point envie ; que lorsque son cœur seroit content , il
reprendroit cet exercice avec plaisir. Ils ont été tc^ut
penauds de n'avoir que cette réponse à rapporte^- à
l'Assemblée , et les noirs sont fort contents.
Adieu, ma petite; tout le monde se porte bien
Je t'aime à la folie et t'embrasse de tout mon
Je vais demain au Calvaire. C'est la fin de Toctavo ^t
la première fois que j'y vais ; cela m'enchante. G*^st
une partie bien pieuse.
MADAME ELISABETH. . 209
DXIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Testament de la Princesse.
Ce 13 octobre 1790.
Comme je viens , ma petite "Bombe , de relire mon
testament et de voir que je t'y recommande aux bontés
<lu Roi et que je te laisse mes cbeveux, il faut bien
<jue je te le dise moi-même, que je me recommande à
tes prières, et puis que je te dise encore une petite fois
que je t'aime bien. Prie bien pour le comte d'Artois,
convertis -le par le crédit que tu dois avoir dans le
ciel, et contribues-y toi-même, si tu le peux. Tu don-
neras de mes cheveux à Raigecourt. Tu ne m'oublieras
ni Tune ni l'autre, mais ne va pas me regretter assez
pour te rendre un peu malheureuse. Adieu ; sais-tu
bien que les idées que tout cela laisse ne sont pas
paies ? il faudroit pourtant s'en occuper, surtout dans
ce moment. Je t'embrasse de tout mon cœur; adieu !
310 * MADAME ELISABETH.
DXV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES,
imiEL DE FRANCE, A VENISE.
Ciî qu'elle au{»nre des cnfaiiU tle raadnme de Boiiilielles. — On Joii
supplier le Roi de rein-oyer ses ministres.
Ce 18 octobre 1790.
Dis-moi donc, ma Bombelinette , est-ce que tu n'as
pas reçu deux lettres que je t'ai adressées pour la com-
tesse D. (1) ? Elle me mande n'avoir pas eu de mes
nouvelles depuis cinq mois ; et je suis bien sûre de lui
avoir écrit. Dis-le-lui, et dis-lui en même temps que je
n'ai pas le temps aujourd'hui de répai*er les torts delà
poste , mais que ce sera pour la première fois. Tu as
mieux deviné ce cpie je te mandois que je ne l'aurois
cru. Je t'assure que je suis bien loin de vouloir exécuter
mon désir ; je sens que ce seroit une barbarie et en
même temps une platitude dont je serois bien fâchée
que l'on me crût capable. Je me borne donc à des
vœux pour l'avenir (2) . Ton petit Bitche est gentilaiidelà
de toute expression , avec son repentir. Si celui-là est
jamais mauvais sujet, j'en serois bien étonnée. J'espère
qu'aucun ne le sera , mais je répondrois presque de
Bitclic. J'ai lu h ta mère l'article de ces deux bambins,
(1) Diane de Poli{;nac.
(2) De quitter la France, dont elle ne voulait pas t*éioigiier sans le
Rui et la Reine.
MADAME ELISABETH. 311
et tu croiras sans peine qu'elle a presque piaulé. Je
crois bien que ce que tu disois de tes mauvais senti-
ments y a un peu contribué. Je suis charmée de ce
que tu me mandes de ton aujjuste époux. Je mourois
de peur qu'il ne fût pas si raisonnable , et la suite me
Paisoit frémir. Quant à ton parent, tu sais bien que,
dans l'automne, l'humeur se porte aux jambes avec
bien plus de force. Je crains fort qu'il n'éprouve, cette
année, ce qu'il a éprouvé les autres, et que l'enjjour-
dissement ne se fasse sentir avec autant de force. Ses mé-
decins en voient des symptômes effrayants (1). Comme
bu es accoutumée à la confiance en Dieu, je ne doute
pas que tu n'exerces cette vertu avec fruit. Cette occa-
îîon est parfaite et très-bonne, mets-la à profit pour
toi et pour tous les siens, afin que la bénédiction du
Ciel se répande sur eux. Sur ce, ma petite, je te
[juitte pour écrire à mon frère. Je t'embrasse de tout
mon cœur.
On n'a pas encore fait aujourd'hui la motion de sup-
plier le Roi de renvoyer ses ministres. Il faut convenir
[ju'il fera là une grande perte. Je pe:ise que tu l'ap-
prendras par le premier courrier.
(i) Encore une allusion au Roi.
312 MADAME ELISABETH.
DXVI
MADAME ÉLISAnKTH A MADAME DE BOMBELLES.
Visite à Saint^Cyr. •— Madame de Rar{;ecourt.
Ckî 2:î octobre 1790.
m
Remets cette lettre à son adresse, chère Bombe, j'ai
ù peine le temps d'y ajouter un mot pour toi ; il est
tard. J'ai été à Saint-Cyr (1) ce matin, ce qui fait que
je n'ai pas eu le temps de t'écrire une lonjjue épltre où
je puisse te peindre avec toute l'éloquence dont je suis
capable les tendres sentiments que mon cœurrenferme
pour M®, dont j'exécuterai les ordres le plus prompte-
ment qu'il me sera possible. Raigecourt n'est plus ici,
ce qui ne laisse pas d'y mettre un petit obstacle, mais
je tâcherai d'y suppléer par quelque autre voie. Tu ne
seras pas étonnée que je me sois débarrassée de Rage ;
son état ne lui permettant pas de rester près de moi.
(1) Le 14 ortobi'c, un décret avait déclaré nationaux les biens des
étal)lis8emenl8 d'instruction publique. Ces biens étaient destinés ù être
vendus, et, en attendant la vente, devaient être administrés, à |)artir
du l'** janvier 1791, par les directeurs de district et de dé|>arteinent.
En uième temps les dé|)en8es de ces établissements furent mises à la
cliaqje du Trésor public, qui provisoirement devait leur tenir compte
de la totalité de leurs revenus. Sur la réclamation des Dames de Saint-
Louis, qui désormais ne s'intitulaient plus qu'Institutrices, leur
maison dut être conservée commo maison d'éducation, mais elle dut
rentrer dans la loi commune, et ses biens, considérés comme bieos
nationaux , furent dési^jnés pour être vendus.
Quand la Princesse visitait ces malheureuses Dames, elle n*aTaic
plus qu*un spectacle navrant.
L'EMPEREUR LÉOPOLD II. 313
elle est allée à Trêves ; elle doit y être arrivée depuis
trois jours; elle est moins souffrante, et j'espère que le
voya(je lui fera du bien. Adieu, ma petite; pour moi
je continue avec succès mes voyages de Paris à Saint-
Cloud, et de Saint-Cloud à Paris, où je pense que nous
nous fixerons vers la Saint-Martin. Adieu, je t'em-
brasse de tout mon cœur.
Numérote tes lettres pour que nous voyions s'il s'en
égare.
N« 1.
DXVII
l.*EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
11 a appris les infiiiiiics qu'un public en France contre la Reine, et
s<'.^ projets d'évasion. — Le Roi et la Reine di; Naples. — Son
Mcre.
Le 27 octobre [1790].
Très-chère Sœur , je ne sais pas comment les postes
vont, car j'ai reçu aujourd'hui à la fois deux de vos
chères lettres de différentes dates. Je suis enchanté des
bonnes nouvelles que vous me donnez de la santé du
Roi (2) : il me paroit entièrement guéri, et je souhai-
(i) Arcbives de Son Altesse Impériale et Royale l'Archiduc Albert
d'Autricbe.
Cette lettre doit être de 1790, attendu que le couronnement de
Léopold comme Roi de IIon{;rie date de la Hn de cette année.
(2) De Naples.
314 L'EMPEREUR LÉOPOLD II.
terois seulement que les incommodités qui lui sont
restées lui passent bientôt pour qu'il puisse sortir, et
que se mettant bientôt en Toya(je, je puisse avoir
bientôt la satisfaction de vous revoir tous ici. Quant à
riiumeur du Koi , il est naturel qu'elle n'est pas bonne
et qu'il s'ennuie. De cela je crois qu'il ne faut pas
s'étonner. J'ai vu les infamies qu'on publie en France
contre la Reine , et tous les projets d'évasion qu'on lui
prête et qui sont imprimés. Le couronnement de Hon-
grie se fera le 15. Je pars d'ici le 9 pour recevoir à
Schloshof la députation et faire le 10 mon entrée.
J'espère que jusqu'au 20 ou 22 tout sera fini , et ces
Messieurs se prêtent à tout avec la plus mauvaise grâce
possible, et les restrictions les plus choquantes. Je suis
enchanté que la Reine de Naples au moins n'ait pas
pris la rougeole. Ma femme est un peu mieux de sa
toux. Mes enfants sont bien portants, et la Reine peut
être tranquille sur la santé et conduite de ses filles.
Mille compliments, je vous prie, à mon frère et à votre
mari , et soyez persuadée de la tendresse avec laquelle
je vous embrasse et suis.
MADAME ELISABETH. 315
DXVIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Train dans les districts pour supplanter La Fayette, qui, malgré toat,
restera.
iV 2.
Ce 9 novembre 1790.
Je n'ai pas le temps de t'érrire, mais je veux que tu
saches que tout ce qui t'intéresse se porte bien, car
n'ayant pas eu de mes nouvelles la dernière poste,
tu pourrois bien être dans une sainte fureur contre
nous.
Il y a un peu de train dans les districts ; mais il ne
faut pas s'en effarer, et je suis sûre que cela n'aura pas
de suite, et que M. de La Fayette, que l'on veut sup-
planter, restera. Adieu, je t'embrasse de tout mon
cœur.
6 MADAME ELISABETH.
DXIX
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
GémiMements sur les mnlheurs de la France. — Impression que fait
sur les provinces la cessation du service divin. — Rayons d*espoir.
— Incertitudes de TEmpereur encouragées par set entours. — Bornes
de rinlelligencc humaine. — Le Comte d'Artois. — La Comtesse
Diane.
Ce 2 décembre 1790.
Je profite, ma Bombe, du départ dcrambassadeiir (1)
pour causer un petit moment avec toi, pour gémir sur
les malheurs de ma patrie et sur le peu de remède qui
se présente. La reli{;ion ])his attaquée que jamais me
donne lieu de craindre que Dieu ne nous abandonne
totalement (2). On dit que les provinces souffrent avec
peine Texécution des décrets sur la cessation du service
divin dans les cathédrales, mais avec cela elles sont
fermées. Il en est ainsi de tout : on (jémit, mais le mal
ne s'en opère pas moins. De temps en temps, la Provi-
dence nous ménage quelques rayons d'espoir, mais leur
lumière est bien vite effacée. Mais ne nous livrons pas
à des idées si tristes, parlons de l'oncle de la petite-
(1) L'ambassadeur de Venise, qui retournait ù son poste. C'était
M. de Rombclles.
(2) Le 15 du mois précédent, T Assemblée avait réglé la question
de réiection, de la consécration des évèques et de la circonscriptioD
des paroisses.
Le 27, décret exigeant le serment des évêques, curés et autres fbnc*
tionnaires publics.
Pour le 9 de décembre, on élaborait une décision prescrÎTant la
restitution des biens dos rrIi{;ionnaires fu{;itifs.
MADAME ELISABETH. 317
fille de Vitry (1) que tu connois. Sa position est tou-
jours critique ; il paroit que son commerce se remet-
troit si ses parents vouloient Taider, mais il a affaire à
gens peu confiants , et ce défaut-là est tellement dans
leur caractère, qu'ils ne confieroient pas la moindre lettre
de change aux gens les plus habiles pour la faire valoir.
J'en ai encore la triste expérience sous mes yeux, et
cela me fait de la peine, parce que tu sais combien je
m'intéresse à eux. Et puis, je sens que l'oncle doit être
fatigué et ennuyé à l'excès de voir sa maison de banque
ruinée. Il pouvoit chercher d'autres amis que ses parents
pour demander conseil, et comme la plus grande partie
de l'héritage qu'il citténd vient d'eux, il seroit ruiné à
pure perte. Tout cela est affligeant. De tout côté, l'on
voit des familles dans la désolation, pour les affaires
publiques et particulières. Bon Dieu , dans quel temps
nous avez-vous fait naître! Moi qui, il y a quelques
années, me réjouissois de n'être pas née dans le siècle
passé ! Grand Dieu ! que les lumières des hommes sont
bornées , même dans les choses qui paroissent les plus
simples !
Je n'ai pas été inquiète, comme je l'aurois pu, des
dangers qu'a courus mon frère ; tu sais qu'en général
je ne crois au mal que lorsqu'il est fait; j'ai conservé
ce caractère, quoiqu'une triste expérience eût dû me
rendre plus craintive. Je crois que c'est une grâce du
ciel, car sans cela je n'existerois pas. Il a préservé ma
fieunille de tant de maux que je serois ingrate si je
n'avois pas toute confiance en lui. Adieu, ma petite;
(i) • L'Empereur. » (Note de M. de Bombelles,)
318 MADAME ELISABETH.
prie-le bien pour le moment présent et pour l'avenir.
Mais demande-lui par-dessus tout que la foi soit con-
servée dans ce royaume, et qu'il éloigne de nous les
schismes qui nous menacent. Adieu, je t'aime de tout
mon cœur, et suis par conséquent charmée de te savoir
bien loin ; c'est un des effets de la révolution.
Dites à la comtesse D. (1), en cas que cette lettre
arrive avant celle que je lui écrirai lundi, qu'elle va être
payée de ses appointements, mais qu'il faudroit qu'elle
chargeât quelqu'un de sûr de recevoir pour elle, de
manière que ses créanciers ne puissent pas s'emparer
de cet argent.
DXX
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Course à cheval près de Versailles. — Regrets de n*y pas entrer.
Ce 6 décembre 1790.
' Remets cette lettre à ton honneur (2). Je n'ai que le
temps de t'embrasser. Nous nous portons tous bien. Je
(1) Diane de Polignac, Dame d'honueur de Madame Eluabeth.
(A'ote de M, de Bombelles.)
(î) La Comtesse Diaue, dame d'honneur. {Note de M, de Bombelles.)
Celte expression, V honneur ou les honneurs, était derenuc un mot
générique pour désigner les personnes qui occupaient les ckai^ges
d'honneur.
La Comtesse Diane, extrêmement laide et encore plus intrigante et
galante, avait mené sa belle-sœur, la moins intrigante des femmes.
LOUIS XVI. 819
Tais galoper ce matin. Je ne le dirai qu'à toi, mais
Tautre jour je me suis approchée de Versailles, et j'ai
senti une grande déplaisance de ne pouvoir pas y
entrer. Qu'ils sont donc bétes de ne nous avoir pas
tenus prisonniers chez eux ! Geôlier pour geôlier, au
moins la prison auroit été plus agréable ; mais , adieu ,
je t'embrasse de tout mon cœur.
DXXI
DU ROI A L'ASSEMBLÉE NATIONALE (1).
LU A L4 SÉANCE DU DIMiSCHE 26 DECEBfBBE 1790.
Accepution dti décret de l'Asiïemblée sar le serment exigé des év<^-
(pes, curés et autres fonctionnaires publics. — Motifs que le Roi
donne de son acceptation.
Je viens d'accepter le décret du 27 novembre der-
nier. En déférant au vœu de l'Assemblée Nationale, je
suis bien aise de m'expliquer sur les motifs qui m'avoient
déterminé à retarder cette acceptation^ et sur ceux qui
me déterminent à la donner en ce moment. Je vais le
faire ouvertement, franchement, comme il convient à
mon caractère ; ce genre de communication entre l'As-
Xj'existenco de cette clianoincsse, comme Dame d'honneur, dans la
Hiaison de la pure Elisabeth, est un curieux contraste. Elle avait eu
du marquis d'Autichamp un fils qui, sous le nom supjiosé de mar-
quis de Villerot, prit du service en Russie, et fut tué à la bataille
d'Austerlitz. La faveur de la Comtesse à la cour de Louis XVI s'ex-
plique par le crédit de sa sœur, et surtout par l'esprit plein de grâce,
de prestesse et d'insinuation dont elle-même était douée.
(1) Archives de l'Empire.
350 LOUIS XVÏ.
semblée Nationale et moi doit resserrer les liens de cette
confiance mutuelle, si nécessaire au bonheur de la
France.
J'ai fait plusieurs fois connoître à 1* Assemblée Natio-
nale la disposition invariable où je suis d'appuyer, par
tous les moyens qui sont en moi , la Constitution que
j'ai acceptée et juré de maintenir. Si j'ai tardé à pro-
noncer l'acceptation sur un décret, c'est qu'il étoit dans
mon cœur de désirer que les moyens de sévérité pussent
être prévenus par ceux de la douceur ; c'est qu'en don-
nant aux esprits le temps de se calmer, j'ai dû croire
que l'exécution de ce décret s'efFectueroit avec un
accord qui ne seroit pas moins agréable à l'Assemblée
Nationale qu'à moi.
J'espérois que ces motifs de prudence seroient géné-
ralement sentis ; mais puisqu'il s'est élevé sur mes
intentions des doutes que la droiture connue de mon
caractère devoit éloigner, ma confiance en l'Assemblée
Nationale m'engage à accepter.
Je le répète encore, il n'est pas de moyens plus sûrs,
plus propres à calmer les agitations, à vaincre toutes
les résistances, que la réciprocité de ce sentiment entre
l'Assemblée Nationale et moi : elle est nécessaire ; je la
mérite ; j'y compte.
Louis.
Et plus bas :
Du PORT DU Tertre.
MADAME ELISABETH. 321
DXXII
MADAME ELISABETH
A MADAME LA MARQUISE DE BOMBELLES,
A L'HOTEL DE FRANCE, A VENISE.
Conscilit sur le iiiarquia de Bombellcs, qui donne sa démission
d'ambassadeur.
Ce 28 décembre 1790.
Je pars pour Saint-Cyr et n'ai que le temps de t'era-
irasser, de te dire que, tout en admirant les sentiments
<le ton mari, je désire 'vivement qu'il fasse de sérieuses
réflexions au parti qu'il veut prendre, et qu'il con-
sulte des gens éclairés. Quant à toi , ne prends pas
celui d'arriver avant que de savoir si je le trouve '
bon. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur, et t'aime
de même.
La Princesse appréciait avec anxiété la situation où le
marquis de Bombelles allait se mettre avec sa famille en
donnant sa démission de son ambassade. Le Roi s'était montré
disposé ù Faiitoriser à la prestation d'un serment dont lui-
même avait donné Texemple, et la Princesse n'était pas
éloignée d'approuver cette démarche. Mais prévoyant Topi-
niâtre loyauté de M. de Bombelles, elle travaillait, sans le
dire, à le faire pensionner parla Reine de Naples. (Voir la
lettre de Madame Elisabeth, p. 32i, et une autre lettre
de la môme princesse, p. 3i7.)
TOMB m. 21
3M MARIE- ANTOINETTE.
DXXIII
MARIE-ANTOINETTE A LA LANDGRAVINE LOUISE
DE HESSE-DARMSTADT (1).
Compliments; mais pour ces compliments mcnie elle 8*interclit d*ii5er
de la poste.
• Ce Î2 janvier 1791.
Il m'est impossil)le, Madame, de laisser passer le
jour de l'an sans vous parler au moi us de tous les vœux
que ma tendre amitié forme pour vous dans ce moment
et dans tous les autres de ma vie. C'est par une occa-
sion qui part pour Bruxelles que je vous écris, et de là
elle vous arrivera par la poste, car pour celle d'ici, je
me la suis interdite absolument. J'ai eu il y a quelque
temps des nouvelles de la Princesse des Deux-Ponts,
non pas directes, mais par madame de Brosse, que j*aL
eu bien du plaisir à revoir, puisqu'au moins j'ai p
parler avec elle de vous et des vôtres. Je vous prie d
parler de moi à madame votre mère, à la Princesse?
des Deux-Ponts et à votre mari, frère et beau-frère-^
Croyez, quelle que soit ma position, que je n*oubli
rai jamais les marques d'amitié et d'attachement qu
je suis accoutumée depuis si longtemps à recevok
d'eux tous et de vous, ma chère Princesse. AimesE»
moi dans cette année-ci comme dans les autres : cetC
(i) Archives de Son Altesjse Royale le Grand-Duc de Hc8«e.
MADAME ELISABETH. 32S
idée sera une grande consolation pour mon cœur dé-
chire, mais à vous jusqu'à la mort. Je vous embrasse
tendrement.
DXXIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
On n'a le temps de rien faire à Pari8. — Scandales à Saint-Sulpice et à
Saiut-Roch. — Cela fait horreur, mais il n'y a point de martyre.
Ce 17 janvier 1791.
Je ji*ai que le temps, ma Bombe, de te prier de
remettre cette lettre à ton honneur. Nous nous portons
bien. Ton mari a dû recevoir une grande épître de ta
mère. Ainsi sa paresse n'est pas si grande que tu crois;
de plus, je te dirai qu*a ce maudit Paris on n'a jamais
le temps de rien faire. Adieu ; il y a eu des scandales
affreux hier à Saint-Sulpico et à Saint-Roch, des cris dans
1 église, des brigands, etc., etc. ; cela fait horrenr, mais
point de martyre. Je t'embrasse de tout mon cœur.
2!.
32V MADAME ELISABETH.
DXXV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
La Princesse a combattu le projet de madame de Bcmibelles de ren-
trer en France pour se rendre aiiprca d'elle. — Madame de Bom-
belles s'est méprise sur ses intentions. — llcproclios afFecCnenx. —
Explication. — Elle n\i jamais songé ù lui ôter sa place.
Ce l*' février 1791.
Mon Dieu, ma pauvre Bombe, que je suis fâchée que
ma lettre t'ait fait autant de peine ! c'ctoit bien loin
d'être mon intention. Mais, ma petite Hombe, comment
n'as-tu pas eu l'esprit de te dire : Ma Princesse est
bonne, parce qu'elle ne veut pas nous décider; elle
nous recommande de faire de sérieuses réflexions, parce
qu'elle sent l'horrible position où nous nous trouverons,
et qu'il y a tant de gens qui se mettent au-dessus des
scrupules, qu'elle craindroit que notre zèle ne nous fit
illusion sur nos devoirs. Voilà, mademoiselle Bombe,
la conversation que vous auriez dû avoir avec vous-
même, en y ajoutant quelques réflexions sur les senti-
ments de ta Princesse, et tu n'aurois pas tounnenté ta
tête et affligé ton amie par l'idée que tu as prise d'elle.
Quant à ce que je te mande sur ton retour ici, c'est um
radotage complet; j'ai entendu que tu mandois à te
tante que tu viendrois ici lorsque ton mari iroit au-^i
eaux : cette idée m'avoit paru si bizarre, j'avois telh
ment cru que tu avois perdu la carte, que j'ai cru qu'un
mot sufKroit pour t'y remettre. Mais comment as-tu pu
MADAME ELISABETH. 'M5
<;oncliire de là que je t'ôterois ta place? Moi qui donne-
xois tout au inonde pour te savoir heureuse , je contri-
Luerois à augmenter ton malheur! Ah! ma Bombe,
^s-tu pu le penser? Je n'ai pas le temps de t'en dire
davantage, mais lis dans mon cœur, tu le connois , et
tu verras combien il est loin de ce que tu penses et
combien il t'aime. Remets cette lettre à un être que
j'aime bien tendrement (1). S'il n'est plus avec toi,
envoie-lui où il sera.
DXXVI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Hlle n*08c écrire. — M. Dûmes. — On ne s'empi-es^e pas de pourvoir
aux places vacantes. — L'Assemblée trouve tant de cliarme à la
liberté qu*elle la garde pour elle seule. — Départ des tantes pour
Borne. — Il lui faut changer de confesseur. — L'Assemblée a interdit
la prédication aux jirètres non assermentés. — Plus de prédicateur.
— Béflcxions pieuses. — Que décidera M. de Bombelles au sujet de
sa retraite?
Ce 7 fV'vrier 1791.
J'ai vu ton ministre, ma petite, il m'a rapporté tout
ce qu'il avoit dit a ta mère; dans un autre temps,
Je te l'écrirois; mais, dans celui-ci , je me contenterai
kIc te dire^que tu peux, sans aucune espèce de crainte
iii de scrupule, suivre l'avis que ta mère te donne sur
^e qui a rapport à M. Durnès. Je sens que dans ta posi-
tion , il est cruel que tes amis ne te mettent pas plus au
(1) Le Comte d'Artois.
326 MADAME ELISABETH.
fait de ce qui te touche. Mais que veux-tu? console-toi :
nous sommes dans un moment de liberté , si bien que
je ne puis te dii*c tout ce que j*ai dans Tàme : tout ce
que je puis me permettre , c'est de te dire que je suis
contente.
Au reste il me semble que i*on ne s'empresse pas de
nommer les places vacantes, T Assemblée ne voulant pas
des gens dans le genre de ton mari, et les cours étrangères
nen voulant pas d* antres; ce qui ne prouve pas, autant
que mes lumières me peuvent permettre de l'aperce-
voir, un accord parfait dans les principes. Peut-être
est-ce les cours qui ont tort. Quelqu'un disoitque l'As-
semblée trouvoit tant de charme à la liberté, qu'elle la
gardoit pour clic toute seule. Cependant, on n'a pas
osé arrêter mes tantes, elles partent pour Rome. Peut-
être, en chemin, leur voudra-tpon persuader, aussi doiJH
cément que l'on nous a amenés ici, qu'il faut qu'elles y
reviennent ; elles ne se laisseront pas persuader, mais
cela fera époque dans l'histoire pour prouver la dou-
ceur du joug que nous portons et la parfaite liberté qui
règne dans notre malheureuse patrie. Plaignez-moi,
ma Bombe, ne v'ià-t-il pas qu'il faut que je change de
confesseur ! Je sais les angoisses du choix : je ne pleure
pas comme toi , mais je me sens rudement agitée de
notre première entrevue. Le mien part avec sa pénitente :
je l'ai désiré , ne pouvant prévoir quel sera l'avenir qui
nous attend tous (1). On a déclaré avant-hier à l'Assem-
blée que tout prêtre qui n'auroit pas fait le serment ne
(1) L'ahlic* Madifîr, confesseur de Madame Elisabeth , rétait auiti
de Madame Victoire, et il suivait cette dernière princeftse dans
rémigra tien.
MADAME ELISABETH. 327
jpourroit pas précliei*. Ainsi nous voilà sans prédicateur :
Cî'ëtait l'abbé Lenfant qui devoit prêcher ce Carême. Il
^n est, je crois, tout consolé pour cette année ; cette cor-
■^ée lui étoit très-désagréable. Mais qui ne pourroit pas
s'affliger de voir la religion aussi attaquée qu'elle Test?
-àh! si nous avons bien péché, Dieu nous punit bien.
Heureux qui ne prend qu'en esprit de pénitence cette
épreuve ! H faut remercier Dieu du courage qu'il
«accorde au clergé : on en raconte cha(|uejour des traits
admirables. La main de Dieu ne peut être méconnue
que par des impies qui la craignent, j)arce qu'ils l'ont
trop offense. Ah! s'ils pouvoient, au lieu de cela, élever
leurs cœurs vers lui et avoir confiance en sa miséricorde !
Mais non, ce n'est point une grâce que nous méritions
encore : nous sommes destinés à fléchir la colère de
Dieu.
Gomment ton mari répondra-t-il à la lettre qu'il a
dû recevoir pour sa retraite? Sa santé ne lui défendant
pas de manger, ainsi qu'à toute sa famille, il faudra
bien répondre à cela positivement. Au reste, je suis con-
vaincue qu'il y mettra tout ce qu'il pourra de mieux,
sans bless(?r sa conscience , pour laquelle je suis beau-
coup plus rassurée depuis que je sais ce que je ne puis
te dire (1).
Adieu. Si mon frère est encore avec toi, dis-lui bien*
cies choses de ma part : je n'ai pas le tenîps de lui
écrire. Je t'embrasse de tout mon cœur.
(i) « Il était question de la prétendue autori.^atiun du Roi que je
(^rétas«e le serment. ■ (Note de M. de Bombelles.)
3Î8 MADAME ELISABETH.
DXXVII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Arrestation de Mesdames ù Arnay-lc-Duc. — L'AfWcmbléc voudrait
qu'elles pusiient continuer leur voyage. Les clicf« don Jacobin»
sont d'un avis o])posc. — Manifestation populaire. — Bonne conte-
nance de la {;nrde et ferme attitude du Boi. — Sentiments patrio-
tiques de la Princesse. — Ses craintes au sujet de la santé de M. de
Bombelles. — Situation désespérée de .Saint-Cyr que Ton dé|M)Mède.
— Le confesseur de la Prineessi;, l'abbé Madier, part |H>ur Rome.
— L<'s (jens de lionne volonté pour le Hoi ont trouvé moyen de
déplaire à la {;arde. — On a voulu détruire Vincennes. — Tout est
rentré dans le calme.
O 28 ft'vrior 1701.
Tu sais sans doute que mes tantes sont parties.
Tu sais sans doute qu'elles ont été arrêtées à Arnay-
le-Duc. Tu sais sans doute que Monsieur a eu la
visite, mardi dernier, des filles de la rue Saint*
Honoré et de leur société, qui l'ont prié de ne pas
sortir du royaume. Tu sais sans doute que jeudi,
jour où l'on a appris que mes timtes étoient arrêtées,
l'Assemblée a rendu un décret qui disoit que Arnay-
le-Duc avoit eu tort, et que le pouvoir exécutif seroit
supplié de donner des ordres pour qu'elles pussent
continuer' leur route. Tu sais sans doute que les
chefs des Jacobins n'étant pas de cet avis, et voulant
que le président engageât le Roi à les faire revenir,
une foule de badauds s'est portée sous' les fenêtres du
Roi, parmi laquelle il y avoit peut-être une centaine
de femmes qui se sont égosillées, pendant quatre
MADAME ELISABETH. 359
heures, pour voir le Uoi et lui fain; la même demande
que les Jacobins. Mais le Roi n'ayant pas paru , et la
{^arde ayant fait une très-bonne contenance, il a bien
fallu , lorscjue Ton a eu la permission de la municipalité
cJe repousser la force par la force, cjue le peuple cédât.
^ peine le tambour a-t-il paru sur la terrasse que tout
Ae monde a pris la fuite. M. de La Fayette et la {>arde
^e sont conduits parfaitement bien. Le cbàteau étoit
<;omble de gens qui étoient pleins de bonne volonté,
lie Roi a parlé avec force à M. Bailly. EnHn tout s'est
])assé le mieux du monde. Aussi, bier, n'y a-t-il jamais
«u tant de monde chez le Roi et chez la Reine. Il y
avoit longtemps que nous étions un peu seules au jeu ;
mais, hier, il étoit superbe. Je ne puis vous rendre le
plaisir que j'ai éprouvé. Ah ! mon cœur, le sang fran-
çois est toujours le même : on lui a donné une dose
d'opion bien forte ; mais elle n'a pas attaqué le fond
de leur cœur. Il n'est point glace, et l'on aura beau
faire, il ne changera jamais. Pour moi, je sens que,
depuis trois jours, j'aime ma jiatrie mille fois davan-
tage.
Tout ce que tu me mandes de ton mari me fait
grand plaisir. Ah ! s'il peut parvenir à se débarrasser
de l'empirique qui donne de si mauvaises drogues (1),
^ela seroit bien heureux. Les nouvelles que j'ai reçues
e ses amis éloignés me font craindre qu'il ne le puisse
|is. Le printemps avance beaucoup ; sa santé pourroit
y>n s'en ressentir. A cette épocpie, les humeurs sont
tojours bien plus en mouvement, et comme il n'a pas
(I M. de Cnloiiiie.
330 MADAME ELISABETH.
l'habitude de Texercice, je crains qu'elles ne lui jouent
un mauvais tour. Convenez qu'il n'y auroit pas pour
lui de meilleur remède ; mais lorsque l'on a été élevé
à Paris , il semble que l'on soit destiné à ne faire jamais
usage de ses jambes. Je sens même que sans y être
élevée, pour peu que l'on l'habite, on perd le g^oût de
la promenade, ou, pour mieux dire, l'usage.
Voilà ta petite belle-sœur débarrassée d'une partie
de sa nombreuse compagnie. M. le prince de C. est
h Worms et sa fille doit le joindre dès qu'elle sera
guérie.
Notre pauvre Saint-Cyr est plus que jamais dans la
position la plus critique. On vend leur bien. Ta mère
y a été la semaine passée ; moi, je profiterai d'un jour
calme pour y aller : j'en ai envie, et cela me coûtera
horriblement. Il n'y a rien de pis que de n'avoir au-
cune consolation h présenter a des gens aussi malheu-
reux (1). Adieu, je vous embrasse, ma chère Bombe,
et vous aime du plus tendre de mon cœur.
Vous ai-je dit que l'abbé Madier alloit a Rome, la
(1) L'administration des l)iciis de la maison de 8aint-Loui« avait
passé aux directoires do district et du département de Vei*saille8. Dem-
ies premiers jours d'avril 1791, les lûens furent mis en Tente, et troa—
vcrent facilement des acheteurs. Les Archives de la préfecture df
Versailles citent au nombre de ces acheteurs l'illustre chimiste ht
voisier, qui devait être une des victimes de la Terreur, et qui ach^
en 1791 la terre du Tremblay, terre de 455 arpents, au prix de qua*^
cent soixante-dix mille livres. Le duc de Luynes, madame de Be»A-
harnais, plus tard Tlmpératrice Joséphine, etc., firent aussi des aoMi-
sitions. Les biens entourant la maison furent morcelés et passèn^t ^
des prix élevés aux paysans de Saint-Cyr.
Après de nombreuses péripéties, de courageuses résistances, IVisti-
tution finit par faire place à une Ecole militaire.
MADAME ELISABETH. 331
3eraaine prochaine? Je ferai une nouvelle connoissance,
oe qui ne me fait pas grand plaisir.
Je crains fort que Toncle de la petite de Vitry ne se
joigne h son ami avant que celui-ci ait fait les pre-
JKnières avances. Il seroit pourtant bien avantageux
cfu'il pût le voir venir : tout le monde le désire ; et
:moi, l'intérêt que jV prends me le fait souhaiter pour
son bonheur.
Ce !•'.
Nous avons eu du train hier. Les gens de bonne
volonté, à force d'en avoir, ont trouvé le moyen
de déplaire à la garde , qui étoit parfaitement disposée
pour le Roi. On a voulu détruire Vincennes ; mais la
garde est arrivée à temps pour l'empêcher. Tout est
calme, ce matin. Nous nous portons tous bien. L'heure
de la poste m'empêche d'entrer dans tous les détails
que tu pourrois désirer ; mais, sois tranquille, tout est
bien.
Mesdames, parties le 20 février, étaient arrêtées, lo 24, à
Arnay-le-Duc par ordre de la iiuinicipalité, (»t l'Assemblée
déclarait qu'aucune loi ne s'opposait à la liberté de leur
voyage. Le 28, avait lieu l'échauffouréc appelée Journée
des Chevaliers du poignard. Le luêiiie jour, le peuple se
portait à Vincennes pour en détruire le donjon : les gre-
nadiers de la garde nationale dissipaient l'attroupement,
dont les plus mutins étaient arrêtés.
332 MADAME ELISABETH.
DXXVIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Elle est heureuse d'avoir pu être utile, ji.ir l'ciitreiniiiie du Comte d*Ar-
toH, pour faire obtenir à son mari une pension de la Reine de Naples.
— Elle aurait désiré que cette pension fut plus forte. — (}u*on est
malheureux de vivre dans ce moment-ci ! — Mesdames sont arrivées
a Turin. — Motifs allé{piés par la municipalité d*Arnay-k^!)uc pour
justiHer leur arrestation. — Pourquoi la Princesse nVst point partie
avec elles. — Elle va faire connaissance avec son nouveau directeur
et en a la colique. — Le Roi a été malade.
Ce 13 mars 1791.
Oui, ma Bombe, vous avez eu bien raison de çron*
der le ch'. Hénin; si j'avois su ton départ, je t*aurois
écrit bien certainement. Ta mère prétend me l'avoir
avoué. Je suis bien sûre cpi'ii n'en est rien. Mais, n'im-
porte : tu sais ce qui te convenoit, voilà l'important. Je
reconnois bien à la joie que tu éprouves, Tànie ]mre
de mon ange : son propre malheur ne l'occupe que peu.
Ne le pas faire partager à ceux à qui elle a des obliga-
tions est tout ce qui la touche. Mais, ma Bombe, tu te
trompes en croyant m'avoir des obligations ; je n'ai eu
qu'un mérite dans toute cette affaire, c'est d'être sœui-'
de mon frère, dont on avoit un peu peur. L'idée qui te
rend heureuse ne vient que de l'homme qui l'a mise en
exécution, et en cela, il a tenu une conduite vraiment
digne d'estime, et, malgré tous ses torts, on est obligé
de lui rendre justice sur cet article- là. Ta lettre m* a
fait de la peine ; j'espérois que ton mari obtiendroit
MADAME ELISABETH. 333
^lus qu'il n*a obtenu, et de mille manières j'en suis
aiffligée ; je n*ai pas besoin d'entrer en détails pour que
"Eu les comprennes ; je m'en remets à ton esprit supé-
rieur. Cependant, je ne puis m'empécherde blâmer le
parti que tu fais prendre à ton mari : sa santé, son
<:aractère, le sentiment de ses amis, tout devoit l'enya-
^er à prendre des eaux. J'entre pourtant dans sa posi-
tion, et je sens queJa crise qu'il vient d'avoir doit l'en
dégoûter. Lorsqu'un médecin s'est trompé sur les maux
que l'on éprouve, on ne va plus les lui conter avec
autant de confiance. N'est-ce pas là sa position? J'en
suis désolée ; car enfin, se livrer à des charlatans à sou
âge est bien fâcheux, et il seroit si nécessaire de calmer
son sang, et de ne laisser pas prendre à l'humeur qui le
tourmente une mauvaise route, que j'aurois désiré qu'il
trouvât un moyen d'aller aux eaux. Je suis sûre qu'il
en auroit éprouvé du soulagement, et que là, n'étant
plus obsédé par ce malheureux chirurgien (1), que je
crois né pour notre infortune, tu aurois obtenu des
choses raisonnables de lui ; car il me semble qu'il ne
doit pas le suivre, le pays où il devpit être ne l'aimant
pas autant que lui.
Mon Dieu, mon cœur, que l'on est malheureux de
vivre dans ce moment-ci ! On ne rencontre que des
fous, des imbéciles et des méchants! Dieu veuille que
l'esprit humain ouvre enfin les yeux à cette lumière que
l'on dit que le siècle possède, mais qui est encore si
obscure que pour moi je n'y vois qu'un brouillard
d'une épaisseur monstrueuse! Si la religion ne vient pas
(1) « M. de Caloniie. » (iVo/c de M, de Bombelles.)
334 MADAME ELISABETH.
à notre secours, il y a grande apparence que nous'
vivrons longtemps dans cette pénible situation. Enfin,
dit-on, il faut vouloir tout ce que Dieu veut. Pour moi,
je désire me sauver et que les gens que j*aime ne se
perdent pas. Voilà tout ce qu'il me faut.
Mes tantes sont enfin arrivées à T[urin]. Après avoir
été arrêtées pendant des siècles à Ârnay-le-Duc, elles ont
été très-bien reçues à Lyon. Mais tu sais tout cela mieux
que moi. Ce que tu ne sais peut-être pas, c'est que la
municipalité d'Arnay disoit, pour raison de sa conduite,
que le Roi n'étant pas libre de ses actions, il leurfalloit
un mot de sa main pour leur prouver qu'il étoit d'ac-
cord de leur voyage. As-tu jamais vu une pareille incon-
séquence? Au reste, mon cœur, j'ai cru voir par tes
lettres et par d'autres que j'ai reçues, que l'on étoit
étonné que je n'aie pas pris le même parti qu'elles. Je
n'ai pas cru voir mon devoir attaché à cette démarche :
voilà ce qui a dicté ma conduite. Mais crois que jamais
je ne serai capable de trahir ni mon devoir, ni ma reli-
gion , ni mon sentiment pour les personnes qui le mé-
ritent seules, et avec qui je voudrois vivre pour tout au
monde.
Je suis désolée de t'avoir nommée dans une lettre,
d'autant que je crains que cela n'ait ôté à ton mari des
forces vis-à-vis de son antagoniste (1). Mais je n'ai pas
imaginé que cela pût avoir le moindre inconvénient.
Crois-tu que cet homme veuille me faire du tort vis-à-vis
d'un autre ? J'en serois fâchée ; mais il m'est nécessaire
de le savoir, parce que cela réglera ma conduite. Ta
(1) ■ M. de Galonné. • (Note de M. de Bombeiies.)
MADAME ELISABETH. 335
ipetite belle-sœur m'a mandé ses chagrins ; elle n'a rien
À se reprocher que d'avoir obtenu une chose qu'avec
un autre homme, dans pareille position , elle n'auroit
jamais obtenue ; mais elle a cru que sa conscience le lui
permettoit, et supportera avec courage la punition (fue '
le Ciel lui envoie dès ce monde. Dans les pays étran-
gers, on est bien sévère pour nous, et nous le méritons
bien. Mais les François qui y sont retirés sont pour la
plupart bien exagérés ; et tant que de part et d^autre on
le sera, le diable se mêlera toujours de nos aiïaires;
voilà ce que je crains fort.
Je suis confondue du mariage d'Agathe; c'est un
bonheur pour toi, car tu n'aurois su qu'en faire. Je
suis dans l'enchantement de l'attachement de Victoire;
mais Henri, qu'est-ce qui en aura soin? Comme je ne
sais où te prendre, j'adresserai mes lettres à la petite
jusqu'à ce que tu m'aies mandé que tu es posée.
Adieu, je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur, et
voudrois te voir heureuse.
Quelle calomnie, ma Bombe ! ta mère n'a pas eu la
douleur de voir faire le serment à son confesseur, mais
bien celle de s'en séparer, car il est parti pour Rome
avec ma tante. Je fais connoissance avec mon nouveau
dans deux jours. Je crois que j'aurai une fièrecolique.
Je t'en dirai des nouvelles. On trompe tant sur les nou-
velles des provinces, que je ne sais pas au juste si elles
prennent le parti de leur évéque. Mais je crois que la
plupart regrettent ceux qui s'en vont. Mais la force
étant dans les mains des méchants, que peuvent foire les
bons, sinon gémir?
J'ai rarement des nouvelles de M' de M. Mais le M.
33Ô MADAME ELISABETH.
qui en a quelciuefois in*a dit qu'elle se portoit bien.
Elle va aller dans les Pavs-Bas voir ses terres et s*v
établir.
Le Roi vient d'être malade. Heureusement, il va
' bfen et sera pur{;é demain. Je suis convaincue que les
eaux lui feroient beaucoup de bien : ne le crois-tu pas?
Je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.
Les jeunes {jens qui ëtoient en prison depuis le 28
sont sortis hier, ainsi que M. de Courten.
DXXIX
MADAME ÉLISAItETIl A MADAME DE BOMBELLES.
Elle se fclirite du dép.irt de Mesdames, qui n décidé celui de son
frère. — Te Deum à Nofre-Dame, pour le rétablissement du Roi.
— C*est 1111 curé «lîtsermenté qui officiera. — Ses inquiétudc^s pour
M. de Boinhelles. — Sa conHance en la Providence. Il faut autant
que possible dédomma{{er Dieu de tous les outra{{es qu*il re<;oit. —
L*évêque de Lydda et rar(!hevèque de Sens. — Elle est enchantée
de son nouveau confesseur.
Ce 20 mars 1791.
Je vous fais part, mademoiselle Bombe, que je vous
écris pour employer mon temps. Je suis au milieu de
trois enfants qui sont plus bavards les uns que les autres.
Ils viennent de faire une triste partie de reversis, où
c'étoit à qui tricheroit le plus ou joueroit le plus mal.
Quand je dis qu'ils trichoient, c'est que cela n'étoit
pas vrai ; mais ma nièce qui étoit sur mon épaule me
dictoit. Au fait, il est dimanche, je m'ennuie à en cre-
madamp: kijsakktîî. 337
er, et je profite d'une écritoire que je trouve sous ma
K~iQain pour commencer toujours cette épître. J'ai reçu
M.^ tienne depuis trois jours. Je suis charmée que mes
'Jointes aient pris le parti de s'en aller. Cela a décidé le
^départ de mon frère, qui sans cela auroit bien pu pas-
-^5er une partie du printemps avec vous ; etquoique vous
^oyez très-aimables, je désircrois beaucoup qu'il rejoi-
gnit son beau-père. Il m'a écrit depuis son arrivée à
Turin ; mais il ne me mande pas combien mes tantes
resteront avec lui. Il est vrai qu'il ne les avoit pas
«ncore vues. Tu m'auras trouvée rabâcheuse , car je
t'ai mandé deux fois la même chose; mais j'avois
oublié que je t'en avois déjà parlé, et cela m'occupoit
un peu.
Il y a aujourd'hui un beau Te Deum à Notre-Dame
pour le rétablissement de la santé du Roi ; l'Assemblée
y va ; c'est un curé jureur qui ofBciera. C'est une ma-
nière fine d'installer le nouveau clergé à la métropole ;
du moins, je le crois. Je trouve, ma petite, que tu auras
parfaitement raison de ne pas vous établir à Stuttyard ;
mais j'en suis fâchée pour toi, car ce!a eût été une grande
douceur. Je t'avoue que je redoute pour ton mari la
grande inaction. Sa santé, son cœur, l'habitude, tout
doit lui faire éprouver une contraction affreuse; et si je
n'espérois pas que ta tendre amitié ne l'en dédomma-
geât, j'en serois incpiiète.
Mais, ma petite, la Providence, qui veilla sur toi dès
ton enfance, y veillera encore. Rapportons-nous-en à
elle dans tous les instants de notre vie. Nous ne pou-
vons avoir de vraie consolation, d'appui solide, qu'en
elle. Ne sens-tu pas que c'est dans la peine, dans les
TOME 111. 22
338 MADAME ELISABETH.
moments où la religion est eu danger, que Ton en sent
mieux le prix? Dédommager Dieu, s'il est possible, de
tous les outrages qu'il reçoit: ah ! qu*ils sont grands,
mais que sa bonté Test mille fois davantage ! Prie-le
pour moi, mon cœur : c'est avec {sic) ceux qui sont dans
un séjour tranquille à obtenir des grâces pour ceux qui
sont dans le pays le plus orageux que l'on ait jamais
rencontré. L'évéque de Lydda a été à Sens recevoir ses
pouvoirs ; mais l'on assure que l'Archevcque a reçu une
lettre du Pape qui pourra le dégoûter de la nouvelle
constitution. Le bref est arrivé: on ne sait pas encore
ce qu'il contient ; mais il y a à parier qu'il est des plus
forts, d'après la lettre adressée à l'archevêque de Sens
qu'il l'est {sic) pas mal.
Ce 22 mars 1791.
Je suis enchantée, ma petite, de mon rKmveau con-
fesseur. Il a tout ce qu'il me faut : de la douceur, de
l'esprit, une grande connoissance du cœur humain ;
enfin je ne puis me dissimuler que c'est la Providence
qui m'a fait faire ce choix. J'ai été assez troublée la
première fois que je me suis confessée , mais pas autant
que je l'aurois cru. Si tu veux que je te l'avoue,
j'aime et j'estime beaucoup celui que j'avois, mais
je n'ai eu aucun mérite à le laisser partir. Ainsi,
ne me fais pas tant de comphments sur tout cela,
car je ne les mérite pas. Ne le dis pas, parce que
cela lui feroit de la peine, s'il venoit à le savoir. Il n'y
avoit que l'embarras de la nouvelle connoissance qm
me tenoit au cœur. C'est un prêtre des Missions étran*
MADAME ELISABETH. 339
gères, nouimé de Firmont, que tu ne connois sûre-
inent pas (1).
J'irai demain à Saint-Cyr ; cela me fait plaisir et
peine, car il est affreux de voir les gens que Ton aime
bien malheureux, et ne pouvoir leur apporter aucune
oonsolatlon. Adieu, mon cœur, je vous embrasse et
"VOUS aime tendrement.
DXXX
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMRELLES.
M^'Assoinblôc a décidé que le Roi ne pourrait ni sortir du Royaume ni
.■«"éIoi(»ii(?r d'elle à plus de quinze lieues. — M. de Bonibclles rem-
placé par le comte Louis de Bouille.
Ce 28 mars i791.
Je ne vous écrirai qu'un mot, mon cœur, parce
<|u'il est tard, que je n'ai pas le temps avant souper,
<ît (pie, pour vous dire ce mot, j'écris devant Afo/is/ewr.
]Nous avons eu le plaisir de voir la nation assemblée
<lécider que le lloi ne pourroit pas s'éloigner de plus
de quinze lieues de l'endroit où la nation sera assem-
blée; et si elle ne l'est pas, il ne pourra sortir du
lioyaume. S'il en sort pendant je ne sais combien de
temps, et qu'il ne se rende pas aux sollicitations qui
(1; - Ce doit être l'abl)é Ed{»ewortli, le môme qui accompagna
Loui;* XVI au martyre, et le même qui est en ce moment. le 23 février
1803, à Varsovie, près de Louis XVIIL » (Note de M, de Bombelles.)
22.
340 MADAME KLISAHETir.
lui seront faites pour y rentrer, il sera regardé comme
ayant abdicjuc sou trône. Au reste , il se porte bien , à
l'exception d'un enrouement horrible, dont il lui reste
encore quelque petite chose. Du reste, il va bien.
C'est le comte Louis (I) qni remplace ton mari.
Ainsi il sera bien dans le cas de pnindre des arrange-
ments pour toutes ses afFaires. Te reste-t-il beaucoup
de dettes? Toucheras- tu quitte et net ce que tu dois
toucher? Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur et
t'aime de même.
DXXXI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
N» 13.
Réflexions sur la situation <lc M. «le Boinbellcs. — Mort de Mirabeau.
— Son arrivrc dans l'autre monde a dû être bien rrucllc. — Lw
curés intrus viennent d'être installés. — On va s'occujkt da piv-
chaine.s clcctions. — MéKancc de la Princesse.
3 avril 1791.
Je suis destinée a t'écrire chez les enfants. Le
dimanche, cela me convient assez, parce que je ne
m'ennuie pas pendant ce temps-là. J'ai reçu les lettres
dont M. de B. étoit charge ; elles m'ont fait grand plai-
sir, me parlant de gens que j'aime. Je profiterai du pre —
(i) De Bouille, duquel on a des Mémoires.
MADAME ELISABETH. 341
iniernioment OÙ je le pourrai pour y répondre. Je trouve
que ton ami (1) se conduit fort bien; mais je t'avoue
que, sans compromettre ce qu'il a acquis à tant de
titres, s'il pou voit n'être pas aussi fidèle à sa tendre moi-
tié, cela me feroit plaisir, parce que, malgré la sévérité
de mes principes, cette fidélité à toute épreuve me
paroit fastidieuse. Et comme je m'intéresse beaucoup
aux personnes de sa connoissance, je voudrois qu'il
leur pût être utile. Cependant mon désir sur cela est
si fort subordonné aux circonstances, queje me contente
de l'exprimer légèrement. Je n'ai pas parlé à mes amis
de ce que tu me mandes; je trouve qu'il faudroit c|u'ils
Fussent plus en confiance avec une autre pour qu'il pût
donner à ton ami les conseils qu'il voudroit en rece-
X^oir. De plus, ta mère t'a mandé ce qu'il désiroit il y
^ quelque temps. Je me borne donc à te dire que sans
^e hasarder ou ce qui est après lui, il fera bien de con-
tinuer à parler avec la franchise et la sagesse qu'il a
"^nontrées jusqu'à cet instant.
Mirabeau* est mort hier matin. Son arrivée dans
l'autre monde a dû être bien cruelle. On dit qu'il a vu
«on curé une heure ; je plains bien sa malheureuse
sœur, qui est fort pieuse et qui Taimoit à la folie. Les
politiques disent que cette mort est fâcheuse ; pour
moi, j'attends pour juger. Je conviens qu'il avoit de
grands talents, mais je ne le connoissois pas assez pour
le regretter vivement.
Les curés intrus ont été établis aujourd'hui. Toutes
les cloches ont carillonné d'une manière indigne; c'est
(1) « M. de Doinbclles. » (Note de M, de DombeUes lui-même,)
3^*2 I/EMPEREUR LÉOPOLD II.
d'une tristesse mortelle. Pour moi, j'en avois l'àme bien
serrée.
L'Assemblée a décrété, sur la motion de M. d'André,
que Ton alloit s'occuper de faire les élections pour la
prochaine législature. On compte que celle-ci sera finie
pour le mois de juillet ; je ne comprends pas trop ce
que tout cela veut dire et si cela ne cache pas quelque
horreur, car peut-on espérer un bien réel de tout ce
monde-là? Adieu, ma Bombe, je t'embrasse de tout
mon cœur.
DXXXII
L^EMPEREUR LÉOPOLD A SA SŒUR MARIE-CHRFSTINE (1,
Il a trouvé terrilUeraent à faire h Milan. — Ne croire que la nioiii
seulement de ce que lui dira le Comte d*Artois.
Milan, le 7 [avril 1791].
Très chère Sœur, j'ai reçu à la fois deux de vos lettres,
et vous en suis infiniment obligé, ainsi que de Tintcrét
que vous prenez à ce qui me regarde. J'ai trouvé terri-
blement à faire ici ; mais comme je me soigne beaucoup
et ne sors pas le soir, je ne crains pas l'air. Mes fils se
portent aussi tous très-bien , et n'ont pas moins a faire
que moi. M. Jaucourt, Français dont vous me parlez,
ne m'a été que présenté, et je ne le connois aucunement
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArcliiduc Alberto
d'Autriche.
LE COMTE D'ARTOIS. 343
particulièrement. Ne croyez jamais rien de ce que les
François vous diront de moi , quand je ne vous récrirai
pas moi-même , et même que la moitié de ce que vous
dira le comte d'Artois. Je me flatte d'avoir bientôt de
vos nouvelles des Pays-Bas et que l'inauguration se sera
passée heureusement. Je vous embrasse tendrement et
suis.
DXXXIII
LETTRE DU COMTE D'ARTOIS AU ROI DE SUÈDE,
GUSTAVE III (1).
Il s'est adi^essé à la Porte pour en obtenir un secours de quelques mil-
lions, et dejnnnde au Roi d'autoriser le Baron de Brentano à suivre
cette négociation.
Panne, le 8 avril 1791.
Monsieur mon Frère,
L'intérêt et l'amitié que Votre Majesté a bien voulu
me témoigner dès le commencement de nos malheurs ,
m'encouragent à m'adresser à Elle avec confiance, dans
une occasion qui peut devenir importante pour le service
du Roi mon Frère.
Je me suis adressé à la Porte pour en obtenir un
secours de quelques millions ; je connoissois depuis long-
temps les talents et le zèle du baron de Brentano, mi-
nistre de Votre Majesté, et c'est lui que je désire charger
de cette négociation, après avoir avant tout obtenu l'ap-
(1) ArchlTes du ministère des Affaires Etrangères de Suède.
344 LE COMTE D'AUTOIS.
probatioii de Votre Majesté , et je la conjure d'autoriser
le baron de Brentano à suivre cette affaire avec activité.
Il me sera bien doux de devoir cette nouvelle recOn-
noissance à un souverain si di^jne de Tadmi ration uni-
verselle par sa fermeté, par son couriîge héroïque, et par
la noblesse de ses sentiments.
Si j'avois moins connu les embarras personnels que
Votre Majesté a éprouvés depuis deux années, je me
serois adressé à Elle avec toute confiance, et je lui aurois
demandé sans crainte des secours pour servir mon pays,
qui fut toujours Tami et l'allié de la Suède. Mais en
m'attirant un refus forcé par les circonstances, j'aurois
affli{;é inutilement Tàme noble et sensible de Votre
Majesté.
Voilà runi(|ue motif d'un silence qui coùtoit à mou
cœur; mais anjr)urd'hui que Votre Majesté a terminé
une {fuerre glorieuse par une paix habile, je puis et je
dois m 'adresser à un des principaux garants du traité
de West[)halie, dont nos tvrans ne cessent d'enfreindre
les plus importants articles.
Certain des nobles vt généreuses intentions de Votre
Majesté, connoissant d'ailleurs ses sentiments pour la
France et pour le Roi mou frère, j'attendrai sa réponse
avec une impatience aussi vive que respectueuse.
Je conjure Votre Majesté de daigner recevoir avec
bonté la ferme assurance de tous les sentiments tendres
et respectueux avec lesquels je suis,
Monsieur mon Frère,
de Votre Majesté ,
le très-alTectionné frère et serviteur,
Charles-Puujppe.
L'KMPEREITU LKOPOI.D II. 343
DXXXIV
^-EMPEREUR LÉOPOLD A SA SDEITR MARIE-CHRISTINE (1).
* i av flattp qu'elle; aura 'trouvé do raiiirlioraiion dan.4 In siiu.itioii t\c»
Pays-lbs. — Il arrorticra tontes les proiiiolioiis et {;ràfe.'< qu'elle lui
|)i'o|)os(>ra. — Le comte d'Artois a [troiiiis «le se tenir tranquille. —
Espérances de paix.
Milaii, le 19 [avril 1791].
Très-chèn» Sœur, j'ai reçw à la fois trois de vos
lettres de Bonn, et suis charmé de vous y savoir en
Lonne santé. Je nie flatte que vous aur(»z trouvé les
affaires des Pays-Bas moins mal que vous ne croyiez,
et (jue les principes François et d'irréligion n'y gagne-
ront pas. Ouant aux avancements et grâces à accorder,
vous n'avez qu'à me proposer ceux que vous croyez
qui auroient des droits à y as[)irer, et je les expédierai
tout de suite. Quant aux François, j'espère cpie le
comte d'Artois et les siens se tiendront tranquilles ; au
moins il me l'a promis ; et quant aux propos qu'ils
tiennent, il ne faut pas s'en soucier ni les croire. La
paix va élré faite, et toutes les affaires s'arranger. Je
Vais partir de Milan où les a flaires m'ont retenu jusqu'à
présent. Moi et mes compagnons nous nous portons
l)ien, et eux travaillent autant que moi. Ne craignez rign
pour nos santés : nous avons ici de la neige aux mon-
tagnes et des froids insoutenables. Je vous embrasse
tendrement et suis.
fl) Arcliivos d(; Son Ahes.sc Impériale cl Rovalc l'Arcl.iduc AlbiTt
d'Autriche.
346 MADAME ELISABETH.
DXXXV
MADAME ÉLISAHRTIÏ
A MADAME LA MAROCISE DE BOMBELLES,
A L'HOTEL DE FRANCE, A STUTTGAUDT.
Elle ne sait pas au juste cv qui s'est passé quand le Roi a voulu partir
pour Saint- Cloud et eu a «'"lé enipèelu; par les factieux. — On veut
bien encore lui jieruiettrc d'aller ù l'office. — Elle a eu à se louer
de la Reine de Naples.
Ck;2l avril 1791.
Tu sens, ma Bombe, qu'il faut que je n'aie pas eu
absolument le temps pour ne t'avoir pas écrit un mot
ces jours-ci. Je ne te donnerai point de détails de la jour-
née de lundi ; je t'avoue que je ne les sais pas encore.
Tout ce que je sais, c'est que le Roi vouloit aller a
Saint-Cloud, qu'il s'est campé dans sa voiture où il est
resté deux heures , que la yarde et le peuple ont fermé
le passage, et qu'il a été obligé de ne pas sortir. J'ignore
combien l'on nous retiendra ; j'imagine que ce sera jus-
qu'après Pâques. Nous nous portons tous bien ; je
t'écris à la hâte, parce que je fais ma toilette pour aller
à l'office, car l'on veut bien encore nous permettre d'y
assister. Adieu , crois que je serai toujours digne des
sentiments de ceux qui veulent bien avoir de l'estime
pour moi , et que quelque chose qu'il arrive , je vivrai
et mourrai sans avoir rien à me reprocher vis-à-vis de
Dieu et des hommes.
Je ne te parle pas de la joie que m'a fait éprouver la
bonté de la Reine de Naplos ; mais tu me conuois assez
MADAME ELISABETH. 3W
jjour suppléer à tout ce que je ne puis exprimer dans le
xiioment, mais que mon cœur sent si bien. Je t*embrasse
^t t'aime de tout mon cœur.
La rage et rinsnlle veillaient aux portes du palais des
Tuileries. Quand le Roi avait voulu, le 17 avril, partir pour
respirer l'air à Saint-Cloud, une populace ameutée s'était
jetée dans la cour au-devant des chevaux de sa voiture, et,
luttant corps à corps avec le peu de {jardes qui l'entouraient,
avec le jeune Duras, premier gentilhomme de sa chambre,
avec La Favette, accouru pour proté{j(;r la sortie de Louis XVI,
elle l'avait forcé à rentrer dans son palais désert. Calme, au
milieu de T effervescence de l'émeute, le Roi n'avait eu qu'une
émotion, causée par la violence des furieux contre M. de
Duras qu'il avait arraché de leurs mains.
La Reine de Naples venait de pensionner sur sa cassette
M. de Rombelles; c'est à cette (générosité que Madame Eli-
sabeth fait allusion à la fin de sa lettre.
DXXXVI
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMIiELLES.
N" 15.
La Fayette a repris le commandement do la yarde. — Joie de ce que
M. de Bombelles a la pension de ]Naples. — Raisons pour ne pas
écrire à la Reine de Naples.
Ce 25 avril 1791.
Vous avez dû partir aujourd'hui, ma chère Bombe,
pour Stultgard ; je te fais mon compliment d'être avec
le petit baron. Que de choses vous allez avoir à vous
348 MADAME ELISABETH.
dire! Mon Dieu! mon Dieu! vous n'en finirez plus.
Mais dis-moi franchement, ton frère pense t-il comme
toi? On m'a dit le contraire; mais je ne puis le croire,
et je te plaindrois de tout mon cœur, si cela étoit. M. de
La Fayette a repris le commandement de la yarde ; elle
le lui a tant demandé qu'il n'a pu s'y refuser, en faisant
simplement quelques conditions, comme d'obéir à la
loi, etc., etc.
Tout est tranquille à présent , à force de sacrifices.
Il faut croire que le bien s'opérera, du moins, je suis
sûre que c'est là le but et le vœu yénéral. Mais, ma
Bombe, laissons là politique, garde nationale, dé-
crets, etc., etc., pour parler de vous. Mon Dieu ! que la
Providence est donc bonne ! que je la remercie de tout
mon cœur d'être venue au secours de ta famille et de
toi ! Je suis heureuse de penser que ma pauvre Angé-
lique pourra vivre tranquille, élever doucement ses
enfants, en attendant l'instant où ils pourront apprécier
la conduite de leurs parents et s'en rendre dignes. Je
craignois que ton mari n'eût plus de dettes que ce que
tu me uiandes. Avec cette bonne Reine de Naples, il
pourra payer et vivre, médiocrement, mais enfin il le
pourra. V'Ià que je vais l'aimer à la folie. Il est impos-
sible d'avoir plus de grâce et de dire des choses plus
aimables. Elle doit être adorée dans son pays. J'aurois
bien voulu faire ce que tu désirois vis-à-vis d'elle; mais
je trouve, mon cœur, que dans la position où je suis,
il est bien difficile que, n'étant point en commerce de
lettres avec elle, je lui écrive pour la remercier d'avoir
réparé les torts de gens que j'aime et dois respecter. Si
quelqu'un partoit pour ce pays, je chargerois de lui
Loris XVI. :r.9
cJire oe que je sens; mais je ne puis lui écrire. Mon
Dieu ! ma Bombe, (|uanil est-ce que j'aurai le plaisir
cJe te revoir? cela ni*en Fera un bien grand ; tu le crois
kien, n'est-ce pas? Eh bien, je vais me coucher sur
cette bonne pensée, et t'embrasse du plus tendre de
mon cœur.
DXXXVII
LOUIS XVI A MADAME JULKS DE POLIGNAC,
A VENISE (I).
Affectueux souvenir.' — Iiiihécillité des amis, perversité des ennemi!}.
— La Heine toiijonrd en buite aux injuslires et aux outr.i{»es de tous
les côtés.
Le 12 mai 1791.
J'ai reçu deux de vos lettres. Madame, depuis que
je ne vous ai écrit, et j'ai été plus heureux cette année :
j'ai reçu une réponse de votre cousine. J'ai vu avec
bien du plaisir qu'on se portoit bien dans les deux
endroits. C'est une consolation pour moi que de le
savoir. Nous en faisons aussi de même ici physique-
ment. Si vous n'avez pas reçu phis souvent de mes
nouvelles, ce n'est pas assurément oubli des absents:
j'ai été tenté vinyt lois de commencer; mais toujours
même chose triste à dire et qu'on ne peut pas mander.
On feroit des volumes entiers, et il resteroit encore bien
des choses à dire. De toutes les injustices qui se lont,
(1) Papiers de famille du duc de Polijnac.
350 LOUIS XVI.
j'espère bien que vous avez pensé qu'il y en a une qui
m*a plus peiné que toutes celles qui me regardent per-
sonnellement. « Le monde, chère Agnès, est une étrange
chose ; » c'est une vérité plus que jamais à présent, et il
est bien difficile de se défendre d'une misanthropie
outrée. Les amis sont fous et imbéciles et font toutes
sortes de sottises, et les ennemis toujours plus mé-
chants (1). Comment peut-on avoir de ces derniers
quand on n'ajamais cherché que le bien de tous? Votre
amie est toujours la même , mais toujours en butte aux
passions et aux injustices de tous les côtés. Votre jeune
ami me donne de l'inquiétude : on le dit engagé dans un
voyage au moins bien prématuré et qui pourroit tour-
ner d'une manière funeste pour bien du monde, et ce
n'est certainement pas de Venise que le conseil lui en
a été donné. Bonsoir, Madame, j'espère que vous ne
doutez pas que, dans quelque position qu'on se trouve,
on n'oublie pas ses anciens amis.
(1) Mallieiireuse cour qui iravait en effet que des amis inutiles,
inintelli{;ciits et danj;ereux, et don ennemis ai nrd<*nrs, si persévr-rants,
si féroces, si habiles à faire triompher l(>ur liainc! La force appelle la
force : ne dirait-on pas que Tinfortuné Louis XVÎ, héroïque et mar-
tyr, fût trop faible pour ne pas déconcerter les forts, s'il en eût eu
autour de lui?
LE ROI DE SUEDE GUSTAVE III. 351
DXXXVIII
LETTRE UU ROI DE SrÈDE, GUSTAVE Ilï , AU BARON
DE BRETEUIL (1).
Sentiments que lui a toujours inspirés le sort de la famille royale de
France, — Le rétahlissement de la paix lui permet de nonger à
porter secours au petit-fils de Louis XV. — Il charge le comte de
Barck de s'enteudn; avec M. de Rreteuil. — Il offre une intervention
armée. — Coopératitm éventuelle de la Russie. — Conditions qu'il
met à l'envoi des troupes. — Demande de subsides. — L'Espagne
fournira l'argent nécessaire. — Son prochain départ pour Aix-la-
Chapelle, où il sera h portée des événements. — Le Roi de France
doit s abstenir d'entrer en négociaiicni avec ses sujets, mais recou-
vrer la plénitude de son ancienne autorité.
Ha(ja, ce 17 mai 1701.
Monsieur le Baron de Breteui], si je n'ai pas plus
tôt répondu à la lettre que vous m'avez fait le plaisir de
m écrire sur la paix, c*est la difficulté de vous la faire
parvenir en sûreté. Vous me rendez trop de justice pour
douter que je n*aie suivi les différents événements qui
ont marqué ces dernières années avec Tintérét que la
(1) Minute conservée aux Archives des Affaires Etrangères de Suède.
Cette lettre et la réponse du baron de Rreteuil seraient assez pro-
pres à infliquer que le chevalen>sque dessein de combattre la Révo-
lution franc^aise aurait été (pielque peu, chez le Roi de Suède, mélange
ïlu désir d'oblenir des subsides, sons prétexte de payer des troupes.
Ce sou[ieon était venu h l'esprit de M. de Montmorin, et il l'a exprimé
nettement dans une lettre à M. de La Marck, en date du 19 avril 1792.
Voir la C<>n't"ipuinlance entre Miralwau et le n>mte de La Marck y
publiée par M. de Raeourt, t. III, p. 302. — La lettre écrite par ce
Prince, le 9 juillet 1791, nu laisse plus aucun doute à cet égard.
:ri2 LE ROI DE SUÈDE GUSTAVE IIJ.
plus ancienne et la plus lonjfue alliance cpii a jamais
uni deux Étals avoit droit de ni'inspirer, et les senti-
ments personnels que je vous ai depuis si longtemps
portés, m'ont fait sentir vos peines; et ce sentiment m'a
fait éprouver de la douleur en voyant vos malheurs,
.l'ai senti aussi de la satisfaction en voyant la constance
avec laquelle vous les supportiez, et la fidélité inébran-
lable que vous avez {jardée à votre Souverain, h su
malliQureuse famille et à la véritable Constitution de
votre pays ; et dans ces funestes moments, je n'ai point
oublié ni les devoirs de l'amitié, ni ceux avec les«[uels
la reconnoissance m'attache au sang de Louis XV.
Environné moi-même d'ennemis, ayant également à
combattre les forces de l'Empire de Russie et l'hydre
renaissante de l'anarchie et de la licence, je n'ai pu tpie
suivre avec mes vœux et que donner des regrets aux
différents événements qui ont plongé la France dans
l'anarchie affreuse où elle se trouve, en renversant le
trône le plus affermi et en détruisant l'ordre et les lois.
J 'ai cependant témoigné au Roi et à la Reine de France,
en plusieurs occasions, l'intérêt que je prenois à leur
situation, et je n'ai point souffeit que les François éta-
blis dans mon pays ou à mon service prissent une part
ostensible à la révolte de France. Voilà tout ce que je
|)ouvois faire tandis qu'occupé moi-même, le sort de
mon pays, le mien et celui de ma famille, étoient incer-
tains. La paix ayant affermi tout mon ouvrage, je n'ai
pas perdu un moment pour m'occuper des moyens de
venir au secours de mon ancien allié et du petit-fils de
Louis XV; et tandis que les puissances liées par le sang
et la proximité avec votre maison rovale paroissoieiit
LE ROI DE SUÈDE GUSTAVE III. 353
1 abandonner a son sort, j'ai regarde comme un devoir
sacré de tout employer pourrons aider. J'ai fait assurer
Leurs Majestés Très-Chrétiennes de mes intentions par
un canal que vous connoissez; et ayant appris par
ce même canal (]ue Vous étiez chargé des négociations
étrangères, et que vous jouissiez de toute l'étendue
de leur confiance (que vous méritez à si juste titre), j'ai
cru devoir, sans perdre de temps, m'adresser à vous
pour vous faire connoitre mes sentiments et ce que je
suis intentionné d'entreprendre. Je vous envoie, à cet
effet, le comte de Barck , employé dans le bureau des
Affaires Étrangères, fils de mon ministre à Vienne, et
c|ue vous y avez connu dans sa plus grande jeunesse.
^^a prudence, sa fidélité et son zèle m'étant connus, je
l'ai choisi pour cette commission aussi importante que
délicate, et vous pouvez lui confier ce que vous crain-
drez d'écrire. J'offre au Roi de France pour le rétablir
ma personne, ses mil (7000) hommes de bonnes troupes
suédoises, aguerries par la guerre qu'ils viennent de
faire ; six vaisseaux de guerre , et plus s'il le faut. A
ces forces, je me flatte de pouvoir joindre au moins la
moitié de troupes russes, si je parviens à écarter les
obstacles <]ui arrêtent la conclusion de l'alliance avec
l'Impératrice, qui se négocie ici, et qui, lorsque chacun
cédera un peu de ses prétentions récipro(|ues , s'achè-
vera selon toute apparence. J'exige, d«mon côté, qu'on
me fournisse l'argent nécessaire pour l'entretien et le
transport de ces troupes ; le commandement général
illimité où je me trouverai en personne, et où un autre
Roi ne se trouvera pas ; et l'assurance formelle du
renouvellement des alliances anciennes après la restau-
TOME III. 23
85* LE ROI DE SUÉDE GUSTAVE III.
ration du Roi de France , nommément de celle signée
entre le Roi de France et moi, à Paris, le 19 juillet
1784, et celle signée le l*' juin de la même année, avec
Taug^entation des subsides, au moins jusqu'à la somme
de trois millions de livres. Je sens bien que le secours
d'argent nécessaire dans ce. moment est difficile, tu la
position du Roi de France , et si je ne venois de termi-
ner u*ne guerre onéreuse , si mes ressources le permet-
toient, si enfin l'impossibilité vraie ne s'y opposoit, je
me ferois une gloire de tout faire pour vous , sans rien
vous demander , et de renouveler ces nobles et anciens
exemples de la loyauté, de la chevalerie qui prescrivoit
aux guerriers le devoir si juste de secourir les princes
malheureux et opprimés. Mais vous avez vous-même
été en Suède; et quoique j'aie déployé, pendant cette
dernière époque, des ressources inconnues, vous con-
noissez celles du pays que je gouverne , et vous pouvez
vous-même juger par les efforts que nous venons de
faire, les ressources qui nous restent pour de nouveaux
efforts. Mais si l'Espagne s'intéresse, comme elle le doit,
à vos malheurs, et si elle souhaite sincèrement votre
salut, elle peut suppléer par son argent au seul obstacle
qui peut m'empêcher de venir à votre aide. Vous con-
noissez ses dispositions, et c'est sur elles que vous pou-
vez me répondre. Je ne crois point qu'il seroit utile e\
avantageux pour votre cause que les Espagnols à mai
armée vinssent a votre secours. L'ancienne animosit
entre les deux nations se renouvelleroit, et les rdi^efle^
de Paris rappelleroient des anciennes époques que 1=^
possession du trône d'Espagne par des princes de
maison de Bourbon ont (sic) eflacc, mais que Tespi
LE ROI DE SUÈDE GUSTAVE ÏII. 355
€ie vertige du peuple rendroit redoutable. Le nom
suédois, au contraire, n'a rien d'odieux aux oreilles
irançoises : une longue union, des armées souvent
combinées et des victoires communes, nous ont presque
"naturalisés François. Et l'ambition de restaurer votre
monarchie, jointe au réel intérêt de la Suède de rendre
la vie et de recréer (si je puis me servir de cette expres-
sion) son ancien allié, étant la seule qui peut nous
guider, le Roi de France n'aura pas à craindre nos suc-
cès, comme il pourroit avoir peut-être raison de redou-
ter les secours de sujets trop puissants et de voisins
intéressés. Si on accepte mes secours , et si vous avez
quelque porta votre disposition, je souhaite de le savoir
pour y diriger le débarquement de mes troupes, y éta-
blir ma place d'armes et le dépôt d*où je renforcerai
mon armée par la mer. C'est sur tous ces points que je
souhaite d'avoir vos éclaircissements. En attendant, je
vais me rendre à Aix-la-Chapelle, où ma santé exige
que je prenne les eaux. J'y serai à portée des événe-
ments : j'y pourrai négocier avec les princes d'Alle-
magne, dont les droits lésés parles rebelles de l'Assem-
blée (qui se tient aux Tuileries), exigent la protection
des lois de l'Empire, dont je suis le garant. J'y pourrai
avoir de vos nouvelles, et prendre définitivement mes
dernières résolutions. En attendant, j'ai tout préparé
pour l'expédition projetée, et je laisse, en partant, les
ordres les plus détaillés, cachetés, pour que rien ne
retarde une entreprise de laquelle dépendra le salut
d'un grand peuple, d'un Roi le plus ancien allié de
mon pays, et d'une princesse dont le courage et le cou-
rage {sic) inspireroient, même à ses ennemis, l'intérêt
23.
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L'EMPEREUR LEOPOLD II. 35T
DXXXIX
•EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOECU MARIE^HRISTLNE (1).
rrivée «ul>ite *c)ii Comte d'Artoin venaut «olliriter don troupcn pour
marcher î m iiicclin cément sur la France. — I/Eiu|Mrreur se montre-
rait satisfait de la tournure des afTaires du Brabant et leit croirait
en bonne voie si celles de France s'aplanissaient.
Mantouc, 18 mai 1791.
Très-chère Sœur, j ai reçu à lu fois toutes vos lettres
J)ar la poste et par le courrier Strauss, et vous en suis
infiniment oblige. Je viens de le recevoir au moment
<f}ie j'allois partir pour la Bohême, ayant dû retarder
<le deux jours mon départ, vu l'arrivée du comte d'Ar-
tois ici, subite et imprévue, qui veut des troupes, mar-
cher en France et déclarer Régent Monsieur. Il vient
aussi à Dresde et Pilnitz, et je ne comprends pas ce qu'il
veut, et ne crois pas que les choses pourront aller aussi
vite qu'il le croit. J'ai eu en même temps les lettres du
comte de Mercy bien intéressantes sur les affaires de^
France. Quant à mes lettres, surtout par les courriers,
si vous ne les recevez pas exactement, ne vous en
étonnez pas, car jamais on n'a la bonté de m'avertir
quand on les expédie. Je ne sais pas pourquoi, mais
j'y mettrai ordre pour l'avenir.
Pour votre chancellerie particulière, je suis à présent
(1) Archives de Son Altesse Imjtériale et Royale rArcliiduc Albert
d'Autriche.
358 L EMPEREUR LÉOPOLD II.
entièrement persuadé par ce que vous m écrivez, qu^elIe
vous est nécessaire et n'y vois plus la moindre difficulté,
et vous enverrai dans les formes, par le département,
l'expédition en conséquence.
Pour mon fils Charles, je suis bien sensible à l'inté-
rêt que vous prenez à tout ce qui le regarde. Il est parti
aujourd'hui pour faire le tour des forteresses en Bohême.
Moi je pars demain, et nous nous retrouverons ensemble
le 29 à Theresienstadt.
Je suis très-charmé que les inau([urations se soient
en général bien passées, et vois que les États de Bra-
bant et ce Conseil sont les articles les plus durs encore
à terminer. J'ai pourtant vu avec bien du plaisir que le
langage conséquent et ferme que vous leur avez tenu
les a mis dans leur tort, et je me flatte que cette afliûre,
en tenant ferme, finira de même heureusement. Je vois
bien encore la disposition dans laquelle sont les esprits,
surtout dans les villes chez vous. Mais je me flatte que
peu à peu cela finira, et surtout si on met la main aux
affaires de France tout de bon, et si elles finissent une
bonne fois d'être dans la crise présente. Je vous em-
brasse tendrement et suis.
Marquez-moi, je vous prie, si la désertion est si con-
sidérable dans les troupes qu'on le dit, et quels sont les
régiments, les Hongrois, Allemands ou Wallons, qui en
ont le plus.
MADAME ELISABETH. 359
DXL
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Ile remercie M. de Bomhclles clt* ce (|iril a fait j>our servir les intcrêts
que dirige le Comte dWrtoid. II n*n pas été agréé, mais sum dévoue-
ment sera apprécié pins tard. — Paris est tranqiiille, mais il .y i
manque absolu d'argent.
Ce 20 mai 1791.
J'attends tous les jours , ma Bombe , les nouvelles de
la santé que tu me promets; mais je conçois que tu
n'aies pas eu le temps de m'en donner encore. J'en
ai reçu de quelqu'un qui te touche (1) qui ne m'ont
fait nul plaisir, mais ce n'est pas sa faute. Remercie-le
de son zèle, de tout l'attachement qu'il continue à mon-
trer; dis-lui que je suis affligée des mauvais tours qui lui
ont été joués ; mais que la justice qu'il rend au cœur et à
la droiture de mon ami (2) doit l'engager, si l'occasion
se présentoit encore, à lui continuer ses soins, comme
il le dit lui-même. On lui rendra justice par la suite,
et si un peu de raison ne plait pas lorsque l'on est
bien jeune , l'expérience et le temps en font sentir
la nécessité. Attendons tout de lui ; j'espère que cette
bonne Providence, en qui tu as toute confiance, nous
reffardera en pitié. Elle n'abandonnera pas le clergé,
qui est si fidèle et si courageux ; elle ne permettra
pas que les sacrilèges se perpétuent, et Dieu tirera sa
(1) « M. de Bombellcs. » (Sote de lui-même,)
[^) Le Comte d'Artois.
a(H) GUSTAVE III.
gloire du profond abaissement où il semble s'ensevelir
à présent.
Ta mère se porte bien, tout ce qui t'intéresse aussi.
Paris est tranquille, à l'exception du miuique total d'ar-
gent. Il est à un prix fou, et je ne sais pas trop com-
ment on fera pour se tirer de cette crise. M. Camus
nous a annoncé que le mois prochain on présenteroit
une ressource; il faut l'attendre avec patience. Porte-toi
bien, ma Bombe ; tâche de vivre en paix. Que ton mari
ne songe qu'à ménager sa vie pour ses enfants, qui en
ont tant de besoin ; aime-moi toujours; voilà toutes les
recommandations les plus chères à mon cœur que je
puisse te faire. Je t'embrasse et t'aime tendrement.
DXLI
LETTRE DU ROI GUSTAVE III AU COMTE D'ARTOIS (1).
Protestations de dévoilement à la Couronne de France, la pins aneîciuie
alliée de la Suède. — Pnidenre a mettre dans leit déinnrelies vis-à-
vis de la France, pour ne pas connnettrc Louis XVI et sa famille.
Ilaga, ce 20 mai 1701.
Monsieur mon Frère, la lettre de Votre Altesse
Royale du 8 avril ne m'a été remise que mardi der-
nier 17 mai. J'v vois avec bien de la satisfaction
que vous y rendez justice . à l'intérêt constant <|ue
(1) Minute auto{;raplie existant aux Archives du Ministère des
Affaires Etrangères de Suède.
GUSTAVE III. 361
je prends à tout ce qui touche le Roi votre Frère,
et la France, la plus ancienne alliée de la Suède.
L.es sentiments personnels que je porte à Votre Altesse
Hoyale y ajoutent un nouveau degré, et c'est aussi
avec bien de la satisfaction que je puis lui dire que
j'avois déjà prévenu ses désirs et que le baron de
Brentano m'ayant instruit qu'il se trouvoit une
personne à Constantinople que vous auriez chargée
d'y négocier, je lui ai donné, dès le mois de janvier,
les ordres les plus positifs pour seconder vos vues.
Je viens de les renouveler encore. Je souhaite que
les embarras accumulés de la Porte , et l'influence
de certains ministres qui y intriguent, ne mettent
obstacle h cette négociation. J'apprécie, comme je
le dois, la délicatesse que vous avez bien voulu
observer avec moi pendant qu'embarrassé dans la
guerre que je viens de terminer, je n'ai pu porter
mon attention aux objets qui intéressent autant mon
cœur que la cause de tous les Rois, et l'existence
d'une monarchie l'amie naturelle de ma patrie.
Mais j'ai cependant suivi avec un véritable intérêt
la courageuse fermeté avec laquelle vous avez persisté
à rester expatrié plutôt que de fléchir devant les
factieux en rentrant dans votre patrie. Vous en
êtes aussi l'unique espoir, tant que durera la captivité
du Roi et de ses enfants; et l'histoire de votre
maison vous fournit plus d'un exemple de Princes
qui, réfugiés comme vous, ne sont sortis de leur
retraite que pour relever la monarchie et lui donner
un nouvel éclat. Je ne doute pas que les troubles
qui la déchirent aujourd'hui ne se terminent un jour
36Î GUSTAVE III.
ainsi ; mais je crois qu'il est de la plus haute prudence
de ne point faire ni de foihics efforts ni des efibrts
précipités. Je puis vous assurer que vos amis ne
s'endorment pas, mais qu'ils craignent de commettre
des têtes précieuses. Garant du traité de Westphalie,
Prince de l'Empire moi-même, et intéresse par
tant de titres au maintien des libertés et des droits
de l'Empire germanique, je n'abandonnerai cer-
tainement pas les Princes de l'Empire, lorsque je
verrai une réunion et un ensemble qui a presque
toujours manqué au Corps germanique, et Votre
Altesse Royale peut être persuadée que je ne perds
pas ces objets de vue; mais j'ose l'exhorter de mettre
la plus grande prudence et la plus imperturbable
discrétion dans toutes ses démarches , avant que
le vrai moment soit arrivé. Heureux si je pourrois
alors vous convaincre de tous les sentiments avec
lesquels je suis , monsieur mon Frère ,
de Votre Altesse Royale ,
le bon Frère et ami ,
Gustave.
Ma santé me force à faire un voyage à Aix-la-Chapelle,
où je serai tout le mois de juin.
MADAME ELISARETIL 363
DXLII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
^émigration de ses amis a été si coiisirléraMc , qirdlc est effrayée du
nombre de lettres qu^elle en n rcçiic^i et dvA réponses qu^elle a ù
faire. — Livre de Burke sur la Révolution ^nraise. — On a voulu
dire de^* messes aux Tbéatius. L'autel a été renversé, et La Fayette
et Bailly ont dti intervenir.
Ce i juin 1791.
Je crois y ma Bombe, qu'il, y u longtemps que je ne
'l'ai écrit. Je t'en demande bien pardon ; mais c'est un
jpeix la faute du temps, qui m'a manqué. J'ai compté
l'autre jour combien j'avois de lettres à écrire aux gens
absents que je connois. J'en ai plus de dix-liuit. As-tu
jamais vu une désertion pareille? Il y a de quoi effarou-
cher pour la position de notre pays , si bien d'autres
choses n'effarouchoient pas déjà beaucoup. Au reste, ma
petite Bombe, j'ai eu beau mettre mille lunettes près
de mes yeux, il m'a été impossible de lire ta lettre'; ton
écriture étoit trop mauvaise, car pour ton style, je
n'oserois l'attaquer. A la longue pourtant, j'en viendrai
peut-être à bout; heureusement que cela n'étoit, j'es-
père, pas pressé. Restes-tu encore quelque temps à
Stuttgard, ou bien es-tu déjà partie pour ton vieux châ-
teau? Je voudrois bien que tu pu [pusses] décider la
petite à te suivre, car cela lui feroit du bien d'être avec
toi. Je suis bien fâchée de ce que tu me mandes d'Ar-
mand ; il seroit affreux pour ta petite belle-sœur de le
perdre encore. J'espère que Dieu ne lui réserve pas cette
\
364 MADAME ELISABETH.
nouvelle épreuve. Tu ne me mandes pas si Annette est
forte et gentille. Je suis bien aise de ce que tu me mandes
de ton frère : j *uurois été éton née que cela fut autrement.
Ce n'est point par ce pûys-ci que j'avoîs eu la nouvelle
contraire , mais par des voyageurs qui ne tiennent en
rien au grand qu'il a été dans le cas de voir. Ainsi , je
crois que tu feras bien de l'engager à y prendre garde,
sans lui dire pourtant d'où tu tiens cela.
D'après ce que l'on me mande, Vitry, il me semble
que l'oncle de ta petite protégée a lieu d'être satisfait,
et j'en suis ravie, car il mérite d'être heureux. Tu me
mandes que tu as été contente de M. Burke ; quelle
édition as-tn lue? Mande-le-moi, pour que je sache si
nous avons lu la même; et puis ne l'as-tu pas lue en
anglais? cela me désappointeroit, car tu sais bien que
ma science dans cette langue n'est pas forte (1).
(1) Edinoiid Riirkc »e prononça avec une extrême rivacicé contre la
réToliicion franrni.He dès son ori{pnn. La première occasion qu*il eut de
faire éclater sa haine pour cette grande subversion |M>litique eut lieu
dans la Cliauihro des Gcunmunes, en février 1790, contre Fox, qui
voulait qu'on témoi{|n:it une noble conKance dans les nouveaux régu-
lateurs de la France. Toutes ses colères contre les théories françaises ,
qu'adoptaient alors un grand noinl>re d* Anglais, se résumèrent dans ses
Réflexions sur la Révolution /ratiçttise , qnW publia en octobre 1790.
Peu de livres produisirent une égale sensation. Son horreur toujours
croissante pour cette ré%'olution était devenue la passion dominante
de sa vie. Les insultes dt>nt on alireuvait la noble Marie- Antoinette
excitaient particulièrement chez lui la plus violante révolte, et- il rap-
pelait avec une sorte de lyrisme le temps où il Tavait vue, h Taurore
de son règne, planant sur Thorizon, faisant à la fois Tornement et la.
gloire de la sjilière élevée oti elle venait de s'asseoir; élincchmte
comme l'étoile du matin, toute pleine et de vie et de splendeur et
joie : « I saw hcr just abovc the horizon , decorating and cheering tk<
elevated sphère, shc just began to move in, glitlering like the momiik
star, full of life, and splcndor, and joy. •
LE BARON DE BRETEUIL. 365
Jeudi, on a voulu ouvrir les Théatins ; on y a dit des
messes; mais, après la dernière, les brigands ont ren-
versé Tautel. M. de La Fayette et M. Uailly ont assisté
à vêpres pour qu*il ne s*y passe rien de mal.. En efFet,
à l'exception de propos indignes, cela a été a^sez tran-
quille. Mais après, on a arraché Tinscription qui promet
paix et liberté, et on Ta brûlée à la porte. Heureuse-
ment tout étoit fermé, et il n*y a point eu de nouveaux
sacrilèges. Adieu, mon cœur, je vous aime et vous em-
brasse de tout mon cœur. Dis bien des choses à la petite.
Sais-tu que Raigecourt est enfin accouchée d'une petite
fille, de la manière la plus heureuse?
DXLIII
LE BARON DE BBETEUIL AU ROI DE SUÉDE (1).
Il convient que GiisCave III njonrne mes pmjrtt d'intervention. —
Toute (lémnrrhe prématurée compromettrait la siireté du Roi de
France. — Les conditions fKMées par la Suède sont d'ailleurs accep-
tées. — On négociera avec l'Espagne pour eu obtenir un secours
d'argent, mais on ne saurtit compter sur un prompt résultat de ces
démarches. — Il met le Roi de Suède en garde contre l'indiscrétion
des Franc;ais de Spa. — Louis XVI n'a jamais songé sérieusement
h transiger avec ses sujets sur aucune de ses prérogatives royales.
Soleil re, le 9 juin 1791.
Sire,
M. le comte de Barck m*a remis hier au soir la lettre
dont il a plu a Votre Majesté de m'honorer le 1 7 du
(1) L'original, entièrement autographe, est conservé au Ministère
des Affaires Etrangères, à Stockliolm.
Le marquis de Bouille dit dans ses Mémoires, qu'après sa sortie de
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LE BARON DE BUETEUIL. 367
'Votre amitié au{][menteroient également ses entraves et
SCS dangers. J'espère que nous touchons au terme des
^mms et des autres ; mais il faut y être arrivé avant de
pouvoir se livrer à la plupart des mesures les plus
importantes, les plus désirables et même les plus néces-
saires. Une position aussi hérissée de difficultés, qui
toutes présentent des précipices affreux, ne s*est jamais
rencontrée. Le coup d'œil de Votre Majesté jugera
mieux ces cruels embarras que je ne pourrois les lui
décrire, et à quel point ils exigent d'aller à pas comptés
dans les mesures qui, dans le cours ordinaire des grandes
affaires, font l'objet de la plus active prévoyance.
Vous jugez. Sire, avec vérité, que le Roi joint à tant
d'obstacles et de peines celle de manquer d'argent ;
tout ce que nous pouvons espérer est d'en rassembler
assez pour faire face a la dépense sans préjudice des
premiers pas de Sa Majesté à la tête d'une armée. Ce
n'est que dans de solides succès que nous comptons en
trouver suffisamment, tant au dedans qu'au dehors du
Royaume. Le Roi sent vivement, Sire, et personne n'est
aussi persuadé que moi , que le meilleur emploi qu'il
pourra faire de ses ressources pécuniaires sera de les
partager avec Votre Majesté pour se fortifier de sa puis-
sance, de son expérience et de tout ce qu'Elle suggé-
reroit à ce sentiment si touchant pour le Roi qui vous
porte, Sire, à regarder ses intérêts comme les vôtres,
et à vouloir les conduire à un succès aussi éclatant et
aussi ferme que Votre Majesté a su mener ses affaires.
Je conçois aisément, Sire., qu'en, offirant avec tant
d'amitié à Sa Majesté tout ce qui peut dépendre de
vous pour l'aider puissamment, la guerre que vous avez
368 LE nAROiS DE BRETEUIL.
terminée si glorieusement vous ait ôté les moyens
d'amener une armée et des vaisseaux au secours du
Roi , comme le voudroient vos généreux principes ; et
le Roi est trop sensible à votre amitié , trop sûr de son
étendue, trop désireux de la suite de votre bonheur,
ainsi que de votre gloire, pour chercher à vous engager
à des démarches en sa faveur qui pourroient vous jeter
dans une gène d'argent capable de troubler votre repos.
M. le comte de Barck vous dira, Sire, que j'avois prévu
cette nécessité en écrivant en Espagne, afin de porter
Sa Majesté Catholique à partager assez la reconnois-
sance du Roi sur la rare amitié de Votre Majesté pour
nous fournir les moyens d'en profiter. Je suivrai cette
négociation avec la chaleur que les intérêts du Roi
demandent, mais les distances géograjihiques sont telles
qu'il faut consommer bien du temps pour obtenir des
résultats do Madrid, qui puissent mettre en mouvement
ceux de la courageuse volonté de Votre Majesté : je
vois d'après ce calcul , avec un grand chagrin , que le
Roi ne peut se flatter de pouvoir en réclamer les utiles
effets aussi promptement que son intérêt le demanderoit.
■
Nous aurons sans doute, peu après la hberté du Roi,
une place d'armes et un port à ouvrir aux vaisseaux
ainsi qu'aux troupes de Votre Majesté, et de ce moment
nous pourrons en combiner l'arrivée comme les mou-
vements.
Les autres conditions que Votre Majesté met au
secours de sou amitié sont trop justes pour que le Roi
ne les acceptât pas toutes avec empressement, et ne les
remplît pas avec la plus scrupuleuse exactitude, comme
avec le plus grand plaisir. Nous n'avons rien de plus
LE BARON DE BRETEUIL. 360
cher, Sîre, h notre système politique, que la plus étroite
alliance avec Votre Majesté, et le maintien de cette
fraternité des deux nations, qui les a accoutumées à
n'avoir qu'un intérêt ; je me flatte que Votre Majesté
est bien sûre que ce ne seroit pas au milieu de la con-
fiance dont le Roi m'honoreroit que ce salutaire prin-
cipe foibliroit.
Votre Majesté doit trouver un grand nombre de
François à Spa, qui ont déjà l'honneur d'être connus
d'Ëlle. La plupart, sans doute, méritent l'honneur de
ses bontés ; mais je n'en prends pas moins la liberté de
supplier Votre Majesté de vouloir bien ne se laisser
aller avec aucun aux ouvertures de sa grande âme, sur
la manière dont Elle envisage les malheurs de notre
monarchie, et la satisfaction qu'Elle trouveroit à con-
tribuer au rétablissement de sa grandeur : l'Assemblée
Nationale, qui a sûrement autant d'espions que la nation
a d'indiscrets, seroit bientôt instruite des expressions
de l'intérêt de Votre Majesté, et ne pourroit qu'en
prendre des alarmes propres à augmenter sa surveil-
lance sur le Roi.
La connoissance que je crois avoir des Princes de
l'Empire et des différents personnages qui gouvernent
leurs affaires, me porte à penser que Votre Majesté ne
rempliroit pas ses bonnes et grandes vues en faisant
à ces Princes l'honneur de s'arrêter chez eux. M. le
comte de Barck en détaillera davantage mes raisons à
Votre Majesté. Je dois remercier Votre Majesté de
m'avoir fourni l'occasion de renouveler connoissance
avec ce fidèle serviteur, dont la jeunesse m'avoit fort
intéressé, parce qu'il annonçoit toutes les vertus de son
TOMB III. 24
370 LE BARON DE BRETEUIL.
père, comme il en montre aujourd'hui le zèle et le
dévouement pour Votre Majesté.
Je me trouve, Sire, aussi heureux qu'honoré du suf-
frage que Votre Majesté veut bien donner à la confiance
que le Roi daigne m'accorder. J*ai toujours désiré et
reconnu le prix de l'estime ainsi que de la bienveillance
de Votre Majesté ; je chercherai toute ma vie à la méri-
ter, et il m'est bien doux de penser que ce sentiment
précieux à mon cœur est aussi un de mes grands devoirs.
Je supplie Votre Majesté de croire que le Roi n'a
jamais pensé ni ne pensera à entrer sérieusement dans
aucune négociation avec ses sujets sur sa prérogative ;
le Roi est bien souvent calomnié dans sa conduite, et
Votre Majesté en aura plus d'une fois la preuve pen-
dant son séjour à Spa. Elle sera plus d'une fois scanda-
lisée des opinions qu'on osera Lui laisser apercevoir:
c'est, sans doute un malheur inséparable de tous ceux
qui ont accablé le Roi , mais que sa courageuse résolu-
tion et, j'espère, ses succès, auront droit de détruire.
Je remercie Votre Majesté du chiffre qu'ElIc a eu 1
bonté de m'envoyer : plus j'aurai occasion d'en fai
usage et plus je satisferai mon dévouement à Sa personne •
Je supplie Votre Majesté de m'excuser si j'ai été
obligé d'employer une main étrangère pour finir ma
dépêche ; une douleur de goutte au poignet m'y a forcé.
J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,
Sire,
de Votre Majesté,
très-humble et très-obéissant serviteur*
Le Baroet de Brbtbuil.
MADAME ELISABETH. 371
DXLIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES,
A L'HOTEL DE FBANCE, A STUTTGARDT.
Bile aurait mille choses à hii dire, si elle la Toyait. — Salmigondis fait
par l'Assemblée. — Les brefs du Pape irauroiit de valeur qu'après
approbation du Roi et de l'Assemblée. — On arrive au schisme le
plus parfait. — Noos aurons bientôt un patriarche.
Ce 4 juin 1791.
Je ne sais plus comment je vis, ma Bombe; mais il
me semble qu'il y a plus de huit jours que je ne t'ai
ccrit, et je ne sais pas trop ce que je te manderai,
<|uoique j'eusse mille choses à te dire si je te voyois.
Mais tu sens bien que cela seroit trop long à écrire. Jo
crois bien que tu ne m'as pas compris ; moi-même je
ne savois pas trop ce que je te mandois, ne sachant
point de détails. La seule chose que l'on puisse dire
sans se tromper, c'est que, dans toutes les affaires de ce
genre, il faut entendre les deux partis pour juger avec
quelque certitude qui a tort ou raison.
L'Assemblée a hier fait un salmigondis d'une ancienne
loi pour déclarer que tous les brefs du Pape n'auroîent
de valeur que lorsque le Roi et l'Assemblée Tauroient
approuvé {sic) , et ont décidé que les évéques qui feroient
mention de ceux qui ont paru seroiont dans le cas
d'être condamnés. Tu vois, ma Bombe, que nous ne
nous arrêtons pas pour arriver au schisme le plus par-
fait, et que bientôt nous serons dans le cas d'avoir un
24.
372 MADAME ELISABETH.
patriarche (1). En attendant, les bons Chrétiens ne
peuvent entendre la messe, et les Protestants ont, à
notre porte, un temple où ils Font paisiblement le prêche,
sans que les bons Parisiens le trouvent mauvais.
Paris est tranquille. Il a fait bien chaud ces jours-ci,
depuis trois jours, et aujourd'hui il y a un vent froid
qui fait beaucoup de bien. Je compte monter à cheval
ce soir. Sais-tu un miracle? c'est que Blangy n'a plus
peur. Parle-moi donc de Démon; Tas-tu vue? Est-elle
mieux, ou bien sa vivacitc^ est-elle toujours la mcmc?
Adieu, mon cœur, je t'embrasse bien tendrement.
DXLV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Elle se |iortc bien. — En conacience, c*est cout ce que Ton peut dire-
— Cepciidanl les esprits ]Kiraissenl se calmer.
Ce 5 juillet 1791.
Je t'écris, ma Bombe, pour te dire que je me poi^'%«
bien, ainsi que ta famille; car, en conscience, voâlii
tout ce que l'on peut dire. Du reste, tout va à peu pwr^s I
de même que lorsque je t'ai écrit. Cependant, il parolt
/
(1) Le 3 mai, Teffigie du Pape avait été brûlée au Palais- Royal.
Le 9, les libertés de TÉgli-se gallicane, néf^ligées depuis Louis Xf^^,
avaient été consacrées de nouveau , et Ton avait arrêté que tout
Rescrit, Bulle, etc., de In Cour de Rome, serait réputé nul en Frais<
s'il n'avait reçu l'approbation du Corps législatif et la sanction du Roi*
Le 13, avait été formée la Haute Cour nationale.
I/EMPEUEUR LÉOPOLD II. 373
que les esprits se calment. Je n*ai point eu de tes nou-
velles depuis mon départ ; je crains que tes lettres
aie soient égarées. J'espère que tu te portes bien. Ta
mère a un peu de dévoiement ; cela lui fera du bien, car
on doit avoir un amas de bile. Adieu, je t'embrasse et
t'aime de tout mon cœur.
DXLVI
L'EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE,
ET AU DUC DE SAXE-TESCHEN (1).
Son plan de conduite avant de connaître la fuite de LouLt XVI. — La
nouvelle de l'arrestation du Roi a Varennes, de sa délivrance, de
son séjour à Metz, de Tarrivée de la Reine aux Pay^Ras, modifie
tCB premières résolutions. — Il est déterminé à prêter au Roi nn
énergique appui. — Dans l'illusion où il est de la liberté de Louis XVI,
il a donné des ordres pour mettre à sa disposition tous les secours
qu'il pourra désirer en hommes et en argent. — La seule condition
qu'il exige est que ses troupes agiront séparément et ne seront
jamais commandées par aucun officier français. — Ses démarches
anprès des autres Puissances limitrophes de la France.
Padouc, 5 juillet 1791
Ma très-chère Sœur et mon cher Beau-Frère, je
vous écris à tous les deux conjointement, vu l'impor-
tance de l'objet. Vous me demandez mes intentions sur
les affaires de France, les voici : J'avois traité avec le
Comte d'Artois pour l'enyager à mettre sa confiance en
moi, et l'empêcher de faire quelque démarche qui ait
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'Archiduc Albert
d'Autriche. Original autogniphc.
374 L'EMPEREtTR LÉOPOLD II.
pu compromettre la vie et sûreté du Roi et de la Reine
sans aucune utilité. J*y ai réussi, et pour traiter un con-
cert, en attendant, avec les Rois d'Espagne et de Sar-
daigne, les Suisses et l'Empire, et le Roi de Prusse, pour
pouvoir faire quelque déclaration et agir de concert,
dans le cas que les affaires de France s'y portassent à
quelque violence. Tout cela étoit fait: la fiiite du Roi,
son arrêt [arrestation] à Varennes, la façon dont il a
été délivré, son séjour à Metz, la Reine et la famille
arrivées aux Pays-Bas, tout ceci change entièrement les
circonstances. Je n'ai plus rien à démêler avec le Comte
d'Artois ni plus rien à faire avec lui.
Dans ce moment, le Roi est libre, le Roi a protesté
contre tout ce qui a été fait, je ne connois donc plus
que le Roi. Je suis son parent, ami et allié, et veux le
secourir et seconder de toutes mes forces et pouvoir.
Vous verrez, par la copie ci-jointe, les ordres que j'en-
voie aujourd'hui sur ce point au comte de Mercy. En
vertu donc de la présente, je vous autorise à commu-
niquer ces intentions à moi, au Roi et à la Reine, et s
leur faire savoir que j'ai donné les ordres pour qu'il
puissent avoir de mes caisses et par des emprunts b
faire, s'il le faut, sur mon nom et mon crédit, toutes
les sommes d'argent dont ils auront besoin. Je vou5
autorise, de concert avec le comte de Mercy, de faire
faire et publier , en mon nom , toutes les déclarations à
l'Assemblée Nationale, manifestes, etc., que le Roi
désireroit. Je vous autorise à donner, de ma part, tous
les ordres nécessaires au maréchal Bender, et à tous les
généraux, pour mettre mes trouj)cs en mouvement, les
approcher des conHns, les faire même entrer en France,
L'EMPEREUR LÉOPOLD IL 375
selon ce que le Roi désirera, et toujours sur sa demande
et réquisition, et comme troupes alliées. Et bien entendu
que mes troupes soient toujours à part , jamais mêlées
avec des troupes françoises, jamais commandées par
aucun officier ni général de cette nation, quand ce
seroit même un Prince du sang ou le Comte d'Artois;
et pas même un piquet ne sera commandé par un offi-
cier François. Je vous autorise à faire toutes les autres
è
4iîspositions consécutives et successives, nie réservant
à vous envoyer mes ordres et instructions succes-
sives, selon les circonstances, vous prévenant que j'ai
-«ngagé l'Espagne , le Roi de Sardaigne et les Suisses à
jaire de même; que je renouvellerai mes instances à
l'Empire, et que je crois d'être sûr de pouvoir avoir les
troupes hcssoises et prussiennes de Wesel, en cas de
l>esoin. Quant à la personne de la Reine et Famille
royale, je vous autorise* et charge de leur procurer,
ainsi qu'à leur suite, toutes les commodités et agré-
ments possibles, et de vous porter en personne à Luxem-
bourg chez la Reine, si elle ne préfère pas de venir a
Bruxelles (1) . Voilà tout ce que je puis vous dire pour le
présent,vouspriantdem'informer directement à Vienne
de la suite de toutes ces affaires , partant aujourd'hui
pour Vienne. Soyez, je vous prie, persuadée de tout le
tendre attachement avec lequel je serai toute ma vie.
Votre fidèle Frère,
LÉOPOLD.
(1) V^oir, au second volume, la lettre d:' rEiiipercur au comte de
I\agenrk, en date des 5 juin et 6 juillet 1791. Ses illusions sur la lil>crté
du Hoi rommeiiraicnt à se dissiper.
376 L'EMPEREUR LÉOPOLD II.
DXLVII
L'EMPEREUR LÉOPOLD AU COMTE DE MERCY (1j
(lettre J0I?ITE a la lettre précède 3CTE.)
Mêmes instructions qu'à sa sœur Marie-Christine et au Duc de Sase-
Tesolicn. — Il le charge de se mettre aux ordres du Roi et de b
Reine, qu'il croit libres.
[De Padoue, 5 juillet 1791.]
Mon cher Comte de Mercy,
J'ai reçu votre lettre du 16 juin et vu tout ce
que vous m'y marquez relativement aux affaires de
France. Jusqu'à présent mes négociations avec le
Comte d'Artois n'avoient eu pour but qu'à l'eiïgager
à différer quelconque explosion ou démarche violente
dans les provinces, qui auroit pu être fiineste à la
personne du Roi , de la Reine et de la Famill
royale, ayant ménagé le temps de pouvoir, d'acco
avec les Cours d'Rspiignc, de Sardaigne, les Suisses
l'Empire et la Prusse , former un concert pour : soi
par des déclarations respectives et tmiformes, soit pa:
des démonstrations , et même par la force , empêche
à la dernière extrémité l'exécution des projets qa
l'Assemblée Nationale auroit pu former contre la per-
sonne du Roi et toute la Famille royale. Je suis assu
du concours du Roi de Surdaigne, des Suisses, de l'Em
pire, et j'ai tout lieu de croire de même du Roi de
(1) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArcliiduc Albcc f
d'Autriche. Copit*.
L'EMPEUErn LÉOPOLD II. 377
Prusse et de TEspagne, sur laquelle il n'y p^ut avoir
aucun doute.
Tel étoit mon projet ; présentement, les circonstances
sont entièrement chan(][ées. J'étais informe, depuis
lon{jtemps, de l'idée de l'évasion du lloi et de la
Famille royale , et je l'ai crue toujours fort avantageuse,
pourvu qu'elle réussisse sans inconvénients et dangers.
Le Roi présentement, et la Reine, et toute la Famille
royale, sont en sûreté à Luxembourg. Le Roi s'est
enfui, a été repris et délivré, et est en sûreté à Metz.
Le mémoire qu'il a envoyé h l'Assemblée Nationale
après son départ prouve suffisamment qu'il annule
tout ce que ladite Assemblée Nationale a fait en son
nom, et qu'il se regardoit comme captif à Paris. Je
suppose que le Roi fera une déclaration formelle pour
appeler à son secours tous ses sujets bien intentionnés
et les Cours amies et alliées. Comme parent, ami et
allié du Roi, je me fais un devoir, un plaisir, et suis
intentionné à le seconder de toutes mes forces, crédit
et autorité. En conséquence, j'ai écrit par courrier en
Espagne et à Turin pour animer ces deux Cours à agir
conjointement avec moi , selon les intentions et ce que
le Roi pourra désirer. J'ai fait parler également sur ce
pied Uint aux Suisses qu'aux Princes de l'Empire. J'ai
écrit directement au Roi pour lui faire les mêmes ofires,
et je vous charge expressément de vous porter tout de
suite en personne à Luxembourg où la Reine se trouve,
pour lui témoigner le tendre intérêt que je prends à sa
situation et ù tout ce qui la regarde, et lui offrir tout ce
qui pourroit être utile ou agréable tant au Roi qu'à sa
personne.
378 I/EMPEREUIl LKOPOLD II.
Vous ferez en même temps toutes les dispositions
nécessaires pour tout ce qui pourra être d*utilité. agré-
ment ou de conunodité de la Reine et de lu Famille
royale , soit à Luxembour(; , Bruxelles , ou où ils vou-
dront se porter.
Vous ferez fournir tant au Roi cju*à la Reine, tant
sur mes caisses que par le moyen d'emprunts à faire
sur mon nom et crédit, toutes les sommes pécuniaires
dont ils pourroient avoir besoin.
Vous concerterez avec les gouverneurs généraux ,
auxquels j'envoie copie de la lettre (jue je vous adresse,
et avec le maréchal Bender , tous les ordres et les dis-
positions nécessaires, afin de mettre en mouvement
ou toutes ou une partie des troupes que j*ai aux Pays-
Bas, tant pour les approcher des confins de la France,
que même pour les y faire entrer et agir, sans attendre
d'autres ordres ultérieurs de ma part, ou de la façon
que le Roi, et personne d'autre, le demanderont, et
que le maréchal le croira convenable et possible,
devant agir en tout et partout comme troupes auxi-
liaires et alliées , agissant uniquement à la réquisition
du Roi et pour sa sûreté, et à sa disposition, et pas
autrement ; et à fiiire précéder, si cela est nécessaire,
leur marche par une déclaration ou manifeste à con-
certer avec le Roi et à publier, s'il en faisoit instance.
Je désire pareillement que vous puissiez rester dans
ces premiers moments près de la Reine. Son estime et
confiance pour vous sont connues ; votre attacliement
pour elle vous les a méritées , et je serois très-charmé
qu'étant auprès d'elle , vous puissiez la diriger par voi
conseils , et influer par là et par elle sur les démarches
LE ROI DE SUÈDE. 379
du Roi , qui , dans ce moment , sont de la dernière
importance pour tout bien combiner pour le bien de
la chose.
DXLVIII
MEMOIRE LU PAR LE ROI GUSTAVE III DE SUEDE,
A LA coxfére?((;e tkxue a aix-la-cuapei.lk, dans sa chambre, extue sa
MAJESTÉ, MONSIEUR, LE COMTE D*ARTOIS KT L*ÉvÉQUE D*ARRAS(1).
Quand sersHt-ii à propos que Monsieur prenne le tirrc de Rc{*ent de
Franco» à raison de la captivité du Roi? — Conduite à tenir par la
coalition à regard de la France.
[Àix-la-Clia]>elle, le 5 juillet 1791.]
On ne peut mettre en dqute le droit de Monsieur à
la Régence, depuis que la captivité du Roi de France
est si authentiquement constatée que l'Europe entière
n'en peut douter. Il ne s'agit que d'examiner quel est
le moment le plus utile pour la chose publique, que
l'on doit conseiller à Monsieur de choisir pour prendre
cette qualité. Il semble qu'il n'y a que deux plans à
suivre pour le salut de la France, et que c'est de l'adop-
tion d'un de ces plans que doit dépendre la résolution
que prendra Monsieur d'exercer dans le moment même
son droit, ou de le laisser reposer. Depuis que l'on
paroît rassuré sur la conservation de la vie du Roi de
(I) Archives du Ministère des Affaires Etrangères de Stockholm.
Minute autographe du Roi.
380 LE ROI DE SUÈDE.
France, de lu lieiiic et de leur Fumille captive, il esl
possible d'opter [entre] un plan plus lent et un plus
décidé. Le dan^jer seul de la vie du Roi auroit été une
obli{;ation impérieuse de ne rien ménager.
Le plan le plus long scroit de rester tranquille, de
ne rien ni entreprendre ni tenter, de paroi tre abandon-
ner la chose publique, pour rassurer entièrement l'As-
semblée et en tranquilliser les différents partis, aujour-
d'hui réunis par le danger commun ; les abandonner à
leurs propres dissensions, à la différence de leurs prin-
cipes, a leurs ambitions particulières, et surtout a la
difficulté et au désordre croissant des finances, du
numéraire, et au mécontentement du peuple qu'ils se
verront forcés d'obliger de payer des impôts, sans les-
quels aucune administration ne peut marcher; et dans
cet état de choses, attendre de la dissension même la des-
truction du gouvernement monstrueux établi en France.
Dans ce cas, il est certain que Monsieur , en prenant
aujourd'hui le titre de Régent, ne feroit que retarder
l'ordre des choses ; il montreroitun vengeur à la crainte
des uns, un point de ralliement pour la haine des autres,
et rendroit aux factieux le service de montrer au peuple
un ennemi, qui tiendroit les esprits échauffés et par là
réunis. C'est ainsi que la personne du prétendant ser-
vit utilement à affermir l'autorité de la maison de Ha-
novre sur le trône d'Angleterre, longtemps après que
l'Europe regardoit pour impossible le rétablissement
des Stuarts.
Mais je ne crois pas que c'est là le plan que des
petits-fils de Henri lY adopteront; et quelque avantage
qu'il peut présenter, les inconvénients qu'il entraîne
LE ROI DE SUEDE. 381
sont si grands qu'il est presque superflu de s*y arrêter.
La seule raison de laisser refroidir le zèle de la noblesse
françoise, et rintérct que les scènes indi(jnes qui vien-
nent de se passer ont inspiré aux souverains de l'Eu-
rope, pour sauver le Roi et la Reine de France, seroit
une raison assez forte pour ne pas adopter ce parti. Si
donc il faut agir avec plus de célérité, et suivre le plan
que les Princes semblent avoir adopté, d'une ligue de
tous les Souverains de l'Europe, tout paroît exiger que
Monsieur s'investisse de son droit et en use pour la
délivrance du Roi son Frère et la régénération de sa
patrie. Il est des cas où celui qui se met en possession
de ses droits, quelque contestés qu'ils puissent être par
les circonstances, en impose par sa fermeté et entraine
les suffrages qu'il n'auroit pas obtenus s'il les avoit con-
sultés. Tel est le cas du moment. Il n'est pas douteux
que les Rois d'Espagne, de Napleset de Sardaigne, qiïe
le plus ancien allié de la France, ne reconnoisscntAfrm-
sieur dans la qualité que sa naissance lui donne, et que
le malbeur du Roi son Frère lui inspire la nécessité de
prendre. La connoissance de la générosité et de l'élé-
vation du caractère de l'Impératrice de Russie ne permet
guère de douter que cette Princesse n'embrasse le parti
le plus noble, et que, semblable à Elisabeth d'Angle-
terre (dont elle a fait, depuis près de trente ans, revivre
les grandes qualités) , elle ne donne cette marque de son
intérêt aux descendants de Henri IV, puisqu'on ne peut
pas exiger dans ce moment d'elle d'autres secours,
tant qu'occupée à combattre les Turcs, et à retenir par
sa fermeté inébranlable la tergiversation et la fluctua-
tion menaçante mais immobile de la Pnisse et de l'An-
382 LK ROI DE SUÉDE.
gleterre. Ce ne sera que lorsque cette Princesse aura
surmonté ces obstacles avec sa sagesse et sa fortune
accoutumées, que les Princes doivent tout espérer de
son aniour pour la gloire, et de Tintérét qu'on sait
qu'elle prend à la cause de tous les souverains. — ^
L'Empereur, qui a donné des paroles si favorables au
Comte d'Artois, ne pourra guère se dispenser de suivre
cet exemple, et ce Prince entraînera la plus grande
partie des autres Rois. Celui {sic) d'Angleterre et de
Pologne seront peut-être les derniers ; mais la présomp-
tion de la reconnoissance des autres aura un grand
poids. Monsieur, ainsi investi, pourra réclamer, au nom
du Roi de France, les anciennes alliances, ceque3fon-
sieur, sans qualité, ne pourra faire. Les ambassadeurs
pourront paroitre aux Cours amies, traiter et signer en
son nom; enfin les secours d'argent, par des opéra-
tions de finance, deviendront bien plus faciles lorsqu'ils
seront faits au nom d'un Régent de France qu'au nom
de deux Princes, respectables par leur union, leur con-
stance, et intéressants par leurs malheurs, mais qui ne
sont pas revêtus de ces titres qui en imposent toujours
aux hommes, et surtout à une certaine classe, qui n*est
gouvernée que par les habitudes extérieures. D ail-
leurs , ce nom de Régent sauvera et Monsieur et tous
les François attachés à leur devoir, do l'imputation de
révolte dont l'Assemblée ne manquera pas de vouloir
les entacher. Ce ne sera pas des François qui combat-
tront contre la France, mais des sujets fidèles, qui atta-
queront des révoltés pour délivrer leur Souverain
opprimé. Monsieur , en parlant en qualité de Régent a
la Diète de TËmpire, présentera à ces Princes une
LE ROI DE SUÈDE. 383
assurance sûre delà conservation de leurs droits, et
terminera parla, en les réunissant à lui, toutes ces dis-
cussions didactiques dont lu jurisprudence allemande
sait si bien tirer parti pour éviter, par les longueurs
de forme, de prononcer clairement sur des questions
dont la décision ne peut être douteuse, mais dont ils
veulent éviter la décision. Il ne pourra plus alors être
question comment s'adresser à la France pour les con-
tenter sur leurs {jnefs. Il n'y aura que la délibération
de s*unir au Régent pour l'aider à les réintégrer dans
leurs biens , et la convocation de l'armée de l'Empire
(surtout appuyée par l'Empereur et le Roi de Prusse)
deviendra une conséquence nécessaire. A toutes ces
considérations se joint encore la nécessité urgente de la
formation d'un ministère où toutes les opérations poli-
tiques, militaires et financières, se réunissent comme
dans un centre, et d'où les nombreux corps du clergé,
de la noblesse et de la magistrature Françoise puissent
recevoir les assurances du rétablissement du gouverne-
ment dans son ancienne forme , et fit (sic) par là dis-
paroitre tous ces bruits qui ne sont semés que pour
augmenter le découragement et semer de nouvelles
divisions. Par toutes ces considérations, il semble
nécessaire que Monsieur ne tarde pas de s'investir du
droit que lui donne sa naissance, et que d'impérieuses
circonstances lui prescrivent d'accepter. Il ne reste
plus que d'examiner la forme qu'il faudra adopter pour
prendre ce titre, et il paroîtque, dans les circonstances
actuelles, le plus simple est le meilleur. Monsieur, en
paroissant ne pas douter un moment de son droit, ne
doit pas avoir besoin d'autre promulgation qu'une
384 LE ROI DE SUÈDE.
lettre circulaire à tous les Souverains de TEurope,
écrite dans la forme dont usoit le duc d*Orléans, Bé-
(jent, pour éviter toute difficulté de dispute d'étiquette.
Monsieur annonccToit la captivité du Roi , le manifeste
de ce Prince, les attentats des factieux; et que, vu son
droit de naissance, il avoit pris la Ré{;ence du royaume.
Monsieur parleroit ensuite , avec ce sentiment et cette
éloquence qui lui est si familière, de 1* intérêt des têtes
couronnées, et enfin de ce qu'il attend d'eux, en leur
annonçant sa protestation contre tout ce que la force
arracheroit au Roi. Cette lettre, confiée aux ministres
de la maison de Bourbon, aux différentes Cours, ou aux
soins des agents de Monsieur, seroit la proroulj^ation
la plus simple de la Ré{jencc. Monsieur créeroit en
même temps un garde des sceaux, et le peu de ministres
que les circonstances rendroient nécessaires ; le moindre
nombre seroit le meilleur, puisque le secret seroit le
mieux gardé et l'unité de la volonté plus prononcée.
Monsieur feroit adresser par ce garde des sceaux aux
magistrats et a la noblesse expatriés sa résolution par
une lettre non imprimée , en ajoutant que lorsqu'il se
trouveroit en terre de France, il feroit déclarer formel-
lement sa Régence dans une assemblée, telle que les
anciens usages le prescrivent. Par là. Monsieur évite-
roit en même temps une déclaration publique, et con-
vaincroit les fidèles François de sa volonté sincère de
conserver les anciennes maximes de l'État, et il porte-
roitun coup mortel à la consolidation de la monstrdeuse
constitution qu'on veut créer. De tout ce que l'on vient
de dire, il est aisé de conclure que Monsieur ne doit
pas perdre un moment de mettre le gouvernement en
L'EMPEREUR LÉOPOLD II. 385
activité, d'empêcher les Princes étrangers de négocier
ou de reconnoitre l'Assemblée, et de réunir autour de
lui le reste de la Force publique.
Telles sont les idées rapides que l'expérience des
affaires, l'intérêt et l'amitié inspirent, et que la con-
fiance que les Frères du Roi de France m'ont témoi-
gnée, m'ont dictée, et que le peu de temps que j'ai eu
m'a permis de rassembler.
DXLIX
L'EMPEREOR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CIIRISTIiNE (1).
Les nouvelles annonçant la délivrance du Rui et de la Reine ne se sont
point confirmées. — Il a écrit à tous les Souverains d'Europe pour
s'entendre avec eux sur les moyens de sauver la Famille royale de
France. — Il est essentiel d'empêcher le Comte d'Artois de faire
des coups de tète. — Il espère prévenir les excès auxquels on pour-
rait se porter contre le Roi ; autrement il les vengera d'une manière
exemplaire. -^ Ses instructions quant aux affaires des Pays-Bas.
Le 6 juillet, Padoiie [1791].
Très -chère Sœur, j'avois écrit les deux lettres cy-
jointes paur vous, lorsque j'ay reçu les vôtres par le
courrier Straus et par Vienne. Je vous envoi celle-ci
par votre beau-frere l'Electeur, qui m'a aussi envoyé
(I) Archives de Son Altesse Impériale et Royale l'Archiduc Albert
d'Autriche. Orthographe conservée. *
Cette lettre a été déjà piiMiée par M. Adam Wolf, «l.nis son inté-
ressant livre allemand de Marie-Christine, p. 240 du second volume.
TOMR III. 25
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«tte. ««»' "^ ,i6»«»' ' ° J i'-»»'*^ A. téW- "
L'EMPEREUR LEOPOLI) II. 387
ne sais pas si j'y réussirai. On voit que le Roi a été
mal conseillé et puis trahi. Dieu sait à quels excès ils
oseront se porter ! Je me flatte de les prévenir; mais si
je n*y réussis point, je les vengerai exemplairement.
Quant aux affaires chez vous, je suis persuadé que,
avec douceur et bonne façon unie avec la fermeté,
beaucoup s'arrangera peu à peu , et que , surtout dans
les commencements, il faudra encore souffrir et dissi-
muler bien des choses. En attendant tâchez de faire
tenir les troupes de Ijonne humeur et surtout à les
fiiire animer contre les François. Je vous embrasse
tendrement et suis.
Puissiez -vous bientôt me donner des meilleures
nouvelles de France.
Si jamais la Reine de France fût en liberté , faites-
lui teoîr cette lettre de ma part. Sans cela brCdez-la.
25
388 L'EMPEREUR LÉOPOLD II.
DL
PIECE JOINTE A LA LETTRE PRÉCÉDENTE.
PROJET DE LETTRE CIRCrLAIRB DE L*EXPEREUR d'âLLEMACKE LBOPOLD II,
kVJL ROIS D*E8PAG5E, D*A:(GLETERRE, de PRUSSE, DE 5APLE8 ET DE 8AR-
DAIGKE, DE MÊME Qu'a L*IMPÉRATRICE DE RUSSIE (i).
L*Empcrciir cxpottc les sentiments que lui a fait éprouver rarrestation
de Louis XVI. — Il invite les Souverains à 8*entendre pour mettre
un terme aux excès de la Révolution française. — Il propose d'a-
dresser à l'Assemlilée Nationale une Déclaration commune, qui pro-
duise une impression salutaire sur Tesprit des chefs du parti exalté.
— Cette démarche^ serait appuyée, au besoin, nar des mesures de
vigueur qu'il seréserve d'indiquer ultérieurement.
[Padoue, 6 juillet 1791.]
Je suis persuadé que Votre Majesté aura appris
l'attentat inouï de l'arrétement du Roi de France,
de la Reine ma Sœur et de la Famille royale, avec
autant de surprise et d'indig[nation que moi, et que
ses sentiments ne peuvent différer des miens sur un
événement qui, faisant craindre des suites plus atroces
encore et imprimant le sceau de l'illégalité sur les
excès auxquels on s'est porté précédemment en France,
compromet immédiatement Thonneur de tous les Sou-
verains et la sùr£té de tous les gouvernements.
Déterminé d'exécuter ce que je dois à ces considéra-
tions, et comme chef du Corps germanique, avec son
concours , et comme Souverain des États Autrichiens ,
(I) Archives de Son Altesse Impériale et Royale TArckiduc Albert
d'Autriche.
L'EMPEREUR LÉOPOLD II. 389
je propose à Voire Majesté, ainsi que je proj^ose aux
Rois d'Espagne, d'Angleterre, de Prusse, de Naples et
de Sardaigne, de même qu'à l'Impératrice de Russie,
de vouloir s'unir avec eux et avec moi de conseil, de
concert et de mesures, pour revendiquer la liberté et
l'honneur du Roi Très-Chrétien et de sa Famille, et
pour mettre des bornes aux extrémités dangereuses de
la révolution Françoise.
Le plus pressant semble être que nous nous réunis-
sions tous pour faire remettre aussitôt par nos minis-
tres en France une Déclaration commune, ou bien
des déclarations pareilles et simultanées qui puissent
faire rentrer en eux-mêmes les chefs du parti violent
et prévenir des résolutions désespérées, leur laissant
encore des voies ouvertes à une résipiscence honnête
et a l'étabhssement pacifique d'un état de choses en
France qui sauve du moins la dignité de la Couronne
et les considérations essentielles de la tranquillité géné-
rale. Et je propose, pour cet effet, à Votre Majesté,
le projet qu'elle trouvera ci-joint, et qui me paroit
remplir ces vues.
Mais comme le succès d'une telle déclaration seroit
problématique, et qu'on ne pourroit se le promettre
complet qu'autant que l'on seroit prêt à la soutenir
par des moyens suffisamment respectables, mon mi-
nistre auprès de V. M. recevra incessamment les ins-
tructions nécessaires pour ouvrir avec son ministère
tel concert de mesures vigoureuses que les circon-
stances exigeroient ; me réservant de lui faire commua
niquer aussi les réponses que je recevrai de la part des
autres Puissances aussitôt qu'elles me parviendront.
390 LOUIS XVI.
Je re{][arile comme un avanta{;e infiniment précieux
que les dispositions qu'elles manifestent toutes pour
le rétablissement du repos et de la concorde , promet-
tent d'écarter les obstacles qui pourroient nuire k
l'unanimité des vues et des sentiments dans une ocoir-
rence qui intéresse de près le bien-être de TEuix^e
entière.
Je suis avec.
DLI
LE ROI A L'ASSEMBLÉE NATIONALE (1).
11 se défend éQergK|aftinent d* avoir fmit a^r sur les soldats ponr les
engager à déserter ù l'étranger. — Son intention, en quittant Paris,
avait été de se rendre à Montmédy.
Le 7 juillet 1791.
Messieurs, j'apprends que plusieurs officiers fran-
içois, passés en pays étranger, ont invité, par des lettres
^rculaires, les soldats des régiments dans lesquels ils
-étoient , à quitter le Royaume et à venir les joindre ;
que , pour les engager, ils leur promettoient de l'avan-
cement et des récompenses, en vertu de pleins pou-
voirs, directement ou indirectement émanés de moi.
Je crois devoir démentir formellement une pareille
assertion, et répéter, à cette occasion, ce que j'ai
(i) Minute autographe de mon cobiueC.
LE ROI DE suède: 391
déclaré , — qu'en sortant de Paris je n'avois d'autres
projets que d'aller à Montmédy, d'y faire moi-même
k l'Assemblée Nationale les observations que je croyois
nécessaires , sur les difficultés que présentent l'exécu-
tion des lois «t l'administration du Royaume. Je dé-
dare positivement qoe toute personne qui se diroit
chargée de semblables pouvoirs en imposeroit de ia
manière la plus coupable.
Locis.
DLII
MÉMOIRE ADRESSÉ A L'IMPÉRATRICE DE RUSSIE
PAR LE ROI DE SUÈDE (1).
Droits du Comte de Provence k se proclamer Régent pendant la cap*
tivité de Louis XVL — Pian d'invasion de la France. — Demande
de subsides pour lui - même , sauf à se rembourser plus tard sur le
pays.
Abc-la-Chapelle, le 9 juillet 1791.
Le mémoire remis par le général-major, baron de
Pahlen , sur les afFaires de France , porte l'empreinte
de cette profondeur de vues, de cette élévation et de
cette grandeur d'âme, que l'Europe étonnée admire
depuis trente ans. Après avoir rassemblé, dans un
aussi court espace de temps , tous les événements glo-
rieux qui , partiellement , ont fait passer les noms des
(1) Copié sur la minute autographe de Gustave III, déposée aux
Archives du ministère des Affaires Etrangères de Stockholm.
392 LE nOI DE SUÉDE.
anciens Princes à rimmortâlité , il sembloit qu'il n*y
avoit plus pour Catherine II de gloire à acquérir,
lorsque la fortune , constante à rassembler sur sa tête
et sous son règne les événements les plus rares, ne
semble avoir voulu porter des coups funestes à une
des plus anciennes monarchies de l'univers que pour
préparer à cette grande Princesse une nouvelle occa-
sion d'étendre sa réputation et de joindre aux titres
de législatrice, de conquérante, etc., toujours victo-
rieuse sur les bords de l'Euxin et du Borysthène,
ceux de restauratrice de l'Empire François , et de
protectrice des Rois et des Princes opprimés , et
faire respecter son nom et ses armées sur les bords de
la Seine et du Rhône, comme ils le sont déjà sur les
frontières du vaste Empire qu'Elle régit. Les événe-
ments récents qui , en déclarant aux yeux de l'Europe,
d'une manière évidente, la captivité du Roi de France,
et en changeant par là en quelque partie l'ordre des
choses, exigent quelques détails qui, sans s'écarter de
la marche tracée dans le mémoire, facilitent quelques
points aloi*s embarrassants, que l'esprit pénétrant de
l'Impératrice avoit prévus, mais que les événements
ont plus développés. C'est un moment bien précieux
et qui développe bien l'étendue du génie de l'Impéra-
trice, que ce mémoire qu'Elle a confié à l'amitié, puis-
qu'Elle a su, du bord de la Neva, tracer le plan qu'en
partie on avoit formé en Italie , et qui étoit prêt à
s'exécuter sans l'incident imprévu de l'attentat commis
sur la Personne du Roi de France à Yarennes. Ce n'est
que pour donner plus de développement aux idées
mêmes de l'Impératrice , et pour lui présenter un plan
LE ROI DE SUÈDE. 393
formé et adupté aux notions sûres qu'on a pu recueil-
lir dans des lieux plus près du théâtre de ces grands
événemenls, qu'on va répondre au mémoire de l'Im-
pératrice, et cette Princesse y verra peut-être avec
quelque plaisir que ses idées sont suivies, et qu'Elle
a presque prédit ce qu'on projette en ce moment.
Jusqu'à l'instant de l'évasion du Roi de France,
le Comte d'Artois, son second Frère, seul échappé à la
fureur de la populace et aux fers de l'Assemblée Na-
tionale, avoit conduit les négociations avec les Cours
étrangères les plus proches de la France; mais les diffi-
cultés qu'il avait éprouvées lui firent demander au Roi
son Frère une autorisation nécessaire. Le Roi de
France, qui, au mois d'avril dernier, venoit d'éprouver
un nouvel outrage, envoya peu de temps après, en
secret, un seigneur de sa cour (1) avec une autorisa-
tion, de sa propre main, pour son Frère. Muni de ce
pouvoir, le Comte d'Artois vit l'Empereur à Mantoue,
et, après deux conférences, obtint de ce Prince une
promesse positive de 35,000 hommes de secours. On
avoit en même temps négocié en Suisse, et obtenu
un secours de 12 à 15,000 hommes. Les Rois d'Es-
pagne et de Sardaigne paroissoient favorables. Le pre-
mier avoit déjà fait filer des troupes sur la frontière ;
le dernier avoit promis 15,000 hommes. L'Empereur
avoit exigé une protestation formelle des Princes libres
de la maison de Bourbon , et une réquisition de se-
cours. Le temps qu'exigeoit le moyen de se procurer
des signatures des Rois d'Espagne et de Naples et du
(I) Le Comte de Durfort, depuis Duc de Civrac.
d94 LE ROI DE SUÉDE.
Duc de Parme, étoit le seul obstacle qui empéchoit de
fixer le moment pour commencer cette {grande entrer
prise. Les Princes de l*Ëmpire et les garants du traité
de Westphalie dévoient être requis pour prêter leurs
secours , et l'Empereur avoit promis d appuyer les dé-
marches du Comte d*Artois à la Diète, lorsque le Roi
de France crut trouver des facilités de pouvoir se sau-
ver de sa prison. Craignant les dangers où la liireiir
du peuple le mettroit , Lui et sa Famille , au moment
de l'attaque, s'il restoit à Paris, il ordonna à son Frère
de suspendre toute entreprise ultérieure jusqu'à noo»
vel ordre. Le Comte d'Artois se soumit à cet ordre
avec une résignation , une douleur et une obéissance
qui lui font également honneur. Son attachement et
son respect pour son Frère et son Souverain malhen*
reux sont de ces sentiments profonds et rares qui
sont cheE lui d'autant plus respectables qu'ils mat*
trisent un caractère ardent et enflammé du désir de
se signaler. Le Roi de France fit demander en même
temps des ordres pour le comte de Mercy, relativement
au plan qu'il avoit formé conjointement avec le mai^
quis de Bouille , qui étoit de rassembler sous Mont-
médy le plus de troupes possible , et qui dévoient être
jointes à la garnison de Luxembourg et aux troupes
impériales de Limbourg. Ce Prince devoit, au moment
de sa liberté, se mettre à la tête de ce corps et mar-
cher droit à Paris. Il est trop connu de l'Europe, l'é-
vénement qui dérangea ce pian , et qui replongea œ
malheureux Prince, la Reine et le Dauphin , son fiils,
dans une prison plus dure encore , et leur fit éprouver
des affronts qui, par leur nature, rejaillissent sur toutes
LE ROI DE SUEDE. 399
les têtes couronncies. Monsieur et Madame furent les
seuls de ces illustres înfortuni^ qui, plus heureux,
échappèrent de leurs fers. Le Roi de France , en par*
tant de Paris, avoit laissé une déclaration ou protesta*
tion contre tout ce qui s'étoit passé depuis l'ouverture
des États {«énéraux, et il avoit chargé le comte de Fer-
sen , le seul seigneur qui 1 avoit accompagné hors de
Paris, d'une lettre pour l'Empereur, qu'il envoya (ks
comte de Fersen) de Bondy remettre à M. de Mercy^
pour l'envoyer à l'Empereur, en cas qu'il eût le mal-
heiu* d'être repris. Ce malheureux événement ayant
changé la face des affaires, et les troupes de M« de
Bouille , plutôt effrayées de la prise du Roi que cor-
rompues, s^étant dispersées, le marquis de Bouille et
la plus nombreuse partie des officiers de tous les corps
sous ses ordres passèrent la frontière et se mirent, à
Luxembourg, sous la protection de l'Empereur. Alors
il fallut reprendre le plan formé par le Comte d'Artois.
Monsieur, devenu le premier seigneiur du saoç
(terme juridique de France) , fit examiner par les pre-
miers magistrats de France, par des pairs, grands
officiers de la Couronne, archevêques et évéques, tous
réfugiés à Bruxelles, ses droits. Il fut convenu, d'une
voix unanioM, €|ue, par les lois de France, par la cap-
tivité <lu Boi et du Dauphin, Monsieur étoit, de droit
et, ipso fmcio, Rég^t de France; qu'il pouvoit, qu'il
devait même prendre cette qualité, et que tout ce
qui émaneroit de lui devoit être regardé comme de
droit émané de l'autorité du Roi même ; qu'il n'avoit
besoin d'aucun acte, d'aucune formalité préalable, et
qu'il entroit en exercice |iar devoir même de son droit,
3M LE ROI DR Sn
dès que la captivité du Hoi et du
ëtoit constatée. C'est d'après relfi
sieur a envoyé nn lioninin <le (|r
ponr l(! prévenir de son droit, et •'
étoit de prendre mi plus tût la qnii'
donner pins de poids ù la sgiiIp ''
reste, et qu'il a eK[>édié, conjointemc
des a{[cnts ]>oiii' (continuer les iié(rnr-i
mencées. Par le droit du Ité^yent, i'
ministère (|ui, rassembla nt dans une >
négociations et mesures à prendre, •'
semble aux atTiiires, qu'elles n'ont pas ■
que le eonite il'Ai'tois seul, et ne pouvir
d'un droit évident ni prouver ta eaptiv-
jouissuit encore d'une sorte de liberté '
voyoit souvent contrarié par des né{;o(-i
sales émanées des Tuileries, et qui, en '
la marche des affaires, en retaixloient la i-
par une suite de ce nouvel ordre de clu.-
deux Princes ont reyardé comme csS4ïnliei ,
ces de leur cause d'intéresser f'Impéralhei.'
surs qu'un aiissi {;rand nom, si lon{jteni|).s .
sion d'imprimer le respect et la terreur, i.,
à de grands secours. Instniits do l'amitié el i.
fiance qui rtignoient entre la Suède et la llu^.
l'éloigncment ne pouvant s'adresser dirc^.
l'Impératrice, ils se sont adressés au Rtn . ^^
lui ont confié leurs intérêts auprè* d'fiUo, ^^
sant ce Prince de rnutortsatîon aotbeulij^
on a laissé pccmlre
Baron de
LE ROI DE SUÈDE. 397
en même temps en France par plusieurs endroits
différents, en obsei^vant cependant de porter une assez
grande masse par les différents points, pour éprouver
une moindre résistance. Les troupes de l'Empereur
(que ce Prince a promises au Comte d'Artois, pro-
messe renouvelée par l'Empereur à la Reine sa sœur,
et dont on a vu l'original écrit de la main de ce
Prince), fortes de trente à trente-cinq mille hommes,
entreront par la Flandre, tandis que douze a quinze
mille Suisses entreront en Franche-Comté ; que quinze
miUe hommes , sous les ordres du Roi de Sardaigne,
attaqueront le Dauphiné, et que vingt mille hommes
des troupes du Roi d'Espagne, qui menacent déjà
l'Assemblée Nationale du côté des Pyrénées, entreront
par là dans le Royaume, et que les Princes de l'Em-
pire et les Impériaux du côté de l'Alsace et de Brisgau
attaqueront la France. On a même des notions qu'on
croit sûres, que le Roi d'Angleterre, loin de s'opposer
à une pareille attaque, resteroit parfaitement neutre,
ou qu'il se dédommageroit (ce qu'on ne peut empêcher)
sur les Antilles françoises de l'inaction qu'il voudra
bien conserver. M. de Calonne est passé pour cet effet en
Angleterre, et on se flatte même (il est vrai que des
expressions échappées au Roi d'Angleterre y donnent
quelque lieu) qu'il pourroit bien permettre à une partie
des troupes hanovriennesde renforcer l'armée de l'Em-
pire ; et l'on croit que l'Empereur négocie avec le Roi
de Prusse, pour qu'il joigne ses troupes de Westphalie
à la masse de celles des Souverains qu'on espère armer
en faveur d'un Roi opprimé. Dès que les Princes se
trouveront sur terre françoise, ils assembleront autour
398 LE ROI I>E SUÉDE.
d'eux les Pairs, g^rands officiers de la Couronne, arche-
Yéques, évéques, et magistrats des Parlenieiits ; et là,
après avoir fait déclarer la R^ence, Monsieur donnera
une assurance de conserver les anciennes lois du
Royaume, et les droits des différents ordres, et réinté-
grrer les Parlements. Il n*est pas doutenx que la terreor
et la confusion, la dissension et le désordre qae les
mouvements populaires entraînent, joints aux lenteurs
et au peu de secret qu'il est impossible de conserver
dans une délibération d'un Corps, ne favorisent Fat^
taque des Princes , et il est à croire que les succès
suivent leur entreprise. Tels sont les projets, lés plans
et les moyens des Princes. Il ne reste maintenant qu'à
mettre sous les yeux de la Princesse la phis éclairée du
siècle quelques considérations, qui ne peuvent échap-
per à sa pénétration, mais qui sont également néces-
saires à détailler. Il faut, pour la réussite de cette
entreprise, un chef suprême , qui par son rang , son
désintéressement, et l'unité qu'il peut mettre dans
toutes les c^pérations, y donne plus de célérité. C'est
un bien grand honneur que ie suffrage de l'Impéra-
trice, et une grande présomption en sa faveur, la con-
fiance des Princes François s'y joignant, et il scroit
difficile à se refuser à des titres si flatteurs ; mais il
faut une grande masse de forces qui ne dépendent qme
de foi et de l'Impératrice, qui, dirigées par Elle et
commandées par lui, lui donnera le poids nécessaire
d'une autorité qui ne dépendit pas uniquement de ta
confiance. Seize mille Suédois, joints à six mille Ri^»ses
transportés sur des vaisseaux suédois et russes imîs
ensemble, dans le port d'Ostende , portés ensuite itans
LE ROI DE SUÉDE. 399
le pays de Liège pour former, avec les troupes de
Hesse et les Palatins, le centre de cette ligne, dont la
droite sera vers Dunkerque et la gauche vers Stras-
bourg, feront que le Nord décidera de cette entre-
prise, du succès de laquelle le sort de tant d'États
dépendra.
Il paroit nécessaire, lorsque la Suède et la Russie
s'unissent par une alliance posée sur les principes de
rintérét commun, de donner au Nord un poids décidé
en Europe ; fondée au reste sur Tamitié et la confiance
personnelles des deux Souverains, que le premier effet
de cette alliance paroisse aux yeux de l'Europe par le
poids considérable qu'elle portera sur l'affaire la plus
importante du Midi. Il paroit que la gloire de l'Impé-
ratrice (qui pendant tout le cours de son règne a tou-
jours pris part à tous les événements de l'Europe) soit
intéressée a ne pas laisser perdre l'attention qu'Elle a
fixée sur Elle. Il est également intéressant et essentiel
que la nouvelle alliance du Nord donne, dès son com-
mencement, une grande idée d'elle, et l'on croit ne
pas avancer un paradoxe, de dire que plutôt de rester
spectateur indifférent de ce qui va se passer, il seroit
mieux et plus utile pour la considération de l'alliance du
Nord (quelque contraire aux principes des deux Souve-
rains et même immoral qu'il le seroit) , de prendre le
parti de l'Assemblée Nationale contre les Princes ,
que de rester neutre et inutile ; car du moins alors se
feroit-on craindre. Si, contre toute probabilité, l'As-
semblée Nationale avoit le dessus, on pourroit espérer
un allié utile ; mais en restant indifférent , le Midi
oublieroit le Nord, ce qui est trop impolitique, sa con-
400 LE ROI DE SUÉDE.
sidération , même d 'opinion , étant une chose plus
essentielle à conserver que le vulgaire n'en juge.
D'ailleurs, il pourroit arriver que les Puissances,
telles que l'Angleterre, la Prusse et l'Autriche, au
milieu de la contre -révolution commencée, eussent
quelques velléités de profiter du malheur de la France,
et pour se dédommager des frais ne convinssent d*un
partage qu'on ne pourroit prévenir ; qui seroit égale-
ment destructif pour la balance de l'Europe, qu'il (qui)
seroit funeste pour la considération du Nord qui ne
pourroit ni l'empêcher, ni en profiter ; ce qui ne pour-
roit arriver si les alliés du Nord, avec une force à eux,
tiendroient la balance entre ces différents intérêts, et
leur imposeroient également par l'exemple de leur
désintéressement et par l'empêchement local qu'ils
pourroient opposer à de tels projets. Au reste, il pareil
que pour fortifier l'alliance du Nord, le projet a été d'y
faire accéder la France et l'Espagne. Il ne peut donc
pas être indifférent à la Russie de rendre à la maison
Royale de France des services qui lui méritent sarecon-
noissance; et il est conforme et au caractère connu de
l'Impératrice et à son intérêt que ces services soient
considérables et non médiocres. Et rien ne peut être
plus méritoire dans ce moment que d'aider par des ser-
vices pécuniaires la Suède a mettre ses troupes en mou-
vement et d'y joindre ses propres forces (1). Rien
d'ailleurs ne donneroit une plus grande et plus juste
idée des ressources de l'Impératrice que de la voir au
(1) Voilà où Gustave III en voulait venir. Il était disposé à coni'
mander la coalition, pourvu qu*il touchât une subvention.
LE ROI DE SUÈDE. 401
milieu de la {][uerrc contre FOrient, unie aux Suédois,
venir du fond du Nord au secours du Roi de France ;
et si les secours d'argent, nécessaires pour que la Suède
puisse mouvoir ses vaisseaux et ses soldats, pourroient
paroitre à la Russie onéreux en ce moment, il seroit
aisé d*en faire garantir une partie comme dette de la
France, pourvu que la munificence de l'Impératrice en
fit les avances. Il faudroit donc joindre à la rade de
Gothembourg ou dans le Sund , aux vaisseaux suédois
des vaisseaux russes, ce qui ne seroit ni embarrassant
ni coûteux pour Tlmpératrice, puisque tous ses vais-
seaux sont tout équipés à la rade de Gronstadt. Cette
escadre, sous le commandement du roi de Suède, por-
teroit les seize mille Suédois et les six ou huit mille
Russes dans le port d'Ostende, où ils débarqueroient
avec le consentement de l'Empereur, si avant ce temps
on ne pouvoit s'assurer de quelque port de France.
Elle devroit partir, vers la fin d'août, des côtes de
Suède pour être, au commencement de septembre, arri-
vée à Ostende : c'est de là que, se rendant par la
Flandre, soit sur le centre droit, soit sur l'aile droite
de l'armée combinée, ils feront respecter le Nord au
Midi, et contribueront à étendre la gloire de Cathe-
rine II et de la Nation qu'Elle gouverne, ainsi que de
l'allié qu'Elle va acquérir. Et une fois en pays françois,
l'entretien des troupes sera aisé, et se fera aux dépens
du pays dont la révolte a exigé ces efforts. Portant sa
marche sur Paris , on détruira le mal dans son centre.
Voilà le plan qu'on soumet à l'approbation de l'Im-
pératrice. Cette Princesse verra en tout qu'on a suivi
le chemin qu'Elle a tracé, et qu'on sera autant flatté
TOMB m. 16
402 MADAME ELISABETH.
de son sufFrage qu'on sera ardent à soutenir la gloire
de ses armes et empressé de suivre pour l'exécution ses
avis. Les résolutions dignes de Catherine II doivent
être prises avec célérité, et on les exécutera de même.
La fortune, constante à seconder ses entreprises, ne
l'abandonnera pas dans la plus juste, la plus noble et
la plus désintéressée.
DLin
MADAME ÉLISAUETII A MADAME DE BOMBELLES.
Elle est sensible aux marquc« (rainitic, surtout en ce moment. — Le
Roi et 1.1 Reine sont (jardés à vue. — La loi sur l'éniigration est
très-sévère.
Dans la seconde partie, écrite en encre Aympathiqtie, elle dit
qu'il faut s'abandonner entre les mains de Dieu et qu'on va engager
le Comte d'Artois à en faire autant. — Ce qu'a été le voyage de
Varcnnes à Paris avec Barnavc et Péthion.
Ce 10 juillet 1791.
J'ai reçu votre petite lettre, ma chère Bombe; j*y
réponds de même. Quoique nous différions d'opinions,
les marques d'amitié que vous m'y donnez me font un
bien grand plaisir. Tu sais qu'en général j'y suis sen-
sible, et tu peux juger si, dans un moment commi
celui-ci, Tamitié ne devient pas mille fois plus pré
cieuse. Tu as une mauvaise tête ; ménage-la, mon cœur
tranquillise-toi : tout ce qui t'intéresse se porte bien
Que la petite trouve dans ce billet tout ce que je
puis exprimer. Le mot qu'elle a mis dans ta lettre m'a
MADAME ELISABETH. 403
fait aussi un grand plaisir. J'espère qu'elle n'en doute
pas. Paris et le Roi sont toujours dans la même posi-
tion : le premier tranquille , et le second gardé à vue
ainsi que la Reine. Même, hier, on a établi une espèce
de camp sous leurs fenêtres, de peur qu'ils ne sautept
dans le jardin, qui est hermétiquement fermé, et qui est
rempli de sentinelles, entre autres deux ou trois sous ces
mêmes fenêtres. Adieu, mon cœur, je vous embrasse
tendrement ainsi que la petite. On dit que l'affaire du
Roi sera rapportée bientôt et qu'après il aura sa liberté.
La loi pour les émigrants est très- sévère ; ils payeront
les trois cinquièmes de leurs biens.
Ici la Princesse continue en encre sympatidque :
Non, mon cœur, je suis bien loin de permettre votre
retour. Ce n'est pas assurément que je ne fus charmée
de vous voir, mais c'est parce que je suis convaincue
que tu ne serois pas en sûreté ici. Conserve-toi pour
des moments plus heureux, où nous pourrons peut-
être jouir en paix de l'amitié qui nous unit. J'ai été
bien malheureuse-; je le suis moins. Si je voyois un
terme à tout ceci , je supporterois plus facilement ce
qui arrive ; mais c'est le temps de s'abandonner entiè-
rement entre les mains de Dieu , chose en vérité à faire
par le C** d'Artois. Nous devons même lui écrire pour
l'v engager. Nos maîtres le veulent. Je ne crois pas que
cela le décide. Notre voyage avec Barnave et Péthion
s* est passé le plus ridiculement. Vous croyez sans
doute que nous étions au supplice; point du tout. Ils
ont été bien , surtout le premier, qui a beaucoup d'es-
26.
404 MADAME ELISABETH.
prit et qui n'est point féroce comme on le dit. J*ai
commencé par leur montrer franchement mon opinion
sur leurs opérations, et nous avons, après, causé le reste
du voyage , comme si nous étions étrangers à la chose.
Barnave a sauvé les gardes dli coips qui étoient avec
nous, que la garde nationale vouloit massacrer en arri-
vant. On dit qu'à (Le reste manque.)
Le 18, la suppression des char(jcs de la maison du Roi et
de la Reine avait été prononcée.
Le 21, fiiite du Roi.
Le 22, proclamation de TAssemblôe Nationale aux Fran-
çais, snr les circonstances dans lesqnelles l'a placée la fuite
de la famille royale. Le même jonr, à 9 heures du soir, le
président communique à rAssemblée Nationale une lettre
de la municipalité de Yarennes annonçant Tarrcstation du
Roi. Le 2^), elle envoie trois de ses membres pour accompa-
gner le Roi à son retour.
Le 25, r Assemblée pour\*oît, par des mesures législatives,
à la sûreté du Roi, à la garde particulière de l'héritier pré-
somptif de la Couronne, et rC»gle la manière dont seront
reçues les déclarations du Roi et de la Reine.
Le 8 juillet, loi sur la conservation des places de guerre
et la démarcation des pouvoirs entre l'autorité civile et l'au-
torité militaire, entre les troupes de ligne et les gardes natio-
nales, enfin sur l'état de siège des villes et la suspension de
l'autorité civile [Kîndant la durée de cette mesure.
Le 9, injonction aux émigrés de rentrer sous trois mois,
à peine de triple imposition.
LA REINE DE SARDAIGNE. M5
DLIV
LA REINE DE SARDAIGNE,
SOEUR DE MADAME ELISABETH,
A MADAME DE BOMBELLES.
Vives tendresses et prote.<<tations d'niuitic. — Elle lui donne des nou-
velles de Madame Klisaheth. — Cette Princesse aurait pu quitter la
France en prenant une autre route; mais elle s'est sacrifiée à ses
devoirs. — Madame de Coëtlogon.
A Montcallier, ce 13 juillet 1791.
Je n*aurois certainement pas tardé aussi lon{;temps ,
ma chère amie, à répondre à votre chère lettre, qui m*a
causé la plus sensible joie, si je n*avois pas été aussi
agitée par les cruels événements qui mettent le comble
à nos malheurs et à votre profonde douleur. Je n'ai pas
de peine à juger de l'impression qu'ils auront faite sur
vous; mais par là même, j'en suis très-inquiète pour
votre santé, et vous demande en grâce de ne pas tarder
à m'en donner des nouvelles, que j'attendrai avec la
plus grande impatience. Vous êtes bien aimable de me
prier de vous donner quelquefois des miennes. Ah !
ma chère Angélique , ce sera toujours avec im véritable
plaisir que je me rappellerai à votre souvenir, et vous
renouvellerai les assurances de cette ancienne et tendre
amitié, qui nous a unies dès notre enfance, dans ces
temps heureux où nous goûtions le bonheur, et dont le
souvenir est pour moi bien doux, mais bien mêlé d'amer-
tume. Dites-moi aussi, je vous en conjure, ma clière
406 LA REINE DE SATIDAIGNE,
Angélique, que vous m'aimez toujours et me conserve-
rez toujours cette amitié qui m'est bien précieuse ; et
soyez bien sûre que la mienne pour vous n'aura d'autres
bornes que celles de ma vie. Je ne sais si vous avez eu
des nouvelles de ma sœur depuis cette fatale époque (1) ,
qui vous aura aussi bien alarmée pour elle. Ainsi, je
me hâte de vous mander que j'en ai déjà reçu deux:
lettres datées du V et du 4, où elle m'assure qu'elle se
porte bien, ainsi que tous ceux qui m'intéressent, et
que ces quatre jours de fatigue de corps et d'esprit n'ont
point influé sur leur physique, ce qu'elle regarde comme
un miracle de la Providence. Oh, que vous avez bien
raison de regretter qu'elle ne fût pas à Turin ! Que
n'a-t-elle du moins pris la même route que Monsieur
et Madame! Mais elle sat [s'est] absolument dévouée et
sacrifiée h ses devoirs, et il est impossible que le bon
Dieu ne l'en récompense pas.
Madame de Coctlogon m'a priée de vous faire mille
amitiés de sa part, et de vous bien reprocher de ce que
vous n'avez pas répondu à la lettre qu'elle vous a écrite
avant votre départ de Venise.
Je vous adresse celle-ci à Stuttgardt, espérant, au.^
cas où vous en fussiez partie, que M. votre Frère vou^^
la renverra, et je vous prie de me marquer dorénavai
où je dois vous les adresser. Adieu , ma chère amu
pensez souvent à moi, je vous en conjure. Aimez-m^^/
toujours, et ne doutez jamais de la tendre, sincère ^
inviolable amitié avec laquelle je vous embrasse de ton/
mon cœur.
Mabus-^Glotilde.
(1) Le retour de Varcnncd.
LE COMTE DE PROVENCE. 407
DLV
LE COMTE DE PROVENCE AU ROI DE SUÈDE (1).
Son espoir clans les négociations suivies par Gustave III. ^- Entrevue
avec M. de Bouille : raccord n'a pas été complet. — La Reine a
donné de ses nouvelles, mais sans détails.
A Schonburnlust, ce 16 juillet 1791.
Monsieur mon Frère et Cousin,
Votre Majesté ne se déraent jamais; j'ai reçu avec
autant de plaisir que de reconnoissance la lettre qu'Elle
a bien voulu m'écrire et la copie de ses ordres. Les
négociations dont Elle veut bien se charger ne peuvent
qu'être couronnées par le succès, et quand l'intérêt
personnel de chacun des Souverains de l'Europe ne
seroit pas aussi évident qu'il l'est dans cette affaire,
l'exemple de- Gustave III suffiroit seul pour les déter-
miner à agir promptement et efficacement. Nous avons
eu des nouvelles de l'Empereur, qui semble prendre la
nouvelle du crime, dont mes aveuglés compatriotes
viennent de se rendre coupables, en frère et en Roi. —
M. de Bouille a passé ici dimanche , nous avons eu
deux conversations, le Comte d'Artois et moi, avec lui ;
dans la première , nous n'avons pas été parfaitement
d'accord, mais dans la seconde, il étoit beaucoup plus
(1) Original autographe. Archives du Ministère des Affaires Étran-%
grres, à Stockliohn.
26'
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Vtère
«»«^"" d.V»"'«'i*:,^«elO«--
LE nOI J)E SUEDE. 401^
DLVI
MEMOIUK
£\VOYK PAR LE ROI DE SUÈDI:: AI' ROI u'eSPACNK ,
SIR LES AFFAIRES DE FRANCE (I).
Aix-Ia.Cliai)eIle, le 1(> juillet 1791.
Le Roi de Suède, qui joint au titre du plus ancien
allie de la maison royale de France celui de Tami le
plus sincère du sang des Bourbons, n'a pu voir qu'avec
la plus vite douleur et suivre avec l'attention la plus
inquiète les désordres et les révoltes qui ont renversé
le trône de Louis XVI. Trop occupé à défendre son
royaume contre ses ennemis extérieurs, et de soute-
nir son trône contre l'esprit turbulent de quelques
factieux, le Roi n'a pu, jusqu'au moment de la signa-
ture de la paix de Verclâ , s'occuper des soins que son
amitié pour le Roi Très-Chrétien et l'intérêt de tous
les Rois lui prescrivoient ; mais, dès que la tranquillité
intérieure et extérieure a été rétablie dans ses États,
Sa Majesté a songé à tous les moyens qui dépendoient
de lui , pour procurer au Roi de France des amis et
des secours. Le Roi trouva pour premier obstacle la
présomption incertaine de la volonté du Roi de France.
Dne apparente lil>erté prétoit à l'Assemblée Nationale
des forces par le nom du Roi, dont elle se servoit
oontre lui et ses vrais intérêts pour autoriser les dé-
(1) Minute oi'if'inale, oorn^^ée <le In main du Roi de Suède, Archive»
du Minùtèi^ des Affaires Étrangères, à Stockbuloi.
410 LE ROI DE SUEDE.
marches les plus fimestes à ce Prince et consacrer par
son nom les attentats des factieux. Ce fut ces objec-
tions que rimpératrice de Russie présentii aux repré-
sentations du Roi pour concourir au secours du Roi
Très-Chrétien, qui détermina le Roi d'employer tout
pour engager Sa Majesté Très-Chrétienne de se déli-
vrer des fers où il étoit retenu, de montrer à l'Europe
entière ses vrais sentiments, sa situation malheureuse,
et par là de mettre ses amis dans l'état de le seconder
avec plus d'activité. Le Roi travailla, en même temps,
à une union plus étroite avec la Russie , dont la base,
fondée sur une estime et un intérêt réciprotfues, doit
nécessairement faciliter la réquération de la France,
(Les mots soulignés sont ajoutés au crayon sur la co-
pie, de la main propre de Gustave 111.) Le Roi trouva
dans les sentiments élevés de l'Impératrice une fiaci-
lité (|u'il devoit attendre, et cette négociation impor-
tante touche presque à sa fin. Le Roi Très-Chrétien
cependant, convaincu de la nécessité de mettre sa per-
sonne en sûreté, entreprit de se délivrer de la capti-
vité où l'Assemblée le retenoit, et le Roi, instruit du
temps de l'évasion de la Famille royale de France, se
rendit îi Aix-la-Chapelle, pour offrir au Roi de France
sa personne et l'expérience que les troubles qu'il avoit
si souvent surmontés dans ses États lui avoient acquise;
et décidé de faire porter sur ses vaisseaux 10,000
Suédois, que le Roi tenoit tout prêts à s'embarquer sur
la flotte que le Roi , sous le prétexte de l'attente de la
flotte angloise dans la Raltique , avoit fait équiper, et
qui n'attendoit que les fonds nécessaires pour une en-
treprise si lointaine, et que la liberté de la personne
LE ROI DE SUÈDE. 411
du Roi de France lui eût bientôt fourni le crédit néces-
saire pour trouver. Le malheur arrivé à la personne
du Roi Très-Chrétien et à sa famille, loin de ralentir
le zèle du Roi, n'a fait que lui donner une nouvelle
ardeur. Le Roi n'a attendu de s'expliquer clairement
que de savoir les impressions que la première nouvelle
de l'attentat commis à Varennes a faite sur l'esprit de
l'Empereur ; et depuis que le Roi est instruit que l'Em-
pereur est décidé de ne point abandonner sa sœur et
son beau-frère ; que le Roi sait qu'il est question d'en-
gager le Roi de Prusse à concourir à cette cause de
tous les Souverains , le Roi croit ne devoir pas perdre
1^1 moment pour y concourir, et que le Roi d'Espa-
gne, le premier souverain de la maison de Bourbon,
est le seul des Princes du Midi à qui il doit s'adresser,
et à qui ij peut s'ouvrir sans détour. Le Roi propose
donc à Sa Majesté Catholique de transporter sur ses
vaisseaux, soit du Sund, soit du port de Gothembourg,
16,000 Suédois pour débarquer dans le port d'Os-
tende, pour passer ensuite dans le pays de Liège, et
sous son propre commandement , y réunir à sou corps
toutes les troupes allemandes que Sa Majesté pourra
engager à son service. C'est de là que le Roi veut pé-
nétrer en France, tandis que les troupes impériales
feront leur attaque de leur côté , et que Sa Majesté
Catholique menacera ou entrera par les Pyrénées en
France. Le Roi négocie en ce moment avec les Princes
d'Allemagne. Il croit pouvoir obtenir 12,000 Hessois,
qui, joints aux Suédois et à des troupes de 1,000 à
2,000 hommes de divers Princes de l'Empire , qu'on
engagera par pelotons, formeront un corps assez con-
\
1
^^*' *^ mètae d'eoSaS*^ ^^e sera sig"^' ^e \e9
Oise ftatie ^^«'^^..e 1^-^ «^f ,,, Suéd-:'.; Sail-
mettre \r^^f2e seo^'''^ *'" , un covÇ^ 'par son
. ratVvoU'P® , „ d'avoir «* .,pc an»» î ,\»
i^''' I de Bonv^«« J ^,„„ Vr.nce q .^^^^^e
\a «'"*' , sous \c« "^*7 ,^ sAtua^o^ , «^ au ^"^
^"^^^^; Vautres ^^^^^%^ sa V^^ "st enco- -
''":! da«s ^"-^^eu-nt , et q« ^^;;^ ^.ance un
pressant P° „^. «ssex c»"** «\ pourro^"''. «aetésVs^
VEspoG"
LE nOI DE SUEDE. 413
ronne de France, et Sa Mnjestu iittend de Sa Majesté
Catholique lu même coiifiiinre <jue le Riii met <■» Elle.
Le Roi engage sa foi de Roi et sa parole de {jeiitrl-
homme que les fonds qu'on lui confiera ne seront em-
ployés qu'an but auquel ils sont destinés. I.e Rui ati-
roit donc besoin d'un secours de douze millions de
livres tournois pour les piemicrs six mois et le trans-
port de ses trou|>rs et leur marcbo vers la frontière
de France, dont il lui sufBra de toucher six milli(ms
dans le premier moment, — et le Roi suuliaite une
autorisation de Sa Majesté Catholique pour garantir
les promesses qu'il pourra faire aux Princes de l'Em-
pire, et même les avances qu'ils ]i(Hirront exiger.
Le Roi vient de confier ii Sa Majesté Catholique S4?s
plus chers intérêts. H attend une confiance éyale, et
surtout une réponse prompte. Le temps s'avance, et
si l'on ne vient dans le courant de septembre au se-
cours de la France, il faut y renoncer. Le Roi craint
iqu'alors les Puissances étrangères se verront forcc-es
de traiter avec l'Assemblée Nationale et la reconnoftre,
ce qui porteroit le dernier coup à la Maison de France.
Le Roi doit ajouter que Sa Majesté est assurée que le
Roi d'Angleterre (si même avec les Hanovriens il
n'aide le Roi) ne mettra aucun obstacle aux secours
qu'on portera à la France.
414 MADAME ELISABETH.
DLVII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
On a tiré sur \v peuple par ordre de rAsserobléc. Depuis ce moment)
on jouit du calme , par la déroute de l'armée des sans-<;uIottes. —
Nouvelles qui courent d'une intervention étrangère pour empêcher
rétablissement de la Constitution.
La Princesse finit sa lettre en enXrc sympathique. Elle pente
qu'il faut qu'on accorde une confiance absolue au Comte d'Artois.
— Danger de prétendre arriver par des chemins différents et une
politique diverse à un même but. — Elle espère dans les Puissances
étrangères, à qui les événements récents ont dû donner une
secousse. — Elle redoute l'Angleterre et la Pi-usse. — Espoir que
les officiers qui ont accompagné le Roi et sa Famille à Varennei
seront sauvés.
Ce 23 juillet 1791.
J'ai reçu ta lettre, ma chère Bombelles, qui m'a fait
grand plaisir; je suis seulement fâchée de n'avoir pas
le temps d*y répondre longuement, mais étant en
retard pour d'autres lettres, il faut que je les abrège ;
tu y verras toujours mes sentiments pour toi.
Nous avons eu beaucoup de mouvement l'autre jour,
qui étoit dimanche; on a été obligé de tirer sur le
peuple, par ordre de l'Assemblée ; il y a eu, dit-on,
cent cinquante hommes tués (1). Aussi, depuis ce
moment-là, tout est tranquille, l'armée des sans-
(1) Il s'agit de l'émeute du j 7 juillet au Champ de Mars , où Ton avait
signé sur l'autel do la Patrie une pétition à 1* Assemblée pour obtenir
que la nation fût consultée sur la déchéance du Roi. Il est question
de cet événement ù la suite de la lettre de Madame Elisabeth, en date
du 18 juillet 1791, au tome précédent.
MADAME ELISABETH. 415
culottes étant un peu en déroute. On dit que l'Assem-
blée ayance son grand ouvrage de la Charte constitu-
tionnelle, mais il ne sera pourtant présenté que dans
un mois.
Ta mère se porte bien , elle se promène souvent
avec ma nièce dans ce grand et triste jardin qui est
fermé depuis notre retour. On fait cent histoires sur
les Cours étrangères, on prétend que le comité ecclé-
siastique a reçu la nouvelle qu'elles vouloient s'opposer
à notre nouvelle Constitution. Tu conviendras que cela
seroit étrange, car la paix et le bonheur dont chaque
individu jouit en France devroient faire envie aux Puis-
sances étrangères.
Je t'adresse cette lettre encore à Stuttgard, parce que
je suis convaincue que ton mari, à force de tourner dans
les environs , te laissera aux couches de la petite.
Quand est-ce qu'elles doivent avoir lieu, et comment
va sa poitrine? Nourrira-t-elle? en aura-t-elle la force?
Adieu, je t'embrasse de tout mou cœur; dis-lui bien
des choses.
La Princesse use (f encre sympathique pour écrire ce qui
suit :
Tu croiras sans peine que c'est avec une joie extrême
que j'ai appris la nouvelle de ton beau-frère. Je l'ai dit
à la R. et au Roi , ainsi que ce que tu me disois pour
ton mari. Dans ce moment, on ne fait rien du tout;
mais puisque tu m'as chargée d'en parler, il faut que je
te parle franchement. Je t'avertis que je ne me charge
de faire passer aucun ordre à ton mari, que je n'aie la
certitude que mon frère sera d'accord avec tout ce que
\
\
i «ndttite W^ *'\^ àe *««* ^ frère- 3«
»»*' '"^ "1^' ^ ""l «>»^""" !r«.e»« ""
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tootx^"
eut-
tot^V
MADAME ELISABETH. 41T
DLVIII
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES.
Elle rrproclie h Madame de lîomliclhvs de lui avoir caché soq indis-
position. — Détails intimes sur la santé de la Princesse. — La
Cbarte avance, mais ne pourra être présentée au Roi avant quinze
jours.
La Princesse ajoute en encre sympatliique qu'elle craint que si le
Roi accepte la Constitution il ne {jène par là l'acti(m de l'Empereur
cl des autres Puissances. — Elle se méfie de la faiblesse du Roi : il
n'y a <respoir qu'en Dieu. — Demande de conseils à l'Empereur.
— Manière dont le Roi et la Reine supportent leur ca])tivilé.
Ce 28 juillet 1701.
Pourquoi donc ne m'as-tu pas mandé que tu avois
mal aux oreilles, que l'on t'avoit mis du saint bois ?
Cela n'est pas bien. Souffres-tu encore beaucoup, et
ton pauvre doijjt est-il guéri? Tu es bien aimable de
m'avoir écrit, tout eu souffrant comme ime béto. On
dit que c'est vraiment fort douloureux, un mal d'aven-
ture ; ton ongle est-il tombé ? Parle-moi en détail, je te
prie, de tes maux, afin que j'y prenne part ou que je
me réjouisse de ta guérison, ce que j'aimerois beau-
coup mieux. As-tu eu des nouvelles de ta pension sur
Naples? Je l'espère, car enfin tu devrois avoir tou-
ché deux quartiers, et, dans la position où tu te trouves,
cela est nécessaire. Ta mère m'a dit qu'elle te faisoit
passer ce que tu devois recevoir d'ici, qui t'est dû par
Léo Ta mère a encore eu le dévoiement hier, et ta
princesse le possède aussi ; mais tout cehi fait du bien,
TOME m. 27
418 MADAME ELISABETH.
cela chasse les humeurs, et tu conviendras que Ton a
besoin d'en être purgé.
La Charte avance ; mais on croit qu'elle ne paroîtra
que dans cinq ou six jours ; ce qui fait qu'elle ne sera
présentée à la sanction que dans quinze. Il faut que
l'Assemblée en ait entendu la lecture , et peut-être
discuté quelques articles. Mais adieu, ma Bombeli-
nette, je, m'en vais dîner; ne te fâche pas que je finisse
aussi promptement. Je t'embrasse et t'aime de tout
mon cœur.
J'espère que tu seras contente de moi aujourd'hui,
et que tu n'auras pas de peine à lire ma charmante
écriture.
La Princesse poursuit sa lettre en encre sympathique.
Je ne puis vous dissimuler, ma chère Bombe, que la
nouvelle que tu me donnes me fait un sensible plaisir.
[Je] n'entends parler d'aucune plainte formée par
Léopold. Je ne savois qu'en croire; mais dans quel
temps à peu près Dieu prendra-t-il pitié de nous? Si
le Roi signe la charte constitutionnelle , cela ne déran-
gera-t-il pas les moyens des Puissances pour le sauver?
Je lui ai montré ta lettre, ainsi qu'à la Reine, je sou-
haite qu'il soutienne le langage qu'il doit tenir. Mais
veux-tu que je te le dise franchement? Je frémis du
moment où le Roi sera dans le cas d'agir. Nous n'avons
pas ici un honune de tète en qui l'on puisse avoir con-
fiance. Tu sens où cela nous mènera : j'en frémis. Il
faut lever ses mains vers le Ciel : Dieu aura pitié de
nous. Adresse^toi au cœur de Jésus pour lui demander
MADAME ELISABETH. M9
d'avoir pitié de nous. Ah! que je voudrois que d'autres
que nous s'unissent aux prières ferventes qui lui sont
adressées par toutes les communautés et par toutes les
S**"' de la France!
Si Léoj)oId pouvoit, par M. de Mercy, nous envoyer
des conseils, cela seroit bien utile; mais la crainte de
compromettre l'arrêtera, et nous donnerons encore
dans quelques pièges tendus sous nos pieds.
Nous sommes du reste assez bien. Le Roi et la Reine
supportent incroyablement bien leur ca[)tivité. Pour
moi, si je n'avois pas l'impatience de ce spectacle, je
serois comme avant le départ. Mais lorsque je me livre
à mes réflexions, et, bien plus, âmes craintes, je sens
que la vertu de la rési{jnation n'est pas mon fait. Adieu,
ma Bombe; que je serai heureuse si le Ciel me donne
de te voir bientôt! Continue à me donner des nouvelles
certaines.
n.
420 MADAME ELISABETH.
DLIX
MADAME ÉLTSARETH A MADAME DE BOMBELLES.
Le Boi a été ramené de Varcnnes. — Nouvelles rassurantes de la
santé de chacun.
Ce 29 juillet 1791.
Je n'ai pas pu vous écrire plus tôt, ma chère Bom-
belinette, et j'en ai été désolée, parce que sûrement on
vous aura fait mille histoires sur tout ce qui s'est passé.
Le fait est que le Roi a été ramené samedi de Va-
rennes ; que lui, sa famille et tout ce qui étoit avec
lui se portent bien ; que Paris est tranquille, et que si
le Roi n'étoit pas retenu chez lui ainsi que la Reine, on
pourroit croire que tout est dans l'ordre accoutumé.
Votre mère n'étoit point avec le Roi ; elle se porte
bien, je la vois peu, parce qu'il n'est pas facile de
s'approcher ; elle est maintenant dans le jardin avec
Madame, Adieu, mon cœur, je vous embrasse du fond
de mon âme.
I/EMPEREUR LÉOPOLD II. 421
DLX
L'EMPEREUB LÉOPOLD II A SA SOEDR
MARIE-CHRISTINE (1).
La chancellerie des A flaires Etrangères a fait partir les dépêches sans
lui demander ses lettres. — Il la remercie des détails qu'elle lui a
donnés sur le«î affaires de France et des Pays-Bas. — Tout le Bra-
baiit et le liainaut s'acheminent au Lien. — Surveiller les Français
sans aveu, qui abondent dans les Etats 13el{;i(jue8. — Tenir la main
à la discipline dans les troupes. — Instructions envoyées par Kau-
nitz au Comte de Mercy, sur les affaires de France. — Il fait sa
paix avec les Turcs et s'entend avec les (grandes Puissances. — Ne
rien faire de ce que les Princes français et les énii(]rés demande-
ront.— Fersen. — Le Roi de Suède. — Son fils l'Archiduc Charles
Le 30 juillet [179IJ.
Très-chère sœur, je vous écris parle courrier Lerden,
et vous aurez, je crois, été fort étonnée de ne pas avoir
eu de nnes lettres par le courrier Strauss. Mais le dé-
partement Ta fait partir sans m'en rien dire, et je ne
l'ai su qu'après son départ. Je supplée par celui-ci.
J'ai reçu exactement toutes vos lettres par les postes
et par les courriers, et vous suis infiniment obliffé de
tout ce que vousm'y avez marqué de détails tant sur les
affaires de France que sur les affaires des Pays-Bas.
Pour celles-ci, j'ai vu avec satisfaction que les inaugu-
rations se sont faites heureusement et convenablement.
(1) Ori{;inal auto{jraphe. Archives de Son Altesse Impériale et
Royale TArchiduc Albert d'Autriclie.
Cette lettre a déjà été imprimée dans les annexes du livre allemand
de M. Wolf sur Marie-Christine, t. Il, p. 242. Vienne, Gcrold, 1863.
422 L'EMPEREUR LÉOPOLD II.
et que tout, quant au gros et a l'essentiel, prend un
bon pli et s'achemine au bien et à la tranquillité. Les
États (le Brabant et d'Hainaut auront besoin encore
quelque temps qu'on y ait l'œil, ainsi que les ci-
devant membres, non moins que les chefs du parti
démocratique François, dont il faudra tâcher d'étouffer
tout principe dans les commencements, protégeant
plutôt le clergé en toutes les occasions contre eux. Le
grand nombre des François, surtout sans aveu, qui
sont chez vous, méritent aussi la plus grande atten-
tion, ainsi que les émissaire^ qu'on pourroit découvrir
de la propagande chez vous, qu'il faut tâcher de décou-
vrir et punir exemplairement. Il est également essen-
tiel, et je vous le recommande particulièrement, qu'on
in vigile (1) avec attention sur l'ordre et la discipline
dans les troupes, que sur ce point rien ne se relâche,
qu'on les exerce et qu'on les occupe, et que les officiers
y veillent avec le j)lus grand soin. J'ai vu et expédié
vos propositions sur le gouvernement et les employés!
rétablir. J'ai suivi vos propositions, comme vous devez
connoitre les personnes sur les lieux. Mais il m'a paru
qu'il y avoit une augmentation bien forte de personnes
et de gages, beaucoup déjeunes gens, et surtout des Sim-
pers, dont le cadet n'est pas aimé, et des parents de
Crumpipen d'avancés ; et je crains que plusieurs de
ces noms et personnes étant odieux au public, cela ne
donne lieu à des désagréments et à des animosités per-
sonnelles que je vous prie de tâcher d'empêcher en
toute occasion.
(1) Veille.
L'EMPEREUR LÉOPOLD II. 428
Pour les affaires de France, vous aurez vu, par les
dépêches et instructions que le prince de Kaunitz a
envoyées au comte de Mercy et qu'il a eu ordre de vous
communiquer, toutes mes intentions. On ne peut y rien
faire que par le concours et langaf^e uniforme de toutes
les Cours, et par un concert ou congrès à tenir où on
convienne de ce que Ton veut proposer et exiger, des
déclarations qu'on veut faire et de la façon dont on
veut les soutenir par la force. J'attends les réponses
d'Espagne et de Londres sur mes propositions prélimi-
naires, et, en attendant, je traite avec les autres Puis-
sances. Je pousse l'Empire par les voies légales. Je fais
ma paix avec les Turcs, qui, à l'heure qu'il est, doit
être signée, et je forme une convention avec le Roi de
Prusse, la Russie et l'Angleterre , qui empêchera pour
toujours les guerres possibles et fera évanouir le Fur-
stenband; j'y mettrai la dernière main le 29 août, que
je serai à Pillnitz avec le Roi de Prusse. En attendant,
ne croyez rien , ne vous laissez induire à rien , et ne
faites rien de ce que les François et les Princes vous
demanderont, hors des pohtesses et dîners; — mais
ni troupes, ni argent, ni cautionnement pour eux. Je
plains bien leur situation et celle de tous les François
qui ont dû s'expatrier ; mais ils ne pensent qu'a leurs
idées romanesques et à leurs vengeances et intérêts
personnels , croient que tout le monde doit se sacrifier
pour eux, et sont bien mal entourés, témoin les papiers
de M. de Bouille et Galonné. Le colonel' Fersen, qui
devoit arriver ici, n'y est point venu. On dit le Roi de
Suède retourné chez lui, et je croîs qu'encore tout cela
n'est derechef qu'une rodomontade de sa part.
424 L'EMPEREUR LÉOPOLD II.
J'approuve entièrement ce que vous avez répondu
aux Princes François dans la session (rentrevue) que
vous avez eue avec eux, et je suis très-aise qu'étant
partis de chez vous, vous en soyez délivrés.
Je vous ai écrit par la poste tout ce qui regarde mon
fils Charles (1), son voyage et les gens à placer près de
lui. Ainsi, il ne me reste qu'à vous assurer de la bonne
santé de ma famille et de la mienne, malgré le travail
excessif auquel je suis obligé, et de vous prier d'être
persuadée du tendre attachement avec lequel je vous
embrasse et suis.
Mes compliments à votre mari : lorsque j'écris à vous,
c'est toujours pour tous les deux.
DLXI
L'EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (2).
[PADOUE, FI5 JUILLET 1791.]
Nouvelles diversoî». — L'Empereur passe toutes ses journées avec le
Conitc d'Artois et le Duc de Parme.
[Reçue le 2 août 1791.]
Très-chère Sœur, j'ai reçu votre chère lettre de
Dresde, et suis bien charmé de vous y savoir bien por-
(1) C'est Tillustrc Archiduc Charles, qui depuis a été le digne adver-
saire de Napoléon sur le champ de bataille, et qui avait été en grande
partie élevé auprès du Duc et de la Duchesse, de Saxc-Tcschcu , dont
il a été l'héritier. Né le 5 septembre 1771, il avait alors vingt ans.
(2) Original autographe. Archives de Son Altesse Impériale et Royale
l'Archiduc Albert d'Autriche.
MARIE-ANTOINETTE. 425
tante et contente, et vous suis infiniment obligé de tout
ce que vous m'y dites d'obligeant pour moi. Selon mes
lettres, les affaires aux Pays-Bas prennent bon pli, et
celles de Pologne que vous aurez apprises sont bien
étonnantes. Je crois que vous aurez bientôt des visites
aux Pays-Bas. Pour ici, je suis toute la journée avec le
comte d'Artois, le duc et duchesse de Parme ; voyez
comme cela est gai ! J'ai été malade de rhumes et de
maux de gorge; mais je suis mieux. Mes compagnons
de voyage et Charles se portent et se conduisent bien ,
et moi je vous embrasse tendrement et suis.
DLXII
LA REINE A MADAME DE LAMBALLE (1).
Elle a pu voir M. de Pau, nial{]ré la tlifHcultc de faire approcher de
soi les émissaires dévoués. — Le nioiiiciit est affreux, à cause de la
faiblesse des bonuêtes gens et de la perversité des eiineiiiis.
[Paris,] ce 3 d'août [1791].
Je désirois vivement, mon cher cœur, de voir M. de
B. (2) ; ce n'a pas été facile, car on est bien mal entouré.
(1) C«iliiiict de Madame la Princesse Clary-Aldriiigen, à Venise.
(2) Pierre-Louis, baron de liât/, ne en 1755, {;rand sénéchal du
pays et ducbé d*Albrct, député de la noblesse de Nérac aux Etats
généraux de 1789; bonnne actif, in{»énieux, fécond en ressources,
descendait du fameux Manaud de ]>atz, à qui Henri IV, alors Roi de
Navarre, écrivit de si belles lettres. Il siéjjca au côté droit de l'Assem-
blée et dirigea surtout ses études vers les finances. Louis XVI et
Marie-Antoinette l'employèrent, depuis cette époque, ii l'étranger,
42G MAEIE-ANTOINETTE.
Nous sommes parvenus enfin à nous rejoindre, et tout
a été entendu, quoique, à raison de Tembarras des
affaires, ce ne fût pas chose non plus aisée. Si donc
cela n'a pas été fait plus tôt, plaiguez-moi , mon cher
cœur. Par mon amitié , cela me fait peut-être plus de
peine qu'à vous. Quant aux affaires, le moment sera
affreux. Les honnêtes gens ne savent pas se soutenir
entre eux et laissent prendre le dessus à la mauvaise
classe. Les méchants seront toujours les plus forts par
défaut d'entente de nos amis. Nous faisons tous les
jours des découvertes pénibles dans nos services les
plus intimes, et beaucoup de gens à qui nous avons fait
sans cesse du bien hantent les clubs et y font des mo-
tions fiiribondes. Adieu, mon cher cœur. Vous savez
combien je vous aime.
Marie- Antoinette (1).
dans la diplomatie secrète, ainsi que Tont réréié les papiers de Tar»
moire de fer imprimes par ordre de la Conrention. Il 8*y est trouTe de
la main de Louis XVI une note ainsi conçue, à la date du 1'' juillet
1791 : « Retour et parfaite conduite de M, de Batz, à qui je redois cinq
cent douze mille francs. ■ Après le 10 août, il fut un des chevaleres-
ques royalistes qui essayèrent de délivrer les prisonniers du Temple.
Traqué, il vint à bout d'écliapper à la vigilance du Comité de sûreté
générale et de salut public, mais les personnes arrêtées comme ses
complices portèrent leiur tète sur Téchafaud. Incarcéré en octobrt
1795, après de nouvelles intrigues , il trouva moyen de s'échapper et
de fuir à l'étranger. Sous la Restauration , il fit retraite dans sa terre
de Chadicu, près de Clermont, en Auvergne, et y moumt d'apopleiie
le l**" janvier 1822.
(1) Cette lettre autographe, que j*ai copiée à Venise, sous les ycox
de madame la Princesse Clary, est réellement signée; ce qui poar
ré])oque, est fort extraordinaire. Elle a sans doute été transmise à la
Princesse de Lamballe par une voie des plus sûres.
L'EMPEREUR LÉOPOLD II. ktT
DLXIII
I
L'EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
Il trouve iadUcrètcs les demandes de secours que lui adressent les
Priuces. — D'accord avec quelques ËtaU du contincot, ils vou-
draient le mettre en avant, mais il n'entend point agir et payer
pour tou.s. — Il compte plutôt sur la désunion des partis eu France.
— Nouvelles du Prince Charles, son fils.
Le 4 août [1791].
Très-chère Sœur, j'ai reçu votre longue lettre; je
vous en suis bien obligé. Je sais que Buol a toujomrs
bien servi en Hollande et surtout dans ces derniers
temps ; je savois que le fils du prince Staremberg avoit
dësiré d'avoir ce poste; mais il n'y est pas encore,
nommé, et ses circonstances et celles de sa femme sur-
tout méritent attention dans les circonstances présentes.
Le courrier que je vous avois annoncé n'est point encore
parti ; il ne partira que dans deux ou trois jours, devant
porter au comte de Mercy une nouvelle instruction que
je fais faire sur les suites des affaires de France. Les
demandes des Princes sont bien indiscrètes en troupes
et en argent. On voudroit me mettre en avant, moi,
et je devrois agir et payer pour tous, ce qui n'est pas
mon compte. C'est là le projet des Princes, du Roi de
Suède, des Hessois, peut-être de la Cour de Berlin. On
a fisiit même entrer dans ces idées votre bon Electeur de
(1) Original anto(][rnp}ic. Archives de Son Altesse Impériale et
Royale l'Archiduc Albert d'Autriche.
428 L'EMPEKEQR LÉOPOLD II.
Trêves. Fersen vient d'arriver, et je le verrai demain.
Quant à la France, la désunion qui rèyne dans Paris
entre les Provinces et même parmi TAssemblée Natio-
nale fera plus d'effet que les troupes et les Princes.
Pour mon fils Charles, il est à l'installation du Pala-
tin à Bude. Je n'ai pas pu lui refuser de voir le couron-
nement de Prague ; mais il en partira le 12 de septembre
directement pour Bruxelles.
Je vous embrasse tendrement et suis.
Vous verrez par les expéditions de la chancellerie ce
que j'ai résolu pour le nonce (1) à rétablir aux
Pays-Bas.
(1) Ce mol est peu lisible dans Tori^jinal, mais c*9St hieii cerLiine-
ment Nonce <|uc rEmjiereiir a voulu écrire. En effet, de tout temps
l:i Cour de Honu; entretenait un envoyé auprès des gruivorneurs géné-
raux des Pays-Bas aulricliii^ns, comme le fait est nettement étalili dans
une note ({ue vient de m'adresser le savant conservateur des Archives
de Belgique, M. Gachard, que je prie de recevoir ici mes remercie-
ments. Ouand les provinces helglqties étaient gouvernées par de sim-
ples gcntilsliommes, comme cela arriva souvent au dix-septième siècle,
elle se contentait d'y envoyer un internoncc; mais elle eut constam-
ment un nonce à partir de Tannée 1725, où l'Em-iereur Charles VI
confia le gouvernement de ces provinces à sa propre srrur TArchidu-
chesse Marie-Élisabetli. Kn 1787, Josc^ph II, irrité de ce que le noncw
Londadari avait, à l'insu du gouvirrneuient, introduit, fait imprimer
et distribuer aux Pays-Bas une bulle qui condamnait le fameux livre
d'Eibel, Qu est-ce que le Pape? ordonna au comte de Trautmannsdorff
de lui envoyer ses passe-ports. Peu après éclata la révolution qui fit
perdre les Pays-Bas à ce prince. Ajnès la restauration de la maison
d'Autriche à Bruxelles, des démarches furent faites auprès de la Cour
de Rome poiur qu'elle y rétablit la nonciature, et elle l'avait rétablie
en effet dans la personne du prélat Brancadoi-o, quand, en 1794, les
Français s'emparèrent de la Belgirpie.
MADAME ELISABETH. 429
DLXIV
MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. .
On débite mille folles iioiivclle.s : mute l'Europe doit tomber sur nous.
— La France acquerra de la gloire, et voilj tout. — Eu attendant,
les prêtres sont horriblement persécutés.
Ce 5 août 1791.
Bonjour, ma Bombe, comment te portes-tu? As-tu
encore mal aux oreilles? Ton bras te fait-il souffrir?
Ta petite belle-sœur, qui du reste est charmante, ne
m'en parle pas du tout ; cela ne m'empêche pourtant
pas d'avoir été très-aise de recevoir une épître d'elle.
Dites-lui bien des choses de ma part.
Tout ce qui t'intéresse ici se porte bien. On débite
mille nouvelles plus folles les unes que les autres. La
Russie, la Prusse, la Suède, l'Allemagne tout entière,
la Suisse, fa Sardaigne, doivent tomber, dit-on, sur
nous. L'Espagne ne sait trop ce qu'elle fera, et l'An-
gleterre reste nulle. Mais tranquillise-toi , ma Bombe ;
ton pays acquerra de la gloire, et puis voilà tout. Trois
cent mille gardes nationaux, parfaitement organisés,
et tous braves par nature, bordent les frontières et ne
laisseront pas approcher un seul houlan. Les mau-
vaises langues disent que du côté de Maubeuge huit
houlans ont fait retirer et demander pardon à cinq
cents gardes nationaux et à trois canons ; il faut les
laisser dire , cela les amuse ; nous aurons notre tour
pour nous moquer d'eux. En attendant, les malheu-
430 MADAME ELISABETH.
reux prêtres sont horriblement persécutés ; Dieu est
juste et nous jugera. Adieu , je t'embrasse de tout
mon cœur.
DLXV
L'EMPEREUR LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE (1).
Le Comte do Fersen est arrive. — Éloge qu'en fait TElmpereur. —
Exi{;ences de.s Princes. — Abandon de« Puissances. — On veut
qu'il soit seul ù se sacrifier.
Le 6 août [1791].
Très-chère Sœur, le comte Fersen est arrivé, il m'a
remis votre lettre et j'ai également reçu celle par la
poste. J'ai donné à Rosènberg la note pour les cham-
bellans. J'approuve tous ceux que vous proposez, et
je concerterai avec Rosènberg ceux à faire au couron-
nement de Prague, et à vous envoyer les clefs par
mon fils Charles.
Quant au comte Fersen, j'ai parlé avec lui avec le
plus grand plaisir ; il est on ne peut pas plus attaché
à la Reine , et il parle des choses faites avec une mo-
dération , et de celles à faire avec une sagesse et pru-
dence bien différentes de celles des Princes et de tous
leurs commissionnaires qui ne révent que Régences et
(1) Ori{;inaI auto^^raplie. Archives de Son Altesse Impériale et
Royale TArdiiduc Albert d'Autricbe.
\
L'EMPEREUR LÉOPOLD II. 431
troupes, et veulent toujours de l'argent et faire du
bruit, et surtout que ce soit moi qui seul me sacrifie,
tandis que les Princes d'Empire et le Roi de Prusse,
qui ne veulent pas agir tout de bon , ne veulent que
me sacrifier, et que l'Espagne, je crois, ne veut et ne
peut rien faire. Je vous embrasse tendrement et suis.
DLXVI
LE COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÈDE (1).
Il a vu M. de Galonné arrivant d'Angleterre. — L'entourage des Princes
est un foyer d'intrigues abominables. — Il faudra plutôt agir iiour
eux que par eux. — L'Euipcreur no prendra aucun parti avant d'a-
voir reçu les réponses qu'il attend d'Espagne, d'Angleterre et de
Pétersbourg. — Il est important de s'occuper de l'Impératrice de
Russie.
Vienne, ce 6 août 1791.
Sire,
Je suis arrivé à Goblentz, le 25 du mois dernier, à
quatre heures après midi, et j'avois compté en partir le
soir, après avoir fait ma cour aux Princes ; mais ils
ont désire que je restasse jusqu'à l'arrivée de M. de
Galonné, croyant intéressant que je susse ce qu'il ra[)-
portoit d'Angleterre. J'ai cédé à leurs désirs; Votre
Majesté sait déjà par lui-même le résultat de son voyage,
et j'étois sûr d'avance de ce qu'il rapporteroit. Il n'est
(i) D'après l'original autographe déposé aux Archives du Ministère
des Affaires Etrangères, à Stockholm.
432 LE COMTE DE FERSEN.
arrivé que le 26, à dix heures du soir, et il m'a com-
muniqué toutes les certitudes qu'il croyoit avoir ; elles
me paroissent plutôt des espérances tout aussi vagues
que celles dont il s'est bercé depuis dix-huit mois. Il
m'a avoué qu'il n'apportoit rien par écrit qu'utie lettre
de politesse du Roi d'Angleterre pour Monsieur. J'ai
trouvé les Princes, et surtout Monsieur, très-raison-
nables ; mais leurs entours sont toujours tels que je les
ai dépeints à Votre Majesté. C'est un foyer d'intrigues
abominables ; l'intérêt général est toujours sacrifié à
l'intérêt particulier, et d'après ce que j'en ai vu, je suis
encore plus convaincu qu'il faudra plutôt agir pour
eux que par eux.
Je suis parti de Coblentz le 27 au matin , et je suis
arrivé ici le 2, à dix heures du matin. Les chaleurs
excessives <pie j'ai éprouvées en route m'avoient tel-
lement fati{;ué, qu'il m'avoit été impossible d'avoir
l'honneur d'en informer Votre Majesté , et j'avois
chargé M. Bildt d'y suppléer. Le 4, j'eus une audience
particulière de l'Empereur : il m'a reçu à merveille ;
mais il ne s'est rien passé dans cette entrevue d'assez
intéressant, pour qu'il soit nécessaire d'en instruire
Votre Majesté. Ses dispositions paroissent les bonnes :
il parle des affaires dans le sens que Votre Majesté peut
le désirer; mais ce ne sont pas des paroles qu'il faut,
il faut des faits , et il paroît qu'avant d'avoir reçu les
réponses qu'il attend d'Espagne, d'Angleterre et
de Pétersbourg, il ne se décidera pas a prendre un
parti décisif. Dès que j'aurai eu un entretien plus dé-
taillé avec lui et avec son ministère, j'aurai l'honneur
d'en rendre compte a Votre Majesté; mais, dans tous
LE MARQUIS DE BOUILLE. 433
les cas, je crois très-important de s'occuper beaucoup
de l'Impératrice de Russie.
Je suis avec le plus profond respect,
* Sire ,
de Votre Majesté,
le plus humble, le plus soumis et le plus fidèle sujet,
Axel Fersen.
DLXVII
LE MARQUIS DE ROUILLÉ AU ROI DE SUÈDE (1).
L'Empereur a proposé au Roi de Prusse de publier un nianire.<4te exi-
fieant le rélahlirisement de l'autorité royale en France. — Le Roi
de Pruise veut qutr ce manifeste soit appuyé par la présence de
troupes. — On attend le consentement de rAn{»leterre. — Il est
indispensable d'arrêter un plan d'opérations commun à toutes les
Puissances confédérées. — M. de Bouille doute que le concours
armé de la Suède et de la Russio .soit sérieusement désiré à Vienne
et à Kerlin. — Il a fait agir à Madrid pour convaincre l'Espagne de
la nécessité d'employer les troupes suédoises et pour obtenir des
subsides de cette Puissance. — L'Angleterre montre de mauvaises
dispositions. — Les diverses Puissances sont loin d'être d'accord, et
il a peu de conHance dans le résultat des négociations.
AschafFcnbour(;, le 11 août 1791.
Sire ,
Conformément aux ordres de Votre Majesté, que
M. (le Breteuil m'a transmis, je n'ai fait faire micune
(1) Ori{;inal autographe. Archives du ministère des Affaires Étran-
gères, ù Stockholm.
Franrois-ClaudoAuiDur, marquis de Rouillé, par qui est écrite cette
TOME III. 28
434 LE MARQUIS DE BOUILLE.
des reconnoissances, et je ne me suis permis aucune
des démarches auxquelles Elle m'avoit autorisé relati-
vement aux dispositions et aux opérations projetées de
son armée, et j'attendrai ses ordres ultérieurs. Je dgis
seulement l'instruire qu'il se trouve dans Luxembourg,
dans ce ipoment, une artillerie de siège de cent vingt
bouches à feu, en canons, mortiers etobusiers, avec
tous les approvisionnements et équipages nécessaires.
Votre Majesté est sans doute instruite de la proposi-
tion que l'Empereur a faite au Roi de Prusse, de don-
ner un manifeste , pour déclarer que l'Empire et les
Princes du Midi emploieront toutes leurs forces contre
la France, si on ne rend pas la liberté au Roi et à la Fa-
mille royale ; si on ne les réintègre pas dans leur dignité,
et si on ne rétablit pas V autorité du Roi et le gouverne-
ment monarchique sur des bases solides et raisonnables.
lettre, était ne a»i château de Cluzel, en Auvergne, le 19 novembre
1739. II a été un des hommes «le guerre les plus distingués du règne
de Louis XVI; terrible dans Taction, plein de mansuétude après le
combat. Capitaine en 1756, il ])rit part à la guerre de sept ans, dans
les dragons de La Ferronnays. ?îommé gouverneur de la Guadeloupe
en 1768, puis des îles du Vent en 1777, et en même temps maréchal de
camp, il se distingua dans la guerre de Tindcpendance américaine par
la prise de la Dominique, de Tabago, Saint-Eustache et Saint-Chris-
tophe, et fut nommé lieutenant général en 1784, et plus tard membre
de r Assemblée des Notables. En 1790, il devint gouverneur de la
province des Trois-Évèchés, de l'Alsace, delà Lorraine et la Franche-
Comté; général en chef de l'armée de la Meuse, Sarre et Moselle, dans
la même année. Forcé de quitter la France après l'événement de Va-
rennes, il se réfugia à Coblentz, se mit, en 1791, à la dis|M)sition du
Roi de Suède pour effectuer la délivrance de Louis XV ï, puis il serrit
dans l'armée de Condé, enfin dans celle du duc d'York en 1793, et
mourut a Londres en 1800. Les Mémoires qu'il a laissés sont d'un
style négligé, mais ferme, et, ce qui vaut mieux, pleins d'informalioos
exactes et de franchise.
LE MARQUIS DE BOUILLE. 435
Le Roi de Prusse a désiré que ce manifeste ne panït
<|u'à la tête des troupes , quand celles-ci seront en état
d'agir. Il paroît que ces Puissances attendent le con-
sentement de l'Angleterre, dont les dispositions sont
bien incertaines.
Le Roi de Prusse m'a écrit pour m'engager de nie
rendre auprès de lui, et on me mande d'ailleurs qu'il
désire conférer sur un plan d'opération des armées
combinées. J'en ai écrit à nos Princes, qui le désirent
également, et qui m'ont écrit de me rendre auprès
d'eux avant de partir. Je désirerois qu'on pût présenter
aux Puissances confédérées un projet d'après lequel ,
une fois qu'il seroit arrêté, on pourroit disposer les
armées qui doivent agir sur les frontières de France,
et faire préalablement les préparatifs nécessaires pour
les approvisionnements des munitions de guerre et de
bouche, et la formation des magasins dans les dépôts
convenus. Je désirerois, si l'Empereur et le Roi de
Prusse (qui va dans ce moment en Silésie), doivent,
comme on l'assure, se réunir pour conférer ensemble
sur les affaires de France, être en état de leur présen-
ter un plan , dont il devient indispensable de convenir
le plus tôt possible. J'en donnerai un aux Princes à
Coblentz , et dans lequel l'armée de Votre Majesté
seroit placée sur la Meuse , dans la partie qu'Elle a
elle-même indiquée. J'ignore si leur conseil approu-
vera ces dispositions et si elles le seront des différentes
Puissances alliées. Il paroît que l'intention de l'Empe-
reur est de faire part de ses dispositions , à l'égard de
la France , aux souverains de la maison de Bourbon ,
à l'Angleterre et à la Prusse ; et quand elles auront été
28.
1136 LE MARQUIS DE BOUILLE.
approuvées, il les communiquera à la Suède, à la
Russie et aux Suisses , qu'il désire faire entrer dans la
Confédération. J'ignore cependant s'il y a, de la part
des cabinets de Vienne et de Berlin , un grand désir
que les armées suédoises et russes contribuent au ré-
tablissement de la monarchie françoise , et si , sans y
mettre d'opposition marquée, on ne pi*ésume pas que
le manque d'argent sera un obslacle suffisant. En
quittant Votre Majesté , j'ai écrit en Espagne , au Duc
de La Vauguyon , pour l'engager a faire envisager à la
Cour de Madrid combien il est intéressant pour le Roi
et la Couronne d'Espagne que les Puissances du Nord
interviennent dans les affaires de France, et que leurs
armées agissent, ayant plus d'intérêt que les autres à la
conservation de ce Royaume dans toute son intégrité,
et qu'il suffisoit que l'Espagne s'engageât en Hollande
pour un emprunt de douze millions de florins, afin de
procurer aux armées suédoises et russes, réunies avec
le corps hessois, les moyens d'agir en faveur de la
France, non-seulement pour le rétablissement de la
monarchie françoise dans ce moment , mais pour le
maintien de l'autorité royale , quand le Roi aura été
réintégré dans sa dignité et sa puissance, étant alors
moins dangereux et conséquemment plus naturel
d'employer ces troupes , ainsi que les Suisses , comme
auxiliaires, quand la France sera soumise, que celles
des autres alliés tels que la Prusse et l'Autriche. Je n'ai
proposé seulement que mes idées , que j'ai annoncées
(avec vérité) être approuvées de nos Princes sans com-
promettre en aucune manière Votre Majesté, qui ne
me désapprouvera pas, à ce que j'ose espérer, et j'aii-
LE MARQUIS DE BOUILLE 437
rai l'honneur de lui faire part de la réponse que je re-
cevrai. Jusqu'ici la Prusse paroit bien disposée. Je ne
sais pourquoi l'Empereur s'attache au consentement
de l'Angleterre, qui , d'après le votum du ministre de
Hanovre à la Diète , est dans de très-mauvaises dispo-
sitions, et qui ne peut rien empêcher, si les Cours de
Vienne et de Berlin sont bien décidées à agir. Mais je
vois avec peine que les différentes Puissances sont
loin encore d'être réunies sur le grand objet, et je
crains fort que la négociation ne dissipe nos espé-
rances, et n'amène à un accommodement plus dange-
reux pour le reste de l'Europe que ne Test l'état actuel
de la France , par le mauvais exemple qu'en recevront
tous les peuples, quand tous les Souverains auront
sanctionné en quelque manière le gouvernement libre
et licencieux de la France.
Si j'étois dans le cas d'aller en Silésie où est main-
tenant le Roi de Prusse, je reviendrai toujours à temps
pour exécuter les ordres de Votre Majesté, relative-
ment aux dispositions de son armée, et j'en prévien-
drai M. de Fersen.
Je suis avec le plus profond respect,
Sire,
de Votre Majesté,
le très-humble et très-obéissant serviteur,
LE Marquis de Bouille.
43S LE COMTE DE FERSEN.
DLXVIII
LE COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUÉDE (1).
L*Empereur ne prendra un parti qu'après avoir vu le Roi de Prusse
à Tceplitz. — M. de BischofFswerder. — Le baron de Noicken.
Vienne, ce 17 août 1791.
Sire,
D'après la dernière audience que j'ai eue de Sa Ma-
jesté l'Empereur, il me paroît qu'il ne se décidera que
lorsqu'il aura vu le Roi de Prusse à Tôplitz : cela m'en-
gage à me rendre à Prague, pour être plus à portée d'en
apprendre le résultat et obtenir une réponse positive.
L'Empereur part d'ici le 20 ; l'entrevue doit être le 27.
Le couronnement est fixé au 6 septembre, et l'Empe-
reur sera de retour à Vienne le 23 septembre. Dès que
j'aurai terminé, j'aurai l'honneur d'expédier un cour-
rier à Votre Majesté ; je ferai tout ce que je pourrai
pour en hâter le moment.
M. de Bischoftiswerder est parti lundi au soir. Le traité
est signé entre l'Empereur et le Roi de Prusse, mais les
articles n'en sont pas connus.
Le baron de Noicken est ici ; mais faute d'avoir ses
livrées faites, il n'a pas encore eu ses audiences.
Je n'ai pas encore reçu des nouvelles d'Angleterre;
(I) Auto(p'aphe. Archives du Ministère des Affaires Etrangères de
Suède.
LE COMTE DE FERSEM. 439
je les attends avec beaucoup d'impatience; elles sont
très-importantes pour hâter les opérations.
Je suis, avec le plus profond respect,
Sire,
de Votre Majesté,
le plus humble, le plus soumis et le plus fidèle sujet,
Axel Fersen.
Le baron de Bischoffewerder, dont il est question, était un
gentilhomme saxon entré au service de Prusse vers la Bn du
rèfjne du grand Frédéric et qui s'était particulièrement
attaché à la personne du Prince Royal. Le souvenir de cette
affection lui avait valu, à Favénement de ce Prince, une faveur
assez grande pour contrebalancer et bientôt détruire entiè-
rement, à son profit, Tinflucnce du grand ministre de Fré-
déric II, le comte Ewald de Hcrtzberg, dont la paix de
Teschen avait été l'ouvrage, qui avait rendu le calme à la
Hollande, amené le traité de Reichenbach (l), avait puissam-
ment influé sur le maintien de l'équilibre européen, et dont
les derniers conseils tendaient à pactiser adroitement avec
les réformateurs français. L'éloignement du Roi pour ces
révolutionnaires dicta la politique de Bischoffswerder : il
lança d'un côté contre la France le baron de Goltzet lejuif
Lphraim (2), qui, souterrainement, nous firent tant de mal.
(1) ReicIienLach est une petite ville de la Silésic prussienne, dis-
tante de soixante-dix kilomètres de Dreslau et de quelques lieues de
Schœnewalde où le Roi de Prusse, en armes contre l'Autriche, avait
son quartier général. Le traité de paix signé dans cette ville cU de
juillet 1790.
(2) L(.' haron Bernard-Guillaume de Goltz fut ministre plénipoten-
tiaire de Prusjte à Paris, de 1768 à 1792. ?iuus ne nous souvenons
pas assez de ceux qui nous ont fait du mal. L'étranger garde mieux
contre nous ses rancunes.
440 LE BARON DE BISCHOFFSWERDER.
et d'un autre, il s'aboucha avec un des habiles confidents du
prince de Kaunitz, le baron de Spielmann, que TEmpereur
Léopo]d avait suscité dès son avènement. De là naquit entre
l'Empereur et le Roi de Prusse une correspondance person-
nelle qui devait amener une bonne entente entre les deux
couronnes et de laquelle Bischoffiswerder espérait bien faire
sortir une guerre.
Ce ministre avait donc alors la principale part à la con-
fiance du neveu et successeur du grand Frédéric, le Roi
Frédéric-Guillaume II, dont le début comme Prince Roval
avait été tellement brillant que le grand Roi, l'embrassant,
lui avait dit : u Vous n'êtes plus mon neveu, vous êtes mon
fils, j) Monté sur le trône, il fut loin de répondre à de si hautes
espérances. Son illuminisme joint à sou goût ardent pour les
plaisirs et ses faiblesses pour une femme galante qu'il créa
comtesse de Lichtenau, lui firent négliger les intérêts de
l'État. Ce fut lui qui bâtit ce palais de marbre où se célébrè-
rent des orgies dignes du Régent de France. BischofFswerder
était un de ces illuminés de la secte des théosophes, qui,
sous le nom de Rose ^ croix, avaient pris empire sur l'esprit
romanesque de ce prince, et lui faisaient apparaître dans des
soupers Moïse et Jules César. Ils étaient venus à bout de lui
fairecroire que l'Ancien Testament et l' Évangile étaient défiée-
tueux, qu'il existait une doctrine bien supérieure dans les
livres sacrés d'Éiioch et de Seth,que l'on avait crus perdus,
et dont ils se disaient seuls en possession. La crédulité de ce
prince, qui, en ce genre, allait au-devant du mensonge,
avait acquis une telle notoriété, qu'elle devint la fable delà
foire de Leipzig. Ainsi les frères hiérophantes s'étant avisés
un jour d'annoncer au Roi l'apparition de Jésus-Chrisl :
a Comment était-il vêtu? » avait demandé Frédéric-Guillaume
dans son enthousiasme. — « En veste d'écarlate à revers noirs
et à brandebourgs d'or, » lui avait-on répondu. Et là-dessus la
foire de 1792 ouvrit un débit de vestes du Jésus de Berlin,
« Berlinische Jésus Westen, » qui firent fureur (1).
(1) Voir Mémoires pour servir à F histoire du Jacobinisme, par
l*abbé Barruel, t. V, p. 28, et ï Histoire de Frédéric-Guiitaume , par
M. DE SÊGUB,* t. I, p. 58.
L'EMPEREUR LEOPOLD II. . 441
DLXIX
L'EMPEREUR LÉOPOLD AU ROI DE SUÉDE (1).
Il partage le.H scnliinents qu'iiis|iii-c ù Gustave III la situation de la
famille royale de France. — Il s'est concerté avec l' Angleterre et
avec la Prusse pour amener une entente entre les Puissances. —
Il fera connaître incessamment au Roi de Suède le résultat de ses
démarches.
Vienne, le 19 août 1791.
Monsieur mon Frère et Cousin, j'ai vu avec bien de
la satisfaction, par la lettre que le comte de Fersen
m'a remise de la part de Votre Majesté, l'intérêt que
vous prenez à la malheureuse situation du Roi Très-
Chrétien, de la Reine et de la France. Vous rendez jus-
tice à mes sentiments, en jugeant que j'en éprouve, à
cette occasion, de conformes à ma tendresse pour une
sœur chérie, à mon amitié pour le Roi, et à ce que je
dois à une cause qui , par son objet et le danger des
suites, devient celle de toutes les Puissances. Persuadé
de la convenance et delà nécessité d'un commun accord
entre elles, pour la réunion des mesures propres h y
apporter les remèdes les plus conciliables avec les inté-
rêts, les moyens et les obstacles, je vous confierai que,
dans la vue de faciliter un tel accord, je viens de m'ex-
pUquer préalablement avec quelques-unes des Cours
les plus intéressées dans le rétablissement des affaires
françoises, parmi lesquels les Rois de la Grande-Bre-
(1) Copié sur Toriginal autographe existant aux Arcliives du Minis-
tère des Affaires Etrangères, à Stockholm.
442 L'EMPEREUR LÉOPOLD II.
tagne et de Prusse m'ont promis de s'ouvrir sur le con-
cert proposé, après la conclusion de ma paix avec la
Porte, et l'arrangement de leur négociation avec la
Cour de Pétersbourg.
Ces événements s'étant accomplis depuis, et recevant
de plus d'une part des assurances de dispositions favo-
rables au but, je compte me trouver incessamment à
même de communiquer à Votre Majesté les résultats
de mes soins, et l'opinion qu'ils me permettront de for-
mer sur la nature des démarches et mesures communes
qu'il sera faisable d'adopter et d'exécuter, me réser-
vant aussi jusque-là de m'expliquer sur les idées que
vous avez bien voulu me faire communiquer par le
comte de Fersen. Votre Majesté n'auroit pu me rappe-
ler une époque plus agréable que celle qui m'a procuré
le plaisir de vous posséder quelque temps à Florence.
La connoissance qu'elle m'a procurée des qualités per-
sonnelles de Votre Majesté m'a inspiré des sentiments
inaltérables d'amitié, d'estime et déconsidération, avec
lesquels je ne cesserai d'être.
Monsieur mon Frère et Cousin,
de Votre Majesté
le bon Frère et Cousin,
Léopold.
MADAME ELISABETH. 443
DLXX
MADAME ÉLïSABETri A MADAME DE «OMBELLES,
SOUS LE NOM DE MADAME SCIIWAHZEXGALD,
A 8AINT-GALL, EN SUISSE, A ROSCilAK.
Captivité du Roi aux Tuileries. — Frayeur panique des gardes naiio-
naleA. — Créatimi d'une nou\Hïllo garde. — Renonciation du duc
d'Orléans à ses droits au trône.
Ce 25aorit 1791.
Je n'ai plus eu de tes nouvelles, ma Bombe; j'es-
père en recevoir aujourd'hui. A combien de lieues es-tu
de moi? Si tu n'étois pas plus tranquille dans ton châ-
teau, je regretterois que tu ne fusses plus à Stutt{,'ard,
car il me sembloit que tu étois tout près de nous, au
lieu que ton vilain château me paroit aux antipodes.
Je voudrois bien que mes lettres fussent pour toi un
agréable journal; mais il s'en faut de beaucoup que cela
puisse être. Cependant, pour te divertir, je te raconte-
rai d'abord qu'il y a deux jours qu'une sentinelle sur la
terrasse des Feuillants prit des marrons qui lui tom-
boient sur la tête pour des pierres qu'on lui jetoit. En
conséquence, il a tiré. Le caporal accourt à ce bruit,
monte sur le mur, voit deux hommes se promenant
dans la cour des Feuillants, tire dessus. Heureusement,
ils n'ont j)oint été blessés. C'étoient deux hommes de
la garde. Tout cela, comme vous jugez, a fait un peu
de bruit dans le moment.
Cette nuit, une sentinelle qui est dans un corridor en
haut, s'est endormie, a rêvé je ne sais quoi, s'est éveil-
444 MADAME ÉLISAHETH.
lée en criant. Dans le même moment, tous les postes,
jusqu'au fond de la {jalerie du Louvre, en ont fait
autant. Dans le jardin, il y a eu aussi des terreurs
paniques. Tout cela entretient la garde dans une terreur
apparemment fort utile pour ceux qui sont cause de
toutes ces bêtises.
H a été question hier de la maison militaire du Roi.
Il aura douze cents hommes à pied et six cents à che-
val, qui seront choisis dans les troupes de ligne et dans
la garde nationale. Il faut avoir été un an dans celle-ci
pour être choisi. Outre cela, il aura la garde d'honneur
que la ville où il sera lui fournira. Tu conviendras que
tout cela fera un Roi bien et librement gardé. On le
croira, c'est tout de même. M. le duc d'Orléans a
renoncé à ses droits au trône dans la séance d'hier.
Voilà, ma Bombe, toutes les nouvelles intéressantes que
mon pays peut fournir ; la fête du Roi se passe avec
toute la modestie possible. Il n'y a pas la moindre diffé-
rence des autres jours. On ne lui permet même pas
d'aller entendre la messe dans la chapelle. Adieu, ma
Bombe, je t'aime et t'embrasse de tout mon cœur et
n'ai rien de nouveau à te mander. Adieu.
LE COMTE D'ARTOIS. 4V5
DLXXI
LE COMTE D'ARTOIS AU ROI DE SUÈDE (1).
Il lui annonce l'envoi du Raroii d'Escars, cliai-gé de traiter avec lui
au nom de Louis XVI et des Prince:*.
Dresde, ce 29 août 1791.
Monsieur mon Frère et Cousin,
Votre Majesté ne peut pas douter de la ])rofonde
reconnoissanceque Monsieur et moi ne cesserons jamais
d'éprouver pour les bontés dont Elle nous a comblés.
Notre confiance dans ses nobles sentiments est plus
absolue que jamais.
En conséquence, chargé des pouvoirs de Monsieur,
et instniit des bontés particulières dont Votre Majesté
adonné tant de marques au baron d'Escars, j'envoie
cet officier général auprès de Votre ^Majesté, et je l'au-
torise à traiter, de notre part et au nom du Roi notre
frère, auprès de Votre Majesté.
Le baron d'Escars aura l'honneur de rendre coni[)te
à Votre Majesté de la position actuelle des afTaires de la
France, du résultat des conférences de Pilnitz, et des
démarches que nous ferons en conséquence.
Je ne chercherai point à exciter les nobles sentiments
de Votre Majesté : je connois son âme, et la mienne est
tranquille.
Je finis en suppliant Votre Majesté de daigner me
(1) Origiual auto(»ra|)lie. Airliive.^ du Miui^tèrc dos Affaires Ktrau-
gère.', à Stockliolui.
446 LE COMTE D'AIITOIS.
conserver vSes bontés, son amitié, et de recevoir l'assu-
rance de tons les sentiments aussi tendres que respec-
tueux, avec lesquels je suis,
Monsieur mon Frère et Cousin,
de Votre Majesté,
le très-affectionné Frère, Cousin et Serviteur,
Charles-Phiuppe.
rendant i\nv les Princes français travaillaient à |xui5scr
l'éfranjfcr sur la France r(''VoliUi(>nnre, FAsseinhlée consli-
tuanlo poïirsiiivail ses (grands travaux, ses réformes utiles et
ses ]M''titioiis (le piincipes.
Le :27 juillet, elle dèclarail J. J. Rousseau di(;iie des hon-
neurs consacrés aux j^raiuls lioniuies et décidait que les
habitants de la capitale seraient tenus à déclarer les noms et
qualités dj\s Français et des étran(jers (]ui seraient lo([és dans
leurs maisons.
Le ^), suppression des cor|)orations et des ordres de
chevalerie.
Le 5 août, les Assemblées éh^iorales étaient convoquées
|>oiir élire les mc^mbres du Corps lé(*is1atif.
1-e :22, était créée la caisse dVqjargne et de hieuKiisance de
Joacliim La^ar(^(^
Le !2îJ, avait é<*laté une conjuration {jénérale contre les
blancs |)armi les nè^^res à Saiut-J)omiu(i[ue. La flamme avait
ravajjé la colonie, et le sau{j avait coulé à flots. — On disait :
Périssent les colonies plutôt qu'un principe.
Le 25 et le 27, rFmpereur Léopold et le Uoi Frédéric-
Cuillaunie se rencontraient à Pilnitz, pour s'occuper de la
Polo{jue. Ils étendaient la confér(?nce à Tétai des afï'aiœs de
France, l'objet au fond le plus dii-ect de Fenti-evue. \.c comte
d'Artois, (.alonue, Houille et divers aiUres |>ersonna(jes de
l'émigration s'y étaient rendus. Les articles éqni\oqnes qu'on
y s'ii'jim furent re(;ardés connue la base de la coalition qui
éclata lon^^temps ajuès ct)ntrc la France.
/ N
MARIE-THERESE y1
^ fi njujuh-
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i4u C^ AutncM. ^Ut/<f t»*u4 irv^ù^
XéUf-U.
SUPPLÉMENT
i
L'IMPERATRICE MARIE-TMERESE A L'ARCHIDUCHESSE
MARIE-GIIRISTI>'E (1).
Sages conseils ù sa fille, au moment de son maria(;e avec le duc de
Saxe-Tesrhen. — L'Impératrice lui trace la conduite à tenir, et
comme femme dans toutes les circonstances de la vie pour conserver
l'affection de aon mari, et comme participant au gouvernement des
Pays-Bas.
[Avril 1766.]
Ma chère fille, vous voulez que je vous donue un
conseil sur votre futur état; comme il y a tant de livres
qui traitent cette matière, je ne veux pas entreprendre
de répéter ce qu'ils disent. Vous savez que nous autres
sommes sujettes à nos maris; que nous leur devons
(1) Archives de Son Altessse Impériale et Royale l'Archiduc Albert
d'Autriche. •
N" 1*"* du dossier, intitulé de la main du duc de Saxe-Tesclien :
« Billets et lettres particulières écrites a feu Madame C Archiduchesse
par ritnpératrice'Beine Marie-Thérèse ^ son incomparable mère. »
Cette lettre a été imprimée avec de légères inexactitudes par M. Adam
Wolf, à la fin de son livre allemand, déjà cité ; Marie-Christine.
Vienne, Cari Gerold's Sohn. 1863.
Il n'y a de la main de l'Impératrice, avec sa signature, que la
souscription : Votre fidèle mère.
4^*8 L^IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE.
obéissance; que notre seul but en tout doit être notre
époux, (le le servir, de lui être utile et d'en faire notre
père et meilleur ami. Si même les exemples en font
voir malheureusement le contraire, je ne saurois vous
dispenser de votre devoir. Vous prenez par inclina-
tion votre époux : c'est par cette raison seule que j'ai
fait votre établissement. Vous le connoissez, vous avez
tout lieu d'espérer d'être heureuse autant qu'on peut
l'être dans ce monde.
Tachez de mériter la bénédiction divine par une vie
chrétienne, en donnant aux autres l'exemple par vos
charités, vos dévotions, par une crmduite réglée et par
une modeste retenue (jue vous observerez partout.
C'est vous qui devez donner le ton ; et jo suis persua-
dée que vous le donnerez, en étant bien capable.
Vous avez d'agréments et d'attachement (1); mais
gardez-vous de pousser ces vertus et belles (pialités à
outrance. Je dois d'autant plus vous en prévenir,
qu'aimant tendrement votre époux, vous pourriez
tomber dans un excès qui pourroit lui devenir à charge :
point d'autant plus délicat, puisque c'est l'écueil ordi-
naire contre lequel échouent les femmes tendres et
vertueuses, et qui se marient par inclination. Plus vous
ménagerez même vos caresses innocentes, plus vous
vous ferez rechercher. Dans le siècle d'aujourd'hui
surtout, on ne veut pas de gêne, et les mauvais exem-
ples gagnent au point qu'on ose paroître sans honle
sur ce pied. iMus vous laisserez de liberté à votre époux,
en exigeant le moins possible de gêne et d'assiduité que
(1) C*('dt-à-<lirc : vuiii4 avez dos agrôiiicnts et de la seDSÎbilUé.
L'IMPERATRICE MARIE-THERESE. 449
VOUS pourrez, plus vous vous rendrez aimable; il vous
cherchera et s'attachera à vous.
Ce qui doit faire votre principale étude, c'est qu'il
trouve toujours dans vous la même humeur, les mêmes
complaisances, les mêmes prévenances. Tâchez de
l'amuser, de l'occuper, pour qu'il ne se trouve pas
mieux ailleurs. Pour vous attirer sa confiance, vous
devez avoir soin de la mériter par toute votre con-
duite et discrétion. Que jamais aucun soupçon n'entre
dans votre cœur. Plus vous laisserez de liberté à voire
époux et lui marquerez, sur ce sujet, vos sentiments
et votre confiance, plus vous vous l'attacherez. Tout
le bonheur du mariage consiste dans la confiance et
complaisance mutuelles : le fol amour se dissipe bien-
tôt; mais il faut s'estimer et s'être utile réciproque-
ment; il faut être vrai ami l'un de l'autre, pour
être heureux dans l'état de mariage, pour pouvoir
supporter les revers de cette vie et pour faire son
salut, objet le plus essentiel et unique, en quelque
état qu'on se trouve. Je ne crains, à cet égai ;, que
le trop qui pourroit influer dans votre bonheur com-
mun. Je vous ai vue jalouse de vos amies; gardez- vous
'de l'être de votre mari ; ce seroit le moyen de l'éloi-
gner. Ne le badinez jamais sur ce point : de la badi-
nerie on vient aux reproches, l'aigreur s'en mêle,
l'estime mutuelle et la douceur de la vie s'enfuient, et
l'aversion s'ensuit. Plus vous marquerez de confiance
à votre mari, sans vouloir le gêner en rien, plus il vous
restera attaché.
Quel bonheur de retrouver toujours chez s:ii une
épouse aimable, occupée à faire le bonheur de sou
TOMB m. 29
450 L'IMPÉRATRICE M ARIË-THÉtiÉSE.
époux, à ramuser, à le consoler, à lui être utile; qui
ne prétend jamais le gêner, le laisse toujours venir, se
contente de ses assiduités et se trouve heureuse de s'en
occuper! Ne fût-ce pas même d'abord reconnu, vous en
verrez l'effet dans la suite.
Tous les mariages seroient heureux si l'on suivoit
cette marche. Mais tout dépend de la femme, qui doit
garder le juste milieu , tâcher de gagner l'estime et la
confiance de son mari, n'en abuser pas, ni n'en faire
jamais parade, ni ne vouloir le commander. Votre
situation, à cet égard, est aussi délicate qu'étoit la
mienne: jamais ne lui faites sentir votre supériorité;
rien ne coûte, quand on aime bien et raisonnablement :
je suis tranquille sur ce point.
Aucune coquetterie, aucune vanité ne vous est per-
mise : n'écoutez là-dessus personne; montrez-leur que
vous êtes au-dessus de ces fadaises. A l'égard d'une
femme mariée, tout est d'imporUmce , et rien n'est
léger. Soyez habillée modestement : à une fomme
mariée il n'est plus permis ce qu'on passeroit à une
fille, et les autres renchériroient d'abord sur votre
exemple.
N'ayez pas de confidente : c'est votre mari seul qui
doit l'être, et je n'en veux pas d'exception pour moi-
même, pour ne vous pas accoutumer à me faire de
confidences. Vous avez assez d'écrit et de talents, si
vous voulez en faire usage, pour vous rendre heureuse;
d'autant plus que le caractère et la conduite de votre
époux doit vous rassurer de l'avenir plus que tout
autre , si vous ne troublez pas vous-même votre heu-
reuse situation.
L*IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE. A5i
Il faut tacher d'appliquer et occuper toujours votre
^poux, seul moyen de ne pas tomber dans le vice. On
:goùte d'autant plus de plaisirs , si Ton use avec modé-
ration : vous en avez assez d'exemples.
L'ordre dans votre journée et ménage est l'àme
d'une vie tranquille et heureuse. Je sais qu'à cette heure
on croit qu'il n'est pas de plaisirs où il y a de la gène.
Je n'en saurois convenir, en ayant fait l'expérience par
moi-même y et voyant tous les jours que les mêmes
gens qui soutiennent le plus cette maxime sont les plus
ennuyés et les moins heureux : ils ne jouissent de rien,
en trop laissant libre cours à leurs caprices et à leurs
sens, dont ils sont à la fin tyrannisés. — Je parle de
cet ordre qui est combinable avec la volonté de votre
époux. Rien ne doit vous arrêter de vous y conformer,
et vous devez sacrifier tout, quand il s'agit de lui
plaire ou de iisiire sa volonté. Vous n'avez alors rien
à vous reprocher, et vous n'avez qu'à obéir, après
avoir fait vos objections et représentations avec dou-
ceur et tendresse, ce qui vous est permis de faire
une fois ; mais s'il décide le contraire, il ne vous reste
qu'à obéir, et même de façon qu'on voie que vous en
faites votre propre affaire, sans écouter aucune modi-
fication. Rien n'est plus facile quand on aime bien et
quand on fait son devoir : c'est dans ce monde le seul
moyen d'être heureux et tranquille.
Si votre époux vous trouve toujours occupée de son
bonheur par vos complaisances , et que vous tâchez de
faire qu'il se trouve plus heureux, plus tranquille et
plus sûr chez lui qu'ailleurs , vous pouvez compter de
le fixer et de faire son bonheur et le vôtre ; mais il ne
Î9.
452 L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRKSE.
fout pas vouloir le forcer h en faire l'aveu : il faut qu'il
en soit convaincu par lui-même.
Les plus laides et les plus vieilles femmes ont sou-
vent occasionne les plus fortes passions par leur com-
plaisance et adresse d*amuser et d'attirer les {jcns,
tandis que les femmes les plus jolies sont nég[li{j[ées
parce qu'elles manquent de ces qualités. Le moins de
badinerie que vous pourriez introduire sera le meilleur.
C'est encore un mal très à la mode à cette heure; mais
il faut avoir une grande supériorité d'esprit et beau-
coup de droiture pour badiner sans inconvénient.
D'ailleurs, ce ton en{;endre la familiarité, ou met de
l'aigreur dans la société, et bannit toute décence et
politesse.
Ne souffrez point à votre cour des discours équi-
voques, ni des médisances. Eclaircissez les faits tou-
jours sur-le-champ ; vous bannirez ainsi la mauvaise
engeance. Marquez, en toute occasion, votre empresse-
ment de rendre justice à la vertu. Eloignez de votre
société ceux cpii en manquent. Faites observer la régu-
larité en tout à votre cour. Obligez les chefs à tenir les
gens en ordre. Ne leur passez rien sur ce point; mais
faites toujours les corriger par leurs chefs , sans vous
en charger vous-même. C'est le seul moyen d'être bien
servi et d'avoir des habiles gens.
Je ne vous dis rien ici sur votre propre conduiti
Vous ne négligerez aucun des devoirs de la religioD
dans l'état de mariage , on a plus besoin encore de
prière et du secours de Dieu. Vos lectures spiritue
doivent se faire régulièrement. Je vous recomms
particulièrement d'être exacte dans ce point. ^
L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE. 453
réglerez vos dévotions de même que vos charités sur
l'avis de votre confesseur (1).
Tout ce qui regarde les femmes passera par la Vas-
quèz (2). Vous lui avez tant d'obligations, que vous ne
sauriez jamais assez les reconnoitre. Ce qui a trait aux
hommes, appartient à votre grand maître. Sur les
affaires particulières , vous consulterez Palfy, comme
le premier du pays, et Kempel. Voilà le seul moyen de
tenir tout en ordre.
Le bon Dieu vous ayant donné tant de talents et
d'agréments, vous ayant visiblement choisie parmi
toute votre nombreuse famille à faire le bonheur et la
douceur de vos parents, et d'une belle-sœur sainte et
clairvoyante (3), vous ayant accordé un époux ver-
tueux, aimable et de votre propre choix; j'espère que
ce bon Dieu achèvera son ouvrage , en vous rendant
heureuse, pourvu que vous ne l'abandonniez pas et
que vous suiviez mes conseils, qui, aussi peu que ma
tendresse, ne vous manqueront jamais. Je vous donne
(1) La Princesse eut pour confesseur François Lecliner, esprit sage
et modéré. Dans une collection trés-nonibreuse de portraits en mi-
niature formée ymr le Duc et la Duchesse de Saxe-Teschen ^ et où se
trouve une délicieuse tète, un vrai chef-d'œuvre de Madame Royale y
peinte quand elle arriva à Vienne, il y en a un de ce Lechner, der-
rière lequel l'Archiduchesse a écrit :
• Portrait du prévôt François Lechner, mon confesseur, qui a été
chez moi depuis l'an 45 jusqu'en 88, (|u'il décéda le 25 février. 11
emporta mes regrets et mon éternelle reconuoissancc pour m'avoir
enseigné une religion sage, vraie et consolante dans toutes les peines
de ma vie. Requiescai in pace, •
(2) La marquise de Vasquez, première dame de l'Archiduchesse.
Elle était de famille originaire d'Espagne, venue en Autriche avec
Charles VI.
(3) L'abhesse séculière Gunégonde d'Essen-Thoren , en Westphalie.
V» L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÉ8B.
ma bénédiction et vous embrasse tendrement , étant
toujours
Votre fidèle mère y
Marie -Térése.
II
MARIE-THÉRÈSE A MARÏE-CHRISTINE, SA FILLE (I).
Conduite à suivre en public. — Il ne serait point convenable que •»
fille se tint complètement en dehors des affaires. — Elle doit écou-
ter, voir, consoler tout le monde, mais ne jamais rien décider et se
borner à promettre d*informer son mari et l'Impératrice. — No«-
velles de famille. Êpanchementji de cœur. — Ses tendresses |)our
Marie-Christ inr.
Ce 18 avril [1767?].
Ma chère fille, ayant fini ma retraite à huit heures,
je prends la plume , puisque vous décidez que c'est une
bonne œuvre et que vous me demandez une prompte
réponse sur les empressements de Palfy à vous parler.
Je vous vois toujours devant mes yeux, mais surtout
dans cette occasion. Vous pouvez et devez écouter,
voir tout le monde ; vous êtes ma fille : vous ne sau-
riez donc vous en empêcher. Mais vous ne déciderez
jamais rien ; vos réponses seront que vous en infor-
merez votre cher époux, le locum tenens; qu'eux doivent
s'adresser à lui ; que vous l'en préviendrez ; que les
affaires passant par leurs canaux, institués pour cela,
qu'on doit s'y adresser ; que vous savez mes inten-
(1) Archives de Son Altesse Impériale TArchiduc Albert d^Aiitridie.
L'IMPÉRATRICE MÂRIE-THÉRKSE. 455
tîons ; que je ne souhaite que le bien de l*Etat et d'un
chacune (sic); que vous serez charmés tous deux de
pouvoir me seconder ; de Je leur foire ressentir effec-
tivement ; que vous m'en informerez. Voilà votre con-
duite à tenir, d'ëcouter, de consoler au moins les gens,
si on ne peut leur faire du bien. Nous autres sommes
foites du moins de nous ennuyer et supporter les autres.
Gela coupera court aux intrigues si vous agissez ainsi
et vous communiquez réciproquement ce qu'on vous
dit. L'union, sur ce point, est essentielle. Il est d'au-
tant plus focile que vous pouvez en toute occasion vous
déclarer que vous n'avez que la voie de la représenta-
tion, mais il seroit inconvenable, étant ma fille, que
vous soyez hors de toute connoissance des affaires. Les
ministres Palfy et autres pourroient vous parler à tous
deux en même temps. Gela dépend de vos propres
arrangements : là-dessus, je ne vous prescris rien.
J'étois tout édifiée de votre humilité sur l'article de
vos six sœurs; j'ai cru que votre nouvel état vous a
déjà perfectionnée ; mais cela n'a pas duré longtemps,
car vous vous mettez au-dessus de tous les autres : cela
m'a fait rire. Krapf, votre médecin, est arrivé, me
porte de très-bonnes nouvelles de votre frère, en est
amoureux et d'elle aussi. Si sa maison est prête, il vou-
droit s'y rendre tout de suite. Vansuite (Van Swieten)
l'instruit; Défaut et Humelauer de même pour mon
cher Eydam (l). Mons. le peintre vous attendra ici
mercredi, si vous n'ordonnez autrement : il n'attend
(i) Gendre. Ce mot allemand est écrit en lettres allemandes, comme
celui de Krapf (\\\\ précède, et Befchl qui suit.
456 L'IMPÉRATRICE MARIE-THÉRÈSE.
que votre Befehl (ordre). J'espère que ma flotte sera
arrivée heureusement. Mon rhume va mieux : je me
porte, je crois, bien, mais pas tranquille. Mon cœur a eu
une secousse dont il se ressent surtout dans une jour-
née comme celle d'aujourd'hui : en huit mois je perds
l'époux le plus adorable, un fils qui mérite toute ma
tendresse (1), et une fille (2) qui, après la perte'de son
père, faisoit tout mon objet, ma consolation, mon
amie. J'étois assez enfant, cette après-dinée, entendant
passer, à trois heures , vos sœurs par ma chambre : je
croyois un moment que ma chère Mimi paroitra : —
elle étoit occupée, alors, à faire les honneurs chez elle
et à jouir de la présence de son tendre époux, fruit de
tous mes soins, qui m'occupent depuis deux ans. Je
ne saurois assez remercier Dieu de les avoir conduits à
une si heureuse fin, et j'espère de sa grâce et de vous
autres la continuation de ce bonheur qui deviendra
tous les jours plus grand. J'espère que vous aimerez
bientôt autant les soirs que les matinées. Ce sentiment
me fait plaisir et est tout à fait à sa place. Je ne vous
gronde pas, mais je vous embrasse de bon cœur.
Marie-Térèse.
J'ai reçu quatre de vos lettres aujourd'hui. Elles ne
(1) Le duc de Saxc-Teschen , qu'elle chcrisjsait à cause de son
ardente affection pour rArchiduchessc, affection qui ne sVst jamais
démentie. Marie- Christine la rendait avec usure à son mari, et il
existe aux Archives de TArchiduc Albert des lettres de la Princcsie
au Duc qui respirent la tendresse la plus curieusement passionnée.
(2) L'Impératrice veut parler de Marie-Christine elle-même, sa fille
la plus chérie, et dont Târae et la nature d*esprit répondaient le mieux
à ses sentiments maternels. Marie- Antoinette n'était alors qu'une
enfant.
MAISON DE LA REINE. 457
m'dtoient pas de trop. Je vous en suis tendrement
obligée. Palfy a porté la sienne après deux heures ;
c'ëtoit la dernière.
Mes compliments à la Vasquez.
III
ENTRETENEMENT ET N" [NOURRITURE].
AlCIfÉE 1784 (1).
30685^ iO- Od-
État des .sommes que la Reine veut et ordonne être dis-
tribuées par M* Marc-Antoine-Franrois-Maric Randon de la
Tour, trésorier général des Maison et Finances de Sa Majesté,
pendant la présente année mil sept cent quatre-vingt-
quatre, aux officiers ci-après nommés.
Premièrement :
Aux dix-huit grands valets de pied, à raison de 270* par
quartier 1080* »
Aux vingt cochers pour leur vin de la Saint-
Éloy 300 »
Au blanchisseur du linge de corps, pour ré-
compense 300 n
A lui, pour son logement 200 »
Au S' de Méroger, [premier] commis des se-
crétaires des commandements, pour ses appoin-
tements (2) 2400 )»
A lui, pour sa nourriture 000 »
Au commis du Surintendant des finances. . . 2400 n
A son secrétaire 600 n
(1) nibliotliè(|iie impériale de Vienne.
(2) Il était chargé du renvoi des placet.s présentés à Sa Majesté.
■
458 MAISON DE LA REINE.
Au Gouverneur des pagres (1), pour et au lieu
des entrées desdits pa^es 600 n
À lu», pour récompense 200 »
A rËcuycr Commandant, pour et au lieu des
entrées des pa(jes, à raison de 700* par an ; et
attendu qu'il est supprimé du l" janvier der- ) Mémoire,
nier, il sera porté ici pour à lui pour récom-
pense, 200**; pour
A l'Écuyer Gavalcadour et au lieu des écuries
des pages 700 »
A lui , pour récompenses 200 »
Aux quatre coureurs de vin (2), à raison de
75* par quartier 300 »
Au Chirurgien ordinaire , pour récompen-
ses (3) 400 »
A la faiseuse de mouchoirs 600 »
Au frotteur des appartements, à raison de
200* par quartier, ci par an 800 »
A quatre porteurs de chaise, à 60* chacun. . 240 »
Pour les habillements des garçons d'ofBce,
bouche et commun 400 »
A six des Cent-Suisses de la garde du Roi, à
raison de 270*, par quartier 1080 »
A deux Contrôleurs généraux , pour récom-
pense, à raison de 600* chacun 1200 »
Au S"" marquis de Paulmy (4), pour les noui^
riture et cntretenemcnt d'un Suisse vêtu des li-
vrées de la Reine, servant à garder les portes
des logis de la Chancellerie 500 »
A un secrétaire, pour récompense 200 »
Au tailleur ordinaire de la Reine (5), en con-
sidération de ses services 400 »
(1) M. de PcrdrcauTÎlle.
(2) Adam, Journé (itoii neyeu en sunrivance), Pelleûer, Reynier
du TilIcC.
(3) M. Léger.
(4) Chancelier de la maiiion de la Reine.
(5) Le sieor Stein. Le sieur Schultès en aurvivaDce.
MAISON DE LA REINE.
Au {jarçon apothicaire du commun, pour ré-
compenses
Aux deux g^arcons de fburière, pour les brosses
et torchons qu'ils sont oblige de fournir, à rai-
son de 144^ chacun, ci pour les deux
Aux carrons de la chambre du Roi, en consi-
dération du mai' qu'ils plantent
Au garçon de garde-robe, pour récompenses.
Au garde-meuble de l'écurie, pour récompen-
ses, frais et dépenses qu'il est obligé de faire
pour la conservation des meubles
Au concierge des écuries (I) par commission,
pour ses appointements.
Au sieur Bernage garde des livres, états et
papiers (2), pour ses récompenses
A quatre fouriers de l'écurie, à raison de 60*
chacun, pour récompense
A quatre maîtres palefreniers ordinaires, par
commission, pour leur tenir lieu de gages et
nourriture, à raison de 365* chacun ,'par an. .
A douze cochers servant par commission,
compris les six d'augmentation de l'année der-
nière, pour pareilles choses
A douze postillons par commission', compris
les cinq d'augmentation de l'année dernière,
pour idem. .
459
200
288
100
300
250
250
100
2iO
1460
4380 n
4380 n
Maitres cf exercices des pages (3), par commission.
Au S' Dessalles, maître à écrire, pour sa nour-
riture à 30 s. par jour 5i7*i0*
An S*" Ciolly [Ciolli], maître à voltiger, id. . 547 40
(1) M. de Fremussoii, Argentier, Secrétaire et Gardc-ineubic de
récuric.
(2) M. de Bernage de Saint-Illierït, survivancier de M. La Ba^Ce.
(3) Les pages étaient alors MM. di; Mornay, premier, de Beau-
mont , Danstmde , de Sonnevillc , de Clinchamps , de Poix , de
Maiclic , de Hotman , le chevalier de Belot , le cheraHer de La Porte ,
Aimer de La Chevalerie, de Saintc-Aulaire.
460 PRESENTS FAITS PAU LE DUC ET LA DUCHESSE
Au S*" Trincano, maître de niathénialiques,
pour sa nourriture, à raison de 30 s. par jour. 547 10
Au S*^ Briant, maître à danser, pour idem, . 547 10
Au S' Prévost, maître d'armes, pour ic/. (l). 5-47 10
Somme totale du présent État, trente mille
six cent quatre-vin(jt-cinq livres dix sous. . . . 30685 10
(De la main de Beaureg^ard, Pun des secrétaires des com-
mandements.)
Vu BON.
Fait et arrêté par la Reine, à Versailles, le quatre janvier
mil sept cent quatre-vingt-quatre.
Signé : I^IARIE-ANTOINETTE.
Et plus bas, Beauregard.
IV
VOYAGE DU DUC ET DE LA DUCHESSE DE SAXE-TESCHES
EN FRANCE (2).
Notes de8 Présen» ù faire à Paris en Nippes.
Au Comte d'Angivillers . . . Un boête à portrait riche-
ment ornée en diamants.
Au Vicomte d'Oudenarde. . Un boête à portrait de bois
pétrifié et une baçue à
chiffre.
A Madame Boulo(][ne Une épin(|[le à diamants, une
boête de bois pétrifié et
une ([arniture de dentelles.
(1) Il y avait aussi M. Fuiiarier, uiaitrc pour le dessin, qui n'est
point port»; sur cet état.
(2) Archives de Son Altesse Impériale et Royale T Archiduc Albert
d'Autriche. — Voir stu- ce voyage, qui eut lieu en juillet et août 1786,
p. 81 à 100 et p. 129 à 140.
DE SAXE-TESCIIEN EN FRANCE. 401
A M'deLaborde Une hoôte à chiffre de bois
pétrifié.
A M' Rouscliinanii, concierjfe
à Versailles Une boête éniaillée.
Au tapissier à Versaillcîs. . . Vnt' I;oùte d'or.
Au directeur de la fabrique de
Sève Une boôte einaillée.
Au directeur de celle de Go-
beliivs ^'i^ii boétc emailléc et. eu
])erles.
Au {jarde du cabinet des
estampes Une boéte éniaillée.
A M' d'Ojjny de Rijfoley,
char^çé de faire parvenir
les pa((uets de lettres. . . .
A M' Le Brun, directeur (jéné-l Nibif.
rai des pos1es[aux chevaux],
qui fait les dispositions pour I
le voya^je'vers et sur les
côtes de TOcéan
Une boite einaillée avec le portrait en brillants à Mons'
l'Ambassadeur Mercy.
Un boitedemême, mais un peu inférieure de prix à Mons'Ar-
{jentvillier [d'An|^iviller], surintendant <les bâtiments du Roi.
Deux tabatières d*or émaillées, rune au directeur de la
fabrique de Sirve, l'autre au directeur de la fabrique des
Gobelins. (Double emploi).
Une tabatière d'or émailléc à la personne de la police
qui a toujours été à l'hôtel à Paris.
Une tabatière d'or à la personne qui a apporté les livres
d'estampes de la part du Roi. C'est M' Joly, g;arde du cabinet.
Une tabatière d'or très-simple au tapissier qui étoil à notre
appartement de Versailles.
(Jn ne snii) pa8 ni ce ii'ost pa.<< le concierge. Car celui-ci a eu
aussi une Uibatièrc.)
Une tabatière d'or à Mad'« Bertin.
Une tabatière d'or éniaillée avec portrait entouré de bril-
lans à M' le Comte Esterhazv.
462 PRESENTS FAITS PAR LE DUC ET LA DUCHESSE
Une bag^e avec chiffire en brillants à M' Gaccia.
L^abbé de TEpée, une tabatière d'or.
Au visiteur des postes qui
nous accompagnera dans le
voyage de Paris vers les
côtes Une boéte émaillée;
Au visiteur des postes de
S* Etienne qui a eu soin des
arrangements de voyage
pour venir à Paris Une boête d'or.
A l'ofBcierdc la police. . . . Une boéte émaillée.
AMad"*Bertin Une montre émaillée.
A M"" Léonard ( ^i^*J« (L'abbé de TÉpée est men-
.,,-,,, nr.* , ? donné plu8 haut pour une boite,
A 1 abbé de 1 Epee ( Léonard Test plus ba».)
Au secrétaire du comte Mercy
qui a été employé poifr les
arrangements du quartier,
et autres Une boéte d'or par Ghrtler,
PRÉSENS ETf ABGEMT.
A M' Léonard, suisse 100 louis.
Aux gens de la maison du Roi.
Aux suisses et frotteurs du
Roi 20. donné.
Aux f^ens de la maison de la
Reine 100. donné.
A la petite écurie pour les
carossesdu Roi Nihil.
Aux chargeurs d'armes du G**
d'Artois ^"^ \ A -A
Aux gens de son écurie. . . . 6 J "^
A la bouquetière de la Reine. 6.
A M' Le Beau, friseur. . . . 50.
Aux trois ouvreuses de loges
des trois théâtres, ensemble. 18 donné Girtler,
Aux deux adjutans du guet. 10
A l'employé subalterne de la là payer par GiriL
police. . • 2
DE SAXE-TESCIIEN EN FRANCE. 463
Aux tambours de la ville. . . On leur a déjà donné 5 louis.
Aux tambours de S* Denis. . On leur a déjà donné 4 louis.
Aux poissardes en 4 fois. . . On leura déjà donné 32 louis.
Aux deux domestiques de
louage 10 par Girtler.
Au gens de la maison du Fou-
cket à Versailles 20 louis donnés.
Au maître de T hôtel du grand
Ck)nseîl N, B. W Gaccia.
i2 fîrotteurfl 8 1.
2 commU.
sionnai-
res. . . S
Aux Petits Pères 12.
Au Recollets de V^ersailles. . . 4 par Girller,
Au porteur de lettres i.
Au bouquetier de la maison.
Aux gens de la maison de
Mad' Boulogne 30 par Girtler.
Aux gens de la maison de
M' Laborde 20 par Girtler,
. 1/11 > /Confiseur. ... 21.
Aux employés dans les oui- | » , „
sines, offices, etc 9 Girtler,] » ,/_,^ «
^ ' j 2 de dépense. . Z
\ i rccureuse . . 1
Aux garçons tailleurs 6 Girtler,
A la maison à Versailles. . . N, B, M' Caccia.
Aux domestiques de cette mai-
son '6.
Aux 3 cochers de louage. . . 12 par Girtler,
Aux postillons de louage, qui
ont conduit à Versailles, et
ailleurs
Aux gens de la fabrique de
Sève 15 par Girtler,
A ceux de la fabrique des
Gobelins 15 par Girtler,
A ceux du cabinet d'estampes. 6 par Girtler,
fJ^Vt*
Y\t^
i» ««"^ "
'^'^^^ , V.-*'-
iU*
« '"-^. v-.vv-r . *-••
S:^-.v,«;^v
kYU6VcV"^ 7 C*'^'^'* le^^'
sa\res-
àe cette «^*'*^;;àUc ^vèle^!^»':
ïuais
OV^'
DE SAXE-TESCHEN EN FRANGE. 465
Al'TRKS PETITES DEPENSES.
Aux {jens de la maison de la Reine, qui ont servi aux appar-
tements à Versailles KH)
Aux trois ouvreuses de lojjes aux trois théâtres 10
Aux (jens de service chez Fouchet, aubergiste à Ver-
sailles 10
Aux daiw domestiques de louage 10
Aux deux cochers, à celui qui est allé toujours à Ver-
sailles 5 louis, à l'autre 3 8
Au postillon 2
Au portier 2
Aux deux Femmes qui ser\'oient dans la maison .... 4
A un aide de cuisine, et aux deux flotteurs G
Au friseur de la Reine 21)
A un domestique du Comte de Mercy qui a fait des
visites 2
Au cocher et postillon du Comte de Mercy, qui accom-
pagnèrent une fois l'Archiduchesse 2
A l'homme (|ui avoit soin de vuider les retirades à
Versailles 2
Aux gens qui ont chargé et déchargé réquij)age à Ver-
sailles H
Aux porteurs des lettres 3
Aux poissardes en trois fois 2i
Aux tambours de la ville 5
2 adjudansdu guet 10
Bouquetière de la Reine i
Aboveurs de l'OjXîra 1/2
Au maître d'hôtel du grand Conseil, 000 **.
A Marly,
Aux gens qui ont montré la maison, et les jardins. . . 6
A Saint-Germain,
Au suisse, et au garçon jardinier 2
A Rambouillet,
Aux frolteurs
TOME ni. 30
466 LE DUC ET LA DUCHESSE DE SAXE-TESCHEN.
ÉTAT SOMMAIRE
DES DÉPENSES FAITES A FAB.IS.
RECETTE :
Levé à Bruxelles
Le 26 août y en lettres de
changée
Levé de M. de Laborde, en
suite d'une lettre de crédit.
Recette . . .
Savoir :
11 me reste en caisse :
En espèces
En à comptes
Donc la dépense faite à Paris
doit être
Total . . .
ARGENT
DE FRANCE.
81,841
73,372
72,000
11
227,213
29,418
12,744
185,051
227,213
»
18
n
n
18
18
d.
)>
»
M
W
6
ARGEXT
DE TIER9K.
fl.
n
n
n
n
»
88,361
»
n
L* ASSEMBLÉE NATIONALE AUX TUILEBIES. 407
DÉCISION DU ROI CONCERNANT L'ÉTABLISSEMENT DU LOCAL
DES SÉANCES DE l'aSSEMBLÉE NATIONALE AU MANÈGE DES
TUILERIES.
[18 octobre 1780.]
Messieurs les Commissaires nommés par rAssembléc Natio-
nale pour chercher à Paris un Heu où elle puisse tenir ses
séances, ayant déterminé que le Manège des Tuileries est
remplacement le plus commode tant par son étendue que
par la réunion à sa proximité des divers accessoires qui sont
nécessaires; Farchitecte du Roi soussi(jné, chargée par Sa
Majesté d'exécuter les intentions de rAssemblée, a rhonneur
de présenter ici à Messieurs les Commissaires leurs décisions
sur les différents détails de cet établissement, en les sup-
pliant de vouloir bien les approuver, afin qu'il puisse en
conséquence demander les ordres du Ministre pour s'autori-
ser auprès de son administration.
1° La grille qui est à l'entrée de la cour du Manège sera
disposée pour laisser l'accès plus libre aux voitures, et ii
sera formé dans toute la longueur de cette cour une barrière
solide, pour séparer le passage des gens de pied de celui des
voitures, et éviter les accidents.
2*> 11 sera placé au-devant de la salle, et pour servir de
vestibule , une des grandes i^iaisons de bois des Menus-
Plaisirs.
3" Dans le passage qui sert d'entrée de ce côté, il sera
percé deux portes servant à communiquer dans les pièces
latérales, pour y établir des bureaux , et il sera fait des croi-
sées à la place des portes de ces pièces qui donnent actuel-
lement sur la cour.
4* Comme les planchers sur ces pièces ont été faits d'une
manière provisionnelle et sans solidité, il en sera construit
30.
4«8 L'ASSEMBLEE NATIONALE AUX TUILERIES.
un autre ainsi que sur le passade, pour y former un entre-
sol, et on y pratiquera les croisées nécessaires pour Féclairer.
5* Au-ilessus de cet entre-sol et sur le plancher qui existe,
il sera formé un éta(;e où on établira deux bureaux; on y
fera le plancher supérieur à la naissance du comble et on
percera les croisées qui y sont nécessaires.
(>• Pour donner à MM. les Députés Faccès des pièces ci-
dessus, sans qu'ils soient obligés de passer par les escaliers
destinés au public, il sera construit un petit escalier qui aura
son entrée par le secrétariat.
!• 11 sera percé, pour rusa(];e de M3f. les Députés seule-
Hicnt, deux portes sur le jardin des Tuileries, auxquelh^s
n*pondroiit deux autres qui donneront dans Tintérieur de la
salle; il sera percé, du même côté, trois croisées pour éclairer
le corridor qui ré(]^nera sous l'amphithéâtre, dans tout le
pourtour de la salle. Il sera également percé dans le mur
opposé les portes nécessaires pour établir les communications
avec les secrétariats, ainsi que les haies pour placer les poêles
sous Faniphitliéâtre : il sera pareillement ouvert trois portes
dans Tattique pour les entrées des tribunes, et toutes celles
qui seront percées dans la salle à rez-de-chaussée seront
vitrées |)Our éclairer le corridor.
8" L'intérieur de la salle ayant besoin de recevoir le plus
de darlé qu'il sera possible de lui en donner, et la construc-
tion ne permettant pas d'y ouvrir de nouvelles crois<'*es,
MM. les Commissaires ont décidé que celles qui existent
actnellenieut à petits carreaux, et qui par leur vétusté ne
peuvent supporter une nouvelle distribution , seront sup-
primées ; qu'il en sera fait de nouvelles à grands carreaux et
h verres de Bohême, qui puissent s'ouvrir facilement pour
renouveler l'air, et ayant chacune un vasistas en soufflet pour
donner de l'air à volonté lorsque cela sera nécessaire
9* 11 sera pratiqué aux extrémités de la salle deux tribunes
capables de contenir chacune cinq rangs de banquettes gra-
duées, et sur les côtés il sera fait deux autres tribunes qui ne
contiendront que deux rangs de banquettes seulement : ces
tribunes seront portées par des poteaux de fer, afin qu'ils
causent le moins d'obstacle possible aux personnes qui seront
assises derrière.
L'ASSEMBLÉE NATIONALE AUX TUILERIES. 469
10® Pour panenir aux tribunes, il sera construit trois esca-
liers, un par le jardin des Feuillants, et les deux autres dans
l'espace qui est entre le Maiiéye et le mur du jardin des Tui-
leries.
11° Les dfradins qui forment ramphithéâtrc de la salle
d'Assemblée ?^ationale à Versailles seront employés dans la
nouvelle salle. On fera à neuf les parties nécessitées par
l'excédant de longueur de la nouvelle salle sur l'ancienne ;
il faudra aussi former le plancher inférieur, vu qu'il n'en
existe aucun actuellement.
12<* 11 sera construitdaus cette salle huit ])oêles, dont deux
seront apparents dans la salle et les autres sous l'amphi-
théâti-e; trois autres poêles seront pareillement construits
dans les secrétariats.
13* L'attique et la voûte seront peints en couleur de pierre,
et la partie de mur entre les (jradins, et la plinthe ainsi que
les devantures des tribunes des côtés, seront tendues en drap
vert provenant de la salle de Versailles.
li<* A l'entrée de la salle, du côtédu passade des Feuillants,
il sera formé deux parties de cloisons pour séparer cette entrée
d'une petite conr du suisse des Tuileries et de l'entrée du
public pour |)arvenir à la tribune qui est à cette extrémité de
la salle, et il sera percé une porte un peu plus Ixis dans le
mur de ce passa(;e, pour que le public puisse parvenir à
l'escalier qui existe actuellement et qui conduira à cette tri-
bune.
15<* 11 sera pratiqué dans l'écurie qui est entre le Manège
et le jardin des Feuillants des cabinets d'aisances, un vesti-
bule pour donner à Messieurs les Députés une entrée par ce
jardin, et une communication avec les bureaux qui y seront
placés, et cinq pièces destinées à des secrétariats: on percera
les croisées nécessaires* jK)ur les éclairer, attendu qu'il n'en
existe aucune actuellement, et on fera un plancher bas au
lieu du pavé qui y est.
16® De l'autre côté du Manège, est un fournil borné parle
mur du jardin des Tuileries, dans lequel on formera ini pas-
sage au moyen d'une cloison légère pour pouvoir par>'enir
aux deux escaliers des tribunes qui sont de ce côté; le reste
de ce fournil ser\'ira de cuisine au buvetier portier.
470 L'ASSEMBLEE NATIONALE AUX TUILEBIES.
17<» En face de la porte dn Manég^e, sur le passafj^e des
Feuillants, ii sera percé une porté dans le mur du jardin des
Capucins, pour donner à Messieurs les Députés une commu-
nication facile avec les bureaux qui seront établis dans le
couvent de ces Pères, et de cette porte jusqu'à l'entrée la plus
voisine du clottre, il sera pratiqué un appentis, afin que la
communication se fasse à couvert, et cet appentis sera ocmlî-
nué jusqu'à la porte du Manég^e.
18* Il sera formé en planches seulement une cloison dans
les réfectoires des PP. Capucins, pour leur en con9er\er une
partie éclairée par deux croisées. Lerestedece réfectoire sera
divisé en six par des tapisseries doubles attachées par le haut
aux poutres et par le bas à des tring^les fixées sur le carreau
du réfectoire, le tout sans rien déran[;cr aux tables qui y sont
placées.
19* La bibliothèque sera pareillement divisée en cinq par-
ties par les mêmes moyens: les livres in-12 seront renfermés
par des feuillets de planches, par des motifs relatifs à la sûreté.
La salle de Picardie sera de même divisée en deux, et il y
sera fait à neuf une partie de carreau qui manque. Les quatre
autres pièces destinées, ainsi que les treize divisions ci-dessus,
à former des bureaux, resteront dans l'état où elles sont ; dans
toutes cependant il sera placé des poêles.
âO* Dans un des endroits du jardin le plus convenable, il
sera monté une grande maison de bois qu'on divisera en deux
pour des bureaux, qu'on tendra en tapisseries et où on pla-
cera deux poêles.
21* Dans la maison des reli^^ieux Feuillants, trois côtés du
cloître et le chapitre seront destinés à Timprimerie de l'Assem-
blée, et comme cette étendue n'est pas encore suffisante, on
montera une grande maison de bois dans laquelle on placera
un ou plusieurs poêles. On fera deux parties de cloisons et
quelques bonchements de portes pour fermer le cloître.
22* Les archives de l'Assemblée seront placées dans la
bibliothèque ; cela nécessitera deux cloisons de distribution
en planches, des tablettes avec des divisions pour les cartons,
et un poêle.
23* Dans le jardin, il sera monté six maisons de bois pour
y former autant de bureaux.
UNE LETTRE DU COMTE DE PROVENCE. 471
24* Pour qu'on puisse communiquer à couvert du cloître
des Feuillants à la porte delà salle qui donne sur leur jardin,
il sera formé un passage couvert qui s'étendra devant les
cabinets d'aisances et jusqu'à Fescalier qui conduit à la tri-
bune qui sera de ce côté. Si les maisons de bois sont placées
dans cet endroit, il faudra que ce couvert puisse y conduire
aussi.
Paris, le 18 octobre 1789.
Approuvé les propositions ci-dessus :
Leduc d'âig^jillon ^ Paris, Guillotin, Le marquis db
GouY d'Arcy, Lapoule, f S. Ev. de Rodez,
Lepeletier de Saikt-F arceau.
{De la maùi du Roi,)
Approuve : LOUIS.
VI
La lettre qui suit a été imprimée d'abord par M. Louis
Blanc, page 100 du tome II! de son Histoire de ta Révoiution
française. Il Tavait copiée sous les yeux de M. Moakton-
Milnes, aujourd'hui lord Houghton, pair d'Ang^lelerre,
secrétaire de la Société du Phiiobibion de Londres, qui la
possède dans sa collection de documents historiques. Lord
Houg^hton l'a publiée de nouveau dans l'un des volumes de
mélangfes de cette Société de. Curieux, avec une lettre intex^
ceptée de Marie-Antoinette au comte de Mercy, en date
du 12 août 1791. La lettre du Comte de Provence parait
avoir été écrite en encre sympathique et porte, dans le bas,
ces mots d'une autre main et à Tencre rouge : Papiers secrets.
Malheureusement, cette épître si curieuse, comme on en
va juçer, se trouve, avec toute la collection de lord Houg;hton,
à son château dans le Yorkshire, et je n'aurais pu la voir à
un voyag^e à Londres. Je suis donc réduit à en parler sans
472 UNE LETIRE DU COMTE DE PROVENCE.
Tavoir vue. Aussi, j'avoue que si elle n'avait pas été publiée,
je n'aurais peut-être pas eu le courage d'en hasarder ici
l'impression; mais il m'est impossible, la rencontrant sur mon
passage, de n'en pas fain^ l'objet d'un examen particulier. Et
d'abord , qu'on en prenne lecture. Voici le texte :
MONSIEUR, COMTE DE PROVENCE
(ait marquis de favras?)
1" novembre 1789. .
Je ne sais, Monsieur, à quoi vous employez votre
temps et l'argent que je vous envoie. Le mal empire,
l'Assemblée détache toujours quelque chose du pouvoir
royal : que restera-t-il si vous différez? Je vous l'ai dit
et écrit souvent, ce n'est point avec des libelles, des
tribunes payées et quelques malheureux groupes sou-
doyés que l'on parviendra à écarter Bally [Bailly] et
La Fayette : ils ont excité l'insurrection parmi le
peuple ; il faut qu'une insurrection les corrige à n'y
plus retomber. Ce plan a, en outre, l'avantage d'inti-
mider la nouvelle Cour et de décider l'enlèvement du
soliveau. Une fois à Metz ou à Péronne, il faudra qu'il
se résigne. Tout ce que l'on veut est pour son bien :
puisqu'il aime la nation , il sera enchanté de la voir
bien gouvernée. Envoyez au bas de cette lettre un récé-
pissé de deux cent mille francs.
Louis-Stamslas-Xavier.
M L'enlèvement du Soliveau » : Quel beau mot sous la
plume d'un frère, du premier prince de la famille royale,
UtNE I.ETTRE DU COMTE DE PROVENCE. 473
du premier sujet de la Couronne, du fulur Roi de France!
Combien l'ambition dévorante du souverain fK>uvoir ron(;e
au cœur les parents les plus proches et détruit les senti-
ments de famille ! Telles seraient les réflexions qu'inspi-
rerait cette lettre, si Tautheuticité en était parfaitement
déniontrée. Mais sur ce point on est loin d'être d'accord.
On ne saurait oublier, disent les uns, que le Comte de
Provence avait afFecté, dès sa première jeunesse , un air de
supériorité sur ses frères; qu'il avait pris beaucoup d'humeur
du peu de déférence montré pour ses avis, et qu'enfin il avait
été l'instigateur du complot royaliste ourdi par le marquis de
Favras, à qui la présente lettre est censée adressée. Monsieur
était jeune, et l'on se trouvait à une époque d'efFer\'escence
(générale où le courant révolutionnaire entraînait ou ébran-
lait les meilleurs esprits. Faux, ambitieux, jaloux, peu con-
tenu par le sentiment moral , il aurait bien pu être poussé
par la passion à une aveu(jle imprudence, alors surtout que
le rèfjne de la presse, que les dan(jers de la publicité n'exis-
taient point encoixî. La lettre a été trouvée, à Londres, par
lord lloughton chez un marchand d'auto((rnphes, perdue
parmi une foule d'autres pièces sur la révolution française,
provenant , à ce qu'on supposait , de l'héritaf^e d'un vieil
émig^ré, et auxquelles le marchand lui-même n'attachait pas
une particulière importance. Aussi a-t-il livré le tout à un
prix très-minime. Dans quel but un faussaire eût-il com-
posé cette lettre? Serait-ce pour compromettre le Comte de
Provence? Serait-ce pour en tirer profit en la faisant tom-
ber sous les yeux d'un riche Curieux? Il faut avouer qu'ici la
haine ou la cupidité aurait bien mal pris ses mesures ou
aurait manqué d'occasion. Tel est le 1an(]fa([e des partisans
de l'authenticité de la pièce. Ils «ajoutent encore qu'elle pour-
rait bien n'être pas p«n'venue à son adresse et être demeurée
aux mains de l'émissaire confidentiel, qui ne serait autre
que cet émi(jré même dans les papiers de qui elle aurait
sommeillé. Le rapprochement de la date de la lettre et de la
découverte du complot de Favras justifierait à leurs yeux la
conjecture. D'autres, et c'est le plus [frand nombre, ne voient
dans la lettre qu'un fla(jrant apocryphe.
En vérité, se disent-ils, est-ce ainsi que l'on conspire?
474 UNE LETTRE DU COMTE DE PROVENCE.
£ct-il admissible que le Comte de Provence, naturelleroent
prudent comme la diplomatie, rusé comme la dissimulation ,
timoré comme la peur, le Comte de Provence dont on n'a
aucune autre lettre compromettante, ait écrit de sa propre
plume, si(fné de ses propres ncmis ane telle lettre, qui deve-
nait contre lui une arme aux mains d'un homme dont il se
méfiait, d'un homme qu'il devait désavouer si solenndle-
ment devant la commune de Paris? Qu'il ait pensé, qu'il
ait même parlé <ie la sorte dans un tète à tète secret, cela
ne serait point en opposition avec son caractère; mais écrire!
mais 8l(pier ! c'est plus qu'invraisemblable. Que prouve ici
l'usage de l'encre sympathique Y Rien; cette encre n'a de
secret que pour un moment; ce n'est pas un de ces éclairs
qui brillent et soudain s'évanouissent : une fois avivée par le
feu ou par la liqueur fumante de Boyle, les lettres ou autres
signes paraissent comme ceux qu'une autre encre aurait tra-
cés. Là, de plus, polat de ces mots couverts et discrets q«e
commande le mystère d'une délicate entreprise ; la pièce
entre dans des détails si crûment circonstanciés, elle met si
brutalement à nu le complot, qu'elle a tout l'air d'être faite
à plaisir et après coup, et qu'en matière de procès il n'y a
Quère qu'un Laubardemont qui eût pu y ajouter foL
Du reste, dans les papiers de qui, et par qui, aurait-elle
été trouvée? Elst-ce sur ou chez Favras, car l'intervention
de cet émigré émissaire n'est qu'une supposition sans fonde-
ment? Et de i^it, le rapprochement àeê dates n'est guère
Êivorable à la conjecture. La lettre est du 1*' novembre et
l'arrestation de Favras du 2i du mois suivant; or, est-il
supposable que l'émissaire, habitant la même ville, eèt
gardé, pendant cinquante-trois à ci nquante<[uatre jours, la
lettre dans sa poche? Ce point écarté , comment cette lettre
aurait-elle été gardée par Favras, qui eût dû la renvoyer
avec lin reçu? Saisie sur sa personne ou dans son porte-
feuille, comment n'aurait -elle pas figuré aux pièces du
procès? Parce que, dira-t-on, La Fayette l'aurait soustraite
au dossier par ménagement pour le frère du Roi. Ce serait
alors, comme le présume lord Houghton, le document même
dont parle Gouverneur Morris dans son /oumfx/, et qui aurait
été porté au général. A la bonne heure. On comprend en effet
UNE LETTRE DU COMTE DE PROVENCE. 475
que le g^énéral , dont la vie était menacée avec celle de Bailly
parle complot royaliste, eût eu le cœur assez haut pour açir
ainsi. Mais s'il eût menacé Monsieur de son vivant, eût-il à
Louis XYIII gardé le secret, en g^ardant la pièce, après la
mort de ce prince? Lui qui a aidé au renversement du trône
de Charles X , n'eût-il donc soufflé mot dans ses Mémoires
sur ce çrave incident, s'il eût été vrai? De pareils documents
laissent d'ailleurs des traces dans les familles, s'ils n'«n
laissent pas dans les écrits personnels. Or, nulle trace n'en
est restée dans la Emilie du général.
Ce n'est pas, il faut le dire, que c'eût été la seule fois
qu'il eût usé de ménagements pour prévenir le bruit et le
scandale en circonstance délicate. Lors de l'arrestation du
Roi à Varennes, toutes les armes saisies sur les gentilshom-
mes travestis étaient au chiffre armorié du coiiite de Fersen
qui les avait fournies, de même qu'il avait fourni la voiture
de voyage. La Fayette, pour éviter de . compromettre le
comte, ce qui n'eût été que livrer inutilement un nom de
plus aux récriminations de la haine populaire, fit disparaî-
tre les armes. Le général était un honnête homme, de bonne
foi dans ses sentiments constitutionnels , et chez qui l'esprit
de conciliation n'était point une qualité, mais une habitude.
Mais tout cela prouve eu faveur de La Fayette, non de
la pièce. On jugera. J'ai toujours pensé qu'on doit avoir
grand scrupule à taxer de faux un monument écrit, à
moins de preuves palpables et de la dernière évidence. Ainsi,
pour la corres{K>ndance de Louis XVI publiée par miss
Helena Williams, les preuves flagrantes, les aveux même,
les aveux écrits, de la supposition étaient là dans nos mains.
Mais ici , nous avons affaire à une pièce accueillie comme
authentique par un des premiers connaisseurs de l'Angleterre.
Qu^cm pèse le pour et le contre : Suh judice lis est.
Le marquis de Favras fut arrêté le 24 décembre 1789,
rue Beaurepaire, en sortant de chez M. de La Ferlé, tréso-
rier général de Monsieur. Au même moment, on arrêtait chez
elle madame de Favras, on saisissait tous leurs papiers, et
tous deux étaient jetés dans les prisons de l'Abbaye.
Le lendemain, à l'aurore, on lisait sur les murs de Paris
et l'on ramassait dans les rues un placard signé d'un nom
476 UNE LETTRE DU COMTE DE PROVENCE.
supposé, et dont on n'a jamais pu découvrir le véritable
auteur :
u Le marquis de Favras, place Royale, a été arrêté avec
madame son épouse, la nuit du 24 au 25, pour un plan
qu'il avait fait de faire soulever trente raille hommes pour
faire assassiner M. de La Fayette et le maire de la ville, et
ensuite nous couper les vivres. Monsieur, frère du Roi, était
à la tête.
Sig^né : Bralz. »
Le malheureux marquis avait demandé, au moment venu
de son exécution, d'être conduit à l'hôtel de ville pour
y faire des révélations. Sans doute pensait-il donner à son
complice du Lu\embour[]^ le temps de faire quelque effort
pour le sauver. C'était mal connaître les grands. Qu'on se
rappelle ce qu'avait été Gaston d'Orléans, ce qu'avait été
le prince de Condé, à l'égard du coadjuteur de Retz. Gaston,
sans caractère, ni dessein, ni sûreté; Condé, un prince dont
lagloiremilitaireallait balancer les fautes politiques, devaient
faire leur paix aux dépens de leurs partisans. « Vous serez
fils de France à Blois, disait Retz a Monsieur, et moi cardi-
nal à Vincennes ! » Et il disait vrai. Ainsi le Luxembourg,
loin de songer à se glisser dans la mêlée en faveur de Favras,
attendait avec une mortelle anxiété d'être délivré d'une me-
nace d'épée de Damoclès par le dénoùment. Il avait en-
voyé un affidé, le comte, depuis duc de La Châtre, au lieu
du supplice, [>our s'assurer si la victime pousserait la discré-
tion chevaleresque jusqu'au dernier sacrifice (1). Elle le fit,
(1) « Le souvenir de cette démarche me rappelle deux pro|ios pro-
pres à démentir la jiistiHcation de Monsieur : Tun du comte , depui»
duc de La Chastre, qui, dauii un premier mouvement, se plai{>nit
devant moi d'avoir été indignement compromis par Monsieur; Tauire
du curé de Saint-Paul, confe.sîteur de la victime, qui me dit, par une
très-coupable indiscrétion : Monsieur ne doit jamais oublier Timpor-
tant service que je lui ai rendu. » Mémoires secrets du comte (V Allons
vii'r, t. II, p. 19^.
?î<»us avons déjà dit ailleurs quel dejjré de confiance mérite ce
comte d'Ailonville, que nous avons connu dans sa vieillesse, à qui
UNE LETTRE DU COMTE DE PROVENCE. 477
elle malheureux Favras, condamné ^ans preuves à lu po-
tence, subit sa peine le 20 février 1790, sans se démentir un
instant de son inaltérable fermeté. Ce supplice démontra une
fois de plus à quels excès peuvent s'emporter le délire des
passions poFitiques et raveii(jle fureur de la populace. Le
magistrat qui vint lire au condamné sa sentence, eut la bar-
barie d'ajouter : w Votre mort, nionsieur, est nécessaire à la
tranquillité publique; » et du sein de la foule amoncelée au
pied de l'échafaud, nul cri généreux ne vint attester la
moindre émotion au spectacle du prodigieux courage de la
victime. Rien que des voix qui criaient : Allons, saule ^ Mar^
quisî — et des rondes* féroces dansèrent autour du cadavre
suspendu.
nous avons été assez heureux poiu' fournir des documents, et qui nous
en a donné à nous-mèine. C'est à lui qu'il faut i*eporter Tlionneur des
Mémoires d\in homme d'Etat y rédigés sur les papiers du prince de
Hardeukci'{>. Il a été le contemporain de tous les personnages de notre
révolution, il a vécu avec quelques-uns d'entre eux, et avait beau-
coup à dire avec autorité sur les hommes et sur les choses.
FIN DU TROISIÈME VOLUME.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIÈRES.
CCCLXXXVIII. LE DAUPHl», DEPUIS LOUtS XVI, A L ARCHIDUCHESSE
MARiE-AKTOiRETTK. — Envoi de soii portrait, en qualité de Hancé.
(2 avril 1770.) i
GCCLXXXIX. — l'impératrice marie-tuérèse au dauphi>, au momext
DU départ de MARiE-ANTOixE'fTE POUR LA FRA5CE. — CoDseils mater-
nels. (Vienne, 21 avril 1770.) 3
CCCXC. LOriS XVI a l'impératrice MARIE-THÉRÈSB D'AinHICHE. ^-
Le jeune Roi iM>lifie son ayén^meat. (La MueUe, 5 juia 1774.) 4
CCCXCl. — MARiE-AM)Oi?iE'rfE : A ma Cousine Madame la. duchesse
douairière de La Trimouille, — Promesse de s'intérejuser auprès du
Rui à la demande qu'elle lui a faite du cordon bleu en faveur de
son fils. (Juillet 1774.) 5
CCCXCII. LOUIS XVI AU GARDE DES SCEAUX BUE DE MIROMESML. —
Dispositions à prendre pour l'installation des Parlements. (V^ersailles,
6 décembre 1774.) .• • • ^
CCCXCIll. LOUIS XVI AU GARDE DES SCEAUX HUE DE MIROMES51L. —
Instruclions de détail. — Lettres de l'ermite Jean. — Mémoire du
Conseil d'£tat. — Réponse à faire aux remontrances du grand Con-
seil. (Versailles, 6 janvier 1775.) 7
GCCXCIV. MARIE-ANTOINETTE A SON FRERE l'eMPEREUR JOSEPH II,
ROI DES ROMAINS. — EUle répond à des reproches fondes sur des cail-
letages et des chansons. — Libelles de fripons. — Propos d'étourdis.
(Choisy, 8 octobre 1775.) 8
CCCXC V. LOUIS XVI A HURSON, ANCIEN INTENDANT DE LA MARINE A
TOULON. (Fontainebleau, 6 novembre 1776.) 10
NOTE SUR LE COMTE d'oRVILLIERS 12
HOTE SUR LES REFORMES INTRODUITES DANS LA MARINE 14
CCCXCVL — l'empereur josepu ii a marie-curistine. — Tendresses
m
de famille. — Il visite les ports, dont il est fort satisfait. — Eloge
de Marie>-Antoinette, qui, indépendamment des grâces de sa figure,
sait être charmante par le tour délicat qu'elle donne à toute chose.
(Brest , le 9 juin 1777.) 16
NOTE SUR LE FIEF DE FALKENSTEIN 17
NOTE SUR LA VISITE DE JOSEPH II DANS LES PORTS DE FRANCE. . . 17
CCCXCVII. MADAME ELISABETH A LA MARQUISE DE SORAlf. Quaod
TABLE ANALYTIQUE. 479
sa fille sera en âge, le Roi a promis de donner à sa fille une place
auprès de la Princesse. — Garder le silence à cet égard, pour ne
pas exciter les jalousies. — Elle donne à la marquise son portrait
|>eint par Campana. (Mai 1778.) Sa
KOTE SUR LA MARQUISE DE ROSIERES-SORAS 23
HOTE SUR LA COMTESSE DELPBI7IE DE SORATI 2V
CCCXCVIII. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBKLLES. AnnOnce
d'une affaire entre les flottes française et anglaise. — Le vaisseau
de l'amiral Keppel se battait fort hien et tout à coup a viré de bord,
ce qui fait croire que Tamiral a été tué on hleMe. — Retour du
duc de Chartres. — M. Du Chaffault dangereusement blessé. (Vers
les premiers jours d*août 177S.) 25
co?rDriTE DU Drc d^orléans au combat d*oi'es8axt 26
NOTE si:r le comte du chaffault 28
MOT de la reine SUR DU CHAFFAULT • 28
CCCXCIX. LOUIS XVI A l'amiral DR FRANCE (lE DCC DE PKSTHIBVRE).
— Ordre d'armer en guerre contre l'Angleterre, qui a insulté le
pavillon de France. (Versailles, 10 juillet 1778.) 30
NOTE SUR l'insulte FAITE AU PAVILLON FRANÇAIS PAR l'aNCLETKRRE. 31
CCCC. LOUIS XTI AU DCC DE PBNTHlÈVRE (a MONSIEUR l'aMIIAL).
Fixation de l'époque de la déclaration de guerre contre l'Angle-
terre, par suite de l'insulte faite par elle au pavillon du Roi. (5 avril
1779.) 34
CCCCI. MADAMK ELISABETH A MADAME DE BOMBKLLES. Madame
Adélaïde indisposée contre la Princesse. — Interj>osition de la
Reine. — Madame Elisabeth présente des excuses, bien que per-
suadée de n'avoir tort qu'à demi. — La Princesse demande que
madame de Rombelles se fasse peindre. (24 novembre 1779.). 35
NOTE SUR LE PEINTRE CAMPANA 36
NOTE SUR MADAME DE TRAVANET 36
CCCCII. MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
HES8E-DARMSTADT. — Invitation pour Trlanon. (Mai 1780.). . 37
NOTE SUR LA PRINCESSE LOUISE DE HESSE- DARMSTABT 38
CCCCIII. MARIE-ANTOINKTTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
HLSSE-DARMSTAUT. — Félicitatious sur i'aceonchenient de la Prin-
cesse. — Annonce du portrait de la Reine. (12 septembre 1780.) 40
CCCCI V. MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
HESSE-DARMSTADT. — Aunouce de sa seconde grossesse. — La prin-
cesse Charlotte. — Le prince Georges. (17 mars 1781.). ... 41
CCCCV. MARIE -ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
UESSE-DARMSTAUT. — On lui a prédit un gar^n , elle en accepte
l'augure avec beaucoup de foi. (7 mai 1781.) 42
CCCCVI. MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HERÉDrTAIRK DE
UESSE-DARMSTADT. — Sur uu ré{*iment dont le prince de liesse solli-
cite le conunandement en France. — Espoir d'un nouveau voyage
de la Princesse en France. (8 juin 1781.). 43
NOTE SUR LE MARQUIS DE SÉCUR 44
480 TABLE ANALYTIQUE.
CCCCVII. MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PHI5CE8ftE IIKIIBOITAIIIE DE
HESSE-DARMSTADT. — Coiidoléance dur la mort du père de la Prin-
cesse. (I" juillet 1781.) 45
CCGCVin. — l'empereur josepu ii a sa soeur marie-christine. — A
son second voyage en France, il trouve la Reine se préparant à
donner un Dauphin. — Annonce du voyage du Grand-Duc et de
la Grande- Duchesse de Russie à Vienne. (Versailles, 1*' août
1781.) 46
CCCCIX. — l'empereur josepu II a sa soeur marie -CHRISTINE.
En quittant Versailles, il s'est rendu à Montbéliard |>our visiter le
piince de Wiirteudierg, duc de Montbéliard, dont la plus jeune fille
est destinée à l'archiduc François, depuis empereur, neveu Favori
de Joseph II. — Portrait peu flatté de cette piincesse. (Monthéliard,
8 août 1781.) 47
NOTE SUR LES DUCS DE MONTBELIARD 48
LETTRE DE JOSEPH II POUR RETIRER LES PAROLES Qu'lL A ECRITES SUR
LA FIANCÉE DE SON NEVEU 49
CCCGX. MARIE -ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
HESSE-DARMSTADT. — Euvoi de son portrait. (28 septeiid)re
1781.) 50
CGGCXI. — LOUIS XVI AU COMTE DE CRASSE. — Le Roi invite l'amiral
à faire chanter un Te Pcum ù son bord, en rhonnetir des succès
remportés sur les Anglais, en Amérique, par ses armées de terre et
de mer. (Versailles, S4 novembre 17oi.) 51
NOTE SUR LA CONDUITE DU COMTE DE GRASSE, ET CORRESPONDANCE DE
VERGENNES, AU NOM DE LOUIS XVI, TOUC/IANT LES PRELIMINAIRES DE
PAIX AVEC l'angleterre 52
GGGGXH. — l'empereur joseph ii a sa soeuh marie-christine. —
Prochain voyage a Rruxelles du Grand-Duc et de la Grande-
Duchesse de Russie, sous le nom de Gomte et Gomtesse du Nord. —
Gomment il les faut recevoir. — Les Hollandais. — Le pape Pie VL
(Vienne, 26 mars 1782.) 54
NOTE SUR LES RAPPORTS ENTRE LE PAPE PIE VI ET JOSEPU II. . . 55
CGGGXin. LOUIS XVI AU garde des sceaux, HUE DE MIROMESNIL.
— Interdiction de la représentation du Mariage de Figaro. (Pre-
miers mois de 1782.) 57
NOTE SUR LA REPRESENTATION DU MARIAGE DE FIGARO 57
GGGGXIV. — JOSEPH II A SA SOEUR MARIE-CHRISTINE. — Lc Pape à
Vienne. — Dissidences entre le Saint-Père et l'Empereur. — Lc
Gomte et la Gomtesse du Nord. (Vienne, 15 avril 1782.). . . 61
GCGGXV. — l'empereur joseph ii a sa soeur marie-christine. —
Départ du Pape Pie VI de Vienne. — Attitude de la population. —
Il se félicite du retrait des garnisons hollandaises en Rrabant. —
Nouvelles du voyage de Sa Sainteté. (Vieinie, 26 avril 1782.). 63
GGGGXVL — l'empereur joseph ii a sa soeur m«rie-€hristine. —
Prochaine arrivée aux Pays-Ras du Comte et de la Gomtesse du Nord.
— Conseils sur la réception qu'il convient de leur faire. (Vienne,
28 avril 1782.) ft5
TABLE ANALYTIQUE. 481
CCGCXVIL L*EMPEBErR JOSEPH II A SA SOEUR MAIlIK-CURISTIStR.
Lettre dont rEinpereur a clini-gé le Comte et la Comtesjiie du Nord
|)our sa sciîiir. (19 mai 1782.) 67
CCGGXVIIL MARIK-ANTOlKKrrK A LOUISE, PRINCESSE UÉRÊDITAIRE
i»E nKSSK-i)ARMST\DT. — Appiiî <|irelle a donne à la demande d'un
ré{;imenl cmi Autriche eu faveur du prince Gcoryes. — Conditions
qu'y mot Joseph IL (6 septembre 1782.) 68
CC^iGAIX. — marik-axtoinktte a loiisk, princesse iiéréditairr de
iiESSK-nARMSTAiiT. — La Couifesse du Nord. — Amitiés. — Intérêt
qu'elle prend à la demande d'iin ré{^;iment en Autrielie faite par le
prince Geor{jes. (14 o/L'tohre 1782.) C9
CCGCXX. .MARIK-ANTOI>KTTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
iiKSSK-DARMSTADT. — Eucoi* l'affaire du régiment sollicité par le
prince Gcoi-ges. — Fête de la Reine. (18 novembre 1782.) . . 71
CCCCXXI. MARIE-ANTOINETTE A LOI'ISE , PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
iiKSSK-DARxiSTADT. — llépouse de l'Empereur sur les princes Georges
et Charles. — Le prince Mav de Deux-Ponts. — Visite annoncée
de la mère de la princesse Louise et du prince Georges. (24 dé-
cembre 1782.) 72
NOTE SUR LE PRINCE MAX 72
CCCCXXII. MADAME ELISABETH A LA MARQUISE DE SORAN. La
duchesse de Doiubon. — Delphine de Soran a peur de l'orage.
(1782.) 73
CCCCXXIIL — LOUIS XVI AU comte d'estainc. — Suppression de
toute hostilité avec l'Angleterre. — Mesures à exécuter en cette
circonstance. (22 janvier 1783.) 74
PROPOSITION d'articles PRELIMINAIRES DE TRAITE DE PAIX 77
CCCCXXI V. MARIE -ANTOlNE'rrE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE HESSE-DARMSTADT. — Proccs de la iiière de la princesse. — Com-
ment elle a trouvé la princesse Charlotte et la princesse Auguste. —
Inoculation des enfants de la princesse héréditaire. (2 juin 1783.). 78
NOTE SUR LA PRINCESSE AUGUSTE 79
CCCCXXV. — l'empereur joseph ii a sa soeur marie-curistink. —
x\près avoir subi tant de bêtes de toutes c<udeurs, qu'on appelle
prètraille, le voici en bonne santé et entre amis. — Il a expédié
le Pape, la Cour de Naples et le Roi de Suède. — Eloge de sa sœur
de Naples. — Défauts de son mari. — Portrait peu Hatté du Roi de
Suède Gustave III. — Il se rend à Milan. Il l'engage à berner les
Hollandais. (Pise, 30 janvier 1784.) 80
CCCCXXVI. — LE comte de mercy-arcenteau au duc de saxe-tes-
cuen. — Il rend compte de la mission qu'il a reçue de sonder b»s
dispositions de Marie- Antoinette, au sujet du voyage eu France
projeté par le Duc. — Le séjour de Marie-Christine à Versîiilles ou
a Fontainebleau ferait naître des difficultés d'étiquette que la Reine
désire éviter. — Compiègne ne présenterait pas les mêmes inconvé-
nients, les Princes et les Princesses du sang n'étant point admis à
cette résidence. (2 mars 1784.) 81
note sur les noms patronymiques des FILLES DE marie-tuérèse. 85
CCCCXXVI I. — LE général schlick At* duc et a la duchesse dk
TOME m. 31
482 TABLE ANALYTIQUE.
SAXE-TESCUEN. — Il confiriiio et développe les informations donnée^t^*
par le comte de Mercy sur le dé«ir qu'éprouve Marie-Antoinette
de recevoir le Duc et la Duchesse, et sur les raisons d'étiquette qui
doivent faire ajoinner cette visite à l'époque du séjour de la Cour à
Coinpiègnc. — La Heine redoute les embarras que lui causeraient à
Paris et à Versailles les prétentions et l'esprit de familiarité des
Princes et Princesses du sang. (Paris, 19 avril 1784.) 86
CCGCXXVIII. l.K GÉNÉRAL SCai.ICK AI^ DUC DE SAXE-TE SCHEN.
L'ablïé de Vermond conHrme les détails donnés par M. de Mercy
au sujet du voyaye de France, -r- Sur le point de quitter Paris,
le général sollicite les ordres du Duc et de la Duchesse. Note très-
respectueuse. (Paris, 4 mai 1784.) 93
CCCCXXïX. l'empereur JOSEPB II a sa soeur MARIE-€URI8ri!<E.
Consulté sur le voyage de l'Archiduchesse en France, l'Empereur
fait connaître son avis. — Les intermédiaires officieux ont tout gâté.
— Il n'est plus que deux partis à prendre : ou s'abstenir, ou bien se
rendre incognito à Paris sans se faire annoncer, descendre à l'hôtel
et y séjourner en simples particuliers. (13 mai 1784.) 97
WOTE SUR LES DIFT-ICULTKS d'ÉTIQUKTTE QUI RETARDENT LA VISITE DE LA
SOEUR DE LA RKIKE EN COUR DE FRANCE 98
CGCCXXX. MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
UESSE-DARMSTADT. — Le Dauphiu a embrassé sa mère au nom de
la Princesse. — Mariage de la princesse Charlotte. (6 septembre
1784.)' 10(1
NOTE SUR LA PRINCESSE CHARLOTTE 100
CCCCXXXI. MÉMOIRE DU ROI POUR SERVIR d'iNSTRUCTIOM AU SIEUR
▼ICOMTE DE LA COULDRE DE LA BRETOitNiÈRE , CAPITAINE DBS VAIS-
SEAUX DE SA MAJESTÉ, COMMANDANT LES BATIMENTS DE MER ET LE
DÉTACHEMENT DE TROUPES DU CORPS ROYAL DE MARINE, EMPLOYÉS POUR
LE SERVICE DE LA RADE DE CHERBOURG. (20 Septembre 1784.). lOt
NOTE SUR LA CONSTRUCTION DU PORT DE CHERBOURG 100
CCCCXXXI I. — l'empebeur joskph ii a sa soeur l*archiocchessk
MARIE-CHRISTINE. — Il apprend la nouvelle de la délivrance de
Marie-Antoinette, qui vient de mettre au monde le second Dauphiu.
— Voyage du Grand-Duc et de la Grande-Dnchesse de Russie.
(3 avril 1785.) 118
NOTE SUR JOSEPH II ET SUR LES AFFAIRES DU BRABANT 118
CCCCXXXI] I. MARIE-ANTOINETTE AU DUC DE CHOISEUL. Naissauce
du second Dauphin. (Versailles, 15 avril 1785.) liO
CCCCXXXI V. — l'archiduchesse marie -Christine, duchesse de
SAXE-TESCHEN, A LA PRINCESSE ÉLÉONORE DE LIECHTENSTEIN.
Affaire du Collier, qui livre la Reine de France en butte aux traits
méchants de la famille Soubise et Rohan. (24 août 1785.). . 121
CCCCXXXV. MARIE -ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE
DE UES8E-DARMSTADT. — Réponse aux compliments sur la naissaurr
du second Dauphin. (19 mai 1785.) 12.3
CCCCXXXV I. MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE MERCT-ARGENTEAU.
Elle est chargée de remettre à l'ambassadeur, de la part de l'Em-
pereur, le grand collier di> Saint-Etienne. (9 octobre 1785.). 124
CCCCXXXV II. MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE nBRSOITAIRE
TABLE ANALYTIQUE. 48,1
DE np.ssK-DARMSTADT. — Fctc de la Reine. — Elle ra bientôt jouir
de la société de la Princesse palatine. (29 novembre 1785.) . 125
CCCCXXXVÏH. MARIE -AMTOIMETTK A LOUISE, PRIKCESSE OÉRÉDI-
TAiRE DE iiESSE-DARMSTADT. — MoFt de la princcsHe Charlotte de
Ilesse-Darmstadt, mariée en Mecklenbourg. (18 janvier 1786.) 12G
CCCCXXXIX. MARlE-ARTOiaETTE A LOCI8E, PRINCESSE UËRÉDITAIRB
DE HESSE-DARMSTADT. — La Rcinc avait donné son portrait à la
priiice.o^c Charlotte : elle prie la princesse Louise de lui faire con-
naître quel d été le sort de ce portrait. (22 février 1786.). . . 127
CCCCXL. MARIE- ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE DÉrÉDITAIRE DE
HESSE-DARMSTADT. — Elle destine à la princesse Auguste son por-
trait (lu'elle avait donné ù la feue princesse Charlotte. (23 mars
1786.) ." 128
CGCCXLI. — l'empereitr joseph ii a sa soeur marie-ciiristixe. —
Marie- Antoinette a invité sa sœur à venir en France. — L'Empereur
trace à cette dernière quelques règles générales de conduite dans
cette circonstance. (13 juin 1786.) 129
VOYAGE DE LA SOEUR DE MARIE -AXTOINËTTE , MARIE -CHRISTINE , EH
FRANCE 130
EXTRAIT DES MEMOIRES DU DUC DE SAZE-TESCBEN SUR SON VOYAGE EN
FRANCE 131
NOTE SUR LE COMTE DE LUSACE 134
NOTE SUR LE PRINCE DE CONTI ET SUR LE CHEVALIER CHARLES DE POU-
GENS, SON FILS 135
NOTE SUR LA DUCHESSE DE VAUJOURS , DEPUIS DUCHESSE DE LA TAL-
LIÈRE 136
CCCCXLIL — l'empereur joseph ii a sa soeur marie-Christine. —
Il répond aux confidences que lui a faites Marie-Christine touchant la
Cour de France, et approuve son opinion sur Marie-Antoinette, dont
il a compris à demi-mots le portrait. Il la trouve trop francisée.
(LaxemJjourg, 31 août 1786.) 140
CCCCXLIII. — MARIE-ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
UESSK-DARMSTADT. — Accouchemeiit de la Reine et de la Princesse
palatine. — Compliments. (23 septembre 1786.) 141
CCCCXLIV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLKS , ALORS
AMBASSADRICE EN PORTUGAL. — Humilité religieuse. — Discours de
l'abbé Asselin sur la nécessité de se sanctifier. — Elle est reprise
de zèle pour l'étude de la chimie. — Eloge de madame de Bom-
belles. — Elle est a Montreuil avec madame de Raigecourt. —
Madame d'Albert. — Madame du Chastelet. La duchesse de Duras.
— Conseils. (27 novembre 1786.) 143
CGCCXLV. — LOUIS XVI a m. de la milt.ière. — Le Roi lui propose la
place de contrùleiir général, en remplacement de M. de Calonne.
— Projets du Roi pour ramclioration des finances. (Versailles,
6 avril 1787.) 147
note sur m. de la MILLIÈRE ET SUR LES AMELIORATIONS INTRODUITES
DANS LES HOPITAUX 148
CCCCXLVI. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. RCD-
voi de M. de Calonne |)Our ses malversations. — On dit qn'il
31.
484 TABLE ANALYTIQUE.
sera remplacé par M. de Foiirqiieux, et que M. de La Moignon
succède au {jarde des sceaux. — On a prédit h la Princesse qu*elle
chiiu[|ei'ait d'opinion sur M. de C;ilonne et finirait par Taiincr. —
Les Notables vont parler avec plus de liberté. — ÉIo{;e de Louis XVI.
— Destinée du singe de madame de Hombelles. — V^oyage de rim-
pératrice Catherine II dans la Chersonèse. — Projets de mariage
d'une protégée de la Priucesse. (9 avril 1787.) 151
ROTE siTn M. DE ForuQrEUx 151
CCCCXLVll. MAlkAME ELISABETH A MADAME DE HOMBELLKS. Ma-
dame des Essarts et ses cavalcades. — Détails d'affection. — Dan-
gers du monde. — Assemblée des Notables. — Économies réalisées
par le comte d'Artois. — M. Falkner. — La marquise de Fontc-
nillcs. — Madame de Perceval. (2 juillet 1787.) 155
XOTE SUR LA COMPOSITION DE LA MAISON DE MADAME ÉLISAIIETU. . 455
KOTK Sril LES TnAVAVX DE l'aSSEMBLÊE DES NOTABLES 160
CCClIXLVIII. MAniK-ANTOINETTE A LOriSE , PRINCESSE UÉRÉDITAIRE
' i»K hkssk-uarmstadt. — Sur la mort de la seconde fille de la Reine,
(l*-»- août 1787.) . 163
CCCCXLIX. — marie-antoikette a locise, princesse héréditaire db
iiesse-darmstadt. — Compliments d'amitié. — Madame Royale
devient un personnage et une société pour sa mère. (11 décembre
1787.) 164
CCGCL. — l'empereur josepii ii a sa soei'r marie-ciiristine. — Les
Etats <le Rrabant ont approuvé les impôts. Il est tout simple que
la société concoure aux charges publiques, et il s'étonne qu on
s'émerveille d'un résultat aussi naturel et normal. II remercie néan-
moins sa sœur d'y avoir contribué. — Son opinion sur le caractère
des habitants des Pays-Bas. — La force finit toujours par avoir
raison. — Fâcheuses nouvelles de la santé du Dauphin. — L'Em-
pereur se ])ropose de tomber sur les Turcs et de faire le siège de
Belgrade. (Semlin, 13 juin 1788.) 165
KOTE SVR LES ENFANTS DE MARIE -ANTOINETTE 167
CHANSON DE COLLOT-d'hERBOIS POUR CÉlÉBRER LA REINE ET SON DAr-
puiN 168
CCCCLI. MARIE- ANTOINETTE A LOUISE, PRINCESSE HÉRÉDITAIRE DE
HESSii DAiiMSTADT. — Félicitatious sur son accouchement. (Saint-
Cloud, 23 juin 1788.) 170
CCCCLII. LA REINE AU COMTE DE MERCY-ARGENTEAU. — Couiédie
Ïui a réussi. — Indisposition de Madame Royale. (29 juillet
788.) 171
CCCCLI II. MARIE-ANTOINETTE AU COMTE DE MERCY-ARGERTEAU.
Les Etats généraux. — Loterie pour secourir les malheureux. —
Fièvre tierce de Madame Royale. (3 août 1788.) ,,',,,, 172
CGCCLIV. MARift-ANTOINETTE A LA PRINCESSE DE LAMBALLE. Elle
a marié sans la Princesse leur protégée. — Elle lui a donné avec
une petite dot le présent de M. de Penthièvre. — L'enfant était fort
pressée de se marier. — Il serait peu sage de mettre la sœur au
couvent, car elle a plutôt la vocation d imiter sa sœiir. (16 août
1788.) 173
TABLE ANALYTIQUE. 485
CCCCLV. l'archiduc CRA?ID'DrC de TOSCA!fB, DEPCIS EMPEREUR
LÉOPOLD II, A SA SOEUR MARiE-cnRiSTi:<(E. — Il se fclicîtc (le savoir
tout aiT.in(vc aux Pays-Bas. — Il suit avec curiosité la marche tics
affaires en France. (7 mars 1789.) 174
CCCGLVI. — Loris xvi a baiixy, doyex de l'ordre du tiers.-^ —
Il désapprouve rexj)rcjwioii de classes privilégiées que le Tiers Etat
emploie en parlant des autres Ordres. — Il attend plus de déférence
de la part du Tiers que cet Ordre ne lui en a montré. (16 juin
1789.) 175
MAUVAIS RRUIT REPAXHU CONTRE LES ISTRUSIO^SS DU TIERS AUPRES DE,
LOUIS XVI, AU M0ME!<T MÊME DE LA MORT DU DAUPIIIX . . , . 176
CCCCLVII. LE ROI A M. DE JUIOXÉ, ARCHEVEQUE DE PARIS.
Mal{;ré la nécessite d'être sévère pour maintenir la discipline^ il se
montrera indul(TenC pour den prisonniers enlevés et relâchés, et que
lui recommande l'Assemblée. (2 juillet 1789.) 177
NOTE SUR LA LIBÉRATION DE GARDES FRANÇAISES RÉVOLTES .... 178
CGCf'LVIir. MARIE -ANTOi:<ETTE A LA DUCHESSE DE POLICSAC.
Adieux au moment du départ de la Duchesse pour l'émigration.
(16 juillet 1789.) 180
NOTE SUR LE DEPART DE LA PRINCESSE 180
CGGGLIX. MARIE-AXTOI NETTE ^ SON FRERE, l'eMPEREUR JOSEPH II.
— Les scènes d'horreur dont elle a été témoin lui ôtent la force
d'écrire. — Le retour de M. Necker apportera probablement la
paix. (26 juillet 1789.) * 181
GGCGLX. — l'empereur joseph ii a sa sœur l'archiduchesse marie-
Christine. — Etonncment qu'il éprouve des affaires de France
poussées si rapidement à l'extréinité. — On le lirait dans l'histoire
qu'on ne croirait pas à ce terrible sauve qui peut. — Ses inquiétudes
pour Marie-Antoinette, contre laquelle on est acharné. (29 juillet
1789.) 182
CCGGLXÏ. LOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLICNAC. AffectUCUX
souvenir. (1789.) 183
CCGGLXII. — l'empereur joseph ii a sa soeur l'archiduchesse
MARIE-CHRISTINE. — On ne saurait être trop sur ses {;arde8 dans
les Pay*-Bas contre la contajpon du délire français. — lin foyer de
réfu{;iés sur la frontière du Ilainaut est chose menaçante |H)ur la
tranquillité publique. — Point de nouvelles du comte de Mercy.
— Inquiétuues sur le sort de la Heine. (30 juillet 1789.). . . 184
CCGCLXTII. MARIE -ANTOINETTE A LA DUCHESSE DE POLIONAC.
Par l'entremise de madame de Piennes, elle s'applaudit de pouvoir
écrire à cœur ouvert. — Tout le monde fuit, et elle n'est entourée
que de malheurs et de malheureux. — Dans sa solitude, elle est
consolée par ses enfants, qui ne la quittent pas. — Madame de
Tourzel. — Discrétion dont on doit user dans les correspondances,
qui toutes sont ouvertes. — Souvenir à madame de Guiche. —
Sombi-e avenir. (12 août 1789.) 185
NOTE SUR LES MINISTRES NOMMÉS 187
GGGGLXIV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. La
garde bourgeoise de Versailles n'est point encore habillée. — Elle
demande des troupes à cheval pour 1 aider dans son service. — Le
486 TABLE ANALYTIQUE.
peuple, les croyant trop nombreuses, s'oppose d'abord a leur entrée.
— Vive le Roi, point de drafjons! — Le lendemain, on les amène
en triomphe. — Premier serment prêté en présence des officiers
municipaux. — L'Assemblée Nationale n'est point encore décidée
pour les droits de l'homme. — La milice de Paris doit venir
complimenter le Roi, le jour de la Saint- Louis. — A Caen,
auercllc entre le réjpment de Bourbon et des soldats du rc'(pment
'Artois. — Assassinat du comte Henri de Belzunce. — Le régi-
ment de Bourbon est chassé de la ville. — Les gardes du corps
s'ennuient de leur discipline. (Versailles, 20 août 1789.). . 188
CCCCLXV. LE BOI A M0!<SIE0R F. J. D£ PARTZ DE PRESSY, ÉVÉQVE
DE BOULOGNE. — Tablcau de la situation de la France désolée par
les troubles, les désordres et les violences. — Le Roi conjure
l'évcque d'implorer les secours de la divine Providence et d'exhorter
le peuple à l'obéissance. (Septembre 1789.) 191
CCCCLXVI. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Lc
Duc d'Orléans est parti pour l'Angleterre. — La Princesse se loue
beaucoup de la milice. — Tout est pour le mieux. (20 octobre
1789.) 196
CCGCLXVII. — l'archiduc graxd-ouc de toscane léopold, depiîis
EMPEREUR, A SA SOEUR MARIE - CHRISTINE , GOUVERNANTE DES PATS-
BAS. — Il se réjouit des succès remportés par 1* Autriche sur les
Turcs. — Les nouvelles de la France font frémir. — Il est indigné
de l'inconrevable faiLJesse de Louis XVI, dont il redoute les consé-
quences pour la Reine. — Il se refuse à croire à la gravité de la
situation aux Pays-Bas. — Il y blâme l'emploi de la force, et pense
qu'il serait mieux de remonter aux causes du mécontentement pour
les faire disparaître. (Florence, 27 octobre 1789.) 197
GCGCLXVIII. MARIK-ANTOI NETTE AU GKNÉaâL BARON DE FLACHSLASDEN.
— Cruelles alarmes de la Reine après la nuit des 5 et 6 octobre. —
Elle redoute les mouvements qui s'opèrent en Alsace et le* récrimi-
nations que les malintentionnés vont tourner contre elle. — Dessein
de se renfermer absolument dans son intérieur et de se faire oublier.
— Elle ne vent prendre aucune part au choix des nouveaux mi-
nistres.— Demande de conseils. (Mercredi 28 octobre 1789.) 199
HOTE SUR LES JOURNEES DES 5 ET 6 CMnX>BBE ET SUR LE(;RS SUITES. 202
C(XCLX1X. — l'empereur joseph ir a sa soeur, l'archiduchessb
MARiE-<iURi8TiNE. — La Rcine n'a pas osé écrire, mais elle a chargé
l'ambassadeur d'Allemagne de faire connaître qu'elle est à la merci
de la plus vile canaille. — Les folies françaises ont fait senUr leur
contagion en Brabant. — Différence de caractère des tèt«M5 françaises
ou brabançonnes. (3 novembre 1789.) 206
CGCCLXX. MADAME BLISABETO A MADAME DE BOMBELLES. Dé-
tails sur sa correspondance. — Ses distractions. — Tout est asst^z
calme, seulement parfois on manque de pain. — L'Assemblée a
confisqué le bien du clergé. — Saint-Gyr. — Montreuil. — Madame
de Raigecourt. — Elle n?çoit des nouvelles de Turin. (4 novembre
1789.) 207
HOTE SUR LA SITUATION DE LA MAISO^I DB SAIXT-CTR 208
TABLE ANALYTIQUE. 487
CCCCLXXL — i/ARciiinur.iiKXSE marie-<:hri8tixe a l'arcuiduc ciia>d-
DUC DE TOS<:4?(E LÉOPOI.I), DEPUIS EMPEREUR. IlMUrn^Ctioil clcs
Pays-Bas. — Relation du départ forcé de rArchiduchc6ii(*, que
l'on vent faire passer pour une fuite. — Conduite arrogante du
ministre Trautmaunsdorff et «a précipitation à exécuter prématuré-
ment des ordres éventuels de 1 Empereur. — Douleur ae 1* Archi-
duchesse à la pensée de voir suspecter son courage. (Coblence,
25 novembre 1789.) 210
CCCCLXXU. MABIE-AH'JOIRETTE A LA DUCHESSE DE P0LIC5AC, A ROME.
— Tendres souvenirs. — Recommandation en faveur d'une dame
forcée de fuir, et (jui se rend à Home. (13 décembre 1789.). 216
BOTE SUR LE CARDINAL DE BBHM8 217
CCCCLXXIII. LOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLICNAC, A ROME.
Souvenirs d'amitié. — Espérances de temps meilleurs. — La Reine
0'est un peu blessée à la jambe, et garde sa chaise longue. (Paris,
20 décembre 1789.) 218
CCCCLXXIV. MADAME ELISABETH A MADAME DE ItOMHELLES. Rési-
gnât ioil de madame de Raigecourt dans sa douleur. — Stagnation
dans les affaires. — Vente des biens du Roi et du clergé pour pan-
ser une plaie. — Suppression des moines. — Bruits douteux. —
Le Chàtelet saisi de l'affaire des 5 et 6 octobre. (22 décembre
1789.) 219
CCCCLXXV. — LOUIS XVI a madame jules de policnac, a vekise. —
On n'a crue de si tristes choses à écrire qu'on n'est jioint tente de
prendre la plume. — La Reine est toujours la même, mais on
redouble d'injustice à son égard, et il faut autant se tenir en garde des
soi-disant amis que des einiemis. — lie nombre des amis vrais est
bien minime. — Souvenirs à la famille de la duchesse. — Tristesses.
( Paris, 3 janvier 1790.) 221
CCCCLXXVI. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOM BELLES.
Vfeux et tendresses à l'oci'asion de la nouvelle année. — M. d'Albert
de Rions attendant son jugement. — La Princcvsse demande à con-
. naitre l'ojMnion qu'on êvAt formée à l'étranger de la conduite du
comte d'Artois. — L'Assemblée a décidé de Hxer d'office la liste
civile du Roi. — Celte étrange motion effarouche la Princesse. —
On a suspendu le pavement de toutes les pensions supérieures à
mille cens. (3 janvier 1790.) 224
^OTE SUR LE CHAPELIER 226
KOTR Sun LE COMTE d'aLBERT DE RIONS 226
CCCC^LXXVIL LA REI>iE AU COMTE DE MKRCY-ARGEXTEAU. Elle
nereut se mêler de rien, l'a écrit à Monsieur, et dès lors ne recevra
pas M. de Lévis. (6 janvier 1790.) 228
CCCCLXXVIIL MARIE-ASTOISKTTE A LA DUCHESSE DE POLIGMAC.
La position est horrible. — On les surveille comme des criminels.
— Impossible de s'appi-ocher d'une fenêtre sans être insultés, de
faire prendre l'air aux enfants sans les exposer aux vociférations.
— Il faut trembler toujours, et pour tout ce qu'on aime. (7 janvier
1790.) 229
GCCCLXXIX. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. In-
térêt qu'elle prend à ce qui touche à son amie. — La peur fait dîmi-
458 TABLE AÎS ALYTIQL'E.
Duer le pain à Versailles. — Fureur contre le baron de Bésenval.
-^ M. de Favras destiné à être pendu. (12 janvier 1790.). . 230
VOTB SCn LE BARO!f DK BÉ.SEXVàL 231
CCCCLXXX. — l'arcuiduc graud-duc de toscane léopold. depuis
EMPBRECR, A SA SOEUR marie-christihe. — Il craiDt qu'elle n'ait
laissé à sou départ tous ses papiers h Bruxelles, quand il eût été *i
important de les emporter avec soi. — Ses inquiétudes pour la sauté
de l'Empenîur. — Il désapprouve tout ce qui s*est fait aux Pavs-
Bas, mais n'a p<}iut osé manif(*stcr publiquement son opinion. — Il
se plaint vivement de n'être tenu au courant de rien, ni de .la con-
duite dcR affaires ni de la santé de Joseph II. -«- Toutes ses corrcn-
pondauccs sont interceptées. — On fait tout ce qu'il est possible
pour pousser la Ilonjp'ie à la révolte. (15 janvier 1790.). . . 232
CCCCLXXXI. MADAME ÉLISARKTB A MADAME DE ROMDEhLES. Le4
Turcs paraissent disposés à la paix, malgré l'attitude de la Pni«.4e
qui encoura{{e leur résistance. — Démarche de la Princesse pour
fairc remplacer M. de Choiseul-GoufKer par M. de lk>ml)elles. —
Echauffourée du Ch.itelet. — Arrestation tle Thomme qui a arrnclié
le cœur de MM. Foulon et Berthier. — Versailles n'est pas tran-
quille. — Animosité entre les quartiers de Notre-Dame et de Saint-
Louis de Versailles, j)our l'élection du maire de lu ville. — Le^
monstres ont toujours ravanta{;e sur les honnêtes gens. — Les aiis-
tocrates. — Ou a voulu pendre M. Berthier le fils. (19 janvier
1790.) 23V
CCCCLXXXII. LA REI!<E AIT COMTE DE MERCT-ARGENTEAC. (21 jan-
vier 1790.) 237
CCCCLXXXII I. L'ARCIItDDC GRA!fD-Dl*C DE TOSCANE LKOPOIJ) , DEPl'IS
EMPEREUR, A SA SOEITR MARIE-CHRISTI^IK. Il ne Croit p.lS pOSsiMc
de rétablir la situation aux Pays-Bas, à moins de franches et larges
concessions. — Ses inquiétudes |>onr la santé de l'Empereur aug-
mentent. (23 janvier 1790.) 23»
CCCCLXXXIV. — l'archiduc crand-dvc de toscaxk lkopold, depuis
EMPERRITR, AIT DUC DE SAXE -TESCBEN , SON BEAC-FUBRE. Note
préliminaire sur cette lettre 239
LETTRE DE J08EPU tl MOURAIT A SA SOEUR CHRISTINE 2M
DERNIÈRE LETTRE DE JOSEPH II A LA mAmE 242
NOTE SUR LES MARIACES DE JOSEPH II 243
SUR LES PAPIERS LITfKRAIRES LAISSES PAR LA PREMIERE FEMME DR
JOSEPH II, l'infante ISABELLE DE PARME. 243
LETTRE DU CRAND-DUC. — Entouré d'espious, il ose à peine parler et
écrire. — Du vivant de l'Empereur, il s'abstiendra de parler de la
politiqne de rAiitriche. — Il s'ouvre sur ses principes libéraux et
avances en matière religieuse et gouvernementale 245
NOTE DU DUC DE SAXE-TBSCBEN SUR LA LETTRE QUI PRKCBDB . . 250
CCCCLXXX V. l' ARCHIDUC GRAND-DUC DE TOSCANE LBOPOLD, DEPUIS
EMPEREUR , A SA SOEUR MARiE-CHRiSTiNB. — On B coiipé nn bras à
la monarchie d'Autriche en lui enlevant les Pays-Bas. — Sombres
pressentiments. -«lia fait |Kir>'enir à son fils François, à Vienne,
des instructions en prévision de toutes les éveuCoalités. -— Il s*est
TABLE ANALYTIQUE. *8Î)
décidé à conseiller à TEmpcrciir de faire des concessions h la
Ilon{frio. — Il persiste a s^nlistenir de tonte démonstration publique.
— Sa crainte d'être appelé à Vienne. (7 février 1790.). . . . 25S
CCCCLXXXVI. MADAME ÉLISABETU A LA MAnQUISE DE BOMBEU.ES ,
uOTEî. DE FiiATicE, A VEMSE. — On doii Ics Conduire à Notre-Dame
pour cbanter un Te Deum, Elle en prend son parti. (9 février
1790.) 254
CCCCLXXXVII. — i/ABCHinrc nRAXo-nro dk toscane i.kopold, depi'IS
EMPERErR, A SA SOEUR MARiK-ciiRisTiNE. — Appelé à Vienne pour
être nommé co-Ré(;ent, il est résolu à refuser cette situation, pour
ne point paraître approuver ce qui se fait. — Instructions à sa sœur
sur les affaires des Pavs-Bas, pour le cas de mort de l'Empereur.
(18 février 1790.). . '. Î55
CCCCLXXXVIÏI. MADAME ÉLISABETU A MADAME DE BOMHELLES.
Grande colère de la Princesse contre madame de Bombelles, à pro|>os
de l'exécution du marquis «le Favras. — Causes de cette mort. —
Panégyrique de la victime; son iimocence et son courage. — L'As-
semblée donne plein pouvoir aux municipalités : voilà comme on
sert le Roi. (23 février 1790.) 258
(XCCLXXXIX. MÉMOIRE COMMCSIOrÉ AU COMTE DE PL'YSÉcrR, PAR
LE COMTE DE BRIENNE, ET APPROUVÉ PAR LA REINE, CONCERNANT LA
SOMME DK QUINZE CENTS LIVRES DESTINEE PAR SA MAJESTE A l'ÉDU-
CATION DE QUELQUES ORPHELINES d'iNVALIDES. (20 marS 1790.). 260
CCGGXC. — LE ROI AU MARQUIS DE BOUILLE. — Il le remercie d'avoir
su maintenir la garnison de Metz dans le dc»voir. — Il fait éven-
tuellement appel à ses services à Paris. (Paris, 23 avril 1790.) 263
CGCGXCI. MADAME ÉLISABETU A MADAME DE B0MM^;LLES. NoilVOlleS
de famille. — Mort de l'abbé Colignon. (27 avril 1790.) . . 264
CGCCXGII. LOUIS XVI A LA DUCUESSE DE POLICNAC, A ROME.
Amical souvenir. — Compliment sur le mari.ige du HIs de la du-
chesse. — Mort de madame de Piennes. — Première communion
de Madame Royale, (Paris, 28 avril 1790.) 265
CCCGXGIII. — MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. — Ten-
dresses et jeu d'esprit. — On assassine en Bourgogne. — Il y a eu un
prône superbe à Saint-Sulpice. (4 mai 1790.) 266
CGCGXCIV. MARIE-ANTOINETTE A LA LANDGRAVINE LOUISE DE UESSE-
DARMSTADT. — Coudoléaiices sur la mort du Landgrave Louis IX,
et sur l'avènement de son fils, mari de la Landgravine Louise.
(14 mai 1790.) 267
CGCCXCV. MADAME ÉLISABETU A MADAME DE BOMBELLES, Sa
correspondance avec M. de Bombelles. — La Princesse est fort
maussade. -:- Le Boi n'a plus le droit de faire la guerre ou la paix.
— Les enragés triomphent. — M. de Clioiseul. (22 mai 1790.) 269
CGGCXCVI. MARIE-ANTOINETTE A SA SOEUR L'ARt:niDUCnESSE MARIE-
CHRISTINE. — Elle s'abstient d'écrire, parce qu'elle ne veut pas qu'il
y ait à la poste de son écriture, si aisée à contrefaire. — Vœux
pour la tranquillité du pavs et pour le bonheur du Boi, pour lequel
elle donnerait son sang. — On dit qu'on va leur laisser la liberté
d'aller à Saint-Cloud, ce qui leur donnera au moins du calme pour
JMM) TABLE ANALYTIQUE.
les veux et les orcille8. — Elle se désole de ne jKïiivoir être en rien
utile. (29 mai 1790.) 270
CCCCXCVH. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. PrO-
claïuation au nom de la Loi et du Roi. — Elle va partir pour Saint-
Cloud pour quelques jours. — Une lettre dans un bain. ( i*** juin
1790.) 272
CGCCX.CVIH. — LOUIS XVI ait président de l'assemblée xatiosale,
porn l'assemblée. — Il énumère les dépenses de sa liste civile,
pour en faire régler le budget. (Aux Tuileries, 7 juin 1790.) . . 273
CCCCXCIX. — madame Elisabeth a madame de bomrelles. — La
vicomtesse de Mérinville est an mont Notre-Dame. — La Pnncesse
{"éside pour huit jours à Saint-Gloud. — La comtesse Diane de Poli-
gnac est ramenée à Dieu. — M. Dumey. (13 juin 1790.). . . 276
D. — madame Elisabeth a madame de bombellks. — Réflexion;; sur
les derniers décrets de TAssemhlée. — Elle espère bien s'appeler
Mademoiselle Gapet, ou Hugues, ou Robert. — Tout cela l'amuse
beaucoup. — Préparatifs de l'anniversaire du 14 juillet. — Elle
i*edoute fort le» grandes chaleurs qui s'y fei*ont sentir. — Plai-
santeries à ce sujet. — Il faut rire un peu, cela fait du bien. —
Madame d'Aumale. (27 juin 1790.) 277
DL l'empereur LÉOPOLD a sa soeur marie -CHRISTINE. Il
donne ses instructions sur la conduite à tenir à Tégard des Pays-
Bas. — Sombre tableau de la situation générale. — Urgente néces-
sité de traiter de la paix avec la Prusse. — Fausseté et malveillance
de r Angleterre. — La Russie se renferme dans l'inaction. — L'Em-
pereur projette de prendre à sa solde les régiments étrangers qui
quittent le service do France. — Il ne faut compter que sur la force
pour appuyer la raison. — Les provinces autrichiennes sont en fer-
mentation ; leurs exigences. — Prétentions inouïes des Hongrois. —
Découragement de l'Empereur. (31 juin 1790.) 280
KOTK Sl^R LES AFFAIRES DE FRANCK KT CELLES DES PAYS-BAS AUTRICUIENS.
LA PRUSSE, l'aUTRICHE KT l'eSPAGNE. Si:<X;ÈS DE LA POLITIQUE
DE LKOPOLD DANS SES PROVINCES DE BELGIQUE. . . .' 284
DU. LOUIS XVI A LA DUCHESSE DE POLIGNAG, A ROME. PréoC-
cupations affectueuses. — Eloge du duc de Giiiche. — La gêne
dans les correspondances empêche l'effusion à laquelle on aimerait
à se livrer. — Quelques jours passés à la campagne lui font vanter
le bonheur de la retraite avec des amis. — "Etat politique plus ras-
surant. — Cependant les souvenirs lui font faire du noir. (Paris,
10 juiUet 1790.) 286
DIII. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. — Crise prochaine
de la fédération. — Le duc d'Orléans. — Règlement du cérémonial
de la fédération par T Assemblée, qui passe par-dessus les observa-
tions du Roi. La Famille rovale n'entourera pas Louis XVI : insulte
préméditée à la Reine. — M. de Bombelles. (10 juillet 1790.) 288
IIOTE 8VH. TARGET 289
SVh LA FÊTE DE LA FEDERATION 291
DIV. l'empereur LÉOPOLD A SA SOEUR MARIE-CBRISTIHE. •— La
paix tarde à se faire. — L^esprit d'insurrection esC uoirertel dans
TABLE ANALYTIQUE. 491
les provinces autrichiennes, malgré les condescendances de l'Empe-
reur. — Rôle qu'il attribue à l'Angleterre. (15 juillet 1790.). 292
HOTE SI'R LE FELD-MARÉCBAL LAt7D05 293
CRREFR DE LÉOPOLU 81TR LA POLITIQUE ANGLAISE 293
DV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLE8, A TEM8E.
Questions d'amitié et nouvelles de famille. (26 juillet 1790.) 294
DVl. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Elle Craiut
d'avoir afHigé son amie par les paroles d'une de ses lettres. — Indis-
position du Roi et du Dauphin. — Cercle au palais. — Madame de
Raigecourt devenue châtelaine. — Saint-Cyr. (2 août 1790.). 295
«GTE SLR SAIKT-CYR 296
DVII. MADAME KLISABBTU A MADAME DE BOMBELLES. Lettre d'amitié.
— Le Roi et le Dauphin se rétablissent. — L'Assemblée marche, et
il serait trop long de la suivre. (9 aoiit 1790.) 298
ÉTAT DES AFFAIRES DE FRANCE 298
DVIIf. — MAniE-AXTOiîiETTE AV COMTE DE MERCY. — Elle annooce
ime apparition «pi'elle va faire à Paris |>0{tr la fête : qu'il avise au
moyen de la voir. (12 août 1790.) 299
DIX. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Lettre tOUte
d'amitié. — Jouir de la vie avec un ccrur pur. — Une mort dans
la maison de la Princesse. (16 août 1790.) 300
DX. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Célébration de
la fête de Saint-Louis. — Détails de famille. (Saiut-Cloud, 23 août
1790.) 302
DXI. — MARIE -A.NTOiîJE'rTE A LA DUiniEssE DE POLiosAC. — Tendre
souvenir d'amitié. — Inquiétudes poignantes sur les absents. — Le
Hainaut se soulève. (28 août 1790.) 303
DX11. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES, A VENISE.
Elle ])atronc les intérêts do son aiaie, malgré la difHculté de se
faire écouter, et s'occupe de faire assurer le sort du marquis de
Bombellcs. — Duel de M. de Castries et de M. de Lameth. Sac
de l*hotel de Castries, approuvé par 1* Assemblée. (13 septembre
1790.) 304
NOTE SUR LE PRI?(CE d'hÉNIN 305
DXIII. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Gaietés
intimes. — Mariage d'Armand de Polignac. — Le Roi parait
plus disposé à partir : les jambes lui reviennent un peu. — Le sort
de la famille est attaché à ses déterminations. — Réforme des équi-
pages de chasse à la Cour. — Regrets.— Intervention de T Assemblée.
(20 septembre 1790.) 306
DXIV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Testament
de la Princesse. (13 ociobre 1790.) 309
DXV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES, HOTEL DE FRANCE,
A VEM.SE. — Ce qu'elle augure des enfants de madame de Bombelles.
— On doit supplier le Koi de renvoyer ses ministres. (18 octobre
1790.) 310
DXVI. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Visite k
Saint-Cyr. — Madame de RaigecourC. (23 octobre 1790.) . . 312
492 TABLE ANALYTIQUE.
SITvItIO:! DK la MàISO?( DE SAiriT-CYR • 312
DXVn. L*EMPEREin LKOPOLD A SA SOKCR MARIE -ÉURISTIXE. Il
a appris les infamies qu'on pni)lic en France contre la Reine, et
ses projets (l*éva8ion. — Le Roi et la Heine Je Naples. — Son
sacre. (27 octobre 1790.) 313
DXYIII. MADAME ÉLISABETU A MADAME DE BOMDEI.LES. Truin
dans les districts pour supplanter La Fayette, qui, nial(p'é tout,
restera. (9 novembre 1790.) 815
DXIX. MADAME ÉLISABETU A MADAME DE BOMBELLES. Gémis-
sements sur les malheurs de la France. — Impression que fait sur
les provinces la cessation dn service divin. — Hayons a espoir. —
Incertitudes de l'Empereur encoura(»ce8 par ses entours. — Bornes
de rinlelli{î(Mice humaine. — Le Comte d'Artois. — La Comtesse
Diane. (2 décembre 1790.) 316
DXX. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. CourSe à
cheval près de Versailles. — Rei;rets de n'y pas entrer. (6 décembre
1790.) 318
:iOTE SUR LA COMTESSE niA^IE DE PGLION'AC 318
DXXl. — nv ROI A l'assemblée ?(ationale, lit a la séa!ice du dimaxche
26 DÉCEMBRE 1790. — Acceptation du décret de l'Assemblée sur
le serment exifjé des évêques, curés et autres fonctionnaires publics.
— 3Iotifs que le Boi donne de son acceptation 319
DXXII. MADAME ÉLISABETU A MADAME nE BOMBELLES. CoUSells
sur le marquis de Bombelles, qui donne sa démission d'ambassadeur.
(28 décembre 1790.) 321
DXXIII. MARIE -ANTOINETTE A LA LAMDCRAVIXE LOUISE DE UESSE-
DARMSTADT. — CompHineuts, |M>ur lesquels la Reine s'interdit d'user
de la poste. (2 janvier 1791.) 322
DXXIV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. On n'a
le temps de rien faire a Paris. — Scandales à Saint-Sulpice et à
Saint-Boch. — Cela fait horreur, mais il n'y a point de martyre.
(17 janvier 1791.) 323
DXXV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. La Prin-
cesse a combattu le projet de madame de Bombelles de rentrer en
France pour se rendre auprès d'elle. — Madame de Bombelles s'est
méprise sur ses intentions. — Beproches affectueux. — Explication.
• —Elle n'a jamais songe a lui ôter sa place, (l*"^ .février 1791.) 324
DXXVI. MADAME ELISABETH A MADVME DE BOMBELLES. Elle
n'ose écrire, — M. Durnès. — On ne s'empresse jws de jiourvoir
aux places vacantes. — L'Assemblée trouve tant de charme à la
liberté qu'elle la garde pour elle seule. — Départ des tantes pour
Rome. — Il lui faut changer de confesseur. — L Assemblée a interdit
la prédication aux prêtres non assermentés. — Plus de prédicateur.
— Réflexions pieuses. — Que décidera M. de Bombelles au sujet de
*a retraite? (7 février 1791.) 325
DXXVII. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Arres-
tation de Mesdames à Arnay-le-Duc. — L'Assemblée voudrait
qu'elles pussent continuer leur voyage. Les chefs de» Jacobins
sont d'un avis opposé. — Manifestation populaire. — Bonne conte-
nance de la garue et ferme attitude du Roi. — Sentiments patrio-
TABLE ANALYTIQUE. 493
tiques de la Princes^^e. — Sc>« craintes au sujet de la santé de M. de
Bouil)ellcs. — Situation désespérée de Saint-Cvr que Tun dépossède.
— Le cunfeMseur de la Princesse, Talihé Madier, part pour Rome.
— Les gens de bonne volonté pour le lloi ont trouve moyen de
déplaire ù la garde. — On a voulu détruire Vincennes. — Tout est
rentré dans le calme. (28 février 1791.) 328
si'R l'état de la maison dk SAIST-CVn 330
VOYAGE DE MESDAMES 331
DXXVIII. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. Elle
est heureuse d'avoir pu être utile, par l'entremise du Comte d'Ar-
tois, pour faire obtenir à son mari une pension de la Reine de Naples.
— Elle aurait désiré que cette pension fût plus forte. — Qu'on est
malheureux de vivre dans ce moment-ci! — Mesdames sont arrivées
à Turin. — Motifs allégués par la municipalité d'Arnay-lc-Duc pour
justiHer leur arrestation. — Pourquoi la Princesse n'est point partie
avec elles. — Elle va faire connaissance avec son nouveau directeur
et en a la colique. — Le Roi a été malade. (13 mars 1791.). 332
DXXIX. MADAME ÉLISADETII A MADAME DE BOMBELLES. Elle se
félicite du départ de Mesdames, qui a décidé celui de son frère.
— Te Deuin à Notre-Dame, pour le rétablissement du Roi. —
C'est un curé assermeiTté qui ofHciera. — Ses inquiétudes pour
M. de Rombelles. — Sa conHance en la Providence. — L'évèque
de Lydda et l'archevêque de Sens. — Elle est enchantée de son
nouveau confesseur. (20 mars 1791.) 336
DXXX. MADAME ELISABETH A .MADAME DE BOMBELLES. L'As-
semblée a décidé que le Roi ne j>ourrait ni sortir du Royaume ni
s'éloigner d'elle à plus de quinze lieues. — M. de Bombelles rem-
placé par le comte Louis de Bouille. (28 mirs 1791.) 339
DXXXI. MADAME ELISABETH A .MADAME DE BOMBELLES. RéflexioUS
sur la situation de M. de Bombelles. — Mort de Mirabeau. — Son
arrivée dans l'autre inonde a dû être bien cruelle. — Les curés
intrus viennent d'être installés. — On va s'occuper des prochaines
élections. — Méfiance de la Princesse. (3 avril J791.). . . . 3V0
DXXXII. L'EMPËnElR LÉOPOLD A SA SCHUn MARIE -CHBISTIXE.
Il a trouvé terriblement à faire à Milan. — iSe croire que la
moitié seulement de ce que lui dira le Comte d'Artois. (Milan,
7 avril [1791.]) 342
DXXXïlI. LETTRE DU i:OMTE d'aRTOIS AIT ROI DE SFÈDE, CI'STAVE Ilf.
— 11 s'est adressé à la Porte pour en obtenir un secours de quelques
millions, et demande au Roi d'autoriser le Baron de Brentano à
suivre celte négociation. (Parme, 8 avril 1791.) 343
DXXXIV. — l'empereur léopold a sa soeur marie-christike. — Il
.«e flatte qu'elle aura trouvé de l'amélioration dans la situation des
Pays-Bas. — Il accordera toutes les promotions et grâces qu'elle; lui
proposera. — Le comte d'Artois a promis de se tenir tranquille. —
Espérances de paix. (Milan, 19 avril 1791.) 345
DXXXV. — madame Elisabeth a madame de bombellbs. — Elle
ne sait pas au juste ce qui s'est passe quand le Roi a voulu |>artir
pour Saint- Cloud et en a été em|>cché par les factieux. — On veut
494 TABLE ANALYTIQUE.
bien encore lui permettre «d'aller à l'office. — Elle a eu à se louer
de la Reine de INaples. (21 avril 1791.) 346
SCn LA VIOLENCE FAITK AU ROI 347
DXXXVI. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBKLLES. La
Fayette a repris le commandemeut de la garde. — Joie de ce qut;
M. de Bombelles a la pension de Naples. — Raisons pour ne \ya^
écrire à la Reine de Naples. (25 avril 1791.) 347
DXXXVI f. LOriS XVI a madame JULES de POLICXAC, a VR7(ISE. —
Affectueux souvenir. — Imbécillité des amis, perversité des enne-
mis. — La Reine toujours en butte aux injustices et aux outrages de
tous les côtés. (12 mai 1791.) ; 349
DXXXVIII. LE ROI DE SUÈDE, GUSTAVE III, AU BARON DE BRETEUIL.
Sentiments que lui a toujours inspirés le sort de la famille royale
de France. — Le rétablissement ae la paix lui permet de songer à
porter secours au petit-Hls de Louis XV. — Il charge le comte de
Barck. de s'entendre avec M. de Breteuil. — Offre d'une intervention
armée. — Coopération éventuelle de la Russie. — Conditions qu'il
met à l'envoi ues troupes. — Demande de subsides. — L'Espague
fournira l'argent nécessaire. — Son prochain départ pour Aix-la-
Chapelle, où il sera à portée des événement;}. — Le Roi de France
doit s'abstenir d'entrer en négociation avec ses sujets, mais recou-
vrer la plénitude de son ancienne autorité. (Haga, 17 mni
1791.). . 351
DXXXIX. — l'empeketr léopold a sa soeur marie -christiiie. —
Arrivée subite du Comte d'Artois venant solliciter des troupes pour
marcher immédiatement sur la France. — L*Empereur se montre-
rait satisfait de la tournure des affaires du Brabant et les croirait
en bonne voie si celles de France s'aplanissaient. (Mantoue, 18 mai
1791.) 357
DXL. MADAME ÉLISABETU A MADAME DE BOMBELLES. Elle rcmercie
M. de Bombelles dace qu'il a fait pour servir les intérêts que dirige
le Comte d'Artois. Il n a pas été agréé, mais son dévouement sera
apprécié plus tard. — Paris est tranquille, mais il v a manque
absolu d'argent. (20 mai 1791.) '. . . 359
DXLI. — LETTRE DU ROI GUSTAVE iii AU COMTE d'artois. — Pro-
testations de dévouement à la Couronne de France, la plus ancienne
alliée d(; la Suède. — Prudence à mettre dans les démarches eiivei s
la Franre, pour ne pas commettre Louis XVI et sa famille. (Haga,
20 mai 1791.) 360
DXLII. MADAME ÉLISABE1U A MADAME DE BOMBELLES. L'émi-
gration de ses aniis a été si considérable, qu'elle est effrayée du
nombre de lettres qu'elle en a reçues et des réponses qu'elle a à
faire. — Livre de Burke sur la Révolution française. — On a voulu
dire des messes aux Théatins. L'autel a été renversé, et La Fayette
et B;iilly ont dû intervenir. (4 juin 1791.). 363
MOTE SUR £DMO?(D BURKE 364
DXLI II. LE BARON DE BRETEUIL AU ROI DE SUEDE. Il COUvicut
que Gustave III ajourne ses projet* d'intervention. — Tonte dé>
marche prématurée comjiromettrait la sûreté du Roi de France. —
Les conditions posées par la Suède sont d'ailleurs acceptées. — On
TABLE A>'ALYTIOUE. 495
né{jocicrn av(;c rEs|Ki{jne pour en obtenir un secours (Vcirgcnt, inai.^
on ne saurait compter siw un prompt résultat de ces démarcbci. —
Il met le Roi de Suède en {jardc contre rindincrétion des Françai;»
de Spa. — LouiiK XVI n'a jamais sonjjé sérieusement h tran«4i(;er
avec SCS sujets sur aucune de ses pi*érogatives royales. (Soleure,
9 jiiin 1791.) 365
DXLÏV. MADAME ÉMSAIIKTfl A MADVME DK BOMBKLLKS. EIlc
aurait mille choses h lui dire, si elle la voyait. — Salmif^ondis fait
par l'Asscmldée. — Les brefs du Pape n'auront de valeur qu'après
approbation du Roi et de l'Assemblée. — On arrive au schisme
le plus parfait. — Nous aurons bientôt un iKitriarche. (4 juin
1791.) 371
DXLV. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOM BELLES. Elle Se
porte bien. — En conscience, c'est tout ce que l'on peut dire.
— Cependant les esprits paraissent se calmer. (5 juillet 1791.) 372
DXLVI. l'eMPERECR LÉOPOLD a sa soeur M\niE-CIiniST175E, ET Al*
Dcn DE 8axe-tesciie:«. — Son plan de conduite avant <le connaître
la fuite de Louis XVI. — La nouvelle de l'arrestation du Roi à
Varenncs, de sa délivrance, de son «'jour à Metz, de l'arrivée de
la Reine aux Pays-Ras, modiHc ses )>remièrcs résolutions. — Il est
déterminé a prêter au Roi un éner{;ique appui. — Dans l'illusion
où il est de la liberté de Louis XVI, il a donné des ordres pour
mettre à sa dis|>osition tous les secours qu'il pourra désirer en
hommes et en arf;enC. — La seide condition qu'il exige est que ses
troupes a(;iront sé|Kirémcnt et ne seront jamais commandées par
aucun oflicier français. — Ses démarches auprès des autres Puis-
sances limitrophes de la France. (Padoue, 5 juillet 1791.). . 373
DXLVII. — l'empereur lkopold au comte de merct. (^Lettre jointe
il Li précédente). — Mêmes instructions qu'à sa s«Kiir Marie-Chris-
tine et au Duc de Saxe-Teschen. — 11 le charge <le se mettre aux
ordres du Roi et de la Reine, qu'il croie libres. (Padoue, 5 juillet
1791.) 376
DXLVI II. — mémoire lc par le roi oustave m de stède, a la
COMFÉRKXCE TEMrE A AIX-LA-COAPELLE , DANS SA CHAMBRE, E?fTRE SA
MAJESTÉ, MONSIEUR, LE COMTE d'aRTOIS ET L'Évï^Qt^E d'aRRAS.
Quand sera-t-il à propos que Monsieur prenne le titre de Régent de
France, à. raison de la captivité du Roi? - — Conduite à tenir par la
coalition à l'égard de la France. (Aix-la-ChapeUe, 5 juillet
1791.) 379
DXLIX. — l'empereur léopold a sa soeur marie-christine. — Les
nouvelles annonçant la délivrance du Roi et de la Reine ne se sont
point confirmées. — Il a écrit à tous les Souverains d'Europe pour
s'entendre avec eux sur les movens de sauver la Famille royale de
France. — Il est essentiel d'empêcher le Comte d'Artois de faire
des coups de tête. — Il espère prévenir les excès auxquels on pour-
rait se porter contre le Roi ; autrement il les vengera d'une manière
exemplaire. — Ses instructions quant aux affaires des Pavs-Ras.
(6 juillet, Padoue, 1791.) \ 385
DL, — PIÈCE jointe a l\ lettre précédente. — PROJET de lettre
CIRCULAIRE DE l'eMPEREUR d'aLLEMACNE LÉOPOLD II, AUX ROIS d'eS-
PACNE, d'aNGLETKRRE, DE PRUSSE, DE NAPI.RS ET DE SARDAIGKE, DE
496 TABLE ANALYTIQUE.
MÊME ou'a l'impkratrice I)E iiussiE. — L'Eiiipcrenr cx|K)sc les sen-
timents que lui a fait éprouver rarrcstation de Louis XVI. — Il
invite l(?s Souveraiu.<« à s'(?nteudre pour mettre un terme aux excès
de la Révoluti«)n française. — Il propose d'adrei«ser à l'Assemlilcc
Nationale une Déclaration commune, qui produise une impression
salutaire sur l'esprit des chefs du parti exalté. — Cette démarche
serait appuyée, au besoin, par dnn mesures de vi{«ueur qu'il se
réserve d indiquer ultérieurement. (Padoue, 6 juillet 1791.). 388
DLL — LK HOi A i/\ssEMDLKE XATiONAf.K. — Il se défend éiiergi-
quement d'avoir fait agir sur les soldats pour les engager à déserter
;i l'étranger. — Son intention, en quittant Paris, avait été de se
rendre à Moulmédy. (7 juillet 171)1.) 390
DLIl. MÉMOIRE ADRESSÉ A i/iMPÉRATRICK DE RUSSIE PAR I.E ROI DE
si'ÈDK. — Droits du Comte de l*i*ovence à se proclamer Régent
pendant la captivité de Louis XVI. — Plan d'invasion de la France.
— Demande de subsides pour lui-même, sauf à se rembourser plus
tard sur le pays. (Aix-la-Cliapelle, 9 juillet 1791.) 391
DLIII. MADAME ÉMSARETU A MADAME DE BOMRELLE8. Elle es(
sensible aux marques d'amitié, surtout en ce moment. — Le Roi
et la Reine sont gardés à vue. — La loi sur l'émigration est très-
sévère.
Dans la seconde partie, écrite en encre svmpatbique, elle dit
qu'il faut s'abandonner entre les mains de Dieu et qu'»>n va engager
le (>omte d'Artois à en faire autant. — C;î qu'a été le voyage d»*
Varennes à Paris avec Barnavc et Pétliion. (10 juillet 1791.). 402
DLIV. L\ REINE DE SARDAIGNE, SOEl^R DE MADAME ÉUSABETII, A
MADAME DE OOMOELLES. — V' ivcs tendresscs et protestations d'amitié.
— Elle lui donne des nouvelles de Madame Elisabeth. — Cette
Princesse aurait pu quitter la France eu prenant une autre route;
mais elle s'est sacriHée à ses devoirs. — Madame de Coctiogon.
(Monicallier, 13 juillet 1791.) 405
DLV. I.E COMTE DE PROVENCE AU ROI DE SITÈDE. Soil espoir
dans les négociations suivies par Gustave III. — Entrevue avec
M. de Rouillé : l'accord n'a pas été complet. — La Reine a donné
de ses nouvelles, mais sans détails. (Schonburniust, 16 juillet
1791.) 407
•DLVÏ. MÉMOIRE ENVOYÉ PAR LE ROI DE SUEDE AU ROI d'eSPACNE,
SUR LES AFFAIRES DE FRANCE. ( Aix-la-Chapelle, 16 juillet 1791 .) 409
DLVIÏ. — MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES. On a tiré
sur le peuple par ordre de l'Assemblée. Depuis ce moment, on
jouit du calme, par la déroute de l'armée aes sans-culottes. —
Nouvelles qui courent d'une intervention étrangère pour empêcher
l'établissement de la Constitution.
La Princesse finit sa lettre en encre sympathique. Elle pense
qu'il faut qu'on aècorde une confiance absolue au Comte d'Artois.
— Danger de prétendre arriver par des chemins différents et une
politique diverse à un même but. — Elle espère dans les Puissances
étrangères, à qui les événements récents ont di\ donner une
secousse. — Elle redoute l'Angleterre et la Pru.sse. — E«poir que
les officiers qui ont accompagné le Roi et sa Famille à Varennrs
seront sauvés. (23 juillet 1791.) 414
TABLE ANALYTIQUE. 497
DLVIII. MADAME ELISABETH A MADAMR DE B0MBELLE8. Elle
reproche à madame de fiombelles de lui avoir caché son indis-
position. — Détails intimes sur la sauté de la Princesse. — La
Charte avance, mais ne pourra être présentée au Roi avant quinze
jours.
La Princesse ajoute en encre sympathique qu'elle craint que si le
Roi accepte la Constitution il ne gène par là 1 action de rEmperenr
ot des autres Puissances. — Elle se mène de la faiblesse du Roi : il
nV a d'espoir qu'en Dion. — Demande de conseils à l'Empereur.
— Manière dont le Roi et la Reine supportent leur captivité.
(28 juillet 1791.) 417
DLIX. MADAME ELISABETH A MADAME DR BOMBELLES. Le Roi a
rté ramené de Vnrcnnes. — Nouvelles rassurantes de la santé de
chacun. ^29 juillet 1791.) 420
DLX. l'empereur LÉoPOLU II a sa SOEVR MARIE-CHRISTINE. Il
la remercie des dét.iils qu'elle lui a donnés sur les affaires de France
et des Pays-Bas. — Tout le Brabant et le Hainaut s'acheminent au
bien. — Surveiller les Français sans aveu, qui abondent dans les
Etats Bel{{iqucs. — Tenir la main à la discipline dans les troupes.
— ïnsiruclions- envoyées par Kaunitz au Comte de Mercy, sur les
affaires de France. — Il fait sa paix avec les Turcs et s'entend
avec! les grandes Puissances. — Ne rien faire de ce que les Princes
français et les émigrés demanderont. — Fersen. — Le Roi de Suède.
— Son fils l'Arihiduc Charles. (30 juillet 1791.) 421
DLXî. l'empereur LÉOPOLD a sa soeur MARIE-CUniSTlIfE. [PADOUE,
Fix JUILLET 1791.] — Nouvelles diverses. — L'Empereur passe
toutes ses journées avec le Comte d'Artois et le Duc de Parme,
ce (pii est peu gai. (Reçue; le 2 août 1791.) 424
DLXII. LA REINE A MADAME DE LAMRALLR. Elle a pU Voir M. de
Katz, malgré la difficulté de faire approcher de soi les émissaires
dévoués. — Le moment est affreux, à cause de la faiblesse des
honnêtes gens et de la perversité des ennemis. (Paris, 3 août
1791.) 425
NOTE SUR LK ll\RO>' DK HATZ 425
DLXII I. — l'empereur léopold a sa soeur marie-christike. — Il
t louve indiscrètes les demandes de secours que lui adressent les
Princes. — D'accord avec quelques PItats du continent, ils vou-
draient le mettre en avant, mtiis il n'entend point agir et payer
pour tous. — Il compte plutôt sur la désunion des partis en France.
— Nouvelles du Prince Charles, son fils. (4 août 1791.). . . 427
NOTE SUR LE RETABLISSEMENT DU SONCE ET DU CORPS DIPLOMATIQUE EN
BELOIQUE 428
DLXIV. MADAME ÉLISARETU A MADAME DE ROMHKLLES. Ou débite
mille folles nouvelles : toute l'Europe doit tomber sur nous. — La
Trance acquerra de la gloire, et voilà tout. — En attendant, les
prêtres sont horriblement persécutés. (5 août 1791.) 429
DLXV. l'empereur léopold a sa soeur MAniE-CURl.STINE. — Le
Comte de Fersen est arrivé. — Eloge qu'en fait l'Empereur. — Exi-
gences des Princes. — Abandon îles Puissances. — On veut qu'il
soit seul à se sacrifier. (6 août 1791.) 430
lOME m. 32
49S TABLE ANALYTIQUE.
DLXVI. LK COMTE DE FBRSElf AU «01 DE 8€ÈOB. Il A YO M. de
Galonné arrivant d'Angleterre. — L'entourage des Princes est tin
foyer d'intrigues abominables. — Il faudra plutôt agir pour eux
que par eux. — L'Empereur ne prendra aucun parti avant d'avoir
reçu les réponses qu'il attend d'Espagne, d'Angleterre et de Pctcrs-
bourg. — 11 est important de s'occuper de l'Impératrice de Rus^e.
(Vienne, 6 aoôt 1791.) *3I
DLXVTI. LE MARQUIS DE BOUILLE AU ROI DE SCÈOE. L'Em-
pereur a proposé au Roi de Prusse de publier un manifeste exi-
geant le rétablissement de l'autorité royale en France. — Le Roi
de IVusse veut que ce manifeste soit appuyé par la présence de
troupes. — On attend le consentement de l'Angleterre. — Il est
indispensable d'arrêter un plan d'opérations commun k toutes les
Puissances confédérées. — M. de Bouille doute que le concours
armé de la Suède et de In Russie soit sérieusement désiré à Vienne
et à Berlin. — Il a fait agir à Madrid pour convaincre l'Espagne de
la nécessité d'employer les troupes suédoises et pour obtenir des
subsides de cette Puissance. — L Angleterre montre de mauvaises
dispositions. — Les diverses Puissances sont loin d'être d'accord, et
il a peu de confiance dans le résultat des négociations. (Aschaffen-
bourg, 11 août 1791.) W3
NOTE SUR LE MARQUIS DB BOUILLE 43t1
DLXVIII. LE COMTE DE FERSEN AU ROI DE SUEDE. L'EmperCUr
ne prendra un parti qu'après avoir vu le Roi de Prusse h. Toeplitz.
— M. de Biscnoffswerder. — Le baron de Nolcken. (Vienne,
17 août 1791.) ; 438
NOTE SUR LE BAR03I DE BISCII0FF8WBRDER ET SUR LE ROI FRÉDÉBH:-
GUILLAVME II 4^9
DLXIX. — l'empereur léopold au roi de suède. — Il |Mirtage le*
sentiments qu'inspire à Gustave III la situation de la famille royale
de France. — Il s'est concerté avec l'Angleterre et avec la Prusse*
pour amener une entente entre les Puissances. — Il fera connaître
incessamment au Roi de Suède le résultat de ses démarches.
(Vienne, 19 août 1791.) 4*1
DLXX. MADAME ELISABETH A MADAME DE BOMBELLES, SOUS LE XOM
DE MADAME 8CUWARZE:(G4LD , A SAIXT-CALL, EX SDISSE, A ROSOUAIL.
— Captivité du Roi aux Tuileries. — Frayeur panique des gardes
nationales. — Création d*une nouvelle garde. — Renonciation du
duc d'Orléans à ses droits au trône. (25 août 1791.) 443
DLXXI. — LE COMTE d'artois AU ROI DE SUEDE. — Il luî aunoucc
l'envoi du Baron d'Escars, cbnrgo de traiter avec lui au nom de
Louis XVI et des Princes. (Dresde, 29 août 1791.) 445
.notes sur la situation DKS affaires PUBLIQUES A CETTE EPOQUE. 4%6
SUPPLEMENT.
I. l'impératrice MARIE-TUÉRÈSE a l'aRCUIDUCUESSE MARIE-CHRISTINE.
— Sages conseils à sa fille , au moment de son mariage avec le duc
de Sa\e-Tesrhen. — L'Impératrice loi trace la conduite à tenir, et
TABLE ANALYTIQUE. 499
cuinine femme dam toutes les circonstances de la vie pour conserver
l'affection de son mari, et comme gouvernante des Pays-Ras. (Avril
1776.), 447
II. MARIE-THÉRÈSE A MARIE-CURISTIXK , SA FILLE. Conduite à
suivre en public. — Il ne serait point convenable que sa fille se
tint complètement en dehors des affaires. — Elle doit écouter, voir,
consoler tout le monde, mais ne jamais rien décider et se borner
à promettre^ d'informer son mari et l'Impératrice. — Nouvelles
de famille. Epancliements de cœur. — Ses tendresses |>our Marie-
Christine. (18 avril 1767.) 454
III. ÉTAT DES SOMMES QI'E Ll REI?(E VEUT ET ORDO:(?(E ETRE UIS-
TRIBrÉES DASS SA MAISON, UA!I8 l'aKXÉE 1784 457
IV. VOYAGE nu DCC ET DE LA UrCHESSE DE SAXE-TESCUEN E!f
FRANCE. — Note des présents faits par ces princes à leur voyage en
ï'rance 460
V. DÉCISION Dr ROI (JONCERXANT L'ÉTABLISSEMENT DI! LOCAL DE»
SKANCES DE l'aSSEMBLÉE NATIONALE AU MANÉGE DES TUILERIES.
(J8 octobre 1789.) 46T
VI. LETTRE DU COMTE DK PROVESCE AU MARQUIS DE FAVRAS. 472
EXAMKN CRITIQUE DE l'aUTHENTICITÉ DE CETIE LETTRE. . . 471-477
FIN DE LA TABLE AN\LY TIQUE.
ADDITIONS ET CORRECTIOINS.
(I*ap,c XXVI de la Préface.) SiinoiiiclcM ne s'était pas borné ù scspasi-
(ichcs, il avait, comme Ireland, fabriqué des manuscrits de ses textes.
Kien que démasqué depuis longtemps, il s%;st glissé à Londres, et,
Tannée dernière, il a fait imprimer un prétendu texte grec d'un Périple
iPUannon, roi de Carthage, nvev /uc-sitnile du papyrus, qui montre
clairement aux connaisseurs Timpudence de la fraude. C'est également
lui que Ton soupçonne d'avoir inséré dans le texte grec du Traité de
Peinture byuintiue, imprimé à Tlmprimerie impériale en langue fran-
çaise, par MM. Didron et Durand, des détails tendant à filtre cn)ire
.'i Texistcnce de la pIiotogra[)1iie ou des tiMups très-anciens. Mon ami
M. Rruiiet de Presle, de Tlnstitut, a fait justice de rinter|>olation,
dans Tun des numéros du Moniteur, au <!ommcncement de cette année.
Au moment où M. Guillaume Guizot allait publier son Ménantire ,
qui lui a valu un prix si honorable et si bien mérité à l'Institut,
quelqu'un de très-aulorisé s'avisa de lui dire que ce Sinionides annon-
çait <piarante-trois comédies de son auteur, retrouvées par le Grec
moderne au mont Athos. — A cette ouverture, le jeune et spirituel
savant pâlit à faire peur, dit la léjjende. Une telle nouvelle, si elle
eût été vraie, eût remis en question tout s(mi travail et l'eût envoyé
droit au pilon. Il se sentait en présence d'un tribunal bien j»lus
redoutable que l'Ai'adémie elle-même : il allait «*tre jugé par Ménandi'e
ressuscité, et il se demandait confusément ce que ses ccmjectnres
deviendraient devant les œuvres du maître. Son inquiétude dura
peu, car au bout de «pielques jours, il vit la nouvelle passer du
rang des on dit à celui des fables et (IfA mvstilications. Je crois me
souvenir que ce fut M. Hase qui rendit le verdict. A son premier
regard, tout(^s les fraudes de Simonides fondirent comme neige au
soleil. Les faux manuscrits avaient été achetés à grand prix et imprimés
en grand secret, et la bévue une fois découverte, on s'étudia à sup-
502 ADDITIONS ET CORRFXTIONS.
primer rédition. Lord Ilougbton, li; grand bililiopliile, possède un den
trè»-rarcs exemplaires échappes ù la destruction.
Il est bizarre, mais il est vrai, que ce même Simonides a été aux
prises avec le grand éditeur du Nouveau Testament, Constantin Tischen-
dorf. Celui-ci avait publié à Leipzig, en 1856, un travail intitulé :
Enthikllungen ûbcr don Simonides-Dindorfschen Uranios, Simonides
a voulu se venger en contestant la valeur des découvertes faites par
Tischendorf dans le couvent du Sinaï. Il a imprimé, à ce sujet, je ne
sais quelle sotte fable dans le journal anglais The Guardian du 3 sep-
tembre 1862. Ce qui n'empêche pas le Codex Sinaïticus de Tischen-
dorf d*étre établi au premier rang de tous les manuscrits grecs du
Nou^'eau Testament connus jusqu'à ce jour.
Mais que dire de ce faussaire éventé voulant discréditer les manu-
scrits d'autrui? N'est-ce pas un épisode divertissant?
Page XLiv de la Préface, ligne 12 : Qu'y a-C-il là qui n'ait pu eue
dicté ni par l'une ni par l'autre, — lisez : Ou par Tune ou piir l'auti-e.
Page 30. LETTiiK DK Lovis XVI A l'amiral de FRANCK. Ajoutez eu
note : Lettre tirée des Archives de la marine.
Page 150. Ligne 5 de la note : Instruction à en retirer, lisez :
Instruction à en tirer.
TABLE DES FAC-SIMILK
CONTENUS DANS LE TOME III.
1. Marie;- Aiitoiiictu» à Maii«î-TliérAse, 14 juin 1777 (voir le premier
volume k rettc date), [m'iace p. xxviii
2. Marie-Aiituinette à lu durhesse douairière de La Trémouille. . . 5
3. Marie-Autoiiiette à son hère l'Flinperenr Joseph 11,20 uoveiii-
lu'c 1777 (voir le premier volunii^) 242
«
4. Marie- Antoinette ù la duehesse Jules de Polignar, 31 .loiît 1790
(voir le premier voIiinH*'; 303
5. M a lie-Thérèse, Impératrice d'Autrirhe, à sa Klle TArchidnchesitc^
Marie-Chrisfine V47
\i