Skip to main content

Full text of "Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth : lettres et documents inédits"

See other formats


Google 


This  is  a  digital  copy  of  a  book  thaï  was  prcscrvod  for  générations  on  library  shelves  before  it  was  carefully  scanned  by  Google  as  part  of  a  project 

to  make  the  world's  bocks  discoverablc  online. 

It  has  survived  long  enough  for  the  copyright  to  expire  and  the  book  to  enter  the  public  domain.  A  public  domain  book  is  one  that  was  never  subject 

to  copyright  or  whose  légal  copyright  term  has  expired.  Whether  a  book  is  in  the  public  domain  may  vary  country  to  country.  Public  domain  books 

are  our  gateways  to  the  past,  representing  a  wealth  of  history,  culture  and  knowledge  that's  often  difficult  to  discover. 

Marks,  notations  and  other  maiginalia  présent  in  the  original  volume  will  appear  in  this  file  -  a  reminder  of  this  book's  long  journcy  from  the 

publisher  to  a  library  and  finally  to  you. 

Usage  guidelines 

Google  is  proud  to  partner  with  libraries  to  digitize  public  domain  materials  and  make  them  widely  accessible.  Public  domain  books  belong  to  the 
public  and  we  are  merely  their  custodians.  Nevertheless,  this  work  is  expensive,  so  in  order  to  keep  providing  this  resource,  we  hâve  taken  steps  to 
prcvcnt  abuse  by  commercial  parties,  including  placing  lechnical  restrictions  on  automated  querying. 
We  also  ask  that  you: 

+  Make  non-commercial  use  of  the  files  We  designed  Google  Book  Search  for  use  by  individuals,  and  we  request  that  you  use  thèse  files  for 
Personal,  non-commercial  purposes. 

+  Refrain  fivm  automated  querying  Do  nol  send  automated  queries  of  any  sort  to  Google's  System:  If  you  are  conducting  research  on  machine 
translation,  optical  character  récognition  or  other  areas  where  access  to  a  laige  amount  of  text  is  helpful,  please  contact  us.  We  encourage  the 
use  of  public  domain  materials  for  thèse  purposes  and  may  be  able  to  help. 

+  Maintain  attributionTht  GoogX'S  "watermark"  you  see  on  each  file  is essential  for  informingpcoplcabout  this  project  and  helping  them  find 
additional  materials  through  Google  Book  Search.  Please  do  not  remove  it. 

+  Keep  it  légal  Whatever  your  use,  remember  that  you  are  lesponsible  for  ensuring  that  what  you  are  doing  is  légal.  Do  not  assume  that  just 
because  we  believe  a  book  is  in  the  public  domain  for  users  in  the  United  States,  that  the  work  is  also  in  the  public  domain  for  users  in  other 
countiies.  Whether  a  book  is  still  in  copyright  varies  from  country  to  country,  and  we  can'l  offer  guidance  on  whether  any  spécifie  use  of 
any  spécifie  book  is  allowed.  Please  do  not  assume  that  a  book's  appearance  in  Google  Book  Search  means  it  can  be  used  in  any  manner 
anywhere  in  the  world.  Copyright  infringement  liabili^  can  be  quite  severe. 

About  Google  Book  Search 

Google's  mission  is  to  organize  the  world's  information  and  to  make  it  universally  accessible  and  useful.   Google  Book  Search  helps  rcaders 
discover  the  world's  books  while  helping  authors  and  publishers  reach  new  audiences.  You  can  search  through  the  full  icxi  of  ihis  book  on  the  web 

at|http: //books.  google  .com/l 


Google 


A  propos  de  ce  livre 

Ceci  est  une  copie  numérique  d'un  ouvrage  conservé  depuis  des  générations  dans  les  rayonnages  d'une  bibliothèque  avant  d'être  numérisé  avec 

précaution  par  Google  dans  le  cadre  d'un  projet  visant  à  permettre  aux  internautes  de  découvrir  l'ensemble  du  patrimoine  littéraire  mondial  en 

ligne. 

Ce  livre  étant  relativement  ancien,  il  n'est  plus  protégé  par  la  loi  sur  les  droits  d'auteur  et  appartient  à  présent  au  domaine  public.  L'expression 

"appartenir  au  domaine  public"  signifie  que  le  livre  en  question  n'a  jamais  été  soumis  aux  droits  d'auteur  ou  que  ses  droits  légaux  sont  arrivés  à 

expiration.  Les  conditions  requises  pour  qu'un  livre  tombe  dans  le  domaine  public  peuvent  varier  d'un  pays  à  l'autre.  Les  livres  libres  de  droit  sont 

autant  de  liens  avec  le  passé.  Ils  sont  les  témoins  de  la  richesse  de  notre  histoire,  de  notre  patrimoine  culturel  et  de  la  connaissance  humaine  et  sont 

trop  souvent  difficilement  accessibles  au  public. 

Les  notes  de  bas  de  page  et  autres  annotations  en  maige  du  texte  présentes  dans  le  volume  original  sont  reprises  dans  ce  fichier,  comme  un  souvenir 

du  long  chemin  parcouru  par  l'ouvrage  depuis  la  maison  d'édition  en  passant  par  la  bibliothèque  pour  finalement  se  retrouver  entre  vos  mains. 

Consignes  d'utilisation 

Google  est  fier  de  travailler  en  partenariat  avec  des  bibliothèques  à  la  numérisation  des  ouvrages  apparienani  au  domaine  public  et  de  les  rendre 
ainsi  accessibles  à  tous.  Ces  livres  sont  en  effet  la  propriété  de  tous  et  de  toutes  et  nous  sommes  tout  simplement  les  gardiens  de  ce  patrimoine. 
Il  s'agit  toutefois  d'un  projet  coûteux.  Par  conséquent  et  en  vue  de  poursuivre  la  diffusion  de  ces  ressources  inépuisables,  nous  avons  pris  les 
dispositions  nécessaires  afin  de  prévenir  les  éventuels  abus  auxquels  pourraient  se  livrer  des  sites  marchands  tiers,  notamment  en  instaurant  des 
contraintes  techniques  relatives  aux  requêtes  automatisées. 
Nous  vous  demandons  également  de: 

+  Ne  pas  utiliser  les  fichiers  à  des  fins  commerciales  Nous  avons  conçu  le  programme  Google  Recherche  de  Livres  à  l'usage  des  particuliers. 
Nous  vous  demandons  donc  d'utiliser  uniquement  ces  fichiers  à  des  fins  personnelles.  Ils  ne  sauraient  en  effet  être  employés  dans  un 
quelconque  but  commercial. 

+  Ne  pas  procéder  à  des  requêtes  automatisées  N'envoyez  aucune  requête  automatisée  quelle  qu'elle  soit  au  système  Google.  Si  vous  effectuez 
des  recherches  concernant  les  logiciels  de  traduction,  la  reconnaissance  optique  de  caractères  ou  tout  autre  domaine  nécessitant  de  disposer 
d'importantes  quantités  de  texte,  n'hésitez  pas  à  nous  contacter  Nous  encourageons  pour  la  réalisation  de  ce  type  de  travaux  l'utilisation  des 
ouvrages  et  documents  appartenant  au  domaine  public  et  serions  heureux  de  vous  être  utile. 

+  Ne  pas  supprimer  l'attribution  Le  filigrane  Google  contenu  dans  chaque  fichier  est  indispensable  pour  informer  les  internautes  de  notre  projet 
et  leur  permettre  d'accéder  à  davantage  de  documents  par  l'intermédiaire  du  Programme  Google  Recherche  de  Livres.  Ne  le  supprimez  en 
aucun  cas. 

+  Rester  dans  la  légalité  Quelle  que  soit  l'utilisation  que  vous  comptez  faire  des  fichiers,  n'oubliez  pas  qu'il  est  de  votre  responsabilité  de 
veiller  à  respecter  la  loi.  Si  un  ouvrage  appartient  au  domaine  public  américain,  n'en  déduisez  pas  pour  autant  qu'il  en  va  de  même  dans 
les  autres  pays.  La  durée  légale  des  droits  d'auteur  d'un  livre  varie  d'un  pays  à  l'autre.  Nous  ne  sommes  donc  pas  en  mesure  de  répertorier 
les  ouvrages  dont  l'utilisation  est  autorisée  et  ceux  dont  elle  ne  l'est  pas.  Ne  croyez  pas  que  le  simple  fait  d'afficher  un  livre  sur  Google 
Recherche  de  Livres  signifie  que  celui-ci  peut  être  utilisé  de  quelque  façon  que  ce  soit  dans  le  monde  entier.  La  condamnation  à  laquelle  vous 
vous  exposeriez  en  cas  de  violation  des  droits  d'auteur  peut  être  sévère. 

A  propos  du  service  Google  Recherche  de  Livres 

En  favorisant  la  recherche  et  l'accès  à  un  nombre  croissant  de  livres  disponibles  dans  de  nombreuses  langues,  dont  le  français,  Google  souhaite 
contribuer  à  promouvoir  la  diversité  culturelle  grâce  à  Google  Recherche  de  Livres.  En  effet,  le  Programme  Google  Recherche  de  Livres  permet 
aux  internautes  de  découvrir  le  patrimoine  littéraire  mondial,  tout  en  aidant  les  auteurs  et  les  éditeurs  à  élargir  leur  public.  Vous  pouvez  effectuer 
des  recherches  en  ligne  dans  le  texte  intégral  de  cet  ouvrage  à  l'adressefhttp:  //book  s  .google .  coïrïl 


=23. 


/ 


^ 


:23. 


^ 


>^ 


f^^î~^|^ 


LOUIS  X\l 


MARIE-ANTOINETTE 


KT 


MADAME  ELISABETH 


LOUIS  X\I 


MARIE-ANTOINETTE 


KT 


MADAME   ÉMSAIVF/ilI 


L'auteur  et  l'éditeur  déclarent  réserver  leurs  droits  de  re|>roduciiuii 
et  de  traduction  ;i  l'étranger. 

Ce  volume  a  été  déposé  au  ministère  de  l'intérieur  (Direction  de 
la  Librairie),  en  1863. 


Paris.  irponniiMiiK  dk  ukmu  pi.on,  imphimkih  nt  i.  KMPKHktn, 

Hnc  Garancière.  8. 


LOUIS  XVI 


MAKII>AINT()lfNi:TTK 


F.T 


MADAME    ELISABETH 


iTTKES  i:ï  documknts  inkdiïs 


P  L' R  L  I  K  » 


PAR   F.    FEUILLET   l>E  CONCHKS 


Nrr  illo«  (Ia|iîl(ilii  a«U|ircliiii .  rt  imininriilium 
leinploruirt  rrlli|;io.  rt|iriiiir4  rt  fuluri  piinciprs 
IriTurrr.  qHoiiiiiiUN  fai*rrrnt  strrlus  cujiiii  ullor  c»C 
qiii%qu»  tiKTirraftii 

Tacitl,  Histor.,  1,  xl. 


TOML   ïKOISlfeME 


^ 


FAIU> 

HENRI  PLON,  IMPIUMKUR.KDITKUR 

RUK   r.ARANCIKRK.   N 


MINICCLXV 

Tou$  droits  réserve* 


Une  publication  de  la  nature  de  celle  qui  m'occupe' 
devait  faire  sortir  de  certaines  archives  publiques  ou 
particulières  des  documents  qui  avaient  échappé  à  mes 
anciennes  recherches.  En  effet,  depuis  la  mise  au  jour 
de  mon  second  volume,  des  glanes  nouvelles,  des 
glanes  précieuses  sont  venues  enrichir  mes  moissons 
précédentes;  et  des  pièces  de  dates  diverses,  dont 
quelques-unes  même  appartiennent  aux  premières 
années  de  l'entrée  de  Marie-Antoinette  dans  la  maison 
de  France,  vont  me  forcer  à  intervertir  Tordre  chro- 
nologique que  j'allais  poursuivre,  à  remonter  en  un 
mot  à  l'année  1770,  après  être  arrivé  déjà  au  commen- 
cement d'octobre  1791.  J'en  demande  pardon  à  mes 
lecteurs  ;  mais  j'ai  la  confiance  que  l'intérêt  des  pièces 
qui  m'imposent  la  nécessité  de  revenir  sur  mes  pas  me 
fera  trouver  grâce,  devant  eux.  Quelques-uns  de  ces 
documents  m'ont  été    obligeamment  offerts  par  des 


TOME    III. 


II 


curieux  qui  se  plaisent  à  Thistoire  ou  par  des  hommes 
d'État  qui  la  font.  La  découverte  do  beaucoiq^  d'autres 
documents  a  été  le  fruit  de  nouvelles  recherches  dans 
des  cartulaires  princiers  inexplorés  encore.  Ainsi  le 
fils  de  l'illustre  Prince  Charles  d'Autriche,  Son  Altesse 
Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert,  a  bien  voulu, 
avec  une  grâce  particulière,  me  permettre  l'entrée  de 
ses  archives,  en  partie  formées  de  celles  de  la  sœur 
aînée  de  Marie-Antoinette,  l'Archiduchesse  Marie- 
Christine,  duchesse  de  Saxe-Teschen.  Ces  archives, 
d'une  richesse  incomparable  pour  l'histoire,  la  littéra- 
ture et  surtout  pour  l'art,  m'ont  fourni  des  lettres  d'un 
haut  intérêt,  écrites  par  les  Empereurs  Joseph  II  et 
Léopold  II  à  cette  dernière  Princesse,  leur  sœur,  tou- 
chant les  affaires  de  France. 

A  mon  retour  de  Vienne,  je  puisai  au  Ministère  de 
la  Marine  quelques  documents  pour  l'histoire  de  la 
marine  française,  à  laquelle  le  Roi  Louis  XVI  donna 
un  élan  si  patriotique,  lors  de  la  guerre  de  l'indépen- 
dance américaine;  et,  pour  me  guider  dans  les  archives 
de  ce  département,  je  trouvai  un  homme  obligeant, 
instruit,  opiniâtre  au  travail,  habile  à  la  découverte, 
M.  Pierre  Margry,  qui  m'adonne,  pour  le  commentaire 
des  lettres  trouvées  à  la  Marine,  des  notes  dont  j'ai 
fait  mon  profit.  Mais  d'autres  bonnes  fortunes  m'atten- 
daient encore. 

J'avais  déjà  recueilli  un  certain  nombre  de  papiers 
inédits;  j'avais  obtenu,  par  exemple,  de  la  bonté  de 
M.   le   duc   de  Polignac ,   communication   des  lettres 


III 


qui  lui  restent  de  Marie-Antoinette  et  de  Louis  XVÏ  à 
son  aïeule,  quand  M.    le  comte   Gustave  de  Reiset, 
aujourd'hui  niinistrfc  de  TErapereur  à  la  cour  de  Ha- 
novre, et  qui  a  résidé  longtemps  en  la  même  qualité  à 
celle  de  Darmstadt,  me  fit  connaître  que,  pendant  son 
séjour  auprès  du  (îrand-Duc  de  Hesse,  il  avait  trouvé 
dans  les  archives  de  ce  Prince  vinjjt-sept  lettres  auto- 
graphes de  la  Reine  Marie-Antoinette.  Toutes  ces  lettres 
avaient  été  adressées,  de  1780  à  1792,  à  la  Landgra- 
viiie  Louise,  grand'mère  du  Grand-Duc  régnant,  femme 
d'un  mérite  accompli  et  encore  en  vénération  dans  le 
grand-duché.    M.  de  Reiset  avait  été  frappé,   à   son 
arrivée  à   Darmstadt,  du  nomhre  de  portraits  de  la 
Reine  de  France  qui  se  trouvaient  dans  le  palais  grand- 
ducal.    L'un  d'eux   portait  la  signature  de  madame 
Vigée-Lehrun,  avec  cette  inscription  :   «  Donné  par  la 
Reine  à  la  Princesse  Louise,  en  1783.  »  Inférant  de  là 
que  la  Landgravine  avait  eu  des  relations  particulières 
avec  Marie-Antoinette,  il  s'était  enquis  s'il  en  existait 
des  traces  écrites ,  et  c'est  alors  que  le  Grand-Duc  lu 
avait  ouvert  ses  archives.  M.  de  Reiset  s'était  promis 
de  mettre  au  jour  cette  correspondance;  déjà  même 
son  travail  était  prêt  pour  la  presse,  quand  la  publica- 
tion de  mes  deux  volumes  et  surtout  sa  bonne  grâce 
lui   suggérèrent  l'amicale   pensée  de  concourir  à  cet 
ensemble  en  versant  son  petit  trésor  dans  mon  escar- 
celle historique. 

J'en  étais  là  lorsque  je  reçus  d'un  homme  éminent 
et  par  la  délicatesse  de  son  esprit  et  par  sa  position 


IV 


politique,  M.  le  comte  de  Manderstrôm,  ministre  des 
Affaires  Etrangères  de  Suède,  la  lettre  suivante  : 

Stockhoiiii,  le  15  septembre  1864. 

«  Monsieur  , 

»  Vous  ne  sauriez  douter  de  l'intérêt  et  de  la  recon- 
naissance avec  lesquels  j'ai  reçu  votre  aimable  lettre 
du  28  août  passé,  ainsi  que  l'envoi  que  vous  m\ 
annonciez  du  premier  volume  de  votre  grande  publi- 
cation des  lettres  de  Louis  XVI,  de  Marie-Antoinette 
et  de  Madame  Elisabetb.  Ce  volume  vient  de  m'arriver. 
Je  n'ai  pu  lire  encore  que  votre  belle  introduction,  qui 
iBxe  si  bien,  dans  un  court  espace,  les  points  principaux 
de  l'épopée  si  féconde  en  intérêt  (pie  vous  illustrez 
par  d'aussi  précieuses  révélations;  mais  je  vais  inces- 
samment me  plonger  dans  la  correspondance  même. 

»  Quoique  privé,  depuis  plus  de  six  ans,  du  plaisir  de 
vous  voir,  ce  souvenir  bienveillant  n'était  point  néces- 
saire pour  vous  rappeler  à  ma  [)ensée  :  vos  Causeries 
d'un  Curieux,  dont  les  trois  volumes  parus  m'ont  fait 
éprouver  un  bien  véritable  plaisir,  s'étaient  cliargées 
de  ce  soin.  Néanmoins  votre  lettre  m'en  a  fait  un  plus 
grand  encore ,  et  je  vous  prie ,  Monsieur,  d'en  agréer 
mes  bien  sincères  remercîuients.  En  ce  sens,  je  puis 
me  vanter  d'être  un  peu  de  vos  collègues;  (pie  je  suis 
aussi  un  Curieux  et  un  grand  amateur  de  vieilles  lettres 
et  de  vieux  |)apiers  ;  mallieureusement,  mes  loisirs  sont 
devenus  de  plus  en  plus  rares,  mais  je  me  plais  toujours 


à  revenir  à  mes  anciennes  amours,  pour  lesquelles  j'ai 
conservé  une  grande  tendresse. 

»  Il  y  a  de  cela  douze  à  treize  ans ,  alors  que  mes 
occupations  me  le  permettaient  encore,  j'ai  réuni 
d'assez  nombreux  documents,  jusqu'alors  inédits,  rela- 
tifs à  l'histoire  de  Gustave  III,  et  principalement  à  celle 
des  deux  dernières  années  de  son  rèyne,  en  vue  d'une 
publication  dont  j'ai  été  plus  tard  forcé  à  abandonner 
l'idée.  Tous  ces  documents  ont  été  copiés  de  ma  main 
sur  les  originaux,  —  ou  bien,  dans  des  cas  plus  rares, 
sur  des  copies  parfaitement  authentiques.  Je  ne  les 
avais  pas  revus  depuis  des  années,  lorsque  votre  lettre 
est  venue  m'ofifrir  un  motif  de  les  déterrer. 

»  Vous  me  demandez ,  Monsieur,  la  lettre  intégrale 
du  comte  de  Fersen  à  Gustave  III,  du  1"  janvier  1792  : 
je  vous  l'enverrai  avec  les  nombreuses  et  intéressantes 
annexes  qui  l'accompagnent.  —  Quant  à  la  réponse  de 
Gustave  III  à  la  lettre  de  la  Reine  Marie-Antoinette, 
de  fcSrrier  1776,  il  n'en  existe  pas  chez  nous  de  minute, 
et  souvent,  pour  les  lettres  autographes  de  ce  Prince, 
il  n'en  gardait  aucune.  Il  y  a  bien  des  lacunes  dans  les 
correspondances  de  son  temps  :  une  partie  de  ses 
papiers  —  mais  ceux-là  tous  antérieurs  à  1789  —  se 
trouvent,  comme  vous  le  savez,  à  la  bibliothèque 
d'Upsal,  à  laquelle  il  les  avait  légués;  je  les  ai  vus  au 
galop,  mais  il  ne  m'a  pas  été  possible  de  les  dépouiller. 

9  Je  ne  sache  pas  ici  d'autres  lettres  de  la  Reine 
Marie- Antoinette  :  on  assure  qu'il  s'en  trouve  dans  la 
famille  Fersen  ;  mais  personne  n'a  jamais  pu  les  voir. 


VI 


»  Afin  de  vous  étrç  agréable,  Monsieur,  et  afin  de 
concourir,  en  ce  qyi  dépend  de  moi,  à  compléter  la 
précieuse  collection  que  vous  publiez ,  je  viens  de 
t  ormer  un  dossier  de  pièces  qui  pourront  vous  offirir  de 
l'intérêt  et  dont  quelques-unes  au  moins  pourront 
entrer  dans  votre  ouvrage.  Afin  d'éloigner,  autant  que 
possible,  les  erreurs  trop  fréquentes  des  copistes,  je 
prends  le  parti  de  vous  envoyer  les  copies  que  j'ai  faites 
moi-même ,  et  de  l'exactitude  desquelles  je  crois  pou- 
voir répondre,  y  ayant  apporté  une  scrupuleuse  atten- 
tion. Voici,  d'après  l'ordre  des  dates,  les  pièces  que 
je  me  propose  de  vous  transmettre  : 

M  1.   Lettre  du  Comte  d'Artois  à  Gustave  111,   en 

« 
date  de  Parme,  le  8  avril  1791.  Demi-feuille. 

M  2.  Lettre  de  Gustave  111  au  baron  de  Breteuil,  en 
date  de  Haga,  17  mai  1791.  Deux  feuilles. 

»  5,  Lettre  du  baron  de  Breteuil  à  Gustave  111,  en 
date  de  Soleure,  9  juin  1791.  Deux  feuilles. 

»  A,  Lettre  de  Monsieur,  frère  du  Roi,  à  Gustave  111. 
Schonbornslust,  16  juillet  1791.  Demi-feuille. 

»  5.  Lettre  du  comte  de  Fersen  au  Roi  de  Suède. 
Vienne,  6  août  1791.  Demi-feuille. 

»  6.  Lettre  du  marquis  de  Bouille  à  Gustave  111. 
Aschaffenbourg ,  11  août  [1791].  Une  feuille. 

»  7.  Lettre  du  comte  Fersen  à  Gustave  III.  Vienne, 
17  août  1791.  Demi-feuille. 

M  8.  Lettre  (le  l'Empereur  Léopold  à  Gustave  III. 
Vienne,  19  août  1791.  Demi-feuille. 


VII 

»  9.  Lettre  du  Comte  d'Artois  à  Gustave  III.  Dresde, 
29  août  1791.  Demi-feuille. 

»  10.  Lettre  du  comte  Eszterhazy  au  Roi  de  Suède. 
Dresde,  30  août  1791.  Demi-feuille. 

»  11.  Lettre  du  comte  Fersen  à  Gustave  111.  Prague, 
18  septembre  [1791].  Une  feuille. 

»  12.  Du  même  au  même.  Prague,  6  septembre  1791 . 
Trois  feuilles. 

»  13.  Lettre  collective  de  Monsieur  et  du  Comte 
d'Artois  à  Gustave  111.  Schonhornslust,  14  septembre 
1791.  Demi-feuille. 

»  14.  Lettre  de  Louis  XVI  à  l'Empereur  Lêopold. 
Paris,  18  septembre  1791.  Demi-feuille. 

»  15.  Lettre  du  comte  Fersen  à  Gustave  III.  Prayue, 
21  septembre  1791 ,  avec  annexes  : 

»  A.   Mémoire  présenté  à  TEmpereur. 

»  B.   Résumé  des  moyens  à  employer. 

»  C.   Note  remise  au  comte  Cobenzl. 

»  D.  Convention  entre  TEmpereur  et  le  Roi  de 
Suède. 

»  E.   Réponse  du  comte  Cobenzl. 

»  F.  Réponse  du  Roi  d'Espayne  à  la  lettre  de 
l'Empereur.  7  août  1791.  En  tout  sept  feuilles. 

»  16.   Lettre  collective  de  Monsieur  et  du  Comte 

d'Artois  au  Roi  de  Suède.  Coblentz,  1 8  décembre  1791. 

Demi-feuille. 

»  17.  Des  mêmes  au  même.  Coblentz ,  2i  dé- 
cembre 1791.  Demi-feuille. 


VIII 

»  18.  Lettre  du  corate  Fersen  au  Roi  de  Suède,  en 
date  de  Bruxelles,  le  1"  janvier  1792,  avec  annexes  : 

»  A.  Lettre  de  la  Reine  Marie-Antoinette  a  l'Impé- 
ratrice Catherine.  Paris,  3  décembre  1791. 

»  B.  Lettre  de  Louis  XVI  au  baron  de  Breteuil. 
Paris ,  1 4  décembre  1791. 

»  C.  Lettre  de  Louis  XVI  au  Roi  de  Prusse.  Paris, 
3  décembre  1791. 

»  D.  Copie  des  instructions  données  au  comte  de 
Séyur  [décembre  1791]. 

»  E.  Lettre  de  Louis  XVI  à  Gustave  111.  Paris, 
3  décembre  1791.  En  tout  huit  feuilles. 

»  19.  Lettre  du  comte  Fersen  à  Gustave  111. 
Bruxelles,  8  juin  1792.  Demi-feuille. 

»  20.  Lettre  du  Roi  de  Prusse  à  Gustave  III. 
Berlin,  6  février  1792.  Demi-feuille. 

»  21.  Lettre  du  comte  Fersen  au  Roi  de  Suède. 
Bruxelles,  24  mars  1792  (arrivée  après  l'assassinat  du 
Roi).  Deux  feuilles. 

»  Voilà  ce  que  j'ai  cru  pouvoir  servir  à  votre  cadre. 
Je  vous  donne  là-dessus  y w5  vîtœ  et  nects  :  servez-vous- 
en  à  votre  {fuise  ;  supprimez  ce  qui  vous  paraîtra 
inutile,  et  soyez  persuadé  de  la  parfaite  authenticité  de 
tout  ce  que  je  vous  transmets.  Je  me  sentirai  heureux 
d'avoir  pu  apporter  quelques  bonnes  tuiles  au  magni- 
fique édifice  dont  vous  êtes  le  constructeur. 

»  Tout  cela  est  trop  volumineux  pour  pouvoir  être 
expédié  par  la  poste  ;  mais,  dans  cette  saison,  les  voya- 


IK 


geurs  à  Paris  sont  fréquents,  et  je  me  flatte  de  l'espoir 
de  pouvoir  vous  envoyer  mon  paquet  dans  la  huitaine  : 
je  profiterai  de  la  toute  première  occasion. 

»  Si  mes  veillées  d'autrefois  peuvent  vous  être  utiles, 
j'en  serai  amplement  dédommagé.  Je  guetterai  vos  nou- 
veaux volumes,  et  je  serai  charmé  d'y  retrouver  quel- 
ques-unes des  pièces  dont  je  me  dessaisis  volontiers,  si 
elles  peuvent  contribuer  à  jeter  du  jour  sur  l'histoire  de 
Tauguste  infortunée  dont,  comme  vous,  je  suis  l'un  des 
amoureux. 

»  Croyez,  Monsieur,  à  la  sincérité  de  mes  senti- 
ments très-distingués. 

»  Manderstrôm.  » 

Trois  mois  après,  je  recevais  du  même  et  généreux 
personnage  la  seconde  lettre  qui  suit  : 


Stockholm,  3  déccitibrc  1864. 

ce  Monsieur  , 

»  L'on  ne  saurait  être  plus  aimable  que  vous  l'êtes, 
et  votre  bonne  lettre  du  5  novembre ,  accompagnée  du 
second  volume  de  votre  intéressante  et  précieuse  publi- 
cation, en  offre  un  nouveau  témoignage.  Veuillez  en 
agréer  mes  remercîments  les  plus  empressés,  et  croyez 
que  peu  de  lecteurs  suivent  avec  autant  de  cœur  l'in- 
térêt toujours  croissant  qui  s'y  rattache.  Les  illustra- 
tions dont  vous  ornez  votre  correspondance  y  ajoutent 
encore  un  nouveau  charme  ;  mais  pour  moi  ce  sont  les 


lettres  et  vos  remarques  éclairées  et  judicieuses  qui  don- 
nent le  prix  principal  à  cette  monumentale  publication. 

»  En  fouillant  dans  mes  vieux  dossiers,  j'ai  retrouvé 
encore  quelques  pièces  qui  pourront  vous  offrir  quelque 
intérêt,  et  que  je  me  permets  de  joindre  ici ,  vous  lais- 
sant le  maître  de  vous  en  servir  ou  non ,  d'après  le  plan 
que  vous  vous  êtes  tracé.  Entre  autres  qualités,  vous 
avez  un  flair  excellent  et  vous  jugez  tout  de  suite  la 
valeur  des  documents.  Je  vous  garantis  ceux-ci  exacts 
comme  les  précédents.  Vous  trouverez  donc  ci-après  . 

»  i.  Lettre  de  Gustave  111  au  Comte  d'Artois,  du 
20  mai  1791. 

»  2.  Un  mémoire  lu  par  Gustave  III  à  une  confé- 
rence à  Aix-la-Chapelle,  le  5  juillet  1791,  entre  le 
Roi,  Monsieur,  le  Comte  d'Artois  et  l'évêque  d'Arras. 

»  5.  Mémoire  adressé  à  Catherine  II  par  Gustave  111. 
Aix-la-Chapelle,  9  juillet  1791. 

»  4.  Mémoire  du  même  au  Roi  d'Espagne,  d'Aix- 
la-Chapelle,  16  juillet  1791. 

»  5.  Lettre  de  Monsieur  et  du  Comte  d'Artois  à 
Gustave  III.  Schœnburnslust,  30  octobre  1791. 

»  Si  vous  croyez  que  ma  dernière  lettre  puisse  devenir 
utile  pour  constater  l'authenticité  des  pièces  envoyées,  il 
faut  bien  en  passer  par  là,  et  vous  autoriser  à  la  publier. 
Seulement,  je  crains  que  mon  baragouin  serai-français 
ne  défigure  trop  votre  livre  (J).  Je  vous  prierai  cepen- 


(1)  J'avais  en  effet  demandé  à  M.  le  comte  de  Manderstrbin  la  per- 
mission de  publier  sa  lettre.  J'étais  heureux  de  me  parer  de  son  {jra- 
cienx  témoignage  et  de  donner  en  même  temps  aux  pièces  que  j'allais 


XI 


dant,  en  ce  cas,  de  vouloir  bien  supprimer  la  phrase  qui 
a  rapport  aux  lettres  que  je  suppose  existantes  dans  la 
famille  Fersen,  puisque  je  n'ai,  h  cet  égard,  aucune  certi- 
tude. Je  suis  convaincu  toutefois  qu'elles  sont  conser- 
vées, mais  je  puis  d'autant  moins  le  constater  que  la 
comtesse  de  Gyldenstolpe  se  trouvant  à  l'étranger,  je 
n'ai  pu  lui  en  parler.  Elle  n'a  guère  pu  vous  dire  qu'à  la 
suite  de  l'assassinat  de  Fersen,  en  1810,  son  hôtel  avait 
été  incendié,  puisque  tel  n'est  point  le  cas  :  peut- 
être  aura-t-elle  voulu  dire  que  le  frère  et  la  sœur  de  la 
victime,  en  proie  à  l'an imad version  populaire,  et  crai- 
gnant un  assaut  contre  l'hôtel,  auront  jugé  à  propos 
de  faire  un  holocauste  de  certains  papiers;  mais,  en  ce 
cas  (et  je  n'en  ai  jamais  entendu  parler),  il  me  paraît 
évident  que  ce  sacrifice  se  serait  borné  à  des  papiers 
concernant  la  Suède  (1). 


pulilier  d'après  lui  une  garantie  irrécusable  d'aullienlirilé.  Il  est  njor- 
▼eilleux  du  reste  de  voir  un  étranger  écrire  d'une  façon  aussi  parfaite 
notre  langue,  et  renouveler  les  curieux  phénomènes  de  l'Anglais  Ma- 
millon  écrivant  en  français  les  Mémoires  «lu  conile  de  Gramonl; 
d*Uoraco  Waljiole,  de  l'ahhé  Galiani,  de  Goldoni,  de  Grimm,  du 
prince  de  Ligne,  des  deux  Schlegd,  des  deux  Ilumboldt,  parlant 
notre  langue  du  dernier  siècle  comme  s'ils  étaient  nés  à  Paris;  enfin, 
du  Franc^aLs  Adalbert  de  Chamisso  écrivant  en  allemand  le  roman  si 
populaire  de  Pierre  Schlemil  qui  a  perdu  son  ombre,  (^Note  de  iédi" 
leur.) 

(1)  M.  le  comte  de  Mauderstriim  me  pardonncra-t-il  T indiscrétion 
d'avoir  laissé  subsister  le  passage  relatif  à  la  correspondance  présumée 
de  Marie- Antoinette  a\cv  Fersen.  Ce  passage  a  ini  intérêt  dans  la 
<]uestion  historique.  Il  y  a  trois  ans  à  ]>eu  près  que  j'ai  eu  l'honneur 
de  me  rencontrer  avec  la  petite-fille  du  comte  de  Fersen ,  madame  la 
comtesse  de  Gyldenstolpe,  et  que  je  lui  demandai  s'il  existait  dans 
ses  papiers   de  famille   des   lettres  de   la    Reine   Marie- Antoinette, 


XII 


»  Vous  comprenez  l'impatience  avec  laquelle  j'at- 
tends la  suite  que  vous  voulez  bien  m'annoncer,  mais 
je  n'ose  vous  retenir  : 

Tu  |)ii])licn  cominoda  j)ercpm, 

SI  loii{;()  serniune  morer  tua  tcnipoiM. 

»  Mille  compliments  dévoués. 

«  Mandkrstro^i.  » 


Après  toutes  ces  conquêtes ,  il  ne  me  manquait  plus 
que  d'ajouter  à  la  série,  déjà  si  abondante,  des  lettres 
de  Madame  Elisabeth,  dont  les  premières  ont  eu  une 
part  si  large  dans  le  succès  de  mon  recueil.  Louis XVI, 
Marie-Antoinette,  Madame  Elisabeth,  trois  martyrs  ! 
Le  premier,  à  qui  il  est  trop  facile  de  reprocher  sa  fai- 
blesse, quand  avant  tout,  pour  être  juste,  on  eût  dû 
songer  à  glorifier  son  bon  sens,  son  invariable  droiture 
et  son  ineffable  bonté.  La  seconde,  née  fière,  sensible, 
ouverte,  élégante,  pleine  d'àme,  d'intelligence  et  de 


adressées  an  cuiiite.  Elle  iii'aCHrina  qu'il  ne  s'y  (roiivait  pas  le  moindre 
billet  de  la  main  de  celte  Princesse,  et  que,  du  reste,  on  professait, 
parmi  tous  les  siens,  pour  eelte  grande  infortune,  un  respect  profond, 
une  sorte  de  culte  traditionnel. 

Depuis,  un  pelit-nev<Mi  de  ce  mèin(>  seijjneiir  suédois,  M.  de  Klinc- 
kowstrtim,  dernièrement  secrétaire  de  la  l(';(;ation  de  Suède  en  Autriche, 
et  maintenant  fixé  a  Stockliolui,  m'a  fait  conHruier  par  le  ministre  de 
France  ù  la  cour  de  Suède,  M.  Fournier,  que  ni  dans  la  branche  de 
Madame  de  Gyldenstolpe,  ni  dans  la  sienne  propre,  on  n'avait  en  réa- 
lité aucun  S(mvenir  écrit  quelconque  de  la  Reine.  Le  préjugé  plus  fort 
que  ia  vérité  veut  qu'il  en  exijîCe.  Le  préjugé  s'appuierait-il  sur  quelque 
exception  ?  (Note  de  VcdUeur,) 


XIII 


cœur,  méconnue,  insultée,  calomniée  dans  les  régions 
les  plus  hautes,  dans  la  propre  famille  qui  lui  avait  été 
donnée ,  en  même  temps  que  dans  les  bas-fonds  de  la 
populace  aveugle  et  de  la  littérature  occulte.  La  troi- 
sième, une  sainte,  un  ange,  Tinstinctméme  de  la  bonté 
et  pureté  céleste,  mais  une  sorte  de  garçon  volontaire, 
disant  tout  sans  ambage ,  sinon  parfois  sans  goût,  mais 
Tancien  régime  coulé  en  bronze,  comprenant  tout 
sans  terreur,  voyant  avec  calme  et  résignation ,  du 
haut  de  sa  foi  chrétienne,  la  formidable  tourmente  où 
le  passé  allait  s'engloutir;  pouvant  se  réfugiera  l'étran- 
ger, et  restant  néanmoins  au  poste  du  devoir  et  du 
sacrifice,  auprès  du  Roi  son  frère,  jusqu'aux  portes  de 
l'éternité.  Eh  bien  !  de  cette  figure  si  c:  rieuse,  si  ori- 
ginale et  à  la  fois  si  sublime,  constituant  à  elle  seule, 
en  quelque  sorte,  le  chœur  antique  dans  le  drame  ter- 
rible qui  se  jouait,  —  un  trésor  inappréciable  m'était 
réservé  :  quatre-vingt-treize  lettres  autographes  que 
m'a  confiées  M.  le  marquis  de  Gastéja,  qui  appar- 
tient, comme  on  l'a  vu  par  notre  premier  volume,  à 
cette  noble  famille  de  Bombellesque  Madame  Elisabeth 
a  tant  aimée.  On  n'a  pas  plus  de  grâce,  plus  de  géné- 
reuse bienveillance,  plus  de  tact  pour  les  choses  de 
l'histoire,  que  n'en  a  le  possesseur  de  cette  corres- 
pondance. Ce  sont  toutes  lettres  adressées  à  la  mar- 
quise de  Bombelles  et  complétant  celles  que  m'avait 
communiquées  le  comte  de  Bombelles  en  Autriche.  Le 
temps  finit  toujours  par  distraire  quelques  feuilles  des 
groupes  de  lettres.  C'est  ce  qui  déjà  était  un  peu  arrivé 


XIV 


pour  la  correspondance  de  Madame  Elisabeth  avec  la 
marquise  de  Raigecourt;  mais  la  série  des  lettres  à  la 
marquise  de  Bombelles  a  été  plus  disséminée  encore 
dans  une  famille  si  nombreuse,  et  offrait  plus  de 
lacunes.  Quelques-unes  de  ces  lettres  sont  tombées  aux 
mains  du  comte  de  Blosseville ,  qui  en  a  détaché  deux 
existant  encore  dans  ses  papiers,  et  qui,  dit-on,  a 
remis  le  reste  à  la  nièce  de  la  Princesse,  madame  la 
Duchesse  d'Angouléme.  D'autres  se  sont  égarées,  et 
la  trace  .n'a  pu  en  être  suivie  k  travers  les  vicissitudes 
des  révolutions  et  de  l'exil. 

Parmi  les  lettres,  s'en  trouvaient  quatre  qui  portaient 
quelques  indices  confus  d'écriture  en  encre  sympa- 
thique. J'ai  montré  les  feuilles  à  l'illustre  chimiste 
M.  Dumas,  qui,  avec  une  complaisance  tout  amicale, 
a  tenté  de  faire  revivre  les  caractères  éteints.  M.  de 
Gastéja  s'était  volontiers  prêté  à  l'expérience  :  —  qui 
n'aurait  eu  foi  en  un  homme  tel  que  M.  Dumas? — De 
quelle  nature  pouvait  avoir  été  cette  encre  sympa- 
thique, et  dès  lors  par  quels  réactifs  était-il  possible  de 
la  faire  revivre?  Ce  fut  pour  lui  un  jeu,  et  la  résurrec- 
tion a  été  rapide  et  complète.  Avec  quelle  anxiété  les 
yeux  suivaient  lettre  à  lettre ,  mot  à  mot ,  ligne  à 
ligne,  cette  renaissance!  avec  quel  intérêt  et  quelle 
gratitude  je  suis  entré  dans  le  secret  de  Tintime  pensée 
de  la  Princesse,  pour  la  livrer  à  mes  lecteurs  ! 

Telles  sont  les  acquisitions  nouvelles  que  je  leur 
offre  aujourd'hui,  tels  sont  mes  meilleurs  arguments 
pour  m'excuser  dans  ma  revue  rétrospective. 


XV 


En  réglant  tous  mes  comptes  de  conscience,  je  ne 
dois  pas  oublier  la  presse  française ,  qui  m*a  encou- 
ragé avec  tant  d'indulgence  et  d'unanimité  dans  la 
poursuite  de  mes  recherches  et  de  ma  publication.  Ce 
n'est  pas  que  je  ne  voulusse  soigneusement  éviter  ici 
Tattitude  si  comique  d'humble  fierté  de  l'éditeur  ou 
auteur  remerciant  son  public  et  ses  juges  d'avoir  fait 
le  succès  de  son  livre.  Cet  orgueil  sous  le  masque  m'a 
toujours  plaisamment  rappelé  le  vers  ridicule  de  M.  de 
Bellov  faisant  dire  avec  emphase  à  son  chevalier  sans 
peur  et  sans  reproche  : 

Conterapicz  Je  Hayard  l'ahaissciiK^nt  aiigii^Ce. 

Mais  j'ai  un  devoir  à  remplir,  c'est  de  remercier  en 
toute  sincérité  quelques  critiques  des  excellents  con- 
seils que  j'en  ai  reçus.  Les  conseils  profitent  plus  que 
les  éloges;  j'ensuis  avide  et  je  les  appelle.  Ainsi,  l'un  de 
ces  critiques  aurait  voulu  qu'à  chaque  pièce  j'en  indi- 
quasse l'origine,  au  lieu  de  me  contenter  de  signaler 
mes  sources  d'une  manière  générale,  au  début  de  mon 
livre.  L'observation  était  juste;  mais,  quand  elle  me 
fut  faite,  j'allais  achever  mon  second  volume,  et  je  ne 
pus  que  me  réserver  d'y  satisfaire ,  comme  je  l'ai ,  en 
effet,  accompli,  dans  un  second  tirage.  Un  autre  aurait 
demandé  que  je  reproduisisse  constamment  l'ortho- 
graphe des  lettres.  L'orthographe  est,  il  est  vrai,  un 
des  côtés  de  la  physionomie  des  personnages;  mais 


XVI 


c'est  surtout  pour  les  œuvres  de  littérature  proprement 
dite,  et  quand  il  s'ayit  des  maîtres  de  la  pensée  et  du 
style,  que  l'orthographe  a  une  signification  et  une 
valeur  réelle.  Dans  les  conditions  qui  ne  sont  pas 
essentiellement  littéraires,  il  m'a  toujours  paru  que  si 
la  première  obligation  d'un  éditeur  est  de  reproduire 
ses  textes  scrupuleusement,  qu'ils  respectent  ou  qu'ils 
blessent  la  langue,  il  suffit,  quant  à  l'orthographe 
d'une  collection  de  lettres,  d'en  imprimer  quelques- 
unes  telles  quelles,  et  d'en  donner  de  bons  fac-similé. 
Autrement,  qu'arrive-t-il?  pour  être  tout  à  fait  exact, 
il  faut  ou  mal  ponctuer,  ou  ne  pas  ponctuer  du  tout, 
conformément  aux  originaux,  et  l'on  rend  la  lecture 
gênante  et  difficile,  sans  aucun  profit.  Qu'on  se  figure 
d'ailleurs  la  bigarrure  d'un  recueil  où  les  lettres  d'un 
même  personnage  ne  sont  pas  toujours  reproduites  de 
première  main  sur  les  autographes  eux-mêmes,  quand 
autographes  il  y  a ,  mais  aussi  d'après  des  copies  qui , 
pour  être  d'une  authenticité  indubitable,  n'en  sont 
pas  moins  généralement  transcrites  avec  l'orthographe 
moyenne  et  typographique  du  temps.  Pour  satisfaire  à 
trois  ou  quatre  délicats  : 

Les  délicals  sont  iiialhcureiix, 
Rien  ne  saurait  les  satisfaire, 

a  dit  La  Fontaine,  —  on  indisposerait  la  plupart 
des  lecteurs,  qui  veulent  le  vrai,  mais  sans  l'acheter 
par  la  gêne.  Autant  donc  j'applaudis  à  ce  genre  de 
minutieux    scnipule,    quand    il    a    sa    raison   d'être, 


Yv:i 


autant  j'ai  cru  devoir  l'éviter  quand  il  ne  m'a  point 
semblé  strictement  commandé.  Les  pédants  s'en  vont, 
et  je  les  regrette;  mais  il  faut  qu'ils  soient  à  leur 
place  et  viennent  dans  leur  temps.  Il  ne  faut  pas  se 
faire  appliquer  l'épitaphe  du  précepteur  du  chevalier  de 
Boufïlers,  l'abbé  Porquet  : 


D'un  écrivain  soi{;nea!c  il  eut  tons  les  s(!nij)ules  ; 
Il  ajiprofondit  l'art  ili'S  puintA  et  des  virgules; 
Il  pcMa,  calcula  tout  \e  Hn  du  métier, 
Et  sur  le  laconisme  il  fit  un  tome  entier. 


Tous  mes  scrupules  se  sont  donc  portés  sur  l'exa- 
men critique  et  sur  le  choix  des  pièces;  sur  l'exacte 
reproduction  des  textes;  sur  la  tâche  si  ingrate,  si  dif<- 
Hcile  et  si  longue  d'en  fixer  les  attributions  et  les  dates. 
J'avais  acquis  de  deux  conventionnels  beaucouj)  de  let- 
tres autographes  de  Louis  XVI  et  un  très-petit  nombre 
d'originaux  et  de  minutes  de  Marie-Antoinette.  Toutes 
ces  pièces  ont  trouvé  leur  place  dans  mon  recueil.  Or, 
après  plus  de  vingt  ans  d'étude  sur  les  documents  du 
règne  de  Louis  XVI,  je  croyais  avoir  acquis  quel(|ue 
ex[>érience;  et  certes  la  dernière  critique  à  laquelle  je 
me  fusse  attendu,  c'était  de  voir  taxer  de  supposition 
des  pièces  si  sévèrement  examinées  sous  toutes  les  faces, 
comparées,  pesées,  percées  à  jour  ;  des  pièces  tirées  pour 
les  quatre-vingt-dix-neuf  centièmes  d'archives  [)ubli-^ 
ques  où  la  vérification  en  serait  si  facile.  Et  cependant 
voilà  que  l'Allemagne  essaie  de  jeter  du  doute  sur 
1  authenticité  des  premières  :  rAllemagne  qui  excelle 

TOMK    lit.  ** 


XTIU 


dans  la  critique  minutieuse,  subtile  et  raffinée,  comme 
si  elle  se  complaisait  à  fendre  un  cheveu  en  quatre  et 
à  broder  sur  toile  d*araigpiée;  TAllemagne  qui,  pour 
ju{jer  la  moindre  lettre  moderne,  déploie  tout  l'appa- 
reil de  son  microscope,  comme  s*il  s'agissait  d'un  ma- 
nuscrit palimpseste  ou  de  quelque  monument  vingt  ou 
trente  fois  séculaire  d'une  hypogée.  A  des  articles 
anonymes,  j'aurais  dédaigné  de  répondre;  mais  celui 
qui  s'est  fait  l'organe  de  la  critique  s'est  nommé. 
C'est  le  docteur  von  Sybel,  professeur  à  l'Université  de 
Bonn,  auteur  d'une  Histoire  de  Prusse  et  d'une  Histoire 
de  la  Révolution  française.  Aussitôt  les  journaux  alle- 
mands et  les  correspondants  allemands  des  feuilles  accré- 
ditées à  l'étranger  d'obéir  au  signal  et  de  faire  écho. 

C'est  à  cette  attaque  que  je  vais  répondre  (1). 

Pour  plus  de  clarté  dans  la  position  de  la  question, 
je  rappellerai  ici  les  trois  recueils  épistolaires  de 
Marie- Antoinette  qui  sont  en  jeu. 

M.  le  comte  Vogt  d'FIunolstein  a  publié  chez  Dentu 
un  volume  qui  a  obtenu  et  devait  obtenir  du  succès, 
ne  fut-ce  que  parce  qu'il  offrait  un  ensemble  de  lettres 
de  Marie- Antoinette,  une  autobiographie  de  cette  Prin- 
cesse ,  en  quelque  sorte  un  fragment  de  toutes  les 
époques  de  sa  vie,  surtout  des  commencements  (2). 


(1)  M.  Je  Sybel  a  inséré  son  arllcle  dans  la  Gazette  lii.storicjuc 
allemande  de  Munich,  ^iporifc^e  ^cilfâjvift;  septième  année,  pre- 
mière livraison. 

(2)  Correspondance  inédite  de  Marie- Antoinette ,  publiée  sur  les 
documents  originaux,  par  le  comte  Paul  V^oct  d'Huîcolsteix.  Paris, 
18G4. 


XIZ 

Quelques  semaines  après,  je  mettais  au  jour  les  deux 
premiers  volumes  du  recueil  dont  je  donne  ici  le 
troisième. 

Un  littérateur  allemand,  M.  le  chevalier  Alfred 
d*Arneth,  auteur  d'une  Histoire  du  Prince  Eugène  de 
Savoie  et  d*une  Histoire  de  Marie  ^Thérèse  en  cours 
d'exécution ,  directeur-adjoint  des  Archives  hnpériales 
de  Vienne ,  avait  découvert  dans  un  carton  oublié  sous 
la  poussière,  à  la  bibliothèque  particulière  de  l'Empereur 
d'Autriche,  une  correspondance  de  Marie- Thérèse 
et  de  Marie- Antoinette,  embrassant  une  période  de 
dix  années,  —  de  1770  à  1780,  —  par  consé- 
quent de  l'époque  du  mariage  de  la  jeune  Archi- 
duchesse, jusqu'à  la  mort  de  sa  mère.  Il  publia  sa 
découverte  dans  le  dernier  mois  de  1864,  en  un 
volume  à  Vienne  et  à  Paris,  avec  préface  et  notes 
allemandes  (1). 

On  applaudit  beaucoup  en  Allemagne  à  ce  dernier 
volume,  dont  l'éditeur  est  justement  estimé.  Mais  sur- 
le-champ  on  en  prit  texte  pour  crier  haro  sur  ce  qui 
venait  de  France.  «  C'est  faux!  c'est  faux!  »  s'exclama 
en  un  concert  de  voix  le  servum  pecus,  qui  fleurit 
outre  Rhin  comme  ailleurs.  Le  faux  est  démontré 
devant  la  science  :  flagrant ,  indubitable ,  comme 
pour  les  Livres  saints.  Malheureuse  inflrmité  de  notre 


(1)  Mariu'Theresia  und  Maric'Àntoiuette ;  ihr  Briefwechsel  wah- 
rend  der  Jahre  1770-1780,  Hcraiisgegeben  von  Alfred  Hitter  TON 
Arseth.  Paru,  1865  :  Ed.  Jung-Ticutt' 1.  Wicn  :  Wilhclm  BraumuIIer. 


XX 


ëpoqne  de  tout  ébranler,  de  crier  à  la  supposition 
d'un  document  historique,  quand  une  chose  ne  s'y 
explique  pas  du  premier  coup!  On  se  donne  si  faci- 
lement par  le  doute  un  air  de  connaisseur!  et  le 
doute,  en  notre  temps  de  scepticisme,  fait  si  bien  son 
chemin  en  tout  pays,  en  Allemagne  surtout  quand  il 
s'agit  de  la  France!  Avant  de  taxer  de  supposition  des 
documents  publie's  avec  bonne  foi  par  des  hommes  de 
cjuelque  expérience  historique  et  paléographique,  il 
serait  louable  cependant  d'y  regarder  à  plus  d  une 
fois;  et  de  pays  à  pays,  d'homme  de  lettres  à  homme 
de  lettres,  on  se  devrait  plus  d'égards  et  plus  de  res- 
pect. Qui  publie  appartient  au  public,  je  le  sais;  et 
tout  critique  qui  signale  et  prouve  le  faux  sert  la 
vérité;  mais  à  la  condition  de  le  prouver  péremptoi- 
rement et  sans  conteste.  J'ai  toujours  eu,  pour  mon 
compte,  une  répugnance  invincible  pour  les  pastiches, 
les  suppositions  et  interpolations,  pour  les  mémoires 
et  correspondances  apocryphes.  A  plus  forte  raison 
ai-je  horreur  du  faux,  notre  ennemi  personnel  à  nous 
Curieux  d'études  et  de  documents  historiques.  Toutes 
ces  supercheries  et  roueries  littéraires,  tous  ces  jeux 
de  l'esprit ,  de  l'esprit  de  mensonge ,  qui  ne  sont 
qu'une  variété  du  faux,  sont,  comme  le  faux  lui-même, 
des  crimes  contre  un  des  premiers  biens  de  la  con- 
science humaine ,  contre  l'honnêteté  de  l'histoire.  La 
certitude  en  toute  chose  de  bonne  foi  est  déjà  assez 
fragile  sans  qu'on  la  vienne  fausser  encore  de  gaieté  de 
cœur.  Est-ce  dans  l'intérêt,  est-ce  contre  l'intérêt  d'un 


XXI 


personnage  qu'on  a  voulu  a{jir?  Eh!  bon  Dieu!  laisse; 
faire  la  vérité,  elle  servira  toujours  mieux  que  la  sup- 
position, en  quelque  sens  que  ce  soit.  Il  faut  donc  qu'il 
y  ait  à  faire  des  du|)es  une  jouissance  bien  vive  pour 
que  des  hommes  qui,  ce  semble,  auraient  mieux  à  faire 
de  bonne  foi,  usent  leurs  veilles  à  ces  mensonges  pour 
le  plaisir  d'un  instant,  suivi  le  plus  souvent  de  sifflets. 
On  comprend  au  moins  ces  imposteurs  qui  taillèrent 
leurs  impostures  dans  le  (jranit,  ceux-là  par  exemple 
qui  fabriquèrent  la  Chronique  de  Turpin  et  ces  Décré- 
tales  (pii,  depuis  le  huitième  siècle,  furent  la  clef  de 
voûte  (le  la  puissance  pontificale.  Oh!  que  s'il  s'agissait 
d'une  action  dramatique  feinte,  il  n'y  aurait,  touchant 
telle  ou  telle  parole,  qu'à  s'occuper  de  la  vérité  de 
sentiment,  de  la  vérité  relative.  FJn  effet,  peu  importe, 
en  matière  purement  littéraire,  qu'un  mot  ait  été 
dit  en  réalité,  pourvu  qu'il  ait  pu  l'être.  (Juand 
la  ressemblance  morale  est  conservée,  embellir  par 
l'expression  est  un  mérite  de  plus.  Mais  lorsqu'il 
s'agit  d'une  situation ,  d'une  parole ,  d'une  épître 
inanpiée  au  sceau  de  l'histoire  elle-même,  je  n'y  veux 
que  la  vérité  vraie.  La  fiction ,  encore  une  fois,  serait , 
dans  ce  cas,  une  «atteinte  portée  à  notre  bonne  h)i 
et  à  notre  conscience.  Ce  n'est  pas  qu'en  repoussant 
les  jugements  de  M.  de  Sybel,  je  veuille  les  taxer  de 
mauvaise  foi ,  non  ;  si  je  le  croyais  de  mauvaise 
foi ,  je  ne  lui  ferais  pas  l'honneur  de  lui  répondre  ; 
mais  je  l'accuse  de  légèreté,  de  prévention  et  de  partia- 
lité. Or,  tout  esprit  d'exclusion  offusque  le  jugement. 


XXII 


Je  ne  sais  qui  a  dit  :  a  Donnez-moi  deux  lignes  de 
l'écriture  d'un  homme,  et  je  me  charge  de  le  faire 
pendre.  »  M.  de  Sybel  aurait  dit  le  mot  que  je  ne  m'en 
étonnerais  pas.  Une  fois  qu'on  s'est  chaussé  d'une  idée, 
tout  vient  y  converger,  tout  s'y  moule  ;  on  y  fait  tout 
rentrer  bon  gré,  mal  gré,  comme  un  coin  dans  le  bois. 
C'est  de  la  demi-science  qui  n'a  encore  su  voir  qu'un 
côté  des  choses.  Dans  tous  les  cas,  l'attaque  était  aujour- 
d'hui d'autant  plus  intempestive  qu'en  un  second  tirage 
de  mon  recueil,  j'ai,  comme  il  est  dit  plus  haut,  donné 
l'origine,  une  k  une,  des  pièces  que  j'ai  pubhées,  et  que, 
bien  entendu,  je  continue  le  même  système  dans  le  pré- 
sent volume,  pour  le  continuer  dans  les  deux  suivants. 

Examinons 

Que  le  livre  de  M.  Alfred  d'Arneth  se  compose  de 
pièces  authentiques ,  personne  ne  le  conteste  ;  moi , 
moins  qu'aucun  autre.  Ces  pièces  ne  sortiraient  pas  du 
cabinet  particulier  de  l'Empereur  d'Autriche,  que  le 
savoir  et  le  caractère  personnel  de  Féditeur  jureraient 
suffisamment  pour  elles,  à  mes  yeux.  Mais,  en  vérité, 
on  a  fait  trop  de  bruit  autour  de  cette  correspondance, 
qui  n'avait  pas  besoin  pour  faire  sa  voie  du  glas  de 
tocsin  sonné  contre  les  publications  françaises. 

De  ce  qu'elle  est  authentique,  s'ensuit-il  qu'elle  soit 
l'unique  parangon  de  toute  droiture,  et  que  d'autres 
lettres  de  la  même  époque  et  des  mêmes  personnages 
n'aient  pas  la  même  valeur  d'authenticité?  Ces  lettres 
de  M.  d'Arneth  ne  constituent  en  définitive  qu'une 
petite  portion  de  la  correspondance  échangée  dans  la 


XXllI 


réalité  entre  Marie  -  Thérèse  et  sa  fille  pendant  dix 
années  (1).  Elles  sont  loin  de  se  répondre  toujours 
lune  à  Tautre.  M.  Arneth  n*a  pas  trouvé  en  originaux 
même  la  moitié  des  pièces  qu'il  a  imprimées;  il  lui  a 
fallu  recourir  a  des  copies  du  baron  de  Pichler,  un  des 
secrétaires  de  l'Impératrice  et  le  chef  de  son  cabinet 
noir  :  des  copies  exécutées  évidemment  après  coup,  on 
ne  sait  à  quelle  date.  Gomment  explique-t-on  les  lacunes 
si  considérables  de  cette  correspondance  de  famille? 
Comment  explique-t-on  la  disparition  des  originaux 
aujourd'hui  manquants?  Ainsi,  Marie -Thérèse  avait 
accoutumé  de  donner  à  chacune  de  ses  filles  de  longues 
instructions  écrites ,  au  moment  de  leur  mariage.  On 
connaît  celles  qu'elle  remit  à  Marie-Christine  en  1760, 
quand  elle  l'unit  au  duc  de  Saxe-Teschen.  On  connaît 
également  celles  qu'elle  écrivit  pour  la  Reine  de  Naples. 
Comment  la  collection  de  M.  d'Ameth  n'a-t-elle  pas  eu 
en  copie  celles  qu'emporta  Marie-Antoinette  et  que  pos- 
sédait l'illustre  chancelier  de  France,  M.  leducPasquier? 
C'était  là   cependant  un   document  capital  (2).    Les 


(1)  Le  volume  ne  se  compose  que  de  soixante  et  onze  lettres  de 
Maiie-Tli<'*rèse  et  de  quatre -vinjrt^douze  de  Marie- Antoinette.  Or, 
ocllc-c'i  écrivait  ré(»ulicrenient  tous  les  quinze  jours  par  le  courrier  de 
l'ambassade  d'Autriche,  sans  préjudice  des  envois  par  les  courriers 
français.  A  ne  supputer  que  deux  lettres  par  mois,  il  devrait  se  trouver 
deux  cent  quarante  lettres  de  la  Reine  dt>  France. 

(2)  On  trouve  au  supplément  du  présent  volume  la  pièce  impor- 
tante des  instructions  de  Tlmpcratrice  h.  Marie-Christine.  Nous  don- 
nerons dans  notre  prochain  volume  celles  qu'elle  destina  à  Marie- 
Antoinette,  et  que  nous  avons  son{;é  trop  tard  à  demander  à  M.  le 
Jnc  d'Audiffret-Pasquier,  fil»  adoptif  du  chancelier,  pour  les  faire 
Cïlrer  ici. 


XXIT 


révolutions,  qui  ont  mis  la  main  sur  tant  de  documents, 

• 

les  invasions,  la  néyliyence  des  secrétaires  et  des 
archivistes,  après  un  certain  nombre  d'années  écoulées, 
peuvent  fournir  matière  à  bien  des  conjectures.  A 
moins  qu'elles  n'aient  été  détruites,  il  faut  cepen dan t 
que  ces  feuilles,  absentes  du  giron  autrichien,  se  trou- 
vent quelque  part.  Les  vicissitudes  que  le  hasard  (si  le 
mot  hasard  n'est  pas  vide  de  sens)  inflige  parfois  aux 
papiers  les  plus  précieux,  même  les  plus  secrets,  ouvrent 
un  vaste  champ  à  l'imagination.  «  Brûlez  ma  lettre,  » 
ce  mot  sufBt  pour  la  faire  garder;  un  demi-siècle 
s'écoule,  et  cette  lettre  intime,  cette  lettre  écrite  même 
d'une  main  royale,  figure  dans  la  collection  du  premier 
Curieux.  De  ces  lettres  de  Marie-Antoinette  à  sa  mère, 
j'en  possède,  depuis  plus  de  trente-cinq  ans,  quelques- 
unes  ,  apparemment  sans  avoir  recouru  à  la  générosité 
coupable  d'archives  se  dépouillant  en  faveur  d'un 
étrang(îr.  Il  y  a  donc  place  dans  la  correspondance 
entre  l'Impératrice ,- la  Dauphine  et  la  Reine,  pour 
d'autres  lettres  que  pour  celles  de  la  série  de  M.  Arneth. 

Assurément  je  n'ai  point  à  me  constituer  le  défenseur 
officieux  des  lettres  imprimées  par  M.  d'IIunolstein  ,  qui 
d'ailleurs  me  semblent  suffisamment  protégées  par  leur 
qualité  d'autographes.  M.  d'Hunolstein  est  un  ancien 
Curieux,  un  connaisseur,  et  il  n'a  besoin  de  personne 
pour  se  défendre.  Je  me  borne  donc  à  répondre  sur  ce 
qui  me  regarde  personnellement. 

M.  le  docteur  de  Sybel  n'a  pris  à  partie  que  deux 
ou  trois  de  mes  pièces,  et  le  procès  qu'il  m'intente  est 


1>.!AHIE-ANT0INETTF 


^/fù-î^^i 


//ut 


/ 


'••fV^Z/V^'i/S^  ;/< 


fjiif    une  ^/Va  j; 


i  û 


7/d/t 


f/i/^ 


Or, 


^9^^1*4 


IXVI 

chibald  Bower,  Chatterton ,  Lauder,  Crébillon  fils, 
Angliviel  de  la  Beaumelle ,  M""  Pherson ,  Surville ,  Sénac 
de  Meilhan ,  qui  se  transforma  en  princesse  palatine  ; 
Courchamp,  qui  s'afFubla  des  coiffes  de  la  marquise 
de  Créquy,  n'étaient  pas  non  plus  des  mystificateurs 
maladroits.  Il  n'y  a  guère  que  le  fils  du  pauvre  tisse- 
rand de  Spithafields,  le  pseudo-Shakspeare  Ireland, 
et  les  modernes  fabricateurs  de  poésies  du  Tasse  et  de 
lettres  de  Schiller  et  de  saint  François  de  Sales  qui  se 
soient  montrés  de  véritables  niais.  Il  fallait  aussi  qu'il 
fût  bien  avisé  et  bien  subtil  ce  Constantin  Simonides 
qui,  dans  ces  dernières  années,  tint  en  échec  les  savants 
les  plus  éminents  de  la  Prusse  : 

Oinnes  cœlicolaïJ,  oiniies  supora  alta  Icnjiiles; 

qui  fit  accueillir  h  Berlin  une  prétendue  rédaction 
grecque  du  Pasteur  d'Hermas,  et  se  joua  si  mécham- 
ment des  lumières  transcendantes  des  professeurs  de 
cette  ville ,  en  leur  présentant  des  manuscrits  antiques 
de  sa  fabrication ,  en  leur  promettant  des  comédies  de 
Ménandre  et  leur  servant  un  faux  Sanchoniathon  publié 
à  Brème  par  Wagenfeld. 

Oh  !  maintenant  je  comprends  la  préoccupation  de 
M.  de  Sybel.  Depuis  les  audacieuses  supercheries  de  cet 
incorrigible  Simonides  qui  s'essaie  aujourd'hui  même 
à  Londres,  où  l'on  a  si  vite  jugé  un  homme,  et  qui 
déjà  y  est  démasqué;  depuis  les  mésaventures  de 
l'Hermas  et  du  Sanchoniathon,  messieurs  de  la  Prusse 


IXVII 


sont  ombrageux;  toutes  leurs  vedettes  littéraires  sont 
sous  les  armes  et  voient  partout  le  faux  et  la  peste  : 
«  Quand  on  a  la  jaunisse  on  voit  tout  en  jaune  »  : 

Lurida  przterea  fiunt  quaBcumquc  tucntur  arquati. 

Marie- Antoinette,  objecte-t-on  tout  d'abord,  ne 
signait  que  Antoinette  dans  ses  lettres  intimes  et  de 
famille  et  n'en  recevait  que  ce  nom  (1) .  C'est  une  erreur 
pour  le  premier  point.  Elle  a  signé,  à  la  même  époque, 
tantôt  d'une  manière,  tantôt  de  l'autre,  une  fois  qu'ap- 
pelée à  mettre  sa  signature  sur  son  acte  de  mariage , 
déposé  à  l'église  de  Saint-Louis  de  Versailles,  elle  eut 
signé  Marie-Antoinette,  et  non  pas  Antoinette  tout  court. 
C'est  Marie-Antoinette  qu'elle  a  signé  son  premier  billet 
à  sa  mère  en  sortant  de  la  chapelle  où  elle  venait 
de  recevoir  l'anneau  de  Dauphine.  Est-ce  que  l'on 
taxera  de  supposition  les  lettres  de  Louis  XVI  signées 
Louis,  parce  qu'au  recueil  Arneth,  le  recueil-type  de 
ces  Messieurs ,  Marie-Thérèse  l'appelle  Louis-Auguste , 
et  que  déjà  Roi ,  il  avait  parfois  continué  cette  signature 
de  Dauphin?  Je  possède  des  minutes  autographes  de 
lettres  de  Marie -Antoinette  à  sa  sœur  Christine,  non 
signées;  mais  à  côté  de  deux  lettres  autographes  h 
Marie-Thérèse,  signées  seulement  Antoinette^  j'en  ai 
deux  autres ,  également  à  sa  mère ,  signées  Marie-Antoi- 
nette. De  ces  dernières,  il  s'en  est  trouvé  une  en  copie 

(1)  Voir  page  85  du  présent  Tolume. 


XXVllI 


parmi  celles  qu'a  publiées  M.  d*Arneth.  Ce  sont  des 
autographes  tout  aussi  authentiques  que  les  authen- 
tiques du  recueil  viennois. 

Reste  la  gouvernante  des  Pays-Bas,  l'Archiduchesse 
Marie-Christine,  qui,  dit-on,  était  la  Marie  par  excel- 
lence dans  sa  famille,  et  que  dès  lors  Marie-Antoinette 
n'a  pu  appeler  Christine  tout  court.  Or,  j'ai  vu  chez 
Son  Altesse  Im|)ériale  et  Royale  Monseigneur  l'Ar- 
chiduc Albert,  à  Vienne,  des  lettres  de  la  Gouvernante 
signées  de  ses  deux  noms  à  son  mari  le  duc  de  Saxe- 
Teschen.  Depuis  que  Marie-Antoinette,  arrivée  en 
France,  eut  adopté  son  nom  de  Marie ^  qui  prouve 
que  la  Dauphine  n'ait  pas  donné  à  sa  sœur  ce  nom 
de  Christine  ou  Marie- Christine  ^  qui  était  son  nom 
politique?  Qu'on  me  montre  plusieiu^s  lettres  de  la 
Reine  lui  attribuant  ce  nom  exclusif  et  d'intimité  de 
Marie,  tandis  que  j*ai  des  minutes,  provenant  des  pîi- 
piers  de  Vermond,  où  elle  la  qualifie  de  ma  chère  sœur 
ou  ma  chère  Christine,  Il  est  dangereux  de  tomber  dans 
les  assertions. 

M.  de  Sybel  se  tire  daffaire  |)()ur  démontrer  la 
supposition  des  lettres  de  Marie-Antoinette  à  Marie- 
Christine,  en  disant  que  la  Reine  n'a  jamais  écrit 
qu'une  ou  deux  lettres  à  sa  sœur  la  Gouvernante  des 
Pays-Bas,  en  1791  et  1792,  et  que  les  deux  Princesses 
n'avaient  entre  elles  aucune  relation.  Et  pourquoi  le 
dit- il?  parce  que  l'historien  de  Marie- Christine, 
M.  Wolf,  n'a  donné  que  ces  deux  lettres.  Belle  raison 
à   mettre  à  cùté    de  celle  qu'il  avance   sur  la  non- 


XXIX 


authenticité  des  lettres  de  la  Reine  à  rimpératrice  : 
Parce  qu'elles  ne  sont  pas  dans  le  recueil  Arneth  ! 
Gomme  s'il  était  admissible  que  deux  Archiduchesses, 
deux  sœurs,  dont  les  intérêts,  comme  les  États,  se  tou- 
chaient de  si  près,  pussent  ne  pas  être  en  relation! 
Qu'elles  ne  se  soient  pas  beaucoup  écrit  dans  les 
années  d'ébullition  révolutionnaire,  à  cause  de  la  dif- 
ficulté des  rapports,  cela  se  conçoit,  bien  que  Marie- 
Antoinette,  même  à  cette  époque,  ait  trouvé  le  moyen 
d'écrire  à  Christine  en  même  temps  qu'à  Mercy,  on  le 
voit  par  la  correspondance  de  ce  dernier.  Mais  les  lettres 
discutées  ne  sont  pas  de  cette  date  :  elles  sont  des  pre- 
miers temps  du  séjour  d'Antoinette  en  France.  Un 
peu  plus  tard ,  la  politique  mit  du  froid  entre  les  deux 
sœurs  :  le  voisinage  qui  devait  les  unir  les  avait  divi- 
sées. Gomment  ces  lettres  sont-elles  sorties  des  archives 
de  Saxe-Teschen?  comme  sont  sorties  des  archives  de 
l'Impératrice  les  lettres  qui  lui  avaient  été  adressées. 
M.  Wolf  n'a  donné  que  ce  qu'il  a  trouvé. 

Quand  on  parle  de  la  différence  de  ton  et  d'allure  des 
lettres  de  Marie-Antoinette  qui  ouvrent  mon  premier 
volume,  avec  celles  du  recueil  de  M.  Arneth,  différence 
qui  ne  me  parait  pas  aussi  tranchée  ni  aussi  générale 
qu'on  le  suppose,  on  ne  songe  pas  assez  à  l'âge  qu'avait 
alors  cette  Princesse  ;  on  oublie  qu'il  est  acquis  à  l'his- 
toire, nous  l'avons  déjà  dit  dans  notre  premier  volume, 
que  l'abbé  de  Vermond,  d'abord  son  précepteur,  puis 
son  lecteur,  ou  plutôt  son  confident  jusqu'en  1789,  écri- 
vait souvent  les  lettres  de  la  Reine  et  les  revisait  toutes, 


zxx 


et  que  celle-ci  se  bornait  à  les  copier  de  sa  main ,  ou 
bien  les  écrivait  sous  sa  dictée  (1).  Et  ici  je  veux 
parler  de  lettres  intimes,  car  les  réponses  à  des  placets, 
les  lettres  officielles  étaient  du  domaine  d'hommes 
spéciaux  (2).  Plus  d'une  fois,  dans  les  premiers  temps, 
durant  quelques  voyages  de  l'abbé ,  elle  s'était  risquée 
à  écrire  sans  conseils,  et  s'en  était  mal  trouvée  :  une 
de  ses  lettres  relative  à  madame  de  Boufflers  avait 
été  tournée  en  ridicule  dans  la  famille  des  Broglie,  et 
elle  l'avait  su.  Une  autre  fois,  elle  était  dan» une  mor- 
telle inquiétude,  et  avait  «  grande  peur  »  ,  comme  elle 
dit,  des  critiques  de  la  Du  Barry  sur  la  première  lettie 
qu'elle  venait  d'écrire  au  Roi ,  la  Du  Barry  les  lisant 
toutes.  Ce  n'est  pas  cependant  qu'on  ne  s'exposât  à 
une  grande  erreur  en  poussant  à  l'extrême  cette  obser- 
vation. Si  Marie-Antoinette  se  faisait  aider  par  Ver- 


(1)  Copier  ne  lempèchait  pas  de  fiaire  des  fautes  d*orthographe.  Qui 
ne  «init  pas  l'orthographe  ferait  des  fautes  en  copiant  un  imprimé. 
L'orthographe  Hxe,  il  faut  le  reconnaitit%  est  une  science  toute  mo- 
derne. Au  sicVle  de  Louis  XIV,  cliacun  à  peu  près  avait  la  sienne. 
Misâmes  de  Sévigné,  de  La  Fayette,  de  Maintenon  faisaient  des  fautes 
nom l>i'« uses.  On  n'inventerait  jias  Torthographe  de  madame  de  Mon- 
tespan ,  <pii  est  digne  de  Martine,  la  servante  du  bon  Chrysale.  Le 
système  général  était  en  quelque  sorte  de  n'en  point  avoir  :  on  se 
bornait  à  écrire  comme  on  prononçait.  Voltaire,  par  systc-me  et  par 
tapsusy  accumulait  les  fautes.  Plus  tard,  quand  Téducation  est  devenue 
plus  ({T'a mmatica le,  sous  la  Restauration,  juir  exemple,  la  petite-fille 
corrigeait  les  fautes    de   sa  grand'mère. 

(2)  «  L'abbé  de  Vennond  revoyait  toutes  les  lettres  qu'elle  envoyait 
à  Vienne.  La  fatuité  insoutenable  avec  laquelle  il  s'en  vantait  dévoi- 
lait le  caractère  d'un  homme  plus  flatté  d'être  initié  dans  les  confies 
intimes,  (|ue  jaloux  d'avoir  rempli  dignement  les  importantes  fonctions 
d'instituteur.  «  (Mémoires  de  madame  de  CàMPAn,  t.  I,  p.  42,  43.) 


XXXI 

mond ,  devant  lequel  elle  ne  rougissait  pas  de  son  peu 
de  savoir  ;  si  elle  se  faisait  parfois  corriger  par  Louis  XVI 
lui-même,  ainsi  qu'il  résulte  d'intercalations  de  la  main 
de  ce  Prince  sur  le  brouillon  d'une  lettre  de  la  fille  à 
la  mère,  je  n'en  suis  pas  moins  convaincu  qu'elle  n'a 
pris  le  conseil  de  personne  pour  la  plus  grande  partie 
de  ses  lettres  à  Marie-Thérèse,  desquelles  Louis  XVI, — 
Dauphin  ou  Roi ,  —  était  le  sujet  trop  confidentiel  pour 
qu'elle  en  fit  l'ouverture  à  qui  (pie  ce  fiit.  Ma  remarque 
n'en  subsiste  pas  moins  pour  ce  qui  n'avait  pas  un 
caractère  essentiellement  intime,  et  Vermond  n'est  pas 
le  seul  qui  ait  rédigé  des  lettres  pour  elle.  C'est  ainsi 
que  s'expliquent  et  la  différence  dans  les  nuances  (hi 
style  et  la  différence  dans  les  formules.  La  révélation 
des  lettres  si  heureusement  trouvées  par  M.  le  cheva- 
lier d'Arneth   n'a  fait  que  me  confirmer  dans  cette 
pensée    que  j'avais   pressentie    et    déjà   exprimée   en 
Voyant   un  registre  de  lettres  de  la  Reine  tenu  par 
A/^ermond ,  et  où  je  crus  reconnaître  qu'il  s'était  borné 
è  faire  entrer  celles  qu'il  avait  écrites  pour  elle  ou  bien 
ï'etouchécs  sur  les  minutes  de  son  ancienne  élève.  Dans 
Aes  correspondances  de  cette  catégorie ,  il  y  a  évidem- 
^nont,  non  pas  de  l'élégance,  —  il  n'y  en  a  jamais, 

mais  certains  idiotismes ,  certaines  locutions  essen- 

Uellement  françaises  (|u'un  long  usage  de  la  langue 
J)eut  seul  fournir  et  qui  accusent  la  main  de  l'homme  ; 
tnais  il  est  rare  qu'il  n'y  ait  pas  en  même  temps  çà  et 
là  quelqu'un  de  ces  traits  d'individualité  qui  fasse  recon- 
naître la  griffe  de  la  jeune  lionne,  ou  plutôt  la  jeune 


xxxu 


fille  qui  avait  ses  éclairs,  sans  être  femme  encore.  Voilà 
un  fait  pour  moi  évident  et  palpable  qui  ne  s'est  point 
présenté  à  l'esprit  de  ces  ouvriers  de  la  dernière  heure 
qui  naguère  se  souciaient  si  peu  de  Marie-Antoinette, 
et  qui  daignent  aujourd'hui  s'empresser  autour  de  sa 
statue  relevée  par  d'autres  mains  que  les  leurs. 

La  vérité  est  que  les  préoccupations  du  trône  et  le 
poids  de  l'âge  avaient  empêché  Marie-Thérèse  de 
donner  à  sa  dernière  enfant  tous  les  soins  de  sa  ten- 
dresse. On  a  imprimé  que  Marie-Antoinette  était  fort 
instruite,  et  qu'un  jour  même  elle  avait  improvisé  en 
latin  une  réponse  à  un  discours  en  cette  langue.  C'est 
une  erreur.  De  telles  harangues  n'étaient  que  des 
phrases  dynastiques  apprises  par  cœur  sans  qu'elle  les 
comprît  ;  et  il  n'y  avait  (elle  en  convenait  elle-même) 
que  la  flatterie  qui  pût  la  donner  comme  humaniste  et 
aussi  comme  véritable  auteur  des  dessins  qu'elle  pré- 
sentait à  Marie-Thérèse  le  jour  de  sa  fête,  et  qui  font 
encore  avec  les  crayons  et  les  lavis  des  autres  Archidu- 
chesses et  des  Archiducs,  l'ornement  de  l'un  des  petits 
salons  d'un  palais  impérial  d'Autriche.  En  réalité,  son 
éducation  avait  été  fort  négligée,  et  elle  avait  beaucoup 
plus  deviné  qu'elle  n'avait  appris,  alors  qu'enfant  de 
(piinze  à  seize  ans,  elle  apparut  en  France.  Née  avec  un 
génie  intuitif,  elle  avait  même,  dans  sa  première  jeu- 
nesse, de  ces  saillies  frappées  de  bon  sens  qui  ne  sont 
pas  rares  près  des  marches  du  trône,  et  que  venaient,  en 
quelque  sorte,  offusquer  les  premiers  bouillons  de  la 
jeunesse.  Elle  n'acquit  son  développement  d'esprit  et  de 


XXXIII 


caractère  que  par  degré  et  ne  se  mit  tout  entière  dans 
ses   correspondances   que    vers    la  Révolution ,   alors 
qu'elle  eut  mûri  en  pleine  lutte  contre  les  faiblesses  de 
son  mari,  contre  les  défiances  et  les  haines  du  palais 
et  de  la  rue  qui  méconnaissaient  son  âme  et  son  cœur. 
Elle  avait  commencé  à  faire  quelques  lectures.  Elle  en 
donne  même  la  liste.  Son  mari,  qui  avait  aimé  les  livres, 
l'y  aidait,  ainsi  que  Vermond.  En  somme  toutefois,  elle 
s'instruisit  peu  par  l'esprit  des  autres  ;  elle  dut  beau- 
coup plus  au  temps,  à  l'épanouissement  de;son  âme,  à 
l'observation,  au  malheur,  à  ce  qu'on  appelle  l'expé- 
rience. Mais  encore  une  fois ,  dès  l'époque  où  elle  ac- 
ceptait des  secrétaires,  elle  avait,  pour  ainsi  parler, 
des  accès  et  saillies  de  bon  sens  qui  éclatent  dans  ses 
lettres.  C'est  alors  que  le  besoin  d'expansion,  les  pétille- 
ments d'une  gaieté  native,  la  recherche  de  vives  distrac- 
tions, l'inquiétude  latente  des  satisfactions  intimes  du 
cœur  que  son  mariage  lui  avait  promises  et  n'avait  pas 
tenues ,  la  jetaient  dans  les  exercices  violents  de  l'équi- 
tation  et  du  bal,  et  donnaient  à  ses  instincts  féminins 
un  air  de  légèreté  excessive  dont  elle  ne  devait  que  trop 
se  guérir.  Sa  mère  elle-même,  prévenue  par  les  mé- 
disances de  cour,   les  cailletages  des  gazettes  et  les 
méchancetés,  cachées  sous  le  masque  de  l'intérêt,  s'y 
est  parfois  méprise.   La  correspondance  donnée   par 
M.  d'Arneth  a  le  mérite  de  fixer  l'opinion  sur  plusieurs 
points  délicats ,  touchant  la  nature  des  rapports  exis- 
tants entre  la  mère  et  la  fille.  Ou  y  voit  avec  un  vif 
intérêt  combien  la  tendresse  de  l'Impératrice  s'anima 

TOMK    III.  **' 


XXU¥ 


des  plus  vives  sollicitudes  pour  Marie-Antoinette,  quand 
elle  l'eut  donnée  à  la  France  ;  et  l'on  se  prend ,  à  son 
insu ,  pour  la  grande  souveraine ,  de  je  ne  sais  quel 
attendrissement  qui  est  plus  que  le  respect;  mais  ce 
sentiment  diminue  en  même  temps  que  l'on  poursuit 
la  lecture.  Maiie-Thérèse  couve  d'abord  sa  fille,  en 
tremblant,  avec  un  redoublement  de  cœur,  elle  la  sou- 
tient comme  à  la  lisière,  pour  prévenir  les  faux  pas  que 
cette  enfant  pourrait  faire  encore.  Aux  conseils  sur  la 
santé,  sur  la  tenue,  elle  enjoint  sur  la  conduite.  Elle 
observe  et  surveille,  donne  des  avis,  commande   et 
ordonne,   loue   peu,    gronde   souvent,    (rop   souvent 
même.  Il  est  vrai  que  souvent  aussi  l'espièglerie  de  la 
jeune  femme  sans  expérience  méritait  des  reproches. 
Poussée  par  madame  de  Péquigny,  sa  première  favorite 
(elle  l'a  reconnu  plus  tard),  elle  lançait  des  volées  de 
sarcasmes  un  peu  vifs   contre   les  douairières  et  les 
collets  montés,  et  s'aliénait  ainsi,  par  étourderie,  sans 
méchanceté  réelle,  des  familles  influentes.  Tout  a  son 
importance  sur  le  trône  ou  sur  les  marches  du  trône  ; 
mais  l'aimable  Princesse,  qui  ne  demandait  qu'à  bien 
faire,  n'avait  auprès  d'elle,  depuis  Choiseul ,  aucune 
amitié  considérable  qui  veillât  sur  sa  personne  ;  de  loin, 
bien  des  nuances  échappaient;  et  Vermond  pouvait  la 
conseiller  dans  une  certaine  mesure ,  non  pas  la  con- 
duire. 

Dauphiue,  Marie -Antoinette  reçoit  d'abord  avec 
la  plus  filiale  déférence ,  comme  à  Schœnbrunn ,  les 
gronderies  maternelles.  On  la  voit  s'incliner  avec  sou- 


mission  et  humilité  ;  on  la  voit  rougir  tout  en  essayant 
de  s'expliquer  timidement  et  de  se  défendre.  Mais  à 
mesure  qu'elle  avance  dans  la  vie,  elle  se  fatigue  de 
tant   de   minutieuses    remontrances   et  d'impérieuses 
fâcheries.  Sa  vénération  pour  l'Impératrice  dominera 
toujours  son  indépendance  et  sa  fierté  natives  ;  mais 
en  revanche ,  on  la  verra ,  sans  jamais  se  mutiner  ou- 
vertement ni  se  cabrer,  sans  jamais  manquer  de  respect 
ni  de  mesure,  commencer  à  protester  avec  vivacité, 
avec  fermeté,  et  finir  par  éluder  les  reproches  et  n'y  plus 
répondre.  On  voit  qu'au  fond  son  cœui'  se  serre,  et  le 
lecteur  se  révolte  avec  elle.  La  question  de  madame 
Du  lîarry  surtout  fut  une  des  pierres  d*achoppement. 
Si  les  maiti'esses  avaient  fait  perdre  à  Louis  XV  le 
sentiment  moral,  Marie-Thérèse,  dans  sa  politique, 
dans  son  affection  même  poui'  la  trop  jeune  Dauphine, 
livrée  sans  défense  à  tous  les  écueils ,  ne  voulait  pas 
que  celle-ci  manquât  aux  bienséances  envers  Louis  XV 
dans  la  personne  de  la  favorite.  L'Impératrice ,  ren- 
seignée  de  tout   côté   par   le  zèle  de  Vermond  ,   de 
Mercy,  de  voyageurs,  et  particulièrement  du  baron 
Corneille  de  Neny,  conseiller  d'État,  premier  secré- 
taire de  son  cabinet,  qu'elle  avait  expressément  en- 
voyé  à  Paris   pour  observer   la   Dauphine,  savait  à 
merveille  que  madame  Du  Barry  avait  en  aversion 
Marie-Antoinette ,  qu'elle  n'apj)elait  devant  le  Roi  que 
U petite  rousse;  elle  savait  qu'elle  travaillait  de  toutes 
ses  forces  à  lui  ahéner  le  cœur  de  Louis  XV,  et  mena- 
çait la  Dauphine  des  conséquences  d'une  telle  influence. 


♦•• 


Marie -Thérèse,  la  femme  forte  et  religieuau,  .^ 
raison  d'État  avait  poussée  un  jour  à  capituler  avec  elle- 
même  en  ménageant  madame  de  Pompadour;  elle  qui 
avait  su  Tenivrer  dans  l'intérêt  de  Vienne,  en  lui  écri- 
vant, ce  qui  était  beaucoup  ;  on  l'appelant  3/^  Cousine, 
ce  qui  était  trop,  vonhiit  que  sa  fille  adressât  au  moins 
la  parole  à  la  favorite  régnante,  comme  à  toute  autre 
dame  reçue  à  la  Cour.  Elle  lui  écrivait  : 

«  Vous  êtes  la  première  sujette  du  Roi,  vous  lui 
devez  obéissance  et  soumission  ;  vous  devez  l'exemple 
à  la  Cour,  aux  courtisans,  que  les  volontés  de  votre 
maître  s'exécutent.  Si  on  exigeoit  de  vous  des  bas- 
sesses, d(*s  familiarités,  ni  moi  ni  personne  pourroit 
vous  les  (onseilIcT;  mais  une  parole  indifférente,  de 
certains  regards,  non  pour  la  dame,  mais  pour  votre 
grand-père,  votre  maître,  votre  bienfaiteur?  et  vous 
lui  man(|uez  si  sensiblement  dans  la  première  occasion 
où  vous  pouvez  l'obliger  et  lui  marquer  votre  attache- 
ment, qui  ne  reviendra  plus  de  sitôt Vous  avez 

peur  de  parler  au  Roi,  et  vous  n'en  avez  pas  de  lui 
désobéir  ou  le  désobliger.  »  Et  ailleurs,  toujours  sur  le 

même  sujet,  elle  lui  écrivait  encore  :  «   Vous 

devez  cela  au  Roi  et  à  moi.  En  faisant  son  devoir,  on 
ne  doit  pas  penser  au  qu'en  dira-t-on,  et  vous  n'avez 
à  rendre  compte  qu'à  nous  de  vos  actions.  » 

A  la  bonne  heure;  mais,  ce  semble,  elle  avait  aussi  à 
rendre  compte  à  son  mari,  à  qui  la  favorite  répugnait 


XXXVll 


et  qui  avait  une  l)rus(|ue  volonté  à  menacer.    Deux 
mois  après  son  mariage ,  elle  avait  écrit  à  sa  mère  : 

«  Le  Roi  a  mille  bontés  pour  moi,  et  je  Taime  ten- 
drement; mais  c'est  à  faire  pitié  la  foiblesse  qu'il  a 
pour  madame  Du  Barry,  qui  est  la  plus  sotte  et  imper- 
tinente créature  qui  soit  imaginable.  » 

Voilà  la  première  impression.  Mais  la  favorite  a-t-cUe 
fait  quebpie  acte  de  bienfaisance ,  car  elle  n'avait  pas 
mauvais  cœur;  la  Dauphinc,  qui  l'avait  excellent,  la 
trouvait  au  fond  bonne  femme,  et  le  disait.  Ses  clian- 
gements  de  langage  sur  cette  femme  sont  un  des  carac- 
tères de  la  jeunesse  de  Marie -An  toi  nette,  toute  de 
premier  raiouvement.  Elle  croyait  en  faire  assez  en 
n'étimt  point  agressive;  mais  sa  mère,  à  qui  le  terme 
moyen  de  cette  neutralité  n'agréait  pas,  harcelait  la 
malheureuse  Dauphine  de  remontrances.  Et,  à  ce 
propos,  M.  de  Sybel  range  tout  d'abord  parmi  les 
apocryphes  une  lettre  de  mon  recueil  qui  ferait  dire  à 
Ma  rie- An  toi  nette,  écrivant  à  sa  mère  :  «  Je  ne  vous  ai 
.  pas  encore  parlé  de  madame  Du  Barry.  »  La  réponse 
est  facile.  Dans  la  minute  autographe,  surchargée,  (jue 
je  possède,  on  lit  reparlé,  et  non  parlé.  Dans  l'imprimé, 
la  faute  typograplii(pie,  qui  a  été  reconnue  pendant  le 
tirage,  n'est  pas  en  tous  les  exemplaires.  Le  mot  équi- 
voque existàt-il  d'ailleurs  dans  la  minute  et  dans  Tori- 
ginal,  ce  serait  un  lapsus  :  il  en  a  échappé  bien  d'autres 
à  la  jeune  Princesse  ! 


XXXTIII 


Ensuite,  est-il  bien  équitable  d'arguer  de  telle  ou 
telle  date  d'une  lettre  contre  l'authenticité  de  l'épître 
elle-même,  quand  la  date,  comme  tel  est  le  cas  pour 
nombre  de  lettres  du  recueil  Hunolstein,  publié  trop 
vite ,  n'est  qu'une  conjecture  plus  ou  moins  heureuse 
d'éditeur?  Tous  deux,  M.  d'Hunolstein  et  moi,  avons 
imprimé,  —  lui  sur  l'original,  moi  sur  la  minute,  — 
une  même  lettre  de  Marie-Antoinette  à  sa  mère,  sûr 
l'état  d'esprit  de  Madame  Elisabeth,  après  le  mariage 
de  sa  sœur  et  compagne,  madame  Clotilde,  devenue 
princesse  royale  de  Savoie.  Marie-Antoinette  a  suggéré 
ridée  de  constituer  une  maison  à  la  jeune  Elisabeth 
pour  l'enlever  à  des  pensées  de  cloître.  La  lettre  qui , 
dans  le  recueil  Hunolstein,  est  donnée  au  17  août  1775, 
doit  être  datée  du  17  avril  [1778],  d'après  une  anno- 
tation de  la  minute  et  le  fait  qui  y  est  traité.  Les  adver- 
saires allemands  nient  l'authenticité  delà  pièce.  Quelles 
sont  leurs  objections  chargées  d'un  fastidieux  enche- 
vêtrement de  dates?  C'est  que  : 

1*  La  Reine  a  écrit  le  25  du  mois  précédent  à  sa 
mère  sur  la  politique ,  sans  plus  ; 

2®  Qu'elle  lui  a  écrit  de  nouveau  le  19  avril  —  deux 
jours  après  la  lettre  en  question  —  pour  lui  annoncer 
sa  grossesse  qu'elle  regrette  de  ne  pas  avoir  fait  con- 
naître depuis  huit  jours,  comme  elle  se  le  proposait; 

3*  Que,  dans  sa  réponse  du  2  mai,  l'Impératrice  ne 
parle  que  de  grossesse  et  de  politique,  et  ne  fait  aucune 
mention  de  Madame  Elisabeth  ni  de  la  lettre  du 
17  avril  qui  lui  est  exclusivement  consacrée. 


XXXEX 


4"  Enfin,  que  la  Reine,  écrivant  de  nouveau  a  sa 
mère,  à  la  date  du  5  mai,  dit  les  paroles  qui  suivent  : 

4 

«  Ma  santé  et  mes  espérances  continuent  toujours  à 
être  bonnes,  et  on  les  croit  si  sûres  que  Ton  commence 
à  nommer  la  maison  d'Elisabeth,  dont  Téducation  ne 
pourroit  se  continuer  avec  celle  de  mes  enfants.  » 

Ah  !  c'est  pour  le  coup ,  si  une  pareille  phrase  se  Fût 
trouvée  dans  une  des  lettres  de  mon  recueil,  que  T Alle- 
magne ameutée  eût  crié  à  l'apocryphe!  Quoi  donc? 
aurait-elle  dit ,  «  est-ce  que  la  Keine  peut  escompter 
ainsi  un  avenir  obscur  et  parler  de  ses  enfants,  quand  elle 
en  est  encore  au  premier  mois  de  grossesse  du  premier? 
Peut-elle  s'inquiéter  de  la  concurrence  qui  s'ouvrirait 
entre  l'éducation  de  Madame  Elisabeth,  parvenue  au- 
jourd'hui à  sa  majorité  princière.  Madame  Elisabeth,  à 
qui  l'on  donne  maison, — et  l'éducation  d'enfants  encore 
à  naître,  d'enfants  à  la  mamelle  quand  Elisabeth,  arri- 
vée à  seize  ou  dix-sept  ans,  aurait  pu  être  mariée  et 
avoir  aussi  des  enfants  en  éducation  ?  Et  disons-le  en 
passant,  si  j'avais  comme  l'Allemagne  critique  du  temps 
à  perdre  et  le  goût  du  cheveu  fendu  en  quatre,  je  trou- 
verais dans  le  recueil  de  M.  d'Arneth,  si  authentique 
cependant,  d'autres  étrangetés  de  même  force,  par 
exemple  des  impossibilités  de  dates,  qu'on  s'explique 
aisément  d'ailleurs  quand  on  apporte  dans  l'examen 
calme  et  bienveillance,  et  non  prévention  et  parti  pris. 

Mais  revenons  aux  objections  contre  cette  lettre  du 


XL 


17  avril  [1778] .  Et  d'abord,  qu'importe  que  la  Reine 
ait  écrit  sur  la  politique  sa  petite  lettre  du  25  mars? 
En  quoi  cela  implique-t-il  contradiction  avec  la  lettre 
qui  ne  parle  que  d'Elisabeth,  le  17  avril  suivant?  En 
quoi  celle  du  19  serait-elle  incompatible  avec  cette  der- 
nière? Marie-Antoinette  dit  que,  depuis  huit  jours,  elle 
voulait  déclarer  sa  grossesse;  qui  sait?  peut-être  le  17 
s'était-elle  mise  à  son  bureau  pour  révéler  cet  important 
secret,  quand  soudain  elle  aura  changé  d'avis,  et  au 
lieu  de  s'ouvrir  encore,  elle  n'a  parlé  que  de  l'entretien 
qu'elle  venait  d'avoir  avec  le  Roi  sur  un  autre  sujet  dont 
elle  était  toute  remplie.  Disputez  donc  sur  un  fait  aussi 
délicat,  sur  les  volontés  et  caprices  d'une  femme  grosse  ! 
J'en  demande  pardon  à  M.  de  Sybel,  mais  il  est  humi- 
liant de  se  voir  opposer  de  si  vaines  objections.  Est-il 
donc  besoin  d'être  un  grand  clerc  ou  un  grand  physio- 
logiste pour  s'en  étonner?  Mille  motifs  intimes  et  secrets, 
dont  le  cœur  et  la  raison  d'une  femme  sont  seuls  juges, 
peuvent  lui  faire  hâter  ou  suspendre  l'annonce  d'une 
grossesse,  et  les  critiques  n'ont  rien  à  y  voir. 

L'objection  tirée  du  silence  de  l'Impératrice,  le  21  mai 
suivant ,  sur  la  lettre  du  17,  traitant  exclusivement 
de  Madame  Elisabeth,  est  aussi  frivole.  N'était-il  pas 
tout  simple  que  Marie-Thérèse  ne  répondît  que  sur  la 
politique  qui  l'obsédait,  que  sur  la  grossesse  de  la  Reine 
de  France,  une  nouvelle  si  grave,  si  importante,  si  dési- 
rée, si  peu  attendue!  Et  puisque,  suivant  le  système  de 
l'écrivain  allemand,  la  Reine  n'aurait  parlé  pour  la  pre- 
mière fois  h  sa  mère  que  le  5  mai,  de  la  maison  consti- 


XLI 


tuée  à  Madame  Élisabetl),  et  que  sa  mère  aurait  dû  lui 
répondre  à  ce  sujet,  quand  donc  Ta-t-elle  fait  î 

Jugez  encore  d'une  autre  légèreté  de  M.  de  Sybel. 
«  Ces  exemples ,  »  dit-il ,  après  des  critiques  sur  quel- 
ques pièces  du  recueil  Hunolstein,  que  je  n'ai  point  à 
relever,  «  n'admettent  ni  doute  ni  contradiction.  La 
question  est  de  savoir  quelle  est  la  valeur  des  autres 
pièces.  »  Et  alors  il  fait  une  sortie  contre  moi,  à  propos 
d'une  lettre  de  la  Reine  à  sa  sœur  Christine,  en  date 
du  27  juillet  1770.  «  Antoinette  mande  à  sa  sœur 
qu'elle  est  sur  le  point  d'établir  son  séjour  à  Com- 
piègne,  tandis  qu'en  réalité  elle  demeurait  déjà,  le 
18,  à  Compiègne.  »  C'est  M.  de  Sybel  qui  parle,  mais 
le  fait  parle  autrement ,  et  rien ,  on  le  sait .  n'est 
obstiné  comme  un  fait.  Ouvrez  la  Gazette  de  France,  un 
journal  qui  court  les  rues ,  et  vous  y  verrez  que  le  Roi 
et  la  famille  royale  étaient  le  4  juillet  à  Marly,  le  10  a 
Choisy  ;  que  Louis  XV  s'était  proposé  de  partir  pour 
Compiègne  le  17  ;  mais  qu'une  fièvre  survenue  à  M.  le 
Dauphin,  par  suite  d'un  gros  rhume,  fit  suspendre  le 
départ  royal  ;  vous  y  verrez  que  le  plus  fort  des  accès 
étant  passé  le  20,  le  Roi  se  détermina  à  partir  et  que  le 
Dauphin  demeura  à  Versailles  avec  la  Dauphine;  que 
de  la  sorte  ils  n'assistèrent  point  avec  le  Roi  à  la  messe 
patronale  du  château,  fête  de  Saint-Jacques,  et  qu'en- 
fin ce  fut  seulement  le  30  (pie  Marie-Antoinette  fut 
conduite  par  son  mari  à  Compiègne  où  la  famille  royale 
les  attendait.  Qui  veut  trop  prouver  ne  prouve  rien. 
«  Et  voilà  justement  comme  on  écrit  l'histoire.  »  Je  ne 


XLII 


connais  pas  celle  de  la  Révahition  par  M.  de  Sybel, 
mais  si  elle  est  écrite  dans  un  pareil  esprit  de  cri- 
tique, je  ne  la  mettrai  pas,  je  Tayoue,  sous  mon  cberet, 
comme  le  grand  Alexandre  mettait  Homère  sous  le  sien. 
Le  Critique  a  été  bien  mal  inspiré  en  avançant  que 
les  lettres  de  mon  recueil  auxquelles  il  a  fait  allusion 
ont  été  combinées  d'après  madame  Campan.  En  efFet, 
qu'était-ce  que  madame  Campan  ?  La  femme  de  chambre 
de  la  Reine  ;  femme  de  chambre  un  peu  maniérée  et  pré- 
tentieuse, mais  instruite  et  insinuante,  ancienne  lectrice 
de  Mesdames,  et  que  Marie-Antoinette  employait  volon- 
tiers aussi  au  même  titre  ;  qu'elle  voulait  bien  mettre 
assez  souvent  dans  la  confidence  de  délicates  affaires  ; 
une  femme  qui  écoutait  aux  portes,  était  parfois  chargée 
de  fermer  les  lettres  que  la  Reine  venait  décrire,  et 
entendait  à  la  volée  la  lecture  de  certains  billets  de  Ma- 
rie-Antoinette et  ile  Marie-Thérèse  ;  qui  tenait  note,  au 
moment  même,  de  tous  les  mots  qu'elle  recueillait  par 
surprise  ou  dans  les  conversations  directes  et  suivies. 
Ses  manuscrits  en  font  foi,  manuscrits  sur  lesquels,  plus 
tard,  elle  rédigea  ses  Mémoires,  et  qui  de  temps  à  autre 
contiennent  plusieurs  versions  du  même  fait,  suivant 
sans  doute  les  récits  divers  qu'elle  avait  entendus  suc- 
cessivement des  seigneurs  de  la  Cour.  Or,  dans  une 
Cour  tout  se  sait,  à  plus  forte  raison  des  officiers  et 
domestiques  de  l'intimité.  Les  princes  ne  se  méfient 
pas  assez  de  leurs  entours  ;  il  y  a  là  parfois  tels  indis- 
crets, tels  espions  qui  n'ont  d'yeux  et  d'oreilles  que 
pour  la  postérité.  Voyez  par  exemple  cette  caillette  de 


XLiir 


cour  sans  vergogjne,  ce  Procope  hardi  et  délibéré,  si 
digfne  de  la  Cour  de  Bas-Empire  où  il  vivait,  ce  Bran- 
tôme, le  familier  des  princes  :  —  il  ne  les  a  pas  quittés 
•  que  déjà  sa  plume  va  les  trahir!  A  peine  si  la  vie  pri- 
vée des  simples  particuliers  réussit  à  se  murer;  que 
sera-ce  pour  les  princes?  Leur  vie  est  ouverte,  et  leur 
maison  de  verre.  Qu'y  a-t-il  donc  de  surprenant  à  ce 
que  la  femme  de  chambre  ait  été  l'écho  de  Marie- 
Antoinette?  Qu'y  a-t-il  de  surprenant  à  ce  que  le  por- 
trait des  trois  tantes  coïncide  chez  madame  Campan 
avec  celui  qu'en  fait  la  Dauphine?  Qu'y  a-t-il  de  sur- 
prenant à  ce  que  celle-ci,  assez  encline  à  une  nuance 
de  moquerie  fort  pratiquée  par  sa  première  favorite, 
se  rie  légèrement  de  Madame  Sophie  qui  ne  regarde 
pas  en  face,  et  mentionne  le  nez  de  Madame  d'Artois? 
Apparemment  cette  princesse  avait  un  long  nez  pour 
tout  le  monde  :  y  a-t-il  donc  tant  a  s'étonner  qu'une 
jeune  personne,  qu'une  enfant  en  prenne  la  mesure 
quand  elle  fiiit  à  sa  sœur  le  portrait  de  la  nouvelle 
venue  !  La  remarque  est  au  moins  oiseuse,  et,  pour 
mon  compte,  au  lieu  de  nuire  dans  mon  esprit  à 
l'authenticité  des  lettres,  ces  rapports  entre  les  lettres 
et  les  Mémoires  me  la  confirment,  en  même  temps 
que  les  lettres  donnent,  à  mes  yeux,  plus  de  crédit  à 
madame  Campan  elle-même. 

L'Empereur  Joseph  a  été  l'objet  d'une  ovation  au 
théâtre  de  l'Opéra.  La  Reine  l'a  tiré  du  fond  de  sa  loge 
pour  se  parer  de  son  frère.  Elle  en  parle  à  sa  mère. 
Cet  incident  qui  a  remué  la  Cour,  et  dont  madame 


XL  IV 

Campan  a  peut-être  dix  fois  entendu  le  récit,  est  men- 
tionné par  elle.  Il  n*en  faut  pas  davantage  pour  faire 
taxer  de  fausseté  la  lettre  de  Marie-Antoinette.  Ab 
uno  disce  omnes. 

La  Reine  dit  à  sa  sœur  que  Joseph  II  a  a  causé  et 
plaisanté  avec  une  bienveillance  très-grande  avec  Eli- 
sabeth, (pii  est  maintenant  charmante  de  caractère  et 
fort  grandie.  »  C'est  faux  encore,  suivant  M.  de  Sybel, 
parce  que  madame  Campan  a  écrit  (pie  «  Joseph  mon- 
tra de  l'intérêt  à  la  princesse  Elisabeth,  qui  sortait  alors 
de  l'enfance  et  avait  toute  la  fraîcheur  de  cet  âge.  » 
Eh  bien,  qu'y  a-t-il  là  qui  n'ait  pu  être  dicté  ni  par  l'une 
ni  par  l'autre?  Joseph  II  était  veuf;  il  parut  alors  aux 
contemporains  qu'on  aurait  volontiers  dirigé  ce  prince 
vers  une  alliance,  avec  la  jeune  Princesse.  La  Reine  et 
madame  Campan  devaient  y  faire  allusion.  Seulement, 
la  Reine  appuie  moins  que  ne  le  fait  la  suivante,  ce  qui 
donne  à  penser  que  le  projet  de  mariage  était  moins 
dans  la  réalité  que  dans  les  conjectures  de  l'entourage. 
On  songeait  alors,  un  peu  de  loin,  à  un  prince  de  Por- 
tugal. 

La  Reine  parle  de  ses  soupers  en  famille,  rien  de 
plus  simple.  La  suivante,  (|ui  tient  registre,  le  dit 
également.  La  Reine  exprime  son  ennui  des  dîners  en 
pubhc,  alors  ([u'elle  est  Renie;  et  comme  madame 
Campan  rapporte  que  l'usage  des  dîners  en  public  était 
fort  désagréable  à  Marie-Antoinette  «  tant  qu'elle  était 
Daupliine  » ,  M.  de  Sybel  trouve  indubitable  qu'il  y  a 
là  anachronisme ,  et  que  ces  dîners  publics  n'ont  pu 


xr.y 


être  désagréables  à  la  Princesse  quand  elle  était  Reine. 
Voilà  les  objections  auxquelles  un  homme  du  rang  lit- 
téraire de  M.  de  Sybel  a  cru  pouvoir  descendre.  Est-il 
bien  certain  qu'il  y  voie  en  effet  des  argimients  sérieux 
et  irréfragables?  mais,  sous  son  drapeau,  les  gens  à  la 
suite  sont  tout  prêts  a  crier  plus  fort  que  lui. 

C'est  encore  sur  le  thème  éternel  de  la  répugnance 
de  la  Reine  pour  ccilaines  exigences  de  «  l'étiquette 
de  chambre  et  toute  intérieure  »  ,  comme  dit  cette 
Princesse,  que  va  triompher  M.  le  docteur  de  Sybel. 
Est-ce  que,  demande-t-il ,  on  peut  attribuer  à  la  Reine 
une  expression  aussi  louche  et  aussi  peu  technique 
[étiquette  wtérieure^^  —  Distinguons.  Il  v  avait, 
comme  il  y  a  encore  aujourd'hui,  le  cérémonial  public 
auquel  se  soumettait  la  Reine,  parce  qu'il  était  utile  à 
la  représentation.  Il  y  avait  l'étiquette  de  l'intérieur  du 
palais,  l'étiquette  de  la  chambre.  Les  petits  cabinets 
n'admettaient  point  d'étiquette,  et  c'est  là  qu'Antoi- 
nette aimait  le  ])lus  à  se  retirer,  là  qu'elle  se  sentait  le 
plus  elle-même,  comme  à  son  Trianon.  Qu'y  a-t-il 
donc  après  cela  qui  ne  soit,  suivant  la  langue  de  cour, 
dans  l'expression  qu'il  a  plu  à  la  Reine  d'employer?  Je 
ne  doute  pas  que  M.  de  Sybel  ne  soit  un  homme  de 
cour: — il  en  est  digne  par  ses  talents; — mais  je  crains 
qu'il  n'en  ait  oublié  la  langue.  —  Il  incrimine  cette 
correspondance  pour  ce  qu'il  y  rencontre;  faudra-t-il 
donc  encore  qu'il  l'attaque  pour  ce  qu'il  n'y  trouve  pas? 
Ainsi,  la  Reine  dit  à  sa  sœur  que  «  l'étiquette  de  chambre 
et  toute  intérieure  »  lui  est  odieuse.  «  Il  y  a  des  détails 


XLVI 


qui  m'obsèdent.  Si  je  vous  voyois,  j'en  aurois  long  à 
vous  dire  là-dessus.  »  Alors  M.  de  Sybel  évoque  sur- 
le-cliamp  l'étiquette  de  la  chemise  mentionnée  par 
madame  Campan,  qui  eût  pu  en  citer  encore  bien 
d'autres,  plus  ou  moins  {jénantes  pour  une  Reine. 
Et  là-dessus  le  Critique  s'enflamme  et  proteste  qu'une 
femme  ne  saurait  faire  allusion  à  «  des  détails  aussi 
dégoûtants  » ,  quand  après  tout  cette  femme  s'adresse 
confidentiellement  à  qui?  —  à  sa  sœur.  Une  pres- 
bytérienne anglaise  n'aurait  pas  mieux  dit.  Mais  en 
somme,  qui  prouve  que  la  pensée  de  Marie- Antoi- 
nette se  portât  expressément  sur  cette  fatale  chemise 
et  n'ait  pas  eu  ici  quelque  autre  détail  en  vue?  On  dirait 
d'ailleurs  que  cette  fameuse  étiquette  de  la  chemise 
fût  une  monstruosité  inqualifiable;  ce  n'était,  à  le  bien 
prendre  sans  exagération ,  qu'un  ennui.  Peut-être  ai-je 
mal  saisi  la  phrase  du  docteur ,  embrouillée  ici  comme 
le  nœud  gordien.  Toujours  est-il  que  le  fait  de  l'abs- 
tention de  la  Reine  à  citer  le  mot  propre  dans  cette 
lettre  est  pour  l'adversaire  la  preuve  indubitable  de 
l'apocryphe.  Retournez  la  question  et  supposez  que 
la  lettre  n'eût  rien  omis,  infailUblement  le  jugement 
eût  été  le  même.  On  croira  peuirétre  que  j'exagère. 
Non,  je  n'invente  rien,  ami  lecteur;  c'est  bien  là 
textuellement  comme  discute  et  prononce  ex  cathedra 
un  professeur  de  l'illustre  Université  de  Bonn,  un 
historien  lu  et  estimé  :  «  0  physique,  préserve-moi 
de  la  métaphysique  !  »  disait  tous  les  matins  le  grand 
Newton. 


XLVII 


Ce  n'est  pas  tout,  la  Reine  mentionne  un  couplet 
des  poissardes  que  chante  le  Roi  ravi  à  la  naissance 
de  Madame  Royale,  Gomme  ce  couplet,  le  plus  joli  de 
la  chanson  qui  courut  alors  par  milliers  d'exemplaires 
et  dont  un  bouquet  de  roses  contenait  pour  la  Reine 
une  copie  imprimée  sur  satin  ;  comme  ce  couplet, 
dis-je,  est  rappoilé  par  madame  Campan,  c'est  encore 
chez  madame  Campan  que  le  &brîcateur  serait  allé 
s'inspirer.  Une  pareille  critique  relève-t-elle  de  la  jus- 
tice? Est-elle  bien  digne  d'une  revue  historique,  et 
ne  suis-je  pas  fondé  à  plaindre  M.  de  Sybel  qui  n'a 
de  sève  qu'en  épines ,  et  qui ,  de  gaieté  de  cœur,  s'est 
ainsi  évertué  à  se  diminuer  en  me  cherchant  une 
querelle  d'Allemand? 

Que  dirait-il  donc  si  partout  on  voyait  conune  lui 
des  bâtards  de  l'histoire,  et  si  l'on  faisait  en  face  de  la 
correspondance  publiée  à  Vienne  l'opération  faite  par 
lui  à  l'égard  de  mon  livre  ?  si  l'on  établissait  un  con- 
trôle du  recueil  viennois  au  moyen  des  Mémoires  de 
madame  Campan  et  de  Weber,  et  du  manuscrit  de 
Hardy,  quejpossède  notre  Bibliothèque  impériale  (1)? 
Voyez,  par  exemple,  dans  la  première  lettre  de  Marie- 
Antoinette^  du  livre  de  M.  Arneth,  ces  mots  (2)  : 

«  Pour  mon  cher  mari ,  il  est  changé  de  beaucoup, 
et  tout  à  son  avantage.  Il  marque  beaucoup  d'amitié 


(1)  Aotice  d'éveuemcnts  remarquables  et  tels  qu'ils  parviennent  a 
ma  connoissance ,  par  Hardy.  Ribl.  Imp.,  mss.,  suppléai,  français, 
ijo  2886. 

(2)  Lettre  du  9  juillet  1770,  p.  3. 


XI.Vlll 


pour  moi,  et  racmc  il  commence  à  marquer  de  la  con- 
fiance. Il  n'aime  certainement  point  M.  de  La  Vau- 
giiyon ,  mais  il  le  craint.  Il  lui  est  arrivé  une  singulière 
histoire  l'autre  jour.  J'étois  seule  avec  mon  mari , 
lorsque  M.  de  La  Vauguyon  approche  d'un  pas  préci- 
pité à  la  porte  pour  écouter.  Un  valet  de  chambre,  qui 
est  sot  ou  très-honnéte  homme,  ouvre  la  porte,  et  M.  le 
duc  s'y  trouve  planté  comme  un  piquet  sans  pouvoir 
reculer.  Alors ,  je  fis  remarquer  à  mon  mari  l'incon- 
vénient qu'il  y  a  de  laisser  écouter  aux  portes,  et  il  l'a 
très-bien  pris.  » 

Or,  il  n'est  pas  certain  que  la  leçon  ait  corrigé  le 
duc. 

Madame  Campan  parle  en  effet  des  intrigues  de  ce 
gouverneur  attardé  pour  éloigner  le  Dauphin  de  sa 
femme;  elle  en  donne  de  curieux  détails;  mais  Hardy, 
plus  explicite,  parle  des  espionnages  de  ce  fâcheux  qui 
s'obstinait  à  s'interposer  entre  les  jeunes  époux,  et  s'ou- 
bliait jusqu'à  une  persécution  fatigante;  il  raconte  enfin 
une  scène  identique  à  celle  qu'on  vient  délire,  et  les 
paroles  que  la  Dauphine  excédée  adressa  à  M.  de  La 
Vauguyon  :  «  Monsieur  le  duc,  Monsieur  le  Dauphin  est 
d'un  âge  à  n'avoir  plus  besoin  de  gouverneur,  et  moi 
je  n'ai  pas  besoin  d'espion  :  je  vous  prie  de  ne  pas  re- 
paraître devant  moi  (I).  » 

Dira-t-on  que  Marie -Antoinette  a  copié  sa  lettre 


(1)  Hardy,  second  volume,  4  février  1772. 


XLll 


(le  1770  dans  le  manuscrit  de  Hardy,  ou  que  Hardy  a 
Fait  son  récit  d'après  celui  de  la  Dauphine?  De  même, 
(|uand  les  M(;moires  de  Webcr  et  ceux  de  madame 
Campan  racontent  les  mêmes  faits  presque  dans  les 
mêmes  termes ,  ce  qui  n'est  pas  rare,  en  in(e'rera-t-on 
aussi  qu'ils  se  sont  mutuellement  copiés? 

Vilain  métier  que  celui  de  la  chicane,  du  dénigre- 
ment et  de  l'ergoterie  cassante ,  dirai-je  rondement  et 
privément  à  M.  le  professeur  Sybel.  Encore  une  fois, 
il  n'y  aurait  qu'à  gagner  à  se  respecter  davantage  les 
ims  les  autres,  à  ne  pas  se  donner  les  airs  d'exécuter 
les  gens  en  effigie,  comme  si  l'on  était  de  ces  grands 
qui  marchent  sur  les  multitudes.  Laissez  donc  de  côté 
Tos  haines  nationales,  pour  ne  vous  occuper  que  de 
la  sainte  Vérité.  Essayez  de  faire  la  lumière,  et  que  le 
feu  ne  s'allume  nulle  part.  Vous  qui  n'êtes  point  un 
des  condottieri  de  la  science  et  de  la  littérature,  je 
vous  conseillerais,  en  toute  cordialité,  de  vous  abstenir 
d'émousser  vos  armes  courtoises  à  imiter  ces  preux  du 
pédantisme,  indignes  et  de  vous  et  de  nous.  Notre  épo- 
que si  active,  où  l'on  perd  son  temps  d'une  manière 
violemment  affairée,  a  peu  de  minutes  de  reste  pour 
contrôler  le  mystère  des  mauvais  dires,  du  vide  et  de 
rinconsistance  des  griefs  allégués ,  et  ces  dires  ne  font 
ijue  trop  leur  chemin.  Il  y  a  là  ce  que,  pur  politesse, 
j'appellerai  ces  guerriers  de  l'Iliade  qui,  plus  faibles, 
se  cachent  derrière  le  bouclier  du  plus  fort,  pour  lancer 
leurs  flèches;  il  y  alà,  derrièreM.  deSybel,  les  écoliers  qui, 
sans  jamais  entrer  intimement  dans  aucune  discussion 

TOMK    III.  •*•• 


didactique  et  technique,  jurent  in  verba  magistri^ei  se 
mettent  bien  vite  en  devoir  de  suivre  les  moutons  de 
Panurge.  Elle  ne  voit  donc  pas,  cette  partie  agressive 
de  la  grande  Allemagne,  qu'ici  au  fond  ce  n'est  pus 
seulement  de  nous  qu'il  s'agit ,  mais  de  la  plus  infor- 
tunée des  Reines,  mais  d'une  Princesse  qui  fut  Alle- 
mande? Que  si  nous  l'avons  tuée;  que  si,  au  dernier 
siècle,  nos  fureurs  révolutionnaires  n'ont  eu  qu'un 
«  cercueil  de  sept  francs  pour  la  veuve  Capet  »  ^  les 
générations  présentes  se  lèvent  pour  étendre  pieuse- 
ment un  voile  de  deuil  sur  ce  terrible  souvenir,  pour 
dresser  à  la  noble  Reine  un  monument  expiatoire,  une 
éclatante  et  pure  statue.  Et  vous ,  pendant  ce  temps- 
là ,  que  faites- vous?  Vous  vous  amusez  de  statuettes 
indécentes  de  la  victime;  et  en  discutant  ses  lettres ^ 
qui  sont  sa  plus  glorieuse  oraison  funèbre ,  en  vous 
jouant  de  l'adoration  moderne,  vous  diminuez  la  Reine, 
vous  la  dépouillez  du  légitime  respect  qui  lui  revient.  Oh  ! 
que  si  la  critique  se  bornait  à  examiner  la  mise  en  œuvre, 
le  choix  des  pièces ,  les  attributions ,  les  dates  et  les 
appréciations,  on  pourrait  prêter  l'oreille  avec  intérêt 
à  d'utiles  paroles  de  contradiction  réfléchie,  sensée  et 
loyale.  Mais  en  taxant  d'apocryphes  les  pièces  d'un 
recueil  publié  par  un  homme  de  vieille  expérience, 
M.  de  Sybel  n'a  pas  assez  craint  de  se  fourvoyer:  il  a 
trop  oublié  que  c'est  s'attaquer  sans  droit  à  la  probité 
même  de  son  interlocuteur,  ou  lui  donner,  sans  com- 
pétence, un  brevet  âepueriua  mentis.  Si  j'avais  reconnu 
l'inexactitude  d'aucune  des  pièces  que  j'ai  recueillies, 


Ll 


ê 

je  l'aurais  sacrifiée  sur-le-champ.  Mais  je  n'admets  pas 
que  qui  que  ce  soit  fasse  étourdimènt  si  bon  marché  de 
mon  intelligence,  et  encore  moins  de  ma  bonne  foi.  Que 
M.  de  Sybel  dédaigne,  s'il  lui  pla&t,  les  révélations 
originales  fournies  parles  lettres  de  la  Reine,  deMercy 
et  de  Brienne,  par  moi  publiées  sur  la  chute  de  ce 
dernier  et  sur  le  rappel  de  Necker,  il  est  dans  son  rôle, 
bon  ou  mauvais.  Mais  quand  il  ajoute  que  cette  série 
de  lettres  «  aurait  été  instructive  et  importante ,  si  un 
auteur  contemporain,  Soukvie,  n'en  avait  déjà  publié 
le  contenu,  tiré  des  papiers  de  Brienne»  ,  ici  je  l'arrête, 
en  m'étonnant  qu'un  historien  qui  se  re^>ecte  s'appuie 
à  priori  sur  un  compilateur  aussi  décrié,  pour  l'opposer 
à  des    documents    authenti<pies   de  première  main. 
Trivial,  fastidieux,  menteur  et  libelliste,  Soulavie  a 
eolanté  des  volumes  condamnés  au  pilori  des  quais 
après  une  vogue  éphémère,  doe,  pour  quelques-uns, 
aa  scandale.   Il  est  vrai  qu'il  avait,   en  diplomatie, 
écoiité  aux  portes;  qn'il  a  possédé  de  bonnes  pièces 
dérobées  dans  les  bureaux  des  Affaires  Étrangères  ou 
adietées  par  corruption.  Mais  il  n'est  pus  chez  lui  une 
pièce,  pas  une,  quelle  qu'elle  soit,  dont  il  ne  foille  con-* 
tiéler  avec  une  critique  sévère  la  vérité  ;  et ,  enssé^ 
seulement  apporté  cette  lumière,  qoe  je  n'en  applau-^ 
dirais  et  remercierais  les  afrchives  de  Vienne  de  m'en 
avoir    fourni   les   moyens.    L'approbation   de  M.   de 
Sybel  est  secondaire. 

Maintenant ,   qu'on   veuille   bien    nous   permettre 


•*•  • 


LU 

un  d€rnier  mot  touchant  l'exposition  publique  de 
statues  nues  de  Marie-Antoinette  et  de  Madame 
Elisabeth,  dans  le  Palais  de  Marbre  (Marmorpallast) 
ou  Nouveau  Jardin ,  à  Potsdam ,  sur  lesquelles  il  s'est 
engagé  une  polémique  qui  a  fait  trop  de  bruit.  Disons 
ce  dernier  mot,  après  quoi  nous  reprendrons  notre 
joie  et  nos  ailes>  pour  voler,  comme  dit  Joubert,  a 
d'autres  clartés. 

Après  avoir  parlé  de  toutes  les  tribulations  que 
Marie*Antoinette  avait  eu  à  subir  dès  son  arrivée  à  la 
Cour  de  France,  j'ajoutais,  dans  le  second  volume 
d'un  livre  paru  deux  ans  avant  le  premier  tome  de 
celuî-^i  (1)  : 

«  Et  comme  si  l'étranger  devait  être  complice  de 
ces  horreurs ,  un  Roi  voisin ,  qui  n'avait  dans  son 
palais  que  des  statues  d'Antinoiis  ou  de  Vénus  impu- 
dique ,  outrageait  à  sa  manière  la  jeune  Reine  en  fai- 
sant sculpter,  avec  le  nom  de  cette  Princesse,  deux 
figures  en  pied  dont  la  nudité  complète  est  la  moindre 
indécence.  Que  le  ciseau  ait  représenté  entièrement 
nue,  Inadame  Du  Barry,  une  audace  de  nudité  était 
dans  le  rôle  de  cette  belle  abandonnée  :  sa  statue,  en 
marbre  blanc,  de  grandeur  naturelle,  et  signée  Hou- 

don,  1780;  (2),  fait  partie  du  musée  de  sculpture  de 

- —  • — ■ —  •     ■  ■    »       - 

(1)  Causeries  d'un  Curieux,  p.  194. 

(2)  «  La  comtesse  Du  Barry,  maîtresse  de  Louis  XV  (guillotinée  le 
12  décembre  1793),  représentée  en  Diane,  tenant  l*arc  dans  sa  main 
gauche.  Une  répétition  de  cette  statue,  mais  en  bronze,  se  trouve  au 
Musée  du  Louvre.  De  Houdon.  » 

TelU  est  la  notice  du  Màsée  impérial  dt  -l'ermitage,  imprimée  à 


LUI 

l'Ermitage,  à  Saint*Pëtersbourg.  Mais  qu*un  Roi  tel  que 
Frédéric  II  de  Prusse  (mort  le  17  août  1786,  quand 
Marie-Antoinette  régnait  depuis  douze  ans)  ait  accepté 
le  naturalisme  de  son  temps  jusqu'à  oublier  de  la  sorte 
envers  une  jeune  souveraine  les  droits. du  trône,  de  la 
morale  et  de  la  décence,  c'est  révoltant.  Et  cependant, 
c'est  une  profanation  qui  s'affiche  encore ,  de  nos 
jours,  à  Potsdam,  et  dont  le  goût  d'une  noble  nation 
sur  laquelle  a  régné  la  charmante  Reine  Louise  eût 
dû  nous  épargner  l'injure  et  s'épargner  à  elle-même  le 
scandale  et  la  honte.  » 

La  Prusse  ne  dit  mot ,  et  les  statues  restèrent.  Je 
reproduisis  ces  paroles  dans  la  préface  du  premier 
volume  de  mon  présent  recu^  de  lettres  de  Louis  XVI, 
Marie-Antoinetle  et  Madame  Elisabeth,  paru  en  août  1 864. 
La  Prusse  commença  enfin  à  s'émouvoir,  et  le  fait  fut 
contesté,  dans  le  fond  et  dans  les  détails,  parl'éminent 
historiographe  de  la  Prusse,  M.  J.  D.  E.  Preuss,  dans 
la  Gai^ette  qui  s'intitule  Gazette  privilégiée  de  Berlin  (1). 

A  tout  cela  cependant  je  n'ai  rien  aujourd'hui  à 
retrancher,  si  ce  n'est  le  nom  du  Grand  Frédéric  qui 
n'aurait  pris  aucune  part  à  l'exécution  de  ces  statues, 
dont  l'une  cependant,  celle  de  la  Reine ,  est  datée  de 
1775.  M.  Preu&s  l'affirme,  il  le  faut  croire,  car  l'étude 

^—        ,  MB  ■  M    -  -■ 1 1 l-M-»^ 1-T ^ 

Péterâbourg,  en  1860.  J'ai  vu  cette  statue,  cette  même  année,  dans 
cette  ville  superbe,  qui  est  tout  :  italienne,  allemande,  française, 
anglaise,  avant  d'être  russe,  et  je  n'ai  pas  été  frappé  de  la  ressemblance 
avec  les  traits  de  madame  Du  Barry. 

(1)  dïiït  ^tila^e  ^ut  f5ntg(i((en  piit^iUdiirten  ber(mif(^ni  Sritund- 

N»  61 ,  dimanche  12  mars  1865. 


toute  particulière  qu'il  a  faite  de  ce  prince ,  dout  t« 
écrit  une  savante  biographie,  lui  donne  une  irréooiable 
autorité  dans  la  question,  d'autant  mieux  qu'H  parle 
d'après  des  documents  déposés  aux  arcbÎTes  de  la 
Maison  du  Roi.  lfidé{>endamnient  de  son  aiticle  (1), 
il  a  rédigé  sur  cet  incident  un  long  mémoire  où  j*ai 
reoonatti  sa  plume,  et  c^est  à  son  apologie  conten- 
tieuse  trop  absolue  que  je  vais  répondre. 

M.  Preuss  commence  par  protester  contre  les  vilains 
bruits  accrédités  sur  Frédéric  par  Voltaire  et  par  nombre 
d'autres  écrivains.  Il  rappelle  que  TeKistence  de  tableaux 
obscènes  dans  la  résidence  royale  est  une  des  nom- 
breuses calomnies  répandues  par  le  coupable  du  dix- 
huitième  siède ,  ce  même  Voltaire  contre  Frédéric ,  k 
qui ,  de  aon  côté,  Joseph  de  Maistre  refuse  le  titre  de 
grand  Homme,  ne  voyant  en  lui  qu'un  grand  Prussien, 
qui  a  inoculé  chez  ses  peuples  le  goût  et  l'audace  des 
conquêtes.  Il  y  a  déjà  quatorze  ans,  dit  M.  Preuss, 
que  les  calomnies  sur  les  peintures  ont  été  réfutées 
historiquemei^  (2),  et  que  des  conversations  du 
ministre  de  la  guerre,  de  Rohdich,  et  du  général 
baron  de  SchliefFen  ont  établi  :  «  qu'ils  n'ont  jamais  vu, 
dans  ancune  pièce  des  châteaux  royaux ,  des  tableaux 
•  obscènes,  et  encore  moins  le  tableau  hideux  que  décrit 
Voltaire.  »  Le  point  capital  sur  lequel  se  portent  les 


(1)  Voici   le  titre  île   Farticle  inséré  dans  la  Gazette   de  Berlin  : 

$(rr  8.  Stfuittft  be  Sonc^eé  ^t^tn  SHebrict^  trn  ®iopn7. 

(î)  Observations  sur  des  fragments  de  M,  le  chevalier  de  Zimmer- 
ntann  sur  Frédéric  le  Grand,  par  un  patriote  du  Brandebourg. 


LV 


honorables  et  constants  efforts  de  l'historiographe  est 
Texonération  de  la  mémoire  de  son  héros,  qui  fut  sans 
contredit  le  père  de  la  patrie.  Ce  serait  seulement  en 
1834  que  ces  statues,  qui  ne  dépassent  pas  de  beaucoup 
la  dimension  de  demi-nature ,  seraient  entrées  dans  la 
possession  du  roi  de  Prusse  Frédéric-Guillaume  III. 
Elles  auraient  été  proposées  à  ce  prince  par  im  comte 
François-Simon  Pfaff  de  Pfaff(Miho(en  (1).  «  Ce  comte, 
qui  avait  habité  Vienne,  ensuite  Tile  d'Obcrwerth  près 
Coblentz,  et  demeurait  alors  au  château  de  Ileiffenberg 
près  Vienne  (c'est  Thistoriographe  officiel  qui  parle), 
prétendait  avoir  rendu  de  grands  services  aux  Bourbons, 
et  espérait  trouver,  à  un  àgc?  avancé,  des  ressources  dans 
là  vente  de  ces  sculptures.  Suivant  lui,  ces  statuettes 
de  Vénus  en  marbre  rcprésetUaient  Marie-Antoinette  et 
Sa  beUe-sœur  Madame  Elisabeth  plus  jeune  de  neuf  ans , 
ft  provenaient  du  château  de  Trianon,  »  Voici  ses 
paroles  : 

„  'JJîit  bcr  tarauf  folgcubcn  Statuctten9efcl)icl)tc  t)cô  ^mn 
$.  Çeuiflct  bc  6ond)cô  abcr  tjcrtjâlt  cô  fic^,  na(^  bcn  offliiellcu 
Slften  alfo.  SBcibe  gfgurcn  flnb  crfl  fm  3a^rc  1834,  b.  f). 
^8  3vi^re  itac^  bem  îîobc  beé  gro^cit  jtônigê,  iinb  24  3a^re 


(1)  A  I.i  base  de  l'une  d'elles  est  en  effet  inserit  ce  nom  sur  l'un  des 

^Ctié».  Cette  inscription  a  échappé  à  l'ipil  de  M.    Preuss.  La  seconde 

lote  qui  a  tiuivi  rarticie  de  la  gazette  privilégiée  dit   que  ce  nom  de 

ï*faffenliofen  a  été  souvent  confondu  avec  celui  du  sculpteur  belge, 

-•Alexandre  de  Papenhoven,  par  qui  le  Roi  Frédéric  II  a  fait  faire, 

<t«ns  les  premiers  temps  de  son  rè^ne,  une  statue  de  Vénus  et  VÀmour, 

«îii  marbre,  qui,  dit-il,   ne  trouve  encore  à  Sans-Souci.  N'est-elle 

|»as  plutôt  au  Palais  de  Marbre? 


LTI 


nac^  bcm  îïobc  bcr  t^oc^fcUgcn  ^ôniflin  Soiiife,  bem  bamalô 
regierenbcu  ^crrit  S^^iebrid)  2Bilt)eIm  bcm  î)ritten,  unb  jtt)ar 
von  cincm  ©rafen  ^faffcnl^ofcn,  bcr  bci  iffiicn,  baun  aiif  bcr 
3nfcl  £)6cnt)crtt|  bci  ^oblcnj  wot^ntc,  jum  ^aufc  angcbotcn, 
unb  cmpfotilcn  worbcn.  2)icfcr  ®raf  woKtc  um  bic  Sourbouô 
vicie  93crbicnjic  Ijaben,  unb  gcbac^te  ftd)  in  fcinem  ï)oï)en  Sïlter 
burd)  vort]^cilt)aftcn  SScrfauf  icner  Si[bn)crfc  cinc  Unterftù^ung 
ju  flcn)al[)rcn.  3taà)  fcincr  Slngabc  warcn  bicfc  3ïîannorgcbi(be, 
©tatucttcn  bcr  33cnuô,  bic  Sîgurcn  bcr  ^ônigin  SJÎaric  Sln- 
toincttc  unb  bcr  (ncuntct^alb  3cif)rc  iùngcrcn)  SKabamc  Slifa- 
bctti,  i^rcr  ©c^wdgcrin,  unb  ^attcu  iu  îrianon  gcjlanbcn.  '' 

Ainsi,  voilà  bien  leur  attribution  établie  :  c'est  Marie- 
Antoinette,  c'est  Madame  Elisabeth  ;  du  moins  les  sta- 
tues ont-elles  été  vendues  et  achetées  à  ce  titre  à  la 
cour  de  Prusse. 

Il  est  vrai  que  M.  Preuss  ajoute  : 

«  Ces  indications  sont  à  coup  sûr  également  fausses, 
car  les  deux  figures,  qui  se  ressemblent  comme  deux 
soeurs,  sont  de  même  modèle,  et  l'exécution  en  est  trop 
peu  soignée  pour  une  exposition  publique,  » 

„  î)icfc  Slngabcn  fmb  abcr  gcwif  gicid)  falfc^  ;  benn  bcibc 
©cjlaltcn,  welc^c  flc^  wic  ©c^n)c(icru  ftbnlic^  fcbcn,  fînb  nac^ 
bcmfclbcn  îRobclt,  unb  fur  cinc  ôffcntlid^c  3lufflcHung  nur 
obcrflàc^Iid)  gearbcitct.  " 

c'est-à-dire  sans  doute  pour  être  vues  de  près  dans  le 
palais;  comme  tel'  est  probablement  le  sens  de  cette 
phrase  obscure.  Mais  alors  comment,  si  elles  étaient 
si  mauvaises ,  en  a-t-on  fait  la  décoration ,  à  portée  de 
l'œil ,  d'un  des  palais  royaux  de  Potsdam  ? 


Lvir 


M.  Preuss  suit  trop  droit  son  raisonnement  sans 
regarder  autour  de  lui,  pour  s'apercevoir  qu'il  va  à  ren- 
contre de  sa  propre  pensée,  en  disant  tout  court  que 
ces  noiarbres  n'ont  pu  figurer  dans  le  palais  dé  plaisance 
de  la  Reine,  par  cela  qu'ils  étaient  d'exécution  trop 
médiocre.  Quoi!  c'est  la  raison,  c'est  la  seule  qu'il  ait 
trouvé  à  alléguer,  quand  il  eût  pu  dire  tout  d'abord , 
avec  plus  de  délicatesse,  que  la  nature  même  des 
Bgures  les  eût  rendues  impossibles  en  un  tel  lieu.  Que 
l'époque  volcanique  de  la  fin  du  dix-huitième  siècle 
ait  été  doublement  ravagée  par  la  corruption  des  esprits 
et  par  la  corruption  des  mœurs,  est-ce  une  raison  pour 
oublier  que  la  jeune  Reine,  à  l'âge  des  pensées  les 
plus  pures,  que  Louis  le  Sévère  ^  conune  on  l'avait  sur- 
nommé ,  n'auraient  pu  admettre  quelque  part  que  ce 
fut  et  moins  encore  dans  l'étroite  bonbonnière  du  petit 
Trianon,  les  images  toutes  nues  de  Marie -Antoinette 
et  de  la  sœur  du  Roi ,  cette  religieuse  Elisabeth  que 
vous  isavez?  C'est  impossible  jusqu'à  l'absurde,  et 
l'admettre  eût  été  verser  gratuitement  le  ridicule  sur 
l'un ,  l'opprobre  sur  les  deux  autres. 

Le  comte  de  PfafFenhofen ,  qui .  aurait  acheté  ces 
statues  sous  la  Restauration  et  les  aurait  proposées, 
le  18  janvier  1834,  à  la  cour  de  Prusse,  en  les  don- 
nant comme  œuvres  de  son  père,  le  baron  Simon- 
Georges  de  PfafF,  Bavarois  d'origine;  à  ce  que  je 
présume,  se  serait  adressé  d'abord  au  comte  de  Brûbl, 

• 

intendant  général  des  musées  royaux,  et  voyant  sa 
demande  ajournée,  aurait  sollicité  l'intervention  delà 


Lvrii 

princesse  douairière  de  la  Tour  et  Taxis,  belle-sœur  du 
Roi,  qui  aurait  fait  effectuer  l'acquisition  dans  les  der- 
niers mois  de  1839.  Pure  charité,  disait-on,  pour  un 
vieillard  tombé  dans  Tindigence  après  avoir  joui  d'une 
grande  fortune. 

Les  marbres  furent  sur-le-champ  placés  au  Jardin 
Nouveau. 

Ce  PfafFenhofen  serait  évidemment  le  malheureux 
qui  prétendait  avoir  avancé  des  trésors  à  l'émigration, 
et  dont  les  réclamations  contre  Louis  XVIIÏ  firent  tant 
de  scandale  en  Angleterre  comme  en  France,  au  retour 
do  ce  prince,  et  furent  repoussées.  Remarquez  que, 
demeurant  auprès  de  Vienne ,  il  se  garda  de  proposer 
les  fameuses  statues  à  la  cour  d'Autriche ,  et  les  offrit 
à  celle  de  Prusse ,  dont  il  espérait  trouver  les  yeux 
moins  ouverts  et  la  cassette  plus  facile. 

En  toutes  ces  assertions  de  Pfaffenhofen ,  qu'y  avait- 
il  de  vrai  ? 

La  ressemblance  répondait-elle  aux  attributions? 

Ces  marbres  étaient-ils  le  fruit  d'une  vengeance? 

Ou  n'était-ce  qu'une  de  ces  profanations  d'artiste 
subalterne  mettant  sur  un  corps  indécent  des  têtes 
connues,  pour  mieux  vendre  son  œuvre?  Ainsi,  Fouc- 
quet,  dans  une  pensée  d'outrecuidant  espoir,  avait  fait 
peindre  madame  de  laVallière,  à  l'insu  de  cette  jeune 
femme.  Ainsi  le  fat  Villarceaux  avait  fait  subrepti- 
cement représenter  nue  madame  Scarron.  De  nos  jours 
même,  l'exemple  n'est  pas  rare. 

Enfin,  les  inscriptions  qu'elles  portent,  et  dont  nous 


LIX 


parlerons  tout  à  rheure,  ont-elles  été  mises  après  coup, 
pour  leur  donner  de  Tintérét  et  faire  croire  a  la  lé^^ende 
de  leur  présence  à  Trianon? 

Ce  sont  autant  de  points,  la  ressemblance  exceptée, 
sur  lesquels  le  défaut  de  documents  ]>récis  ne  permet 
pas  de  répondre  caté{>[oriquemcnt. 

Et  d'abord,  les  figures  sont-elles  ressemblantes,  ou 
sont-ce,  comme  le  déclare  M.  Preuss,  de  ces  figures 
banales,  de  ces  Vénus  en  l'air,  qui  se  ressemblent 
comme  deux  sœurs,  ou  plutôt  qui  ressemblent  à  tout 
sans  ressembler  à  rien?  Non;  ici  pas  d'équivoque. 
M.  l'historiographe  me  pardonnera  de  lui  objecter  qu'il 
a  vu  trop  vite,  et  qu'il  en  veut  trop,  au  point  de  vue 
de  l'art,  à  ces  malencontreuses  statues. 

Je  passerai,  si  l'on  veut,  condamnation  sur  la  Vénus 
aux  colombes,  qui  rend  mal  la  figure  de  Madame  Eli- 
sabeth ,  moins  connue  et  moins  facile  à  saisir  avec  jus- 
tesse; mais  la  Vénus  sortant  du  bain  est  bien  Marie- 
Antoinette.  Ce  n'est  pas  une  rencontre  fortuite,  un 
(aux  air,  comme  on  dit,  de  traits  analogues,  c'est  un 
vrai  portrait,  une  étude  faite  à  dessein.  En  un  mot, 
c'est  le  buste  de  Pajou,  sculpté  d'après  nature  en  1 773, 
et  dont  il  avait  couru  des  plâtres,  comme  il  s'en  répand 
de  presque  tous  les  marbres  (1).  Mais  soyons  de  bonne 
foi,  est-ce  que  le  fait  était  douteux  en  Allemagne  avant 
la  polémique  qui  s'est  ouverte?  Trois  fois  j'ai  visité  la 


(1)   Aii{rii8tin  Pajou,  né  en  1730,  mort  en  1809,  est  atidsi  l'auteur 
è!wk  cbarmant  buste  de  madame  Du  Barry. 


LX. 


Prusse  ;^trois  fois  j'ai  fait  le  pèlerinage  de  Potsdam  ;  la 
première  dans  la  compagnie  du  ministre  des  Affaires 
Étrangères,  le  général  de  Radowitz;  la  seconde  dans 
celle  de  Tami  de  Goethe  eV<l 'Alexandre  de  Humboldt, 
Varnhagen  de  Ense,  avec  lesquels  j'étais  depuis  long- 
temps en  rapports  historiques  et  paléographiques.  En 
leur  compagnie,  j'ai  parcouru  ce  fameux  Palais  de 
Marbre,  bâti  par  Frédéric-Guillaume  II  pour  les  plaisirs 
permis  et  ceux  qui  ne  le  sont  pas,  et  j'y  ai  vu  les  deux 
statues  dans  le  complet  déshabillé  de  l'Olympe  en  belle 
humeur;  toutes  deux  pprtant,  au  front  du  socle,  une 
inscription  en  grands  caractères  de  bronze  doré,  in- 
crustés dans  le  marbre  et  appelant  le  regard  : 

MAR.  ANT.  GALLIARUM  REG. 

La  troisième  fois ,  dans  la  société  de  l'ambassade  en- 
tière de  France,  j'ai  visité  le  même  Palais  de  Marbre,  et 
j'y  ai  retrouvé  les  mêmes  statues;  et  cette  fois,  comme 
la  seconde,  comme  la  première,  une  femme,  une  sorte 
d'House  Keeper  de  musée  se^cret,  avait  conduit  toute  la 
compagnie,  en  disanX  :  «  Je  vais  vous  faire  voir  la  statue 
de  Marie-Antoinette,  Reine  de  France.  »  Quelques  jours 
auparavant,  un  pair  d'Angleterre  était  entré  au  même 
Palais ,  avait  reçu  la  même  insinuation ,  avait  'vu  les 
mêmes  statues;  et  le  baron  de  Hqmboldt  lui-même,  le 
chambellan  de  Sans-Souci,  faisant  les  honneurs  de 
Potsdam  au  traducteur  de  son  Cosmos,  M.  de  Galusky, 
couronné  par  l'Académie  française,  le  menait  devant 


LXT 

les  statues,  et  lui  montrant  la  Vénus  sortant  du  bain , 
lui  disait  :  «Voici  Marie-Antoinette.  »  En  un  mot  comme 
en  cent,  l'attribution  n'était  pas  i^ne  équivoque,  mais 
un  fait  indisputable,  traditionnel,  public,  consacré. 
Pas  un  visiteur  a  qui  la  même  invitation  ne  fût  faite  et 
qui  ne  fiii  appelé  à  jouir  du  spectacle  d'une  Reine  nue. 
Et  de  tout  cela  faut-il  une  preuve  plus  explicite ,  plus 
concluante  encore?  Ouvrez  le  Guide  illustré  de  Poisdam, 
imprimé  à  Berlin  par  W.  Btixcnstein,  pour  le  libraire- 
éditeur  Albert  Goldschmidt  (1);  ouvrez  ce  guide  h  la 
page  21,  et  vous  lirez  à  l'article  du  Palais  de  Marbre, 
ou  Nouveau  Jardin  : 

ê 

«  Salon  blanc.  Cheminée  de  marbre  de  Carrare ,  de 
bronze  et  en  mosaïque,  représentant  le  temple  de 
Tivoli  et  des  ruines  de  Rome;  vases  noirs  ornés  de 
dessins  étrusques;  table  de  marbre,  sur  laquelle  est 
placée  la  statuette  de 

MARIE-ANTOINETTE, 

sous  la  figure  de  Vénus  soiiant  du  bain ,  tordant  sa 
chevelure  et  s' essuyant  de  sa  robe.  » 

Et  plus  bas,  même  page  :  «  Salon  jaune.  Tapisseries' 
de  soie  jaune;  cheminée  d'acier  poli,  horloge  astrono* 
mique,  dessus  de  table  d'agate,  sur  laquelle  il  y  a  une' 
charmante  statuette  de 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE, 

sous  la  forme  de  Vénus,  jouant  avec  T  Amour.  » 

(1)  Grieben,  Bibliothèque  des  voyageurs  y  ii**  il*. 


LXIl 

Toujours,  toujours  Marie-Antoinette 'en  Vénus.  Est- 
ce  assez  clair?  Et  notez,  en  passant,  que  c'est  ici  encore 
une  troisième  statue. 

Or,  ce  {juide  n'est  pas  une  brochure  occulte  et 
subreptice,  c'est  un  livret  officiel,  autorisé,  «  privile- 
girten,  »  comme  on  dit,  qui  se  vend  partout  à  Potsdam, 
aux  portes  des  palais ,  sur  la  voie  publique ,  aux  gares 
des  chemins  de  fer,  et  qui,  en  1863,  en  était  à  sa  dix^ 
septième  édition. 

Après  une  telle  démonstration,  continuera-t-on  à 
disputer  encore  sur  ce  que  j'ai  avancé,  toutefois  bien 
entendu  le  grand  Frédéric  mis  hors  de  cause?  A  quoi 
bon  m'attaquer  solennellement,  en  des  manifestes  qui 
n'ont  fait  que  me  fournir  des  armes,  m'imposer  l'obli- 
gation, et  comme  Français  et  comme  historien  qui  a 
consacré  sa  vie  et  sa  fortune  à  tout  ce  qui  se  rattache 
à  l'histoire,  de  me  défendre  et  d'enfoncer  plus  avant 
le  clou?  Pour  un  peu  ce  fût  devenu  affaire  interna- 
tionale. N'eùt-il  pas  été  préférable  de  me  communi- 
quer, avec  la  courtoisie  qui  va  si  bien  à  M.  Preuss  et 
qui  lui  est  si  naturelle,  une  note  particulière  sur 
laquelle  je  me  serais  plu  avec  empressement  à  faire 
ici ,  dans  ce  troisième  volume ,  toutes  les  rectifications 
et  réparations  possibles  à  l'endroit  du  grand  Frédéric? 
Ce  que  je  cherche  est  ce  qu'il  faut  chercher  avant  tout, 
la  vérité.  Continuera-t-on  maintenant  à  se  réfugier  der- 
rière une  équivoque  épigrapliique  d'écolier,  en  répétant 
que  le  nom  de  la  Reine,  inscrit  de  face  sur  la  base  du 
marbre,  n'a  pas  traita  l'objet  même  de  la  statue,  mais 


LXIll 


à  sa  destination  ;  que  c'est  un  datif,  une  dédicace,  et 
que  les  lettres  abrégées  signifient  : 

MARIiE    ANTONIiE   OALLIARUM    RKOINiE , 

et  non  Maria  Antonia  GalUarian  Regina  ;  que  ce  sont, 
en  un  mot,  des  Vénus  banales  offertes 

A     MARIE -ANTOINETTE? 

(c  Ëntendez-vous  le  latin?  »  me  dit-on,  comme  Sga- 
narelle  à  Géronte.  —  «En  aucune  façon,  »  avons-nous 
répondu  ainsi  que  le  bonhomme  :  l'auteur  des  C«î/- 
series  d'un  Curieux  en  étant  resté  aux  prémisses  du 
rudiment. 

Soudain  alors  on  partit  en  démonstrations  latines, 
et  Ton  dit  :  «  Encore  une  fois  ce  ne  sont  point  deux 
portraits,  c'est  tout  simplement  un  présent  qu'on  vou- 
lait faire  à  Marie-Antoinette.  MAiiiiE  antonia  galuauim 
REGINE.  Le  datif  est  ici  souverain.  Ces  grosses  lettres 
placées  au  front  du  socle,  comme  cela  se  pratique 
souvent  dans  les  dédicaces  adressées  à  de  grands  per- 
sonnages,  ont  fait  tout  le  mai.  Voyez  plutôt  :  sur  le 
côté,  se  lit  en  caractères  microscopiques  : 

Sculp  :  ac.  obt  :  S  :  G  :  J  :  Hb  :  bar  :  A.  Pfaff , 

et  tout  derrière , 

1775. 

Faites  le  tour  de  la  base,  assemblez  tout  cela,  et  vous 
aurez  : 

MARI.C   ANTONIiE   GALLIARUM   REGIME 

ScuipsU  ac  obtuUt  S.  G.  J.  liber  baro  à  P/a/f,  1775. 


LXIV 


C'est-à-dire,  en  passant  par-dessus  la  construction 
forcée  et  antigrammaticale  :  «  Sculpté  par  le  libre  baron 
(lo  Pfaff  et  présenté  à  Marie-Antoinette ,  Reine  de 
France,  en  1775.  » 

Voilà,  — je  n'invente  rien,  — c'est  le  grand  raison- 
nement des  adversaires;  c'est  leur  épée  de  chevet  pour 
prouver  qu'il  n'y  avait  point  là  de  statue  de  Marie- 
Antoinette!  O  Molière!  ô  Beaumarchais! 

Or,  moi  qui  n'entends  nullement  malice,  je  me 
disais,  comme  dans  le  Barbier  de  SéviUe':  «  Qui  trompe- 
t-on  ici?  »  Ces  inscriptions,  communes  aux  deux  statues, 
avaient  eu  pour  objet,  comme  je  le  présumais  tout  à 
l'heure,  d'en  rehausser  l'intérêt  et  la  valeur  pour  la 
vente.  Eh!  mon  Dieu!  dédicaces  o  uattributions,  c'est 
tout  un  ;  car  enfin ,  oui  ou  non,  n'ai-je  pas  démontré  que 
l'une  des  figures  était  donnée  pour  celle  de  Marie-Antoi- 
nette et  l'était  en  effet?  Eh  bien  !  la  profanation  est 
dans  l'effigie  tentée,  la  profanation  est  dans  la  res7 
semblance,  la  profanation  est  dans  l'expositioil  de  la 
Reine  au  pilori  public  dans  un  palais  de  la  Couronne. 
Retournez  un  instant  la  question ,  —  et  rien  que  d'y 
penser  j'en  ai  horreur  :  —  Que  si  un  artiste  de  mauvais 
goût  eût  sculpté  en  France  une  pareille  figure  de  l'ado- 
rable Reine  de  Prusse  que  j'ai  évoquée  et  de  qui  per- 
sonne ne  saurait  parler  qu'avec  respect;  que  s'il  l'eût 
livrée  sans  voiles  aux  regards  de  tous  dans  un  de  nos 
palais  impériaux  et  se  fiit  excusé  en  disant  :  «  Ce  n'est 
point  une  attribution,  c'est  une  dédicace,  »  je  sais 
bien  ce  qu'eût  fait  la  France  :  elle  eût  sur-le-champ 


LXV 


brisé  l'œuvre;  mais  si,  par  impossible,  on  Teùt  main- 
tenue, qu'aurait  dit  la  Prusse  justement  indignée?  Est- 
ce  que  le  sentiment  français,  blessé  dans  une  des  plus 
intéressantes  figures  de  l'histoire  de  France,  n'avait 
pas  le  droit  de  s'étonner  aussi  et  de  protester  avec 
chaleur?  Vous  exonérez  la  responsabilité  du  grand 
Frédéric  ;  à  la  bonne  heure  ;  mais  sur  qui  donc  la  faites- 
vous  retomber? 

«  Ah  !  si  le  Roi  le  savait!  »  s'écriaient  tous  les  Fran- 
çais à  la  vue  de  cette  profanation  si  longtemps  obsti- 
née. Eh  bien  !  le  plus  honnête  homme  de  son  royaume , 
l'auguste  souverain  sous  qui  repose  la  Prusse ,  le  ma- 
gnanime Guillaume  V\  a  été  plus  droit  et  plus  juste  que 
nos  imprudents  adversaires  :  —  dés  le  premier  moment 
qu'il  a  su  l'existence  des  statues,  dès  qu'il  en  a  connu 
la  nature ,  il  ne  s'est  pas  petitement  arrêté  à  de  vaines 
subtilités  de  gra'mmaire  et  d'épigraphie,  il  a  vu  de  haut 
une  question  de  décence  publique  :  il  se  fût  révolté  à 
l'idée  de  subterfuges  et  d'échappatoires  ;  il  a  compris  que 
tous  les  souverains  sont  solidaires  entre  eux  du  passé 
comme  du  présent,  et,  dans  l'exquise  délicatesse  de 
ses  sentiments  royaux.  Sa  Majesté  a  ordonné  que  les 
statues  équivoques  fussent  enlevées.  Elles  ont  disparu. 
Vive  le  Roi! 


TOME    III. 


LOUIS  XVI 


MARIE-ANTOINETTE 


ET 


MADAME    ELISABETH. 


LOUIS  XVI 


MARIE-ANTOINETTE 


KT 


MADAME    ELISABETH 


CCCLXXXVFII 

LE  DAUPHIN,   DEPUIS   LOUIS   XVJ,    A    L'ARCIIIDUCIIRSSK 

MARIE-ANTOIINKTTE    1). 

Envoi  (le  Min  |iortrait,  en  rjiiiilité  de  Haiiré. 

[2  avril  1770.) 

Maduino  ma  Sœur  et  Cousine,  je  reçois  une  marque 
bien  loucliante  de  l'estime  (|ue  Tlmpëratrice,  madame 
ma  Sœur  et  Cousine,  fait  paroître  de  moi,  en  vous 
accordant  ii  mes  vœux  vX  à  ceux  du  lloi,  mon  seiyneur 
et  grand-père.  Le  consentement  que  vous  voulez  l)ien 
donner  à  une  union  qui  met  l(*  comble  à  mon  bonheur, 
loe  cause  la  plus  sensible  joie  et  me  pénètre  de  recon- 


[l)  Archives  tlu  Miiiiitèrerliî.s  \ff;ni«'H  «uraugères  de  Eraucc.  Miinil*?. 

TOME    III.  1 


±  LOUIS   DAUPHIN. 

uoissance.  J'attcndois  avec  la  plus  vive  impatience 
qu'il  me  fût  permis  de  vous  en  assurer.  J'ai  chargé  le 
sieur  marquis  de  Durfort,  ambassadeur  extraordinaire 
et  ministre  plénipotentiaire  du  Roi,  de  vous  présenter 
mon  portrait.  Je  vous  prie  de  le  recevoir  comme  un 
gage  des  sentiments  qui  sont  gravés  dans  mon  cœur 
pour  vous  et  qui  dureront  autant  que  ma  vie.  Je  suis, 
Madame  ma  Sœur  et  Cousine, 

Vôtre  affectionné  Frère  et  Cousin , 

Louis-Auguste. 

A  Versailles,  le  2  avril  1770. 


O  fut  le  1(>  avril  que  rainbassiideur  de  France,  comte  de 
Durfort,  depuis  duc  de  Civrac,  fit  ofRciellcment  la  demande 
en  mariage  de  rarchiduchesse  Marie-Antoinette.  La  renon- 
rtatîon  solennelle  à  sa  succession  héréditaire  tant  paternelle 
que  iriaternelle,  qui  allait  la  séparer  de  la  maison  d'Autriche 
pour  la  lier  irrévocablement  à  la  France,  fut  signée  le  len- 
demain. Le  19,  elle  fut  épousée,  par  procuration,  au  nom 
du  Dauphin,  dans  le  couvent  des  Augustins  de  Vienne,  par 
Tarchiduc  Ferdinand.  Le  21,  à  neuf  heures  un  quart  du 
matin,  elle  avait  quitté  Vienne  pour  se  rendre  eu  France. 


i;impi:ratrigf  m arik-tiiékése.  3 


CCCLXXXFX 

L'IMPÉRATRICE  MARIE-THÉRÈSE  AU  DAUPHIN, 

Al-     MOMEKT    Dr    DKPAHT    DE    MARIK-AKTOISETTE    POUR    LA    FRANCE  (1). 

Cuii.sc'iis  iiiateriicis. 

Vienne,  le  21  avril  1770. 

Votre  cîj)oiise,  mon  cher  Duuphiu,  vient  de  se  sépa- 
rer de  moi.  Gomme  elliî  iaisoit  mes  délices,  j*espère 
<(u'elle  fera  votre  honlienr.  Je  l'ai  élevée  en  consé- 
«juence,  parce  que,  depuis  longtemps,  je  prévoyois 
<|u'el]e  dcîvoit  j)artager  vos  destinées.  Je  lui  ai  inspiré 
l'amour  de  ses  devoirs,  envers  vous  un  tendre  attache- 
ment, l'attention  à  imaginer  et  à  niicttre  en  pratique 
les  moyens  de  vous  j)laire.  Je  lui  ai  toujours  recom- 
mandé avec  beaucoup  de  soin  un(î  tendre  dévotion 
(învers  le  Maître  des  Rois,  persuadée  qu'on  fait  mal  le 
l)onheur  des  peuples  qui  nous  sont  confiés,  quand  on 
manque  envers  Celui  qui  brise  les  .s('e|)tres  et  renverse 
les  trônes  comme  il  lui  plait. 

Aimez  donc  vos  devoirs  envers  Dieu.  Je  vous  le 
dis,  muon  clier  Dauphin ,  et  je  le  dis  à  ma  fille  :  Aimez 
le  bien  des  peuples  sur  lesquels  vous  régnerez  toujours 
trop  tôt.  Aimez  le  Roi  votre  aïeul,  inspirez  ou  re- 
nouvelez cet  attachement  à  ma  famille.  Sovez  bon 
<*omme  lui.  Rendez-vous  accessible  aux  malheureux.  Il 


(1)  Mémoires  de  Wcl>er,  frrrc  do.  lait  i\c  Marie- Antoinette. 

J. 


4  I^OUIS   XVI. 

est  iiD])ossible  qu'en  vous  conduisant  ainsi ,  vous 
n'ayez  le  bonheur  en  partaye.  Ma  fille  vous  aimera, 
j'eu  suis  siirc,  parce  que  je  la  connois;  mais  plus  je 
vous  réponds  de  son  amour  et  de  ses  soins,  plus  je 
vous  demande  de  lui  vouer  le  plus  tendre  attachement. 
Adieu ,  mon  cher  Dauphin ,  soyez  heureux.  Je  suis 
baiyncîe  de  larmes. 

M\Hn:-TKUKSK. 


cccxc 


»  % 


LOUIS   XVI    A   MMPEHATKICK  MAIUK-TIIKHKSK 

DArTIUCHE  (1). 

Le  jeiiiK*  Hoi  iiotiHc  son  .ivéïioiiu'iil. 

[A  la  Miu'ttc,  5  juin  1774.] 

Madame  ma  Sœur,  Cousine  et  Helle-Mère,  je  recou- 
nois  bien  Tamitié  que  Votre  Majesté  avoit  pour  le  Roi 
mon  aïeul,  par  la  part  qu'elle  a  prise  au  funeste  événe- 
ment qui  vient  de  nous  l'enlever.  J'espère  qu'elle  me 
conservera  toujoiu's  la  même  amitié  qu'elle  m'a  témoi- 
gnée. Je  ferai  toujours  mon  possible  ])our  la  mériter. 
Les  liens  du  saii{j  ipii  m'unissent  avec  elle,  et  qui  me 
sont  si  chers,  me  la  rendent  bien  [)récieuse.  Je  prie» 
Votre  Majesté  de  me  dispenser  de   l'éticjuette  en  lui 


'!)    Aiito(jiM|>Iic  (Jt'>|)(><»ô  \\  la  niiilioilit'qiie  im|KViale  do  Viciinr.  ('.\'sf 
Mil  rlicl'-d'œuvn'  «Je  I.t  c:i1ii{>r.i|»liic  de  Louis  XVI. 


MAlUE-ANTOir^ETTE.  5 

écrivant  à  raveiiir,  et  de  me  dire?,  Madairif^  ma  Sœur 
f^l  l{('Ile-Mère, 

De  Votre  Majesté, 

Bon  Frèie,  Cousin  et  (Jeudre, 

Loi'fs. 
A  la  Muette,  ce  5  juin  111  A. 


CCCXCI 

M  A  HIE- ANTOINETTE  : 

4    M.\  COrSINK  MADA3UK   LA   1)I'CUE88K   DOUAIRIKRK  OR   LA  THIUOl'Il.I.h  (1.. 

ProiiicsMî  «11*  s'inlcressiM'  auprès  du  lloi  à  la  (leiiiaiulo  qirrlle  lui  a  l.iilr 

du  rnrdiui  Ideu  eu  fn%'(Mir  de  nnn  fïU. 

^  Juillet  1774. 

Je  ne  puis  vous  expliquer,  Madame,  par  cpiel  acci- 
dent ma  réponse  vous  parvient  si  tard.  J(î  serois  l)ien 
lach('»e  que  <vous  puissiez  soupçonner  oubli  ou  défaut 
d'intérêt  :  le  nom  de  La  Trimouille  ne  doit  éprouver 
iii  Tuu  ni  l'autre.  Je  profiterai  de  toutes  les  circon- 
stances pour  rappeler  au  Roi  les  intérêts  de  M.  votre 
fils,  et  je  serai  bien  charmée  de  pouvoir  vous  prouver 
les  sentiments  que  j*ai  pour  vous. 

A.NTOLNETTK. 

.riii  recherché  dans  les  lislcs  de  TOrdre,  et  n'y  ai  pas 
trouvé,  sous  le  ^'(jne  de  Louis  XVI,  le  nom  de  M.  de  J.a 
Triiiioiiille.  Il  parait  que  les  sollicitations  de  sa  mère  n'ont 
pas  eu  de  suite. 


(1)   De  rrnui  cabinet. 


6  LOUIS   XVI. 

CCCXCII 

LOUIS  XVI   AU  GARDK  DKS    SCEAUX 
HUE  DE  MlROMESiNIL  (1). 

Dis|»osilioii>  à  prendro  jïonr  l'iimt;illation  des  l*.irleinêntj». 

Versailles,  6  déeembre  1774. 

Je  vous  renvoie,  Monsieur,  le  procès-verbal  du  par- 
lement (le  Douai.  Je  suis  très-content  de  la  manière 
dont  M.  de  Gastries  a  parle  et  comme  tout  s*est  passé. 
Vous  me  l'enverrez  quand  il  sera  imprimé,  aussi  bien 
que  celui  de  Kouen  et  celui  de  Paris,  que  j'ai  oublié  de 
vous  demander,  et  en  général  tout  ce  qui  paroitra  sur 
ces  matières-là.  Pour  ce  qui  est  de  l'invitation  de  mes 
Frères,  je  reçois  dans  le  moment  votre  seconde  lettre. 
J'avois  voulu  avoir  votre  avis  hier  au  soir,  avant  que  de 
voir  mes  Frères  :  il  s'est  trouvé  conforme  à  ma  façon  de 
penser.  Ainsi,  je  leur  ai  dit  que  je  leur  permettrois  d'y 
aller,  car  ce  dont  j'aurois  peur,  c'est  que  Monsieur  n*y 
mît  un  peu  trop  de  chaleur  pour  mes  intérêts  mêmes  ; 
mais  je  le  rc verrai  avant  et  lui  expliquerai  ce  dont  je 
crois  qu'on  parlera.  Je  crois  que  ces  messieurs  seront 
attrapés,  étant  accoutumés  à  avoir  une  grande  partie 
des  pairs  pour  eux,  et  je  pense  qu'ils  en  auront  fort 
peu.  Vous  pouvez  partir  pour  Paris  quand  il  vous 
plaira;  il  n'y  avoit  que  faire  de  recevoir  l'avis  de 
M.  de  Maurepas  hier  :  vous  le  verrez  aujoiud'hui  et 
vous   ne  conviendrez   de  rien   davantage ,   parce   que 

(1)   Collcrtidii  (In  roîuîo  d'Aiiffiiy. 


LOUIS  XVI.  7 

nous   ne  faisons  que  suivre  le  plan  de  marche  dont 

nous  étions   convenus   depuis   le  commencement.    Si 

vous  savez  quelques  nouvelles,  vous  me  les  manderez. 

J'ai  été  content  de  la  façon  de  parler  de  M.  de  Viarmes, 

j'espère  qu'il  y  fera  bien.  La  Reine  m'a  demandé  si 

vous  m'aviez  parlé  du  mémoire  d'im  galérien,  qu'elles 

vous  a  donné.  Je  vous  envoie  un  autre  mémoire,  dont 

vous  me  rendrez  compte,  qu'il  y  a  très-Ion çtemps  que 

j'ai  oublié. 

Louis. 


CCCXGIII 

LOUIS  XVI  AU  GARDE  DES  SCEAUX, 
HUE  DE  MIROMESNIL  (1). 

Instructions  de  détail.  —  Lettres  de  l'ermite  Jean.  —  Mémoire  du 
Conseil  d'Etat.  —  Réponso  à  faire  aux  remontrances  du  {^rand 
Conseil. 

Versailles,  le  (>  janvier  1775. 

Je  vous  renvoie,  Monsieur,  la  lettre  de  l'hermitc 
"•Jean,  et  l'autre  adressée  à  vous.  Je  pense  de  même  que 
^ous  sur  la  première.  Pour  la  seconde,  ce  n'est  qu'un 
ibtras  de  bêtises,  et  il  faut  toujours  aller,  comme  vous 
Jites  bien.  Je  vous  renvoie  aUvSsi  le  mémoire  des  Cou- 
ailiers  d'État,  et  l'arrêt  du  Conseil  y  joint.  Le  mémoire 
est  bien  fait,  et  je  crois  y  reconnoître  la  plume  de 
^.  Joly  de  Fleury.  J'ai  fait  aussi  des  observations  sur 


(1)   (îette   lettre  auto(;raplie  faisait  partie  du  cahiuot  du  comte  de 
^«'sralopier,  fpii  la  tenait  du  comte  d'Auffay. 


8  MARIE-ANTOIJNETTK. 

les  remontrunces,  et  je  vous  écouterai  dimanche  matin, 
comme  M.  de  Maurepas  a  dû  vous  le  dire.  Mais  j'ai 
oublié  de  vous  parler  des  remontrances  du  Grand  Con- 
seil, auquel  je  n'ai  pas  répondu  encore.  Il  faut  s'en  occu- 
per aussi. 

Louis. 


CCCXCIV 

MAIUK- ANTOINETTE  A  SON  FRÈUE  I/EMPERECR  JOSEPH  II, 

ROI   DES   ROMAINS  (1). 

Elli>  ré|M)n(l  à  ilos  i*cpr()i'lie:$  funtlén  sur  des  cailleta{;cji  et  des  cliaiiftoiis. 
—  Libellas  de  fripons.  —  Pn)|»os  d'ctoiiitlis. 

Choisy,  8  octobre  1775. 

Laissez-moi  vous  din^,  mon  cher  Frère,  que  vous  êtes 
bien  cruel  avec  vos  lettres  de  reproches  ;  elles  me  cau- 
sent trop  de  cha{;rin  au  milieu  de  toutes  les  difficultés 
qui  m'entourent.  Avant  de  quitter  ce  château  pour 
vousétablir  à  Fontainebleau  avec  toute  la  famille  royale, 
y  compris  Monsieur  et  Madame,  de  retour  de  leur  voyage 
du  mariage  de  Madame  Glotilde,  je  veux  causer  avec 
vous  une  bonne  fois  sur  cela.  — Il  faut  être  loin  comme 
vous  l'êtes  pour  vous  arrêter  un  instant  à  des  propos 
tels  que  ceux  dont  vous  me  parlez.  Quel  crédit,  mon 
Dieii,  accorder  à  des  chansons?  Ici,  tout  se  chante; 
et  si  on  se  préoc*cupoit  de  pareilles  sottises,  ce  seroit 
prendre  au  s^^rieux  ce  dont  les  auteurs  eux-mêmes  ne 

(i.)  Gabier  de  b'ilres  de  IWivbicbiebess»*  Reine  de  France. 


\'.iR!E-ANTÛiNE'Th  A  LA  DUCHESSE  DOUAIRIÈRE  DELA  TREMOUILLE 


f 


fi€    ^CK-J        t/PtX^      C7i/7/iCJH  €t-,      ^y^^T^ct  t/9. 


V 


e 


C^C4^    %/^^4^    yX^^^;)^<e^     jTé^'^i^  ccitC€^     04^4/^4. 


/ 


^  ^  a^C     ^^€4ê^    t/^t,€j 


'Tif  9  tc'it  ^^5&^ 


♦  i^:' 


4 


4^ 


^.- 


MAHIE-AiNTOlISETTE.  9 

se  soucient  guère  et  dont  ils  ne  se  souviennent  même 
plus  le  lendemain  ,  on  ne  vivroit  pas.  Il  y  a  des  choses 
plus  graves  que  cela  :  —  L'année  dernière,  le  Roi  et 
moi  nous  avons  été  mis  sur  la  voie  d^abominables  libelles 
préparés  contre  moi,  et  encore  mouillés  de  la  presse. 
On  a  découvert  que  c'étoit  une  spéculation  de  fripon 
4]ui  nous  donnoit  à  nous-mêmes  ce  dont  il  étoit  Fauteur. 
La  chose  qui  me  frappe  le  plus,  c'est  Tobstination  de 
certaines  gens  à  me  représenter  comme  une  étrangère, 
toujours  préoccupée  de  sa  patrie  et  Françoise  à  contre- 
cœur;  c'est  indigne.    Toutes    mes    actions    prouvent 
que  je  fais  mon  devoir,  et  que  mon  devoir  est  mon 
plaisir.  C'est  égal,  les  mauvais  propos  courent,  et  les 
choses  les  plus  simples  deviennent  de  gros  péchés.  — 
L'autre  jour,  n'y  a-t-il  pas  un  insensé  qui  m'a  fait  de- 
mander pour  lui  et  une  dame  la  jiermission  de  visiter 
mon  petit  Vienne!  Il  appeloit  ainsi  mon  Trianon,  ce  qui 
m'a  fait  découvrir  que  j'avois  contre  moi  une  coterie 
dont  la  malveillance   accréditoit   le  bruit  que  j'avois 
ainsi  débaptisé  le  présent  que  m'a   fait  le  Roi.   Des 
escrocs  et  des  intrigants  tournent  autour  des  avenues 
(lu  château  :  pouvons-nous  être  responsables  de  leurs 
menées?  L'indignation  du  Roi,  quand  il  apprend  des 
choses  de  cette  nature  par  les  ministres  et  par  le  lieu- 
tenant de  police,  dépasse  la  mienne;  mais  la  plupart 
du  temps,  comment  y  remédier?  En  faire  du  bruit  se- 
roit  ajouter  au  scandale.  —  Soyez  de  loin,  mon  cher 
Frère,  aussi  indulgent  et  juste  que  le  Roi  est  bon  pour 
moi.  Son  estime  est  ma  protection.  Mais  enfin,  quelque 
chose  que  vous  ayez  à  m'écrire,  écrivez  toujours,  j'aime 
mieux  des  reproches  que  le  silence.  J'ai  besoin  de  bons 


10  LOUIS  xvr. 

conseils  et  d'avis  :  ne  me  les  ménagez  pas,  car  je  sais 
qu'après  tout  ils  partent  de  votre  amitié  et  tendresse. 
Je  vous  embrasse,  quoique  vous  m'ayez  Fait  bien  pleurer. 


cccxcv 

LOUIS  XVI  A   HURSOX,  ANCIEN  INTEiNDANT  DE  LA 

MARINE  A  TOULON  (1). 

Fontainebleau,  6  novembre  1776. 

Mons  Hurson,  j'ai  jugé  du  bien  de  mon  service  de 
faire  des  changements  dans  l'administration  et  la  régie 
de  mes  ports  et  arsenaux  de  marine,  et  j'ai  expliqué  mes 
intentions  dans  mon  ordonnance  du  27  septembre  der- 
nier. Le  nouveau  régime  que  j'y  prescris  donnant  aux 
officiers  de  mes  vaisseaux  la  direction  des  travaux, 
mouvements  et  opérations  mécaniques  des  poils  et  ar- 
senaux de  marine,  fonction  qui  a  été  jusqu'à  présent 
remplie  par  les  officiers  de  l'administration  de  la  ma- 
rine, j'ai  jugé  devoir  supprimer  le  corps  de  ces  der- 
niers officiers,  et  les  écrivains  de  la  marine  et  des 
classes,  et  de  créer  des  commissaires  généraux  et  ordi- 
naires, contrôleurs  garde-magasins  des  ports  et  arse- 
naux, et  des  commissaires  et  des  syndics  des  classes  aux 
fonctions  qui  leiir  sont  attribuées  par  madite  ordon- 
nance. Mes  volontés  sont  expliquées  dans  mes  trois 
ordonnances  de  la  même  date  du  27  septembre. 

(1)  Archives  iln  MiniHlèro  tlo  l:i  Marine. 


LOUIS  XVI.  n 

L'établissement  du  nouvel  ordre  de  service  prescrit 
par  mesdites  ordonnances  pouvant,  dans  les  circon- 
stances présentes,  rencontrer  quelques  difficultés,  j'ai 
ju{jé  à  propos  de  vous  en  confier  l'exécution,  et,  per- 
suadé que  vous  y  apporterez  le  zèle  et  les  lumières  dont 
vous  avez  donné  des  preuves  dans  les  emplois  impor- 
tants de  l'administration  des  colonies  et  de  la  marine 
dont  vous  avez  été  précédemment  chargé,  je  vous  fais 
cette  lettre  pour  vous  dire  que  mon  intention  est  que 
vous  vous  rendiez  successivement  dans  mes  trois  ports 
de  Brest,  Rochefort  et  Toulon,  en  passant  par  ceux  de 
Lorient  et  de  Bordeaux. 

La  première  opération  que  vous  aurez  à  faire  dans 
chacun  de  ces  ports  sera  de  réformer  les  commissaires 
{{énéraux  et  ordinaires,  contrôleurs,  sous-commissaii'es, 
élèves  commissaires  et  écrivains  de  la  marine  et  des 
classes  et  les  garde-magasins  et  sous-garde-magasins, 
en  leur  annonçant  les  pensions  que  j'ai  jugé  devoir 
accorder  à  chacun  d'eux,  proportionnément  h  l'an-* 
cienneté  de  leurs  services  et  d'après  les  états  que  j'en 
ai  arrêtés  et  qui  vous  seront  remis.  Et  cependant  si 
aucuns  desdits  officiers  avoiont  des  représentations  fon- 
dées à  faire  sur  leur  traitement  de  réforme ,  je  vous  au- 
torise à  prendre  leurs  mémoires  et  à  me  les  adresser, 
étant  disposé  à  récompenser  particulièrement  ceux  qui 
par  des  services  extraordinaires  paroîtront  susceptibles 
de  quelque  distinction. 

Vous  établirez  ensuite  dans  leurs  nouvelles  fonctions 
les  commissaires  généraux  ordinaires  et  surnuméraires 
des  ports  et  arsenaux  de  marine,  les  contrôleurs  de  la 
marine,  les  commissaires  des  classes,  et  les  garde-ma 


\'2  LOUIS   XVI. 

(;asins  que  j'ai  jugé  devoir  établir  dans  chaque  port 
conformément  à  ce  qui  est  réglé  par  mon  ordonnance  ; 
et  vous  remettrez  à  chacun  d'eux  les  commissions  ou 
brevets  que  je  leur  ai  fait  expédier. 

EnHn,  vous  procéderez  dans  chacun  de  mes  ports 
de  Brest,  Toulon  et  Rochefort,  à  l'établissement  des 
cinq  bureaux  qui  sont  désignés  dans  mon  ordonnance 
concernant  la  régie  et  administration  générale  et  par- 
ticulière des  ports  et  arsenaux  de  chacun  desquels  vous 
chargerez  un  des  nouveaux  commissaires  ordinaires, 
conformément  aux  états  que  j'en  ai  pareillement 
arrêtés.  Vous  destinerez  également  les  deux  commis- 
saires surnuméraires  que  mon  intention  est  d'employer 
au  port  de  Brest  et  le  commissaire  surnuméraire  em- 
ployé dans  chacun  des  deux  ports  de  Rochefort  et  de 
Toulon,  de  même  que  les  contrôleurs;  vous  prescrirez 
(juels  registres  chacun  desdits  commissaires  doit  tenir 
dans  son  bureau,  et  le  contrôleur  dans  celui  du  con- 
trôle, ainsi  que  le  service  que  chacun  d'eux  aura  doré- 
navant à  remplir.  Vous  réglerez  en  même  temps  le  nom- 
bre de  commis  qui  devra  être  employé  dans  chaque 
bureau,  et  les  appointements  qui  devront  être  payés  à 
chacun  desdits  commis  et  les  sommes  à  payer  pour  tous 
frais  de  chaque  bureau. 

Mon  intention  étant  que  le  nouveau  régime  que  j'ai 
ordonné  commence  au  port  de  Brest  le  1"  du  mois 
de  décembre  prochain,  j'adresse  au  sieur  comte  d'Or- 
villiers  (  1  ),  chef  d'escadre  de  mes  armées  navales,  com- 


(1)  Louis  Guilloufrt^  comte  (rOrvilliort),  HIs  il*uii  capitaine  de  freinte, 
était  garde  de  marine  le  5  avril  1728,  capitaine  de  vaisiteau  le  23  mai 
1754,  lieutenant  {jénrral  le  6  février  1777.  —  C'est   lui  qui,  raiinéc 


roris  xvf.  i:{ 

iiiaiidunt  pour  moi  audit  port,  mes  ordres  pour  qu'il 
établisse  à  cette  époque  dans  leurs  nouvelles  fonctions 
les  directeur  général,  directeurs  et  sous-directeurs  par- 
ticuliers, et  les  autres  officiers  qui  devront  être  aff^ectés 
à  chaque  détail.  Vous  vous  concerterez  avec  ledit  sieur 
comte  d'Orvilliers  pour  que  rétablissement  réciproque 
des  détails  militaires  et  des  bureaux  des  commissaires 
se  fasse  avec  l'union  et  l'harmonie  nécessaires  au  bien 
(le  mon  service. 

Dès  que  les  opérations  relatives  à  ces  établissements 
seront  terminc^es,  vous  requerrez  ledit  sieur  comman- 
dant d'assembler  le  conseil  de  marine  dans  la  fornit? 
prescrite  par  madite  ordonnance,  et  vous  y  prendrez 
si»ance  en  votre  qualité  d'intendant  de  la  marine,  vous 
donnant  dans  lesdits  trois  ports,  pendant  le  temps  que 
vous  y  resterez,  toute  l'autorité  d'intendant  et  de  eom- 
niissaire  départi  pour  l'exécution  de  mes  ordres. 

Vos  opérations  finies  au  port  de  Brest,  vous  remettrez. 

le  détail  du  port  au  commissaire  général  (jue  vous  aurez 

établi ,  et  qui  y  remplira  les  fonctions  d'ordonnateui- 

jusqu'à  l'arrivée  de  l'intendant  que  je  me  j)ropose  d'y 

Commettre,  et  vous  vous  rendrez  successivement  à  Lo- 

'ient,  à  llochefort  et  «à  Bordeaux,  et  ensuite  à  Toulon, 

iHuir  y  procéder  de  la  même  manière  que  vous  aurez 

iikii  à  Brest.  Je  vous  adresserai   alors   mes  ordres  de 

tïiéme  qu'aux  commandants  des  ports  de  llochefort  el 


H<iivante,  devait,  à  Ouc»âunt,  c)Lli{;i*r   la   Hodc  tic  rainiral    Kcppel  à 
■'C'Tilrcr  dans  se*  ]H)rtâ,  et  qui,   en   1779,   fut  chargé  di;   l'eTcécutîon 
^11  projet  de  descente  en    Angleterre.    Mallieureusenicnt ,   lu   lenteur 
«le:*  Espagnols  et  les  maladies  qui   décimèrent  les  équipagost  et  <;nle-  , 
viVcni  à  d'Orvilliers  son  fih  môme,  Hrcnt  avorter  rcntrepris'r. 


14  LOUIS     XVI. 

(le  Toulon,  pour  fixer  Tépoque  à  laquelle  le  nouvel 
ordre  de  service  devra  y  être  établi,  mon  intention 
étant  qu'il  n'y  soit  procédé  que  lorsque  vous  y  serez 
arrivé. 

Mes  volontés  étant  d'ailleurs  bien  expliquées  dans 

anesdites  ordonnances,  je  ne  juge  pas  nécessaire  de 

vous  les  détailler  davantage;  et  je  m'en  rapporte  à  ce 

([ue  votre  zèle  et  votre  expérience  vous  dicteront  pour 

l'exécution  de  mes  ordres  et  le  bien  de  mon  service. 

Et  la  présente  n'étant  à  autre  fin ,  je  prie  Dieu,  Mons 
Hurson,  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  garde. 

Écrit  à  Fontainebleau,  le  6  novembre  mil  sept  cent 
sf)ixante-seize. 

Louis. 


L'administration  do  M.  de  JJoynes  avait  bouleversé  le 
département  de  la  Marine.  Une  ordonnance  que  oe  ministre 
avait  fait  signer  à  Louis  XV,  le  18  février  1772,  avait  assi- 
milé, par  certains  côtés,  le  service  de  la  marine  à  celui  des 
armées  de  terre  et  divisé  l'armée  navale  par  régiments.  Il  y 
eut  le  régiment  de  Brest,  le  ré(fiment  de  Toulon,  le  régiment 
de  Rochefort,  et  celui  de  Marseille,  et  celui  de  Bayonne,  et 
celui  de  Saint-Malo,  et  le  régiment  de  Bordeaux ,  et  le  régi- 
ment du  Havre.  Cette  ordonuauce  avait  aussi  rendu  à  l'Ad- 
ministration, dans  les  ports,  une  importance  que  l'ordon- 
nance de  I7G5,  portée  sons  le  duc  de  Clioisenl,  avait  au 
contraire  attribuée?  aux  Officiers  de  vaisseau.  L'antajfonisme 
des  deux  corps  suscitait  des  luttes  depuis  Colbert,  et  l'ordon- 
nance de  M.  de  Boynes  n'avait  fait  que  l'envenimer.  Il  y  eut, 
sous  le  règne  nouveau,  contre  les  officiers  d'administration, 
une  réaction  très-forte  qui  commença  par  la  destitution  de 
M.  de  Boynes  et  finit  par  le  triomphe  des  idées  que  le  com- 
mandant de  la  marine  à  Brest,  le  comte  de  Ro(|uefeuil ,  avait 


LOLMS    XVI.  15 

.soiiteiiiics  sans  succès  à  rencontre  de  ce  ministre.  Roqncfeuil 
lui  avait  écrit  w  qu^en  général  son  ordonnance  avoit  fait  une 
sensation  de  peine  ».  Et,  plus  tard,  ajoutant  d'autres  oliser- 
vations  qui  déplurent,  il  disait  :  u  J'ai  assurément  de  mon 
côté  le  nombre  des  opinions  les  plus  éclairées  du  corps.  Mais 
nous  ne  pouvons  en  appeler,  Monseig^ieur,  qu*à  votre  propre 
expérience  dans  l'avenir.  »  M.  de  Boy  nés  avait  tenu  bon  ce- 
pendant. Vint  son  successeur  M.  de  Sartines,  qui  fut  riionime 
des  ofHciers  de  vaisseau,  et  tout  changea. 

L'ordonnance  du  27  septembre  1776,  à  laquelle  Lamotte- 
Picquet  concourut,  remit  donc  les  choses  sur  l'ancien  pied, 
pour  la  constitution  du  corps  des  officiers,  et  diminua  de 
nouveau  le  rôle  de  l'administration,  —  comme  le  montrent 
les  considérants  de  l'ordonnance  : 

«  Sa  Majesté,  dil-elle,  s'étant  fait  représenter  l'ordonnance 
»  du  15  avril  1089  pour  les  arsenaux  de  marine,  celle  du 
^  25  mars  1765  et  son  ordonnance  du  8  novembre  1774  pour 
ry  régler  provisoirement  ce  qui  seroit  observé  dans  les  diffé- 
"  rentes  parties  du  service  des  ports,  et  s'étant  assurée  que  les 
^  officiel^  militaires  ont  acquis  depuis  plusieurs  années,  par 
n  la  nouvelle  forme  donnée  à  leur  éducation  militaire,  la 
"  théorie  de  l'architecture  navale  et  les  connoissances  néces- 
»  saires  pour  bien  diriger  la  construction,  le  gréement  et 
"  l'équipement  des  vaisseaux,  elle  a  reconnu  la  nécessité  de 
*  &ire  divers  changements  à  l'ancienne  constitution  de  sa 
-'  marine.    Cette  constitution,  qui  n'admettoit  les  officiers 
''  militaires  à  aucun  détail  dans  les  arsenaux,  étoit  propre 
*'  îsans  doute  aux  temps  où  elle  fut  adoptée.  Mais  Sa  Majesté 
a  jugé  qn*elle  ne  ponrroit  être  maintenue  dans  son  entier, 
^ans  renoncer  aux  avantages  qui  dévoient  résulter,  pour  la 
**    perfection  des  ouvrages  et  jxïur  l'économie,  tant  des  lumières 
**    et  des  talents  desdits  officiers  que  de  l'intérêt  qui  lie  essen- 
**    tiellement  leur  propre  gloire  au  succès  des  opérations  méca- 
**    niques  des  ports  et  à  la  conservation  des  forces  navales.  » 
Tels  furent  les  motifs  qui  inspirèrent  à  Louis  XVI  la  lettre 
^tii  précède  et  amenèrent  la  refonte  des  règlements  d'organi- 
sation de  la  marine.  Malheureusement  l'équilibre  entre  les 
^cux  services  n'avait  pas  été  suffisamment  ménagé,  et  il  en 
Résulta  des  tiraillements.   Si  le  ministère  de  M.  de  Boynes 


16  l'p:mpkrrijr  josepii  h. 

avait  lait  la  part  trop  lar(fe  à  l'adininistratioii ,  le  ré(pin(' 
nouveau  avait  poussé  trop  loin  la  réforme,  et  le  Roi  le  vit 
trop  tard  alors  cpic  les  abus  fui^îiit  manifestes.  Devenus 
administrateurs  à  la  mer,  les  ofBciers  de  vaisseau,  par  le 
désordre  qui  sMntroduisit  dans  la  comptabilité  pendant  la 
((uerre  de  1778,  ne  justifièrent  que  trop  les  prévisions  et  les 
remontrances  que  M.  Rlouin,  premier  commis  de  la  marine, 
avait,  à  trois  reprises,  tenté  d'opposer  à  la  promul(j^ation  de 
rette  ordonnance  du  27  septembre. 


CCCXCVI 

1/EMPE1\EITH  JOSEPH  II   A   MARIE-CHRISTINE  (1). 

Tendresses  de  famille.  —  Il  visite  les  ports,  dont  il  est  fort  satisfait. 
Eh»ge  de  Marie-Antoinette,  qui,  indéjRMidanimcnt  des  prâces  de  sa 
Hpiire,  sait  être  eliarinante  par  le  tour  délieat  qu'elle  donne  à  tonte 
ehose. 

Hrest,  le  9  juin  1777. 

Ma  chère  Sœur,  je  vous  suis  iiifiniraent  obligé  pour 
votre  chère  lettre.  La  nouvelle  cpi'elle  contient  m'a 
vraiment  effrayé.  Des  incommodités  pareilles  peuvent 
être  dangereuses,  mais  elles  ont  cela  de  bon  qu'elles  ne 
laissent  aucune  suite,  et  que  dès  que  la  cbose  tourne  en 
mieux,  elles  scmt  finies.  Faites,  je  vous  prie,  mes  com-  • 
phments  au  Prince,  et  assurez-le  bien  sincèrement  de 
toute  la  part  que  j'y  ai  prise  et  combien  je  suis  charmé 
(|ue  la  chose  ait  tourné  ainsi.  Pour  vos  inquiétudes,  elles 
n'auront  pas  été  petites.  Enfin  votre  plaisir  de  revoir 


(1)   Arelii\es  de  8.  A.  I.  et  K.  1  Areliiduc  Albert  d'Autriche. 


JOSEPH    11    ES    FRANCE.  17 

votre  mari  bien  portant  anra  tout  fait  oublier.  Me  voici 
au  milieu  de  la  marine  et  très-content  des  choses  cu- 
rieuses que  j'y  vois.  J'ai  quitté  Paris  sans  regrets  : 
j'avais  tout  vu.  Versailles  m'a  coûté  infiniment,  car  j'ai 
(juitté  la  Reine  avec  bien  de  la  peine.  C'est  une  femme 
charmante  en  vérité,  et  sans  sa  figure  elle  devroit  plaire 
par  sa  façon  de  s'expliquer  et  l'assaisonnement  qu'elle 
sait  donner  à  toutes  les  choses  qu'elle  dit.  Adieu,  ma 
chère  Sœur,  portez-vous  bien  et  le  Prince  aussi.  A 
revoir.  Ce  sera  toujours  avec  un  vrai  plaisir  que  je 
vous  embrasserai,  étant  pour  la  vie  votre  (1). 

P.  S.  Cette  lettre,  à  mon  adresse  par  méprise,  vous 
t'ippartient  ;  je  vous  l'envoie. 


Uc.'inpereur  Joseph  11  voyageait  sous  le  nom  de  comte  de 
Falkeiistetn  (2).  Les  Archives  du  Ministère  de  la  Marine 
domient  une  relation  détaillée  de  ses  visites  dans  les  ports 
de  France.  11  arriva  à  Brest,  à  trois  heures  du  soir,  le  G  juin 
1777.  Le  marquis  de  Lanjferon,  le  comte  d'Orvilliers  et  le 
comte  Du  ChaFlàult  se  rendirent  aussitôt  aupri\s  <hi  prince 
et  ne  restèrent  que  peu  de  temps,  attendu  qu^il  venait  de 
recevoir  son  courrier  et  avait  à  y  répondre. 
-Le  lendemain  7,   à  huit  heures  du   matin,    TEmpercur 


C)  C'est  ainni  que  finit  la  leUro  orl({iiinl(*,  et  que  finit  d'ordinaire 
''**^^"|ili  II  en  écrivant  à  «a  suMn*.  On  liien  il  entend  écrire  vôlre,  ou 
oi«.*ti  j|  sou^-entend  nne  finale  d'amitié.  Son  frère  François  termine 
**^   l»ins  itonvent  de  même  «e*  let^n'?*  par  des  sons-enlendns. 

C^)    Falkenstcin  est  nn  fief  attenant  an  comté  de  Biiche,  entre  l'Al- 

«»«"o  4»!  J.J  l^orrainc,  et  qni  avait  été  concédé,  par  le  traité  de  Ry8w\clc, 

***    **îio  de  Lorraine,  (»rand-pére  de  l'Emperenr.  Le  grand-duc  de  Tos- 

t"**^!!    I-'i-aiicois  I*''  se  l'était  réser%'é  en  cédant  la  Lorraine  à  la  France, 

*  ^**  Ue  rester  membre  du  Corps  peruianiqne. 

TOMK   ni.  S 


18  JOSEPH    II    EN    FRANCE. 

commençait  sa  yisite  par  Je  vaisseau  le  Conquérant^  qui  était 
en  radoub  dans  le  bassin  de  Brest.  Il  parcourut  ensuite  toun 
les  ateliers  depuis  la  porte  du  bassin  jusqu'à  la  tonnellerie. 
Il  vit  travailler  dans  chacun  divers  objets,  se  rendant  compte 
de  l'emploi  et  de  l'utilité  de  tout  ce  qu'il  voyait.  Il  visita  les 
han(fars  à  bois,  et  avec  assez  de  détail  le  magasin  particu- 
lier du  vaisseau  le  Duc  de  Bourgogne  complètement  armé. 
A  une  heure,  il  sortit  du  port  et  se  rendit  chez  lui.  Comme 
on  savait  qu'il  n'aimait  point  à  être  accompa(][né  de  beau- 
coup de  monde,  on  so  plaçait  à  distance  dans  les  différent^ 
endroits  où  il  passait,  mais  on  ne  le  suivait  pas. 

A  quatre  heures,  le  même  jour,  il  visita  les  bassins  de 
Pontanion  ainsi  que  le  vaisseau  tOrienty  qu'on  était  occupé 
à  radouber.  11  vit  après  cela  tous  les  ateliers  et  les  frégatCN 
la  Nymphe  et  la  Sibylle,  alors  en  construction.  Ensuite  il 
s'embarqua,  alla  à  la  batterie  royale,  ot,  avant  de  se  rembar- 
quer, il  visita  dans  les  phis  petits  détails  les  boulan^jeries^ 
et  les  magasins  de  vivres.  A  huit  heures,  il  rentrait  chez  lui. 

Le  lendemain  8,  il  alla  au  champ  de  bataille  voir  défiler 
les  troujics  de  l'infantiTic  qu'il  inspecta,  entendit  la  messe 
au  Petit  Couvent,  et  rentra  chez  lui  pour  dîner. 

Sorti  de  nouveau  à  deux  heures,  il  monta  k  botti  du  /{o- 
buste,  qui  mit  en  rade  et  courut  deux  bords  avant  de  mouiller. 

Il  s'embarqua  ensuite  pour  aller  à  bord  du  Magnifique ,  v 
trouva  chacun  à  son  poste,  visita  avec  un  soin  |)artirulier  ce 
vaisseau,  fit  beaucoup  de  questions  sur  la  manière  de  ser\*ir 
l'artillerie,  monta  ensuite  sur  la  dunette,  examina  la  mâ- 
ture, vit  déçréer  les  perroquets,  et  demanda  que  l'on  At  des 
sig^naux. 

A  cinq  heures  et  demie,  il  descendait  dans  son  canot,  ren- 
trait dans  le  port,  visitait  le  vaisseau  la  Bretagne,  et  retour- 
nait à  si^pt  heures  chez  lui. 

Le  9  juin,  il  allait  dans  le  port  voir  caréner  à  flot  le 
vaisseau  le  Sphinx;  et  dans  le  bassin,  la  frégate  le  Zepliir. 
Il  voyait  ensuite  accoler  une  ancre  de  six  mille;  il  visitait  le 
ba[]^ne,  où  il  parcourait  une  salle  et  rhôpital  des  forçats.  Il 
visita  enfin  toutes  les  salles  du  nouvel  hôpital  du  Hoi,  et 
rentrait  à  une  heure. 

A  quatre,  il  descendait  de  nouveau  dans  le  port,  visitait 


JOSEPH  II  e::!  FRâNGB.  19 

tous  le»  ateliers  de  l'artillerie  et  la  salle  d'armes.  11  assistait 
ensuite  à  l'exercice  du  canoo  et  des  bombes,  et  à  des  épreuves 
de  poudres.  Tous  ces  diffV^rents  objets  donnèrent  matiiVre  à 
de  nombreuses  questions  de  la  part  du  Prince.  Le  marquis 
de  Lang[cron  raccoiiipa(jna  chez  lui,  pour  lui  montrer  les 
cartes  et  plans  des  fortifications  que  l'on  exécutait  pour  la 
défense  de  la  place. 

Le  10,  le  comte  de  Falkenstein ,  toujours  accompagnr  du 
marquis  de  Langeron,  visita  à  cbeval  les  fortifications  et  ou- 
vrages auxquels  on  travaillait  dans  les  environs  de  la  ville, 
et,  à  quatre  heures,  il  vit  mater  le  vaisseau  ie  Glorieux,  II 
s'embarqua  ensuite  dans  son  canot,  prolongea  tout  le  port 
et  iiiêuie  la  rivière  de  Penfeld  jusqu'au  Martinet,  pour  exa- 
miner rarran(j^eineiit  des  bois  et  les  mâtures.  Il  descendit 
dans  le  hangar  aux  mâts  de  cette  rivière,  pour  voir  ceux  du 
BoyaJrLouU;  et  après  êtit3  resté  longtemps  devant  les  vais- 
seaux la  Bretayncy  lu  Ville  de  Paris  et  Le  Saint-Esprit,  à  faire 
des  c^>m})arai.sons  sur  les  avantages   et  la   manière  de  les 
mouvoir  et  de  combattre  avec  ces  bâtiments,  il  débarqua  è 
la  salle  de  Tintendance,  où   il   exalta  la  grandeur  de  la 
France,  la  curiosité  d'un  arsenal  de  marine,  et  proclama 
u  Brest  une  superbe  chose  ».  Les  évolutions  dont  il  avait 
été  témoin  l'avaient  enchanté  :  il  aimait,  comme  il  disait, 
les  choses  spectaculeuses,  «  Quel  empire!  s'était-il  écrié  plu- 
sieurs fois,  en  voyant  manœuvrer  notre  flotte;  quel  empire! 
la  terre  et  la  mer  !  » 

Le  11,  visite  aux  salles  des  gardes  de  la  marine,  où  il 
assista  aux  leçons  d'instruction  que  ces  gardes  reçoivent 
tons  les  jours,  et  là  encore  il  fut  prodigue  de  questions 
sur  la  tactique  et  les  évolutions  navales.  On  fit  devant  lui 
qnelques-unes  de  ces  dernières  avec  la  table  et  les  vaisseaux 
destinés  ù  cet  effet.  11  termina  par  la  parade  des  troupes  de  la 
marine,  dont  il  visita  les  casernes. 

Le  itièine  jour,  à  deux  heures,  il  reprenait  ses  visites, 
montât  à  bord  du  Bizarre,  qui  mit  sons  voile  au  môme 
instant,  ain.si  que  la  frégate  t Inconstante.  Ces  deux  bâtiments 
<*ourureiit  plusieurs  bordées  dans  la  rade.  Pendant  ce  temps, 
les  vaisseaux  de  l'escadre  faisaient  l'exercice  de  la  manœuvre. 
1/ Empereur  parut  très-satisfeit  de  la  navigation.  Il  passa 

2. 


20  JOSEPH    II   EN    FRANCE. 

ensuite  une  heure  a  bord  de  P  Actif  y  et  se  montra  sutpris  de  la 
grandeur  de  la  salle  qu^on  y  avait  pratiquée  pour  recevoir 
des  dames.  Cette  salle  était  en  effet  assez  vaste  pour  contenir 
au  moins  cent  cinquante  personnes,  et  permettre  de  danser 
fort  à  l'aise  deux  contre-danses. 

Enfin  le  comte  de  Falkenstein  quittait  Brest  à  quatre 
heures  du  matin,  ayant,  pendant  tout  son  séjour  dans  la 
ville,  fait  preuve  d'une  merveilleuse  sag^acité,  par  la  justesse 
et  la  multiplicité  de  ses  questions.  Les  officiers  (généraux  de 
terre  et  de  mer,  le  marquis  de  Lançeron  et  le  comte  d'Or- 
villiers,  l'avaient  conduit  partout,  sans  toutefois  lui  faire 
rendre  aucun  honneur  personnel ,  tandis  que  Ton  en  rendait 
à  ces  officiers  généraux,  afin  de  mieux  constater  V incognito 
qu'il  avait  voulu  (garder. 

A  Bordeaux,  l'Empereur  fut  escorté  par  M.  de  Lombanl, 
commissaire  du  port,  et  montra  la  même  curiosité  intelli- 
gente. Sa  conversation  roula  sur  le  commerce  de  la  ville,  sur 
son  étendue,  ses  ressources,  l'avantage  de  son  sol,  de  sa  po- 
sition. Il  vit  avec  surprise  l'abondance  de  ses  différentes 
branches  de  richesse,  dont  tout  le  royaume  était  tributaire. 
Il  se  renseigna  sur  nos  colonies,  sur  l'Amérique  anglaise,  sur 
la  situation  politique  actuelle,  sur  l'Angleterre.  Il  s'enquit 
enfin,  dans  les  plus  petits  détails,  sur  la  nature  des  fonctions 
du  commandant,  sur  l'étendue  de  ce  département,  sur  les 
ressources  dont  il  pouvait  être  pour  la  marine  royale,  sur 
l'état  de  notre  marine,  etc. 

En  rendant  compte  de  cette  visite  au  ministre  (1),  M.  de 
Lombard  fait  remarquer  que  c'est  la  partie  du  commerce  qui 
avait  paru  occuper  le  plus  le  Prince,  surtout  les  branches  qui 
|>ouvaient  intéresser  le  Nord  et  l'Allemagne. 

Le  comte  de  Falkenstein  arriva  le  mercredi  2  juillet  1777 
à  Toulon.  Ce  fiirent  le  marquis  de  Saint-Aignan  (2),  le  che- 


(1)  Archives  du  Ministère  de  la  Marine. 

(2)  Le  marqiiiâ  de  La  Perte  Saint-Ai{;nan,  Bb  du  duc  de  Saint- 
Aignan,  commandant  de  la  marine  à  Toulon  et  à  Marseille  depuis  1772, 
était  entré  au  ftcrvice,  en  qualité  de  («ardc  de  l'étendard,  le  4  octobre  1728, 
au  port  de  Toulon.  11  avait  été  fait  chef  d'escadre  le  l'i*  octobre  1764, 


JOSEPH    II   EN   FRANCE.  21 

valicr  de  Fabry  (I)  et  le  major  de  la  marine,  M.  de  Coincy, 
qui  lui  servirent  de  (jiiides.  Il  mit  le  même  zèle  à  visiter  les 
vaisseaux,  les  chantiers,  la  corderie,  le  parc  d'artillerie,  les 
magasins. 

Le  lendemain,  il  voulut  visiter  le  lazaret,  sV  instruisit  des 
moyens  et  précautions  usités  pour  les  bâtiments  mis  en  qua- 
rantaine; puis,  le  soir,  il  parcourut  le  nouveau  bassin,  les 
vaisseaux,  les  différents  ma[jasin8,  et  s'enquit  des  procédés 
de  conservation  des  divers  efifets  de  (!haque  bâtiment.  Puis  il 
sortit  du  port  en  canot  pour  monter  sur  un  chebeck  armé  en 
rade.  Cette  espèce  de  bâtiment  lui  était  inconnue,  et  il  mul- 
tiplia les  questions.  Rentré  dans  le  port,  il  alla  au  champ 
de  Mars  voir  manoeuvrer,  jusqu'à  la  nuit,  le  régiment  de 
Navarre. 

Le  vendredi  4,  il  se  rendit  à  Hyères,  sans  autre  compagnie 
que  sa  suite.  A  son  retour,  il  visita  le  fort  de  La  Malgue; 
mais  comme  il  était  arrivé  à  l'improviste  et  sans  qu'on  eût 
donné  des  ordres,  le  fort  ne  put  lui  être  montré  en  détail. 

A  nuit  close,  il  rentrait  et  faisait  visite  à  Monsieur ,  qui 
arrivait  à  l'instant  même  pour  visiter  le  port.  11  demeura 
avec  lui  un  assez  long  temps,  et  tous  deux  firent  le  projet 
d'aller  de  compagnie  au  lancement  du  vaisseau  le  Caton,  fixé 
au  lendemain. 

Après  y  avoir  assisté  en  effet  à  neuf  heures  du  matin,  et 
avoir  examiné  avec  Monsieur  quelques  autres  détails  mari- 
times, il  prit  congé,  partit  à  trois  heures,  et  alla  coucher  à 
Marseille. 

Dans  tout  le  cours  de  ces  excursions  maritimes,  l'Empereur 
avait  voulu  loger  à  l'auberge.  C'est  ainsi  qu'il  en  avait  usé 


et  lieutenant  général  le  24  septembre  1769.  Il  fut  nommé  vice-amiral 
le  17  novembre  1781. 

Il  avait,  en  1756,  commandé /le  Lyon  clnns  l'escadro  du  comte  de  La 
CalUsonnicrc,  lors  de  l'expédition  de  Mahon. 

(i)  Le  chevalier  de  Fabrè(jiieft-Fal>r\',  entré  dans  la  marine,  en  qiia- 
'ité  de  {^arde,  le  17  mai  1734,  brij^adier  de»  armées  navales  le 
15  août  1771,  chef  d'cHcadre  en  1776,  le  9  novembre,  enfin  directeur 
général  de  l'arsenal  à  Toulon  le  1*^*"  décembre  1776. 


ti  JOSEPH    II    EN    FRANCE. 

à  Venaîiles  et  à  Paris.  Eu  vain  la  Reine  lui  avait-elle  fait 
préparer  un  logement  au  château,  il  Pavait  refusé,  allé^iant 
que  dans  ses  voyages  il  avait  accoutumé  de  «  descendre  an 
cabaret  ».  Toute  l'insistance  de  Marie-Antoinette  ne  réussit 
à  rien  ga()^ner  sur  ce  premier  refus,  a  Je  sais,  avait-il  ajouté, 
combien  est  g^rand  le  château  de  Versailles,  et  qu'il  y  lo§e 
assez  de  u  polissons  »  pour  que  j'y  puisse  bien  aussi  trou\'er 
une  place;  mais  mon  valet  de  chambre  a  déjà  fait  dresser 
mon  lit  de  camp  dans  un  hôtel  g^ami,  et  j'y  lofj^erai  (1).  n 

Partout  dans  sa  visite  des  ports,  il  garda  le  pli»  strict 
incognito^  et  nulle  part  il  ne  coûta  à  personne  de  la  gêne 
par  l'offre  d'aucun  présent  ni  g^ratiâcation.  Il  a(jissait  là,  du 
reste,  comme  il  en  avait  usé  à  Versailles,  où  cependant  tous 
les  officiers  de  la  chambre  de  la  Reine  avaient  eu,  durant 
son  séjour,  beaucoup  d'occasions  de  le  servir.  Aussi  rapporte- 
t-on  que  l'on  s'était  attendu  à  le  voir  se  répandre  en  Qéné' 
rosités  le  jour  de  son  départ.  Or,  comme  le  serment  des 
charges  portait  qu'on  ne  recevrait  rien  des  princes  étrangers, 
on  était  convenu  de  suspendre  d'abord  toute  acceptation  et 
de  prendre  son  temps  pour  se  Faire  forcer  la  main  et  auto- 
riser. L'Empereur,  instruit  probablement  de  la  règle,  avait 
épargné  tout  embarras  à  cet  égard  en  ne  faisant  aucun  pré- 
sent sous  quelque  forme  que  ce  fût  (2)  ;  mais  il  s'était  montré 
plein  de  grâce  à  Paris,  dans  ses  visites  à  l'Académie  et  chez 
divers  académiciens.  Son  frère,  l'archiduc  Maximilien,  lec- 
teur et  archevêque  de  Cologne  en  1784,  évêque-prince  de 
Munster  et  grand  maître  de  rordre  Teuton ic] ne,  était  venu 
avant  lui  en  France.  Quand  il  avait  visité  le  Jardin  dos 
Plantes,  où  Tavait  reçu  le  comte  de  Buffbn,  ce  grand  écri- 
vain lui  avait  offert  un  exemplaire  de  son  Histoire  naturelle , 
et  l'archiduc  lui  avait  répondu  :  «  Merci,  je  no  veux  pas 
vous  en  priver.  »  Joseph  II,  qui  connaissait  Tanecxlote,  alla 
visiter  M.  de  Buffon,  et  lui  dit  en  l'abordant  :  «  Je  viens, 
monsieur,  chercher  Texemplaire  de  votre  livre  que  mon  frère 
a  oublié.  » 

Il  ne  fut  pas ,  en  Franco ,  toujours  prodigue  d'aussi  aima- 


(1)  Mémoires  de  madame  Campiuiy  t.  î,  p.  17(>. 

(2)  Idem,  t.  T,  p.  185. 


MADAME    KLISABËTH.  33 

hics  paroles;  il  laissa  au  contraire  le  souvenir  de  vifs  sar- 
casmes, car  il  avait  le  {[oùt,  même  le  talent,  de  la  satire. 
Son  dernier  mot  cependant,  quand  il  quitta  Nantes,  fut  un 
madrigal  d'adieu  d'une  (;râce  qui  fiit  remarquée.  En  quittant 
«on  auberge  à  la  petite  pointe  du  jour,  il  avait  trouvé,  dans 
la  cour,  sa  voiture  entourée  de  toutes  les  jeunes  dames  de  la 
ville,  toutes  excessivement  parées  :  l'Empereur,  après  les 
avoir  saluées,  dit  en  les  regardant  :  «  Voilà  une  si  char- 
mante aurore,  qu'elle  promet  plus  d'un  beau  jour  (1).  n 

Comme  on  l'a  vu,  Momieur,  comte  de  Provence,  s'était 
rencontré  à  Toulon  avoc  le  comte  de  Falkenstein,  dans  la 
visite  de  ce  port.  Lt^  Roi  avait  voulu  que  les  princes  ses 
frères  visitassent  les  principales  villes  et  ports  de  leur  apa- 
uage.  Peut^tre  l'empereur  Joseph  n'avait-il  pas  été  étranger 
à  cette  détermination.  Monsieur  était  parti  pour  voir  Tou- 
louse, Marseille,  Toulon;  le  comte  d'Artois,  Rochefort,  Brest, 
1-a  Rochelle.  On  trouvera  au  Supplément  du  présent  volume 
les  rapports  officiels  des  commandants  de  la  marine  sur  ces 
voyagçs  princiei-s. 


CCCXGVII 

MADAME  ELISABETH  A  LA  MARQUISE  DE  SORAN  (2). 

[Mai  1778.] 

Je  suis  bien  fâchée,  Madame,  de  n'avoir  pas  répondu 
l^Ius  tôt  à  votre  lettre,  mais  je  n'ai  pas  eu  le  temps. 

(i)  Madame  de  GshKh,  Souvenirs  île  Félicie. 

(2)  La  marquise  de  liosièred-Suraii ,  née  de  Mailk',  était  Dame  |ioiir 
4Ci!oiii|)agncr  Madame  Elisabeth,  et  femme  du  maréchal  de  camp  de 
**^  nom  y  précédemment  colonel  de  Bresse  et  d'Artois  et  des  Grenat 
^^ers  royaux,  —  La  lettre  fait  partie  des  papiers  de  famille  de 
madame  la  marquise  de  Perthuis,  née  de  Soran. 


24  MADAME   ELISABETH. 

Soyez  sûre  qu'elle  m'a  fait  beaucoup  de  plaisir,  et  que 
je  serai  toujours  enchantée  de  recevoir  de  vos  nou- 
velles, surtout  quand  elles  seront  bonnes.  Pour  moi, 
j'en  ai  de  fort  bonnes  à  vous  annoncer,  car  le  Roi  m'a 
promis  que,  quand  mademoiselle  votre  fille  (1)  seroit 
en  âfje,  elle  auroit  une  place  chez  moi,  ce  qui  m'a 
fait  yrand  plaisir.  Vous  devez  en  juger.  Madame,  par 
l'amitic  que  j'ai  et  que  j'aurai  toute  ma  vie  pour  vous. 
Je  vous  prie  de  ne  point  en  parler;  comme  on  m'en  a 
refusé  une  autre,  et  que  je  n'ai  pas  encore  osé  le  dire, 
je  serois  fâchée  qu'on  sût  que  le  Roi  m'en  a  promis 
d'autres,  parce  que  l'on  pourroit  croire  que  je  n'y  ai 
pas  mis  autant  de  zèle  que  je  pouvois,  —  et  certaine- 
ment cela  n'est,  pas  vrai.  Puisque  vous  me  demandez 
mon  portrait,  Madame,  je  vous  prie  de  ne  point  le 
faire  faire  de  ma  part,  parce  que  cela  pourroit  faire 
des  jalousies,  et  j'en  serois  au  désespoir,  et  surtout  que 
Campana  croie  que  c'est  vous  qui  le  faites  faire.  Et 
quand  vous  l'aurez,  je  vous  prie  de  le  dire  à  tout  le 
monde;  cela  fera  que,  quand  je  serai  en  fonds,  je  vous 
le  donnerai  à  toutes  ensemble.  Adieu,  Madame,  soyez 
sûre  de  la  tendre  amitié  que  j'ai  et  que  j'aurai  toute 
ma  vie  pour  vous. 

ELISABETH. 


(1)  La  comtesse  Delphine  de  Soraii,  rhanoiiicssc  de  Reiiiiremont, 
devint  Dame  de  Madame  Elisabeth,  épousa  le  comte  de  Clermont-Toii- 
nerre,  et,  en  secondes  noce.^,  le  marquis  de  Talaru.  C'était  une  per- 
sonne vive,  d'un  esprit  rempli  de  gaieté  et  de  saillies  quelquefois  ris- 
quées. «  Elle  savait  les  histoires  de  chacun,  les  aventures,  les  familles, 
les  querelles,  les  raccommodements  et  tout  ce  qui  en  résultait.  Une 
pointe  de  malice  assaisonnait  ses  récits,  w  Voir  les  Mémoircx  de  la 
baronne  d'Oberkiivh,  t.  l*^»",  p.  247. 


MADAME   ELISABETH.  15 


CCCXGVIII 

MADAME  ÉLîSAKETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES  (1). 

Annonco  «l'une  affain»  entre  les  flottes  franrai.4e  et  anglaise.  —  Le 
vaisseau  «le  Famiral  Keppel  se  battait  fort  hien  et  tout  à  coup  a  viré 
de  boni,  ce  qui  fait  ci*oire  rjue  l'ainiral  a  ««té  tue;  ou  blesse.  — 
Retour  du  duc  de  Chartres.  —  M.  Du  ChafFault  dan{>ereu8einent 
blessé. 

[Vers  les  premiers  jours  d^août  1778.] 

Je  n'ai  que  le  temps,  mon  ange,  de  vous  dire  qu'il 
y  a  eu  une  affaire  entre  les  deux  flottes;  que  le  pre- 
mier choc  a  été  très-vif,  qu'ensuite  elles  se  sont  sépa- 
rées ,  et  que  la  notre  s'est  avancée  pour  un  second , 
mais  que  les  Anglais  se  sont  retirés.  On  dît  que  l'on  a 
remarqué  cjue  le  vaisseau  de  l'amiral  Keppel  se  battoit 
fort  bien ,  mais  que  tout  d'un  coup  il  y  a  eu  une  grande 
évolution,  cju'il  a  cessé  de  se  défendre  et  s*est  retiré. 
Huit  ou  dix  bâtiments  l'ont  accompagné,  ce  qui  fait 
croire  que  l'amiral  est  ou  très-blessé  ou  tué.  Il  y  a  dix 
vaisseaux  fort  endommagés,  et  nous,  nous  n'en  avons 
que  deux  qui  seront  en  état  de  repartir  dans  huit  jours. 
Le  duc  de  Chartres  revient  passer  deux  à  trois  jours 
ici.  M.  Du  Chaffault  est  très-dangereusement  blessé.  Je 
m'affermis  encore  plus  dans  ce  que  je  vous  ai  dit  la  der- 
nière fois.  J'attends  votre  réponse  avec  impatience  pour 
me  décider  sur  ce  que  je  dois  faire.  Ne  dites  point  la 


(1)  Cette  lettre,   roinuic  relie  du  24  novenibi-e  suivant,  appartient 
à  M.  le  comte  de  Rlos^teville,   ancien  député  sous  la  Ki^stanration. 


28      GUERRE  MARITIME  AVEC  I/ANGLETERRE. 

colonel  du  ré(yimeiit  d' Auvergne,  qui  s'était  travesti  en  ma- 
telot pour  s'embarquer  sur  le  Saint-Esprit  en  qualité  de 
canonnier,  n'avait  pas,  durant  toute  l'action,  quitté  les  côtés 
du  prince,  et  que  celui-ci,  voyant  quelques  hommes  tomber 
morts  autour  de  lui  sous  le  canon  angolais,  lui  dit  en  sou- 
riant :  «  Les  boulets  qui  passent  ont  la  voix  claire  comme 
les  enfants  de  choeur,  n  Et  d*ailleurs  ce  serait  bien  à  tort 
que  Ton  attribuerait  au  duc  la  responsabilité  de  ce  qui  s'est 
passé  à  bord  du  Saint-Esprit,  car  le  général  de  Vaulx,  qui 
tenait  le  fait  de  La  Motte-Picquet  lui-même,  rapportait  en 
1811,  qu'au  moment  où  le  comte  d'Orvilliers  fit  les  premiers 
signaux,  La  Motte-Picquet  vint  en  rendre  compte  au  duc  de 
Chartres  et  lui  demanda  ses  ordres  :  u  Monsieur  de  La  Motte, 
lui  répondit  le  prince,  c'est  vous  qui  êtes  ici  le  marin,  et 
l'exécution  des  ordres  vous  regarde  plus  que  moi  qui  n'ai  pas 
votre  expérience.  Allons  prouipteuient  où  il  faut  êti-e  pour 
l'honneur  du  pavillon  du  Roi,  et  là,  faisons  notre  devoir 
en  bons  gentilshommes.  Je  n'ai  pas  autre  chose  à  vous 
dire  (I).  » 

En  résumé,  il  n'est  donc  point  vrai  que  le  duc  de  Chartres 
ait  manqué  de  bravoure  à  l'affkire  d'Ouessant.  11  faut  être 
bien  malavisé  pour  calomnier  un  tel  personnage! 

Madame  Elisabeth  parle  de  la  blessui-e  du  lieutenant  gé- 
néral comte  Du  ChafFault  (2).  En  effet,  notre  avant-garde 
avait  longtemps  soutenu  seule  le  feu  de  l'ennemi,  et  c'est  en 
cherchant  à  dégager  un  de  ses  bâtiments  que  Du  Chaffault 
reçut  un  éclat  de  mitraille  si  terrible,  qu'on  trembla  longtemps 
pour  ses  jours.  On  parvint  enfin  à  lui  extraire  de  l'épaule  un 
morceau  de  fer  pesant  environ  cinq  onces;  et  depuis  cette 
opération  sa  blessure  prit  un  caractère  plus  consolant,  u  Ce 
pauvre  M.  Du  Chaffault,  que  je  le  plains!  disait  Marie- 
Antoinette,    alarmée   de   la    situation    inquiétante  de    cet 

(1)  Lettre  du  colonel  de  In  Jumelière,  parent  de  LmI  Motte-Picquet, 
et  note  de  M.  Jal  à  l'appui  de  cette  lettre,  publiées  dans  VHixtoire  de 
Louis-Philippe  d* Orléans  par  M.  Tournois.  Paris,  1842. 

(2)  Louis-Charle.4 ,  comte  Dn  ChafFault  de  Besné,  (^arde  de  la  ma- 
rine le  15  novembre  1725;  capitaine  de  vaisseau  le  24  mai  1754,  chef 
d'escadre  le  i*^*"  octobre  1764,  lieutenant  général  le  6  février  1777. 


GUERRE  MARITIME  AVEC  L'ANGLETERRE.       29 

oflicier.    Je   voudrais  être  oiseau   pour  aller  lui   servir  de 
(j^arde  (I).  » 

Ce  brave  marin  était  probablement  appelé  à  un  plus  haut 
renom,  s'il  n^eût  formellement  refusé,  en  août  1780,  de 
servir  à  Cadix,  sous  les  ordres  de  ce  comte  Charles-Hector 
d'£staing[  qui,  pendant  toute  sa  jeunesse,  avait  servi  dans 
l'armée  de  terre  en  qualité  de  colonel  d'infanterie,  puis  de 
brigadier  des  armées  du  Roi;  qui,  prisonnier  dea  An(»lais 
dans  rinde,  et  libre  sur  parole,  avait,  au  mépris  de  son 
engag^ement,  repris  sur-le-champ  les  armes;  et  qui  enfin 
était  devenu  vice-amiral  sans  jamais  s'être  acquis  la  con- 
fiance et  l'estime  de  la  marine. 

Du  Chaffuult  était  le  second  officier  ([(Miéral  qui  faisait  nu 
pareil  refus.  En   1779,  le  chevalier  de  Ternay,  qui  était 
prêt  à  partir  pour  l'Inde,  aima  mieux  perdre  le  commande- 
ment de  la  flotte  que  de  ser\'ir  sous  un  tel  chef.  Quand  des 
hommes  d'un  caractère  aussi  droit  et  aussi  élevé  que  l'étaient 
ces  deux  marins  en  sont  venus  à  de  semblables  extrémités 
sans  apporter  dans  leurs  correspondances  ni  les  violences  du 
marquis  de  Bouille,  ni  les  dédains  éclatants  du  comte  de  Grasse 
contre  sa  personne,  il  y  a  bien  à  préjuger  en  défaveur  de 
eehii  qui  les  motive.  «  Mon  honneur,  écrivait,  le  18  août  1780, 
le  brave  Du  Chaffault,  est  le  seul  bien  qui  me  soit  cher.  » 

D'Estaihg  couronna  sa  carrière  par  sa  conduite  dans  le 
j)rocès  de  la  Reine.  Lui ,  ancien  meniu  du  i^ère  de  Louis  XVI, 
on  le  vit  tout  à  coup  transformé  par  calcul  en  ardent  patriote, 
«t,  courtisan  de  tous  les  pouvoirs,  déposer  contre  Marie- 
^ntoinetle,  et  faire  afficher  au  coin  des  rues  sa  déposition, 
^lais  sa  lâcheté  ne  lui  réussit  pas  deyant  des  révolutionnaires 
c]ui  battaient  monnaie  sur  la  place  de  la  Révolution.  Il  était 
:riche,  et  sa  tête  déshonorée  roula  sur  Téchafaud ,  le  28  avril 
1794,  avec  tant  d'autres  têtes  honorables. 

Au  surplus,  on  apprendra  avec  le  même  intérêt  que  nous 
l'avons  appris  nous-mênie,  que  l'amiral  Jurien  de  La  Gravière 

(1)  Histoire  impartiale  des  événements  militaires  et  politiques  de 
la  dernière  guerre  dans  les  quatre  parties  du  monde  [par  ralihc  Pierre 
do  Loiig<'hainp.«,  mort  le  22  avril  1812];  t.  fer,  p.  380. 


30  LOUIS   XVI. 

prépare  une  histoire  des  (j^iierres  maritimes  de  cette  époque.  Il 
y  apportera  la  conscience  dans  les  recherches  et  la  vig^ueurdans 
l'exposé  qui  distinguent  les  ouvrais  que  nous  possédons  déjà 
de  lui.  Il  rectifiera  les  &utes  que  nous  aurions  pu  commettre. 


CCCXCIX 

LOUIS  XVI    A    L'AMIRAL   DE   FRANCK 
(LE  DUC  DE  PEJNTHIÈVRE). 

Ordre  d'armer  en  guerre  contre  l'Angleterre^  qui  a  insulté  le  |>avillon 

de  France. 

Versailles,  le  10  juillet  1778. 

Mon  Cousin ,  Tinsulte  faite  à  mou  pavillon  par  une 
frégate  du  Roi  d'Angleterre  envers  ma  frégate  la  Belle 
Poule  y  la  saisie  faite  par  une  escadre  anglaise,  au  mé- 
pris du  droit  des  gens,  de  mes  frégates  la  Licorne  et  la 
Pallas,  et  de  mon  lougre  le  Coureur;  la  confiscation 
des  navires  appartenant  à  mes  sujets,  faite  contre  la 
foi  des  traités  ;  le  trouble  continuel  et  le  dommage  qne 
la  puissance  anglaise  apporte  au  commerce  maritime 
de  mon  royaimie  et  de  mes  colonies  d'Amérique,  soit  . 
par  ses  bâtiments  de  guerre,  soit  par  ses  corsaires, 
dont  elle  autorise  les  déprédations  ;  tous  ces  procédés 
injurieux,  et  principalement  l'insulte  faite  à  mon  pavil- 
lon, m'ont  force  de  mettre  un  terme  à  la  modération 
que  je  m*étois  proposée ,  et  ne  me  permettent  pas  de 
suspendre  les  effets  de  mon  ressentiment.  La  dignité 
de  ma  couronne  et  la  protection  que  je  dois  à  mes 
sujets  exigent  que  j'use  enfin  de  représailles,  que  j'a- 


GUERRE  MARITIME  AVEC  l/ANGLETERRE.       31 

gisse  hostilement  contre  rAnglotorrc ,  et  que  mes  vais- 
seaux attaquent,  prennent  ou  détruisent  les  vaisseaux, 
frégates  et  autres  bâtiments  appartenant  au  Roi  d*An- 
^eterre;  qu'ils  arrêtent  et  se  saisissent  pareillement  de 
tous  navires  marchands  an(][lois  dont  ils  pourront  avoir 
occasion  de  s'emparer.  Je  vous  fais  donc  celte  lettre 
pour  vous  dire  qu'ayant  ordonné  en  conséquence  aux 
commandants  de  mes  escadres  et  de  mes  ports  de 
prescrire  atix  capitaines  de  mes  vaisseaux  de  courre  sus 
à  ceux  du  Roi  d'Anjfleterre ,  ainsi  qu'aux  navires  ap- 
partenant à  ses  sujets,  mon  intention  est  gu'en  repré- 
sailles des  prises  faites  sur  mes  sujets  par  les  corsaires 
et  armateurs  anglois ,  vous  fassiez  délivrer  des  commis- 
sions en  course  à  ceux  de  mesdits  sujets  qui  propose- 
ront d'armer  des  navires  en  {juerre  avec:  des  forces  assez 
considérables  pour  ne  pas  conipromettix*  les  équipages 
qui  seront  employés  sur  ces  bâtiments.  Sur  ce,  etc. 

Louis. 


Le  capitaine  de  fiV*gate  C4hadeaii  de  [^a  ClochcCerie,  coiu- 
mandant  la  BeUe  Pouiey  était  parti  de  Brest  le  lundi 
15  jwin  1778,  marchant  de  conserve  avec  la  frégate  la  Li- 
ror/ir,  commandée  par  Oouzillon  de  Bclizal,  et  la  fré^^ate 
i  Hirondelle. 

Le  mercredi  17,  à  une  liciire  après  midi,  il  rencontrait 
l'armée  de  l'amiral  KeppeU  forte  de  vinjyt  voiles.  Prévoyant 
de  la  part  de  TAnglais  quelque  procédé  hostile,  bien  que  la 
^'uerre  n'eût  point  été  déclarée,  son  parti  fiit  pris  tout 
<l'aboid.  11  laissa  maîtres  <le  leurs  manœuvres,  |X)ur  échap- 
per à  la  chasse  de  Tennemi,  les  commandants  de  la  Li- 
<'ornc  et  de  t Hirondelle ,  l)âtîmcnts  plus  légers  que  le  sien, 
<*t  se  présenta  seul.  A  six  heures  et  demie  du  soir,  il  était 
al»ordé,  à  une  portée  de  pistolet,  par  une  frégate  anglaise, 


32       GUERRE  MARITIME  AVEC  L'ANGLETERRE. 

qui  Tinvîta  à  aller  trouver  son  amiral.  La  Cloclicteric  ré- 
pondit que  sa  mission  ne  lui  permettait  pas  de  suivre  cette 
route.  L'ofBcier  angolais  répéta  son  injonction  ;  et  comme  le 
Français  ne  s'y  prêtait  pas  davantage,  l'Anglais  lui  envoya 
toute  sa  volée.  L'Angleterre  n'a  point  sur  mer  sa  courtoisie 
du  champ  de  bataille  de  Fontenoy  :  elle  va  droit  aux  coups 
sans  déclaration  de  guerre,  et  c'est  ainsi  qu'elle  la  déclare. 
La  Belle  Poule  avait  la  mèche  allumée.  Alors  s'engagea  un 
rombat  sanglant,  dans  lequel  nous  eûmes  plus  de  quarante 
morts  et  cinquante-sept  blessés.  La  Clocheterie  reçut  des 
contusions,  l'une  a  la  tête,  l'autre  à  la  cuisse.  Chefs  et  mate- 
lots rivalisèrent  de  valeur  intrépide  et  de  sang-froid.  Un 
enseigne,  le  jeune  La  Roche -Keraudren,  avait  eu  le  bras 
cassé;  à  peine  l'appareil  du  pansement  était-il  posé,  que  le 
brave  enfant  reparaissait  sur  le  pont,  où  il  combattit  encore 
pendant  trois  heures.  Le  lendemain,  on  lui  confiait  le  bras. 
L^n  officier  auxiliaire.  Bouvet,  gravement  blessé,  ne  cessa  de 
demeurer  à  son  poste  et  d*y  faire  son  devoir.  A  onze  heures 
et  demie,  La  Clocheterie  avait  lieu  de  croire  la  frégate  an- 
glaise réduite  et  punie  de  sa  déloyale  agression,  attendu 
qu'après  être  arrivée  vent  arrière,  elle  n'avait  pas  une  seule 
fois  riposté  à  cinquante  coups  de  canon  envoyés  dans  sa 
poupe.  Malheureusement,  la  route  qu'elle  faisait  l'eût  jeté 
lui-même  en  pleine  escadre  anglaise,  et  il  se  vit  forcé  de  ne 
pas  poursuivre  son  avantage.  Alors  il  courut  vers  la  terre, 
où  il  mouilla,  à  minuit  environ,  auprès  de  Plouescat  (1).  Au 
jour,  il  se  trouva  entouré  de  rochers,  au  milieu  desquels 
deux  vaisseaux  anglais  qui  l'avaient  suivi  ne  songèrent  pas  à 
venir  le  chercher. 

Cette  belle  conduite  méritait  une  récompense  :  le  Roi 
ne  la  Bl  pas  attendre,  et  nomma  Chadeau  de  la  Cloche- 
terie capitaine  de  vaisseau  ,  avec  promesse  de  la  pre- 
mière pension  vacante  sur  l'ordre  de  Saint-Louis;  et  au 
dire  de  la  Touche -Trév  il  le,  le  ministre  M.  de  Sartines 
honora  cet  officier  d'une  «  lettre  qui  méritait  d'être  en- 
châssée M  . 


(1)  A  sept  lieues  0.  N.  0.  de  Morlaix. 


GUERRE  MARITIME  AVEC  L'ANGLETERRE.       33 

Les  firéffates,  que  La  Clocheteric  avait  livrées  à  leurs 
propres  manœuvres,  furent  moins  heureuses  que  la  Belle 
Poule. 

Les  deux  commandants,  placés,  il  est  vrai,  dans  des  circon- 
stances plus  difHciles,  en  face  d'adversaires  plus  nombreux, 
ne  purent  se  refuser  à  la  démarche  de  déférence  à  laquelle 
La  Clocheterie  n'avait  pas  voulu  se  prêter  :  «  Si  c'est  ordre, 
avait  répondu  le  commandant  de  la  Licorne,  je  n'irai  pas. 
Si  c'est  prière,  avec  plaisir.  »  —  «  Je  vous  en  prie,  »  avait 
n>pliqué  le  capitaine  de  l'Hector^  vaisseau  de  soixante-qua- 
torze. —  Alors  Gouzillon  de   Belizal   l'avait   accompa(;né. 
]\1ais,  en  dépit  des  paroles  du  commandant  de  l'Hector,  le 
capitaine  français  ne  put  arriver  à  l'amiral.  C'était  une  per- 
fidie de  (fuerre  sans  guerre  déclarée  :  il  était  entre  quatre 
l>âtinients  de  la  marine  royale  an(;laise,  et  P Hector,   pour 
plus  de  clarté,  envoya  à  son  bord  deux  coups  de  canon  à 
boulet.  lielizal,  se  voyant  insulté  et  arrêté,  n'amena  son 
pavillon   qu'après  avoir  envoyé  sa  volée  de  tribord  et  de 
bâbord,  u  comme  cela  se  pratique,  dit-il  dans  son  rapport  au 
ministre,   quand  une  force  supérieure  ôte  tout  moyen  de 
livrer  un  lou(j  combat.  » 

Cette  seule  volée,  qui  tua  quelques  hommes,  servit  le  lende- 
main de  prétexte  pour  arrêter  Le  Breton  de  Ranzanne,  com- 
mandant de  la  Pallas.  Le  capitaine  d'une  frégate  anglaise 
Tabordant,  lui  avait  dit  :  a  Faites  l'honneur  à  M.  l'amiral 
(le  lui  venir  parler,  et  je  vous  donne  ma  parole,  I  engage 
my  ivord,  qu'il  n'a  que  des  honnêtetés  et  des  politesses  à 
vous  foire.  »  Perfidie  préparant  une  insigne  violence  :  l'An- 
(^lais  n'entretenait  le  brave  Ranzanne  que  pour  agir  plus 
ù  coup  sûr  et  donner  le  temps  à  une  autre  frégate  et  à  un 
çros  vaisseau  d'approcher.  Le  commandant  de  la  Pallas,  qui 
avait  le  droit  de  se  croire  en  paix,  se  voyant  près  d'être  enve- 
loppé par  l'armée  d'Angleterre,  avait  enfin  cédé  à  l'invitation 
du  capitaine  anglais.  Entouré  tout  à  coup  de  seize  vaisseaux, 
il  fîit  contraint,  lui  et  tout  son  état-major,  de  passer  à  bord 
des  bâtiments  anglais,  et  bien  qu'il  fit  tous  ses  efforts  pour 
Ile  donner  co titre  lui  aucun  prétexte,  il  se  trouva  arrêté  à 
bord  du  Robuste,  où  il  déclara  nettement  au  capitaine  Ilood 
4ui  le  commandait,  que  la  façon  dont  les  Anglais  l'avaicnl 

TOMB  ni.  3 


3*  LOUIS   XVT. 

trompé  était  contraire  à  toutes  les  lois  du  droit  des  gens,  de 
l'honneur  et  de  la  justice. 

Ce  môme  Le  Breton  de  Ranzanne  devait  mourir  g^lorieu- 
sement  dans  la  nuit  du  5  juillet  1780,  commandant  la  Ca- 
pricieuse y  en  un  des  plus  beaux  combats  de  cette  (jiierre, 
contre  deux  frégates  anglaises,  te  bras  gauche  percé  d'un  * 
coup  de  fusil,  blessé  encore  une  heiu*e  après  à  la  cuisse 
gauche,  il  n'avait  quitté  le  commandement  et  le  combat 
qu'après  avoir  été  frappé  à  mort,  à  cinq  heures  du  matin. 


CCCG 

LOUIS  XVI  AU  DUC  DE  PENTHIÈVRE  (i). 

A    MOKSIECR    l'aMTBAL. 

Fiintion  de  l'époque  de  la  déclaration  de  (;iieiTe  contre  TAngleterre, 
par  suite  de  Tuisulte  faite  par  elle  au  pavillon  du  Roi. 

Le  5  avril  1779. 

Mon  Cousin,  je  suis  informé  qu'il  s'est  élevé  des 
doutes  sur  l'époque  à  laquelle  doit  être  fixé  le  commen- 
cement des  hostilités,  et  qu'il  pourroit  résulter  de  cette 
incertitude  des  contestations  préjudiciables  au  com- 
merce. C'est  pour  les  prévenir  que  j'ai  jugé  nécessaire 
de  vous  expliquer  plus  particulièrement  ce  que  je  vous 
ai  déjà  fait  assez  connoitre  par  ma  lettre  du  10  juil- 
let [1778],  Je  vous  charge,  en  conséquence,  de  man- 
der a  tous  ceux  qui  sont  sous  vos  ordres,  que  c'est 
l'insulte  faite  à  mon  pavillon  par  l'escadre  angloise, 
en  s'emparant,  le  dix-sept  juin  mil  sept  cent  soixante- 


(1)  Archives  du  Ministère  de  la  Marine. 


MADAME   ELISABETH.  35 

dix-huit ,  de  mes  frégates  la  Licorne  et  la  Pallas ,  qui 
m*a  mis  dans  la  nécessité  d*user  de  représailles;  et  que 
c'est  de  ce  jour  dix-sept  juin  mil  sept  cent  soixante-dix- 
huit,  que  Ton  doit  fixer  le  commencement  des  hostili- 
tés commises  contre  mes  sujets  par  ceux  du  Roi  d'An- 
gleterre. Et  la  présente  n'étant  k  autre  fin ,  je  prie  Dieu, 
mon  Cousin ,  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
Fait  à  Versailles,  le  cinquième  jour  du  mois  d'avril, 
l'an  de  grâce  mil  sept  cent  soixante-dix-neuf,  et  de 
notre  règne  le  cinquième. 

Louis. 


CCCCI 

MADAME  ÉLISARETII  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Madame  Adélaïde  indisposée  contre  la  Princc^^se.  —  Interposition  de  la 
Reine.  —  Madame  Élisaheth  présente  des  excuses,  bien  que  per- 
suadée de  n'avoir  tort  qn'i\  demi.  —  La  Princesse  demande  que 
madame  de  Bombelles  se  fasse  peindre. 

24  novembre  1779. 

...  Vous  croyez  peut-être  que  je  suis  consolée,  point 

du  tout  ;  d'autant  plus  que  moi ,  qui  déteste  les  expKca- 

t:ions,  je  viens  d'en  avoir  une  avec  ma  tante.  La  Beine 

9l  été  ce  matin  chez  elle ,  pour  lui  demander  ce  qu'elle 

^voit  hier ,  et  elle  lui  a  dit  qu'elle  étoit  fort  mécontente 

<le  moi ,  parce  que  je  ne  lui  avois  pas  écrit  avant  mon 

inoculation,  et  qu'elle  devoit  m'en  parler.  J'y  ai  donc 

été  ce  soir  :  je  suis  arrivée  chez  ma  tante  Victoire ,  qui 

m'a  parlé  avec  beaucoup  d'amitié,  et  qui  m'a  dit  que 

3. 


36  MADAME  ELISABETH. 

j'avois  eu  tort  de  ne  leur  pas  écrire,  ce  dont  je  suis 
convenue,  et  lui  ai  demandé  pardon.  De  là,  j'ai  été 
chez  ma  tante  Adélaïde.  Je  lui  ai  dit  que  je  lui  deman- 
dois  de  me  conserver  toujours  son  amitié.  De  là  je  suis 
revenue,  et  j'ai  dit  cela  à  la  Reine,  et  puis  à  mon  petit 
ange.  Je  ne  puis  celer  que  je  n'ai  que  la  moitié  des 
torts  dont  je  suis  convenue. 

A  propos,  mon  ange,  je  t'en  prie,  si  tu  as  le  temps, 
fais  chercher  Campana  (1) ,  fais-toi  peindre  pour  moi. 
Dis-lui  de  faire  ton  portrait  de  la  grandeur  de  ceux  des 
médaillons,  et  coiffée  et  habillée  comme  celui  qu'il  a  fait 
de  moi.  Ne  va  pas  l'oublier,  et  fais  dépécher  Campana. 

La  baronne  doit  revenir  aujourd'hui  ;  aussi  je  ne  te 
charge  de  rien  pour  elle;  mais  dis  à  madame  de  Tra- 
vannette  (2)  que  je  meurs  d'envie  de  la  voir. 


(1)  J'ai  fait  de  vaines  recherches  jK)ur  découvrir  ce  qu'était  ce  Cam- 
pana. Il  n'est  mentionné  nulle  part.  J'ai  su  seulement  qu'il  avait  di* 
fréquentes  relations  avec  le  miniaturiste  Sicardi.  Puisqu'il  peignait  dcii 
médaillons,  ce  devait  être  aussi  un  miniaturiste.  Or,  on  connaît  à  peine 
quelques  noms  des  miniaturistes  du  dernier  siècle,  où  les  plus  célèbres 
et  les  plus  habiles  furent  le  Suédois  Hall,  Honoré  Fragonard,  madame 
Nattier,  Vestier  et  sa  femme  qui  peignirent  aussi  à  l'huile,  Sicardi, 
Augustin,  Diîmont,  Sieurac,  etc.  Ce  serait  une  histoire  à  faire,  mais 
difficile,  car  le  plus  grand  nombre  des  œuvres  des  artistes  de  cette 
classe  n'est  pas  signé. 

(2)  Le  marquis  de  Bombelles,  mari  de  mademoiselle  de  Mackau, 
à  qui  la  Princesse  vient  d'écrire,  avait  deux  sœurs,  l'une  qui  avait 
épousé  le  marquis  de  Travanet  (prononcez  Travanette,  comme  écrit 
Madame  Elisabeth),  et  l'autre  qui  avait  eu  le  courage  de  devenir  la 
quatrième  femme  de  cette  barbe-bleue  de  marquis  de  Louvois,  appelé 
])rimitivement  le  chevalier  de  Souvré.  Madame  de  Travanet,  une 
feinuie  charmante,  spirituelle  a  ravir,  intarissable  causeuse,  ayant 
toujours  quelque  chose  à  dire  sans  être  jamais  bavarde,  et  qui  a  com- 
|K)sé  la  chanson  si  touchante  du  Pauvre  Jacques,  avait  été  primi- 
tivement dame  de  Madame  Elisabeth. 


MARIE- ANTOINETTE.  37 

En  vérité,  Madame  Angélique,  vous  devez  être  bien 
(-entente  de  moi,  car  mes  lettres  sont  assez  longues,  et 
les  lignes  assez  serrées.  Je  vais  arranger  mes  affaires, 
et  tu  les  trouveras  en  très-bon  ordre.  Adieu,  ma  petite 
•>ORur  Saint-Ange  :  il  me  paroit  qu'il  y  a  mille  ans  que 
je  ne  t'ai  vue.  Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 

ÉUSABETH-M  ARIE . 


CCGGII 

NIARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  IIESSE-DARMSTADT  (1). 


Invitation  pour  Trianon. 


[Mai  1780]. 


J'accepte  avec  grand  plaisir  votre  proposition,  Ma- 
dame ;  je  vous  prierai  seulement  de  me  faire  dire  de 
houche  par  l'homme  que  j'en  voie,  lequel  des  jours  vous 
^imez  mieux  de  demain  ou  de  vendredi,  si  vous  voulez 
>'enir  à  mon  jardin  tout  de  suite  (2).  Il  fait  si  beau  que 
je  serai  charmée  de  vous  le  montrer,  ainsi  qu'à  Mes- 
sieurs les  Princes  Héréditaire  et  Frédéric.  Pour  la  prin- 
^-esse  Charlotte,  j'espère  qu'elle  me  connoît  assez  pour 
*îe  pas  douter  du  plaisir  que  j'ai  toutes  les  fois  que  je 
'a  vois,  ainsi  que  vous,- Madame,  quej'embrassede  tout 
tion  cœur. 


(1)  Archives  de  S.  A.  R.  le  Grand-Duc  de  Hi'SAcr. 

(2)  Trianon. 


38       LA  PRINCESSE  LOUISE  DE  HESSE-DARMSTADT. 

Comme  il  fait  plus  beau  le  matin  que  le  soir,  si  vous 
voulez  venir  à  midi ,  je  vous  donnerai  à  déjeuner.  Je 
serai  toute  seule  ;  ainsi  je  vous  demande  en  grâce  de 
ne  point  venir  parée  ;  mais  vous  comme  on  est  à  la 
campagne,  et  ces  messieurs  en  frac. 


La  princeSvSo  Louise-Caroline-Henriette,  à  laquelle  est 
écrite  cette  lettre,  était  née  à  Francfort  le  15  février  17G1, 
fille  (le  Georges- Guillaume,  prince  de  liesse -Dannstadt, 
second  fils  du  Landgrave  Louis  VIII,  d'abord  au  service  de 
Prusse,  puis  feld-inaréclial  et  pro])riétaire  du  régiment  de 
dragons  liessois  au  service  de  TEmpennir,  et  gouverneur 
de  Philippsbourg,  et  de  Marie-Loui8e-All)ertine  de  Linanges- 
Daxbourg-lleidesheira.  Elle  avait  été  élevée  à  la  Cour  de 
Vienne  avec  sa  sœur  Charlotte,  dont  nous  parlerons  plus  loin. 
(Voir  V Histoire  généalogique  de  la  Maison  Souveraine  de 
Hesse,  2  vol.  Strasbouqj ,  1819,  in-8",  par  de  Turkheim.) 

La  princesse  Louise  était  mariée,  depuis  le  19  février  1777, 
à  son  cousin  germain  Louis,  prince  héréditaire  de  Hesse- 
Darmstadt,  qui  devint  premier  Grand-Duc  de  ce  pays,  sous 
le  nom  de  Louis  X,  à  la  mort  de  son  père.  Il  était  ué  le 
14  juin  1753  à  Prcnzlow,  fils  du  Landgrave  Louis  IX,  et  de 
la  princesse  palatine  Caroline-Henriette-Christiane-Louise  de 
Deux-Ponts,  personne  de  trempe  vigoureuse,  à  laquelle  le 
grand  Frédéric  fit  cette  épitaplie  :  u  Sexufœmina,  ingénia 
vir,  n 

Le  Prince  Héréditaire  avait  fait  ses  premières  armes  au  ser- 
vice de  Russie  contre  les  Turcs,  en  <]ualité  de  lieutenant 
général.  De  retour  à  Darmstadt,  il  s'adonna  surtout  àTéiude 
des  arts,  particulièrement  de  la  musique.  La  princesse,  sa 
femme,  partageait  tous  ses  goûts,  et  passe  pour  avoir  allié 
à  une  grande  beauté  un  esprit  de  rare  distinction^  avec 
cette  exquise  aménité  d(?  nature  (jue  caractérise  si  bien 
Shakspeanî  en  l'appelant  :  «  milk  of  Imman  kindness  »,  le 
lait  de  la  doucinir  humaine. 

Ce  fut  trois  ans  après  leur  mariage  que  tous  deux  visitèrent 


LA  PRINCESSE  LOUISE  DE  HESSE-DARMSTADT.        39 

la  France.  Le  prince  Louis  avait  alors  vingt-sept  ans,  sa 
femme  dix-neuf.  Elle  professait  une  particulière  admiration 
pour  Marie-Anloi nette  et  correspondait  assez  fréquemment 
avec  elle.  Il  s'est  retrouvé,  dans  les  archives  du  Grand-Duc 
de  liesse,  vingt-sept  lettres  de  la  Reine  à  la  Landgravine 
Louise,  (^t  portant  sur  Tenveloppe  ces  mots  de  la  main  de  la 
Landgravine  : 

M  4J€  paquet  contient  les  lettres  de  feue  la  chère  Reine  de 
France. 
n  Darmstadt,  le  II  novembre  1801.  » 

Ce  sont  celles  que  M.  le  comte  de  Reiset  a  copiées  pendant 

qu'il  remplissait  les  fonctions  de  ministre  de  France  auprès 

du  Grand-Duc,  et  à  la  publication  desquelles  il  a  bien  voulu 

renoncer  en  ma  faveur.    Il  est   de  tradition  à   Darmstadt 

qu'après  la  journée  du  20  juin,  la  Landgravine  Louise  avait 

poussé  son  frère  Georges  à   tenter  de  délivrer  la  Reine  à 

l'aide  de  quelques  amis  dévoués.  Une  des  lettres  de  la  Reine, 

se  reportant  à  la  fin  de  juin  ou  an  connnencement  de  juillet 

1792,  conserve  des  traces  de  cette  tentative.  Il  y  a  eu  plusieurs 

projets  d'enlèvement  de  la  famille  royale  depuis  le  triste 

retour  de  Varcnnes;  mais  tous  ces  projets  devaient  échouer 

soit  devant  l'ardente  surveillance  des  révolutionnaires,  soit 

devant  les  refus  de  la  Reine,  qui  ne  voulait  absolument  pas 

^tre  sauvée  sans  son  mari  et  tous  les  siens. 

Les  châteaux  du  Grand -Duc  de  Hesse- Darmstadt  sont 
«emplis  de  portraits  de  Marie-Antoinette,  et  cette  profusion 
est  due  aux  soins  de  la  Landgravine  Louise.  Il  y  en  a  un, 
dans  la  galerie  des  tableaux,  qui  a  été  peint  par  madame  Le 
^run,  et  qui  porte  cette  inscription  : 

M  Donné  par  la  Reine  à  la  Princesse  Louise,  en  1783.  » 

La  princesse  Charlotte,  dont  a  parlé  la  Landgravine  et  dont 
le  nom  revient  souvent  dans  ses  lettres,  était  celle  de  ses 
sœurs  avec  laquelle  elle  avait  été  élevée  à  Vienne.  Cette 
princesse  Charlotte  s'appelait  Charlotte-Wilhelmine-Chris- 
line-Marie.  Elle  était  née  le  5  novembre  1755,  épousa, 
le  28  septembre  1784,  Charles,  duc  de  Mecklenbourg,  veuf 
d'une  sœur  de  cette  princesse,  et  mourut  à  Hanovre,  le 
12  décembre  1785. 


40  MARIE-ANTOINETTE. 


CCCCIII 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,   PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Félicitations  sur  raccouchement  de  la  Princesse.  —  Annonce 

du  portrait  de  la  Reine. 

12  septembre  1780. 

La  part  que  Madame  votre  mère  (2)  a  bien  voulu 
me  donner  de  votre  heureux  accouchement,  Madame, 
m'a  enchantée.  Ma  sincère  amitié  pour  vous  me  fera 
toujours  partager  avec  plaisir  tout  ce  qui"  peut  vous 
regarder.  Il  est  bien  heureux  que  vous  soyez  accouchée 
si  heureusement  et  que  votre  fils  se  porte  aussi  bien, 
car  assurément  vous  ne  vous  êtes  point  ménagée,  et 
j'étois  bien  inquiète  que  le  voyage  que  vous  avez  fiiît 
ici  ne  vous  fît  mal  (3).  Je  devrois  être  bien  honteuse 
envers  vous  de  n'avoir  pas  encore  envoyé  ce  portrait 
que  vous  avez  bien  voulu  me  demander.  Il  étoit  pres- 
que fini,  mais  il  est  si  peu  ressemblant  que  je  n'ai  pas 
trouvé  qu'il  fiit  digne  de  vous  être  envoyé.  Voulez-vous 
bien,  Madame,  faire  tous  mes  compliments  à  M.  le 
Prince  Héréditaire  et  l'assurer  que  je  n'ai  pas  oublié  la 

(1)  Archives  de  S.  A.  R.  le  Grand>Duc  de  liesse. 

(2)  Marie- Louise -Albcrtine  de  Leinin(;en  (Linan{Tes)-Daxl>ourg- 
Heidesheim,  ncc  le  16  mars  1729,  mariée,  le  13  mars  1748,  à  Gcorgtut- 
Guillaume,  prince  de  llesse-Darmstadt,  morte,  le  11  mars  1818,  à 
Stréliu. 

(3)  La  princesse  avait  mis  au  jour,  le  31  août  1780,  le  prince  Louis- 
Georges,  son  second  Bis.  11  fut  marié,  le  29  janvier  1804,  à  Caroline- 
Odile,  comtesse  de  ?iiddn. 


MARIE-ANTOINETTE.  41 

promesse  qu'il  m'a  faite  en  partant  de  revenir  avec  vous? 
Four  vous,  Madame,  vous  feriez  injure  h  mon  amitié 
si  vous  doutiez  du  plaisir  que  j'aurai  a  vous  embrasser 
et  vous  renouveler  mon  tendre  et  sincère  attachement. 

Ce  12  septembre  1780. 

Marie-Antoinette. 

Snscription  : 

A  Madame  la  Princ(?sse  Héréditaire  de  Hesse-Darm- 
î>tadt. 

Au  coin,  le  directeur  de  la  poste  aux  lettres  a  apo- 
'^'tillé  du  mot  chargé  et  a  signé  :        Rigolky  u'OciNv. 


CCCCIV 

'■^t  AlUE-ANTOhNETTE  A  LOl^SK,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  IIESSE-DARMSTADT  (1). 

Annonce  de  sa  seconde  gro.sKCHMe.  —  Ln  princesse  Charlotte.  — 

Le  piiiirc  Georges. 

Le  17  mars  [1781]. 

Je  compte  trop  sur  votre  amitié,  Madame,  pour  dif- 
■<îrer  de  vous  faire  part  de  révénement  le  plus  intéres- 
^imt  et  le  plus  heureux  pour  moi  :  je  me  trouve  grosse 
^l  e  deux  mois,  et  en  outre  je  me  porte  à  merveille  depuis 
^-€tte  époque  (2). 


(i)  Archives  de  S.  A.  R.  le  Grand-Dut;  de  lleitrfe. 
(2j  II  sagit  de  la  seconde  {rto.48es.4e  de  la  Reine,  qui,  le  20  octobre 
*le  cette  année,  mit  au  inonde  le  premier  Dauphin,  mort  eu  89. 


42  MARIE-ANTOINETTE. 

Si  j'uvois  plus  de  temps,  j'écrirois  aussi  à  la  priu-* 
cesse  Charlotte.  Embrassez-la  pour  moi.  Vos  deux  let- 
tres m'ont  charmée,  et  surtout  l'espérance  que  vous 
m'y  donnez  Tune  et  l'autre  de  recevoir  quelquefois  de 
vos  nouvelles.  Vous  ne  pouvez  douter  du  plaisir  qu'elles 
me  feront  si  vous  rendez  justice  à  la  tendre  amitié  que 
vous  m'avez  inspirée. 

Mes  compliments  et  remercîments  à  M.  le  Prince 
Héréditaire  pour  le  souvenir  qu'il  m'a  fait  témoig[ner. 
Je  crains  d'avoir  oublié,  en  écrivant  à  Madame  votre 
mère,  les  compliments  pour  le  prince  Georges  (1)  : 
Voulez-vous  bien  réparer  mon  omission  et  mander  à 
votre  frère  que  je  ni(î  flatte  que  les  charmes  des  villages 
de  Hollande  ne  lui  feront  pas  oublier  entièrement  toutes 
ses  connoissances  ? 


ccccv 

MARÏE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (2). 

On  lui  a  |)ré(lit  un  garçon,  elle  en  accepte  l'augure  avec  beaucoup 

de  foi. 

Ce  7  mai  1781. 

J'ai  été  désolée,  madame,  de  n'avoir  pas  pu  répon- 
dre tout  de  suite  à  votre  charmante  lettre;  mais  nous 
sommes  depuis  quinze  jours  ici,  à  Marly,  où  il  y  a 

(1)  Georges-Guillaume,  irere  du  Landgrave  régnant  et  père  de  la 
Landgraviue  Loui.se. 

(2)  Archives  de  S.  A.  R.  le  Grand-Duc  de  Hessc. 


M  A  RIE- ANTOINETTE.  43 

beauccTup  de  monde,  et  où  l*on  [n']  a  pas  un  moment 
à  soi.  C'est  ce  qui  m'a  empêchée  aussi  de  voir  M.  Wein- 
lau.  J*aurois  été  charmée  de  m'entretenir  avec  lui  de 
vous  et  de  tout  ce  qui  vous  intéresse.  Ma  santé  est  par- 
Faîte,  je  {jrossis  beaucoup.  Votre  sorcellerie  est  bien 
2]iimable  de  me  prédire  un  garçon.  J'y  ai  beaucoup  de 
foi  et  je  n'en  doute  nullement.  Adieu,  Madame,  bien 
mes  comphments  à  M.  le  Prince  Héréditaire.  Je  ne  fini- 
v*ois  pas  si  je  vous  parlois  de  toute  mon  amitié  pour  les 
-vôtres.  Je  vous  prie  de  les  en  bien  assurer,  et  de  croire 
cjue  je  vous  aime  aussi  tendrement  que  je  vous  em* 
brasse.  Je  vous  prie,  Madame ,  de  m'écrire  sans  aucune 
cérémonie  et  sur  du  petit  papier. 


CCCCVI 

M ARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  UESSE-DARMSTADT  (1). 

^^»'  un  régiment  dont  le  prince  de  liesse  sollicite  le  comniaudement 
^*i  France.  —  Espoir  d'un  iiouvean  voyage  de  la  Princesse  en  France. 

Ce  8  juin  [1781]. 

Je  suis  bien  touchée,   Madame,  du  sentiment  que 

^Ous  me  témoignez  et  de  Tintérét  que  vous  marquez 

t^our  ma  santé.  Elle  est  présentement  fort  bonne.  Re- 

^^vez  mes  remerciments ,  et  faites-les  agréei-,  je  vous 

T^rie,  à  M.  le  Prince  Héréditaire.  J'ai  parlé  au  Roi  et  à 

(1)   Ai-cliives  de  S.  A.  R.  le  Grand-Duc  de  Hc^c. 


44  MARIE- ANTOINETTE. 

M.  de  8ëgur  (1)  pour  l'affaire  du  régiment.  Vous  ne 
devez  pas  douter  du  plaisir  que  j'aurai  toujours  à  vous 
obliger  tous  deux.  Mais  cette  affaire  rencontre  des  dif- 
ficultés qu'il  paroit  bien  impossible  de  vaincre.  J'ai  tout 
lieu  de  croire  que  le  Roi  n'a  jamais  entendu  parler  des 
espérances  que  l'on  vous  a  données  pour  le  23. 

Vous  ne  sauriez  croire,  Madame,  combien  votre 
lettre  m'a  fait  de  plaisir.  Je  trouvois  qu'il  y  avoit  bien 
longtemps  que  je  n'avois  eu,  de  vos  nouvelles  et  de 
celles  de  la  princesse  Charlotte  (2)  ;  j'étois  au  moment 
de  vous  écrire  pour  vous  en  demander.  J'avois  eu  l'es- 
poir de  vous  voir  l'une  et  l'autre,  ce  printemps;  j'ai 
•  été  fort  affligée  d'y  renoncer.  J'espère  que  vous  m'en 
dédommagerez  cet  hiver.  Mes  compliments,  je  vous 
prie,  h  M.  le  Prince  et  à  madame  la  Princesse  Geor- 
ges (3).  J'embrasse  bien  tendrement  la  princesse  Char- 
lotte. J'espère  que  M.  votre  Frère  (4)  n'est  pas  toujours 

(i)  I.c  iii.-irqiiilt  (le  Sc'piir,  sociétaire  d'Etat  au  «lépartc'inent  de  la 
Guerre  eu  inar.H  1781  ;  entré  au  Conaeil  en  qualité  de  ministre  d'Ktat, 
le  21  avril  suivant.  Sa  nomination,  de  même  que  celle  de  M.  de 
<!astries  à  la  Marine,  avait  été  l'œuvre  de  la  société  Polipnac,  qui 
exploitait  son  crédit  auprès  de  la  Reine.  Cette  Princesse,  au  rap|x>rt 
de  madame  Campan  (^Mémoires,  t.  I ,  p.  261),  redoutait  de  faire  des 
ministres.  «  Vous  venez  de  voir,  lui  disait-elle  au  moment  où  M.  de  Séçur 
sortant  de  chez  elle,  un  ministre  de  ma  façon.  J'en  suis  bien  aise  ]Mmr 
le  service  du  Iloi ,  car  jiî  crois  le  choix  fort  bon  ;  mais  je  suis  presque 
fâchée  de  la  part  que  j'ai  à  cette  nomination;  je  m'attire  une  respon- 
sabilité :  j'étais  heureuse  de  n'en  point  avoir;  et  pour  m'en  alléger 
autant  que  possible ,  ji.>  viens  de  promettre  à  M.  de  8c{pir,  et  cela  sur 
ma  parole  d'honneur,  de  n'aposliller  aucun  placet  et  de  n'entraver 
aucune  de  ses  opérations  par  des  demandes  pour  mes  protégés.  » 

(2)  Voir  la  Hn  de  la  note  de  la  page  39. 

(3)  Le  père  de  la  Landgravine  Louise,  Georges-Guillaume. 

(4)  Le  P"  Georges-Charles,  né  le  14  juin  1754,  servait  aux  Pays>Has. 
C'est  un  de  ceu\  que  la  calomnie  avait  donnés  pour  amants  à  la  Reine. 


MARIE-ANTOINETTK.  /|5 

confiné  dans  son  vilain  village  de  Hollande ,  ei  qu'il  se 
souvient  quelquefois  de  moi.  Pour  vous,  Madame, 
l*amitié  que  vous  m'avez  inspirée  est  trop  tendre  el 
trop  sincère  pour  que  je  ne  compte  pas  sur  la  vôtre. 
Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


CCCCVII 

:%iARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Condoléances  sur  la  mort  du  père  de  la  Prinrcnsc. 

Ce  I"  juillet  [17^1]. 

Je  partage  bien  votre  douleur  ,  Madame,  et  personne 
•le  sent  plus  que  moi  la  perte  que  vous  venez  de  faire  (2) . 
«*le  vais  faire  de  mon  mieux  pour  engager  l'Empereur  à 
c!onservxT  le  régiment.  Vous  ne  devez  pas  douter  du 
|)laisir  que  j'en  aurai  et  pour  votre  famille  et  pour  le 
Prince  Georges  (3).  Vous  connoissez  trop  ma  tendre 
amitié  pour  vous,  Madame,  pour  douter  de  mes  senti- 
»)ents  dans  cette  triste  circonstance. 

Le  Prince  Héréditaire  voudra  bien  recevoir  ici  mon 
c^omplimcnt. 


(1)  Archives  de  S.  A.  R.  le  Grand-Duc  de  Hctisp. 

(2)  Le  j)c*re  de  la  princesse  Louise,  Georgcs-Guillauine ,  ctai(  mort  à 
^^•innriudt  le  21  juin  1781,  à  cinquante-neuf  ans. 

1,3)  Frère  de  la  Frinces.<«c  Héréditaire. 


46  L'EMPEREUR   JOSEPH   H. 

Au-^assous  de  l'adresse  écrite  de  la  main  de  la  Reine, 
est  la  signature  de  Rigoley  d'Ogny^  avec  ces  mots  : 
Charcke  et  très-recommandke. 


CCCCVIII 

I/EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (i). 

A  son  second  voya^je  en  France,  il  tiouve  la  Reine  se  préparant  à 
donner  un  Dauphin.  —  Annonce  du  voyage  du  Grand-Duc  et  de  la 
Grande-Dnchesse  de  Russie  à  Vienne. 

Versailles,  le  1""  août  1781. 

Ma  chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre.  Je  vous 
suis  infiniment  obligé  pour  tous  les  sentiments  qu'elle 
contient.  Croyez  que  ma  peine  n'a  pas  été  moindre  en 
vous  quittant,  et  que  ce  n'est  que  la  fermeté  innée 
aux  hommes  et  exercée  par  des  revers  qui  m'a  fait  avoir 
contenance.  J'ai  trouvé  ici  la  Reine  très-bien  portante, 
mais  excessivement  grosse  pour  six  mois.  Je  ne  vis 
qu'à  la  Cour  et  n'ai  donné  qu'un  coup  d'œil  à  Paris. 
J'ai  reçu  ici  une  singulière  nouvelle,  c'est  que  le  Grand- 
Duc  et  la  Grande- Duchesse  de  Russie  viendront  à 
Vienne  pour  le  mois  de  novembre ,  et  iroient  ensuite 
en  Italie.  J'aurois  bien  besoin  d'une  maîtresse  du  logis, 
et  si  Bruxelles  ctoit  comme  Presbourg,  vous  ne  doutez 
pas  de  celle  que  je  prierois.  Mais  ainsi  il  faudra  s'ar- 
ranger comme  l'on  pourra.   Adieu.  Je  pars  toujours 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
d*  Au  triche. 


L'EMPEREUR  JOSEPH  II.  47 

climanche  d'ici.  Je  tous  embrasse,  de  même  que  le 
Prince  y  de  tout  mon  cœur ,  et  croyez-moi  pour  ]a  vie 
'wotre. 


CCCCIX 

M/EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE^HRISTINE  (i). 

Kl  quittant  Versailles,  il  test  rendu  a  Montbéliard  pour  visiter  le 
prince  de  Wurtemberg,  duc  de  Montbéliard,  dont  la  plus  jciwc 
fille  est  destinée  à  Tarchiduc  François,  depuis  empereur,  neveu 
favori  de  Joseph  II.  —  Portrait  peu  flatté  de  cette  princesse. 

Montbéliard,  le  8  août  [1781]. 

Ma  chère    Sœur,    je  n'oublie  pas    les    comissions 
<|u'on  me   done,   et  contenter  la   curiosité  chés   une 
ielle  femme  est  une  chose  bien  précieuse  pour  mériter 
son  amitié.  Ici  c'est  encore  plus,  c'est  interest  qui  vous 
foit  désirer  de  mes  nouvelles,  en  voici.  Mon  voyage  à 
Versaille  a  ete  tres^heureux.  J'ai  ete  fort  content  du 
moral  et  du  phisicque  des  deux  personages  interessans 
savoir  le  Roi  et  la  Reine,  et  j'ai  trouvé  un  changement 
et)  mieux  considérable.  Pour  ici,  dans  le  plus  vilain 
trou  y  loge  une  famille  de  11  enfans,  père  et  mère, 
donts  les  principes  me  paroissent  vraiment  respecta- 
I>les.  La  princesse  Elisabeth  destiné  à  mon  neveux  re- 
levé d*uiie  maladie  assez  grave  quelle  a  eu.  Par  conse- 


(1)  Archives  de  Son  Altessc^Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
«I^Aatriche. 

lettre  autographe.  Orthographe  conservée. 


kS  L'EMPERKtTR    JOSEPH  H. 

quent,  Elle  a  très  mauvais  visage,  est  fort  maigrit, 
est  foible  au  point  qu'il  n'y  a  que  trois  jours  qu'elle  se 
levé  du  lit.  Elle  est  grande  pour  son  a{fe,  maigre,  bien 
faite,  point  belle  ni  sera  même  jamais  jolie.  Une  trop 
grande  bouche  et  des  cheveux  blond  tirant  vers  le 
blanc ,  y  mettent  empêchement.  Sa  phisionomie  est  au 
reste  assés  intéressante,  et  elle  voudroit  avoire  de  cette 
douceur  prévenante  et  spirituelle  de  la  petite  duchesse 
d'Âremberg.  Cest  la  seule  ressemblance  mais  pas  si 
bien  de  beaucoup,  que  je  lui  trouve.  Pour  une  femme  et 
d'un  juen  homme  de  19  années,  ce  sera  tousjours  un 
morceau  assés  friant.  Je  ne  puis  pas  vous  parler  de  sou 
esprit  ni  de  son  caracteure,  mais  elle  m'a  paru  fort  à  sa 
place  et  attentive  sur  elle-même,  sans  «ifFectation. 
Voilla  ma  relation ,  chère  Sœur,  pardonnes  le  peux  aux 
circonstances.  Adieu ,  je  vous  embrasse.  Faites  mes 
complimens  au  Prince  et  croyez  moi  pour  la  vie  votre. 


L'Empereur  fait  allusion  dans  cette  lettre  à  son  second 
voyage  en  France  dont  il  parlait  dans  la  lettre  précédente. 
De  Versailles  il  s'était  rendu  à  Montbéliard,  alors  capitale 
d'un  comté  qui  avait  autrefois  relevé  de  l'empire  d'Alle- 
magne sans  appartenir  à  aucun  cercle,  et  se  composait  du 
comté  de  Montbéliard  proprement  dit  et  de  sept  ou  huit  sei- 
gneuries. Cette  ville  était  la  résidence  d'une  branche  de  la 
maison  de  Wurtemberg,  qui,  du  pays,  avait  pris  le  nom  de 
Wurtemberg -Montbéliard,  ou,  pour  le  faire  court,  de  Ducs 
de  Montb<''liard.  Le  Duc  régnant  était,  en  ce  temps-là,  ce 
Frédéric -Eugène  qui  avait  ser\'i  brillamment  sous  Frédé- 
ric II,  et  que  ce  prince  avait  marié  à  sa  nièce,  fille  de  su 
sœur,  margrave  de  Brandebourg-Schwedt.  C'est  la  dernière 
des  niles  de  ce  Duc,  qui,  destinée  dès  l'enfance  au  neveu 


L'EMPEREUR   JOSEPH    II.  '       49 

**Iiéri  de  Joseph  H,  rArchidiic  François,  avait  été  élevée  dans 
I  a  reli{|ion  catholique,  Tépoiisa  en  1788,  devança  de  vin^jt- 
«^natre  heures  dans  la  tombe  TEmpcreur  Joseph,  qui  fut 
■  'eniplacé  par  Léopold.  Celui-ci  voulut  [garder  aupms  de  lui 
^5on  héritier  présomptif,  devenu  veuf,  et  laissa  à  son  second 
#ils  le  trône  de  Florence.  La  princesse  Elisabeth  était  sœur 
«Je  la  Grande- Duchesse  de  llussie,  femme  de  Paul,  depuis 
Vaul  I"",  qui  tous  deux  vinrent  en  France  cette  année-Ij\. 

11  parait  que  Joseph  II  ro|^retta  ses  paroles  [leu  flatteuses 

^ur  la   princesse  destinée  par  lui-même  à  son   neveu.   Du 

moins,  dans  une  lettre  du  15  janvier  1782,  qui  fait  é(jale- 

mrnl  partie  des  Archives  de  S.  A.  1.  et  R.  l'Archiduc  Albert 

d'Autriche,  ^oici  ce  qu'il  écrit  : 

«Je  vous  joins  ici,  ma  chère  Sœur,  deux  objets  qui  peu- 
vent vous  paroître  curieux;  l'un,  c'est  des  points  que  j'ai 
envoyés  dans  toute  la  famille  au  sujet  de  la  \isite  des  Russes, 
dans  krsquelles  vous  verres  les  indications  que  je  leur  ai 
doués,  et  qui  pourront  servir  à  les  debarasser.  L'autre,  c'est 
la  copie  de  la  <lesc*ription  que  j'ai  faite  à  mon   frère  de  la 
princesse  Elisabeth.  Vous  sentes  bien,  chère  sœur,  qu'abso- 
lument celle-ci  doit  rester  seci-ète,  et  que,  hors  voti*e  chère 
mari,  personne  au  monde  doit  la  voire  ou  en  aprendre  quel- 
que chose.  Je  vous  prie  même  ou  de  me  renvoyer  ou  de  la 
brûUîr  lecture  faite.  Je  n'y  flatte  pas,  et  j'aime  mieux  en 

dire  moins  que  trop 

y*  Les  Russes  viendonts  je  crois  à  la  Bn  de  juilliet,  ou  com- 
inencem(Mit  d'aoust,.chés  vous.  J'ai  été  fort  contents  d'eux  et 
surfout  du  Grand-Duc,  que  je  préfère  de  beaucoup  à  son 
épouse,  n 


baronne  d'Oberkirch,  qui  avait  été  élevée  avec  la  future 
^randt^Duchesse  et  la  princesse  Ëlisabi'th ,  parle  de  cette 
visito  dt;  Joseph  H,  dans  ses  Mémoires,  t.  I",  p.  138-liO.  Le 
port^^i^  qu'elle  fait  de  l'Empereur  n'est  pas  mal  tracé. 


"rOMB  UT.  4 


50  MARIE-ANTOINETTE. 

CCCCX 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Envoî  (lo  son  portrait. 

Ce  28  septembre  [1781]. 

Je  vous  fais  un  véritable  sacrifice,  Madame,  en  cé- 
dant à  Toccasion  que  me  propose  M.  de  Nassau  pour 
VOUS  faire  passer  mon  portrait.  Je  le  trouve  fort  peu 
ressemblant,  et  il  ne  peut  servir  qu'à  vous  prouver  ma 
bonne  volonté  h  vous  satisfaire.  M.  de  Nassau  ayant 
voulu  me  remettre  lui-même  la  lettre  de  Madame  votre 
mère,  je  ne  l'ai  reçue  qu'il  y  a  peu  de  jours.  Voulez- 
vous  bien  lui  en  faire  tous  mes  remcrcîments  !  Quoique 
ma  santé  soit  fort  bonne,  la  gène  naturelle  et  souf- 
france de  mon  état  m'empêchera  de  lui  écrire.  J'entre 
le  12  octobre  dans  mon  neuf,  et  j'espère  accoucher 
promptement(2) .  Mes  compliments,  je  vous  prie,  à  M.  le 
Prince  Héréditaire  et  à  tous  les  vôtres.  N'oubliez  pas 
d'embrasser  la  princesse  Charlotte  pour  moi.  Vous  de- 
vez être  bien  sûres  toutes  deux  de  ma  sincère  amitié  et 
du  prix  que  j'attache  à  la  vôtre. 


(1)  Arcllivci»  de  Son  Altoisc  Royale  le  Grand-Duc  de  Hcssi'. 

(2)  Elle  accourha  le  22  octobre  1781  du  prtuDÎer  Dauphin. 


LOUIS    XVI-  5i 


CCCCXI 

LOUIS  XVI  AU  COMTE  DE  GRASSE  (1). 

.c  Roi  invite  l*aniirnl  à  faire  chanter  un  Te  Deum  à  son  bord^  en 
l'honneur  des  succès  remportes  sur  les  An^rlais,  en  Amérique,  par 
ses  armées  de  terre  et  de  mer. 


Versailles,  le  2i  novembre  1781. 

Monsieur  le  comte  de  Grasse,  les  succès  de    mes 
srmes  ne  me  flatteront  jamais  que  comme  étant  un 
acheminement  à  la  paix.  C'est  sous  ce  point  de  vue  que 
je  me  plais  à  envisager  la  suite  d*évënements  heureux 
<ju'ofFre  cette  campagne.  —  L'armée  navale  dont  je 
'vous  ai  confié  le  commandement,  après  avoir  eu  aux 
Antilles  un  avantage  sur  celle  des  Ânglois  et  pris  à 
leur  vue  l'île  de  Tabago,  s'est  portée  sur  les  côtes  de 
la  Virginie  pour  concourir  à  la  forcer  d'évacuer  cette 
province.  Une  flotte  ennemie  est  venue  l'attaquer,  a  été 
battue  et  obligée  de  se  retirer  dans  ses  ports.  Enfin, 
une  armée  angloise  renfermée  dans  la  ville  d'York, 
attaquée  par  mes  troupes  combinées  avec  celles  des 
États-Unis  de  l'Amérique,  sous  le  commandement  du 
ge'néral  Washington  et  du  comte  de  Bocbambeau,  lieu- 
tenant général  de  nos  armées,  a  été  forcée  de  se  ren- 
dre prisonnière  de  guerre.  —  En  reconnoissant  com- 
bien l'habileté  des  généraux  et  la  valeur  des  troupes 
ont  rendu  cette  campagne  glorieuse,  mon  but  est  d'ex- 
citer dans  tous  les  cœurs,  comme  dans  le  mien,  la 


(i)  Archires  da  Ministère  de  la  Marine. 


5Î  PAIX   AVFX   L'ANGLETERRE. 

plus  profonde  reconnoissance  pour  rAuteur  de  toute 
prospérité  ;  je  vous  fais  donc  cette  lettre  pour  vous  dire 
que  mon  intention  est  que  vous  fassiez  chanter  le  Te 
Deum  a  bord  du  vaisseau  que  vous  montez,  que  vous  y 
assistiez  avec  les  autres  officiers  étant  sous  vos  ordres, 
que  vous  fassiez  tirer  le  canon  des  vaisseaux  composant 
l'escadre  dont  vous  avez  le  commandement.  Sur  ce, 


La  lettre  qui  précède,  analog^ue  à  celle  qui  fut,  vers  la  même 
date,  adressée  aux  commandants  des  flottes  on  des  ports  de 
France,  était  d'autant  plus  flatteuse  pour  le  comte  de  Grasse, 
si  malheureux  plus  tard,  que  les  succès  dont  le  Roi  ordonnait 
<|u'on  remerciât  Dieu  étaient  dus  principalement  à  l'action 
de  Tannée  navale  commandée  par  ce  marin. 

Dans  les  Antilles ,  il  s'était  conduit  vaillamment ,  le 
29  avril  1781,  pour  faire  entrer  un  convoi  important  au 
Fort-Royal  de  la  Martinique.  11  s'était  signalé  encore  en  déci- 
dant, le  2  juin  suivant,  par  son  appui  naval,  la  prise  de 
Tabago,  qu'assiégeait  le  marquis  de  Bouille,  et  en  conduisant 
à  Saint-Domingue  un  autre  convoi  de  deux  cents  voiles. 

On  s'accorde  généralement  à  regarder  la  capitulation  du 
lord  Cornwallis  à  York,  le  19  octobre  de  la  môme  année  1781, 
comme  l'événement  qui  influa  le  plus  sur  la  paix  et  sur  la 
reconnaissance  définitive  de  l'indépendance  des  colonies 
anglaises  d'Amérique.  Or,  ce  fut  encore  l'heureux  concours 
qu'avait  prêté  notre  armée  navale  à  celle  de  terre  qui  avait 
enlevé  ce  succès.  Cerné  par  Washington,  Rochambeau,  La 
Fayette,  Saint-Simon  et  Clioisy,  Cornwallis  ne  pouvait  non 
plus  tirer  de  secours  de  la  mer.  Le  5  septembre,  le  comte  de 
Grasse  avait  contraint  l'amiral  Graves  à  se  retirer  ;  et  depuis 
lors  il  l'avait  tenu  en  respect  par  la  supériorité  de  ses  forces 
et  l'activité  de  ses  manœuvres. 

Le  Roi  parle  de  son  amour  pour  la  paix.  Ce  sentiment 
était  chez  lui  dominant.  Ainsi,  quand  à  la  fin  de  1782  on 
pensa  que  des  négociations  pour  la  paix  seraient  de  nature 


PAIX    AVEC   L'ANGLETERRE.  53 

à  être  entamées  avec  T Angleterre,  le  premier  commis  des 

affaires  étrangères,  Gérard  de  Rayneval,  père  et  çrand-père 

(Ic*$  illustres  ambassadeurs  de  ce  nom,  avait  été  envoyé  sans 

Giractère  officiel  à  Londres,  ponr  y  prendre  lang^ue  et  tenter 

(l'y  nouer  les  premiers  fils  d'un  accord.  Déjà  rAn(jleterre 

s'était  décidée  à  acheter  la  paix,  plutôt  qu'à  la  faire  avec  les 

Etats-Unis.  ]\lais  les  ministres  angolais,  les  lords  Shelburne 

et  Grantham ,  qui  la  désiraient  avec  nous  autant  que  nous- 

inèmes  la  désirions  avec  eux,  jouaient  au  fin  et  tentaient 

sur  l'agent  français  l'effet  des  hauteurs  britanniques. 

u  L'Angleterre,  disaient-ils,  a  tout  avantage  à  continuer 
la  guerre  :  la  France  et  l'Espagne  sont  à  bout  d'hommes  et 
d'argent.  L'Angleterre  pourrait  cependant  consentir  à  la  ces- 
sation des  hostilités,  mais  à  des  conditions  précises,  irrévo- 
cables, qu'il  faut  accepter  sur  l'heure,  etc.,  etc.  n 

Rayneval  fit  connaître  avec  anxiété  cette  mise  en  demeure, 
dont  le  cabinet  de  Versailles  ne  fut  pas  dupe. 

u  Le  Roi  a  donné  trop  de  preuves  de  sa  modération , 
répondit  de  sa  main  le  comte  de  Vergeiuies,  le  7  décembre 
1782,  —  pour  craindre  la  rupture  d'une  négociation  où  le 
public  impartial  ne  verra  peut-être  que  trop  de  facilité  de 
^a  part  pour  la  paix.  Sa  Majesté  la  désire  de  bonne  foi  :  elle 
Aie  le  dissimule  pas.   Mais  ce  désir  est  une  vertu  et  non 
|)as  une  foiblesse.  Je  n'ai  que  trop  lieu  de  croire  qu'on  s'y 
méprend  en  Angleterre,  et  qu'il  suffit,  à  ses  yeux,  d'en- 
fler ses  prétentions  pour  obtenir.  Le  Roi  a  été  au-devant 
«  le  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  faire  cesser  les  calamités 
€.le  la  guerre,  et  ce  ne  sera  pas  sans  le  plus  vif  regret  que  Sa 
Alajesté  les  verra  se  prolonger.   Mais  dès  qu'on  lui  en  i«ra 
i.ine  nécessité,   il   y  souscrira   avec  résignation  et   ne  fera 
jamais  rien  qui  puisse  blesser  la  dignité  de  son  caractère 
^•t  celle  de  sa  couronne.  » 

Vergennes  a  été  un  ministre  habile.  Si  sa  plume  n'avait 

fias  le  vol  du  grand  seigneur  comme  celle  du  duc  de  Choiseul, 

cîlle  avait  du  moins  l'allure  simple,  digne,  ferme,  et  l'on  a 

€?utort  d'attribuer  à  Rayneval,  qui  était  homme  de  sens,  mais 

lourd,"  les  bonnes  dépêches  de  ce  ministre,  que,  du  reste,  les 

Affaires  Étrangères  possèdent  de  sa  main. 


54  LEMPEREUR   JOSEPH    II. 


CCCCXII 

L'EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

Prochain  Toyagc  h  Bruxelles  da  Grand-Duc  et  dn  la  Grande-DucfaetM 
de  Russie,  sous  le  nom  de  Comte  et  Comtesse  du  Nord.  —  Gomment 
il  les  faut  recevoir.  —  Les  Hollandais.  —  Le  pape  Pie  VI. 

Vienne,  ce  26  mars  1782. 

Ma  chère  Sœur,  j'ai  reçu  vos  chères  lettres  et  vous 
en  rends  bien  des  grâces,  surtout  pour  le  tendre  com- 
phment  que  vous  voulez  bien  me  faire  à  l'occasion  de 
mes  fêtes,  et  des  expressions  charmantes  dont  votre 
amitié  se  sert  à  mon  égard.  J'en  suis  d'autant  plus 
touché  que  j'en  connois  toute  la  réalité  et  valeur. 

Quant  aux  Comtes  du  Nord,  je  crois  que,  comme  ils 
n'ont  point  accepté  de  logement  à  Florence  et  qu'ils 
ont  logé  à  l'auberge  de  Vanini,  prenant  même  des  voi- 
tures de  remise,  ils  en  feront  de  même  partout,  et  par 
conséquent  il  faudra  les  laisser  faire  à  ce  sujet;  et  j'ima- 
gine qu'en  envoyant  toujours  un  de  leurs  messieurs  en 
avant,  ils  se  choisiront  quelque  bon  logement  dont  le 
plus  convenable  à  mon  avis  seroit  certainement  l'hôtel 
de  Bellevue  sur  la  place  Royale ,  près  de  chez  vous , 
dans  une  belle  situation  et  assez  commodément  arrangé. 

Je  suis  bien  charmé  que  les  HoUandois,  en6n  lassés 
par  la  constance,  quitteront  nos  villes  et  nous  prive- 
ront de  la  vue  assez  désagréable  de  leurs  uniformes 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
d'Autriche. 


LE   PAPE  PIE  VI    A  VIENNE.  M 

iileus.  Si  le  Pape  pliera  également  à  une  constance  en- 
tremêlée de  politesses  et  de  distinctions  comme  les 
Hollandois,  c'est  ce  que  je  ne  puis  pas  vous  dire;  car 
je  lui  crois  bien  le  peu  de  courage  qu'on  attribue  aux 
Hollandois  ;  mais  sa  tactique  est  différente,  et  il  est 
plus  manœuvrier  que  ces  bons  mangeurs  de  fromage  et 
de  beurre.  Si  vous  voulez  savoir  quelque  chose  des 
détails  de  Sa  Sainteté,  je  vous  joins  ici  un  journal 
evact  de  ce  qu'il  a  fait  jusqu'à  présent,  et  je  le  ferai 
«•ontinuer  de  même,  si  vous  en  êtes  curieuse. 


Le  voyage  à  Vienne  de  Jean-Ange  Draschi,  pape  sous  le 

nom  de  Pie  VI ,  est  un  des  épisodes  intéressants  de  la  vie 

de  oe  pontife,   que   les    plus   grandes    vertus   ne    purent 

■nettre  à  l'abri  des  plus  terribles  orages.  L*esprit  du  temps 

Poussait  a  la  sécnlarisation  et  a  la  suppression  des  ordres 

''lonastiques ,  à  la  confiscation  des  biens  du  clergé,  à  des 

''^^ifications  radicales  dans  l'institution  des.évêchés,  à  la 

'^^'endication  de  certains  domaines  placés  sous  la  puissance 

|c>K^pordle  des  papes.  Ce  qui  n'avait  été  d'abord  qu'une 

Ki6e   philosophique  et  spéculative  s'était  infiltré  dans   les 

'0»%inctt  des  classe»  inférieures  de  la  société,  et  avait  en  même 

^^'^  (M  remonté  jusque  dans  les  conseils  de  gouvernements 

P^^ciîaants.  Joseph  II,  dans  les  Pays-Bas ,  Léopold,  son  firère, 

"®*^«  la  Toscane,  avaient  réduit  ces  systèmes  en  pratique. 

"'^•^ph  s'était  mis  à  la  tête  de  la  réforme  et  avait  tranché 

"**^^  le  vif.  11  s'était  aliéné  le  clergé  par  son  édit  de  tolérance 

^^      1781,  et  plus  encore  par  l'abolition  presque  totale  des 

^^'^^  Vents  et  la  vente  de  leurs  biens,  par  une  nouvelle  circon- 

'^'^  Jîtion  des  diocèses,  par  l'interdiction  du  recours  à  Tauto- 

^^^    pontificale  et  la  défense  de  publier  les  bref^  du  Pape 

***^si  la  permission  de  l'autorité  civile,  par  des  règlements 

^'^iî.Ji  sur  le  culte  et  sur  la  discipline  ecclésiastique.  «  L'Em- 

P^ï'^enr,  écrivait  le  grand  Frédéric  à  d'Alerabert,  continue 

^^ .  sécularisations  sans  interruption  :  chez  nous ,  chacun 


56  LE   PAPE   PIE  VI   A  VIENNE. 

reste  comme  il  est,  et  je  respecte  le  droit  de  possession  sur 
lequel  la  société  est  fondée.  »  La  France,  encore  monar- 
chique, en  était  seulement  alors  aux  spéculations  philoso- 
phiques, et  la  lar(je  part  qu'elle  devait  prendre  par  le  radi- 
calisme de  ses  réformes  n'était  encore  qu'une  menace 
latente.  Aux  bons  temps  de  la  puissance  des  Papes  sur  les 
Couronnes,  il  eût  suFB  d'une  bulle  fulminée  du  Vatican  pour 
arrêter  court  les  innovations  de  l'Empereur.  Autres  temps, 
autres  mœurs.  Le  Pape,  dans  l'impuissance  des  bulles,  ne 
voulut  pas,  devant  les  prt»mières  violences  de  Joseph,  s'en 
tenir  aux  notes  diplomatiques;  il  résolut,  mal^jré  les  opposi- 
tions de  sa  famille  et  de  son  conseil,  malgré  les  représenta- 
tions du  cardinal  de  Bernis,  d'aller  en  personne  traiter  ces 
questions  brûlantes  à  Vienne  même  avec  le  souverain. 
L'Euipereur  déploya  à^e  recevoir  une  splendeur  et  une 
magniRcence,  une  affectation  de  respect,  mesurées  sur  les 
échecs  qu'il  était  déterminé  à  lui  faire  subir.  Les  populations 
seules,  par  la  chaleur  de  leur  enthousiasme  et  la  profondeur 
de  leur  vénération,  dédommagèrent  le  Saint-Père  de  l'invin- 
cible obstination  de  l'Empereur  et  delà  superbe  dédaigneuse 
et  incivile  de  son  ministre  Kaunitz. 

Cependant  l'attitude  admirable  de  calme,  de  dignité,  de 
mansuétude  du  Souverain  Pontife  avait  agi  sur  l'esprit  de 
TEmpcreur;  et  quand,  l'année  suivante,  Joseph  11  se  rendit 
à  Rome,  on  vit  dans  les  concessions  sérieuses  qu'il  consentit 
touchant  l'archevêché  de  Milan,  le  chemin  qu'avait  fait  chez 
l'Empereur  son  estime  pour  la  personne  du  Pape.  Le  temps 
et  les  événements  devaient  ajouter  encore  à  ces  dispositions 
conciliantes,  et  l'on  vit  plus  tard,  surtout  en  1789,  que  la 
terrible  leçon  du  soulèvement  du  Brabant  avait  alarmé  sa 
politique,  quand,  pour  ramener  ses  sujets  révoltés,  il  demanda 
à  Pie  VI  l'appui  de  ses  armes  spirituelles. 

Imbu  des  mêmes  idées  philosophiques,  mais  moins  ardent 
et  plus  maître  de  ses  passions,  le  Grand-Duc  de  Toscane 
Léopold  avait  tenté  aussi  des  réformes  dans  ses  États.  Assisté 
de  l'évêque  de  Pistoïa,  Ricci,  neveu  du  dernier  général  des 
Jésuites  enfermé  par  Ganganelli  dans  le  château  Saint- 
Ange,  et  que  Braschi  n'avait  pas  eu  le  courage  de  rendre  à 
la  liberté,  Léopold  avait  provoqué  en  1786,  à  Pistoïa,  la 


LOUIS   XVI.  57 

réunion  d'un  synode  qui  avait  consacré  toiles  les  maximes 
antiromaines.  Enfin,  Tannée  suivante,  un  concile  tenu  à 
Florence,  et  auquel  avaient  pris  part  dix-huit  archevêques 
ou  évoques,  avait  été  appelé  à  sanctionner  ces  maximes.  Mais 
voyant  qu'elles  n'avaient  reçu  Tapprohation  que  de  trois 
VWêques,  Léopold  comprit  à  temps  qu'il  faisait  fausse  route; 
et,  comme  on  le  verra  plus  loin,  il  n'attendit  pas  la  mort 
de  son  frère  pour  désavouer  les  inchcuses  mesures  prises  par 
Joseph  II  dans  les  Pays-Bas.  A  son  avènement  au  trône  d'Al- 
lemagne, les  commotions  révolutionnaires  de  la  France, 
dont  la  réaction  se  faisait  sentir  dans  les  provinces  belgiques, 
lui  fiirent  un  motif  de  plus  pour  hûter  sa  réconciliation  avec 
le  clergfé  brabançon. 


CCCCXIII 

LOUIS   Xtl    AU   GARDE   DES    SCEAUX, 
HUE  DE  MIROMESML   (1). 

Interdiction  de  la  rcpicscntatioii  du  yfarinije  de  Fujaio. 

[Premiei-s  mois  de  1782.] 

Je  vous  renvoie ,  Monsieur,  lu  comédie  de  Beaumar- 
•   ohais.  Je  l'ai  lue  et  fuit  lire  :  le  censeur  ne  doit  en 
permettre  ni  la  représentation  ni  l'impression. 

Lotis. 


La  FoUc  Journée  ou  le  Mariage  de  Fifjurn,  qui  ne  parut 
«ur  la  scène  de  la  Comédie  fiaiiraise  que  le  27  avril  1784, 


(1)  GabiiieC  de  M.   Itoiirron-llliarlard,  ineinbre  de  l' Académie  de 
médecine.  I^i  pièce  provient  de  la  rente  du  conito  d'AufTay. 

J'ai  rencontré  cbcz  toug  le4  curieux  d'autographe»,  et  particuliè- 


38  LE   MARIAGE  DE  FIGARO, 

datait  de  1781.  C'est  dans  les  derniers  mois  de  cette  année 
que  cette  pièce  avait  été  lue  à  la  Comédie,  et  y  avait  été 
acceptée.  Dès  ce  mouient  commencèrent  les  oppositions  contre 
le  Mariage  de  Figaro,  jusque-là  bien  accueilli  dans  les  lec- 
tures de  salon,  et  que  Tauteur  intitulait,  par  antiphrase  sans 
doute,  Opuscule  comique,  La  question  était  devenue  en  quel- 
que sorte  ^gouvernementale,  et  la  Couren  était  fort  agitée.  On 
s'y  parta(jeait  sur  le  mérite  et  la  portée  de  l'œuvre.  Les  uns, 
le  cœur  serré,  criaient  à  l'immoralité,  à  l'indécence,  à  la 
monstruosité.  Les  autres  répétaient  avec  l'auteur  «  qu'il 
n'y  avait  que  les  petits  esprits  qui  craignissent  les  petits 
écrits  »,  et  ils  n'étaient  nullement  irrités  contre  l'œuvre 
do  s'en  être  amusés.  Le  baron  de  Breteuil  et  tous  les 
hommes  de  la  société  de  madame  de  Polignac  se  procla- 
maient les  protecteurs  de  la  comédie.  Monsieur  lui-même, 
qui  affectait  de  prendre  le  contre-pied  de  ce  que  faisait  le 
Roi,  se  rangeait  ouvertement  du  côté  des  partisans  de  l'ou- 
vrage. Enfin  Louis  XVI  était  obsédé  de  recommandations  en 
faveur  de  Beaumarchais.  La  Comtesse  dji  Nord,  de  passage 
à  Paris,  éprouvait  une  vive  curiosité  de  connaître  la  pièce 
qui  surexcitait  si  ardemment  l'intérêt  public,  et  le  baron  de 
Grimni   fit  des  instances  auprès  de  l'auteur  pour  qu'il  en 


renient  chez  M.  Boiitron,  que  j'.iime  à  remercier,  le  plus  gracieux 
ctnpreâsement  à  me  cominuniquer  les  pièces  qu'ils  pouvaient  posséder 
dans  la  sphère  de  ma  pui)lication,  comme  je  m'étais  plu  moi-même 
à  donner  des  communications,  soit  au  Gouvernement,  publiant  les 
lettres  de  notre  grand  et  adorable  roi  Henry  IV  et  celles  de  Napo- 
léon I^^,  soit  ù  une  multitude  d'auteurs  qui  m'ont  fait  l'honneur  de 
s'adresser  à  moi  pour  leurs  publications.  Demandez  à  l'honorable  aca- 
démicien M.  Régnier,  a  qui  j'ai  prêté  de  grand  cœur  sept  lettres 
inédites  de  madame  de  Scvigné  ;  demandez  à  M.  Lavallée,  le  savant 
et  fidèle  éditeur  de  madame  de  Maintenon,  à  qui  j'ai  prêté  neuf  cents 
lettres  de  la  marquise.  La  seule  et  unique  difficulté  que  j'aie  rencontrée, 
dans  tout  le  cours  de  mes  recherches ,  et  dont  j'ai  éprouvé  plus  de  sui"*- 
prisc  encore  que  de  regret,  est  auprès  de  M.  Ilathery,  attaché  à  la 
Bibliothèque  impéinale,  qui  a  refusé  la  communication  d'une  petite  lettre 
de  Marie-Antoinette.  Il  en  avait  un  second  billet,  qu'il  a  cédé  à  l'expert 
en  autographes  M.  Charavay,  lequel  me  l'a  cédé  à  son  tour.  C*est  le 
n9  CGGXCI  de  ce  volume.  L'autre  billet  est  adressé  au  même  personnage. 


LE  MARIAGE  DE  FIGARO.  59 

donnât  une  lecture  devant  rhéritière  de  la  couronne  de 
Russie  (1).  La  princesse  de  Laniballe  avait,  pour  son  propre 
compte,  réitéré  les  mêmes  instances,  par  l'entremise  du  duc 
de  Fronsac,  et  Beaumarchais  avait  déjà  lu  chez  la  maré- 
chale de  Richelieu  la  pièce  incriminée.  Chacun  s'amusait  à 
y  reconnaître  sou  voisin  sans  s'y  reconnaître  soi-même,  peut- 
être  en  s'y  reconnaissant;  et  sur  la  mine  volcanique  a 
laquelle  cette  oeuvre  hardie  et  diabolique  allait  contribuer  k 
mettre  le  feu,  on  ne  sou(j^eait  qu'à  rire  aux  éclats  de  soi  et 
surtout  des  autres. 

Louis  XYI  avait  évoqué  par^Ievers  lui  le  manuscrit,  pendant 
qu'à  Varsovie  la  pièce  était  jouée  devant  le  Roi  de  Pologne 
Poniatowski,  et  que  l'Impératrice  Catherine  en  demandait 
copie  pour  s'en  donner  le  ré^al  sur  le  théâtre  de  l'Ermitage. 
Il  est  évident  que  toutes  les  hardiesses  de  Figaro  contre  la 
noblesse,  u  qui  n'avait  pris  que  la  peine  de  naître  »,  contre 
l'administration  corrompue,  contre  les  lettres  de  cachet, 
contre  la  censure,  la  diplomatie  et  le  i*este,  n'étaient  plus 
que  des  lieux  communs  de  pamphlets  et  de  gazettes.  Mais  là 
elles  frappaient  la  société  eu  pleine  poitrine,  elles  appe- 
laient à  brûle-pourpoint  la  dérision  et  les  sarcasmes  de  la 
foule  ;  elles  résumaient  dans  un  ensemble  d'action  le 
mépris  public ,  et  l'écrivaient  dans  tous  les  esprits  en  lettres 
de  feu. 

De  haut  et  de  loin  on  voit  souvent  ])lus  juste  que  de  près  : 
le  Roi  vit  le  danger  que  lui  avait  signalé  le  garde  des  sceaux  : 
«  C'est  détestable  !  s'écria  Louis  XVI  après  Kî  fameux  mono- 
logue du  cinquième  acte,  qu'il  se  faisait  lire  par  madame 
Campan  devant  la  Reine,   c'est  détestable   :    cela    ne  sera 
Jamais  joué.   Il  faudroit  détruire  la  Bastille,  pour  que  la 
t^epréseutation  de  cette  pièce  ne  fût  pas  une  inconséquence 
dangereuse.  Cet  homme  déjoue  tout  ce  qu'il  faut  respecter 
dans  un  gouvernement. 

« —  On  ne  la  jouera  donc  pas?  dit  la  Reine  (que  ses  pen- 
chants portaient  à  souhaiier  la  représentation,   bien  que. 


(1)  Les  Mémoires  de  fa  baronne  D'OsKiiKincn,  t.  I**",  p.  223,  con- 
tiennent le  récit  de  cette  lecture  dcvuiit  la  Grande-Duchcs;se  de  Russie, 
^*t  un  portrait  assez  bien  fait  de  la  personne  de  Beaumarchais. 


i 

\ 


i 


60  LE   MARIAGE  DE  FIGARO. 

suivant  l'opinion  de  plusieurs,  elle  y  fût  un  des  personna(»i*s 
ridiculisés). 

« —  Non  certainement,  répondit  le  Roi  :  vous  pouvez  en 
être  sûre  (1).  » 

Elle  Rit  jouée  cependant  à  la  Comédie  française,  après 
l'avoir  été  chez  lo  comte  de  Vaudreuil  et  sur  d'autres  scènes 
intimes;  et  le  jour  de  la  première  représentation  publique, 
le  Comte  de  Provence  affecta  de  s'y  foire  voir  en  loge  décou- 
verte. Le  Roi  n'au(jurait  pas  bien  de  la  réussite,  et  quelques 
courtisans  renchérissaient  sur  son  avis.  Ce  fui  au  contraire 
un  succès  prodî(jieux  d'acclamation,  et  Beaumarchais  étonné 
s'écriait  :  «  Il  y  a  quelque  chose  de  plus  fou  que  ma  pièce, 
c'est  le  succès!  »  La  célèbre  Sophie  Arnould,  qui  l'avait 
prévu  le  premier  jour,  avait  dit  de  son  côté  :  «  C'est  un 
ouvra(je  à  tomber  cinquante  fois  de  suite.  »  Et  de  fait,  à  la 
soixante-douzième  représentation,  la  salle  était  comble 
comme  à  la  première  (2).  Mais  avant  ce  triomphe  de  Beau- 
marchais, quelle  adroite  tactique!  que  d'efforts  souterrains 
et  patents  !  que  de  puissantes  entremises  n'avait-il  pas  dû 
mettre  en  jeu  pour  enflammer  en  sa  faveur  l'opinion  pu- 
blique, pour  préparer  un  moment  où  l'on  pût  dire  sans 
trop  se  tromper  que  tout  le  monde  voulait  la  représentation, 
tout  le  monde,  hormis  le  Roi  ! 

Cet  épisode  do  la  vie  dramatique  de  Tauteur  du  Mariage 
de  Fiyaro  est  parfaitement  raconté  dans  le  livre  de  M.  Louis 
de  Loménie  sur  Beaumarchais  et  son  temps.  C'est  là  qu'il  le 
faut  lire. 


(1)  Mémoires  Je  madame  Campan,  t.  I ,  |>.  278. 

(2)  Voir  l(s  notes  des  éditeurs  de  in.idatne  Caiiipnn  ,  ibiil.,  p.  28f. 


^EMPEREUR    JOSEPH    II.  61 


CCCCXIV 

JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MAIUE-CHRISTIISE  (1). 

Le  Pape  à  Vienne.  —  DUsidencea  entre  le  Saint-Père  et  l*Empereur. 
—  Le  Comte  et  la  CointcHse  du  ^ord. 


Vienne,  ce  15  avril  1782. 

Ma  chère  Sœur. . . .  voici  le  jour  où  j'espere  que  vous 
serës  défait  de  messieurs  les  Holiandois.  Une  volonté 
ferme  et  conséquente  dans  ses  démarches  est  presque 
toujours  tôt  ou  tard  couronné  de  la  réussite  :  tel  a  été 
ce  cas. 

Vous  verres  par  le  journal  ci-joint  ce  que  le  Pape 
fait  à  Vienne.  Si  on  y  mettoit  le  nombre  de  bénédic- 
tions et  des  baisers  aux  quatre  pattes  qu'il  donne  et 
qu'il  reçoit,  il  faudroit  se  servir  des  lettres  de  Talyèbre 
pour  diminuer  le  nombre  des  zéro,  seul  produit  qui  eu 
revient  aux  Bénits  et  aux  Baisants. 

Quant  aux  questions  que  Lui  dit  subversées  entre  le 
Sacerdoce  et  TEmpire,  je  crois  que  nous  resterons  cha- 
cun du  même  avis  et  que  l'un  et  l'autre  méritera  par 
là  le  pain  qu'il  mange,  savoir  :  Lui,  celui  de  l'Eglise,  en 
défendant  même  tous  ses  abus  d'autorité;  et  moi,  en 
revendiquant  ceux  de  l'Etat  que  je  sers.  Et  amis  de  la 
personne  nous  le  serons  jamais  de  la  différence  de  la 


(1)  Archires  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Arcliiduc  Albert 
«l'Autriche. 

Orthographe  coDsenrée. 


62  L^EMPEREUR  JOSEPH  IK 

cause,  tendants  néanmoins  tous  les  deux,  Lui  de  pa- 
roles et  moi  de  faits,  à  l'accroissement  de  la  Religion 
et  de  l'instruction  des  peuples. 

Je  croirois  presque  que  le  Comte  et  la  Comtesse  du 
Nord  vicndroit  plutôt  chës  vous  que  je  ne  le  supposois, 
puisqu'il  me  paroit  qu'ils  ont  renoncé  à  la  tournée  des 
provinces  de  France.  Les  dispositions  dont  vous  voulés 
bien  m'instruire  seront  excellentes,  et  on  peut  là  dessus 
entièrement  se  reposer  sur  vous,  ma  chère  Sœur.  Leur 
séjour  à  Florence  a  réussi  au  delà  de  mes  espérances 
des  deux  côtés,  car  mon  frère  en  paroit  aussi  content 
qu'ils  le  sont  de  lui. 

Adieu,  ma  chère  Sœur.  Si  j'avois  le  plaisir  de  me 
promener  avec  vous  dans  votre  petite  maison  au  bord 
du  lac,  je  pourrois  vous  raconter  de  bouche  bien  des 
anecdotes  sin^jidières  et  qui  vous  feroient  bien  rire  au 
sujet  de  l'effet  que  le  Pape  a  fait  sur  quelques  tètes  à 
Vienne. 

Présentés  mes  tendres  complimcns  au  Prince,  et 
croyés  moi  pour  la  vie, 

Votre  tendre  frère, 

Joseph. 


L'EMPEREUR   JOSEPH  II.  63 

ccccxv 

I^'EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE^GHRISTINE  (i). 

Départ  du  Pape  Pii;  VI  de  Vienne.  —  Attiiiide  de  la  population.  — 
Il  se  félicite  du  retrait  des  (garnisons  hollandaises  en  Rrabant.  — 
Nouvelles  du  voyage  de  Sa  Sainteté. 

Vienne,  ce  26  avril  1782. 

Ma  chere  Sœur,  je  vous  ai  écrit ,  Taulre  jour,  par  le 
courrier.  Depuis,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre;  je  vous 
suis  infiniment  obligé  de  l'intérêt  tendre  que  vous  pre- 
nez à  mes  yeux.  Je  ne  puis  pas  encore  dire  d'en  être 
satisfait;  il  y  a  toujours  du  haut  et  du  bas;  bientôt  ils 
sont  un  peu  plus,  bientôt  un  peu  moins  rouges  sans 
de  vraies  raisons,  et  le  beau  temps  étant  venu,  je  vais 
même  me  promener;  mais  il  ne  paroît  pas  que  le  grand 
uir  leur  fasse  du  bien.  Je  continue  toujours  les  remèdes, 
et  surtout  celui  de  la  patience. 

Je  vous  joins  ici  la  continuation  du  journal  et  l'orai- 
son ou  j)lutôt  le  compliment  que  le  Pape  a  dit  en  pu- 
tlic  dans  le  Consistoire.  Il  est  parti  d'ici  lundi  passé. 
liCS  derniers  jours  de  son  séjour  et  siu'tout  le  dimanche, 
\reille  de  son  départ,  l'afifluence  du  monde  sous  ses 
fenêtres  étoit  si  prodigieuse  que  cela  a  fait  le  plus  beau 
spectacle  et  même  d'un  genre  dont  je  n'ai  rien  vu,  ni 
ne  verrai  plus  rien.  Il  n'est  pas  possible  de  déSnir,  pas 
néme  à  peu  près,  le  nombre  du  monde  qu'il  y  avoit; 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
d'Autriche.  • 


64  ^EMPEREUR  JOSEPH  II. 

carc'étoit  vraiment  innombrable,  et  peut-être  100  mille 
hommes  n'est  pas  trop  dire.  Une  femme  a  été  écrasée; 
c'est  le  seul  malheur  qui  est  arrivé.  Depuis  la  maison 
où  demeure  Hatzfeld  jusqu'à  celle  du  prince  Kaunitz, 
tout  le  Spanier  et  la  place  de  parade ,  tant  sur  les  para- 
pets qu'en  bas,  ce  n'étoit  que  têtes;  et,  comme  il  n'y 
avoit  pas  moyen  d'entrer  ni  de  sortir  par  aucun  débou- 
ché, le  reste  du  monde  s'est  tenu  hors  les  palissades 
jusque  vers  les  Ecuries  et  l'Hôtel  des  gardes. 

•Je  suis  enchanté  d'appreniire  que  nous  nous  sommes 
défaits  des  garnisons  hollandoises  ;  la  fermeté  et  la 
suite  qu'on  donne  aux  affaires  sont  pourtant  bonnes  à 
quelque  chose. 

Aujourd'hui  Sa  Sainteté  sera  arrivée  à  Munie;  je 
voudrois  pouvoir  être  spectateur  pour  voir  la  façon 
dont  elle  sera  traitée  et  obsédée.  Son  entrevue  à  Ins- 
prugg  avec  l'Abbesse  et  son  Chapitre  ne  sera  pas  moins 
curieuse.  J'ai  envoyé  le  Comte  Sternberg  avec  une 
lettre  pour  complimenter  le  Saint-Père  à  Inspi'ugg  et 
pour  l'accompagner  ensuite  jusque  sur  mes  frontières. 

Adieu;  présentez,  je  vous  prie,  mes  tendres  compli- 
ments au  Prince,  et  en  vous  embrassant  avec  toute  la 
tendresse  possible,  je  suis  pour  la  vie 

Votre  tendre  frère 

JosiPH. 


L'EMPEREUR  JOSEPH  II.  65 


CCCCXVI 

J/EMPERECJR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

Prochaine  arrivée  aux  Pays-Ras  du  Comte  et  de  la  Comtesse  du  Nord. 
—  Conseils  sur  la  réception  qu'il  convient  de  leur  faire. 

Vienne,  ce  28  avril  1782. 

Ma  chère  Sœur  !  je  puis  me  tromper  sur  les  idées  du 
Comte  et  de  la  Comtesse  du  Nord,  mais  après  que  j'ai 
lu  votre  mémoire,  je  crois,  que  si  vous  ne  leur  faites 
pas  savoir  que  vous  serez  en  personne  à  Marimont , 
ils  ne  penseront  point  de  s'y  arrêter  pour  coucher,  et 
que  plutôt  ils  iront  de  Valenciennes  à  Lille,  et  de  là 
peut-être  à  Beloeil  chez  Ligne  (2) . 

Au  reste,  pour  Ostende,  je  crois  qu'ils  sont  curieux 
(l'en  voirie  port,  quoiqu' après  qu'ils  ont  renoncé  aux 
ports  et  aux  provinces  méridionales  de  la  France,  je 
les  dois  croire  furieusement  pressés  d'abréger  leur 
Voyage. 

Je  ne  crois  pas  qu'ils  accepteront  jamais,  vu  ce  qu'ils 
ont  fait  autre  part,  ni  logement  à  Bruxelles,  à  la  Cour, 
ni  ceux  que  vous  proposez  des  Evêques ,  des  Comman- 
dants et  des  Abbaïes. 

Le  voyage  en  barque  sur  le  canal,  surtout  de  Bruges 
ù.  Gand,  pourra  leur  être  ennuyant  aussi. 


(i)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert 
^'Autriche. 

(2)  Le  château  et  les  jardins  de  Belœil  du  prince  de  Ligne,  les 
Jardins  surtout,  étaient  célèbres  par  leur  beauté  recherchée.  Le  prince 
^*  déployait  une  hospitalité  royale. 

TOMB   III.  5 


ce  L'EMPEREUH   JOSEPH  II. 

Les  hôtels  garnis  sont  assez  bons  pour  les  loger. 
Quant  à  Bruxelles ,  si  vous  ne  laissez  venir  que  ce  qui 
vient  ordinairement  à  la  Cour,  votre  maison  pourra 
être  suffisante,  et  même  me  paroît  plus  convenable 
pour  leur  donner  un  bal ,  en  leur  présentant  toute  la 
Noblesse,  d'autant  plus,  que  les  appartements  que 
j'occupois  peuvent  être  uniquement  destinés  pour  les 
soupers ,  et  que  vous  gagnez  par  là  votre  salle  à  man- 
ger de  plus  pour  le  bal. 

Au  reste,  je  crois  qu'il  faut  les  laisser  faire,  et  leur 
seulement  proposer  les  objets  qui  sont  à  voir.  Je  crois, 
par  la  raison  ci-dessus  dite,  (ju'ils  seront  très-pressés, 
et  qu'ils  ne  s'arrêteront  guères  qu'une  couple  de  jours 
à  Bruxelles,  pour  passer  ensuite  en  Hollande. 

Au  reste,  il  ne  faut  ])as  vous  étonner  si  vous  n'ap- 
prenez d'eux  de  décision  que  peu  d'heures  avant  son 
exécution,  car  telle  est  leur  méthode.  Plus  qu'il  y  aura 
d'aisance ,  plus  qu'on  leur  accordera  de  jouir  un  peu  de 
la  liberté,  et  même  de  repos,  après  le  brillant  séjour 
de  Paris  ,  mieux  cela  sera. 

L'Hôtel  de  Belle-viie  leur  conviendra  beaucoup  à 
Bruxelles,  et  il  n'est  pas  nécessaire  que  vous  y  fes- 
siez faire  aucun  changement,  ni  pour  ameublement, 
ni  pour  logement.  Ordinairement  ils  envoyent  une 
voiture  avec  leurs  Messieurs  en  avant;  je  ne  sais 
s'ils  le  feront  de  même  à  cette  occasion.  Voilà  tout  ce 
qu(î  j'ai  voulu  vous  marquer  en  réponse  à  votre  chère 
lettre. 

Le  Pape  a  accordé  aux  sollicitations  du  Prince  Clé- 
ment de  venir  en  Personne  à  Augsbourg.  On  prétend 
que  ce  que  les  Bavarois  désirent  avec  le  plus  d'avidité 


L'EMPEUEUR  JOSEPH   II.  67 

de  voir,  c'est  :  ob  der  Pabst  (ieissjiïsse  liât  (1)?  vous 
sentez  Lien  qu'ils  seront  agréablement  surpris  en  voyant 
la  belle  jambe  de  Pie  VI. 

Adieu  ma  chère  Sœur!  je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur,  et  en  faisant  mes  compliments  au  Prince, 
croyez-moi  pour  la  vie 

Votre  tendre  frère  et  ami 

Joseph. 


CCCCXVII 

1  ^'EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (2). 

Lettre  dont  rEiiiperour  a  chargé  le  Comte  et  la  Comtesse  du  Nord 

pour  âa  sœur. 

Ce  19  mai  1782. 

Ma  chère  Sœur,  cette  lettre  vous  sera  remise  par  les 
Jeux  intéressants  voyajjeurs  dont  je  n'ai  pus  faire  la 
conoissance  sans  les  aimer  et  estimer;  il  vous  en  ar- 
rivera de  même,  et  je  desirerois  bien  pouvoir  être  en 
cinquième  dans  les  deux  bons  ménages  qui  se  trouve- 
ronts  réunis,  et  c'est  en  vous  embrassant  tendrement 
que  je  vous  assure,  de  même  que  le  Prince  votre  cher 
époux,  que  je  serai  toujours  votre. 


(i)  Si  le  Pape  a  un  pied  de  chèvre. 

(2)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  rArchiduc  Albert 
d'Autriche.  ' 


5. 


68  MARIE-AMTOINETTE. 


CCCCXVIII 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  IIESSE-DARMSTADT  (1). 

Appui  qu'elle  a  donné  à  la  demande  d'un  n'^'iment  en   Autriche  en 
faveur  du  prince  Georges.  —  Conditions  qu'y  inel  Joseph  II. 

Ce  6  septembre  [1782]. 

Je  suis  bien  fâchée,  Madame,  de  n'avoir  pu  vous  ré- 
pondre plus  tôt  sur  les  intentions  de  l'Empereur.  Le 
zèle  et  l'activité  que  j'avois  mis  à  ma  demande  dévoient 
naturellement  me  procurer  cet  éclaircissement  un  mois 
plus  tôt.  Il  a  été  retardé  par  un  malentendu. 

Par  la  lettre  de  mon  Frère,  je  vois  qu'il  n'est  pas 
éloig[né  d'accorder  un  régiment  à  M.  le  Prince  Georjjes; 
mais  il  exige  deux  conditions  préalables  :  V  qu'il  lui 
écrive  et  que ,  dans  sa  lettre  ou  mémoire ,  il  exprime 
son  désir  d'entrer  au  service  d'Autriche  et  le  grade 
convenable  auquel  il  aspire.  Mon  Frère  ajoute  qu'il  ne 
doit  réclamer  que  l'intérêt  que  j'ai  marqué  (2).  J'ai  été 
surprise  de  cette  réflexion,  et  j'ai  hésité  à  vous  la  mar- 
quer :  l'intérêt  de  la  chose  et  la  confiance  que  j'ai  en 
vous  et  dans  les  vôtres  me  décident  à  ne  vous  rien  ca- 
cher. —  2*  L'Empereur  désire  que  le  Prince  qui  est 
actuellement  h  son  service  comme  lieutenant  colonel , 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hessc. 

(2)  C'est-à-dire    probablement    qu'il    ne   doit   s'appuyer    que    sur 
l'intérêt  que  la  Reine  lui  a  montré. 


MARIE-AiSTOINETTE.  G9 

passe  à  celui  de  Hollande  à  la  j)lace  du  prince  Geor- 
-•jos  (  J  ) .  Je  désire  bien ,  Madame ,  que  ces  arrangements 
puissent  se  faire  à  votre  entière  satisfaction.  Mes  ami- 
tiés, je  vous  prie,  à  madame  la  Princesse  Douairière, 
que  je  n'ai  pas  voulu  fafi{juer  de  tout  ce  détail.  Il  me 
larde  bien  d'avoir  de  vos  nouvelles  à  tous.  J'embrasse 
bien  tendrement  la  Princesse  Charlotte.  Mes  compli- 
ments au  Prince  Héréditaire  et  au  Prince  Georges. 
Pour  vous.  Madame,  j'espère  que  vous  ne  doutez  pas 
(le  la  tendre  et  inviolable  amitié  (jue  je  vous  ai  vouée 
pour  la  vie. 


CCCCXIX 

MARIE-AXTOLNETTE  a  LOUISE,   PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  lïESSE-DARMSTADT  (2). 

La  Comtesse  du  Nord.  —  Amitiés.  —  Intérêt  quVllc  prend  à  la  de- 
mande d*un  régiment  en  Autriche  faite  par  le  prince  Geoi-ges. 

Ce  14  octobre  [1782]. 

Quoique  je  n'aie  pas  de  vos  nouvelles  par  vous-même, 
^ladarae,  on  connoit  trop  mon  amitié  pour  vous  pour 
'en  laisser  iynorer.  Madame  la  Comtesse  du  Nord  m'a 
Viande  qu'elle  avoit  passé  plusieurs  jours  avec  vous  et 
'^otre  sœur.  Elle  ne  m'a  pas  laissé  ignorer  la  manière 
-harmante  dont  vous  voulez  bien  parler  toutes  les  deux 


(1)  Ce  prince  Geoi-ges-Charles  ,  né  en  1754,  était  en  eftet,  comme 
ou«  l'avons  dit,  au  service  des  Pavs-Has. 
(^2)  Archive;*  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  liesse. 


70  MARIE -AN  TOI  NETTE. 

de  moi.  Mais  elle  m'a  inquiétée  en  me  mandant  que 
vous  souffriez  de  la  poitrine.  Je  vous  prie  de  me  rassu- 
rer sur  cela  le  plus  tôt  possible,  et  d'entrer  dans  tous 
les  détails  de  votre  santé  :  mon  amitié  Texige.  Je  n'ose 
pas  dire  que  Tair  de  Paris  vous  feroitdu  bien  :  cela  au- 
roit  Tair  trop  intéressé  ;  mais  j'aime  à  le  croire.  Ma 
fille  vient  crétre  inoculée  et  s'en  porte  à  merveille. 

Il  me  tarde  bien  de  savoir  la  réussite  de  Taffaire 
de  M.  le  prince  Georges.  Vous  pouvez  compter  que 
tous  mes  vœux  sont  pour  qu'il  obtienne  le  régiment. 
Voulez-vous  bien  lui  faire  mes  compliments,  ainsi  qu'à 
Madame  votre  Mère  et  à  M.  le  Prince  Héréditaire? 
J'embrasse  la  princesse  Cbarlotte,  et  j'espère  que  si 
jamais  votre  régime  vous  mène  à  Paris,  elle  voudra 
bien  ne  pas  vous  quitter  pendant  le  voyage. 

Adieu,  Madame?.  Mon  amitié  pour  vous  est  trop 
vraie,  et,  j'espère,  vous  est  trop  connue  pour  vous 
faire  de  grandes  phrases.  Je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 


Suscriptiou  : 
Madame  la  Princesse  Héréditaire  de  Hesse-Darmstadt. 
Contresigné  :  Rigoley  d'Ogny.        CHargi-:. 


MâRIE-ANTOINETTE.  71 


CCCCXX 


9  9 


MARIE-AKTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HEREDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Encore  raffaire  du  ri'jjiment  sollirité  par  le  jirincc  Gcorjjcs.  —  Fête 

do  la  Reine. 


Ce  18  novembre  [1782J. 

J*atten(ls  du  premier  jour  un  courrier  do  Vienne, 
Madame,  j'en  profiterai  pour  renouveler  à  mon  frère 
mes  instances,  et  vous  devez  être  bien  sûre  (jue  je  n'ou- 
blierai rien  de  ce  que  vous  me  confiez  sur  l'afVaire  de 
M.  le  prince  Georges.  Recevez  tous  mes  romercînients 
pour  les  sentiments  que  vous  me  témoignez  et  la  ma- 
nière si  obligeante  avec  laquelle  vous  vous  êtes  souve- 
nue de  ma  naissance  (2).  Ne  craignez  jamais  de  m'écrire 
trop  souvent.  Faites,  je  vous  prie,  mes  compliments  à 
M.  le  Prince  Héréditaire.  Je  suis  charuice  (jue  vous  soyez 
tous  deux  d'accord  sur  le  désir  de  venir  ici,  j'espère 
cju'à  la  fin  cela  arrivera.  Adieu,  Madame,  j'espère  que 
'VOUS  êtes  bien  persuadée  de  la  tendre  et  sincère  amitié 
avec  laquelle  je  vous  embrasse  tendrement. 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Rovale  le  Grand-Duc  de  Hes!»e. 
(X)  Marie- Antoinette  était  lu'e  le  2  novcnihri'  1755. 


7t  MARIE-ANTOINETTE. 

CCCCXXI 

MARIE- ANTOINETTE  A  LOCISE,  PRIXCESSJE  HÉRÉDITAIRE 

DE  IIESSE-DARMSTADT  (i). 

Réponse  de  l'Empereur  sur  les  princog  Georges  et  Charles.  —  Le 
prince  Max  de  Deux-Pont5.  —  Visite  annoncée  de  la  mère  de  la 
princesse  Louise  et  du  prince  Geoi^es. 

Ce  24  décembre  [1782]. 

Je  viens,  Madame,  de  mander  à  Madame  votre  mère 
la  réponse  de  l'Empereur  sur  Jes  princes  Georges  et 
Charles  (2).  J'espère  que  vous  en  serez  contente.  Le 
prince  Max  de  Deux-Ponts  (3)  m'a  beaucoup  parlé  de 
votre  séjour  à  Stuttgardt.  Il  m'a  dit  en  même  temps 
que  Madame  votre  Mère  et  le  prince  Georges  comp- 
taient venir  cet  hiver.  Ce  seroit  une  belle  occasion 
pour  vous  de  tenter  à  venir.  Dites-le,  je  vous  prie,  de 


(1)  Arcliives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  liesse. 

La  lettre  porte  la  reronnnandation  CHAnoÉE,  de  la  main  et  avec  la 
signature  du  directeur  de  la  poste  aux  lettres,  Rigolet  d'Ocxy. 

(2)  Charles,  autre  frère  de  la  princesse  Louise,  né  le  16  mai  1737, 
{{énéral-major  de  cavalerie  au  service  d'Autriche,  mort  le  15  août  1795. 

(3)  Maximilien -Joseph  ,  frère  du  Duc  régnant  Charles- Auguste, 
prince  palatin,  duc  de  Deux-Ponts,  colonel  du  régiment  de  Royal- 
Deux- Ponts,  au  service  de  France. 

Maximilien-Joseph,  connu  alors  sous  le  nom  de  Prince  Max,  né  le 
27  mai  1756,  était  aussi  au  service  de  France,  et  commandait  le  régi- 
ment d'Alsace.  Ce  n'était  alors  qu'un  bourreau  de  temps  et  d'argent, 
enfant  prodigue,  dont  les  femmes,  la  chasse  et  le  jeu  formaient  la  plus 
sérieuse  occupation.  Au  demeurant,  du  meilleur  air,  de  grand  cœur, 
d'intarissable  gaieté  et  de  causerie  assez  spirituelle  pour  faire  |>asser 
les  contes  les  plus  délicats.  L'extinction  de  tous  les  princes  de  la  mai- 
son de  Wittelsbach,  possesseurs,  avant  lui,  des  droits  de  souveraineté 
sur  la  Bavière^  devait  ouvrir  un  jour  à  ce  prince  des  destinées  que  nul. 


MADAME    ÉLISABP:TII.  73 

ma  part  à  M.  Je  Prince  Héréditaire,  en  lui  faisant  mes 
compliments.  Vous  ne  j)()uvez  pas  douter  de  tout  le 
plaisir  que  j'aurai  à  vous  embrasser  et  à  vous  renouve- 
ler la  tendre  et  bien  sincère  amitié  que  je  vous  ai  vouée 
pour  la  vie.  J'embrasse  la  princesse  Cbarlotte.  J'espère 
i)ien  qu'elle  accompagnera  sa  mère.  Mes  compliments 
au  prince  Georges. 


CCCCXXII 

MADAME  ELISABETH  A  LA  MARQUISE  DE  SORAN  (1). 
La  duchesse  de  Roiirbon.  —  Delphine  de  Soran  a  peur  del'orajje. 

1782. 

J'ai  été  cbarmée,  Madame,  de  savoir  de  vos  nou- 
velles par  vous-même,   et  surtout   de  ce  que  votre 


•*  cette  éjMJfpie,  n'eût  hien  nettcuieut  osé  prévoir.  Cependant,  la  cour 
*l€*  FVaiice  ménageant  en  lui  cette  brillante  éventualité,  Louis  WM,  qui 
■**i  accordait  eu  janvier  1783  les  entrée»  de  sa  chainhre,  ajoiilait,  en 
^<i*veur  du  Prince,  à  son  traitement  de  colonel,  une  pension  de  qua- 
■*^nte  mille  livres  sur  sa  cassetle,  et  payait  pour  lui  plu»  d'un  million 
*ifB  dettes. 

Héritier  de  Deux-Ponts,  en  1795,  par  la  mort  de  son  frèr<' ;  de 
ï*Klectoral  palatin,  en  1799,  ]>ar  la  mort  de  Charles-Théodore,  Maxi- 
••lilicn- Joseph,  jeté  à  travers  tous  les  prands  événements  politiques  de 
*^l*)mpire  de  France,  devint  Uoi  de  Bavière  en  1805;  et,  nuiins  par 
•^^hileté  que  par  fl(?\il»ilité  de  politi(|ue,  il  sut  ménajjer  la  couronne 
"^Kir  sa  tête,  marier  une  de  ses  Klles  au  prince  Eu{jène  de  Reauharnais, 
^*C  devenir  le  Ijeau-père  de  l'Empereur  d'Autriche  François  l*^"".  Il 
*^:»ourut  à  Munich  le  13  octobre  1825,  laissant  une  couronne  paisible 
*«*    son  HIs  Louis,  encore  vivant  a  l'heure  où  nous  écrivons. 

(1)   Papiers  de  famille  de  madame  la  marquise  de    Perthuis,  née 
^le  Soran. 


74  LOUIS   XVI. 

santé  est  un  peu  meilleure.  J'espère  que  les  amuse- 
ments que  le  séjour  de  madame  la  duchesse  de  Bourbon 
vous  procure,  vont  vous  rétablir  tout  à  fait,  et  que 
vous  reviendrez  pres(|ue  aussi  {jrasse  que  moi.  Vous 
trouverez  peut-être  que  c'est  beaucoup  ;  mais  je  ne 
peux  m'empéclier  de  vous  souhaiter  autre  chose. 

Votre  fille  a  eu  bien  peur  la  semaine  passée  d'un 
petit  orage  qui  n'a  duré  (jue  sept  heures  :  Il  y  en  a  un 
dans  ce  moment-ci,  (pii  ne  dure  (|ue  depuis  trois,  mais 

que  je j'allois  vous  dire  que  je  le  croyois  fini.   Il 

est  survenu  un  coup  de  tonnerre  qui  m'a  fait  changer 
tout  àTait  de  sentiment.  Je  suis  obligée  de  finir.  Adieu, 
mon  cœur;  vous  connoissez  mon  amitié. 


CCCCXXIII 


LOUIS  XVI    AU  COMTE  D'ESTAIKG  (1). 

Supprcdsion  de  toute  hostilité  avec  rAn{rleterre.  —  Mesures  à  exécuter 

eu  cotte  circonstance. 


[Ce  22  janvier  1783]. 

Monsieur  le  comte  d'Estaing,  les  préliminaires  de  la 
paix  entre  la  France  et  l'Espagne  d'une  part,  et  rAn- 
gleterre  de  l'autre,  ayant  été  signés,  et  voulant  faire 
cesser  aussitôt  qu'il  est  possible  les  malheurs  insépara- 
bles de  la  guerre,  je  vous  fais  cette  lettre  pour  vous 
dire  que  mon  intention  est  qu'aussitôt  qu'elle  vous  sera 


(1)  Archives  du  Ministère  de  la  Marine. 


LOUIS    XVI.  75 

paryenxie,  vous  vous  absteniez  de  tous  actes  (l'Iiostilité 

envers  les  possessions  et  les  sujets  de  S.  M.  Britanni- 

^|ue  ;  el  pour  entrer  dans  mes  vues  à  cet  égard,  si,  dans 

>^otre  traversée  ou  à  votre  atterrage  sur  «juelqu'une  des 

î  les  de  TAniérique,  vous  faisiez  rencontre  d'une  escadre 

u  de  vaisseaux  détachés  appartenant  au  Roi  d'Angle- 

rre,  vous  donneriez  communication  au  commandant 

e  ces  forces  navales  de  la  signature  des  préliminaires 

e  la  paix,  dont  il  pourroit  n'être  pas  encore  instruit. 

t  vous  ne  feriez  usage  des  forces  que  je  vous  ai  con- 

ées  que  dans  le  cas  où,  nonobstant  la  notification  que 

%rous  auriez  fait  faire  par  un  bâtiment  parlementaire. 

Inédit  commandant   feroit  des  dispositions  pour  vous 

^attaquer. 

Vous  conununiquerez  la  précédente  lettre  au  sieur 
I)e    Langara  ;    vous    autorisei'ez    ce    général   à   con- 
duire  les   vaisseaux  de   Sa    Majesté   Catholique  dans 
tel  port  où  il  jugera  à  propos  de  les  faire  relâcher 
pour  attendre  les  ordres  ultérieurs  de  sa  Cour,  s'ils  ne 
lui  sont  pas  parvenus  lors(jue  la  séparation  s'opérera. 
Si  le  bâtiment  que  je  vous  fais  expédier  pour  vous 
porter  mes  ordres  vous  rencontre  dans  votre  traversée, 
vous  vous  rendrez  aux  îles  du  Vent  pour  y  attendre 
que  je  vous  aie  fait  connoître  mes  intentions  ultérieures 
sur  la  destination  des  vaisseaux  et  des  troupes  qui  de- 
vront faire  incessamment  leur  retour  en  Europe  ;  et  si, 
lorsque  le  bâtiment  expédié  vous  joindra,  vous  êtes  déjà 
''endu  dans  le  port  de  quelqu'une  de  nos  colonies,  vous 
y  ferez  séjourner  mes  vaisseauxjusqu*à  ce  que  mes  or- 
dres vous  soient  parvenus.  Ausurj)lus,je  m'en  rapporte 
^  vos  lumières  et  à  votre  expérience,  dans  le  cas  où 


76  LOUIS   XVI. 

cette  lettre  vous  auroit  été  remise  pendant  votre  tra- 
versée, (le  faire  tout  de  suite  votre  retour  en  Europesans 
toucher  aux  colonies,  si  vous  en  reconnoissez  la  pos- 
sibilité. Kt,  dans  le  cas,  vous  expédieriez  pournion  port 
de  Toulon  les  vaisseaux  le  Bien -Aime,  le  Zodiaque, 
le  Robuste,  V Indien  et  le  Lion,  et  vous  rangeriez  sous 
leur  escorte  tous  les  bâtiments  m'appartenant  ou 
frétés  de  mes  sujets,  qui  srmt  chargés  des  troupes  qui 
avoient  été  embarquées  à  Toulon.  Vous  ramènerez  à 
Brest  le  surplus  de  mes  vaisseaux  et  des  bâtiments  du 
convoi. 

Je  fais  passer  mes  ordres  au  marquis  de  Vau- 
dreuil,  relativement  aux  vaisseaux  actuellement  ras- 
semblés SDus  son  pavillon,  lesquels  feront  leur  retour 
séparément  et  conformément  à  ce  qui  leur  sera 
prescrit. 

La  cessation  des  hostilités  annule  le  plan  de  campa- 
gne dont  la  conduite  vous  avoit  été  confiée;  et  dans  le 
cas  où  vous  relâcheriez  dans  les  ports  de  quehpi'une 
de  nos  colonies,  vous  n'y  exercerez  point  Textension 
de  pouvoir  et  d'autorité  qui  vous  avoient  été  attribuées 
pour  les  o[)érations  militaires  dont  vous  étiez  chargé, 
d'après  les  instructions  que  je  leur  ferai  expédier,  des 
opérations  relatives  aux  évacuations  et  aux  échanges 
énoncés  dans  les  préliminaires  de  la  paix  lorsqu'ils  de- 
vront avoir  lieu.  Et  la  présente  n'étant  à  autre  fin,  je 
prie  Dieu  qu'il  vous  ait,  Monsieur  le  comte  d'Estaing, 
en  sa  sainte  garde. 

Écrit  à  Versailles,  le  22  janvier  1783. 

Louis. 


PAIX    AVEC    I/ANGLETP:RHE.  77 


LVxcellento  organisation  (!<»  notre  arnu'e  navale  et  l'expé- 

■  ieiice  (le  la  mer,  soutenues  d'un  {jraiid  élan  national,  nous 
•  ivaient  valu  d'importants  avanta[jes  pendant  celle  terrible 
^  jneriv  d'émanci])ation  de  l'Amérique  an^jlaise.  Les  pertes 

■  natérielles  subies  par  les  deux  marines  bellifjérantes  s'étaient 
iV  peu  j>rès  balancées,  et  le  bailli  de  SufFren,  ce  (jrand 
j  'énéral  de  mer,  arrêté  par  la  paix  dans  son  victorieux  essor, 

«  ivait  valu  à  nos  armes  assez  de  gloire  pour  nous  consoler  de 

la  délaite  du  comte  de  Grasse,  tombé'aux  mains  des  Aufjlais. 

Les   préliminaires  de  la  paix  de   1783  avaient  été  posés 

«lès  le  17  août  1782,  époque  du  retour  en  France  de  l'infor- 

Cuné  comte  de  Grasse.  Le  lord  Slielburne  l'avait  cbaqjé  pour 

le  c(mite  de  Ver([ennes  d'une  note  ainsi  conçue,  et  qui  forma 

la  base  du  traité  : 

^^ux  Etats-Unis  iCAmcrùiuc. 

L'indépendance  la  plus  absolue,  la  plus  entière,  telle 
_*|irelle  est  désirée,  et  sans  aucune  modification  ni  condition. 

A  la  France. 

Siiinte-Lucie  restituée;  gardera  la  Dominique  et  Saint- 
Vincent. 

Restitutions  réciproques  pour  le  surplus. 

Abrogation  des  articles  de  paix  depuis  1713,  au  sujet  de 
I^unkerque. 

A  négocier,  après  les  préliminaires  signés  :  Une  pécberie 
^^Ux?,  libre,  avec  possibilité  de  la  fortifier  et  sans  les  gènes  du 
'raité  de  1763. 

Un  établissement  suffisant  pour  la  traite  des  nègres. 

IjC  commerce  des  Indes  orientales  établi  dans  l'état  du 
**^ité  dfe  1748  ou  1763  avec  les  possessions  d'alors. 

A  t Espagne. 

^fardera  ses  conquêtes  dans  le  golfe  du  Mexique, 
^linorque  ou  Gibraltar  à  son  choix. 

l>aissera  à  l'Angleterre  un  port  dans  la  Méditerranée,  com- 
^  ^^»(le  et  fortifié,  pour  la  sûreté  de  son  commerce  au  Levant. 


78  MARIE-ANTOINETTE. 


A  la  HolLfinde, 

A  négocier  :  Entière  restitution  des  conquêtes  aux  Indes 
occidentales  et  aux  orientales. 

j4  toutes  les  nations, 

La  lil)erté  du  commerce,  suivant  les  principes  de  la  neu- 
tralité armée. 


CCCCXXIV 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE   IIESSE-DARMSTADT  (1). 

Ce  2  juin  [1783]. 

J'ai  toujours  tardé  à  vous  répondre,  Madanae,  dans 
l'espoir  de  vous  voir  arriver  ici  ;  mais  à  présent  que  j'ai 
appris  l'inoculation  de  vos  enfants,  je  ne  peux  pas  dif- 
férer de  vous  remercier  de  l'aimable  lettre  que  vous 
m'avez  écrite.  J'avoue  que  ma  joie  auroit  été  parfaite 
si  j'avois  pu  vous  embrasser  en  même  temps  que  toute 
votre  famille;  mais  j'espère  bien  que  ce  moment  n'est 
que  différé.  La  malheureuse  affaire  du  procès  de  Ma- 
dame votre  mère  devant  durer  vraisemblablement  très- 
longtemps,  c'est  une  raison  de  plus  pour  venir. 

Je  suis  désolée:  je  sens  pour  ces  dames  toutes  les 
incommodités  et  l'ennui  d'un  aussi  lonff  séjour.  Mais 
j'avoue  que  pour  moi,  je  suis  ravie  d'être  sûre  de  les 
voir  plus  longtemps  et  plus  souvent. 

(i)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  liesse. 


MARIE-ANTOINETTK.  79 

J'ai  trouvé  la  princesse  Charlotte  un  peu  maifjre  à 
son  arrivée.  Mais  à  présent  elle  paroit  se  porter  à  mer- 
veille. Pour  la  princesse  Auyuste  (1  ),  dont  jai  (ait  con- 
noissance,  c'est  une  charmante  enfant.  Elle  avoit,  avant 
que  je  la  connusse,  des  droits  sur  mon  amitié,  comme 
toute  votre  famille;  mais  j'ose  dire  <|ue  phis  on  vous 
conn Dît  tous  et  plus  on  vous  aime.  Adieu,  Madame;  je 
désire  que  l'inoculation  de  vos  enfants  ne  vous  donne 
nulle  in(|uiétude  et  vous  motte  hientot  ii  même  de 
venir  recevoir  les  assurances  de  ma  tendre?  et  inviolable 
amitié. 

Faites,  je  vous  prie,  mes  compliments  à  M.  le  Prince 
Héréditaire. 

Je  désirerois  bien  vivement  pouvoir  rendre  service 
à  M.  le  prince  Georges  et  terminer  ses  affaires;  mais 
malheureusement  il  se  trouve  bien  des  obstacles  à  ses 
désirs. 

La  lettre  est,  comme  quelques-unes  qui  précèdent, 
chargée  et  très^reconunnndéc  par  M,  Rigoley  (VOgny^ 
^ui  contre-signe  sur  renveloj)pe. 


(1)  Marie-\Vilh('linim'-Au(jiist<'  ('tait  sdMir  ilc  la  Laiulcravine  Louise. 
^*  ée  le  14  avril  1765,  iiiaric're  le  30  scpicMiihre  1785  au  prince  Maximi- 
«ic.*n~J(>Mîph,  duc  de  l)eu\-P(»nts,  depuis  Hoi  de  Bavière,  dont  noua 
l^^^ïrlions  tout  à  riieure,  morte  le  30  mars  1706  à  llolisbach,  près  de 
^î^eidelbcrg.  Elle  a  été  mère  du  Roi  Louis  de  Bavière,  qui,  par  aon 
C»4^and  goût  jK>ur  les  arts,  a  transformé  Munich  en  une  .nouvelle 
^ V.  ihènejii ,  et  qui  a  abdi(jué,  le  21  mars  1848,  en  faveur  de  8on  fils, 
axiinilieD  II ,  mort  Tannée  dernière. 


80  L'EMPEREUR  JOSEPH  II. 


ccccxxv 

L'EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE.CHRISTIiNE(l). 

Après  avoir  huIû  tant  de  lictcs  de  toutes  couleurs,  qu'on  appelle  pré- 
traille,  le  voiri  en  honne  santé  et  entre  amis.  —  Il  a  expédié 
le  Pape,  la  Cour  de  Naples  et  le  Roi  de  Suède.  — Élo(»e  de  sa  sœur 
de  Na[»les.  —  Défauts  de  son  mari.  —  Portrait  peu  flatté  du  Roi  de 
Suède  (Gustave  III.  —  Il  se  rend  à  Milan.  Il  ren{;a{;e  à  berner  les 
Hollandais. 

Pise,  le  30  janvier  1784. 

Ma  chère  Sœur,  après  tant  de  périls,  de  bétes 
noires,  routes,  blanches,  brunes,  (ju'on  apelle  prè- 
traille,  rae  voici,  ici,  en  bonne  santé,  à  vous  sou- 
haiter le  bon  jour.  Quand  on  scait  avoire  raison ,  on 
ne  cniint  rien,  et  quand  les  individus  gagnent  et  que 
ce  n'est  que  les  abus  des  corps  qui  soufrent.  Ton  peut 
être  nu  parmi  la  foule  comme  moi.  J'ai  expédie  le  Pape, 
la  Cour  de  Napple  et  le  Roi  de  Suéde.  Me  voici  inter 
amicos  ici.  Le  premier,  je  l'ai  bien  traité,  et  nous  somes 
arrangés  sur  quelsques  points  de  controverse.  A  Napple, 
j'ai  été  infiniment  content  de  ma  Sœur,  et  d'une  partie 
de  ses  enfans.  C'est  une  brave  et  excellente  femme  dans 
toute  l'étendue  que  je  donne  à  ce  terme.  Le  Roi  est,  et 
restera,  un  bourreau  de  temps,  et  c'est  domage  pour 
ses  talents,  que  la  dissipation  extrême  dans  laquelle  il 
vit.  Pour  le  roi  de  Suéde ,  c'est  une  espèce  qui  ne  m'e.st 
point  homogène ,  faux ,  petit ,  misérable ,  un  petit  maître 

(1)  Ori{;inal  autographe.  Ortho{*raplie  conservée. 
Archiver  de    Son   Altesse   Impériale   et   Royale  TArchiduc  Albert 
d'Autriche. 


MERCY-AnCENTEAV.  81 

il  la  glace  enfin.  Il  passera  par  la  France,  et  si  vous  le 
^oyés,  je  vous  le  recomande  d'avance.  Les  enfans  de 
mon  Frère  et  son  Epouse  se  portent  bien.  J'ai  eus  un 
temps  horrible  pour  venir  de  "Napple  ici ,  des  neiges  de 
deux  pieds  de  haut,  et  dans  ce  climat  si  rénomc,  un 
froid  terrible  auquelle  les  fenêtres,  les  portes  et  les 
mauvaises  maisons  ajoutent  leur  agrément.  Je  compte 
partir  d'ici  vers  la  mie  février  et  me  rendre  a  Millau, 
et  de  la  regagner  ma  tanière.  Adieu,  ma  chère  Sœur, 
je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  de  même  que  le 
Prince.  Tachés  de  berner  ces  Ilollandois,  et  croyez  moi 
pour  la  vie  votre. 


CCCCXXVI 

LE    COMTE    DE   MERCV- ARGENTE  AU    AU    DUC 
DE  SAXE-TESCHEN  (1). 

'  1  rend  compte  de  la  tnisëion  qu'il  a  i-ec;iie  de  sonder  les  dispositions 
de  Marie- Antoinette,  au  sujet  du  voya^je  en  France  projeté  par  le 
Duc. — Le  séjour  de  Marie-Christine  à  Versailles  ou  à  Fontainebleau 
^  ferait  naître  des  difficultés  d'étiquette  que  la  Reine  désire  éviter.  -— 
Couipiè{;ne  ne  présenterait  pas  les  mêmes  inconvénients,  les  Princes 
et  les  Princesses  du  sang  n'étant  point  admis  à  cette  résidence. 


[2  mars  1784.] 
Monseigneur  , 

Pénétré  des  marques  de  bonté  et  de  confiance  que 
■^otre  Altesse  Royale  veut  bien  me  donner  j)ar  sa  lettre 
u  25  de  février ,  je  me  suis  d'abjrd  occupé  des  moyens 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  1* Archiduc  Albert 
vl' Au  triche. 

TOMR    III.  6 


\ 


82  MERCY-AUGENTEAU. 

d'y  répondre  avec  tout  le  soin  possible;  mais  il  m'a 
fallu  à  cet  effet  des  occasions ,  et  plusieurs  jours  pour 
me  les  procurer.  Sans  sortir  des  bornes  que  Votre  Al- 
tesse Royale  m'a  prescrites,  sans  faire  de  demandes  ni 
d'insinuations  de  sa  part,  je  me  suis  assuré  très-positi- 
vement que  M.  le  prince  de  Li{jne  ne  s'est  pas  trompé 
sur  le  fond  des  intentions  de  la  Reine  et  du  désir  qu'Elle 
a  de  revoir  son  au{juste  Sœur  ainsi  que  Votre  xVltesse 
Royale;  mais  il  m'est  démontré  que  M.  le  prince  de 
Lifjne  s'est  mépris  sur  le  temps  et  les  moyens  que  la 
Reine  croit  les  plus  propres  à  se  procurer  une  satisfac- 
tion qu'Elle  voudroit  ne  voir  traversée  par  aucun  des 
incidents  embarrassants  qui  ont  presque  toujours  eu 
lieu  ici,  dans  de  semblables  circonstances,  nommément 
dans  celles  du  voyage  de  Monseigneur  T  Archiduc  Maximi- 
lien,  ainsi  que  vis-à-vis  de  Madame  Ja  Grande-Duchesse 
de  Russie,  laquelle  s'est  assujettie  à  certaines  formes 
qui  ne  seroient  pas  admissibles  à  l'égard  de  Son  Altesse 
Royale  madame  l'Archiduchesse. 

D'après  d'anciens  usages  particuliers  à  ce  pays-ci ,  et 
que  les  souverains  y  ont  toujours  tolérés,  les  Princes  et 
Princesses  du  sang  ne  se  contentent  pas  qu'on  ne  leur 
demande  rien  en  matière  d'étiquette;  ils  se  croient  en 
droit  d'exiger  beaucoup ,  même  infiniment  au  delà  do 
ce  qu'il  est  possible  et  raisonnable  de  leur  accorder. 
Cependant,  pour  ce  qui  regarde  les  Princes  étrangers» 
les  embarras  sont  moindres,  et  Votre  Altesse  Royale 
n'en  rencontreroit  aucun  qu'il  ne  fut  facile  d'éviter; 
mais  il  n'est  pas  ainsi  à  l'égard  d'une  Princesse  qui  réu- 
niroit  la  double  qualité  d'Archiduchesse  et  de  sœur  de 
la  Souveraine  du  pays  où  Elle  se  trouveroit,  parce  que. 


MERGV-ARGENTEAU.  83 

cjansce  cas,  la  moindre  prétention  élevée  vis-à-vis  d*EUe 
deviendroit  pour  la  Reine  Elle-même  une  offense 
c][u'Elle  seroit  forcée  de  réprimer  de  la  manière  la  plus 


Cette  considération,  avec  toutes  les  conséquences 
€fai  en  dérivent,  ont  fait  penser  à  la  Reine  que  des 
inconvénients,  presque  inévitables  à  Versailles  et  à  Fon- 
'tainebleau,  n'auroient  point  lieu  à  Gompièçne,  où  la 
lenue  et  la  composition  de  la  Cour  sont  totalement 
différentes  de  ce  qu'elles  sont  ailleurs,  et  Sa  Majesté 
regarde  cet  endroit  comme  le  plus  convenable  à  y  rece- 
Toir  la  visite  qu'Elle  attend ,  qu'EUe  désire ,  et  qu'Eile 
se  promet  de  Vos  Altesses  Royales.  Le  séjour  qu'Elles 
feroient  à  Compiègne  pourroit  être  entremêlé  de  quel- 
ques petits  voyages  à  Paris,  ainsi  que  dans  toutes  les 
maisons  royales,  où  elles  prendroient  leur  logement; 
cette  idée  est  du  nombre  de  celles  qui  sont  venues  à 
la  Reine,  lorsqu'ElIe  m'a  parlé  de  l'objet  dont  il  s'agit. 
La  Cour  n'ira  pas  cette  année  à  Compiègne,  parce 
que  l'état  des  bâtiments  ne  le  comporte  pas;  mais  ce 
voyage  aura  lieu  l'année  prochaine;  et  à  la  manière 
dont  la  Reine  s'en  est  expliquée  vis-à-vis  de  moi ,  j'ai  vu 
que  ce  qui  a  fait  décider  ce  voyage  une  année  d'avance , 
a  eu  principalement  pour  motif  celui  de  s'y  procurer 
le  plaisir  d'y  recevoir  Vos  Altesses  Royales. 

Voilà,  Monseigneur,  les  détails  dont  je  puis  garan- 
tir l'exactitude;  ils  serviront  à  constater  que  la  Reine 
désire  bien  réellement  de  revoir  Vos  Altesses  Royales, 
et  que  le  retard  qu'Elle  y  met  n'a  d'autre  raison  que 
Celle  de  s'assurer  une  satisfaction  exempte  de  tout  inci- 
dent qui  pourroit  la  troubler.  Que  si,  dans  le  plan  que  la 

6. 


d4  JOSEPH   II. 

Reine  s'est  formé  à  cet  effet,  il  se  trouvoit  quelque 
changement  à  insinuer  qui  s*accordât  mieux  avec  les 
convenances  de  Vos  Altesses  Royales,  et  qu'Elles  vou- 
lussent m'autoriser  à  faire  une  démarche  plus  positive 
que  ne  Test  celle  dont  j'ai  été  chargé,  je  m'en  acquit- 
ternis  avec  un  zèle  égal  à  l'empressement  que  j'ai  depuis 
longtemps  de  me  retrouver  à  leurs  pieds. 

Je  remets  ici  les  lettres  de  M.  le  Prince  de  Ligne  et 
suis  avec  un  profond  respect , 

Monseigneur, 

de  Votre  Altesse  Royale , 

Le  très-humble,  très-obéissant  et  très-obligé  serviteur, 

Mercy-Argenteau. 


Le  19  du  même  mois  de  mars,  Marie-Christine  avait  écrit 
à  son  frère  l'Empereur  Joseph ,  pour  lui  rappeler  le  consen- 
tement qu'à  son  passage  par  Bruxelles,  en  revenant  de  la 
cour  de  Marie-Antoinette,  il  lui  avait  donné  de  faire  un 
voyage  à  Paris.  Elle  prend  de  nouveau  ses  directions.  Joseph 
lui  répond  de  Vienne,  sous  la  date  du  2  avril  1784  : 

«  Dans  ce  moment  je  reçois  votre  chère  lettre.  Vous 
me  parlez  de  l'idée  de  faire  un  tour  à  Paris.  Il  n'y  a 
pas  la  moindre  difficulté ,  et  vous  ferez  bien  d'en  pré- 
venir la  Reine  et  de  tout  arranger,  pour  le  temps  et  la 
façon ,  d'avance  ensemble.  » 

Il  ajoute  en  posl-scriplum  : 

«Le  courrier  de  Paris  étant,  aussi  revenu,  il  m'a 
apporté  une  lettre  de  la  Reine.  Je  vous  joins  ici  la 
copie  exacte  de  ce  qu'elle  m'écrit  au  sujet  du  projet  de 
voyage.  Je  vous  prie  instamment,  pour  ne  pas  me 


MA  RIE- ANTOINETTE.  85 

faire  de  tracasserie,  de  n*en  point  faire  usage,  mais 
seulement  de  vous  régler  en  conséquence.  Je  lui  réponds 
que  je  vous  conseillois  de  vous  entendre  avec  Elle  sur 
les  temps,  lieux  et  façon  de  vous  voir.  Adieu.  » 

Voici  l'extrait  : 

a   Ma  sœur  Marie  (1)  m'a  fait  témoigner  un  assez 
^and  désir  de  venir  ici  avec  son  mari.  J'en  serois  fort 
aise  ;  mais  les  misères  d'étiquette  inévitables  ici  pour  les 
Princesses,  et  qui  se  sont  fait  sentir  pour  les  sœurs  de 
la  feue  Dauphiue,  même  pour  l'Infante  fille  du  Roi,  me 
fîeroit  préférer  qu'elle  choisit  le  temps  d'un  voyage  de 
Compiègne,  où  tous  ces  inconvénients  disparoissent. 
iVIais  par-dessus  tout ,  mon  cher  Frère,  c'est  votre  opi- 
nion qui  doit  décider  sa  marche.  Elle  ne  m'en  a  rien 
écrit,  ni  moi  à  elle  (2).  n 


Comme  on  va  le  voir,  les  correspondances  continuèrent  à 
sujet. 


(i)  Dans  sa  famille,  dans  ses  relations  de  pure  intimité,  Maric- 
C]Ihristiiie  était  généralement  appelée  du  seul  nom  de  Marie  :  elle  était 
l«i  Marie  par  excellence  parmi  ses  sœurs,  qui  avaient  toutes  le  prénom 
^e  Marie,  mais  avec  d*autres  prénoms  qui  servaient  à  les  distinguer. 
^insi,  dans  sa  petite  enfance,  Marie- Antoinette  était  appelée  seule- 
^Kient  de  ce  dernier  nom,  et  quand  elle  fut  devenue  Dauphine  de 
K^rance,  elle  a,  par  habitude,  signé  seulement  Antoinette  quelques-unes 
Oe    ses  lettres.    Sa   sœur  1* Archiduchesse  Marie- El isabeth ,  celle  qui 
<ïiTait  un  goitre  et  qui  habitait  un  couvent  à  Inspruck,  était  désignée 
^i>ns  le  nom  d'Elisabeth  tout  court.  Ici,  Marie- Antoinette  vient  d'ap- 
peler Marie-Christine  seulement  Marie,  tandis   que  dans  beaucoup 
^*autres  documents,  dans  des  lettres  qu'elle  lui  adresse  directement, 
«lie  l'appelle  Christine, 

(%)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
d' Autriche. 


•  # 


86  LE   GENERAL   SCHLICR. 


CCCCXXVII 

LE  GÉNÉRAL  SCHLICR  AU  DQC  ET  A  LA  DUCHESSE 

DE  SAXE-TESCIIEN  (1). 

Il  confirme  et  développe  les  informations  données  par  le  comte  de 
Mercy  sur  le  désir  qu'éprouve  Marie-Antoinette  de  recevoir  le  Duc 
et  la  Dnchesse,  et  sirr  les  raisons  d'étiqnette  qui  doivent  faire  ajour- 
ner cette  visite  à  Tépoqae  dn  séjour  de  la  Cour  à  Cooipiègne.  —  La 
Reine  redoute  les  embarras  que  laî  causeraient  à  Paris  et  à  Versaillen 
les  prétentions  et  fesprit  de  familiarité  des  Princes  et  Princesses  du 
sang. 

[Paris,  19  avril  1784.] 

Je  sors  de  chez  M.  le  comte  de  Mercy,  dont  le  cour- 
rier doit  partir  cette  nuit  ou  demain  matin ,  suivant  qu'il 
recevra  les  paquets  de  la  Reine.  Son  Excellence  m'a 
fait  lecture  de  sa  réponse  aux  deux  lettres  que  Votre 
Altesse  Royale  a  daigné  lui  écrire  ;  il  nie  reste  peu  de 
chose  à  y  ajouter,  si  ce  ne  sont  quelques  particulari- 
tés dans  lesquelles  il  r\'a  pas  cru  pouvoir  entrer  par 
écrit,  mais  qu'il  m'a  confiées  de  bouche  pour  être  ren- 
dues de  même  à  Vos  Altesses  Royales  lors  àe  mon 
retour  à  leurs  pieds.  Gonnoissant  la  juste  impatience 
qu'ElIes  ont  d'être  instruites  de  tout  ce  qui  a  trait  à 
l'objet  de  leur  voyage  dans  ce  pays^,  et  l'occasion  du 
courrier  étant  sûre,  je  crois  répondre  mieux  à  leurs  vues, 
en  mettant  dès  à  présent  très-respectueusement  à  leurs 
pieds  le  narré  succinct  de  tout  ce  qui  est  parvenu  à 
ma  connoissance  à  cet  égard. 


(1)  Archive*  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Ardiiduc  Albert 
d'Autriche. 


LE   GÉNÉRAL   SCIILICK.  87 

M.  le  comte  de  Mercy  persiste  fortement  dans  son 
opinion ,  ainsi  que  Vos  Altesses  Royales  l'auront  vu 
par  sa  réponse.  Il  me  Tavoit  annoncé  de  même  lorsque 
j'eus  riionneur  de  le  voir  pour  la  première  fois  il  y  a 
dix  jours,  et  me  Ta  répété  avant-hier  et  aujourd'hui.  Il 
me  paroit  bien  intimement  convaincu  du  désir  sincère 
de  la  Reine  et  du  plaisir  qu'Ëlle  éprouvera  de  revoir 
Vos  Altesses  Royales  après  une  aussi  longue  séparation. 
11  prétend  savoir  à  n'en  pas  douter  qu'il  n'existe  plus 
lien  dans  son  esprit  ni  dans  son  cœur  des  anciennes 
préventions  qu'elle  avoitconçues,  ou,  pour  mieux  dire, 
({ui  lui  avoient  été  ins|)irées.  Il  assure  aussi  bien  posi- 
tivement qu'Ëlle  s'occupe  sérieusement  de  c(;tte  entre- 
vue, qu'Elle  en  a  parlé  au  Roi,  et  que,  de  concert, 
Leurs  Majestés  ont  fixé,  dès  cette  année,  leur  séjour  de 
Compiègne  pour  l'année  prochaine,  dans  la  vue  prin- 
<:ipalement  de  la  réception  amicale  qu'elles  se  propo- 
sent d'y  faire  à  Vos  Altesses  Royales,  sans  y  être  aucu- 
nement gênées  par  les  fêtes  ni  par  l'étiquette,  l'un  et 
l'autre  étant  bannies  de  ce  séjour,  où  les  Princes  ni  les 
f^rincesses  ne  viennent  pas  ^    et  où   il  n'y   a  d'autres 
^livertissements  que  ceux  de  la  chasse,  qu'Elles  savent 
«>tre  du  goût  de  Vos  Altesses  Royales. 

Ce  voyage  de  '  Gorapiègne  n'a  pu  avoir  lieu  cette 
^^nnée,  parce  que  les  architectes  qui  en  ont  rebâti  le 
^j*hàteau  ont  manqué  de  parole  et  n'ont  pas  fini  leurs 
tiravaux  dans  le  temps  qu'ils  avoient  stipulé.   Le  Roi, 
«  jui  aime  beaucoup  ce  séjour,  se  trouve  fort  contrarié 
f)ar  ce  retard.  La  Reine,  qu'il  n'amuse  pas  autant,  pa- 
roit y  désirer  la  présence  de  Vos  Altesses  Royales  pour 
se  le  rendre  plus  agréable.   Ce   n'est  pas  ccîpendant 


88  LE   GÉNÉRAL   SCHLICR. 

qu'Elle  se  propose  de  les  y  retenir  tout  le  temps  du 
séjour  ;  son  projet  au  contraire  est  que  Vos  Altesses 
royales  s'absentent  quelquefois  pour  aller  voir  Paris, 
Versailles,  toutes  les  maisons  royales,  et  tout  ce  que  ces 
différents  endroits  offrent  de  curieux  et  d'intéressant. 
Toutes  les  dispositions  seront  faites  pour  ces  excur- 
sions, pour  réunir  autant  que  possible  les  agréments  dont 
elles  seront  susceptibles,  à  la  distinction  avec  laquelle 
la  Reine  a  singulièrement  h  cœur  que  Vos  Altesses 
Royales  soient  traitées  partout  où  Elles  paraîtront. 
Elles  seront  logées  partout  dans  les  maisons  royales, 
non  pas  sur  le  pied  d'étiquette,  qui  feroit  naître  des  dif- 
ficultés d'un  autre  genre,  mais  sur  le  pied  de  fmternité 
et  de  bonne  amitié.  La  Cour  ne  s'y  trouvant  pas,  il 
n'existeroit  aucune  occasion  de  concurrence  avec  les 
Princes  et  les  Princesses  du  sang  ;  et  même  la  Reine 
prenant  le  parti  d'accompagner  Vos  Altesses  Royales 
dans  ses  excursions  (comme  M.  le  Comte  de  Mercv 
paroit  persuadé  que  cela  arrivera,  quoiqu'il  n'ait  au- 
cune notion  certaine  à  cet  égard),  même  dans  ce  cas 
les  difficultés  d'étiquette  n'existeroient  pas,  la  Reine  ne 
tenant  pas  cour. 

Quant  aux  motifs  qui  ont  conduit  Sa  Majesté  à  for- 
mer ce  plan,  indépendamment  de  ceux  annoncés  ci- 
devant,  Vos  Altesses  Royales  doivent  envisager  comme* 
presque  invincibles  dans  son  esprit  ceux  qui  naissent 
de  la  distinction  éclatante  avec  laquelle  Elle  croit  né- 
cessaire pour  Elle-même  de  recevoir  Vos  Altesses 
Royales,  et  de  la  crainte  extrême  qu'Elle  a  de  toutes 
les  tracasseries  et  difficultés  d'étiquette  qu'une  récejv 
tion  de  cette  espèce  feroit  éclore  immanquablement, 


LE  GÉNÉRAL   SCULICK.  89 

si  elle  avoît  lieu  pendant  le  Sf^our  de  Leurs  Majestés  à 
Versailles  ;  au  lieu  qu'Elle  se  flatte  que  les  choses  étant 
une  fois  montées  sur  ce  pied  pendant  le  séjour  de 
Compiègne,  qui  le  comporte  et  écarte  toutes  difficultés, 
cette  première  réception  fera  planche  pour  l'avenir,  et 
que  le  procès  se  trouvera  jugé  pour  les  voyages  que 
Vos  Altesses  Royales  pourroient  faire  par  la  suite,  soit 
à  Paris,  soit  à  Versailles,  sans  qu'il  pût  y  avoir  de 
réclamation  au  contraire,  ou  du  moins  sans  qu'elles 
ne  pussent  être  levées  facilement. 

La  difficulté  que  la  Reine  éprouve  personnellement 
de  contenir  l'esprit  de  familiarité  que  l'indulgence  du 
Roi  laisse  accroître  journellement,  et  qu'il  n'a  pas  la 
fermeté  de  réprimer,  dans  des  circonstances  même  qui 
paroissent  l'exiger  absolument,  rend  la  Reine  inébran- 
lable dans  l'idée  que  Son  Altesse  Royale  madame  l'Ar- 
chiduchesse, même  en  venant  ici  incognito^  ne  peut 
(par  ménagement  pour  la  Reine  sa  sœur)  se  prêter  à  rien 
de  ce  qui  pourroit  tendre  à  augmenter  cette  familiarité, 
soit  en  faisant  des  visites  aux  Princesses,  allant  chez 
Elles  sur  le  pied  de  société,  y  acceptant  des  diners, 
soupers,  bals  ou  fêtes  ;  qu'Elle  pourroit  encore  moins 
se  prêter  à  leur  faire  la  première  visite,  comme  s'y  est 
soumise  la  Grande-Duchesse  de  Russie,  qui  a  débuté  par 
se  faire  écrire  à  la  porte  de  toutes  les  Princesses,  et 
qui  ensuite  a  eu  la  mortification  de  s'entendre  dire 
par  chacune  d'Elles  sans  exception ,  en  recevant  leur 
contre-visite,  Qu  elles  ctoient  désespérées  de  ne  pas  s'être 
trouvées  chez  elles  pour  La  recevoir  lorsquElle  s'est  pré^ 
sentes  à  leur  porte.  Sa  Majesté  est  dans  la  ferme  opinion 
que  Son  Altesse  Royale  madame  l'Archiduchesse  ne 


1A  \,f,  f.'KjtkiAL  *»:hlici- 

t**rj^.  iC^^  da»*  a^iCLite  de*  suûv-^xt^  à-*  Piiiioes,  Prio- 
*p;ki^^ik  *jt  ir/lr%*  i»f:TV>fifie^  ce  la  f «tanière  distioctîon, 
^•j^  v.iv^  >  :  rH^olit  'ie  Toîr  et*  nxakons  méaies,  si 
**i^*  P^»n*^#l  ifiUfnevi*r  la  r-ariasi!e.  ou  dV  voir  des 
tkr>4«^'/x.  '!#>%  lOiédiiiUes  et  autre»  prétextes  de  ce  genre, 
fê$3n^,  yiUtMi*  hur  le  pied  de  société,  psàrce  que  tout  ce 
'pwr  iv/fi  Altewe  Hoyale  Toodroit  céder  à  cet  égard, 
fSêkttm  éfti  drf{Kiftarit  son  rang  auguste,  n'en  retomberoit 
pat%  ffioins  sur  la  Beine  sa  sœur^  en  augmentant  cette 
iH$nilistriU%  i|ij*dle  a  tant  de  peine  à  contenir.  M.  le 
Comte  d'f  Merrry  est  intimement  couTaincu  (d'après  ses 
oliMfrvatîoiis  personnelles,  et  dix-sept  ans  d'expérience 
(ondé#f  sur  la  cormoissance  des  individus)  que  la  ma- 
nière de  voir  de  lu  Heine  est  juste,  bien  fondée,  et  qu'il 
fie  résiilteroit  que  des  désagréments  très-sensibles  pour 
Klle,  %i  Vos  Altesses  Royales  Tengageoient  à  s'en  désis- 
ter, il  pense  aussi  (pie  la  manière  dont  Sa  Majesté 
rKnipereiir  a  réglé  son  incognito  ici  ne  peut  servir 
d'exemple,  f^e  jiremier  souverain  de  l'Europe  parois- 
noit  pouvoir  s'attendre  que  plus  il  cherchoit  à  cacher 
M>fi  riin{;,  moins  on  pcnseroit  à  l'oublier.  M.  de  Mercy 
vient  rie  m'assurcr  cependant  que  la  familiarité  fran- 
i'tt'îHv  a  fait  naître  des  occasions  qui  l'ont  forcé  à  en 
liiire  souvenir. 

y  liant  il  M.  le  Baron  de  Breteuil,  je  ne  l'ai  vu  encore 
qu'une  heule  fois,  vendredi  dernier,  à  son  retour  à  Ver- 
sailles. Coninuï  je  me  suis  rendu  le  même  jour  ici, 
pour  y  rester  jus(pi'à  la  fin  de  la  semaine,  je  ne  le 
reverrai  qu'à  mon  retour.  Il  m'a  chargé  de  mettre  aux 
pieds  de  Vos  Altess(;s  Royales  l'hommage  de  son  res- 
pect, et  m'a  demandé  si  leur  projet  n'étoit  point  de 


LE  GÉNÉRAL   SGHLICK.  9i 

venir  dans  ce  pays-ci .  Je  me  bornai  à  lui  repondre  que 
Vos  Altesses  Royales  désiroient  ce  voyage  depuis  long- 
temps, que  les  obstacles  que  les  circonstances  guer- 
rières y  airoient  mis  les  premières  années  se  trouvant 
levés  maintenant  y  tout  dépendoit  du  moindre  signe 
que  la  Reine  donneroit  que  ce  voyage  lui  seroit  agréa- 
ble. «  £Uc  ne  demande  pas  mieux,  m*a-t-il  répondu. 
«  Elle  en  a  parlé  au  Roi,  et  m'en  a  parlé  aussi  il  n'y 
"  a  pas  longtemps.  Son  projet  est  de  recevoir  Leurs 
«  Altesses  Royales  à  Gompiègne ,  Tannée  procbaine. 
u  Elle  a  déjà  fait  des  dispositions  en  conséquence,  et 
«  cela  eût  eu  -lieu  dès  cette  année-ci,  si  les  architectes 
«  n'avoient  pas  manqué  de  parole ,  ce  dont  le  Roi  est 
M  fort  contrarié.  »  Je  lui  observai,  comme  venant  de 
moi  seulement^  que  je  ne  concevois  pas  trop  quel  pou- 
voit  être  le  motif  de  la  Reine  de  vouloir  borner  ce  voyage 
ù  Gompiègne,  que  je  craignois  que  cette  circonstance 
ue  donnât  lieu  à  quelque  mauvaise  interprétation , 
comme  si  Leurs  Majestés  trouvoient  de  la  difficulté  à 
recevoir  Vos  Altesses  Royales  ici.  —  «  C'est  mal  voir 
«  la  chose,  me  dit-il  ;  au  contraire,  par  le  peu  que  la 
«  Reine  m'en  a  dit  en  passant,  j'ai  pu  remarquer  clai- 
tt  rement  qu'Elle  se  fait  un  plaisir  de  les  voir,  de  les 
«  recevoir  avec  distinction,  et  qu'elle  veut  que  cette  dis- 
M  tinction  les  suive  partout  où  Elles  jugeront  à  propos 
«  d'aller.  Mais  je  présume,  quoique  la  Reine  ne  s'en 
«  soit  pas  expliquée  envers  moi,  qu'Elle  a  donné  la 
«  préférence  à  Gompiègne  parce  (ju'Elle  y  est  plus  libre 
«  de  toutes  entraves,  qu'Elle  pourra  plus^se  livrer  à  la 
«t  société  de  Leurs  Altesses  Royales,  et  qu'Elle  se  fait 
«  peut-être  un  plaisir  aussi  de  les  recevoir  et  leur  ex- 


92  LE  GÉNÉRAL   SCIILICK. 

«  pliquer  tous  les  changements  qu'on  vient  de  foire 
«  dans  ce  lieu  de  plaisance,  dont  Elle  ainsi  que  le  Boy 
«  paroissent  enchantés.  D'ailleurs  cela  me  paroit  être 
«  le  lieu  le  plus  favorable  pour  une  première  entre^^le, 
u  à  cause  de  la  liberté  qui  y  règne.  Et  si  Leurs  Altesses 
«  Royales  venoient  ici  pendant  l'été,  je  vous  assure 
«  qu'Elles  s'y  ennuieroient  a  l'excès,  la  Cour  étant 
«  morte  et  déserte  h  cette  époque  par  l'absence  de  tout 
«  le  militaire.  » 

Je  n'ai  rien  répliqué,  ne  croyant  pas  devoir  insister 
davantage  sur  cet  objet,  dans  une  première  visite. 

Je  n'ai  pas  pu  joindre  encore  l'abbé  de  Vermond.  Il 
paroit  fort  occupé  dans  ce  moment,  du  moins  est-il 
toujours  allant  et  venant  entre  Paris  et  Versailles.  M.  le 
Comte  de  Mercy  se  proposoit  de  l'aboucher  avec  moi  ; 
cela  n'a  pas  pu  avoir  lieu  encore. 

Monseigneur  le  Dauphin  a  été  incommodé  pendant 
plusieurs  jours  d'une  manière  inquiétante,  mais  son 
état  ne  fait  plus  entrevoir  le  moindre  danger. 

Je  mets  aux  pieds  de  Vos  Altesses  Royales  mes  très- 
respectueuses  félicitations  sur  l'avcnement  de  Monsei- 
gneur l'Archiduc  Maximilien  à  l'Électorat  de  Cologne. 
M.  de  Mercy  en  portera  demain  la  nouvelle  à  la  Reine. 

Je  me  mets  aux  pieds  de  Vos  Altesses  Royales. 

SCHLICK. 

Paris,  le  19  avril  1784. 


LE  GENERAL   SCHLICK.  93 


OCCCXXVIII 


•  f 


I.E   GENERAL   SCHLICK    AU   DUC   DE   SAXE-TESCHEN   (1). 

f  ^'nbbé  de  Vermond  coiifirine  Irs  détails  duniics  par  M.  de  Mcrcy  au 
sujet  du  voyage  de  France.  —  Sur  le  point  de  quitter  Paris,  le 
général  sollicite  les  ordres  du  Duc  et  de  la  Duchesse. 

NOTE    TRÈS-RKSPKCTIEISE. 

[Paris,  le  4  mai  1784. J 

Je  viens  d'apprendre  que,  dans  une  heure,  M.  le 
cîomte  de  Mercy  expédie  le  courrier  qu'il  a  reçu  de 
Bruxelles.  Je  m'empresse  de  profiter  de  cette  occasion 
j)our  me  mettre  aux  pieds  de  Votre  Altesse  Royale, 
5iinsi  que  le  très-respectueux  homma<je  de  la  recon- 
noissance  dont  je  suis  pénétré  pour  la  grâce  qu'ElIe  a 
daifpié  me  faire  d'honorer  mes  notes  du  19  d'une 
réponse  et  de  sa  très-gracieuse  approbation. 

M.  l'abbé  de  Vermond,  que  j'ai  enfin  trouvé  le 
moyen  de  joindre,  et  que  je  vois  depuis  assez  fréquem- 
ment ,  m'a  parlé  sur  l'article  du  voyage  de  Vos 
Altesses  Royales  d'une  manière  absolument  conforme 
ù  ce  qu'en  avoit  dit  M.  le  comte  de  Mercy,  et  il  m'as- 
sura en  dernier  lieu  que  la  Reine  devoit  même  s'en 
être  ouverte  dans  sa  lettre  h  Son  Altesse  Royale  madame 
rArchiduchesse,  et  qu'Elle  avoit  vraiment  du  regret 
(le  se  voir  forcée,  par  les  circonstances,  à  différer  jus- 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Alliert 
d'Autriche. 


94  LE  GKXÉRAL   SCHLIGK. 

qu'à  Tan  née  prochaine  le  plaisir  qu'Elle  se  promet  de 
cette  entrevue,  qui  l'occupe  réellement  beaucoup,  à 
en  juger  j>iir  ce  que  M.  le  baron  de  Breteuil  m'en  a  dit 
encore  il  y  a  cinq  jours.  L'abbé  de  Vermond  a  laissé 
échapper  d'ailleiu's,  dans  la  conversation,  que  la  Reine 
en  avoù  écrit  ou  aUoit  en  écnre  à  Sa  Majesté  l'Empe- 
reur. Je  n'ai  pas  pu  discerner  lequel  des  deux;  mais 
au  moins  paroît-il  certain  que  c'est  de  concert  avec 
Sa  Majesté  l'Empereur  qu'elle  réglera  à  l'avance  tout 
ce  qui  concerne  le  voyage  de  Vos  Altesses  Royales. 
Ayant  eu  le  bonheur  de  parvenir  à  ces  notions  sans 
m'avancer  en  rien,  et  sans  donner  lieu  de  soupçonner 
que  Vos  Altesses  Royales  se  fussent  ouvertes  à  moi,  à 
cet  égard,  en  quoi  que  ce  puisse  être,  je  crois  devoir 
m'astreindre  d'autant  plus  rigoureusement  à  cette  ma- 
nière d'agir,  que,  d'après  la  réponse  dont  Votre 
Altesse  Royale  a  daigné  m'honorer,  je  dois  supposer 
qu'Elle  a  pris  le  parti,  de  concert  avec  Son  Altesse 
Royale  madame  l'Archiduchesse,  de  déférer  aux  cir- 
constances et  à  l'opinion  de  Sa  Majesté  la  Reine , 
surtout  d'après  l'espèce  de  certitude  acquise  sur  la 
sincérité  de  ses  sentiments. 

Le  baron  de  Breteuil  met  aux  pieds  de  Vos  Altesses 
Royales  l'hommage  de  son  respect  et  de  la  recon- 
noissance  dont  il  est  pénétré  pour  les  assurances 
gracieuses  qu'Elles  ont  daigné  lui  faire  par  moi. 

Le  bailli  de  Breteuil  et  le  comte  Pignatelli  m'ont 
chargé  aussi  de  les  mettre  aux  pieds  de  Vos  Altesses 
Royales.  Ce  dernier  a  chez  lui,  depuis  près  d'un  an, 
la  calèche  dont  s'est  servi  le  courrier  de  Naples  pour 
venir  de  Bruxelles  ici.   Comme  il  est  dans  le  cas  de 


LE   GÉKKRAL    SCHLICK.  95 

purtir  bientôt  pour  Naples,  il  craint  que  cette  calèche 
De  souffre  du  dommage  après  son  départ;  je  lui  ai  pro- 
mis de  la  faire  retirer  de  chez  lui  avant  cette  époque  ; 
mais  je  ne  sais  jusqu'à  présent  où  la  placer,  et  encore 
moins  comment  la  renvoyer  à  Bruxelles.   Je  supplie 
Votre  Altesse  Royale  de  vouloir  bien  me  faire  parvenir 
ses  gracieux  ordres  à  cet  égard.  Si  Tun  des  deux  cour- 
riers qui  viennent  d'être  expédiés  ici  avoit  pu  y  venir  à 
cheval,  il  auroit  pu  se  servir  de  la  calèche  pour  son 
retour. 

Je  mets  aux  pieds  de  Votre  Altesse  Royale  le  respec- 
tueux hommage  de  ma  reconnoissance,  pour  l'intérêt 
qu'Ëlle  daigne  témoigner  pour  le  rétablissement  de  ma 
santé.  Je  reprends  des  forces  d'une  manière  assez  sen- 
sible, quoique  la  consultation  des  médecins  et  chirur- 
{{iens  les  plus  fameux  que  j'ai  rassemblés  hier  n'ait  su 
iTie  dire  autre  chose,  si  ce  n'(»st  que  le  cours  de  ma 
^iialadie  et  la  tumeur  qui  en  est  résultée  forment  un  cas 
ïiouveau  et  particulier  dans  leur  art,  qui  leur  paroit 
cîmbarrassant,   dont  ils  sont   curieux  d'apprendre   la 
5^uite,  et  pour  lequel  ils  ne  peuvent  me  conseiller  autre 
<~:!hose,  pour   le  moment,    que   les  eaux  d'Aix-la-Gha- 
Joello,  le  mouvement,  et  surtout  d'éviter  les  demeures 
liumides. 

N'ayant  plus  rien  d'après  cela  qui  exige  la  prolon- 
çjation  de  mon  séjour  ici,  si  ce  n'est  pour  y  jouir 
^iucore  une  douzaine  de  jours  du  plaisir  de  voir  ma 
^Tière,  qui  vient  d'arriver  ici  pour  s'assurer  par  elle- 
Xnême  de  l'état  de  ma  santé,  j'espère,  du  15  au  20, 
^ne  retrouver  aux  pieds  de  Vos  Altesses  Royales,  les 
suppliant  de  vouloir  bien  me  Faire  la  grâce  de  me  faire 


96  LE   GÉNÉRAL   SCHLICK. 

parvenir,  d'ici  là,  leurs  gracieux  ordres  sur  la  question 
de  savoir  si  je  dois  faire  prévenir  Sa  Majesté  la  Reine 
lors  de  mon  départ,  en  lui  faisant  demander  les  oixlres 
qu'Elle  pourroit  avoir  à  me  donner.  Ce  qui  fait  naître 
cette  question,  c'est  que  Sa  Majesté  est  instruite  de 
mon  séjour  ici,  et  qu'Elle  avoit  témoigné  de  la  surprise 
de  c(î  que  j'y  fusse  venu  sans  être  chargé  de  rien  pour 
Elle.  J'ai  cru  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  répondre 
à  M.  Bazin,  qui  m'en  a  parlé,  que,  lors  de  mon  dé- 
part, ma  santé  avoit  été  si  mauvaise,  qu'il  y  avoit  tout 
à  craindre  que  je  ne  pusse  arriver  jusqu'ici,  et  que, 
dans  cette  position,  il  n'eût  pas  été  prudent  de  me 
confier  une  lettre,  qui  eût  couru  au  moins  le  risque 
d'être  bien  longtemps  en  route. 

Je  me  mets  aux  pieds  de  Vos  Altesses  Royales. 

SCHLICR. 

Paris,  le  4  mai  1784. 


I/EMPEREUR  JOSEPH  II.  07 


CCCCXXIX 

L'EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE^HRISTINE(f). 

Cionsulté  8ur  le  voyage  de  1* Archiduchesse  en  France,  TEmpereur  fait 
connaître  son  avis.  —  Les  intermédiaires  officieux  ont  tout  gâté.  — 
Il  n*est  plus  que  deux  partis  à  prendre  :  ou  s*abstenir,  ou  bien  se 
rendre  incognito  à  Paris  sans  se  faire  annoncer,  descendre  à  l'hôtel 
et  y  séjourner  en  simples  particuliers. 

Ce  13  mai  1784. 

Trés-chere  Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre.  On  ne 
peut  pas  être  plus  sincère  que  je  le  suis  avec  mes  amis, 
j«3  crois  que  c'est  un  devoire,  et  puis  c'est  devenu  nature 
ot  habitude  chés  moi.  Or  donc,  pour  repondre  fran- 
chement à  la  question  que  vous  me  faite  sur  le  voyage? 
c^uevous  désirés  de  faire  h  Paris  (car  enfin  il  n'existe 
Sur  ce  point  plus  d'equivocque),  il  n'y  a  pas  deux  par- 
lis  à  prendre;  l'un,  vu  les  dificultés  qu'on  vous  marc- 
cjue ,  de  vous  en  passer  :   c'est  le  plus  sure  et  le  plus 
sage  ;  l'autre,  si  l'envie  en  est  par  trop  grande,  d'aller 
%out  droit,  sans  vous  anoncer,  a  Paris,  sous  un  autre 
nom,  d'y  louer  un  hôtel  garni  ;  et  quand  vous  y  serés 
«rrivé  a  l'impromptu,  écrire  de  Paris  a  la  Reine  que 
Tousy  ete,  que  vous  en  considererés  en  particulière  touts 
les  objets,  mais  qu'en  même  temps  vous  desiriés  infini- 
ment de  la  voire  ;  que  par  conséquent  touts  les  lieux, 
les  heures,  les  jours,  qu'elle  vous  indiqueroit,   et  la 

■ 

(i)  Arahives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
d'Autriche.  —  Orthographe  conservée. 

TOMB   III.  7 


98  I>'EMPEREUR   JOSEPH  II. 

façon,  vous  etoient  égales,  et  que  vous  ne  paroitries  ni 
a  Yersailie  ni  nulle  part  ou  elle  seroit,  hors  qu'elle  le 
trouvât  convenable  ;  et  qu'en  attendant  vous  resteriés 
en  particulière  a  Paris.  Yoilla  la  seule  façon  de  pouvmr 
débrouiller  cette  afaire  qui  me  paroit  avoire  prise,  par 
les  entremeteurs  ou  entremeteuse  qui  y  onts  êtes  offi- 
cieux, une  tournure  tout  a  fait  déplacé,  pour  les  deux 
personnes  intéressantes.  Le  prince  de  Staremberg  est 
parti.  M.  de  Wasquez  s'est  fait  opérer  la  cataracte  et 
l'on  croit  que  cella  réussira  parfaitement.  Adieu,  je 
vous  embrasse  et  vous  prie  de  me  croire,  de  même  que 
le  prince,  pour  la  vie  votre. 

Dans  ce  moment  je  viens  de  recevoir  votre  chère 
lettre,  la  mort  de  l'Evecque  de  Liège  ne  portera  point, 
jeTespere,  de  préjudice  a  nosarrangemensdecomerce. 
Votre  projest  de  voyage  a  Bonne  est  parfaitement  juste, 
et  je  désirerais  être  dans  le  cas  d'en  faire  de  même. 
Adieu. 


Voilà  bien  des  négociations  pour  n'arriver  à  aucun  résultat 
immédiat.  La  visite  du  duc  et  de  la  duchesse  de  Saxe-Teschcn 
u'cut  lieu  que  deux  ans  après,  dans  le  milieu  de  1786.  Comme 
nous  Pavons  dit  au  premier  volume,  les  difficultés  résultant 
du  voisinage,  les  exigences  de  Joseph  11  à  Foccasion  des 
contestations  touchant  les  droits  de  la  navigation  de  l'Escaut, 
dont  nous  avons  parlé  précédemment,  la  pression  que  TEm- 
pereur  avait  tenté  d'exercer  sur  Louis  XVI  par  l'entremise 
de  la  Reine  et  à  laquelle  celle-ci  avait  dû  se  soustraire,  avaient 
jeté  entre  les  deux  sœurs  une  sorte  de  défiance  et  de  désac- 
cord, que  l'intervention  politique  si  généreuse  du  Roi  n'avait 
pas  suffi  à  dissiper.  Il  n'y  avait  jamais  eu  de  rupture  ou- 


DIFFICULTES   DKTIQUETTE   EN    FRANGE.       90 

verte,  mais  la  correspondance,  d'abord  assez  active,  s'était 
an  peu  ralentie  depuis  deux  ans.  Quelle  que  fut  en  général 
la  sagesse  des  conseils  donnés  par  Marie -Thérèse  et  par 
Joseph  II  à  Marie-Antoinette,  devenue  Française,  tous  deux 
pensaient,  au  fond,  avoir  en  France  une  sentinelle  avancée, 
au  ooear  allemand,  dans  la  personne  de  l'ancienne  Archidu- 
chesse. Le  comte  de  Vergennes  avait  eu  l'occasion,  dans  une 
délicate  circonstance ,  d'avertir  respectueusement  Marie^An- 
toinette  et  d'affermir  en  son  cœur  le  sentiment  national  de 
Reine  de  France.  Sur  le  terrain  de  l'étiquette,  jusque-là  si 
{^lissant  pour  cette  malheureuse  princesse,  Marie-Autoinette 
rencontrait  d'incessants  écucils.  Cette  étiquette,  fort  sévère 
à  l'éçard  des  princes  étran(jers  non  têtes  couronnées,  ne  leur 
reconnaissait  point  de  rang,  ne  leur  permettait  d'être  reçus 
par  le  Roi  et  par  la  Reine  que  dans  les  petits  cabinets,  ne 
leur  ouvrait  pas  la  table  royale.  Tout  au  plus  étaient-ils 
admis  à  la  table  des  Princes,  et  encore  ces  Princes  ne  leur 
donnaient  jamais  la  main.  Aussi,  tous  les  princes  étrangers 
c|ui  venaient  en  France  avaient-ils  l'habitude  de  se  réfugier 
<lans  Yincognito.   Marie-Thérèse  avait  eu  l'imprudence  de 
l:>eaucoup  trop  reprocher  à  sa  fille  de  ne  pas  être  assez  Alle- 
mande ,   de   ne   pas   assez   faire   pour   les    Allemands.    De 
pareils  reproches,  si  peu  politiques  en  présence  des  injustes 
i^nais  ardentes  passions  qui,  dans  sa  propre  famille  nouvelle, 
t  ravaillaient  à  saper  l'infortunée  Marie-Antoinette,  pouvaient 
amener,  et  ont  amené  en  effet,  de  fâcheux  résultats.  Les 
prétentions  des  princes  lorrains  soutenues  par  elle,  celles  de 
l'archiduc  Maximilien,  son  frère,  le  meilleur,  mais  le  moins 
intelligent  des  hommes,  qui,  bien  que  couvert  de  Yincognito, 
Vêtait  refusé  à  faire  la  première  visite  aux  Princes  du  sang;  la 
0aucherîedes  conseils  de  l'ambassadeur  Mercy  et  de  l'abbé  de 
Termond,  tout,  avec  certains  sarcasmes  de  Joseph  II,  avait 
soulevé  contre  la  Reine  le  parti  des  Princes  et  des  seigneurs 
ie  la  cour,  déjà  si  mal  disposés.  Cest  à  elle,  en  effet,  qu'ils 
reportaient  les  blessures  faites  à  leur  amour-propre,  et  ainsi 
Ton  s'était  habitué  peu  à  peu,  comme  nous  Tavons  dit,  ù 
d'indiscrets  propos  contre  la  jeune  Dauphine,  contre  la  jeune 
Reine;  et  ces  propos',  en  descendant  de  la  haute  société  dans 
la  ville,  dans  les  bas- fonds  des  faubourgs,  avaient  tendu 


é. 


100  MARIE- ANTOINETTE. 

à  flùtrir  le  caractèrc  de  la  Princesse.  Tantôt  c'étaient  des 
exi(jences  d'étiquette  qu'on  lui  reprochait;  tantôt,  par  une 
contradiction  étrangle,  c'étaient  des  écarts  à  cette  étiquette. 
Toutes  ces  maladroites  questions  de  préséance  avaient  fourni 
matière  à  des  anecdotes  envenimées  par  la  malice  des  dé^œu- 
vrrs,  inspiré  de  mauvais  bons  mots  et  des  vers  épigram- 
maliques  dont  les  livres  du  temps  ont  conservé  une  partie. 
On  comprend  que  la  Reine  prit  ses  précautions  avant  d'in- 
viter sa  sœur  IMarie-Christine  à  se  hasarder  sur  ces  charbons 
ardents. 


ccccxxx 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Le  Dauphin  a  embrassé  sa  mère  an  nom  du  la  PriQce.<tse.  —  Mariage 

de  la  princesse  Charlotte. 

Ce  6  septembre  1781. 

Mon  fils,  ma  chère  Princesse,  a  fort  bien  fait  sa  com- 
mission, et  s'il  savoit  écrire,  ce  seroit  lui  qui  vous  en- 
verroit  ce  que  vous  lui  avez  demande.  Je  suis  bien 
occupée  dans  ce  moment-ci  du  mariage  de  la  princesse 
Charlotte  (2).  Je  sens  combien  le  moment  où  elle  ira 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  He^ts^e. 

(S)  La  princesse  CAar/bl/e-Wiihelmine-Christine-Lonise  de  Hesjtc- 
Darmstadt  épousa,  le  28  septembre  1784,  Charles-Loui^-Frédéric,  dur 
de  Mccklenbonrg-Strélitz,  qui  était  veuf  depuis  deux  ans  de  Frédé- 
riqiie-Carolîne  de  Hesse-Darnistadt,  sœur  de  cette  même  princesse. 
On  comprend  c|u*en  traversant  le  Hanovre,  où  était  morte  sa  sœur 
ainre,  qu*elle  allait  remplacer,  la  princesse  Charlotte  éprouvât  un  ser- 
rement de  cœur.  Elle  mourut  elle-même  Tannée  suivante,  le  12  dé- 
cembre, âgée  de  trente  ans. 


MÉMOIRE  DU   ROI   SUU   CHERBOURG.  101 

à  Hanovre  sera  pénible  pour  elle  et  pour  vous  tous.  Je 
iroublie  pas  le  charmant  projet  que  vous  avez  fait  de 
venir  vous  deux  ici.  C'est  vous,  Madame,  qui  en  avez 
eu  l'idée,  et  c'est  vous  sur  qui  je  compte  pour  le  rem- 
plir. Faites,  je  vous  prie,  tous  mes  compliments  à  M.  le 
Prince  Héréditaire,  et  ne  doutez  jamais,  ma  chère  Prin- 
cesse, de  ma  bien  tendre  et  sincère  amitié. 


CCCCXXXl 

MÉMOIRE   DU  ROI 

F*OrR  8ERVin  l»'lS8TKU(riI0îl  AIT  SIErR  VICOMTE  DE  LA  COl'LUnK  I>K  LA 
BRRTOTfSlKRK ,  CAPITAINE  DBS  VAISSEAUX  DE  SA  MAJESTE,  CO.MMANDA^iT 
LES  BATI.MK?IT.S  DE  MEH  ET  I.E  DLTACURMKXT  DE  TROUPES  DU  COBP8 
ROYAL  DE  MARIXE,  EMPLOYES  POUR  LE  SERVICE  DE  LA  RADE  DE  CUER- 
ROURC    (1). 

[20  septembre  1784.J 

Sa  Majesté  ayant  donné  ses  ordres  pour  l'établis- 
sement d'une  rade  dans  l'emplacement  compris,  sur  la 
^ôte  du  Cotentin ,  entre  l'île  Pelée  et  le  cap  de  Querque- 
"\'ille,  duquel  le  port  et  la  ville  de  Cherbourg  occupent 
à  peu  près  le  centre.  Elle  a  choisi  et  nommé  le  sieur 
"vicomte  de  La  Couldre  de  La  Bretonnière,  capitaine  de 
ses  vaisseaux,  pour,  sous  l'autorité  et  l'inspection  du 
sieur  duc  d'Harcourt,  lieutenant  général  de  ses  armées, 
gouverneur  de  la  province  de  Normandie,  y  comman- 
dant en  chef,  avoir  le  commandement  des  bâtiments 
de  mer  et  du  détachement  de  troupes  du  corps  royal 


(I)   Arrliivcs  du  Ministèie  de  la  iMariiic. 


102  MÉMOIRE   DU   ROI   SUR   CHERBOORG. 

de  la  marine,  employés  pour  le  service  de  la  rade  de 
Cherbourg,  et  concourir  à  l'exécution  des  ouvrages 
ordonnés  dans  la  forme  qui  lui  sera  prescrite  par  la 
présente  instruction. 

Le  sieur  vicomte  de  La  Bretonnière  aura  le  com- 
mandement  et  la  police  des  gabares,  pontons,  chasse- 
marée  et  autres  bâtiments  de  mer,  du  parc  de  marine 
et  de  l'atelier  particulier,  qui  sera  monté  pour  les 
réparations  qu'il  pourroit  être  nécessaire,  accidentelle- 
ment, de  faire  auxdits  bâtiments;  et  tous  les  officiers, 
maîtres  et  patrons  de  gabares,  pontons,  chasse-marée 
et  autres  bâtiments  flottants ,  employés  pour  le  service 
de  Sa  Majesté  à  Cherbourg,  ainsi  que  les  maîtres  et 
ouvriers  attachés  au  parc  de  marine  et  à  l'atelier  en 
dépendant,  seront  sous  sou  autorité. 

Sa  Majesté  a  approuvé  et  agréé  le  projet  proposé  par 
le  sieur  de  Cessart,  inspecteur  général  des  ponts  et 
chaussées,  de  fermer  la  rade  de  Cherbourg  par  des 
digues  à  claire-voie ,  composées  ensemble  de  quatre- 
vingts  à  quatre-vingt-dix  caisses  coniques,  à  jour 
dans  leur  partie  submergée  et  sans  fond,  lesquelles 
formeront  trois  passes  pour  les  vaisseaux  de  lign^» 
conformément  au  plan  qui  en  a  été  arrêté;  et  elle  a 
chargé  ledit  sieur  de  Cessart  de  la  direction  et  de 
l'exécution  des  ouvrages  de  ladite  rade. 

Le  sieur  Deshayes,  commissaire  des  ports  et  arse- 
naux de  la  marine,  a  été  établi  commissaire  des  tra- 
vaux de  la  rade  de  Cherbourg,  ordonnateur  dans  cette 
partie,  et  sera  chargé  en  cette  qualité  de  tout  ce  qui 
concerne  la  recette ,  la  dépense  et  la  comptabilité  des 
deniers  et  des  matières. 


MÉMOIRE   DU  ROI    SUR  CHERBOURG.  103 

Il  aura  sous  lui  un  contrôleur,  un  garde-magasin  et 
un  trésorier;  et  chacun  exercera  dans  sa  partie  les 
fonctions  qui  lui  sont  attribuées  par  les  ordonnances 
pour  les  arsenaux  de  marine,  autant  que  la  nature 
de  cette  opération  particulière  et  le  local  pourront  le 
comporter. 

Il  sera  formé  une  enceinte  sur  le  terrain  qui  aura  été 
choisi  et  suivant  le  plan  qui  en  aura  été  arrêté,  dans 
laquelle  seront  réunis  tous  les  chantiers  de  construction, 
les  magasins  et  hangars  couverts,  et  les  autres  établis- 
sements nécessaires  pour  le  travail  et  le  gréement  des 
caisses. 

La  direction  desdits  chantiers  et  la  police  de  ladite 
enceinte,  ainsi  que  celles  des  caisses,  considérées  conune 
ateliers  lorsqu'elles  sont  établies  sur  la  rade,  appar- 
tiendront au  sieur  de  Gessart. 

Il  sera  fait  une  enceinte  particulière,  à  proximité  du 
port,  dans  laquelle  seront  établis  les  magasins  pour  les 
effets  de  marine  sei*vant  pour  la  navigation  des  caisses, 
«t  un  atelier  pour  les  réparations  à  faire  aux  bâtiments 
^e  mer.  La  police  de  cette  enceinte  et  la  direction 
de  cet  atelier  appartiendront  au  sieur  vicomte  de  La 
firetonnière. 

Il  sera  établi  des  corps  de  garde  aux  différentes 
portes  des  deux  dites  enceintes,  et  le  sieur  duc  d'Har- 
Cîourt  réglera  les  consignes  qui  devront  leur  être 
données. 

Indépendamment  de  la  garde,  il  y  aura  à  chaque 
porte  ou  issue  un  suisse  ou  consigne,  qui  y  sera  établi 
par  le  sieur  Deshayes  et  y  sera  en  poste  fixe,  pour  faire 
connoitre  aux  sentinelles  et  au  corps  de  garde,  qui 


104  MÉMOIRE   DU  ROI    SUR  CHERBOURG. 

seront  tenus  de  lui  prêter  main-forte,  s'il  le  requiert, 
les  ouvriers  ou  autres  gens  qu'on  pourra  laisser  entrer 
ou  sortir,  et  pour  s'assurer  que  nul  n'emporte  avec  lui 
des  effets  appartenant  à  Sa  Majesté  ;  et  lesdits  suisses 
ou  consignes  rendront  compte  au  sieur  Deshayes  de 
tout  ce  qui  concerne  le  service  qu'ils  ont  à  remplir. 

Le  sieur  de  Cessart  sera  chargé  de  la  construction 
des  caisses  destinées  à  former  les  digues,  et  de  tout 
l'appareil  et  gréement  nécessaire  pour  les  disposer  à 
flotter,  lorsqu'il  s'agit  de  les  enlever  de  leurs  chantiers 
pour  les  conduire  en  rade. 

Mais  la  conduite  desdites  caisses,  ainsi  que  tout  ce 
qui  est  relatif  à  leur  navigation,  jusqu'au  point  où  elles 
devront  être  coulées  à  fond ,  sera  confiée  au  sieur 
vicomte  de  La  Bretonnière.  Il  sera  chargé  de  les  placer 
dans  la  direction  déterminée  sur  le  plan,  et  fixera 
l'instant  où  elles  devront  être  coulées. 

Le  sieur  de  Cessart  aura  eu  soin  de  faire  à  l'avance 
toutes  ses  dispositions  pour  saisir  cet  instant,  et  il 
donnera  les  ordres  pour  le  coulage  des  caisses. 

Le  sieur  de  Cessart  sera  chargé  de  tout  ce  qui  con- 
cerne l'opération  du  remplissage  en  pierres. 

Le  sieur  vicomte  de  La  Bretonnière  dressera,  au  mois 
de  septembre  de  chaque  année,  l'état  détaillé  par 
espèces,  dimensions  et  quantités  des  cables,  grelins, 
agrès,  apparaux  et  autres  effets  de  marine  dont  il  fau- 
dra se  pourvoir  en  remplacement  ou  en  augmentation, 
du  nombre  de  chasse-marée  ou  autres  bâtiments  à 
acheter  ou  à  affréter,  pour  la  conduite  des  caisses  et  le 
transport  des  pierres,  et  du  nombre  de  soldats  du 
corps  royal  de  marine ,  de  gens  de  mer  pour  la  navi- 


MÉMOIRE   DU   ROI    SUR   CHERBOURG.  105 

galion  des  caisses,  et  d'ouvriers  pour  le  parc  de 
marine,  qu'il  sera  nécessaire  de  rassembler  à  Cher- 
bourg, à  proportion  des  ouvrages  ordonnés,  dont  le 
projet  aura  été  arrêté  pour  l'année  suivante;  et  après 
que  ledit  état  aura  été  visé  du  sieur  duc  d'Harcourt, 
il  sera  remis  au  sieur  Deshayes,  qui  sera  chargé  de 
pourvoir  aux  approvisionnements  et  bâtiments  deman- 
dés, ainsi  qu'à  la  levée  et  au  rassemblement  des  ouvriers 
et  gens  de  mer. 

Le  sieur  Deshayes  passera  les  marchés  et  adjudica- 
tions, et  tous  les  traités  pour  fourniture  de  munitions 
et  marchandises  quelconques,  nécessaires  pour  l'exécu- 
tion du  projet,  ainsi  que  pour  la  main-d'œuvre  et 
autres  ouvrages  à  prix  fait  ;  et  dans  le  cas  où  il  s'agira 
il'achat  ou  d'affrètement  de  chasse-marée  ou  autres 
bâtiments  de  mer,  pour  le  service  de  la  rade,  ou 
d'agrès  ou  apparaux  pour  la  navigation  des  caisses, 
vt  de  munitions  pour  le  parc  de  marine,  le  sieur 
vicomte  de  La  Bretonnière  assistera,  avec  le  contrô- 
leur des  travaux  de  la  rade  de  Cherbourg,  à  la  passa- 
tion desdits  marchés,  adjudications  et  traités,  ainsi  que 
le  sieur  de  Cessart  assistera  h  ceux  qui  concernent  les 
chantiers  et  ateliers  sous  sa  direction. 

Ils  feront  les  obser^ations  dont  lesdits  traités,  adju- 
dications et  marchés  leur  paroîtront  susceptibles,  et 
ils  les  signeront,  si  les  conditions  leur  en  paroissent 
convenables. 

Le  sieur  vicomte  de  La  Bretonnière  assistera  pareil- 
lement a  la  recette,  qui  sera  faite  par  le  sieur  Deshayes, 
(les  bâtiments  de  mer,  munitions  et  effets  destinés 
pour  la  navigation  des  caisses  et  le  parc  de  marine. 


106  MÉMOIRE   DU  ROI    SUR   CHERBOURG. 

La  recette  desdites  fournitures  sera  faite  confor- 
mément aux  états  ({ui  en  auront  été  arrêtés  et  aux 
marchés  qui  auront  été  approuvés,  lesquels  seront  lus 
avant  que  de  procéder  à  la  recette,  et  lesdits  bâtiments 
ou  effets  ne  pourront  être  reçus  qu'après  que  le  sieur 
vicomte  de  La  Bretonnière  et  le  sieur  Deshayes  se 
seront  assurés  que  les  conditions  desdits  marchés  ont 
été  remplies. 

Les  agrès,  munitions  et  marchandises  qui  auront 
été  acceptés,  seront  rangés,  par  les  soins  du  sieur 
vicomte  de  La  Bretonnière,  dans  les  magasins  ou  han- 
gars où  ils  devront  être  déposés  ;  mais  la  garde  et  la 
distribution  de  ces  effets  appartiendront  au  sieur 
Deshayes  et  au  garde-magasin  à  ce  préposé  sous  ses 
ordres. 

Le  sieur  vicomte  de  La  Bretonnière  fera  la  demande 
par  écrit  au  sieur  Deshayes  des  effets  de  marine  qui 
seront  en  approvisionnement  à  Cherbourg,  à  propor- 
tion que  le  service  dont  il  est  charge  en  exigera  l'em- 
ploi. Le  sieur  Deshayes  mettra  son  bon  à  délivrer  au 
bas  des  billets  de  demande ,  et  le  garde-magasin  déli- 
vrera les  effets  sur  le  reçu  de  l'officier  que  le  sieur 
vicomte  de  La  Bretonnière  aura  préposé  pour  les 
recevoir. 

Le  sieur  vicomte  de  La  Bretonnière,  d'après  les 
demandes  qui  lui  en  seront  faites,  par  écrit,  par  le 
sieur  de  Gessart,  chaque  jour  ou  chaque  semaine, 
destinera,  pour  être  employés  en  qualité  de  travail- 
leurs ou  journaliers,  dans  les  chantiers  de  construction 
des  caisses  ou  sur  les  ateliers  de  la  rade,  le  nombre  de 
soldats  du  corps  royal  de  marine  qui  sera  jugé  néoes- 


MÉMOIRE   DU   U0(  SUR    CHERBOURG.  iOT 

saire  pour  l'exécution  des  ouvrages  ordonnés,  à  pro- 
portion de  la  force  et  de  Tétat  du  détachement  qu'il 
commande. 

Il  destinera  pareillement,  sur  les  billets  de  demande 
du  sieur  de  Cessart,  le  nombre  de  cbasse-marée  ou 
autres  bâtiments  de  mer  qu'exigera  le  remplissage  des 
caisses  ou  tout  autre  service  de  la  rade. 

Si  quelque  circonstance  imprévue  nécessitoit  une 
augmentation  de  bâtiments  ou  d'ouvriers  ou  journa- 
liers, la  demande  en  seroit  faite  dans  la  forme  pres- 
crite pour  l'état  à  dresser  au  mois  de  septembre  de 
chaque  année.  Mais  si  le  travail  à  faire  étoit  de  nature 
ù  exiger  la  plus  grande  célérité,  les  sieurs  vicomte  de 
Lia  Bretonnière ,  de  Cessart  et  Deshaves  s'entendroient 
ensemble  pour  pourvoir  sans  délai  aux  besoins  du 
moment,  sans  attendre  d'avoir  reçu  l'attache  du  sieur 
<luc  d'Harcourt,  s'il  étoit  absent,  et  l'approbation  du 
secrétaire  d'État  de  la  Marine  ;  et  i^ls  rendroient 
compte,  chacun  de  leur  côté,  des  raisons  qui  les 
auroient  déterminés  à  faire  cette  augmentation. 

Il  est  prescrit  au  sieur  Deshayes  de  faire  faire,  matin 
et  soir,  par  les  commis  sous  ses  ordres ,  les  appels  des 
ouvriers  qui  seront  à  la  journée  ;  et  dans  le  cas  où  les 
besoiifes  du  service  exigeroient  l'emploi  de  quelques 
ouirriers  dans  le  parc  de  mai*ine,  le  sieur  vicomte  de 
La  Bretonnière  nommeroit  un  officier  pour  suivre  le 
travail  desdits  ouvriers,  assister  aux  appels  qui  en 
seroient  faits ,  et  les  certifier  véritables. 

il  sera  dressé,  à  la  fin  de  chaque  mois,  un  état  général 
(les  journées  des  ouvriers  qui  ne  travailleront  pas  à 
prix  fait,  et  ledit  état  sera  pareiUement  certifié  véri- 


108  MÉMOIRE   DU   llOI    SUR   CHERBOURG. 

table  par  l'officier  qui  aiiru  assisté  aux  appels.  Il  en 
sera  remis  une  copie  au  sieur  duc  d'Harcourt,  et  le 
double  sera  envoyé  au  secrétaire  d'Etat  ayant  le  dépar- 
tement de  la  marine.  Mais  pour  parer  à  la  difficulté  de 
suivre  exactement  l'emploi  des  ouvriers  à  la  journée 
sans  multiplier  les  surveillants,  et  pour  diminuer  autant 
<|u'il  sera  possible  les  écritures,  il  sera  fiiit  des  mar- 
chés à  prix  fait  pour  tous  les  ouvrages  dépendant  du 
parc  de  marine,  qui  pourront  être  exécutés  dans  cette 
Forme  sans  inconvénient. 

Le  sieur  de  La  Bretonnière  veillera  assidûment  à 
maintenir  l'ordre  et  la  police  dans  l'enceinte  et  l'atelier 
dépendant  de  sa  direction  ,  et  sur  les  bâtiments  de 
mer  destinés  pour  les  travaux  et  le  service  de  la  rade  ; 
et  il  tiendra  soigneusement  la  main  à  ce  que  le  déta- 
chement de  troupes  dont  il  a  le  commandement  se 
maintienne  dans  la  discipHnc  la  plus  exacte,  soit  dans 
les  casernes  où  les  soldats  seront  établis,  soit  dans  les 
chantiers  et  ateliers  de  la  direction  du  sieur  de  Ces- 
sait, lorsqu'ils  y  seront  employés  en  qualité  de  tra- 
vailleurs. 

Il  rendra  un  compte  exact  et  circonstancié  de  toutes 
ses  opérations  au  sieur  duc  d'Harcourt,  et  recevra  ses 
ordres  pour  tout  ce  qui  concerne  le  service  qui  lui  est 
confié.  Sa  Majesté  est  persuadée  que  le  sieur  vicomte 
de  La  Bretonnière,  connaissant  l'utilité  et  l'importance 
du  projet  à  l'exécution  duquel  il  est  chargé  de  con- 
(!ourir,  s'empressera  de  donner  de  nouvelles  preuves 
du  zèle  qui  l'a  fait  distinguer  dans  d'autres  occasions, 
et  que,  dans  les  circonstances  qui  ont  pu  n'être  paâ 
prévues  par  la  présente  instruction,  il  fera  tous  ses 


CONSTRUCTION   DE   LA  JETÉE  DE  CHERBOURG.     KM» 

efforts  pour  contribuer  par  ses  connoissances  et  ses 
talents  au  succès  de  l'entreprise. 

Fait  à  Versailles,  le  "20  septembre  1784. 

Approuvé 
Louis. 


Le  port  miliUiire  de  Gherbourç,  dont  Louis  XVI,  inspiré 
par  M.  d(î  Maiirepas  (1),  oidonnc  ici  Ja  construction,  peul 
être  regardé  comme  l'œuvre  nationale  la  pins  considérable 
du  rè(jnc  de  ce  Prince  et  comme  un  pro{frt*s  des  plus  impot- 
ents dans  les  fortifications  du  fiays.  C'est  en  résumé  un 
monument  d^art  ég^al,  sinon  supérieur,  aux  plus  [{grands  que 
mious  aient  laissés  les  anciens  Romains. 

Quand  le  cardinal  de  Richelien  avait  constitué  la  marine 
«le  rËtat,  après  Tavoir  enlevée  an  pouvoir  de  PAmiral ,  il 
svait  affecté,  par  Tordonnance  <le  1631,  trois  ports  aux  vais- 
seaux du  Roi  :  Bi-est  et  le  Brouajj^e  sur  rOc(''an;  le  Havre, 
«ur  la  Mancbe.  De  ces  trois  ports,  le  premier  seul  a  (grandi, 
^our  le  Broua(fe,  qui  n'est  de  nos  jours  qu'un  hameau 
presque  mort  de  la  Charente-Inférieure  faivsant  face  à  Pile 
«l'Oléron,  c'était,  aux  seizième  et  dix-septième  siècles,  une 
|)]ac*e  importante  et  par  ses  riches  salines  et  par  sa  situation 
centrale  dans  le  çolfe  d'Aquitaine.  De  son  port ,  alors  excel- 
lent, une  escadre  pouvait  manœuvrer  lestement  à  la  défense 
^es  deux  branches  du  g[olfe,  depuis  la  pointe  de  la  Breta^e 
jusqu'à  l'embouchure  de  l'Adour.  Aussi  le  (fonvemeur  de 
-Brouaçe  était-il  toujours  un  personnaffe  considérable,  et  le 
«cardinal  Mazarin  n'avait-il  pas  dédaigné  d'en  revêtir  le  titrcî. 
IMfais  le  port  commençant  déjà  à  s'envaser  fortement  sous 


(1)  •»  C'est  le  comte  de  Maurcpa^  qui  a  donne  la  pi-cmièrc  idée  du 
port  de  Chcrhouq;;  qui.,  en  tout  temps,  a  appuyé  ce  projet  aussi  utile 
que  glorieux.  » 

Note  de  Ddmociurz  sur  le  port  de  Cherbourg, 


410     CONSTRUCTION   DE  LA   JETEE  DE  CHERBOURG. 

Louis  XIV,  il  fallut  le  remplacer  par  celui  de  Rocfaefort. 
Rcstiiit  le  Havre,  qui  n'a  jamais  pu  acquérir  une  oeriaine 
importance  comme  port  militaire,  et  l'on  avait  compris  de 
bonne  heure  qu'un  (jrand  refuge  maritime  était  de  première 
nécessité  dans  la  Manche,  en  cas  de  guerre  avec  l'Angleterre. 
On  avait  pensé  à  y  pourvoir  en  1647,  et  une  commission  créée 
par  de  Lionne,  préposé  à  la  marine  du  Ponant,  avait  conclu 
à  la  fondation  d'une  digue  de  six  cents  toises  de  lonfpieur. 
Le  grand  Colbert,  dont  la  prévoyance  s'est  étendue  si  loin 
pour  la  marine,  et  qui,  en  mourant,  en  1683,  laissa  la  France 
en  possession  d'une  flotte  de  cent  quatre-vingt-dix-huit  vais- 
seaux de  ligne,  avait  également  songé  à  la  fondation  de  cet 
établissement.  Mais  la  paix  alors  presque  constante  avec  la 
Grande-Bretagne,  gouvernée  par  l'indolent  Charles  II,  avait 
trop  entretenu  la  sécurité  pour  ne  pas  ralentir,  de  ce  côté, 
l'activité  des   projets.   Le  jour  où  le  prince  d'Orange  eut 
changé  la  face  des  choses  politiques  par  l'expulsion  de  9on 
beau-père,  Jacques  II,  les  premiers  projets  reprirent  crédit 
dans  le  cabinet  de  France,  qui  se  sentait  désarmé  contre 
l'incessant  antagonisme  de  nos  voisins.  Et  de  fait,  ceux-ci 
avec  leurs  ports  magnifiques  sur  la  Manche  étaient  maitres 
de  cette  mer,  qu'ils  appelaient  hautement  English  Channel^ 
en  y  afHchant  une  suprématie  insolente  dont  il  fallait  lenr 
disputer  la  prérogative.  Déjà  Vauban  avait  établi,  en  1686, 
à  Cherbourg,  des  fortifications  que  plus  taixl  la  guerre  avec 
l'Angleterre  avait  forcé  de  détruire,  en  prévision  d'une  des- 
cente. Sous  Louis  XV,  la  facilité  d'une  invasion  des  Anglais 
dans  ce  port,  en   1758,  avait  été  un  avertissement.   Sous 
Louis  XVI,  l'imminence  d'une  guerre  avec  la  Grande-Bre- 
tagne, à  cause  de  l'Amérique;  nos  projets  de  descente  reoou- 
velés  de  ceux  de  1759;  la  campagne  de  D'Or\'illiers,  appelé 
k  concourir  à  cette  opération,  tout  s'accordait  à  provoquer 
une  résolution  définitive  touchant  la  création  d'une  vigou- 
reuse sentinelle  en  regard  de  Pile  rivale.  Enfin,  après  bien 
des  tâtonnements  sur  le  choix  môme  de  l'emplacement,  le 
parti  fut  pris  et  mis  à  exécution. 

Les  plans  dressés  par  Vauban  en  1687 ,  et  ceux  de  la  com- 
mission nommée  en  175G,  dans  laquelle  figurait  Ghoqnet  de 
Lindu,  le  grand  ingénieur  de  Brest,  avaient  éclairé  la  qaes- 


CONSTRUCTION   DE  LÀ   JETKE  DE  CHERBOURG.     111 

tion.  Mais  Vauban,  le  çrand  maître,  qui  ne  pouvait  se  tromper 

tout  à  fait  et  donnait  au  fond  la  pn^férence  à  Cherbourg  sur 

La  Hoague,  n'avait  pas  appuyé  du  poids  de  son  génie  avec 

assez  de  puissance  sur  les  grandes  destinées  de  Cherbourg. 

Concluant  à  des  travaux  restreints,  son  projet  se  bornait  à  y 

fonder  un  port  qui  pût  recevoir  trente  à  quarante  vaisseaux; 

et  quand  la  pensée  de  Louis  XVI  fut  appelée  sur  le  choix  d'un 

emplacement  définitif  pour  un  grand  refuge  à  ouvrir,  par 

toute  marée,  à  notre  marine,  dans  les  eaux  de  la  Manche,  La 

Houg^e  balançait  dans  les  esprits  la  faveur  de  Cherbourg. 

Ce  fut  le  vicomte  de  La  Breton  nière  dont  la  force  de  tôte  et 

la  vigueur  de  conviction  décidèrent  enfin  pour  ce  dernier 

point    et   firent  adopter  un   plan  beaucoup  plus  vaste  et 

plus    hardi,  qui   est  sa  gloire.  Chargé,  en  1770  et   1771, 

de  reconnaître  les  côtes  depuis  Brest  jusqu'à  Dunkerque; 

t*etenu  pendant  près  d'un  mois  a  Cherbourg,  par  les  vents 

Contraires,  dans  la  dernière  année  de  son  exploration,  il  avait 

eu  tout  le  loisir  d'étudier  profondément  la  question  sur  les 

lieux  mêmes,  et  s'était  résolument  fixé  pour  Cherbourg.  On 

^at  dit,  en  effet,  que  la  nature  eût  pris  plaisir  à  accumuler 

autour  de  ce  port  tout  ce  qui  pouvait  inviter  à  un  grand 

f>rojet  :  —  Deux  rades  d'un  mouillage  sûr,  circonscrites  et  cou- 

v-ertes  par  l'Ile  Pelée.  Centre  protégé  par  le  fort  établi  sur 

I^  rocher  du  Hommet.  Gauche  défendue  par  le  fort  de  Quer- 

<JiievilIe. —  L'opinion  de  La  Bretonnière,  que  rien  ne  devait 

-K^^Froîdirdevant  les  obstacles  que  toute  grande  chose  rencontre 

Âftiévitablement,  était  donc  toute  formée,  quand,  en  1777, 

^I.  de  Sartines  le  consulta  sur  l'emplacement  du  porta  ouvrir 

^^ir  la  Manche.  Il  démontra  que  la  rade  de  La  Hougue,  plus 

"^^stste  mais  moins  avancée  vers  le  canal  que  celle  de  Cher- 

urg,  avait  de  plus  un  fond  de  sable  et  était  beaucoup 

^Kioins  sûre  pour  l'entrée  comme  pour  la  sortie  des  vaisseaux  ; 

lie  les  eaux  qui  se  précipitent  à  toutes  les  marées,  dans  les 

'^'^ys  (1)  devant  la  rade,  y  fermaient,  depuis  Barfleur,  les 


(1)  Les  veys  toat  des  bras  de  mer  formés  par  rcinbouchure  des 
v'Â'viéref  de  Vire,  de  Taate,  de  l'Aure  et  de  Douve  qui  coulent  dans 
^^^^  vallées  où  sont  situées  les  villes  d'lsi{;ny  et  de  Carentan,  au-dessous 


112    CONSTRUCTION    DE  LA   JETEE  DE  CHERBOURG. 

courants  dangereux  appelés  Ras  de  Barfleur  ou  de  Gatte- 
ville;  et  que  c'étaient  ces  seuls  courants,  joints  au  calme 
survenu  alors,  qui  avaient  causé  la  perte  de  ravant-garde 
de  Tourville  et  la  dispersion  du  reste  de  son  armée,  à  la 
g^lorieuse  défaite  de  La  Hougue.  Et  en  effet,  sa  flotte  n'avait 
pu  g^agfner  le  mouilla{];e  de  ce  port  et  s'y  embosser  devant 
l'ennemi ,  comme  le  maréchal  l'avait  projeté. 

Présentées  au  commencement  de  1781,  appuyées  par  le 
duc  de  Harcourt,  soutenues  par  Dumouriez,  lieutenant  de 
Roi  à  Clierbour(f ,  les  obser\'ations  de  La  Bretonnière  réuni- 
rent l'assentiment  du  prince  de  Condé,  du  comte  de  Ver- 
(j^ennes,  des  ministres  de  la  Marine  et  de  la  Guerre,  et  réus- 
sirent à  faire  rejeter  les  anciens  projets  de  port  à  La  Ilouçue. 
Tels  furent  les  motifs  qui'  dictèrent  à  Louis  XVI  sa  décision 
du  29  novembre  1781 ,  ordonnant  la  formation  à  Cherbourg 
d'un  port  capable  de  recevoir  quatre-vingts  vaisseaux  de 
ligne  avec  des  frégates  et  autres  bâtiments. 

Mais  dès  l'abord  surgit  nne  cause  d'ajournement  de  cette 
grande  entreprise  :  Gomment  fermerait-on  la  rade  ?  IJî- 
dessus  les  officiers  de  la  Marine  et  ceux  de  la  Guerre  entrè- 
rent en  concurrence. 

La  Bretonnière,  instruit  par  ce  qu'il  avait  vu  lui-même 
en  li^spagne,  aux  ports  du  Ferrol  et  de  Malaga,  proposa  de 
couvrir  la  rade  par  une  digue  de  pierres  perdues,  ayant  pour 
effet  de  rompre  l'effort  des  vagues  et  des  courants,  et  de 
procurer  ainsi  du  calme  dans  l'intérieur  de  la  rade. 

Le  directeur  des  fortifications  à  Cherbourg,  le  maréchal 
de  camp  Pierre-Jean  de  Caux  de  Blacquetol,  proposa  aussi 
de  la  fermer  par  une  digue;  mais  il  voulait  que  celle-ci  fut 
formée  de  caissons  remplis  de  maçonnerie  et  dirigée  de  la 
pointe  du  llommet  à  l'ile  Pelée. 

Dumouriez,  à  qui  cependant  le  marquis  de  Castries, 
ministre  de  la  Marine,  ne  reconnaissait  pas  une  bonne  tête, 
attaqua  les  deux  projets  et  en  fit  triompher  un  troisième 


desquelles  ces  quatre  rivières  se  réunissent.  (  Troisième  Rapport  du  dite 
de  Harcourt  au  Roi,  pendant  le  voyage  de  Louis  XVI  i  Cherbourg;. 
Juin  1786.) 


CONSTUUCTION    I)K  LA  JETEE   DE  CHEUBOUUG.     113 

dont  la  pensée  primitive  appartenait  en   grande   partie  à 
M.  de  Cessart,  ingénienr  des  Pontes  et  Chaussées  de  la  géné- 
ralité de  Rouen  (1).  Ce  projet  consistait  à  fermer  la  rade 
par  une  digue  à  elaires-voies ,  formée  de  quatre-vingts   à 
quatre -vin(j^t-dix   rochers  arliBciels  ou  caisses  coniques  en 
charpente 9  remplies  de  pierres   et  placées  hase  à  hase,  en 
laissant  trois  passes  défendues  par  des  hatteries  étahlies  tant 
sur  les  cônes  mêmes  que  sur  les  forts  de  Querqueville  et  de 
J'ile  Pelée,  situés  aux  deux  extrémités.  Ces  gi(]^autesques  ca^es 
à  poulets ,  comme  les  appelle  Alexis  de  Tocqueville  (2),  aussi 
liantes  que  la  colonne  de  la  place  Vendôme,  et  larges  à  Fave- 
liant,  devaient  être  transportées  sur  les  lieux  et  là  remplies  de 
pierres  jusqu^à  former  un  poids  de  cent  millions  de  livres. 
Or,  Dumouriez,  devenu  Tami  de  M.  de  La  Millière,  maître 
«.les  requêtes,  chargé  des  Ponts  et  Chaussées,  homme  fort  en 
crédit,  tout-puissant  en  cette  affaire,  eut  Part  malheureux 
de  se  faire  écouter. 

Vax  vain  éclatèrent  les  protestations  d'un  officier  du  corps 
du  génie.  Bonnet  de  Demouvillc.   En  vain  eut-on  encore 
<!cllcs  d'une  artiste  peintre,  une  demoiselle  Bertrand,  per- 
.sonne  de  mérite  et  d^étude,  qui  se  mêlait  de  (j^énie  maritime, 
et  qui,  dans  une  lettre  du  8  avril  1784  au  ministre  de  la 
Marine,  battit  en  brèche  le  système  des  caisses  coniques. 
u  Ces  cônes,  disait-elle,  si  Ton  venait  à   bout  d'en  placer 
dans   la   mer,   n'y  résisteraient  pas   dix  ans.   »  M.   de  La 
.Minière,  qui  trouvait  à  cette  femme  aussi  peu  de  connais- 
siince  de  Tensemble  des  travaux  à  exécuter  que  d'intelligence 
de  l'art  de  construire  à  la  mer,  se  rit  des  objections  de 
mademoiselle  Bertrand  et  des  plans  nouveaux  qu'elle  four- 
nissait. D'accord  avec  M.  de  Castries  et  M.  de  Ilarcourt,  il  fit 
écho  avec  Dumouriez,  pour  qui  l'idée  des  cônes  était  u  une 
idée  sublime  et  simple  qui  devait  être  suivie  (3),  »  et  l'on  s'y 
arrêta.   II   n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'événement  devait 

(1)  Le  projet  de  Dumouriez  différait  de  celui  de  Ce8)«art  en  ce  (|u» 
le  premier  voulait  couler  dans  la  uier  des  blocs  bruts  de;  roclicr. 

(2)  Cherbourg,  dans  V Histoire  des  villes  de  France,  puliiiée,  en  1849, 
-^Uft  la  direction  de  M.  Aristide  Gilbert,  p.  12. 

(3)  Lettre  de  Dumouriez  au  ministre  de  la  Marine,  15  septembre  1783. 

TOME    III.  8 


114     CONSTRUCTION   DE   LA  JETKE   DE  CHERBOURG. 

donner  raison  à  Bonnet  de  Demouville  et  à  la  p<uivre  artiste 
éconduitc. 

Cependant  l'œuvre  des  cônes  se  poursuivait.  En  1782, 
une  cage,  qui  avait  été  construite  au  Havre  et  qui  était 
élevée  seulement  de  trente-six  pieds,  ayant  navigué,  dans 
la  rade,  au  cabestan,  le  maréchal  de  Gistries  la  fît  trans- 
porter du  Havre  à  Cherbourg;  pour  y  être  achevée  et  placée 
en  1783.  On  employa  pour  en  opérer  la  flottaison  et  la 
navigation  cent  quatre  tonnes  désignées  sous  le  nom  de 
pontons  cylindriques  disposés  en  trois  amarrages.  Mais 
le  cône  arrivé  à  Cherbourg,  l'épreuve  faite  en  septembre 
demeura  incomplète,  et  force  fut  de  remettre  au  printemps 
une  épnîuve  nouvelle.  Pour  cette  épreuve,  les  Ponts  et 
Chaussées,  qui  auraient  bien  voulu  se  passer  du  concours  des 
officiers  de  vaisseau,  se  virent  obligés  de  le  l'éclamer.  Du- 
mounez  sentant  alors  l'impuissance  de  M.  de  Gessart  à  finir 
seul  cette  grande  entreprise,  écrivit,  le  2:2  septembre  1783,  à 
M.  de  La  Millière  la  lettre  qui  suit  : 

((  On  continuera  autant  qu'on  pourra  dans  la  belle  saison, 
en  attendant  qu'on  ait  simplifié  la  flottaison,  la  navigation 
et  l'immersion  ;  mais  il  faut  bien  se  mettre  dans  la  tête  qncle 
grand  mérite  du  cône  est  sa  simplicité,  sa  forme,  sa  solidité  > 
son  élasticité,  la  promptitude  de  sa  construction  et  son  bon 
marché  ;  que  pour  peu  que  M.  de  Ccssart  veuille  y  appliquer, 
de  son  invention,  des  moyens  de  navigation  inhérents,  il 
compliquera  sa  machine  et  en  rendra  la  construction  lente 
et  incertaine  ;  qu'en  un  mot  il  la  gâtera.  Les  moyens  nau- 
tiques doivent  en  être  séparés  et  purement  adhérents.  D'ail- 
leurs, pour  cette  navigation,  il  est  entre  les  mains  des  marins, 
qui  rejetteront  toujours  tous  les  moyens  qui  ne  sont  pas  les 
leurs.  Cest  donc  à  eux  k  les  trouver  en  les  combinant  avec 
lui.  n  n'y  a  encore  rien  de  perdu;  M.  le  duc  d'Harcourl  est 
tout  aussi  chaud  que  si  le  cône  était  en  rade,  il  s'occupe  des 
moyens  en  grand  et  presse  M.  le  marquis  de  Castries  à  cet 
égard.  J'ai  mandé  à  ce  ministre  de  m'envoyer  un  M.  Denys, 
fameux  constructeur  de  Dunkerque.  M.  de  Bavre,  capitaine 
de  vaisseau,  doit  m'envoyer  un  modèle  de  son  côté,  dès 
qu'il  sera  revenu  de  Saint-Malo.  W  faut  établir  la  conçois 
rence  sur  cet  objet.  Ceci  n'est  pas  précisément  un  échec,  mais 


CONSTRUCTION   DE  LA  JETÉE  DE  CHERBOURG.     145 

y  ressemble.  Il  faut  du  courage  pour  faire  face  aux  circon- 
stances. Je  souhaite  voir  ici  bientôt  des  constructeurs,  pour 
régler  mes  idées  sur  leurs  plans.  » 

C'est  dans  ces  circonstances  que  le  Roi  destina  «Pabord 
pour  ces  travaux  trois  cents  hommes  des  troupes  de  la  Marine 
et  nomma  à  la  direction  le  vicomte  de  La  Bretonnière.  Ces 
travaux  furent  alors  poussés  avec  une  activité  qui  fait  hon- 
neur au  patriotisme  du  Roi  et  de  ses  agents. 

On  tenait  donc  pour  les  caisses  coniques,  et  la  première 
expérience  en  fut  complétée,  sans  accident,  en  1784,  par 
rimmersion,  base  à  base,  de  quatre  cônes.  Le  premier  fut  mis 
en  place,  le  6  juin,  sous  les  yeux  de  la  France  attentive;  le 
second,  les  16  et  17  juillet  suivants.  La  Bretonnière  y  prétait 
sotii  concours  et  commandait  la  manœuvre.  Mais  la  dépense 
déjà  faite  pour  ce  complément  d'expérience  épouvanta  sur 
les  dépenses  à  venir,  si  l'on  continuait  à  poser  les  cônes  en 
contact  par  la  base.  Gessart  proposa  donc  de  les  espacer  de 
trente  toises  en  trente  toises,  en  les  liant  par  des  digues  inter- 
médiaires construites  à  pierres  perdues.  C'était  en  partie,  mais 
pas  assez  encore,  revenir  au  système  primitif  de  La  Breton- 
nière. Dès  ce  moment  néanmoins  la  réussite  parut  assurée,  et 
l'on  comptait  que  la  première  partie  de  la  digue  d'enceinte, 
située  à  l'Est  et  composée  de  dix-huit  à  vingt  cônes,  serait 
achevée  dans  les  premiers  mois  de  1788.  On  pourrait  dès  lors 
commencer  déjà  à  recevoir  quarante  vaisseaux  de  ligne,  en 
fermant  provisoirement,  soit  par  des  batteries  flottantes,  soit 
par  quelque  ouvrage  établi  sur  la  Roche  Tenare,  l'espace 
compris  entre  le  Hommet  et  l'extrémité  N.-O.  de  cette  digue. 
La  beauté  du  résultat  apparaissait  évidente,  et  les  acclama- 
tions de  la  France  entière  ne  pouvaient  s'égaler  qu'à  l'en- 
thousiasme de  la  Cour.  Louis  XVI,  voulant  se  donner  en 
1786  une  idée  plus  précise  et  plus  vivante  des  travaux  en 
cours  d'exécution,  fit  partir  d'abord  pour  Cherbourg  son 
jeune  frère,  le  comte  d'Artois.  Ce  prince  arrivait  en  rade  le 
27  mai  ;  et  tandis  qu'il  voyait  couler  devant  lui  le  huitième 
cône  avec  succès,  Louis  XVI  lui-même  annonçait  confiden- 
tiellemcnt  sa  propre  visite  au  duc  de  Harcourt.  Une  escadre 
d'évolution  de  vingt-deux  voiles >  commandée  par  M.  d'Albert 

8. 


116     CONSTRUCTION   DE  LA  JETEE  DE  CilERDOURG. 

de  Rions,  se  préparait,  qui  allait  bientôt  manœuvrer  sons  les 
yeux  du  Roi.  Le  23  juin  1786,  dès  trois  heiu*es  du  matin, 
Louis  XVI,  arrivé  la  veille  au  soir,  entrait  dans  les  chantiers 
de  construction  des  cônes,  puis,  aux  cris  immenses  de  Vive 
le  Roi!  il  assistait  à  l'immersion  du  neuvième.  Trois  jours 
durant,  il  visita  tous  les  travaux,  excita  le  zèle  des  travail- 
leurs, descendit  dans  tous  les  détails  de  la  grande  œuvre  de 
son  siècle.  Le  29  juin,  il  était  de  retour  à  Versailles,  le  cœur 
(jros  encore  des  superbes  spectacles  dont  il  avait  été  le  témoin 
et  l'auteur. 

Il  ne  devait  cependant  pas  être  donné  à  son  rèf^ne  de  voir 
rachèvement  de  ce  monument  maritime.  Et  d'abord,  la  nature 
travaillait  sourdement  à  la  destruction  du  bois  des  caisses,  et 
les  tempêtes  balayaient  l'œuvre  si  coûteuse  et  si  pénible  de 
quatre  années.  11  fallut  recourir  au  système  de  La  Breton- 
iiière  pour  réparer  de  si  terribles  échecs,  et  comme  le  dit 
Dumouriez,  deux  ans  après  :  «Avec  les  quarante  millions 
qu'on  avait  dépensés  en  six  ans,  pour  ne  faire  qu'ébaucher 
le  projet  de  La  Bretonnière  et  peut-être  pour  le  (jâter,  on 
aurait  porté  à  sa  perfection  celui  de  Vauban  (l).  »  Mais  l'on  fit 
mieux.  Loin  de  se  décourag[er,  chacun  reprit  les  travaux 
avec  une  ardeur  nouvelle. 

Cette  ardeur  même,  soutenue  des  élans  de  fierté  de  la 
France  lors  du  voyag;e  du  Roi  donnant  une  consécration 
éclatante  au  port  de  Cherbour^j,  avait  allumé  les  récrimina- 
tions jalouses  de  l'Angleterre  et  les  imprécations  de  Burke. 
M  Ne  voyez-vous  pas,  s'écriait-il,  la  France  à  Cherbourg^  placer 
sa  marine  en  face  de  nos  ports,  s'y  établir  en  violant  la  nature, 
y  lutter  contre  l'Océan,  et  disputer  avec  la  Providence  qui 
av^it  assigné  des  bornes  à  son  empire?  Les  pyramides  d'Egypte 
s'affaissent,  comparées  à  des  travaux  si  prodigieux.  Les  con- 
structions de  Cherbourg  sont  telles  qu'elles  finiront  par  per- 
mettre à  la  France  d'étendre  ses  bras  jusqu'à  Portsmouth  et 
à  Plymouth  ;  et  nous,  pauvres  Troyens,  nous  admirons  naïve- 
ment cet  autre  cheval  de  bois  qui  prépare  notre  ruine.  » 

Voilà  qui  prouve  que  de  si  utiles  travaux  ne  pouvaient 
s'entreprendre  qu'en  un  temps  de  désaccord  avec  nos  jaloux 


(f)  Mémoires  de  DuxooiiiBZ,  t.  I,  p.  360. 


CORSTRUCTIOK   DE  LA  JETEE  DE   CHEUllOlTRG.     117 

voisins  d^outrc-Manche;  voilà  qui  fait  ressortir  la  pensée  si 
politique  de  La  Bretonnièrc,  qui  sVcriait  sans  cesse:  a  La 
rade  avant  le  port!  Viennent  des  revers,  les  traités  stipulent 
le  renversement  des  fortifications,  la  destruction  des  ports, 
témoin  Dunkerque.  Mais  les  {]^rands  travaux  de  digues  de- 
meurent, et  la  main  envieuse  de  Tétranger  ne  saurait  arra- 
cher des  entrailles  de  la  mer  les  blocs  qu'elles  recèlent.  » 

La  Bretonnière  reprit  sur  nouveaux  frais  les  travaux.  On 
rasa  au  niveau  de  la  basse  mer  les  cônes  que  n'avaient  pas 
emportés  les  tempêtes.  Un  seul  resta,  celui  qui  était  le  plus 
à  Test,   pour    indiquer   le  commencement  de  la  passe.  Le 
12  février  1789,  il  avait  croulé  en  ruines.  Les  désastres  révo- 
lutionnaires firent  interrompre  les  travaux  en  90.   En  92, 
l'Assemblée  Législative  eut  quelque  velléité  de  les  reprendre, 
et  l'on  dressa  alors  un  mémoire  des  plus  remarquables  qui 
compte  dans  l'histoire  du  port.  En  octobre  1802,  le  Premier 
Consul  les  avait  fait  recommencer.  En  1811,  Napol(''on  y 
donnait  la  dernière  main,  et  terminait  victorieusement  les 
/iittes  contre  les  ouragans.  La  Restauration  couvrait  la  digue 
d'un  couronnement  que  le  second  Empire  acheva.  Ainsi  se 
forniinait,  après  soixante-dix  ans  d'efforts,  de  contrariétés  et 
de  vicissitudes  de  tout  genre,  l'ouvrage  le  plus  gigantesque 
^les  temps  modernes  (1). 


(1)  Il  a  paru  eu  1833  et  Tannée  dernière,  quatre  volumes  fort  8oi- 
f^ticiiâcinent  f;iit4,  publiés  à  Cnen  par  M.  Ilippeau,  sous  le  titre  de 
^Gouvernement  de  Normandie  au  diX'Septième  et  au  dix- huitième 
^dècle.  Le  tome  troisième  est  entièrement  consacré  à  la  guerre  et  à  lu 
*«iarine,  et  contient  les  plus  précieux  détails  sur  le  port  dr  Cherbourg. 
C^c  livre  est  le  dépouillement,  fait  par  un  homme  instruit  et  de  bon 
«^^jtprit,  de8  archives  de  la  maison  de  Hnrcourt.  En  donnant  les  cor- 
it~«;«p<iiiilance.<(  de  Tillustre  Duc  de  ce  nom,  (jui  fut  gouverneur  de 
^^iormandie,  et,  à  ce  titre,  a  betiucoup  contribué  au  pro{p"ès  de  la 
^^igue  de  notre  grand  port,  M.  Hippeau  a  fait  acte  à  la  fois  de  savant 
^lït  de  bon  citoyen. 


118  I/EMPEREUR   JOSEPH   II. 


CCCCXXXII 

L'EMPEREUR  JOSEPH  II 
A  SA  SOEUR  L'ARCHIDUCHESSE  MARIE-CHRISTLNE  (i). 

Il  apprend  la  nouvelle  de  la  délivrance  de  Marie- Antoinette  qui  vient 
de  mettre  au  monde  le  second  Dau[^in.  —  Voyage  du  Graud-Diie 
et  de  la  Graude-Duch&fsc  de  RuMÎe. 

Ce  3  avril  1785. 

Ma  chère  Sœur,  l'attente  d'une  réponse  hollandoise 
m'a  fait  traîner  jusqu'à  aujourd'hui  de  vous  répondre; 
je  vous  rends  mille  grâces  de  vos  chères  lettres.  Je 
viens  d'apprendre  avec  bien  de  la  satisfaction  la  nou- 
velle de  l'heureuse  délivrance  de  la  Reine.  Elle  arrange 
très-bien  ses  affaires  ;  elle  se  laisse  du  temps  et  fait  des 
garçons.  Vous  saurez  déjà  la  visite  que  le  Grand-Duc 
aura  pour  le  jeu  de  pont.  Elle  ne  laissera  pas  que 
d'être  embarrassante.  Adieu,  ma  chère  Sœur,  je  suis 
bien  fâché  que  le  mauvais  temps  vous  ait  donné  du 
rhume 


Le  culte  des  idées  philosophiques  dont  la  France  était  le 
sanctuaire,  et  dont  les  encyclopédistes  reconnaissaient  Vol-. 
taire  pour  le  patriarche,  avait  détrôné  en  Europe  la  supré- 
matie jadis  ouinipotente  du  Saint-Siège.  Le  Maro-Âurèle  de 
Voltaire,  le  grand  Frédéric,  professait  théoriquement  la 
religion  nouvelle  avec  un  profond  dédain  pour  la  religion 
révélée  ;  mais  il  se  serait  bien  gardé  de  persécuter  cette  der- 


(i)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArcliiduc  Albert 
d'Autriche. 


L'EMPEREUU  JOSEPH  II.  U9 

DÎère,  ni  quelque  autre  que  ce  fût  :  il  y  voyait  trop  bien  un 
instrument  de  police  gouvernementale;  mtiis  son  admirateur, 
Joseph  II ,  dépassant  son  modèle ,  avait  marché  impétueuse- 
ment de  la  théorie  à  la  pratique;  et,  sans  partir  des  mêmes 
principes  que  les  niveleurs  français  du  80,  il  voulait  impro- 
viser chez  ses  peuples  des  réfomn^s  mdicalos,  imposer  l'usage 
de  la  laD(jue  allemande  à  nies  pays  de   races  diverses,  et 
partout  établir,  eu  dépit  des  ori(;ines,  des  U8a(;es,  des  pré- 
ju/jés,  une  complète  uniformité  lé([ale  et  ré(;lemeiitaire.  Sa 
foi  org^ueilleuse  en  lui-même  avait  été  jusqu'à  a{;^(jraver  une 
sentence  prononcée  par  un  tribunal  ré(j[uli(T.  (^'tte  manie 
des    réformes   dans    laquelle  Tavait    jeté    un    amour   mal 
entendu  du  bien  public  et  ]v  iK'soiu  de  faire  pailer  de  soi, 
menaçait  depuis  lon(jtruips  de  lui  devenir  funeste.  Il   ])er- 
sécutait  de  tracasseries  le  cler(;é  et  les   couvents,  et  s'im- 
Jnnisçait  dans  les  choses  les  moins  compatibles  avec  le  pou- 
voir civil.  11  portait  coup  sur  coup  des   lois  et  rè{j;lements 
<Jiangeant  la  discipline  ecclésiastique ,  entrant  dans  le  détail 
des  fêtes,  du  cérémonial  intérieur,  des  processions.  Frédéric 
<*n  était  venu  à  l'appeler  mon  frère  le  sacristain.  Une  fer- 
ftiieiitation  sourde  agitait  les  provinces  Belgiques,   blessées 
cJans  leurs  libertés  provinciales,  municipales  et  ivligieuses, 
c?t  le  réformateur  n'en  tenait  compte.  L'année*  1784  s'était 
ouverte  par  l'insurr(X!tion  des  Valaques  et  la  rupture  de  la 
Hollande  avec  l'Autriche  au  sujet  de  l'ouverture  de  l'Escaut, 
^{ue  la  première  refusait  dét(?rminément,  et  que  la  seconde 
fM'étendait  pouvoir  exiger.  La  feruieture  de  ce  Heuve  avait 
j>orté  un  grave  préjudice  au  port  d'Anvers  en  <lcl misant  son 
^•ommerce.  Aussi   la   marine  aiivcrsoise  avait-elle  tenté  de 
9^'af franchir  de  la  défense,  et,   le  8  octobre  1784,  le  canon 
■iudlandais  avait  accueilli  un  brigantiu  de  cette  marine  qui 
descendait  vers  la  mer,  en  violant  l'E.scaut.  Joseph  II,  qui 
^*tait  loin  de  s'attendn»  à  une  si  énergique  résistance,  était 
l^urieux.    Louis  XVI  s'était  porté  médiateur,   et  négociait. 
Au  mois  de  ftévrier  1785,  on  ne  savait  encore  en  France 
mi  l'on  était  en  paix  ou  en  guerre.  L'Empereur  avait  accu- 
mulé approvisionnements  et  munitions,  et  massé  plus  de 
^'ingt  mille  hommes  sur  notre  frontièi^e,  par  ])eur  à  la  fois 
<les  États  généraux  de  la  France  et  de  ses  propres  provinces 


iJO  MARIE-ANTOINETTE. 

brabançonnes.  Louis  XVI  avait  dû,  de  son  côté,  établir  m 
cordon  vigoureux  à  Maubeuçc  et  à  Valencicnnes  ;  et  la  Loi 
raine  avait  été  mise  en  récjuisition  pour  conduire  une  quai 
tité  de  caissons  d'approvlsionnemeufs.  La  vigueur  et  la  tenu 
des  Hollandais  leur  donnèrent  (jain  do  cause.  Il  est  vrai  qu 
le  médiateur  leur  arracha,  en  faveur  de  rAutrichc,  le  foi 
de  Lillo,  mais  l'Ks(*aut  n'en  demeura  pas  moins  fermé.  L 
Roi,  pour  faire  cesser  touttlésaccord,  consentit  à  payer  nn 
partie  de  rindcninité  réclamée  par  TAutriclie  [traité  d 
10  novembre  1785],  —  concession  généreuse  et  politiqn 
qui  lui  conciliait  une  double  amitié,  et  enlevait  en  mèm 
temps  à  rAngleterro  et  à  la  Prusse  leur  influence  sur  le 
Provinces-Unies.  Mais  les  passions  malveillantes  qui  com 
mençaientà  s'acharner  contre  Marie-Antoinette  faussèrent  1 
sens  de  cet  acte  de  la  sa(>^e  politi(|ue  de  Louis  XVI  et  d 
Ver(jennes,  lui  en  firent  un  crime,  et  prirent  de  là  occasio 
de  l'accuser  de  livrer  à  son  fn;re  les  trésors  de  la  France. 

(Voir  au  premier  volume  la  lettre  de  Louis  XVI  en  dal 
du  2G  octobre  1784.) 


CCCCXXXIII 

MARIE-AXTOINETTE  AU  DUC  DE  CHOISEUL  (1). 
Naidsaucc  du  «cc('>iid  Dauphin. 

Versailles,  ce  15  avril  [1785]. 

J'ai  appris.  Monsieur,  par  Madame  de  Tourzel ,  1 
part  que  vous  avez  prise  à  l'allégresse  publique  su 
l'heureux  événement  qui  vient  de  donner  à  la  Franc 
un   héritier  de  la  couronne.   Je  remercie  Dieu  de  1 


(1)   Aut(){;raplic.  — ColL'rriou  de  M.  le  docreur  Sprague  ù  Alban) 
Etats-Unis  d* Amérique. 


I/ARCIIIDUCHESSE  MARIE-CHRISTINE.        Ul 

{fràce  qu'il  m'a  faite  d'avoir  comblé  mes  vœux,  et  me 
flatte  de  l'espoir  que,  s'il  daig[ne  nous  conserver  ce 
cher  enfant,  il  fera  un  jour  la  {gloire  et  les  délices  de 
ce  bon  peuple.  J'ai  été  sensible  aux  sentiments  que 
vous  avez  exprimés  dans  cette  circonstance,  ils  m'ont 
rappelé  avec  plaisir  ceux  que  vous  m'avez  autrefois 
inspirés  chez  ma  mère,  vous  assurant.  Monsieur  le 
Duc,  que,  depuis  ce  moment,  ils  n'ont  pas  cessé  d'être 
les  mêmes  pour  vous,  et  que  personne  n'a  le  plus  vif 
désir  de  vous  en  convaincre  que 

Marie-Antoinette. 


CCCCXXXIV 

l/ARCHIDUCIIESSE  MARIE-CHRISTINE,  DUCHESSE 

DE  SAXE-TESCHEN, 
A   LA    PRINCESSE  ÉLÉO^ORE  DE  LIECHTENSTKIX  (1). 

jc\ffalre  du  Collier,  qui   livre  la  Reîiin  do  France  en  butte  aux  traits 
méchants  do  la  famille  Souhise  et  Rolian. 

Le  24  août  1785. 

Vous  aurez  été  bien  étonnée  de  la  terrible  histoire 
du  cardinal  de  Ilohan.  Il  a  enfui  mis  le  comble  h  ses 
mauvaises  qualités  et  actions.  Mais  je  prévois  qu'il  n'en 
sera  pas  puni  :  l'intrigue  et  la  cabale  le  sauveront.  Le 


(!)  Minntc  existant  anv  Arcliivei*  de  Son  Altesse  Impériale  et 
Royal»'  l'Arcliiduc  Albert  d'AntricIie,  juibliée  par  M.  Adam  Woll" 
danj»  son  ffisUtire  Je  C Archiduchesse  Marie^Christine y  t.  Il,  p.  247. 


m        L'ARCHIDITGIIESSE   MARIE-CHRISTINE. 

fait  est  celui-ci  :  qu'il  a  pris,  do  concert  avec  une  ma- 
dameLa  Mothe,  grande  intrigante,  chez  le  joaillier  Boeh- 
mer,  un  collier  de  diamants  de  quinze  cent  mille  livres. 
Cet  honuue,  qui  connoissoit  le  cardinal,  ne  voulut 
point  lui  donner,  ni  à  cette  dame,  le  collier;  mais 
celui-ci  prétexta  en  être  commission  né  secrètement  de 
la  Reine,  lui  enjoignant  le  secret.  Il  lui  donna  une 
quittance  signée  de  :  Antoinette  de  France,  imitant 
récriture  de  la  Reine,  lui  promettant  ]>ayement  en 
quatre  ou  six  termes.  Le  premier  terme  est  déchu  (1); 
le  joaillier  demande  son  argent  du  cardinal  qui,  mal- 
gré la  vente  du  collier,  n'en  ayant  pas,  ne  lui  paya, 
au  nom  de  la  Reine,  (]ue  soixante  mille  livres  au  lieu 
de  quatre  cent  mille,  que  d(»voit  faire  le  premier  tri- 
mestre. Ce  joaillier,  qui  va  très-souvent  chez  la  Roine, 
demanda  le  payement  de  la  Reine.  Kllc  étoit  surjïrise 
en  voyant  sa  quittance,  va  tout  de  suite  chez  le  Roi  et 
le  lui  dit.  Ce  fut  le  15  août  que,  venjint  en  rochet  et 
camail  à  la  cour,  pour  chercher  comme  grand  aumô- 
nier le  Roi  à  l'église,  celui-ci  lui  présenta  ce  faux 
billet  et  l'interrogea,  à  quoi  il  ne  peut  répondre. 
Il  est  arrêté.  Je  suppose  qu'on  palliera  encore  tout 
cela ,  et  qu'il  n'en  sera  point  fait  justice.  Mais  si 
toutes  ces  circ^onstances  se  vérifient  et  qu'on  ne  pende 
pas  Son  Éminence,  je  ne  sais  qui  dorénavant  le  pourra 
être  en  France.  Pour  la  Reine,  je  la  plains  d'être  tou- 
jours en  butte  à  tous  ces  traits  d'impertinence  et  de 
mauvaise  volonté  de  cette  nation ,  et  surtout  de  cette 
famille  Soubise  etRolian.  Adieu. 


(1)  Échu,  pas^. 


MARIE-ANTOINETTE.  123 


ccccxxxv 


»  9 


MARÏE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HEREDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Réponse  aux  coniplimcnt.s  sur  In  naissance  du  second  Dauphin. 

Ce  19  mai  1785. 

Rien  ne  pouvoit  augpmenter  ma  joie,  ma  chère  Prin- 
cesse, que  l'assurance  que  vous  me  donnez  de  partager 
mon  bonheur  sur  ia  naissance  de  mou  fils  (2)  :  il  se 
porte  à  merveille,  ainsi  que  moi.  J'ai  tant  de  lettres  à 
répondre  dans  ce  moment-ci,  que,  comptant  sur  votre 
amitié,  je  me  borne  à  vous  renouveler,  ma  chère  Prin- 
cesse, les  tendres  assurances  de  la  mienne. 


(1)  Arcliives  de  Son  Altesse  Rovah;  le  (îrand-Duc  de  Hesse. 

(2)  C'est  le  duc  de  Normandie,  dont  la  Reine  élait  accouchée  le 
marâ  1785. 


m  MARIE-ANTOINETTE. 


CCCCXXXVI 

MARIE-ANTOINETTE  AU  COMTE  DE  MERCY-ARGENTEAU(l). 

Elle  est  chargée  de  remettre  a  rambassadeiir,  de  la  part  de  TEmpereury 

le  grand  collier  de  Saint-Etienne. 

Ce  9  octobre  [1785]. 

Je  reçois  clans  Tinstant,  Monsieur,  les  lettres  et  le 
]>aquet  qui  vient  de  Vienne.  Mon  frère  a  juyé  de  mon 
cœur  par  le  sien ,  en  me  chargeant  de  vous  remettre 
de  sa  part  le  yrand  collier  de  Saint-Etienne.  Je  lui  en 
sais  gré,  quoique  je  sache  bien  que  ces  vains  honneurs 
ne  font  pas  {jrand'chose  sur  vous  ni  ne  peuvent  jamais 
compenser  tout  ce  que  nous  vous  devons  dans  cette 
occasion,  et  moi  en  particulier.  Vous  m'avez  toujours 
montré  tant  d'attachement  pour  moi  que  vous  ne  devez 
pas  douter.  Monsieur,  de  la  sincérité  de  mes  senti- 
ments pour  vous. 

A  votre  arrivée  à  Fontainebleau,  nous  déciderons 
ensemble  le  départ  du  courrier. 

Marie-Antoinette. 


(1)  ArchivcA  impériales  d'Autrirlie. 

L'année  de  la  nomination,  et  {Kir  conséquent  le  millésime  de  la 
lettre,  est  établie  par  un  livi'e  in-folio  public  Tannée  dernière  k 
Vienne  et  qui  est  intitulé  :  Memoria  insi^nis  Ordinis  S.  Stephani 
Hung,  Regix  Apost.  Secularix,  Vindobona;.  Typis  status  procasa. 
M.  I).  CGC.  LXIV.  Voir  page  72  de  re  livre,  l'article  du  comte  de 
Mercv. 


MARIE-ANTOINETTE.  iî5 


CCCCXXXVII 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (i). 

Fête  de  la  Reine.  —  Elle  va  bicntAt  jouir  de  la  société  de  la  PrînceM»e 

palatine. 

Ce  29  novembre  [1785]. 

Vous  êtes  bien  aimable,  ma  chère  Princesse,  d'avoir 
pensé  à  moi  pour  ma  naissance.  Je  vais  bientôt  voir 
la  Princesse  palatine  (2).  J*aurai  un  grand  plaisir  de 
causer  avec  elle  de  vous  et  de  tout  ce  qui  vous  inté- 
resse. Il  faut  bien  (|ue  je  me  dédomma;;e  par  là  du  peu 
d'espoir  que  vous  me  donnez  de  vous  revoir  jamais. 
Vous  connoissez  assez  ma  tendre  amitié  pour  ne  pas 
douter  du  plaisir  sincère  que  j'aurois  de  pouvoir  vous 
embrasser  et  vous  renouveler  de  vive  voix ,  ma  chère 
Princesse,  tous  les  sentiments  que  mon  cœur  vous  a 
voués  depuis  longtemps  et  pour  la  vie. 

Chargez-vous,  je  vous  prie,  de  tous  mes  compli- 
ments pour  le  Prince  Héréditaire  et  Madame  votre 
mère. 


(i)  Art*hive<  de  Son  AltCi^se  lloyale  le  (rraiid-Diic  de  HcHse- 
Darmstadt. 

(î)  Marie-Wilhelminc-i^M^riivftf ,  sœur  de  la  princesse  Louise,  uia- 
Hée  au  Prince  palatin  Max,  le  30  septembre  [irécédcnt. 


126  MARIE-ANTOINETTE. 


GGCGXXXVIII 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Mort  de  la  princesse  Charlotte  de  Hesse-Darmstadt ,  mariée  ea 

Mcckienbour};. 

Ce  18  janvier  1786. 

J'ai  été  bien  touchée,  Madame,  de  votre  lettre,  et 
personne  ne  partage  plus  sincèrement  vos  peines.  Vous 
connoissiez  Tamitié  qui  m'attachoit  à  la  Princesse 
Charlotte,  et  vous  devez  juger  par  là  combien  sa  perte 
m'a  affligée.  Le  pressentiment  affreux  qu'elle  a  tou- 
jours eu,  et  dont  elle  me  parloit  encoi^  dans  ses 
dernières  lettres,  a  augmenté  mon  saisissement  à  la 
nouvelle  de  sa  mort  (2) . 

Vous  m'avez  toujours  montré  de  l'amitié,  Madame, 
mais  à  présent  j'espère  que  vous  voudrez  bien  l'aug- 
menter pour  remplacer  en  même  temps  l'amie  que  j'ai 
perdue.  Pour  mon  cœur,  il  n'y  a  rien  à  faire,  vous 
savez  que  depuis  longtemps  il  vous  est  tendrement  et 
entièrement  attaché. 

J'espère  que  M.  le  prince  Georges  s'est  acquitté  de 
ma  commission  pour  vous;  voulez- vous  bien  lui  faire 
mes  compliments,  ainsi  qu'à  M.  le  Prince  Héréditaire? 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hesse. 

(2)  La  princesse  Charlotte,  qui  avait  épousé  son  heau-frère,  était 
morte  le  12  décembre  1785,  à  Hanovre. 


M  A  RIE- ANTOINETTE.  127 


CGCCXXXIX 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (i). 

J^a  Heine  avait  donne  sou  portrait  à  la  princesse  Charlotte  :  elle 
prie  la  princesse  Louise  de  lui  faire  connaître  quel  a  été  le  sort  de 
ce  portrait. 

Ce  22  février  178(5. 

Vous  ne  devez  pas  être  étonnée,  ma  chère  Prin- 
cesse, qu'après  la  perte  que  tous  avez  faite  et  que  j'ai 
partagée  si  vivement,  je  désire  savoir  plus  souvent  de 
>'os  nouvelles  et  de  celles  de  tous  les  vôtres. 

La  pauvre  princesse  Charlotte  avoit  un  portrait  de 
jnoi,  pareil  au  vôtre  ;  ce  sont  les  plus  ressemblants  qui 
^ieut  été  faits  :  je  désirerois  bien  le  ravoir,  ou  au  moins 
.savoir  entre  les  mains  de  qui  il  a  passé. 

Vous  aurez  sûrement  entendu  parler  de  ma  grossesse  ; 
<|uoiqu'elle  ait  été  longtemps  douteuse ,  je  crains  bien 
•à  présent  qu'elle  ne  soit  tout  à  fait  certaine  ;  ma  santé 
est  d'ailleurs  fort  bonne.  Mes  compliments  au  Prince 
Héréditaire  et  k  tous  vos  parents  ;  pour  vous,  ma  chère 
Princesse ,  vous  ne  devez  jamais  douter  de  la  tendre 
amitié  avec  laquelle  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 

Voulea&-vous  bien  dire  à  M.  le  prince  Georges  de  ma 
|>art  que  malgré  les  bruits  d'une  promotion  prochaine 
elle  me  paroit  encore  éloignée;  et  que  je  n'oubUerai  pas 
ses  intérêts. 


(1)  Archires  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand^Due  de  Hcsse. 


iî8  M  A  RIE- ANTOINETTE. 


CCCGXL 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  FIÉRÉDITAIRE 

DE  IIESSE-DARMSTADT(l). 

Elle  destine  à  la  princesse  Auguste  son  portrait  qu^elle  avait  donné 

à  la  fciie  princesse  Charlotte. 

Ce  23  mai-s  1786. 

Votre  lettre,  ma  chère  Princesse,  in*a  bien  retracé 
l'honnêteté,  la  sensibilité  de  votre  âme  et  votre  amitié 
pour  moi.  Ma  grossesse  continue  très-heureusement  ;  je 
compte  accoucher  à  la  mi-juillet,  et  les  petites  souffrances 
n'altèrent  point  du  tout  ma  santé  (2). 

J 'a vois  toujours  compté  qu'on  m'instruiroit  de  ce 
qu'étoit  devenu  le  portrait  que  j'avois  eu  tant  de  plai- 
sir à  donner  à  la  malheureuse  princesse  Charlotte.  Dès 
le  moment  de  sa  perte,  je  l'avois  destiné  à  madame  la 
princesse  Auguste ,  qui  me  l'avoit  demandé  plusieurs 
fois  pendant  son  séjour  ici.  Comme  elle  est  présente- 
ment avec  vous,  voulez-vous  bien  le  lui  offrir  de  ma 
part?  Quoique  je  ne  sois  plus  jeune,  M.  le  prince  Georges 
l'est  beaucoup  trop  pour  avoir  mon  portrait  en  minia- 
ture. Je  ne  lui  réponds  pas.  Faites-lui  bien  mes  com- 
pliments ainsi  qu'à  M.  le  Prince  Héréditaire.  Pourvous, 
ma  chère  Princesse,  nedoutezjamaisde  la  tendre  amitié 
avec  laquelle  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur.  Je 
vous  envoie  cette  lettre  pour  la  remettre  avec  le  portrait. 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hcste. 

(2)  Lia  Reine  était  grosse  de  sa  seconde  fille,  qui  mourut  en  bas  âge. 


L'EMPEREUR   JOSEPH  II.  lîO 


CCCCXLI 

I.  EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MAllIE-CHRTSTINE  (1). 

•NJarie- Antoinette  a  invité  sa  sœur  à  venir  en  France.  —  L*Empercar 
trace  à  cette  deniiùrc  qiicifjucs  règles  générales  de  conduite  dans 
cette  circonji tance. 

Ce  13  juin  178C. 

Très-chère  Sœur,  je  viens  de  recevoir  votre  clière 
lettre,  et  je  vous  renvoie  ici  celle   que  vous   m'aviez 
onvoyée  de  la  Reine.   Je  trouve  très-convenable  son 
î  nvitation  et  que  vous  Tacceptiez.  Il  y  a  longtemps  que 
c:ette  visite  auroit  pu  être  désirde  de  sa  part.  Je  ne  puis, 
ovec  la  meilleure  volonté  du  monde  certainement,  vous 
<donner  d'autre  conseil  que  d'être  conséquente  et  de  ne 
^'ous  pas  laisser  détourner  en  aucune  façon  du  système 
<^ue  vous  aurez  pris.   C'est  la  plus   sûre  méthode  de 
ix^ussir   avec    des    François ,    parce    que    s'ils   voient 
ckhouer  leurs  sollicitations  et  manœuvi'es,  ils  croient 
trouver  une  grande  énergie   dans  leur  caractère.  La 
^eine  et  le  comte  de  Mercy  pourront  amplement  vous 
Caire  observer  les  objets  divers  que  Paris  et  ses  envi- 
rons présentent.  Quant  au  reste,  je  suis  bien  tranquille. 
Lasciafare  Marc  Antonio  est  un  vieux  proverbe  italien 
<]ui  se  vérifiera  toutes  et  <juantes  fois  il  y  aura  entre 
Aos  mains  une  besogne.   Je  pars  après-demain  pour 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  rArchiduc  Albert 
«l'Autriche. 

TOME   m.  9 


130         VISITE  DE  MAHIE-CHRISTINE  A  LA  REIiNE. 

mes  camps,  et  je  vous  embrasse,  de  même  que  le  Prince, 
de  tout  mon  cœur.  Croyez-moi  pour  la  vie  votre. 


Enfin,  deux  ans  après  le  voyage  en  France  du  Grand-Duc 
et  de  la  Grande-Duchesse  de  Russie,  Marie-Christine  accom- 
plit à  Versailles ,  avec  son  mari,  cette  excursion  tant  désirée, 
et  tous  deux  furent  reçus  avec  une  parf-aite  cordialité  par  le 
Roi  et  la  Reine  de  France. 

La  baronne  d'Oberkirch,  qui  avait  accompa(jné  dans  les 
Pays-Bas  autrichiens  le  Comte  et  la  Comtesse  du  Nord,  parle 
dans  ses  Mémoires  du  Duc  et  de  la  Duchesse,  «  sœur,  dit-elle, 
de  l'empereur  Joseph  II ,  et  par  conséquent  de  notre  bien- 
aîmée  reine  Marie-Antoinette,  qui  la  chérit  tendrement  et 
dont  elle  est  tendrement  chérie.  Cette  Princesse  (que  la 
baronne  vit  alors)  avait  quarante  ans.  Le  Duc,  son  mari, 
était  lui  peu  plus  à{jé  qu'elle.  Il  avait  pour  ministre  le  prince 
de  Stahremberg-,  ministre  d'Etat  de  l'Empereur,  et  qui  avait 
été  ambassadeur  impérial  en  France,  homme  d'esprit,  fin 
diplomate  et  fin  courtisan.  La  Princesse  était  contrefahe,  et 
n'en  avait  que  plus  de  piquant  et  de  piqué  (1).  »  Et  de  fait, 
c'était  une  personne  aimable  et  d'intéressante  figure,  d'esprit 
discret  et  distingué,  et  dont  Marie-Thérèse  avait  soigné  Fédu- 
cation  avec  plus  de  sollicitude  qu'elle  n^'avait  soigné  celle  de 
Marie-Antoinette.  Elle  avait  un  goût  inné  pour  les  arts  du 
dessin  qu'elle  cultivait  avec  grâce,  ot  l'on  a  d'elle  une  suite 
de  compositions  pour  Don  Quichotte  qui  dénote  de  l'esprit 
et  de  l'imagination.  Quant  au  duc  de  Saxe-Teschen ,  qui 
aimait  tout  ce  qu'aimait  sa  femme,  il  avait  fondé  à  grands 
frais  et  en  vrai  connaisseur  une  vaste  bibliothèque  et  wne 
magnifique  collection  de  dessins,  de  portraits  et  d'estampes 
de  tout  genre  qui  passa  à  l'Archiduc  Charles  d'Autriche,  puis 
à  son  fils,  l'Archiduc  Albert,  et  qui  est  réputée  avec  raison 
pour  un  des  quatre  plus  riches  cabinets  chalcograpbiques  de 
l'Europe. 

(1)  Mémoires  de  la  baronne  d'0))erkircli .  t.  I*"",  p.  349. 


VISITE  DE  MARIE- CHRISTINE  A  LA  REINE.         131 

Les  Mémoires  manuscrits  inédits  du  duc  de  Saxe-Teschcn, 
dont  Toriginal,  divisé  en  quatre  volumes  in-folio,  est  déposé 
aux  Archives  de  l'Archiduc  Albert  d'Autriche,  et  dont  une 
copie  existe  dans  la  Bibliothèque  particulière  du  Roi  de  Saxe, 
fdumissent  sur  ce  voyage  quelques  informations  particulières 
qne  j'ai  relevées,  et  que  je  vais  reproduire  textuellement  (1). 

Le  Duc  et  la  Duchesse,  partis  de  Bruxelles  le  26  juillet  1786, 
étaient  accompa(]fnés  du  comte  et  de  la  comtesse  d'Arberg 
(alors  dame  du  palais  de  T Archiduchesse ,  et  la  môme  qui, 
dans  la  suite,  est  entrée  en  pareille  qualité  à  la  cour  de 
l'Impératrice  Joséphine  de  France);  du  [général  Rempelen 
et  de  l'aide  de  camp  du  Duc,  baron  de  Seckendorff. 


a  En  arrivant  à  Ermenonville,  dit  le  Prince,  nous 
eûmes  la  visite  inattendue  et  désagréablement  bruyante 
des  poissardes  de  Versailles  et  de  Paris,  qui  étoient 
venues  jusque-là  à  notre  rencontre  pour  nous  escroquer 
quelques  loùis  par  leurs  compliments  sur  notre  arrivée 
(page  100,  troisième  carton). 

»  A  Paris,  nous  vînmes  descendre  à  l'hôtel  du  Grand 
Conseil,  rue  des  Filles  Saint-Thomas.  Là,  nouvelle 
visite  des  poissardes  et  femmes  du  peuple,  connues 
sous  le  nom  de  Dames  de  la  halle,  qui  nous  régalèrent 
de  leurs  chansons  grivoises. 


(i)  Deux  de  ces  volumes,  sauvés  du  naufrage  qu*éprouva  Tuu  des 
vaisseaux  qui  emportaient  les  trésors  de  littérature  et  d'art  du  duc  de 
Saxe-Tescken  fuyant  devant  l'invasion  française ,  portent  encore  les 
traces  de  l'eau  de  mer  dont  ils  avaient  été  baignés.  Les  deux  autres, 
perdus  alors,  ont  été  recopiés  sur  la  copie  de  Dresde. 

le  me  plais  à  saisir  cette  occasion  d'offrir  tous  mes  remerciements 
au  conservateur  du  cabinet  de  Son  Altesse  Impériale  rArchidoc 
Albert,  M.  Miiller,  dont  la  complaisante  et  inépuisable  courtoisie  et 
l'éradition  variée  m*oBt  été  si  utiles  dans  mes  recherches  aux  archives 
du  Prince. 

9. 


132         VISITE  DE  MARIE-CHRISTIINE  A  LA  REINE. 

»  Arrivés  au  palais  de  Versailles,  où  nous  descen- 
dîmes du  côté  de  l'escalier  des  Princes,  je  ne  fus  pas 
peu  frappé  de  la  saleté  que  j'y  rencontrai  à  chaque 
pas,  et  je  ne  le  fus  pas  moins  des  petites  boutiques  de 
marchandises  étalées  sur  les  paliers  et  sur  le  haut  de 
l'escalier,  qui  avoit  l'air  d'une  friperie,  et  où  l'on  ven- 
doit,  entre  autres  choses,  tous  les  livres  défendus. 

»  On  nous  introduisit  d*abord  chez  la  Reine,  qui 
alors  setrouvoit  encore  dans  ses  semaines  de  couches. 

»  Comme  elle  étoit  beaucoup  plus  jeune  que  mon 
épouse,  qu'elle  n'avoit  guère  été  à  même  de  connoitre 
cette  sœur  avant  son  départ  de  Vienne,  et  qu'il  y  avoit 
eu  des  gens  qui  avant  celui-là  avoient  donné  des  idées 
défavorables  de  celle-là,  dont  elle  n'étoit  revenue  que 
dans  les  derniers  temps,  mon  épouse  fut  d'autant  plus 
charmée  de  ce  que  cette  entrevue  la  mit  à  même  d'af- 
fermir les  sentiments  qu'elle  avoit  adoptés  du  depuis 
pour  elle,  et  de  la  convaincre  de  la  fausseté  des  rap- 
ports qu'on  lui  avoit  faits  sur  son  compte. 

»  Elle  fut  dans  le  cas  de  se  convaincre  de  son  côté, 
ainsi  que  moi,  de  la  vérité  de  ce  qu'on  nous  avoit  dit 
sur  l'amabilité  de  la  Reine  et  sur  les  agréments  de  sa 
conversation,  qu'elle  poussoit  même  parfois,  à  mon 
avis,  au  delà  du  point  qui  convenoit  au  caractère  élevé 
dont  elle  étoit  revêtue. 

»  Nous  eûmes  occasion  de  nous  convaincre  par  la 
suite  aussi  que  les  sentiments  estimables  de  la  Reine 
répondoient  à  la  beauté  de  son  extérieur,  et  qu'ils 
auroient  dû  la  mettre  à  l'abri  des  reproches  que  la 
malveillance,  excitée  déjà  dans  ce  temps-là  contre  elle 
par  les  menées  d'un  parti  qui  par  la  suite  a  mis  tout  le 


VISITE  DE  MARIE-CHRISTINE  A  LA  REINE.         133 

royaume  en  combustion,  a  fait  faire  sur  sa  conduite, 
dans  laquelle  cependant  on  pouvoit  trouver  tout  au 
plus  des  traits  de  légèreté  provenant  de  la  bonté  et  de 
la  tranquillité  que  lui  inspiroit  la  pureté  de  ses  prin- 
cipes, bien  éloignés  de  ceux  qu'on  lui  prêtoit,  et  bien 
contraires  aux  démarches  qu*on  lui  imputoit  d'avoir 
faites  dans  la  fameuse  et  vilaine  affaire  du  collier,  agitée 
peu  de  temps  avant  notre  arrivée  à  Paris. 

»  Nous  avions  déjà  passé  près  d'une  heure  dans  sa 
chambre  lorsque  leUoi  y  entra. 

»  Il  avoit  été  arrêté  jusque-là  chez  lui  par  une 
audience  donnée  aux  membres  du  Parlement  de  Bor- 
deaux, qui  avoient  été  appelés  de  là  en  cour. 

»  Quoique  l'extérieur  du  Roi  n'avoit  rien  de  distin- 
gué et  que  sa  carrure  et  ses  traits  forts  et  rembrunis 
tenoient  à  ceux  d'un  gros  forgeur,  on  découvroit  d'un 
autre  côté  bientôt  dans  sa  conversation  le  caractère  de 
droiture  et  de  bonté  qui  auroit  toujours  dii  rendre  sa 
personne  chère  et  sacrée  à  ses  peuples,  et  il  y  trans- 
piroit  même  un  fonds  d'instruction  et  d'esprit  qui, 
n'étant  déployé  que  dans  les  occasions  où  il  se  trou- 
voit  tout  à  fait  à  son  aise,  étoit  inconnu  à  tous  ceux 
(fax  n'avoient  pas  l'occasion  de  le  connoître  bien  par- 
ticulièrement. 

»  Cette  première  entrevue  dura  jusqu'à  dix  heures 
du  soir,  où  nous  allâmes  passer  la  nuit  dans  une 
auberge  de  la  ville  de  Versailles  peu  distante  du 
château. 

»  Nous  passâmes  ensuite  la  plus  grande  partie  de  la 
journée  suivante  en  cet  endroit,  où,  après  avoir  eu  le 
Oiatin  la  visite  de  l'abbé  de  Vermond  que  nous  avions 


134        VISITE  DE  MARIE- CHRISTINE  A  LA  REINE. 

connu  à  Vienne,  et  celle  du  Comte  d'Artois,  nous  nous 
rendîmes  à  midi  au  château,  chez  la  Reine. 

»  CelleK!i  noQs  y  fit  voir  ses  enfants,  et  nous  retint  à 
dîner  dans  sa  chambre,  où  nous  fumes  seuls  avec  elle 
et  le  Roi. 

»  L'après-midi  fut  remplie  par  les  visites  que  nous 
allâmes  faire  aux  autres  personnes  de  la  famille  royale 
établies  à  Versailles,  qui  étoient  alors  Monsieur  et 
Madame,  ou  le  Comte  et  la  Comtesse  de  Provence;  mon- 
sieur et  madame  Comte  et  Comtesse  d'Artois,  chez  les- 
quels nous  vîmes  aussi  leiu^sdeux  fils,  le  duc  d'Angou- 
léme  et  le  duc  de  Bcrry  ;  enfin  Madame  Elisabeth,  sceor 
du  ïloi.  Et  après  que  madame  d'Arberg  eut  été  pré- 
sentée par  mon  épouse  au  Roi  et  à  la  Reine  dans  le  petit 
cabinet  de  celle-ci,  nous  retournâmes  à  Paris,  où  je 
devois  aller  chez  l'ambassadeur  de  l'Empereur,  qui,  ce 
jour-là,  avoit  chez  lui  ime  assemblée  d'ambassadeurs. 
Je  rejoignis  de  là  mon  épouse  au  Théâtre-François,  où 
elle  étoit  allée  en  attendant,  et  où  on  donnoit  ce  jour- 
là  une  tragédie  assez  mal  rendue  par  les  doubles  de  la 
troupe  des  comédiens  ordinaires.  » 

«  A  l'exception  des  moments  donnés  aux  visites  de 
convenance,  dans  lesquelles  nous  ne  fûmes  cependant 
reçus  que  chez  la  duchesse  d'Orléans  et  madame  de  La 
Vallière,  d'un  petit  dîner  chez  mon  frère  (1  ) ,  d'une  couple 


(1)  François-Xavier,  comte  de  Lusace,  frère  naturel  du  Dve  et 
Saxe-Teschen.  Il  était  lieutenant-général  au  service  de  France,  et  fat 
adminiittratcMir  de  la  Couronne  de  Saxe  pendant  la  minorité  du  Roi  Fré* 
déric-Aupiisto,  depuis  Fami  de  Napoléon  I**".  M.  de  Lusace  avait  k 
Pont-snr-Seine  une  terre  où  il  habitait,  et  bien  qu*oncle  du  Roi,  il  ut 


VISITE  DE  MARIE-CHRISTINE  A  LA  REINE.         135 

de  soupers  chez  la  princesse  de  Conty,  de  la  muisoa 
d'Esté  (1),  où  se  trouvoit  un  rassemblage  de  toutes  les 
vieilles  maréchales  et  autres  personnes  de  l'ancienne 
cour,  et  d'un  souper  précédé  d'une  petite  fête  et  opéra- 
comique  que  le  vieux  maréclial  duc  de  Richelieu  nous 
donna  dans  son  hôtel,  nous  avons  employé  tout  le  reste 
du  temps  à  courir  la  ville  pour  y  voir  ce  qu'il  y  avoit  de 
phis  remarquable  et  assister  aux  spectacles  divers  qui 
s'y  donnoient  sur  ses  théâtres. 

>»  La  duchesse  d'Orléans,  princesse  respectable,  qui 
étoit  indi^>osée  alors,  portoit  sur  elle  l'empreinte  de  la 
bonté  et  de  la  douceur  qui  lui  avoient  acquis  une  affec- 
tion générale  dans  ce  pays-là.  Il  n'en  étoit  pas  de  même 
du  duc,  que  je  n'ai  pu  connoître  que  de  vue,  mais  dont 


jouissait  d'aucune  distinction  à  la  cour  de  Versailles,  et  celles  qu'on 
accordait  à  son  frère  le  Duc  de  Saxe-Teschen,  dans  son  vovage,  faisaient 
un  tel  contraste,  que  ce  dernier  prince  souffrait  de  la  différence  du 
rôle  qu'il  voyait  jouer  à  son  aîné.  Il  avait  épouse  la  comtesse  Spinuzzi, 
dame  de  la  cour  de  Saxe,  et  mourut  en  1806. 

(1)  Louis-François-Joseph  de  Bourbon,  prince  de  Conti,  colonel 
général  du  régiment  de  Conti,  gouverneur  du  Haut  et  Bas-Rhin,  né 
le  !«'  septembre  1734,  mort  en  Espagne  en  1807,  avait  épousé,  en  1759, 
Fortunée-Marie  d'Esté,  fille  du  duc  de  Modène,  qui  no  lui  donna 
point  de  postérité,  et  en  lui  s'est  éteinte  la  branche  de  Bourbon-Conti. 
Il  resta  pourtant  de  ce  Prince  deux  enfants  naturels  «pie  le  roi 
Louis  XVIII  a  reconnus;  mais  il  refusa  la  même  faveur  à  un  troisième 
fils  natnrel  de  ce  Prince,  l'aimable  et  infortuné  chevalier  Charles  de 
Pougens,  rendu  aveugle  à  l'âge  de  vingt-fjuatre  ans  par  la  petite  vérole  : 
homme  curieux  par  la  variété  de  ses  connaissances,  poète,  antiquaire, 
imprimeur  et  libraire,  dont  toute  la  vie  fut  une  longue  lutte  contre  la 
pauvreté.  Si  Louis  XVIII,  dont  il  était  connu  et  qui  ne  l'aimait  point, 
ne  voulut  jamais  venir  à  son  secours,  l'Institut  lui  fut  plus  favorable 
et  lui  ouvrit  ses  portes,  et  la  duchesse  de  Créquy,  cette  femme  si  viri- 
lement spirituelle  qui  mettait  tant  de  discernement  dans  ses  amitiés, 
adoucit  les  tristesses  de  ses  derniers  jours. 


136         VISITE  DE  MARIE-CHRISTINE  A  LA  REIISE. 

la  face  bourgeonnée  (1)  et  le  regard  féroce  et  hagard  qui 
détruisoient  tout  le  brillant  de  sa  figure  avantageuse, 
dénotoient  visiblement  son  abandon  à  la  crapule  et  le 
caractère  vicieux  qui  Ta  entraîné  en  tant  de  démarches 
coupables. 

»  Madame  de  La  Vallière,  vieille  dame  chez  laquelle 
il  se  rassembloit  d'ordinaire  une  société  choisie,  res- 
sembloit,  au  reste,  dans  son  extérieur  et  son  accoutre- 
ment, à  celles  du  siècle  de  Louis  XIV,  représentées 
dans  les  anciens  portraits  (2) . 

»  Quant  au  duc  de  Richelieu,  doyen  des  maréchaux, 
de  France,  qui  par  ses  galanteries  avoit  fait  parler 
bien  plus  encore  de  lui  que  par  ses  faits  militaires,  il 
avoit  conservé  jusque  dans  ce  temps-là,  à  un  âge  de 
passé  les  quatre-vingt-dix  ans,  et  malgré  les  excès 
de  jouissance  auxquels  il  s'étoit  toujours  livré,  toute 
la  vivacité  d'esprit  et  une  amabilité  qu'il  porta  jus- 


(1)  «  Son  teinpcrninniit  l'ompôclic  de  roiijjir,  »  disait  Rivarol. 

(2)  Celte  duchesse,  qui  avait  été  d'abord  duchesse  de  Vaujour.^, 
était  une  Crussol,  et  le  duc  dont  elle  était  veuve  était  le  fameux 
bibliophile,  que  trop  d'attentiou  exclusive  pour  ses  livres  avait  em- 
pêché de  remarquor  les  assiduités  du  duc  de  Richelieu  auprès  de  la 
duihcssc. 

«  Vous  ave/  de  bien  beaux  livres,  dis;ût-cllc  un  jour  à  son  mari, 
mais  que  M.  le  duc  de  Richelieu  porte  mieux  que  vous  son  épéc!  ^ 
Madame  la  Duchesse,  répondit  M.  de  Vaujours,  tous  ne  pouviez  remar- 
quer avec  plus  de  grâce  qu'il  y  a  six  mois  que  nous  sommes  mariés.  ■ 

Madame  de  ha  Vallière,  j>elile-niècc  par  ce  mariage  de  l'illustre  et 
touchante  S'xur  Louise  d&la  Miséricorde,  avait  été  d'une  beauté  vrai- 
ment  exquise  et  gardait  encore  le  plus  grand  air.  Les  charmes  de  sa 
personne,  de  son  esprit  ouvert  à  toute  bonne  pensée,  attiraient  autour 
d'elle  un  cei-cle  de  femmes  aimables  et  éclairées,  d'esprits  brillants, 
et  le  salon  où  elle  ivgnait  était  un  des  plus  distingués  dans  ce  siècle 
des  salons. 


VISITE  DE  MARIE-CHRISTINE  A  LA  REINE.         137 

qu'à  sa  mort,  arrivée  deux   ans  après  notre  séjour  à 
Paris  (1). 

«  Quoique  nous  ayons  passé ,  durant  les  séjours  que 
nous  avons  faits  à  Versailles,  les  journées  tout  entières 
il  la  Cour,  et  qu'on  nous  y  eût  arrangé  un  appartement 
de  pied-à-terre,  nous  allions  cependant  passer  toutes 
les  nuits  à  l'auberge  en  cette  ville;  mais  nous  n'y  res- 
tions le  matin  que  jusqu'à  l'heure  du  déjeuner  de  la 
Reine,  où  ses  porteurs  de  chaises  venoient  nous  cher- 
cher, et  où  mal  gré,  bon  gré,  il  fallut  s'y  laisser  transpor- 
ter dans  ces  cages  ambulantes. 

»  Je  me  rendois  parfois  <*hez  elle  au  lever  du  Roi, 
qui  se  tenoit  toujours  avec  les  cérémonies  usitées,  et  où 
les  cavaliers  de  notre  suite  lui  furent  présentés  par 
l'ambassadeur  de  l'Empereur.  Nous  dînions  ensuite 
toujours  seuls  avec  le  Roi  et  avec  la  Reine. 

»  Les  après-dînées  se  passoient  en  visites  ou  en  pro- 
menades ou  bien  chez  la  duchesse  de  Polignac.  C'est 
chez  cette  clame,  favoritede  la  Reine,  que  celle-ci  avoit 
coutume  de  faire  une  partie  de  quinze,  dont  étoit  aussi 
le  comte  d'Artois.  La  société  ordinaire  y  étoit,  outre  la 
dame  du  logis ,  le  duc ,  son  mari ,  la  comtesse  Diane 
de  Polignac,  le  duc  de  Coigny,  le  comte  d'Avaray, 
MM.  de  Crussol  et  de  Vaudreuil. 

»  Le  soir,  la  Reine  nous  menoit  le  plus  souvent  au 
théâtre  de  la  ville,  ou  bien  elle  faisoit  jouer  par  les 
meilleurs  acteurs  de  ceux  de  Paris  des  proverbes,  des 
petites  pièces  de  parade  et  des  comédies  dans  le  salon 


(1)   Ne  le    13   mni'H  1690,  le   ninrtVlial   duc   de   Rieliclieii    mourut 
le  8  août  1788. 


138         VISITE  DE  MARIE-CHRISTINE  A  LA  REINE. 

de  la  Paix,  attenant  a  sa  chambre,  où  j'ai  vu  jouer  entre 
autres  le  fameux  Préville,  qui ,  depuis  quelque  temps, 
avoit  déjà  quitté  le  théâtre. 

M  La  journée  se  terminoit  enfin  d'ordinaire  chez  Mar 
dame ,  où  les  différents  ména^jes  de  la  famille  venoient 
y  porter  leur  souper,  et  où  on  restoit  assemblé  jusqu'à 
ce  que  le  sommeil  s'emparant  des  convives  mettoit  fin 
à  la  conversation. 

»  La  Reine  nous  conduisit  à  la  fameuse  abbaye  de 
Saint-Cyr,  fondation  établie  par  madame  de  Mainte* 
non  pour  l'éducation  de  jeunes  demoiselles  et  filles 
d'officiers,  où  Madame  Elisabeth,  sœur  du  Roi,  si  res- 
pectable par  ses  vertus  et  sa  piété  sans  fard ,  vint  nous 
joindre  également.  » 

Le  Duc  et  la  Duchesse  dînèrent  une  fois  avec  la  Reine 
chez  Mesdames,  au  château  de  Bellevue;  et  après  avoir 
fait  une  visite  à  Madame  Louise,  au  couvent  de  Saint-Denis, 
ils  allèrent  un  jour  à  Saint-Ouen  chez  madame  Necker  et  s'y 
rencontrèrent  avec  madame  de  Staël. 

Le  Duc  de  Saxe-Teschen  ajoute  dans  ses  Mémoires  (troi- 
sième volume)  : 

«  Nous  assistâmes ,  pendant  notre  séjour  à  la  Cour» 
à  deux  cérémonies  intéressantes. 

»  L'une  fut  celle  des  relevailles  de  la  Reine ,  où  cette 
princesse  devoit  se  tenir  couchée  sur  son  lit  de  repos 
pour  voii;  passer  une  à  une,  à  travers  sa  chambre, 
toutes  les  dames  en  robe  de  cour  et  (jrand  panier  qui 
venoient  lui  faire  trois  révérences. 

y  L'autre,  celle  de  la  fête  de  Saint-Louis.  Après  les 


VISITE  DE  MÂRIË-GHRISTINE  A  LA  RËINK.         139 

cérémonies,  nous  allâmes  dans  la  chambre  à  coucher  de 
la  Reine  ponr  voir  le  dîner  public  qu'elle  prenoit  avec 
le  Roi,  que  je  fus  fort  étonné  de  voir  tenir  en  grande 
cérémonie  dans  ce  même  salon  attenant  à  ladite 
chambre,  dans  lequel  Ton  plaçoit,  pendant  les  couches 
de  la  Reine,  les  lits  de  ses  femmes  de  service.  Nous 
dînâmes,  à  la  suite  décela,  en  particulier  avec  la  Reine, 
et  employàaies  Taprès-dinée  à  faire  nos  visites  de  congé 
auprès  de  toute  la  famille  royale  établie  à  Versailles, 
ainsi  que  chez  Mesdames,  tantes  du  Roi,  qui  y  étoient 
venues  ce  jour-là. 

»  Le  jour  suivant,   nous  dînâmes  encore  avec  le 
Roi  et  la  Reine  et  revînmes  ensuite  à  Paris,  où  nous 
reçûmes,  de  la  part  du  Roi,  des  présents  en  porcelaines, 
estampes,  tentures  de  haute  lisse  et  tapis  de  la  Savon- 
nerie d'un  grand  prix  ;  et,  après  avoir  fait  encore ,  le 
matin  du  28 ,  une  course  à  Versailles  pour  y  déjeuner 
avec  la  Reine,  nous  restâmes  le  reste  de  cette  journée 
clans  la  capitale,  où   nous  allâmes  prendre  congé  de 
rnon  frère  (1).  » 

Le  Dnc  termine  le  récit  de  son  voyage  en  France  par  la 
'Urade  qui  suit  : 

a  Nous  avions  vu  Paris,  ce  séjour  des  plaisirs  et  des 
inconséquences.  Nous  l'avions  examiné  et  parcouru 
^ssez,  dans  le  peu  de  temps  que  nous  y  avions  passé, 


(i)  Le  dac  et  In  duchesse  de  Saxe-Te.schen  n'imitèrent  pas  Joseph  II, 
^n  moment  de  leur  départ  :  ils  firent  à  toutes  les  personnes  qui  avaient 
«u  rhonneur  de  les  ajiprochcr  ou  de  les  servir  de  nombreuses  largewes^ 
dont  on  trouvera  la  liste  à  V Appendice. 


140  L'EMPEREUR    JOSEPH    II. 

pour  prendre  quelque  idée  de  la  façon  de  vivre  et  d'agir 
de  ses  habitants  ;  pour  y  admirer  d'un  côté,  dans  les 
édifices  publics ,  une  noblesse  et  magnificence  dignes 
des  beaux  temps  de  Rome,  et  pour  reconnoître,  d'un 
autre,  dans  l'état  incomplet,  ou  même  de  décadence  et 
de  ruine  dans  lequel  la  plupart  se  trouvoient ,  la  légè- 
reté du  caractère  national ,  les  vues  particulières  de  ceux 
qui  avoient  eu  successivement  part  à  la  construction  de 
l'une  ou  de  l'autre,  et  le  dérangement  des  finances  qui 
n'avoit  jamais  permis  d'achever  ou  d'entretenir  des 
plans  aussi  grandement  conçus  ;  pour  y  voir  enfin  tout 
ce  que  le  goût  et  le  luxe,  nourri  par  l'opulence,  peu- 
vent produire  de  plus  beau  et  de  plus  recherché  dans 
ce  gouffre  où  toutes  les  fortunes  de  la  nation  sembloient 
devoir  se  précipiter.  » 


CCCCXLII 

L'EMPEREUR  JOSEPH  H  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

H  répond  aux  confidences  que  lui  a  faiteâ  Marie-Chrisdne  touchant  la 
Cour  de  France,  et  approuve  son  opinion  sur  Marie-Antoinette,  dont 
il  a  compris  a  demi-mots  le  portrait.   Il  la  trouve  trop  francisée. 

Laxeni bourg,  le  31  août  1786. 

Ma  chère  Sœur,  au  moment  presque  de  mon  départ 
pour  la  Moravie,  arrive  le  courrier  avec  votre  chère 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albrrt 
d'Autriche. 


MARIE-ANTOINETTE.  I4i 

lettre  de  Paris.  Je  vous  en  baise  tendrement  les  mains. 
Je  crois  que  vous  avez  parfaitement  bien  vu  et  appré- 
cié ce  pays,  et  j'entends  les  demi-mots,  puisque  ci 
conosciamo  comme  si  vous  aviez  tout  dit.  Je  suis 
charmé  que  la  Reine  et  ses  enfants  se  portent  bien; 
mais  elle  est  un  peu  francisée,  et  du  bon  pros  Alle- 
mand il  n'y  a  plus  que  la  figure.  Vous  faites  très-bien 
d'aller  voir  les  bords  de  la  Loire  et  les  ports.  Vous  en 
serez  contente.  Pour  moi,  j'ai  dissipé  mon  rhumatisme 
à  force  de  le  faire  courir.  Votre  intérêt  charmant  m'a 
infiniment  obUgé.  Aujourd'hui,  nous  avons  la  dernière 
manœuvre,  et  demain  je  pars  pour  la  Moravie.  J'au- 
rai donc  été  à  peu  près  une  demi-journée  à  Vienne. 
Adieu. 


CCCCXLIII 


9  0 


ARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HEREDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (i). 

Accouchement   de  la    Reine   et   de   la   Princesse   palatine. 

Compliments. 


[23  septembre  1786]. 

J'aurois  répondu  sûrement  plus  tôt,  Madame,  à 
'^'^os  deux  aimables  lettres,  mais  je  ne  les  ai  reçues  toutes 
^leux  ensemble  que  depuis  huit  jours. 

(1)  ArchÎTCA  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hesse. 


142  MARIE-ANTOINETTE. 

L'intérêt  que  vous  me  marquez  sur  mon  acooucbe- 
ment  (1)  ne  peut  qne  me  faire  plaisir,  me  donnant 
une  preuve  de  votre  amitié.  J*ai  bien  partagé  votre 
joie  sur  la  naissance  du  fils  de  la  Piîncesse  palatine. 
Madame  votre  mère  a  bien  voulu  me  la  mander  tout 
de  suite  (2). 

J'espère  que  votre  santé  est  entièrement  remise;  ia 
mienne  revient  bien,  aux  forces  près,  que  je  ne  peux 
pas  encore  retrouva*. 

Adieu,  Madame,  vous  connoissez  U  tesdre  et  sin- 
cère amitié  que  je  vous  ai  vouée  pour  la  vie. 

Voulez-vous  bien  faire  mes  contpliments  an  Prince 
Héréditaire  et  à  monsieur  votre  père? 


(i)  La  Reine  était  accouchée  da  sa  seconde  fille,  née  le  9  juillet 
1786,  morte  l*annce  suivante. 

(2)  11  s'a{»it  de  la  naissance  du  prince  Aoui.ç-Cliarles- Auguste,  qui 
vint  au  monde  le  25  août  1786.  C'est  celui  qui  fut  Roi  de  Bavière, 
abdiqua  en  faveur  de  son  fils  Maximilieu,  et  fut  père  du  Roi  de  U 
Grèce  Othon.  U  vit  encore. 


MADAME   ELISABETH.  143 


CCCCXLIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES, 

ALORS    AMBASSADRICE    EN    PORTrCAL. 

Humilité  religieuse.  —  Discours  de  l'abbé  xVsselin  sur  la  nécessité  de 
»c  sanctitier.  —  Elle  est  reprise  de  zèle  [^our  i*étudo  de  la  chimie. 
—  Eloge  de  madame  de  Bonibeliex.  —  Elle  est  à  Montreuil  avec 
madame  de  Raigccourt.  —  Madame  d'Albert.  —  Madame  du  Chas* 
telet.  La  duchesse  de  Duras.  —  Conseils. 

Ce  27  novembre  1786. 

• 

Tu  vois  que  je  t*obéis ,  mon  enfant ,  car  me  voilà 
encore.  Tu  me  gâtes;  tu  m'écris  bien  exactement,  cela 
tue  fait  bien  plaisir;  mais  j'ai  peur  que  tu  ne  te  fasses 
tïial  à  la  tête.  Il  faut  te  ménager.  Je  préclie  contre  mon 
ititerét,  car  je  suis  bien  heureuse  lorsque  je  reconnois 
ton  écriture;  mais  je  t'aime,  et  j'aime  mieux  ta  santé 
<jue  tout.  Je  suis  bien  aise  que  tu  souffres  mon  bavar- 
dage avec  tant  de  patience.  Tu  dis  que  Fontainebleau 
île  m'a  pas  gâtée,  j'aime  à  le  croire.  Tu  trouveras 
J>eut-étre  cette  phrase  un  peu   orgueilleuse;  mais  je 
t'assure,  mon  cœur,  que  je  suis  pourtant  loin  de  croire 
cjue  je  puisse  en  rester  là.  Je  sens  que  j'ai  encore  bien 
ciu  chemin  à  faire  pour  être  bien  selon  Dieu.  Le  monde 
Juge  bien  légèrement,  et  sur  peu  de  chose  il  vous  éta- 
\Xii  une  bonne  ou  mauvaise  réputation.  H  n'en  est 
J>as  ainsi  de  Dieu  :  il  ne  vous  juge  que  sur  Tintérieur; 
^t  plus  l'on  en  impose  au  dehors,  plus  il  sera  sévère  pour 
le  dedans.  Je  hsois,  l'autre  jour,  un  discours  de  l'abbé 


144  MADAME  ELISABETH. 

Asselin  (1),  sur  la  nécessité  de  se  sanctifier,  chacun 
dans  l'état  où  le  Ciel  Ta  placé;  je  vous  assure,  mon 
cœur,  qu'il  fait  frémir  pour  ceux  qui  disent  :  Je  veux 
être  bien  ;  mais  je  n'ai  pas  la  prétention  d'être  saint. 
Il  relève  cela  avec  une  force  [qui]  en  prouve  le  ridi- 
cule d'une  manière  où  il  n'y  a  rien  à  répliquer.  En 
tout,  ce  livre  est  superbe.  Je  suis  fâchée  de  ne  l'avoir 
pas  connu  avant  ton  départ,  car  je  suis  sûre  qu'il 
t'auroit  fait  plaisir.  Je  ne  sais  si  je  t'ai  dit  que  tu  m'a- 
vois  redonné  du  zèle  pour  l'abbé  Nollet  (2).  Je  vais  le 
reprendre  avec  un  peu  plus  de  suite.  J'aimerai  à  ni'oc- 
cuper  de  ta  science  favorite;  mais  je  n'espère  pas  y 
réussir  comme  toi  :  —  Souvent  mon  esprit  est  ailleurs. 
Je  suis  convaincue  de  ce  que  tu  me  mandes  de  tes 
succès  :  tu  es  faite  pour  en  avoir.  Si  en  France  on  a 
le  mauvais  goût  de  ne  pas  admirer  ta  {jrâce,  au  m'oins 
tu  as  la  consolation  de  savoir  que  l'on  t'aime  pour  de 
meilleures  raisons.  Je  ne  serois  pas  fâchée  que  la  néces- 


(1)  Gilles-Thomas  Asselin,  docteur  do  Sorbonnc,  ne  u  Vire,  en  168), 
mort  à  Issy,  le  11  octobre  1767,  a  été  principal  du  collège  d*Harcoart. 
Il  avait  été  distingué  par  Thomas  Corneille,  et  Ton  a  de  lui,  sur  la 
mort  de  cet  écrivain,  une  élégie  des  plus  touchantes.  Il  a  écrit  des 
odes  qui  ne  sont  pas  sans  mérite  sur  F  existence'  de  Dieu,  sur  la  Jhi 
et  la  paix  du  cœur,  sur  le  mépris  de  la  fortune.  On  prise  beaucoup 
son  Discours  pour  disposer  les  déistes  à  Cexamen  de  la  vérité, 

(2)  L*abbé  Jean-Antoine  Nollet  est  un  des  hommes  qui  ont  le  plus 
contribué  à  répandre  en  France  le  goût  de  la  physique.  Appelé  k 
donner  un  cours  de  cette  science  au  palais  de  Versailles,  il  s'acquit  la 
protection  du  Dauphin;  et  l'étude  dont  il  avait  donné  les  premières 
notions  parmi  les  courtisans  y  fut  quelque  temps  k  la  mode.  Madame 
de  Bombelles  s'y  eLiit  instniite  avec  ardeur  et  y  avait  trouve  la  solu- 
tion de  bien  des  questions  avec  la  condamnation  de  beaucoup  de 
préjugés. 

Nollet,  né  en  1700,  mourut  eu  1770. 


MADAME   ELISABETH.  145 

site  de  faire  des  frais  et  de  te  rendre  aimable  te  donne 
un  peu  plus  d'habitude  du  monde,  quoique  tu  aies  ce 
qu'il  faut  pour  y  être  bien ,  et  qu'en  effet  tu  y  sois  ' 
très-joliment.  Un  peu  plus  d'habitude  ne  te  fera  pas 
de  mal.  Je  suis  bien  insolente  ou  bien  mondaine,  n'est- 
il  pas  vrai,  mon  cœur?  Tu  me  pardonnes,  j'espère,  le 
premier,  et  tu  ne  crois  pas  au  second.  Ne  va  pourtant 
pas  prendre  les  manières  portu{jaises.  Elles  peuvent 
être  parfaites,  mais  j'aime  que  tu  ne  te  formes  pas  sur 
elles.  Tu  es  bien  béte  d'avoir  eu  peur  à  tes  audiences. 
Puisque  ton  compliment  étoit  fait,  je  trouve  qu'il  n'est 
embarrassant  de  parler  que  lorsque  l'on  ne  s'est  pas 
fait  un  discours.  Étoit-il  de  toi?  J'ai  bien  ri  de  ton 
molio  obligato  :  cela  tient  beaucoup  de  {'effectivement 
de  ton  cher  cousin. 

J'ai  bien  envie  de  «avoir  des  nouvelles  de  Charles. 

S'il  étoit  ici,  et  que  tu  t'avisas  {sic)  d'être  inquiète,  je  me 

moqueroi^  bien  de  toi.  Aussi  ne  le  suis-je  pas;  mais  je 

Voudrois  que  tu  dormis;  rien  n'est  plus  sain  pour  toi. 

Je  suis  à  Montreuil  depuis  neuf  heures  ;  il  fait  un 

lemps  charmant.  Je  me  suis  promenée  avec  R.   (1) 

{>endant  une  heure  presque  trois  quarts.  *Lastic  est 

**«stée  avec  Amédée,  qui  est  {jrandie  et  embellie  que 

Cî'est  incroyable  (2).  Madame  d'Albert  (3)  vient  dîner 

<-liez  moi ,  ce  qui  fait  que  ma  lettre  sera  moins  longue. 


(1)  La  marquise  de  Rai{jccoiirt. 

(2)  Madame  de  La.^tic,  née  de  Moiitcsqiiiou,  était  veuve  depuis  \v 
^Commencement  de  Tannée  précédente  d*un  jeune  colonel,   que  Ton 
^'vait  dît  tué  eo  duel,  tandis  qu*il  avait  été  trouvé  mort  dans  son  lit, 
^*un  coup  d*apoplexie.  Amédée  était  sa  Hlle. 

(3)  La  comtesse  d* Albert  de  Rions.  Voir  la  lettre  du  3  janvier  1790. 

TOMi  m.  10 


\ 


146  MADAME   ELISABETH. 

Il  faut  pourtant  que  je  te  conte  que  madame  de  Chas- 
telet  est  dame  d'honneur  de  ma  tante;  après  avoir 
bien  dît  qu'elle  [ne]  vouloit  pas  faire  planche,  elle  a 
accepté  (1).  Je  trouve  que  c'est  complètement  ridicole 
d'avoir  fait  bien  du  bruit,  pour  finir  par  se  soumettre  à 
la  volonté  du  Roi,  qui  ne  veut  pas  la  titrer,  car  voilà  ce 
qui  tenoit  au  cœur.  On  est  malheureux  d'être  ambitieux. 
Gela  fait  faire  souvent  de  grandes  bêtises.  Ton  col- 
lègue me  fait  frémir,  et  je  suis  bien  aise  que  M.  de 
Bombelles  ne  soit  pas  tenté  de  le  prendre  pour  modèle. 
A  propos  de  lui,  la  duchesse  de  Duras,  que  j'ai  vue 
hier  (et  avec  qui  je  suis  comme  un  bijou),  est  un  peu 
fâchée  contre  ton  mari  (2).  Il  lui  avoit  promis  des 
instructions  pour  son  fils,  devoit  les  lui  porter,  ensuite 
les  lui  envoyer  de  Brest;  mais  il  en  a  été  comme  de 
mon  voyage,  il  est  parti  sans  les  lui  donner.  Elle  m'en 
a  parlé  d'une  manière  qui  t'auroit. touchée,  sans  au- 
cune aigreur;  mais  les  larmes  lui  sont  venues  aux  yeux 
en  pensant  que  c'étoit  un  moyen  de  moins  pour  pré- 
server son  fils  des  dangers  auxquels  il  va  être  exposé. 
Que  ton  mari  répare  bien  vite  avec  toute  la  grâce  dont 
il  est  capable.  Tu  as  bien  raison,  mon  cœur,  de  t'ap- 
pliquer  dans  les  commencements  à  te  vaincre;  sans 
madame  de  Tavanette,  tu  serois  perdue  si  tu  cédois 


(1)  Elle  n'est  point  inscrite  parmi  les  dames  des  tantes  du  Roi. 

(2)  M  La  duchesse  de  Duras  avait  pour  Madame  Elisabeth  un  aUraic 
particulier.  La  Princesse  avait  un  plaisir  extrême  à  se  trouver  ave^ 
elle.  Elle  aimait  l'élévation  de  son  âme,  la  solidité  de  son  ju{j[eineot  9 
l'agrément  de  son  esprit.  Elle  la  regardait  avec  raison  comme  une  de 
ses  amies  les  plus  intimes,  comme  une  de  celles  en  qui  elle  pouvait  I0 
plus  justement  mettre  toute  sa  confiance.  »  Note  de  V Eloge  historiaue 
de  Madame  Elisabeth,  par  le  comte  Perrand,  page  139. 


LOUIS    3^VI.  i47 

une  fois ,  et  deux  ans  sont  bien  longs  à  passer  ensem- 
ble. Nous  en  parlerons  plus  amplement  dans  un  autre 
moment.  Je  me  dépêche  trop  pour  avoir  le  sens  com- 
mun, et  je  griffonne  trop.  Adieu;  ces  dames  t'embras- 
sent de  tout  leur  cœur,  et  moi  aussi.  Que  n'est-ce  vrai! 


CCCCXLV 

LODIS  XVI  A  M.  DE  LA   MILLIERE  (1). 

^-''*  lloi  lui  pro|)ose  la  place  de  «onirôleur  général,  en  remplacement 
de  M.  de  Galonné.  —  Projets  du  Roi  pour  rnmélioration  des 
finances. 

A  Versailles,  le  6  avril  1787.      * 

Le  bien  de  mon  service  exigeant ,  Monsieur,  que  je 
demande  à  M.  de  Caionne  la  démission  de  sa  place  de 
contrôleur  général,  la  connoissance  que  j'ai  de  vos 
talents  et  de  votre  probité  m'a  engagé  à  vous  choisir 
pour  le  remplacer.  Je  sens  tout  le  poids  dont  je  vous 
charge  ;  mais  je  compte  aussi  sur  votre  zèle  pour  mon 
îiervice  et  votre  attachement  pour  ma  personne.  Je  ne 
suis  nullement  dans  l'intention  de  retirer  les  plans 
d'amélioration  des  finances  que  j'ai  fait  présenter  à 
l'Assemblée  des  Notables  ;  je  compte  en  suivre  l'exécu- 
tion avec  fermeté ,  en  admettant  les  changements  rai- 
sonnables que  présenteront  leurs  représentations.  Mon 
intention  est  pour  cela  de  rassembler  un  comité  du 


(1)   Papier*  de  famille  de  M.  Héron  de  Villefosse. 

10. 


148  M.   DE   LA   MILLIÈRE. 

• 

Conseil  qui  se  tiendra  exactement  devant  moi,  où  les 
représentations  seront  discutées  et  où  j'arrêterai  les 
réponses  à  y  faire  et  la  manière  d'exécuter  les  plans; 
c6  dont  vous  seriez  plus  particulièrement  chargé  dans  ce 
moment-ci,  sera  d'examiner  l'état  des  fonds  du  Trésor 
Royal,  et  d'assurer  le  ser\^ice  jusqu'à  ce  que  les  amélio- 

I 

rations  puissent  être  exécutées.  Répondez-moi ,  Mon- 
sieur, par  la  même  voie,  et  gardez  (1)  le  secret  jusqu'à 
ce  que  je  vous  eu  ordonne  autrement. 

Louis. 


Ce  M.  de  La  Millière,  aujourd'hui  oublié,  joua  de  son 
temps  un  rôle  graiuleuient  utile.  Il  s'appelait  Antoine-Loiiis 
'Ghanniont  de  La  Millière,  était  né  à  Paris  le  24  octobre  174(), 
fils  d'un  maître  des  requêtes,  intendant  du  Limousin,  et  de 
la  fille  d'un  receveur  {général  di:s  (tnances  du  nom  de  Héron 
de  Villefosse. 

Il  avait  pour  cousin  germain  le  conseiller  d'État  Ghau- 
mont  de  la  Galaisière,  et  pour  oncle  un  magistrat  de  ce 
même  nom,  qui  fut  chancelier  du  Hoi  de  Pologne  Stanislas. 

Le  jeune  La  Millière  commença* par  être  fort  négligé  dans 
ses  premières  études.  Mais  il  savait  prendre  une  résolution 
et  la  suivre,  et  son  bon  sens  lui  faisant  de  bonne  heure  sen- 
tir tous  les  échecs  de  son  éducation,  Il  la  reprit  vaillamment 
en  sous-œuvre.  Le  succès  d'un  tel  courage  fut  assez  grand 
pour  que  La  Millière  fut  trouvé  en  état  de  remplir  à  dix-huit 
ans  les  fonctions  d'avocat  du  Roi  au  présidial  de  Nancy,  et 
d'être  promu,  cinq  ans  après,  au  poste  de  premier  avocat 
général.  Mais  il  ne  pensait  pas  assez  bien  de  lui-même  pour 
accepter  cette  élévation  ;  il  la  refusa ,  eu  déclarant  qu'il  ne 
s'en  croyait  pas  capable.  Ce  n'était  là  que  le  prélude  d'actes 


(1)  Iri  était  le  mot  moi  ^  que  lo  Roi  a.  effacé. 


AMÉLIORATIOIS  DES  HOPITAUX  PAR  LOUIS  XVI.     14» 

(Fune  rare  modestie  et  d'une  persistance  modeste  plus  rare 
encore,  dont  la  vie  de  cet  homme  est  pleine. 

Eu  17G9,  il  <!*tait  maître  des  requêtes  au  Conseil  d'Etat,  et 
s'y  fit  la  réputation  d'un  travailleur  infati(jable,  saçace, 
«'clairé. 

En  1781,  il  était  nommé  intendant  des  Ponts  (^t  Chaussées. 

C'était  sa  vraie  voie;  c'était  le  théâtre  où  il  devait  rendre  le 

plus  de  ces  services  dont  tout  le  pays  éprouve  le  bienfait,  et 

</ont  les  traditions  se  perpétuent  sans  qu'on  s'inquiète  d'en 

«'onnaltre  les  primitifs  auteurs.  Sur  l'avis  de  La  Millière,  un 

•in*êt  du  Conseil,  en  date  du  6  novembre  1786,  suspendit 

|>ar  forme  d'essai  la  corvée,  qui  fut  définitivement  supprimée 

|>ar   la   déclaration  du  27  juin   1787.   Ce  fut  pendant  son 

«nctivc  administration  que  se  terminèrent  ou  s'ouvrirent  les 

tr:avaux  des  plus  importantes  communications  parterre,  dans 

i  ^  intérieur  de  la  France.  En  même  temps,  il  soig;na  la  plan- 

t^tîoii  des  routes,  l'amélioration  des  pépinières,  l'aména^j^e- 

B  ^leiit  et  l'assainissement  des  hôpitaux,  toutes  attributions 

^f  iii  relevaient  alors  de  l'intendance  des  Ponts  et  Chaussées. 

^  >ii  a  vu  plus  haut  son  nom  paraître  dans  le  récit  des  tra- 

'^  aux  du  port  de  Cherbourjj. 

Un  de  ces  hommes  de  caractère  et  de  conscience  sans  les- 

*  I  uels  il  ne  se  fait  rien  de  {;rand,  l'ilhistre  chirur(;ien  Tenon, 

**'*était  placé  à  la  tète  de  la  science,  et  rêvait  l'amélioration 

^  Ses  aailes  de  la  pauvreté  et  du  malheur.  11  avait  fondé  de  ses 

^  deniers   un   hôpital  modèle.    Louis  XVÏ  était  venu  à  son 

•=^^î<!Ours,  et  avait  attaché  les  revenus  d'un  bénéfice  ecclésias- 

^  ique  à  cet  établissement,  le  premier  qui  ait  été  ouvert  à 

M  *aris  suivant  les  lumières  de  la  science,  et  qui  suscita  de 

^  oute  part  une  émulation  g^énéreuse.  Le  rég^ime  des  hôpitaux 

^"^tait  hideux;  l'Ilôtel-Dieu  particulièrement  faisait  horreur. 

*-«  Ne  pouvant  l'étendre  en  superficie,  on  avait  élevé  étages  sur 

^"■stages.  Les  salles  basses  étaient  encombrées  de  lits,  les  lits  de 

^  naïades.  Quatre ,  six  misérables  étaient  souvent  entassés  sur 

^^u  (p-abat  de  quatre  pieds,  et  quelquefois  l'on  en  mettait 

-^ autant  sur  le  ciel  du  lit.  Les  souffrances  de  l'enfer  doivent 

-s^  urpasser  à  peine  celles  de  ces  malheureux ,  serrés  les  uns 

«"ontre  les  autres,  étouffés,  brûlant,  ne  pouvant  ni  remuer 

Bii  respirer;  sentant  quel(|uef[)is  un  ou  deux  morts  entre  eux 


150     AMÉLIORATION  DES  HOPITAUX  PAR  LOUIS  XVI. 

pendant  des  heures  entières^  On  jetait  péie-mêie  lontes  les 
maladies,  sans  distin^er  les  conta(jîeuse$.  Celles  de  la  femm. 
Fanaient  partout  avec  fureur.  Les  femmes  en  coadie,  les 
enfants  nouveau-nés  étaient  à  côté  des  hommes  attaqués  de 
la  petite  vérole.  Les  fous  furieux  s'ag^itaicnt ,  hurlaient  tout 
près  des  blessés  que  Ton  opérait.  L'air  était  si  corrompu 
qu'aucune  opération  grave  ne  réussissait,  et  que  la  gang^'^ne 
s'emparait  aussitôt  des  plaies. 

nTel  était,  de  Taveu  unanime  des  contemporains,  le  goufïirc 
épouvantable  que  la  ville  la  plus  aimable  de  Tunivers  offrait 
pour  dernier  asile  à  cette  foule  d'ouvriers  attirés  pour  entre- 
tenir son  luxe  et  ses  plaisirs  (1).  n  Tandis  que  la  cour  de 
Louis  XV  dansait  au  milieu  des  splendeurs  et  de  la  prodi- 
galité des  maîtresses,  u  il  périssait  le  quart  de  ce  qui  entrait 
à  THôtel-Dieu,  et  la  moitié  du  reste  n'en  sortait  qu'après 
avoir  échangé  une  maladie  en  eUe-mêafte  de  peu  de  durée 
contre  une  langueur  sans  remède,  n 

Ce  fut  Louis  XVI,  et  l'on  ne  s'en  souvient  pas  assez,  qui, 
à  l'aide  de  Tenon  et  de  La  Millière,  mit  lin  à  toutes  ces 
horreurs.  Ah  !  nous  le  répétons,  si  ce  Prince  avait  eu  dans 
l'âme  ou  seulement  dans  l'esprit  autant  de  fermeté  qu'il 
avait  de  bonté  dans  le  coeur  ! 


(1)  Recueil  des  Ehgex  historiques  lus  dans  les  séances  publiées 
de  l'Institut,  par  George»  Cuvier.  Tome  second,  p.  286.  Paris',  Le- 
vrault,  18W. 

Ce  livre,  qui  a  trois  volumes,  n'est  pas  assez  lu  :  fl  y  a  une  très- 
solide  instruction  à  en  retirer.  Indépendamment  de  l'attrait  tout  par> 
ticulier  qai  s'attache  à  la  yic  de  ces  hommes  dévoués  «t  modesten, 
leurs  Éào^  contiennent  des  notions  très-profondes,  trèi-iililet ,  qni 
guérissent  de  be«'raco«p  de  préjugea 


MADAME   ELISABETH.  131 


CCCCXLVI 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

ReoToi  de  M.  de  Calonae  pour  ses  malversations.  —  On  dit  <|U*il 
sera  remplacé  par  M.  de  Fourqueux,  et  que  M.  de  La  Moignon 
succède  au  garde  des  Hceaux.  —  On  a  prédit  à  la  Princesse  qu^elle 
changerait  d*opinion  sur  M.  de  Galonné  et  finirait  par  Taimer.  — 
Les  Notables  vont  parler  avec  plus  de  liberté.  —  Éloge  de  Louis  XVI. 
—  Destinée  du  singe  de  madame  de  Bombelles.  —  Voyage  de  l'Im- 
pératrice Catherine  II  dans  la  Ghersoncsc.  —  Projets  de  mariage 
d*ane  protégée  de  la  Princesse. 

Ce  9  avril  1787. 
(Lisez  Matthieu  Lœnsberg.) 

M.  de  Calonne  est  renvoyé  d'hier;  sa  malversation 
est  si  prouvée  que  le  R.  s'y  est  décidé,  et  que  je  ne 
crains  pas  de  te  mander  la  joie  excessive  que  j'en  res- 
sens et  que  tout  le  monde  partage.  Il  a  eu  ordre  de 
rester  à  Versailles  jusqu'au  moment  où  son  successeur 
sera  nommée  pour  lui  rendre  compte  des  affaires  et  de 
ses  projets;  on  vient  de  me  mander  que  c'étoit  M.  de 
Fourqueux  qui  le  remplace  (1).  On  me  mande  aussi 


(1)  Galonné  se  retira  le  20  avril,  et  céda  sa  place  à  Michel  Bouvard 
de  Fourqueux,  ministre  d'État  et  membre  du  Conseil  des  finances,  dont 
le  règne  dura  deux  mois,  c'est-à-dire  jusqu'au  temps  où  l'archerèque 
de  Toulouse,  investi  du  titre  et  du  rang  de  chef  du  Conseil  des  finances, 
voulut  les  administrer  seul. 

M.  de  Fourqueux  était  d'un  âge  avancé  et  d'une  faible  constitution, 
et  il  £allut  toute  l'insistance  de  la  Reine  pour  lui  taire  accepter  le 
Contrôle  général.  Dèé  qu'il  entra  en  exercice,  son  premier  soin  fat  de 
vérifier  la  caisse  du  Trésor  dont  Galonné  avait  laissé  des  états  de 
situation    peu    réguliers ,   non   par  aaalversation ,  mais   par  inexacti  • 


152  MADAME  ELISABETH. 

que  M.  le  Garde  des  sceaux  est  renvoyé,  et  M.  de 
La  Moignon  a  sa  place  (1).  Je  sais  toujours  si  mal  les 
nouvelles,  par  des  voies  si  peu  au  fait,  que  je  n'ose  pas 
t'assurer  ces  dernières.  Mais  pour  M.  de  Galonné,  j'en 
suis  bien  sûre.  Une  de  mes  amies  disoit,  il  y  a  quelque 
temps,  quejenel'aimoispas,  mais  que  dans  peu  je  chan- 
gerois.  Je  ne  sais  si  son  renvoi  y  contribuera;  il  auroit 
fallu  qu'il  fit  bien  des  choses  pour  me  faire  changer 
sur  son  compte.  Il  doit  être  un  peu  inquiet  sur  son 
sort.  On  dit  que  ses  amis  font  une  très-bonne  conte- 
nance. Je  crois  que  le  diable  n*y  perd  rien,  et  qu'ils 
sont  loin  d'être  satisfaits.  C'est  M.  de  Montmorin  qui' 
lui  a  donné  son  audience  de  congé.  J'espère  que  le 
baron  de  Breteuil  n'aura  pas  voulu  s'en  charger;  cela 
lui  feroit  honneur.  L'Assemblée  continuera  comme 
auparavant  et  sur  les  mêmes  plans.  Les  Notables  par- 
leront avec  plus  de  liberté,  quoiqu'ils  ne  s'en  gênassent 
guère,  et  j'espère  qu'il  en  résultera  du  bien.  Mon  frère 
a  de  si  bonnes  intentions,  il  désire  tant  le  bien,  de 
rendre  ses  peuples  heureux;  il  s'est  conservé  si  pur, 
qu'il  est  impossible  que  Dieu  ne  bénisse  pas  toutes  ses 
bonnes  qualités  par  de  grands  succès.  Il  a  fait  ses 
pàques  aujourd'hui.  Dieu  l'aura  encouragé,  lui  aura 


tude.  Des  sommes  portées  comme  actif  en  caisse,  avaient  été  confiées  à 
diverses  personnes  sous  différents  prétextes.  Un  de  ces  prêts  de  com- 
plaisance avait  été  fait  à  un  |>ersonnage  dési^rné  par  l'initiale  V,  qui, 
prié  d*abord  et  sommé  plus  tard  de  restituer  quatre  ou  cinq  millions 
qu'il  avait  reçus,  se  suicida.  L'esprit  faible  de  M.  de  Fourquenxen  fut 
troublé.  Obsédé  surtout  des  résistances  opiniâtres  qu'il  éprouvait, 
excepté  du  côté  de  la  Reine,  pour  la  réductitm  dos  dé|)enses,  il  rés^a 
}ia  place.  (Voir  le  livre  de  M.  de  Montliyon,  intitulé  :  Particularités 
et  observations  sur  les  ministres  des  finances,) 
(i)  Le  président  de  La  Moi^rnon. 


MADAME   ELISABETH.  153' 


fiait  connaître  la  bonne  voie:  j'espère  beaucoup.  Dans 
son  compliment,  le  prédicateur  Ta  infiniment  encou- 
ragé à  prendre  conseil  de  son  cœur.  Il  avoit  bien  rai- 
son ,  car  il  est  bien  bon  et  bien  supérieur  à  toute  la 
Cour  réunie.  J'ai  l'air  d'une  vraie  campagnarde;  je  te 
(lis  que  l'on  m'a  mandé  tout  cela ,  c'est  que  je  suis  à 
Mon  treuil  depuis  midi.  J'ai  été  à  vêpres  à  la  paroisse. 
Elles  sont  aussi  longues   que  l'année  passée,   et   ton 
rher    vicaire   chante    VO  filii    d'une   manière    aussi 
agréable.  Des  Es.  a  pensé  éclater,  et  moi  de  même. 

Je  suis  au  désespoir  du  sacrifice  que  tu  me  fais  de 

f-on  singe,  d'autant  que  je  ne  pourrai  le  garder;  ma 

fiante  Victoire  a  une  peur  affreuse  de  ces  animaux  et 

îsicroit  fâchée  peut-être  que  j'en  eusse  un.  Ainsi,  mon 

<:rœur,  malgré  toutes  ses  grâces  et  la  main  dont  il  me 

^V'ient,  il  faudra  s'en  détacher.  Si  tu  veux,  je  te  le  ren- 

"v^errai,  sinon  j'en  ferai  présenta  M.  de  Guémenée;  j'en 

^>^uis  au  désespoir,  je  sens  que  c'est  très-maussade,  que 

^:ela  te  contrariera  beaucoup,  et  j'en  suis  d'autant  plus 

^  àchée.  Ce  qui  me  console,  c'est  qu'à  cause  de  tes  enfants 

t:u  serois  peut-être  obligée  de  t'en  défaire,  parce  que 

^  'ela  pourroit  être  dangereux. 

Félicie  devient  très-gentille,  sa  tache  s'efface  beau- 
^•oup;  j'espère  qu'elle  ne  paroitra  pas  du  tout.  Avant 
^on  arrivée,  quoique  je  sois  charmée  du  départ  de  M.  de 
Calonne,  j'ai  peur  que  la  petite  ne  s'en  affecte  pour 
^on  père,  quoique  pourtant  il  n'y  gagne  [ni]  n'y  perde, 
|)as  même  un  protecteur. 

Tues  d'une  philosophie  qui  m'enchante,  mon  cœur; 
tu  en  seras  plus  heureuse,  et  tu  sais  si  je  désire  de  te  le 
savoir.  Je  ne  comprends  pas  trop  pourquoi  tu  dis  que 


154  MADAME  ELISABETH. 

M.  de  G.  est  mauvais  politique  (1)  ;  il  me  semble  que 
Ton  est  fort  content  de  lui,  qu'il  a  fait  d'assez  belles 
choses,  et  que  M.  de  Ség^ur  vient  de  faire  la  bêtise  la 
plus  pommée  que  l'on  puisse  voir  en  accompagnant 
l'Impératrice  sur  la  route  de  Rherson  (1).  Elle  remue 
terriblement,  la  bonne  dame,  ce  qui  me  déplaît  beau- 
coup :  je  suis  partisante  du  repos.  En  conséquence,  œ 
que  je  t'ai  mandé  pour  Minette  n'aura,  je  crois,  pas 
lieu.  Ce  n'étoit  pas  un  homme  assez  bien  né;  Pour 
l'autre,  mon  cœur,  je  crois  qu'il  faut  attendre  comme 
nous  avons  déjà  fait.  Il  y  a  bien  des  choses  à  voir,  et 
pour  elle  et  pour  moi.  Car  il  ne  suffit  pas  de  trouver 
des  gens  qui  prêtent  ;  il  faut  voir  comment  on  rendra, 
et  si  L'on  ne  se  mettra  pas  dans  l'impossibilité  de  faire 
d'autre  chose  nécessaire  et  pour  le  moins  aussi  juste. 
Tout  cela,  mon  cœur,  il  sera  temps  d'y  penser  quand 
j'aurai  vingt-cinq  ans.  Jusque-là 


(1)  Le  marécbal  de  Castrics. 

(2)  Ce  Yoyage  en  Tauride  Dictait  que  l'ouverture  du  Chemin  de 
Byzance ,  coihmc  le  disait  un  des  ccritcaux  dressés  sur  la  route.  L*Iiii-> 
pératrice ,  poussée  par  son  favori  Potemkin ,  eut  bientôt  commencé  les 
hostilités. 


MADAME   ELISABETH.  155 


CCCCXLVII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Madame  des  Essarts  et  ses  cavalcades.  —  Détails  d*affectioB.  —  Dan- 
gers du  inonde.  —  Assemblée  des  Notables.  —  Économies  réalisées 
par  le  comte  d'Artois.  , —  M.  Falkner.  —  La  marquise  de  Fonte- 
nilles.  — >  Madame  de  Percerai. 

Ce  2  juillet  1787. 

Tu  as,  comme  tu  as  toujours  eu ,  raison ,  ma  chère 
petite,  d'abord  d'avoir  été  un  peu  en  colère  contre 
moi,  et  puis  déjuger  que  je  te  le  rendrois,  d'autant  que 
je  n'ai  reçu  ta  lettre  que  dimanche  matin ,  au  lieu  de 
samedi,  ce  qui  me  faisoit  croire  que  la  poste  étoit  encore 
manquée.  Tu  as  très-bien  fait  de  me  parier  de  cette 
pauvre  Constance;  j'aime  tous  ces  détails,  surtout 
j'aime  les  belles  morts.  Je  ne  sais  si  je  t'ai  mandé  celle 
de  la  pauvre  femme  de  Rendoulet  :  elle  avoit  beaucoup 
de  piété  et  est  morte  en  priant  de  tout  son  cœur.  Son 
pauvre  mari  est  bien  fâché  ;  mais  cela  ne  l'empêche  pas 
de  galoper  très-joliment  avec  Des  Es.  (1),  qui,  je  vous 


(1)  La  marquise  Lombelon  des  Essnrts,  attachée  à  la  Princesse  en 
qualité  ée  dame  pour  a(*rompagner. 

Votcî  qadle  était  à  cette  époque  la  composition  de  la  maison  de 
Madame  Elisabeth  : 

L'abbé  de  Montai{>u,  aumônier  ordinaire;  Tabbé  Madier,  confes- 
seur ;  *^ 

La  comtesfie  Diane  de  Polignac,  dame  dlionneur;  la  marquise  de 
Sérent,  dame  d'atonr. 

Les  dames  pour  accompa^er  étaient  : 

La  narqoise  de  Soran,  la  marquise  de  Gansans,  la  comtesse  de 
Canillac,    la    marquise  de  Bombelles,  la  TÎcotntesse  d'Imecoart,  la 


156  MADAME   ELISABETH. 

contle,  fait  des  progrès  de  manière  à  me  faire  espérer 

cjue ,  dans  un  an  ou  dix-huit  mois ,  elle  ira  comme  les 

> 

autres  à  la  chasse.  Ne  lui  en  parle  pas  du  tout,  car  je 
ne  veux  pas  qu'elle  croie  que  cette  idée  peut  me  venir; 
cela  lui  tourneroit  la  tête  et  lui  rendroit  peut-être  ses 
peurs,  qui  sont  diminuées. 

Ta  mère  va  bien.  Elle  a  repris  son  service  auprès  de 
ma  nièce,  que  la  mort  de  Sophie  (1)  avoit  interrompu  ; 
mais  non  sa  santé  qui,  je  puis  t'en  répondre,  est  infi- 
niment tranquillisante  pour  amis  et  enfants.  Je  t'avoue 
que  je  voudrois  être  sûre  que  la  tienne  fut  aussi  bonne. 
Tu  me  dis  que  tu  tousses  toujours  ;  mais  tu  ne  me 
donnes  pas  de  détails,  et  j'en  voudrois.  Souffres-tu  en 
toussant  ?  Tes  crachats  sont-ils  abondants  et  épais?  Ton 
lait  te  fait-il  du  bien?  Calme-il  ta  toux^?  Enfin,  quand 
il  fait  chaud,  souffres-tu  davantage?  Es-tu  maigrie? 
Voilà,  mon  cœur,  beaucoup  de  questions  qui  ne  te 
plairont  guère ,  mais  auxquelles  je  te  demande  en 
grâce  de  répoudre  avec  franchise.  Cette  lettre  est  pour 
moi  seule.  Je  n'ai  parlé  à  personne  de  ce  que  je  te 
mande,  et  ne  ferai  point  part  de  ta  réponse.  Tu  as 
raison,    mon  cœur,   de  dire  qu'il  faut   achever   son 


romtesse  de  Deux- Ponts,  In  marquise  de  la  Roche- Fontenilles,  la 
comtesse  de  Clermont-Tonncrre,  la  marquise  de  Lombeloii  des  Essarts, 
la  marquise  de  Lastic,  née  de  Montesqiiiou  ;  la  vicomtesse  de  Mérin- 
ville,  la  marquise  de  Rnigecourt. 

Le  chevalier  d'honneur  était  le  comte  de  Coigny  ;  le  pmmier  éciiyer, 
le  comte  d'Adhémar,  depuis  ambassadeur  à  Londres.  Le  chevalier  de 
Saint-Pardouv,  écuyer  du  Roi ,  servait  près  de  la  Princesse.  M.  de  Mar- 
(ineau  était  porte-manteau,  et  M.  Mesnard  de  Chouzy  secrétaii-e  des 
commandements;  le  gracieux  poète  Imhert,  secrétaire  de  la  chambre. 

(I)  Seconde  fille  de  la  Reine,  morte  en  bas  u{;e. 


MADAME    ELISABETH.  157 

ouvrage  avec  courage.  Pour  cela  faire,  il  ne  faut  pas 
penser  que  nous  n'en  sommes  pas  à  la  moitié.  Cet 
aperçu  pourroit  bien  nous  Tôter  tout  à  fait  ;  et  comme 
il  s'agit  d'exécuter,  il  faut  se  bien  garder  de  songer  à 
l'avenir.  Tu  fais  des  réflexions  bien  bonnes  et  morales. 
L'on  est  heufeux,  mon  cœur,  de  savoir  s'intéresser  de 
choses  sérieuses.  Plus  on  voit  le  monde,  plus  on  le  voit 
dangereux,  ou  plus  digne  de  mépris  que  de  regret, 
lorsqu'il  faudra  le  quitter.  Faisons  des  provisions  pour 
ce  moment  ;  tu  en  as  à  faire  pour  toi  et  ta  postérité.  Je 
te  prie,  mon  cœur,  de  ne  pas  t'occuper  d'autre  chose, 
et  de  ne  pas  te  livrer  aux  idées  noires  que  la  mort  de 
Constance  t'aura  inspirées.  Cependant,  ma  petite,  ne 
crains  jamais  de  m'ennuyer  de  tes  jérémiades  :  je  t'aime 
trop  pour  qu'elles  ne  me  fassent  pas  plaisir  à  lire.  Je 
sais  combien  ça  soulage  ;  et  cette  vue  seule  me  feroit 
désirer  que  tu  t'y  livras  {sic)  de  tout  ton  cœur  avec  moi, 
qui  suis  peut-être  la  seule  personne  à  qui  tu  peux  en 
parler  sans  gêne. 

Je  crois  que  vraiment  tu  es  un  peu  choquée  du  per- 
siflage dont  j'ai  usé  envers  Votre  Grandeur;  je  Lui  en 
demande  pardon ,  et  en  même  temps  la  permission  de 
recommencer  au  premier  jour.  Au  reste,  tu  as  peut-être 
cru  que  j'avois  été  choquée:  je  t'assure,  mon  cœur, 
que  j'en  serai  toujours  loin  vis-à-vis  de  toi,  quand  même 
il  y  auroitde  quoi. 

Mon  amitié  ne  connoitra  jamais  ce  sentiment,  et  je 
juge  de  la  tienne  par  la  mienne.  C'est  me  satisfaire , 
Car  je  t'aime  bien  tendrement.  J'espère  que  l'agi- 
tation où  a  été  ta  belle-sœur  ne  lui  aura  pas  rendu  sa 
vivacité    accoutumée.   Je    me  suis  bien    impatientée, 


158  '  MADAME   ELISABETH. 

parce  que,  pour  changer,  Ton  m*a  dit  qu'elle  avoit  eu 
un  Anglois.  Cela  m'impatiente  d'autant  plus  que,  si 
l'on  veut  soutenir  le  contraire ,  on  le  persuade  daran- 
toge.  Voilà  ce  monde.  Tu  feras  bien,  mon  cœur,  de 
faire  sonder  M.  de  M.  pour  Minette  (1).  Quant  à  moi, 
je  ne  pourrai  savoir  au  juste  ce  que  je  ferai  que  lorsque 
mon  sort  sera  décidé.  Il  faut  que  je  voie  avant  que  de 
prendre  des  engagements.  Mais  tu  peux  être  sûre  que 
je  ferai  tout  ce  qui  sera  raisonnable  pour  son  bonheur, 
et  par  conséquent  le  plus  que  je  pourrai  de  ce  que  tu 
désireras. 

Nos  affaires  vont  toujours.  Mes  frères  s'occupent, 
dans  la  minute  où  je  vous  écris ,  à  faire  accepter  au 
Parlement  l'édit  pour  le  timbre.  On  dit  qu'il  rendra 
beaucoup ,  et  de  l'aveu  des  négociants  sera  très-peu 
à  charge  à  la  nation.  C'est  un  double  bonheur.  Mon 
prince  a  fait  pour  cinq  cent  mille  livres  d'économie 
sur  son  département.  Il  faudroit  que  tous  en  fissent 
autant.  Mais  il  n'y  a  encore  que  de  lui  que  l'on  parle. 
Tu  juges  si  mon  amour-propre  en  est  flatté.  Plaisan- 
terie à  ma  part  (sic),  quoique  l'intérêt  que  j'y  prends 
soit  extrêmement  médiocre,  j'ai  été  bien  aise  de 
ce  qu'il  se  montroit  bien  ,  et  alloit  au  fond  de  la 
chose.  Son  camarade  ne  se  fait  pas  autant  d'hon- 
neur. Cela  viendra  peut-être  :  je  le  souhaite  pour  lui. 
Il  s'est  fait  des  querelles  parce  qu'il  étoit  absent,  et 
n'est  revenu  que  deux  jours   avant  la  mort  de  ma 


(i)  Page  311  de  son  livre  imprimé  à  rimprimerie  royale,  en  ISilh, 
Ferrand  met  en  note  a  ce  nom  de  Minotte  :  «  Mademoiselle  de..,*,  t^ue 
Madame  Elisabeth  faisait  élever,  et  dont  elle-même  suivait  Véduca-' 
tion,  >  Nous  voilà  bien  avances  !  C'était  une  mademoiselle  de  Mayé. 


MADAME   ELISABETH.  159 

nièce.  En  efFet,  il  a  eu  tort,  devant  autant  à  la  R[eine]. 

La  société  est  revenue  et  me  paroît  en  fort  bon  état. 

Le  petit  échec  qu'elle  a  eu  ne  peut  que  lui  être  utile, 

à  ce  que  je  crois,  puisqu'elle  n'est  pas  tombée  tout  à 

fait.  On  dit  M.  de  Galonné  décampé.  Ce  qu'il  y  a  de 

snry  c'est  qu'il  a  été  très-affligé  de  l'ordre  qu'il  a  reçu 

de  rendre  son  cordon  bleu.  Je  trouve  qu'il  a  fait  une 

sottise  s'il  s'est  enfui,  puisqu'il  n'étoit  jias  question  de 

^ire  son  procès ,  et  qu'en  partant  il  prouve  au  public 

-*.  qu'il  avoit  tort.  J'ai  été  très-aise  de  ce  que  le  discours 

du    Boi  avoit  été  si  approuvé  à  Lisbonne  (1).    Les 

pauvres  gens,  je  crois,  ne  sont  pas  gâtés.  Tout  cela  me 

t*avit  davantage,  et  malgré  les  belles  oranges  que  tu 

txi'as  envoyées  et  dont  je  crois  ne  t'avoirpas  remerciée, 

j^  rends  grâce  au  Ciel  de  tout  mon  cœur  de  ne  m*a- 

'V'oir  pas  fait  naître  pour  être  leur  Reine.  La  comtesse 

X>iane  m'a  rapporté  d'Angleterre  un  bien  infini  de  toi  ; 

c:^ela  m'a  fait  un  grand  plaisir.  Ton  mari  y  étoit  aussi 

jT^our  beaucoup.  M.  Falkner  va  bientôt  venir  ici.  Il  me 

i^^mble  qu'il  n'a  nulle  rancune  contre  M.  de  B.  (2), 

^^SLV  c'est  lui  qui  a  parlé  de  toi  à  la  comtesse  Diane. 

-^^.dieu,  ma  petite,  tu  ne  me  paries  ])lus  de  Saint-Cyr. 

'ai  envie  de  te  faire  une  tracasserie  :  j'y  vais  demain. 

e  t'embrasse  et  t'aime  de  tout  mon  cœur.  Tu  sais 

*il  est  vraiment  à  toi,  ou  si  c'est  une  phrase.  Louis 

e  peut  que  se  trouver  très-bien  de  tes  projets.  Pour 

1  ^  abbé  Du  Rousseaux ,  c'est  vraiment  im   homme  de 


(f)  Le  marquis  de  BombcUns  était  .imbassadeur  en  Portugal  depuis 
"ÏTSÔ  et  y  demeura  jusqu'en  1789. 
(2)  Bombclles. 


160  ASSEMBLÉE   DES   NOTABLES. 

mérite  et  très-instruit.  Minette  va  tout  doucemeut, 
toujours  paresseuse  et  nonchalante,  pour  ce  qui  lui 
déplaît  s'entend,  car  sa  vivacité  n*est  pas  diminuée. 

Nous  sommes  inquiètes  de  savoir  si  tu  as  repris  ton 
gilet.  Je  suis  débarrassée  de  F.  (1)  pour  l'été.  Sa  tante, 
qui  la  croit  très-malade,  l'a  emmenée  ii  la  campagne. 
Dans  le  fuit,  elle  a  besoin  de  repos,  et  je  m'en  console. 
Des  Es.,  qui  t'écrit,  fait  sa  semaine  toute  seule,  et  j'en 
suis  fort  contente.  Si  tu  y  étois  pourtant,  ce  ne  gâte- 
roit  rien ,  et  je  suis ,  qui  plus  est ,  convaincue  que  tu 
ne  t'y  déplairois  pas  trop  :  notre  amour-propre  nous 
en  flatteroit.  Pour  le  cpup,  je  te  quitte  tout  de  bon,  et 
ce  pour  aller  jouer  au  billard.  Il  faut  que  je  te  dise  en- 
core que  j'ai  vu  madame  de  Perce  val,  et  que  je  ne  me 
sens  nulle  disposition  de  me  tuer  pour  elle,  surtout 
d'après  ce  que  le  petit  baron  dit  de  son  amabilité.  J'ai 
lu  des  lettres  de  Pline,  il  les  finit  toutes  par  adieu. 
Moi,  qui  ne  varie  pas  plus  que  lui,  je  te  dis  donc  adieu; 
je  regrette  seulement  que  ce  mot  ait  l'air  si  sec,  car  je 
voudrois  qu'il  exprimât  tout  ce  que  je  sens. 


L'Assemblée  des  Notables  a\  ait  été  ouverte  par  Galoiiue,  le 
22  février  1787,  afin  de  pourvoir  au  mauvais  état  des  finances, 
et  s'était  séparée  au  bout  de  trois  mois,  le  25  mai.  Elle  était 
composée  de  cent  trente-sept  membres,  entre  lesquels  sept 
princes  du  sang,  neuf  ducs  et  pairs,  huit  maréchaux,  onz^^ 
archevêques,  et  seulement  vingt-cinq  magistrats  des  villes  dis. 
royaume. 

11  n'y  avait  qu'nnt;  voix  sur  l'existence  d'abus  énormes ^^ 
mais  nul  ne  voulait  iâirc  le  sacrifice  de  réformes  person^— 


(1)   La  murqiiUc  de  Fonteiilllcit. 


ASSEMBLEE   DES   NOTABLES.  161 

nellos.  Les  classes  élevées  procli([iiaieiit  les  phrases  philan- 
thropiques et  phi]osophi(|iies  ii  Ja  mode,  (j^énussaieiit  sur  les 
embarras  du  trésor  et  s'apitoyaient  sur  le  pauvre  peuple, 
mais  s'arrangeaient  pour  qu'il  nen  coûtât  rien  à  leur  fortune 
ni    à    leurs   privilèges.  Même  sentimentalité  élocjuente  des 
I^arlements,  qui  ne  se  refusaient  pas  moins  à  Tég^alité  de 
répartition  dans  les  impôts,  à   la  suppression   d'incurables 
■"estes  de  féodalité.  Le  Cler(j^é  ne  manquait  pas  de  Faire  de  la 
clause  de  ses  priviléjjes  et  de  la  richesse  de  ses  communautés 
la  cause  de  Dieu  lui-même.  L'apparition  de  Tur(;ot,  la  réali- 
sant ion  d'économies  par  cet  homme  de  bien,  les  expédients 
l-iiianciers  du  fatal  ^'ecker,  sans  ouvrir  radicalement  la  tran- 
c-hée  sur  les  abus  invétérés,  avaient  commencé  à  éveiller  le 
f->eiiplc.  A  fbix:e  d'entendre  parler  du  bien  public,  il  allait 
C^out  à  l'heure  le  comprendre  et  rexi(;er.  Les  Assemblées  des 
Notables  n'avaient  été  convw|uées  par  nos  Rois  qu'«^  de  lon^ 
i  ntervalles.  Leurs  attributions  se  réduisaient  à  donner  des 
•^:mvîs  sur  différentes  questions  qu'on  ju([eait  à  propos  de  leur 
oumettre.   La  dernière  Assc*mblée,  réunie  sous  Louis  XIII, 
1626,  n'avait  eu  pour  résultat  que  de  fortifier  la  puissance 
t  le  crédit  du  cardinal  de  Richelieu.  3Lus  la  convocation 
^nouvelle,  si  elle  n'amenait   pas  virtu(^lh;ment   de  grandes 
^^z^onséquences  financières  et  administratives,  devait  jeter  des 
^5-emences  politiques  qu'un  nouvel  esprit  public  ferait  promp- 
^  enient   lever.    Elle  creusait  une   mine  sous  le  trône.   I^s 
^^ïotables,  après  des  hésitations  et  des  débals,  avaient  fini 
ar  consentir  à  tout  ce  qu'on  leur  avait  demandé  :  impôts 
<,»rritoriaux,  droits  de  timbre,  assemblées  provinciales,  sup- 
ression  des  corvées,  tout  avait  été  concédé  à  M.  de  Brienne, 
Liî  avait  chassé  le  présomptueux  Galonné  chez  lequel  cepen- 
aiit,    il    faut   se    l'avouer,    il    y   avait    un   côté   d'homme 
'État;  mais  Brienne  n'eut  pas  l'habileté  de  tirer  parti  de 
"^es  concessions.  Il  laissa  au  Parlement  le  temps  de  se  recon- 
itre,  de  s'envelopper  dans  les  plis  de  sa  to(jc;  et  ce  (jrand 
rps,  ambitieux,  impérieux  vi  hostile,  repoussant  l'impôt 
u  timbre  et  l'impôt  territorial,  se  donna  par  ce  refus  l'aj)- 
"f^^arence  d'un  civisme  courageux.  Irrité  de  cette  opposition, 
Ï3rienne  manda  sur-le-champ  à  Vereailles,  au  nom  du  Roi, 
1^  Parlement  rebelle,  et  fit  enregistrer  les  deux  édits  dans  un 

TOME  ni.  Il 


162  ASSEMBLEE  DES  NOTABLES. 

lit  de  justice.  A  peine  de  retour  à  Paris,  celui-ci  se  hâta  de 
fkire  des  protestations  et  d'ordonner  des  poursuites  contre 
les  profusions  de  Galonné.  La  Cour  répondit  par  Texil  du 
Parlement  à  Troyes,  et  la  justice  fut  ({uelque  temps  siu- 
pendue.  Cependant  le  15  août,  le  Roi  envoya  le  Comte  de 
Provence  à  la  Cour  des  comptes,  le  Comte  d'Artois  à  la 
Cour  des  aides,  pour  y  faire  enregistrer  les  édits.  Le  premier, 
qui  avait  attaqué  ouvertement  les  mesures  financières  de 
Necker  et  de  Calonne,  sentait  bien  qu'il  avait  quelque  mau- 
vaise grâce  à  porter  à  l'enregislrement  forcé  de  la  Chambre 
des  comptes  l'tKiit  du  timbre  contre  lequel  était  soulevée 
cette  opinion  publique  dont  il  s'était  iait  le  courtisan.  Aussi 
affecta-t-il  de  ne  se  rendre  à  la  chambre  que  contraint  et 
forcé,  et  fit-il  lire  en  toute  sa  contenance  la  répugance  mar- 
quée d'un  opposant.  Sa  tactique  réussit  à  faire  croire  à  soja 
chaleureux  civisme,  et  il  fut  accueilli  par  des  acclamations 
immenses;  tandis  que  le  Comte  d'Artois,  connu  pour  être 
l'appui  de  Calonne ,  fut  poursuivi  par  des  huées  et  des  mur- 
mures. Devenu  président  du  premier  bureau  de  l'Assemblée 
des  Notables,  Motisieur  y  afficha  un  zèle  bruyant  pour  les 
réformes,  et  c'est  de  ce  bui'eau  que  partirent  les  coups  les 
plus  terribles  contre  le  ministère,  qui  finalement  croula.  Tel 
est  le  motif  qui  excite  l'admiration,  un  peu  ironique,  de 
Madame  Elisabeth  pour  celui  qu'elle  appelle  «  mon  prince  » . 

'  De  tous  ces  conflits  devaient  sortir  les  États  généraux,  que 
Louis  XV  avait  eu  la  prudence  de  ne  pas  admettre,  pour  ne 
pas  laisser  discuter  son  autorité  :  u  J'ai  de  quoi  finir  et  ne 
suis  pas  las  de  régner,  avait-il  répondu  à  d'Argenson,  qui  les 
lui  proposait;  mon  successeur  fera  comme  il  voudra.  »  Ce 
fut  le  labyrinthe  où  se  peixiit  ce  successeur,  et  dont  la  révo- 
lution saisit  le  fil.  Chez  un  peuple  où  tout  se  pousse  à  l'ex- 
trême, discuter  l'autorité  c'est  la  miner  et  la  précipiter  da 
l'abime.  Déjà  la  révolution  grondait  dans  les  cœurs. 


MARIE- ANTOINETTE.  i6S 


CCCCXLVIII 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Sur  la  mort  de  la  seconde  fille  de  la  Reine. 

Ce  1*'  août  [1787]. 

• 

Vous  ne  pouvez  pas  douter,  Madame,  du  plaisir  que 
me  font  toujours  vos  lettres.  J'ai  été  bien  sensible  de 
la  part  que  vous  avez  prise  à  la  perte  que  j'ai  faite  de 
ma  fille  cadette  (2).  J'en  ai  été  très-afïligée.  Malheu- 
reusement, presque  depuis  sa  naissance  je  m'y  atten- 
dois,  cette  enfant  n'ayant  jamais  profité  ni  avancé 
pour  son  âge.  Grâce  à  Dieu,  les  trois  autres  se  portent 
à  merveille.  Voule?5-vous  bien,  madame,  vous  charger 
de  mes  remercîments  et  compliments  pour  M.  le 
Prince  Héréditaire  et  M.  le  prince  Georges?  Vous  con- 
Qoissez  mon  inviolable  amitié  pour  vous;  quand  donc 
pourra i-je  vous  en  assurer  de  vive  voix? 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hes^e. 

(2)  La  princesse  Sophie-Hélène-Béatrix,  née  Tannée  précédente, 
morte  le  9   uin  1787. 


il. 


164  MÂRIE-ÂNTOlNEii^. 


CCGCXLIX 

MARIE-AiSTOINETTE  A   LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Compliments  d*amitié.  —  Madame  Ruyale  devient  un  i)er8onna{«e 

et  une  société  pour  sa  mère. 

Ce  II  décembre  [1787]. 

J'ai  été  charmée,  Madame,  de  revoir  M.  le  prince 
Georges;  j'ai  bien  parlé  de  vous  avec  lui,  et  vous  savez 
combien  je  m'intéresse  à  tout  ce  qui  vous  regarde  ; 
j'espère  que  votre  grossesse  et  votre  couche  se  passe- 
ront aussi  heureusement  que  les  autres  (2). 

Ma  santé  et  celle  de  mes  enfants  est  très-bonne  ;  ma 
fille  vient  d^avoir  la  rougeole,  mais  des  plus  heureuses. 
Elle  commence  à  devenir  un  personnage,  et  ces  trois 
semaines  où  j'ai  été  enfermée  avec  elle,  elle  m'a  réelle- 
ment tenu  compagnie.  Mille  compliments  de  ma  part  à 
M.  le  Prince  Héréditaire  ;  vous  connoisscz,  Madame,  la 
tendre  amitié  qui  me  lie  pour  jamais  à  vous. 


(1)   Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Ilcdsc. 
(î)  La   PriiireitiKc  était   alors  grosse   du   prince  Frédéric- A ngugle*- 
Charles,  qui  naquit  le  IV  mai  1788. 


L'EMPEREUR   JOSEPH    II.  165 


CCCCL 

L'EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

Lest  Etats  (le  Rrabant  ont  approuve  les  impôts.  Il  est  tout  simple  que 
la  société  concoure  aux  charges  publiques,  et  il  s*étonne  qu'on 
s'émerveille  d'un  résultat  aussi  naturel  et  normal.  11  remercie  néan- 
moins sa  sœur  tl*y  avoir  contribué.  —  Son  opinion  sur  le  caractère 
des  habitants  des  Pays-Bas.  —  Avec  la  force  en  main  on  Huit  tou- 
jours par  avoir  raison.  —  Fâcheuses  nouvelles  de  lîl  santé  du  Dau- 
phin. —  L'Empereur  so  propose  de  tomber  sur  les  Turcs  et  de  faire 
le  siège  de  Belgrade. 

Semlin,  le  13  juin  1788. 

Ma  chère  Sœur,  je  viens  de  recevoir  votre  chère 
lettre  du  27   mai,  où  vous  m'annoncez  le  pompeux 
accord  de  la  continuation  des  impôts  par  les  deux  pre- 
miers membres  du  Brabant.  Il  faut  être  bien  bas,  et 
les  ressorts  doivent  être  bien  détraqués  pour  qu'on  ait 
à  s'étonner,  à  se  réjouir  d'une  chose  aussi  simple,  aussi 
juste ,  aussi  nécessaire ,  et  même  à  récompenser  ceux 
qui  ont  bien  voulu  sentir  qu'il  n'y  avoit  que  le  con- 
cours de  toute  la  société  aux  charges  publiques,  à  la 
défense  du  pays,  à  l'administration  de  la  justice  et  du 
fjouvernement  en  général,  qui  lioit  entre  eux  le  Souve- 
raiu  avec  les  individus  de  l'État  et  eux  entre  eux  en 
Société.  Mais  enfin  on  n'est  pas  pour  cela  dupe  quand 
On  a  la  complaisance  de  le  paroître,  et  je  vous  sais  un 
f^ré  infini,  ma  chère  Sœur,  et  au  Prince,  d'avoir  con- 


(1)   Arrbives  do  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  rArrliidur  Albert 
^l'Aulriehe. 


166  L'EMPEREUR  JOSEPH  II. 

tribué  avec  autant  d'intelligence  que  de  zèle  à  faire 
entendre  à  ces  aussi  mauvaises  que  pauvres  têtes  raison 
sur  les  choses  du  monde  les  plus  simples,  et  où  leur 
conscience,  si  ce  n*est  pas  seulement  un  mot,  ni  leur 
propriété,  de  laquelle  il  n'y  a  jamais  été  question,  ne 
couroient  aucun  risque,  mais  bien  celui  de  jouer  moins 
les  importants  en  partant  et  frondant  dans  les  sociétës, 
ou  à  s'amuser  à  faire  peur  et  tapage.  Voilà  tout,  croyez- 
moi.  Les  habitants  de  Bruxelles  et  des  Pays-Bas  sont 
des  imitateurs  en  tout  de  leurs  voisins.  Le  fonds  est 
hoUandois  et  le  vernis  françois.  La  bonne  correction 
qu'ont  eue  les  patriotes  de  Hollande,  celle  que  subissent 
les  Parlements  en  France,  a  fait  effet,  et  je  crois  qu'on 
s'est  convaincu  que  celui  qui  a  la  force  en  main  6nit 
toujours  par  avoir  raison.  Si  l'on  continue  à  a£[ir 
avec  fermeté,  vous  verrez  que  peu  à  peu  toutes  ces 
histoires  de  méfiance,  de  craintes  et  de  mauvaise  hu* 
meur,  finiront,  puisqu'ils  verront  qu'ils  n'efïrayent 
plus. 

Je  suis  bien  fâché  des  mauvaises  nouvelles  de  la  santë 
du  Dauphin.  C'est  d'autant  plus  fâcheux  que  si  c'étoit 
une  maladie,  on  en  guérit;  mais  c'est  un  défaut  de 
figure  et  de  constitution  qui  est  sans  remède. 

Ma  santé  est  bonne  ici ,  quoique  je  sois  bien  ennuyé 
du  rôle  passif  que  les  Russes^  qui  n'ont  encore  rien  fait, 
nous  obligent  de  garder.  L'armée  ottomane  est  en  pleine 
marche  pour  Widdin,  où  elle  construit  des  ponts,  et 
pour  Belgrade.  J'ai  renforcé  le  corps  de  Wartensleben 
au  Banat,  et  je  me  tiens  en  panne  pour  guetter  le 
moment  qui  se  présentera  de  pouvoir  leur  donner 
quelque  bonne  tape ,  et  ensuite  seulement  j'assiégerai 


NAISSANCE  ET  MORT   DU    PREMIER  DAUPHIN.     167 

Belgrade.  Adieu,  je  vous  embrasse  de  tout  mon  coeur, 
de  même  que  le  Prince. 

Croyez-moi  pour  la  vie  votre  (1). 


Marie- Antoinette  était  devenue  grosse  peu  de  temps  après  la 
naissance  de  Madame  Royale,  Ayant  levé  avec  force  la  glace 
de  sa  voiture,  elle  se  sentit  blessée,  et  fit  une  fausse  couche 
huit  jours  après.  Cette  seconde  grossesse  avait  été  ignorée,  et 
Taccident  fut  gardé  sous  silence,  sans  quoi  l'on  n'eût  pas 
manqué  de  l'attribuer  à  quelque  légèreté.  Une  autre  gros- 
sesse, déclarée  en  avril  1781,  fut  houn»use  jusqu'au  bout,  et, 
le  22  octobre,  la  Reine  donna  le  jour  au  premier  Dauphin, 
dont  parle  Joseph  11.  La  joie  fut  immense  et  universelle  à 
Paris  et  à  Versailles.  Grands  et  peuple,  tout  nageait  dans  les 
transports,  comme  si  l'on  n'eût  fait  qu'une  mémo  famille. 
On  s'abordait  dans  les  rues  les  yeux  pleins  de  larmes,  ot  l'on 
s'embrassait  même  sans  se  connaître.  Les  dames  de  la  Halle 
Vinrent  débiter  au  Roi  une  harangue  superbe,  composée  par 
J^A  Ilarpe,  et  chanter  des  couplets  qui  firent  fureur  à  la 
Cour.  Il  en  est  un  particulièrement  qui  a  été  conservé  dans 
cine  lettre  de  Marie-Antoinette,  et  que  le  Roi  se  plaisait  à 
*^péter,  de  l'air  le  plus  joyeux,  à  la  Reine,  alors  en  cou- 
<2he  (2).  En  voici  un  autre  qui  fut  chanté  à  cette  occasion, 
^ur  l'air  de  Joconde,  à  la  Comédie  italienne,  et  qui  était 
bilans  la  boUche  d'une  fée  : 

Comme  fée  je  vais  vous  conter 

Une  grande  nouvelle  : 
Un  fils  du  Roi  vient  enchanter 

Tout  un  peuple  fidèle. 


(1)  Nous  avons  déjà  dit  que  TEmpereur  Joseph  II  finit  ainsi,  sans 
ajouter  rien  de  pins  qu'un  paraphe,  la  plupart  de  ses  lettres  intimei, 
«t  que  son  successeur  Léopold  imite  cet  exemple. 

(2)  Tome  I^%  lettre  du  21  novembre  1781. 


168     NAISSANCE  ET  MORT  DU   PREMIER   DAUPHIN. 

Ce  Dauphin  que  Ton  va  fctcr 

Au  trône  doit  prétendre  : 
Qu'il  soit  tardif  pour  y  monter, 

Tardif  pour  en  descendre! 

Il  est  un  antre  couplet,  de  poésie  de  mirliton,  bien  curieux 
encore,  à  causo  du  nom  de  Uauteur,  et  qui  fut  chanté  par 
lui  au  théâtre  de  Rouen,  oii  la  troupe  ambulante  à  laquelle 
il  appai-tenait  donnait  des  représentations  : 

Pour  le  lionheur  des  Français, 

Notre  J)on  Louis  seize 
S'est  allié  pour  jamais 

Au  sang  de  Thérèse  : 
De  retto  heureuse  union. 
Il  sort  un  beau  ri'jeton  ! 
Pour  répandre  en  notre  rœur 

Félicité  parfaite. 
Conserve,  6  Ciel  jirotecteur. 
Les  jours  d'Antoinette  ! 

L*auteur  de  la  pièce  oii  se  trouvait  ce  couplet,  et  qui  était 
toute  brûlante  d'amour  pour  la  royauté,  était  ce  Collot- 
d'Ilerbois  qui  depuis  fut  un  des  terroristes  les  plus  san- 
g^uinaires. 

Ce  n'est  pas  tout  encore.  Tous  les  corps  d'état,  rivalisant 
d'inçénienses  inventions  et  de  dépenses,  se  rendirent  à  Ver- 
sailles pour  défiler,  chacun,  musique  en  tête,  devant  la  Cour 
avec  les  attributs  de  son  état.  Il  y  eut  même  jusqu'aux,  fos- 
soyeurs, qui  eurent  l'audace  (funeste  présa(fe  de  la  future 
destinée  de  l'Enfant  royal  !)  de  venir  attrister  le  spectacle  en 
s'y  mêlant  avec  les  signes  représentatifs  de  leur  sinistre 
profession,  que  ce  fafal  Collot-d'Herbois  eilt  déshonorée. 

Le  I()  octobre  1781,  le  ministre  de  la  Maison  du  Roi, 
Amelot,  avait  envoyé  dans  toutes  les  villes  du  Royaume 
copie  d'une  lettre  du  Roi  prCvScrivant  la  célébration  d'un 
Te  Dcuniy  pour  le  cas  oiï  la  Reine  accoucherait  d'un  Prince. 
La  nouvelle  de  l'heureuse  délivrance  était  attendue  dans  les 
provinces  avec  une  sin(julière  anxiété. 

Tandis  que  Versailles  et  Paris  éclataient  dans  le  délire  des 


NAISSANCE  ET  MORT  DU  PREMIER   DAUPHIN.     169 

féieSj  la  marine,  à  laquelle  Louis  XVI,  par  son  rôle  dans  la 
(guerre  d'Amérique,    avait  donné  un  essor  si   patriotique, 
n'était  pas  en  arrière  d'enthousiasme  et  de  démonstrations. 
Les  [>orts  rivalisèrent  de  magnificence  dans  leurs  fêtes.  Brest 
eut  la  palme.  Le  dimanche  28  octobre,  un  bal  s'ouvrit  à 
Irois  heures  au  Champ  de  Bataille,  où  la  comtesse  d'Hector, 
femme  du  coiiimandant  de  la  marine,  avait  amené  un  essaim 
«le  jeunes  dames  et  convoqué  un  grand  nombre  d'officiers 
<le  tous  les  corps.  La  comtesse  prit  pour  son  dausenr  le  pre- 
mier matelot  qu'elle  rencontra.  Les  antres  dames  suivirent 
«•et  exemple.  Officiers  généraux  de  terre  et  de  mer,  officiers 
^\c  rang  inférieur,  tous  prirent  pareillement  pour  danseuses 
^es  femmes  de  marins,  aux  acclamations  répétées  de  Vive  le 
Koi!  Vive  la  Reine!  Vive  Monseigneur  le  Daupluii  !  Après  le 
l>al,  comédie,  où  les  chefs  montrèrent  à  l'envi  la  même  cour- 
toisie pour  leurs  hommes  de  mer.  Les  matelots  et  les  ouvriers 
<le  l'arsenal  et  leurs  enfants  remplissaient  les  loges  et  le  par- 
terre, les  femmes  occupant  h»  premier  rang  des  loges  et  des 
galeries.  En  un  mot,   chacun  des  officiers  avait  cédé  son 
rang,  et  nul  d'entre  eux  n'eût  songé  à  se  présenter  aux 
belles  places;  plusieurs  rangs  de  chaises,  posés  au  fond  du 
théâtre ,   reçurent  beaucoup  de   dames  qui    avaient   voulu 
jouir  du  coup  d'œil;  et   ce  qu'il  pouvait   rester  encore  de 
places  dans  la  salle,  pour  contenir  du  monde  sans  que  le 
spectacle  en  fût  gêné,  fut  rempli  par  les  commandants  et  les 
officiers  de  tous  les  corps. 

Dans  le  voyage  que  fit  Louis  XVÏ  en  Normandie  pour 
visiter  les  travaux  de  Cherbourg,  il  avait  distingué  François- 
Henry,  comte  de  Lillebonne,  duc  di)  Harcourt,  lieutenant 
général  gouverneur  de  la  province,  et  il  le  nomma,  dans  le 
mois  d'août  1786,  gouverneur  du  Dauphin.  Ce  vertueux  per- 
sonnage ne  devait  pas  veiller  longues  années  sur  les  cUrstinécs 
du  royal  enfant.  Le  Dauphin  annonçait  une  grande  précocité 
d'intelligence,  et,  avec  une  jolie  figure,  il  montrait  une 
ouverture  de  caractère  tout  à  fait  séduisante.  Mais  bientôt  on 
le  vit  tomber  de  la  santé  la  j)lus  florissanle  en  une  langueur 
et  un  rachitisme  qui  lui  courba  l'épine  dorsale,  lui  allongea 
les  traits  et  lui  rendit  les  jambes  si  faibles,  (|u'il  ne  pouvait 
plus  marcher  que  soutenu  comme  un  vieillard  en  caducité. 


iTO  MARIE- ANTOINETTE. 

Il  mourut  à  Versailles,  le  i  juin  1789.  Drjà,  deux  ans  aupa- 
ravant, la  Reine  avait  perdu  une  seconde  fille,  Sophie-llélène- 
Béatrix,  qu'elle  avait  eue  le  9  juillet  I78(),  et  qui  était  morte 
le  9  juin  de  Tannée  suivante.  (Voir  la  lettre  de  Madame 
Elisabeth  en  date  du  25  juin  1787,  t.  I*'.)  Il  ne  lui  restait 
donc  plus  (|ue  Madame  Royale  et  le  nouveau  Dauphin,  né 
en  1785.  Dtîpuis  la  perte  de  cotte  so<!onde  fille,  qui  lui  avait 
coûté  tant  de  larmes,  l'infortunée  Marie-Antoinette  ne  devait 
plus  cesser  d'en  répandre;  et  les  catastrophes  révolutionnaires 
qui  se  suc^cédaient  devaient  la  conduin»,  à  travers  toutes  les 
péripéties  les  plus  poig^nantes,  de  la  douleur  à  la  mort. 


CCCCLI 

MARIE-ANTOINETTE  A  LOUISE,  PRINCESSE  HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT  (I). 

Félicitations  sur  son  accouchement. 

Saint-Cloud,  ce  23  [juin  1788J. 

J'ai  été  enchantée,  ma  chère  Princesse?,  de  vous  savoir 
heureusement  accouchée  (2)  ;  je  vous  avoue  que  je  corn- 
mençois  à  trouver  le  retard  un  p(>u  long.  J*espère  que 
vous  et  votre  gros  garçon  vous  portez  bien;  et  pour 
ne  pas  vous  fatiguer,  je  me  borne  à  vous  renouveler  (ce 
dont  vous  ne  pouvez  pas  douter  depuis  longtemps)  la 
tendre  amitié  avec  laquelle  je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 


(1)  Archivct»  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Dnc  de  Hesie. 

(2)  Du  prince  Frédcric-Auguste-Gharles. 


MARIE-ANTOINETTE.  ITl 

Bien  mes  compliments  au  Prince  Héréditaire;  je  ne 
sais  quand  cette  lettre  vous  arrivera  :  j'attends  le  prince 
Georges  pour  la  lui  donner. 


CCCCLII 

LA  REINE   AU  COMTE  DE  MERCY- ARGENTE  AU  (1). 
Comédie  qui  a  réussi. —  Indisposition  de  Madame  Royale. 

[29  juillet  1788.] 

Je  ne  comprends  rien  du  tout  à  la  nouvelle  dont  mon 
frère  parle.  Je  désire  que  cela  soit  vrai.  Je  vais  remettre 
au  Roi  sa  lettre  et  lui  montrer  en  même  temps  la  vôtre 
et  la  mienne.  Je  n'y  vois  aucun  inconvénient,  surtout 
les  retirant  tout  de  suite.  Je  suis  enchantée  que  vous 
ayez  été  content  de  notre  comédie.  J*ai  voulu  vous 
chercher  dans  votre  lope  après  le  spectacle,  mais  vous 
étiez  parti.  Ma  fille  a  la  fièvre  tierce  bien  décidément. 
Son  accès  d'hier  a  été  moins  fort.  J'espère  que  cela  va 
se  civiliser.  Adieu,  voici  le  Roi. 

(i)  Archives  impériales  de  Vienne. 


172  MARIE-ANTOINETTE. 


CCCCLIII 

MARIE-ANTOINETTE  AU  COMTE  DE  MERCY-ARGENTEAU(l). 

Les  Et.its  {jcnéraitx.  —  Loterie  pour  «ecrourir  les  malheureux.  — 

Fièvre  tierce  de  Madame  Royale. 

Ce  3  août  1788. 

Pour  des  nouvelles,  je  ne  peux  vous  en  mander  de 
nouvelles  ;  tout  est  toujours  dans  le  même  état.  Les  Etats 
généraux  paroissent  sûrs  pour  le  courant  de  Tannée  pro- 
chaine (2).  Le  Roi  vient  de  publier  une  loterie  de  douze 
millions  pour  aller  au  secours  des  malheureux  ruines 
par  les  orages  affreux  qui  ont  dévasté  cinquante  lieues 
de  pays.  Le  Roi  se  montre  toujours  le  meilleur  des 
pères  ;  mais  parmi  ses  enfants  il  y  a  toujours  bien  des 
fous;  voilà  tout  ce  que  je  peux  vous  dire.  J'ai  été  fort 
inquiète  réellement  de  la  santé  de  ma  fille  ;  sa  fièvre 
tierce  a  été  opiniâtre,  et  j'ai  veillé  deux  nuits  auprès 
de  son  lit  :  le  Roi  étoit  avec  moi  toute  une  nuit.  La 
pauvre  petite  nous  a  dit  des  choses  si  tendres  qu'elle 
nous  en  a  fait  pleurer.  Elle  est  mieux  maintenant.  Elle 
a  été  un  peu  à  l'air,  qui  lui  a  fait  du  bien.  Âdicu,  mon- 
sieur le  Comte.  Yous  savez  quels  sont  mes  sentiments 
pour  vous. 

(1)  Papiers  du  comte  de  Mercy. 

(2)  Le  4  mai  1789,  il  y  eut  procesiiioii  ;i  Versaille.')  |>uiir  rouverCurcr 
des  Étals  géiicranx,  qui  s'ouvrirent  en  effet  le  lendemain. 


MARIE-ANTOINETTE.  173 


CCCCLIV 

MARIE-ANTOINETTE  A  LA  PRINCESSE  DE  LAMBALLE  (1). 

Elle  a  marié  sans  la  Princesse  leur  protégée.  —  Elle  lui  a  donné  avec 
une  |>etite  dot  le  présent  de  M.  de  Penthièvrc.  —  L'enfant  était  fort 
pressée  de  se  marier.  —  11  serait  p(>u  sage  de  mettre  la  sœur  au  cou- 
vent, car  elle  a  plutôt  la  vocation  d*iniiter  sa  sœur. 

Ce  m  août  [1788]. 

J'ai  eu  ridée  de  me  passer  de  vous,  ma  chère  Lam- 
balle ,  puisque  vous  prolongez  votre  absence ,  et  de 
marier  sans  vous  notre  petite.  Je  lui  ai  donné  notre 
petite  dot  et  le  présent  de  M.  de  Penthièvre.  Dans  ce 
•raoment-ci,  je  suis  encore  tout  égayée  de  ma  conver- 
sation à  Trianon  avec  la  petite  :  on  ne  pouvoit  plus 
retarder,  car  elle  étoit  fort  éprise  de  son  futur.  L'abbé 
m'a  rendu  compte  de  la  cérémonie  et  des  propos  de 
i'oncle  et  de  la  jeune  sœur,  qui  étoit  coquette  à  ravir, 
et  ne  cessoit  de  répéter  :  Elle  a  dix-huit  ans,  j'en  ai 
Seize.  Ce  que  l'on  a  proposé  pour  elle  ne  me  semble 
pas  sage;   elle  n'a  pas  la  vocation   du  couvent,  et  il 
Seroit  peut-être  fâcheux  de  revenir  au  parti  que  Diane 
^^ous  avoit  suggéré,  car  l'enfant  se  révolteroit.  M.  N. 
^st  parti,  mais  il  reviendra  (2).  Adieu,  mon  cher  cœur, 
J  ^ai  et  aurai  à  jamais  pour  vous  une  amitié  inviolable. 

Marie-Antoinette. 


(i)  Cabinet  de  madame  In  comtesse  de  Le/ny-Mnrnozia. 
(2)  Neckcr  fut  en  effet  rappelé  dans  le  même  mois. 


17*       L'ABCHIDDC  GRAND-DUC  DE   TOSCANE. 


CGGGLV 

L'ARCHIDUC  GRAND-DUC  DE  TOSCANE,  DEPUIS  EMPEREUR 
LÉOPOLD  II,  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

Il  se  félicite  de  savoir  tout  arrainf^é  aux  Pays-Bas.  —   Il  suit  arec 
curiosité  la  marche  dcA  affairen  en  France. 

Le  7  mars  1789. 

Je  suis  charmé  que  les  affaires  chez  vous  se  sont 
passées  sans  bruit.  Si  on  avoit  pu  tout  arranger  à  l'a- 
miable et  de  concert,  cela  auroit  été  peut-être  mieux; 
et  à  présent,  je  crois  qu'on  n'aura  plus  besoin  de  mili- 
taires, tout  étant  arrangé;  car  cet  état  de  guerre  ne 
peut  pas  être  avantageux  ni  agréable.  Les  affaires  de 
France  prennent  une  toiu'uure  bien  singulière,  et  je 
suis  curieux  de  voir  comment  le  Roi,  M.  Necker  et 
tous  ceux  qui  depuis  si  longtemps  l'ont  si  mal  con- 
seillé, pourront  se  tirer  de  la  présente  situation.  Je 
désire  la  paix  et  tranquillité  ])artout. 

(1)  Arrliîves  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l' Archiduc  Albert 
d'Autriche. 

Cette  lettre  a  déjà  été  publiée  par  M.  Adam  Wolf,  dans  son  livre  de 
Marie'-Christine,  Et-zherzogin  von  OEsterreich,  Vienne,  1863,  second 
volume,  p.  237. 


LOUIS   XVI.  175 


CCCCLVI 

rouis  XVI  A  BAILLY,  DOYEN  DE  L'ORDRE  DU  TIERS  (i). 

31  déxapprotivo  lV>xpr<>.<^i(>ii  dv  classes  privilégiées  que  le  Tiers  État 
emploie  en  parlant  des  autres  Oixlres.  —  Il  attend  plus  de  déférence 
de  la  part  du  Tiers  que  cet  Ordre  ne  lui  eu  a  montré. 

[16  juin  1789]. 

Je  ne  refuserai  jamais,  Monsieur,  de  recevoir  aucun 
des  Présidents  des  trois  Ordres,  lorsqu'ils  seront  char- 
gés d'une  mission  auprès  de  moi ,  et  qu'ils  auront 
demandé,  par  l'organe  usité  de  mon  Garde  des  sceaux, 
le  moment  que  je  veux  leur  indiquer.  Je  désapprouve 
l'expression  respectée  de  Classes  privilégiées  que  le 
Tiers  État  emploie  pour  désigner  les  deux  premiers 
Ordres.  Ces  expressions  inusitées  ne  sont  propres  qu'à 
entretenir  un  esprit  de  division  absolument  contraire 
à  l'avancement  du  bien  de  l'État,  puisque  ce  bien  ne 
peut  être  effectué  que  par  le  concours  des  trois  Ordres 
(jui  composent  les  États  généraux ,  soit  qu'ils  délibèrent 
séparément,  soit  qu'ils  le  fassent  en  commun. 

La  réserve  que  l'Ordre  de  la  Noblesse  avoit  mise  dans 
Son  acquiescement  à  l'ouverture  foite  de  ma  part,  ne 
devoit  pas  empêcher  l'Ordre  du  Tiers  de  me  donner  un 
^moignage  de  déférence.  L'exemple  du  Clergé,  suivi 
^e  celui  du  Tiers,  auroit  déterminé  sans  doute  l'Ordre 
^e  la  Noblesse  h  se  désister  de  sa  modification. 


(i)  Cabinet  de  M.  Guizot,  de  l'Académie  fraïK^aisc. 


176  LOUIS    XVI    ET   RAILLY. 

Je  suis  persuadé  que  plus  l'Ordre  du  Tiers  Etat  me 
donnera  de  marques  de  confiance  et  d'attachement,  et 
mieux  ses  démarches  représenteront  les  sentiments 
d'un  peuple  que  j'aime  et  dont  je  ferai  mon  lionlieur 
d'être  aimé. 

AMarly,  le  l  G  juin  (1789). 


La  mort  du  premier  Dauphin,  sur  lequel  nous  nous 
sommes  éteudu  à  la  suite  de  la  lettre  de  Josc))h  II,  en  date 
du  II)  juin  1788,  fut  l'occasion  d'un  mauvais  bruit  répandu 
contre  une  députation  du  Tiers,  c|ui,  au  moment  do  la 
vérification  des  pouvoirs,  avant  la  réunion  des  trois  Ordi^es, 
avait  été  chargée  de  porter  au  Roi  des  paroles  au  nom  des 
Commîmes.  On  prétendit  que  deux  heuiTs  après  la  mort  de 
Tenfant  royal,  quand  Louis  XVI  s'était  enfermé  avec  la 
Reine  pour  pleurer,  le  président  de  la  députation  aurait 
insisté  impérieusement,  au  mépris  d'une  si  cruelle  douleur, 
pour  être  reçu  par  Louis  XVI.  On  ajoutait  que  le  Roi, 
indifjné,  se  serait  écrié  :  «  Il  n'y  a  doue  pas  de  pères  dans 
cette  chambre  du  Tiers!  »>  Le  fait  a  été  exagéré  :  tous  les 
partis  alors  se  calomniaient.  Le  doyen  du  Tiers,  qui  con- 
duisait cette  députation ,  était  homme  de  bien  autant 
qu'homme  de  tident  et  de  cœur.  C'était  Jean-Sylvain  Bailly, 
(|ui  fut  depuis  une  des  plus  intéressantes  victimes  de  la 
révolution.  Durant  sa  présidence  de  T Assemblée,  il  sut 
constamment  allier,  sans  jamais  se  démentir,  la  modé- 
ration au  courag^e,  et  il  ne  se  fût  pas  oublié  au  i)oint  de 
mettre  aussi  indécemment  aux  prises  la  force  populaire 
naissante  avec  la  di(jnité  royale  et  une  si  lé(j[itime  affliction. 
Lui-même,  au  tome  I*'  de  ses  Mémoires  (p.  94  et  suivantes 
de  l'édition  de  Baudouin),  parle  de  cet  incident  en  termes 
d'une  convenance  |)arfaite,  qui  atténuent  la  cruelle  lé(j[ende. 
Cependant,  comme  on  le  voit  par  la  lettre  qui  précède,  le 
Roi  avait  été  blessé  de  ce  que  le  Tiers  ne  s'était  pas  tout  à 
fait  abstenu  de  lui  demander  audience  aux  premiers  mo- 


LOUIS   XVI.  177 

inents  de  sa  douleur.  Bailly  ne  parle  pas  de  (*ettc  lettre  dans 
ses  Mémoires. 

En  résumé,  l'on  ne  saurait  constater  sans  une  amertume 
profonde  le  contraste  entre  la  morne  et  sinistre  indifférence 
publique  avec  laquelle  fut  accueillie  la  mort  du  Hls  de  France, 
et  les  joies  délirantes  qui  avaient  célébré  sa  naissance.  En 
même  temps  que  la  majesté  de  la  Reine  traînait  au  fond  des 
plus  impurs  libelles ,  Tesprit  révolutionnaire  lui  jetait  à  la 
lace  Tinsulte  du  dédain.  La  partie  san(jlante  n'était  pas  loin 
de  s'ençager. 


CCCCLVII 

LK  ROI  A  M.  DE  JLTIGNÉ,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS  (I).  ] 

Mal{;rc  la  nécessité  d'être  sévère  pour  maintenir  la  discipline,  il  se 
montrera  indnl{;ent  pour  dea  prisonniers  violemment  relàchéii,  et 
«pie  lui  recommande  l'A-^semblée. 

Ce  2  juillet  1789. 

Je  me  suis  fait  rendre  un  compte  exact,  mon  cousin , 
de  ce  qui  s'est  passé  dans  la  soirée  du  30  juin.  La  vio- 
lence employée  pour  délivrer  des  prisonniers  à  TAbbaye 
est  infiniment  condamnable;  et  tous  les  ordres,  tous  les 
corps ,   tous  les  citoyens  honnêtes  et  paisibles  ont  le 
plus  {jrand  intérêt  à  maintenir  dans  toute  sa  force  Tac- 
tion  des  lois  protectrices  de  Tordre  public.  Je  céderai 
Cependant,  lorsque  Tordre  sera  rétabli,  à  un  sentiment 
cle  bonté;  et  j'espère  n'avoir  point  de  reproches  à  me 
f«iire  de  ma  clémence,  lorsqu'elle  est  invoquée  pour  la 
première  fois  par  l'Assemblée  des  représentants  de  \a 

(i)  Minute  de  la  main  du  Roi.  Archives  générales  de  TEmpire. 

TOME   III.  i2 


178       M.  DE  JUIGNÉ,  ARCHEVEQUE  DE  PARIS. 

Nation .  Mais  je  ne  doute  pas  que  cette  Assemblëe  n'at- 
tache une  égale  importance  aux  succès  de  tontes  les 
mesures  que  je  prends  pour  ramener  l'ordre  dans  la 
capitale.  L'esprit  de  licence  et  d'insubprdination  est 
destructif  de  tout  bien  ;  et  s'il  prenoit  de  l'accroisse- 
ment, non-seulement  le  bonheur  de  tous  les  citoyens 
seroit  troublé  et  leur  confiance  seroit  altérée ,  mais 
l'on  finiroit  peut-être  par  méconnoitre  le  prix  des  gi^é- 
reux  travaux  auxquels  les  représentants  de  la  Nation 
vont  se  consacrer.  Donnez  connoissance  de  ma  lettre 
aux  États  généraux,  et  ne  doutez  pas,  mon  cousin,  de 
toute  mon  estime  pour  vous. 

Louis. 


Des  gardes  françaises  avaient  été  envoyées  par  le  due  du 
Chastelet,  pour  délits  disciplinaires,  aux  prisons  de  TAbbaye, 
et  allaient  être  transférées  à  Bicêtre.  Le  30  juin,  une  multi- 
tude armée,  usurpant  les  droits  du  pouvoir  exécutif,  s'était 
portée  à  TÂbbaye,  en  avait  forcé  les  portes,  et  avait  enlevé 
les  prisonniers  pour  les  conduire  au  palais  d'Orléans,  sous  là 
sauvegarde  du  peuple.  Une  députation  d'une  vingtaine  d'in- 
dividus sans  caractère  public,  alléguant  le  patriotisme  des 
gardes  incarcérées,  était  venue  demander  leur  grAce  à  l' As- 
semblée. Celle<i,  placée  entre  le  double  danger  de  favoriser 
l'insubordination  et  d'encourager  le  peuple  aux  usurpations 
de  pouvoir,  et  cet  autre  danger  de  prêter  la  main  à  un  des- 
potisme punissant  comme  délits  des  actes  de  patriotisme,  au 
moment  où  la  liberté  commençait  À  naître,  délibéra.  EJle  se 
décida,  pour  ne  pas  empiéter  sur  l'autorité  royale,  à  en 
référer  au  Souverain  lui-même,  et  à  recommander  à  sa  bonté 
les  gardes  délivrées.  L'arcbevêque  de  Paris  fut  chargé  de 
porter  au  Roi  Farrêté  de  l'Assemblée  touchant  l'incident. 

Antoinc-Ëléonor&JLiéon-Leclerc  de  Juigné,  fils  du  marquis 


M.  DE  JUIGNÉ,  ARCHEVÊQUE  DE  PARIS.       179 

de  Jui(j[né,  colonel  du  régiment  d'Orléans,  issu  d'une  ancienne 
famille  du  Maine,  était  né  à  Paris  en  1728.  D'abord  grand 
vicaire  de  M.  de  Bezons,  évêquè  de  Carcassonne,  son  parent, 
il  fut  ensuite  agent  du  Clergé  en  1760.  Cette  agence  du 
Clergé  était  une  fonction  qui  durait  cinq  ans,  et  à  laquelle 
incombait  le  soin  de  tous  les  intérêts,  de  toutes  les  affaires 
ecclésiastiques.  En  1747,  il  fut  nommé  à  révéché-comté-pairie 
de  Châlons,  où  ses  aumônes  le  firent  couvrir  de  bénédic- 
tions. C'est  de  là  qu'il  fut  tiré  de  premier  mouveuient  par 
Louis  XVI,  pour  être  placé  à  la  tête  de  l'archevêché  de 
Paris,  à  la  mort  de  M.  de  Beaumont.  Dans  le  rigoureux 
hiver  de  1788  à  1789,  tandis  que  le  duc  d'Orléans  assurait 
sa  popularité  en  faisant  des  largesses  de  roi,  M.  de  Juigné 
vendit  sa  vaisselle  pour  suppléer  à  l'insuffisance  de  son 
revenu  ecclésiastique,  cependant  considérable,  pour  soulager 
les  misères.  Il  alla  même  jusqu'à  s'endetter  de  plus  de  quatre 
cent  mille  livres,  dont  le  man]uis  de  Juigné,  son  frère  aine, 
se  porta  garant.  Député  aux  États  généraux,  il  y  soutînt 
avec  one  telle  opiniâtreté  inflexible  les  privilèges  du  Clergé, 
qu'à  sa  sortie  de  l'Assemblée,  à  Versailles,  il  fut  assailli  à 
coups  de  pierres  par  ce  même  peuple  auquel  sa  charité  avait 
distribué  à  si  grands  frais  des  vivres  et  des  vêtements.  Il 
éai^a  en  89,  et  mourut  à  Paris,  le  19  mars  1811,  âgé  de 
<juatre-vingt*trois  ans.  C'est  un  des  hommes  de  bien,  un 
'«tes  prélats  vénérables  qui  aient  honoré  le  siège  de  Paris. 


iS. 


\»o 


cc 


ccvv 


m 


l.^ 


i 


t)T3CH«* 


SB 


Ï)E 


pO^ 


AGSAC  Cl> 


>Và1\l^-'""'  .  .,.-.„,.t>v« 


\a  ï)«'= 


.\,c»»f  ï^ 


«vVé.-6-»"- 


V\o  i"'* 


Uct) 


\189 


>ol  C8^ 


affrev^"" 


Aus 


a 
c 


-  :S --. 


a«  *^"'^'*  W^  ^*' 


fsatv*^ 


\an«c* 


cvv 


«ttct 


\a 


Vcffc^' 


ïa6«  ^!}:-.„e.  voV»''^  :.  (èroces     ^^  ^^  ^ 


•♦  \a'^»"  ' 


des  --;^_^.,  à  son  —    ^^rtage' 


a\t\ie  d«  \_^^^  \c  son       .^  ^.^^^^ 


tc 


ou^ 


vo\^s 


etvV 


vve 


îusaU  avec  o?      ^^„,  de  V       ^^«r  <l«a^^      •  ^  ^v« 


,1« 


»s 


ùùM*=  ::„d '^  **"  v.«tv\n» 


est  »e«v?* 


U ,  V 


\6» 


MARIE- ANTOINETTE.  iSl 


CCCCLIX 

MARIE -ANTOINETTE   A   SON   FRÈRE,   I/KMPEREUR 

JOSEPH  II  (1). 

Les  scènes  d'horreur  dont  elle  a  c'té  trnioin  lui  ôtent  la  force  d*écrire. 
—  Le  retour  de  M.  Necker  apportera  ])robaJ)hîment  la  paix. 

Ce  26  juillet  [1780]. 

Le  départ  du  courrier  me  surprend,  mon  cher  Frère  ; 
je  m*en  rapporte  à  ce  qu'il  vous  porte  de  moi.  .l'ai  à 
peine  la  force  de  vous  écrire  :  les  scènes  d'horreur  dont 
nous  avons  été  témoins  et  dont  vous  n'êtes  sûrement 
que  trop  instruit,  m'ont  navré  le  cœur,  et  je  ne  puis 
que  me  taire  sur  la  douleur  que  j'en  ressens.  Je  sou- 
haite que  le  calme  renaîtra  bientôt.  L'arrivée  de 
M.  Necker  apportera,  j'espère,  la  paix.  La  justice  et  la 
raison  de  tous  les  bons,  et  il  en  reste  encore,  mettront 
du  baume  sur  la  plaie  qu'ont  faite  les  perturbateurs. 
Mais,  hélas!  je  ne  suis  point  tranquille,  il  s'en  faut,  et 
il  est  inutile  de  vous  en  dire  les  tristes  raisons. 

J'ai  écrit  hier  a  ma  sœur  de  Naples.  Adieu;  je  vous 
embrasse  du  fond  du  cœur. 

(I)   Arcbives  impériales  de  Vienne. 


CCCCLX 

L*EMPEREUR  JOSEPH  II   A  SA  SŒUR  L'ARGHIDUCHKSSE 

MARIE-CHRISTINE  (1). 

Etonnement  qu'il  éprouve  des  affaires  tic  France  poussées  si  rapide» 
ment  à  l'extrémité.  —  On  le  lirait  dans  l'histoire  qu'on  ne  croirait 
pas  à  ce  terrible  sauve  qui  peut.  —  Ses  inquiétudes  pour  Marie- 
Antoinette,  contre  laquelle  on  e!<t  acharné. 

Le  29  juillet  1789. 

Ma  chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  lettre  par  le  courrier 
expédié  pour  porter  des  nouvelles  des  incroyables 
événements  passés  eu  France.  Trautmanstorf  a  très 
bien  fait  de  l'envoyer,  car,  jusqu'à  ce  moment,  je  ne 
scais  par  quelle  raison ,  nous  n'avons  pas  un  mot  du 
comte  Mercy,  et  par  conséquent  je  ne  scaurois  rien 
que  par  les  gazettes  et  la  voix  publique.  Il  est  incon- 
cevable conunent  tout  cela  a  pu  être  amené  à  ce  point 
sans  nécessité  et  de  libre  volonté,  et  comment  on  a  pu 
conseiller  au  Roi  un  acte  d'autorité  sans  rien  prévoir 
ni  rien  disposer  avec  les  troupes  étrangères  qui  pour- 
tant se  trouvoient  rassemblées,  et  comment  enfin  1a 
prise  de  la  Bastille  a  pu  déranger  les  tètes  à  Versaille 
au  point  a  leur  faire  perdre  tout  courage,  sauve  qui 
peut,  et  le  Roi  mené  ignominieusement  en  triomphe  à 
Paris.  Si  on  liroit  cela  dans  l'histoire,  on  ne  le  croiroit 

(i)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert 
d'Autriche. 

Ortho(praphe  conservée. 


LOUIS  XYI.  iSS 

pas.  Vos  hôtes  fugitifs  ne  vous  seront  pas,  j'espère, 
incommodes,  et  je  croîs  qu'ils  retourneront  chez  eux. 
Ils  ont  joué  un  bien  misérable  rôle.  Je  suis  vraiment 
inquiet  pour  ma  sœur,  car  je  n'en  apprends  rien ,  et 
elle  est  seule  :  toutes  ses  connoissances  se  sont  sau- 
vées et  très  innocemment.  On  étoit  très  acharné  contre 
elle,  la  croyant  antidémocratique.  Adieu.  Faisons  seu- 
lement que  cet  exemple  ne  tourne  pas  les  têtes  chez 
nous.  Je  vans  embrasse.  Ma  santé  est  meiHeure,  et  je 
c^ommence  à  reprendre  des  forces.  Croyez-moi,  de 
que  le  Prince,  pour  la  vie  votre,  etc.  (1). 


CCCGLXI 

LOUIS  XVI  A  LA  DUCHESSE  DE  POLIGNAC  (ï). 

Affectueux  souvenir. 

1789. 

Le  duc  de  Guiche  m'assure ,  madame  la  Duchesse , 

^que  la  communication  est  libre  pour  vous  écrire.  J'en 

profite  avec  empressement  pour  m'informer  de  vos 

^miouvenes ,  ainsi  que  de  tous  ceux  qui  sont  avec  vous. 

T'uissiez-vous  être  heureuse  et  tranquille!  c'est  tout  ce 

<|ue  je  désire  pour  vous  dans  ce  moment-ci,  sans  perdre 

^'autres  espérances.   Nous  nous  portons  tous   assez 

]>ien  ici.  Bonsoir,  madame  la  Duchesse,  vous  connois- 

.sez  toute  mon  amitié  pour  vous. 

Louis. 

(1)  Cet  etc.  est  de  la  main  de  l'Empereur. 
(S)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Polignac. 


84  L  EMPEREUR  JOSEPH  II. 


CCCCLXII 

L  EMPEREUR  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  LARCHIDUCHESSE 

MARIE-CHRISTINE  (1). 

On  ne  saurait  ctrc  trop  «ur  êos  garder  dans  les  Pays-Bas  contre  la 
conta(pon  du  délire  français».  —  Un  fuyer  de  réfugiés  sur  la  frontière 
du  Hainaut  est  chose  menaçante  pour  la  tranquillité  publique.  — 
Point  de  nouvelles  du  comte  de  Mercy.  —  Inquiétudes  sur  le  sort 
de  la  Reine. 

Le  aO  juillet  1789. 

Ma  chère  Sœur,  je  viens  de  recevoir  votre  chère 
lettre  avec  celle  que  le  comte  d'Artois  vous  a  écrite  et 
que  je  vous  renvoie.  Je  ne  scaurois  porter  de  jug^emcnt 
si  le  local  de  Marimont  ou  celui  que  le  ministre  vous  a 
proposé,  et  que  vous  dites  avoir  adopté  pour  son 
séjour,  soit  plus  convenable  de  l'un  ou  de  l'autre, 
puisque  ni  votre  réponse  au  comte  d'Artois  ni  le  lieu 
que  le  ministre  a  cru  devoir  préférer  n'est  exprimé  dans 
votre  chère  lettre,  il  est  sur  qu'on  ne  peut  être  assez 
sur  ses  gardes  dans  ces  moments  de  délire  en  France 
pour  que  cela  ne  devienne  contagieux,  et  il  est  sûr  que 
tous  ces  fugitives,  plus  de  considération  qu'ils  sont, 
plus  prouvent-ils  le  pouvoir  et  l'autorité  que  le  peuple 
s'est  arrogé.  Un  foyer  de  réfugiés,  mauvaise  espèce  sans 
cela ,  qui  se  rasseiublcroit  alentour  du  comte  d'Artois, 
pourroit  n'être  pas  sans  inconvénient  sur  les  frontières 

(1)  Arcbives  de  Sun  Altesse  Impériale  et  Royale  rArcbiduc  Albert 
d*Autricbe. 

OrtliO(|rapbe  conservée. 


MARIE-ANTOINETTE.  185 

et  en  Hainaut.  Je  lui  aurois  plutôt  offert  de  venir  seul 

avec  son  valet  de  chambre  chez  moi  ù  Lacken.  Ses 

enfants  s'étant  décide  à  voya{];er,  ceci  auroit  été  le  plus 

amical  et  le  moins  sujet  à  inconvénient.  Le  comte  Mercy 

n'a  pas  donné  sig[ne  de  vie  encore.  Je  ne  puis  comprendre 

ce  qui  Ten  empêche,  et  je  suis  comme  vous  fort  inquiet 

pour  la  Beine.  Adieu,  je  vous  embrasse,  de  même  que 

I  e  Prince,  de  tout  mon  cœur. 


CGCGLXIII 

MARIE- ANTOINETTE  A  LA  DUCHESSE  DE  POLIGNAC(l). 

Par  Tentremise  de  madame  de  Piennes,  elle  «^applaudit  de  pouvoir 
écrire  à  cœur  ouvert.  —  Tout  le  monde  fuit,  et  elle  n*e8t  entourée 
que  de  malheurs  et  de  malheureux.  —  Dans  sa  solitude,  elle  est 
consolée  par  ses  enfants,  qui  ne  la  quittent  pas.  —  Madame  de 
Tourzel.  —  Discrétion  dont  on  doit  user  dans  les  correspondances , 
qui  toutes  sont  ouvertes.  —  Souvenir  à  madame  de  Guiche.  — > 
Somln-e  avenir. 

Ce  12  d'août  [1789]. 

Je  n'ose  vous  écrire  qu'un  mot,  mon  cher  cœur; 
mais  je  suis  encore  bien  heureuse  de  ce  que  par 
M**  de  Pienne  (2)  je  peu  vous  parler  de  tout  mon 
amitié.  Je  ne  vous  exprime  pas  tout  mes  regrets  d'être 
séparé  de  vous  :  j'espère  que  vous  les  sentez  comme 
moi.  Ma  santé  est  assez  bonne,  quoique  nécessaire- 
ment un  peu  afToibli  par  tous  les  choquez  continuel 


(1)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Polignac.  Orthographe  conservée. 
(S)  Née  de  Montmorency. 


\ 


186  MARIE-ANTOINETTE. 

qu'elle  éprouve.  Nous  ne  sommes  entouré  que  de 
peines,  de  malheurs  et  de  malheureux,  —  sans  compter 
les  absences.  Tout  le  monde  fuie,  et  je  suis  encore  trop 
heureuse  de  penser  que  tous  ceux  qui  m'intéressent  sont 
éloigniez  de  moi.  Aussi ,  je  ne  vois  personne,  et  je  suis 
toute  la  journée  seule  chez  moi.  Mes  enfants  font  mon 
unique  ressource.  Je  les  ai  le  plus  possible  avec  moi. 
Vous  s'avez  sûrement  la  nomination  de  M'*  de  Tourzel  : 
elle  a  bien  coûte  a  mon  cœur  ;  mais  du  moment  que 
vous  aviez  donné  votre  démission,  et  que  ce  n'étoit 
plus  l'amitié  et  la  confiance  qui  présidoit  à  leurs  édu- 
cation ,  j'ai  voulu  du  moins  que  ce  fut  une  personne 
de  grande  vertu  et  qui  fut  éloigniez  par  son  état  de 
toutes  accusations  d'intrigues.  Ma  fille  et  Ernestine 
ont  été  parfaite  pour  vous,  et  par  conséquent  pour  moi. 
Pour  mon  fils,  il  est  encore  trop  petit  et  trop  étourdi 
pour  bien  sentire  une  séparation . 

Guebillon  vous  dira  de  ma  part  la  manière  de  vivre 
des  en&nts  :  je  l'en  ai  chargé  verbalement,  car  je  n*ai 
pas  osé  écrire  par  lui.  Ne  me  repondez  pas,  a  moins 
d'avoir  une  occasion  sure  ;  et  encore  n'écrivez  que  des 
choses  qu'on  puisse  lire ,  car  on  fouille  tout  le  monde 
et  rien  n'est  sure.  Je  n'écris  n'y  ne  veut  que  personne  ne 
m'écrive  par  la  poste,  quoique  je  sache  bien  que  n'y  moi 
n'y  mes  amis  ne  mandrons  jamais  de  mal  ;  mais  je  ne 
veut  pas  qu'on  puisse  dire  que  je  reçois  des  lettres ,  et 
qu'après  cela  on  en  compose.  Dites  bien  des  choses 
pour  moi  à  M'  de  Polignac.  J'embrasse  M'*  de  Guiche. 
Dites-lui ,  je  vous  prie ,  que  ne  pouvant  la  voir,  j'ai  au 
moins  embrassé  de  bien  bon  cœur  son  petit  garçon, 
il  y  a  quelque  jours,  sur  la  terrasse.  Je  n'écris  pas  a 


MARIE. ANTOINETTE.  187 

mon  frère  (1),  parce  que  je  compte  qu'il  n'est  plus  arec 
vous.  Il  est  bien  essentiel  pour  vous  tous  qu'il  reste  peu, 
clans  ce  moment,  en  Suisse.  Une  fois  établi  a  Turin,  il 
ira  TOUS  voir  quant  et  comme  il  voudra.  Il  est  bien 
essentiel  aussi  qu'il  mande  promptement  a  sa  femme 
de  venir  a  Turin.  Elle  le  désire  beaucoup,  et  c'est  le 
seul  endroit  ou  elle  puisse  être  décemment  pendant 
que  ses  enfants  et  son  mary  ne  sont  pas  icy,  et  qu'on 
réforme  toutes  leurs  maison.  Adieu,  mon  cher  cœur. 
Je  ne  vous  parle  point  d'affaire  :  elles  ne  seroit  qu'af- 
fligeant pour  toutes  deux.  Enfin ,  il  faut  espérer  qu'un 
Jour  le  calme  renaitera;  mais  le  bonheur  du  Roy  et  le 
mien,  par  conséquent,  existant  dans  la  prospérité  de 
son  royaume  et  le  bonheure  de  tous  ses  sujets  depuis  le 
plus  grand  jusqu'au  plus  petit,  nous  sommes  encore  bien 
loin  de  la  tranquillité.  Pour  moi,  mou  cher  coeur»  la 
mienne  ne  sera  parfaite  que  quant  on  vous  aura  rendu 
justice  et  qu'on  reconnoitra  la  pureté  de  votre  cœur. 
Ne  doutez  jamais  de  ma  tendre  amitié  :  elle  est  à  vous 
jusqu'à  la  mort. 

P.  S.  Ecrivez  quelquefois  a  M***  de  Mackau;  je  s'aurai 
du  moyens  de  vos  nouvelles. 


Le  3  août  1789,  M.  Champion  de  Cicé,  archevêque  de 
Bordeaux ,  avait  été  nommé  garde  des  sceaux ,  à  la  place  de 
M.  de  Barentin.  Le  comle  de  La  Tour  du  Pin  avait  rem- 
placé M.  de  Puységur  au  département  de  la  Guerre;  et  le 

(1)  Le  comte  d'ArtoU. 


188  MADAME   ELISABETH. 

comte  de  Saint-Priest,  M.  de  Villedeuil,  à  la  Maison  du  Roî. 
Le  4,  avait  eu  lieu  la  fameuse  séance  de  nuit  dans  laquelle 
les  élans  patriotiques  des  membres  de  TAssemblée  Nationale 
s'étaient  confondus  dans  un  seul  et  môme  sentiment,  celui 
du  bien  public,  et  où  les  ordres  privilég^iés  avaient  rivalisé 
de  g^énéreux  sacrifices. 

Le  12,  TAssemblée  décidait,  dans  les  bureaux,  que  chacun 
de  ses  membres  recevrait  une  indemnité  de  dix-huit  livres 
par  jour. 


CCCCLXIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

La  garde  bourgeoise  de  Versailles  n*est  point;  encore  habillée.  — >  Elle 
demande  des  troupes  à  cheval  pour  Taider  dans  son  senrice.  —  Le 
peuple,  Icfï  croyant  trop  nombreuses,  s'oppose  d'abord  à  leur  entrée. 
—  Vive  le  Roi,  point  de  dragons!  —  Le  lendemain,  on  les  amène 
en  triomphe.  —  Premier  serment  prêté  en  présence  des  ofKciers 
municipaux.  —  L'Assemblée  Nationale  n'est  point  encore  décidée 
pour  les  droits  de  l'homme.  —  La  milice  de  Paris  doit  venir 
complimenter  le  Roi,  le  jour  de  la  Saint- Louis.  —  A  Cacn, 
querelle  entre  le  régiment  de  Bourbon  et  des  soldats  du  régiment 
d'Artois.  —  Assassinat  du  comte  Henri  de  Belzunce.  —  Le  régi- 
ment de  Bourbon  est  chassé  de  la  ville*  —  Les  gardes  du  corps 
s'ennuient  de   leur  discipline. 

[Versailles],  ce '20  août  1789. 

Bonjour,  ma  Bombelinette,  comment  te  portes-tu  à 
Stuttgard?  le  petit  baron  a-t-il  bien  soin  de  toi?  Nous 
n'avons  pas  encore  de  nouvelles  de  ton  arrivée,  et  cela 
manque  h  notre  parfaite  tranquillité.  Celles  que  tu  m'as 
données  de  Luxembourg  m'ont  fait  un  bien  grand  plai- 


MADAME  ELISABETH.  180 

Sir.  Tu  mandes  à  ta  mère  qu'Henri  ne  te  fait  plus  autant 
souffrir  ;  je  commence  d'après  cela  à  le  croire  un  enfant 
charmant.   Notre  physique  est  toujours  en  bon  état; 
mais  le  moral  est  dans  la  même  position  où  tu  Tas  laissé. 
La  garde  bourgeoise  de  Paris  va  être  bientôt  habillée  ; 
on  dit  qu'ils  sont  enchantés  de  leurs  nouveaux  vête- 
ments. Celle  de  Versailles  est  encore  dans  la  plus  par- 
faite bigamire.  Ils  ont  demandé  des  troupes  à  cheval, 
parce  qu'ils  sont  sur  les  dents  de  tout  le  chemin  qu'ils 
ont  été  obligés  de  faire  pour  aller  chercher  de  la  farine. 
Ite  peuple  s'est  persuadé  qu'au  lieu  de  cent  hommes,  il 
y  en  avoit  six  mille  et  plus.  En  conséquence,  il  n'en 
^ouloit  point.  Si  bien  que  ces  malheureux,  qui  étoient 
^n  marche  depuis  quatre  heures  du  matin,  ont  étéobli- 
çjés  à  neuf  heures  du  soir  de  se  retirer  au  grand  Trianon, 
où  on  leur  a  apporté  de  quoi  manger.  Le  lendemain , 
mIs  ont  été  reçus  à  merveille  :  la  milice  bourgeoise  et  la 
vnunicipalité  ont  été  les  chercher;  on  les  a  amenés  en 
triomphe  dans  la  Place  d'Armes,  où  on  leur  a  fait  prêter 
le  nouveau  serment  de  fidélité  à  la  Nation,  au  Roi  et  à  la 
IjOÎ.  C'est  le  premier  qui  ait  été  porté  en  présence  des 
«)fficiers  municipaux.  Ils  sont  à  présent  tous  bons  amis. 
Le  Roi  a  passé  au  milieu  de  la  bagarre  le  jour  qu'ils  ne 
A'ouloient  point  de  dragons  ;  ils  se  sont  mis  a  crier  :  Vive 
le  Roi  !  point  de  dragons  !  A  l'Assemblée  Nationale,  on 
n'est  pas  encore  décidé  pour  les  droits  de  l'homme  (1). 
^ï.  de  Clermont  espéroit  que  la  Constitution  seroit  finie 


(1)  C'est  le  jour  même  où  la  Princesse  écrivait  cette  lettre,  le 
20  août,  que  le  préambule  et  les  premiers  articles  <le  la  Déclaration 
«les  droits  de  Thomme  furent  décrétés. 


190  xMADAME  ELISABETH. 

pendant  sa  présidence;  je  l'aurais  voulu,  buhs  je  ne 
crois  pas  que  cela  soit.  On  dit  que  la  milice  de  Paris 
viendra  complimenter  le  Roi  le  jour  de  la  Saint-Loviis. 
Je  te  manderai  si  cela  a  lieu. 

A  Caen ,  il  y  a  eu  une  querelle  entre  le  régiment  de 
Bourbon,  dont  le  comte  Henri  deBelzunce  étoit  major  en 
second,  et  deux  soldats  de  celui  d'Artois  qui  avoient  une 
plaque  où  étoit  écrit  Vive  le  Roi  et  la  liberté  !  que  ceux  de 
Bourbon  a  [ont]  arrachée.  On  a  accusé  M.  de  Belzunce 
d*en  avoir  donné  Tordre;  il  s'étoit  mis  de  lui-même  en 
prison  pour  prouver  le  contraire.  Mais  dans  l'instant  où 
on  le  menoit  à  la  prison  de  l'hôtel  de  ville,  il  a  reçu,  ditr 
on,  dix-sept  coups  de  fusil,  et  on  lui  a  coupé  la  tète  avant 
qu'il  fut  expiré  (1).  Le  calme  a  reparu  dans  la  ville;  le 
duc  d'Harcourt  est  toujours  gardé  à  vue,  le  Régiment 
a  été  chassé  de  la  ville  :  on  ne  vouloit  le  recevoir  nulle 
part;  mais,  sur  la  demande  de  Caen ,  il  l'a  pourtant  été 
à  Lisieux.  Si  la  petite  ne  sait  pas  tous  ces  détails,  ne  lui 
en  parle  pas,  à  cause  de  ses  tantes.  Le  Béarn,  le  Yiva- 
rais,  et,  je  crois,  l'Artois,  ont  déclaré  qu'ils  ne  recon-* 
noissoient  que  le  Roi  ;  que  si,  dans  ce  moment,  il  n'étoit 
pas  assez  puissant  pour  les  gouverner ,  ils  se  gardoient 
pour  celui  où  il  pourroit  les  commander.  Les  gardes  du 
corps,  ennuyés  apparemment  de  leur  discipline,  ont 
présenté  hier  un  mémoire. 


(1)  On  déploya  contre  ce  loyal  et  brave  jeune  homme  une  férocité 
étrange  :  son  corps  fut  mutilé  et  l'on  alla  jusqu'à  manger  des  lambeaux 
de  son  cadavre,  comme  jadis  on  avait  mangé  du  maréchal  d* Autre, 
comme  chez  les  flegmatiques  Hollandais  on  avait  mangé  du  grand 
citoyen  de  Witt. 


LOUIS   XVI.  191 


Le  23  août  1789,  l'Assemblée  décrétait  la  liberté  des  opinions 
religieuses. 

Le  27,  un  emprunt  national  de  quatre-ving^ts  millions  était 
arrêté. 

Le  30,  un  rassemblement  d'émcutiers  envoyait  une  dépu- 
tation,  qui  avait  à  sa  tête  le  marquis  de  Saint-Huruge,  pour 
porter  à  TAssemblée  Nationale  un  vœu  contre  Tadoption  du 
veto.  La  députation,  improuvée  par  la  municipalité  de  Paris, 
était  dissipée,  et  Saint-Huruçe  était  arrêté  avec  quelques 
autres  exaltés. 

Enfin,  le  31,  une  ordonnance  du  Roi  supprimait  le  Téçi^ 
ment  des  ^rdes  françaises. 


CCCGLXV 

LE  ROI  A  MONSIEUR  F.  J.  DE  PARTZ  DE  PRESSY, 
ÉVÊQUE  DE  BOULOGNE  (1). 


lU  de  la  lituatiim  de  la  France  désolée  par  les  troubles,  les 
désordres  et  les  violences.  —  Le  Roi  conjure  l'évêque  d'implorer  les 
secours  de  la  divine  Providence  et  d'exhorter  le  peuple  à  Tobéissance. 


Septembre  1789. 

Mens.  rÉvéque  de  BouIog[ne,  vous  connoissez  les 

troubles  qui  désolent  mon  royaume  ;  tous  savez  que , 

"^ans  plusieurs  provinces,   des  brigands  et  des  gens 

^^dans  aveu  s'y  sont  répandus,  et  que  non  contents  de  se 

livrer  eux-mêmes  à  toutes  sortes  d'excès ,  ils  sont  par- 

(f)   Ardiîves  générales  de  TEmpire.    Cette   lettre,  rédigée  par  le 
Ministre,  est  corrigée  de  la  main  dn  Roi. 


192  LOUIS   XVI. 

venus  à  soulever  Tesprit  des  habitants  des  campagnes; 
et  portant  l'audace  jusqu'à  contrefaire  mes  ordres,  jus- 
qu'à répandre  de  faux  arrêts  de  mon  Conseil,  ils  ont 
persuadé  qu'on  exécuteroit  ma  volonté  ou  qu'on  répon- 
droit  à  mes  intentions  en  attaquant  les  châteaux  et  en 
y  détruisant  les  archives  et  les  divers  titres  de  pro- 
priété. C'est  ainsi  qu'au  nom  du  souverain,  le  protec- 
teur-né de  la  justice,  et  au  nom  d'un  monarque  qui,  je 
puis  le  dire,  s'en  est  montré  le  constant  défenseur  pen- 
dant son  règne,  on  n'a  pas  craint  d'exciter  le  peuple  à 
des  excès  que  les  plus  tyranniques  oppresseurs  auroient 
craint  d'avouer.  Enfin,  pour  augmenter  la  confusion 
et  réunir  tous  les  malheurs,  une  contrebande  soutenue 
à  main  armée  détruit  avec  un  progrès  effrayant  les 
revenus  de  l'Etat  et  tarit  les  ressources  destinées  ou  au 
payement  des  dettes  les  plus  légitimes,  ou  à  la  solde 
des  troupes  de  terre  et  de  mer,  ou  aux  diverses  dépenses 
qu'exige  la  sûreté  publique. 

Ce  n'est  pas  tout  encore,  un  nouveau  genre  de  cala- 
mités a  pénétré  mon  àme  de  la  plus  sensible  affliction  ; 
mon  peuple,  renommé  par  la  douceur  de  ses  mœurs  et 
de  son  caractère,  mon  peuple,  dans  quelques  endroits, 
heureusement  en  petit  nombre,  s'est  permis  d'être  l'ar- 
bitre et  l'exécuteur  de  condamnations  que  les  déposi- 
taires des  lois,  après  s'être  livrés  au  plus  mûr  examen, 
ne  déterminent  jamais  sans  une  secrète  émotion. 

Tant  de  maux,  tant  d'afHictions  ont  oppressé  mon 
âme,  et  après  avoir  employé,  de  concert  avec  FAssem- 
blée  Nationale,  tous  les  moyens  qui  restent  en  mon 
pouvoir  pour  arrêter  le  cours  de  ces  désordres ,  averti 
par  l'expérience  des  bornes  de  la  sagesse  humaine,  je 


LOUIS   XVI.  198 

veux  implorer  publiquement  le  secours  de  la  divine 
Providence ,  espérant  que  les  vœux  de  tout  un  peuple 
toucheront  un  Dieu  de  bonté  et  attireront  sur  ce  royaume 
les  bénédictions  dont  il  a  tant  besoin.  La  beauté  des 
moissons  dans  la  plus  g[rande  partie  du  royaume,  ce 
bienfait  devenu  si  nécessaire  et  si  précieux,   semble 
annoncer  que  la  protection  du  ciel  ne  nous  est  pas 
encore  retirée,  et  nous  aurons  ainsi  des  actions  de  grâces 
à  joindre  à  nos  prières.  Accompagnez  ces  prières  des 
exhortations  les  plus  pressantes,  faites  sentir  au  peuple, 
faites  sentir  à  tous  mes  sujets  que  la  prospérité  de  l'État, 
que  le  bonheur  des  particuliers  dépendent  essentielle- 
ment de  l'exacte  observation  des  lois.  La  violence  ne 
peut  jouir  qu'un  moment  de  ses  succès  et  de  ses  prospe- 
ctés criminelles  ;  on  s'élève  bientôt  de  toute  part  contre 
«elle,  et  les  hommes  qui  rompent  le  pacte  social,  ce  fon- 
dement de  la  tranquillité  publique,  en  reçoivent  tôt  ou 
^ard  la  peine  inévitable. 

Nulle  part  les  fortunes  ne  sont  égales,  et  elles  ne 
peuvent  pas  l'être  ;  mais  quand  les  riches  vivent  sans 
défiance  au  milieu  de  ceux  qui  le  sont  moins,  leur  super- 
^u  se  reverse  nécessairement  sur  l'industrie ,  le  com- 
lanerce  et  l'agriculture  ;  et  comme  leurs  jouissances  sont 
l>omées  par  les  lois  immuables  de  la  Providence ,  sou- 
vent ils  sont  moins  heureux  que  ceux  dont  la  vie,  occu- 
pe par  le  travail,  se  trouve  à  l'abri  du  tumulte  des 
passions.  Mais  ce  que  vous  devez  surtout  rappeler  à 
mes  sujets ,  c'est  qu'en  rassemblant  autour  de  moi  les 
représentants  de  la  Nation,  j'ai  eu  principalement  à 
cœur  d'adoucir  le  sort  du  peuple  par  toutes  les  dispo* 
sitions  qui  me  paroitroient  pouvoir  se  concilier  avec 

TOMR   III.  13 


194  LOUIS   XYI. 

les  devoirs  de  la  justice.  Déjà  par  un  même  esprit,  les 
prélats,  les  seigneurs,  les  gentilshommes,  les  hommes 
riches  de  tout  état,  se  disputent  a  Tenvi  les  moyens  de 
rendre  le  peuple  plus  heureux  ;  et  pour  atteindre  ce  but, 
ils  offrent  des  sacrifices  qu'on  n'auroit  pas  eu  le  droit 
d'exiger  d'eux.  Exhortez  donc  tous  mes  sujets  à  attendre 
avec  tranquillité  le  succès  de  ces  dispositions  patrio- 
tiques; éloignez-les,  détournez-les  d'en  troubler  le 
coups  par  des  insurrections  propres  à  décourager  tous 
les  gens  de  bien.  Que  le  peuple  se  confie  à  ma  pro- 
tection et  à  mon  amour;  quand  tout  le  monde  l'aban- 
donneroit,  je  veillerois  sur  lui.  Mais  jamais  dans  aucun 
temps  il  n'y  a  eu  en  sa  faveur  un  concours  plus  géné- 
ral de  volontés  et  d'affections  de  la  part  de  tous  les 
ordres  de  la  société.  Exhortez-le  donc,  au  nom  de  la 
religion,  à  être  reconnoissant  et  à  montrer  ce  sentiment 
par  son  obéissance  aux  lois  de  la  justice;  avertissez, 
instruisez  ce  bon  peuple  des  pièges  des  méchants ,  afin 
qu'il  rejette  loin  de  lui,  comme  des  ennemis  de  la  patrie, 
tous  ceux  qui  voudroient  l'induire  à  des  actes  de  vio- 
lence, tous  ceux  qui  voudroient  le  détourner  de  payer 
sa  part  des  charges  pubUques  et  le  priver  ainsi  de  l'ho- 
norable qualité  de  citoyen  de  l'État. 

Les  divers  impôts  qui  composent  les  revenus  publics 
seront  examinés  dans  le  cours  de  l'Assemblée  natio- 
nale ;  ceux  qui  paroftront  trop  onéreux  seront  rempla- 
cés par  d'autres,  et  tous  seront  adoucis  successivement 
par  le  ménagement  et  la  régularité  des  perceptions; 
mais  jusqu'à  l'époque  prochaine  où  les  affaires  seront 
arrangées,  tous  mes  sujets  ont  un  égal  intérêt  au  main- 
tien de  l'ordre  ;  car  la  confusion  entraîne  la  confusion, 


LOUIS  XVI.  195 

et  souvent  alors  la  sagesse  des  hommes  est  impuissante 
pour  remédier  à  la  grandeur  des  maux,  et  pour  arrêter 
le  progrès  des  inimitiés  et  des  défiances  mutuelles. 
Je  ferai  pour  le  rétablissement  de  Tordre  dans  les 
finances  tous  les  abandons  personnels  qui  seront  jugés 
nécessaires  ou  convenables;  car,  non  pas  seulement 
aux  dépens  de  la  pompe  ou  des  plaisirs  du  trône, 
qui  depuis  quelque  temps  se  sont  changés  pour  moi  en 
amertumes,  mais  par  de  plus  grands  sacrifices,  je  vou- 
drois  pouvoir  rendre  à  mes  sujets  le  repos  et  le  bonheur. 
Venez  donc  à  mon  aide,  venez  au  secours  de  l'État  par 
vos  exhortations  et  par  vos  prières;  je  vous  y  invite 
avec  instance,  et  je  compte  sur  votre  zèle  et  sur  votre 
obéissance.  Sur  ce,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  ait, 
mons.  l'Évéque  de  Boulogne,  en  sa  sainte  garde. 
Écrit  à  Versailles,  le  3  septembre  1789. 

Louis. 


13. 


196  MADAME  ELISABETH. 


CCCCLXVI 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Le  Duc  d'Orléans  est  parti  pour  i*  Angleterre.  —  La  Princesse  se  loae 
beaucoup  de  la  milice.  —  Tout  est  pour  le  mieux. 

Ce  20  octobre  [1789]. 

Vous  devez  avoir  reçu  ma  lettre,  ma  petite;  depuis 
que  je  t'ai  écrit,  tout  est  assez  tranquille;  M.  le  d.  d. 
est  parti  pour  TAngleterre ,  il  a  été  arrêté  à  Boulogne, 
mais  je  crois  qu'à  présent  il  doit  être  passé  (1).  Nous  nous 
portons  tous  bien,  à  commencer  par  la  Princesse,  qui 
ne  vous  écrira  qu'un  tout  petit  mot,  parce  qu'elle  va 
arpenter  le  jardin,  où  elle  n'a  pas  encore  mis  les  pieds 
depuis  qu'elle  est  ici  ;  il  fait  un  temps  superbe ,  et  elle 
va  en  profiter.  Adieu,  mon  cœur;  comment  va  tous  les 
enfants,  et  puis  vous,  votre  lait  n'a-t-il  pas  un  peu 
tourné  pendant  quelques  jours?  Ménagez-vous  bien.  Je 
vous  dis  vrai  en  vous  disant  que  nous  sommes  bien  ici  ;. 
tout  y  est  tranquille ,  beaucoup  d'ordre ,  de  soin  de  la 
part  de  la  milice ,  enfin  tout  est  pour  le  mieux.  Adieu, 
ma  petite ,  je  t'embrasse  et  t'aime  de  tout  mon  cœur. 


(i)  Le  Duc  d*Oriéans  était  parti  depuis  le  14  octobre,  sous  le  pré- 
texte d*une  commission  particulière  du  Roi. 


LÉOPOLD,  DEPUIS   EMPEREUR.  197 


GCCCLXVII 

L'ARCHIDUC  GRAND -DUC  DE  TOSCANE  LÉOPOLD, 

DEPUIS  EMPEREUR,   A  SA   SOEUR  MARIE-CHRISTINE, 

GOUVERNANTE  DES  PAYS-BAS  (1). 

Il  se  réjouit  des  succès  remportés  par  TAutriche  sur  les  Turcs.  —  Les 
nouvelles  de  la  France  font  frémir.  —  Il  est  indi(rné  de  l'inconce* 
vable  faiblesse  de  Louis  XVI,  dont  il  redoute  les  conséquences  pour 
la  Reine.  ~—  Il  se  refuse  à  croire  à  la  gravité  de  la  situation  aux 
Pays-Bas.  —  Il  y  blâme  Temploi  de  la  force,  et  pense  qu'il  serait 
mieux  de  remonter  aux  causes  du  mécontentement  pour  les  faire 
disparaître. 

[De  Florence,  le  27  octobre  1789.] 

Très -chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre  de 
l'onze  de  ce  mois,  et  l'ai  très-bien  pu  lire.  D'abord, 
permettez  que  je  me  réjouisse  avec  vous  des  succès 
multipliés  contre  les  Turcs,  de  leurs  défaites  réitérées 
et  de  la  prise  de  Belgrade,  qui  aura  encore,  je  me  flatte, 
d'autres  bonnes  suites,  et  cet  hiver  la  paix.  Les  nou- 
velles de  France  font  frémir  ;  ce  qui  est  arrivé  à  Ver- 
^îlles  dernièrement  sous  les  fenêtres  du   Roi,  et  le 
transport  de  Leurs  Majestés  à  Paris,  est  sans  exemple 
et  aura  des  suites  incalculables  dont  la  moindre  sera  la 
guerre  civile.  Il  est  inconcevable  comment  Leurs  Ma- 
jestés n'ont  pas  Jenti  l'imprudence  d'aller  au  dîner  des 
gardes  du  corps  et  de  s'imposer  à  une  scène  pareille, 
et  comment  ensuite ,  au  moment  de  l'attaque  de  Ver- 
sailles, le  Roi  ne  s'est  pas  fait  plutôt  tuer  que  de  céder, 

(i)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'ArcLiduc  Albert 
d'Autriche. 


198  LÉOPOLD,  DEPUIS   EMPEREUR. 

casser  et  sacrifier  ceux  qui  l'avoient  défendu.  Il  fîaut 
avoir  le  sang  d*eau  claire,  les  nerfs  d'étoupe  et  rame 
de  coton  pour  se  conduire  de  cette  façon.  J'en  suis 
indigné  et  ne  plains  que  la  Reine,  car  j'ai  un  pressen- 
timent qu'on  finira  par  l'enfermer. 

Les  nouvelles  que  vous  me  marquez  de  chez  vous 
sont  singulières.  On  parle  de  révolte,  de  troupes  hol- 
landoises  qui  s'approchent,  d'États  de  Flandre  assem- 
blés à  Bréda ,  de  secours  demandés  par  les  États  en 
France  et  en  Hollande.  Je  ne  crois  pas  tout  cela  :  j'es- 
père et  me  flatte  qu'on  restera  tranquille  chez  vous; 
mais  je  ne  comprends  point  pourquoi,  dans  le  moment 
présent,  on  veut  envoyer  des  troupes  pour  violer  les 
territoires  liégeois  et  hollandois;  je  me  flatte  qu'on  ne 
l'aura  que  menacé  et  qu'on  n'en  fera  rien ,  car,  dans 
le  moment  présent,  ce  seroit  le  comble  de  Timpru- 
dence,  car  il  ne  vaut  pas  la  peine  d*y  aller  chercher 
quelques  mécontents ,  et  si  leur  nombre  est  grand ,  il 
seroit  plus  utile  d'aviser  aux  causes  de  leur  méconten- 
tement et  de  les  changer.  Je  vous  embrasse  tendre- 
ment et  suis. 


MARIE- ANTOINETTE.  199 


CCCCLXVIII 

MABIE-ANTOINETTE 
AU  GÉNÉRAL  BARON  DE  FLACHSLANDEN  (1). 

-Craelles  alarmes  de  la  Reine  après  la  nuit  des  5  et  6  octobre.  — -  Elle 
redoute  les  mouvements  qui  s'opèrent  en  Alsace  et  les  récrimina- 
tions que  les  malintentionnés  Tont  tourner  contre  elle.  —  Dessein 
de  le  renfermer  absolument  dans  son  intérieur  et  de  se  faire  oublier. 
—  Elle  ne  veut  prendre  aucune  part  au  choix  des  nouveaux  mi- 
nistres. -~  Demande  de  conseils. 

Le  mercredi  28  [octobre  1789]. 

Je  suis  bien  inquiette  de  ce  qui  se  passe  en  Alsace , 
^t  je  vous  prirai,  M'  le  baron,  de  m'en  donner  des 
nouveUes  par  la  même  voye  par  laquelle  vous  recevrez 
ma  lettre  ou  par  toute  autre  que  la  personne  vous  indi- 
quera, je  crains  pour  moi  personnellement,  tous  les 
mouvements  de  cette  province,  quelque  chose  qui 
arrive,  ont  persuadera  au  peuple  d'icy,  que  c'est  des 
allemands,  et  que  par  consequant  j'y  suis  pour  beau- 
coup. TOUS  trouverez  peut-être  de  la  purilité  dans  mes 
craintes;  mais  j'ai  besoin  d'une  circonspection  et  d'mie 

(1)  Autographe.  —  Orthographe  conservée.  —  Bibliothèque  royale 
de  Berlin»  Collection  du  général  de  Radowitz.  Cette  lettre  avait  été 
donnée  an  général  par  le  baron  de  Malzen.  Dans  le  catalogue  de  la 
collection  Radowitz,  elle  est  portée  comme  écrite  du  Temple;  erreur 
qui  saute  aux  yeux,  quand  on  a  lu  le  rappel  que  fait  la  Reine  de  la 
nuit  du  5  (octobre  1789)  comme  d*un  événement  récent.  En  outre, 
est-ce  que  la  Reine  aurait  parlé  d'influence  à  exercer  sur  le  choix  des 
ministres,  alors  qu'elle  était  prisonnière  et  entourée  de  féroces  geô- 
liers? On  n'a  d'elle  du  Temple  que  de  très-petits  billets  qu'elle  faisait 
échapper  avec  peine  à  la  stricte  surveillance  exercée  5ur  sa  personne. 


200  MARIE- ANTOINETTE. 

prudence  audessû  de  tout  pour  rammener  la  confiance 
en  moi.  mon  rôle  a  présent  est  de  me  renfermer  abso- 
lument dans  mon  intérieure ,  et  de  tacher  par  une 
inaction  totale  a  faire  oublier  toute  impression  sur 
moi,  en  ne  leurs  laissant  que  celle  de  mon  courage  qu'ils 
ont  si  bien  éprouvé  et  qui  s'aura  leurs  en  imposer  dans 
l'occasion,  je  ne  dois  donc  n'avoir  aucune  influence 
marqué  n'y  dans  le  choix  des  personnes  a  placer  n'y 
dans  les  affaires,  mais  on  parle  de  tant  de  manière 
différentes,  sur  tous  ces  objets ,  que  je  voudrois  pour 
moi  seule  avoir  des  idées  fixe  et  arrêté,  je  vous  prirai 
donc,  M*"  le  baron,  de  me  mander  vos  opinions,  vous 
devez  compter  sur  le  plus  grand  secret,  votre  caractr, 
votre  esprit,  et  votre  loyauté,  m'assurent  du  votre,  il 
serait  bien  a  désirer,  que  tout  te  monde  pensa  comme 
vous,  et  qu'en  voulant  le  bien  même,  ont  eut  autant  de 
prudence,  nous  n'en  serions  peut  être  pas  aujourd'hui 
ou  nous  en  sommes,  mais  le  mat  est  fait,  la  position 
est  affreuse,  il  faut  s'avoir  s'en  tirer,  non  avec  des 
moyens  violents,  ils  manqueroit  tous,  nous  ne  sommes 
pas  les  plus  forts,  mais  avec  une  suite  et  une  constance 
d'jdée  et  de  marche ,  qui  déjoue  tous  projets  de  mal. 
la  nécessité  obligera  peut-être  a  ce  servire  de  per- 
sonnes  je  suis  interrompu  :  on  m'apporte  l'arrêtée 

d'aujourd'hui  :  il  couronne  tous  ce  qu'on  a  fait  jus- 
qu'icy  (1).  mais  quel  peut  être  le  but  de  tout  cecy? 
est-ce  pour  prouver  que  les  personnes  qui  vissent  aux 


(i)  La  suspension  provisoire  des  vœux  monastiques.  Le  2  du  moiê 
suivant ,  les  biens  du  clergé  furent  mis  à  la  disposition  de  la  nation , 
et  toute  distinction  d'ordres  de  citoyens  dans  l'État  fut  abolie. 


MARIE-AKTOrMETTE.  SOI 

ministère,  sont  bien  intentionnée  et  qu'elles  veulent  le 
bien?  assurément  ils  auront  peine  a  le  persuader  de 
cette  manière;  ou  est-ce  pour  effrayer  et  forcer  de 
les  prendres?  je  me  perd  dans  les  conjectures,  c'est  a 
TOUS ,  H'  le  baroD ,  qui  etez  plus  porté  a  les  pouvoir 
ju{[er,  a  m'eclairer.  Il  est  toujours  bien  essentiel  pour 
moi,  qu'en  persuadent  bien  au  public,  que  je  ne  dirige 
pas  les  choix,  qu'on  fera  peut-être  [que]  c'est  personnes 
la  ne  croyent  point  y  être  venu  absolument  contre  ma 
-volonté.  Si  M' l'arch.  de  toulouse  avoit  ete  icy,  je  vous 
auroîs  épargné  tous  ce  bavardage,  je  connois  votre 
amitié  pour  lui ,  et  que  vous  avez  la  même  manière  de 
penser;  mais  j'ai  besoin  d'avoir  quelqu'un,  qui  me 
conseil,  non  pas  po,ur  faire  la  moindre  chose,  — je  ne 
le  peu  pas  pour  mil  raisons,  —  mais  pour  régler  mes 
jdées  ,dsns  ma  tête,  je  m'adresse  a  vous ,  M' le  baron , 
avec  ta  confiance  que  votre  caractère  ma  toujours 
inspiré,  je  vous  prie  de  brûler  ma  lettre  tout  de  suite, 
j'en  ferai  autant  pour  la  votre;  et  si  vous  venez  chez 
moi,  je  n'aurai  pas  l'air  de  vous  parler  plus  qu'aux 
autres  (I).  prudence,  patience  sont  mon  sort,  surtout 
courage,  et  je  vous  assure  qu'il  en  faut  bien  d'avantage 
pour  supporter  les  peines  de  tous  les  jours  que  les  dan- 
gers de  la  nuit  du  5.  Recevez  les  assurances  de  toute 
mon  estime. 

Ce  mercredy  a  6  h.  du  soir. 


(I)  •  Si  TOUS  venez  chez  moi.  •  Comment  en  lisant  de  pareille* 
parole!  a-l-on  pu  supposer  ([o'elles  fua«enl  ccrile»  du  Templeî  Eit-ce 
qae  riaforiuaée  Reine  y  tenait  cercle? 


20Î        SUITES  DE  LA  NUIT  DES  5  ET  6  OCTOBRE. 


Les  journées  des  5  et  6  octobre  1789,  dont  Marie- Antoinette 
rappelle  la  nuit  sinistre,  étaient,  nous  persistons  à  le  croire, 
émanées  de  la  spontanéité  du  peuple  ;  et  s'il  s'y  est  mêlé  des 
hommes  déguisés  en  femmes ,  des  sicaires  et  des  ag^ents  sti- 
pendiés ou  corrupteurs,  c'étaient  de  ces  ennemis  publics,  de 
ces  fauteurs  de  désordre,  de  violence  et  de  crime,  qui  sont 
à  l'affût  de  toutes  les  occasions  pour  confisquer  les  événe- 
ments au  profit  de  leurs  propres  actions  on  de  celles  qui  les 
payent. 

En  effet,  du  milieu  de  cette  foule  hurlante  qui  demandait 
du  pain  et  s'enivrait  de  sa  propre  fureur,  des  inconnus 
à  visage  sombre  s'agitaient,  circulaient  dans  les  rangs, 
recommandant  de  «  bien  faire  ».  «  11  ne  faut  épargner, 
criait-on ,  que  Monsieur,  le  Dauphin  et  le  duc  d'Orléans.  » 
Deux  brigands,  dont  un  déguisé  en  femme,  s'étaient  glissés 
dans  le  palais  pour  assassiner  la  Reine,  et  avaient  lutté  corps 
à  corps  avec  un  garde  courageux  qui  défendait  l'entrée  de 
l'appartement  royal.  Dans  les  cours,  des  cris  effrayants  se 
croisaient,  des  cris  de  confusion,  de  tumulte  et  de  meurtre; 
et  ce  mot  fut  entendu  :  Nous  voulons  la  peau  de  la  Reine 
pour  en  faire  des  rubans  de  district!  Enfin,  quand,  après  de 
terribles  péripéties,  il  fut  décidé  que  le  Roi  et  sa  famille 
iraient  à  Paris  :  u  Nous  les  tenons,  disaient  les  gens  du 
peuple  :  nous  ramenons  le  boulanger,  la  boulangère  et  le 
petit  mitron  :  l'abondance  va  renaître.  » 

Cette  installation  de  la  famille  royale  â  Paris  ayant  coupé 
court  aux  intrigues  et  aux  complots,  l'abondance  des  subsi^ 
tances  avait  en  effet  reparu,  et  l'on  eût  dit,  à  juger  par  la  joie 
publique,  que  la  révolution  était  terminée.  C'était  à  peine 
une  trêve,  et  l'on  vit  alors  les  chefs  du  parti  contre-révolu- 
tionnaire, Mounier  et  Lally-Tollendal,  abandonner  l'Assem- 
blée, au  lieu  d'y  demeurer  pour  tenir  tête  à  la  tempête. 

La  Reine  avait  montré  le  plus  héroïque  courage  dans  ces 
journées  formidables  où  avait  sauté  la  mine  creusée  sous 
le  trône  par  l'imprudente  réunion  des  Notables ,  des  Ëtats 
généraux,  et  de  l'Assemblée  qui  devait  en  être  la  suite. 


SUITES  DE  LA  NUIT  DES  IS   ET  6  OCTOBRE.         S03 

• 

Il  se  trouvait  cependant*  d'honnêtes  niais  qui  en  faisaient 
Tapoloçie,  tandis  que  d'autres  désertaient  le  combat.  Du  seîn 
du  Ëimeux  cercle  Breton  démembré  sortirent  des  clubs 
rivaux.  La  partie  la  plus  avancée  jeta  les  bases  de  ce  redou- 
table club  des  Jacobins,  où  régna  Robespierre,  où  la  Mon- 
tagne affecta  la  toute-puissance.  Naquit,  au  souffle  timide 
des  plus  modérés,  le  club  de  89,  qui  bientôt  alla  se  fondre 
dans  celui  des  Feuillants,  dont  firent  partie  La  Fayette, 
Baillj,  Duport  et  les  Lameth.  Mais  dans  la  tourmente  d'une 
révolution  sortie  de  la  démocratie,  les  plus  violents  finissent 
toujours  par  l'emporter.  Aussi  les  Feuillants,  timides,  battus 
en  brèche,  décimés  de  toute  part,  furent-ils  impuissants 
à  défendre  la  monarchie.  Peu  à  peu  les  CSonstitutionnels 
s*en  retirèrent;  et  après  le  10  août,  le  club  des  Feuillants 
n'était  plus  que  de  l'histoire  :  les  Jacobins  avaient  tout 
dévoré. 

Les  ouvriers  de  là  dernière  heure,  les  clabaudeurs,  si  com- 
muns dans  les  grandes  villes  aux  temps  de  troubles,  et  qui 
se  donnent  comme  l'expression  de  cette  opinion  générale, 
insaisissable,  qui  est  partout  et  nulle  part,  envenimaient  les 
esprits.  Ils  semaient  à  l'envi  des  nouvelles  fausses  ou  exagé- 
rées dans  la  masse  toujoivrs  crédule  de  la  bourgeoisie,  dans 
la  tourbe  populaire,  toujours  inflammable  et  prête  à  servir 
d'instrument  aveugle  aux  mains  des  meneurs  et  des  ambi- 
tieux. Les  capitalistes,  les  rentiers  et  autres  créanciers  de 
l'État,  frémissaient  à  l'idée  de  la  banqueroute  tandis  que 
les  maltôtiers  étaient  à  l'affût  pour  s'enrichir  de  la  ruine 
publique.  Une  véritable  dissolution  menaçait.  Une  vive  fer- 
mentation dans  les  provinces  était  le  contre-coup  des  com- 
motions de  Paris.  Le  Dauphiné,  la  Bretagne,  la  Provence, 
le  Languedoc,  le  Béarn,  la  Flandre,  qui  s'étaient  soulevés, 
sont  prêts  à  la  révolte.  Partout  le  peuple,  entré  en  posses- 
sion de  lui-même,  s'est  organisé  en  municipalités  et  en 
gardes  nationales.  Ainsi  que  jadis  sous  la  Ligue,  il  com- 
mence à  se  compter,  à  se  regarder  comme  un  principe,  à  se 
persuader  qu'il  n'y  a  d'autre  autorité  fondamentale  que  la 
sienne.  L'aristocratie  descend,  le  peuple  monte.  Le  temps 
des  grandes  idées  pratiques  en  politique  n'est  pas  encore 
venu,  mais  bientôt  il  va  éclore,  et  le  cœur  va  battre  à  l'opi- 


204        SUITES  DE  LA  NUIT  DES   5  ET  6  OCTOBRE. 

nion  publique,  cette  puissance  jadis  inconnue.  Cependant 
FAlsace,  la  magnifique  province  aujourd'hui  si  française  et 
l'un  de  nos  boulevards  les  plus  patriotiques  aux  portes  du 
pays,  était  encore  en  partie  allemande  à  cette  époque,  et  se 
répandait  en  murmures.  La  haute  Alsace ,  qui  avait  apparu 
tenu  à  la  maison  de  Habsbourg,  puis  d'Autriche,  avait  été 
gouvernée,  depuis  1268,  par  des  officiers  de  l'Empire, 
quand  le  traité  de  Westphalie  Pavait  donnée  à  la  France 
on  1648.  L'évêché  de  Strasbourg,  déjà  occupé,  dès  1673, 
par  les  armes  de  Louis  XIY ,  avait  été  définitivement  réuni 
à  la  France,  en  même  temps  que  la  ville  libre  impériale  de 
Strasbourg,  par  la  paix  de  Ryswyck,  en  1697.  Néanmoins, 
il  restait  encore  dans  la  province  quelques  enclaves  féodales, 
domaines  des  princes  de  Wiirtemberg,  de  Deux-Ponts,  de 
Bade,  de  Hesse-Darmstadt ,  et  des  barons  de  Wangen  de 
Geroldseck ,  qui  relevaient  des  empereurs  d'Allemagne , 
comme  nous  l'avons  déjà  dit  dans  notre  premier  volume,  à 
la  suite  d'une  lettre  de  Louis  XVI,  en  date  du  8  août  1790. 
Autant  par  peur  que  par  répugnance  pour  les  principes 
de  89,  ces  personnages  et  les  abbayes  qui  dépendaient  d'eux 
fomentaient  des  troubles  et  finirent  par  déterminer  Tan- 
nexion  de  leurs  domaines  à  la  Fratice. 

Après  les  5  et  6  octobre,  quelle  devait  être  la  composition 
du  ministère?  Les  partis  étaient  plus  divisés  et  tranchés  que 
jamais.  Le  duc  d'Orléans,  La  Fayette,  Mirabeau,  Barnave  et 
les  Lameth  étaient  les  coryphées  du  parti  populaire  dont  ces 
journées  avaient  constaté  le  triomphe,  et  ils  s'en  parta- 
geaient les  sympathies  à  des  degrés  divers.  On  cherchait 
bien  à  faire  retomber  sur  le  Duc  et  sur  Mirabeau  la  respon- 
sabilité personnelle  des  journées.  Les  patriotes  exaltés  les  en 
louaient,  les  constitutionnels  les  maudissaient  ;  mais,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit  en  notre  premier  volume,  ils  ne  méri- 
taient ni  cet  excès  d'honneur  ni  cette  indignité.  La  Fayette 
seul  avait  encore,  alors,  les  cœurs  de  la  Cour,  qui  voyait 
en  lui  un  sauveur.  Les  exaltés  rêvaient  de  porter  au  minis- 
tère Mirabeau,  dont  le  génie  puissant  avait  soif  de  pouvoir. 
Mais  bientôt  le  terrible  tribun  allait  perdre  un  de  ses  appuis 
indirects  qu'il  désavouait,  le  duc  d'Orléans,  que  Louis  XVl 
força  de  s'éloigner  en  faisant  leurrer  son  ambition  d'une 


SUITES  DE  LA  NUIT  DES  5  ET  6  OCTOBRE.        205 

élection  princière  dans  les  provinces  Bclgiques.  Le  Duc 
arrivait  à  Londres,  et  le  roi  d'Ân{jleterre,  prenant  un  ton  de 
sympathie  et  de  chagrin ,  le  plaignait  sur  le  traitement  qu'on 
avait  fait  subir  au  Roi,  le  louait  ironiquement  sur  la  dou- 
leur que  lui  duc  d'Orléans  en  éprouvait  et  comme  monar- 
chiste et  comme  prince  du  sang  de  France.  Ncckcr,  disgracié 
parle  Roi,  en  avait  acquis  plus  de  popularité.  Rappelé,  il 
venait  de  nouveau  mettre  au  service  de  la  Couronne  ses 
demi-mesures,  Texpédient  d'aperçus  plus  que  de  vrais  résul- 
tats. En  vain  essaya-t-on  de  rapprocher  de  lui  Mirabeau. 
C'étaient  deux  natures  trop  antipathiques.  Celui-ci ,  man- 
quant trop  souvent  de  conscience,  de  fixité  et  d'assiette, 
mais  homme  d'État  et  penseur  vigoureux,  voyait  avec  raison 
une  révolution  sociale  dans  la  révolution  présente;  l'autre, 
honnête  mais  court,  mais  plus  financier  et  plus  critique 
qu'homme  d'État,  n'y  voyait  qu'une  révolution  financière, 
et  ce  qui  chez  lui  avait  été  pris  pour  génie  n'était  que  pré- 
somptueuse et  fatale  insuffisance. 

Les  ministres  étaient  alors ,  avec  Necker,  l'archevêque  de 
Bordeaux,  l'archevêque  de  Vienne,  le  prince  de  Beauvau, 
les  comtes  de  Saint- Priest ,  de  La  Tour-du-Pin  et  de  La 
Luzerne. 


S06  L'EMPEREUR    JOSEPH   II. 


CCCCLXIX 

L'EMPEREUR  JOSEPH  II  Â  SA  SŒUR,  L'ARCHIDUCHESSE 

MARIE-CHRISTINE  (1). 

La  Reine  n'a  pas  osé  écrire,  mais  elle  a  chargé  l'ambassadenr  d'Alle- 
magne de  faire  connaître  qu'elle  est  h.  la  merci  de  la  plus  vile  canaille. 
—  Les  folies  françaises  ont  fait  sentir  lear  contagion  en  Brabant.  — 
Différence  de  caractère  des  têtes  françaises  on  brabaoçoanei. 

Le  3  novembre  1789. 

Ma  chère  Sœur,  je  viens  de  recevoir  votre  chère  lettre 
du  24  octobre.  Je  vous  rends  mille  grâces  pour  les 
nouvelles  que  vous  voulez  bien  me  donner  de  notre 
sœur  la  Reine.  Elle  n'a  pas  osé  même  m'écrire  par  le 
dernier  courrier,  mais  m'en  a  fait  prévenir  par  le  comte 
Mercy.  Sa  situation  a  été  afFreuse,  et  elle  est  encore  à 
la  merci  de  la  plus  vile  canaille.  Si  je  pouvois  la  sa- 
voir hors  de  leurs  griffes,  je  me  soucierois  bien  de  ce 
que  les  François  feroient  pour  se  donner  une  bonne 
constitution  en  se  détruisant!  En  attendant,  les  mêmes 
folies  existent  au  Br£d)ant.  Il  n'y  a  de  différence  que 
l'ivresse  françoise  provient  de  vin  de  Champagne ,  qui 
est  prompte ,  mais  légère  et  se  dissipe  facilement,  pen- 
dant que  celle  des  Brabançons  vient  de  bière ,  qui  est 
tenace.  Adieu,  ma  chère  Sœur,  je  vous  embrasse,  de 
même  que  le  Prince,  de  tout  mon  cœur.  Croyez-moi, 
pour  la  vie,  votre,  etc. 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  FArcbiduc  Albert 
d'Autriche. 


MADAME  ELISABETH.  M7 


CCCCLXX 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

MyétaÂh  sur  sa  correspondance.  —  Se«  distractions.  —  Tout  est  assez 
calme,  seulement  parfois  on  manque  de  pain.  —  L'Assemblée  a 
confisqué  le  bien  du  clergé.  —  Saint-Cyr.  —  Montreuil.  —  Madame 
de  Raigecourt.  —  Elle  reçoit  des  nouvelles  de  Turin. 

Ce  4  novembre  1789. 

Je  trouve,  mon  coeur,  que  ma  lettre  a  eu  bien  de 

i'esprit  d'arriver  plus  tôt  qu'elle  ne  devoit  pour  vous 

^rassurer;  la  vôtre  m'a  fait  bien  plaisir,  j'avois  impa- 

^ence  de  savoir  si  la  mienne  ne  vous  avoit  pas  fait  une 

'^rop  grande  révolution.  Enfin,  je  suis  bien  aise  qu'Henri 

:21e  s'en  soit  pas  ressenti ,  et  que  toute  la  famille  aille  bien . 

Je  n'ai  pas  le  temps  aujourd'hui  de  vous  parler  de  mon 

^enre  de  vie,  il  est  tout  différent  de  ce  qu'il  étoit,  mais 

il  ne  me  coûte  pas  ;  je  me  promène  tant  que  je  puis  dans 

le  jardin  ;  par  exemple,  ce  matin  j'ai  fait  courir  Blanche 

«t  Des  Es.  tant  que  j'ai  pu.  Je  me  porte  bien,  je  me 

dissipe  tant  qu'il  m'est  possible,  et  au  total  je  suis  très- 

J>ien.  Tout  est  assez  calme;  de  temps  en  temps  l'on  a 

de  la  peine  à  avoir  du  pain,  mais  cela  passe ,  et  j'espère 

<pik  la  longue  Paris  sera^approvisionné. 

L'Assemblée  a  pris  le  bien  du  clergé,  détruit  les 
Parlements,  et  arrêté  aujourd'hui  que  l'on  ne  nomme- 
Toît  plus  aux  évêchés  et  archevêchés  jusqu'à  ce  que  la 
Constitution  soit  faite  (1). 

(i)  Le  19  octobre  avait  ea  liea  la  première  aéaaee  de  TAgaeinblée 
nationale,  à  Paris,  à  l'archeTÂcbé.  Elle  ne  tint  ta  première  séance 


208  MADAME  ELISABETH. 

Ta  mère  va  voir  demain  le  pauvre  Saint-Cyr,  tu 
penses  que  je  ne  la  vois  pas  partir  sans  envie  (1) .  Mon- 
treuil  se  porte  bien;  j'ai  vu  hier  ce  pauvre  Fleuri,  cela 
m'a  fait  plaisir.  M.  de  Coudray  est  bien  fàcbé  de  ne 
me  plus  voir.  Jacques  m'apporte  ma  crème  tous  les  jours  ; 
enfin,  je  suis  fort  contente  d'eux  tous ,  ils  ont  été  comme 
je  pouvois  désirer  que  leur  attachement  pour  moi  les 


dans  la  salle  du  Manège  que  le  9  du  mois  de  novembre.  (Voir  au  Sup- 
plément, à  la  fin  de  ce  volume,  le  texte  de  la  décision  du  Roi  concer" 
nant  l'établissement  de  C  Assemblée  nationale  au  Manège  des  Tuileries,) 

Le  28 ,  suspension  provisoire  des  vœux  monastiques. 

Le  2  novembre,  les  biens  du  clergé  avaient  été  mis  à  la  disposition 
de  la  nation. 

Le  3,  les  vacances  des  Parlements  avaient  été  pi-orogées.  L'enre- 
gistrement de  la  loi  ordonnant  cette  prorogation  avait  été  refusé  par 
les  Parlements  de  Rouen,  de  Metz,  de  Rennes  et  de  Bordeaux. 

Les  Parlements  ne  furent  totalement  supprimés  que  le  7  septembre 
1790. 

(i)  ■  La  maison  de  Saint-Louis  était  tellement  endormie  dans  le  passé 
et  vivant  de  la  vie  du  dix-septième  siècle,  qu'elle  ne  s'aperçut  de  la 
Révolution,  de  la  tendance  des  esprits,  des  dangers  qui  la  menaçaient, 
qu'après  les  journées  de  juillet  1789.  Il  y  eut  alors  dans  toutes  ses  terres 
et  jusqu'à  ses  portes  une  fermentation  extrême  et  presque  un  soulève- 
ment. Les  paysans  s'attroupèrent,  s'armèrent.  Des  bandes  de  vagabonds 
coupèrent  les  bois  des  Dames,  tuèrent  leur  gibier  et  menacèrent  leurs 
agents.  L'un  de  ceux-ci,  le  sieur  Chastel,  receveur  des  revenus  de  la 
maison  de  Saint-Louis  dans  la  ville  de  Saint-Denis,  fiit  assassiné  le 
4  août  au  milieu  d'une  émeute.  Le  village  de  Saint-Gyr  ne  fut  pas 

moins  prompt  à  remuer Les  D^mes  s'enfermèrent  davantage  et 

redoublèrent  leurs  prières;  mais  elles  ne  crurent  véritablement  au 
danger  et  ne  comprirent  la  portée  du  bouleversement  politique  qu'aux 
journées  d'octobre,  quand  le  bruit  des  Parisiens  violant  le  château  de 
Versailles  arriva  jusqu'à  elles,  quand  les  paysans  des  campagnes  voi- 
sines y  répondirent  par  des  cris  de  joie  et  des  menaces  sauvages 

•  Saint-Gyr  était  si  complètement  immobilisé  dans  le  passé,  qu'on  y 
tombait  brusquement  de  madame  de  Maintenon  à  Mirabeau.  • 

Tbrophilb  LàVALLBB,  Madame  de  Maintenon  et  la  maiton  royale  de 
Saint'Cyrj  seconde  édition,  p.  338-339. 


MADAME    ELISABETH.  209 

Pit  être.  Je  voudrois  pouvoir  en  dire  autant  de  tous 
ceux  de  Versailles.  Cependant,  le  plus  grand  nombre 
pense  bien.  Raigecourt  n'est  pas  encore  revenue,  je 
crois  qu'elle  passera  encore  quinze  jours  à  Frianville  (1) . 
Elle  est  plus  tranquille,  quoique  toujours  bien  affligée. 
Elle  a  été  d'une  grande  résignation  à  la  volonté  de 
Dieu,  mais  elle  est  bien  malheureuse.  C'est  un  mal 
qu'elle  portera  longtemps  dans  son  cœur  :  il  fait  diver- 
sion à  tous  les  autres;  c'est  cela  de  gagné.  Je  reçois 
souvent   des  nouvelles   de   Turin  ;    c'est  consolation 
|3our  moi.   Tu  sais  si  mon  cœur  est  susceptible  de 
sentir   le   prix  de   l'amitié  ;    aussi  je  jouis   bien   de 
crellc  que  l'on  me  témoigne.  Adieu,  ma  chère  petite, 
"tu  connois  celle  que  j'ai  pour  toi.  Je  t'embrasse  de 
'^out  mon  cœur. 

(1)  Terre  qui  appartenait  aa  beau-père  de  madame  de  Raigecourt. 


TOME    III. 


14 


810        LARCHIDUGHESSE  MARIE-GHRISTIIHE. 


CCCCLXXI 

L  ARCHIDUCHESSE  MARIE-GHRISTINE 
A  LARCHIDCC   GRAISD-D(JG   DE   TOSCAKE   LEOPOLD, 

DEPUIS  EMPEREUR  (1). 

Insurroction  des  Pays-Bas.  —  Relation  ilu  départ  forcé  de  FArdii- 
duchesse,  que  l'on  veut  faire  |)asserpour  une  fuite. — Conduite  arro- 
gante du  ministre  Trautmansdorff  et  sa  précipitation  ù  exécuter 
prématurément  des  ordres  éventucla  de  rEmpcrcur.  —  Douleur  de 
TArcliiducliesse  à  la  pensée  de  voir  suspecter  son  courage. 

Coblence,  ce  25  novembre  1789. 

Mon  très-cher  Frère,  la  date  vous  prouvera  que  nous 
sommes  au  milieu  de  nos  bons  parents  et  amis,  à  cette 
heure.  Je  prends  toute  cette  matinée,  et  je  rassemble- 
rai toutes  mes  forces  pour  vous  faire  le  narré  de  ce  qui 
s'est  passé  avec  nous,  par  rapport  à  ce  départ,  qu'à 
présent  on  fait  passer  pour  une  fuite,  et  je  vous  laisserai 
juger,  cher  Frère,  comme  on  en  a  agi  avec  nous,  et  ce 
que  nous  avions  à  faire.  Je  ne  pouvois  vous  faire  ce 
détail  avant  de  partir:  tant  parce  que  affairée,  malade, 
je  n'en  avois  ni  le  temps  ni  la  force;  mais  aussi  que,  le 
16  novembre,  veille  du  jour  de  poste,  à  sept  heures  du 
soir,  j'ignorois  encore  parfaitement  qu'il  en  seroit 
question.  Voilà  comme  la  chose  s'étoit  passée  : 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArchiduc  Albert 
d'Autriche. 

Cette  Irttre  a  été  publiée  par  M.  Adam  Wolf,  dans  son  livre  inti- 
tulé Marie 'Christine,  Ei^herzogin  von  Oesterreich,  t.  Il,  p.  252; 
Vienne,  18C3. 


L*ARCHIDUCHESSB  MARIE-GHRISTINE.        211 

Le  16,  nous  avions  reçu  par  un  courrier  venu  de 
Tienne  la  lettre  marquée  ./•  de  Sa  Majesté.  Vous  ver- 
rez qu'Elle  y  parle  du  départ,  si  déjà  toutes  les  cordes 
^fiennent  à  se  rompre.  Nous  lui  avions  répondu  ce  même 
jour  que,  jusqu'à  cette  heure,  nous  n'en  voyions  aucune 
apparence.  Qui  auroit  pu  s'attendre  que,  le  1 7  au  soir, 
le  ministre  viendroit  nous  proposer  de  nous  en  aller, 
^sant,  à  cause  de  moi  qui  pourrois  avoir  quelque 
épouvante,  qu'il  renverroit  sa  femme  le  lendemain? 
J'avoue  que  moi  qui  n'avois  pas  la  peur,  je  fus  cho- 
quée de  ce  discours  et  lui  fis  une  sortie  en  lui  disant  : 
^u'il  ne  me  connoissoit  pas,  que  je  n'étois  pas  une 
Jemme   comme   les  autres,  peureuse  et  découragée; 
<|u'il  s'agissoit  de  notre  réputation  à  ne  pas  nous  en 
^ler  mal  à  propos  ;  que  j'avois  écrit,  la  veille,  sur  ce 
nnéme  pied,  à  l'Empereur;  je  lui  fis  voir  la  minute  de 
xna  lettre,  et  j'avois  ajouté  que  nous  étions  résolus  de  ne 
3partir  qu'avec  le  gouvernement  et  la  troupe.  Jugez  de 
xnon  étonnement  lorsqu'il  se  mit  en  colère  et  qu'il  dit: 
IPuisque  vous  le  prenez  sur  ce  ton ,  voilà  une  lettre  que 
j'ai  à  vous  remettre  ; .  je  ne  l'aurois  peut-être  pas  fait 
-«ncore,  ne  me  paroissant  pas  imminent,  mais  vous  m'y 
avez  poussé.  C'est  celle  de  Sa  Majesté  cotée  |:  (sans 
-<late,  pour  qu'il  soit  le  maître  de  disposer  de  nous  à  sa 
^volonté) .  Je  vous  avoue  que  les  divers  sentiments  qui 
-étoient  en  moi,  et  que  vous,  cher  Frère,  sentirez  bien, 
m'ont  atterrée.  Je  lui  répondis:   «  Eh  bien,  à  l'Empe- 
reur il  faut  obéir  ;  mais  nous  ne  partirons  que  dans  le  cas 
que  vous  et  le  commandant  des  armes  nous  le  donniez 
par  écrit;  qu'il  le  faut  pour  nous  légitimer;  que  c'étoit 

vous  autres  qui  avez  trouvé  le  moment  nécessaire  de 

14. 


214        L'ARCHIDUCHESSE  MÂRIE-CHHISTINE. 

croire  la  chose  faite  exprès ,  surtout  puisque  les  lettres 
du  21  du  ministre  portent  que  tout  paroit  se  calmer, 
qu'il  reçoit  des  soumissions  de  partout.  Le  jugement 
le  moins  méchant  à  en  porter  est  :  que  la  peur  a  fait 
tourner  la  tête  à  ces  deux  Messieurs,  et  qu'ils  craig^noient 
exécuter  trop  tard  les  ordres  de  Sa  Majesté  à  notre 
égard.  Car  je  ne  veux  pas  les  soupçonner  de  méchan- 
ceté à  cet  égard  envers  nous.  Je  ne  vous  parle  ici  que 
de  la  façon  dont  ils  nous  ont  fiiit  partir,  cette  hâte ,  ce 
chemin  détourné  par  Luxembourg  qu'ils  nous  ont  fait 
prendre,  sous  prétexte  que  nous  pourrions  être  enlevés 
siur  l'autre  route,  tandis  qu'il  n'y  avoit  pas  une  âme 
sur  cette  route,  sur  laquelle  passèrent  une  partie  de 
mes  gens ,  le  même  jour  et  le  lendemain  ;  la  mauvaise 
grâce  que  cela  a  dans  le  monde  ;  le  découragement  que 
cela  a  répandu  dans  les  bons  serviteurs  de  Sa  Majesté; 
l'alarme  de  tous  nos  gens,  qui  ont  aussi  tous  voulu  s'en 
aller,  et  augmenté  par  là  le  bruit;  l'impression  même 
de  manque  de  courage  de  notre  part  que  cela  peut 
donner  à  l'Empereur,  auquel  ces  Messieurs  rapporte- 
ront la  chose  à  leur  façon,  comme  ils  le  font  dans  toutes 
les  autres  affaires.  Mais  que  pouvions-nous  faire,  puis- 
que, lorsquej'aiditàM.  Trautmannsdorff:  a  Comment 
ferai-je  un  voyage  si  fatigant,  moi  actuellement  malade?» 
il  me  répondit  avec  arrogance  que  si  même  nous  nous 
refusions  de  partir  ou  faisions  difficulté,  il  devoit  nous 
presser,  l'exiger ,  et,  il  marmotta  quelque  chose,  nous 
y  forcer  par  ordre  de  Sa  Majesté.  Voila  ce  que  nous 
avons  eu  à  essuyer;  je  ne  m'afflige  que  de  cela,  car 
d'être  dehors ,  je  loue  Dieu.  Ni  le  séjour  de  Bruxelles 
n'a  pu  être  agréable  dans  ces  circonstances,  ni  ne  l'au- 


L  ARCHIDUCHESSE   MARIE-CHRISTIISE.        815 

roit-îl  été,  cet  hiver,  d'aucune  façon.  Tout  ce  qui  pou- 
voit  étoit  parti  ;  nous  aurions  dû  figurer  pour  quelques 
François  réfugiés,  quelques  autres  étrangers.  Aussi 
étions-nous  résolus ,  si  tout  auroit  été  calme ,  de  venir 
passer  quelque  temps  à  Bonn,  et  ici,  où  nous  vivons 
tranquilles  et  retirés.  Je  reste  ici  jusqu'au  5 ,  et  vais 
alors  m'établir  à  Bonn  ;  mon  frère  me  donne  sa  maison 
de  Popelsdorff ,  qui  est  très-proche  de  sa  résidence.  J'y 
fais  venir  une  partie  de  mes  gens  de  Bruxelles,  écuries, 
cuisines,  etc. ,  et  y  serai  comme  chez  moi,  ce  qui  est 
pour  moi  d'autant  plus  agréable  que  je  suis  habituée, 
depuis  vingt-quatre  ans,  à  avoir  ma  maison  à  moi ,  et 
que  j'aurois  regardé  comme  un  abus  de  l'amitié  de  mon 
frère  de  lui  être  à  charge  ainsi  pendant  un  espace  de 
temps. 

A  cette  heure,  mon  cher  ami,  je  vous  parlerai  de 
ma  santé,  qui  réellement  est  minée.  J'ai  été  déjà  ma- 
lade, comme  vous  savez,  avant  de  partir;  les  suites  de 
dévoiement  m'avoient  laissé  une  grande  foiblcsse,  une 
petite  toux  sèche  et  peu  de  sommeil  ;  la  fatigue  du 
voyage,  la  longueur  et  fatigue  des  chemins,  m'ont  entiè- 
rement anéantie,  joint  au  chagrin  de  notre  position;  et 
à  toutes  les  circonstances  ci-dessus  dites,  j'ai  cru  devoir 
rester. 


Les  réformes  violentes  de  Joseph  II  dans  ses  possessions 
brabançonnes  avaient  amené  de  graves  complications  poli- 
tiques ;  et  les  États  voyant  la  suppression  des  monastères  et 
les  blessures  faites  aux  instincts  nationaux,  crièrent  à  la  vio- 
lation de  la  Joyeuse  entrée,  sorte  de  ma(jna  cliarta  séculaire 
(garantissant  les  privilc^gcs  des  provinces.  Dans  ces  pays  de 


216  MARIE- ANTOINETTE. 

coutumes,  chez  qui  le  respect  du  passé  était  un  des  éléments 
de  la  vie,  et  qui  se  plaisaient  dans  F  inextricable  labyrinthe 
de  vieilles  lois  superposées,  toucher  aux  privi]é([cs  et  aux 
préjugés  nationaux,  c'était  s'attaquera  Tarche  sainte.  On  se 
souleva.  En  vain  la  Gouvernante  Marie-Christine  passa  de 
concession  en  concession  pour  apaiser  les  esprits,  Torag^e  qui 
grondait  ne  s'apaisa  pas.  Joseph  était  alors  en  Crimée.  Blessé 
au  cœur  par  cette  levée  de  boucliers  durant  son  absence, 
mécontent  de  ce  que  sa  sœur  avait  pactisé  avec  l'émeute,  il 
avait  ordonné  qu'on  fit  sur-le-champ  quitter  la  Belgique  à  la 
Gouvernante  des  Pays-Bas;  et,  après  avoir  destitué  le  pre- 
mier ministre  donné  par  lui  à  Marie-Christine,  il  avait  pro- 
visoirement constitué  dans  la  province  un  gouvernement 
purement  militaire  et  octroyé  tout  pouvoir  au  commandant  de 
SCS  forces  aux  Pays-Bas,  le  comte  de  Murray. 


CCCCLXXII 

MARIE- ANTOINETTE  A  LA  DUCHESSE  DE  POLÏGNAC, 

A  ROME  (i). 

Tendre»  Bouvcnirs.  —  Recommandation  en  faveur  d^une  dame 
forcée  de  fuir,  et  qui  ie  rend  à  Rome. 

Ce  13  décembre  [1789]. 

Enfin,  mon  cher  cœur,  il  m'est  possible  de  vous 
dire  un  mot  de  ma  tendre  amitié.  Croyez  bien  que 
mat(j[rc  que  je  ne  peux  pas  écrire,  vous  n'êtes  pas  moins 
gravée  bien  profondément  dans  mon  cœur.  La  personne 
qui  se  charge  de  vous  faire  tenir  cette  lettre  est  bien 
malheureuse  sous  tous  les  rapports.  Elle  a  été  obligée 


(1)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Polignac. 


MARIE-ANTOINETTE.  Î17 

de  quitter  ce  pays-ci  et  d'aller  h  Rome  avec  ses  enfants 
auprès  du  cardinal  d'York.  Elle  s'y  trouvera  absolu- 
ment abandonnée.  Vous  savez  que  nous  sommes  liées 
depuis  longtemps,  et  c'est  à  peu  près  une  des  seules 
personnes  qui  me  soit  restée  attachée  pour  moi  seule 
et  sans  intérêt.  Je  voudrois  bien  lui  rendre  service, 
mais  je  ne  connois  personne.  Vous  qui  êtes  liée  avec  le 
cardinal  de  Bernis  (1),  écrivez-lui,  je  vous  prie,  que  je 
regarderai  comme  un  service  personnel  tous  ceux  qu'il 
pourra  rendre  à  madame  de  F.  J.    (2)  pendant  son 
séjour.  Je  ne  veux  entrer  en  aucun  détail  avec  vous, 
ne   sachant  ni  quand   ni  comment  cette  lettre  vous 
arrivera.  Adieu  donc,  mon  cher  cœur.  J'embrasse  vos 
enfants.  Dites  mille  choses  pour  moi  à  votre  mari  et 
aux  vôtres,  et  ne  doutez  jamais  de  ma  bien  tendre  et 
oonstante  amitié. 


(1)  Franroi«-Joachim  de  Picrrr.s,  comte  de  Remis,  cardinal,  né  m 
1715,  mort  en  1794.  De  ])etits  vers  cuinniencèrcnt  sa  fortune,  et  lui 
x-alurent  de  Voltaire  le  surnom   de   Bahet  la  Bouffuelicre.   Il  fut  de 
1^  Académie  française   dès  Tâ^re  de  vinj't-nouf  ans.  D'abord  ambassa- 
deur à  Venise,  de  1752  à  1755,  ministre  des  Affaires  Etrangères  en 
■S.757  jusqu'en  1758,  son  pencbant  pour  la  paix,  devenue  si  nécessaire 
^ft    la    France,  mais  qui  n'entrait  j>as    dans  les  vues  de  madame  de 
iPompadour,  le  fit  congédier  et  envoyer  en  exil.  »  On  m'a  fait,  écri- 
^X'ait-il  à  Paris-Duvemey,  danser  sur  un  grand  théâtre  avec  des  fers 
•siux  pieds  et  aux  mains.  « 

Il  fut  rappelé  en  1704,  nommé  ^  l'arclieyéché  d'Alby,  puis  envoyé 

^  Rome  en  qualité  de  chargé  des  affaires  de  France,  un  cardinal  ne 

ipouvant,  ù  raison  de  l'élévation  de  sa  dignité,  exercer  avec  le  titre 

^'ambajisadeur.  Quand  on  exigea  dans  la  Révolution  le  serinent  des 

prêtres,  il  le  reftisa  et  se  démit  de  son  poste. 

(2)  I^  duchesse  de  Fitz-James,  qui  avait  été  dame  du  palais  auprès 
de  Marie-Antoinette.  Au  commencement  de  1792,  la  Reine  fit  faire 
par  Dumont  son  portrait  en  miniature  et  l'envoya  à  cette  dame. 


218  LOUIS    XVI. 


CCCCLXXIII 

LOUIS  XVI  A  LA  DUCHESSE  DE  POLIGNAC,  A  ROME  (1). 

Souvenirs  d*amitié.  —  Espérances  de  temps  meillears.  —  La  Beine 
s'est  un  peu  blessée  à  la  jambe,  et  garde  sa  chaise  longue. 

Paris,  le  20  décembre  1789. 

M.  d'Haiiaud  (2)  a  reçu  vos  lettres,  Madame  la  Du- 
chesse, et  sera  fort  aise  d'avoir  de  vos  nouvelles  toutes 
les  fois  que  vous  voudrez  bien  lui  en  donner,  et  se 
servira  de  la  voie  que  vous  lui  indiquez  pour  vous 
répondre.  La  dernière  qu'il  a  reçue  de  vous,  il  y  a 
quinze  jours,  est  datée  de  Berne,  du  29  septembre. 
Comme  vous  y  mandez  que  vous  ne  vous  servez  pas 
de  la  voie  de  M.  de  Piennes,  comme  vous  l'aviez 
projeté  d'abord,  je  suppose  que  vous  l'avez  gardée 
jusqu'à  une  autre  occasion.  On  m'a  dit,  en  me  la 
remettant,  qu'elle  venait  de  Rome.  J'espérois  y  trouver 
des  nouvelles  de  votre  arrivée  dans  cette  ville  ;  j'ai  su 
par  d'autres  personnes  que  vous  étiez  arrivée  en  bonne 
santé,  ainsi  que  votre  famille,  ce  qui  m'a  fait  grand 
plaisir.  J'espère  que  vous  continuerez  à  y  jouir  d'une 
bonne  santé,  et,  étant  dans  le  sein  de  votre  famille, 
vous  pouvez  y  rester  tranquille  jusqu'à  des  temps  plus 
heureux,  où  nous  pourrons  nous  revoir  comme  par  le 
passé.  Mais  quand  viendront-ils  ces  temps-là?  Sûrement 

(1)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Polignac. 

(2)  C'est  le  nom  de  conTcntion  sous  lequel  le  Roi  se  désigne  loi- 
même. 


MADAME  ELISABETH.  219 

pas -si  tôt  que  je  le  dcsirerois.  Yoilù  une  année  qui  va 
commencer  bien  tristement;  mais  j'espère,  malgré  la 
distance  des  trois  cents  lieues,  que  vous  compterez 
toujours  sur  mon  amitié  pour  vous.  Je  vous  avois  écrit, 
il  y  a  environ  six  semaines,  par  Turin;  j'ai  peur  que 
la  lettre  ne  se  soit  perdue  en  chemin.  Votre  amie  ici 
s'est  un  peu  fait  de  mal  au  pied,  ce  qui  Ta  fait  garder 
sa  chaise  longue  pendant  quelques  jours.  Du  reste,  elle 
se  poi*te  bien  et  les  enfants  aussi.  Elle  a  été  purgée  de 
précaution  aujourd'hui.  Bonsoir,  Madame;  puissiez- 
vous,  en  1790,  être  heureuse  vous  et  les  vôtres!  C'est 
tout  ce  que  je  désire. 


CCCCLXXIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

«fixation  de  madame  de  Raigecoiirt  dans  sa  douleur.  —  Stagnation 
dans  les  affaires.  —  Vente  des  Liens  du  Roi  et  du  clergé  pour  |)an- 
ser  une  plaie.  —  Suppression  des  moines.  —  Bruits  douteux.  •— 
Le  Châtelet  saisi  de  l'affaire  des  5  et  6  octobre. 


Ce  22  décembre  1789. 

J'ai  reçu  tes  lettres  exactement  depuis  que  je  t'ai 

'^^rondée,  mon  cher  cœur  ;  elles  me  font  grand  plaisir; 

^^t  puisque  tu  en  as  le  temps ,  tu  seras  bien  gentille  de 

^:^ontinuer.  J'ai  lu  à  cette  pauvre  Raigecourt  ce  que  tu 

"^ne  dis  d'elle;  elle  en  a  été  bien  touchée,  et  de  la  nous 

%ous  sommes  étendues  sur  tes  défauts  :  tu  peux  juger 

Tl'après  cela  si  la  conversation  a  dû  tarir.  Ta  pauvre 


220  MADAME   ELISABETH. 

mère  est  mieux,  à  ce  que  je  trouve,  mais  cependant  sa 
pensée  unique  estson  pauvre  Stani  (1)  ;  elle  pleure  sou- 
vent et  beaucoup,  mais  elle  pleure  avec  résignation. 
Dans  cette  occasion  elle  a  bien  fait  usage  des  bons  prin- 
cipes qu'elle  a  reçus,  car  il  est  impossible  d'avoir  une 
douleur  plus  vive  et  plus  résignée. 

Nous  sommes  toujours  dans  la  même  position,  mon 
cœur,  depuis  trois  mois  ;  nous  jouissons  d'une  douce 
stagnation.  L'Assemblée  a  décrété  un  plan  de  finances 
qui,  en  vendant  une  partie  du  bien  du  Roi  et  de  celui 
du  clergé,  met  un  emplâtre  qui  adoucit  nos  maux, 
mais  qui  ne  les  guérit  pas.  Dieu,  pendant  ce  moment 
de  relâche,  nous  enverra  peut-être  des  moyens  de  gué- 
rison  radicale.  En  attendant,  nous  vivons  au  jour  le 
jour.  On  dit  qu'aujourd'hui  les  moines  doivent  être 
détruits,  surtout  ceux  des  villes.  Il  n'est  pas  encore 
question  des  religieuses  :  ce  moment-là  me  fait  trem- 
bler. Pauvre  Saint-Cyr,  que  deviendrez-vous  !  J'ai  fait 
votre  commission  pour  elle  et  pour  M.  de  Sérent  (2). 
Je  ne  sais  pas  un  mot  de  tes  nouvelles  imprimées,  mais 
je  ne  les  crois  pas.  D'après  ce  que  l'on  me  mande,  le 
sentiment  n'a  pas  augmenté  dans  l'absence,  et,  encore 
moins,  je  crois,  en  la  présence.  Jcf  crois,  mon  cœur, 
que  Venise  est  un  pays  abandonné,  non  pas  du  ciel, 
j'espère,  mais  des  humains.  Je  ne  connais  personne  qui 
veuille  entreprendre  ce  voyage  ;  il  me  seroit  pourtant 
très-agréable  que  cette  fantaisie  prît  à  quelqu'un,  parce 

(i)  Abréviation  de  Stanislas,  nom  du  fils  de  la  marquise  de  Rai- 
gecourt. 

(2)  Le  marquis  de  Sérent  était  gouverneur  des  ducs  d*Angouléroe  et 
de  BeiTy. 


LOUIS   XVI.  221 

qu'au  moins  je  pourrois  causer  avec  toi  un  peu  à  mon 
iùse.  A  propos,  tu  sais  que  l*on  a  dénoncé  la  journée 
du  5  et  du  6  au  Châtelet  (1).  On  est  venu  du  comité 
de  la  ville  prendre  nos  dépositions.  Si  tu  savois  comme 
Ja  mienne  est  bcte,  tu  en  rirois;  mais  je  n'avois  rien  à 
<dire.  Tu  sais  que  ce  n'est  pas  par  la  science  quêta  prin- 
<2esse  a  jamais  brillé.  Adieu,  ma  cbère  enfant,  je  t'em- 
Xirasse  de  tout  mon  cœur  et  t'aime  de  même. 


CCCCLXXV 

.ouïs  XVI  A  MADAME  JULES  DE  POLIGNAG,  A  VENISE  (2;. 

n  n'a  que  de  si  tristes  choses  à  écrire  qu'on  nVst  point  tenté  de 
prendre  la  plume.  —  La  Reine  est  toujours  la  mciuc^  mais  on 
redouble  d'injustice  à  son  égard,  et  il  faut  autant  se  tenir  en  garde  des 
soi-disant  amis  que  des  ennemis.  — Le  nombre  des  amis  vrais  est 
bien  minime.  —  Souvenirs  à  la  famille  de  la  duchesse.  — Tristesses. 


Paris,  le  3  janvier  1790. 

Il  y  a  bien  long^temps,  Madame,  que  je  n'ai  reçu  de 
vos  nouvelles.  Il  est  vrai  aussi  que  je  dois  me  le  repro- 
cher par  ma  paresse.  Ne  croyez  pas,  je  vous  prie,  que 
je  suivele  proverbe:  les  absents  ont  tort;  non,  je  songe 


(1)  Le  14  octobre,  le  Chiîtelet  de  Paris  avait  été  investi  du  droit  de 
connaître  des  crimes  de  lèse-nation. 

Ce  fut  seulement  le  7  du  mois  d'août  1790  que  le  Chdtelet  envoya 
à  l'Assemblée  la  procédure  qu'il  avait  instruite  sur  les  événements  des 
5  et  6  octobre  1789.  Ce  fut  enfin  le  2  octobre  qu'eut  lieu  dans  l'As- 
semblée la  discussion  sur  ce  sujet. 

(2)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Polignac. 


n2  LOUIS  XVI. 

bien  souvent  à  vous  tous  ;  mais,  outre  le  peu  de  temps 
qu'on  a,  les  choses  qu'on  peut  écrire  sont  si  désa- 
gréables qu'on  n'en  est  pas  souvent  tenté.  Hélas  !  cela 
ne  seroit  pas  de  même  si  on  pouvoit  se  parier.  Que  de 
choses  on  auroit  h  se  dire  et  à  confier  à  l'amitié  !  Voilà 
une  bien  triste  année  de  passée,  et  Dieu  seul  sait  ce  qui 
arrivera  dans  celle-ci.  L'horizon  ne  s'éclaircit  pas,  et 
j'ai  vu  bien  noir  pendant  quelque  temps  (1).  J'espère 
que  des  gens  que  vous  aimez  ont  entendu  la  raison,  et 
qu'ils  risquoient  tout  en  faisant  des  opérations  préma- 
turées et  mal  combinées.  Le  cœur  de  votre  ami  l'em- 
portoit.  Je  n'ai  jamais  douté  de  celui-là,  et  j'en  doute 
encore  moins  que  tout  ce  qui  m'est  revenu  de  ce  pays-là. 
Mais  le  borgne  est  beaucoup  plus  fin,  et,  j'ai  peur,  ne 
calculoit  que  pour  lui.  Ou  dit  qu'ils  vont  se  séparer.  Je 
le  souhaite  bien  de  tout  mon  cœur.  Alors  je  serai  sûr 
de  l'autre,  parce  qu'il  n'écoutera  que  soi-même.  Votre 
amie  véritable  est  toujours  la  même,  quelque  chose 
qu'on  en  puisse  dire  ;  mais  le  monde  est  plus  insup- 
portable qu'il  n'a  jamais  été,  et  ne  veut  laisser  jamais 
marcher  droitement.  Il  faut  être  autant  en  garde  contre 
les  conseils  et  les  volontés  des  soi-disant  amis  que  contre 
les  menées  des  ennemis.  Ce  qui  console,  c'est  qu'il  y 
a  encore  d'honnêtes  gens;  mais  le  nombre  de  ceux  qui 
ne  sont  attachés  qu'à  la  personne  est  bien  petit.  Mais 
avec  une  bonne  conscience  on  passe  par-dessus  bien 
des  désagréments.  Le  temps  viendra  où  on  découvrira 


(i)  II  avait  conçu  de  très-bonne  heure  de  noirs  pressentîmento,  et  il 
avait  sans  cesse  sur  sa  table  Thistoire  des  derniers  jours  de  GharlM  I*' 
d'Angleterre. 


LOUIS  XVI.  t23 

toutes  les  injustices.  Nous  nous  portons  tous  assez  bien, 
mnalQvé  toutes  les  peines  qu'on  essuie.  J'espère  que 
^'otrc  santé  est  bonne,  et  que  quelque  temps  que  nous 
soyons  réparés  encore,  vous  ne  douterez  jamais  de 
toute  mon  amitié  pour  vous. 

Je  vous  prie  de  dire  bien  des  choses  de  ma  part  au 

comte  Jules  et  à  la  comtesse  Diane  et  à  madame  de 

Guiche.  J'ai  reçu  une  lettre  du  mari  de  celle-là  qui  me 

mande  compter  me  voir  au  l**"  juillet.  Dieu  le  veuille. 

J'ai  peur  de  vous  paroitre  bien'  morose;  mais  j'ai  été 

ac(!Outumé  à  penser  haut  avec  vous,   et  j'espère  que 

vous  ne  le  trouverez  pas  mauvais.  D'ailleurs,  depuis 

dix-huit  mois,  il  n'y  a  eu  que  des  choses  bien  tristes  à 

voir  et  à  entendre.  On  ne  prend  pas  d'humeur,  puis  on 

<îst  peiné,  contristé  d'être  contrarié  sur  tout,  et  sou- 

^'ent  mal  jugé. 


2Î4  MADAME   ELISABETH. 


CCCCLXXVI 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Vœux  et  tendrcs.Hcs  ù  l'occasion  de  la  nouvelle  année.  —  M.  d'Albert 
de  Rions  attendant  son  jiifreinent.  —  La  Princcflxe  demande  à  con- 
naître Topinion  qu'on  s'est  formée  à  l'étranf^cr  de  la  conduite  d  i 
comte  d'Artois.  —  L'Assemblée  a  décide  de  fixer  d'office  la  liste 
civile  du  Roi.  —  Cette  étrange  motion  effarouche  la  Princesse.  — 
On  a  suspendu  le  payement  de  toutes  les  pensions  supérieure.*  a 
mille  écus. 

Ce  3  janvier  1790(1). 

Ton  jour  de  poste  est  si  mal  arrangé  pour  moi,  que, 
forcée  d'écrire  souvent,  le  même  jour,  dans  un  autre 
pays,  je  n*ai  pu  te  souhaiter  une  bonne  année.  Cepen- 
dant, ma  chère  enfant,  personne  ne  désire  plus  sincè- 
rement que  moi  qu'elle  soit  heureuse  pour  tes  enfiints, 
pour  tout  ce  qui  t'est  cher.  Je  compte  en  cela  ne  pas 
faire  de  vœux  qui  me  soient  nuisibles.  Ton  amitié 
pour  moi  est  trop  franche  pour  que  j'en  puisse  jamais 
douter.  Crois  que  la  mienne  ne  lui  cède  en  rien,  et. 
durera  toute  ma  vie,  quelque  événement  qui  arrive. 

Nous  sommes  toujours  dans  la  même  position  ici, 
tranquilles,  fort  occupés  des  opérations  de  l'Assembiée 
^et  de  l'avenir,  et  ne  pouvant  deviner  quel  il  sera.  Ah! 
qui  pourroit  dormir  pendant  quelques  années  seroit 
bien  heureux  :  son  sort,  j'en  suis  sûre,  seroit  envié 
de  tout  le  monde.  Mais  voici  une  nouvelle  année  qui 
ne  peut  certainement  amener  que  quelque  chose  de 

(1)  La  Princesse  a  daté  par  erreur  de  l'année  1789. 


t 


MADAME   ELISABETH.  225 

jDieux  que  la  {)r(fco(lciite,  quoiqu'elle  ait  eu  la  bêtise 
<le  commencer  par  un  vendredi.  Mais  je  crois  son 
effet  nul. 

Il  continue  toujours  à  paroître  des  brochures  rai- 
sonnables et  souvent  plaisantes  sur  tout  ce  qui  se 
passe.  Nous  avons  eu  Je  plaisir  de  voir  ce  pauvre 
M.  Albert  de  Rion;  il  a  eu  bien  du  courage.  Il  faut 
espérer  que  l'Assemblée  lui  rendra  la  justice  qu'il  mé- 
rite. On  ne  s'empresse  pourtant  pas  à  le  juger. 

Les  papiers  ont  dû  t'instruire  d'une  démarche  pu- 
blique qu'a  faite  quelqu'un  qui  m'intéresse  beaucoup. 
Je  sais  ce  que  tous  les  François  en  pensent.  Je  devine 
l'opinion  de  ton  mari  ;  mais  je  voudrois  connoîtrc  un 
peu  celle  des  étrangers.  Dans  ce  moment,  les  yeux 
sont  tellement  ouverts  sur  notre  malheureux  pays,  que 
tout  est  un  sujet  de  réflexion.  Mande-moi  donc,  de 
manière  que  je  puisse  te  comprendre,  ou  par  une  occa- 
sion, ce  que  tu  pourras  rassembler  de  l'opinion  des 
divers  pays  avec  lesquels  tu  peux  être  en  rapport. 
Mon  amitié  pour  cette  personne-là  me  donne  le  be- 
soin de  savoir  avec  vérité  tout  ce  qui  peut  être  pour 
et  contre. 

(Ici  la  Princesse  reprend  la  lettre  le  5.) 

L'Assemblée  a  décrété,  hier  lundi  4,  qu'elle  privoit 
le  Roi  de  décider  lui-même  ce  qu'il  vouloit  pour  lui  et 
pour  sa  iximille,  et  qu'il  seroit  prié  de  considérer,  dans 
cette  fixation,  moins  son  économie  accoutumée  que  la 
dignité  de  la  nation,  qui  exige  que  le  trône  d'un  grand 
monarque  soit  environné  d'un  grand  éclat.  Cette  mo- 

TOMB   III.  15 


226  MADAME   ELISABETH. 

tion  faite  par  Chapelier  (1)  me  paroit  si  étrange,  que, 
loin  de  me  faire  plaisir,  elle  m'effarouche  beaucoup.  Il 
a  été  décrété  aussi  que  Ton  suspendroit  les  payements 
de  toutes  les  pensions  au-dessus  de  mille  écus.  Cepen- 
dant les  septuagénaires  recevront  douze  mille  francs. 
On  avoit  proposé  aussi  de  ne  plus  payer  ni  pension  ni 
traitement  aux  gens  qui  étoient  sortis  de  France.  Je  ne 
sais  pas  si  le  décret  a  passé.  J'espère  que  non.  Adieu, 
mon  cœur.  J'ai  reçu  hier  des  nouvelles  de  cette  petite, 
qui  me  paroît  en  très-bon  état.  Je  vous  embrasse  et 
vous  aime  de  tout  mon  cœur  ! 


Le  comte  d^Albert  de  Rions  dont  vient  de  parler  la  Prin- 
cesse, était  originaire  du  Daiiphîné.  Garde  de  la  marine  le 
26  décembre  17i3,  capitaine  de  vaisseau  le  18  février  1772, 


(i)  L^aaoRcné  Gui  Le  Chapelier,  ne  à  Rennes  en  1754,  avocat  fort 
distinjrué  an  Parlement  de  Bretagne,  avait  dû  à  la  part  qu*il  avait  prise 
dans  les  troubles  de  1787,  entre  la  Cour  et  les  Parlements,  d'être  nommé 
député  du  Tiers  aux  Etats  généraux.  Dès  ses  débuts  dans  1*  Assend>lce,  il 
se  mit  aux  premiers  rangs  de  ses  orateurs.  C'est  lui  qui  provoqua  réta- 
blissement des  gardes  nationales  et  fut  l'auteur  de  la  loi  sur  la  propriété 
littéraire.  Il  fut  le  rédacteur  du  décret  d'abolition  de  la  noblette  et  des 
droits  féodaux,  s'opposa  à  la  violation  du  secret  des  lettres,  et  pro- 
posa néanmoins  le  fameux  Comité  des  recherches.  Il  contribua  à  U 
suppression  du  droit  d'aînesse  et  de  masculinité,  obtint  pour  le^  pro- 
testants d'Alsace  le  libre  exercice  de  leur  culte,  participa  à  l'organisation 
du  tribunal  de  cassation  et  de  l'ordre  judiciaire,  et  fut  un  des  membres 
du  Comité  de  constitution.  C'était,  en  somme,  un  fort  habile  homme, 
dont  les  ardeurs  révolutionnaires  s'apaisèrent  en  présence  des  eTcne- 
ments,  et  qui  donna  la  mesure  de  ses  principes  en  s'associant  au 
club  des  Feuillants.  Un  vigoureux  rapport  qu'il  avait  fait  à  TA^sem- 
blée  pour  réprimer  l'audace  des  clubs  l'avait  signalé  à  la  furemr  des 
Jacobins;  il  fut  arrêté  en  1794,  condamné  à  mort,  et,  le  22  «Tril,  U 
était  exécuté  révolutionnairement  avec  Thuuret  et  Despréménil,  comme 
ayant  conspiré  depuis  1789  en  faveur  de  la  royauté. 


LE   COMTE   D'ALBERT   DE   RIONS.  Î2T 

chef  d'escadre  le  20  août  1784,  il  était  commandant  de  la 
marine  au  port  de  Toulon  depuis  le  !•' janvier  1785,  quand 
la  présente  lettre  fut  écrite.  C'était  un  brave  officier  qui 
avait  commandé  le  Sagittaire  dans  Tescadre  du  comte  d'Es- 
tainç,  à  la  prise  de  la  Grenade,  le  4  juillet  1779;  puis  au 
combat  du  6,  au  siéçe  de  Savannah.  Pendant  cette  campa- 
(pae,  il  avait  pris  seul  le  vaisseau  anglais  Expérimenta  de 
50  canons,  dans  lequel  se  trouvaient  six  cent  cinquante 
raille  livres  en  espèces. 

Pendant   son   commandement   de  Toulon,   il   avait    été 
accusé  à  tort  d'avoir  fait  feu,  lors  d'une  sédition  qui  avait  eu 
lieu  dans  ce  port  en  décembre  1789.  Après  d' outra  gréantes 
et  cruelles  violences,  il  fut  enlevé  avec  plusieurs   officiers 
de  vaisseau  et  conduit  dans  les  prisons  de  la  ville,  par  un  dé- 
tachement même  de  (j^arde  nationale  venu  pour  le  protéger. 
La  détention  dura  quinze  jours,  et  la  municipalité  ne  rendit 
la  liberté  aux  prisonniers  que  lorsque  l'Assemblée  nationale 
Teut  ordonné,  sur  le  rapport  de  Malouet,  député  pour  la 
sénéchaussée  de  Riom ,  et  intendant  de  la  marine  à  Toulon. 
Malouet  avait  conclu  que  si  justice  n'était  pas  rendue  au 
comte  d'Albert  et  aux  autres  victimes  de  la  sédition,  il  ne 
se  trouverait  plus  a  ni  administrateur,  ni  officier  public  qui 
pût  remplir  ses  devoirs  et  se  mêler  de  gouvernement  » .  On 
en  était  là,  quand  le  comte  de  Rions  vint  demander  en  per- 
sonne à  l'Assemblée  même  une  réparation   publique.  Mais 
l'Assemblée  éluda  la  question  et  déclara,  le  16  janvier  1790, 
^ue  présumant  avec  une  égale  faveur  des  sentiments  qui 
«ivaîent  animé  et  les  officiers  de  la  marine  et  la  municipalité 
^oulonnaise,  il  n'y  avait  lieu  à  suivre  contre  personne.  Cette 
<î^ision  révolta  les  marins  et  fut  le  signal  de  l'insurrection 
^«s   équipages  et  de  la  dissolution  des  états- majors.  (Voir 
"Ciollection  des  Opinions  de  Malouet^  trois  volumes.   1791. 
omel*',  p.  138.) 


15. 


3tt8  MARIE- ANTOINETTE. 


CGCCLXXVII 

LA  REKNE  AU  COMTE  DE  MERCY-ARGENTEAU  (1). 

Elle  ne  veut  se  mêler  de  rien ,  l'a  écrit  ù  Monsieur,  et  dès  lor* 

ne  recevra  pas  M.  de  Lcvis. 

[6  janvier  1790.] 

Voici  la  lettre  pour  l'Empereur,  Monsieur  le  Comte  ; 
je  me  borne  à  lui  parler  de  sa  santé  et  de  la  nôtre.  Vos 
dépêches  parleront  assez  d'affaires.  Voici  le  jour  de  l'an 
passé  tranquillement.  J'ai  écrit,  ce  matin,  à  Monsieur 
pour  lui  mander  simplement  que,  voulant  suivre  mon 
plan  de  ne  me  mêler  de  rien  et  de  ne  voir  personne,  je 
le  prie  de  dire  h  M.  de  Lévis  que  je  ne  peux  pas  le  rece- 
voir. Je  ne  me  suis  permis  ni  plainte  ni  réflexion. 
J'imagine,  ce  soir,  j'aurai  une  explication.  Je  suis  très- 
décidée  à  tenir  ferme  à  mon  idée,  et  surtout  à  ne  pas 
me  compromettre  dans  mes  réponses. 

Je  vous  préviens  que  le  Roi  verra  les  ambassadeurs 
mercredi,  jour  des  Rois,  au  lieu  de  jeudi.  Adieu,  Mon- 
sieur le  Comte  ;  tous  mes  sentiments  vous  sont  acquis. 

— 1^^— —  ■        ■■   ■      ■■      ■^  ■  ■■■1  MMI  I  ■  l»,—-!!.!».!  ■—■■» —   ■  ■  -  .  .■      — I     -      ■      I      ■  »     I  ■    ■     ■  I    ,  ■     ■   —     »■■     » — 

(1)  Papiers  d'Argenteau.  Arcliives  impériales  d'Autriche. 


M  A  RIE- ANTOINETTE.  S29 


CGCCLXXVIII 

MARIE-A>'TOINETTE  A  LA  DCGHESSE  DE  POLIGISAC  (1). 

JLa  position  ext  horrible.  -~  On  les  surveille  comme  des  criminels.  — 
Im|>os8ible  de  s'approcher  d'une  fenêtre  sans  cCrc  insultés ,  de  faire 
prendre  Tair  aux  enfants  sans  les  exposer  aux  vociférations.  -—  Il 
faut  trembler  toujours,  et  pour  tout  ce  qu'on  aime. 


Ce  7  janvier  1790. 

Je  ne  peux  résister  au  plaisir  de  vous  embrasser, 
Tuon  cher  cœur,  mais  ce  sera  en  courant,  car  l'occasion 
^ui  se  présente  est  subite,  mais  elle  est  sûre,  et  elle  jet- 
tera ce  mot  à  la  poste  dans  un  gros  paquet  qui  est  pour 
TOUS.  Nous  sommes  surveillés  comme  des  criminels,  et 
en  vérité   cette  contrainte  est  horrible  à   supporter. 
Avoir  sans  cesse  à  craindre  pour  les  siens,  ne  pas  s'ap- 
procher d'une  fenêtre  sans  être  abreuvée  d'insultes,  ne 
pouvoir  conduire  à  l'air  de  pauvres  enfants  sans  expo- 
ser ces  chers  innocents  aux  vociférations ,  quelle  posi- 
tion, mon  cher  cœur!  Encore  si  on  n'avoit  que  ses 
propres  peines,  mais  trembler  pour  le  Roi ,  pour  tout 
ce  qu'on  a  de  plus  cher  au  monde,  pour  les  amis  pré- 
sents, pour  les  amis  absents  :  c'est  un  poids  trop  fort  à 
endurer.  Mais,  je  vous  Tai  déjà  dit,  vous  autres  me 
soutenez.  Adieu,  mon  cher  cœur.  Espérons  en  Dieu  qui 
voit  nos  consciences,  et  qui  sait  si  nous  ne  sommes  pas 


(I)  Cette  lettre  est  une  de  celles  que  j'avais  pi-ètées  ù  M.  de  fieau- 
c^Kcsne,  qu'il  a  fait  lithographicr,  et  dont  le  lithographe  a  oublié  d'iu- 
^'iquer  la  provenance. 


î^^^ 


k.tii^ 


ti.vs 


*.» 


àcV»* 


oUï 


\eV 


,\as 


-ïtai  V 


ce  ?»^*- 


LOt« 


Je 


^oU& 


:asse- 


etvlte 


e*«  "      ;  «eu  A«  ^         --»^* 


seU' 


Â'^^^^'t!  suives '°''' 
et  V^* 


êtes 


■vo^s 


Stxsct'V 


,t\o»  ■• 


pour 


ritfl 


claw»« 


laD»' 


hes««- 


boîa« 


;Bi.V«S- 


î(l^^ 


(^0- 


tas 


^BEttt 


A- 


îAK^*' 


{aU 


Al»»*' 


Ve^'O-rrieV.»^" 


V^î'^^'^"'*^" 


&e 


\nte 


\c  V 


a^ï^ 


*"V*«^*' 


ta* 


4e*ù»* 


soVt 


la» 


v\eT 


1190  aV 


tïia  *è^ 


net ,  <r     ,^  çeta*  ^^     ^.^  cfic  *^ 


de  té«''"..:o\et  «V*^  '^^  ?•.  .«ro\t 


u8  àVs*^"^ 


de 


tieV 


ott^«* 


iuss^*^  " 


cto^ 
j'esÇ 


;CÏ  <V 


ttc  y 


CeçenAa^^'lcnète  <\^^ 


A  «^ 


aS< 


cs*e 


»^»'^  V"" 


erv 


cv« 


A»ie 


ac 


*9- 


MADAME   ÉLISABETa.  231 

M.  du  M., que  cela  n'arréteroit  pas  beaucoup;  quanta 
celle  de  L.,  il  me  semble  qu'elle  est  détruite  depuis 
longtemps.  Ne  vous  tourmentez  pas  pour  deviner  celle 
que  je  prévois,  cela  est  impossible;  rapportez-vous-en 
à  moi  pour  lever  les  difficultés,  et  croyez  que  mon  ami- 
tié pour  toi  ne  me  laissera  rien  négliger  pour  cela. 

Il  y  a  eu  du  bruit  ces  jours  passés  à  Versailles,  c'étoit 

un  moyen  que  l'on  avoit  pris  pour  en  faire  ici ,  mais 

heureusement  qu'il  n'a  pas  réussi;  la  municipalité  de 

Versailles,  qui  est  plus  poltronne  que  tout  ce  que  tu 

peux  imaginer,  a  cédé  ce  qui  lui  étoit  demandé  par 

douze  cents  hommes,  et  le  pain  est  à  deux  sols  et  demi. 

Lu  fureur  contre  le  baron  de  Besenval  augmente  ;  on 

^  menacé  un  juge,  l'autre  jour,  de  la  lanterne  s'il  ne 

1^  condamnoitpas.  Je  ne  prévois  pas  comment  tout  cela 

finira  (1).  On  dit  que  M.  de  Favras  (2)  va  être  pendu 


fl)   Pierre -Victor,  baron  <lc  Bésenval,  né  à  Soleiire  en  1722,  ori- 
ginaire de  Savoie,  était  fils  du  mini.'ttre  de  France  en  Saxe,  (;oloneI  du 
>^«'>(;iiii('nt  des  (tardes  suisses.   Il  fut   inspecteur  ({entrai  des  Suisses  et 
^liriHons,  puis  lieutenant  général  au   service  de  France.    Char{»é,  en 
4  789,  d'un  commandement  dans  les  troupes  réunies  autour  de  Paris, 
-^  1  abandonna  son  poste  et,  soit  dégoût  de  la  cause  aristocratique  qu*il 
^5- lit  été  appelé  à  soutenir  dans  les  luttes  sanglantes  qui  allaient  s'en- 
^2a{*er,   aoic  défaut  de  caractère,  il  tenta  de   s'enfuir   en  Suisse.   On 
^  "arréu,  et  il  fut  traduit  devant  le  Cbâtclet.  Le  peuple  était  fort  en 
^r^umeur  contre  lui.  Les  uns  demandaient  avec  colère  qu*on  le  jugeât, 
^«d  autres  demandaient  sa  tète.  Déclaré  innocent  et  relâché,  il  réussit 
<s^  vivre  paisible  et  oublié  dans  Paris,  jusqu'en  1794,  époque  de  sa  mort. 
^$rA  célèbres  Mémoires  sont  d'un   fat,  bel  esprit    manqué,  amoureux 
^cl'anecdotes  scandaleuses.  Ce  qu'on  pourrait  dire  de  mieux  k  sa  dé- 
^^liarge,  c'est   qu'ils   ne  sont  pas   de  lui,  comme  on    l'a  soujx^onné. 
\u  résumé,  on  n'a  jamais  eu  moins  de  moralité  ni  plus  d'amabilité. 

(2)  Thomas  Maby,  marquis  de  Favras,  né  à  Blois,  en  17V4,  victime 
m  1790  de  la  délirante  cruauté  populaire,  de  la  lâcheté  du  comte  de 
?rovencc  et  des  juges  du  Châtelet.  Voir  au  Supplément. 


Î32  LÊOPOLD,   DEPUIS   EMPEREUR. 

pour  avoir  voulu  enlever  le  Roi  de  Paris. à  peu  près 
comme  il  Va  été  de  Versailles,  à  l'exception  que  c'étoit 
pour  lui  rendre  la  liberté.  Voilà  ce  qui  se  dit  dans  le 
monde  et  la  raison  de  sa  mort.  Adieu,  ma  chère  petite, 
je  n'ai  pas  le  temps  de  t'écrire  plus  longuement;  j'em- 
brasse tes  enfants,  et  leur  souhaite  une  heureuse  année 
J'espère  que  tu  as  de  bonnes  nouvelles  de  la  petite. 


CCCCLXXX 

L'ARCHIDUC  GRAND-DUC  DE  TOSCANE  LÉOPOLD, 
DEPUIS  EMPEREUR,  A  SA   SOEUR   MARIE-CHRISTINE  (i). 

Il  crnint  qu'elle  n'ait  laissé  â  son  départ  tous  ses  papiL>rs  à  Rruxelles, 
quand  il  eût  été  si  important  de  les  emporter  avec  soi.  —  Ses  inquié- 
tudes pour  la  santé  de  l'Empereur.  —  Il  désapprouve  tout  ce  qui 
s'est  fait  aux  Pays-Ras,  mais  n'a  point  osé  manifester  publiquement 
son  opinion.  —  Il  se  plaint  vivement  de  n'être  tenu  au  courant  de 
rien,  ni  de  la  conduite  des  affaires  ni  de  la  santé  de  Joseph  II.  — 
Toutes  ses  correspondances  sont  interceptées.  —  On  fait  tout  ce 
qu'il  est  possible  pour  pousser  la  Ilon{p'ie  à  la  révolte. 

Le  15  janvier  [1790]. 

Ma  très-chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre,  et 
rends  grâce  à  Dieu  qu'au  moins  votre  santé  se  sou- 
tienne heureusement  dans  tous  les  terribles  moments 
présents.  Si  on  a  laissé  tous  les  papiers  à  Bruxelles  en 
partant,  on  a  bien  mal  fait,  car  il  étoit  de  la  dernière 
importance  de  les  emporter  avec  soi,  et  je  crois  que 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  F  Archiduc  A  U>crt 
d'Autriche. 


LÉOPOLD,   DEPUIS   EMPEREUR.  233 

nous  les  verrons  bientôt  imprimés.  £n  outre,  la  santé 
de  Sa  Majesté  est,  à  ce  que  Ton  dit,  bien  inquiétante. 
Dieu  veuille  que  la  continuation  de  cette  année  soit 
sneilleure  que  le  commencement  ;  c'est  ce  que  je  désire 
de  toutes  les  façons  pour  vous  et  pour  moi ,  mais  ne 
.saurois  l'espérer  ni  m'en  flatter.  Soyez  pourtant,  je 
^ous  prie,  bien  persuadée  du  plus  tendre  attachement 
avec  lequel  je  vous  embrasse  et  suis. 

J'ai  vu  par  votre  lettre  que  le  comte  Persico  n'est 
point  encore  parti  de  Vérone;  je  suis  étonné  qu'il  ne 
me  l'ait  pas  fait  savoir  au  moins  à  temps.  Adieu.  J'ai  reçu 
exactement  toutes  vos  lettres.  Vous  avez  très-bien  fait 
de  dire  au  duc  d'Urse  (Ursel)  mes  sentiments  ;  c'est  un 
(loniiéte  homme.  Si  j'avois  osé,  j'aurois  publié  un  écrit 
où  j*aurois  manifesté  mes  sentiments  sur  les  Pays-Bas, 
et  ma  désapprobation  de  tout  ce  qui  y  a  été  fait  :  je  les 
CTois  perdus  sans  ressource,  et  cela  parce  qu'on  l'a  voulu. 
Ainsi  je  vous  préviens  une  fois  pour  toujours  que  pas 
tnéme  à  présent  je  suis  informé  d'aucune  chose,  ni  de 
Ce  qu'on  fait  dans  les  affaires,  ni  de  ce  qu'on  traite  avec 
l^s  cours  étrangères,  ni  des  rapports  qui  en  viennent, 
ni  des  relations  ou  vues  qu'on  a  ;  que  je  ne  saisies  nou- 
velles que  par  la  gazette,  ni  celles  des  Pays-Bas  que 
par  vous;  qu'on  ne  m'a  rien  écrit  ni  de  la  mission  de 
*Thugut,  ni  des  commissions  dont  il  est  chargé,  ni  des 
idées  qu'on  a  pour  la  paix  ;  qu'on  ne  me  marque  rien 
sur  la  santé  de  Sa  M. ,  ou  tout  exprès  si  confus  que  je  n'y 
puis  rien  comprendre;   que  François  n'ose   me  rien 
écrire,  et  qu'on  arrête  et  ouvre  toutes  ses  lettres  :  il  me 
l'a  fait  dire  de  bouche  par  quelqu'un  ;  enfin  je  ne  sais 


>*'•  '"t^n»*  *'  ""f     VO.S  -"V-  ^'„  e«i-« 
«»«'  *     .,ec  te  '»'  *      ,  le  V"»»*  * 

tocraw'-  -  Ce  ^^  1*  , 

fort  V««  *''^°to  d'ar**" 
Turcs  80«^'        ui»V«»''"       aIsi»*»**'        ^a 


MADAME  ELISABETH.  235 

M.  de  B.  (1),  et  disant  même ,  qu'à  son  avis,  c'étoit 
le  seul  qui  pût  remplacer  M.  de  G.  (2),  parce  quec'étoit 
celui  qui  avoit  le  plus  d'esprit.  A  cet  éloge,  j'ai  ajouté 
celui  de  fidélité  dont  on  ne  doute  pas.  On  m'a  montré 
du  regret  de  ce  que  les  circonstances  commandoient 
tellement,  qu'il  étoit  impossible  de  prendre  un  enga- 
gement. Voilà,  mon  cœur,  le  résultat  de  notre  conver- 
sation. Au  total,  j'ai  lieu  de  me  louer  de  la  bonne 
volonté  que  l'on  m'a  montrée.  Point  de  difficultés  qui 
viennent  de  chez  l'étranger  ;  simplement  le  malheur  du 
moment  qui  empêche  de  rien  prévoir,  et  l'impossibilité 
par  la  position  des  États.   Si  les  Turcs  changeoient 
d'avis,  comme  tu  es  plus  à  portée  de  le  savoir,  tu  me 
le  manderois  tout  de  suite.  La  Prusse  est  cause  de  leur 
résistance,  parce  que  l'on  croit  qu'elle  a  le  désir  d'atta- 
quer l'Emp.  Qu'il  ne  lui  en  prenne  pas  d'autre,  voilà  ce 
que  je  désire  bien  vivement.  Nous  sommes  tranquilles. 
Mardi  dernier,  il  y  a  eu  un  peu  de  mouvement  pour 
pendre  le  B.  de  B.  et  M.  de  Favras.  Le  peuple  s'est 
assemblé  au  Châtelet.  En  même  temps,  les  déserteurs, 
au    nombre  de  deux  cents,  sont  venus  aux  Champs- 
Elysées  pour  demander  une  paye  plus  forte.  Cinq  mille 
liommes  s'en  sont  emparés  avec  beaucoup  de  grâce  ;  on 
les  a  déshabillés  et  menés  à  Saint-Denis.  Il  y  a  un 
oonseil  de  guerre  pour  eux  ;  ils  seront,  dit-on,  décimés, 
t.* attroupement  du  Châtelet  s'est  dissipé  très-facilement. 
On  a  pris  l'homme  qui  a  arraché  le  cœur  de  MM.  Fou- 
lon et  Berthier.  Il  soutient,  dit-on,  qu'il  a  fait  un  acte 


(1)  Bombelles. 

(î)  Clioiseul-Gouffier. 


236  MADAME   ELISABETH. 

(le  patriotisme.  On  ne  peut  pas  imaginer  qu*un  homme 
puisse  être  aussi  barbare  de  sang-froid.  Il  sera  pendu  pour 
sa  peine.  Versailles  n'est  pas  tranquille  :  il  y  a  une  ani- 
mosité  affreuse  entre  les  deux  quartiers.  Celui  de  Notre- 
Dame,  qui  est  le  plus  mauvais,  va  élire  un  homme 
affreux  pour  maire  de  la  ville.  Si  on  lui  rendait  justice, 
il  seroit  pendu  :  il  y  a  contre  lui  des  preuves  assez 
fortes  pour  le  faire  exécuter.  Voilà  les  monstres  qui  ont 
toujours  l'avantage  sur  les  bons  et  honnêtes  gens  ;  mais 
dès  qu'ils  sont  portés  pour  quelque  place,  on  leur 
applique  ce  vieux  mot  d* aristocrate^  et  pour  lors  le 
peuple  et  même  beaucoup  de  gens  bien  pensants  leur 
refusent  leur  voix.  A  Versailles,  le  quartier  Saint-Louis 
voulait  nommer  M.  de  Lille  à  la  mairie  ;  mais  on  lui  a 
donné  ce  surnom  odieux,  et  pour  lors  on  lui  préférera 
un  monstre.  M.  Berthier  le  fils,  qui  est  commandant 
de  la  milice  sous  M.  de  La  Fayette,  se  conduit  à  mer- 
veille ;  eh  bien  !  l'on  a  déjà  voulu  le  pendre  plus  d'une 
fois.  Cependant  il  faut  rendre  justice  au  peuple  de  Ver- 
sailles pour  le  train  de  mardi  ;  il  y  en  avoit  très-peu  de 
la  ville  ;  c'étaient  presque  tout  ce  que  nous  appelons 
bandits,  que  l'on  ne  connoit  nulle  part,  et  qui  tom- 
bent tout  d'un  coup  dans  un  endroit  sans  qu'on  les 
ait  vus  arriver.  Si  ce  n'étoient  pas  de  si  grands  monstres, 
on  croiroit  que  c'est  des  saints,  car  cela  tient  beaucoup 
du  miracle,  mais  [on]  ne  peut  pas  s'y  méprendre. 

Votre  mère  a  eu  la  fièvre  ces  jours  passés,  et  votre 
sœur  est  enrhumée  ;  mais  tout  cela,  au  fait,  se  porte  le 
mieux  du  monde,  et  je  trouve  que  la  vie  que  mène 
votre  mère,  quoique  fatigante,  lui  fait  beaucoup  de 
bien.  Elle  ne  met  pourtant  pas  autant  de  grands  habits 


MARIE-AMOKNETÏE.  2:)7 

que  je  te  Tavoîs  mandé.  Adieu,  ma  pauvre  Bombette, 
aime  toujours  ta  princesse,  qui  t*aime  de  tout  son  cœur 
et  t'embrasse  de  même. 


CCCCLXXXII 

LA  REINE  ACJ  COMTE  DE  MERCY-ARGENTEAU  (1). 

[21  janvier  1790.] 

Je  serai  demain,  depuis  dix  beures  et  demie  jusqu'à 

idi  sûrement,  seule  cbez  moi  ;  j'aurois  {jrand  plaisir  à 

DUS  voir,  car  j'ai  bien  des  cboses  à  vous  dire.  Mon 

nae  est  plus  inquiète  et  plus  agitée  que  jamais.  Je  ne 

-""ous  parle  pas,  monsieur,  de  tous  mes  sentiments  pour 

"ous.  Ce  seroit  faire  injure  à  tous  deux  que  de  faire  des 

h  rases  pour  vous  en  assurer. 

Ce  jeudi,  à  midi,  21. 


C^^)  Papiers  d'Argenteau.  Archives  impériales  d'Autriche. 


Î38  LÉOPOLD,  DEPUIS   EMPEREUR. 


CCCCLXXXIII 

L*ARCriIDUC  GRAND-DUC  DE  TOSCANE  LÉOPOLD, 
DEPUIS   EMPEREUR,  A  SA   SOEDR   MARIE-CHRISTINE  (1). 

11  ne  croit  pas  possible  de  rétablir  la  situation  aux  Pays-Ras,  à  moins 
de  franches  et  larges  concessions.  —  Ses  inquiétudes  pour  la  santé 
de  l'Empereur  augmentent. 

Le  23  janvier  [1790]. 

Très-chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre  que  j'ai 
très-bien  pu  lire,  et  suis  bien  de  votre  avis  que  ni  par 
la  force ,  ni  par  de  petits  moyens  ou  né(jociations  par 
des  particuliers,  on  ne  pourra  plus  rien  faire,  et  qu'il 
faudroit  traiter  directement  les  points  que  vous  m'avez 
marqués.  Je  les  trouve  très-justes  et  très-discrets,  et 
crois  qu'on  pourroit  accorder  et  même  offrir  bien  plus 
que  cela.  Je  souhaite  seulement  que  quelque  chose  se 
fasse,  et  que  vous  soyez  tranquille  et  contente.  Nous 
sommes  dans  de  bien  grandes  inquiétudes  pour  la  santé 
de  Sa  Majesté.  Les  rapports  ne  s'accordent  pas  sur  ce 
qui  la  regarde  ;  mais  toutes  les  notices  en  sont  bien 
inquiétantes,  surtout  pour  la  difficulté  de  dormir  et  de 
respirer.  Dieu  veuille  nous  en  faire  avoir  bientôt  de 
meilleures  nouvelles.  Portez- vous  bien,  et  soyez  bien 
persuadée  de  toute  la  tendresse  avec  laquelle  je  vou» 
embrasse  et  suis. 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArcliiduc  Albrr' 
d*AutrIclie. 


LEOPOLD,   DEPUIS    EMPEREUR.  Î39 


CCCCLXXXIV 

L'ARCHIDUC    GRAND -DrC   DE   TOSCANE   LÉOPOLD, 

DEPUIS  EMPEREUR, 
AU  DUC  DE  SAXE-TESCHEN,  SON  REAU-FRÈRE. 

La  lettre  importante  qui  va  suivre  a  été  écrite  par  l'Archiduc 
Grand-Duc  de   Toscane    Léopold,   pendant   que   son    frère 
Joseph  II  se  mourait.  Ckît  empereur  ne  sur\écut  que  vin^ft-six 
jours.  Déjà  miné  par  le  poison  d'une  fièvre  lente  contractée 
sur  les  bords  du  Danube,  dévoré  d'amertume  par  le  mauvais 
Succès  de  sa  première  campagne  de  Turquie  et  par  Tinsurrec- 
tton  des  Pays  Ras  autrichiens,  Joseph  n'avait  pu  tenir  contre 
los  nouvelles,  tous  les  jours  plus  douloureuses,  de  la  révolu- 
tion  française  et  des  attentats  commis  contre  sa  sœur  Marie- 
-Antoinette.  Sa  santé  avait  reçu  une  mortelle  atteinte,  él  il 
^cîscendait  rapidement  vers  le  tombeau.  Ce  prince,  comme 
^^ous   le  disions  plus  haut,  avait  été  animé  des  meilleures 
i  ^itentions;  mais  dans  son  orig;inalité  fantasque,  l'amour  du 
ien  public  semblait  toujours  être  chez  lui  à  l'état  de  lyrisme 
X  d'ivresse.  Avec  plus  d'esprit  que  de  jugement,  plus  d'ar- 
eur  à  acquérir  des  connaissances  que  de  patience   à   les 
^iûrir,  il  s'était  imag^iné  pouvoir   refaire  les   peuples   par 
écrels  et  par  ordonnances  ;  il  s'était  hâté  d'opérer  dans  ses 
*Ltats  héréditaires,  surtout  dans  ses  États  annexés,  des  ré- 
armes dont  la  violence  dépassait  les  limites  qui  les  séparent 
es     révolutions.    S' obstinant,    mal(;ré    toutes    les    remdn- 
irances,  à  écraser  les  peuples  de  taxes  exagérées,  à  renouveler 
^enseignement  th«k>logique  dans  le  Brabant,  à  fermer  les 
ou  vents  de  tous  côtés,  il  avait  blessé  au  cœur  les  populations 
lig^ieuses ,  sans  voir  le  point  noir  qui  se  formait  et  grossissait 
l'horizon.  Les  Belges  exaspérés  avaient  fini  par  chasser 
tronpes  impériales,  et  ces  troupes  n'occupaient  plus  que  le 
^uxembourg.  Les  gouvernants  pour  l'Empt^renr,  le  duc  et  la 
nchcsse  de  Saxe-Teschen ,  s'étaient  retirés  à  Coblentz,  puis 
Bonn.  A  la  nouvelle  de  l'agonie  de  Jo.soph,  le  Duc  avait 


240  JOSEPH    II    ET   LEOPOLD. 

écrit  au  futiir  empereur  Léopold ,  qui  était  encore  à  Flo- 
rence, pour  lui  demander  ôca  instructions  sur  la  politique 
à  suivre,  à  rinau(juration  du  nouveau  règne,  vis-à-vis  des 
provinces  révoltées.  Y  aurait-il,  disait  la  lettre,  convenance 
à  déclarer  à  l'Assemblée  des  États  qu'ayant  toujours  dés- 
approuvé les  procédés  dont  on  avait  usé  envers  la  nation, 
sous  le  ré(jime  qui  venait  de  s'éteindre,  sans  que  Léopold 
eût  en  aucune    façon    le   moyen   d'y   porter   obstacle,    ce 

•  prince  saisissait  le  premier  moment  de  son  avènement  pour 
manifester  publiquement  le  déplaisir  qu'il  en  avait  conçu 
et  pour  assurer  les  peuples  que,  déterminé  à  observer  exac- 
tement tout  ce  que  réclamaient  leurs  vieilles  constitutions, 
il  voulait  se  concerter  et  s'entendre  avec  eux  pour  tout  ce 
qui  y  touchait?  Fallait-il  agir  ainsi  et  parler  en  son  nom 
impérial,  ou  se  borner  à  parler  au  nom  des  gouverneurs, 
ou  bien  se  taire  et  attendre?  —  11  y  a,  ajoutait  le  Duc,  à 
se  méfier  de  la  Prusse,  envers  qui  les  États,  on  ne  sait  dans 
quelles  limites,  se  sont  peut-être  engagés  pour  soutenir  le 
caractère  de  pays  indépendant.  On  voit  en  effet  qu'ils  pa- 
raissent décidés  à  ne  plus  vouloir  entendre  à  aucun  accom- 
modement. Les  forces  impériales  sont  insuffisantes,  surtout 

*  si  d'autres  (|ue  les  insurgents  venaient  encore  à  se  mêler  de 
la  besogne.  Suivant  le  duc  de  Saxe-Teschen  ^  la  révolution 
du  pays  ne  s'était  pas  opérée  sans  un  plan  concerté  préala- 
blement entre  les  puissances  ennemies  de  l'Empereur  et 
surtout  avec  le  Roi  de  Prusse,  dans  le  dessein  d'affaiblir  la 
maison  d'Autriche.  Le  Duc  avait  deviné  juste,  car  la  Prusse 
et  l'Angleterre  avaient  traité  avec  les  États  révoltés  et  leur 
garantissaient  leurs  anciens  privilèges  pour  les  empêcher  de 
se  jeter  dans  les  bras  de  la  France.  On  croyait  aussi  voir 
dans  tous  ces  mouvements  le  doigt  des  terribles  réformateurs 
qui  reuuiaient  alors  le  sol  de  la  France  et  insultaient  à  leur 
Reine  comme  Autrichienne. 

Les  insurgés  belges  s'étaient  divisés  après  le  triomphe. 
D'une  part  étaient  les  zélateurs  des  anciens  privilèges,  us  et 
coutumes,  à  savoir  les  catholiques  ardents,  les  zélanti,  sous 
le  nom  de  Statistes^  c'est-à-dire  partisans  des  États.  —  De 
l'autre,  les  patriotes  animés  d'opinions  analogues  à  celles 
des  Constituants  français,  et  qu'on  appelait  Vonckistes ^  d 


DERNIERES   LETTRES   DE   JOSEPH   II.  241 

2:10m  de  Yonck,  leur  chef  principal,  avocat  au  conseil  sou- 
'^^eraîn  de  Brabant,  réfugié  en  France  pour  échapper,  pen- 
ant  le  cours  de  l'insurrection ,  aux  persécutions  du  parti 
pposé.  Leur  noyau  le  plus  important  se  composait  de  la 
urçeoisie  des  villes  et  de  l'aristocratie  municipale.  Mais, 
lits  prêts  et  plus  forts  que  leurs  adversaires,  les  Statistes,  un 
nstant  les  maîtres,  ne  leur  ména(jeaient  pas  les  violences. 
Edouard  Walkiers,  {jrand  né^jociant  et  banquier,  était  un  des 
lus  importants  Vonckistes.  Le  chef  reconnu  des  Statistes, 
''an  der  Noot,  nommé  ministre  par  ses  partisans,  avait  pour 
icolyte  le  plus  fidèle  un  prêtre  fort  remuant,  nommé  Van 
ilupen. 

Cependant  le  malheureux  Joseph  II,  qui  s'était  si   bien 
int  lui-même  en  écrivant  son  épitaphe  :  u  Cï-qH  Joseph  II, 
i  qui  jamais  rien  n'a  réussi,  »   achevait  de  mourir,  enve- 
oppé  dans  les  lambeaux  d'une  monarchie  déchirée.  Quel- 
ues  jours  avant  d'expirer,  il  disait  au  prince  de  Lig^ne  : 
:<  Votre  pays  m'a  tué.  La  prise  de  Gand  a  été  mon  ag;onie; 
^abandon  de  Bruxelles,  ma  mort.  Quelle  avanie!  Il  faudrait 
de  bois  pour  que  cela  ne  fût  point,  n 
Esprit  inquiet,  mais  cœur  droit  et  âme  aimante,  Joseph  II 
<^tait  le  dernier  ami  vrai  que  Marie-Antoinette  eût  conservé 
ans  sa  famille.  Celui-là  du  moins  ne  l'eût  pas  abandonnée. 
1  allait  être  remplacé  sur  le  trône  par  un  homme  d'esprit 
uvert  sans  doute,  mais  frotté  de  philosophisme,  mais  de 
tf^rœur  sec  et  froid ,  et  avant  toute  chose  calculateur  ég^oïste. 

Le  13  février  1790,  Joseph  dictait  encore  une  lettre  qu'il 
F^^ascrivait  et  si(^nait,  à  sa  sœur  Christine  : 


Vienne,  ce  13  février  1790  (I). 

^la  chère  Sœur,  la  longue  maladie  qui  me  persécute 
Kifin  empiré  au  point  que  j*ai  été  dans  le  cas  de  me 


C  ^  3  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  rArchiduc  Albert 
^*-^**triclic. 

TOME  in.  16 


5M         DERNIÈRES    LETTRES   DE   JOSEPH    II. 

faire  administrer  publiquement  aujourd'hui,  et  j*ai 
voulu  vous  en  donner  part  moi-même.  Quelle  que  soit 
la  chose  que  la  Providence  disposera  de  moi,  et  à 
laquelle  je  suis  parfaitement  résigné,  comptez  sur  ma 
tendre  amitié,  et  que  je  ne  cesserai  jamais  d'être,  en 
vous  embrassant  de  tout  mon  cœur, 

(De  la  main,) 

Votre  tendre  frère, 

Joseph. 

Faites  agréer  mes  compliments  à  votre  cher  époux. 


Toujours  préoccupé  de  sa  famille  et  des  Pays  Bas  aflran- 
chis,  il  adressait  de  nouveau  à  la  méine  Princesse  une  der- 
nière lettre  qu'il  signait  d'une  main  mourante,  la  veille 
même  où  il  rendait  le  dernier  soupir. 


Vienne,  le  19  février  1790  (1). 

Me  trouvant  dans  l'impossibilité  absolue  d'écrire 
moi-même,  et  à  peine  pouvant  encore  signer  mon  nom, 
je  fte  trouve  cependant  dans  la  triste  nécessité  de  vous 
donner  part,  ma  chère  Sœur,  et  à  votre  cher  époux,  du 
malheureux  coup  qui  vient  encore  de  me  frapper  par 
la  mort  de  madame  l'Archiduchesse  Elisabeth,  épouse 
de  l'Archiduc  François,  qui ,  après  une  couche  un  peu 
laborieuse,  mais  heureuse,  sept  à  huit  heures  après,  se 


(1)  ArchÎTCs  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArcliidnc  Albert 
d'Autriclie. 


f 


MARIE 


} 


f/LJ/liâfl^      r^ 

nu   //^  <«-  / 


3 

ît 
e 


i 
i 

» 

i 


t 
1 
1 

i 


'0n 


9tû. 


i//c^ 


4Cti 

/   .  * 

f/7 


JOSEPH   II   ET  LÉOPOLD.  243 

*ouva  frappée  d'un  coup  d*apoplexie  nerveux  dont  elle 

5t  morte  sur-le-champ  (1). 

Vous  voudrez  bien  prendre  toute  la  part  que  cet 

vénement  mérite  de  la  famille.  Adieu,  je  vous  embrasse 

n  prenant  congé,  puisque  je  sens  combien  ma  disso- 

iition  s'avance. 

{De  la  main.) 

Joseph  (2). 


Dans  sa  n'îponse  au  duc  de  Saxe-Teschen ,  Léopold  dit 
1  entouré  d'espions,  il  ose  à  peine  parler  ou  écrire.  Du 
vaut  de  ^Empereur,  il  n'approuvera  ni  ne  désapprouvera 
^n  ,  et  il  demeure  tout  à  fait  étran(jer  à  ce  qui  se  traite  à 
enuc.  Fort  converti  aux  idées  philosophiques  du  temps, 
tis  encore  politique  au  fond  dans  ses  doctrines  spécula- 

^4)  G*était  la  femme  du  fiU  de  Léopold,  FraiiçoÎH,  neveu  de  prédi- 
tion  de  Joseph  II,  qu*il  avait  fait  élever  auprès  de  lui,  et  qui  lui 
ma  les  yeux.  Il  sera  question  de  ce  Prince  dans  la  lettre  qui  va 
ivre. 

C^)  Joseph  II,  qui  ne  laissa  point  de  postérité,  avait  été,  comme 
^^s  Tavons  dit  au  précédent  volume,  marié  deux  fois  :  la  première, 
l'Infante  Iriabelic  de  Parme;  la  seconde,  à  la  Princesse  Marie-José- 
**ne  de  Bavière,  qu'il  perdit  en  1767.  L'Infante  mourut  en  couches 

fut  suivie  de  près  par  son  enfant.  Cette  Princesse,  qui  avait  em- 
^>^  en  Autriche  une  vive  affection  secrète  pour  un  seigneur  de  la 
^Ur  de  son  père,  n'avait  jamais  pu  répondre  aux  sentiments  que  lui 
^Outrait  son  mari.  Et  cependant  celui-ci  conçut  un  tel  désespoir,  une 
-lie  mélancolie  quand  il  vint  h.  la  perdre,  que  sa  santé  en  était  alté- 
'^.  En  vain  sa  sœur  Marie-Christine  essayait-elle  de  le  consoler,  elle 
'y  poovait  réussir,  lorsqu'enfin,  perdant  patience,  cette  sincère 
^îocessc,  qui  avait  été  la  confidente  d'Isabelle,  s'écria  :  «  Eh!  bon 
'^eu!  apaisez-Tous  donc,  elle  ne  vous  a  jamais  aimé!  ■ 

Les  papiers  du  Duc  de  Saxe-Teschen  contiennent  plusieurs  dossiers 
'^latjfs  à  l'Infante  Isabelle.  L'un  de  ces  dossiers  porte  les  mots  sui- 
vants, de  la  main  du  Duc  : 

No  1.  Divers  billets  adressés  à  feu  ma  très-chère  épouse  y  par  VAr- 
zhiduchesse  Isabelle,  première  femme  de  t  Empereur  Joseph  II,  moite 

16. 


2W  JOSEPH   II   ET   LEOPOLD. 

tives,  il  s'ouvre  sur  ses  principes  en  matière  re]i(;icuse  c 
(jouvernementale.  Il  est  d'avis  d'accorder  aux  Pays-Bas  d 
]ar(jcs  concessions.  On  l'accuse  de  soutenir  les  jansénistes 
comme  si  l'on  savait  au  juste  en  Brabant  ce  que  c'es 
qu'un  janséniste.  On  lui  reproche  d'avoir  fait  des  lois  su 
les  reliques  et  sur  les  enterrements  :  il  se  justifie.  Puis  i 
développe  des  principes  politiques  du  libéralisme  le  phi 
avancé,  (jui  impliquent  de  piano  un  désaveu  des  mesures  d< 
l'Empereur  dans  les  Pays-Bas.  Le  souverain  n'est  qu'ui 
délé(pu»,  un  employé  du  peuple.  Son  autorité  est  limitée 
S'il  enfreint  la  loi,  on  n'est  plus  lenu  à  lui  obéir.  A  chaqw 
chançomcnt  de  rè(}ne,  le  peuple  cîst  en  droit  de  modifier  l< 
contrat  qui  l'unit  au  souverain.  Le  peuple  seul  est  maltn 
de  la  fixation  des  impôts,  et  le  souverain  lui  doit  compte  di 
l'administration  des  finances.  L'armée  ne  doit  être  employés 
qu'à  la  défense  du  pays.  En  un  mot,  le  souverain  ne  régir 
que  par  la  volonté  du  peuple,  et  la  liberté  individuelle  dcr 
être  entourée  de  toutes  les  g^aranties.  Voici  cette  réponse  (H 


en  1763,  à  Vàge  de  vingt  et  un  ans,  et  qui  sont  intéressants , 
que  son  esprit  et  son  caractère  estimables  s'y  trouvent  manifestés,  ttû 
que  dans  tout  ce  qui  reste  d'ailleurs  d'écrits  de  cette  Princesse 
admirable  qu  aimable. 

On  autre  fascicule,  n°  3,  a  pour  suscription,  toujours  de  la  main  dM 
Duc  : 

Divers  morceaux  instructifs,  gais  et  autres,  écrits  dans  des  heures 
de  loisir,  de  V Archiduchesse  Isabelle. 

L'un  des  principaux  morceaux  est  intitulé  les  Exercices  de  tesprit  1 
ou  Réflexions  pour  trois  jours  de  retraite. 

Un  autre  morceau  porte  ce  titre  :  les  Aventures  de  VEtourderie; 

Un  autre.  Us  Charmes  de  C  Amitié, 

Un  autre  est  un  Traité  sur  les  hommes. 

On  trouve  aussi  quelques  chansons  françaises,  en  vers  jde  mr^ 
liton. 

Un  autre  morceau  a  pour  sujet  :  Vues  sur  le  commerce^  et  il  »» 
suivi  d'Objections  au  plan  d'un  traité  de  commerce,  et  d'Observatit 
sur  les  Prussiens, 

Quelques-uns  de,  ces  écrits  ne  sont  dénués  ni  d*idées  ni  d*agrémi 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Arckidac  Al 
d*Antriche. 


LÉOPOLD,   DEPUIS    EMPEREUR.  145 

Du  25  janvier  [1700,  à  Florence]. 

Je  ne  suis  informé  de  rien,  ni  des  affaires  publiques, 
:Miitles  intentions  de  Sa  Majesté,  et  surtout  de  rien  de 
c-*equi  regarde  les  Pays-Bas  et  des  intentions  sur  cela. 
Je  vous  suis  bien  obligé  de  tout  ce  que  vous  m'écrivez 
^t  savez  de  ce  pays.  Moi,  je  n'ose  ni  parler  ni  écrire, 
ni    songer  seulement  à   envoyer  quelqu'un  aux  Pays- 
Bas.  Je   suis  tellement  entouré  et  espionné  par  des 
doj>endants  des  alentours  de  Sa  Majesté,  que  je  n'ose 
ni^    remuer,  crainte  d'avoir  une  histoire.  Je  tâche  de 
fiii  m.^^  connoitre  ma    façon  de    penser   aux   honnêtes 
Mc^arode;  mais  je  dois  m'en  tenir  là.  Si  jamais  un  mal- 
■^^^-»r  arrivoit,  vous  auriez  d'abord  un  courrier  de  moi 
c  mes  sentiments  pour  les  faire  publier,  et  ceux-là 
'ont  bien  clairs  et  pas  équivoques.  Avant,  je  ne  puis, 
J^     ^ï^e  dois  et  je  n'ose  rien  faire.  Je  manquerois  à  Sa 
"^^^jesté,  lui  ferois  de  la  peine,  et,  de  son  vivant,  je 
'^    ^^  ^prouverai  jamais  ce  que  je  ne  trouve  pas  conve- 
*^**^t>le;  mais  je  ne  donnerai  jamais  non  phis  une  désap- 
ï^*^^^bation  publique  et  formelle  à  ce  qu'il  a  fait.  Dieu 
^^^^^noît  mes  intentions,  et  il  fera  de  reste. 

Je  vous  réponds  sur  les  choses  dont  on  m'accuse  et 

^^^î  sont  fausses,  afin  que  vous  en  puissiez  faire  l'usage 

^^^    tliscours,  que  vous  jugerez  à  propos.  Soyez  bien  per- 

^^^^dé  et  sûr  que  je  ne  sais  absolument  rien  de  ce  qui 

^^    ftit  ou  traite  à  Vienne,  ni  des  intentions  qu'on  y  a 

P^vir  la  paix,  la  guerre,  et  surtout  pour  les  affaires  des 

^"Ss-Bas.   François  (1)  ne  m'écrit  jamais  rien,  et  je 

^^)  L*Arc1)icliic,  fil.s  aîné  de  Léopold  \\<ii  de  Mnrîc-Loiilse,  fille  du 
^*    d*E8pa0ne  Charles  III,  était  né  le  12  février  1768,  à  Florence, 


246  LÉOPOLD,   DEPUIS   EMPEREUR, 

n'ai  jamais  rien ,  et  je  n'ai  des  correspondances  avec 
personne.  Figurez-vous  de  là  combien  ma  situation  est 
agréable  pour  le  présent  et  pour  l'avenir. 

Je  vous  envoie  ci-joint  une  partie  de  mes  principes 
en  fait  de  gouvernement  ;  vous  pouvez  en  faire  usage, 
mais  sans  publicité.  J'espère  de  pouvoir  vous  envoyer 
un  jour  une  dissertation  que  je  fais  sur  les  droits  des 
peuples  et  des  souverains.  Adieu. 

Je  trouve  les  treize  points  que  vous  m'avez  envoyés^ 
et  qu'on  dit  que  les  Pays-Bas  désireroient,  non-seule- 
ment plus  que  justes,  mais  très-modérés,  et  je  crois 
qu'en  bien  des  points  on  pourroit  même  leur  accorder 
bien  davantage  pour  le  bien  de  la  monarchie,  et  qu'il 
seroit  bien  à  désirer  que  cet  exemple  se  propage  et  s'ai 
corde  également  à  toutes  les  provinces  de  la  monarchie.» 

J'ai   appris  par  hasard  qu'on  répandoit  différente 
bruits  sur  mon  compte  dans  les  Pays-Bas  pour  me 
discréditer.  Comme  heureusement  ils  sont  tous  faux,  je 
vous  écris  ces  lignes  pour  que  vous  soyez  instruit  des 
faits  et  puissiez,  le  cas  échéant,  me  rendre  justice. 

On  dit  que  je  soutiens  les  Jansénistes,  le  synode  de 


pendant  que  son  père  était  grand-duc  de  Toscane.  Il  lai  succéda,  le 
i*'  mars  1792,  en  qualité  d'Empereur  d'Allemagne,  sous  le  nom  de 
François  II,  et,  en  1806,  il  prit  le  titre  d'Empereur  d*Autriclie.  Au 
moment  où  cette  lettre  a  été  écrite,  il  était  à  Vienne,  auprès  de  son 
oncle,  qui  voulait  avoir  à  ses  côtés  Tliéritier  présomptif  de  la  mooar- 
ckie  autrichienne.  Les  règnes  de  Joseph  II  et  de  Léopold  II,  si  fer- 
tiles «n  tristes  événements ,  furent  une  leçon  pour  François ,  quand  il 
tînt  les  rênes  de  l'État  :  il  prit  le  contre-pied  de  l'amour  des  innoTa- 
tions  de  son  oncle  et  de  son  père,  et  n*cn  régna  pas  moins  au  bruit 
des  troubles,  des  révolutions,  et  de  la  guerre  étrangère  et  intérieure. 
Tour  k  tour  l'adversaire  ou  l'allié  de  la  France,  ce  fut  lui  qui  derint^ 
le  beau-père  de  Napoléon  I^^  Il  mourut  à  Vienne,  le  S  mars  1835. 


LÉOPOLD,  DEPUIS  EMPEREUR.       Î47 

Pistoie  et  Tévêque  qui  Test,  et  que  j'ai  un  résident  de 
l'Église  d'Utrecht  à  Florence  :  tout  cela  est  entièrement 
iaux.  On  ne  connoîtpas  ici  ce  que  c'est  que  janséniste, 
ni  de  quoi  il  est  question  dans  ces  matières.  L'ensei- 
jpiement  public,  les  séminaires-écoles  sont  librement 
^ntre  les  mains  des  évéques,  sans  que  le  gouvernement 
5'en  mêle.  On  taxe  ici  de  Jansénistes  les  évéques  plus 
xigoureux,  et  qui  ont  défendu  à  leurs  prêtres  d'aller  aux 
'théâtres,  bals,  etc.  Jamais  le  gouvernement  ne  se  mêle 
des  affaires  de  discipline  ecclésiastique,  hors  par  le  moyen 
<les  évéques  et  en  les  soutenant.  Le  synode  de  Pistoie 
ne  contient  que  l'accession  aux  propositions  de  l'Église 
gallicane,  qui  n'a  jamais  été  soupçonnée  de  jansénisme. 
Mais  je  ne  l'ai  pas  approuvé,  quant  aux  maximes,  mais 
seulement  permis  son  exécution ,  quant  à  la  discipline, 
n'y  ayant  rien  vu  de  contraire  aux  lois  du  pays  ;  et  la 
cour  de  Rome  qui ,  depuis  deux  ans ,  fait  examiner  ce 
synode,  n'y  a  rien  trouvé  k  redire.  Le  résident  jansé- 
niste n'a  jamais  existé,  et  n'auroit  pas  été  souffert.  Ceci 
n'est  qu'une  absurdité. 

On  me  taxe  d'avoir  fait  une  loi  sur  les  enterrements 
et  une  sur  les  reliques.  La  première  est  pour  empêcher 
qu'on  porte  et  expose  les  morts  à  découvert  dans  les 
églises,  qu'on  les  tienne  sur  terre  un  nombre  d'heures 
avant  de  les  enterrer,  et  qu'on  les  enterre  hors  des 
villes  dans  les  cimetières.  A  cela  il  n'y  a  rien  à  redire  : 
tout  le  reste  est  faux. 

Sur  les  reliques,  tout  est  faux.  Jamais  il  n'y  a  eu 
d'ordre  ou  règlement  pour  cela,  aucun  édit,  rien.  Cela 
appartient  aux  évéques  entièrement,  et  même  on  a  laissé 
à  la  ville  de  Prato,  sans  y  toucher,  une  ceinture  de  la 


tW  LÉOPOLD,   DEPUIS    EMPEREUR. 

Vierge  sans  autlien tiques,  pour  laquelle  il  y  a  eu  un( 
émeute;  et  seulement,  sur  les  instances  desévéques,or 
a  ordonné  que  les  clefs  de  beaucoup  de  reliques  qu 
étoient  entre  les  mains  des  ma{jistrats  des  villes  soienl 
toutes  remises  aux  cvéques,  et  j'ai  fait  bâtir  dansTéglisc 
de  Saint-Laurent  de  Florence  une  chapelle  où  j'ai  dépose 
publiquement  toutes  les  reliques  à  la  vénération  di 
peuple,  qui  étoient  ci-devant  enfermées  dans  un< 
chambre  de  son  palais. 

Quant  à  Tinquisition  politique  qu*on  m'attribue,  j'er 
atteste  à  tout  le  monde,  habitants  et  étrangers,  qui  on 
été  ici,  s'ils  ont  joui  autre  part  de 'plus  de  liberté  civiU 
qu'en  Toscane;  celle-là  est  entièrement  contre  mor 
caractère. 

Ma  profession  de  foi  est  de  soutenir,  vivre  et  mourii 
dans  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine  ;  d( 
ne  point  persécuter,  mais  de  ne  point  avancer  ni  dis- 
tinguer des  personnes  qui  n'ont  ou  affectent  de  ne 
point  avoir  de  religion ,  de  soutenir  les  évéques  aux- 
quels appartient  l'inspection  des  affaires  de  la  disci- 
pline de  l'Église. 

Je  crois  que  le  souverain,  même  héréditaire,  n'est 
qu'un  délégué  et  employé  du  peuple  pour  lequel  il  esl 
fait,  qu'il  lui  doit  tous  ses  soins,  peines,  veilles;  qu'v 
chaque  pays  il  faut  une  loi  fondamentale  ou  contrai 
entre  le  peuple  et  le  souverain,  qui  limite  l'autorité  et 
le  pouvoir  de  ce  dernier;  que  quand  le  souverain  ne  la 
tient  pas,  il  renonce  par  le  fait  à  sa  place,  qui  ne  lui 
est  donnée  qu'à  cette  condition,  et  qu'on  n'est  plus 
obligé  de  lui  obéir  ;  que  le  pouvoir  exécutif  est  dans  le 
souverain,  mais  le  législatif  dans  le  peuple  et  ses  repré- 


LEOPOLD,  DEPUIS  EMPEREUR.       S49 

sentants  ;  que  celui-ci  ^  à  chaque  changement  de  souve- 
rain, peut  ajouter  de  nouvelles  conditions  ou  restrictions 
à  son  autorité. 

Que  le  souverain  ne  peut  se  mêler  ni  directement  ni 
indirectement  dans  les  affaires  de  justice  civile  ni  cri- 
minelle, en  changer  les  formes,  peines,  donner  des 
commissions,  délégations,  etc. 

Que  le  souverain  doit  un  compte  exact  et  annuel  au 
peuple  de  l'érogation  des  revenus  publics  et  finances, 
qu'il  n'a  point  le  droit  d'imposer  arbitrairement  ni 
taxes,  gabelles  ou  impositions  quelconques  ;  que  ce 
n'est  que  le  peuple  qui  a  ce  droit,  après  que  le  sou- 
verain lui  a  exposé  les  besoins  de  l'État,  et  que  le 
peuple  par  ses  représentants  les  a  trouvés  justes 
et  raisonnables;  qu'ils  ne  peuvent  s'accorder  que 
comme  subsides,  pour  un  temps  d'un  an,  et  après 
en  avoir  vu  le  besoin ,  et  que  la  nation  ne  doit  pas 
les  proroger  que  lorsque  le  souverain  aura  rendu 
un  compte  exact,  détaillé  et  satisfaisant  de  leur  éro- 
gatîon. 

Que  le  souverain  doit  rendre  compte  et  avoir  l'ap- 
probation pour  tous  les  changements  de  système,  nou- 
velles lois,  etc.,  pensions,  gratifications  à  donner,  avant 
de  les  publier. 

Que  les  ordres  du  souverain  n'acquièrent  force  de 
lois  et  n'obligent  à  l'obéissance  qu'après  le  consen- 
tement des  États. 

Que  le  militaire  ne  peut  être  employé  que  pour  la 
défense  du  pays,  et  jamais  contre  le  peuple. 

Que  personne  ne  peut  être  arrêté  ni  jugé  que  sur  un 
ordre  des  juges  ordinaires,  et  jugé  que  selon  les  formes 


250  NOTE   DU   DUC   DE  SAXE-TESCHEN. 

ordinaires,  et  publiquement,  et  jamais  par  aucun  ordre 
arbitraire,  pas  même  du  souverain  même. 

Enfin ,  je  crois  que  le  souverain  ne  doit  régner  que 
par  la  loi ,  et  que  ses  constituants  sont  le  peuple ,  qui 
n*a  jamais  pu  renoncer  ni  être  privé  par  aucune  préoc- 
cupation ou  consentement  tacite  et  forcé ,  à  un  droit 
imprescriptible  qui  est  celui  de  nature,  pour  lequel  ils 
ont  consenti  à  avoir  un  souverain,  c'est-à-dire  à  lui 
accorder  la  prééminence  pour  qu'ilfasse  leur  bonheur 
et  félicite,  pas  comme  il  veut  lui,  mais  comme  eux- 
mêmes  le  veulent  et  le  sentent,  car  Tunique  but  des 
sociétés  et  gouvernements  est  le  bonheur  de  ses  indi- 
vidus. 

Voilà  à  peu  près  mes  principes.  Je  pourrois  m'éten- 
dre  sur  cela  plus  en  détail  pour  en  fournir  les  preuves, 
mais  cela  seroit  trop  long  et  trop  ennuyant. 


NOTE  DU  DUC  DE  SAXE-TESCHEN  SUR  CETTE  LETTRE. 

«  On  a  vu  ici  la  confession  de  foi  en  matière  de  reli- 
gion et  politique  du  Grand-Duc  même.  Nous  y  ajoute- 
rons quelques  circonstances  qu'il  n'a  pas  touchées  et 
qui  sont  de  notre  connoissance. 

»  Tandis  qu'on  accuse  le  Grand^Duc  de  jansénisme, 
il  est  de  fait  que  son  vieux  confesseur  est  un  ex-jésuite, 
et  que  l'instructeur  de  ses  enfants  est  du  même  ordre. 

»  Les  ordres  pour  les  enterrements  pe  tendent  pas 
à  éloigner  l'idée  de  la  mort,  comme  dit  méchamment 
un  journal  connu  ;  ils  ne  se  font  pas  sans  publicité,  et  on 
peut  mettre  toute  la  solennité  possible  aux  Requiem 


NOTE  DU  DUC  DE  SAXE-TESCHEN.  851 

tenus  dans  les  églises.  Ce  qui  est  défendu,  c'est  de  por- 
ter les  morts  à  découvert,  et  de  les  laisser  ensuite  deux 
ou  trois  jours  en  compagnie  d'autres,  —  ainsi  que  nous 
l'avons  vu  nous-mêmes,  —  dans  les  églises,  pour  y  infec- 
ter les  vivants  par  l'aspect  et  l'exhalaison  de  leurs  ma- 
ladies dégoûtantes  et  parfois  contagieuses;  et  de  les 
jeter  ensuite  tout  nus,  comme  cela  se  faisoit,  dans  les 
fosses  qui  se  trouvoient  sous  ces  églises,  et  que  les 
pierres  sépulcrales,  dont  elles  sont  pavées,  couvroient: 
chose  qui  dans  les  climats  chauds  de  l'Italie  est  plus 
dangereuse   que  partout  ailleurs.  On  dépose   donc  à 
présent  d'abord  dans  une  chapelle  de  la  paroisse  les 
morts  renfermés  dans  une  bière,  et  on  les  transporte 
ensuite  en  plein  jour  dans  le  cimetière  établi  hors  de  la 
ville,   où  ils  sont  enterrés  avec  tout  l'appareil   et  la 
décence  requise.  Quant  aux  rideaux  des  tableaux  d'au- 
tel, dont  le  journal  ci-avant  cité  plaisante  si  ironique- 
Xnent,   nous  ne  savons   quelle  est  cette  ordonnance; 
lïiais   nous  savons  bien  que,  lors  de  notre  voyage  en 
Italie,  il  nous  est  arrivé  plus  d'une  fois  que  le  sacris- 
tain montoit  sur  l'autel  pour  tirer  ces  rideaux  et  nous 
fïiire  voir  quelque  tableau  fameux,  dans  le  moment  où 
1«  prêtre  étoit  occupé  des  mystères  les  plus  sacrés,  dans 
la  célébration  de  la  messe  ;  et  c'est  apparemment  pour 
empêcher  cet  abus  général  et  difficile  à  prévenir  que  le 
Cjrand-Ducafaitsubstituerdes  glaces  auxdits rideaux.  ■ 


Le  gouverneur  des  Pays-Bas  fit  usage  en  son  temps  de  la 
lettre  de  Li5opold,  et  elle  circula  avec  commenlairei. 


252  LÉOPOLD,    DEPUIS   EMPEREUR. 


CCCCLXXXV 

L'ARCHIDUC  GRAND-DUC  DE  TOSCANE  LÉOPOLD, 
DEPUIS  EMPEIIEUR,  A  SA   SOEUR   MARIE-CHRISTINE  (I). 

On  a  croiipé  uo  liras  à  la  inonarrhie  d'Autriche  en  lui  enlerant  le» 
Pays-Bas.  —  Soml>rei(  pressentimcnu.  —  Il  a  fait  parvenir  a  son 
fils  François,  à  Vienne,  des  instructions  en  prévision  de  toutes  les 
éventualités.  —  Il  s*est  décidé  à  conseiller  à  l'Empereur  de  faire 
des  concessions  à  la  Hongrie.  —  Il  persiste  à  s'abstenir  de  toute 
démonstration  publique.  —  Sa  crainte  d'être  appelé  k  Vienne. 

Le  7  février  1790. 

Ma  très-chère  Sœur,  j'ai  reçu  vos  chères  lettres  du 
23  janvier,  et  ai  vu  avec  plaisir  qu'enfin  vous  ayez  reçu 
toutes  les  miennes,  ta'nt  vieilles  que  jeunes.  Je  ne  puis 
vous  rien  dire  de  plus  sur  la  perte  des  Pays-Bas;  c'est 
un  grand  malheur  et  un  bras  qu'on  a  coupé  à  la  mo- 
narchie. Je  sens  bien  toute  votre  position  personnelle 
et  son  désagrément.  Je  suis  curieux  de  voir  la  n*ponse 
que  vous  aurez  des  États  à  votre  lettre,  mais  ne  la 
crois  pas  heureuse.  Il  ne  paroît  pas  que  la  confiance 
se  rétablit,  et  c'est  là  l'essentiel.  Continuez,  je  vous 
|)rie,  à  m'envoyer  les  brochures  de  chez  vous  qui  sont 
bien  intéressantes.  Je  sens  bien  combien  vous  devez 
être  embarrassée  pour  vos  affaires,  meubles,  et  tous  vos 
(;cns,  sans  savoir  qu'en  faire,  où  les  placer,  ni  quel 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  rArcbiduc  Albert 
d'Aiitriclir. 


LÉOPOLD,   DEPUIS    EMPEIIEUU.  253 

parti  prendre.  Cette  situation  est  bien  cruelle  «  surtout 
quand  on  n*y  a  pas  donné  cause  par  soi-même. 

Les  nouvelles  de  la  santé  de  Sa  Majesté  sont  toujours 

plus  tristes  et  affligeantes,  quoiqu'on  n'en  sache  aucun 

détail.  Il  paroit  que  la  paix  ne  se  fera  pas,  qu'on  aura 

une  guerre  avec  le  Roi  de  Piiisse,  et  peut-être  générale 

dans  toute  l'Europe;  et  l'esprit  de  révolte  et  désordre 

commencé  en  France  fait  de  rapides  progrès,  même  en 

Italie;  et  l'aspect  de  l'avenir  est  bien  triste  de  tous  les 

côtés.  Je  vous  embrasse  tendrement  et  suis.... 

J'ai  bien  pu  lire  toutes  vos  lettres,  et  vous  remercie 
l^ien,  ainsi  que  votre  mari  et  mon  frère,  de  toute  l'ami- 
lié  que  vous  avez  pour  moi.  Quoique  je  sois  entouré  et 
espionné,  je  ne  manquerai  pas,  d'ici  à  quinze  jours, 
de  vous  envoyer  un  homme  de  confiance  à  moi ,  sous 
c|uelque  prétexte,  car  je  ne  me  fie  pas  trop  aux  cour- 
i"iers  napolitains,  pour  vous  porter,  et  à  mon  frère,  mes 
i  ntentions  et  idées  pour  tous  les  cas  possibles.  Je  ne 
suis  informé  de  rien ,  pas  même  de  la  santé  de  Sa  Ma- 
jesté,  ni  d'aucune  affaire.  J'ai  envoyé  à  Vienne  avec  les 
layettes  pour  ma  belle-fille  un  homme  affidé  à  Vienne 
ovec  des  instructions  détaillées  pour  mon  fils  pour  tous 
les  cas  possibles,  et  j'ai  enfin  pris  sur  moi  d'écrire  avec 
Force  et  persuader  à  Sa  Majesté  de  condescendre  aux 
demandes  des  Hongrois  et  de  les  ménager.  Il  me  paroit 
<]u'il  en  est  convenu,  et  je  souhaite  seulement  que 
cela  se  fasse ,  pour  éviter  de  nouveaux  et  plus  grands 
malheurs. 

Vous  sentez  bien  que ,  dans  les  circonstances  pré- 
sentes, je  ne  puis  faire  aucune  démarche  ni  démonstra- 


S54  MADAME   ELISABETH. 

tion  publique,  car  il  faudroit  commencer  par  témoi- 
gner de  désavouer  tout  ce  qui  a  été  fait,  ce  qui  seroit 
terrible,  et  que,  du  vivant  de  Sa  Majesté,  je  ne  ferai 
jamais.  J*ai  dit  mes  sentiments  pour  les  Pays-Bas  aux 
Mérode  et  à  quelqu'un  d'autre  :  ils  m'en  ont  paru  con- 
tents et  en  feront  bon  usage.  Voilà  tout  ce  que  je  puis 
faire  pour  à  présent.  L'unique  chose  que  je  crains, 
c'est  d'être  appelé  à  Vienne,  où,  dans  cette  confusion, 
ne  pouvant  rien  faire  ni  être  toujours  du  même  senti- 
ment que  Sa  Majesté,  je  ne  pourrois  avoir  que  du  cha- 
grin. Je  m'étonne  qu'on  exige  de  vous  que  vous  signiez 
des  papiers  et  présidiez  au  soi-disant  nouveau  conseil. 
Si  j'étois  de  vous,  sans  un  ordre  exprès  de  l'Emp.,  je 
le  refuserois  net. 


CCCCLXXXVI 

MADAME   ELISABETH   A   LA   MARQUISE  DE  BOMBELLES, 

HOTEL  DE  FRANGE,  A  VENISE. 

On  doit  les  conduire  à  Notre-Dame  pour  chanter  un  Te  Deum. 

Elle  en  prend  son  parti. 

Ce  9  février  1790. 

Je  ne  t'écris  qu'un  mot  pour  te  dire  que  tu  recevras 
d'ici  à  quelque  temps  des  épitres  de  nous  tous ,  ce  qui 
fait  que  la  poste  n'a  pas  vu  notre  écriture  depuis  long- 
temps. Nous  comptions  que  tu  Taurois  plus  tôt,  mais 
le  sort  en  a  autrement  ordonné  ;  tu  les  auras  pourtant, 


LÉOPOLD,   DEPUIS   EMPEREUR.  255 

ne  t'impatiente  pas.  Ta  tante  me  chargée  de  te  dire  qu'elle 
a  reçu  ton  argent  «  et  ta  mère  qu'elle  se  porte  bien,  à 
l'exception  d'un  très-petit  mal  de  gorge,  qui  ne  la  retient 
seulement  pas  chez  elle.  Ainsi,  tu  vois  que  cela  n'est 
pas  inquiétant.  Pour  ma  petite  personne ,  elle  se  porte 
fort  bien.  Elle  est  maintenant  dans  l'eau,  et,  dans  peu, 
elle  sera  dans  le  jardin.  Adieu.  Je  vous  embrasse  de 
tout  mon  cœur. 

On  dit  que,  dimanche,  nous  terminerons  la  journée 
du  jeudi  quatre,  en  allant  à  Notre-Dame  chanter  un 
Te  Deum  en  son  honneur.  Si  ce  n'est  pas  ce  jour-là,  je 
ne  doute  pas  que  l'on  ne  nous  y  mène  un  autre.  Aussi , 
j'en  prends  mon  parti. 


CCCCLXXXVII 

L'ARCHIDUC  GRAND-DUC  DE  TOSCANE  LÉOPOLD, 
DEPUIS  EMPEREUR,  A  SA   SOEUR   MARIE- CHRISTINE  (1). 

Appelé  à  Vienne  pour  être  nomme  co-Régent,  il  est  résolu  a  refuser 
cette  situation ,  pour  no  point  paraître  approuver  ce  qui  se  fait.  — 
Instructions  à  sa  sœur  sur  les  affaires  des  Pays-Bas,  pour  le  cas  de 
mort  de  l'Empereur. 

Le  18  février  [1790]. 

Très-chère  Sœur,  depuis  que  je  vous  avois  écrit  la 
lettre  par  mon  courrier  que  j'ai  gardé  ici  jusqu'à  mon 


(1)  Archives  de   Son  Altesse  Impériale   l'Archiduc   Albert  d'Au- 
triche. 


256  LKOPOLD,  DEPUIS   EMPEREUR. 

départ ,  qui  sera  le  23  de  ce  mois ,  pour  Vienne ,  j'ai 
reçu  d'autres  lettres  de  votre  part  auxquelles  je  vais 
répondre.  Si  Sa  Majesté  continue  de  vivre ,  vous  ren- 
verrez mon  courrier  à  Florence  avec  vos  réponses  et 
pas  à  Vienne  y  et  vous  vous  garderez  bien  de  me  rien 
écrire  à  Vienne,  car  tout  s'ouvre  plus  que  jamais.  Mais 
si  jamais  Sa  Majesté  venoità  manquer,  alors  vous  pour- 
rez m'envoyer  mon  courrier  à  Vienne.  Sans  cela,  j'au- 
rai également  vos  réponses,  que  ma  femme  m'enverra 
par  un  courrier  à  moi. 

Sa  Majesté  m'a  fait  appeler  à  Vienne,  et,  la  poste 
suivante,  m'a  écrit  qu'Elle  vouloit  me  déclarer  co- 
Régent,  comme  il  Tavoit  été  du  temps  de  feu  l'Impéra- 
trice. Vous  avez  vu  alors  les  beaux  effets  qui  en  ont 
résulté  :  figurez-vous  à  présent.  Je  vous  préviens  donc 
(|ue  je  suis  fermement  résolu  et  décidé  à  ne  pas  me 
luisser  mêler  directement  ni  indirectement  dans  les 
affaires  à  Vienne,  ni  comme  co-Régent  ni  autrement, 
du  vivant  de  Sa  Majesté  ;  car  si  je  témoigne  d'y  prendre 
pail  à  la  face  du  public  ou  des  cours  étrangères,  j'au- 
rois  l'air  d*étre  dans  les  mêmes  principes  et  systèmes 
de  Sa  Majesté,  et  d'approuver  tout  ce  qui  a  été  fait  ;  et 
je  perdrois  pour  toujours  ma  réputation  et  la  confiance 
des  cours  et  du  public ,  et  je  ferois  un  grand  mal  aux 
affaires  sans  aucune  utilité.  En  outre,  je  devrois  être 
à  tout  moment  en  contradiction  avec  Sa  Majesté ,  et  cela 
ne  pourroit  que  lui  faire  du  mal,  et  je  me  lierois  les 
mains  pour  l'avenir,  ou  serois  ensuite  obligé  à  protes- 
ter contre  tout  ce  que  j'aurois  fait.  Je  n'accepterai  donc 
point  d'entrer  aux  aBaires.  A  moi  on  ne  me  dit  plus 
rien  sur  la  santé  de  Sa  Majesté,  que  je  crois  toujours 


LÉOPOLD,    DEPUIS   EMPEREUR.  257 

très-mauvaise,  et  on  assure  même  qu'il  ne  passera  pas 
le  mois  de  mars.  Vous  voyez  donc  que  je  vais  à  Vienne 
pour  assister  ou  peut-être  accélérer  sa  mort ,  me  trou- 
ver à  ce  beau  spectacle  et  ensuite  avoir  à  débrouiller 
tout  ce  cbaos,  laissant  ici  mes  afl^iiires,  femme  et  famille 
rie  tant  d'enfants.    C'est  une»  situation    bien   agréable 
|:»oiir  moi  ;  mais  je  prie,  espère  et  confie  en  Dieu  qu'il 
tTie  donnera  la  force  nécessaire  pour  tout  finir  selon  sa 
%r-olonté  et  les  décrets  de  sa  providence. 

Pour  les  affaires  des  Pays-Bas,  je  vois  avec  bien 
3e  la  peine  qu'elles  continuent  à  aller  mal.  Cette  cor- 
t^espondance   de   Sa   Majesté  avec  le  général  d'Alton 
[--jcnlue  et  imprimée,  et  surtout  les  lettres  du  comte 
obentzl,  font  que  celui-ci  ne  peut  plus  rendre  de  sér- 
iées utiles,  et  doit  avoir  perdu  à  juste  titi:e  toute  la 
onfiance. 

Je  crois  donc  que,  dans  le  cas  de  mort  de  Sa  Majesté, 
rous  devez  d'abord  renvoverà  Vienne  le  comte  Cobentzl, 
e  décharger  de  quelconque  commission  sur  les  affaires 
es  Pays-Bas,  faire  appeler  Cornet  des  Grès,  ou  qui 
"^'ous  croirez  plus  convenable,  lui  communiquer  le  mé- 
^noire  et  propositions  que  je  vous  ai  envoyés  et  les  faire 
publier,  traitant  toujours  vous  directement  avec  les 
lEtats,   et  n'admettant  aucune  autre  puissance  à  s'en 
^mèler,  hors  pour  la  garantie  qu'on  pourra  leur  accor- 
der. Le  projet  de  prendre  des  troupes  étrangères,  et 
surtout  prussiennes,  à  la  solde,  est  bien  dangereux; 
mais  en  dégoûtant  par  là  les  principaux  seigneurs,  peut- 
être  on  engagera  et  disposera  d'autant  plus  les  deux 
premières  classes  à  se  disposer  à  un  rapprochement. 
Voilà  tout  ce  que  je  puis  vous  dire  pour  à  présent.  Con- 

TOME   III.  17 


258  MADAME   ELISABETH. 

tiiiuez-moi  votre  chère  amitié,  et  soyez  persuadée  de 
toute  la  sincère  tendresse  avec  laquelle  je  vous  serai 
toute  ma  vie  (1). 


CCCCLXXXVIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Grande  colère  tle  la  Priiicci^sc  contre  niatlanie  de  BomLellos,  à  projxis 
de  Texécntion  du  marquis  de  Favras.  —  Causes  de  cette  mort.  — 
Panrf^yrique  de  la  victime;  son  innocence  et  son  courage.  —  L*A5- 
scuiLlée  donne  plein  pouvoir  au\  nninicipalitcs  :  voilà  comme  on 
sert  le  Roi. 

Ce  23  février  1790. 

Mon  Dieu,  ma  Bombe,  que  ta  lettre  m'a  mise  en 
colère!  J'avoue  que  j'avois  bien  tort;  mais  n'importe, 
il  faut  que  je  te  dise  pourquoi.  J 'étois  pénétrée  de  l'in- 
justice de  la  mort  de  M.  de  Favras,  de  la  superbe  fin 
qu'il  a  faite,  de  l'amour  qu'il  a  montré  à  son  Roi  (qui 
seul  est  cause  de  sa  mort)  (2).  Il  y  avoit  deux  jours 
que  je  ne  pensois  qu'à  cela,  que  mon  cœur,  mon  esprit,  «-   -^^7 

tout  mon  être,  n'étoient  remplis  que  de  cette  idée,  et      -^  -^i^et 
je  reçois  ton  épitre  où  tu  me  dis  :  Mais  aussi  de  quoi  ce 
malheureux  s'avisoit-il?  Tu  juges  si  ta  princesse,  qui  ne 


—s 


ce 
c 


(1)  L*original  est  ainsi  terminé,  d'une  façon  brève,  avec  une  «ort 
de  paraphe,  à  la  manière  de  Joseph  II. 

(2)  M.  de  Favras,  condamne  par  jugement  du  Châtelet  de  Pari: 
prononce  a  minuit,  après  une  séance  de  onze  heures,  avait  été  pen 
sur  la  place  de  Grève,  à  huit  heures  du  soir,  le  19,  à  la  lueur  d 
flambeaux. 


MADAMK    ELISABETH.  «59 

se  donne  pas  toujours  le  temps  de  la  réflexion ,   s'est 
mise  en  colère  contre  cette  pauvre  Bombe  qui  n'y  pou- 
voit  rien  pourtant,  et  qui,  si  elle  eût  été  ici,  auroit 
admiré,  comme  tout  ce  qui  respire  dans  Paris,  et  Tin- 
justice  de  sa  mort,  et  le  courage  avec  lequel  il  a  subi 
son  arrêt.  Non,  il  n'est  qu'un  Dieu  qui  puisse  le  donner. 
Aussi,  j'espère  bien  qu'il  en  a  reçu  la  récompense.  Le 
cœur  des  honnêtes  gens  lui  rend  bien  l'hommage  qu'il 
mérite.  Le  peuple  lui-même ,  le  peuple,  qui  demandoit 
à  grands  cris  sa  mort,  le  lendemain,  et  même  eu  reve- 
Jiant  de  l'exécution,  disoit  :  Mais  il  a  protesté  de  son 
roiiGcence  sur  la  potence  ;  c'est  pourtant  bien  mal  de 
le  l'avoir  pas  descendu.  Tu  verras  dans  les  journaux 
'ywLÏ  ce  qu'il  a  dit  de  touchant.  Au  fait,  mon  cœur,  aux 
^uxde  tout  le  monde,  même  aux  yeux  des  gens  de  loi, 
n'y  a  point  eu   dans  ses  interrogations  la  moindre 
f^uve  qu'il   ait   voulu   faire   assassiner  MM.    La    F. 
B.  (1).   Mais  il  falloit  effrayer  ceux  qui  voudroient 
^^^ir  le  Roi;  mais  il  falloit  du  sang  au  peuple,  et  le 
L  :Kig  d'un  homme  à  qui  l'on  pût  donner  le  nom  d'am- 
^=^rate.  Voilà,  mon  cœur,  voilà  les  véritables  causes 
-^>i^  i  ont  conduit  ce  malheureux  à  la  mort,  et  les  jour- 
^  ^s  du  5  et  du  6  restent  impunies  !  Et  une  autre  affaire 
'^^  même  genre ,  qui  est  au  Chàtelet  depuis  trois  mois , 
-  ^te  aussi  dans  l'oubli  !  Cependant,  j'aime  à  croire  que 
juges  ont  eu  des  preuves  que  nous  ne  connoissons 
5.  Je  ne  t'ai  plus  reparlé  de  M.  Albert  de  Rions, 
Tce  qu'il  s'est  passé  tant  de  choses  que  je  n'y  ai  plus 
nsé.  L'Assemblée  est  occupée ,  dit-on ,  à  donner  au 


KX)  La  Fayette  et  BailJy. 

17. 


ÎCO  M  A  RIE-AN TOï NETTE. 

pouvoircxécutif  delà  Force  ;  et,  pour  cela  foire,  ils  vont 
rendre  un  décret  qui  donnera  plein  pouvoir  aux  muni- 
cipalités. Voilà  comme  on  sert  le  Roi,  ou,  pour  mieux 
dire,  comme  on  Tabuse.  Voilà  le  prix  de  tous  les  sacri- 
Bces  qu*il  fait  journellement;  voilà  la  manière  dont  ou 
veut  calmer  son  royaume  en  donnant  toute  la  puis- 
sance  aux  gens  qui  sont  ou  gagnés,  ou  trop  poltrons 
pour  en  faire  usage.  Enfin,  ma  petite.  Dieu  veut  ma- 
nifester la  {floire  et  la  bonté  qu'il  accorde  à  la  France. 
Je  l'espère,  il  se  laissera  fléchir  par  les  prières  que  l'on 
ne  cesse  de  lui  offrir.  Adieu,  ma  petite,  je  vous  em- 
brasse du  plus  tendre  de  mon  cœur.  Je  crois  que  cette 

lettre  pourra  bien [Deux  mots  manquent  aiTaclié 

avec  le  cachet.] 


J 


CCCCLXXXIX 

xM  KM  01  RE 

COMMCXIQUR  AC  COMTE  DE  PUTSKGUR  ,  PAR  LE  COMTE  DE  BRIKTISe,  C^^^fir 
APPROUVÉ  PAR  LA  RKINK,  CONCERNANT  LA  SOMME  DE  QCINZE  CENTS  LITICs^  ES 
DESTINÉE    PAR    SA     MAJESTÉ     A    l'ÉDUCATIOX    DE    QrELQUES     ORPOEUSE^^T    -ES 

d'invalidés  (i). 

[20  mars  1790.] 

M.  de  Brienne,  après  avoir  cherché,  de  concert  ave»-^^^^ 
M.  de  Sombreuil,  les  moyens  de  tirer  le  meilleur  partP'*'-*''^* 
possible  de  la  bienfaisance  de  la  Reine,  a  tourné  st^m-^s 
vues  du  côté  d*un  établissement  formé  par  une  demor  ^c:==>î- 

(1)  Cabinet  de  M.  le  Ii.iron  do   Girardot,  sccrctalre  gcnci'al  de 
préfecture  de  la  Haute-Loire,  à  Nantes. 


; 


M  A  1 U  E  -  A  N  ï  O I  N  E  T  T  E .  261 

selle  irlandaise  appelée  mademoiselle  0*Kennedy.  Cette 
demoiselle  s*est  entièrement  consacrée  au  secours  des 
pauvres.  Elle  a  commencé  à  former  un  établissement  a 
la  barrière  de»Rcuilly,  sur  la  paroisse  Sainte-Marguerite, 
où,  à  l'exemple  de  M.  le  chevalier  du  Pawlet,  elle  a 
réuni  déjà  un  certain  nombre  d'orphelines  d'invalides. 
Elle  n'a  pas  les  mêmes  moyens   que  M.    le  chevalier 
du  Pawlet;  mais  M.  l'archevêque  de  Paris,  et  particu- 
lièrement M.  Tévéque  de  Senez,  la  protègent  et  s'inté- 
ressent  à  son   établissement.  Elle  consent  à  prendre 
tous  les  ans  quatre  petites  orphelines  d'invalides,  moyen- 
Haut  les  quinze  cents  livres  que  Sa  Majesté  a  bien  voulu 
destiner  à   cette  bonne  œuvre.    Elle  les  prendra  dès 
^'àge  de  six  à  sept  ans,  les  gardera  tant  qu'elles  vou- 
dront, et  toujours  au  moins  jusqu'à  ce  qu'elles  soient 
On  état  de  gagner  leur  vie,  aux  conditions  que  le  pro- 
duit  de  teur  travail  sera  au  profit  de  la  maison,  tant 
^jii*elles  y  resteront.  Elles  seront  habillées,  nourries  et 
^entretenues  et  instruites  de  leur  reli{;ion  ;  elles  appren- 
cl  ront  à  lire  et  à  écrire  tous  les  ouvrages  convenables  à 
^les  filles,   les  soins  du  ménage,  les  travaux  des  ser- 
"V^iuites  des  villes  et  de  campagne.    Ainsi,  celles    qui 
^^viront  des  dispositions  pour  acquérir  quelques  talents, 
^^t  celles  qui  n'en  auront  pas,  seront  élevées  au  moins 
^^«{jement,  et  pourront  être  destinées  à  faire  de  bonnes 
^^îrvantes.  De  tout  ce  que  M.  de  Brienne  a  vu ,  de  toutes 
ï^s  propositions  qui  lui  ont  été  faites,  voilà  celle  qui  lui 
paru  la  plus  convenable.  L'on  pourra  placer  tous  les 
ns   quatre  orphelines  d'invalides,  moyennant  quinze 
Clients  livres.  Si  l'on  veut  multiplier  cette  bonne  œuvre, 
pourra  en  placer  un  plus  grand  nombre  en  ajoutant 


Î62  M  A  lu  E  -  A  N 10 1 N  ETTE. 

trois  cent  soixante-quinze  livres  pour  chacune.  Made- 
moiselle O'Kennedy  a  le  projet  de  porter  son  établisse- 
ment juscju'à  cent  au  moins,  d'y  foimer  différents  ate- 
liers d'ouvrières,  et  de  se  charger  de  la  fourniture  du 
linge  des  Invalides  ou  autres  grandes  maisons.  Pour 
lors  son  établissement  fournira  plus  de  ressources  ; 
ainsi  la  Reine,  en  remplissant  ses  vues  bienfaisantes 
pour  les  pauvres  or[)helines  d'invalides,  ftTa  double- 
ment une  bonne  œuvre,  en  favorisant  un  établissement 
qui  mérite  sa  protection,  et  dont  on  pourra  par  la  suite 
tirer  un  grand  parti  pour  ces  malheureux  enfîmts. 

Je,  soussignée,  déclare  avoir  promis  et  m'engage  de 
remplir  exactement  envers  les  quatre  orphelines  d'in- 
valides, qui  me  seront  présentées ,  et  que  j'admettrai 
chaque  année  dans  mon  établissement,  toutes  les  con- 
ditions portées  dans  ce  mémoire,  moyennant  la  somme 
de  quinze  cents  livres  accordée  par  la  Reine  j)Our  cet 
objet,  laquelle  somme  me  sera  payée  successivement 
d'année  en  année-,  sur  les  ordres  du  secrétaire  de  li 
guerre,  par  le  trésorier  de  l'hôtel  des  Invalides,  à  me- 
sure qu'il  en  fera  le  recouvrement. 

A  Paris,  le  20  mars  1790. 

Approuvé  récriture  et  signé  : 
O'Kennedy, 
Institutrice  de  la  maison  des  Orphelines  d'invalîcB  ^^ 


J'approuve  que  rétablisscmentdo  mademoiselle  O'Kenno^L/f. 
se  charge  des  quatre  filles  d'invaUdes,  orphelines,  qui 


LOUIS    XVI.  J63 

1  ""objet  de  ma  fondation.  J'approuve  é{;alement  les  conditions 
fDioposées  par  mademoiselle  O'Kennedy  dans  sa  son  mission 

<*i-dessns. 

MARIE-ANTOINETTE. 


CCCCXC 

LE  ROI  AU  MARQULS  DK  ROUILLÉ  (1). 

X  I  le  remercie  d\ivoir  su  maintenir  la  (garnison  de  Metz  dans  le  devoir. 
—  Il  fait  éventuellement  appel  a  ses  serviees  à  Paris. 

Paris,  le  23  avril  171)0. 

Il  m'a  été  rendu  exactement  compte,  Monsieur,  de 
"X-os  efforts  pour  maintenir  la  garnison  importante  de 
-^iia  ville  de  Metz,  et  des  succès  que  vos  soins  avoient 
"^Dbtenus  jusqu'à  ce  moment.  Ce  qui  vient  de  se  passer 
-^lans  cette  place  n'a  fait  qu'augmenter  la  l:onne  opinion 
'^jue  j'aide  vous  depuis  longtemps,  et  jeu. e  plais  à  vous 
■^^n  témoigner  ma  satisfaction.  En  continuant  à  me  bien 
servir  dans  votre  commandement,  M.  de  la  Tour-du-Pin 
^'ous  expliquera  les  motifs  qui  pourroient  faire  aperce- 
voir de  la  convenance  à  ce  que  vous  vinssiez  passer 
-^juclques  jours  à  Paris  ;  mais  je  m'en  rapporte  absolu- 
ïuent  à  vous  pour  juger  du  moment  où  vous  pourriez  le 
faire  sans  que  votre  absence  pût  causer  aucun  incon- 

^'énient. 

Louis. 


(1)  Ori{;innI  dans  les  papiers  de  M.  le  marquis  de  Rouillé;  copie  k 
ia  Rililiotlicque  impériale. 


i 


264  MADAME   ELISABETH. 


CCCCXCI 

MADAME  ÉLISAHETII  A  MADAME  DE  ROMBELLES. 
Nouvolles  de  faiiilllc.  —  Mort  de  TabLc  Coligiion. 

Ce  27  avril  179(). 

.l'ai  reçu  ta  lettre  qui  n'étoit  point  datée,  l'autre  ne 
m'est  pas  encore  parvenue.  Que  ton  mari  ne  fasse  pas 
ce  qui  lui  est  proposé,  avant  que  tu  aies  reçu  de  mes 
nouvelles.  Ta  mère  est  dans  le  chagrin  à  cause  de  la 
mort  de  l'abbé  Colignon.  Sa  santé  est  toujours  bonne. 
I^lle  a  été  passer  deux  jours  h  Montreuil  et  a  Saint-Cyr. 
Ta  tante  me  rendra  compte  de  sa  conversation  avec 
M.  Durney.  J'espère  qu'il  sera  plus  raisonnable  que  sa 
lettre.  Adieu,  je  n'ai  pas  le  temps  de  t'en  dire  plus 
long.  Comment  va  ce  bijou  d'Henri  ?  Je  t'embrasse  de 
tout  mon  cœur. 


LOriS    XVI.  265 


CCCCXCII 

XOUIS  XVI  A  LA  DUCHESSE   DE   POLIONAC,  A  ROME  (1). 

Amical  souvenir.  —  Complimont  sur  le  maiia({c  du  fiU  tic  la  tluchcsae. 
—  Mort  de  madame  de  Picnucs.  —  Première  eommunion  de 
Madame  Itoyah, 

Paris,  Je  28  avril  1790. 

J'ai  reçu  cxacteinrnt  vos  lettres,  Madame  la  Duchesse, 
et  j'espère  que  vous  n'imputerez  pas  à  aucun  oubli  de 
ma  part  si  je  n'y  ai  pas  réj)ondu  plus  tôt.  Je  savois 
(pie  votre  amie  vous  avoit  écrit  par  une  occasion,  il  n'y 
a  pas  bien  longtemps,  et  j'ai  mieux  aimé  attendre 
(juelque  temps  pour  mieux  partager  le  temps.  Je  me 
suis  acquitté  de  toutes  vos  commissions.  On  a  dû 
répondre  directement  à  votre  mari  sur  le  mariage  de 
votre  fils.  S'il  vous  rend  heureuse,  vous  savez  combien 
je  serai  content.  Je  crois  que  je  n'ai  [)as  besoin  d'en 
dire  davantage.  Il  n'y  a  (|u'une  chose  qui  m'inquiéte- 
roit,  ce  seroit  le  caractère  de  la  tante  ;  mais  on  dit  que 
vous  la  gardez  avec  vous  jusqu'à  l'cipcxpie  de  l'accom- 
plissement. Alors,  vous  aurez  le  temps  de  la  former  et 
de  la  connoître  à  fond.  La  pauvre  duchesse  de  (^»uiche 
sera  bien  fâchée  de  la  mort  de  madanio  de  Piennes.  On 
croit  que  c'est  des  remèdes  pris  mal  à  propos  qui  l'ont 
tuée.  Je  vous  prie  de  me  rappeler  sur  cela  au  souvenir 
de  votre  fille.  Ici,  votre  amie  se  porte  bien,  et  quelques 
méchancetés  qu'on  fasse  dont  on  ne  se  lasse  pas,  il  me 


(I)  Papier-i  de  famille  du  due  de  Poli{jnac. 


266  MADAME    ÉLI  S  A  lUCTII. 

paroît  que  ses  actions  sont  bien  remontées  dans  le 
public.  Le  bouzard  est  arrive  et  vons  aura  sûrement 
donné  de  ses  nouvelles.  Votre  petite  amie  a  fait  sa  pre- 
mière communion  à  Pâques.  Nous  avons  eu  tout  sujet 
d'être  contents  ^e  la  manière  dont  elle  s'y  est  compor- 
tée. Je  vois  aussi  avec  plaisir  qu'elle  se  souvient  de  vous 
comme  elle  le  doit.  L'autre  se  porte  toujours  bien  et  Ht 
'assez  bien  h  présent.  En  tout,  le  physique  va  assez  bien 
ici  ;  mais  il  n'en  est  pas  de  me»me  du  moral.  Il  est  cruel 
d'être  séparé  si  loin  de  ses  amis,  et  sans  prévoir  l'époque 
où  cela  se  terminera.  Il  seroit  bien  doux  de  pouvoir 
causer  ii  son  aise.  J'espère  que  votre  santé  se  soutient 
toujours  bonne  :  avec  l'espérance  et  une  conscience 
pure,  on  se  soutient.  Je  n'ai  pas  besoin,  j'espère,  Ma- 
dame la  Duchesse,  de  vous  répéter  l'assurance  de  mes 
sentiments  inviolables. 


CCCCXCIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

T<*n dresses.  —  On  ns<<a.ssine  en  Boiir{îogne.  —  H  y  a  eu  un  prone 

superbe  à  Saiiit-Sulpicc. 

Ce  A  mai  179<). 

Je  t'ai  beaucoup  écrit  la  semaine  passée,  ce  qui  fait 
que  tu  n'auras  qu'un  mot  de  moi  aujourd'hui.  Ta  mère 
va  bien;  elle  a  été  passer  trois  jours  à  Montreuil,  à 
Saint-Cvr  et  à  Vitry,  cela  lui  a  fait  du  bien,  en  la  dis- 
sipant  un  peu  du  chag^rin  que  lui  a  procuré  lu  mort  du 


MARIE- AMOIiNETTE.  267 

pauvre  abbé  Golignon.  Gomment  va  ton  petit  avorton 
d'Henri?  Étouffe-t-il  toujours?  A-t-il  sa  seconde  dent? 
Enfin  es-tu  sans  inquiétude  pour  lui?  Je  t'assure  qu'il 
faut  t'aimer  beaucoup  pour  s'occuper  d'un  vilain  enfant 
cooune  cela  ;  mais  comme  tu  prétends  que  tu  l'aimes^ 
il  faut  bien  le  croire  et  désirer  son  malheur  en  désirant 
qu'il  habite  cette  terre  maudite  avant  que  de  jouir  des 
douceurs  du  ciel.  Tout  est  tranquille  ici  ;  mais  en  Bour- 
{jofjne  il  n'en  est  pas  de  même,  on  y  assassine  avec 
une  recherche  de  cruauté  abominable.  Mon  Dieu, 
quand  est-ce  que  cela  finira?  Il  y  a  eu,  avant-hier,  un 
prône  à  Saint-Sulpice  qui  avoit  rapport  au  moment. 
On  dit  qu'il  étoit  superbe,  et  bien  capable  d'animer  le 
zèle  des  pasteurs  et  des  bonnes  âmes.  Te  voilà  tout  au 
beau  miheu  de  ton  carnaval  ;  je  t'en  fais  mon  compli- 
ment, et  t'y  laisse  en  t'embrassant  de  tout  mon  cœur. 


CCCCXCIV 

MARIE-ANTOLNETTE  A  LA  LANDGIIAVINE  LOUISE 
DE  IlESSE-DARMSTADT  (1). 

Condoléances  sur  la  niurt  du  Landjjrave  Louis  IX,  et  sur  ravcnement 
de  son  tils,  mari  de  la  Laudgravine  Louise. 

Ce  14  mai  [1790]. 

J'apprends  dans  l'instant,  Madame,  qu'une  personne 
sure  part,  cette  après-dînée,  pour  l'Allemagne;  je  sai- 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hesse. 


268  marie-a?jtoim:tte. 

sis  cette  occasion  pour  vous  assurer  de  toute  la  part 
que  je  prends  au  changement  de  votre  position  (1).  Si 
j'ai  tant  tardé  a  vous  répondre,  vous  en  jugerez  la  cause 
en  ce  que  je  n'écris  à  personne  par  la  poste.  Mais  plus 
je  suis  éloignée  de  vous,  plus  je  sens  combien  mon 
amitié  pour  vous  et  les  vôtres  est  profondément  dans 
mon  cœur.  Veuillez  bien  les  assurer  de  ma  part  et  dire 
particulièrement  au  Landgrave  combien  j'ai  été  tou- 
chée de  son  souvenir,  et  lui  faire  mon  compliment  de 
condoléance  sur  la  mort  de  son  père. 

Nos  santés  se  soutiennent  bonnes  ;  mes  enfants  gran- 
dissent beaucoup  ;  ils  sont  sans  cesse  avec  moi,  et  font 
mon  seul  bonheur.  Il  faut  fermer  ma  lettre:  on  Tat- 
tend.  Adieu,  Madame,  soyez  aussi  heureuse  que  je  vous 
le  souhaite  et  que  vous  méritez  de  l'être,  et  conservez 
toujours  de  l'amitié  pour  celle  qui  vous  embrasse 
comme  elle  vous  aime,  et  c'est  de  bien  bon  cœur. 


(1)  Louis  IX,  Laiit]{p'nvL'  de  IIcAsc-Duriiistatlt,  né  le  15  décoiuhrc 
1719,  élait  mort  le  6  avril  1790.  Il  avait  épousé,  le  12  at)ùt  1741, 
Henriette-Caroline,  Princesse  palatine  tl(>  Hirkenfeld,  née  le  9  inar» 
1721,  morte  le  30  mars  1774. 

Louis  X,  devenu  Landjjrave  (mot  à  mot,  maître  de  l:i  terre),  prit 
le  titre  de  Grand-Dur. 


MADAME  KLISAUETIÎ.  269 


ccccxcv 

MADAME  ELISABETH   A  MADAME  DE  ROMBELLES. 

Sa  correspondance  avec  M.  de  Rombelles.  —  La  Princesse  e«t  fort 
maussade.  —  Le  Roi  n*a  plus  le  droit  de  faire  la  guerre  ou  la  paiz^ 
—  Les  enragés  triomphent.  —  >L  «le  Choiseul. 

Ce  22  mai  1790. 

Je  t'envoie,  mon  cœur,  un  fier  paquet  pour  ton 
mari.  S'il  a  la  patience  de  le  lire  tout  entier,  j'aurai 
une  haute  idée  de  lui ,  car  j'ai  été  effarouchée  de  sa 
taille.  Je  n'ai  que  le  temps  de  te  dire  un  mot,  et  je 
l'emploierai  à  te  dire  qu'il  est  impossible  d'être  plus 
maussade  que  nous.  Tu  dois  en  savoir  quelque  chose. 
Ton  mari  aura  bien  le  temps  de  recevoir  beaucoup 
d'ordres  de  ma  part,  et  j'en  enraye,  quoique  je  tienne 
pourtant  à  ce  qu'il  suive  mon  conseil.  Je  suis  fâchée 
qu'Armand  vous  ait  parle  de  sa  tante  comme  il  vous  en 
a  parlé.  Elle  a  fait  une  folie,  j'en  conviens;  mais  ce 
n'est  pas  à  ses  parents  à  la  publier,  d'autant  qu'elle  ne 
doit  rester  que  quelques  jours  à  [le  nom  est  en  blanc]. 
Le  Roi  n'a  pas  le  droit  de  faire  la  guerre  et  la  paix  (1): 
il  la  déclarera  au  nom  de  la  Nation  ;  mais  il  sera  chargé 
des  négociations  et  de  nommer  aux  places.  Hier  que  ce 
fameux  décret  a  été  rendu,  tous  les  enragés  ont  passé 


(1)  Ccsi  le  22  et  non  le  21  mai  1790  (pic  l'Assemblée  déclara  que 
le  droit  de  guerre  et  de  paix  appartiendrait  à  la  nation.  Il  est  probable 
que  la  Princesse  a  par  mcgarde  antidaté  d'un  jour  sa  lettre,  ou  qu'avisée 
de  la  rédaction  du  décret,  elle  en  parlait  avant  la  promulgation. 


M 


att 


totti 


\p  \ara"'  '       .  „  «voit  G-^J  „n  ccevir ,  - 

^^■^'"  ?ta  a  entend'^,  ^„ers.3«^^^Cécr\te  car 


,u-»^?°'" 


^tex  ^«""  '      ;  A  est  ittv?»^ 


»e«c  *«"'"^?S»' 


aa«* 


M  A  H I E-A  NTOl  N  ETTE.  271 

que  ce  soit  trouve  mauvais,  que  deux  sœurs  se  donnent 

mutuellement  des  preuves  d*amitie,  et  se  demandent  et 

se  dissent  de  leurs  nouvelles.   Aussi  je  n'aurois  pas 

liesité,  mais  c'est  que  je  ne  veux  pas  qu*a  la  poste  on 

puisse  trouver  de  mon  écriture  ;  il  est  si  aisé  de  la  con- 

^efaire,  et  d'ajouter  quelque  chose  dans  une  lettre,  qu'il 

faut  prendre  les  plus  grandes  précautions.  Je  ne  peu 

craindre  que  les  méchancetés  de  ce  genre,  car  je  défie 

l'univer  de  me  trouver  un  tort  telle.  Je  ne  peu  même 

<\ue  gagnier  a  être  gardez  et  suivie  aussi  exactement, 

car  toutes  mes  [laroles ,  tous  mes  désirs ,  et  toutes  mes 

«actions  ne  tendent  qu'au  honheur  du  Roi  d'abord,  pour 

lequel  je  donnerois  mon  simg,  mais  en  vérité  aussi  pour 

le  honheur  de  tous,  car  je  ne  désire  qu'un  ordre  de 

chose  qui  remette  le  calme  et  la  tranquillité  dans  ce 

malheureux  pays,  et  prépare  a  mon  pauvre  enfant  un 

avenir  plus  heureux  que  le  notre,  car  pour  nous,  nous 

avons  vue  trop  d'horreur  et  trop  de  sang  pour  être  jamais 

véritablement  heureux.  Pardon,  chère  Sœur,  de  vous 

entretenir  de  chose  aussi  triste  pendant  que  mion  cœur  ne 

devroit  être  emû  que  de  tendresse  et  de  reconnoissance 

des  marques  de  votre  amitié.    Notre  santé  ce  soutien 

^onne  encore;  on  dit  que  la  semaine  prochaine  on  nous 

*uissera  faire  des  courses  de  quelque  jours  à  Saint-Cloud, 

^ii  revenant  souvent  icy;  cela  est  bien  nécessaire  :  au 

ïïioins  pourrons  nous  respirer  un  air  plus  pure  (1),  plus 


attendu  <|u*iji  la  fin  il  est  fait  mention  des  troubles  des  Pays-Bas  et  du 
^onibat  de  Marcbe  et  Eamion,  livré  le  23  mai  de  cette  année,  dans 
^«quel  les  Impériaux   avaient   repoussé  une   attaque  des  Belges  et  les 


k-M^—K  *...»»  A      M«. *..*««'«      «J»...«      7%r  .% 


éi^ 


^.  V^- 


X^- 


\cs 


res  <  oct«i"  -         .  ftoi*se«  '  c'est  «» 


traO<ï 


«♦*•  ^  de  ***" 


cte* 


étf«''  ^ 


CïO' 


être 


,,e.e  et V>e-  ^.^^  ^^,,.  ,o. ;V ^^^  ,.,.uoc.^^^^. 


îo»sa^T:^:^'A«^*'''.outsve 


^"  ^"    aoV  V»^  '^"  •  -  -«coo' 


sancc- 


eot 


et 


defe' 


CGC' 


U 


>l^^ 


.>vt 


ii\on 


Ï.U* 


ttO 


io 


Val-'"  ^Ct»»*" 


\^^ 


lue 


\e 


«-^^  *•  I -^  '-rïrv 


de 


,\oVr 


V)e\6'=*- 


(.1) 


V.ca  V 


aiv*^ 


ics 


LOUIS    XVI.  273 

ne  te  parlerai  pas  de  la  proclamation  faite  au  nom  de 

/a  loi  et  du  Roi  :  les  journaux  t'en  rendront  compte  ;  et 

lorsque  tu  l'auras  lue  avec  attention ,  tu  sauras  ce  que 

j'en  pense  (1).  Ainsi,  je  n'ai  pas  besoin  de  te  le  dire. 

Nous  allons  vendredi  à  Saint-Cloud  passer  deuxjours, 

et  puis  nous  y  retournerons.  Jeudi  nous  serons  un  petit 

eu  lasses.  La  procession  est  plus  fatigante  que  celle 

e   Versailles,  et  tous  les  députés  y  seront.   Cela  res- 

^mblera  beaucoup  à  l'ouverture  des  États.  Adieu,  ma 

petite,  je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur,  et  t'aime  beau- 

oup. 

P.  S.  Comme  une  béte,  j'ai  jeté  ma  lettre  dans  mon 
•ain,  heureusement  elle  peut  encore  se  lire. 


CCCCXCVIII 

LOUIS  XVI  A  M.  LE  PRÉSIDENT 
DE  L'ASSEMBLÉE  NATIONALE,  POUR  L'ASSEMBLÉE  (2). 

-^  1  eDamère  les  dépenses  de  sa  liste  civile,  pour  en  faire  régler  le  budget. 

Aux  Tuileries,  le  7  juin  1790. 

Messieurs,  combattu  entre  les  principes  de  la  plus 
'Révère  économie  et  la  nécessité  de  la  représentation  du 
^lihef  d'une  grande  nation,  j'aurois  préféré  de  m'en  rap- 


(1)  Proclamation  du  droit  national  de  paix  et  deg[uerre  enlevé  au  Roi. 

(2)  Archives  impériales  de  France.  —  Voir  la  lettre  de  Madame 
^Ëlisaheth ,  du  3  janvier  précédent. 

TOMB  III.  iS 


274  LOUIS   XVI. 

porter  à  l'Assemblée  nationale  pour  qu'elle  fixât  elle- 
méme  les  dépenses  de  ma  maison  ;  mais  de  nouyelles 
instances  m'cnga(;ent  à  m'expliquer.  Je  vais  le  faire 
clairement  et  simplement. 

Les  dépenses  connues  sous  le  nom  de  maison  du 
Roi  comprennent  : 

V  Ma  dépense  personnelle ,  celle  de  la  Reine,  celle 
de  mes  enfants  et  de  leur  éducation  ;  la  maison  de  mes 
tantes  et  celle  que  ma  sœur  peut  attendre  incessamment 
de  moi. 

2^  Les  bâtiments  et  les  garde-meubles  de  la  cou- 
ronne. 

3"  Ma  maison  militaire. 

L'ensemble  de  ces  divers  objets,  malgré  les  réduc- 


tions qui  ont  été  faites  depuis  mon  avènement  au  trôno,^^^   — tj 

indépendamment  de  neuf  cent  mille  livres  que  je  per — ■ 

cevois  sur  des  droits  à  Versailles,  s'élevoit  encore  -"    '^^ 
trente  et  un  millions,  avec  mon  séjour  habituel  à  Paris         ^^s 
Je  crois  que  vingt-cinq  millions,  en  y  ajoutant  le  reveni^B^  ^iu 

des  parcs,  forêts  et  maisons  de  plaisance  que  je  conseï ^"^  **• 

verai,  pourront,  à  l'aide  de  beaucoup  de  retranche — 
ments,  suffire  à  ma  dépense,  quoique  j'y  compreni^  ^^ 
ma  maison  militaire. 

Je  n'hésite  pas  à  penser  que  la  garde  pour  la  défen 
de  ma  personne  doit  être  réglée  par  la  Constitution.  Ei^e^  û 
conséquence,  j'ai  retardé  l'époque  où  les  gardes  dm^  ^u 
corps  doivent  reprendre  leur  service.  J'ai  été  d'aataiM — it 
plus  porté  à  ce  délai  que  la  garde  nationale  m*a  moi     ■■  ;- 
tré  beaucoup  de  zèle  et  d'attachement ,  et  je   dési'^^re 
que  jamais  elle  ne  soit  étrangère  à  la  garde  de  ma  p^^  t- 
sonne. 


LOUIS  XVI.  275 

Il  me  seroit  impossible  d'assigner  les  fonds  annuels 
nécessaires  pour  le  remboursement  de  la  dette  arriérée 
de  ma  maison  et  de  celles  de  mes  frères.  Je  pense  que 
l'Assemblée  jugera  à  propos  de  s'acquitter  de  cette 
liquidation.  Ce  remboursement  est  d'autant  plus  juste 
que  la  vénalité  des  charges  est  supprimée. 

Je  finis  par  l'objet  qui  me  tient  le  plus  à  cœur.  J'ai 
promis  par  mon  contrat  de  mariage  avec  la  Reine  que, 
dans  le  cas  où  je  cesserois  de  vivre  avant  elle,  une  mai- 
son convenable  lui  seroit  conservée.  Elle  vient  de  faire 
le  sacrifice  de  celle  qui  a  toujours  appartenu  aux  Reines 
de  France,  et  qui,  avec  le  comptant,  montoit  à  quatre 
millions.  C'est  un  motif  de  plus  pour  que  je  désire  que 
l'engagement  que  j'ai  pris  avec  elle  et  avec  son  auguste 
mère  soit  assuré. 

Je  demande  donc.  Messieurs,  la  fixation  de  son 
douaire.  Il  me  sera  doux  de  devoir  aux  représentants 
de  la  nation  ma  tranquillité  sur  un  point  qui  intéresse 
«iussi  essentiellement  mon  bonheur. 

Après  avoir  répondu  aux  instances  de  l'Assemblée 
nationale,  j'ajouterai  que  jamais  je  ne  serai  en  opposi- 
tion avec  elle  pour  ce  qui  me  concerne;  et,  pourvu  que 
la  liberté  et  la  tranquillité  soient  assurées,  je  ne  m'oc- 
cuperai point  de  ce  qui  me  manqueroit  en  jouissances 
personnelles.  Je  les  trouverai,  et  bien  au  delà,  dans  ce 
spectacle  attendrissant  de  la  félicité  publique. 

Louis. 

Je  charge  M.  l'archevêque  de  Bordeaux  de  faire  par- 
'V'cnir  cette  lettre  à  l'Assemblée. 


18. 


GCGCXCIX 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

La  TÎcomteiise  est  au  mont  Notre-Dame.  —  La  Princc^e  réside  pour 
huit  jours  à  Saint-Cloud.  —  La  comtesse  D.  est  ramenée  à  Dieu.  — 
M.  Duniev. 

Ce  13  juin  1790. 

Je  me  dépêche  de  commencer  ma  lettre  par  te 
donner  des  nouvelles  de  la  Vicomtesse  (I).  Je  n'ai 
jamais  eu  l'intention  de  ne  te  pas  répondre  sur  elle. 
Je  ne  connois  pas  une  raison  qui  puisse  m*en  empê- 
cher. Je  te  dirai  donc  qu'elle  est  tranquillement  au 
mont  Notre-Dame,  oïi  l'on  est  fort  cahne,  quoique  les 
TÎUes  d'alentour  ne  le  soient  pas  trop,  à  cause  des  ^^"*"-  s 
assemblées  primaires. 

Je  ne  vous  parle  pas  nouvelles ,  parce  que  je  n'ai  ^  " 
pas  le  temps,  et  puis  je  glisse  dessus  les  détails,  tantu^^-^*'^ 
que  je  puis.  Je  trouve  que  c'est  bien  assez  de  savoir  e 
{jros  ce  qui  se  passe.  Nous  sommes  à  Saint-Cloud  pow 
huit  jours.  Il  y  fait  un  temps  superbe.  J'ai  un  peti 
jardin  fermé,  sous  la  fenêtre  de  ma  chambre ,  où  j 
passe  une  grande  partie  de  mon  temps,  et  qui  me  ren 
fort  heureuse.  Je  vais  monter  h  cheval  ce  soir;  ainsi 
tu  vois  que  je  me  secoue  tant  que  je  puis. 

Je  suis  bien  aise  de  ce  que  vous  me  mandez  de  1 


?s 


(1)  La  vicomtesse  de  Mérinville,  Dame  pour  accompa(>ner  Mada 
Elisabeth. 


MADAME   ELISABETH.  Î77 

comtesse  D.  (1).  Dans  une  personne  d*esprit  comme 
elle,  il  est  bien  difficile  que  le  malheur  ne  ramène  pas 
à  Dieu.  Le  ciel  t'a  peut-être  réservé  le  bonheur  de  con- 
solider son  ouvrage.  N'en  néglige  aucune  occasion.  Ce 
sera  une  jouissance,  et  une  récompense  de  toutes  tes 
vertus.  Je  suis  bien  aise  que  ta  réforme  soit  faite,  tiens 
bon  pour  que  ton  mari  ne  veuille  pas  trop  bien  rece- 
voir toute  la  famille;  songe  que  M.  Durney  ne  trouve- 
roit  pas  cela  bon  :  je  le  sais  d'une  manière  positive. 
Adieu ,  ma  chère  petite  ;  je  te  quitte  pour  faire  ma  toi- 
lette pour  dîner.  Je  t'embrasse  et  t'aime  de  tout  mon 
cœur. 

Ta  mère  est  en  très-bonne  santé. 


D 


MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Bcflexion.s  sur  la  derniers  décrets  de  TAssemblée.  —  Elle  espère  bien 
s'appeler  Mademoiselle  Capot,  ou  Hugues,  ou  Robert.  —  Tout  cela 
Tamuse  beaucoup.  —  Préparatifs  de  l'anniversaire  du  14  juillet.  -— 
Elle  redoute  fort  les  grandes  chaleurs  qui  s'y  feront  sentir.  —  Plai- 
santeries à  ce  sujet.  —  Il  faut  rire  un  peu,  cela  fait  du  bien.  — 
Madame  d'Aumalc. 

Ce  27  juin  1790. 

Il  y  a  longtemps  que  je  ne  vous  ai  écrit,  ma  petite 
Bombelinette.  Aussi  je  prends  ce  soir  les  avances,  afin 
de  n'être  pas  prise  au  dépourvu  par  la  poste,  comme  il 


(1)  La  comtesse  Diane  de  Polignac,  clianoincsse,  sœur  du  duc  Jules. 


\   V 


déci 


M-vO 


nMP' 


ce 


rtu»«  *'^*' 


eu 


Ae 


IV  aîft^6«  I«ts  11^  «^ 


\e««» 


aVvev 


Wan^s 


dcve«* 


ttttS' 


Ve  8«ï 


\et 


!  „t  cett*  «\^\\   .es  soc^«^f     .    oU 


»e\eî 


las 


„  bien  «'"VV" -     j„,s  r- .;  cc\.  "> 


lïittse 


,.  c\e  ce* 


8tt»S  V 


.taflCt- 


tcuAve  ^-^  dont  ^e^^^^^^  ^,^^^ 


^^»^^;. 


st^>"-"".r:„.s 


u 


cooiVe«^  Ç' 


téiO«^  ^   leur    """^ 


l.oi« 


uo>{au^^t;.aontç«^::::,^3v\\v 


1»»^"         c-rn  pas  ve  ^      __^^  Q^e  o»^.    _    ^^  cfi 


ce«^  ^^      A  «c  tera  cas  Ve  ^ue  no 

i^Ve».  «V-^^"    ,,oVs  <\««^M  vaa\  ««^^^^ 
.  cat  i^ 


V*'^''''  ^«votoent  V 


croVs  que 


et» 


ce 


lOVVÏ 


,•  i»a  V 


att 


avec 


Y  atï 


èlve 
ciour 


qaei 


a»V 


,>out 


\c  c\va«d 


^« 


C*) 


t)an* 


U  vaV" 


de 


e  e^  "";■'    ..  Uvrée»  «^ 


(?) 


MADAME  ELISABETH.  Î79 

;rois  que  j'y  crèvcrois.  Sans  cela  j'espère  bien  n'y  pas 
aisser  mon  pauvre  corps,  qui  pourroit  bien  en  quit- 
ant  cet  endroit  ne  pas  se  rafraîchir  de  quelque  temps; 
nais  au  contraire  j'espère  bien  le  ramener  tout  comme 
1  y  aura  été.  Pardonne-moi  toutes  ces  bêtises  ;  mais  j'ai 
ant  étouffé  la  semaine  passée,  et  à  la  revue  de  la  milice, 
;t  dans  mon  petit  appartement,  que  j'en  suis  encore 
oute  saisie.  Et  puis,  il  faut  bien  rire  un  peu,  cela  fait 
lu  bien.  Madame  d'Aumale  me  disoit  toujours,  dans 
non  enfance,  qu'il  falloit  rire,  que  cela  dilatoit  les 
)Oumons. 

J'achève  ma  lettre  à  Saint-Cloud.  Me  voilà  rétablie 
lans  le  jardin ,  mon  écritoire  ou  mon  livre  a  la  main  ; 
4  là  je  prends  patience  et  des  forces  pour  le  reste  de  ce 
[ue  j'ai  à  faire.  Ta  mère,  que  je  viens  de  quitter,  se 
>orte  très-joliment.  Adieu,  je  t'aime  et  t'embrasse  de 
out  mon  cœur.  As-tu  sevré  ton  petit  monstre,  et  com- 
nent  t'en  trouves-tu  ? 


280  L'EMPEREUR   LEOPOLD    II. 


DI 


L'EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (I). 

II  donne  ses  instructions  sur  la  conduite  ù  tenir  à  Tégard  des  Pay«- 
Bas.  —  Sombre  tableau  de  la  situation  générale.  —  Urgente  néces- 
sité de  traiter  de  la  paix  avec  la  Prusse.  —  Fausseté  et  malveillance 
de  l'Angleterre.  —  La  Russie  se  renferme  dans  l'inaction.  —  L'Em- 
pereur projette  de  prendre  à  sa  solde  les  régiments  étrangers  qui 
quittent  le  service  de  France.  —  Il  ne  faut  compter  que  sur  la  forci 
pour  aj>puyer  la  rai^ton.  —  Les  provinces  autncliiennes  sont  en  fer 
mentation;  leurs  exigences.  —  Prétentions  inouïes  des  Hongrois. 
Découragement  de  l'Empereur. 

Le  31  juin  [1790]  (2). 

Très-chère  Sœur,  c'est  par  votre  chasseur  qui  r 
tourne  ce  soir,  que  je  vous  réponds  à  votre  long 
lettre.  Vous  aurez  vu  déjà  les  ordres  et  instruction 
que  j'ai  envoyés  au  général  Bender.  Il  fera  bL 
d'opérer,  mais  avec  prudence,  pour  ne  pas  comp 
mettre  ses  troupes  et  risquer  de  se  faire  couper 
écraser  par  le  nombre.  Déjà  chez  vous  on  voit  que 
fanatisme  est  au  point  que  sans  des  forces  il  ne  h 
plus  rien  espérer.  Je  crois  que  vous  ferez  bien  de  fai 
bon  visage  à  tous,  aristocrates  ou  démocrates,  maf 
sans  vous  engager  à  traiter  ni  avec  les  uns  ni  avec  le^ 
autres.  Chacun  ne  pense  qu'à  soi,  et  les  lettres  d 
sieur  Edouard  Walkiers  et  les  choses  de  Cornes  d 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impénalc  et  Royale  rArchiduc 
d'Autriche. 

(J)  Il  n*y  a  point  de  31  juin.  C'est  donc  un  lapsus»  L*Empereiir — ' 
voulu  écrire  le  30  juin  ou  le  i«»"  juillet. 


L'EMPEllElTR    LÉOPOLD    II.  181 

Grès  en  sont  des  preuves.  Le  négociant,  M.  Louis, 
part  après-demain  d'ici  pour  aller  trouver  le  premier 
en  France.  Il  aura  une  lettre  de  ma  part  pour  vous, 
pour  vous  le  recommander,  mais  qui  ne  contiendra 
pas  autre  chose  que  des  compliments ,  car  je  ne  m'y 
fie  pas  plus  qu'il  ne  faut. 

•Pour  les  Pays-Bas,  il  faut  d'abord  la  paix  avec  le 
Roi  de  Prusse,  et  la  sûreté  qu'il  ne  vous  empêchera 
pas  d'y  envoyer  des  troupes,  ce  que  je  saurai  en  quinze 
jours.  Alors  il  faudra  y  envoyer  six  régiments  d'infan- 
terie et  deux  de  dragons;  et  toujours  en  publiant  qu'on 
^'eut  accorder  aux  provinces  à  chacune  leur  ancienne 
constitution ,  et  qu'on  ne  veut  pas  leur  faire  de  mal , 
on  fera  avancer  les  troupes  qui  secourront  et  soutien- 
dront les  bien  intentionnés,  et  engageront,  j'espère, 
les  chefs  plus  enragés  du  jiarti  à  s'expatrier,  et  alors 
on  pourra  traiter  avec  les  provinces  mêmes  sur  la  for- 
mation de  leurs  états,  leur  représentation,  etc.  Mais 
en  attendant  ce  temps,  il  faut  aller  avec  prudence,  ne 
pas  exposer  nos  troupes  à  cpielque  échec  ni  engager 
des  gens  à  faire  ou  tenter  des  contre-révolutions  (|ui 
ne    peuvent    que   les  compromettre   inutilement.    La 
marche  des  troupes  prussiennes,  de  Wesel  aux  confins, 
n'est  que  pour  le  cas  de  guerre  avec  moi  et  pour  me- 
nacer alors  Liège  et  Luxembourg.  Mais  je  me  flatte 
toujours  que  la  paix  est  pres(|ue  sûre,  quoiqu'elle  sera 
à  des  conditions  bien   dures.  Mais  les  circonstances 
l'exigent  ainsi,  à  moins  que  le  Roi  de  Prusse  ne  veuille 
contredire  aux  propositions  qu'il   a  déjà  faites  pour 
faire  la  guerre.  Dès  que  j'en  saurai  quelque  chose  de 
sûr,  je  vous  le  ferai  savoir.  En  attendant,  l'Angleterre 


,2  i;p:MPEREru  leofold  ii. 

e  conduit  aussi  faussement  et  mal  que  possible  envers 
iious.  La  Russie  ne  se  cache  pas  qu'elle  ne  peut  ni  ne 
A'eut  nous  aider,  et  pas  même  nous  défendre  la  Gallicie; 
et  la  Hollande  a  remis  au  baron  Buol  et  fait  remettre 
ici  la  très-forte  et  impolie  déclaration  que  vous  aurez 
dc^à  vue  sur  les  affaires  des  Pays-Bas.  Par  votre  chas- 
seur nous  leur  envoyons  la  réponse  que  j'y  ai  fiiit  foice, 
qui  est  juste  et  ferme ,  et ,  je  crois ,  convenable  ;  mais 
je  suis  persuadé  que  ce  n'est  que  la  j)rinccsse  d'Orange 
qui  veut  tout  cela.  Pour  les  Pays-Bas,  le  duc  de  Wur- 
temberg m'a  offert  mille  hommes  et  deux  cents  canon- 
niers,  que  pour  le  présent  je  n'ai  pas  cru  devoir 
accepter.  Mais  j'ai  un  autre  j)rojct  en  tête,  que  je  cooBe 
à  votre  mari  pour  y  [)enser.  On  dit  que  les  régiments 
étrangers  vont  tous  être  cassés  en  France.  Ce  seroit, 
si  cela  arrive,  une  bonne  occasion  d'en  prendre  trois 
ou  quatre  des  meilleurs  en  entier  à  ma  solde  pour  les 
Pays-Bas.  Les  meilleurs  sont  Royal- Allemand  Dragons, 
Royal-Suédois  Infanterie,  Salm  de  même  et  quel- 
que autre.  Ceux-là  seraient  prêts  et  commodes.  On  les 
dit  bien  disciplinés  et  à  pouvoir  s'v  fier  ;  et  ils  m'épar- 
gneroient  la  marche  d'autant  de  troupes  d'ici  et  les 
grands  frais.  Et  peut-être,  lorsque  la  tranquillité  seroit 
remise  aux  Pays-Bas,  on  pourroit  les  rendre  au  Roi  de 
France,  qui,  à  l'occasion  »  pourroit  s'en  servir  chez  lui 
utilement.  Mais  tout  cela  n'est  que  pour  A'ous  deux. 
Les  plus  mauvais  régiments  étrangers  sont  Lamark  (  1 }, 

(!)  Avec  le  duc  dTrsel  et  le  duc  d'Arenberj;,  o»  comptait,  panoi 
les  Voncki8tci(,  \v  fi-rrc  do  ce  dernier,  le  cuinte  de  La  Marck,  rami 
de  Mirabeau,  et  qui,  ttmt  en  prenant  une  |>art  active  aux  afFaires  des 
Pays-Bai,  n'en  avait  pas  moins  conserve,  en  1789,  avec  la  qualité 


i 


L'EMPEHEUU  LÉOPOLD  II.  283 

et  celui  que  le  prince  Max  de  Deux-Ponts  commande 
et  qui  esta  Strasbourjj,  je  crois.  Je  souhaiterois  que 
votre  mari  y  pense,  ainsi  qu'à  leur  force  et  pour  voir 
si  on  pourroit  en  traiter  à  son  temps. 

Ce  n'est  qu'au  yénéral  Bender  que  vous  pourriez  en 
confier  l'idée ,  sous  le  plus  grand  secret.   Soyez  bien 
sûre  qu'en  traitant  de  la  paix,  mes  premières  condi- 
tions sont  toujours  d'avoir  les  bras  libres  et  une  assu- 
rance du  Roi  pour  envoyer  des  troupes  aux  Pays-Bas. 
Du  Pape  il  n'y  a  rien  à  espérer.  Il  anime  et  suscite  la 
révolte  partout,  et  ici,  et  en  Hongrie,  et  en  Toscane,  et 
à  Mayence,  Cologne,  il  traite  directement  avec  le  Roi 
de  Prusse  et  avec  l'Électeur  de  Bavière  pour  empécber 
mon  élection,  et  enfin  il  n'y  a  cliose  qu'il  ne  fasse  pour 
Hae  faire  du  mal.  Dans  les  émeutes  de  Toscane,  heu- 
reusement apaisées  à  présent,  il  y  avoit  deux  Braban- 
çons mêlés,  et  deux  Dominicains  et  un   Jésuite   qui 
Cîorrespondoiént  habituellement  avec  ceux  des  Pays- 
fias.  Il  ne  faut  compter  que  sur  la  force  })our  appuyer 
la  raison  ;   car  chez   vous  ce  n'est  plus  le  zèle  de  la 
^T-eligion  quand  on  met  Vandernôt  (1)  dans  l'église  et 
cju'on  donne  la  bénédiction  avec  son  buste.   Ici,   les 


•fictive  de  colonel  propriétiiire  du  ré^iincuc  d'infanterie  de  son  nom  en 

^^rancc,  celle  de  membre   de   nos  États  Généraux,  ^ié  d'une  maison 

«souveraine  de  TEnipire,  le  comte  de  La  Marck  n'était  en  fait  sujet  ni 

«de  TAutriclie  ni  d'aucune  autre   puissance.    En  8a  qualité    de  grand 

^'Elspagne  de  première  classe,  il  jouissait,  à  la  cour  de  Versailles,  du 

^^ng  de  duc  et  pair.    Son   régiment   avait  été    envoyé  dans   l'Inde,  à 

^'occasion   de  notre  guerre  avec   l'Angleterre  pour  rindépen<lance  de 

^'Amérique,  et  il  l'avait  ramené  en  France  aprt*s  la  paix.  On  comprend 

^ue  l'Empereur  Léojmld  eût  de  la   défiance  contre  le  régiment  de  ce 

personnage. 

(i)  Henry  Van  der  Noot. 


284  L'EMPEUEUR   LÉOPOLD   II. 

affaires  internes  sont  dans  la  plus  grande  confusion ,  et 
un  manque  absolu  de  gens  capables.  Il  y  a  de  quoi 
décourager  quiconque.  Les  provinces  sont  toutes  en 
fermentation.  Tout  le  monde,  provinces,  villes,  no- 
blesse, marcliands,  évcques,  clergé,  moines,  demande 
des  droits  et  privilèges,  allant  rechercher  ceux  qu'ils 
avaient  du  temps  de  Gharlemagne,  sans  se  contenter 
du  juste  et  discret,  et  veulent  tous  obtenir  tout  de 
suite  tout.  Imaginez-vous  quelle  bonne  besogne  que 
c'est,  et  surtout  le3  Hongrois  qui  font  des  prétentions 
inouïes  et  contre  leur  constitution,  et  injustes  jusqu'à 
me  priver  du  droit  de  nommer  aux  charges  et  bénéfices, 
et  qui  ont  trouvé  moyen  de  suborner  les  régiments 
hongrois,  au  point  qu'ils  ont  envoyé,  à  l'insu  de  tout 
le  monde,  des  députés  à  la  diète  pour  s'accorder  avec 
eux  et  se  déclarer  indépendants  du  Roi  et  conseil  de 
guerre.  Plaignez-moi  dans  cette  situation,  où,  malgré 
les  efforts  extraordinaires  de  travail  que  je  fais ,  mon 
physique  et  santé  souffrent  plus  du  moral  que  du 
travail.  Je  vous  embrasse  et  suis. 


11  est  assez  douteux  que  les  Cabinets  se  Fussent  bien  rendu 
compte,  dès  le  début,  de  toutes  les  conséquences  que  devaient 
entraîner  après  soi  pour  TEuropc  les  commotions  politiques 
de  la  France.  Ainsi,  au  langage  de  Joseph  II,  on  a  pu  juger 
qu^il  n'y  voyait  d'abonl  qu'un  caprice  d'humeur  nationale, 
une  échauffourèe  d^effervescence  momeutanée,  en  un  mot, 
comme  il  dit,  une  ivresse  de  vin  de  Champagne.  Mais  FEu* 
rope  allait  apprendre  à  ses  dépens  qu'il  ne  saurait  éclater  en 
France  une  révolution  sans  que  tous  les  peuples  européens 
n'en  ressentissent  le  contre-coup.  Déjà  la  guerre  d'Amérique 


L'EM1M:HKUII   LEOPOLD   II.  285 

avait  remué  les  entrailles  des   Hollandais.  La  prise  de   la 
Bastille  réagit  encore  sur  eux  et  sur  la  Belgique.  Les  patriotes 
hollandais  commencèrent  par  diminuer  le  statliouder  dans 
la  forme,  ils  le  diminuèrent  ensuite  dans  la  réalité  du  pou- 
voir, et  la  lutte,  une  lutte  acharnée  s'ouvrit,  à  laquelle  se 
mêlèrent  et  F  Angleterre  et  la  Prusse,  et  qui   entraînait  le 
Brabant.   Les  traités  garantissaient   aux  Hollandais,  de  la 
part  de  la   France,  des  secours   que  Tétat  de  ses  finances 
J'empécha  de  leur  fournir;  et  plus  fidèle  à  la  prudence  qu'à 
]a  parole  du  pays,  Montmorin,   successeur  de  Vergennes, 
traita  avec  l'Angleterre.  A  son  avènement  au  trône  de  Prusse, 
IFrédéric-Guillaume  II  avait  fait  des  avances  à  la  France; 
ouais  Vergennes,   qui  gouvernait  alors    les  Affaires  Étran- 
gères,  n'avait    accepté    ces    avances    qu'avec   une   défiante 
jéserve.  Peut-être  était-il  trop  persuadé  que  toute  la  gran- 
deur de  la  Prusse  ne  tenait  qu'au  génie  de  Frédéric,  et  que 
]e  Boi  nouveau,  inégal  à  la  tâche  de  successeur  d'un  grand 
lomme,  et   mal    préparé   par  ses  mœurs  à    i\no  si  lourde 
mission,  succomberait  sous  le  poids.  Cependant,  à  travers  tous 
'Ces  événements,  les  affaires  de  France  empiraient  chaque 
jour,  les  embarras  intérieurs  se  multipliaient,  et  l'on  voyait 
avec  effroi  s'agrandir  le  gouffre  de  la  dette  publique.  L'An- 
gleterre et  la  Prusse  avaient  l'œil  sur  nous  et  jouissoient  de 
l'abaissement  de  notre  influence.  La  dernière  surtout,  chez 
qui  l'ambition  est  une  condition  d'existence,  se  flattait  de 
trouver  dans  nos  préoccupations  des  occasions  favorables  de 
se  satisfaire.  L'Autriche  et  l'Espagne,  dont  nous  restions  les 
alliés  fidèles,  souffraient  encore  de  nos  souffrances.  Pendant 
ce  temps-là,  la  campagne  entre  les  Suédois  et  les  Busses  se 
poussait  avec  fureur,  et  le  feu  était  en  Finlande  et  sur  les 
bords  de  la  Baltique.  Néanmoins,  en   dépit  de   toutes  ces 
complications  et  de  la  guerre  avec  la  Turquie;  en  dépit  des 
oppositions  qu'il    rencontrait  à   son    élection   à   l'Empire, 
Léopold  tint  bon,  et  finit  par  triompher  à  force  de  prudence. 
J^ar  le  traité  de  Beichcnbach  (15  août  1790)  il  consentit  à 
^ndre  aux  Pays-Bas    leur  ancienne  constitution,   sous  la 
Cirant ie  des  puissances  alliées,  et  enfin  il  conclut  avec  la 
"Turquie,  à  Giorgcvo,  par  l'entremise  de  la  Prusse,  un  armis* 
*'cc  de  neuf  mois. 


DU 


LOUIS  XVI  A  LA   DUCHESSE  DE  POLIGNAC,  A   ROMS  (1). 

Préoccupations  affectueuses.  —  Éloge  du  duc  de  Guiche.  —  La  gêne 
dans  les  correspondances  empêche  l'effusion  à  laquelle  on  aimerait 
à  se  livrer.  —  Quelques  jours  pass(';s  à  la  campaj^ne  lai  font  vanter 
le  bonheur  de  la  retraite  avec  des  amis.  —  État  politique  plus  ras- 
surant. —  Cependant  les  souvenirs  lui  font  faire  du  noir. 

Paris,  le  10  juillet  1790. 

J'ai    reçu    exactement,    Madame,    votre   lettre   du 
29  mai,  de  Venise.  Je  suis  fort  aise  que  tous  ayez  reçu 
la  mienne.  Comme  madame  de  M.  K.  n'étoit  pas  ici  poui* 
lors,  je  l'avois  adn^ssée  par  la  voie  qui  m*a  paru  la  plus- 
sûre;  mais,  au  reste,  je  ne  chercherai  jamais  à  cachet" 
mes  sentiments  pour  vous.  Je  suis  bien  fâché  d*avoÎB* 
été  le  premier  h  vous  certifier  la  mauvaise  nouvelle  pour 
votre  fille  :  je  croyois  que  toutes  les  lettres  en  parloient . 
J'espère  que  sa  santé  et  les  vôtres  se  soutiennent  bonnes, 
malgré  toutes  les  peines  et  les  chocs.  Votre  fille  aura 
bientôt  le  plaisir  de  revoir  les  siennes.  On  m'a  dit  qu'elles 
étoient  parties  il  y  a  quelques  jours.  Corisande  sou 
toujours  de  son  œil.  Je  ne  suis  pas  étonné  que  von 
soyez  contente  de  votre  gendre;  il  a  un  très-bon  coeu 
et  ce  meuble-là  dirige  toujours.  Le  houzard  est  dans 
même  cas.  Il  m'a  dit  depuis  qu'il  avoit  reçu  de  vos  no^^j 
velles  et  qu'il  vous  avoit  répondu.  11  est  bien  triste    cJe 
ne  pouvoir  correspondre  ensemble  qu'avec  bien  d&   k 


(i)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Pollgnac. 


LOUIS   XVI.  Î87 

gène  et  de  loin  en  loin.  Nous  avons  été  passer  plusieurs 
fois  quelques  jours  à  la  campagne,  étant  plus  à  portée 
de  prendre  l'air  et  de  nous  promener  davantage.  Cela 
nous  a  fait  du  bien  physiquement  à  la  santé.  Dans  cette 
quinzaine  nous  sommes  trois  qui  nous  soyons  purgés  : 
cela  chasse  les  humeurs  qui  ne  s'amassent  que  trop 
aisément  par  le  temps  qui  court.  Si  vous  concevez  quel- 
ques inquiétudes  pour  une  époque  très-prochaine,  j'es- 
père pouvoir  vous  dire.  Madame,  de  vous  rassurer  : 
non  pas  que  tout  s'y  passera  d'une  manière  agréable, 
mais  qu'il  n'y  a  pas  à  craindre  toutes  les  folies  qu'on 
pouvoit  appréhender.  Les  arrivants  montrent  d'assez 
bonnes  dispositions,  et  tout  n'est  pas  perdu. 

J'espère  qu'à  présent  vous  avez  trouvé  une  cam- 
pagne. Vous  l'avez  toujours  aimée,  et  j'espère  qu'elle 
X'ous  fera  du  bien  h  votre  santé  et  à  la  tranquillité  de 
'votre  àme.  C'est  une  charmante  vie  que  celle  de  la 
ctampagne  :  qu'on  v  est  à  son  aise  avec  ses  amis  !  Hélas! 
dans  celle  d'où  je  viens,  je  n'ai  pas  trouvé  le  déjeuner 
dans  le  salon  au  bout  de  la  galerie  ! 

Bonsoir,  Madame  la  Duchesse  :  je  sens  que  les  sou- 
venirs me  font  faire  du  noir.  Quelque  part  que  vous 
5oyez,  je  compte  que  vous  ne  douterez  jamais  de  tous 
mes  sentiments  pour  vous.  Ne  sachant  où  vous  adres- 
ser juste  ma  lettre,  je  prie  M.  de  Bombelles  de  vous  la 
faire  tenir. 


288  MADAME  ELISABETH. 


DIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Ci'ise  procliainc  de  la  fc'd  oral  ion. —  Le  duc  d'Orléans. —  Rè{»Icinpnt  du 
cérémonial  de  la  fédération  par  l'Assemblée,  qui  pasHe  par-dc8Sus  les 
observations  du  Roi.  La  f.uuillc  royale  n'entourera  pas  Louis  XVI  : 
insulte  préméditée  à  la  Reine.  —  M.  de  Bombelles. 

Ce  10  juillet  1790. 

J'ai  reçu  ta  lettre  par  ce  Monsieur  qui  est  retourné  à 
Venise,  mais  trop  tard  pour  y  pouvoir  répondre,  en 
ayant  une  autre  à  écrire  plus  pressée.  Nous  touchons, 
ma  chère  enfant,  comme  le  dit  la  chanson,  au  moment 
de  la  crise  de  la  Fédération.  Elle  aura  lieu  mercredi; 
je  suis  bien  convaincue  qu'il  ne  s'y  passera  rien  de  très- 
ftcheux.  M.  le  duc  d'Orléans  n'est  pas  encore  ici,  peut- 
être  y  sera-t-il  ce  soir  ou  demain  ;  peut-être  ne  revien- 
dra-t-il  jamais.  J'ai  l'opinion  que  c'est  à  peu  près  indif- 
férent. Il  est  tombé  dans  un  tel  mépris  que  sa  présence 
sera  cause  de  peu  de  mouvemenf.  L'Assemblée  paroit 
décidément  séparée  en  deux  partis,  celui  de  M.  de  La 
Fayette  et  celui  de  M.  le  duc  d'Orléans,  autrement 
appelé  celui  des  Lameth.  Je  dis  cela  parce  que  le 
public  le  croit;  moi  j'ai  l'opinion  qu'ils  ne  sont  pas 
aussi  mal  ensemble  qu'ils  veulent  le  paroitre.  Que  cela 
soit  ou  que  cela  ne  soit  pas,  il  paroit  que  celui  de 
M.  de  La  Fayette  est  beaucoup  plus  considérable,  et 
cela  doit  être  un  bien ,  parce  qu'il  est  moins  sangui- 
naire, et  paroît  vouloir  servir  le  Roi  en  consolidant 


MADAME    ELISABETH.  289 

Touvrafje  immortel  dont  Taryet  accoucha  le  A  février 
de  l'an  90  (1). 

Toutes  les  réflexions  que  tu  fais  sur  le  séjour  du...  (2) 

sont  très-justes,  il  y  a  longtemps  qucj'en  suis  convaincue; 

celles  qui  suivent  sont  bonnes  à  suivre,   sont  même 

nécessaires.  Mais  de  tout  cela  il  n'en  sera  rien,  à  moins 

que  le  ciel  ne  s'en  mêle.  Prie-le  bien  fort  pour  cela,  car 

nous  en  avons  grand  besoin.  Cela  me  fait  bien  de  la 

peine,  parce  que  j'ai  une  certaine  frayeur  que  l'ennui 

ne  gagne  tant  que  l'on  ne  puisse  résister  au  désir  de 

s'amuser  un  peu,  et  d'une  manière  qui  peut  être  ou 

fort  utile  ou  fort  malheureuse  pour  l'éternité.  Le  choix 

est  difficile  à  faire  dans  deux  choses  aussi  rapprochées  que 

celles-là,  quoiqu'au  premier  coup  d'oeil  elles  paroissent 

fort  dissemblables.  Mais  ton  esprit  est  si  fin,  si  juste, 

qu'il  apercevra  sans  peine  le  point  qui  les  unit  sans 

que  je  me  donne  la  peine  de  le  démontrer.  Si  tu  me 

trouves  le  sens  commun,  il  faut  convenir  que  tu  seras 

bien  indulgente. 

L'Assemblée  a  décrété  hier  que  le  Roi  seroit  seul 
avec  elle  dans  lu  fédération,  le  président  à  sa  droite  ;  le 
reste  de  sa  famille  sera,  je  crois,  aux  fenêtres  de  l'École 


(i)  Target,  membre  du  comité  de  Conslitiition,  en  avait  été  le  plus 
Knbituel  rapporteur,  et  cVst  ce  qui  avait  donné  lieu  à  ses  détracteurs 
^e  se  railler  de  ses  longs  et  fastidieux  discours.  Les  plaisants  disaient 
<|u*il  était  en  couches;  tout  le  monde  parla  des  couches  de  Target  et 
^c  la  Targétine  constitutionnelle  qu'il  devait  mettre  au  jour.  Et, 
oomme,  disait-on,  cet  enfantement  devait  causer  une  souffrance 
truelle,  on  alla  jusqu'à  répandre  de  la  paille  et  du  fumier  à  la  porte 
fie  i«a  demeure,  pour  que  le  bruit  des  voitures  ne  pût  nuire  à  son  tra- 
'Vail  et  SI  son  repos. 

(2)   Allusion  au  séjour  du  Roi,  dont  la  Princesse  désirait  le  départ 
^e  Va  ris. 


290  MADAME    ELISABETH. 

militaire.  Le  Roi  avoit  désiré  d'en  être  entouré,  mais, 
comme  de  raison .  on  n*a  ])as  pris  garde  aux  désirs 
de  celui  qui  n'a  de  pouvoir  que  ])ar  celui  que  la  Nation 
lui  délègue.  Tu  sais  que  j'ai  le  bonheur  de  connoître 
beaucoup  un  des  membres  de  cette  auguste  famille  du 
siècle  passé  ;  eh  bien,  je  vous  fais  part  que  tout  cela  lui 
est  bien  égal  :  elle  n'en  est  affligée  que  par  rapporta  la 
Reine,  pour  qui  c'est  un  soufflet  donné  a  tour  de  bras, 
et  d'autant  mieux  appliqué  qu'il  a  été  ménagé  de  loin, 
et  que  jusqu'au  dernier  moment  on  avoit  dit  au  Roi  que 
le  contraire  passeroit. 

Je  suis  fâchée  de  penser  que  tu  n'es  plus  à  la  cam- 
pagne, parce  que  cela  te  fait  du  bien  et  du  plaisir; 
mais  je  suis  bien  édifiée  de  ta  résignation  et  de  ton 
amour  pour  tes  devoirs.  J'espère  que  tes  enfants  te  res- 
sembleront et  serviront  Dieu  et  leur  maître  comme  de 
bons  chrétiens,  et  tes  enfants  doivent  servir  l'un  et 
l'autre^,  ayant  de  si  bons  exemples  sous  leurs  yeux.  A 
pro])os,  je  suis  bien  fâchée  que  ma  phrase  t'ait  déplu, 
ce  n'étoit  pas  mon  intention,  comme  tu  peux  bien 
l'imaginer.  Je  n'ai  pensé  qu'au  temps  qu'il  y  avoit  que 
ton  mari  ne  s'étoit  occupé  de  ce  métier  qui  demande 
un  peu  de  pratique,  surtout  s'il  le  suivoit  dans  la  posi- 
tion où  il  est  (1).  Mais  je  te  fais  réparation,  et  te  dirai 
que  je  suis  convaincue  que  le  zèle  que  certainement  il 
y  mettroit  pourroit  suppléer  à  ce  qui  lui  manqueroit 
de  science,  si  par  hasard  il  en  avoit  perdu.  Mais  je  ne 


(1)  M  II  était  question  de  m'employcr  militairement  à  la  suite  àe- 
M.  le  comte  d'Artois,  et  Madame  Éli^ibeth  le  voyait  aycc  peine.  * 
(iVofe  du  man/uis  de  Bombelles.'^ 


MADAME    ELISABETH.  Î9i 

puis  te  dissimuler  que ,  malgré  la  grandeur  de  tes  sen- 
timents, je  ne  me  soucie  point  du  tout  que  ton  mari 
soit  appelé.  J'ajouterai  que  je  ne  crois  pas  qu'il  le  doive 
en  conscience,  parce  que  son  sort  est  fixé  et  qu'il  ne 
peut  le  changer  sans  tout  abandonner  de  bonne  volonté 
ou  de  force.  Pèse  encore  cette  réflexion,  et  sois  bien 
convaincue  que  je  n'ai  jamais  eu  le  désir  de  te  faire 
de  la  peine,  notre  amitié  est  trop  vraie  pour  que  lu 
puisses  en  douter.  Tes  parents  se  portent  bien.  Je  t'em- 
brasse de  tout  mon  cœur;  je  suis  bien  fâchée  de 
ce  que  tu  me  mandes  de  Font.  J'espère  que  tu  te 
trompes;  si  cela  étoit,  que  nous  serions  ou  bêtes  ou 
malheureuses!  etc.  Mais  plus  j'y  réfléchis  ainsi  qu'à  ses 
propos,  et  moins  je  le  crois. 

M.  de  N.,  je  crois,  n'avoit  pas  besoin  des  conseils  de 
rhomme  dont  tu  me  parles  pour  le  rejoindre.  Je  crois 
que  l'autre  n'auroit  pas  souffert  un  séjour  plus  long, 
mais  c'est  toujours  fort  bien  à  lui  de  Tavoir  senti.  S'il 
pouvoit  de  même  se  p(Tsuader  de  rester  toujours  où  il 
est  avec  l'autre,  cela  seroit  bien  heureux  pour  tout  le 
monde. 


Il  y  avait  bientôt  un  an  que  la  prise  dv  la  Hastille  avait 
signalé  rouverturo  de   Tèn.'  révolutionnaire  et   Fentrée  du 
peuple  en  possession  de  lui-même.  On  voulut  célébrer  par 
une  féte  splendide  la  commémoration  de  cet  avènement  de 
la  Natiou  à  sou  propre  gouvernement.  Uncî  fédération  géné- 
rale de  toute  la  France,  représentée  dans  la  capitale  parles 
députés  de  toutes  les  gardes  nationales  et  de  tous  les  corps 
d'armée,  fut  décrétée.  File  eut  lien,  le  H  juillet,  au  Champ 
de  Mars.  Le  Roi  la  présidait,  entouré  de  rAsscmbléc  natio- 
nale et  ayant  à  sa  droite  le  président,  M.  de  Bonnay.  Leduc 

19. 


292  L'EMPEREUR   LEOPOLD  II. 

d'Orléans,  auquel  ou  attribuait  des  projets  sinistres,  (]u*il 
n'avait  pas  môme  Téuerçio  do  concevoir,  était  de  retour.  Au 
moment  où  Louis  XVI  prêta  solennellement,  au  milieu  d'un 
silence  immense,  le  serment  civique,  des  acclamations  uni- 
verselles éclatèrent,  et  la  Reine,  entraînée  par  le  mouvement 
général,  se  leva,  et,  prenant  dans  ses  bras  le  Dauphin,  le 
montra  au  peuple  du  haut  du  balcon  de  l'École  militaire  où 
elle  était  placée.  Des  cris  d'amour,  d'enthousiasme,  de  délire, 
répondirent  à  ce  mouvement  inspiré.  Tous  les  cœurs  s'élan- 
çaient vers  elle  et  vers  le  Roi,  et  semblaient  se  confondre 
en  un  seul  sentiment  de  dévouement  et  de  patriotisme. 
Encore  douze  heures,  et  cette  journée  d'entrainement  et 
d'illusions  mutuelles  était  oubliée.  Tous  les  partis  étaient  do- 
nouveau  en  présence  avec  leurs  aspirations,  leurs  haînos^ 
leurs  ambitions  et  leurs  violences. 


DIV 

L'EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (I). 

La  paix  tarde  à  se  faire.  —  L'esprit  d'insurrection  est  unîrersel  dnn« 
les  provinces  aiitricliienncs,  malgré  les  condescendances  de  l'Empe- 
reur. —  Rôle  qu'il  attribue  à  l'Angleterre. 


Le  15  juillet  {1700]. 

Très-chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère  lettre;  j'y  ai    -i-^iî 

vu  ce  que  vous  me  marquez  pour  les  régiments  firan *- 

cois,  et  vos  réflexions  sont  bien  justes,  mais  ce  n'est^^^st 
que  dans  le  cas  de  ne  pouvoir  vous  envoyer  que  peu  d^^JEIe 


(1)  Arcliiyes  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  rArdiîdnc  A 
d*Autrir1ie. 


L'EMPERECU    LÉOPOLD   II.  193 

troupes  que  j'y  pense  ;  je  n'ai  encore  rien  de  la  paix, 
et  je  crois  que  le  Roi  nous  traine  en  exprès  en  long. 
Vous  aurez  des  régiments  d'infanterie  hongrois ,  mais 
je  crains  qu'il  me  faudra  même  à  la  paix  des  troupes  en 
Bohême,  Gallicie  et  Hongrie,  et  dans  les  pays  intérieurs, 
l'esprit  d'insurrection  étant,  malgré  toutes  mes  condes- 
cendances, universel  ;  le  maréchal  Laudon  touche  à  sa 
fin,  et  je  crains  que  nous  le  j)erdrons  demain  (1). 

Votre  conversation  avec  le  ministre  d'Angleterre  est 
bonne,  mais  sa  cour  est  celle  qui  se  conduit  le  plus  mal 
envers  moi  (2).  Ses  ministres  appuient  ici  haut  à  la  main 
les  prétentions  les  plus  étranges  du  roi  de  Prusse,  me- 
nacent les  Pays-Bas,  y  appuient  les  rebelles,  gâtent  nos 
affaires  avec  les  Turcs,  et  gardent  depuis  quatre  mois 
mon  courrier  a  Londres,  sans  daigner  donner  de 
réponse  à  mes  ouvertures  sincères  et  amicales,  la  pro- 


(i)  Gédéon  Ernest,  baron  de  Laudon,  feld-maréclial  et  gcnéralis- 
MÎme  de»  armées  autrichiennes,  né  en  1716,  a  Tootzen,  en  Livouie, 
mourut  le  14  juillet  1790.  11  n'était  donc  déjà  plus  quand  TEmpercur 
Léopold  écrivit  cette  lettre.  Il  avait  eu  une  grande  part  à  la  victoire 
de  Dauw  sur  les  Prussiens,  en  1758.  Apres  avoir  battu  Frédéric  II  à 
Kunersdorff,  eu  1759,  il  fut  à  son  tour  battu  à  Licgnitz.  C'est  en  1788 
cpi'à  l'occasion  de  la  guerre  et  de  ses  succès  contre  les  Turcs,  il  avait 
reçu  le  titre  de  généralissime. 

(î)  Cette  lettre,  écrite  pendant  le  congrès  de  Reiclienbach,  atteste 
cliez  l'Empereur  Léopold  des  défiances  déjà  exprimées  dans  sa  lettre  du 
30  juin,  et  qui  ne  paraissent  pas  suffisamment  justifiées,  contre  l'An- 
gleterre. Il  faudrait  au  contraire  inférer  de  rexcellente  Histoire  d'Au- 
triche de  Coxe,  que  ce  serait  l'Angleterre  qui  aurait  pesé  sur  la  Prusse 
pour  amener  rarrangemcnt  conclu  à  ReiclienbacK  quelques  jours  plus 
tard,  et  dont  il  est  résulté  la  cessation  des  hostilités  entre  l'Autriche 
et  la  Pinisse.  L'Angleterre  n'avait  pas  besoin  de  ce  désaccord  entre  les 
puissances  allemandes.  Elle  avait  à  espérer  de  l'état  contraire  des 
avantages  commerciaux  que  laissaient  libres  les  commotions  et  boule- 
versements de  la  France. 


594  MADAME  ÉLISABEJIl. 

mettant  d*un  jour  à  l'autre.  Voilà  ma  situation.  Dès 
qu'il  y  aura  du  changement,  je  vous  en  avertirai,  vous 
embrassant  tendrement. 


1)V 


MADAME  KLlSABETIi  A  MADAME  DE  BOMRELLES, 

A  VEiNISE. 

Questions  (raiiiitié  et  nouvelle.^  de  famille. 

Ce  26  juillet  1790. 

Je  n*ai  que  le  temps  de  vous  écrire  un  mot,   ma 
chère  petite  Bombe,  pour  vous  dire  combien  je  sui 
inquiète  de  vous.  J'ai  bien  envie  de  savoir  si  ce  pauvr 
Henry  a  eu  la  force  de  supporter  sa  maladie,  et  si  vou 
êtes  bien  rassurée  sur  son  état.  J'espère  que  vous  m'ai 
rez  écrit  un  petit  mot  sur  cela.  Ta  mère  t'a  donné  (X 
ses  nouvelles,  tu  peux  être  bien  tianquille,  elle 
porte  bien ,  il  ne  lui  reste  j)lus  qu'un  peu  de  faiblesse 
suite  nécessaire  de  la  très-petite  dyssen^erie  qu'elle 
eue.  Tu  sais  que  je  ne  te  trompe  pas,  ainsi  tu  per 
avoir  foi  en  ce  que  je  te  dis,  et  être  bien  tranqu/7/ 
Adieu ,  ma  petite,  je  t'embrasse  et  t*aime  de  tout  m 
cœur. 


MADAME   ELISABETH.  295 


DVI 


MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

nie  craint  d'avoir  affligé  son  amie  par  les  paroles  d'une  de  ses  loitres. 
—  Indisposition  du  Boi  et  du  Dauphin.  —  Cercle  au  palaiit.  — 
Madame  de  llaijjecuurt  devenue  châtelaine.  —  Saint-C\r. 


Ce  2  août  1790. 

Je  savois,  ma  petite  Bombe  ,  que  lorsque  tes  enfants 
tomboient  malades  tu  (levenf)is  un  peu  imbécile;  mais 
je  ne  croyois  pas  que  tu  le  fusses  (1)  àj'excès  de  ne 
plus  savoir  lire  une  lettre  dans  le  véritable  sens  où  elle 
est  écrite.  Ta  princCvSse  n*est  point  folle,  mais  conmie 
elle  avoit  la  raye  dans  le  cœur  lorsqu'elle  t'a  écrit,  elle 
n'a  rien  su  de  mieux  pour  la  soulager  <|ue  de  te  mander 
tout  le  contraire  d(»  ce  (pi'elle  pensoit  ;  elle  ne  crovoit 
pas  que  tu  fusses  (1)  capable  de  prendre  ses  paroles  au 
pied  de  la  lettre  comme  tu  as  fait. 

Je  t'envoie  une  lettre  de  madame  de  Cliermaut,  ou 
pour  mieux  dire  de  sa  fille.  Elle  prétend  t'a  voir  écrit 
plusieurs  fois,  et  (pie  ses  lettres  ont  été  perdues.  Gela 
est  possible,  j'espère  cpuî  celle-ci  n'aura  pas  le  même 
sort.  Voilà  sa  pauvre  mère  ruinée  de  fond  en  comble 
par  la  suppression  des  j)ejisions. 

Le  Roi  et  mon  neveu  ont  été  un  peu  malades,  l'un 
d'une  fluxion,   l'autre  de  la  fièvre.  Ils  vont  bien  tous 


(1)   La  PrinceSïie  l'cr'it  fut.  Klle  est  consiainniont  hrouillôe  avec  le.' 

*^LJ0DCtif8. 


S96  MADAME   ÉLISADETU. 

les  deux.  Tu  ne  peux  pas  imaginer  a  quel  point  il  étoit 
défiguré.  Je  n*ai  jamais  vu  un  visage  enflé  comme  cela. 
Celte  petite  incommodité,  en  nous  procurant  le  plaisir  de 
ne  pas  aller  à  Paris  hier,  nous  procure  celui  de  recevoir 
du  monde  depuis  six  heures  jusqu'à  sept  heures,  c'est- 
à-dire  que  nous  n'y  serons  pourtant  pas  avant  six  heures 
trois  quarts;  mais  on  a  dit  l'heure  entière  pour  que 
ceux  qui  voudront  y  venir  aient  le  temps  :  ce  sera  pré- 
cisément ce  que  Ton  appelle  un  cercle.  J'en  suis  fort 
contrariée;  heureusement  que  cela  ne  durera  que  trois 
jours. 

Raigecourt  vient  d'aller  prendre  possession  d'une 
terre  que  son  mari  a  achetée  nouvellement;  elle  y  aété 
reçue  à  merveille ,  et  si  elle  avoit  le  cœur  un  peu  plus 
gai,  je  crois  qu'elle  seroit  fort  contente.  Ta  mère  va 
très-bien. 

J'ai  été  hier  à  Saint-Cyr  (1);  la  pauvre  Escaquelonde 


0 

(1)  Madame  Elisabeth  n'avait  pas  visité  Saiiit-Cyr  depuis  la  fin  de 
1789.  Elle  visita  de  nouveau  les  Daines  de  Saint«Louis  le  8  juin  1790, 
puis  le  2  août  et  le  23  octobre  ;  sa  dernière  visite  eut  lieu  le  25  octobre. 
M  Je  n'ose  pas  aller  à  Saint-Cyr,  écrivait-elle;  le  village  est  si 'mauvais 
pour  CCS  Dames,  que  le  lendemain  on  feroit  une  descente  chez  elles  en 
disant  que  j'ai  apporté  une  contre-révolution.  » 

«  La  nuit  du  4  août  1789,  où  T Assemblée  abolit  tous  les  droits 
féodaux,  avait  privé  la  maison  de  Saint-Louis  de  cent  mille  livres  de 
revenu.  Le  décret  du  2  novembre  suivant,  qui  avait  mis  les  biens 
ecclésiastiques  ù  la  disposition  de  la  nation;  celui  du  13  février  1790, 
qui  avait  aboli  les  vœux  monastiques  et  supprimé  les  ordres  religieux, 
lui  avaient  fait  craindre  non-seulement  pour  ses  biens,  mais  encore 
pour  son  existence 

»  Louis  XVl,  malgré  ses  cruelles  préoccupations,  avait  songé  à  pré- 
server l'œuvre  de  son  aïeul  de  la  tempête  révolutionnaire  en  faisant  ^ 
une  grande  concession  aux  opinions  nouvelles  :  le  26  mars  1790,  uncra 
ordonnance  avait  paru  sous  forme  d'arrêt  du  Conseil,  qui  révoquais ^ 


MADAME    ELISABETH.  297 

est  dans  le  chagrin  (1);  elle  vient  de  perdre  un  frère 
(jirelle  aimoit  à  la  folie ,  qui  heureusement  pour  elle 
etoit  plein  de  bons  sentiments.  C'est  une  grande  conso- 
lation pour  elle ,  mais  c'est  aussi  une  raison  pour  que 
son  attachement  fut  plus  fort.  Elle  a  un  courage  de  lion, 
<|ue  la  religion  plus  que  son  physique  lui  donne.  J'ai 
vu  de  Grille  (2),  qui  m'a  paru  en  bon  état. 

Adieu,  je  vais  faire  ma  toilette  pour  ce  fameux  cercle, 
î'aimerois  mieux  causer  avec  toi.  Aie  la  bonté  de  bien 
j>rier  Dieu  et  la  sainte  Vierge,  le  jour  de  l'Assomption; 
si  je  puis,  je  ferai  mes  dévotions  ce  jour-là.  Louis  XIII, 
<  jui  mit  ce  royaume  sous  sa  protection  ce  jour-là,  nous 
«M  montré  à  qui  nous  devions  nous  adresser  dans  nos 
1  besoins.  C'est  une  bonne  mère  qui  ne  nous  abandon- 
^lera  pas.  Adieu,  je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Henry  (3)  va-t-il  toujours  bien?  Ménage-toi  autant 
<rjue  lui  en  le  sevrant,  je  te  le  demande  en  grâce. 


^«s  règiemcnts  exigeant  des  preuves  de  noblesse  pour  l'entrce  à  Saint- 
CL^vr;  et  désormais  l'entrce  de  la  maison  avait  dû  être  ouverte  à  tous 
^  es  enfants  des  ofHciers  de  terre  et  de  mer,  sans  distinction  de  nais- 

«^aiice Dès  lors  l'Institut  du  Saint-Louis  était  devenu  simplement 

^ine  maison  nationale  d'éducation  ;  et  les  noms  de  Dames  et  de  Demoi- 
-relies,  paraissant  des  appellations  féodales,  avaient  disparu  pour  faire 

^lacc  aux  noms  d' Institutrices  et  d'Elèves,  » 

TuÉopuiLE  LavallÉe,  Madame  de  Maintenon  et  la  Maison  royale  de 

-^aint'Cyr,  seconde  édition,  p.  339,  3W). 

(i)  Marie-Angélique  de  Croustcl  d'Escaquelonde,  Dame  de  Saint- 
Xouis,  avait  fait  profession  le  2  décembre  1761.  Elle  sortit  de  Saint- 
dyr  en  1793,  à  la  suppression  de  la  maison. 

(2)  Thérèse -Gabrielle-Dauphine  de  Grille,  autre  Dame  de  Saint- 
l^ouis,  avait  fait  profession  le  14  janvier  1776.  Elle  sortit,  comme 
anndamc  d'Escaquelonde,  en  1793,  et  mourut  en  1802,  âgée  de 
4suixante-cinq  ans. 

(3)  Le  quatrième  des  Hls  de  madame  de  Rombellrs. 


M^o 


\>v^ 


EUS 


Ce 


\  Je 


as 


.bec 
dcsï 


eVVcs 


.tésc 


tft 


a\ 


:;:"-•-■""" 


.  bien 


•cevir 


i-T> 


\c 


de 


MAIUE-AINTOINETTE.  299 

Le  28,  établisseiueut  des  directoires  de  département  et  de 
district. 

Le  31,  rAsseinI)l('*e  avait  mandé  à  sa  barre  Je  procureur  du 
Roi  au  Cliâtelet  j)Our  lui  ordonner  de  poursuivre  les  écrits 
excitant  le  peuple  à  Tiusurrection. 

I-e  2  août,  Bailly  avait  été  réélu  maire  de  Paris  à  une 
majorité  de  douze  mille  cinq  cent  cinquante  voix  sur  qua- 
torze mille  votants. 

Le  6  avait  vu  proclamer  Fabolition  du  droit  d'aubaine  et 
de  détraction. 

Le  7,  le  Cliâtelet  avait  déposé  à  la  barre  de  l'Assemblée  sa 
proccnlure  contre  les  événements  des  5  et  6  octobre  1789. 


DVIII 

MARIE-ANTOINETTE  AU  COMTE  DE  MERCV  (I). 

Elle  annonce  une  apparition  qu'elle  va  faire  à  Paris  pour  la  frie  : 

qu'il  avise  au  moyen  de  la  voir. 

[12  août  17î)0.] 

Je  vous  préviens,  Monsieur  le  Comte,  (|ue  nous 
allons  samedi  soir  à  Paris  jusqu'au  lundi  matin,  à 
cause  de  la  fête  ;  mais  il  ne  sera  yuère  possible  de  vous 
voir,  à  cause  de  Toffice  qui  nous  tiendra  une  partie  du 
dimanche.  Je  n*aurois  abscdument  que  le  temps  entre 
la  procession  et  le  jeu.  Voyez  donc  si  vous  voulez, 
venir  à  Paris  ou  non.  Peut-être  pourrois-je  vous  voir 
lundi  à  neuf  heures  du  matin.  Voyez  ce  qui  vous  con- 


(1)  Archives  impériales  d'Autriclic. 


300  MADAME  ELISABETH. 

vient  le  plus.  Je  vous  le  mande  tout  de  suite,  pour 
que,  si  vous  ne  comptez  pas  venir  à  Paris,  vous  puis- 
siez vous  arranger  en  conséquence. 

Ce  jeudi  12  (août  1790). 


DIX 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Lettre  toute  d'amitié.  —  Jouir  de  la  vie  avec  un  cœur  pur.  —  Une 

mort  dans  la  maison  de  la  Princesse. 


Ce  16  août  1790. 

Eh  bien,  ma  Bombe,  tu  es  en  colère  contre  moi  ;  tu 
aurois  raison  si  j'avois  tort,  mais,  en  conscience,  je  ne 
puis  pas  en  convenir.  Le  Monsieur  qui  t'a  apporté  une 
lettre  de  ta  mère  en  a,  je  crois,  une  de  moi  que  je 
charge  une  autre  personne  de  te  remettre,  ou  si  ce  n'est 
pas  lui,  tu  en  recevras  une  du  même  temps  ;  du  moins 
il  me  vSemble  qu'autant  que  je  puis  m'en  ressouvenir, 
voilà  la  raison  pour  laquelle  je  ne  lui  en  ai  pas  donne. 
Si  je  me  trompe,  et  que  je  ne  t'aie  pas  écrit  du  tout, 
c'est  sûrement  la  fiiiute  du  temps  qui  me  manquoit  ;  car 
tu  sais  bien  que,  dans  tous  les  moments,  je  serai  bien 
aise  de  causer  à  mon  aise  avec  toi,  et  que  celui-ci  étant 
encore  plus  intéressant,  je  ne  le  laisserai  pas  échapper. 
Au  reste,  pour  obtenir  tout  à  fait  mon  pardon,  je  te 
promets  de  t' écrire  par  la  première  occasion,  si  pour- 


MADAMK   ÊLISAUETIl.  301 

tant  j'ai  quelque  chose  à  te  mander  ;  car  je  ne  crois  pas 
que  vous  désiriez  que  je  vous  fasse  des  contes. 

Je  ne  conij)rends  pas  pourquoi  tu  n*as  pas  encore 
reçu  ton  élixir,  car  Raigecourt  te  l'a  envoyé,  il  y  a 
déjà  quelque  temps.  Elle  est  h  la  campagne  dans  ce 
moment-ci,  avec  sou  mari,  dans  une  nouvelle  terre 
qu'ils  ont  achetée.  Elle  est  agréahie;  mais  ne  ])ouvant 
en  jouir  pour  Stani,  elle  lui  fait  heaucoup  moins  de 
plaisir.  Je  suis  bien  aise  que  ton  pauvre  Henri  ne  te 
donne  plus  d'inquiétude.  La  description  que  tu  me  fais 
de  ta  campagne  fait  bien  envie.  Jouissez-en  bien,  mon 
enfant  ;  ne  vous  occupez  point  d'idées  qui  puissent 
rendre  nul  le  bonheur  que  la  nature  vous  offre.  Joi- 
gnez-y le  véritable,  celui  d'une  conscience  bien  pure, 
d'un  cœur  bien  rempli  de  l'objet  qui  seul  peut  consoler 
dans  les  maux  qui  accablent  notre  patrie,  et  tu  pourras 
te  vanter  d'être  philosophe,  et  philosophe  chrétien, 
bien  loin  des  principes  de  tes  anciens  amis,  que  l'expé- 
rience doit  te  faire  juger  avec  des  yeux  moins  indul- 
gents. 

La  mère  Bastide  vient  de  terminer  sa  longue  carrière 

avec  le  calme  qu'elle  a  eu  toute  sa  vie.  Je  l'ai  vue  depuis 

$41  mort,  elle  n'étoit  pas  du  tout  changée.  C'est  bien 

joune  un  cadavre,  mais  cela  ne  fait  pas  trop  d'horreur. 

Je  ne  sais  plus  si  tu  en  as  vu,  je  ne  crois  pas,  h  moins 

<Jue  cela  ne  fût  la  mère  Gaugeard  (1). 

Nous  sommes  toujours  à  Saint-Cloud,  toujours  dans 
1^1  même  position,  attendant  avec  résignation  ce  que  le 
Ciiel  nous  réserve.  Bonsoir,  ma  chère  Bombe;  je  t'em- 


(1)  Mère  (lu  .secrétaire  dc5  commandements  de  la  Princesfie. 


302  MADAME  ELISABETH. 

brasse  de  tout  mon  cœur,  je  t'aime  beaucoup,  et  je 
voudrois  bien  être  avec  toi  dans  un  petit  coin  de  ta 
campagne. 

Bitcfae  pense-t-il  encore  à  moi  ? 


DX 

MADAME  ELISABETH 

A    MADAME   LA   MARQUISE   DE   BOMBELLES, 

A  L'HOTEL  DE  FRANCE,  A  VENISE. 

Crlébratiun  de  la  fête  de  Saint -Louis.  —  Détails  de  famille. 

Saint-Cloud,  ce  23  août  1790. 

Ne  vlà-t-il  pas,  ma  chère  Bombelinette,  que  nous 
allons  passer  près  de  huit  jours  à  Paris,  et  que  cela  me 
déplaît  beaucoup  ;  mais  M.  saint  Louis,  dont  il  faut 
bien  célébrer  la  fête,  rexi{;e.  En  attendant,  je  t'écris 
dans  le  jardin  où  je  suis  mangée  de  cousins,  ce  qui  me 
donne  une  humeur  de  dogue.  Ainsi,  arrange-toi  pour 
avoir  de  moi  une  épitre  courte  et  maussade. 

Il  faut  que  je  te  parle  des  projets  de  ta  petite  belle- 
sœur.  Elle  marque  à  belle-mère  {sic)  qu'elle  veut  passeï 
riiiver  à  Strasbourg;  mais,  mon  cœur,  cela  n*a  pas  l 
sens  commun.  Je  le  lui  ai  mandé  ;  tu  devrois  la  détoar 
ner  de  cette  idée.  Si  elle  ne  peut  pas  aller  à  Venise  (« 
qui,  de  toute  manière,  vaudroit  mieux),  il  faut  quV 
cherche   une   cour   d'Allemagne  où  elle  puisse  jvi' 
tranquillement  ;  mais  rentrer  en  France  on  nourriss 


MARiE-ANTOINETTE  A  LA  DUCHESSE  DE  POLIGNAC 

ce  y/  d^tcçift 

..fit-  l)iJftèftnt,fK.  eiH  :u  ^^ttif^ff^ai^ 

jMi'iifuC  'fait  té  //ifitc  a  //tiCi^^  j^iHn  ' 


ait-  et^î  Arâttè  ffg^ê// 


304  MADAME    ELISABETH. 

écrit  à  votre  cousine  :  je  n'ai  pu  la  laisser  partir 
avec  sa  mère  sans  leur  dire  adieu.  Quoique  le  voyago 
soit  long  et  pénible  pour  cette  dernière,  je  suis  bien 
aise  qu'elle  s'éloigne  d'un  lieu  où  tout  est  affligeant  pour 
elle. 

Je  ne  sais  combien  ma  lettre  sera  de  temps  en  che- 
min, .le  ne  vous  dis  rien  des  enfants.  La  personne  qui 
se  charge  de  celle-ci  vous  en  mandera  des  nouvelles. 
Adieu,  mon  cher  cœur:  rien  que  la  mort  peut  me  faire 
cesser  de  vous  aimer. 

Parlez  souvent  de  moi  à  votre  mari,  votre  fille  et  à 
Armand;  je  les  aime  tous  trois  de  toute  mon  âme. 


DXII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES, 

A  VENISE. 

Elle  patronc  les  intérêts  de  son  amie,  malgré  la  difficulté  de  «e  fair«-»'«  ^»* 
écouter,  et  n'occupe  de  faire  assurer  le  sort  du  marquis  de  Bom —  ^-^t»- 

belles Duel  de  M.  de  Castries  et  de  M.  de  Lametli.   Sac  àm  fc»  <*« 

rhôtel  de  Castries,  approuvé  par  l'Assemblée. 


Ckî  13  septembre  1790. 

Ne  v'ià-t-il  pas,  ma  Bombe,  que  je  n'ai  que  le  temptf:^'  *P^ 
de  t'écrireun  mot  encore  aujourd'hui.  Cependant  j'sLS  '^  /«' 
mille  choses  à  te  dire.  La  première  est  que ,  comme  t^       tu 
penses  bien,  je  n'oublierai  tes  intérêts  d'aucunemanièr»-:*  re, 
et  que  si,  malgré  le  moment  qui  n'est  pas  propice,     ^^j^ 
puis  réussir,  je  serai  trop  heureuse.  Ta  mère  a  A^^éjà 


à 


MADAME    ELISABETH.  305 

parlé  à  Hénin  (1)  ou  u  un  autre  que  ton  mari  aime.  Il 
est  très-disposé  a  parler  à  son  ministre  avec  force  en  ta 
faveur.  Dans  notre  conseil  nous  avons  décidé  qu'il  fal- 
loit  attend œ  encore  un  peu  que  le  moment  fut  plus 
calme  et  que  son  sort  fût  décidé  pour  lui  parler,  ce  qui 
ne  sera  pas  lonp.  Et  puis,  sur  quoi  je  me  veux  lamenter 
avec  toi,  c'est  sur  la  maladie  de  Lentz.  Je  conçois  par- 
faitement  tout  ce  que  tu  as  éprouvé.  J'espère  que  le  ciel 
ne  t'aura  pas  donné  le  chagrin  de  le  voir  mourir,  ou 
que  tu  auras  eu  la  consolation  de  lui  faire  recevoir 
ses  sacrements.  Qu'est-ce  qu'il  a?  est-ce  une  fièvre 
maligne? 

Nous  avons  eu  avant-hier  un  fier  train  :  MM.  de 
Castres  et  de  Lameth  s'étoicnt  battus  la  veille.  Charles 
a  été  blessé.  On  a  fait  courir  dans  le  peuple  que  l'épée 
de  M.  de  Castres  étoit  empoisonnée.  On  faisoit  des  mo- 
tions pour  le  pendre  ;  mais  comme  ces  messieurs  à  grande 
culotte  ne  l'ont  pas  trouvé  chez  lui,  on  s'est  contenté  de 
piller  sa  maison.  La  garde  est  arrivée  trop  tard.  La  mu- 
nicipalité n'a  pas  permis  que  l'on  fit  usage  de  la  loi  mar- 
tiale, et  M.  de  Castres  en  est  pour  une  perte  très-forte. 
L'Assemblée  a  fort  approuvé  les  brigands.  Un  M.  Le 
tloi ,  qui  n'étoit  pas  de  cet  avis ,  a  été  mis  à  l'Abbaye 
Jiour  trois  jours.  Dès  le  soir,  tout  a  été  remis  dans  l'ordre. 
C3n  raconte  que  M.  d'Ambly,  qui  étoit  témoin  pour 
^^f .  de  Castres,  à  la  fin  du  combat  fit  un  grand  signe  de 
roix  en  disant  :  Enfin  nous  voilà  déguignonnés!  D'autres 


(i)  CapitaÎDe  des  gardes  du  Comte  d'Artois.  Il  était  frère  cndet  du 
rince  de  Cliimay,  dont  la  mère  était  sœur  de  la  marécliale  de  Mirepoix 
^  da  Prince  de  Beauvau.  Il  a  été  une  des  victimes  de  la  Terreur. 


306  MADAME   ELISABETH. 

disent  qu'il   l'a*  fait  avant ,   pour  porter  bonheur  à 
M.  de  Castres  (1). 

Adieu,  ma  petite,  je  t'aime  et  t'embrasse  de  tout  mon 
cœur. 


it 


DXIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Gaietés  intimes.  —  Mariage  d* Armand  de  Polignac.  —  Le  Roi  parait 

plus  dispose  à  partir  :  les  jambes  lui  reviennent  un  peu.  —  Le  sort  -^"^ 

de  la  famille  est  attaché  à  ses  déterminations.  —  Réforme  des  équi-  —  ^' 

pages  de  chasse  à  la  Cour.  —  Regrets.  —  Inter\'ention  de  I* Assemblée.  —  "^ 

* 

Ce  20  septembre  1790. 

Tu  m'as  écrit  une  très-jolie  petite  lettre,  ma  chère  ^^ti 
petite  Bombe,  mais  ne  v'Ià-t-il  pas  pourtant  qu'elle  m'a  j^  *^'i 
mise  en  fureur.  Comment,  ce  petit  monstre  de  Charles^^^e 
ne  m'aime  que  pour  mon  chocolat!  Mais  sais-tu  biencrar^xi 
que  c'est  indigne  à  lui?  Heureusement  que  Bitche,  pairie ^a 
sa  sensibilité ,  me  dédommage  des  rigueurs  de  son  frère  ^^^nre 
Embrasse-le  bien  de  ma  part.  Vous  voilà  donc  marianM^v^flan 
Armand  (2)?  Je  souhaite  qu'il  soit  heureux  et  que  ss-^  s 
femme  suive  les  bons  exemples  de  sa  petite  belle-sœucr  mim'm 
Estr-elle  jolie,  et  a-t-elle  Tair  d'avoir  reçu  quelques pricr^TW 


(1)  Nous  avons  dit,  au  tome  I**",  à  la  suite  de  la  lettre  de  Sfi^n.     J£i- 
dame  Elisabeth   en  date  du  19  novembre  1790,  quelle  avait  été^».are/i 
cause  du  duel  où  Charles  de  Lameth  fut  blessé  par  M.  de  CSutries.  —   ^.  Le 
pilla{][c  de  Thôtel  de  ce  dernier  eut  lieu  le  lendemain. 

(2)  De  Polignac.  C'est  le  Prince  qui  fiit  ministre  du  Roi  C3iarle:^^=y  Jt 


i 


MADAME   ELISABETH.  307 

cipes?  Je  te  chargerai  peut-être  d'une  lettre  pour  sa  belle 
'tante.  Je  voudrois  bien  que  la  dévotion  devînt  sa  conso- 
lation; et  puis  je  voudrois  pour  l'avenir  quelque  chose 
^ui  ne  se  peut  pas  mander  par  la  poste,  qui  ne  peut  pas 
TDéme  se  dire  aux  personnes  intéressées,  mais  je  vou- 
drois qu'elles  eussent  le  bon  sens  de  sentir  quand  elles 
"ne  seront  plus  malheureuses.  Je  suis  très-aise  du  voyage 
que  ton  mari  a  fait;  mais  j'en  ai  été  bien  étonnée  :  je  le 
croyois  avec  toi.  Mon  Dieu,  que  je  le  trouve  heureux, 
et  que  je  voudrois  partager  son  sort!  (1)  Si,  par  hasard, 
tu  gardes  mes  lettres,  relis-en  une  où  je  raisonnois  avec 
toi  sur  les  inconvénients  que  pourroit  avoir  une  dé- 
marche d'un  homme  auquel  vous  vous  intéressez.  Vous 
devez  lui  redire ,  toutes  les  fois  que  vous  en  trouverez 
l'occasion,  ce  qu'elle  contient.  Je  crois  que  celle-ci  est 
favorable ,  et  d'autant  plus  nécessaire  à  saisir  que  je  ne 
suis  encore  sûre  que  son  maître  l'approuve.  Cependant 
j'ai  des  raisons  d'espérer  que  sa  santé  est  meilleure  (2). 
Ses  jambes  reprennent  de  la  vigueur,  et  dans  peu  peut- 
être  pourra-t-il  un  peu  marcher  ;  mais  il  y  a  si  longtemps 
que  son  sang  se  porte  à  cette  partie-là  et  lui  en  ôte  l'u- 
sage ,  que  je  ne  me  résoudrai  a  le  croire  guéri  que 
lorsque  je  le  verrai  marcher  :  priez  Dieu  qu'il  lui  fasse 
cette  grâce.  Tu  sens  combien  c'est  intéressant  pour  sa 
famille  entière,  toute  son  existence  dépendant  de  lui. 
Tu  feras  bien,  lorsque  tu  pourras  écrire  à  ta  mère,  de  lui 
parler  comme  à  moi  de  ce  qui  intéresse  cet  homme.  Tu 


(1)  «  Il  s'agît  du  voyage  à  Adeîbcrg,  en  Carniole,  où  je  vis  FEmpe- 
«r  Léopoîd.  »  (Note  du  uianjuis  de  liornhcUex.) 
(î)  «  G'cst-à-dire  que  le   Hoi  est  plus  disposé  à  partir.  »  (Note  du 


308  MADAME  ELISABETH. 

sais  que  ton  intérêt  lui  rend  cher  tout  ce  qui  t'en  ins- 
pire, et  que  de  plus  sa  position  fait  que  tu  peux  lui 
ouvrir  ton  cœur  avec  une  grande  franchise,  sans  oublier 
la  prudence  qu'exigent  certaines  circonstances.  Dis-moi 
franchement  :  ne  me  crois-tu  pas  un  peu  folle?  Eh  bien  ! 
tenez,  en  conscience,  je  ne  le  suis  pas  du  tout.  Mais  je 
t'aime  de  tout  mon  cœur,  et  suis  très-occupée  de  tout 

ce  qui  te  touche. 

* 

Le  Roi  a  réformé  son  équipage  de  chasse.  Que  cela 
m'auroit  fait  de  peine  il  y  a  deux  ans  !  Te  souviens- 
tu  des  belles  chasses  que  nous  avons  faites  ?  Tu  sais 
que  l'Assemblée  avoit  déclaré  que  l'on  pouvoit  tuer  au 
nez  du  Roi  l'animal  qu'il  couroit.  Quand  elle  a  vu 
qu'il  prenoit  cela  tout  doucement,  ainsi  que  la  dévas- 
tation du  parc  de  Versailles,  elle  a  voulu  réparer.  En«-^  ^j 
conséquence,   ils   ont  apporté  avant- hier   un  décre^^^-^j 
pour  arrêter  les  brigandages,  et  en  même  temps  on^m-^m-nt 
prié  le  Roi  de  ne  pas  réformer  l'équipage,  ce  à  quoi  S:  ^aZSa 
Majesté  a   répondu   qu'elle    voyoit   avec   plaisir   qtmi^mTie 
l'Assemblée  s'occupoit  enfin  de  rétablir  l'ordre  ;  qu-^^ai/e 
pour  son  équipage  c'étoit  un  arrangement  particulier  — r, 
que  depuis  longtemps  il  ne  chassoit  point  et  n'en  ayczzzjit 
point  envie  ;  que  lorsque  son  cœur  seroit  content ,        il 
reprendroit  cet  exercice  avec  plaisir.   Ils  ont  été  tc^ut 
penauds  de  n'avoir  que  cette  réponse  à  rapporte^-    à 
l'Assemblée ,  et  les  noirs  sont  fort  contents. 

Adieu,  ma  petite;  tout  le  monde  se  porte  bien 
Je  t'aime  à  la  folie  et  t'embrasse  de  tout  mon 
Je  vais  demain  au  Calvaire.  C'est  la  fin  de  Toctavo    ^t 
la  première  fois  que  j'y  vais  ;  cela  m'enchante.  G*^st 
une  partie  bien  pieuse. 


MADAME   ELISABETH.     .  209 


DXIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Testament  de  la  Princesse. 

Ce  13  octobre  1790. 

Comme  je  viens ,  ma  petite  "Bombe ,  de  relire  mon 
testament  et  de  voir  que  je  t'y  recommande  aux  bontés 
<lu  Roi  et  que  je  te  laisse  mes  cbeveux,  il  faut  bien 
<jue  je  te  le  dise  moi-même,  que  je  me  recommande  à 
tes  prières,  et  puis  que  je  te  dise  encore  une  petite  fois 
que  je  t'aime  bien.  Prie  bien  pour  le  comte  d'Artois, 
convertis -le  par  le  crédit  que  tu  dois  avoir  dans  le 
ciel,  et  contribues-y  toi-même,  si  tu  le  peux.  Tu  don- 
neras de  mes  cheveux  à  Raigecourt.  Tu  ne  m'oublieras 
ni  Tune  ni  l'autre,  mais  ne  va  pas  me  regretter  assez 
pour  te  rendre  un  peu  malheureuse.   Adieu  ;  sais-tu 
bien  que  les  idées   que  tout  cela  laisse   ne  sont   pas 
paies  ?  il  faudroit  pourtant  s'en  occuper,  surtout  dans 
ce  moment.  Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur;  adieu  ! 


310  *  MADAME   ELISABETH. 


DXV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES, 
imiEL  DE  FRANCE,  A  VENISE. 

Ciî  qu'elle  au{»nre  des  cnfaiiU  tle  raadnme  de  Boiiilielles.  —  On  Joii 
supplier  le  Roi  de  rein-oyer  ses  ministres. 

Ce  18  octobre  1790. 

Dis-moi  donc,  ma  Bombelinette ,  est-ce  que  tu  n'as 
pas  reçu  deux  lettres  que  je  t'ai  adressées  pour  la  com- 
tesse D.  (1)  ?  Elle  me  mande  n'avoir  pas  eu  de  mes 
nouvelles  depuis  cinq  mois  ;  et  je  suis  bien  sûre  de  lui 
avoir  écrit.  Dis-le-lui,  et  dis-lui  en  même  temps  que  je 
n'ai  pas  le  temps  aujourd'hui  de  répai*er  les  torts  delà 
poste ,  mais  que  ce  sera  pour  la  première  fois.  Tu  as 
mieux  deviné  ce  cpie  je  te  mandois  que  je  ne  l'aurois 
cru.  Je  t'assure  que  je  suis  bien  loin  de  vouloir  exécuter 
mon  désir  ;  je  sens  que  ce  seroit  une  barbarie  et  en 
même  temps  une  platitude  dont  je  serois  bien  fâchée 
que  l'on  me  crût  capable.  Je  me  borne  donc  à  des 
vœux  pour  l'avenir  (2) .  Ton  petit  Bitche  est  gentilaiidelà 
de  toute  expression ,  avec  son  repentir.  Si  celui-là  est 
jamais  mauvais  sujet,  j'en  serois  bien  étonnée.  J'espère 
qu'aucun  ne  le  sera ,  mais  je  répondrois  presque  de 
Bitclic.  J'ai  lu  h  ta  mère  l'article  de  ces  deux  bambins, 


(1)  Diane  de  Poli{;nac. 

(2)  De  quitter  la  France,  dont  elle  ne  voulait  pas  t*éioigiier  sans  le 
Rui  et  la  Reine. 


MADAME  ELISABETH.  311 

et  tu  croiras  sans  peine  qu'elle  a  presque  piaulé.  Je 
crois  bien  que  ce  que  tu  disois  de  tes  mauvais  senti- 
ments y  a  un  peu  contribué.  Je  suis  charmée  de  ce 
que  tu  me  mandes  de  ton  aujjuste  époux.  Je  mourois 
de  peur  qu'il  ne  fût  pas  si  raisonnable ,  et  la  suite  me 
Paisoit  frémir.  Quant  à  ton  parent,  tu  sais  bien  que, 
dans  l'automne,  l'humeur  se  porte  aux  jambes  avec 
bien  plus  de  force.  Je  crains  fort  qu'il  n'éprouve,  cette 
année,  ce  qu'il  a  éprouvé  les  autres,  et  que  l'enjjour- 
dissement  ne  se  fasse  sentir  avec  autant  de  force.  Ses  mé- 
decins en  voient  des  symptômes  effrayants (1).  Comme 
bu  es  accoutumée  à  la  confiance  en  Dieu,  je  ne  doute 
pas  que  tu  n'exerces  cette  vertu  avec  fruit.  Cette  occa- 
îîon  est  parfaite  et  très-bonne,  mets-la  à  profit  pour 
toi  et  pour  tous  les  siens,  afin  que  la  bénédiction  du 
Ciel  se  répande  sur  eux.  Sur  ce,  ma  petite,  je  te 
[juitte  pour  écrire  à  mon  frère.  Je  t'embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

On  n'a  pas  encore  fait  aujourd'hui  la  motion  de  sup- 
plier le  Roi  de  renvoyer  ses  ministres.  Il  faut  convenir 
[ju'il  fera  là  une  grande  perte.  Je  pe:ise  que  tu  l'ap- 
prendras par  le  premier  courrier. 


(i)  Encore  une  allusion  au  Roi. 


312  MADAME    ELISABETH. 


DXVI 

MADAME  ÉLISAnKTH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 
Visite  à  Saint^Cyr.  •—  Madame  de  Rar{;ecourt. 

Ckî  2:î  octobre  1790. 

m 

Remets  cette  lettre  à  son  adresse,  chère  Bombe,  j'ai 
ù  peine  le  temps  d'y  ajouter  un  mot  pour  toi  ;  il  est 
tard.  J'ai  été  à  Saint-Cyr  (1)  ce  matin,  ce  qui  fait  que 
je  n'ai  pas  eu  le  temps  de  t'écrire  une  lonjjue  épltre  où 
je  puisse  te  peindre  avec  toute  l'éloquence  dont  je  suis 
capable  les  tendres  sentiments  que  mon  cœurrenferme 
pour  M®,  dont  j'exécuterai  les  ordres  le  plus  prompte- 
ment  qu'il  me  sera  possible.  Raigecourt  n'est  plus  ici, 
ce  qui  ne  laisse  pas  d'y  mettre  un  petit  obstacle,  mais 
je  tâcherai  d'y  suppléer  par  quelque  autre  voie.  Tu  ne 
seras  pas  étonnée  que  je  me  sois  débarrassée  de  Rage  ; 
son  état  ne  lui  permettant  pas  de  rester  près  de  moi. 


(1)  Le  14  ortobi'c,  un  décret  avait  déclaré  nationaux  les  biens  des 
étal)lis8emenl8  d'instruction  publique.  Ces  biens  étaient  destinés  ù  être 
vendus,  et,  en  attendant  la  vente,  devaient  être  administrés,  à  |)artir 
du  l'**  janvier  1791,  par  les  directeurs  de  district  et  de  dé|>arteinent. 
En  uième  temps  les  dé|)en8es  de  ces  établissements  furent  mises  à  la 
cliaqje  du  Trésor  public,  qui  provisoirement  devait  leur  tenir  compte 
de  la  totalité  de  leurs  revenus.  Sur  la  réclamation  des  Dames  de  Saint- 
Louis,  qui  désormais  ne  s'intitulaient  plus  qu'Institutrices,  leur 
maison  dut  être  conservée  commo  maison  d'éducation,  mais  elle  dut 
rentrer  dans  la  loi  commune,  et  ses  biens,  considérés  comme  bieos 
nationaux ,  furent  dési^jnés  pour  être  vendus. 

Quand  la  Princesse  visitait  ces  malheureuses  Dames,  elle  n*aTaic 
plus  qu*un  spectacle  navrant. 


L'EMPEREUR    LÉOPOLD    II.  313 

elle  est  allée  à  Trêves  ;  elle  doit  y  être  arrivée  depuis 
trois  jours;  elle  est  moins  souffrante,  et  j'espère  que  le 
voya(je  lui  fera  du  bien.  Adieu,  ma  petite;  pour  moi 
je  continue  avec  succès  mes  voyages  de  Paris  à  Saint- 
Cloud,  et  de  Saint-Cloud  à  Paris,  où  je  pense  que  nous 
nous  fixerons  vers  la  Saint-Martin.  Adieu,  je  t'em- 
brasse de  tout  mon  cœur. 

Numérote  tes  lettres  pour  que  nous  voyions  s'il  s'en 
égare. 

N«  1. 


DXVII 

l.*EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

11  a  appris  les  infiiiiiics  qu'un  public  en  France  contre  la  Reine,  et 
s<'.^  projets  d'évasion.  —  Le  Roi  et  la  Reine  di;  Naples.  —  Son 
Mcre. 

Le  27  octobre  [1790]. 

Très-chère  Sœur ,  je  ne  sais  pas  comment  les  postes 
vont,  car  j'ai  reçu  aujourd'hui  à  la  fois  deux  de  vos 
chères  lettres  de  différentes  dates.  Je  suis  enchanté  des 
bonnes  nouvelles  que  vous  me  donnez  de  la  santé  du 
Roi  (2)  :  il  me  paroit  entièrement  guéri,  et  je  souhai- 


(i)  Arcbives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert 
d'Autricbe. 

Cette  lettre  doit  être  de  1790,  attendu  que  le  couronnement  de 
Léopold  comme  Roi  de  IIon{;rie  date  de  la  Hn  de  cette  année. 

(2)  De  Naples. 


314  L'EMPEREUR  LÉOPOLD  II. 

terois  seulement  que  les  incommodités  qui  lui  sont 
restées  lui  passent  bientôt  pour  qu'il  puisse  sortir,  et 
que  se  mettant  bientôt  en  Toya(je,  je  puisse  avoir 
bientôt  la  satisfaction  de  vous  revoir  tous  ici.  Quant  à 
riiumeur  du  Koi ,  il  est  naturel  qu'elle  n'est  pas  bonne 
et  qu'il  s'ennuie.  De  cela  je  crois  qu'il  ne  faut  pas 
s'étonner.  J'ai  vu  les  infamies  qu'on  publie  en  France 
contre  la  Reine ,  et  tous  les  projets  d'évasion  qu'on  lui 
prête  et  qui  sont  imprimés.  Le  couronnement  de  Hon- 
grie se  fera  le  15.  Je  pars  d'ici  le  9  pour  recevoir  à 
Schloshof  la  députation  et  faire  le  10  mon  entrée. 
J'espère  que  jusqu'au  20  ou  22  tout  sera  fini ,  et  ces 
Messieurs  se  prêtent  à  tout  avec  la  plus  mauvaise  grâce 
possible,  et  les  restrictions  les  plus  choquantes.  Je  suis 
enchanté  que  la  Reine  de  Naples  au  moins  n'ait  pas 
pris  la  rougeole.  Ma  femme  est  un  peu  mieux  de  sa 
toux.  Mes  enfants  sont  bien  portants,  et  la  Reine  peut 
être  tranquille  sur  la  santé  et  conduite  de  ses  filles. 
Mille  compliments,  je  vous  prie,  à  mon  frère  et  à  votre 
mari ,  et  soyez  persuadée  de  la  tendresse  avec  laquelle 
je  vous  embrasse  et  suis. 


MADAME   ELISABETH.  315 


DXVIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Train  dans  les  districts  pour  supplanter  La  Fayette,  qui,  malgré  toat, 

restera. 


iV  2. 


Ce  9  novembre  1790. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  t'érrire,  mais  je  veux  que  tu 
saches  que  tout  ce  qui  t'intéresse  se  porte  bien,  car 
n'ayant  pas  eu  de  mes  nouvelles  la  dernière  poste, 
tu  pourrois  bien  être  dans  une  sainte  fureur  contre 
nous. 

Il  y  a  un  peu  de  train  dans  les  districts  ;  mais  il  ne 
faut  pas  s'en  effarer,  et  je  suis  sûre  que  cela  n'aura  pas 
de  suite,  et  que  M.  de  La  Fayette,  que  l'on  veut  sup- 
planter,  restera.  Adieu,  je  t'embrasse  de  tout  mon 
cœur. 


6  MADAME   ELISABETH. 


DXIX 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

GémiMements  sur  les  mnlheurs  de  la  France.  —  Impression  que  fait 
sur  les  provinces  la  cessation  du  service  divin.  —  Rayons  d*espoir. 
—  Incertitudes  de  TEmpereur  encouragées  par  set  entours. —  Bornes 
de  rinlelligencc  humaine.  —  Le  Comte  d'Artois.  —  La  Comtesse 
Diane. 

Ce  2  décembre  1790. 

Je  profite,  ma  Bombe,  du  départ  dcrambassadeiir  (1) 
pour  causer  un  petit  moment  avec  toi,  pour  gémir  sur 
les  malheurs  de  ma  patrie  et  sur  le  peu  de  remède  qui 
se  présente.  La  reli{;ion  ])his  attaquée  que  jamais  me 
donne  lieu  de  craindre  que  Dieu  ne  nous  abandonne 
totalement  (2).  On  dit  que  les  provinces  souffrent  avec 
peine  Texécution  des  décrets  sur  la  cessation  du  service 
divin  dans  les  cathédrales,  mais  avec  cela  elles  sont 
fermées.  Il  en  est  ainsi  de  tout  :  on  (jémit,  mais  le  mal 
ne  s'en  opère  pas  moins.  De  temps  en  temps,  la  Provi- 
dence nous  ménage  quelques  rayons  d'espoir,  mais  leur 
lumière  est  bien  vite  effacée.  Mais  ne  nous  livrons  pas 
à  des  idées  si  tristes,  parlons  de  l'oncle  de  la  petite- 

(1)  L'ambassadeur  de  Venise,  qui  retournait  ù  son  poste.  C'était 
M.  de  Rombclles. 

(2)  Le  15  du  mois  précédent,  T Assemblée  avait  réglé  la  question 
de  réiection,  de  la  consécration  des  évèques  et  de  la  circonscriptioD 
des  paroisses. 

Le  27,  décret  exigeant  le  serment  des  évêques,  curés  et  autres  fbnc* 
tionnaires  publics. 

Pour  le  9  de  décembre,  on  élaborait  une  décision  prescrÎTant  la 
restitution  des  biens  dos  rrIi{;ionnaires  fu{;itifs. 


MADAME   ELISABETH.  317 

fille  de  Vitry  (1)  que  tu  connois.  Sa  position  est  tou- 
jours critique  ;  il  paroit  que  son  commerce  se  remet- 
troit  si  ses  parents  vouloient  Taider,  mais  il  a  affaire  à 
gens  peu  confiants ,  et  ce  défaut-là  est  tellement  dans 
leur  caractère,  qu'ils  ne  confieroient  pas  la  moindre  lettre 
de  change  aux  gens  les  plus  habiles  pour  la  faire  valoir. 
J'en  ai  encore  la  triste  expérience  sous  mes  yeux,  et 
cela  me  fait  de  la  peine,  parce  que  tu  sais  combien  je 
m'intéresse  à  eux.  Et  puis,  je  sens  que  l'oncle  doit  être 
fatigué  et  ennuyé  à  l'excès  de  voir  sa  maison  de  banque 
ruinée.  Il  pouvoit  chercher  d'autres  amis  que  ses  parents 
pour  demander  conseil,  et  comme  la  plus  grande  partie 
de  l'héritage  qu'il  citténd  vient  d'eux,  il  seroit  ruiné  à 
pure  perte.  Tout  cela  est  affligeant.  De  tout  côté,  l'on 
voit  des  familles  dans  la  désolation,   pour  les  affaires 
publiques  et  particulières.  Bon  Dieu ,  dans  quel  temps 
nous  avez-vous  fait  naître!  Moi  qui,  il  y  a  quelques 
années,  me  réjouissois  de  n'être  pas  née  dans  le  siècle 
passé  !  Grand  Dieu  !  que  les  lumières  des  hommes  sont 
bornées ,  même  dans  les  choses  qui  paroissent  les  plus 
simples  ! 

Je  n'ai  pas  été  inquiète,  comme  je  l'aurois  pu,  des 
dangers  qu'a  courus  mon  frère  ;  tu  sais  qu'en  général 
je  ne  crois  au  mal  que  lorsqu'il  est  fait;  j'ai  conservé 
ce  caractère,  quoiqu'une  triste  expérience  eût  dû  me 
rendre  plus  craintive.  Je  crois  que  c'est  une  grâce  du 
ciel,  car  sans  cela  je  n'existerois  pas.  Il  a  préservé  ma 
fieunille  de  tant  de  maux  que  je  serois  ingrate  si  je 
n'avois  pas  toute  confiance  en  lui.  Adieu,  ma  petite; 

(i)   •  L'Empereur.  »  (Note  de  M.  de  Bombelles,) 


318  MADAME   ELISABETH. 

prie-le  bien  pour  le  moment  présent  et  pour  l'avenir. 
Mais  demande-lui  par-dessus  tout  que  la  foi  soit  con- 
servée dans  ce  royaume,  et  qu'il  éloigne  de  nous  les 
schismes  qui  nous  menacent.  Adieu,  je  t'aime  de  tout 
mon  cœur,  et  suis  par  conséquent  charmée  de  te  savoir 
bien  loin  ;  c'est  un  des  effets  de  la  révolution. 

Dites  à  la  comtesse  D.  (1),  en  cas  que  cette  lettre 
arrive  avant  celle  que  je  lui  écrirai  lundi,  qu'elle  va  être 
payée  de  ses  appointements,  mais  qu'il  faudroit  qu'elle 
chargeât  quelqu'un  de  sûr  de  recevoir  pour  elle,  de 
manière  que  ses  créanciers  ne  puissent  pas  s'emparer 
de  cet  argent. 


DXX 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 
Course  à  cheval  près  de  Versailles.  —  Regrets  de  n*y  pas  entrer. 

Ce  6  décembre  1790. 

'     Remets  cette  lettre  à  ton  honneur  (2).  Je  n'ai  que  le 
temps  de  t'embrasser.  Nous  nous  portons  tous  bien.  Je 


(1)  Diane  de  Polignac,  Dame  d'honueur  de  Madame  Eluabeth. 
(A'ote  de  M,  de  Bombelles.) 

(î)  La  Comtesse  Diaue,  dame  d'honneur.  {Note  de  M,  de  Bombelles.) 

Celte  expression,  V honneur  ou  les  honneurs,  était  derenuc  un  mot 
générique  pour  désigner  les  personnes  qui  occupaient  les  ckai^ges 
d'honneur. 

La  Comtesse  Diane,  extrêmement  laide  et  encore  plus  intrigante  et 
galante,  avait  mené  sa  belle-sœur,  la  moins  intrigante  des  femmes. 


LOUIS   XVI.  819 

Tais  galoper  ce  matin.  Je  ne  le  dirai  qu'à  toi,  mais 
Tautre  jour  je  me  suis  approchée  de  Versailles,  et  j'ai 
senti  une  grande  déplaisance  de  ne  pouvoir  pas  y 
entrer.  Qu'ils  sont  donc  bétes  de  ne  nous  avoir  pas 
tenus  prisonniers  chez  eux  !  Geôlier  pour  geôlier,  au 
moins  la  prison  auroit  été  plus  agréable  ;  mais ,  adieu , 
je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 


DXXI 

DU   ROI  A   L'ASSEMBLÉE  NATIONALE  (1). 

LU    A   L4    SÉANCE    DU    DIMiSCHE   26    DECEBfBBE    1790. 

Accepution  dti  décret  de  l'Asiïemblée  sar  le  serment  exigé  des  év<^- 
(pes,  curés  et  autres  fonctionnaires  publics.  —  Motifs  que  le  Roi 
donne  de  son  acceptation. 

Je  viens  d'accepter  le  décret  du  27  novembre  der- 
nier. En  déférant  au  vœu  de  l'Assemblée  Nationale,  je 
suis  bien  aise  de  m'expliquer  sur  les  motifs  qui  m'avoient 
déterminé  à  retarder  cette  acceptation^  et  sur  ceux  qui 
me  déterminent  à  la  donner  en  ce  moment.  Je  vais  le 
faire  ouvertement,  franchement,  comme  il  convient  à 
mon  caractère  ;  ce  genre  de  communication  entre  l'As- 


Xj'existenco  de  cette  clianoincsse,  comme  Dame  d'honneur,  dans  la 
Hiaison  de  la  pure  Elisabeth,  est  un  curieux  contraste.  Elle  avait  eu 
du  marquis  d'Autichamp  un  fils  qui,  sous  le  nom  supjiosé  de  mar- 
quis de  Villerot,  prit  du  service  en  Russie,  et  fut  tué  à  la  bataille 
d'Austerlitz.  La  faveur  de  la  Comtesse  à  la  cour  de  Louis  XVI  s'ex- 
plique par  le  crédit  de  sa  sœur,  et  surtout  par  l'esprit  plein  de  grâce, 
de  prestesse  et  d'insinuation  dont  elle-même  était  douée. 
(1)   Archives  de  l'Empire. 


350  LOUIS   XVÏ. 

semblée  Nationale  et  moi  doit  resserrer  les  liens  de  cette 
confiance  mutuelle,  si  nécessaire  au  bonheur  de  la 
France. 

J'ai  fait  plusieurs  fois  connoître  à  1* Assemblée  Natio- 
nale la  disposition  invariable  où  je  suis  d'appuyer,  par 
tous  les  moyens  qui  sont  en  moi ,  la  Constitution  que 
j'ai  acceptée  et  juré  de  maintenir.  Si  j'ai  tardé  à  pro- 
noncer l'acceptation  sur  un  décret,  c'est  qu'il  étoit  dans 
mon  cœur  de  désirer  que  les  moyens  de  sévérité  pussent 
être  prévenus  par  ceux  de  la  douceur  ;  c'est  qu'en  don- 
nant aux  esprits  le  temps  de  se  calmer,  j'ai  dû  croire 
que  l'exécution  de  ce  décret  s'efFectueroit  avec  un 
accord  qui  ne  seroit  pas  moins  agréable  à  l'Assemblée 
Nationale  qu'à  moi. 

J'espérois  que  ces  motifs  de  prudence  seroient  géné- 
ralement sentis  ;  mais  puisqu'il  s'est  élevé  sur  mes 
intentions  des  doutes  que  la  droiture  connue  de  mon 
caractère  devoit  éloigner,  ma  confiance  en  l'Assemblée 
Nationale  m'engage  à  accepter. 

Je  le  répète  encore,  il  n'est  pas  de  moyens  plus  sûrs, 
plus  propres  à  calmer  les  agitations,  à  vaincre  toutes 
les  résistances,  que  la  réciprocité  de  ce  sentiment  entre 
l'Assemblée  Nationale  et  moi  :  elle  est  nécessaire  ;  je  la 
mérite  ;  j'y  compte. 

Louis. 

Et  plus  bas  : 
Du PORT  DU  Tertre. 


MADAME    ELISABETH.  321 


DXXII 

MADAME  ELISABETH 

A   MADAME   LA    MARQUISE    DE    BOMBELLES, 

A  L'HOTEL  DE  FRANCE,  A  VENISE. 

Conscilit  sur  le  iiiarquia  de  Bombellcs,  qui  donne  sa  démission 

d'ambassadeur. 

Ce  28  décembre  1790. 

Je  pars  pour  Saint-Cyr  et  n'ai  que  le  temps  de  t'era- 
irasser,  de  te  dire  que,  tout  en  admirant  les  sentiments 
<le  ton  mari,  je  désire 'vivement  qu'il  fasse  de  sérieuses 
réflexions  au  parti  qu'il  veut  prendre,  et  qu'il  con- 
sulte des  gens  éclairés.  Quant  à  toi ,  ne  prends  pas 
celui  d'arriver  avant  que  de  savoir  si  je  le  trouve  ' 
bon.  Adieu,  je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur,  et  t'aime 
de  même. 


La  Princesse  appréciait  avec  anxiété  la  situation  où  le 
marquis  de  Bombelles  allait  se  mettre  avec  sa  famille  en 
donnant  sa  démission  de  son  ambassade.  Le  Roi  s'était  montré 
disposé  ù  Faiitoriser  à  la  prestation  d'un  serment  dont  lui- 
même  avait  donné  Texemple,  et  la  Princesse  n'était  pas 
éloignée  d'approuver  cette  démarche.  Mais  prévoyant  Topi- 
niâtre  loyauté  de  M.  de  Bombelles,  elle  travaillait,  sans  le 
dire,  à  le  faire  pensionner  parla  Reine  de  Naples.  (Voir  la 
lettre  de  Madame  Elisabeth,  p.  32i,  et  une  autre  lettre 
de  la  môme  princesse,  p.  3i7.) 

TOMB  m.  21 


3M  MARIE- ANTOINETTE. 


DXXIII 

MARIE-ANTOINETTE  A  LA  LANDGRAVINE  LOUISE 
DE  HESSE-DARMSTADT  (1). 

Compliments;  mais  pour  ces  compliments  mcnie  elle  8*interclit  d*ii5er 

de  la  poste. 

•  Ce  Î2  janvier  1791. 

Il  m'est  impossil)le,  Madame,  de  laisser  passer  le 
jour  de  l'an  sans  vous  parler  au  moi  us  de  tous  les  vœux 
que  ma  tendre  amitié  forme  pour  vous  dans  ce  moment 
et  dans  tous  les  autres  de  ma  vie.  C'est  par  une  occa- 
sion qui  part  pour  Bruxelles  que  je  vous  écris,  et  de  là 
elle  vous  arrivera  par  la  poste,  car  pour  celle  d'ici,  je 
me  la  suis  interdite  absolument.  J'ai  eu  il  y  a  quelque 
temps  des  nouvelles  de  la  Princesse  des  Deux-Ponts, 
non  pas  directes,  mais  par  madame  de  Brosse,  que  j*aL 
eu  bien  du  plaisir  à  revoir,  puisqu'au  moins  j'ai  p 
parler  avec  elle  de  vous  et  des  vôtres.  Je  vous  prie  d 
parler  de  moi  à  madame  votre  mère,  à  la  Princesse? 
des  Deux-Ponts  et  à  votre  mari,  frère  et  beau-frère-^ 
Croyez,  quelle  que  soit  ma  position,  que  je  n*oubli 
rai  jamais  les  marques  d'amitié  et  d'attachement  qu 
je  suis  accoutumée  depuis  si  longtemps  à  recevok 
d'eux  tous  et  de  vous,  ma  chère  Princesse.  AimesE» 
moi  dans  cette  année-ci  comme  dans  les  autres  :  cetC 


(i)  Archives  de  Son  Altesjse  Royale  le  Grand-Duc  de  Hc8«e. 


MADAME   ELISABETH.  32S 

idée  sera  une  grande  consolation  pour  mon  cœur  dé- 
chire, mais  à  vous  jusqu'à  la  mort.  Je  vous  embrasse 
tendrement. 


DXXIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

On  n'a  le  temps  de  rien  faire  à  Pari8.  —  Scandales  à  Saint-Sulpice  et  à 
Saiut-Roch. —  Cela  fait  horreur,  mais  il  n'y  a  point  de  martyre. 

Ce  17  janvier  1791. 

Je  ji*ai  que  le  temps,  ma  Bombe,  de  te  prier  de 
remettre  cette  lettre  à  ton  honneur.  Nous  nous  portons 
bien.  Ton  mari  a  dû  recevoir  une  grande  épître  de  ta 
mère.  Ainsi  sa  paresse  n'est  pas  si  grande  que  tu  crois; 
de  plus,  je  te  dirai  qu*a  ce  maudit  Paris  on  n'a  jamais 
le  temps  de  rien  faire.  Adieu  ;  il  y  a  eu  des  scandales 
affreux  hier  à  Saint-Sulpico  et  à  Saint-Roch,  des  cris  dans 
1  église,  des  brigands,  etc.,  etc.  ;  cela  fait  horrenr,  mais 
point  de  martyre.  Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 


2!. 


32V  MADAME   ELISABETH. 


DXXV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

La  Princesse  a  combattu  le  projet  de  madame  de  Bcmibelles  de  ren- 
trer en  France  pour  se  rendre  aiiprca  d'elle.  —  Madame  de  Bom- 
belles  s'est  méprise  sur  ses  intentions.  —  llcproclios  afFecCnenx.  — 
Explication.  —  Elle  n\i  jamais  songé  ù  lui  ôter  sa  place. 

Ce  l*' février  1791. 

Mon  Dieu,  ma  pauvre  Bombe,  que  je  suis  fâchée  que 
ma  lettre  t'ait  fait  autant  de  peine  !  c'ctoit  bien  loin 
d'être  mon  intention.  Mais,  ma  petite  Hombe,  comment 
n'as-tu  pas  eu  l'esprit  de  te  dire  :  Ma  Princesse  est 
bonne,  parce  qu'elle  ne  veut  pas  nous  décider;  elle 
nous  recommande  de  faire  de  sérieuses  réflexions,  parce 
qu'elle  sent  l'horrible  position  où  nous  nous  trouverons, 
et  qu'il  y  a  tant  de  gens  qui  se  mettent  au-dessus  des 
scrupules,  qu'elle  craindroit  que  notre  zèle  ne  nous  fit 
illusion  sur  nos  devoirs.  Voilà,  mademoiselle  Bombe, 
la  conversation  que  vous  auriez  dû  avoir  avec  vous- 
même,  en  y  ajoutant  quelques  réflexions  sur  les  senti- 
ments de  ta  Princesse,  et  tu  n'aurois  pas  tounnenté  ta 
tête  et  affligé  ton  amie  par  l'idée  que  tu  as  prise  d'elle. 
Quant  à  ce  que  je  te  mande  sur  ton  retour  ici,  c'est  um 
radotage  complet;  j'ai  entendu  que  tu  mandois  à  te 
tante  que  tu  viendrois  ici  lorsque  ton  mari  iroit  au-^i 
eaux  :  cette  idée  m'avoit  paru  si  bizarre,  j'avois  telh 
ment  cru  que  tu  avois  perdu  la  carte,  que  j'ai  cru  qu'un 
mot  sufKroit  pour  t'y  remettre.  Mais  comment  as-tu  pu 


MADAME    ELISABETH.  'M5 

<;oncliire  de  là  que  je  t'ôterois  ta  place?  Moi  qui  donne- 
xois  tout  au  inonde  pour  te  savoir  heureuse ,  je  contri- 
Luerois  à  augmenter  ton  malheur!  Ah!  ma  Bombe, 
^s-tu  pu  le  penser?  Je  n'ai  pas  le  temps  de  t'en  dire 
davantage,  mais  lis  dans  mon  cœur,  tu  le  connois ,  et 
tu  verras  combien  il  est  loin  de  ce  que  tu  penses  et 
combien  il  t'aime.  Remets  cette  lettre  à  un  être  que 
j'aime  bien  tendrement  (1).  S'il  n'est  plus  avec  toi, 
envoie-lui  où  il  sera. 


DXXVI 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Hlle  n*08c  écrire.  —  M.  Dûmes.  —  On  ne  s'empi-es^e  pas  de  pourvoir 
aux  places  vacantes.  —  L'Assemblée  trouve  tant  de  cliarme  à  la 
liberté  qu*elle  la  garde  pour  elle  seule.  —  Départ  des  tantes  pour 
Borne.  —  Il  lui  faut  changer  de  confesseur.  —  L'Assemblée  a  interdit 
la  prédication  aux  jirètres  non  assermentés.  —  Plus  de  prédicateur. 
—  Béflcxions  pieuses.  —  Que  décidera  M.  de  Bombelles  au  sujet  de 
sa  retraite? 

Ce  7  fV'vrier  1791. 

J'ai  vu  ton  ministre,  ma  petite,  il  m'a  rapporté  tout 
ce  qu'il  avoit  dit  a  ta  mère;  dans  un  autre  temps, 
Je  te  l'écrirois;  mais,  dans  celui-ci ,  je  me  contenterai 
kIc  te  dire^que  tu  peux,  sans  aucune  espèce  de  crainte 
iii  de  scrupule,  suivre  l'avis  que  ta  mère  te  donne  sur 
^e  qui  a  rapport  à  M.  Durnès.  Je  sens  que  dans  ta  posi- 
tion ,  il  est  cruel  que  tes  amis  ne  te  mettent  pas  plus  au 


(1)  Le  Comte  d'Artois. 


326  MADAME  ELISABETH. 

fait  de  ce  qui  te  touche.  Mais  que  veux-tu?  console-toi  : 
nous  sommes  dans  un  moment  de  liberté ,  si  bien  que 
je  ne  puis  te  dii*c  tout  ce  que  j*ai  dans  Tàme  :  tout  ce 
que  je  puis  me  permettre ,  c'est  de  te  dire  que  je  suis 
contente. 

Au  reste  il  me  semble  que  i*on  ne  s'empresse  pas  de 
nommer  les  places  vacantes,  T Assemblée  ne  voulant  pas 
des  gens  dans  le  genre  de  ton  mari,  et  les  cours  étrangères 
nen  voulant  pas  d* antres;  ce  qui  ne  prouve  pas,  autant 
que  mes  lumières  me  peuvent  permettre  de  l'aperce- 
voir, un  accord  parfait  dans  les  principes.  Peut-être 
est-ce  les  cours  qui  ont  tort.  Quelqu'un  disoitque  l'As- 
semblée trouvoit  tant  de  charme  à  la  liberté,  qu'elle  la 
gardoit  pour  clic  toute  seule.  Cependant,  on  n'a  pas 
osé  arrêter  mes  tantes,  elles  partent  pour  Rome.  Peut- 
être,  en  chemin,  leur  voudra-tpon  persuader,  aussi  doiJH 
cément  que  l'on  nous  a  amenés  ici,  qu'il  faut  qu'elles  y 
reviennent  ;  elles  ne  se  laisseront  pas  persuader,  mais 
cela  fera  époque  dans  l'histoire  pour  prouver  la  dou- 
ceur du  joug  que  nous  portons  et  la  parfaite  liberté  qui 
règne  dans  notre  malheureuse  patrie.  Plaignez-moi, 
ma  Bombe,  ne  v'ià-t-il  pas  qu'il  faut  que  je  change  de 
confesseur  !  Je  sais  les  angoisses  du  choix  :  je  ne  pleure 
pas  comme  toi ,  mais  je  me  sens  rudement  agitée  de 
notre  première  entrevue.  Le  mien  part  avec  sa  pénitente  : 
je  l'ai  désiré ,  ne  pouvant  prévoir  quel  sera  l'avenir  qui 
nous  attend  tous  (1).  On  a  déclaré  avant-hier  à  l'Assem- 
blée que  tout  prêtre  qui  n'auroit  pas  fait  le  serment  ne 


(1)  L'ahlic*  Madifîr,  confesseur  de  Madame  Elisabeth ,  rétait  auiti 
de  Madame  Victoire,  et  il  suivait  cette  dernière  princeftse  dans 
rémigra  tien. 


MADAME    ELISABETH.  327 

jpourroit  pas  précliei*.  Ainsi  nous  voilà  sans  prédicateur  : 

Cî'ëtait  l'abbé  Lenfant  qui  devoit  prêcher  ce  Carême.  Il 

^n  est,  je  crois,  tout  consolé  pour  cette  année  ;  cette  cor- 

■^ée  lui  étoit  très-désagréable.  Mais  qui  ne  pourroit  pas 

s'affliger  de  voir  la  religion  aussi  attaquée  qu'elle  Test? 

-àh!  si  nous  avons  bien  péché,  Dieu  nous  punit  bien. 

Heureux  qui  ne  prend  qu'en  esprit  de  pénitence  cette 

épreuve  !    H    faut  remercier   Dieu    du    courage    qu'il 

«accorde  au  clergé  :  on  en  raconte  cha(|uejour  des  traits 

admirables.  La  main  de  Dieu  ne  peut  être  méconnue 

que  par  des  impies  qui  la  craignent,  j)arce  qu'ils  l'ont 

trop  offense.  Ah!  s'ils  pouvoient,  au  lieu  de  cela,  élever 

leurs  cœurs  vers  lui  et  avoir  confiance  en  sa  miséricorde  ! 

Mais  non,  ce  n'est  point  une  grâce  que  nous  méritions 

encore  :  nous  sommes  destinés  à  fléchir   la  colère  de 

Dieu. 

Gomment  ton  mari  répondra-t-il  à  la  lettre  qu'il  a 
dû  recevoir  pour  sa  retraite?  Sa  santé  ne  lui  défendant 
pas  de  manger,  ainsi  qu'à  toute  sa  famille,  il  faudra 
bien  répondre  à  cela  positivement.  Au  reste,  je  suis  con- 
vaincue qu'il  y  mettra  tout  ce  qu'il  pourra  de  mieux, 
sans  bless(?r  sa  conscience ,  pour  laquelle  je  suis  beau- 
coup plus  rassurée  depuis  que  je  sais  ce  que  je  ne  puis 
te  dire  (1). 

Adieu.  Si  mon  frère  est  encore  avec  toi,  dis-lui  bien* 
cies  choses  de  ma  part  :  je  n'ai  pas  le  tenîps  de  lui 
écrire.  Je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 


(i)    «  Il  était  question  de  la  prétendue  autori.^atiun  du  Roi  que  je 
(^rétas«e  le  serment.  ■  (Note  de  M.  de  Bombelles.) 


3Î8  MADAME   ELISABETH. 


DXXVII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Arrestation  de  Mesdames  ù  Arnay-lc-Duc.  —  L'AfWcmbléc  voudrait 
qu'elles  pusiient  continuer  leur  voyage.  Les  clicf«  don  Jacobin» 
sont  d'un  avis  o])posc.  —  Manifestation  populaire.  —  Bonne  conte- 
nance de  la  {;nrde  et  ferme  attitude  du  Boi.  —  Sentiments  patrio- 
tiques de  la  Princesse.  —  Ses  craintes  au  sujet  de  la  santé  de  M.  de 
Bombelles. —  Situation  désespérée  de  .Saint-Cyr  que  Ton  dé|M)Mède. 

—  Le  confesseur  de  la  Prineessi;,  l'abbé  Madier,  part  |H>ur  Rome. 

—  L<'s  (jens  de  lionne  volonté  pour  le  Hoi  ont  trouvé  moyen  de 
déplaire  à  la  {;arde.  —  On  a  voulu  détruire  Vincennes.  —  Tout  est 
rentré  dans  le  calme. 

O  28  ft'vrior  1701. 

Tu  sais  sans  doute  que  mes  tantes  sont  parties. 
Tu  sais  sans  doute  qu'elles  ont  été  arrêtées  à  Arnay- 
le-Duc.  Tu  sais  sans  doute  que  Monsieur  a  eu  la 
visite,  mardi  dernier,  des  filles  de  la  rue  Saint* 
Honoré  et  de  leur  société,  qui  l'ont  prié  de  ne  pas 
sortir  du  royaume.  Tu  sais  sans  doute  que  jeudi, 
jour  où  l'on  a  appris  que  mes  timtes  étoient  arrêtées, 
l'Assemblée  a  rendu  un  décret  qui  disoit  que  Arnay- 
le-Duc  avoit  eu  tort,  et  que  le  pouvoir  exécutif  seroit 
supplié  de  donner  des  ordres  pour  qu'elles  pussent 
continuer' leur  route.  Tu  sais  sans  doute  que  les 
chefs  des  Jacobins  n'étant  pas  de  cet  avis,  et  voulant 
que  le  président  engageât  le  Roi  à  les  faire  revenir, 
une  foule  de  badauds  s'est  portée  sous'  les  fenêtres  du 
Roi,  parmi  laquelle  il  y  avoit  peut-être  une  centaine 
de   femmes  qui    se    sont  égosillées,    pendant   quatre 


MADAME    ELISABETH.  359 

heures,  pour  voir  le  Uoi  et  lui  fain;  la  même  demande 
que  les  Jacobins.  Mais  le  Roi  n'ayant  pas  paru ,  et  la 
{^arde  ayant  fait  une  très-bonne  contenance,  il  a  bien 
fallu ,  lorscjue  Ton  a  eu  la  permission  de  la  municipalité 
cJe  repousser  la  force  par  la  force,  cjue  le  peuple  cédât. 
^  peine  le  tambour  a-t-il  paru  sur  la  terrasse  que  tout 
Ae  monde  a  pris  la  fuite.  M.  de  La  Fayette  et  la  {>arde 
^e  sont  conduits  parfaitement  bien.   Le  cbàteau  étoit 
<;omble  de  gens  qui  étoient  pleins  de  bonne  volonté, 
lie  Roi  a  parlé  avec  force  à  M.  Bailly.  EnHn  tout  s'est 
])assé  le  mieux  du  monde.  Aussi,  bier,  n'y  a-t-il  jamais 
«u  tant  de  monde  chez  le  Roi  et  chez  la  Reine.  Il  y 
avoit  longtemps  que  nous  étions  un  peu  seules  au  jeu  ; 
mais,  hier,  il  étoit  superbe.  Je  ne  puis  vous  rendre  le 
plaisir  que  j'ai  éprouvé.  Ah  !  mon  cœur,  le  sang  fran- 
çois  est  toujours  le  même  :  on  lui  a  donné  une  dose 
d'opion  bien  forte  ;   mais  elle  n'a  pas  attaqué  le  fond 
de  leur  cœur.    Il  n'est  point  glace,  et  l'on  aura  beau 
faire,  il  ne  changera  jamais.  Pour  moi,  je  sens  que, 
depuis  trois  jours,  j'aime  ma  jiatrie  mille  fois  davan- 
tage. 

Tout  ce  que  tu  me  mandes  de  ton  mari   me   fait 

grand  plaisir.  Ah  !  s'il  peut  parvenir  à  se  débarrasser 

de  l'empirique  qui  donne  de  si  mauvaises  drogues  (1), 

^ela  seroit  bien  heureux.  Les  nouvelles  que  j'ai  reçues 

e  ses  amis  éloignés  me  font  craindre  qu'il  ne  le  puisse 

|is.  Le  printemps  avance  beaucoup  ;  sa  santé  pourroit 

y>n  s'en  ressentir.  A  cette  épocpie,  les  humeurs  sont 

tojours  bien  plus  en  mouvement,  et  comme  il  n'a  pas 

(I  M.  de  Cnloiiiie. 


330  MADAME    ELISABETH. 

l'habitude  de  Texercice,  je  crains  qu'elles  ne  lui  jouent 
un  mauvais  tour.  Convenez  qu'il  n'y  auroit  pas  pour 
lui  de  meilleur  remède  ;  mais  lorsque  l'on  a  été  élevé 
à  Paris ,  il  semble  que  l'on  soit  destiné  à  ne  faire  jamais 
usage  de  ses  jambes.  Je  sens  même  que  sans  y  être 
élevée,  pour  peu  que  l'on  l'habite,  on  perd  le  g^oût  de 
la  promenade,  ou,  pour  mieux  dire,  l'usage. 

Voilà  ta  petite  belle-sœur  débarrassée  d'une  partie 
de  sa  nombreuse  compagnie.  M.  le  prince  de  C.  est 
h  Worms  et  sa  fille  doit  le  joindre  dès  qu'elle  sera 
guérie. 

Notre  pauvre  Saint-Cyr  est  plus  que  jamais  dans  la 
position  la  plus  critique.  On  vend  leur  bien.  Ta  mère 
y  a  été  la  semaine  passée  ;  moi,  je  profiterai  d'un  jour 
calme  pour  y  aller  :  j'en  ai  envie,  et  cela  me  coûtera 
horriblement.  Il  n'y  a  rien  de  pis  que  de  n'avoir  au- 
cune consolation  h  présenter  a  des  gens  aussi  malheu- 
reux (1).  Adieu,  je  vous  embrasse,  ma  chère  Bombe, 
et  vous  aime  du  plus  tendre  de  mon  cœur. 

Vous  ai-je  dit  que  l'abbé  Madier  alloit  a  Rome,  la 


(1)  L'administration  des  l)iciis  de  la    maison  de    8aint-Loui«  avait 
passé  aux  directoires  do  district  et  du  département  de  Vei*saille8.  Dem- 
ies premiers  jours  d'avril  1791,  les  lûens  furent  mis  en  Tente,  et  troa— 
vcrent  facilement   des  acheteurs.    Les   Archives  de   la  préfecture   df 
Versailles  citent  au   nombre  de  ces  acheteurs  l'illustre  chimiste  ht 
voisier,  qui  devait  être  une  des  victimes  de  la  Terreur,  et  qui  ach^ 
en  1791  la  terre  du  Tremblay,  terre  de  455  arpents,  au  prix  de  qua*^ 
cent  soixante-dix  mille  livres.  Le  duc  de  Luynes,  madame  de  Be»A- 
harnais,  plus  tard  Tlmpératrice  Joséphine,  etc.,  firent  aussi  des  aoMi- 
sitions.  Les  biens  entourant  la  maison  furent  morcelés  et  passèn^t  ^ 
des  prix  élevés  aux  paysans  de  Saint-Cyr. 

Après  de  nombreuses  péripéties,  de  courageuses  résistances,  IVisti- 
tution  finit  par  faire  place  à  une  Ecole  militaire. 


MADAME  ELISABETH.  331 

3eraaine  prochaine?  Je  ferai  une  nouvelle  connoissance, 
oe  qui  ne  me  fait  pas  grand  plaisir. 

Je  crains  fort  que  Toncle  de  la  petite  de  Vitry  ne  se 

joigne  h  son  ami   avant  que  celui-ci  ait  fait  les  pre- 

JKnières  avances.    Il  seroit   pourtant   bien   avantageux 

cfu'il  pût  le  voir  venir  :   tout  le  monde  le  désire  ;  et 

:moi,  l'intérêt  que  jV  prends  me  le  fait  souhaiter  pour 

son  bonheur. 

Ce  !•'. 

Nous  avons  eu  du  train  hier.  Les  gens  de  bonne 
volonté,  à  force  d'en  avoir,  ont  trouvé  le  moyen 
de  déplaire  à  la  garde ,  qui  étoit  parfaitement  disposée 
pour  le  Roi.  On  a  voulu  détruire  Vincennes  ;  mais  la 
garde  est  arrivée  à  temps  pour  l'empêcher.  Tout  est 
calme,  ce  matin.  Nous  nous  portons  tous  bien.  L'heure 
de  la  poste  m'empêche  d'entrer  dans  tous  les  détails 
que  tu  pourrois  désirer  ;  mais,  sois  tranquille,  tout  est 
bien. 


Mesdames,  parties  le  20  février,  étaient  arrêtées,  lo  24,  à 
Arnay-le-Duc  par  ordre  de  la  iiuinicipalité,  (»t  l'Assemblée 
déclarait  qu'aucune  loi  ne  s'opposait  à  la  liberté  de  leur 
voyage.  Le  28,  avait  lieu  l'échauffouréc  appelée  Journée 
des  Chevaliers  du  poignard.  Le  luêiiie  jour,  le  peuple  se 
portait  à  Vincennes  pour  en  détruire  le  donjon  :  les  gre- 
nadiers de  la  garde  nationale  dissipaient  l'attroupement, 
dont  les  plus  mutins  étaient  arrêtés. 


332  MADAME    ELISABETH. 


DXXVIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Elle  est  heureuse  d'avoir  pu  être  utile,  ji.ir  l'ciitreiniiiie  du  Comte  d*Ar- 
toH,  pour  faire  obtenir  à  son  mari  une  pension  de  la  Reine  de  Naples. 
—  Elle  aurait  désiré  que  cette  pension  fut  plus  forte.  —  (}u*on  est 
malheureux  de  vivre  dans  ce  moment-ci  !  —  Mesdames  sont  arrivées 
a  Turin.  —  Motifs  allé{piés  par  la  municipalité  d*Arnay-k^!)uc  pour 
justiHer  leur  arrestation.  —  Pourquoi  la  Princesse  nVst  point  partie 
avec  elles.  —  Elle  va  faire  connaissance  avec  son  nouveau  directeur 
et  en  a  la  colique.  —  Le  Roi  a  été  malade. 

Ce  13  mars  1791. 

Oui,  ma  Bombe,  vous  avez  eu  bien  raison  de  çron* 
der  le  ch'.  Hénin;  si  j'avois  su  ton  départ,  je  t*aurois 
écrit  bien  certainement.  Ta  mère  prétend  me  l'avoir 
avoué.  Je  suis  bien  sûre  cpi'ii  n'en  est  rien.  Mais,  n'im- 
porte :  tu  sais  ce  qui  te  convenoit,  voilà  l'important.  Je 
reconnois  bien  à  la  joie  que  tu  éprouves,  Tànie  ]mre 
de  mon  ange  :  son  propre  malheur  ne  l'occupe  que  peu. 
Ne  le  pas  faire  partager  à  ceux  à  qui  elle  a  des  obliga- 
tions est  tout  ce  qui  la  touche.  Mais,  ma  Bombe,  tu  te 
trompes  en  croyant  m'avoir  des  obligations  ;  je  n'ai  eu 
qu'un  mérite  dans  toute  cette  affaire,  c'est  d'être  sœui-' 
de  mon  frère,  dont  on  avoit  un  peu  peur.  L'idée  qui  te 
rend  heureuse  ne  vient  que  de  l'homme  qui  l'a  mise  en 
exécution,  et  en  cela,  il  a  tenu  une  conduite  vraiment 
digne  d'estime,  et,  malgré  tous  ses  torts,  on  est  obligé 
de  lui  rendre  justice  sur  cet  article- là.  Ta  lettre  m* a 
fait  de  la  peine  ;  j'espérois  que  ton  mari  obtiendroit 


MADAME   ELISABETH.  333 

^lus  qu'il  n*a  obtenu,   et  de  mille  manières  j'en  suis 
aiffligée  ;  je  n*ai  pas  besoin  d'entrer  en  détails  pour  que 
"Eu  les  comprennes  ;  je  m'en  remets  à  ton  esprit  supé- 
rieur. Cependant,  je  ne  puis  m'empécherde  blâmer  le 
parti  que  tu  fais  prendre  à  ton  mari  :  sa  santé,  son 
<:aractère,  le  sentiment  de  ses  amis,  tout  devoit  l'enya- 
^er  à  prendre  des  eaux.  J'entre  pourtant  dans  sa  posi- 
tion, et  je  sens  queJa  crise  qu'il  vient  d'avoir  doit  l'en 
dégoûter.  Lorsqu'un  médecin  s'est  trompé  sur  les  maux 
que  l'on  éprouve,   on  ne  va  plus  les  lui  conter  avec 
autant  de  confiance.  N'est-ce  pas  là  sa  position?  J'en 
suis  désolée  ;  car  enfin,  se  livrer  à  des  charlatans  à  sou 
âge  est  bien  fâcheux,  et  il  seroit  si  nécessaire  de  calmer 
son  sang,  et  de  ne  laisser  pas  prendre  à  l'humeur  qui  le 
tourmente  une  mauvaise  route,  que  j'aurois  désiré  qu'il 
trouvât  un  moyen  d'aller  aux  eaux.  Je  suis  sûre  qu'il 
en  auroit  éprouvé  du  soulagement,  et  que  là,  n'étant 
plus  obsédé  par  ce  malheureux  chirurgien  (1),  que  je 
crois   né  pour  notre  infortune,  tu  aurois  obtenu  des 
choses  raisonnables  de  lui  ;  car  il  me  semble  qu'il  ne 
doit  pas  le  suivre,  le  pays  où  il  devpit  être  ne  l'aimant 
pas  autant  que  lui. 

Mon  Dieu,  mon  cœur,  que  l'on  est  malheureux  de 
vivre  dans  ce  moment-ci  !  On  ne  rencontre  que  des 
fous,  des  imbéciles  et  des  méchants!  Dieu  veuille  que 
l'esprit  humain  ouvre  enfin  les  yeux  à  cette  lumière  que 
l'on  dit  que  le  siècle  possède,  mais  qui  est  encore  si 
obscure  que  pour  moi  je  n'y  vois  qu'un  brouillard 
d'une  épaisseur  monstrueuse!  Si  la  religion  ne  vient  pas 


(1)  «  M.  de  Caloniie.  »  (iVo/c  de  M,  de  Bombelles.) 


334  MADAME   ELISABETH. 

à  notre  secours,  il  y  a  grande  apparence  que  nous' 
vivrons  longtemps  dans  cette  pénible  situation.  Enfin, 
dit-on,  il  faut  vouloir  tout  ce  que  Dieu  veut.  Pour  moi, 
je  désire  me  sauver  et  que  les  gens  que  j*aime  ne  se 
perdent  pas.  Voilà  tout  ce  qu'il  me  faut. 

Mes  tantes  sont  enfin  arrivées  à  T[urin].  Après  avoir 
été  arrêtées  pendant  des  siècles  à  Ârnay-le-Duc,  elles  ont 
été  très-bien  reçues  à  Lyon.  Mais  tu  sais  tout  cela  mieux 
que  moi.  Ce  que  tu  ne  sais  peut-être  pas,  c'est  que  la 
municipalité  d'Arnay  disoit,  pour  raison  de  sa  conduite, 
que  le  Roi  n'étant  pas  libre  de  ses  actions,  il  leurfalloit 
un  mot  de  sa  main  pour  leur  prouver  qu'il  étoit  d'ac- 
cord de  leur  voyage.  As-tu  jamais  vu  une  pareille  incon- 
séquence? Au  reste,  mon  cœur,  j'ai  cru  voir  par  tes 
lettres  et  par  d'autres  que  j'ai  reçues,  que  l'on  étoit 
étonné  que  je  n'aie  pas  pris  le  même  parti  qu'elles.  Je 
n'ai  pas  cru  voir  mon  devoir  attaché  à  cette  démarche  : 
voilà  ce  qui  a  dicté  ma  conduite.  Mais  crois  que  jamais 
je  ne  serai  capable  de  trahir  ni  mon  devoir,  ni  ma  reli- 
gion ,  ni  mon  sentiment  pour  les  personnes  qui  le  mé- 
ritent seules,  et  avec  qui  je  voudrois  vivre  pour  tout  au 
monde. 

Je  suis  désolée  de  t'avoir  nommée  dans  une  lettre, 
d'autant  que  je  crains  que  cela  n'ait  ôté  à  ton  mari  des 
forces  vis-à-vis  de  son  antagoniste  (1).  Mais  je  n'ai  pas 
imaginé  que  cela  pût  avoir  le  moindre  inconvénient. 
Crois-tu  que  cet  homme  veuille  me  faire  du  tort  vis-à-vis 
d'un  autre  ?  J'en  serois  fâchée  ;  mais  il  m'est  nécessaire 
de  le  savoir,  parce  que  cela  réglera  ma  conduite.  Ta 


(1)  ■  M.  de  Galonné.  •  (Note  de  M.  de  Bombeiies.) 


MADAME    ELISABETH.  335 

ipetite  belle-sœur  m'a  mandé  ses  chagrins  ;  elle  n'a  rien 
À  se  reprocher  que  d'avoir  obtenu  une  chose  qu'avec 
un  autre  homme,  dans  pareille  position ,  elle  n'auroit 
jamais  obtenue  ;  mais  elle  a  cru  que  sa  conscience  le  lui 
permettoit,  et  supportera  avec  courage  la  punition  (fue  ' 
le  Ciel  lui  envoie  dès  ce  monde.  Dans  les  pays  étran- 
gers, on  est  bien  sévère  pour  nous,  et  nous  le  méritons 
bien.  Mais  les  François  qui  y  sont  retirés  sont  pour  la 
plupart  bien  exagérés  ;  et  tant  que  de  part  et  d^autre  on 
le  sera,  le  diable  se  mêlera  toujours  de  nos  aiïaires; 
voilà  ce  que  je  crains  fort. 

Je  suis  confondue  du  mariage  d'Agathe;  c'est  un 
bonheur  pour  toi,  car  tu  n'aurois  su  qu'en  faire.  Je 
suis  dans  l'enchantement  de  l'attachement  de  Victoire; 
mais  Henri,  qu'est-ce  qui  en  aura  soin?  Comme  je  ne 
sais  où  te  prendre,  j'adresserai  mes  lettres  à  la  petite 
jusqu'à  ce  que  tu  m'aies  mandé  que  tu  es  posée. 
Adieu,  je  t'embrasse  et  t'aime  de  tout  mon  cœur,  et 
voudrois  te  voir  heureuse. 

Quelle  calomnie,  ma  Bombe  !  ta  mère  n'a  pas  eu  la 
douleur  de  voir  faire  le  serment  à  son  confesseur,  mais 
bien  celle  de  s'en  séparer,  car  il  est  parti  pour  Rome 
avec  ma  tante.  Je  fais  connoissance  avec  mon  nouveau 
dans  deux  jours.  Je  crois  que  j'aurai  une  fièrecolique. 
Je  t'en  dirai  des  nouvelles.  On  trompe  tant  sur  les  nou- 
velles des  provinces,  que  je  ne  sais  pas  au  juste  si  elles 
prennent  le  parti  de  leur  évéque.  Mais  je  crois  que  la 
plupart  regrettent  ceux  qui  s'en  vont.  Mais  la  force 
étant  dans  les  mains  des  méchants,  que  peuvent  foire  les 
bons,  sinon  gémir? 

J'ai  rarement  des  nouvelles  de  M'  de  M.  Mais  le  M. 


33Ô  MADAME   ELISABETH. 

qui  en  a  quelciuefois  in*a  dit  qu'elle  se  portoit  bien. 
Elle  va  aller  dans  les  Pavs-Bas  voir  ses  terres  et  s*v 
établir. 

Le  Roi  vient  d'être  malade.  Heureusement,  il  va 
'  bfen  et  sera  pur{;é  demain.  Je  suis  convaincue  que  les 
eaux  lui  feroient  beaucoup  de  bien  :  ne  le  crois-tu  pas? 
Je  t'embrasse  et  t'aime  de  tout  mon  cœur. 

Les  jeunes  {jens  qui  ëtoient  en  prison  depuis  le  28 
sont  sortis  hier,  ainsi  que  M.  de  Courten. 


DXXIX 

MADAME  ÉLISAItETIl  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Elle  se  fclirite  du  dép.irt  de  Mesdames,  qui  n  décidé  celui  de  son 
frère.  —  Te  Deum  à  Nofre-Dame,  pour  le  rétablissement  du  Roi. 
—  C*est  1111  curé  «lîtsermenté  qui  officiera.  —  Ses  inquiétudc^s  pour 
M.  de  Boinhelles.  —  Sa  conHance  en  la  Providence.  Il  faut  autant 
que  possible  dédomma{{er  Dieu  de  tous  les  outra{{es  qu*il  re<;oit.  — 
L*évêque  de  Lydda  et  rar(!hevèque  de  Sens.  —  Elle  est  enchantée 
de  son  nouveau  confesseur. 

Ce  20  mars  1791. 

Je  vous  fais  part,  mademoiselle  Bombe,  que  je  vous 
écris  pour  employer  mon  temps.  Je  suis  au  milieu  de 
trois  enfants  qui  sont  plus  bavards  les  uns  que  les  autres. 
Ils  viennent  de  faire  une  triste  partie  de  reversis,  où 
c'étoit  à  qui  tricheroit  le  plus  ou  joueroit  le  plus  mal. 

Quand  je  dis  qu'ils  trichoient,  c'est  que cela  n'étoit 

pas  vrai  ;  mais  ma  nièce  qui  étoit  sur  mon  épaule  me 
dictoit.  Au  fait,  il  est  dimanche,  je  m'ennuie  à  en  cre- 


madamp:  kijsakktîî.  337 

er,  et  je  profite  d'une  écritoire  que  je  trouve  sous  ma 
K~iQain  pour  commencer  toujours  cette  épître.  J'ai  reçu 
M.^  tienne  depuis  trois  jours.  Je  suis  charmée  que  mes 
'Jointes  aient  pris  le  parti  de  s'en  aller.  Cela  a  décidé  le 
^départ  de  mon  frère,  qui  sans  cela  auroit  bien  pu  pas- 
-^5er  une  partie  du  printemps  avec  vous  ;  etquoique  vous 
^oyez  très-aimables,  je  désircrois  beaucoup  qu'il  rejoi- 
gnit son  beau-père.  Il  m'a  écrit  depuis  son  arrivée  à 
Turin  ;  mais  il  ne  me  mande  pas  combien  mes  tantes 
resteront  avec  lui.   Il  est  vrai  qu'il  ne  les  avoit  pas 
«ncore  vues.   Tu  m'auras  trouvée  rabâcheuse ,  car  je 
t'ai  mandé  deux  fois    la   même   chose;    mais  j'avois 
oublié  que  je  t'en  avois  déjà  parlé,  et  cela  m'occupoit 
un  peu. 

Il  y  a  aujourd'hui  un  beau  Te  Deum  à  Notre-Dame 
pour  le  rétablissement  de  la  santé  du  Roi  ;  l'Assemblée 
y  va  ;  c'est  un  curé  jureur  qui  ofBciera.  C'est  une  ma- 
nière fine  d'installer  le  nouveau  clergé  à  la  métropole  ; 
du  moins,  je  le  crois.  Je  trouve,  ma  petite,  que  tu  auras 
parfaitement  raison  de  ne  pas  vous  établir  à  Stuttyard  ; 
mais  j'en  suis  fâchée  pour  toi,  car  ce!a  eût  été  une  grande 
douceur.  Je  t'avoue  que  je  redoute  pour  ton  mari  la 
grande  inaction.  Sa  santé,  son  cœur,  l'habitude,  tout 
doit  lui  faire  éprouver  une  contraction  affreuse;  et  si  je 
n'espérois  pas  que  ta  tendre  amitié  ne  l'en  dédomma- 
geât, j'en  serois  incpiiète. 

Mais,  ma  petite,  la  Providence,  qui  veilla  sur  toi  dès 
ton  enfance,  y  veillera  encore.  Rapportons-nous-en  à 
elle  dans  tous  les  instants  de  notre  vie.  Nous  ne  pou- 
vons avoir  de  vraie  consolation,  d'appui  solide,  qu'en 
elle.  Ne  sens-tu  pas  que  c'est  dans  la  peine,  dans  les 

TOME    111.  22 


338  MADAME   ELISABETH. 

moments  où  la  religion  est  eu  danger,  que  Ton  en  sent 
mieux  le  prix?  Dédommager  Dieu,  s'il  est  possible,  de 
tous  les  outrages  qu'il  reçoit:  ah  !  qu*ils  sont  grands, 
mais  que  sa  bonté  Test  mille  fois  davantage  !  Prie-le 
pour  moi,  mon  cœur  :  c'est  avec  {sic)  ceux  qui  sont  dans 
un  séjour  tranquille  à  obtenir  des  grâces  pour  ceux  qui 
sont  dans  le  pays  le  plus  orageux  que  l'on  ait  jamais 
rencontré.  L'évéque  de  Lydda  a  été  à  Sens  recevoir  ses 
pouvoirs  ;  mais  l'on  assure  que  l'Archevcque  a  reçu  une 
lettre  du  Pape  qui  pourra  le  dégoûter  de  la  nouvelle 
constitution.  Le  bref  est  arrivé:  on  ne  sait  pas  encore 
ce  qu'il  contient  ;  mais  il  y  a  à  parier  qu'il  est  des  plus 
forts,  d'après  la  lettre  adressée  à  l'archevêque  de  Sens 
qu'il  l'est  {sic)  pas  mal. 

Ce  22  mars  1791. 

Je  suis  enchantée,  ma  petite,  de  mon  rKmveau  con- 
fesseur. Il  a  tout  ce  qu'il  me  faut  :  de  la  douceur,  de 
l'esprit,  une  grande   connoissance  du  cœur  humain  ; 
enfin  je  ne  puis  me  dissimuler  que  c'est  la  Providence 
qui  m'a  fait  faire  ce  choix.  J'ai  été  assez  troublée  la 
première  fois  que  je  me  suis  confessée ,  mais  pas  autant 
que  je  l'aurois  cru.   Si   tu  veux  que  je  te  l'avoue, 
j'aime  et  j'estime  beaucoup  celui  que  j'avois,   mais 
je   n'ai   eu   aucun   mérite  à  le  laisser  partir.   Ainsi, 
ne  me  fais  pas  tant  de  comphments  sur  tout  cela, 
car  je  ne  les  mérite  pas.  Ne  le  dis  pas,  parce  que 
cela  lui  feroit  de  la  peine,  s'il  venoit  à  le  savoir.  Il  n'y 
avoit  que  l'embarras  de  la  nouvelle  connoissance  qm 
me  tenoit  au  cœur.  C'est  un  prêtre  des  Missions  étran* 


MADAME   ELISABETH.  339 

gères,   nouimé  de  Firmont,  que  tu  ne  connois  sûre- 
inent  pas  (1). 

J'irai  demain  à  Saint-Cyr  ;  cela  me  fait  plaisir  et 
peine,  car  il  est  affreux  de  voir  les  gens  que  Ton  aime 
bien  malheureux,  et  ne  pouvoir  leur  apporter  aucune 
oonsolatlon.  Adieu,  mon  cœur,  je  vous  embrasse  et 
"VOUS  aime  tendrement. 


DXXX 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMRELLES. 

M^'Assoinblôc  a  décidé  que  le  Roi  ne  pourrait  ni  sortir  du  Royaume  ni 
.■«"éIoi(»ii(?r  d'elle  à  plus  de  quinze  lieues.  —  M.  de  Bonibclles  rem- 
placé par  le  comte  Louis  de  Bouille. 

Ce  28  mars  i791. 

Je  ne  vous  écrirai  qu'un  mot,  mon  cœur,  parce 
<|u'il  est  tard,  que  je  n'ai  pas  le  temps  avant  souper, 
<ît  (pie,  pour  vous  dire  ce  mot,  j'écris  devant  Afo/is/ewr. 
]Nous  avons  eu  le  plaisir  de  voir  la  nation  assemblée 
<lécider  que  le  lloi  ne  pourroit  pas  s'éloigner  de  plus 
de  quinze  lieues  de  l'endroit  où  la  nation  sera  assem- 
blée; et  si  elle  ne  l'est  pas,  il  ne  pourra  sortir  du 
lioyaume.  S'il  en  sort  pendant  je  ne  sais  combien  de 
temps,  et  qu'il  ne  se  rende  pas  aux  sollicitations  qui 


(1;  -  Ce  doit  être  l'abl)é  Ed{»ewortli,  le  môme  qui  accompagna 
Loui;*  XVI  au  martyre,  et  le  même  qui  est  en  ce  moment.  le  23  février 
1803,  à  Varsovie,  près  de  Louis  XVIIL  »  (Note  de  M,  de  Bombelles.) 

22. 


340  MADAME   KLISAHETir. 

lui  seront  faites  pour  y  rentrer,  il  sera  regardé  comme 
ayant  abdicjuc  sou  trône.  Au  reste ,  il  se  porte  bien ,  à 
l'exception  d'un  enrouement  horrible,  dont  il  lui  reste 
encore  quelque  petite  chose.  Du  reste,  il  va  bien. 

C'est  le  comte  Louis  (I)  qni  remplace  ton  mari. 
Ainsi  il  sera  bien  dans  le  cas  de  pnindre  des  arrange- 
ments pour  toutes  ses  afFaires.  Te  reste-t-il  beaucoup 
de  dettes?  Toucheras- tu  quitte  et  net  ce  que  tu  dois 
toucher?  Adieu,  je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur  et 
t'aime  de  même. 


DXXXI 

MADAME  ELISABETH   A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

N»  13. 

Réflexions  sur  la  situation  <lc  M.  «le  Boinbellcs.  —  Mort  de  Mirabeau. 
—  Son  arrivrc  dans  l'autre  monde  a  dû  être  bien   rrucllc.  —  Lw 
curés  intrus  viennent  d'être  installés.  —  On  va  s'occujkt  da  piv- 
chaine.s  clcctions.  —  MéKancc  de  la  Princesse. 

3  avril  1791. 

Je  suis  destinée  a  t'écrire  chez  les  enfants.  Le 
dimanche,  cela  me  convient  assez,  parce  que  je  ne 
m'ennuie  pas  pendant  ce  temps-là.  J'ai  reçu  les  lettres 
dont  M.  de  B.  étoit  charge  ;  elles  m'ont  fait  grand  plai- 
sir, me  parlant  de  gens  que  j'aime.  Je  profiterai  du  pre — 


(i)  De  Bouille,  duquel  on  a  des  Mémoires. 


MADAME    ELISABETH.  341 

iniernioment  OÙ  je  le  pourrai  pour  y  répondre.  Je  trouve 
que  ton  ami  (1)  se  conduit  fort  bien;  mais  je  t'avoue 
que,  sans  compromettre  ce  qu'il  a  acquis  à  tant  de 
titres,  s'il  pou  voit  n'être  pas  aussi  fidèle  à  sa  tendre  moi- 
tié, cela  me  feroit  plaisir,  parce  que,  malgré  la  sévérité 
de  mes  principes,  cette  fidélité  à  toute  épreuve   me 
paroit  fastidieuse.  Et  comme  je  m'intéresse  beaucoup 
aux  personnes  de  sa  connoissance,  je  voudrois  qu'il 
leur  pût  être  utile.  Cependant  mon  désir  sur  cela  est 
si  fort  subordonné  aux  circonstances,  queje  me  contente 
de  l'exprimer  légèrement.  Je  n'ai  pas  parlé  à  mes  amis 
de  ce  que  tu  me  mandes;  je  trouve  qu'il  faudroit  c|u'ils 
Fussent  plus  en  confiance  avec  une  autre  pour  qu'il  pût 
donner  à  ton  ami  les  conseils  qu'il  voudroit  en  rece- 
X^oir.  De  plus,  ta  mère  t'a  mandé  ce  qu'il  désiroit  il  y 
^  quelque  temps.  Je  me  borne  donc  à  te  dire  que  sans 
^e  hasarder  ou  ce  qui  est  après  lui,  il  fera  bien  de  con- 
tinuer à  parler  avec  la  franchise  et  la  sagesse  qu'il  a 
"^nontrées  jusqu'à  cet  instant. 

Mirabeau*  est  mort  hier  matin.  Son  arrivée  dans 
l'autre  monde  a  dû  être  bien  cruelle.  On  dit  qu'il  a  vu 
«on  curé  une  heure  ;  je  plains  bien  sa  malheureuse 
sœur,  qui  est  fort  pieuse  et  qui  Taimoit  à  la  folie.  Les 
politiques  disent  que  cette  mort  est  fâcheuse  ;  pour 
moi,  j'attends  pour  juger.  Je  conviens  qu'il  avoit  de 
grands  talents,  mais  je  ne  le  connoissois  pas  assez  pour 
le  regretter  vivement. 

Les  curés  intrus  ont  été  établis  aujourd'hui.  Toutes 
les  cloches  ont  carillonné  d'une  manière  indigne;  c'est 

(1)  «  M.  de  Doinbclles.  »  (Note  de  M,  de  DombeUes  lui-même,) 


3^*2  I/EMPEREUR   LÉOPOLD   II. 

d'une  tristesse  mortelle.  Pour  moi,  j'en  avois  l'àme  bien 
serrée. 

L'Assemblée  a  décrété,  sur  la  motion  de  M.  d'André, 
que  Ton  alloit  s'occuper  de  faire  les  élections  pour  la 
prochaine  législature.  On  compte  que  celle-ci  sera  finie 
pour  le  mois  de  juillet  ;  je  ne  comprends  pas  trop  ce 
que  tout  cela  veut  dire  et  si  cela  ne  cache  pas  quelque 
horreur,  car  peut-on  espérer  un  bien  réel  de  tout  ce 
monde-là?  Adieu,  ma  Bombe,  je  t'embrasse  de  tout 
mon  cœur. 


DXXXII 

L^EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SŒUR  MARIE-CHRFSTINE  (1, 

Il  a  trouvé  terrilUeraent  à  faire  h  Milan.  —  Ne  croire  que  la  nioiii 
seulement  de  ce  que  lui  dira  le  Comte  d*Artois. 

Milan,  le  7  [avril  1791]. 

Très  chère  Sœur,  j'ai  reçu  à  la  fois  deux  de  vos  lettres, 
et  vous  en  suis  infiniment  obligé,  ainsi  que  de  Tintcrét 
que  vous  prenez  à  ce  qui  me  regarde.  J'ai  trouvé  terri- 
blement à  faire  ici  ;  mais  comme  je  me  soigne  beaucoup 
et  ne  sors  pas  le  soir,  je  ne  crains  pas  l'air.  Mes  fils  se 
portent  aussi  tous  très-bien ,  et  n'ont  pas  moins  a  faire 
que  moi.  M.  Jaucourt,  Français  dont  vous  me  parlez, 
ne  m'a  été  que  présenté,  et  je  ne  le  connois  aucunement 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArcliiduc  Alberto 
d'Autriche. 


LE    COMTE   D'ARTOIS.  343 

particulièrement.  Ne  croyez  jamais  rien  de  ce  que  les 
François  vous  diront  de  moi ,  quand  je  ne  vous  récrirai 
pas  moi-même ,  et  même  que  la  moitié  de  ce  que  vous 
dira  le  comte  d'Artois.  Je  me  flatte  d'avoir  bientôt  de 
vos  nouvelles  des  Pays-Bas  et  que  l'inauguration  se  sera 
passée  heureusement.  Je  vous  embrasse  tendrement  et 
suis. 


DXXXIII 

LETTRE  DU   COMTE  D'ARTOIS    AU   ROI   DE   SUÈDE, 

GUSTAVE  III  (1). 

Il  s'est  adi^essé  à  la  Porte  pour  en  obtenir  un  secours  de  quelques  mil- 
lions, et  dejnnnde  au  Roi  d'autoriser  le  Baron  de  Brentano  à  suivre 
cette  négociation. 

Panne,  le  8  avril  1791. 

Monsieur  mon  Frère, 

L'intérêt  et  l'amitié  que  Votre  Majesté  a  bien  voulu 
me  témoigner  dès  le  commencement  de  nos  malheurs , 
m'encouragent  à  m'adresser  à  Elle  avec  confiance,  dans 
une  occasion  qui  peut  devenir  importante  pour  le  service 
du  Roi  mon  Frère. 

Je  me  suis  adressé  à  la  Porte  pour  en  obtenir  un 
secours  de  quelques  millions  ;  je  connoissois  depuis  long- 
temps les  talents  et  le  zèle  du  baron  de  Brentano,  mi- 
nistre de  Votre  Majesté,  et  c'est  lui  que  je  désire  charger 
de  cette  négociation,  après  avoir  avant  tout  obtenu  l'ap- 

(1)  ArchlTes  du  ministère  des  Affaires  Etrangères  de  Suède. 


344  LE  COMTE  D'AUTOIS. 

probatioii  de  Votre  Majesté ,  et  je  la  conjure  d'autoriser 
le  baron  de  Brentano  à  suivre  cette  affaire  avec  activité. 

Il  me  sera  bien  doux  de  devoir  cette  nouvelle  recOn- 
noissance  à  un  souverain  si  di^jne  de  Tadmi ration  uni- 
verselle par  sa  fermeté,  par  son  couriîge  héroïque,  et  par 
la  noblesse  de  ses  sentiments. 

Si  j'avois  moins  connu  les  embarras  personnels  que 
Votre  Majesté  a  éprouvés  depuis  deux  années,  je  me 
serois  adressé  à  Elle  avec  toute  confiance,  et  je  lui  aurois 
demandé  sans  crainte  des  secours  pour  servir  mon  pays, 
qui  fut  toujours  Tami  et  l'allié  de  la  Suède.  Mais  en 
m'attirant  un  refus  forcé  par  les  circonstances,  j'aurois 
affli{;é  inutilement  Tàme  noble  et  sensible  de  Votre 
Majesté. 

Voilà  runi(|ue  motif  d'un  silence  qui  coùtoit  à  mou 
cœur;  mais  anjr)urd'hui  que  Votre  Majesté  a  terminé 
une  {fuerre  glorieuse  par  une  paix  habile,  je  puis  et  je 
dois  m 'adresser  à  un  des  principaux  garants  du  traité 
de  West[)halie,  dont  nos  tvrans  ne  cessent  d'enfreindre 
les  plus  importants  articles. 

Certain  des  nobles  vt  généreuses  intentions  de  Votre 
Majesté,  connoissant  d'ailleurs  ses  sentiments  pour  la 
France  et  pour  le  Roi  mou  frère,  j'attendrai  sa  réponse 
avec  une  impatience  aussi  vive  que  respectueuse. 

Je  conjure  Votre  Majesté  de  daigner  recevoir  avec 
bonté  la  ferme  assurance  de  tous  les  sentiments  tendres 
et  respectueux  avec  lesquels  je  suis, 

Monsieur  mon  Frère, 
de  Votre  Majesté , 

le  très-alTectionné  frère  et  serviteur, 

Charles-Puujppe. 


L'KMPEREITU   LKOPOI.D  II.  343 


DXXXIV 

^-EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SDEITR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

*  i  av  flattp  qu'elle;  aura 'trouvé  do  raiiirlioraiion  dan.4  In  siiu.itioii  t\c» 
Pays-lbs.  —  Il  arrorticra  tontes  les  proiiiolioiis  et  {;ràfe.'<  qu'elle  lui 
|)i'o|)os(>ra.  —  Le  comte  d'Artois  a  [troiiiis  «le  se  tenir  tranquille.  — 
Espérances  de  paix. 

Milaii,  le  19  [avril  1791]. 

Très-chèn»  Sœur,  j'ai   reçw   à  la   fois   trois  de  vos 
lettres  de  Bonn,   et  suis  charmé  de  vous  y  savoir  en 
Lonne  santé.  Je  nie  flatte  que  vous  aur(»z   trouvé  les 
affaires  des  Pays-Bas  moins  mal  que  vous  ne  croyiez, 
et  (jue  les  principes  François  et  d'irréligion  n'y  gagne- 
ront pas.  Ouant  aux  avancements  et  grâces  à  accorder, 
vous  n'avez  qu'à  me  proposer  ceux  que  vous  croyez 
qui  auroient  des  droits  à  y  as[)irer,  et  je  les  expédierai 
tout   de  suite.   Quant  aux   François,  j'espère  cpie   le 
comte  d'Artois  et  les  siens  se  tiendront  tranquilles  ;  au 
moins  il    me  l'a  promis  ;    et  quant  aux  propos  qu'ils 
tiennent,  il  ne  faut  pas  s'en  soucier  ni  les  croire.  La 
paix  va  élré  faite,  et  toutes  les  affaires  s'arranger.  Je 
Vais  partir  de  Milan  où  les  a  flaires  m'ont  retenu  jusqu'à 
présent.  Moi  et  mes  compagnons   nous  nous  portons 
l)ien,  et  eux  travaillent  autant  que  moi.  Ne  craignez  rign 
pour  nos  santés  :  nous  avons  ici  de  la  neige  aux  mon- 
tagnes et  des  froids  insoutenables.  Je  vous  embrasse 
tendrement  et  suis. 


fl)   Arcliivos  d(;  Son  Ahes.sc  Impériale  cl  Rovalc  l'Arcl.iduc  AlbiTt 
d'Autriche. 


346  MADAME   ELISABETH. 


DXXXV 

MADAME  ÉLISAHRTIÏ 

A    MADAME   LA    MAROCISE    DE    BOMBELLES, 

A  L'HOTEL  DE  FRANCE,  A  STUTTGAUDT. 

Elle  ne  sait  pas  au  juste  cv  qui  s'est  passé  quand  le  Roi  a  voulu  partir 
pour  Saint- Cloud  et  eu  a  «'"lé  enipèelu;  par  les  factieux.  —  On  veut 
bien  encore  lui  jieruiettrc  d'aller  ù  l'office.  —  Elle  a  eu  à  se  louer 
de  la  Reine  de  Naples. 

Ck;2l  avril  1791. 

Tu  sens,  ma  Bombe,  qu'il  faut  que  je  n'aie  pas  eu 
absolument  le  temps  pour  ne  t'avoir  pas  écrit  un  mot 
ces  jours-ci.  Je  ne  te  donnerai  point  de  détails  de  la  jour- 
née de  lundi  ;  je  t'avoue  que  je  ne  les  sais  pas  encore. 
Tout  ce  que  je  sais,  c'est  que  le  Roi  vouloit  aller  a 
Saint-Cloud,  qu'il  s'est  campé  dans  sa  voiture  où  il  est 
resté  deux  heures ,  que  la  yarde  et  le  peuple  ont  fermé 
le  passage,  et  qu'il  a  été  obligé  de  ne  pas  sortir.  J'ignore 
combien  l'on  nous  retiendra  ;  j'imagine  que  ce  sera  jus- 
qu'après Pâques.  Nous  nous  portons  tous  bien  ;  je 
t'écris  à  la  hâte,  parce  que  je  fais  ma  toilette  pour  aller 
à  l'office,  car  l'on  veut  bien  encore  nous  permettre  d'y 
assister.  Adieu ,  crois  que  je  serai  toujours  digne  des 
sentiments  de  ceux  qui  veulent  bien  avoir  de  l'estime 
pour  moi ,  et  que  quelque  chose  qu'il  arrive ,  je  vivrai 
et  mourrai  sans  avoir  rien  à  me  reprocher  vis-à-vis  de 
Dieu  et  des  hommes. 

Je  ne  te  parle  pas  de  la  joie  que  m'a  fait  éprouver  la 
bonté  de  la  Reine  de  Naplos  ;  mais  tu  me  conuois  assez 


MADAME   ELISABETH.  3W 

jjour  suppléer  à  tout  ce  que  je  ne  puis  exprimer  dans  le 
xiioment,  mais  que  mon  cœur  sent  si  bien.  Je  t*embrasse 
^t  t'aime  de  tout  mon  cœur. 


La  rage  et  rinsnlle  veillaient  aux  portes  du  palais  des 
Tuileries.  Quand  le  Roi  avait  voulu,  le  17  avril,  partir  pour 
respirer  l'air  à  Saint-Cloud,  une  populace  ameutée  s'était 
jetée  dans  la  cour  au-devant  des  chevaux  de  sa  voiture,  et, 
luttant  corps  à  corps  avec  le  peu  de  {jardes  qui  l'entouraient, 
avec  le  jeune  Duras,  premier  gentilhomme  de  sa  chambre, 
avec  La  Favette,  accouru  pour  proté{j(;r  la  sortie  de  Louis  XVI, 
elle  l'avait  forcé  à  rentrer  dans  son  palais  désert.  Calme,  au 
milieu  de  T effervescence  de  l'émeute,  le  Roi  n'avait  eu  qu'une 
émotion,  causée  par  la  violence  des  furieux  contre  M.  de 
Duras  qu'il  avait  arraché  de  leurs  mains. 

La  Reine  de  Naples  venait  de  pensionner  sur  sa  cassette 
M.  de  Rombelles;  c'est  à  cette  (générosité  que  Madame  Eli- 
sabeth fait  allusion  à  la  fin  de  sa  lettre. 


DXXXVI 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMIiELLES. 

N"  15. 

La  Fayette  a  repris  le  commandement  do  la  yarde.  —  Joie  de  ce  que 
M.  de  Bombelles  a  la  pension  de  ]Naples.  —  Raisons  pour  ne  pas 
écrire  à  la  Reine  de  Naples. 

Ce  25  avril  1791. 

Vous  avez  dû  partir  aujourd'hui,  ma  chère  Bombe, 
pour  Stultgard  ;  je  te  fais  mon  compliment  d'être  avec 
le  petit  baron.  Que  de  choses  vous  allez  avoir  à  vous 


348  MADAME   ELISABETH. 

dire!  Mon  Dieu!  mon  Dieu!  vous  n'en  finirez  plus. 
Mais  dis-moi  franchement,  ton  frère  pense  t-il  comme 
toi?  On  m'a  dit  le  contraire;  mais  je  ne  puis  le  croire, 
et  je  te  plaindrois  de  tout  mon  cœur,  si  cela  étoit.  M.  de 
La  Fayette  a  repris  le  commandement  de  la  yarde  ;  elle 
le  lui  a  tant  demandé  qu'il  n'a  pu  s'y  refuser,  en  faisant 
simplement  quelques  conditions,  comme  d'obéir  à  la 
loi,  etc.,  etc. 

Tout  est  tranquille  à  présent ,  à  force  de  sacrifices. 

Il  faut  croire  que  le  bien  s'opérera,  du  moins,  je  suis 
sûre  que  c'est  là  le  but  et  le  vœu  yénéral.  Mais,  ma 
Bombe,  laissons  là  politique,  garde  nationale,  dé- 
crets, etc.,  etc.,  pour  parler  de  vous.  Mon  Dieu  !  que  la 
Providence  est  donc  bonne  !  que  je  la  remercie  de  tout 
mon  cœur  d'être  venue  au  secours  de  ta  famille  et  de 
toi  !  Je  suis  heureuse  de  penser  que  ma  pauvre  Angé- 
lique pourra  vivre  tranquille,  élever  doucement  ses 
enfants,  en  attendant  l'instant  où  ils  pourront  apprécier 
la  conduite  de  leurs  parents  et  s'en  rendre  dignes.  Je 
craignois  que  ton  mari  n'eût  plus  de  dettes  que  ce  que 
tu  me  uiandes.  Avec  cette  bonne  Reine  de  Naples,  il 
pourra  payer  et  vivre,  médiocrement,  mais  enfin  il  le 
pourra.  V'Ià  que  je  vais  l'aimer  à  la  folie.  Il  est  impos- 
sible d'avoir  plus  de  grâce  et  de  dire  des  choses  plus 
aimables.  Elle  doit  être  adorée  dans  son  pays.  J'aurois 
bien  voulu  faire  ce  que  tu  désirois  vis-à-vis  d'elle;  mais 
je  trouve,  mon  cœur,  que  dans  la  position  où  je  suis, 
il  est  bien  difficile  que,  n'étant  point  en  commerce  de 
lettres  avec  elle,  je  lui  écrive  pour  la  remercier  d'avoir 
réparé  les  torts  de  gens  que  j'aime  et  dois  respecter.  Si 
quelqu'un  partoit  pour  ce  pays,  je  chargerois  de  lui 


Loris  XVI.  :r.9 

cJire  oe  que  je  sens;  mais  je  ne  puis  lui  écrire.  Mon 
Dieu  !  ma  Bombe,  (|uanil  est-ce  que  j'aurai  le  plaisir 
cJe  te  revoir?  cela  ni*en  Fera  un  bien  grand  ;  tu  le  crois 
kien,  n'est-ce  pas?  Eh  bien,  je  vais  me  coucher  sur 
cette  bonne  pensée,  et  t'embrasse  du  plus  tendre  de 
mon  cœur. 


DXXXVII 

LOUIS  XVI    A   MADAME   JULKS    DE    POLIGNAC, 

A   VENISE  (I). 

Affectueux  souvenir.' —  Iiiihécillité  des  amis,  perversité  des  ennemi!}. 
—  La  Heine  toiijonrd  en  buite  aux  injuslires  et  aux  outr.i{»es  de  tous 
les  côtés. 

Le  12  mai  1791. 

J'ai  reçu  deux  de  vos  lettres.  Madame,  depuis  que 
je  ne  vous  ai  écrit,  et  j'ai  été  plus  heureux  cette  année  : 
j'ai  reçu  une  réponse  de  votre  cousine.  J'ai  vu  avec 
bien  du  plaisir  qu'on  se  portoit  bien  dans  les  deux 
endroits.  C'est  une  consolation  pour  moi  que  de  le 
savoir.  Nous  en  faisons  aussi  de  même  ici  physique- 
ment. Si  vous  n'avez  pas  reçu  phis  souvent  de  mes 
nouvelles,  ce  n'est  pas  assurément  oubli  des  absents: 
j'ai  été  tenté  vinyt  lois  de  commencer;  mais  toujours 
même  chose  triste  à  dire  et  qu'on  ne  peut  pas  mander. 
On  feroit  des  volumes  entiers,  et  il  resteroit  encore  bien 
des  choses  à  dire.  De  toutes  les  injustices  qui  se  lont, 


(1)  Papiers  de  famille  du  duc  de  Polijnac. 


350  LOUIS   XVI. 

j'espère  bien  que  vous  avez  pensé  qu'il  y  en  a  une  qui 
m*a  plus  peiné  que  toutes  celles  qui  me  regardent  per- 
sonnellement. «  Le  monde,  chère  Agnès,  est  une  étrange 
chose  ;  »  c'est  une  vérité  plus  que  jamais  à  présent,  et  il 
est  bien  difficile  de  se  défendre  d'une  misanthropie 
outrée.  Les  amis  sont  fous  et  imbéciles  et  font  toutes 
sortes  de  sottises,  et  les  ennemis  toujours  plus  mé- 
chants (1).  Comment  peut-on  avoir  de  ces  derniers 
quand  on  n'ajamais  cherché  que  le  bien  de  tous?  Votre 
amie  est  toujours  la  même ,  mais  toujours  en  butte  aux 
passions  et  aux  injustices  de  tous  les  côtés.  Votre  jeune 
ami  me  donne  de  l'inquiétude  :  on  le  dit  engagé  dans  un 
voyage  au  moins  bien  prématuré  et  qui  pourroit  tour- 
ner d'une  manière  funeste  pour  bien  du  monde,  et  ce 
n'est  certainement  pas  de  Venise  que  le  conseil  lui  en 
a  été  donné.  Bonsoir,  Madame,  j'espère  que  vous  ne 
doutez  pas  que,  dans  quelque  position  qu'on  se  trouve, 
on  n'oublie  pas  ses  anciens  amis. 


(1)  Mallieiireuse  cour  qui  iravait  en  effet  que  des  amis  inutiles, 
inintelli{;ciits  et  danj;ereux,  et  don  ennemis  ai  nrd<*nrs,  si  persévr-rants, 
si  féroces,  si  habiles  à  faire  triompher  l(>ur  liainc!  La  force  appelle  la 
force  :  ne  dirait-on  pas  que  Tinfortuné  Louis  XVÎ,  héroïque  et  mar- 
tyr, fût  trop  faible  pour  ne  pas  déconcerter  les  forts,  s'il  en  eût  eu 
autour  de  lui? 


LE   ROI   DE   SUEDE   GUSTAVE    III.  351 


DXXXVIII 

LETTRE  UU  ROI  DE  SrÈDE,  GUSTAVE  Ilï ,  AU  BARON 

DE  BRETEUIL  (1). 

Sentiments  que  lui  a  toujours  inspirés  le  sort  de  la  famille  royale  de 
France,  —  Le  rétahlissement  de  la  paix  lui  permet  de  nonger  à 
porter  secours  au  petit-fils  de  Louis  XV.  —  Il  charge  le  comte  de 
Barck  de  s'enteudn;  avec  M.  de  Rreteuil. —  Il  offre  une  intervention 
armée.  —  Coopératitm  éventuelle  de  la  Russie.  —  Conditions  qu'il 
met  à  l'envoi  des  troupes.  —  Demande  de  subsides.  —  L'Espagne 
fournira  l'argent  nécessaire.  —  Son  prochain  départ  pour  Aix-la- 
Chapelle,  où  il  sera  h  portée  des  événements.  —  Le  Roi  de  France 
doit  s  abstenir  d'entrer  en  négociaiicni  avec  ses  sujets,  mais  recou- 
vrer la  plénitude  de  son  ancienne  autorité. 

Ha(ja,  ce  17  mai  1701. 

Monsieur  le  Baron  de  Breteui],  si  je  n'ai  pas  plus 
tôt  répondu  à  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  le  plaisir  de 
m  écrire  sur  la  paix,  c*est  la  difficulté  de  vous  la  faire 
parvenir  en  sûreté.  Vous  me  rendez  trop  de  justice  pour 
douter  que  je  n*aie  suivi  les  différents  événements  qui 
ont  marqué  ces  dernières  années  avec  Tintérét  que  la 


(1)  Minute  conservée  aux  Archives  des  Affaires  Etrangères  de  Suède. 

Cette  lettre  et  la  réponse  du  baron  de  Rreteuil  seraient  assez  pro- 
pres à  infliquer  que  le  chevalen>sque  dessein  de  combattre  la  Révo- 
lution franc^aise  aurait  été  (pielque  peu,  chez  le  Roi  de  Suède,  mélange 
ïlu  désir  d'oblenir  des  subsides,  sons  prétexte  de  payer  des  troupes. 
Ce  sou[ieon  était  venu  h  l'esprit  de  M.  de  Montmorin,  et  il  l'a  exprimé 
nettement  dans  une  lettre  à  M.  de  La  Marck,  en  date  du  19  avril  1792. 
Voir  la  C<>n't"ipuinlance  entre  Miralwau  et  le  n>mte  de  La  Marck  y 
publiée  par  M.  de  Raeourt,  t.  III,  p.  302.  —  La  lettre  écrite  par  ce 
Prince,  le  9  juillet  1791,  nu  laisse  plus  aucun  doute  à  cet  égard. 


:ri2  LE    ROI    DE    SUÈDE    GUSTAVE    IIJ. 

plus  ancienne  et  la  plus  lonjfue  alliance  cpii  a  jamais 
uni  deux  Étals  avoit  droit  de  ni'inspirer,  et  les  senti- 
ments personnels  que  je  vous  ai  depuis  si  longtemps 
portés,  m'ont  fait  sentir  vos  peines;  et  ce  sentiment  m'a 
fait  éprouver  de  la  douleur  en  voyant  vos  malheurs, 
.l'ai  senti  aussi  de  la  satisfaction  en  voyant  la  constance 
avec  laquelle  vous  les  supportiez,  et  la  fidélité  inébran- 
lable que  vous  avez  {jardée  à  votre  Souverain,  h  su 
malliQureuse  famille  et  à  la  véritable  Constitution  de 
votre  pays  ;  et  dans  ces  funestes  moments,  je  n'ai  point 
oublié  ni  les  devoirs  de  l'amitié,  ni  ceux  avec  les«[uels 
la  reconnoissance  m'attache  au  sang  de  Louis  XV. 
Environné  moi-même  d'ennemis,  ayant  également  à 
combattre  les  forces  de  l'Empire  de  Russie  et  l'hydre 
renaissante  de  l'anarchie  et  de  la  licence,  je  n'ai  pu  tpie 
suivre  avec  mes  vœux  et  que  donner  des  regrets  aux 
différents  événements  qui  ont  plongé  la  France  dans 
l'anarchie  affreuse  où  elle  se  trouve,  en  renversant  le 
trône  le  plus  affermi  et  en  détruisant  l'ordre  et  les  lois. 
J 'ai  cependant  témoigné  au  Roi  et  à  la  Reine  de  France, 
en  plusieurs  occasions,  l'intérêt  que  je  prenois  à  leur 
situation,  et  je  n'ai  point  souffeit  que  les  François  éta- 
blis dans  mon  pays  ou  à  mon  service  prissent  une  part 
ostensible  à  la  révolte  de  France.  Voilà  tout  ce  que  je 
|)ouvois  faire  tandis  qu'occupé  moi-même,  le  sort  de 
mon  pays,  le  mien  et  celui  de  ma  famille,  étoient  incer- 
tains. La  paix  ayant  affermi  tout  mon  ouvrage,  je  n'ai 
pas  perdu  un  moment  pour  m'occuper  des  moyens  de 
venir  au  secours  de  mon  ancien  allié  et  du  petit-fils  de 
Louis  XV;  et  tandis  que  les  puissances  liées  par  le  sang 
et  la  proximité  avec  votre  maison  rovale  paroissoieiit 


LE   ROI   DE   SUÈDE  GUSTAVE  III.  353 

1  abandonner  a  son  sort,  j'ai  regarde  comme  un  devoir 
sacré  de  tout  employer  pourrons  aider.  J'ai  fait  assurer 
Leurs  Majestés  Très-Chrétiennes  de  mes  intentions  par 
un  canal  que  vous  connoissez;   et  ayant  appris  par 
ce  même  canal  (]ue  Vous  étiez  chargé  des  négociations 
étrangères,   et  que  vous  jouissiez  de  toute  l'étendue 
de  leur  confiance  (que  vous  méritez  à  si  juste  titre),  j'ai 
cru  devoir,  sans  perdre  de  temps,  m'adresser  à  vous 
pour  vous  faire  connoitre  mes  sentiments  et  ce  que  je 
suis  intentionné  d'entreprendre.  Je  vous  envoie,  à  cet 
effet,  le  comte  de  Barck ,  employé  dans  le  bureau  des 
Affaires  Étrangères,  fils  de  mon  ministre  à  Vienne,  et 
c|ue  vous  y  avez  connu  dans  sa  plus  grande  jeunesse. 
^^a  prudence,  sa  fidélité  et  son  zèle  m'étant  connus,  je 
l'ai  choisi  pour  cette  commission  aussi  importante  que 
délicate,  et  vous  pouvez  lui  confier  ce  que  vous  crain- 
drez d'écrire.  J'offre  au  Roi  de  France  pour  le  rétablir 
ma  personne,  ses  mil  (7000)  hommes  de  bonnes  troupes 
suédoises,  aguerries  par  la  guerre  qu'ils  viennent  de 
faire  ;  six  vaisseaux  de  guerre ,  et  plus  s'il  le  faut.  A 
ces  forces,  je  me  flatte  de  pouvoir  joindre  au  moins  la 
moitié  de  troupes  russes,  si  je  parviens  à  écarter  les 
obstacles  <]ui  arrêtent  la  conclusion  de  l'alliance  avec 
l'Impératrice,  qui  se  négocie  ici,  et  qui,  lorsque  chacun 
cédera  un  peu  de  ses  prétentions  récipro(|ues ,  s'achè- 
vera selon  toute  apparence.  J'exige,  d«mon  côté,  qu'on 
me  fournisse  l'argent  nécessaire  pour  l'entretien  et  le 
transport  de  ces  troupes  ;  le  commandement  général 
illimité  où  je  me  trouverai  en  personne,  et  où  un  autre 
Roi  ne    se  trouvera  pas  ;  et  l'assurance  formelle  du 
renouvellement  des  alliances  anciennes  après  la  restau- 

TOME   III.  23 


85*  LE  ROI  DE  SUÉDE  GUSTAVE  III. 

ration  du  Roi  de  France ,  nommément  de  celle  signée 
entre  le  Roi  de  France  et  moi,  à  Paris,  le  19  juillet 
1784,  et  celle  signée  le  l*' juin  de  la  même  année,  avec 
Taug^entation  des  subsides,  au  moins  jusqu'à  la  somme 
de  trois  millions  de  livres.  Je  sens  bien  que  le  secours 
d'argent  nécessaire  dans  ce.  moment  est  difficile,  tu  la 
position  du  Roi  de  France ,  et  si  je  ne  venois  de  termi- 
ner u*ne  guerre  onéreuse ,  si  mes  ressources  le  permet- 
toient,  si  enfin  l'impossibilité  vraie  ne  s'y  opposoit,  je 
me  ferois  une  gloire  de  tout  faire  pour  vous ,  sans  rien 
vous  demander ,  et  de  renouveler  ces  nobles  et  anciens 
exemples  de  la  loyauté,  de  la  chevalerie  qui  prescrivoit 
aux  guerriers  le  devoir  si  juste  de  secourir  les  princes 
malheureux  et  opprimés.  Mais  vous  avez  vous-même 
été  en  Suède;  et  quoique  j'aie  déployé,  pendant  cette 
dernière  époque,  des  ressources  inconnues,  vous  con- 
noissez  celles  du  pays  que  je  gouverne ,  et  vous  pouvez 
vous-même  juger  par  les  efforts  que  nous  venons  de 
faire,  les  ressources  qui  nous  restent  pour  de  nouveaux 
efforts.  Mais  si  l'Espagne  s'intéresse,  comme  elle  le  doit, 
à  vos  malheurs,  et  si  elle  souhaite  sincèrement  votre 
salut,  elle  peut  suppléer  par  son  argent  au  seul  obstacle 
qui  peut  m'empêcher  de  venir  à  votre  aide.  Vous  con- 
noissez  ses  dispositions,  et  c'est  sur  elles  que  vous  pou- 
vez me  répondre.  Je  ne  crois  point  qu'il  seroit  utile  e\ 
avantageux  pour  votre  cause  que  les  Espagnols  à  mai 
armée  vinssent  a  votre  secours.  L'ancienne  animosit 
entre  les  deux  nations  se  renouvelleroit,  et  les  rdi^efle^ 
de  Paris  rappelleroient  des  anciennes  époques  que  1=^ 
possession  du  trône  d'Espagne  par  des  princes  de 
maison  de  Bourbon  ont  (sic)  eflacc,  mais  que  Tespi 


LE  ROI   DE  SUÈDE  GUSTAVE  ÏII.  355 

€ie  vertige  du  peuple  rendroit  redoutable.  Le  nom 
suédois,  au  contraire,  n'a  rien  d'odieux  aux  oreilles 
irançoises  :  une  longue  union,  des  armées  souvent 
combinées  et  des  victoires  communes,  nous  ont  presque 
"naturalisés  François.  Et  l'ambition  de  restaurer  votre 
monarchie,  jointe  au  réel  intérêt  de  la  Suède  de  rendre 
la  vie  et  de  recréer  (si  je  puis  me  servir  de  cette  expres- 
sion) son  ancien  allié,  étant  la  seule  qui  peut  nous 
guider,  le  Roi  de  France  n'aura  pas  à  craindre  nos  suc- 
cès, comme  il  pourroit  avoir  peut-être  raison  de  redou- 
ter les  secours  de  sujets  trop  puissants  et  de  voisins 
intéressés.  Si  on  accepte  mes  secours ,  et  si  vous  avez 
quelque  porta  votre  disposition,  je  souhaite  de  le  savoir 
pour  y  diriger  le  débarquement  de  mes  troupes,  y  éta- 
blir ma  place  d'armes  et  le  dépôt  d*où  je  renforcerai 
mon  armée  par  la  mer.  C'est  sur  tous  ces  points  que  je 
souhaite  d'avoir  vos  éclaircissements.  En  attendant,  je 
vais  me  rendre  à  Aix-la-Chapelle,  où  ma  santé  exige 
que  je  prenne  les  eaux.  J'y  serai  à  portée  des  événe- 
ments :  j'y  pourrai  négocier  avec  les  princes  d'Alle- 
magne, dont  les  droits  lésés  parles  rebelles  de  l'Assem- 
blée (qui  se  tient  aux  Tuileries),  exigent  la  protection 
des  lois  de  l'Empire,  dont  je  suis  le  garant.  J'y  pourrai 
avoir  de  vos  nouvelles,  et  prendre  définitivement  mes 
dernières  résolutions.  En  attendant,  j'ai  tout  préparé 
pour  l'expédition  projetée,  et  je  laisse,  en  partant,  les 
ordres  les  plus  détaillés,  cachetés,  pour  que  rien  ne 
retarde  une  entreprise  de  laquelle  dépendra  le  salut 
d'un  grand  peuple,  d'un  Roi  le  plus  ancien  allié  de 
mon  pays,  et  d'une  princesse  dont  le  courage  et  le  cou- 
rage {sic)  inspireroient,  même  à  ses  ennemis,  l'intérêt 

23. 


rffi 


A^ 


o\ 


^^ 


ce  *«^* 


itO® 


^oc  9«^^^*  ....  Vot*»^  „,,vces 


S'O' 


^o& 


i 


^'"'"'^iàe^''*'  --A^^* 


d\6' 


«e 


outC°°^' 


V 
6' 


G««« 


„v«.- 


at^e 


ct»6«ô'  .  etv 


o'*^ 


o»sS«^-    ,^,-,cV5?"-.    A^e 


scs 


sûy 


et 
6' 


Itt^ 


:vv« 


tXétv 


'.ciexi« 


\Ȃ 


téÇ' 


no 


l^t 


\e 


iCCO 


,ttV^« 


^''*.ces'\^^\.ç,»toV«-^^^V 


se  ^«^^  avec  *°'- 


\«ï« 


Àotvt 


ijO«* 


•«o»' 


AçCt 


to^s 


set 


M* 


L'EMPEREUR  LEOPOLD  II.  35T 


DXXXIX 

•EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOECU  MARIE^HRISTLNE  (1). 

rrivée  «ul>ite  *c)ii  Comte  d'Artoin  venaut  «olliriter  don  troupcn  pour 
marcher  î m iiicclin cément  sur  la  France.  —  I/Eiu|Mrreur  se  montre- 
rait satisfait  de  la  tournure  des  afTaires  du  Brabant  et  leit  croirait 
en  bonne  voie  si  celles  de  France  s'aplanissaient. 

Mantouc,  18  mai  1791. 

Très-chère  Sœur,  j  ai  reçu  à  lu  fois  toutes  vos  lettres 
J)ar  la  poste  et  par  le  courrier  Strauss,  et  vous  en  suis 
infiniment  oblige.  Je  viens  de  le  recevoir  au  moment 
<f}ie  j'allois  partir  pour  la  Bohême,  ayant  dû  retarder 
<le  deux  jours  mon  départ,  vu  l'arrivée  du  comte  d'Ar- 
tois ici,  subite  et  imprévue,  qui  veut  des  troupes,  mar- 
cher en  France  et  déclarer  Régent  Monsieur.  Il  vient 
aussi  à  Dresde  et  Pilnitz,  et  je  ne  comprends  pas  ce  qu'il 
veut,  et  ne  crois  pas  que  les  choses  pourront  aller  aussi 
vite  qu'il  le  croit.  J'ai  eu  en  même  temps  les  lettres  du 
comte  de  Mercy  bien  intéressantes  sur  les  affaires  de^ 
France.  Quant  à  mes  lettres,  surtout  par  les  courriers, 
si  vous  ne  les  recevez  pas  exactement,  ne  vous  en 
étonnez  pas,  car  jamais  on  n'a  la  bonté  de  m'avertir 
quand  on  les  expédie.  Je  ne  sais  pas  pourquoi,  mais 
j'y  mettrai  ordre  pour  l'avenir. 

Pour  votre  chancellerie  particulière,  je  suis  à  présent 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Imjtériale  et  Royale  rArcliiduc  Albert 
d'Autriche. 


358  L  EMPEREUR  LÉOPOLD  II. 

entièrement  persuadé  par  ce  que  vous  m  écrivez,  qu^elIe 
vous  est  nécessaire  et  n'y  vois  plus  la  moindre  difficulté, 
et  vous  enverrai  dans  les  formes,  par  le  département, 
l'expédition  en  conséquence. 

Pour  mon  fils  Charles,  je  suis  bien  sensible  à  l'inté- 
rêt que  vous  prenez  à  tout  ce  qui  le  regarde.  Il  est  parti 
aujourd'hui  pour  faire  le  tour  des  forteresses  en  Bohême. 
Moi  je  pars  demain,  et  nous  nous  retrouverons  ensemble 
le  29  à  Theresienstadt. 

Je  suis  très-charmé  que  les  inau([urations  se  soient 
en  général  bien  passées,  et  vois  que  les  États  de  Bra- 
bant  et  ce  Conseil  sont  les  articles  les  plus  durs  encore 
à  terminer.  J'ai  pourtant  vu  avec  bien  du  plaisir  que  le 
langage  conséquent  et  ferme  que  vous  leur  avez  tenu 
les  a  mis  dans  leur  tort,  et  je  me  flatte  que  cette  afliûre, 
en  tenant  ferme,  finira  de  même  heureusement.  Je  vois 
bien  encore  la  disposition  dans  laquelle  sont  les  esprits, 
surtout  dans  les  villes  chez  vous.  Mais  je  me  flatte  que 
peu  à  peu  cela  finira,  et  surtout  si  on  met  la  main  aux 
affaires  de  France  tout  de  bon,  et  si  elles  finissent  une 
bonne  fois  d'être  dans  la  crise  présente.  Je  vous  em- 
brasse tendrement  et  suis. 

Marquez-moi,  je  vous  prie,  si  la  désertion  est  si  con- 
sidérable dans  les  troupes  qu'on  le  dit,  et  quels  sont  les 
régiments,  les  Hongrois,  Allemands  ou  Wallons,  qui  en 
ont  le  plus. 


MADAME  ELISABETH.  359 


DXL 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Ile  remercie  M.  de  Bomhclles  clt*  ce  (|iril  a  fait  j>our  servir  les  intcrêts 
que  dirige  le  Comte  dWrtoid.  II  n*n  pas  été  agréé,  mais  sum  dévoue- 
ment sera  apprécié  pins  tard.  —  Paris  est  tranqiiille,  mais  il  .y  i 
manque  absolu  d'argent. 

Ce  20  mai  1791. 

J'attends  tous  les  jours ,  ma  Bombe ,  les  nouvelles  de 
la  santé  que  tu  me  promets;  mais  je  conçois  que  tu 
n'aies  pas  eu  le  temps  de  m'en  donner  encore.  J'en 
ai  reçu  de  quelqu'un  qui  te  touche  (1)   qui  ne  m'ont 
fait  nul  plaisir,  mais  ce  n'est  pas  sa  faute.  Remercie-le 
de  son  zèle,  de  tout  l'attachement  qu'il  continue  à  mon- 
trer; dis-lui  que  je  suis  affligée  des  mauvais  tours  qui  lui 
ont  été  joués  ;  mais  que  la  justice  qu'il  rend  au  cœur  et  à 
la  droiture  de  mon  ami  (2)  doit  l'engager,  si  l'occasion 
se  présentoit  encore,  à  lui  continuer  ses  soins,  comme 
il  le  dit  lui-même.  On  lui  rendra  justice  par  la  suite, 
et  si  un  peu  de  raison  ne  plait  pas  lorsque  l'on  est 
bien  jeune ,  l'expérience  et  le  temps  en  font  sentir 
la  nécessité.   Attendons  tout  de  lui  ;  j'espère  que  cette 
bonne  Providence,  en  qui  tu  as  toute  confiance,  nous 
reffardera  en  pitié.  Elle  n'abandonnera  pas  le  clergé, 
qui  est  si   fidèle  et  si   courageux  ;  elle  ne  permettra 
pas  que  les  sacrilèges  se  perpétuent,   et  Dieu  tirera  sa 


(1)  «  M.  de  Bombellcs.  »  (Sote  de  lui-même,) 
[^)  Le  Comte  d'Artois. 


a(H)  GUSTAVE  III. 

gloire  du  profond  abaissement  où  il  semble  s'ensevelir 
à  présent. 

Ta  mère  se  porte  bien,  tout  ce  qui  t'intéresse  aussi. 
Paris  est  tranquille,  à  l'exception  du  miuique  total  d'ar- 
gent. Il  est  à  un  prix  fou,  et  je  ne  sais  pas  trop  com- 
ment on  fera  pour  se  tirer  de  cette  crise.  M.  Camus 
nous  a  annoncé  que  le  mois  prochain  on  présenteroit 
une  ressource;  il  faut  l'attendre  avec  patience.  Porte-toi 
bien,  ma  Bombe  ;  tâche  de  vivre  en  paix.  Que  ton  mari 
ne  songe  qu'à  ménager  sa  vie  pour  ses  enfants,  qui  en 
ont  tant  de  besoin  ;  aime-moi  toujours;  voilà  toutes  les 
recommandations  les  plus  chères  à  mon  cœur  que  je 
puisse  te  faire.  Je  t'embrasse  et  t'aime  tendrement. 


DXLI 

LETTRE  DU  ROI  GUSTAVE  III  AU  COMTE  D'ARTOIS  (1). 

Protestations  de  dévoilement  à  la  Couronne  de  France,  la  pins  aneîciuie 
alliée  de  la  Suède.  —  Pnidenre  a  mettre  dans  leit  déinnrelies  vis-à- 
vis  de  la  France,  pour  ne  pas  connnettrc  Louis  XVI  et  sa  famille. 

Ilaga,  ce  20  mai  1701. 

Monsieur  mon  Frère,  la  lettre  de  Votre  Altesse 
Royale  du  8  avril  ne  m'a  été  remise  que  mardi  der- 
nier 17  mai.  J'v  vois  avec  bien  de  la  satisfaction 
que  vous    y  rendez  justice  .  à  l'intérêt  constant    <|ue 


(1)  Minute    auto{;raplie    existant  aux    Archives    du   Ministère  des 
Affaires  Etrangères  de  Suède. 


GUSTAVE   III.  361 

je  prends  à  tout  ce  qui  touche  le  Roi  votre  Frère, 
et  la  France,  la  plus  ancienne  alliée  de  la  Suède. 
L.es  sentiments  personnels  que  je  porte  à  Votre  Altesse 
Hoyale  y  ajoutent  un  nouveau  degré,  et  c'est  aussi 
avec  bien  de  la  satisfaction  que  je  puis  lui  dire  que 
j'avois  déjà  prévenu  ses  désirs  et  que  le  baron  de 
Brentano  m'ayant  instruit  qu'il  se  trouvoit  une 
personne  à  Constantinople  que  vous  auriez  chargée 
d'y  négocier,  je  lui  ai  donné,  dès  le  mois  de  janvier, 
les  ordres  les  plus  positifs  pour  seconder  vos  vues. 
Je  viens  de  les  renouveler  encore.  Je  souhaite  que 
les  embarras  accumulés  de  la  Porte ,  et  l'influence 
de  certains  ministres  qui  y  intriguent,  ne  mettent 
obstacle  h  cette  négociation.  J'apprécie,  comme  je 
le  dois,  la  délicatesse  que  vous  avez  bien  voulu 
observer  avec  moi  pendant  qu'embarrassé  dans  la 
guerre  que  je  viens  de  terminer,  je  n'ai  pu  porter 
mon  attention  aux  objets  qui  intéressent  autant  mon 
cœur  que  la  cause  de  tous  les  Rois,  et  l'existence 
d'une  monarchie  l'amie  naturelle  de  ma  patrie. 
Mais  j'ai  cependant  suivi  avec  un  véritable  intérêt 
la  courageuse  fermeté  avec  laquelle  vous  avez  persisté 
à  rester  expatrié  plutôt  que  de  fléchir  devant  les 
factieux  en  rentrant  dans  votre  patrie.  Vous  en 
êtes  aussi  l'unique  espoir,  tant  que  durera  la  captivité 
du  Roi  et  de  ses  enfants;  et  l'histoire  de  votre 
maison  vous  fournit  plus  d'un  exemple  de  Princes 
qui,  réfugiés  comme  vous,  ne  sont  sortis  de  leur 
retraite  que  pour  relever  la  monarchie  et  lui  donner 
un  nouvel  éclat.  Je  ne  doute  pas  que  les  troubles 
qui  la  déchirent  aujourd'hui  ne  se  terminent  un  jour 


36Î  GUSTAVE  III. 

ainsi  ;  mais  je  crois  qu'il  est  de  la  plus  haute  prudence 
de  ne  point  faire  ni  de  foihics  efforts  ni  des  efibrts 
précipités.  Je  puis  vous  assurer  que  vos  amis  ne 
s'endorment  pas,  mais  qu'ils  craignent  de  commettre 
des  têtes  précieuses.  Garant  du  traité  de  Westphalie, 
Prince  de  l'Empire  moi-même,  et  intéresse  par 
tant  de  titres  au  maintien  des  libertés  et  des  droits 
de  l'Empire  germanique,  je  n'abandonnerai  cer- 
tainement pas  les  Princes  de  l'Empire,  lorsque  je 
verrai  une  réunion  et  un  ensemble  qui  a  presque 
toujours  manqué  au  Corps  germanique,  et  Votre 
Altesse  Royale  peut  être  persuadée  que  je  ne  perds 
pas  ces  objets  de  vue;  mais  j'ose  l'exhorter  de  mettre 
la  plus  grande  prudence  et  la  plus  imperturbable 
discrétion  dans  toutes  ses  démarches ,  avant  que 
le  vrai  moment  soit  arrivé.  Heureux  si  je  pourrois 
alors  vous  convaincre  de  tous  les  sentiments  avec 
lesquels  je   suis ,    monsieur  mon  Frère , 

de  Votre  Altesse  Royale , 
le  bon  Frère  et  ami , 

Gustave. 


Ma  santé  me  force  à  faire  un  voyage  à  Aix-la-Chapelle, 
où  je  serai  tout  le  mois  de  juin. 


MADAME   ELISARETIL  363 


DXLII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

^émigration  de  ses  amis  a  été  si  coiisirléraMc ,  qirdlc  est  effrayée  du 
nombre  de  lettres  qu^elle  en  n  rcçiic^i  et  dvA  réponses  qu^elle  a  ù 
faire.  —  Livre  de  Burke  sur  la  Révolution  ^nraise.  —  On  a  voulu 
dire  de^*  messes  aux  Tbéatius.  L'autel  a  été  renversé,  et  La  Fayette 
et  Bailly  ont  dti  intervenir. 

Ce  i  juin  1791. 

Je  crois  y  ma  Bombe,  qu'il, y  u  longtemps  que  je  ne 
'l'ai  écrit.  Je  t'en  demande  bien  pardon  ;  mais  c'est  un 
jpeix  la  faute  du  temps,  qui  m'a  manqué.  J'ai  compté 
l'autre  jour  combien  j'avois  de  lettres  à  écrire  aux  gens 
absents  que  je  connois.  J'en  ai  plus  de  dix-liuit.  As-tu 
jamais  vu  une  désertion  pareille?  Il  y  a  de  quoi  effarou- 
cher pour  la  position  de  notre  pays ,  si  bien  d'autres 
choses  n'effarouchoient  pas  déjà  beaucoup.  Au  reste,  ma 
petite  Bombe,  j'ai  eu  beau  mettre  mille  lunettes  près 
de  mes  yeux,  il  m'a  été  impossible  de  lire  ta  lettre';  ton 
écriture  étoit  trop  mauvaise,  car  pour  ton  style,  je 
n'oserois  l'attaquer.  A  la  longue  pourtant,  j'en  viendrai 
peut-être  à  bout;  heureusement  que  cela  n'étoit,  j'es- 
père, pas  pressé.  Restes-tu  encore  quelque  temps  à 
Stuttgard,  ou  bien  es-tu  déjà  partie  pour  ton  vieux  châ- 
teau? Je  voudrois  bien  que  tu  pu  [pusses]  décider  la 
petite  à  te  suivre,  car  cela  lui  feroit  du  bien  d'être  avec 
toi.  Je  suis  bien  fâchée  de  ce  que  tu  me  mandes  d'Ar- 
mand ;  il  seroit  affreux  pour  ta  petite  belle-sœur  de  le 
perdre  encore.  J'espère  que  Dieu  ne  lui  réserve  pas  cette 


\ 


364  MADAME   ELISABETH. 

nouvelle  épreuve.  Tu  ne  me  mandes  pas  si  Annette  est 
forte  et  gentille.  Je  suis  bien  aise  de  ce  que  tu  me  mandes 
de  ton  frère  :  j  *uurois  été  éton  née  que  cela  fut  autrement. 
Ce  n'est  point  par  ce  pûys-ci  que  j'avoîs  eu  la  nouvelle 
contraire ,  mais  par  des  voyageurs  qui  ne  tiennent  en 
rien  au  grand  qu'il  a  été  dans  le  cas  de  voir.  Ainsi ,  je 
crois  que  tu  feras  bien  de  l'engager  à  y  prendre  garde, 
sans  lui  dire  pourtant  d'où  tu  tiens  cela. 

D'après  ce  que  l'on  me  mande,  Vitry,  il  me  semble 
que  l'oncle  de  ta  petite  protégée  a  lieu  d'être  satisfait, 
et  j'en  suis  ravie,  car  il  mérite  d'être  heureux.  Tu  me 
mandes  que  tu  as  été  contente  de  M.  Burke  ;  quelle 
édition  as-tn  lue?  Mande-le-moi,  pour  que  je  sache  si 
nous  avons  lu  la  même;  et  puis  ne  l'as-tu  pas  lue  en 
anglais?  cela  me  désappointeroit,  car  tu  sais  bien  que 
ma  science  dans  cette  langue  n'est  pas  forte  (1). 


(1)  Edinoiid  Riirkc  »e  prononça  avec  une  extrême  rivacicé  contre  la 
réToliicion  franrni.He  dès  son  ori{pnn.  La  première  occasion  qu*il  eut  de 
faire  éclater  sa  haine  pour  cette  grande  subversion  |M>litique  eut  lieu 
dans  la  Cliauihro  des  Gcunmunes,  en  février  1790,  contre  Fox,  qui 
voulait  qu'on  témoi{|n:it  une  noble  conKance  dans  les  nouveaux  régu- 
lateurs de  la  France.  Toutes  ses  colères  contre  les  théories  françaises , 
qu'adoptaient  alors  un  grand  noinl>re  d* Anglais,  se  résumèrent  dans  ses 
Réflexions  sur  la  Révolution  /ratiçttise ,  qnW  publia  en  octobre  1790. 
Peu  de  livres  produisirent  une  égale  sensation.  Son  horreur  toujours 
croissante  pour  cette  ré%'olution   était  devenue  la  passion  dominante 
de  sa  vie.  Les  insultes  dt>nt  on  alireuvait  la  noble  Marie- Antoinette 
excitaient  particulièrement  chez  lui  la  plus  violante  révolte,  et- il  rap- 
pelait avec  une  sorte  de  lyrisme  le  temps  où  il  Tavait  vue,  h  Taurore 
de  son  règne,  planant  sur  Thorizon,  faisant  à  la  fois  Tornement  et  la. 
gloire  de  la   sjilière  élevée  oti    elle   venait   de   s'asseoir;    élincchmte 
comme  l'étoile  du  matin,  toute  pleine  et  de  vie  et  de  splendeur  et 
joie  :  «  I  saw  hcr  just  abovc  the  horizon ,  decorating  and  cheering  tk< 
elevated  sphère,  shc  just  began  to  move  in,  glitlering  like  the  momiik 
star,  full  of  life,  and  splcndor,  and  joy.  • 


LE  BARON  DE  BRETEUIL.  365 

Jeudi,  on  a  voulu  ouvrir  les  Théatins  ;  on  y  a  dit  des 
messes;  mais,  après  la  dernière,  les  brigands  ont  ren- 
versé Tautel.  M.  de  La  Fayette  et  M.  Uailly  ont  assisté 
à  vêpres  pour  qu*il  ne  s*y  passe  rien  de  mal..  En  efFet, 
à  l'exception  de  propos  indignes,  cela  a  été  a^sez  tran- 
quille. Mais  après,  on  a  arraché  Tinscription  qui  promet 
paix  et  liberté,  et  on  Ta  brûlée  à  la  porte.  Heureuse- 
ment tout  étoit  fermé,  et  il  n*y  a  point  eu  de  nouveaux 
sacrilèges.  Adieu,  mon  cœur,  je  vous  aime  et  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur.  Dis  bien  des  choses  à  la  petite. 
Sais-tu  que  Raigecourt  est  enfin  accouchée  d'une  petite 
fille,  de  la  manière  la  plus  heureuse? 


DXLIII 

LE  BARON  DE  BBETEUIL  AU  ROI  DE  SUÉDE  (1). 

Il  convient  que  GiisCave  III  njonrne  mes  pmjrtt  d'intervention.  — 
Toute  (lémnrrhe  prématurée  compromettrait  la  siireté  du  Roi  de 
France.  —  Les  conditions  fKMées  par  la  Suède  sont  d'ailleurs  accep- 
tées. —  On  négociera  avec  l'Espagne  pour  eu  obtenir  un  secours 
d'argent,  mais  on  ne  saurtit  compter  sur  un  prompt  résultat  de  ces 
démarches.  —  Il  met  le  Roi  de  Suède  en  garde  contre  l'indiscrétion 
des  Franc;ais  de  Spa.  —  Louis  XVI  n'a  jamais  songé  sérieusement 
h  transiger  avec  ses  sujets  sur  aucune  de  ses  prérogatives  royales. 

Soleil re,  le  9  juin  1791. 
Sire, 

M.  le  comte  de  Barck  m*a  remis  hier  au  soir  la  lettre 
dont  il  a  plu  a  Votre  Majesté  de  m'honorer  le  1 7  du 

(1)  L'original,  entièrement  autographe,  est  conservé  au  Ministère 
des  Affaires  Etrangères,  à  Stockliolm. 

Le  marquis  de  Bouille  dit  dans  ses  Mémoires,  qu'après  sa  sortie  de 


î)t 


toii- 


iOS 


de»* 


ans- O'' '"■   'd'aussi  6f*^Lté 
^'oas9^6^"    pt>ovif^^        -néttéA'^^       pttoo»^®°;^_ 


Sif® 


at»» 


au8s\  V 


ses 


to» 


\h*«^" 


L 


îa\t« 


Sir« 


Site,  *         ^^^ 


dao* 


aU 


ni 


a>" 


el^ 


'',    Ut^otv  ou  se  ieioa«^      ^^  ,^.  en 

dans  \a  V°        ^«it  ^«^     ^^^re  a*^^^*  ^x\e  a«^*  '^L 

!^^t\es*°*     ,u\onsV«*'    rsAe90«V^"Lt  des- 

<^^^  técV*^^^'  ^esn^or-^ '^ents  ^e ^o^^^^^e 
\p  dto^^      ,,  ,tr  oXï>^'  V  tares  ^^  «qv  «^^ 

.^  Vous»-" 


i\A«* 


,ïV\eur-; 
effort  ^'.sen 


dcso^ 


de 


focûe^^ 


des 


\es 


V\  Vit 


G^ 


ûrer 


^. 


àe 


Vra 


xvce. 


et 


^'''*";^v  1-  *^ 


leM-"' 


(^O»»»^^ 


Je 


Ma»i<ï*''*' 


(1^ 


*Cc 


LE  BARON  DE  BUETEUIL.  367 

'Votre  amitié  au{][menteroient  également  ses  entraves  et 
SCS  dangers.  J'espère  que  nous  touchons  au  terme  des 
^mms  et  des  autres  ;  mais  il  faut  y  être  arrivé  avant  de 
pouvoir  se  livrer  à  la  plupart  des   mesures  les  plus 
importantes,  les  plus  désirables  et  même  les  plus  néces- 
saires. Une  position  aussi  hérissée  de  difficultés,  qui 
toutes  présentent  des  précipices  affreux,  ne  s*est  jamais 
rencontrée.   Le  coup  d'œil   de  Votre  Majesté  jugera 
mieux  ces  cruels  embarras  que  je  ne  pourrois  les  lui 
décrire,  et  à  quel  point  ils  exigent  d'aller  à  pas  comptés 
dans  les  mesures  qui,  dans  le  cours  ordinaire  des  grandes 
affaires,  font  l'objet  de  la  plus  active  prévoyance. 

Vous  jugez.  Sire,  avec  vérité,  que  le  Roi  joint  à  tant 
d'obstacles  et  de  peines  celle  de  manquer  d'argent  ; 
tout  ce  que  nous  pouvons  espérer  est  d'en  rassembler 
assez  pour  faire  face  a  la  dépense  sans  préjudice  des 
premiers  pas  de  Sa  Majesté  à  la  tête  d'une  armée.  Ce 
n'est  que  dans  de  solides  succès  que  nous  comptons  en 
trouver  suffisamment,  tant  au  dedans  qu'au  dehors  du 
Royaume.  Le  Roi  sent  vivement,  Sire,  et  personne  n'est 
aussi  persuadé  que  moi ,  que  le  meilleur  emploi  qu'il 
pourra  faire  de  ses  ressources  pécuniaires  sera  de  les 
partager  avec  Votre  Majesté  pour  se  fortifier  de  sa  puis- 
sance, de  son  expérience  et  de  tout  ce  qu'Elle  suggé- 
reroit  à  ce  sentiment  si  touchant  pour  le  Roi  qui  vous 
porte,  Sire,  à  regarder  ses  intérêts  comme  les  vôtres, 
et  à  vouloir  les  conduire  à  un  succès  aussi  éclatant  et 
aussi  ferme  que  Votre  Majesté  a  su  mener  ses  affaires. 
Je  conçois  aisément,  Sire.,  qu'en,  offirant  avec  tant 
d'amitié  à  Sa  Majesté  tout  ce  qui  peut  dépendre  de 
vous  pour  l'aider  puissamment,  la  guerre  que  vous  avez 


368  LE  nAROiS   DE   BRETEUIL. 

terminée   si   glorieusement  vous  ait  ôté  les   moyens 
d'amener  une  armée  et  des  vaisseaux  au  secours  du 
Roi ,  comme  le  voudroient  vos  généreux  principes  ;  et 
le  Roi  est  trop  sensible  à  votre  amitié ,  trop  sûr  de  son 
étendue,  trop  désireux  de  la  suite  de  votre  bonheur, 
ainsi  que  de  votre  gloire,  pour  chercher  à  vous  engager 
à  des  démarches  en  sa  faveur  qui  pourroient  vous  jeter 
dans  une  gène  d'argent  capable  de  troubler  votre  repos. 
M.  le  comte  de  Barck  vous  dira,  Sire,  que  j'avois  prévu 
cette  nécessité  en  écrivant  en  Espagne,  afin  de  porter 
Sa  Majesté  Catholique  à  partager  assez  la  reconnois- 
sance  du  Roi  sur  la  rare  amitié  de  Votre  Majesté  pour 
nous  fournir  les  moyens  d'en  profiter.  Je  suivrai  cette 
négociation  avec  la  chaleur  que  les  intérêts  du  Roi 
demandent,  mais  les  distances  géograjihiques  sont  telles 
qu'il  faut  consommer  bien  du  temps  pour  obtenir  des 
résultats  do  Madrid,  qui  puissent  mettre  en  mouvement 
ceux  de  la  courageuse  volonté  de  Votre  Majesté  :  je 
vois  d'après  ce  calcul ,  avec  un  grand  chagrin ,  que  le 
Roi  ne  peut  se  flatter  de  pouvoir  en  réclamer  les  utiles 
effets  aussi  promptement  que  son  intérêt  le  demanderoit. 

■ 

Nous  aurons  sans  doute,  peu  après  la  hberté  du  Roi, 
une  place  d'armes  et  un  port  à  ouvrir  aux  vaisseaux 
ainsi  qu'aux  troupes  de  Votre  Majesté,  et  de  ce  moment 
nous  pourrons  en  combiner  l'arrivée  comme  les  mou- 
vements. 

Les  autres  conditions  que  Votre  Majesté  met  au 
secours  de  sou  amitié  sont  trop  justes  pour  que  le  Roi 
ne  les  acceptât  pas  toutes  avec  empressement,  et  ne  les 
remplît  pas  avec  la  plus  scrupuleuse  exactitude,  comme 
avec  le  plus  grand  plaisir.  Nous  n'avons  rien  de  plus 


LE  BARON  DE   BRETEUIL.  360 

cher,  Sîre,  h  notre  système  politique,  que  la  plus  étroite 
alliance  avec  Votre  Majesté,  et  le  maintien  de  cette 
fraternité  des  deux  nations,  qui  les  a  accoutumées  à 
n'avoir  qu'un  intérêt  ;  je  me  flatte  que  Votre  Majesté 
est  bien  sûre  que  ce  ne  seroit  pas  au  milieu  de  la  con- 
fiance dont  le  Roi  m'honoreroit  que  ce  salutaire  prin- 
cipe foibliroit. 

Votre  Majesté  doit  trouver  un  grand  nombre  de 
François  à  Spa,  qui  ont  déjà  l'honneur  d'être  connus 
d'Ëlle.  La  plupart,  sans  doute,  méritent  l'honneur  de 
ses  bontés  ;  mais  je  n'en  prends  pas  moins  la  liberté  de 
supplier  Votre  Majesté  de  vouloir  bien  ne  se  laisser 
aller  avec  aucun  aux  ouvertures  de  sa  grande  âme,  sur 
la  manière  dont  Elle  envisage  les  malheurs  de  notre 
monarchie,  et  la  satisfaction  qu'Elle  trouveroit  à  con- 
tribuer au  rétablissement  de  sa  grandeur  :  l'Assemblée 
Nationale,  qui  a  sûrement  autant  d'espions  que  la  nation 
a  d'indiscrets,  seroit  bientôt  instruite  des  expressions 
de  l'intérêt  de  Votre  Majesté,  et  ne  pourroit  qu'en 
prendre  des  alarmes  propres  à  augmenter  sa  surveil- 
lance sur  le  Roi. 

La  connoissance  que  je  crois  avoir  des  Princes  de 
l'Empire  et  des  différents  personnages  qui  gouvernent 
leurs  affaires,  me  porte  à  penser  que  Votre  Majesté  ne 
rempliroit  pas  ses  bonnes  et  grandes  vues  en  faisant 
à  ces  Princes  l'honneur  de  s'arrêter  chez  eux.  M.  le 
comte  de  Barck  en  détaillera  davantage  mes  raisons  à 
Votre  Majesté.  Je  dois  remercier  Votre  Majesté  de 
m'avoir  fourni  l'occasion  de  renouveler  connoissance 
avec  ce  fidèle  serviteur,  dont  la  jeunesse  m'avoit  fort 
intéressé,  parce  qu'il  annonçoit  toutes  les  vertus  de  son 

TOMB  III.  24 


370  LE   BARON   DE   BRETEUIL. 

père,  comme  il  en  montre  aujourd'hui  le  zèle  et  le 
dévouement  pour  Votre  Majesté. 

Je  me  trouve,  Sire,  aussi  heureux  qu'honoré  du  suf- 
frage que  Votre  Majesté  veut  bien  donner  à  la  confiance 
que  le  Roi  daigne  m'accorder.  J*ai  toujours  désiré  et 
reconnu  le  prix  de  l'estime  ainsi  que  de  la  bienveillance 
de  Votre  Majesté  ;  je  chercherai  toute  ma  vie  à  la  méri- 
ter, et  il  m'est  bien  doux  de  penser  que  ce  sentiment 
précieux  à  mon  cœur  est  aussi  un  de  mes  grands  devoirs. 

Je  supplie  Votre  Majesté  de  croire  que  le  Roi  n'a 
jamais  pensé  ni  ne  pensera  à  entrer  sérieusement  dans 
aucune  négociation  avec  ses  sujets  sur  sa  prérogative  ; 
le  Roi  est  bien  souvent  calomnié  dans  sa  conduite,  et 
Votre  Majesté  en  aura  plus  d'une  fois  la  preuve  pen- 
dant son  séjour  à  Spa.  Elle  sera  plus  d'une  fois  scanda- 
lisée des  opinions  qu'on  osera  Lui  laisser  apercevoir: 
c'est,  sans  doute  un  malheur  inséparable  de  tous  ceux 
qui  ont  accablé  le  Roi ,  mais  que  sa  courageuse  résolu- 
tion et,  j'espère,  ses  succès,  auront  droit  de  détruire. 

Je  remercie  Votre  Majesté  du  chiffre  qu'ElIc  a  eu  1 
bonté  de  m'envoyer  :  plus  j'aurai  occasion  d'en  fai 
usage  et  plus  je  satisferai  mon  dévouement  à  Sa  personne  • 

Je  supplie  Votre    Majesté  de  m'excuser  si  j'ai  été 
obligé  d'employer  une  main  étrangère  pour  finir  ma 
dépêche  ;  une  douleur  de  goutte  au  poignet  m'y  a  forcé. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  le  plus  profond  respect, 

Sire, 

de  Votre  Majesté, 

très-humble  et  très-obéissant  serviteur* 
Le  Baroet  de  Brbtbuil. 


MADAME  ELISABETH.  371 


DXLIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES, 
A  L'HOTEL  DE  FBANCE,  A  STUTTGARDT. 

Bile  aurait  mille  choses  à  hii  dire,  si  elle  la  Toyait.  —  Salmigondis  fait 
par  l'Assemblée.  —  Les  brefs  du  Pape  irauroiit  de  valeur  qu'après 
approbation  du  Roi  et  de  l'Assemblée.  —  On  arrive  au  schisme  le 
plus  parfait.  —  Noos  aurons  bientôt  un  patriarche. 

Ce  4  juin  1791. 

Je  ne  sais  plus  comment  je  vis,  ma  Bombe;  mais  il 
me  semble  qu'il  y  a  plus  de  huit  jours  que  je  ne  t'ai 
ccrit,  et  je  ne  sais  pas  trop  ce  que  je  te  manderai, 
<|uoique  j'eusse  mille  choses  à  te  dire  si  je  te  voyois. 
Mais  tu  sens  bien  que  cela  seroit  trop  long  à  écrire.  Jo 
crois  bien  que  tu  ne  m'as  pas  compris  ;  moi-même  je 
ne  savois  pas  trop  ce  que  je  te  mandois,  ne  sachant 
point  de  détails.  La  seule  chose  que  l'on  puisse  dire 
sans  se  tromper,  c'est  que,  dans  toutes  les  affaires  de  ce 
genre,  il  faut  entendre  les  deux  partis  pour  juger  avec 
quelque  certitude  qui  a  tort  ou  raison. 

L'Assemblée  a  hier  fait  un  salmigondis  d'une  ancienne 
loi  pour  déclarer  que  tous  les  brefs  du  Pape  n'auroîent 
de  valeur  que  lorsque  le  Roi  et  l'Assemblée  Tauroient 
approuvé  {sic) ,  et  ont  décidé  que  les  évéques  qui  feroient 
mention  de  ceux  qui  ont  paru  seroiont  dans  le  cas 
d'être  condamnés.  Tu  vois,  ma  Bombe,  que  nous  ne 
nous  arrêtons  pas  pour  arriver  au  schisme  le  plus  par- 
fait, et  que  bientôt  nous  serons  dans  le  cas  d'avoir  un 

24. 


372  MADAME   ELISABETH. 

patriarche  (1).  En  attendant,  les  bons  Chrétiens  ne 
peuvent  entendre  la  messe,  et  les  Protestants  ont,  à 
notre  porte,  un  temple  où  ils  Font  paisiblement  le  prêche, 
sans  que  les  bons  Parisiens  le  trouvent  mauvais. 

Paris  est  tranquille.  Il  a  fait  bien  chaud  ces  jours-ci, 
depuis  trois  jours,  et  aujourd'hui  il  y  a  un  vent  froid 
qui  fait  beaucoup  de  bien.  Je  compte  monter  à  cheval 
ce  soir.  Sais-tu  un  miracle?  c'est  que  Blangy  n'a  plus 
peur.  Parle-moi  donc  de  Démon;  Tas-tu  vue?  Est-elle 
mieux,  ou  bien  sa  vivacitc^  est-elle  toujours  la  mcmc? 
Adieu,  mon  cœur,  je  t'embrasse  bien  tendrement. 


DXLV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Elle  se  |iortc  bien.  —  En  conacience,  c*est  cout  ce  que  Ton  peut  dire- 
—  Cepciidanl  les  esprits  ]Kiraissenl  se  calmer. 

Ce  5  juillet  1791. 

Je  t'écris,  ma  Bombe,  pour  te  dire  que  je  me  poi^'%« 
bien,  ainsi  que  ta  famille;  car,  en  conscience,  voâlii 
tout  ce  que  l'on  peut  dire.  Du  reste,  tout  va  à  peu  pwr^s  I 

de  même  que  lorsque  je  t'ai  écrit.  Cependant,  il  parolt 


/ 


(1)  Le  3  mai,  Teffigie  du  Pape  avait  été  brûlée  au  Palais- Royal. 

Le  9,  les  libertés  de  TÉgli-se  gallicane,  néf^ligées  depuis  Louis  Xf^^, 
avaient  été  consacrées  de  nouveau ,  et  Ton  avait  arrêté  que  tout 
Rescrit,  Bulle,  etc.,  de  In  Cour  de  Rome,  serait  réputé  nul  en  Frais< 
s'il  n'avait  reçu  l'approbation  du  Corps  législatif  et  la  sanction  du  Roi* 

Le  13,  avait  été  formée  la  Haute  Cour  nationale. 


I/EMPEUEUR   LÉOPOLD  II.  373 

que  les  esprits  se  calment.  Je  n*ai  point  eu  de  tes  nou- 
velles depuis  mon  départ  ;  je  crains  que  tes  lettres 
aie  soient  égarées.  J'espère  que  tu  te  portes  bien.  Ta 
mère  a  un  peu  de  dévoiement  ;  cela  lui  fera  du  bien,  car 
on  doit  avoir  un  amas  de  bile.  Adieu,  je  t'embrasse  et 
t'aime  de  tout  mon  cœur. 


DXLVI 

L'EMPEREUR   LÉOPOLD   A  SA   SOEUR   MARIE-CHRISTINE, 
ET  AU  DUC  DE  SAXE-TESCHEN  (1). 

Son  plan  de  conduite  avant  de  connaître  la  fuite  de  LouLt  XVI.  —  La 
nouvelle  de  l'arrestation  du  Roi  a  Varennes,  de  sa  délivrance,  de 
son  séjour  à  Metz,  de  Tarrivée  de  la  Reine  aux  Pay^Ras,  modifie 
tCB  premières  résolutions.  —  Il  est  déterminé  à  prêter  au  Roi  nn 
énergique  appui.  —  Dans  l'illusion  où  il  est  de  la  liberté  de  Louis  XVI, 
il  a  donné  des  ordres  pour  mettre  à  sa  disposition  tous  les  secours 
qu'il  pourra  désirer  en  hommes  et  en  argent.  —  La  seule  condition 
qu'il  exige  est  que  ses  troupes  agiront  séparément  et  ne  seront 
jamais  commandées  par  aucun  officier  français.  —  Ses  démarches 
anprès  des  autres  Puissances  limitrophes  de  la  France. 

Padouc,  5  juillet  1791 

Ma  très-chère  Sœur  et  mon  cher  Beau-Frère,  je 
vous  écris  à  tous  les  deux  conjointement,  vu  l'impor- 
tance de  l'objet.  Vous  me  demandez  mes  intentions  sur 
les  affaires  de  France,  les  voici  :  J'avois  traité  avec  le 
Comte  d'Artois  pour  l'enyager  à  mettre  sa  confiance  en 
moi,  et  l'empêcher  de  faire  quelque  démarche  qui  ait 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert 
d'Autriche.  Original  autogniphc. 


374  L'EMPEREtTR   LÉOPOLD  II. 

pu  compromettre  la  vie  et  sûreté  du  Roi  et  de  la  Reine 
sans  aucune  utilité.  J*y  ai  réussi,  et  pour  traiter  un  con- 
cert, en  attendant,  avec  les  Rois  d'Espagne  et  de  Sar- 
daigne,  les  Suisses  et  l'Empire,  et  le  Roi  de  Prusse,  pour 
pouvoir  faire  quelque  déclaration  et  agir  de  concert, 
dans  le  cas  que  les  affaires  de  France  s'y  portassent  à 
quelque  violence.  Tout  cela  étoit  fait:  la  fiiite  du  Roi, 
son  arrêt  [arrestation]  à  Varennes,  la  façon  dont  il  a 
été  délivré,  son  séjour  à  Metz,  la  Reine  et  la  famille 
arrivées  aux  Pays-Bas,  tout  ceci  change  entièrement  les 
circonstances.  Je  n'ai  plus  rien  à  démêler  avec  le  Comte 
d'Artois  ni  plus  rien  à  faire  avec  lui. 

Dans  ce  moment,  le  Roi  est  libre,  le  Roi  a  protesté 
contre  tout  ce  qui  a  été  fait,  je  ne  connois  donc  plus 
que  le  Roi.  Je  suis  son  parent,  ami  et  allié,  et  veux  le 
secourir  et  seconder  de  toutes  mes  forces  et  pouvoir. 
Vous  verrez,  par  la  copie  ci-jointe,  les  ordres  que  j'en- 
voie aujourd'hui  sur  ce  point  au  comte  de  Mercy.  En 
vertu  donc  de  la  présente,  je  vous  autorise  à  commu- 
niquer ces  intentions  à  moi,  au  Roi  et  à  la  Reine,  et  s 
leur  faire  savoir  que  j'ai  donné  les  ordres  pour  qu'il 
puissent  avoir  de  mes  caisses  et  par  des  emprunts  b 
faire,  s'il  le  faut,  sur  mon  nom  et  mon  crédit,  toutes 
les  sommes  d'argent  dont  ils  auront  besoin.  Je  vou5 
autorise,  de  concert  avec  le  comte  de  Mercy,  de  faire 
faire  et  publier ,  en  mon  nom ,  toutes  les  déclarations  à 
l'Assemblée  Nationale,  manifestes,  etc.,   que  le  Roi 
désireroit.  Je  vous  autorise  à  donner,  de  ma  part,  tous 
les  ordres  nécessaires  au  maréchal  Bender,  et  à  tous  les 
généraux,  pour  mettre  mes  trouj)cs  en  mouvement,  les 
approcher  des  conHns,  les  faire  même  entrer  en  France, 


L'EMPEREUR    LÉOPOLD    IL  375 

selon  ce  que  le  Roi  désirera,  et  toujours  sur  sa  demande 
et  réquisition,  et  comme  troupes  alliées.  Et  bien  entendu 
que  mes  troupes  soient  toujours  à  part ,  jamais  mêlées 
avec  des  troupes  françoises,  jamais  commandées  par 
aucun  officier  ni  général  de  cette  nation,  quand  ce 
seroit  même  un  Prince  du  sang  ou  le  Comte  d'Artois; 
et  pas  même  un  piquet  ne  sera  commandé  par  un  offi- 
cier François.  Je  vous  autorise  à  faire  toutes  les  autres 

è 

4iîspositions  consécutives  et  successives,  nie  réservant 
à   vous  envoyer    mes    ordres   et  instructions  succes- 
sives, selon  les  circonstances,  vous  prévenant  que  j'ai 
-«ngagé  l'Espagne ,  le  Roi  de  Sardaigne  et  les  Suisses  à 
jaire  de  même;  que  je  renouvellerai  mes  instances  à 
l'Empire,  et  que  je  crois  d'être  sûr  de  pouvoir  avoir  les 
troupes  hcssoises  et  prussiennes  de  Wesel,  en  cas  de 
l>esoin.   Quant  à  la  personne  de  la  Reine  et  Famille 
royale,  je  vous  autorise* et  charge  de  leur  procurer, 
ainsi  qu'à  leur  suite,  toutes  les  commodités  et  agré- 
ments possibles,  et  de  vous  porter  en  personne  à  Luxem- 
bourg chez  la  Reine,  si  elle  ne  préfère  pas  de  venir  a 
Bruxelles  (1) .  Voilà  tout  ce  que  je  puis  vous  dire  pour  le 
présent,vouspriantdem'informer  directement  à  Vienne 
de  la  suite  de  toutes  ces  affaires ,  partant  aujourd'hui 
pour  Vienne.  Soyez,  je  vous  prie,  persuadée  de  tout  le 
tendre  attachement  avec  lequel  je  serai  toute  ma  vie. 

Votre  fidèle  Frère, 

LÉOPOLD. 


(1)  V^oir,  au  second  volume,  la  lettre  d:'  rEiiipercur  au  comte  de 
I\agenrk,  en  date  des  5  juin  et  6  juillet  1791.  Ses  illusions  sur  la  lil>crté 
du  Hoi  rommeiiraicnt  à  se  dissiper. 


376  L'EMPEREUR  LÉOPOLD  II. 


DXLVII 

L'EMPEREUR  LÉOPOLD  AU  COMTE  DE  MERCY  (1j 

(lettre   J0I?ITE    a    la    lettre    précède 3CTE.) 

Mêmes  instructions  qu'à  sa  sœur  Marie-Christine  et  au  Duc  de  Sase- 
Tesolicn.  —  Il  le  charge  de  se  mettre  aux  ordres  du  Roi  et  de  b 
Reine,  qu'il  croit  libres. 

[De  Padoue,  5  juillet  1791.] 

Mon  cher  Comte  de  Mercy, 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  16  juin  et  vu  tout  ce 
que  vous  m'y  marquez  relativement  aux  affaires  de 
France.  Jusqu'à  présent  mes  négociations  avec  le 
Comte  d'Artois  n'avoient  eu  pour  but  qu'à  l'eiïgager 
à  différer  quelconque  explosion  ou  démarche  violente 
dans  les  provinces,  qui  auroit  pu  être  fiineste  à  la 
personne  du  Roi  ,  de  la  Reine  et  de  la  Famill 
royale,  ayant  ménagé  le  temps  de  pouvoir,  d'acco 
avec  les  Cours  d'Rspiignc,  de  Sardaigne,  les  Suisses 
l'Empire  et  la  Prusse ,  former  un  concert  pour  :  soi 
par  des  déclarations  respectives  et  tmiformes,  soit  pa: 
des  démonstrations ,  et  même  par  la  force ,  empêche 
à  la  dernière  extrémité  l'exécution  des  projets  qa 
l'Assemblée  Nationale  auroit  pu  former  contre  la  per- 
sonne du  Roi  et  toute  la  Famille  royale.  Je  suis  assu 
du  concours  du  Roi  de  Surdaigne,  des  Suisses,  de  l'Em 
pire,  et  j'ai  tout  lieu  de  croire  de  même  du  Roi   de 


(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArcliiduc  Albcc     f 
d'Autriche.  Copit*. 


L'EMPEUErn   LÉOPOLD   II.  377 

Prusse  et  de  TEspagne,  sur  laquelle  il  n'y  p^ut  avoir 
aucun  doute. 

Tel  étoit  mon  projet  ;  présentement,  les  circonstances 
sont  entièrement  chan(][ées.  J'étais  informe,  depuis 
lon{jtemps,  de  l'idée  de  l'évasion  du  lloi  et  de  la 
Famille  royale ,  et  je  l'ai  crue  toujours  fort  avantageuse, 
pourvu  qu'elle  réussisse  sans  inconvénients  et  dangers. 

Le  Roi  présentement,  et  la  Reine,  et  toute  la  Famille 
royale,  sont  en  sûreté  à  Luxembourg.  Le  Roi  s'est 
enfui,  a  été  repris  et  délivré,  et  est  en  sûreté  à  Metz. 
Le  mémoire  qu'il  a  envoyé  h  l'Assemblée  Nationale 
après  son  départ  prouve  suffisamment  qu'il  annule 
tout  ce  que  ladite  Assemblée  Nationale  a  fait  en  son 
nom,  et  qu'il  se  regardoit  comme  captif  à  Paris.  Je 
suppose  que  le  Roi  fera  une  déclaration  formelle  pour 
appeler  à  son  secours  tous  ses  sujets  bien  intentionnés 
et  les  Cours  amies  et  alliées.  Comme  parent,  ami  et 
allié  du  Roi,  je  me  fais  un  devoir,  un  plaisir,  et  suis 
intentionné  à  le  seconder  de  toutes  mes  forces,  crédit 
et  autorité.  En  conséquence,  j'ai  écrit  par  courrier  en 
Espagne  et  à  Turin  pour  animer  ces  deux  Cours  à  agir 
conjointement  avec  moi ,  selon  les  intentions  et  ce  que 
le  Roi  pourra  désirer.  J'ai  fait  parler  également  sur  ce 
pied  Uint  aux  Suisses  qu'aux  Princes  de  l'Empire.  J'ai 
écrit  directement  au  Roi  pour  lui  faire  les  mêmes  ofires, 
et  je  vous  charge  expressément  de  vous  porter  tout  de 
suite  en  personne  à  Luxembourg  où  la  Reine  se  trouve, 
pour  lui  témoigner  le  tendre  intérêt  que  je  prends  à  sa 
situation  et  ù  tout  ce  qui  la  regarde,  et  lui  offrir  tout  ce 
qui  pourroit  être  utile  ou  agréable  tant  au  Roi  qu'à  sa 
personne. 


378  I/EMPEREUIl   LKOPOLD   II. 

Vous  ferez  en  même  temps  toutes  les  dispositions 
nécessaires  pour  tout  ce  qui  pourra  être  d*utilité.  agré- 
ment ou  de  conunodité  de  la  Reine  et  de  lu  Famille 
royale ,  soit  à  Luxembour(; ,  Bruxelles ,  ou  où  ils  vou- 
dront se  porter. 

Vous  ferez  fournir  tant  au  Roi  cju*à  la  Reine,  tant 
sur  mes  caisses  que  par  le  moyen  d'emprunts  à  faire 
sur  mon  nom  et  crédit,  toutes  les  sommes  pécuniaires 
dont  ils  pourroient  avoir  besoin. 

Vous  concerterez  avec  les  gouverneurs  généraux , 
auxquels  j'envoie  copie  de  la  lettre  (jue  je  vous  adresse, 
et  avec  le  maréchal  Bender ,  tous  les  ordres  et  les  dis- 
positions nécessaires,  afin  de  mettre  en  mouvement 
ou  toutes  ou  une  partie  des  troupes  que  j*ai  aux  Pays- 
Bas,  tant  pour  les  approcher  des  confins  de  la  France, 
que  même  pour  les  y  faire  entrer  et  agir,  sans  attendre 
d'autres  ordres  ultérieurs  de  ma  part,  ou  de  la  façon 
que  le  Roi,  et  personne  d'autre,  le  demanderont,  et 
que  le  maréchal  le  croira  convenable  et  possible, 
devant  agir  en  tout  et  partout  comme  troupes  auxi- 
liaires et  alliées ,  agissant  uniquement  à  la  réquisition 
du  Roi  et  pour  sa  sûreté,  et  à  sa  disposition,  et  pas 
autrement  ;  et  à  fiiire  précéder,  si  cela  est  nécessaire, 
leur  marche  par  une  déclaration  ou  manifeste  à  con- 
certer avec  le  Roi  et  à  publier,  s'il  en  faisoit  instance. 

Je  désire  pareillement  que  vous  puissiez  rester  dans 
ces  premiers  moments  près  de  la  Reine.  Son  estime  et 
confiance  pour  vous  sont  connues  ;  votre  attacliement 
pour  elle  vous  les  a  méritées ,  et  je  serois  très-charmé 
qu'étant  auprès  d'elle ,  vous  puissiez  la  diriger  par  voi 
conseils ,  et  influer  par  là  et  par  elle  sur  les  démarches 


LE  ROI  DE  SUÈDE.  379 

du  Roi ,  qui ,  dans  ce  moment ,  sont  de  la  dernière 
importance  pour  tout  bien  combiner  pour  le  bien  de 
la  chose. 


DXLVIII 


MEMOIRE  LU  PAR  LE  ROI  GUSTAVE  III  DE  SUEDE, 
A  LA  coxfére?((;e  tkxue  a  aix-la-cuapei.lk,  dans  sa  chambre,  extue  sa 

MAJESTÉ,   MONSIEUR,  LE  COMTE   D*ARTOIS  KT  L*ÉvÉQUE  D*ARRAS(1). 


Quand  sersHt-ii  à  propos  que  Monsieur  prenne  le  tirrc  de  Rc{*ent  de 
Franco»  à  raison  de  la  captivité  du  Roi?  —  Conduite  à  tenir  par  la 
coalition  à  regard  de  la  France. 

[Àix-la-Clia]>elle,  le  5  juillet  1791.] 

On  ne  peut  mettre  en  dqute  le  droit  de  Monsieur  à 
la  Régence,  depuis  que  la  captivité  du  Roi  de  France 
est  si  authentiquement  constatée  que  l'Europe  entière 
n'en  peut  douter.  Il  ne  s'agit  que  d'examiner  quel  est 
le  moment  le  plus  utile  pour  la  chose  publique,  que 
l'on  doit  conseiller  à  Monsieur  de  choisir  pour  prendre 
cette  qualité.  Il  semble  qu'il  n'y  a  que  deux  plans  à 
suivre  pour  le  salut  de  la  France,  et  que  c'est  de  l'adop- 
tion d'un  de  ces  plans  que  doit  dépendre  la  résolution 
que  prendra  Monsieur  d'exercer  dans  le  moment  même 
son  droit,  ou  de  le  laisser  reposer.  Depuis  que  l'on 
paroît  rassuré  sur  la  conservation  de  la  vie  du  Roi  de 

(I)  Archives  du  Ministère  des  Affaires  Etrangères  de  Stockholm. 
Minute  autographe  du  Roi. 


380  LE  ROI  DE  SUÈDE. 

France,  de  lu  lieiiic  et  de  leur  Fumille  captive,  il  esl 
possible  d'opter  [entre]  un  plan  plus  lent  et  un  plus 
décidé.  Le  dan^jer  seul  de  la  vie  du  Roi  auroit  été  une 
obli{;ation  impérieuse  de  ne  rien  ménager. 

Le  plan  le  plus  long  scroit  de  rester  tranquille,  de 
ne  rien  ni  entreprendre  ni  tenter,  de  paroi tre  abandon- 
ner la  chose  publique,  pour  rassurer  entièrement  l'As- 
semblée  et  en  tranquilliser  les  différents  partis,  aujour- 
d'hui réunis  par  le  danger  commun  ;  les  abandonner  à 
leurs  propres  dissensions,  à  la  différence  de  leurs  prin- 
cipes, a  leurs  ambitions  particulières,  et  surtout  a  la 
difficulté  et  au  désordre  croissant  des  finances,  du 
numéraire,  et  au  mécontentement  du  peuple  qu'ils  se 
verront  forcés  d'obliger  de  payer  des  impôts,  sans  les- 
quels aucune  administration  ne  peut  marcher;  et  dans 
cet  état  de  choses,  attendre  de  la  dissension  même  la  des- 
truction du  gouvernement  monstrueux  établi  en  France. 
Dans  ce  cas,  il  est  certain  que  Monsieur ,  en  prenant 
aujourd'hui  le  titre  de  Régent,  ne  feroit  que  retarder 
l'ordre  des  choses  ;  il  montreroitun  vengeur  à  la  crainte 
des  uns,  un  point  de  ralliement  pour  la  haine  des  autres, 
et  rendroit  aux  factieux  le  service  de  montrer  au  peuple 
un  ennemi,  qui  tiendroit  les  esprits  échauffés  et  par  là 
réunis.  C'est  ainsi  que  la  personne  du  prétendant  ser- 
vit utilement  à  affermir  l'autorité  de  la  maison  de  Ha- 
novre sur  le  trône  d'Angleterre,  longtemps  après  que 
l'Europe  regardoit  pour  impossible  le  rétablissement 
des  Stuarts. 

Mais  je  ne  crois  pas  que  c'est  là  le  plan  que  des 
petits-fils  de  Henri  lY  adopteront;  et  quelque  avantage 
qu'il  peut  présenter,  les  inconvénients  qu'il  entraîne 


LE  ROI  DE  SUEDE.  381 

sont  si  grands  qu'il  est  presque  superflu  de  s*y  arrêter. 
La  seule  raison  de  laisser  refroidir  le  zèle  de  la  noblesse 
françoise,  et  rintérct  que  les  scènes  indi(jnes  qui  vien- 
nent de  se  passer  ont  inspiré  aux  souverains  de  l'Eu- 
rope, pour  sauver  le  Roi  et  la  Reine  de  France,  seroit 
une  raison  assez  forte  pour  ne  pas  adopter  ce  parti.  Si 
donc  il  faut  agir  avec  plus  de  célérité,  et  suivre  le  plan 
que  les  Princes  semblent  avoir  adopté,  d'une  ligue  de 
tous  les  Souverains  de  l'Europe,  tout  paroît  exiger  que 
Monsieur  s'investisse  de  son  droit  et  en  use  pour  la 
délivrance  du  Roi  son  Frère  et  la  régénération  de  sa 
patrie.  Il  est  des  cas  où  celui  qui  se  met  en  possession 
de  ses  droits,  quelque  contestés  qu'ils  puissent  être  par 
les  circonstances,  en  impose  par  sa  fermeté  et  entraine 
les  suffrages  qu'il  n'auroit  pas  obtenus  s'il  les  avoit  con- 
sultés. Tel  est  le  cas  du  moment.  Il  n'est  pas  douteux 
que  les  Rois  d'Espagne,  de  Napleset  de  Sardaigne,  qiïe 
le  plus  ancien  allié  de  la  France,  ne  reconnoisscntAfrm- 
sieur  dans  la  qualité  que  sa  naissance  lui  donne,  et  que 
le  malbeur  du  Roi  son  Frère  lui  inspire  la  nécessité  de 
prendre.  La  connoissance  de  la  générosité  et  de  l'élé- 
vation du  caractère  de  l'Impératrice  de  Russie  ne  permet 
guère  de  douter  que  cette  Princesse  n'embrasse  le  parti 
le  plus  noble,  et  que,  semblable  à  Elisabeth  d'Angle- 
terre (dont  elle  a  fait,  depuis  près  de  trente  ans,  revivre 
les  grandes  qualités) ,  elle  ne  donne  cette  marque  de  son 
intérêt  aux  descendants  de  Henri  IV,  puisqu'on  ne  peut 
pas  exiger  dans  ce  moment  d'elle  d'autres  secours, 
tant  qu'occupée  à  combattre  les  Turcs,  et  à  retenir  par 
sa  fermeté  inébranlable  la  tergiversation  et  la  fluctua- 
tion menaçante  mais  immobile  de  la  Pnisse  et  de  l'An- 


382  LK  ROI  DE  SUÉDE. 

gleterre.  Ce  ne  sera  que  lorsque  cette  Princesse  aura 
surmonté  ces  obstacles  avec  sa  sagesse  et  sa  fortune 
accoutumées,  que  les  Princes  doivent  tout  espérer  de 
son  aniour  pour  la  gloire,  et  de  Tintérét  qu'on  sait 
qu'elle  prend  à  la  cause  de  tous  les  souverains.  — ^ 
L'Empereur,  qui  a  donné  des  paroles  si  favorables  au 
Comte  d'Artois,  ne  pourra  guère  se  dispenser  de  suivre 
cet  exemple,  et  ce  Prince  entraînera  la  plus  grande 
partie  des  autres  Rois.  Celui  {sic)  d'Angleterre  et  de 
Pologne  seront  peut-être  les  derniers  ;  mais  la  présomp- 
tion de  la  reconnoissance  des  autres  aura  un  grand 
poids.  Monsieur,  ainsi  investi,  pourra  réclamer,  au  nom 
du  Roi  de  France,  les  anciennes  alliances,  ceque3fon- 
sieur,  sans  qualité,  ne  pourra  faire.  Les  ambassadeurs 
pourront  paroitre  aux  Cours  amies,  traiter  et  signer  en 
son  nom;  enfin  les  secours  d'argent,  par  des  opéra- 
tions de  finance,  deviendront  bien  plus  faciles  lorsqu'ils 
seront  faits  au  nom  d'un  Régent  de  France  qu'au  nom 
de  deux  Princes,  respectables  par  leur  union,  leur  con- 
stance, et  intéressants  par  leurs  malheurs,  mais  qui  ne 
sont  pas  revêtus  de  ces  titres  qui  en  imposent  toujours 
aux  hommes,  et  surtout  à  une  certaine  classe,  qui  n*est 
gouvernée  que  par  les  habitudes  extérieures.  D  ail- 
leurs ,  ce  nom  de  Régent  sauvera  et  Monsieur  et  tous 
les  François  attachés  à  leur  devoir,  do  l'imputation  de 
révolte  dont  l'Assemblée  ne  manquera  pas  de  vouloir 
les  entacher.  Ce  ne  sera  pas  des  François  qui  combat- 
tront contre  la  France,  mais  des  sujets  fidèles,  qui  atta- 
queront des  révoltés  pour  délivrer  leur  Souverain 
opprimé.  Monsieur ,  en  parlant  en  qualité  de  Régent  a 
la  Diète  de  TËmpire,  présentera  à  ces  Princes  une 


LE  ROI  DE  SUÈDE.  383 

assurance  sûre  delà  conservation  de  leurs  droits,  et 
terminera  parla,  en  les  réunissant  à  lui,  toutes  ces  dis- 
cussions didactiques  dont  lu  jurisprudence  allemande 
sait  si  bien  tirer  parti  pour  éviter,  par  les  longueurs 
de  forme,  de  prononcer  clairement  sur  des  questions 
dont  la  décision  ne  peut  être  douteuse,  mais  dont  ils 
veulent  éviter  la  décision.  Il  ne  pourra  plus  alors  être 
question  comment  s'adresser  à  la  France  pour  les  con- 
tenter sur  leurs  {jnefs.  Il  n'y  aura  que  la  délibération 
de  s*unir  au  Régent  pour  l'aider  à  les  réintégrer  dans 
leurs  biens ,  et  la  convocation  de  l'armée  de  l'Empire 
(surtout  appuyée  par  l'Empereur  et  le  Roi  de  Prusse) 
deviendra  une  conséquence  nécessaire.  A  toutes  ces 
considérations  se  joint  encore  la  nécessité  urgente  de  la 
formation  d'un  ministère  où  toutes  les  opérations  poli- 
tiques, militaires  et  financières,  se  réunissent  comme 
dans  un  centre,  et  d'où  les  nombreux  corps  du  clergé, 
de  la  noblesse  et  de  la  magistrature  Françoise  puissent 
recevoir  les  assurances  du  rétablissement  du  gouverne- 
ment dans  son  ancienne  forme ,  et  fit  (sic)  par  là  dis- 
paroitre  tous  ces  bruits  qui  ne  sont  semés  que  pour 
augmenter  le  découragement  et  semer  de  nouvelles 
divisions.  Par  toutes  ces  considérations,  il  semble 
nécessaire  que  Monsieur  ne  tarde  pas  de  s'investir  du 
droit  que  lui  donne  sa  naissance,  et  que  d'impérieuses 
circonstances  lui  prescrivent  d'accepter.  Il  ne  reste 
plus  que  d'examiner  la  forme  qu'il  faudra  adopter  pour 
prendre  ce  titre,  et  il  paroîtque,  dans  les  circonstances 
actuelles,  le  plus  simple  est  le  meilleur.  Monsieur,  en 
paroissant  ne  pas  douter  un  moment  de  son  droit,  ne 
doit    pas   avoir  besoin  d'autre  promulgation   qu'une 


384  LE  ROI  DE  SUÈDE. 

lettre  circulaire  à  tous  les  Souverains  de  TEurope, 
écrite  dans  la  forme  dont  usoit  le  duc  d*Orléans,  Bé- 
(jent,  pour  éviter  toute  difficulté  de  dispute  d'étiquette. 
Monsieur  annonccToit  la  captivité  du  Roi ,  le  manifeste 
de  ce  Prince,  les  attentats  des  factieux;  et  que,  vu  son 
droit  de  naissance,  il  avoit  pris  la  Ré{;ence  du  royaume. 
Monsieur  parleroit  ensuite ,  avec  ce  sentiment  et  cette 
éloquence  qui  lui  est  si  familière,  de  1* intérêt  des  têtes 
couronnées,  et  enfin  de  ce  qu'il  attend  d'eux,  en  leur 
annonçant  sa  protestation  contre  tout  ce  que  la  force 
arracheroit  au  Roi.  Cette  lettre,  confiée  aux  ministres 
de  la  maison  de  Bourbon,  aux  différentes  Cours,  ou  aux 
soins  des  agents  de  Monsieur,  seroit  la  proroulj^ation 
la  plus  simple  de  la  Ré{jencc.   Monsieur  créeroit  en 
même  temps  un  garde  des  sceaux,  et  le  peu  de  ministres 
que  les  circonstances  rendroient  nécessaires  ;  le  moindre 
nombre  seroit  le  meilleur,  puisque  le  secret  seroit  le 
mieux  gardé  et  l'unité  de  la  volonté  plus  prononcée. 
Monsieur  feroit  adresser  par  ce  garde  des  sceaux  aux 
magistrats  et  a  la  noblesse  expatriés  sa  résolution  par 
une  lettre  non  imprimée ,  en  ajoutant  que  lorsqu'il  se 
trouveroit  en  terre  de  France,  il  feroit  déclarer  formel- 
lement sa  Régence  dans  une  assemblée,  telle  que  les 
anciens  usages  le  prescrivent.  Par  là.  Monsieur  évite- 
roit  en  même  temps  une  déclaration  publique,  et  con- 
vaincroit  les  fidèles  François  de  sa  volonté  sincère  de 
conserver  les  anciennes  maximes  de  l'État,  et  il  porte- 
roitun  coup  mortel  à  la  consolidation  de  la  monstrdeuse 
constitution  qu'on  veut  créer.  De  tout  ce  que  l'on  vient 
de  dire,  il  est  aisé  de  conclure  que  Monsieur  ne  doit 
pas  perdre  un  moment  de  mettre  le  gouvernement  en 


L'EMPEREUR   LÉOPOLD    II.  385 

activité,  d'empêcher  les  Princes  étrangers  de  négocier 
ou  de  reconnoitre  l'Assemblée,  et  de  réunir  autour  de 
lui  le  reste  de  la  Force  publique. 

Telles  sont  les  idées  rapides  que  l'expérience  des 
affaires,  l'intérêt  et  l'amitié  inspirent,  et  que  la  con- 
fiance que  les  Frères  du  Roi  de  France  m'ont  témoi- 
gnée, m'ont  dictée,  et  que  le  peu  de  temps  que  j'ai  eu 
m'a  permis  de  rassembler. 


DXLIX 


L'EMPEREOR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CIIRISTIiNE  (1). 

Les  nouvelles  annonçant  la  délivrance  du  Rui  et  de  la  Reine  ne  se  sont 
point  confirmées.  —  Il  a  écrit  à  tous  les  Souverains  d'Europe  pour 
s'entendre  avec  eux  sur  les  moyens  de  sauver  la  Famille  royale  de 
France.  —  Il  est  essentiel  d'empêcher  le  Comte  d'Artois  de  faire 
des  coups  de  tète.  —  Il  espère  prévenir  les  excès  auxquels  on  pour- 
rait se  porter  contre  le  Roi  ;  autrement  il  les  vengera  d'une  manière 
exemplaire.  -^  Ses  instructions  quant  aux  affaires  des  Pays-Bas. 


Le  6  juillet,  Padoiie  [1791]. 

Très -chère  Sœur,  j'avois  écrit  les  deux  lettres  cy- 
jointes  paur  vous,  lorsque  j'ay  reçu  les  vôtres  par  le 
courrier  Straus  et  par  Vienne.  Je  vous  envoi  celle-ci 
par  votre  beau-frere  l'Electeur,  qui  m'a  aussi  envoyé 

(I)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert 
d'Autriche.  Orthographe  conservée.  * 

Cette  lettre  a  été  déjà  piiMiée  par  M.  Adam  Wolf,  «l.nis  son  inté- 
ressant livre  allemand  de  Marie-Christine,  p.  240  du  second  volume. 
TOMR   III.  25 


•"  .   M  S»"»"   '      .  et  Geo""'     .  ^MeW-  <^'* 

Ï'°°'»'°C  no»«»'  'Tau  »»  "'  T  ^«e  «  »>» 
i„»«.  «*'  "     \ïbé»»»"      B„i  etâ«te»»  „t« 

*""'':  i*»»^»"'-  "l^  *  ':1'ie  -«■>"•" 
6"°'         \«lAe>««  •        ,,  \et«e  4°"'.  '    j.  feil»  '" 

ici  »•  ■="*";  ,o«é  t^te  *  et  V^Li^  *■ 

î""'*'.Ce»«>«'''"'°'^,«4«»**'°    tw*"** 
V«  •»  rcet«  f»^-  C-'"  ••  ""l^  «t"»'"' 

"11 W  "-"tr^"  "•^•"°'':  te^'  -^-c 

-:r^,t,o»-»'«,^.3e-;^,,Vte.« 

V»*  *°  t  .    vov»  '»"'  *  le  COI»?"  *     ;  |vecte»«- 
«tte.  ««»'  "^  ,i6»«»'  '    ° J  i'-»»'*^    A.  téW-  " 


L'EMPEREUR   LEOPOLI)    II.  387 

ne  sais  pas  si  j'y  réussirai.  On  voit  que  le  Roi  a  été 
mal  conseillé  et  puis  trahi.  Dieu  sait  à  quels  excès  ils 
oseront  se  porter  !  Je  me  flatte  de  les  prévenir;  mais  si 
je  n*y  réussis  point,  je  les  vengerai  exemplairement. 
Quant  aux  affaires  chez  vous,  je  suis  persuadé  que, 
avec  douceur  et  bonne  façon  unie  avec  la  fermeté, 
beaucoup  s'arrangera  peu  à  peu ,  et  que ,  surtout  dans 
les  commencements,  il  faudra  encore  souffrir  et  dissi- 
muler bien  des  choses.  En  attendant  tâchez  de  faire 
tenir  les  troupes  de  Ijonne  humeur  et  surtout  à  les 
fiiire  animer  contre  les  François.  Je  vous  embrasse 
tendrement  et  suis. 

Puissiez -vous  bientôt  me  donner    des   meilleures 
nouvelles  de  France. 


Si  jamais  la  Reine  de  France  fût  en  liberté ,  faites- 
lui  teoîr  cette  lettre  de  ma  part.  Sans  cela  brCdez-la. 


25 


388  L'EMPEREUR  LÉOPOLD  II. 


DL 


PIECE  JOINTE  A  LA  LETTRE  PRÉCÉDENTE. 

PROJET  DE  LETTRE  CIRCrLAIRB  DE  L*EXPEREUR  d'âLLEMACKE  LBOPOLD  II, 
kVJL  ROIS  D*E8PAG5E,  D*A:(GLETERRE,  de  PRUSSE,  DE  5APLE8  ET  DE  8AR- 
DAIGKE,  DE  MÊME  Qu'a  L*IMPÉRATRICE  DE  RUSSIE  (i). 

L*Empcrciir  cxpottc  les  sentiments  que  lui  a  fait  éprouver  rarrestation 
de  Louis  XVI.  —  Il  invite  les  Souverains  à  8*entendre  pour  mettre 
un  terme  aux  excès  de  la  Révolution  française.  —  Il  propose  d'a- 
dresser à  l'Assemlilée  Nationale  une  Déclaration  commune,  qui  pro- 
duise une  impression  salutaire  sur  Tesprit  des  chefs  du  parti  exalté. 
—  Cette  démarche^ serait  appuyée,  au  besoin,  nar  des  mesures  de 
vigueur  qu'il  seréserve  d'indiquer  ultérieurement. 


[Padoue,  6  juillet  1791.] 

Je  suis  persuadé  que  Votre  Majesté  aura  appris 
l'attentat  inouï  de  l'arrétement  du  Roi  de  France, 
de  la  Reine  ma  Sœur  et  de  la  Famille  royale,  avec 
autant  de  surprise  et  d'indig[nation  que  moi,  et  que 
ses  sentiments  ne  peuvent  différer  des  miens  sur  un 
événement  qui,  faisant  craindre  des  suites  plus  atroces 
encore  et  imprimant  le  sceau  de  l'illégalité  sur  les 
excès  auxquels  on  s'est  porté  précédemment  en  France, 
compromet  immédiatement  Thonneur  de  tous  les  Sou- 
verains et  la  sùr£té  de  tous  les  gouvernements. 

Déterminé  d'exécuter  ce  que  je  dois  à  ces  considéra- 
tions, et  comme  chef  du  Corps  germanique,  avec  son 
concours ,  et  comme  Souverain  des  États  Autrichiens , 

(I)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  TArckiduc  Albert 
d'Autriche. 


L'EMPEREUR    LÉOPOLD   II.  389 

je  propose  à  Voire  Majesté,  ainsi  que  je  proj^ose  aux 
Rois  d'Espagne,  d'Angleterre,  de  Prusse,  de  Naples  et 
de  Sardaigne,  de  même  qu'à  l'Impératrice  de  Russie, 
de  vouloir  s'unir  avec  eux  et  avec  moi  de  conseil,  de 
concert  et  de  mesures,  pour  revendiquer  la  liberté  et 
l'honneur  du  Roi  Très-Chrétien  et  de  sa  Famille,  et 
pour  mettre  des  bornes  aux  extrémités  dangereuses  de 
la  révolution  Françoise. 

Le  plus  pressant  semble  être  que  nous  nous  réunis- 
sions tous  pour  faire  remettre  aussitôt  par  nos  minis- 
tres en  France  une  Déclaration  commune,  ou  bien 
des  déclarations  pareilles  et  simultanées  qui  puissent 
faire  rentrer  en  eux-mêmes  les  chefs  du  parti  violent 
et  prévenir  des  résolutions  désespérées,  leur  laissant 
encore  des  voies  ouvertes  à  une  résipiscence  honnête 
et  a  l'étabhssement  pacifique  d'un  état  de  choses  en 
France  qui  sauve  du  moins  la  dignité  de  la  Couronne 
et  les  considérations  essentielles  de  la  tranquillité  géné- 
rale. Et  je  propose,  pour  cet  effet,  à  Votre  Majesté, 
le  projet  qu'elle  trouvera  ci-joint,  et  qui  me  paroit 
remplir  ces  vues. 

Mais  comme  le  succès  d'une  telle  déclaration  seroit 
problématique,  et  qu'on  ne  pourroit  se  le  promettre 
complet  qu'autant  que  l'on  seroit  prêt  à  la  soutenir 
par  des  moyens  suffisamment  respectables,  mon  mi- 
nistre auprès  de  V.  M.  recevra  incessamment  les  ins- 
tructions nécessaires  pour  ouvrir  avec  son  ministère 
tel  concert  de  mesures  vigoureuses  que  les  circon- 
stances exigeroient  ;  me  réservant  de  lui  faire  commua 
niquer  aussi  les  réponses  que  je  recevrai  de  la  part  des 
autres  Puissances  aussitôt  qu'elles  me  parviendront. 


390  LOUIS   XVI. 

Je  re{][arile  comme  un  avanta{;e  infiniment  précieux 
que  les  dispositions  qu'elles  manifestent  toutes  pour 
le  rétablissement  du  repos  et  de  la  concorde ,  promet- 
tent d'écarter  les  obstacles  qui  pourroient  nuire  k 
l'unanimité  des  vues  et  des  sentiments  dans  une  ocoir- 
rence  qui  intéresse  de  près  le  bien-être  de  TEuix^e 
entière. 

Je  suis  avec. 


DLI 

LE  ROI  A  L'ASSEMBLÉE  NATIONALE  (1). 

11  se  défend  éQergK|aftinent  d* avoir  fmit  a^r  sur  les  soldats  ponr  les 
engager  à  déserter  ù  l'étranger.  —  Son  intention,  en  quittant  Paris, 
avait  été  de  se  rendre  à  Montmédy. 

Le  7  juillet  1791. 

Messieurs,  j'apprends  que  plusieurs  officiers  fran- 
içois,  passés  en  pays  étranger,  ont  invité,  par  des  lettres 
^rculaires,  les  soldats  des  régiments  dans  lesquels  ils 
-étoient ,  à  quitter  le  Royaume  et  à  venir  les  joindre  ; 
que ,  pour  les  engager,  ils  leur  promettoient  de  l'avan- 
cement et  des  récompenses,  en  vertu  de  pleins  pou- 
voirs, directement  ou  indirectement  émanés  de  moi. 
Je  crois  devoir  démentir  formellement  une  pareille 
assertion,  et  répéter,  à  cette  occasion,  ce  que  j'ai 


(i)  Minute  autographe  de  mon  cobiueC. 


LE  ROI  DE  suède:  391 

déclaré ,  —  qu'en  sortant  de  Paris  je  n'avois  d'autres 
projets  que  d'aller  à  Montmédy,  d'y  faire  moi-même 
k  l'Assemblée  Nationale  les  observations  que  je  croyois 
nécessaires ,  sur  les  difficultés  que  présentent  l'exécu- 
tion des  lois  «t  l'administration  du  Royaume.  Je  dé- 
dare  positivement  qoe  toute  personne  qui  se  diroit 
chargée  de  semblables  pouvoirs  en  imposeroit  de  ia 
manière  la  plus  coupable. 

Locis. 


DLII 

MÉMOIRE  ADRESSÉ  A  L'IMPÉRATRICE  DE  RUSSIE 
PAR  LE  ROI  DE  SUÈDE  (1). 

Droits  du  Comte  de  Provence  k  se  proclamer  Régent  pendant  la  cap* 
tivité  de  Louis  XVL  —  Pian  d'invasion  de  la  France.  —  Demande 
de  subsides  pour  lui  -  même ,  sauf  à  se  rembourser  plus  tard  sur  le 
pays. 

Abc-la-Chapelle,  le  9  juillet  1791. 

Le  mémoire  remis  par  le  général-major,  baron  de 
Pahlen ,  sur  les  afFaires  de  France ,  porte  l'empreinte 
de  cette  profondeur  de  vues,  de  cette  élévation  et  de 
cette  grandeur  d'âme,  que  l'Europe  étonnée  admire 
depuis  trente  ans.  Après  avoir  rassemblé,  dans  un 
aussi  court  espace  de  temps ,  tous  les  événements  glo- 
rieux qui ,  partiellement ,  ont  fait  passer  les  noms  des 

(1)  Copié  sur  la  minute  autographe  de  Gustave  III,  déposée  aux 
Archives  du  ministère  des  Affaires  Etrangères  de  Stockholm. 


392  LE  nOI  DE  SUÉDE. 

anciens  Princes  à  rimmortâlité ,  il  sembloit  qu'il  n*y 
avoit  plus  pour  Catherine  II  de  gloire  à  acquérir, 
lorsque  la  fortune ,  constante  à  rassembler  sur  sa  tête 
et  sous  son  règne  les  événements  les  plus  rares,  ne 
semble  avoir  voulu  porter  des  coups  funestes  à  une 
des  plus  anciennes  monarchies  de  l'univers  que  pour 
préparer  à  cette  grande  Princesse  une  nouvelle  occa- 
sion d'étendre  sa  réputation  et  de  joindre  aux  titres 
de  législatrice,  de  conquérante,  etc.,  toujours  victo- 
rieuse sur  les  bords  de  l'Euxin  et  du  Borysthène, 
ceux  de  restauratrice  de  l'Empire  François ,  et  de 
protectrice  des  Rois  et  des  Princes  opprimés ,  et 
faire  respecter  son  nom  et  ses  armées  sur  les  bords  de 
la  Seine  et  du  Rhône,  comme  ils  le  sont  déjà  sur  les 
frontières  du  vaste  Empire  qu'Elle  régit.  Les  événe- 
ments récents  qui ,  en  déclarant  aux  yeux  de  l'Europe, 
d'une  manière  évidente,  la  captivité  du  Roi  de  France, 
et  en  changeant  par  là  en  quelque  partie  l'ordre  des 
choses,  exigent  quelques  détails  qui,  sans  s'écarter  de 
la  marche  tracée  dans  le  mémoire,  facilitent  quelques 
points  aloi*s  embarrassants,  que  l'esprit  pénétrant  de 
l'Impératrice  avoit  prévus,  mais  que  les  événements 
ont  plus  développés.  C'est  un  moment  bien  précieux 
et  qui  développe  bien  l'étendue  du  génie  de  l'Impéra- 
trice, que  ce  mémoire  qu'Elle  a  confié  à  l'amitié,  puis- 
qu'Elle  a  su,  du  bord  de  la  Neva,  tracer  le  plan  qu'en 
partie  on  avoit  formé  en  Italie ,  et  qui  étoit  prêt  à 
s'exécuter  sans  l'incident  imprévu  de  l'attentat  commis 
sur  la  Personne  du  Roi  de  France  à  Yarennes.  Ce  n'est 
que  pour  donner  plus  de  développement  aux  idées 
mêmes  de  l'Impératrice ,  et  pour  lui  présenter  un  plan 


LE   ROI   DE  SUÈDE.  393 

formé  et  adupté  aux  notions  sûres  qu'on  a  pu  recueil- 
lir dans  des  lieux  plus  près  du  théâtre  de  ces  grands 
événemenls,  qu'on  va  répondre  au  mémoire  de  l'Im- 
pératrice, et  cette  Princesse  y  verra  peut-être  avec 
quelque  plaisir  que  ses  idées  sont  suivies,  et  qu'Elle 
a  presque  prédit  ce  qu'on  projette  en  ce  moment. 

Jusqu'à  l'instant  de  l'évasion  du  Roi  de  France, 
le  Comte  d'Artois,  son  second  Frère,  seul  échappé  à  la 
fureur  de  la  populace  et  aux  fers  de  l'Assemblée  Na- 
tionale, avoit  conduit  les  négociations  avec  les  Cours 
étrangères  les  plus  proches  de  la  France;  mais  les  diffi- 
cultés qu'il  avait  éprouvées  lui  firent  demander  au  Roi 
son  Frère  une  autorisation  nécessaire.  Le  Roi  de 
France, qui,  au  mois  d'avril  dernier,  venoit  d'éprouver 
un  nouvel  outrage,  envoya  peu  de  temps  après,  en 
secret,  un  seigneur  de  sa  cour  (1)  avec  une  autorisa- 
tion, de  sa  propre  main,  pour  son  Frère.  Muni  de  ce 
pouvoir,  le  Comte  d'Artois  vit  l'Empereur  à  Mantoue, 
et,  après  deux  conférences,  obtint  de  ce  Prince  une 
promesse  positive  de  35,000  hommes  de  secours.  On 
avoit  en  même  temps  négocié  en  Suisse,  et  obtenu 
un  secours  de  12  à  15,000  hommes.  Les  Rois  d'Es- 
pagne et  de  Sardaigne  paroissoient  favorables.  Le  pre- 
mier avoit  déjà  fait  filer  des  troupes  sur  la  frontière  ; 
le  dernier  avoit  promis  15,000  hommes.  L'Empereur 
avoit  exigé  une  protestation  formelle  des  Princes  libres 
de  la  maison  de  Bourbon ,  et  une  réquisition  de  se- 
cours. Le  temps  qu'exigeoit  le  moyen  de  se  procurer 
des  signatures  des  Rois  d'Espagne  et  de  Naples  et  du 


(I)  Le  Comte  de  Durfort,  depuis  Duc  de  Civrac. 


d94  LE  ROI  DE  SUÉDE. 

Duc  de  Parme,  étoit  le  seul  obstacle  qui  empéchoit  de 
fixer  le  moment  pour  commencer  cette  {grande  entrer 
prise.  Les  Princes  de  l*Ëmpire  et  les  garants  du  traité 
de  Westphalie  dévoient  être  requis  pour  prêter  leurs 
secours  ,  et  l'Empereur  avoit  promis  d  appuyer  les  dé- 
marches du  Comte  d*Artois  à  la  Diète,  lorsque  le  Roi 
de  France  crut  trouver  des  facilités  de  pouvoir  se  sau- 
ver de  sa  prison.  Craignant  les  dangers  où  la  liireiir 
du  peuple  le  mettroit ,  Lui  et  sa  Famille  ,  au  moment 
de  l'attaque,  s'il  restoit  à  Paris,  il  ordonna  à  son  Frère 
de  suspendre  toute  entreprise  ultérieure  jusqu'à  noo» 
vel  ordre.  Le  Comte  d'Artois  se  soumit  à  cet  ordre 
avec  une  résignation ,  une  douleur  et  une  obéissance 
qui  lui  font  également  honneur.  Son  attachement  et 
son  respect  pour  son  Frère  et  son  Souverain  malhen* 
reux  sont  de  ces  sentiments  profonds  et  rares  qui 
sont  cheE  lui  d'autant  plus  respectables  qu'ils  mat* 
trisent  un  caractère  ardent  et  enflammé  du  désir  de 
se  signaler.  Le  Roi  de  France  fit  demander  en  même 
temps  des  ordres  pour  le  comte  de  Mercy,  relativement 
au  plan  qu'il  avoit  formé  conjointement  avec  le  mai^ 
quis  de  Bouille ,  qui  étoit  de  rassembler  sous  Mont- 
médy  le  plus  de  troupes  possible ,  et  qui  dévoient  être 
jointes  à  la  garnison  de  Luxembourg  et  aux  troupes 
impériales  de  Limbourg.  Ce  Prince  devoit,  au  moment 
de  sa  liberté,  se  mettre  à  la  tête  de  ce  corps  et  mar- 
cher droit  à  Paris.  Il  est  trop  connu  de  l'Europe,  l'é- 
vénement qui  dérangea  ce  pian ,  et  qui  replongea  œ 
malheureux  Prince,  la  Reine  et  le  Dauphin ,  son  fiils, 
dans  une  prison  plus  dure  encore ,  et  leur  fit  éprouver 
des  affronts  qui,  par  leur  nature,  rejaillissent  sur  toutes 


LE  ROI   DE  SUEDE.  399 

les  têtes  couronncies.  Monsieur  et  Madame  furent  les 
seuls  de  ces  illustres  înfortuni^  qui,  plus  heureux, 
échappèrent  de  leurs  fers.  Le  Roi  de  France ,  en  par* 
tant  de  Paris,  avoit  laissé  une  déclaration  ou  protesta* 
tion  contre  tout  ce  qui  s'étoit  passé  depuis  l'ouverture 
des  États  {«énéraux,  et  il  avoit  chargé  le  comte  de  Fer- 
sen ,  le  seul  seigneur  qui  1  avoit  accompagné  hors  de 
Paris,  d'une  lettre  pour  l'Empereur,  qu'il  envoya  (ks 
comte  de  Fersen)  de  Bondy  remettre  à  M.  de  Mercy^ 
pour  l'envoyer  à  l'Empereur,  en  cas  qu'il  eût  le  mal- 
heiu*  d'être  repris.  Ce  malheureux  événement  ayant 
changé  la  face  des  affaires,  et  les  troupes  de  M«  de 
Bouille ,  plutôt  effrayées  de  la  prise  du  Roi  que  cor- 
rompues, s^étant  dispersées,  le  marquis  de  Bouille  et 
la  plus  nombreuse  partie  des  officiers  de  tous  les  corps 
sous  ses  ordres  passèrent  la  frontière  et  se  mirent,  à 
Luxembourg,  sous  la  protection  de  l'Empereur.  Alors 
il  fallut  reprendre  le  plan  formé  par  le  Comte  d'Artois. 
Monsieur,  devenu  le  premier  seigneiur  du  saoç 
(terme  juridique  de  France) ,  fit  examiner  par  les  pre- 
miers magistrats  de  France,  par  des  pairs,  grands 
officiers  de  la  Couronne,  archevêques  et  évéques,  tous 
réfugiés  à  Bruxelles,  ses  droits.  Il  fut  convenu,  d'une 
voix  unanioM,  €|ue,  par  les  lois  de  France,  par  la  cap- 
tivité <lu  Boi  et  du  Dauphin,  Monsieur  étoit,  de  droit 
et,  ipso fmcio,  Rég^t  de  France;  qu'il  pouvoit,  qu'il 
devait  même  prendre  cette  qualité,  et  que  tout  ce 
qui  émaneroit  de  lui  devoit  être  regardé  comme  de 
droit  émané  de  l'autorité  du  Roi  même  ;  qu'il  n'avoit 
besoin  d'aucun  acte,  d'aucune  formalité  préalable,  et 
qu'il  entroit  en  exercice  |iar  devoir  même  de  son  droit, 


3M  LE  ROI  DR  Sn 

dès  que  la  captivité  du  Hoi  et  du 
ëtoit  constatée.  C'est  d'après  relfi 
sieur  a  envoyé  nn  lioninin  <le  (|r 
ponr  l(!  prévenir  de  son  droit,  et  •' 
étoit  de  prendre  mi  plus  tût  la  qnii' 
donner  pins  de   poids    ù  la  sgiiIp  '' 
reste,  et  qu'il  a  eK[>édié,  conjointemc 
des  a{[cnts  ]>oiii'  (continuer  les  iié(rnr-i 
mencées.  Par  le  droit  du  Ité^yent,   i' 
ministère  (|ui,  rassembla nt  dans  une  > 
négociations  et  mesures  à  prendre,  •' 
semble  aux  atTiiires,  qu'elles  n'ont  pas  ■ 
que  le  eonite  il'Ai'tois  seul,  et  ne  pouvir 
d'un  droit  évident  ni  prouver  ta  eaptiv- 
jouissuit  encore  d'une  sorte  de  liberté  ' 
voyoit  souvent  contrarié  par  des  né{;o(-i 
sales  émanées  des  Tuileries,  et  qui,  en  ' 
la  marche  des  affaires,  en  retaixloient  la  i- 
par  une  suite  de  ce  nouvel  ordre  de  clu.- 
deux  Princes  ont  reyardé  comme  csS4ïnliei  , 
ces  de  leur  cause  d'intéresser  f'Impéralhei.' 
surs  qu'un  aiissi  {;rand  nom,  si  lon{jteni|).s  . 
sion  d'imprimer  le  respect  et  la  terreur,   i., 
à  de  grands  secours.  Instniits  do  l'amitié  el  i. 
fiance  qui  rtignoient  entre  la  Suède  et  la  llu^. 
l'éloigncment    ne   pouvant   s'adresser    dirc^. 
l'Impératrice,  ils  se  sont  adressés  au  Rtn  .     ^^ 
lui  ont  confié  leurs  intérêts  auprè*  d'fiUo,     ^^ 
sant   ce  Prince  de   rnutortsatîon    aotbeulij^ 
on    a    laissé    pccmlre 
Baron    de 


LE   ROI   DE  SUÈDE.  397 

en  même  temps  en  France  par  plusieurs  endroits 
différents,  en  obsei^vant  cependant  de  porter  une  assez 
grande  masse  par  les  différents  points,  pour  éprouver 
une  moindre  résistance.  Les  troupes  de  l'Empereur 
(que  ce  Prince  a  promises  au  Comte  d'Artois,  pro- 
messe renouvelée  par  l'Empereur  à  la  Reine  sa  sœur, 
et  dont  on  a  vu  l'original  écrit  de  la  main  de  ce 
Prince),  fortes  de  trente  à  trente-cinq  mille  hommes, 
entreront  par  la  Flandre,  tandis  que  douze  a  quinze 
mille  Suisses  entreront  en  Franche-Comté  ;  que  quinze 
miUe  hommes ,  sous  les  ordres  du  Roi  de  Sardaigne, 
attaqueront  le  Dauphiné,  et  que  vingt  mille  hommes 
des  troupes  du  Roi  d'Espagne,  qui  menacent  déjà 
l'Assemblée  Nationale  du  côté  des  Pyrénées,  entreront 
par  là  dans  le  Royaume,  et  que  les  Princes  de  l'Em- 
pire et  les  Impériaux  du  côté  de  l'Alsace  et  de  Brisgau 
attaqueront  la  France.  On  a  même  des  notions  qu'on 
croit  sûres,  que  le  Roi  d'Angleterre,  loin  de  s'opposer 
à  une  pareille  attaque,  resteroit  parfaitement  neutre, 
ou  qu'il  se  dédommageroit  (ce  qu'on  ne  peut  empêcher) 
sur  les  Antilles  françoises  de  l'inaction  qu'il  voudra 
bien  conserver.  M.  de  Calonne  est  passé  pour  cet  effet  en 
Angleterre,  et  on  se  flatte  même  (il  est  vrai  que  des 
expressions  échappées  au  Roi  d'Angleterre  y  donnent 
quelque  lieu)  qu'il  pourroit  bien  permettre  à  une  partie 
des  troupes  hanovriennesde  renforcer  l'armée  de  l'Em- 
pire ;  et  l'on  croit  que  l'Empereur  négocie  avec  le  Roi 
de  Prusse,  pour  qu'il  joigne  ses  troupes  de  Westphalie 
à  la  masse  de  celles  des  Souverains  qu'on  espère  armer 
en  faveur  d'un  Roi  opprimé.  Dès  que  les  Princes  se 
trouveront  sur  terre  françoise,  ils  assembleront  autour 


398  LE  ROI  I>E   SUÉDE. 

d'eux  les  Pairs,  g^rands  officiers  de  la  Couronne,  arche- 
Yéques,  évéques,  et  magistrats  des  Parlenieiits  ;  et  là, 
après  avoir  fait  déclarer  la  R^ence,  Monsieur  donnera 
une  assurance  de  conserver  les  anciennes  lois  du 
Royaume,  et  les  droits  des  différents  ordres,  et  réinté- 
grrer  les  Parlements.  Il  n*est  pas  doutenx  que  la  terreor 
et  la  confusion,  la  dissension  et  le  désordre  qae  les 
mouvements  populaires  entraînent,  joints  aux  lenteurs 
et  au  peu  de  secret  qu'il  est  impossible  de  conserver 
dans  une  délibération  d'un  Corps,  ne  favorisent  Fat^ 
taque  des  Princes ,  et  il  est  à  croire  que  les  succès 
suivent  leur  entreprise.  Tels  sont  les  projets,  lés  plans 
et  les  moyens  des  Princes.  Il  ne  reste  maintenant  qu'à 
mettre  sous  les  yeux  de  la  Princesse  la  phis  éclairée  du 
siècle  quelques  considérations,  qui  ne  peuvent  échap- 
per  à  sa  pénétration,  mais  qui  sont  également  néces- 
saires à  détailler.  Il  faut,  pour  la  réussite  de  cette 
entreprise,  un  chef  suprême ,  qui  par  son  rang ,  son 
désintéressement,  et  l'unité  qu'il  peut  mettre  dans 
toutes  les  c^pérations,  y  donne  plus  de  célérité.  C'est 
un  bien  grand  honneur  que  ie  suffrage  de  l'Impéra- 
trice, et  une  grande  présomption  en  sa  faveur,  la  con- 
fiance des  Princes  François  s'y  joignant,  et  il  scroit 
difficile  à  se  refuser  à  des  titres  si  flatteurs  ;  mais  il 
faut  une  grande  masse  de  forces  qui  ne  dépendent  qme 
de  foi  et  de  l'Impératrice,  qui,  dirigées  par  Elle  et 
commandées  par  lui,  lui  donnera  le  poids  nécessaire 
d'une  autorité  qui  ne  dépendit  pas  uniquement  de  ta 
confiance.  Seize  mille  Suédois,  joints  à  six  mille  Ri^»ses 
transportés  sur  des  vaisseaux  suédois  et  russes  imîs 
ensemble,  dans  le  port  d'Ostende ,  portés  ensuite  itans 


LE  ROI  DE  SUÉDE.  399 

le  pays  de  Liège  pour  former,  avec  les  troupes  de 
Hesse  et  les  Palatins,  le  centre  de  cette  ligne,  dont  la 
droite  sera  vers  Dunkerque  et  la  gauche  vers  Stras- 
bourg, feront  que  le  Nord  décidera  de  cette  entre- 
prise, du  succès  de  laquelle  le  sort  de  tant  d'États 
dépendra. 

Il  paroit  nécessaire,  lorsque  la  Suède  et  la  Russie 
s'unissent  par  une  alliance  posée  sur  les  principes  de 
rintérét  commun,  de  donner  au  Nord  un  poids  décidé 
en  Europe  ;  fondée  au  reste  sur  Tamitié  et  la  confiance 
personnelles  des  deux  Souverains,  que  le  premier  effet 
de  cette  alliance  paroisse  aux  yeux  de  l'Europe  par  le 
poids  considérable  qu'elle  portera  sur  l'affaire  la  plus 
importante  du  Midi.  Il  paroit  que  la  gloire  de  l'Impé- 
ratrice (qui  pendant  tout  le  cours  de  son  règne  a  tou- 
jours pris  part  à  tous  les  événements  de  l'Europe)  soit 
intéressée  a  ne  pas  laisser  perdre  l'attention  qu'Elle  a 
fixée  sur  Elle.  Il  est  également  intéressant  et  essentiel 
que  la  nouvelle  alliance  du  Nord  donne,  dès  son  com- 
mencement, une  grande  idée  d'elle,  et  l'on  croit  ne 
pas  avancer  un  paradoxe,  de  dire  que  plutôt  de  rester 
spectateur  indifférent  de  ce  qui  va  se  passer,  il  seroit 
mieux  et  plus  utile  pour  la  considération  de  l'alliance  du 
Nord  (quelque  contraire  aux  principes  des  deux  Souve- 
rains et  même  immoral  qu'il  le  seroit) ,  de  prendre  le 
parti  de  l'Assemblée  Nationale  contre  les  Princes , 
que  de  rester  neutre  et  inutile  ;  car  du  moins  alors  se 
feroit-on  craindre.  Si,  contre  toute  probabilité,  l'As- 
semblée Nationale  avoit  le  dessus,  on  pourroit  espérer 
un  allié  utile  ;  mais  en  restant  indifférent ,  le  Midi 
oublieroit  le  Nord,  ce  qui  est  trop  impolitique,  sa  con- 


400  LE  ROI  DE  SUÉDE. 

sidération ,    même   d 'opinion ,   étant  une    chose   plus 
essentielle  à  conserver  que  le  vulgaire  n'en  juge. 

D'ailleurs,  il  pourroit  arriver  que  les  Puissances, 
telles  que  l'Angleterre,  la  Prusse  et  l'Autriche,  au 
milieu  de  la  contre -révolution  commencée,  eussent 
quelques  velléités  de  profiter  du  malheur  de  la  France, 
et  pour  se  dédommager  des  frais  ne  convinssent  d*un 
partage  qu'on  ne  pourroit  prévenir  ;  qui  seroit  égale- 
ment destructif  pour  la  balance  de  l'Europe,  qu'il  (qui) 
seroit  funeste  pour  la  considération  du  Nord  qui  ne 
pourroit  ni  l'empêcher,  ni  en  profiter  ;  ce  qui  ne  pour- 
roit arriver  si  les  alliés  du  Nord,  avec  une  force  à  eux, 
tiendroient  la  balance  entre  ces  différents  intérêts,  et 
leur  imposeroient  également  par  l'exemple  de  leur 
désintéressement  et  par  l'empêchement  local  qu'ils 
pourroient  opposer  à  de  tels  projets.  Au  reste,  il  pareil 
que  pour  fortifier  l'alliance  du  Nord,  le  projet  a  été  d'y 
faire  accéder  la  France  et  l'Espagne.  Il  ne  peut  donc 
pas  être  indifférent  à  la  Russie  de  rendre  à  la  maison 
Royale  de  France  des  services  qui  lui  méritent  sarecon- 
noissance;  et  il  est  conforme  et  au  caractère  connu  de 
l'Impératrice  et  à  son  intérêt  que  ces  services  soient 
considérables  et  non  médiocres.  Et  rien  ne  peut  être 
plus  méritoire  dans  ce  moment  que  d'aider  par  des  ser- 
vices pécuniaires  la  Suède  a  mettre  ses  troupes  en  mou- 
vement et  d'y  joindre  ses  propres  forces  (1).  Rien 
d'ailleurs  ne  donneroit  une  plus  grande  et  plus  juste 
idée  des  ressources  de  l'Impératrice  que  de  la  voir  au 


(1)  Voilà  où  Gustave  III  en  voulait  venir.   Il  était  disposé  à  coni' 
mander  la  coalition,  pourvu  qu*il  touchât  une  subvention. 


LE  ROI   DE  SUÈDE.  401 

milieu  de  la  {][uerrc  contre  FOrient,  unie  aux  Suédois, 
venir  du  fond  du  Nord  au  secours  du  Roi  de  France  ; 
et  si  les  secours  d'argent,  nécessaires  pour  que  la  Suède 
puisse  mouvoir  ses  vaisseaux  et  ses  soldats,  pourroient 
paroitre  à  la  Russie  onéreux  en  ce  moment,  il  seroit 
aisé  d*en  faire  garantir  une  partie  comme  dette  de  la 
France,  pourvu  que  la  munificence  de  l'Impératrice  en 
fit  les  avances.  Il  faudroit  donc  joindre  à  la  rade  de 
Gothembourg  ou  dans  le  Sund ,  aux  vaisseaux  suédois 
des  vaisseaux  russes,  ce  qui  ne  seroit  ni  embarrassant 
ni  coûteux  pour  Tlmpératrice,  puisque  tous  ses  vais- 
seaux sont  tout  équipés  à  la  rade  de  Gronstadt.  Cette 
escadre,  sous  le  commandement  du  roi  de  Suède,  por- 
teroit  les  seize  mille  Suédois  et  les  six  ou  huit  mille 
Russes  dans  le  port  d'Ostende,  où  ils  débarqueroient 
avec  le  consentement  de  l'Empereur,  si  avant  ce  temps 
on  ne  pouvoit  s'assurer  de  quelque  port  de  France. 
Elle  devroit  partir,  vers  la  fin  d'août,  des  côtes  de 
Suède  pour  être,  au  commencement  de  septembre,  arri- 
vée à  Ostende  :  c'est  de  là  que,  se  rendant  par  la 
Flandre,  soit  sur  le  centre  droit,  soit  sur  l'aile  droite 
de  l'armée  combinée,  ils  feront  respecter  le  Nord  au 
Midi,  et  contribueront  à  étendre  la  gloire  de  Cathe- 
rine II  et  de  la  Nation  qu'Elle  gouverne,  ainsi  que  de 
l'allié  qu'Elle  va  acquérir.  Et  une  fois  en  pays  françois, 
l'entretien  des  troupes  sera  aisé,  et  se  fera  aux  dépens 
du  pays  dont  la  révolte  a  exigé  ces  efforts.  Portant  sa 
marche  sur  Paris ,  on  détruira  le  mal  dans  son  centre. 
Voilà  le  plan  qu'on  soumet  à  l'approbation  de  l'Im- 
pératrice. Cette  Princesse  verra  en  tout  qu'on  a  suivi 
le  chemin  qu'Elle  a  tracé,  et  qu'on  sera  autant  flatté 

TOMB  m.  16 


402  MADAME   ELISABETH. 

de  son  sufFrage  qu'on  sera  ardent  à  soutenir  la  gloire 
de  ses  armes  et  empressé  de  suivre  pour  l'exécution  ses 
avis.  Les  résolutions  dignes  de  Catherine  II  doivent 
être  prises  avec  célérité,  et  on  les  exécutera  de  même. 
La  fortune,  constante  à  seconder  ses  entreprises,  ne 
l'abandonnera  pas  dans  la  plus  juste,  la  plus  noble  et 
la  plus  désintéressée. 


DLin 

MADAME  ÉLISAUETII  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Elle  est  sensible  aux  marquc«  (rainitic,  surtout  en  ce  moment.  —  Le 
Roi  et  1.1  Reine  sont  (jardés  à  vue.  —  La  loi  sur  l'éniigration  est 
très-sévère. 

Dans  la  seconde  partie,  écrite  en  encre  Aympathiqtie,  elle  dit 
qu'il  faut  s'abandonner  entre  les  mains  de  Dieu  et  qu'on  va  engager 
le  Comte  d'Artois  à  en  faire  autant.  —  Ce  qu'a  été  le  voyage  de 
Varcnnes  à  Paris  avec  Barnavc  et  Péthion. 

Ce  10  juillet  1791. 

J'ai  reçu  votre  petite  lettre,  ma  chère  Bombe;  j*y 
réponds  de  même.  Quoique  nous  différions  d'opinions, 
les  marques  d'amitié  que  vous  m'y  donnez  me  font  un 
bien  grand  plaisir.  Tu  sais  qu'en  général  j'y  suis  sen- 
sible, et  tu  peux  juger  si,  dans  un  moment  commi 
celui-ci,  Tamitié  ne  devient  pas  mille  fois  plus  pré 
cieuse.  Tu  as  une  mauvaise  tête  ;  ménage-la,  mon  cœur 
tranquillise-toi  :  tout  ce  qui  t'intéresse  se  porte  bien 
Que  la  petite  trouve  dans  ce  billet  tout  ce  que  je 
puis  exprimer.  Le  mot  qu'elle  a  mis  dans  ta  lettre  m'a 


MADAME  ELISABETH.  403 

fait  aussi  un  grand  plaisir.  J'espère  qu'elle  n'en  doute 
pas.  Paris  et  le  Roi  sont  toujours  dans  la  même  posi- 
tion :  le  premier  tranquille ,  et  le  second  gardé  à  vue 
ainsi  que  la  Reine.  Même,  hier,  on  a  établi  une  espèce 
de  camp  sous  leurs  fenêtres,  de  peur  qu'ils  ne  sautept 
dans  le  jardin,  qui  est  hermétiquement  fermé,  et  qui  est 
rempli  de  sentinelles,  entre  autres  deux  ou  trois  sous  ces 
mêmes  fenêtres.  Adieu,  mon  cœur,  je  vous  embrasse 
tendrement  ainsi  que  la  petite.  On  dit  que  l'affaire  du 
Roi  sera  rapportée  bientôt  et  qu'après  il  aura  sa  liberté. 
La  loi  pour  les  émigrants  est  très- sévère  ;  ils  payeront 
les  trois  cinquièmes  de  leurs  biens. 

Ici  la  Princesse  continue  en  encre  sympatidque  : 

Non,  mon  cœur,  je  suis  bien  loin  de  permettre  votre 
retour.  Ce  n'est  pas  assurément  que  je  ne  fus  charmée 
de  vous  voir,  mais  c'est  parce  que  je  suis  convaincue 
que  tu  ne  serois  pas  en  sûreté  ici.  Conserve-toi  pour 
des  moments  plus  heureux,  où  nous  pourrons  peut- 
être  jouir  en  paix  de  l'amitié  qui  nous  unit.  J'ai  été 
bien  malheureuse-;  je  le  suis  moins.  Si  je  voyois  un 
terme  à  tout  ceci ,  je  supporterois  plus  facilement  ce 
qui  arrive  ;  mais  c'est  le  temps  de  s'abandonner  entiè- 
rement entre  les  mains  de  Dieu ,  chose  en  vérité  à  faire 
par  le  C**  d'Artois.  Nous  devons  même  lui  écrire  pour 
l'v  engager.  Nos  maîtres  le  veulent.  Je  ne  crois  pas  que 
cela  le  décide.  Notre  voyage  avec  Barnave  et  Péthion 
s* est   passé  le   plus   ridiculement.   Vous   croyez   sans 
doute  que  nous  étions  au  supplice;  point  du  tout.  Ils 

ont  été  bien ,  surtout  le  premier,  qui  a  beaucoup  d'es- 

26. 


404  MADAME   ELISABETH. 

prit  et  qui  n'est  point  féroce  comme  on  le  dit.  J*ai 
commencé  par  leur  montrer  franchement  mon  opinion 
sur  leurs  opérations,  et  nous  avons,  après,  causé  le  reste 
du  voyage ,  comme  si  nous  étions  étrangers  à  la  chose. 
Barnave  a  sauvé  les  gardes  dli  coips  qui  étoient  avec 
nous,  que  la  garde  nationale  vouloit  massacrer  en  arri- 
vant. On  dit  qu'à (Le  reste  manque.) 


Le  18,  la  suppression  des  char(jcs  de  la  maison  du  Roi  et 
de  la  Reine  avait  été  prononcée. 

Le  21,  fiiite  du  Roi. 

Le  22,  proclamation  de  TAssemblôe  Nationale  aux  Fran- 
çais, snr  les  circonstances  dans  lesqnelles  l'a  placée  la  fuite 
de  la  famille  royale.  Le  même  jonr,  à  9  heures  du  soir,  le 
président  communique  à  rAssemblée  Nationale  une  lettre 
de  la  municipalité  de  Yarennes  annonçant  Tarrcstation  du 
Roi.  Le  2^),  elle  envoie  trois  de  ses  membres  pour  accompa- 
gner le  Roi  à  son  retour. 

Le  25,  r Assemblée  pour\*oît,  par  des  mesures  législatives, 
à  la  sûreté  du  Roi,  à  la  garde  particulière  de  l'héritier  pré- 
somptif de  la  Couronne,  et  rC»gle  la  manière  dont  seront 
reçues  les  déclarations  du  Roi  et  de  la  Reine. 

Le  8  juillet,  loi  sur  la  conservation  des  places  de  guerre 
et  la  démarcation  des  pouvoirs  entre  l'autorité  civile  et  l'au- 
torité militaire,  entre  les  troupes  de  ligne  et  les  gardes  natio- 
nales, enfin  sur  l'état  de  siège  des  villes  et  la  suspension  de 
l'autorité  civile  [Kîndant  la  durée  de  cette  mesure. 

Le  9,  injonction  aux  émigrés  de  rentrer  sous  trois  mois, 
à  peine  de  triple  imposition. 


LA    REINE   DE   SARDAIGNE.  M5 


DLIV 

LA  REINE  DE  SARDAIGNE, 

SOEUR    DE    MADAME   ELISABETH, 

A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Vives  tendresses  et  prote.<<tations  d'niuitic.  —  Elle  lui  donne  des  nou- 
velles de  Madame  Klisaheth.  —  Cette  Princesse  aurait  pu  quitter  la 
France  en  prenant  une  autre  route;  mais  elle  s'est  sacrifiée  à  ses 
devoirs.  —  Madame  de  Coëtlogon. 


A  Montcallier,  ce  13  juillet  1791. 

Je  n*aurois  certainement  pas  tardé  aussi  lon{;temps , 
ma  chère  amie,  à  répondre  à  votre  chère  lettre,  qui  m*a 
causé  la  plus  sensible  joie,  si  je  n*avois  pas  été  aussi 
agitée  par  les  cruels  événements  qui  mettent  le  comble 
à  nos  malheurs  et  à  votre  profonde  douleur.  Je  n'ai  pas 
de  peine  à  juger  de  l'impression  qu'ils  auront  faite  sur 
vous;  mais  par  là  même,  j'en  suis  très-inquiète  pour 
votre  santé,  et  vous  demande  en  grâce  de  ne  pas  tarder 
à  m'en  donner  des  nouvelles,  que  j'attendrai  avec  la 
plus  grande  impatience.  Vous  êtes  bien  aimable  de  me 
prier  de  vous  donner  quelquefois  des  miennes.  Ah  ! 
ma  chère  Angélique ,  ce  sera  toujours  avec  im  véritable 
plaisir  que  je  me  rappellerai  à  votre  souvenir,  et  vous 
renouvellerai  les  assurances  de  cette  ancienne  et  tendre 
amitié,  qui  nous  a  unies  dès  notre  enfance,  dans  ces 
temps  heureux  où  nous  goûtions  le  bonheur,  et  dont  le 
souvenir  est  pour  moi  bien  doux,  mais  bien  mêlé  d'amer- 
tume. Dites-moi  aussi,  je  vous  en  conjure,  ma  clière 


406  LA    REINE   DE   SATIDAIGNE, 

Angélique,  que  vous  m'aimez  toujours  et  me  conserve- 
rez toujours  cette  amitié  qui  m'est  bien  précieuse  ;  et 
soyez  bien  sûre  que  la  mienne  pour  vous  n'aura  d'autres 
bornes  que  celles  de  ma  vie.  Je  ne  sais  si  vous  avez  eu 
des  nouvelles  de  ma  sœur  depuis  cette  fatale  époque  (1) , 
qui  vous  aura  aussi  bien  alarmée  pour  elle.  Ainsi,  je 
me  hâte  de  vous  mander  que  j'en  ai  déjà  reçu  deux: 
lettres  datées  du  V  et  du  4,  où  elle  m'assure  qu'elle  se 
porte  bien,  ainsi  que  tous  ceux  qui  m'intéressent,  et 
que  ces  quatre  jours  de  fatigue  de  corps  et  d'esprit  n'ont 
point  influé  sur  leur  physique,  ce  qu'elle  regarde  comme 
un  miracle  de  la  Providence.  Oh,  que  vous  avez  bien 
raison  de  regretter  qu'elle  ne  fût  pas  à  Turin  !  Que 
n'a-t-elle  du  moins  pris  la  même  route  que  Monsieur 
et  Madame!  Mais  elle  sat  [s'est]  absolument  dévouée  et 
sacrifiée  h  ses  devoirs,  et  il  est  impossible  que  le  bon 
Dieu  ne  l'en  récompense  pas. 

Madame  de  Coctlogon  m'a  priée  de  vous  faire  mille 
amitiés  de  sa  part,  et  de  vous  bien  reprocher  de  ce  que 
vous  n'avez  pas  répondu  à  la  lettre  qu'elle  vous  a  écrite 
avant  votre  départ  de  Venise. 

Je  vous  adresse  celle-ci  à  Stuttgardt,  espérant,  au.^ 

cas  où  vous  en  fussiez  partie,  que  M.  votre  Frère  vou^^ 

la  renverra,  et  je  vous  prie  de  me  marquer  dorénavai 

où  je  dois  vous  les  adresser.   Adieu ,  ma  chère  amu 

pensez  souvent  à  moi,  je  vous  en  conjure.  Aimez-m^^/ 

toujours,  et  ne  doutez  jamais  de  la  tendre,  sincère  ^ 

inviolable  amitié  avec  laquelle  je  vous  embrasse  de  ton/ 

mon  cœur. 

Mabus-^Glotilde. 


(1)  Le  retour  de  Varcnncd. 


LE  COMTE  DE  PROVENCE.  407 


DLV 

LE  COMTE  DE  PROVENCE  AU  ROI  DE  SUÈDE  (1). 

Son  espoir  clans  les  négociations  suivies  par  Gustave  III.  ^-  Entrevue 
avec  M.  de  Bouille  :  raccord  n'a  pas  été  complet.  —  La  Reine  a 
donné  de  ses  nouvelles,  mais  sans  détails. 


A  Schonburnlust,  ce  16  juillet  1791. 

Monsieur  mon  Frère  et  Cousin, 

Votre  Majesté  ne  se  déraent  jamais;  j'ai  reçu  avec 
autant  de  plaisir  que  de  reconnoissance  la  lettre  qu'Elle 
a  bien  voulu  m'écrire  et  la  copie  de  ses  ordres.  Les 
négociations  dont  Elle  veut  bien  se  charger  ne  peuvent 
qu'être  couronnées  par  le  succès,  et  quand  l'intérêt 
personnel  de  chacun  des  Souverains  de  l'Europe  ne 
seroit  pas  aussi  évident  qu'il  l'est  dans  cette  affaire, 
l'exemple  de-  Gustave  III  suffiroit  seul  pour  les  déter- 
miner à  agir  promptement  et  efficacement.  Nous  avons 
eu  des  nouvelles  de  l'Empereur,  qui  semble  prendre  la 
nouvelle  du  crime,  dont  mes  aveuglés  compatriotes 
viennent  de  se  rendre  coupables,  en  frère  et  en  Roi. — 
M.  de  Bouille  a  passé  ici  dimanche ,  nous  avons  eu 
deux  conversations,  le  Comte  d'Artois  et  moi,  avec  lui  ; 
dans  la  première ,  nous  n'avons  pas  été  parfaitement 
d'accord,  mais  dans  la  seconde,  il  étoit  beaucoup  plus 


(1)  Original  autographe.  Archives  du  Ministère  des  Affaires  Étran-% 
grres,  à  Stockliohn. 

26' 


»!»«  •  "•  '  Tare  e»<=»«  "  „ -iV  „e  *er<*«  '  y .« 

âe  *»'''       L  '«'  1"°'^    "toi  <f«  *"  î  1  leW  *' 

W^tus  ces  déia^  ',    ^^^,  ,u  aox^-^^^^oéde 
dans  tou  .yjuer  \a  »*  __  ^  -^Ue  »»  *  ^,  «u'ftVle 


i 


»»r"iE««.'°»' "",.■>.«»'• 


looo^^®  vi«\csté, 

Vtère 


«»«^""         d.V»"'«'i*:,^«elO«-- 


LE   nOI  J)E   SUEDE.  401^ 


DLVI 


MEMOIUK 

£\VOYK    PAR    LE     ROI    DE    SUÈDI::    AI'    ROI    u'eSPACNK  , 
SIR    LES    AFFAIRES    DE    FRANCE  (I). 


Aix-Ia.Cliai)eIle,  le  1(>  juillet  1791. 

Le  Roi  de  Suède,  qui  joint  au  titre  du  plus  ancien 
allie  de  la  maison  royale  de  France  celui  de  Tami  le 
plus  sincère  du  sang  des  Bourbons,  n'a  pu  voir  qu'avec 
la  plus  vite  douleur  et  suivre  avec  l'attention  la  plus 
inquiète  les  désordres  et  les  révoltes  qui  ont  renversé 
le  trône  de  Louis  XVI.  Trop  occupé  à  défendre  son 
royaume  contre  ses  ennemis  extérieurs,  et  de  soute- 
nir son  trône  contre  l'esprit  turbulent  de  quelques 
factieux,  le  Roi  n'a  pu,  jusqu'au  moment  de  la  signa- 
ture de  la  paix  de  Verclâ ,  s'occuper  des  soins  que  son 
amitié  pour  le  Roi  Très-Chrétien  et  l'intérêt  de  tous 
les  Rois  lui  prescrivoient ;  mais,  dès  que  la  tranquillité 
intérieure  et  extérieure  a  été  rétablie  dans  ses  États, 
Sa  Majesté  a  songé  à  tous  les  moyens  qui  dépendoient 
de  lui ,  pour  procurer  au  Roi  de  France  des  amis  et 
des  secours.  Le  Roi  trouva  pour  premier  obstacle  la 
présomption  incertaine  de  la  volonté  du  Roi  de  France. 
Dne  apparente  lil>erté  prétoit  à  l'Assemblée  Nationale 
des  forces  par  le  nom  du  Roi,  dont  elle  se  servoit 
oontre  lui  et  ses  vrais  intérêts  pour  autoriser  les  dé- 


(1)  Minute  oi'if'inale,  oorn^^ée  <le  In  main  du  Roi  de  Suède,  Archive» 
du  Minùtèi^  des  Affaires  Étrangères,  à  Stockbuloi. 


410  LE   ROI   DE  SUEDE. 

marches  les  plus  fimestes  à  ce  Prince  et  consacrer  par 
son  nom  les  attentats  des  factieux.  Ce  fut  ces  objec- 
tions que  rimpératrice  de  Russie  présentii  aux  repré- 
sentations du  Roi  pour  concourir  au  secours  du  Roi 
Très-Chrétien,  qui  détermina  le  Roi  d'employer  tout 
pour  engager  Sa  Majesté  Très-Chrétienne  de  se  déli- 
vrer des  fers  où  il  étoit  retenu,  de  montrer  à  l'Europe 
entière  ses  vrais  sentiments,  sa  situation  malheureuse, 
et  par  là  de  mettre  ses  amis  dans  l'état  de  le  seconder 
avec  plus  d'activité.  Le  Roi  travailla,  en  même  temps, 
à  une  union  plus  étroite  avec  la  Russie ,  dont  la  base, 
fondée  sur  une  estime  et  un  intérêt  réciprotfues,  doit 
nécessairement  faciliter  la  réquération  de  la  France, 
(Les  mots  soulignés  sont  ajoutés  au  crayon  sur  la  co- 
pie, de  la  main  propre  de  Gustave  111.)  Le  Roi  trouva 
dans  les  sentiments  élevés  de  l'Impératrice  une  fiaci- 
lité  (|u'il  devoit  attendre,  et  cette  négociation  impor- 
tante touche  presque  à  sa  fin.  Le  Roi  Très-Chrétien 
cependant,  convaincu  de  la  nécessité  de  mettre  sa  per- 
sonne en  sûreté,  entreprit  de  se  délivrer  de  la  capti- 
vité où  l'Assemblée  le  retenoit,  et  le  Roi,  instruit  du 
temps  de  l'évasion  de  la  Famille  royale  de  France,  se 
rendit  îi  Aix-la-Chapelle,  pour  offrir  au  Roi  de  France 
sa  personne  et  l'expérience  que  les  troubles  qu'il  avoit 
si  souvent  surmontés  dans  ses  États  lui  avoient  acquise; 
et  décidé  de  faire  porter  sur  ses  vaisseaux  10,000 
Suédois,  que  le  Roi  tenoit  tout  prêts  à  s'embarquer  sur 
la  flotte  que  le  Roi ,  sous  le  prétexte  de  l'attente  de  la 
flotte  angloise  dans  la  Raltique ,  avoit  fait  équiper,  et 
qui  n'attendoit  que  les  fonds  nécessaires  pour  une  en- 
treprise si  lointaine,  et  que  la  liberté  de  la  personne 


LE  ROI  DE  SUÈDE.  411 

du  Roi  de  France  lui  eût  bientôt  fourni  le  crédit  néces- 
saire pour  trouver.  Le  malheur  arrivé  à  la  personne 
du  Roi  Très-Chrétien  et  à  sa  famille,  loin  de  ralentir 
le  zèle  du  Roi,  n'a  fait  que  lui  donner  une  nouvelle 
ardeur.  Le  Roi  n'a  attendu  de  s'expliquer  clairement 
que  de  savoir  les  impressions  que  la  première  nouvelle 
de  l'attentat  commis  à  Varennes  a  faite  sur  l'esprit  de 
l'Empereur  ;  et  depuis  que  le  Roi  est  instruit  que  l'Em- 
pereur est  décidé  de  ne  point  abandonner  sa  sœur  et 
son  beau-frère  ;  que  le  Roi  sait  qu'il  est  question  d'en- 
gager le  Roi  de  Prusse  à  concourir  à  cette  cause  de 
tous  les  Souverains ,  le  Roi  croit  ne  devoir  pas  perdre 
1^1  moment  pour  y  concourir,  et  que  le  Roi  d'Espa- 
gne, le  premier  souverain  de  la  maison  de  Bourbon, 
est  le  seul  des  Princes  du  Midi  à  qui  il  doit  s'adresser, 
et  à  qui  ij  peut  s'ouvrir  sans  détour.  Le  Roi  propose 
donc  à  Sa  Majesté  Catholique  de  transporter  sur  ses 
vaisseaux,  soit  du  Sund,  soit  du  port  de  Gothembourg, 
16,000  Suédois  pour  débarquer  dans  le  port  d'Os- 
tende,  pour  passer  ensuite  dans  le  pays  de  Liège,  et 
sous  son  propre  commandement ,  y  réunir  à  sou  corps 
toutes  les  troupes  allemandes  que  Sa  Majesté  pourra 
engager  à  son  service.  C'est  de  là  que  le  Roi  veut  pé- 
nétrer en  France,  tandis  que  les  troupes  impériales 
feront  leur  attaque  de  leur  côté ,  et  que  Sa  Majesté 
Catholique  menacera  ou  entrera  par  les  Pyrénées  en 
France.  Le  Roi  négocie  en  ce  moment  avec  les  Princes 
d'Allemagne.  Il  croit  pouvoir  obtenir  12,000  Hessois, 
qui,  joints  aux  Suédois  et  à  des  troupes  de  1,000  à 
2,000  hommes  de  divers  Princes  de  l'Empire ,  qu'on 
engagera  par  pelotons,  formeront  un  corps  assez  con- 


\ 

1 

^^*'  *^        mètae  d'eoSaS*^     ^^e  sera  sig"^'      ^e  \e9 
Oise  ftatie  ^^«'^^..e  1^-^  «^f ,,,  Suéd-:'.;  Sail- 
mettre \r^^f2e  seo^'''^  *'"  ,  un  covÇ^  'par  son 
.  ratVvoU'P®     ,    „  d'avoir  «*      .,pc  an»»  î       ,\» 
i^'''      I  de  Bonv^««  J       ^,„„  Vr.nce  q     .^^^^^e 

\a  «'"*'      ,  sous  \c«  "^*7  ,^  sAtua^o^ ,  «^       au  ^"^ 

^"^^^^;  Vautres  ^^^^^%^  sa  V^^ "st  enco-  - 
''":!  da«s  ^"-^^eu-nt ,  et  q«  ^^;;^  ^.ance  un 

pressant  P°   „^.  «ssex  c»"**   «\  pourro^"''.     «aetésVs^ 
VEspoG" 


LE  nOI  DE  SUEDE.  413 

ronne  de  France,  et  Sa  Mnjestu  iittend  de  Sa  Majesté 
Catholique  lu  même  coiifiiinre  <jue  le  Riii  met  <■»  Elle. 
Le  Roi  engage  sa  foi  de  Roi  et  sa  parole  de  {jeiitrl- 
homme  que  les  fonds  qu'on  lui  confiera  ne  seront  em- 
ployés qu'an  but  auquel  ils  sont  destinés.  I.e  Rui  ati- 
roit  donc  besoin  d'un  secours  de  douze  millions  de 
livres  tournois  pour  les  piemicrs  six  mois  et  le  trans- 
port de  ses  trou|>rs  et  leur  marcbo  vers  la  frontière 
de  France,  dont  il  lui  sufBra  de  toucher  six  milli(ms 
dans  le  premier  moment,  —  et  le  Roi  suuliaite  une 
autorisation  de  Sa  Majesté  Catholique  pour  garantir 
les  promesses  qu'il  pourra  faire  aux  Princes  de  l'Em- 
pire, et  même  les  avances  qu'ils  ]i(Hirront  exiger. 

Le  Roi  vient  de  confier  ii  Sa  Majesté  Catholique  S4?s 
plus  chers  intérêts.  H  attend  une  confiance  éyale,  et 
surtout  une  réponse  prompte.  Le  temps  s'avance,  et 
si  l'on  ne  vient  dans  le  courant  de  septembre  au  se- 
cours de  la  France,  il  faut  y  renoncer.  Le  Roi  craint 
iqu'alors  les  Puissances  étrangères  se  verront  forcc-es 
de  traiter  avec  l'Assemblée  Nationale  et  la  reconnoftre, 
ce  qui  porteroit  le  dernier  coup  à  la  Maison  de  France. 
Le  Roi  doit  ajouter  que  Sa  Majesté  est  assurée  que  le 
Roi  d'Angleterre  (si  même  avec  les  Hanovriens  il 
n'aide  le  Roi)  ne  mettra  aucun  obstacle  aux  secours 
qu'on  portera  à  la  France. 


414  MADAME    ELISABETH. 


DLVII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

On  a  tiré  sur  \v  peuple  par  ordre  de  rAsserobléc.  Depuis  ce  moment) 
on  jouit  du  calme ,  par  la  déroute  de  l'armée  des  sans-<;uIottes.  — 
Nouvelles  qui  courent  d'une  intervention  étrangère  pour  empêcher 
rétablissement  de  la  Constitution. 

La  Princesse  finit  sa  lettre  en  enXrc  sympathique.  Elle  pente 
qu'il  faut  qu'on  accorde  une  confiance  absolue  au  Comte  d'Artois. 
—  Danger  de  prétendre  arriver  par  des  chemins  différents  et  une 
politique  diverse  à  un  même  but.  —  Elle  espère  dans  les  Puissances 
étrangères,  à  qui  les  événements  récents  ont  dû  donner  une 
secousse.  —  Elle  redoute  l'Angleterre  et  la  Pi-usse.  —  Espoir  que 
les  officiers  qui  ont  accompagné  le  Roi  et  sa  Famille  à  Varennei 
seront  sauvés. 

Ce  23  juillet  1791. 

J'ai  reçu  ta  lettre,  ma  chère  Bombelles,  qui  m'a  fait 
grand  plaisir;  je  suis  seulement  fâchée  de  n'avoir  pas 
le  temps  d*y  répondre  longuement,  mais  étant  en 
retard  pour  d'autres  lettres,  il  faut  que  je  les  abrège  ; 
tu  y  verras  toujours  mes  sentiments  pour  toi. 

Nous  avons  eu  beaucoup  de  mouvement  l'autre  jour, 
qui  étoit  dimanche;  on  a  été  obligé  de  tirer  sur  le 
peuple,  par  ordre  de  l'Assemblée  ;  il  y  a  eu,  dit-on, 
cent  cinquante  hommes  tués  (1).  Aussi,  depuis  ce 
moment-là,   tout   est    tranquille,   l'armée   des    sans- 


(1)  Il  s'agit  de  l'émeute  du  j 7  juillet  au  Champ  de  Mars ,  où  Ton  avait 
signé  sur  l'autel  do  la  Patrie  une  pétition  à  1*  Assemblée  pour  obtenir 
que  la  nation  fût  consultée  sur  la  déchéance  du  Roi.  Il  est  question 
de  cet  événement  ù  la  suite  de  la  lettre  de  Madame  Elisabeth,  en  date 
du  18  juillet  1791,  au  tome  précédent. 


MADAME   ELISABETH.  415 

culottes  étant  un  peu  en  déroute.  On  dit  que  l'Assem- 
blée ayance  son  grand  ouvrage  de  la  Charte  constitu- 
tionnelle, mais  il  ne  sera  pourtant  présenté  que  dans 
un  mois. 

Ta  mère  se  porte  bien  ,  elle  se  promène  souvent 
avec  ma  nièce  dans  ce  grand  et  triste  jardin  qui  est 
fermé  depuis  notre  retour.  On  fait  cent  histoires  sur 
les  Cours  étrangères,  on  prétend  que  le  comité  ecclé- 
siastique a  reçu  la  nouvelle  qu'elles  vouloient  s'opposer 
à  notre  nouvelle  Constitution.  Tu  conviendras  que  cela 
seroit  étrange,  car  la  paix  et  le  bonheur  dont  chaque 
individu  jouit  en  France  devroient  faire  envie  aux  Puis- 
sances étrangères. 

Je  t'adresse  cette  lettre  encore  à  Stuttgard,  parce  que 
je  suis  convaincue  que  ton  mari,  à  force  de  tourner  dans 
les  environs ,  te  laissera  aux  couches  de  la  petite. 
Quand  est-ce  qu'elles  doivent  avoir  lieu,  et  comment 
va  sa  poitrine?  Nourrira-t-elle?  en  aura-t-elle  la  force? 
Adieu,  je  t'embrasse  de  tout  mou  cœur;  dis-lui  bien 
des  choses. 

La  Princesse  use  (f  encre  sympathique  pour  écrire  ce  qui 
suit  : 

Tu  croiras  sans  peine  que  c'est  avec  une  joie  extrême 
que  j'ai  appris  la  nouvelle  de  ton  beau-frère.  Je  l'ai  dit 
à  la  R.  et  au  Roi ,  ainsi  que  ce  que  tu  me  disois  pour 
ton  mari.  Dans  ce  moment,  on  ne  fait  rien  du  tout; 
mais  puisque  tu  m'as  chargée  d'en  parler,  il  faut  que  je 
te  parle  franchement.  Je  t'avertis  que  je  ne  me  charge 
de  faire  passer  aucun  ordre  à  ton  mari,  que  je  n'aie  la 
certitude  que  mon  frère  sera  d'accord  avec  tout  ce  que 


\ 

\ 


i  «ndttite  W^  *'\^  àe  *««*  ^         frère-  3« 

»»*'  '"^  "1^'  ^  ""l  «>»^"""    !r«.e»«  "" 


V»'  ^^w  »"»^         Are  Vl»*'       !  Vesv^f 

f>°l'        .\ce5l>«f    ,  -,  „ettte  de  "6 
>«  ""  ""\  «e  î»-"^  «"""  "«•■"°*'*°°' 


tootx^" 


eut- 


tot^V 


MADAME   ELISABETH.  41T 


DLVIII 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Elle  rrproclie  h  Madame  de  lîomliclhvs  de  lui  avoir  caché  soq  indis- 
position. —  Détails  intimes  sur  la  santé  de  la  Princesse.  —  La 
Cbarte  avance,  mais  ne  pourra  être  présentée  au  Roi  avant  quinze 
jours. 

La  Princesse  ajoute  en  encre  sympatliique  qu'elle  craint  que  si  le 
Roi  accepte  la  Constitution  il  ne  {jène  par  là  l'acti(m  de  l'Empereur 
cl  des  autres  Puissances. —  Elle  se  méfie  de  la  faiblesse  du  Roi  :  il 
n'y  a  <respoir  qu'en  Dieu.  —  Demande  de  conseils  à  l'Empereur. 
—  Manière  dont  le  Roi  et  la  Reine  supportent  leur  ca])tivilé. 

Ce  28  juillet  1701. 

Pourquoi  donc  ne  m'as-tu  pas  mandé  que  tu  avois 
mal  aux  oreilles,  que  l'on  t'avoit  mis  du  saint  bois  ? 
Cela  n'est  pas  bien.  Souffres-tu  encore  beaucoup,  et 
ton  pauvre  doijjt  est-il  guéri?  Tu  es  bien  aimable  de 
m'avoir  écrit,  tout  eu  souffrant  comme  ime  béto.  On 
dit  que  c'est  vraiment  fort  douloureux,  un  mal  d'aven- 
ture ;  ton  ongle  est-il  tombé  ?  Parle-moi  en  détail,  je  te 
prie,  de  tes  maux,  afin  que  j'y  prenne  part  ou  que  je 
me  réjouisse  de  ta  guérison,  ce  que  j'aimerois  beau- 
coup mieux.  As-tu  eu  des  nouvelles  de  ta  pension  sur 
Naples?  Je  l'espère,  car  enfin  tu  devrois  avoir  tou- 
ché deux  quartiers,  et,  dans  la  position  où  tu  te  trouves, 
cela  est  nécessaire.  Ta  mère  m'a  dit  qu'elle  te  faisoit 
passer  ce  que  tu  devois  recevoir  d'ici,  qui  t'est  dû  par 
Léo Ta  mère  a  encore  eu  le  dévoiement  hier,  et  ta 

princesse  le  possède  aussi  ;  mais  tout  cehi  fait  du  bien, 
TOME  m.  27 


418  MADAME   ELISABETH. 

cela  chasse  les  humeurs,  et  tu  conviendras  que  Ton  a 
besoin  d'en  être  purgé. 

La  Charte  avance  ;  mais  on  croit  qu'elle  ne  paroîtra 
que  dans  cinq  ou  six  jours  ;  ce  qui  fait  qu'elle  ne  sera 
présentée  à  la  sanction  que  dans  quinze.  Il  faut  que 
l'Assemblée  en  ait  entendu  la  lecture ,  et  peut-être 
discuté  quelques  articles.  Mais  adieu,  ma  Bombeli- 
nette,  je, m'en  vais  dîner;  ne  te  fâche  pas  que  je  finisse 
aussi  promptement.  Je  t'embrasse  et  t'aime  de  tout 
mon  cœur. 

J'espère  que  tu  seras  contente  de  moi  aujourd'hui, 
et  que  tu  n'auras  pas  de  peine  à  lire  ma  charmante 
écriture. 

La  Princesse  poursuit  sa  lettre  en  encre  sympathique. 

Je  ne  puis  vous  dissimuler,  ma  chère  Bombe,  que  la 
nouvelle  que  tu  me  donnes  me  fait  un  sensible  plaisir. 
[Je]  n'entends  parler  d'aucune  plainte  formée  par 
Léopold.  Je  ne  savois  qu'en  croire;  mais  dans  quel 
temps  à  peu  près  Dieu  prendra-t-il  pitié  de  nous?  Si 
le  Roi  signe  la  charte  constitutionnelle ,  cela  ne  déran- 
gera-t-il  pas  les  moyens  des  Puissances  pour  le  sauver? 
Je  lui  ai  montré  ta  lettre,  ainsi  qu'à  la  Reine,  je  sou- 
haite qu'il  soutienne  le  langage  qu'il  doit  tenir.  Mais 
veux-tu  que  je  te  le  dise  franchement?  Je  frémis  du 
moment  où  le  Roi  sera  dans  le  cas  d'agir.  Nous  n'avons 
pas  ici  un  honune  de  tète  en  qui  l'on  puisse  avoir  con- 
fiance. Tu  sens  où  cela  nous  mènera  :  j'en  frémis.  Il 
faut  lever  ses  mains  vers  le  Ciel  :  Dieu  aura  pitié  de 
nous.  Adresse^toi  au  cœur  de  Jésus  pour  lui  demander 


MADAME    ELISABETH.  M9 

d'avoir  pitié  de  nous.  Ah!  que  je  voudrois  que  d'autres 
que  nous  s'unissent  aux  prières  ferventes  qui  lui  sont 
adressées  par  toutes  les  communautés  et  par  toutes  les 
S**"'  de  la  France! 

Si  Léoj)oId  pouvoit,  par  M.  de  Mercy,  nous  envoyer 
des  conseils,  cela  seroit  bien  utile;  mais  la  crainte  de 
compromettre  l'arrêtera,  et  nous  donnerons  encore 
dans  quelques  pièges  tendus  sous  nos  pieds. 

Nous  sommes  du  reste  assez  bien.  Le  Roi  et  la  Reine 
supportent  incroyablement  bien  leur  ca[)tivité.  Pour 
moi,  si  je  n'avois  pas  l'impatience  de  ce  spectacle,  je 
serois  comme  avant  le  départ.  Mais  lorsque  je  me  livre 
à  mes  réflexions,  et,  bien  plus,  âmes  craintes,  je  sens 
que  la  vertu  de  la  rési{jnation  n'est  pas  mon  fait.  Adieu, 
ma  Bombe;  que  je  serai  heureuse  si  le  Ciel  me  donne 
de  te  voir  bientôt!  Continue  à  me  donner  des  nouvelles 
certaines. 


n. 


420  MADAME  ELISABETH. 


DLIX 

MADAME  ÉLTSARETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES. 

Le  Boi  a  été  ramené  de  Varcnnes.  —  Nouvelles  rassurantes  de  la 

santé  de  chacun. 

Ce  29  juillet  1791. 

Je  n'ai  pas  pu  vous  écrire  plus  tôt,  ma  chère  Bom- 
belinette,  et  j'en  ai  été  désolée,  parce  que  sûrement  on 
vous  aura  fait  mille  histoires  sur  tout  ce  qui  s'est  passé. 
Le  fait  est  que  le  Roi  a  été  ramené  samedi  de  Va- 
rennes  ;  que  lui,  sa  famille  et  tout  ce  qui  étoit  avec 
lui  se  portent  bien  ;  que  Paris  est  tranquille,  et  que  si 
le  Roi  n'étoit  pas  retenu  chez  lui  ainsi  que  la  Reine,  on 
pourroit  croire  que  tout  est  dans  l'ordre  accoutumé. 
Votre  mère  n'étoit  point  avec  le  Roi  ;  elle  se  porte 
bien,  je  la  vois  peu,  parce  qu'il  n'est  pas  facile  de 
s'approcher  ;  elle  est  maintenant  dans  le  jardin  avec 
Madame,  Adieu,  mon  cœur,  je  vous  embrasse  du  fond 
de  mon  âme. 


I/EMPEREUR   LÉOPOLD  II.  421 


DLX 

L'EMPEREUB   LÉOPOLD   II  A  SA   SOEDR 
MARIE-CHRISTINE  (1). 

La  chancellerie  des  A  flaires  Etrangères  a  fait  partir  les  dépêches  sans 
lui  demander  ses  lettres.  —  Il  la  remercie  des  détails  qu'elle  lui  a 
donnés  sur  le«î  affaires  de  France  et  des  Pays-Bas.  —  Tout  le  Bra- 
baiit  et  le  liainaut  s'acheminent  au  Lien.  —  Surveiller  les  Français 
sans  aveu,  qui  abondent  dans  les  Etats  13el{;i(jue8.  —  Tenir  la  main 
à  la  discipline  dans  les  troupes.  —  Instructions  envoyées  par  Kau- 
nitz  au  Comte  de  Mercy,  sur  les  affaires  de  France.  —  Il  fait  sa 
paix  avec  les  Turcs  et  s'entend  avec  les  (grandes  Puissances.  —  Ne 
rien  faire  de  ce  que  les  Princes  français  et  les  énii(]rés  demande- 
ront.—  Fersen. —  Le  Roi  de  Suède.  —  Son  fils  l'Archiduc  Charles 


Le  30  juillet  [179IJ. 

Très-chère  sœur,  je  vous  écris  parle  courrier  Lerden, 
et  vous  aurez,  je  crois,  été  fort  étonnée  de  ne  pas  avoir 
eu  de  nnes  lettres  par  le  courrier  Strauss.  Mais  le  dé- 
partement Ta  fait  partir  sans  m'en  rien  dire,  et  je  ne 
l'ai  su  qu'après  son  départ.  Je  supplée  par  celui-ci. 
J'ai  reçu  exactement  toutes  vos  lettres  par  les  postes 
et  par  les  courriers,  et  vous  suis  infiniment  obliffé  de 
tout  ce  que  vousm'y  avez  marqué  de  détails  tant  sur  les 
affaires  de  France  que  sur  les  affaires  des  Pays-Bas. 
Pour  celles-ci,  j'ai  vu  avec  satisfaction  que  les  inaugu- 
rations se  sont  faites  heureusement  et  convenablement. 


(1)  Ori{;inal  auto{jraphe.  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et 
Royale  TArchiduc  Albert  d'Autriclie. 

Cette  lettre  a  déjà  été  imprimée  dans  les  annexes  du  livre  allemand 
de  M.  Wolf  sur  Marie-Christine,  t.  Il,  p.  242.  Vienne,  Gcrold,  1863. 


422  L'EMPEREUR   LÉOPOLD  II. 

et  que  tout,  quant  au  gros  et  a  l'essentiel,  prend  un 
bon  pli  et  s'achemine  au  bien  et  à  la  tranquillité.  Les 
États  (le  Brabant  et  d'Hainaut  auront  besoin  encore 
quelque   temps   qu'on    y  ait  l'œil,  ainsi  que   les  ci- 
devant  membres,   non  moins  que  les  chefs  du  parti 
démocratique  François,  dont  il  faudra  tâcher  d'étouffer 
tout   principe  dans   les  commencements,    protégeant 
plutôt  le  clergé  en  toutes  les  occasions  contre  eux.  Le 
grand  nombre  des  François,   surtout  sans  aveu,  qui 
sont  chez  vous,  méritent  aussi  la  plus  grande  atten- 
tion, ainsi  que  les  émissaire^  qu'on  pourroit  découvrir 
de  la  propagande  chez  vous,  qu'il  faut  tâcher  de  décou- 
vrir et  punir  exemplairement.  Il  est  également  essen- 
tiel, et  je  vous  le  recommande  particulièrement,  qu'on 
in  vigile  (1)  avec  attention  sur  l'ordre  et  la  discipline 
dans  les  troupes,  que  sur  ce  point  rien  ne  se  relâche, 
qu'on  les  exerce  et  qu'on  les  occupe,  et  que  les  officiers 
y  veillent  avec  le  j)lus  grand  soin.  J'ai  vu  et  expédié 
vos  propositions  sur  le  gouvernement  et  les  employés! 
rétablir.  J'ai  suivi  vos  propositions,  comme  vous  devez 
connoitre  les  personnes  sur  les  lieux.  Mais  il  m'a  paru 
qu'il  y  avoit  une  augmentation  bien  forte  de  personnes 
et  de  gages,  beaucoup  déjeunes  gens,  et  surtout  des  Sim- 
pers,  dont  le  cadet  n'est  pas  aimé,  et  des  parents  de 
Crumpipen  d'avancés  ;   et  je  crains  que  plusieurs  de 
ces  noms  et  personnes  étant  odieux  au  public,  cela  ne 
donne  lieu  à  des  désagréments  et  à  des  animosités  per- 
sonnelles que  je  vous  prie  de  tâcher   d'empêcher  en 
toute  occasion. 

(1)  Veille. 


L'EMPEREUR   LÉOPOLD   II.  428 

Pour  les  affaires  de  France,  vous  aurez  vu,  par  les 
dépêches  et  instructions  que  le  prince  de  Kaunitz  a 
envoyées  au  comte  de  Mercy  et  qu'il  a  eu  ordre  de  vous 
communiquer,  toutes  mes  intentions.  On  ne  peut  y  rien 
faire  que  par  le  concours  et  langaf^e  uniforme  de  toutes 
les  Cours,  et  par  un  concert  ou  congrès  à  tenir  où  on 
convienne  de  ce  que  Ton  veut  proposer  et  exiger,  des 
déclarations  qu'on  veut  faire  et  de  la  façon  dont  on 
veut  les  soutenir  par  la  force.  J'attends  les  réponses 
d'Espagne  et  de  Londres  sur  mes  propositions  prélimi- 
naires, et,  en  attendant,  je  traite  avec  les  autres  Puis- 
sances. Je  pousse  l'Empire  par  les  voies  légales.  Je  fais 
ma  paix  avec  les  Turcs,  qui,  à  l'heure  qu'il  est,  doit 
être  signée,  et  je  forme  une  convention  avec  le  Roi  de 
Prusse,  la  Russie  et  l'Angleterre ,  qui  empêchera  pour 
toujours  les  guerres  possibles  et  fera  évanouir  le  Fur- 
stenband;  j'y  mettrai  la  dernière  main  le  29  août,  que 
je  serai  à  Pillnitz  avec  le  Roi  de  Prusse.  En  attendant, 
ne  croyez  rien ,  ne  vous  laissez  induire  à  rien ,  et  ne 
faites  rien  de  ce  que  les  François  et  les  Princes  vous 
demanderont,  hors  des  pohtesses  et  dîners;  —  mais 
ni  troupes,  ni  argent,  ni  cautionnement  pour  eux.  Je 
plains  bien  leur  situation  et  celle  de  tous  les  François 
qui  ont  dû  s'expatrier  ;  mais  ils  ne  pensent  qu'a  leurs 
idées  romanesques  et  à  leurs  vengeances  et  intérêts 
personnels ,  croient  que  tout  le  monde  doit  se  sacrifier 
pour  eux,  et  sont  bien  mal  entourés,  témoin  les  papiers 
de  M.  de  Bouille  et  Galonné.  Le  colonel' Fersen,  qui 
devoit  arriver  ici,  n'y  est  point  venu.  On  dit  le  Roi  de 
Suède  retourné  chez  lui,  et  je  croîs  qu'encore  tout  cela 
n'est  derechef  qu'une  rodomontade  de  sa  part. 


424  L'EMPEREUR    LÉOPOLD    II. 

J'approuve  entièrement  ce  que  vous  avez  répondu 
aux  Princes  François  dans  la  session  (rentrevue)  que 
vous  avez  eue  avec  eux,  et  je  suis  très-aise  qu'étant 
partis  de  chez  vous,  vous  en  soyez  délivrés. 

Je  vous  ai  écrit  par  la  poste  tout  ce  qui  regarde  mon 
fils  Charles  (1),  son  voyage  et  les  gens  à  placer  près  de 
lui.  Ainsi,  il  ne  me  reste  qu'à  vous  assurer  de  la  bonne 
santé  de  ma  famille  et  de  la  mienne,  malgré  le  travail 
excessif  auquel  je  suis  obligé,  et  de  vous  prier  d'être 
persuadée  du  tendre  attachement  avec  lequel  je  vous 
embrasse  et  suis. 

Mes  compliments  à  votre  mari  :  lorsque  j'écris  à  vous, 
c'est  toujours  pour  tous  les  deux. 


DLXI 

L'EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (2). 

[PADOUE,    FI5    JUILLET    1791.] 

Nouvelles  diversoî».  —  L'Empereur  passe  toutes  ses  journées  avec  le 

Conitc  d'Artois  et  le  Duc  de  Parme. 

[Reçue  le  2  août  1791.] 

Très-chère   Sœur,  j'ai  reçu  votre  chère   lettre  de 
Dresde,  et  suis  bien  charmé  de  vous  y  savoir  bien  por- 

(1)  C'est  Tillustrc  Archiduc  Charles,  qui  depuis  a  été  le  digne  adver- 
saire de  Napoléon  sur  le  champ  de  bataille,  et  qui  avait  été  en  grande 
partie  élevé  auprès  du  Duc  et  de  la  Duchesse, de  Saxc-Tcschcu ,  dont 
il  a  été  l'héritier.  Né  le  5  septembre  1771,  il  avait  alors  vingt  ans. 

(2)  Original  autographe.  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale 
l'Archiduc  Albert  d'Autriche. 


MARIE-ANTOINETTE.  425 

tante  et  contente,  et  vous  suis  infiniment  obligé  de  tout 
ce  que  vous  m'y  dites  d'obligeant  pour  moi.  Selon  mes 
lettres,  les  affaires  aux  Pays-Bas  prennent  bon  pli,  et 
celles  de  Pologne  que  vous  aurez  apprises  sont  bien 
étonnantes.  Je  crois  que  vous  aurez  bientôt  des  visites 
aux  Pays-Bas.  Pour  ici,  je  suis  toute  la  journée  avec  le 
comte  d'Artois,  le  duc  et  duchesse  de  Parme  ;  voyez 
comme  cela  est  gai  !  J'ai  été  malade  de  rhumes  et  de 
maux  de  gorge;  mais  je  suis  mieux.  Mes  compagnons 
de  voyage  et  Charles  se  portent  et  se  conduisent  bien , 
et  moi  je  vous  embrasse  tendrement  et  suis. 


DLXII 

LA  REINE  A  MADAME  DE  LAMBALLE  (1). 

Elle  a  pu  voir  M.  de  Pau,  nial{]ré  la  tlifHcultc  de  faire  approcher  de 
soi  les  émissaires  dévoués.  —  Le  nioiiiciit  est  affreux,  à  cause  de  la 
faiblesse  des  bonuêtes  gens  et  de  la  perversité  des  eiineiiiis. 

[Paris,]  ce  3  d'août  [1791]. 

Je  désirois  vivement,  mon  cher  cœur,  de  voir  M.  de 
B.  (2)  ;  ce  n'a  pas  été  facile,  car  on  est  bien  mal  entouré. 


(1)  C«iliiiict  de  Madame  la  Princesse  Clary-Aldriiigen,  à  Venise. 

(2)  Pierre-Louis,  baron  de  liât/,  ne  en  1755,  {;rand  sénéchal  du 
pays  et  ducbé  d*Albrct,  député  de  la  noblesse  de  Nérac  aux  Etats 
généraux  de  1789;  bonnne  actif,  in{»énieux,  fécond  en  ressources, 
descendait  du  fameux  Manaud  de  ]>atz,  à  qui  Henri  IV,  alors  Roi  de 
Navarre,  écrivit  de  si  belles  lettres.  Il  siéjjca  au  côté  droit  de  l'Assem- 
blée et  dirigea  surtout  ses  études  vers  les  finances.  Louis  XVI  et 
Marie-Antoinette  l'employèrent,  depuis  cette  époque,  ii  l'étranger, 


42G  MAEIE-ANTOINETTE. 

Nous  sommes  parvenus  enfin  à  nous  rejoindre,  et  tout 
a  été  entendu,  quoique,  à  raison  de  Tembarras  des 
affaires,  ce  ne  fût  pas  chose  non  plus  aisée.  Si  donc 
cela  n'a  pas  été  fait  plus  tôt,  plaiguez-moi ,  mon  cher 
cœur.  Par  mon  amitié ,  cela  me  fait  peut-être  plus  de 
peine  qu'à  vous.  Quant  aux  affaires,  le  moment  sera 
affreux.  Les  honnêtes  gens  ne  savent  pas  se  soutenir 
entre  eux  et  laissent  prendre  le  dessus  à  la  mauvaise 
classe.  Les  méchants  seront  toujours  les  plus  forts  par 
défaut  d'entente  de  nos  amis.  Nous  faisons  tous  les 
jours  des  découvertes  pénibles  dans  nos  services  les 
plus  intimes,  et  beaucoup  de  gens  à  qui  nous  avons  fait 
sans  cesse  du  bien  hantent  les  clubs  et  y  font  des  mo- 
tions fiiribondes.  Adieu,  mon  cher  cœur.  Vous  savez 
combien  je  vous  aime. 

Marie- Antoinette  (1). 


dans  la  diplomatie  secrète,  ainsi  que  Tont  réréié  les  papiers  de  Tar» 
moire  de  fer  imprimes  par  ordre  de  la  Conrention.  Il  8*y  est  trouTe  de 
la  main  de  Louis  XVI  une  note  ainsi  conçue,  à  la  date  du  1'' juillet 
1791  :  «  Retour  et  parfaite  conduite  de  M,  de  Batz,  à  qui  je  redois  cinq 
cent  douze  mille  francs.  ■  Après  le  10  août,  il  fut  un  des  chevaleres- 
ques royalistes  qui  essayèrent  de  délivrer  les  prisonniers  du  Temple. 
Traqué,  il  vint  à  bout  d'écliapper  à  la  vigilance  du  Comité  de  sûreté 
générale  et  de  salut  public,  mais  les  personnes  arrêtées  comme  ses 
complices  portèrent  leiur  tète  sur  Téchafaud.  Incarcéré  en  octobrt 
1795,  après  de  nouvelles  intrigues ,  il  trouva  moyen  de  s'échapper  et 
de  fuir  à  l'étranger.  Sous  la  Restauration ,  il  fit  retraite  dans  sa  terre 
de  Chadicu,  près  de  Clermont,  en  Auvergne,  et  y  moumt  d'apopleiie 
le  l**"  janvier  1822. 

(1)  Cette  lettre  autographe,  que  j*ai  copiée  à  Venise,  sous  les  ycox 
de  madame  la  Princesse  Clary,  est  réellement  signée;  ce  qui  poar 
ré])oque,  est  fort  extraordinaire.  Elle  a  sans  doute  été  transmise  à  la 
Princesse  de  Lamballe  par  une  voie  des  plus  sûres. 


L'EMPEREUR  LÉOPOLD    II.  ktT 


DLXIII 

I 

L'EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

Il  trouve  iadUcrètcs  les  demandes  de  secours  que  lui  adressent  les 
Priuces.  —  D'accord  avec  quelques  ËtaU  du  contincot,  ils  vou- 
draient le  mettre  en  avant,  mais  il  n'entend  point  agir  et  payer 
pour  tou.s.  —  Il  compte  plutôt  sur  la  désunion  des  partis  eu  France. 
—  Nouvelles  du  Prince  Charles,  son  fils. 

Le  4  août  [1791]. 

Très-chère  Sœur,  j'ai  reçu  votre  longue  lettre;  je 
vous  en  suis  bien  obligé.  Je  sais  que  Buol  a  toujomrs 
bien  servi  en  Hollande  et  surtout  dans  ces  derniers 
temps  ;  je  savois  que  le  fils  du  prince  Staremberg  avoit 
dësiré  d'avoir  ce  poste;  mais  il  n'y  est  pas  encore, 
nommé,  et  ses  circonstances  et  celles  de  sa  femme  sur- 
tout méritent  attention  dans  les  circonstances  présentes. 
Le  courrier  que  je  vous  avois  annoncé  n'est  point  encore 
parti  ;  il  ne  partira  que  dans  deux  ou  trois  jours,  devant 
porter  au  comte  de  Mercy  une  nouvelle  instruction  que 
je  fais  faire  sur  les  suites  des  affaires  de  France.  Les 
demandes  des  Princes  sont  bien  indiscrètes  en  troupes 
et  en  argent.  On  voudroit  me  mettre  en  avant,  moi, 
et  je  devrois  agir  et  payer  pour  tous,  ce  qui  n'est  pas 
mon  compte.  C'est  là  le  projet  des  Princes,  du  Roi  de 
Suède,  des  Hessois,  peut-être  de  la  Cour  de  Berlin.  On 
a  fisiit  même  entrer  dans  ces  idées  votre  bon  Electeur  de 


(1)    Original    anto(][rnp}ic.    Archives   de    Son    Altesse   Impériale  et 
Royale  l'Archiduc  Albert  d'Autriche. 


428  L'EMPEKEQR   LÉOPOLD   II. 

Trêves.  Fersen  vient  d'arriver,  et  je  le  verrai  demain. 
Quant  à  la  France,  la  désunion  qui  rèyne  dans  Paris 
entre  les  Provinces  et  même  parmi  TAssemblée  Natio- 
nale fera  plus  d'effet  que  les  troupes  et  les  Princes. 

Pour  mon  fils  Charles,  il  est  à  l'installation  du  Pala- 
tin à  Bude.  Je  n'ai  pas  pu  lui  refuser  de  voir  le  couron- 
nement de  Prague  ;  mais  il  en  partira  le  12  de  septembre 
directement  pour  Bruxelles. 

Je  vous  embrasse  tendrement  et  suis. 

Vous  verrez  par  les  expéditions  de  la  chancellerie  ce 
que  j'ai  résolu  pour  le  nonce  (1)  à  rétablir  aux 
Pays-Bas. 


(1)  Ce  mol  est  peu  lisible  dans  Tori^jinal,  mais  c*9St  hieii  cerLiine- 
ment  Nonce  <|uc  rEmjiereiir  a  voulu  écrire.  En  effet,  de  tout  temps 
l:i  Cour  de  Honu;  entretenait  un  envoyé  auprès  des  gruivorneurs  géné- 
raux des  Pays-Bas  aulricliii^ns,  comme  le  fait  est  nettement  étalili  dans 
une  note  ({ue  vient  de  m'adresser  le  savant  conservateur  des  Archives 
de  Belgique,  M.  Gachard,  que  je  prie  de  recevoir  ici  mes  remercie- 
ments. Ouand  les  provinces  helglqties  étaient  gouvernées  par  de  sim- 
ples gcntilsliommes,  comme  cela  arriva  souvent  au  dix-septième  siècle, 
elle  se  contentait  d'y  envoyer  un  internoncc;  mais  elle  eut  constam- 
ment un  nonce  à  partir  de  Tannée  1725,  où  l'Em-iereur  Charles  VI 
confia  le  gouvernement  de  ces  provinces  à  sa  propre  srrur  TArchidu- 
chesse  Marie-Élisabetli.  Kn  1787,  Josc^ph  II,  irrité  de  ce  que  le  noncw 
Londadari  avait,  à  l'insu  du  gouvirrneuient,  introduit,  fait  imprimer 
et  distribuer  aux  Pays-Bas  une  bulle  qui  condamnait  le  fameux  livre 
d'Eibel,  Qu  est-ce  que  le  Pape?  ordonna  au  comte  de  Trautmannsdorff 
de  lui  envoyer  ses  passe-ports.  Peu  après  éclata  la  révolution  qui  fit 
perdre  les  Pays-Bas  à  ce  prince.  Ajnès  la  restauration  de  la  maison 
d'Autriche  à  Bruxelles,  des  démarches  furent  faites  auprès  de  la  Cour 
de  Rome  poiur  qu'elle  y  rétablit  la  nonciature,  et  elle  l'avait  rétablie 
en  effet  dans  la  personne  du  prélat  Brancadoi-o,  quand,  en  1794,  les 
Français  s'emparèrent  de  la  Belgirpie. 


MADAME   ELISABETH.  429 


DLXIV 

MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES.     . 

On  débite  mille  folles  iioiivclle.s  :  mute  l'Europe  doit  tomber  sur  nous. 
—  La  France  acquerra  de  la  gloire,  et  voilj  tout.  —  Eu  attendant, 
les  prêtres  sont  horriblement  persécutés. 

Ce  5  août  1791. 

Bonjour,  ma  Bombe,  comment  te  portes-tu?  As-tu 
encore  mal  aux  oreilles?  Ton  bras  te  fait-il  souffrir? 
Ta  petite  belle-sœur,  qui  du  reste  est  charmante,  ne 
m'en  parle  pas  du  tout  ;  cela  ne  m'empêche  pourtant 
pas  d'avoir  été  très-aise  de  recevoir  une  épître  d'elle. 
Dites-lui  bien  des  choses  de  ma  part. 

Tout  ce  qui  t'intéresse  ici  se  porte  bien.  On  débite 
mille  nouvelles  plus  folles  les  unes  que  les  autres.  La 
Russie,  la  Prusse,  la  Suède,  l'Allemagne  tout  entière, 
la  Suisse,  fa  Sardaigne,  doivent  tomber,  dit-on,  sur 
nous.  L'Espagne  ne  sait  trop  ce  qu'elle  fera,  et  l'An- 
gleterre reste  nulle.  Mais  tranquillise-toi ,  ma  Bombe  ; 
ton  pays  acquerra  de  la  gloire,  et  puis  voilà  tout.  Trois 
cent  mille  gardes  nationaux,  parfaitement  organisés, 
et  tous  braves  par  nature,  bordent  les  frontières  et  ne 
laisseront  pas  approcher  un  seul  houlan.  Les  mau- 
vaises langues  disent  que  du  côté  de  Maubeuge  huit 
houlans  ont  fait  retirer  et  demander  pardon  à  cinq 
cents  gardes  nationaux  et  à  trois  canons  ;  il  faut  les 
laisser  dire ,  cela  les  amuse  ;  nous  aurons  notre  tour 
pour  nous  moquer  d'eux.  En  attendant,  les  malheu- 


430  MADAME   ELISABETH. 

reux  prêtres  sont  horriblement  persécutés  ;  Dieu  est 
juste  et  nous  jugera.  Adieu ,  je  t'embrasse  de  tout 
mon  cœur. 


DLXV 

L'EMPEREUR  LÉOPOLD  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE  (1). 

Le  Comte  do  Fersen  est  arrive.  —  Éloge  qu'en  fait  TElmpereur.  — 
Exi{;ences  de.s  Princes.  —  Abandon  de«  Puissances.  —  On  veut 
qu'il  soit  seul  ù  se  sacrifier. 

Le  6  août  [1791]. 

Très-chère  Sœur,  le  comte  Fersen  est  arrivé,  il  m'a 
remis  votre  lettre  et  j'ai  également  reçu  celle  par  la 
poste.  J'ai  donné  à  Rosènberg  la  note  pour  les  cham- 
bellans. J'approuve  tous  ceux  que  vous  proposez,  et 
je  concerterai  avec  Rosènberg  ceux  à  faire  au  couron- 
nement de  Prague,  et  à  vous  envoyer  les  clefs  par 
mon  fils  Charles. 

Quant  au  comte  Fersen,  j'ai  parlé  avec  lui  avec  le 
plus  grand  plaisir  ;  il  est  on  ne  peut  pas  plus  attaché 
à  la  Reine ,  et  il  parle  des  choses  faites  avec  une  mo- 
dération ,  et  de  celles  à  faire  avec  une  sagesse  et  pru- 
dence bien  différentes  de  celles  des  Princes  et  de  tous 
leurs  commissionnaires  qui  ne  révent  que  Régences  et 


(1)    Ori{;inaI    auto^^raplie.    Archives   de   Son   Altesse    Impériale  et 
Royale  TArdiiduc  Albert  d'Autricbe. 


\ 


L'EMPEREUR   LÉOPOLD    II.  431 

troupes,  et  veulent  toujours  de  l'argent  et  faire  du 
bruit,  et  surtout  que  ce  soit  moi  qui  seul  me  sacrifie, 
tandis  que  les  Princes  d'Empire  et  le  Roi  de  Prusse, 
qui  ne  veulent  pas  agir  tout  de  bon ,  ne  veulent  que 
me  sacrifier,  et  que  l'Espagne,  je  crois,  ne  veut  et  ne 
peut  rien  faire.  Je  vous  embrasse  tendrement  et  suis. 


DLXVI 

LE  COMTE  DE  FERSEN  AU  ROI  DE  SUÈDE  (1). 

Il  a  vu  M.  de  Galonné  arrivant  d'Angleterre.  —  L'entourage  des  Princes 
est  un  foyer  d'intrigues  abominables.  —  Il  faudra  plutôt  agir  iiour 
eux  que  par  eux.  —  L'Euipcreur  no  prendra  aucun  parti  avant  d'a- 
voir reçu  les  réponses  qu'il  attend  d'Espagne,  d'Angleterre  et  de 
Pétersbourg.  —  Il  est  important  de  s'occuper  de  l'Impératrice  de 
Russie. 

Vienne,  ce  6  août  1791. 
Sire, 

Je  suis  arrivé  à  Goblentz,  le  25  du  mois  dernier,  à 
quatre  heures  après  midi,  et  j'avois  compté  en  partir  le 
soir,  après  avoir  fait  ma  cour  aux  Princes  ;  mais  ils 
ont  désire  que  je  restasse  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  de 
Galonné,  croyant  intéressant  que  je  susse  ce  qu'il  ra[)- 
portoit  d'Angleterre.  J'ai  cédé  à  leurs  désirs;  Votre 
Majesté  sait  déjà  par  lui-même  le  résultat  de  son  voyage, 
et  j'étois  sûr  d'avance  de  ce  qu'il  rapporteroit.  Il  n'est 


(i)  D'après  l'original  autographe  déposé  aux  Archives  du  Ministère 
des  Affaires  Etrangères,  à  Stockholm. 


432  LE   COMTE    DE   FERSEN. 

arrivé  que  le  26,  à  dix  heures  du  soir,  et  il  m'a  com- 
muniqué toutes  les  certitudes  qu'il  croyoit  avoir  ;  elles 
me  paroissent  plutôt  des  espérances  tout  aussi  vagues 
que  celles  dont  il  s'est  bercé  depuis  dix-huit  mois.  Il 
m'a  avoué  qu'il  n'apportoit  rien  par  écrit  qu'utie  lettre 
de  politesse  du  Roi  d'Angleterre  pour  Monsieur.  J'ai 
trouvé  les  Princes,  et  surtout  Monsieur,  très-raison- 
nables ;  mais  leurs  entours  sont  toujours  tels  que  je  les 
ai  dépeints  à  Votre  Majesté.  C'est  un  foyer  d'intrigues 
abominables  ;  l'intérêt  général  est  toujours  sacrifié  à 
l'intérêt  particulier,  et  d'après  ce  que  j'en  ai  vu,  je  suis 
encore  plus  convaincu  qu'il  faudra  plutôt  agir  pour 
eux  que  par  eux. 

Je  suis  parti  de  Coblentz  le  27  au  matin ,  et  je  suis 
arrivé  ici  le  2,  à  dix  heures  du  matin.  Les  chaleurs 
excessives  <pie  j'ai  éprouvées  en  route  m'avoient  tel- 
lement fati{;ué,  qu'il  m'avoit  été  impossible  d'avoir 
l'honneur  d'en  informer  Votre  Majesté ,  et  j'avois 
chargé  M.  Bildt  d'y  suppléer.  Le  4,  j'eus  une  audience 
particulière  de  l'Empereur  :  il  m'a  reçu  à  merveille  ; 
mais  il  ne  s'est  rien  passé  dans  cette  entrevue  d'assez 
intéressant,  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'en  instruire 
Votre  Majesté.  Ses  dispositions  paroissent  les  bonnes  : 
il  parle  des  affaires  dans  le  sens  que  Votre  Majesté  peut 
le  désirer;  mais  ce  ne  sont  pas  des  paroles  qu'il  faut, 
il  faut  des  faits ,  et  il  paroît  qu'avant  d'avoir  reçu  les 
réponses  qu'il  attend  d'Espagne,  d'Angleterre  et 
de  Pétersbourg,  il  ne  se  décidera  pas  a  prendre  un 
parti  décisif.  Dès  que  j'aurai  eu  un  entretien  plus  dé- 
taillé avec  lui  et  avec  son  ministère,  j'aurai  l'honneur 
d'en  rendre  compte  a  Votre  Majesté;  mais,  dans  tous 


LE  MARQUIS  DE  BOUILLE.  433 

les  cas,  je  crois  très-important  de  s'occuper  beaucoup 
de  l'Impératrice  de  Russie. 

Je  suis  avec  le  plus  profond  respect, 

*  Sire , 

de  Votre  Majesté, 

le  plus  humble,  le  plus  soumis  et  le  plus  fidèle  sujet, 

Axel  Fersen. 


DLXVII 

LE  MARQUIS  DE  ROUILLÉ  AU  ROI  DE  SUÈDE  (1). 

L'Empereur  a  proposé  au  Roi  de  Prusse  de  publier  un  nianire.<4te  exi- 
fieant  le  rélahlirisement  de  l'autorité  royale  en  France.  —  Le  Roi 
de  Pruise  veut  qutr  ce  manifeste  soit  appuyé  par  la  présence  de 
troupes.  —  On  attend  le  consentement  de  rAn{»leterre.  —  Il  est 
indispensable  d'arrêter  un  plan  d'opérations  commun  à  toutes  les 
Puissances  confédérées.  —  M.  de  Bouille  doute  que  le  concours 
armé  de  la  Suède  et  de  la  Russio  .soit  sérieusement  désiré  à  Vienne 
et  à  Kerlin.  —  Il  a  fait  agir  à  Madrid  pour  convaincre  l'Espagne  de 
la  nécessité  d'employer  les  troupes  suédoises  et  pour  obtenir  des 
subsides  de  cette  Puissance.  —  L'Angleterre  montre  de  mauvaises 
dispositions.  —  Les  diverses  Puissances  sont  loin  d'être  d'accord,  et 
il  a  peu  de  conHance  dans  le  résultat  des  négociations. 

AschafFcnbour(;,  le  11  août  1791. 
Sire  , 

Conformément  aux  ordres  de  Votre  Majesté,  que 
M.  (le  Breteuil  m'a  transmis,  je  n'ai  fait  faire  micune 


(1)  Ori{;inal  autographe.  Archives  du  ministère  des  Affaires  Étran- 
gères, ù  Stockholm. 

Franrois-ClaudoAuiDur,  marquis  de  Rouillé,  par  qui  est  écrite  cette 
TOME  III.  28 


434  LE  MARQUIS  DE  BOUILLE. 

des  reconnoissances,  et  je  ne  me  suis  permis  aucune 
des  démarches  auxquelles  Elle  m'avoit  autorisé  relati- 
vement aux  dispositions  et  aux  opérations  projetées  de 
son  armée,  et  j'attendrai  ses  ordres  ultérieurs.  Je  dgis 
seulement  l'instruire  qu'il  se  trouve  dans  Luxembourg, 
dans  ce  ipoment,  une  artillerie  de  siège  de  cent  vingt 
bouches  à  feu,  en  canons,  mortiers  etobusiers,  avec 
tous  les  approvisionnements  et  équipages  nécessaires. 
Votre  Majesté  est  sans  doute  instruite  de  la  proposi- 
tion que  l'Empereur  a  faite  au  Roi  de  Prusse,  de  don- 
ner un  manifeste ,  pour  déclarer  que  l'Empire  et  les 
Princes  du  Midi  emploieront  toutes  leurs  forces  contre 
la  France,  si  on  ne  rend  pas  la  liberté  au  Roi  et  à  la  Fa- 
mille royale  ;  si  on  ne  les  réintègre  pas  dans  leur  dignité, 
et  si  on  ne  rétablit  pas  V autorité  du  Roi  et  le  gouverne- 
ment monarchique  sur  des  bases  solides  et  raisonnables. 


lettre,  était  ne  a»i  château  de  Cluzel,  en  Auvergne,  le  19  novembre 
1739.   II  a  été  un  des  hommes  «le  guerre  les  plus  distingués  du  règne 
de  Louis  XVI;  terrible  dans  Taction,  plein  de  mansuétude  après  le 
combat.  Capitaine  en  1756,  il  ])rit  part  à  la  guerre  de  sept  ans,  dans 
les  dragons  de  La  Ferronnays.  ?îommé  gouverneur  de  la  Guadeloupe 
en  1768,  puis  des  îles  du  Vent  en  1777,  et  en  même  temps  maréchal  de 
camp,  il  se  distingua  dans  la  guerre  de  Tindcpendance  américaine  par 
la  prise  de  la  Dominique,  de  Tabago,  Saint-Eustache  et  Saint-Chris- 
tophe, et  fut  nommé  lieutenant  général  en  1784,  et  plus  tard  membre 
de  r Assemblée  des  Notables.   En   1790,   il  devint  gouverneur  de  la 
province  des  Trois-Évèchés,  de  l'Alsace,  delà  Lorraine  et  la  Franche- 
Comté;  général  en  chef  de  l'armée  de  la  Meuse,  Sarre  et  Moselle,  dans 
la  même  année.  Forcé  de  quitter  la  France  après  l'événement  de  Va- 
rennes,  il  se  réfugia  à  Coblentz,  se  mit,  en  1791,  à  la  dis|M)sition  du 
Roi  de  Suède  pour  effectuer  la  délivrance  de  Louis  XV  ï,  puis  il  serrit 
dans  l'armée  de  Condé,  enfin  dans  celle  du  duc  d'York  en  1793,  et 
mourut  a  Londres  en  1800.   Les  Mémoires  qu'il  a  laissés  sont  d'un 
style  négligé,  mais  ferme,  et,  ce  qui  vaut  mieux,  pleins  d'informalioos 
exactes  et  de  franchise. 


LE   MARQUIS    DE   BOUILLE.  435 

Le  Roi  de  Prusse  a  désiré  que  ce  manifeste  ne  panït 
<|u'à  la  tête  des  troupes ,  quand  celles-ci  seront  en  état 
d'agir.  Il  paroît  que  ces  Puissances  attendent  le  con- 
sentement de  l'Angleterre,  dont  les  dispositions  sont 
bien  incertaines. 

Le  Roi  de  Prusse  m'a  écrit  pour  m'engager  de  nie 
rendre  auprès  de  lui,  et  on  me  mande  d'ailleurs  qu'il 
désire  conférer  sur  un  plan  d'opération  des  armées 
combinées.  J'en  ai  écrit  à  nos  Princes,  qui  le  désirent 
également,  et  qui  m'ont  écrit  de  me  rendre  auprès 
d'eux  avant  de  partir.  Je  désirerois  qu'on  pût  présenter 
aux  Puissances  confédérées  un  projet  d'après  lequel , 
une  fois  qu'il  seroit  arrêté,  on  pourroit  disposer  les 
armées  qui  doivent  agir  sur  les  frontières  de  France, 
et  faire  préalablement  les  préparatifs  nécessaires  pour 
les  approvisionnements  des  munitions  de  guerre  et  de 
bouche,  et  la  formation  des  magasins  dans  les  dépôts 
convenus.  Je  désirerois,  si  l'Empereur  et  le  Roi  de 
Prusse  (qui  va  dans  ce  moment  en  Silésie),  doivent, 
comme  on  l'assure,  se  réunir  pour  conférer  ensemble 
sur  les  affaires  de  France,  être  en  état  de  leur  présen- 
ter un  plan ,  dont  il  devient  indispensable  de  convenir 
le  plus  tôt  possible.  J'en  donnerai  un  aux  Princes  à 
Coblentz ,  et  dans  lequel  l'armée  de  Votre  Majesté 
seroit  placée  sur  la  Meuse ,  dans  la  partie  qu'Elle  a 
elle-même  indiquée.  J'ignore  si  leur  conseil  approu- 
vera ces  dispositions  et  si  elles  le  seront  des  différentes 
Puissances  alliées.  Il  paroît  que  l'intention  de  l'Empe- 
reur est  de  faire  part  de  ses  dispositions ,  à  l'égard  de 
la  France ,  aux  souverains  de  la  maison  de  Bourbon , 

à  l'Angleterre  et  à  la  Prusse  ;  et  quand  elles  auront  été 

28. 


1136  LE   MARQUIS   DE   BOUILLE. 

approuvées,  il  les  communiquera  à  la  Suède,    à  la 
Russie  et  aux  Suisses ,  qu'il  désire  faire  entrer  dans  la 
Confédération.  J'ignore  cependant  s'il  y  a,  de  la  part 
des  cabinets  de  Vienne  et  de  Berlin  ,  un  grand  désir 
que  les  armées  suédoises  et  russes  contribuent  au  ré- 
tablissement de  la  monarchie  françoise ,   et  si ,  sans  y 
mettre  d'opposition  marquée,  on  ne  pi*ésume  pas  que 
le   manque  d'argent  sera   un   obslacle  suffisant.    En 
quittant  Votre  Majesté  ,  j'ai  écrit  en  Espagne ,  au  Duc 
de  La  Vauguyon ,  pour  l'engager  a  faire  envisager  à  la 
Cour  de  Madrid  combien  il  est  intéressant  pour  le  Roi 
et  la  Couronne  d'Espagne  que  les  Puissances  du  Nord 
interviennent  dans  les  affaires  de  France,  et  que  leurs 
armées  agissent,  ayant  plus  d'intérêt  que  les  autres  à  la 
conservation  de  ce  Royaume  dans  toute  son  intégrité, 
et  qu'il  suffisoit  que  l'Espagne  s'engageât  en  Hollande 
pour  un  emprunt  de  douze  millions  de  florins,  afin  de 
procurer  aux  armées  suédoises  et  russes,  réunies  avec 
le  corps  hessois,  les  moyens  d'agir  en   faveur  de  la 
France,  non-seulement  pour  le  rétablissement  de  la 
monarchie  françoise  dans  ce  moment ,  mais  pour  le 
maintien  de  l'autorité  royale ,  quand  le  Roi  aura  été 
réintégré  dans  sa  dignité  et  sa  puissance,  étant  alors 
moins    dangereux    et   conséquemment    plus    naturel 
d'employer  ces  troupes ,  ainsi  que  les  Suisses ,  comme 
auxiliaires,  quand  la  France  sera  soumise,  que  celles 
des  autres  alliés  tels  que  la  Prusse  et  l'Autriche.  Je  n'ai 
proposé  seulement  que  mes  idées ,  que  j'ai  annoncées 
(avec  vérité)  être  approuvées  de  nos  Princes  sans  com- 
promettre en  aucune  manière  Votre  Majesté,  qui  ne 
me  désapprouvera  pas,  à  ce  que  j'ose  espérer,  et  j'aii- 


LE   MARQUIS    DE    BOUILLE  437 

rai  l'honneur  de  lui  faire  part  de  la  réponse  que  je  re- 
cevrai. Jusqu'ici  la  Prusse  paroit  bien  disposée.  Je  ne 
sais  pourquoi  l'Empereur  s'attache  au  consentement 
de  l'Angleterre,  qui ,  d'après  le  votum  du  ministre  de 
Hanovre  à  la  Diète ,  est  dans  de  très-mauvaises  dispo- 
sitions, et  qui  ne  peut  rien  empêcher,  si  les  Cours  de 
Vienne  et  de  Berlin  sont  bien  décidées  à  agir.  Mais  je 
vois  avec  peine  que  les  différentes  Puissances  sont 
loin  encore  d'être  réunies  sur  le  grand  objet,  et  je 
crains  fort  que  la  négociation  ne  dissipe  nos  espé- 
rances, et  n'amène  à  un  accommodement  plus  dange- 
reux pour  le  reste  de  l'Europe  que  ne  Test  l'état  actuel 
de  la  France ,  par  le  mauvais  exemple  qu'en  recevront 
tous  les  peuples,  quand  tous  les  Souverains  auront 
sanctionné  en  quelque  manière  le  gouvernement  libre 
et  licencieux  de  la  France. 

Si  j'étois  dans  le  cas  d'aller  en  Silésie  où  est  main- 
tenant le  Roi  de  Prusse,  je  reviendrai  toujours  à  temps 
pour  exécuter  les  ordres  de  Votre  Majesté,  relative- 
ment aux  dispositions  de  son  armée,  et  j'en  prévien- 
drai M.  de  Fersen. 

Je  suis  avec  le  plus  profond  respect, 

Sire, 

de  Votre  Majesté, 

le  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

LE  Marquis  de  Bouille. 


43S  LE  COMTE  DE  FERSEN. 


DLXVIII 

LE  COMTE  DE  FERSEN  AU  ROI  DE  SUÉDE  (1). 

L*Empereur  ne  prendra  un  parti  qu'après  avoir  vu   le  Roi  de  Prusse 
à  Tceplitz.  —  M.  de  BischofFswerder.  —  Le  baron  de  Noicken. 


Vienne,  ce  17  août  1791. 
Sire, 

D'après  la  dernière  audience  que  j'ai  eue  de  Sa  Ma- 
jesté l'Empereur,  il  me  paroît  qu'il  ne  se  décidera  que 
lorsqu'il  aura  vu  le  Roi  de  Prusse  à  Tôplitz  :  cela  m'en- 
gage à  me  rendre  à  Prague,  pour  être  plus  à  portée  d'en 
apprendre  le  résultat  et  obtenir  une  réponse  positive. 
L'Empereur  part  d'ici  le  20  ;  l'entrevue  doit  être  le  27. 
Le  couronnement  est  fixé  au  6  septembre,  et  l'Empe- 
reur sera  de  retour  à  Vienne  le  23  septembre.  Dès  que 
j'aurai  terminé,  j'aurai  l'honneur  d'expédier  un  cour- 
rier à  Votre  Majesté  ;  je  ferai  tout  ce  que  je  pourrai 
pour  en  hâter  le  moment. 

M.  de  Bischoftiswerder  est  parti  lundi  au  soir.  Le  traité 
est  signé  entre  l'Empereur  et  le  Roi  de  Prusse,  mais  les 
articles  n'en  sont  pas  connus. 

Le  baron  de  Noicken  est  ici  ;  mais  faute  d'avoir  ses 
livrées  faites,  il  n'a  pas  encore  eu  ses  audiences. 

Je  n'ai  pas  encore  reçu  des  nouvelles  d'Angleterre; 


(I)  Auto(p'aphe.  Archives  du  Ministère  des  Affaires  Etrangères  de 
Suède. 


LE  COMTE    DE    FERSEM.  439 

je  les  attends  avec  beaucoup  d'impatience;  elles  sont 
très-importantes  pour  hâter  les  opérations. 

Je  suis,  avec  le  plus  profond  respect, 

Sire, 

de  Votre  Majesté, 

le  plus  humble,  le  plus  soumis  et  le  plus  fidèle  sujet, 

Axel  Fersen. 


Le  baron  de  Bischoffewerder,  dont  il  est  question,  était  un 
gentilhomme  saxon  entré  au  service  de  Prusse  vers  la  Bn  du 
rèfjne  du  grand  Frédéric  et  qui  s'était  particulièrement 
attaché  à  la  personne  du  Prince  Royal.  Le  souvenir  de  cette 
affection  lui  avait  valu,  à  Favénement  de  ce  Prince,  une  faveur 
assez  grande  pour  contrebalancer  et  bientôt  détruire  entiè- 
rement, à  son  profit,  Tinflucnce  du  grand  ministre  de  Fré- 
déric II,  le  comte  Ewald  de  Hcrtzberg,  dont  la  paix  de 
Teschen  avait  été  l'ouvrage,  qui  avait  rendu  le  calme  à  la 
Hollande,  amené  le  traité  de  Reichenbach  (l),  avait  puissam- 
ment influé  sur  le  maintien  de  l'équilibre  européen,  et  dont 
les  derniers  conseils  tendaient  à  pactiser  adroitement  avec 
les  réformateurs  français.  L'éloignement  du  Roi  pour  ces 
révolutionnaires  dicta  la  politique  de  Bischoffswerder  :  il 
lança  d'un  côté  contre  la  France  le  baron  de  Goltzet  lejuif 
Lphraim  (2),  qui,  souterrainement,  nous  firent  tant  de  mal. 


(1)  ReicIienLach  est  une  petite  ville  de  la  Silésic  prussienne,  dis- 
tante de  soixante-dix  kilomètres  de  Dreslau  et  de  quelques  lieues  de 
Schœnewalde  où  le  Roi  de  Prusse,  en  armes  contre  l'Autriche,  avait 
son  quartier  général.  Le  traité  de  paix  signé  dans  cette  ville  cU  de 
juillet  1790. 

(2)  L(.'  haron  Bernard-Guillaume  de  Goltz  fut  ministre  plénipoten- 
tiaire de  Prusjte  à  Paris,  de  1768  à  1792.  ?iuus  ne  nous  souvenons 
pas  assez  de  ceux  qui  nous  ont  fait  du  mal.  L'étranger  garde  mieux 
contre  nous  ses  rancunes. 


440  LE   BARON   DE  BISCHOFFSWERDER. 

et  d'un  autre,  il  s'aboucha  avec  un  des  habiles  confidents  du 
prince  de  Kaunitz,  le  baron  de  Spielmann,  que  TEmpereur 
Léopo]d  avait  suscité  dès  son  avènement.  De  là  naquit  entre 
l'Empereur  et  le  Roi  de  Prusse  une  correspondance  person- 
nelle qui  devait  amener  une  bonne  entente  entre  les  deux 
couronnes  et  de  laquelle  Bischoffiswerder  espérait  bien  faire 
sortir  une  guerre. 

Ce  ministre  avait  donc  alors  la  principale  part  à  la  con- 
fiance du  neveu  et  successeur  du  grand  Frédéric,  le  Roi 
Frédéric-Guillaume  II,  dont  le  début  comme  Prince  Roval 
avait  été  tellement  brillant  que  le  grand  Roi,  l'embrassant, 
lui  avait  dit  :  u  Vous  n'êtes  plus  mon  neveu,  vous  êtes  mon 
fils,  j)  Monté  sur  le  trône,  il  fut  loin  de  répondre  à  de  si  hautes 
espérances.  Son  illuminisme  joint  à  sou  goût  ardent  pour  les 
plaisirs  et  ses  faiblesses  pour  une  femme  galante  qu'il  créa 
comtesse  de  Lichtenau,  lui  firent  négliger  les  intérêts  de 
l'État.  Ce  fut  lui  qui  bâtit  ce  palais  de  marbre  où  se  célébrè- 
rent des  orgies  dignes  du  Régent  de  France.  BischofFswerder 
était  un  de  ces  illuminés  de  la  secte  des  théosophes,  qui, 
sous  le  nom  de  Rose ^ croix,  avaient  pris  empire  sur  l'esprit 
romanesque  de  ce  prince,  et  lui  faisaient  apparaître  dans  des 
soupers  Moïse  et  Jules  César.  Ils  étaient  venus  à  bout  de  lui 
fairecroire  que  l'Ancien  Testament  et  l' Évangile  étaient  défiée- 
tueux,  qu'il  existait  une  doctrine  bien  supérieure  dans  les 
livres  sacrés  d'Éiioch  et  de  Seth,que  l'on  avait  crus  perdus, 
et  dont  ils  se  disaient  seuls  en  possession.  La  crédulité  de  ce 
prince,  qui,  en  ce  genre,  allait  au-devant  du  mensonge, 
avait  acquis  une  telle  notoriété,  qu'elle  devint  la  fable  delà 
foire  de  Leipzig.  Ainsi  les  frères  hiérophantes  s'étant  avisés 
un  jour  d'annoncer  au  Roi  l'apparition  de  Jésus-Chrisl  : 
a  Comment  était-il  vêtu?  »  avait  demandé  Frédéric-Guillaume 
dans  son  enthousiasme.  —  «  En  veste  d'écarlate  à  revers  noirs 
et  à  brandebourgs  d'or,  »  lui  avait-on  répondu.  Et  là-dessus  la 
foire  de  1792  ouvrit  un  débit  de  vestes  du  Jésus  de  Berlin, 
«  Berlinische  Jésus  Westen,  »  qui  firent  fureur  (1). 


(1)  Voir  Mémoires  pour  servir  à  F  histoire  du  Jacobinisme,  par 
l*abbé  Barruel,  t.  V,  p.  28,  et  ï Histoire  de  Frédéric-Guiitaume ,  par 
M.  DE  SÊGUB,*  t.  I,  p.  58. 


L'EMPEREUR    LEOPOLD   II.  .     441 


DLXIX 

L'EMPEREUR  LÉOPOLD  AU  ROI  DE  SUÉDE  (1). 

Il  partage  le.H  scnliinents  qu'iiis|iii-c  ù  Gustave  III  la  situation  de  la 
famille  royale  de  France.  —  Il  s'est  concerté  avec  l' Angleterre  et 
avec  la  Prusse  pour  amener  une  entente  entre  les  Puissances.  — 
Il  fera  connaître  incessamment  au  Roi  de  Suède  le  résultat  de  ses 
démarches. 

Vienne,  le  19  août  1791. 

Monsieur  mon  Frère  et  Cousin,  j'ai  vu  avec  bien  de 
la  satisfaction,  par  la  lettre  que  le  comte  de  Fersen 
m'a  remise  de  la  part  de  Votre  Majesté,  l'intérêt  que 
vous  prenez  à  la  malheureuse  situation  du  Roi  Très- 
Chrétien,  de  la  Reine  et  de  la  France.  Vous  rendez  jus- 
tice à  mes  sentiments,  en  jugeant  que  j'en  éprouve,  à 
cette  occasion,  de  conformes  à  ma  tendresse  pour  une 
sœur  chérie,  à  mon  amitié  pour  le  Roi,  et  à  ce  que  je 
dois  à  une  cause  qui ,  par  son  objet  et  le  danger  des 
suites,  devient  celle  de  toutes  les  Puissances.  Persuadé 
de  la  convenance  et  delà  nécessité  d'un  commun  accord 
entre  elles,  pour  la  réunion  des  mesures  propres  h  y 
apporter  les  remèdes  les  plus  conciliables  avec  les  inté- 
rêts, les  moyens  et  les  obstacles,  je  vous  confierai  que, 
dans  la  vue  de  faciliter  un  tel  accord,  je  viens  de  m'ex- 
pUquer  préalablement  avec  quelques-unes  des  Cours 
les  plus  intéressées  dans  le  rétablissement  des  affaires 
françoises,  parmi  lesquels  les  Rois  de  la  Grande-Bre- 


(1)  Copié  sur  Toriginal  autographe  existant  aux  Arcliives  du  Minis- 
tère  des  Affaires  Etrangères,  à  Stockholm. 


442  L'EMPEREUR   LÉOPOLD  II. 

tagne  et  de  Prusse  m'ont  promis  de  s'ouvrir  sur  le  con- 
cert proposé,  après  la  conclusion  de  ma  paix  avec  la 
Porte,  et  l'arrangement  de  leur  négociation  avec  la 
Cour  de  Pétersbourg. 

Ces  événements  s'étant  accomplis  depuis,  et  recevant 
de  plus  d'une  part  des  assurances  de  dispositions  favo- 
rables au  but,  je  compte  me  trouver  incessamment  à 
même  de  communiquer  à  Votre  Majesté  les  résultats 
de  mes  soins,  et  l'opinion  qu'ils  me  permettront  de  for- 
mer sur  la  nature  des  démarches  et  mesures  communes 
qu'il  sera  faisable  d'adopter  et  d'exécuter,  me  réser- 
vant aussi  jusque-là  de  m'expliquer  sur  les  idées  que 
vous  avez  bien  voulu  me  faire  communiquer  par  le 
comte  de  Fersen.  Votre  Majesté  n'auroit  pu  me  rappe- 
ler une  époque  plus  agréable  que  celle  qui  m'a  procuré 
le  plaisir  de  vous  posséder  quelque  temps  à  Florence. 
La  connoissance  qu'elle  m'a  procurée  des  qualités  per- 
sonnelles de  Votre  Majesté  m'a  inspiré  des  sentiments 
inaltérables  d'amitié,  d'estime  et  déconsidération,  avec 
lesquels  je  ne  cesserai  d'être. 

Monsieur  mon  Frère  et  Cousin, 
de  Votre  Majesté 

le  bon  Frère  et  Cousin, 

Léopold. 


MADAME    ELISABETH.  443 


DLXX 

MADAME   ÉLïSABETri    A    MADAME   DE   «OMBELLES, 
SOUS  LE  NOM  DE  MADAME  SCIIWAHZEXGALD, 

A    8AINT-GALL,    EN    SUISSE,    A    ROSCilAK. 

Captivité  du  Roi  aux  Tuileries.  —  Frayeur  panique  des  gardes  naiio- 
naleA.  —  Créatimi  d'une  nou\Hïllo  garde.  —  Renonciation  du  duc 
d'Orléans  à  ses  droits  au  trône. 

Ce  25aorit  1791. 

Je  n'ai  plus  eu  de  tes  nouvelles,  ma  Bombe;  j'es- 
père en  recevoir  aujourd'hui.  A  combien  de  lieues  es-tu 
de  moi?  Si  tu  n'étois  pas  plus  tranquille  dans  ton  châ- 
teau, je  regretterois  que  tu  ne  fusses  plus  à  Stutt{,'ard, 
car  il  me  sembloit  que  tu  étois  tout  près  de  nous,  au 
lieu  que  ton  vilain  château  me  paroit  aux  antipodes. 
Je  voudrois  bien  que  mes  lettres  fussent  pour  toi  un 
agréable  journal;  mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  cela 
puisse  être.  Cependant,  pour  te  divertir,  je  te  raconte- 
rai d'abord  qu'il  y  a  deux  jours  qu'une  sentinelle  sur  la 
terrasse  des  Feuillants  prit  des  marrons  qui  lui  tom- 
boient  sur  la  tête  pour  des  pierres  qu'on  lui  jetoit.  En 
conséquence,  il  a  tiré.  Le  caporal  accourt  à  ce  bruit, 
monte  sur  le  mur,  voit  deux  hommes  se  promenant 
dans  la  cour  des  Feuillants,  tire  dessus.  Heureusement, 
ils  n'ont  j)oint  été  blessés.  C'étoient  deux  hommes  de 
la  garde.  Tout  cela,  comme  vous  jugez,  a  fait  un  peu 
de  bruit  dans  le  moment. 

Cette  nuit,  une  sentinelle  qui  est  dans  un  corridor  en 
haut,  s'est  endormie,  a  rêvé  je  ne  sais  quoi,  s'est  éveil- 


444  MADAME    ÉLISAHETH. 

lée  en  criant.  Dans  le  même  moment,  tous  les  postes, 
jusqu'au  fond  de  la  {jalerie  du  Louvre,  en  ont  fait 
autant.  Dans  le  jardin,  il  y  a  eu  aussi  des  terreurs 
paniques.  Tout  cela  entretient  la  garde  dans  une  terreur 
apparemment  fort  utile  pour  ceux  qui  sont  cause  de 
toutes  ces  bêtises. 

H  a  été  question  hier  de  la  maison  militaire  du  Roi. 
Il  aura  douze  cents  hommes  à  pied  et  six  cents  à  che- 
val, qui  seront  choisis  dans  les  troupes  de  ligne  et  dans 
la  garde  nationale.  Il  faut  avoir  été  un  an  dans  celle-ci 
pour  être  choisi.  Outre  cela,  il  aura  la  garde  d'honneur 
que  la  ville  où  il  sera  lui  fournira.  Tu  conviendras  que 
tout  cela  fera  un  Roi  bien  et  librement  gardé.  On  le 
croira,  c'est  tout  de  même.  M.  le  duc  d'Orléans  a 
renoncé  à  ses  droits  au  trône  dans  la  séance  d'hier. 
Voilà,  ma  Bombe,  toutes  les  nouvelles  intéressantes  que 
mon  pays  peut  fournir  ;  la  fête  du  Roi  se  passe  avec 
toute  la  modestie  possible.  Il  n'y  a  pas  la  moindre  diffé- 
rence des  autres  jours.  On  ne  lui  permet  même  pas 
d'aller  entendre  la  messe  dans  la  chapelle.  Adieu,  ma 
Bombe,  je  t'aime  et  t'embrasse  de  tout  mon  cœur  et 
n'ai  rien  de  nouveau  à  te  mander.  Adieu. 


LE    COMTE    D'ARTOIS.  4V5 


DLXXI 

LE  COMTE  D'ARTOIS  AU  ROI  DE  SUÈDE  (1). 

Il  lui  annonce  l'envoi  du  Raroii  d'Escars,  cliai-gé  de   traiter  avec  lui 

au  nom  de  Louis  XVI  et  des  Prince:*. 

Dresde,  ce  29  août  1791. 

Monsieur  mon  Frère  et  Cousin, 

Votre  Majesté  ne  peut  pas  douter  de  la  ])rofonde 
reconnoissanceque  Monsieur  et  moi  ne  cesserons  jamais 
d'éprouver  pour  les  bontés  dont  Elle  nous  a  comblés. 
Notre  confiance  dans  ses  nobles  sentiments  est  plus 
absolue  que  jamais. 

En  conséquence,  chargé  des  pouvoirs  de  Monsieur, 
et  instniit  des  bontés  particulières  dont  Votre  Majesté 
adonné  tant  de  marques  au  baron  d'Escars,  j'envoie 
cet  officier  général  auprès  de  Votre  ^Majesté,  et  je  l'au- 
torise à  traiter,  de  notre  part  et  au  nom  du  Roi  notre 
frère,  auprès  de  Votre  Majesté. 

Le  baron  d'Escars  aura  l'honneur  de  rendre  coni[)te 
à  Votre  Majesté  de  la  position  actuelle  des  afTaires  de  la 
France,  du  résultat  des  conférences  de  Pilnitz,  et  des 
démarches  que  nous  ferons  en  conséquence. 

Je  ne  chercherai  point  à  exciter  les  nobles  sentiments 
de  Votre  Majesté  :  je  connois  son  âme,  et  la  mienne  est 
tranquille. 

Je  finis  en  suppliant  Votre  Majesté  de  daigner  me 


(1)  Origiual  auto(»ra|)lie.  Airliive.^  du  Miui^tèrc  dos  Affaires  Ktrau- 
gère.',  à  Stockliolui. 


446  LE  COMTE   D'AIITOIS. 

conserver  vSes  bontés,  son  amitié,  et  de  recevoir  l'assu- 
rance  de  tons  les  sentiments  aussi  tendres  que  respec- 
tueux, avec  lesquels  je  suis, 

Monsieur  mon  Frère  et  Cousin, 
de  Votre  Majesté, 
le  très-affectionné  Frère,  Cousin  et  Serviteur, 

Charles-Phiuppe. 

rendant  i\nv  les  Princes  français  travaillaient  à  |xui5scr 
l'éfranjfcr  sur  la  France  r(''VoliUi(>nnre,  FAsseinhlée  consli- 
tuanlo  poïirsiiivail  ses  (grands  travaux,  ses  réformes  utiles  et 
ses  ]M''titioiis  (le  piincipes. 

Le  :27  juillet,  elle  dèclarail  J.  J.  Rousseau  di(;iie  des  hon- 
neurs consacrés  aux  j^raiuls  lioniuies  et  décidait  que  les 
habitants  de  la  capitale  seraient  tenus  à  déclarer  les  noms  et 
qualités  dj\s  Français  et  des  étran(jers  (]ui  seraient  lo([és  dans 
leurs  maisons. 

Le  ^),  suppression  des  cor|)orations  et  des  ordres  de 
chevalerie. 

Le  5  août,  les  Assemblées  éh^iorales  étaient  convoquées 
|>oiir  élire  les  mc^mbres  du  Corps  lé(*is1atif. 

1-e  :22,  était  créée  la  caisse  dVqjargne  et  de  hieuKiisance  de 
Joacliim  La^ar(^(^ 

Le  !2îJ,  avait  é<*laté  une  conjuration  {jénérale  contre  les 
blancs  |)armi  les  nè^^res  à  Saiut-J)omiu(i[ue.  La  flamme  avait 
ravajjé  la  colonie,  et  le  sau{j  avait  coulé  à  flots.  —  On  disait  : 
Périssent  les  colonies  plutôt  qu'un  principe. 

Le  25  et  le  27,  rFmpereur  Léopold  et  le  Uoi  Frédéric- 
Cuillaunie  se  rencontraient  à  Pilnitz,  pour  s'occuper  de  la 
Polo{jue.  Ils  étendaient  la  confér(?nce  à  Tétai  des  afï'aiœs  de 
France,  l'objet  au  fond  le  plus  dii-ect  de  Fenti-evue.  \.c  comte 
d'Artois,  (.alonue,  Houille  et  divers  aiUres  |>ersonna(jes  de 
l'émigration  s'y  étaient  rendus.  Les  articles  éqni\oqnes  qu'on 
y  s'ii'jim  furent  re(;ardés  connue  la  base  de  la  coalition  qui 
éclata  lon^^temps  ajuès  ct)ntrc  la  France. 


/  N 


MARIE-THERESE  y1 


^  fi  njujuh- 


/jUi^ 


ut 


4 


'a 


i4u  C^  AutncM.  ^Ut/<f  t»*u4  irv^ù^ 


XéUf-U. 


SUPPLÉMENT 


i 


L'IMPERATRICE  MARIE-TMERESE  A  L'ARCHIDUCHESSE 

MARIE-GIIRISTI>'E  (1). 

Sages  conseils  ù  sa  fille,  au  moment  de  son  maria(;e  avec  le  duc  de 
Saxe-Tesrhen.  —  L'Impératrice  lui  trace  la  conduite  à  tenir,  et 
comme  femme  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie  pour  conserver 
l'affection  de  aon  mari,  et  comme  participant  au  gouvernement  des 
Pays-Bas. 

[Avril  1766.] 

Ma  chère  fille,  vous  voulez  que  je  vous  donue  un 
conseil  sur  votre  futur  état;  comme  il  y  a  tant  de  livres 
qui  traitent  cette  matière,  je  ne  veux  pas  entreprendre 
de  répéter  ce  qu'ils  disent.  Vous  savez  que  nous  autres 
sommes  sujettes  à  nos  maris;   que  nous  leur  devons 


(1)  Archives  de  Son  Altessse  Impériale  et  Royale  l'Archiduc  Albert 
d'Autriche.  • 

N"  1*"*  du  dossier,  intitulé  de  la  main  du  duc  de  Saxe-Tesclien  : 
«  Billets  et  lettres  particulières  écrites  a  feu  Madame  C Archiduchesse 
par  ritnpératrice'Beine  Marie-Thérèse ^  son  incomparable  mère.  » 

Cette  lettre  a  été  imprimée  avec  de  légères  inexactitudes  par  M.  Adam 
Wolf,  à  la  fin  de  son  livre  allemand,  déjà  cité  ;  Marie-Christine. 
Vienne,  Cari  Gerold's  Sohn.  1863. 

Il  n'y  a  de  la  main  de  l'Impératrice,  avec  sa  signature,  que  la 
souscription  :    Votre  fidèle  mère. 


4^*8  L^IMPÉRATRICE  MARIE-THÉRÈSE. 

obéissance;  que  notre  seul  but  en  tout  doit  être  notre 
époux,  (le  le  servir,  de  lui  être  utile  et  d'en  faire  notre 
père  et  meilleur  ami.  Si  même  les  exemples  en  font 
voir  malheureusement  le  contraire,  je  ne  saurois  vous 
dispenser  de  votre  devoir.  Vous  prenez  par  inclina- 
tion votre  époux  :  c'est  par  cette  raison  seule  que  j'ai 
fait  votre  établissement.  Vous  le  connoissez,  vous  avez 
tout  lieu  d'espérer  d'être  heureuse  autant  qu'on  peut 
l'être  dans  ce  monde. 

Tachez  de  mériter  la  bénédiction  divine  par  une  vie 
chrétienne,  en  donnant  aux  autres  l'exemple  par  vos 
charités,  vos  dévotions,  par  une  crmduite  réglée  et  par 
une  modeste  retenue  (jue  vous  observerez  partout. 
C'est  vous  qui  devez  donner  le  ton  ;  et  jo  suis  persua- 
dée que  vous  le  donnerez,  en  étant  bien  capable. 

Vous  avez  d'agréments  et  d'attachement  (1);  mais 
gardez-vous  de  pousser  ces  vertus  et  belles  (pialités  à 
outrance.  Je  dois  d'autant  plus  vous  en  prévenir, 
qu'aimant  tendrement  votre  époux,  vous  pourriez 
tomber  dans  un  excès  qui  pourroit  lui  devenir  à  charge  : 
point  d'autant  plus  délicat,  puisque  c'est  l'écueil  ordi- 
naire contre  lequel  échouent  les  femmes  tendres  et 
vertueuses,  et  qui  se  marient  par  inclination.  Plus  vous 
ménagerez  même  vos  caresses  innocentes,  plus  vous 
vous  ferez  rechercher.  Dans  le  siècle  d'aujourd'hui 
surtout,  on  ne  veut  pas  de  gêne,  et  les  mauvais  exem- 
ples gagnent  au  point  qu'on  ose  paroître  sans  honle 
sur  ce  pied.  iMus  vous  laisserez  de  liberté  à  votre  époux, 
en  exigeant  le  moins  possible  de  gêne  et  d'assiduité  que 


(1)  C*('dt-à-<lirc  :  vuiii4  avez  dos  agrôiiicnts  et  de  la  seDSÎbilUé. 


L'IMPERATRICE  MARIE-THERESE.  449 

VOUS  pourrez,  plus  vous  vous  rendrez  aimable;  il  vous 
cherchera  et  s'attachera  à  vous. 

Ce  qui  doit  faire  votre  principale  étude,  c'est  qu'il 
trouve  toujours  dans  vous  la  même  humeur,  les  mêmes 
complaisances,  les  mêmes  prévenances.  Tâchez  de 
l'amuser,  de  l'occuper,  pour  qu'il  ne  se  trouve  pas 
mieux  ailleurs.  Pour  vous  attirer  sa  confiance,  vous 
devez  avoir  soin  de  la  mériter  par  toute  votre  con- 
duite et  discrétion.  Que  jamais  aucun  soupçon  n'entre 
dans  votre  cœur.  Plus  vous  laisserez  de  liberté  à  voire 
époux  et  lui  marquerez,  sur  ce  sujet,  vos  sentiments 
et  votre  confiance,  plus  vous  vous  l'attacherez.  Tout 
le  bonheur  du  mariage  consiste  dans  la  confiance  et 
complaisance  mutuelles  :  le  fol  amour  se  dissipe  bien- 
tôt; mais  il  faut  s'estimer  et  s'être  utile  réciproque- 
ment; il  faut  être  vrai  ami  l'un  de  l'autre,  pour 
être  heureux  dans  l'état  de  mariage,  pour  pouvoir 
supporter  les  revers  de  cette  vie  et  pour  faire  son 
salut,  objet  le  plus  essentiel  et  unique,  en  quelque 
état  qu'on  se  trouve.  Je  ne  crains,  à  cet  égai  ;,  que 
le  trop  qui  pourroit  influer  dans  votre  bonheur  com- 
mun. Je  vous  ai  vue  jalouse  de  vos  amies;  gardez- vous 
'de  l'être  de  votre  mari  ;  ce  seroit  le  moyen  de  l'éloi- 
gner. Ne  le  badinez  jamais  sur  ce  point  :  de  la  badi- 
nerie  on  vient  aux  reproches,  l'aigreur  s'en  mêle, 
l'estime  mutuelle  et  la  douceur  de  la  vie  s'enfuient,  et 
l'aversion  s'ensuit.  Plus  vous  marquerez  de  confiance 
à  votre  mari,  sans  vouloir  le  gêner  en  rien,  plus  il  vous 
restera  attaché. 

Quel  bonheur  de  retrouver  toujours  chez  s:ii  une 

épouse  aimable,  occupée   à  faire  le  bonheur  de  sou 
TOMB  m.  29 


450  L'IMPÉRATRICE  M ARIË-THÉtiÉSE. 

époux,  à  ramuser,  à  le  consoler,  à  lui  être  utile;  qui 
ne  prétend  jamais  le  gêner,  le  laisse  toujours  venir,  se 
contente  de  ses  assiduités  et  se  trouve  heureuse  de  s'en 
occuper!  Ne  fût-ce  pas  même  d'abord  reconnu,  vous  en 
verrez  l'effet  dans  la  suite. 

Tous  les  mariages  seroient  heureux  si  l'on  suivoit 
cette  marche.  Mais  tout  dépend  de  la  femme,  qui  doit 
garder  le  juste  milieu ,  tâcher  de  gagner  l'estime  et  la 
confiance  de  son  mari,  n'en  abuser  pas,  ni  n'en  faire 
jamais  parade,  ni  ne  vouloir  le  commander.  Votre 
situation,  à  cet  égard,  est  aussi  délicate  qu'étoit  la 
mienne:  jamais  ne  lui  faites  sentir  votre  supériorité; 
rien  ne  coûte,  quand  on  aime  bien  et  raisonnablement  : 
je  suis  tranquille  sur  ce  point. 

Aucune  coquetterie,  aucune  vanité  ne  vous  est  per- 
mise :  n'écoutez  là-dessus  personne;  montrez-leur  que 
vous  êtes  au-dessus  de  ces  fadaises.  A  l'égard  d'une 
femme  mariée,  tout  est  d'imporUmce ,  et  rien  n'est 
léger.  Soyez  habillée  modestement  :  à  une  fomme 
mariée  il  n'est  plus  permis  ce  qu'on  passeroit  à  une 
fille,  et  les  autres  renchériroient  d'abord  sur  votre 
exemple. 

N'ayez  pas  de  confidente  :  c'est  votre  mari  seul  qui 
doit  l'être,  et  je  n'en  veux  pas  d'exception  pour  moi- 
même,  pour  ne  vous  pas  accoutumer  à  me  faire  de 
confidences.  Vous  avez  assez  d'écrit  et  de  talents,  si 
vous  voulez  en  faire  usage,  pour  vous  rendre  heureuse; 
d'autant  plus  que  le  caractère  et  la  conduite  de  votre 
époux  doit  vous  rassurer  de  l'avenir  plus  que  tout 
autre ,  si  vous  ne  troublez  pas  vous-même  votre  heu- 
reuse situation. 


L*IMPÉRATRICE   MARIE-THÉRÈSE.  A5i 

Il  faut  tacher  d'appliquer  et  occuper  toujours  votre 
^poux,  seul  moyen  de  ne  pas  tomber  dans  le  vice.  On 
:goùte  d'autant  plus  de  plaisirs ,  si  Ton  use  avec  modé- 
ration :  vous  en  avez  assez  d'exemples. 

L'ordre  dans  votre  journée  et  ménage  est  l'àme 
d'une  vie  tranquille  et  heureuse.  Je  sais  qu'à  cette  heure 
on  croit  qu'il  n'est  pas  de  plaisirs  où  il  y  a  de  la  gène. 
Je  n'en  saurois  convenir,  en  ayant  fait  l'expérience  par 
moi-même  y  et  voyant  tous  les  jours  que  les  mêmes 
gens  qui  soutiennent  le  plus  cette  maxime  sont  les  plus 
ennuyés  et  les  moins  heureux  :  ils  ne  jouissent  de  rien, 
en  trop  laissant  libre  cours  à  leurs  caprices  et  à  leurs 
sens,  dont  ils  sont  à  la  fin  tyrannisés.  —  Je  parle  de 
cet  ordre  qui  est  combinable  avec  la  volonté  de  votre 
époux.  Rien  ne  doit  vous  arrêter  de  vous  y  conformer, 
et  vous  devez  sacrifier  tout,  quand  il  s'agit  de  lui 
plaire  ou  de  iisiire  sa  volonté.  Vous  n'avez  alors  rien 
à  vous  reprocher,  et  vous  n'avez  qu'à  obéir,  après 
avoir  fait  vos  objections  et  représentations  avec  dou- 
ceur et  tendresse,  ce  qui  vous  est  permis  de  faire 
une  fois  ;  mais  s'il  décide  le  contraire,  il  ne  vous  reste 
qu'à  obéir,  et  même  de  façon  qu'on  voie  que  vous  en 
faites  votre  propre  affaire,  sans  écouter  aucune  modi- 
fication. Rien  n'est  plus  facile  quand  on  aime  bien  et 
quand  on  fait  son  devoir  :  c'est  dans  ce  monde  le  seul 
moyen  d'être  heureux  et  tranquille. 

Si  votre  époux  vous  trouve  toujours  occupée  de  son 

bonheur  par  vos  complaisances ,  et  que  vous  tâchez  de 

faire  qu'il  se  trouve  plus  heureux,  plus  tranquille  et 

plus  sûr  chez  lui  qu'ailleurs ,  vous  pouvez  compter  de 

le  fixer  et  de  faire  son  bonheur  et  le  vôtre  ;  mais  il  ne 

Î9. 


452  L'IMPÉRATRICE   MARIE-THÉRKSE. 

fout  pas  vouloir  le  forcer  h  en  faire  l'aveu  :  il  faut  qu'il 
en  soit  convaincu  par  lui-même. 

Les  plus  laides  et  les  plus  vieilles  femmes  ont  sou- 
vent occasionne  les  plus  fortes  passions  par  leur  com- 
plaisance et  adresse  d*amuser  et  d'attirer  les  {jcns, 
tandis  que  les  femmes  les  plus  jolies  sont  nég[li{j[ées 
parce  qu'elles  manquent  de  ces  qualités.  Le  moins  de 
badinerie  que  vous  pourriez  introduire  sera  le  meilleur. 
C'est  encore  un  mal  très  à  la  mode  à  cette  heure;  mais 
il  faut  avoir  une  grande  supériorité  d'esprit  et  beau- 
coup de  droiture  pour  badiner  sans  inconvénient. 
D'ailleurs,  ce  ton  en{;endre  la  familiarité,  ou  met  de 
l'aigreur  dans  la  société,  et  bannit  toute  décence  et 
politesse. 

Ne  souffrez  point  à  votre  cour  des  discours  équi- 
voques, ni  des  médisances.  Eclaircissez  les  faits  tou- 
jours sur-le-champ  ;  vous  bannirez  ainsi  la  mauvaise 
engeance.  Marquez,  en  toute  occasion,  votre  empresse- 
ment de  rendre  justice  à  la  vertu.  Eloignez  de  votre 
société  ceux  cpii  en  manquent.  Faites  observer  la  régu- 
larité en  tout  à  votre  cour.  Obligez  les  chefs  à  tenir  les 
gens  en  ordre.  Ne  leur  passez  rien  sur  ce  point;  mais 
faites  toujours  les  corriger  par  leurs  chefs ,  sans  vous 
en  charger  vous-même.  C'est  le  seul  moyen  d'être  bien 
servi  et  d'avoir  des  habiles  gens. 

Je  ne  vous  dis  rien  ici  sur  votre  propre  conduiti 
Vous  ne  négligerez  aucun  des  devoirs  de  la  religioD 
dans  l'état  de  mariage ,  on  a  plus  besoin  encore  de 
prière  et  du  secours  de  Dieu.  Vos  lectures  spiritue 
doivent  se  faire  régulièrement.  Je  vous  recomms 
particulièrement    d'être   exacte   dans  ce  point.  ^ 


L'IMPÉRATRICE   MARIE-THÉRÈSE.  453 

réglerez  vos  dévotions  de  même  que  vos  charités  sur 
l'avis  de  votre  confesseur  (1). 

Tout  ce  qui  regarde  les  femmes  passera  par  la  Vas- 
quèz  (2).  Vous  lui  avez  tant  d'obligations,  que  vous  ne 
sauriez  jamais  assez  les  reconnoitre.  Ce  qui  a  trait  aux 
hommes,  appartient  à  votre  grand  maître.  Sur  les 
affaires  particulières ,  vous  consulterez  Palfy,  comme 
le  premier  du  pays,  et  Kempel.  Voilà  le  seul  moyen  de 
tenir  tout  en  ordre. 

Le  bon  Dieu  vous  ayant  donné  tant  de  talents  et 
d'agréments,  vous  ayant  visiblement  choisie  parmi 
toute  votre  nombreuse  famille  à  faire  le  bonheur  et  la 
douceur  de  vos  parents,  et  d'une  belle-sœur  sainte  et 
clairvoyante  (3),  vous  ayant  accordé  un  époux  ver- 
tueux, aimable  et  de  votre  propre  choix;  j'espère  que 
ce  bon  Dieu  achèvera  son  ouvrage ,  en  vous  rendant 
heureuse,  pourvu  que  vous  ne  l'abandonniez  pas  et 
que  vous  suiviez  mes  conseils,  qui,  aussi  peu  que  ma 
tendresse,  ne  vous  manqueront  jamais.  Je  vous  donne 

(1)  La  Princesse  eut  pour  confesseur  François  Lecliner,  esprit  sage 
et  modéré.  Dans  une  collection  trés-nonibreuse  de  portraits  en  mi- 
niature formée  ymr  le  Duc  et  la  Duchesse  de  Saxe-Teschen  ^  et  où  se 
trouve  une  délicieuse  tète,  un  vrai  chef-d'œuvre  de  Madame  Royale  y 
peinte  quand  elle  arriva  à  Vienne,  il  y  en  a  un  de  ce  Lechner,  der- 
rière lequel  l'Archiduchesse  a  écrit  : 

•  Portrait  du  prévôt  François  Lechner,  mon  confesseur,  qui  a  été 
chez  moi  depuis  l'an  45  jusqu'en  88,  (|u'il  décéda  le  25  février.  11 
emporta  mes  regrets  et  mon  éternelle  reconuoissancc  pour  m'avoir 
enseigné  une  religion  sage,  vraie  et  consolante  dans  toutes  les  peines 
de  ma  vie.  Requiescai  in  pace,  • 

(2)  La  marquise  de  Vasquez,  première  dame  de  l'Archiduchesse. 
Elle  était  de  famille  originaire  d'Espagne,  venue  en  Autriche  avec 
Charles  VI. 

(3)  L'abhesse  séculière  Gunégonde  d'Essen-Thoren ,  en  Westphalie. 


V»  L'IMPÉRATRICE   MARIE-THÉRÉ8B. 

ma  bénédiction  et  vous  embrasse  tendrement ,  étant 
toujours 

Votre  fidèle  mère  y 

Marie -Térése. 


II 


MARIE-THÉRÈSE  A  MARÏE-CHRISTINE,  SA  FILLE  (I). 

Conduite  à  suivre  en  public.  —  Il  ne  serait  point  convenable  que  •» 
fille  se  tint  complètement  en  dehors  des  affaires.  —  Elle  doit  écou- 
ter, voir,  consoler  tout  le  monde,  mais  ne  jamais  rien  décider  et  se 
borner  à  promettre  d*informer  son  mari  et  l'Impératrice.  —  No«- 
velles  de  famille.  Êpanchementji  de  cœur.  —  Ses  tendresses  |)our 
Marie-Christ  inr. 

Ce  18  avril  [1767?]. 

Ma  chère  fille,  ayant  fini  ma  retraite  à  huit  heures, 
je  prends  la  plume ,  puisque  vous  décidez  que  c'est  une 
bonne  œuvre  et  que  vous  me  demandez  une  prompte 
réponse  sur  les  empressements  de  Palfy  à  vous  parler. 
Je  vous  vois  toujours  devant  mes  yeux,  mais  surtout 
dans  cette  occasion.  Vous  pouvez  et  devez  écouter, 
voir  tout  le  monde  ;  vous  êtes  ma  fille  :  vous  ne  sau- 
riez donc  vous  en  empêcher.  Mais  vous  ne  déciderez 
jamais  rien  ;  vos  réponses  seront  que  vous  en  infor- 
merez votre  cher  époux,  le  locum  tenens;  qu'eux  doivent 
s'adresser  à  lui  ;  que  vous  l'en  préviendrez  ;  que  les 
affaires  passant  par  leurs  canaux,  institués  pour  cela, 
qu'on  doit  s'y  adresser  ;  que  vous  savez  mes  inten- 

(1)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  TArchiduc  Albert  d^Aiitridie. 


L'IMPÉRATRICE   MÂRIE-THÉRKSE.  455 

tîons  ;  que  je  ne  souhaite  que  le  bien  de  l*Etat  et  d'un 
chacune  (sic);  que  vous  serez  charmés  tous  deux  de 
pouvoir  me  seconder  ;  de  Je  leur  foire  ressentir  effec- 
tivement ;  que  vous  m'en  informerez.  Voilà  votre  con- 
duite à  tenir,  d'ëcouter,  de  consoler  au  moins  les  gens, 
si  on  ne  peut  leur  faire  du  bien.  Nous  autres  sommes 
foites  du  moins  de  nous  ennuyer  et  supporter  les  autres. 
Gela  coupera  court  aux  intrigues  si  vous  agissez  ainsi 
et  vous  communiquez  réciproquement  ce  qu'on  vous 
dit.  L'union,  sur  ce  point,  est  essentielle.  Il  est  d'au- 
tant plus  focile  que  vous  pouvez  en  toute  occasion  vous 
déclarer  que  vous  n'avez  que  la  voie  de  la  représenta- 
tion, mais  il  seroit  inconvenable,  étant  ma  fille,  que 
vous  soyez  hors  de  toute  connoissance  des  affaires.  Les 
ministres  Palfy  et  autres  pourroient  vous  parler  à  tous 
deux  en  même  temps.  Gela  dépend  de  vos  propres 
arrangements  :  là-dessus,  je  ne  vous  prescris  rien. 
J'étois  tout  édifiée  de  votre  humilité  sur  l'article  de 
vos  six  sœurs;  j'ai  cru  que  votre  nouvel  état  vous  a 
déjà  perfectionnée  ;  mais  cela  n'a  pas  duré  longtemps, 
car  vous  vous  mettez  au-dessus  de  tous  les  autres  :  cela 
m'a  fait  rire.  Krapf,  votre  médecin,  est  arrivé,  me 
porte  de  très-bonnes  nouvelles  de  votre  frère,  en  est 
amoureux  et  d'elle  aussi.  Si  sa  maison  est  prête,  il  vou- 
droit  s'y  rendre  tout  de  suite.  Vansuite  (Van  Swieten) 
l'instruit;  Défaut  et  Humelauer  de  même  pour  mon 
cher  Eydam  (l).  Mons.  le  peintre  vous  attendra  ici 
mercredi,  si  vous  n'ordonnez  autrement  :  il  n'attend 


(i)  Gendre.  Ce  mot  allemand  est  écrit  en  lettres  allemandes,  comme 
celui  de  Krapf  (\\\\  précède,  et  Befchl  qui  suit. 


456  L'IMPÉRATRICE  MARIE-THÉRÈSE. 

que  votre  Befehl  (ordre).  J'espère  que  ma  flotte  sera 
arrivée  heureusement.  Mon  rhume  va  mieux  :  je  me 
porte,  je  crois,  bien,  mais  pas  tranquille.  Mon  cœur  a  eu 
une  secousse  dont  il  se  ressent  surtout  dans  une  jour- 
née comme  celle  d'aujourd'hui  :  en  huit  mois  je  perds 
l'époux  le  plus  adorable,  un  fils  qui  mérite  toute  ma 
tendresse  (1),  et  une  fille  (2)  qui,  après  la  perte'de  son 
père,  faisoit  tout  mon  objet,  ma  consolation,  mon 
amie.  J'étois  assez  enfant,  cette  après-dinée,  entendant 
passer,  à  trois  heures ,  vos  sœurs  par  ma  chambre  :  je 
croyois  un  moment  que  ma  chère  Mimi  paroitra  :  — 
elle  étoit  occupée,  alors,  à  faire  les  honneurs  chez  elle 
et  à  jouir  de  la  présence  de  son  tendre  époux,  fruit  de 
tous  mes  soins,  qui  m'occupent  depuis  deux  ans.  Je 
ne  saurois  assez  remercier  Dieu  de  les  avoir  conduits  à 
une  si  heureuse  fin,  et  j'espère  de  sa  grâce  et  de  vous 
autres  la  continuation  de  ce  bonheur  qui  deviendra 
tous  les  jours  plus  grand.  J'espère  que  vous  aimerez 
bientôt  autant  les  soirs  que  les  matinées.  Ce  sentiment 
me  fait  plaisir  et  est  tout  à  fait  à  sa  place.  Je  ne  vous 
gronde  pas,  mais  je  vous  embrasse  de  bon  cœur. 

Marie-Térèse. 

J'ai  reçu  quatre  de  vos  lettres  aujourd'hui.  Elles  ne 

(1)  Le  duc  de  Saxc-Teschen ,  qu'elle  chcrisjsait  à  cause  de  son 
ardente  affection  pour  rArchiduchessc,  affection  qui  ne  sVst  jamais 
démentie.  Marie- Christine  la  rendait  avec  usure  à  son  mari,  et  il 
existe  aux  Archives  de  TArchiduc  Albert  des  lettres  de  la  Princcsie 
au  Duc  qui  respirent  la  tendresse  la  plus  curieusement  passionnée. 

(2)  L'Impératrice  veut  parler  de  Marie-Christine  elle-même,  sa  fille 
la  plus  chérie,  et  dont  Târae  et  la  nature  d*esprit  répondaient  le  mieux 
à  ses  sentiments  maternels.  Marie- Antoinette  n'était  alors  qu'une 
enfant. 


MAISON    DE   LA    REINE.  457 

m'dtoient  pas  de  trop.  Je  vous  en  suis  tendrement 
obligée.  Palfy  a  porté  la  sienne  après  deux  heures  ; 
c'ëtoit  la  dernière. 

Mes  compliments  à  la  Vasquez. 


III 

ENTRETENEMENT  ET  N"  [NOURRITURE]. 

AlCIfÉE   1784  (1). 

30685^    iO-     Od- 

État  des  .sommes  que  la  Reine  veut  et  ordonne  être  dis- 
tribuées par  M*  Marc-Antoine-Franrois-Maric  Randon  de  la 
Tour,  trésorier  général  des  Maison  et  Finances  de  Sa  Majesté, 
pendant  la  présente  année  mil  sept  cent  quatre-vingt- 
quatre,  aux  officiers  ci-après  nommés. 

Premièrement  : 

Aux  dix-huit  grands  valets  de  pied,  à  raison  de  270*  par 
quartier 1080*  » 

Aux  vingt  cochers  pour  leur  vin  de  la  Saint- 
Éloy 300     » 

Au  blanchisseur  du  linge  de  corps,  pour  ré- 
compense          300     n 

A  lui,  pour  son  logement 200     » 

Au  S'  de  Méroger,  [premier]  commis  des  se- 
crétaires des  commandements,  pour  ses  appoin- 
tements (2) 2400     )» 

A  lui,  pour  sa  nourriture 000     » 

Au  commis  du  Surintendant  des  finances. .   .       2400     n 

A  son  secrétaire 600     n 


(1)  nibliotliè(|iie  impériale  de  Vienne. 

(2)  Il  était  chargé  du  renvoi  des  placet.s  présentés  à  Sa  Majesté. 


■ 


458  MAISON  DE  LA    REINE. 

Au  Gouverneur  des  pagres  (1),  pour  et  au  lieu 
des  entrées  desdits  pa^es 600    n 

À  lu»,  pour  récompense 200    » 

A  rËcuycr  Commandant,  pour  et  au  lieu  des 
entrées  des  pa(jes,  à  raison  de  700*  par  an  ;  et 
attendu  qu'il  est  supprimé  du  l"  janvier  der-  )  Mémoire, 
nier,  il  sera  porté  ici  pour  à  lui  pour  récom- 
pense, 200**;  pour 

A  l'Écuyer  Gavalcadour  et  au  lieu  des  écuries 
des  pages 700    » 

A  lui ,  pour  récompenses 200    » 

Aux  quatre  coureurs  de  vin  (2),  à  raison  de 
75*  par  quartier 300    » 

Au  Chirurgien  ordinaire  ,  pour  récompen- 
ses (3) 400    » 

A  la  faiseuse  de  mouchoirs 600    » 

Au  frotteur  des  appartements,  à  raison  de 
200*  par  quartier,  ci  par  an 800    » 

A  quatre  porteurs  de  chaise,  à  60*  chacun.  .         240    » 

Pour  les  habillements  des  garçons  d'ofBce, 
bouche  et  commun 400    » 

A  six  des  Cent-Suisses  de  la  garde  du  Roi,  à 
raison  de  270*,  par  quartier 1080    » 

A  deux  Contrôleurs  généraux ,  pour  récom- 
pense, à  raison  de  600*  chacun 1200    » 

Au  S""  marquis  de  Paulmy  (4),  pour  les  noui^ 
riture  et  cntretenemcnt  d'un  Suisse  vêtu  des  li- 
vrées de  la  Reine,  servant  à  garder  les  portes 
des  logis  de  la  Chancellerie 500    » 

A  un  secrétaire,  pour  récompense 200    » 

Au  tailleur  ordinaire  de  la  Reine  (5),  en  con- 
sidération de  ses  services 400    » 


(1)  M.  de  PcrdrcauTÎlle. 

(2)  Adam,  Journé  (itoii  neyeu  en  sunrivance),  Pelleûer,  Reynier 
du  TilIcC. 

(3)  M.  Léger. 

(4)  Chancelier  de  la  maiiion  de  la  Reine. 

(5)  Le  sieor  Stein.  Le  sieur  Schultès  en  aurvivaDce. 


MAISON   DE   LA   REINE. 

Au  {jarçon  apothicaire  du  commun,  pour  ré- 
compenses    

Aux  deux  g^arcons  de  fburière,  pour  les  brosses 
et  torchons  qu'ils  sont  oblige  de  fournir,  à  rai- 
son de  144^  chacun,  ci  pour  les  deux 

Aux  carrons  de  la  chambre  du  Roi,  en  consi- 
dération du  mai'  qu'ils  plantent 

Au  garçon  de  garde-robe,  pour  récompenses. 

Au  garde-meuble  de  l'écurie,  pour  récompen- 
ses, frais  et  dépenses  qu'il  est  obligé  de  faire 
pour  la  conservation  des  meubles 

Au  concierge  des  écuries  (I)  par  commission, 
pour  ses  appointements. 

Au  sieur  Bernage  garde  des  livres,  états  et 
papiers  (2),  pour  ses  récompenses 

A  quatre  fouriers  de  l'écurie,  à  raison  de  60* 
chacun,  pour  récompense 

A  quatre  maîtres  palefreniers  ordinaires,  par 
commission,  pour  leur  tenir  lieu  de  gages  et 
nourriture,  à  raison  de  365*  chacun  ,'par  an.  . 

A  douze  cochers  servant  par  commission, 
compris  les  six  d'augmentation  de  l'année  der- 
nière, pour  pareilles  choses 

A  douze  postillons  par  commission',  compris 
les  cinq  d'augmentation  de  l'année  dernière, 
pour  idem.  . 


459 


200 


288 

100 
300 


250 

250 
100 
2iO 


1460 


4380    n 


4380    n 


Maitres  cf exercices  des  pages  (3),  par  commission. 

Au  S' Dessalles,  maître  à  écrire,  pour  sa  nour- 
riture à  30  s.  par  jour 5i7*i0* 

An  S*"  Ciolly  [Ciolli],  maître  à  voltiger,  id.  .         547  40 


(1)  M.  de  Fremussoii,  Argentier,  Secrétaire  et  Gardc-ineubic  de 
récuric. 

(2)  M.  de  Bernage  de  Saint-Illierït,  survivancier  de  M.  La  Ba^Ce. 

(3)  Les  pages  étaient  alors  MM.  di;  Mornay,  premier,  de  Beau- 
mont ,  Danstmde ,  de  Sonnevillc ,  de  Clinchamps ,  de  Poix ,  de 
Maiclic ,  de  Hotman ,  le  chevalier  de  Belot ,  le  cheraHer  de  La  Porte , 
Aimer  de  La  Chevalerie,  de  Saintc-Aulaire. 


460     PRESENTS  FAITS  PAU  LE  DUC  ET  LA  DUCHESSE 

Au  S*"  Trincano,  maître  de  niathénialiques, 

pour  sa  nourriture,  à  raison  de  30  s.  par  jour.  547  10 

Au  S*^  Briant,  maître  à  danser,  pour  idem,  .  547  10 

Au  S'  Prévost,  maître  d'armes,  pour  ic/.  (l).  5-47  10 

Somme  totale  du  présent  État,  trente  mille 
six  cent  quatre-vin(jt-cinq  livres  dix  sous.   .  .  .     30685  10 

(De  la  main  de  Beaureg^ard,  Pun  des  secrétaires  des  com- 
mandements.) 

Vu   BON. 

Fait  et  arrêté  par  la  Reine,  à  Versailles,  le  quatre  janvier 
mil  sept  cent  quatre-vingt-quatre. 

Signé  :  I^IARIE-ANTOINETTE. 
Et  plus  bas,  Beauregard. 


IV 


VOYAGE  DU  DUC  ET  DE  LA  DUCHESSE  DE  SAXE-TESCHES 

EN  FRANCE  (2). 

Notes  de8  Présen»  ù  faire  à  Paris  en  Nippes. 

Au  Comte  d'Angivillers .  .  .  Un  boête  à  portrait  riche- 
ment ornée  en  diamants. 

Au  Vicomte  d'Oudenarde.  .        Un  boête  à  portrait  de  bois 

pétrifié  et  une  baçue  à 
chiffre. 

A  Madame  Boulo(][ne Une  épin(|[le  à  diamants,  une 

boête  de  bois  pétrifié  et 
une  ([arniture  de  dentelles. 


(1)  Il  y  avait  aussi  M.  Fuiiarier,  uiaitrc  pour  le  dessin,  qui  n'est 
point  port»;  sur  cet  état. 

(2)  Archives  de  Son  Altesse  Impériale  et  Royale  T Archiduc  Albert 
d'Autriche. —  Voir  stu-  ce  voyage,  qui  eut  lieu  en  juillet  et  août  1786, 
p.  81  à  100  et  p.  129  à  140. 


DE  SAXE-TESCIIEN  EN  FRANCE.  401 

A  M'deLaborde Une  hoôte  à  chiffre  de  bois 

pétrifié. 
A  M'  Rouscliinanii,  concierjfe 

à  Versailles Une  boête  éniaillée. 

Au  tapissier  à  Versaillcîs.   .   .     Vnt'  I;oùte  d'or. 
Au  directeur  de  la  fabrique  de 

Sève Une  boôte  einaillée. 

Au  directeur  de  celle  de  Go- 

beliivs ^'i^ii    boétc    emailléc  et.  eu 

])erles. 

Au    {jarde     du    cabinet     des 

estampes Une  boéte  éniaillée. 

A   M'    d'Ojjny   de    Rijfoley, 

char^çé   de    faire    parvenir 

les  pa((uets  de  lettres.  .   .  . 
A  M' Le  Brun,  directeur  (jéné-l  Nibif. 

rai  des  pos1es[aux  chevaux], 

qui  fait  les  dispositions  pour  I 

le  voya^je'vers   et  sur  les 

côtes  de  TOcéan 

Une  boite  einaillée  avec  le  portrait  en  brillants  à  Mons' 
l'Ambassadeur  Mercy. 

Un  boitedemême,  mais  un  peu  inférieure  de  prix  à  Mons'Ar- 
{jentvillier  [d'An|^iviller],  surintendant  <les  bâtiments  du  Roi. 

Deux  tabatières  d*or  émaillées,  rune  au  directeur  de  la 
fabrique  de  Sirve,  l'autre  au  directeur  de  la  fabrique  des 
Gobelins.  (Double  emploi). 

Une  tabatière  d'or  émailléc  à  la  personne  de  la  police 
qui  a  toujours  été  à  l'hôtel  à  Paris. 

Une  tabatière  d'or  à  la  personne  qui  a  apporté  les  livres 
d'estampes  de  la  part  du  Roi.  C'est  M' Joly,  g;arde  du  cabinet. 

Une  tabatière  d'or  très-simple  au  tapissier  qui  étoil  à  notre 
appartement  de  Versailles. 

(Jn  ne  snii)  pa8  ni  ce  ii'ost  pa.<<  le  concierge.  Car  celui-ci  a  eu 
aussi  une  Uibatièrc.) 

Une  tabatière  d'or  à  Mad'«  Bertin. 

Une  tabatière  d'or  éniaillée  avec  portrait  entouré  de  bril- 
lans  à  M'  le  Comte  Esterhazv. 


462     PRESENTS  FAITS  PAR  LE  DUC  ET  LA  DUCHESSE 

Une  bag^e  avec  chiffire  en  brillants  à  M'  Gaccia. 

L^abbé  de  TEpée,  une  tabatière  d'or. 
Au  visiteur  des   postes    qui 

nous  accompagnera  dans  le 

voyage  de   Paris   vers  les 

côtes Une  boéte  émaillée; 

Au    visiteur    des   postes    de 

S*  Etienne  qui  a  eu  soin  des 

arrangements    de    voyage 

pour  venir  à  Paris Une  boête  d'or. 

A  l'ofBcierdc  la  police.  .  .  .     Une  boéte  émaillée. 
AMad"*Bertin Une  montre  émaillée. 

A  M""  Léonard (  ^i^*J«  (L'abbé  de  TÉpée  est  men- 

.,,-,,,      nr.*    ,  ?        donné  plu8  haut  pour  une  boite, 

A  1  abbé  de  1  Epee (       Léonard  Test  plus  ba».) 

Au  secrétaire  du  comte  Mercy 
qui  a  été  employé  poifr  les 
arrangements  du  quartier, 
et  autres Une  boéte  d'or  par  Ghrtler, 

PRÉSENS    ETf    ABGEMT. 

A  M' Léonard,  suisse 100  louis. 

Aux  gens  de  la  maison  du  Roi. 
Aux  suisses   et   frotteurs  du 

Roi 20.  donné. 

Aux  f^ens  de  la  maison  de  la 

Reine 100.  donné. 

A  la  petite  écurie  pour    les 

carossesdu  Roi Nihil. 

Aux  chargeurs  d'armes  du  G** 

d'Artois ^"^   \  A  -A 

Aux  gens  de  son  écurie.  .  .  .       6   J       "^ 

A  la  bouquetière  de  la  Reine.  6. 

A  M' Le  Beau,  friseur.  .  .  .  50. 
Aux  trois  ouvreuses  de  loges 

des  trois  théâtres,  ensemble.  18  donné  Girtler, 

Aux  deux  adjutans  du  guet.  10 
A  l'employé  subalterne  de  la  là  payer  par  GiriL 

police.  .  • 2 


DE  SAXE-TESCIIEN  EN  FRANCE.  463 

Aux  tambours  de  la  ville.  .  .  On  leur  a  déjà  donné  5  louis. 
Aux  tambours  de  S*  Denis.  .  On  leur  a  déjà  donné  4  louis. 
Aux  poissardes  en  4  fois.  .  .  On  leura  déjà  donné  32  louis. 
Aux    deux    domestiques    de 

louage 10  par  Girtler. 

Au  gens  de  la  maison  du  Fou- 

cket  à  Versailles 20  louis  donnés. 

Au  maître  de  T hôtel  du  grand 

Ck)nseîl N,  B.  W  Gaccia. 

i2  fîrotteurfl  8  1. 
2  commU. 
sionnai- 
res.   .   .  S 

Aux  Petits  Pères 12. 

Au  Recollets  de  V^ersailles.  .   .  4  par  Girller, 

Au  porteur  de  lettres i. 

Au  bouquetier  de  la  maison. 
Aux  gens  de    la   maison  de 

Mad'  Boulogne 30  par  Girtler. 

Aux    gens  de  la  maison   de 

M'  Laborde 20  par  Girtler, 

.  1/11  >  /Confiseur.  ...    21. 

Aux  employés  dans  les  oui-  |  »         ,  „ 

sines,  offices,  etc 9  Girtler,]    »     ,/_,^       « 

^  '  j  2  de  dépense.   .    Z 

\  i  rccureuse  .   .    1 

Aux  garçons  tailleurs 6  Girtler, 

A  la  maison  à  Versailles.   .   .     N,  B,  M'  Caccia. 

Aux  domestiques  de  cette  mai- 
son  '6. 

Aux  3  cochers  de  louage.   .  .     12  par  Girtler, 

Aux  postillons  de  louage,  qui 
ont  conduit  à  Versailles,  et 
ailleurs 

Aux  gens  de  la   fabrique  de 

Sève 15  par  Girtler, 

A   ceux   de   la   fabrique  des 

Gobelins 15  par  Girtler, 

A  ceux  du  cabinet  d'estampes.     6  par  Girtler, 


fJ^Vt* 


Y\t^ 


i»  ««"^  " 


'^'^^^  ,  V.-*'- 


iU* 


« '"-^.  v-.vv-r .  *-•• 


S:^-.v,«;^v 


kYU6VcV"^  7  C*'^'^'*  le^^' 


sa\res- 


àe  cette  «^*'*^;;àUc  ^vèle^!^»': 


ïuais 


OV^' 


DE  SAXE-TESCHEN  EN  FRANGE.  465 


Al'TRKS    PETITES    DEPENSES. 

Aux  {jens  de  la  maison  de  la  Reine,  qui  ont  servi  aux  appar- 
tements à  Versailles KH) 

Aux  trois  ouvreuses  de  lojjes  aux  trois  théâtres 10 

Aux  (jens  de  service  chez  Fouchet,  aubergiste  à  Ver- 
sailles   10 

Aux  daiw  domestiques  de  louage 10 

Aux  deux  cochers,  à  celui  qui  est  allé  toujours  à  Ver- 
sailles 5  louis,  à  l'autre  3 8 

Au  postillon 2 

Au  portier 2 

Aux  deux  Femmes  qui  ser\'oient  dans  la  maison  ....  4 

A  un  aide  de  cuisine,  et  aux  deux  flotteurs G 

Au  friseur  de  la  Reine 21) 

A  un  domestique  du  Comte  de  Mercy  qui  a  fait   des 

visites 2 

Au  cocher  et  postillon  du  Comte  de  Mercy,  qui  accom- 
pagnèrent une  fois  l'Archiduchesse 2 

A  l'homme  (|ui  avoit  soin   de   vuider  les  retirades  à 

Versailles 2 

Aux  gens  qui  ont  chargé  et  déchargé  réquij)age  à  Ver- 
sailles   H 

Aux  porteurs  des  lettres 3 

Aux  poissardes  en  trois  fois 2i 

Aux  tambours  de  la  ville 5 

2  adjudansdu  guet 10 

Bouquetière  de  la  Reine i 

Aboveurs  de  l'OjXîra 1/2 

Au  maître  d'hôtel  du  grand  Conseil,  000  **. 

A  Marly, 
Aux  gens  qui  ont  montré  la  maison,  et  les  jardins.   .   .         6 

A  Saint-Germain, 
Au  suisse,  et  au  garçon  jardinier 2 

A  Rambouillet, 

Aux  frolteurs 

TOME  ni.  30 


466     LE  DUC  ET  LA  DUCHESSE  DE  SAXE-TESCHEN. 


ÉTAT   SOMMAIRE 


DES    DÉPENSES    FAITES    A    FAB.IS. 


RECETTE  : 

Levé  à  Bruxelles 

Le  26  août  y   en    lettres    de 

changée 

Levé  de  M.  de  Laborde,  en 

suite  d'une  lettre  de  crédit. 

Recette  .  .  . 

Savoir  : 

11  me  reste  en  caisse  : 

En  espèces 

En  à  comptes 

Donc  la  dépense  faite  à  Paris 
doit  être 

Total  .  .  . 


ARGENT 
DE    FRANCE. 


81,841 
73,372 
72,000 


11 


227,213 


29,418 
12,744 

185,051 


227,213 


» 


18 


n 


n 


18 


18 


d. 


)> 


» 


M 
W 

6 


ARGEXT 
DE  TIER9K. 


fl. 


n 


n 


n 


n 


» 


88,361 


» 
n 


L* ASSEMBLÉE  NATIONALE  AUX  TUILEBIES.         407 


DÉCISION  DU  ROI  CONCERNANT  L'ÉTABLISSEMENT  DU  LOCAL 
DES  SÉANCES  DE  l'aSSEMBLÉE  NATIONALE  AU  MANÈGE  DES 
TUILERIES. 


[18  octobre  1780.] 

Messieurs  les  Commissaires  nommés  par  rAssembléc  Natio- 
nale pour  chercher  à  Paris  un  Heu  où  elle  puisse  tenir  ses 
séances,  ayant  déterminé  que  le  Manège  des  Tuileries  est 
remplacement  le  plus  commode  tant  par  son  étendue  que 
par  la  réunion  à  sa  proximité  des  divers  accessoires  qui  sont 
nécessaires;  Farchitecte  du  Roi  soussi(jné,  chargée  par  Sa 
Majesté  d'exécuter  les  intentions  de  rAssemblée,  a  rhonneur 
de  présenter  ici  à  Messieurs  les  Commissaires  leurs  décisions 
sur  les  différents  détails  de  cet  établissement,  en  les  sup- 
pliant de  vouloir  bien  les  approuver,  afin  qu'il  puisse  en 
conséquence  demander  les  ordres  du  Ministre  pour  s'autori- 
ser auprès  de  son  administration. 

1°  La  grille  qui  est  à  l'entrée  de  la  cour  du  Manège  sera 
disposée  pour  laisser  l'accès  plus  libre  aux  voitures,  et  ii 
sera  formé  dans  toute  la  longueur  de  cette  cour  une  barrière 
solide,  pour  séparer  le  passage  des  gens  de  pied  de  celui  des 
voitures,  et  éviter  les  accidents. 

2*>  11  sera  placé  au-devant  de  la  salle,  et  pour  servir  de 
vestibule ,  une  des  grandes  i^iaisons  de  bois  des  Menus- 
Plaisirs. 

3"  Dans  le  passage  qui  sert  d'entrée  de  ce  côté,  il  sera 
percé  deux  portes  servant  à  communiquer  dans  les  pièces 
latérales,  pour  y  établir  des  bureaux ,  et  il  sera  fait  des  croi- 
sées à  la  place  des  portes  de  ces  pièces  qui  donnent  actuel- 
lement sur  la  cour. 

4*  Comme  les  planchers  sur  ces  pièces  ont  été  faits  d'une 
manière  provisionnelle  et  sans  solidité,  il  en  sera  construit 

30. 


4«8         L'ASSEMBLEE  NATIONALE  AUX  TUILERIES. 

un  autre  ainsi  que  sur  le  passade,  pour  y  former  un  entre- 
sol, et  on  y  pratiquera  les  croisées  nécessaires  pour  Féclairer. 

5*  Au-ilessus  de  cet  entre-sol  et  sur  le  plancher  qui  existe, 
il  sera  formé  un  éta(;e  où  on  établira  deux  bureaux;  on  y 
fera  le  plancher  supérieur  à  la  naissance  du  comble  et  on 
percera  les  croisées  qui  y  sont  nécessaires. 

(>•  Pour  donner  à  MM.  les  Députés  Faccès  des  pièces  ci- 
dessus,  sans  qu'ils  soient  obligés  de  passer  par  les  escaliers 
destinés  au  public,  il  sera  construit  un  petit  escalier  qui  aura 
son  entrée  par  le  secrétariat. 

!•  11  sera  percé,  pour  rusa(];e  de  M3f.  les  Députés  seule- 
Hicnt,  deux  portes  sur  le  jardin  des  Tuileries,  auxquelh^s 
n*pondroiit  deux  autres  qui  donneront  dans  Tintérieur  de  la 
salle;  il  sera  percé,  du  même  côté,  trois  croisées  pour  éclairer 
le  corridor  qui  ré(]^nera  sous  l'amphithéâtre,  dans  tout  le 
pourtour  de  la  salle.  Il  sera  également  percé  dans  le  mur 
opposé  les  portes  nécessaires  pour  établir  les  communications 
avec  les  secrétariats,  ainsi  que  les  haies  pour  placer  les  poêles 
sous  Faniphitliéâtre  :  il  sera  pareillement  ouvert  trois  portes 
dans  Tattique  pour  les  entrées  des  tribunes,  et  toutes  celles 
qui  seront  percées  dans  la  salle  à  rez-de-chaussée  seront 
vitrées  |)Our  éclairer  le  corridor. 

8"  L'intérieur  de  la  salle  ayant  besoin  de  recevoir  le  plus 
de  darlé  qu'il  sera  possible  de  lui  en  donner,  et  la  construc- 
tion ne  permettant  pas  d'y  ouvrir  de  nouvelles  crois<'*es, 
MM.  les  Commissaires  ont  décidé  que  celles  qui  existent 
actnellenieut  à  petits  carreaux,  et  qui  par  leur  vétusté  ne 
peuvent  supporter  une  nouvelle  distribution ,  seront  sup- 
primées ;  qu'il  en  sera  fait  de  nouvelles  à  grands  carreaux  et 
h  verres  de  Bohême,  qui  puissent  s'ouvrir  facilement  pour 
renouveler  l'air,  et  ayant  chacune  un  vasistas  en  soufflet  pour 
donner  de  l'air  à  volonté  lorsque  cela  sera  nécessaire 

9*  11  sera  pratiqué  aux  extrémités  de  la  salle  deux  tribunes 
capables  de  contenir  chacune  cinq  rangs  de  banquettes  gra- 
duées, et  sur  les  côtés  il  sera  fait  deux  autres  tribunes  qui  ne 
contiendront  que  deux  rangs  de  banquettes  seulement  :  ces 
tribunes  seront  portées  par  des  poteaux  de  fer,  afin  qu'ils 
causent  le  moins  d'obstacle  possible  aux  personnes  qui  seront 
assises  derrière. 


L'ASSEMBLÉE  NATIONALE  AUX  TUILERIES.         469 

10®  Pour  panenir  aux  tribunes,  il  sera  construit  trois  esca- 
liers, un  par  le  jardin  des  Feuillants,  et  les  deux  autres  dans 
l'espace  qui  est  entre  le  Maiiéye  et  le  mur  du  jardin  des  Tui- 
leries. 

11°  Les  dfradins  qui  forment  ramphithéâtrc  de  la  salle 
d'Assemblée  ?^ationale  à  Versailles  seront  employés  dans  la 
nouvelle  salle.  On  fera  à  neuf  les  parties  nécessitées  par 
l'excédant  de  longueur  de  la  nouvelle  salle  sur  l'ancienne  ; 
il  faudra  aussi  former  le  plancher  inférieur,  vu  qu'il  n'en 
existe  aucun  actuellement. 

12<*  11  sera  construitdaus  cette  salle  huit  ])oêles, dont  deux 
seront  apparents  dans  la  salle  et  les  autres  sous  l'amphi- 
théâti-e;  trois  autres  poêles  seront  pareillement  construits 
dans  les  secrétariats. 

13*  L'attique  et  la  voûte  seront  peints  en  couleur  de  pierre, 
et  la  partie  de  mur  entre  les  (jradins,  et  la  plinthe  ainsi  que 
les  devantures  des  tribunes  des  côtés,  seront  tendues  en  drap 
vert  provenant  de  la  salle  de  Versailles. 

li<*  A  l'entrée  de  la  salle,  du  côtédu  passade  des  Feuillants, 
il  sera  formé  deux  parties  de  cloisons  pour  séparer  cette  entrée 
d'une  petite  conr  du  suisse  des  Tuileries  et  de  l'entrée  du 
public  pour  |)arvenir  à  la  tribune  qui  est  à  cette  extrémité  de 
la  salle,  et  il  sera  percé  une  porte  un  peu  plus  Ixis  dans  le 
mur  de  ce  passa(;e,  pour  que  le  public  puisse  parvenir  à 
l'escalier  qui  existe  actuellement  et  qui  conduira  à  cette  tri- 
bune. 

15<*  11  sera  pratiqué  dans  l'écurie  qui  est  entre  le  Manège 
et  le  jardin  des  Feuillants  des  cabinets  d'aisances,  un  vesti- 
bule pour  donner  à  Messieurs  les  Députés  une  entrée  par  ce 
jardin,  et  une  communication  avec  les  bureaux  qui  y  seront 
placés,  et  cinq  pièces  destinées  à  des  secrétariats:  on  percera 
les  croisées  nécessaires*  jK)ur  les  éclairer,  attendu  qu'il  n'en 
existe  aucune  actuellement,  et  on  fera  un  plancher  bas  au 
lieu  du  pavé  qui  y  est. 

16®  De  l'autre  côté  du  Manège,  est  un  fournil  borné  parle 
mur  du  jardin  des  Tuileries,  dans  lequel  on  formera  ini  pas- 
sage au  moyen  d'une  cloison  légère  pour  pouvoir  par>'enir 
aux  deux  escaliers  des  tribunes  qui  sont  de  ce  côté;  le  reste 
de  ce  fournil  ser\'ira  de  cuisine  au  buvetier  portier. 


470        L'ASSEMBLEE  NATIONALE  AUX  TUILEBIES. 

17<»  En  face  de  la  porte  dn  Manég^e,  sur  le  passafj^e  des 
Feuillants,  ii  sera  percé  une  porté  dans  le  mur  du  jardin  des 
Capucins,  pour  donner  à  Messieurs  les  Députés  une  commu- 
nication facile  avec  les  bureaux  qui  seront  établis  dans  le 
couvent  de  ces  Pères,  et  de  cette  porte  jusqu'à  l'entrée  la  plus 
voisine  du  clottre,  il  sera  pratiqué  un  appentis,  afin  que  la 
communication  se  fasse  à  couvert,  et  cet  appentis  sera  ocmlî- 
nué  jusqu'à  la  porte  du  Manég^e. 

18*  Il  sera  formé  en  planches  seulement  une  cloison  dans 
les  réfectoires  des  PP.  Capucins,  pour  leur  en  con9er\er  une 
partie  éclairée  par  deux  croisées.  Lerestedece  réfectoire  sera 
divisé  en  six  par  des  tapisseries  doubles  attachées  par  le  haut 
aux  poutres  et  par  le  bas  à  des  tring^les  fixées  sur  le  carreau 
du  réfectoire,  le  tout  sans  rien  déran[;cr  aux  tables  qui  y  sont 
placées. 

19*  La  bibliothèque  sera  pareillement  divisée  en  cinq  par- 
ties par  les  mêmes  moyens:  les  livres  in-12  seront  renfermés 
par  des  feuillets  de  planches,  par  des  motifs  relatifs  à  la  sûreté. 
La  salle  de  Picardie  sera  de  même  divisée  en  deux,  et  il  y 
sera  fait  à  neuf  une  partie  de  carreau  qui  manque.  Les  quatre 
autres  pièces  destinées,  ainsi  que  les  treize  divisions  ci-dessus, 
à  former  des  bureaux,  resteront  dans  l'état  où  elles  sont  ;  dans 
toutes  cependant  il  sera  placé  des  poêles. 

âO*  Dans  un  des  endroits  du  jardin  le  plus  convenable,  il 
sera  monté  une  grande  maison  de  bois  qu'on  divisera  en  deux 
pour  des  bureaux,  qu'on  tendra  en  tapisseries  et  où  on  pla- 
cera deux  poêles. 

21*  Dans  la  maison  des  reli^^ieux  Feuillants,  trois  côtés  du 
cloître  et  le  chapitre  seront  destinés  à  Timprimerie  de  l'Assem- 
blée, et  comme  cette  étendue  n'est  pas  encore  suffisante,  on 
montera  une  grande  maison  de  bois  dans  laquelle  on  placera 
un  ou  plusieurs  poêles.  On  fera  deux  parties  de  cloisons  et 
quelques  bonchements  de  portes  pour  fermer  le  cloître. 

22*  Les  archives  de  l'Assemblée  seront  placées  dans  la 
bibliothèque  ;  cela  nécessitera  deux  cloisons  de  distribution 
en  planches,  des  tablettes  avec  des  divisions  pour  les  cartons, 
et  un  poêle. 

23*  Dans  le  jardin,  il  sera  monté  six  maisons  de  bois  pour 
y  former  autant  de  bureaux. 


UNE  LETTRE  DU  COMTE  DE  PROVENCE.  471 

24*  Pour  qu'on  puisse  communiquer  à  couvert  du  cloître 
des  Feuillants  à  la  porte  delà  salle  qui  donne  sur  leur  jardin, 
il  sera  formé  un  passage  couvert  qui  s'étendra  devant  les 
cabinets  d'aisances  et  jusqu'à  Fescalier  qui  conduit  à  la  tri- 
bune qui  sera  de  ce  côté.  Si  les  maisons  de  bois  sont  placées 
dans  cet  endroit,  il  faudra  que  ce  couvert  puisse  y  conduire 
aussi. 

Paris,  le  18  octobre  1789. 

Approuvé  les  propositions  ci-dessus  : 

Leduc  d'âig^jillon ^  Paris,  Guillotin,  Le  marquis  db 
GouY  d'Arcy,  Lapoule,  f  S.  Ev.  de  Rodez, 
Lepeletier  de  Saikt-F arceau. 

{De  la  maùi  du  Roi,) 

Approuve  :     LOUIS. 


VI 


La  lettre  qui  suit  a  été  imprimée  d'abord  par  M.  Louis 
Blanc,  page  100  du  tome  II!  de  son  Histoire  de  ta  Révoiution 
française.  Il  Tavait  copiée  sous  les  yeux  de  M.  Moakton- 
Milnes,  aujourd'hui  lord  Houghton,  pair  d'Ang^lelerre, 
secrétaire  de  la  Société  du  Phiiobibion  de  Londres,  qui  la 
possède  dans  sa  collection  de  documents  historiques.  Lord 
Houg^hton  l'a  publiée  de  nouveau  dans  l'un  des  volumes  de 
mélangfes  de  cette  Société  de.  Curieux,  avec  une  lettre  intex^ 
ceptée  de  Marie-Antoinette  au  comte  de  Mercy,  en  date 
du  12  août  1791.  La  lettre  du  Comte  de  Provence  parait 
avoir  été  écrite  en  encre  sympathique  et  porte,  dans  le  bas, 
ces  mots  d'une  autre  main  et  à  Tencre  rouge  :  Papiers  secrets. 

Malheureusement,  cette  épître  si  curieuse,  comme  on  en 
va  juçer,  se  trouve,  avec  toute  la  collection  de  lord  Houg;hton, 
à  son  château  dans  le  Yorkshire,  et  je  n'aurais  pu  la  voir  à 
un  voyag^e  à  Londres.  Je  suis  donc  réduit  à  en  parler  sans 


472  UNE  LETIRE  DU  COMTE  DE  PROVENCE. 

Tavoir  vue.  Aussi,  j'avoue  que  si  elle  n'avait  pas  été  publiée, 
je  n'aurais  peut-être  pas  eu  le  courage  d'en  hasarder  ici 
l'impression;  mais  il  m'est  impossible,  la  rencontrant  sur  mon 
passage,  de  n'en  pas  fain^  l'objet  d'un  examen  particulier.  Et 
d'abord ,  qu'on  en  prenne  lecture.  Voici  le  texte  : 


MONSIEUR,  COMTE  DE   PROVENCE 
(ait  marquis  de  favras?) 

1"  novembre  1789.  . 

Je  ne  sais,  Monsieur,  à  quoi  vous  employez  votre 
temps  et  l'argent  que  je  vous  envoie.  Le  mal  empire, 
l'Assemblée  détache  toujours  quelque  chose  du  pouvoir 
royal  :  que  restera-t-il  si  vous  différez?  Je  vous  l'ai  dit 
et  écrit  souvent,  ce  n'est  point  avec  des  libelles,  des 
tribunes  payées  et  quelques  malheureux  groupes  sou- 
doyés que  l'on  parviendra  à  écarter  Bally  [Bailly]  et 
La  Fayette  :  ils  ont  excité  l'insurrection  parmi  le 
peuple  ;  il  faut  qu'une  insurrection  les  corrige  à  n'y 
plus  retomber.  Ce  plan  a,  en  outre,  l'avantage  d'inti- 
mider la  nouvelle  Cour  et  de  décider  l'enlèvement  du 
soliveau.  Une  fois  à  Metz  ou  à  Péronne,  il  faudra  qu'il 
se  résigne.  Tout  ce  que  l'on  veut  est  pour  son  bien  : 
puisqu'il  aime  la  nation ,  il  sera  enchanté  de  la  voir 
bien  gouvernée.  Envoyez  au  bas  de  cette  lettre  un  récé- 
pissé de  deux  cent  mille  francs. 

Louis-Stamslas-Xavier. 


M  L'enlèvement  du   Soliveau  »  :  Quel  beau  mot  sous  la 
plume  d'un  frère,  du  premier  prince  de  la  famille  royale, 


UtNE  I.ETTRE  DU  COMTE  DE  PROVENCE.  473 

du  premier  sujet  de  la  Couronne,  du  fulur  Roi  de  France! 
Combien  l'ambition  dévorante  du  souverain  fK>uvoir  ron(;e 
au  cœur  les  parents  les  plus  proches  et  détruit  les  senti- 
ments de  famille  !  Telles  seraient  les  réflexions  qu'inspi- 
rerait cette  lettre,  si  Tautheuticité  en  était  parfaitement 
déniontrée.  Mais  sur  ce  point  on  est  loin  d'être  d'accord. 

On  ne  saurait  oublier,  disent  les  uns,  que  le  Comte  de 
Provence  avait  afFecté,  dès  sa  première  jeunesse  ,  un  air  de 
supériorité  sur  ses  frères;  qu'il  avait  pris  beaucoup  d'humeur 
du  peu  de  déférence  montré  pour  ses  avis,  et  qu'enfin  il  avait 
été  l'instigateur  du  complot  royaliste  ourdi  par  le  marquis  de 
Favras,  à  qui  la  présente  lettre  est  censée  adressée.  Monsieur 
était  jeune,  et  l'on  se  trouvait  à  une  époque  d'efFer\'escence 
(générale  où  le  courant  révolutionnaire  entraînait  ou  ébran- 
lait les  meilleurs  esprits.  Faux,  ambitieux,  jaloux,  peu  con- 
tenu par  le  sentiment  moral ,  il  aurait  bien  pu  être  poussé 
par  la  passion  à  une  aveu(jle  imprudence,  alors  surtout  que 
le  rèfjne  de  la  presse,  que  les  dan(jers  de  la  publicité  n'exis- 
taient point  encoixî.  La  lettre  a  été  trouvée,  à  Londres,  par 
lord  lloughton  chez  un  marchand  d'auto((rnphes,  perdue 
parmi  une  foule  d'autres  pièces  sur  la  révolution  française, 
provenant ,  à  ce  qu'on  supposait ,  de  l'héritaf^e  d'un  vieil 
émig^ré,  et  auxquelles  le  marchand  lui-même  n'attachait  pas 
une  particulière  importance.  Aussi  a-t-il  livré  le  tout  à  un 
prix  très-minime.  Dans  quel  but  un  faussaire  eût-il  com- 
posé cette  lettre?  Serait-ce  pour  compromettre  le  Comte  de 
Provence?  Serait-ce  pour  en  tirer  profit  en  la  faisant  tom- 
ber sous  les  yeux  d'un  riche  Curieux?  Il  faut  avouer  qu'ici  la 
haine  ou  la  cupidité  aurait  bien  mal  pris  ses  mesures  ou 
aurait  manqué  d'occasion.  Tel  est  le  1an(]fa([e  des  partisans 
de  l'authenticité  de  la  pièce.  Ils  «ajoutent  encore  qu'elle  pour- 
rait bien  n'être  pas  p«n'venue  à  son  adresse  et  être  demeurée 
aux  mains  de  l'émissaire  confidentiel,  qui  ne  serait  autre 
que  cet  émi(jré  même  dans  les  papiers  de  qui  elle  aurait 
sommeillé.  Le  rapprochement  de  la  date  de  la  lettre  et  de  la 
découverte  du  complot  de  Favras  justifierait  à  leurs  yeux  la 
conjecture.  D'autres,  et  c'est  le  plus  [frand  nombre,  ne  voient 
dans  la  lettre  qu'un  fla(jrant  apocryphe. 

En  vérité,  se  disent-ils,  est-ce  ainsi   que  l'on  conspire? 


474        UNE  LETTRE  DU  COMTE  DE  PROVENCE. 

£ct-il  admissible  que  le  Comte  de  Provence,  naturelleroent 
prudent  comme  la  diplomatie,  rusé  comme  la  dissimulation , 
timoré  comme  la  peur,  le  Comte  de  Provence  dont  on  n'a 
aucune  autre  lettre  compromettante,  ait  écrit  de  sa  propre 
plume,  si(fné  de  ses  propres  ncmis  ane  telle  lettre,  qui  deve- 
nait contre  lui  une  arme  aux  mains  d'un  homme  dont  il  se 
méfiait,  d'un  homme  qu'il  devait  désavouer  si  solenndle- 
ment  devant  la  commune  de  Paris?  Qu'il  ait  pensé,  qu'il 
ait  même  parlé  <ie  la  sorte  dans  un  tète  à  tète  secret,  cela 
ne  serait  point  en  opposition  avec  son  caractère;  mais  écrire! 
mais  8l(pier  !  c'est  plus  qu'invraisemblable.  Que  prouve  ici 
l'usage  de  l'encre  sympathique  Y  Rien;  cette  encre  n'a  de 
secret  que  pour  un  moment;  ce  n'est  pas  un  de  ces  éclairs 
qui  brillent  et  soudain  s'évanouissent  :  une  fois  avivée  par  le 
feu  ou  par  la  liqueur  fumante  de  Boyle,  les  lettres  ou  autres 
signes  paraissent  comme  ceux  qu'une  autre  encre  aurait  tra- 
cés. Là,  de  plus,  polat  de  ces  mots  couverts  et  discrets  q«e 
commande  le  mystère  d'une  délicate  entreprise  ;  la  pièce 
entre  dans  des  détails  si  crûment  circonstanciés,  elle  met  si 
brutalement  à  nu  le  complot,  qu'elle  a  tout  l'air  d'être  faite 
à  plaisir  et  après  coup,  et  qu'en  matière  de  procès  il  n'y  a 
Quère  qu'un  Laubardemont  qui  eût  pu  y  ajouter  foL 

Du  reste,  dans  les  papiers  de  qui,  et  par  qui,  aurait-elle 
été  trouvée?  Elst-ce  sur  ou  chez  Favras,  car  l'intervention 
de  cet  émigré  émissaire  n'est  qu'une  supposition  sans  fonde- 
ment? Et  de  i^it,  le  rapprochement  àeê  dates  n'est  guère 
Êivorable  à  la  conjecture.  La  lettre  est  du  1*'  novembre  et 
l'arrestation  de  Favras  du  2i  du  mois  suivant;  or,  est-il 
supposable  que  l'émissaire,  habitant  la  même  ville,  eèt 
gardé,  pendant  cinquante-trois  à  ci nquante<[uatre  jours,  la 
lettre  dans  sa  poche?  Ce  point  écarté ,  comment  cette  lettre 
aurait-elle  été  gardée  par  Favras,  qui  eût  dû  la  renvoyer 
avec  lin  reçu?  Saisie  sur  sa  personne  ou  dans  son  porte- 
feuille, comment  n'aurait -elle  pas  figuré  aux  pièces  du 
procès?  Parce  que,  dira-t-on,  La  Fayette  l'aurait  soustraite 
au  dossier  par  ménagement  pour  le  frère  du  Roi.  Ce  serait 
alors,  comme  le  présume  lord  Houghton,  le  document  même 
dont  parle  Gouverneur  Morris  dans  son /oumfx/,  et  qui  aurait 
été  porté  au  général.  A  la  bonne  heure.  On  comprend  en  effet 


UNE  LETTRE  DU  COMTE  DE  PROVENCE.       475 

que  le  g^énéral ,  dont  la  vie  était  menacée  avec  celle  de  Bailly 
parle  complot  royaliste,  eût  eu  le  cœur  assez  haut  pour  açir 
ainsi.  Mais  s'il  eût  menacé  Monsieur  de  son  vivant,  eût-il  à 
Louis  XYIII  gardé  le  secret,  en  g^ardant  la  pièce,  après  la 
mort  de  ce  prince?  Lui  qui  a  aidé  au  renversement  du  trône 
de  Charles  X ,  n'eût-il  donc  soufflé  mot  dans  ses  Mémoires 
sur  ce  çrave  incident,  s'il  eût  été  vrai?  De  pareils  documents 
laissent  d'ailleurs  des  traces  dans  les  familles,  s'ils  n'«n 
laissent  pas  dans  les  écrits  personnels.  Or,  nulle  trace  n'en 
est  restée  dans  la  Emilie  du  général. 

Ce  n'est  pas,  il  faut  le  dire,  que  c'eût  été  la  seule  fois 
qu'il  eût  usé  de  ménagements  pour  prévenir  le  bruit  et  le 
scandale  en  circonstance  délicate.  Lors  de  l'arrestation  du 
Roi  à  Varennes,  toutes  les  armes  saisies  sur  les  gentilshom- 
mes travestis  étaient  au  chiffre  armorié  du  coiiite  de  Fersen 
qui  les  avait  fournies,  de  même  qu'il  avait  fourni  la  voiture 
de  voyage.  La  Fayette,  pour  éviter  de .  compromettre  le 
comte,  ce  qui  n'eût  été  que  livrer  inutilement  un  nom  de 
plus  aux  récriminations  de  la  haine  populaire,  fit  disparaî- 
tre les  armes.  Le  général  était  un  honnête  homme,  de  bonne 
foi  dans  ses  sentiments  constitutionnels ,  et  chez  qui  l'esprit 
de  conciliation  n'était  point  une  qualité,  mais  une  habitude. 

Mais  tout  cela  prouve  eu  faveur  de  La  Fayette,  non  de 
la  pièce.  On  jugera.  J'ai  toujours  pensé  qu'on  doit  avoir 
grand  scrupule  à  taxer  de  faux  un  monument  écrit,  à 
moins  de  preuves  palpables  et  de  la  dernière  évidence.  Ainsi, 
pour  la  corres{K>ndance  de  Louis  XVI  publiée  par  miss 
Helena  Williams,  les  preuves  flagrantes,  les  aveux  même, 
les  aveux  écrits,  de  la  supposition  étaient  là  dans  nos  mains. 
Mais  ici ,  nous  avons  affaire  à  une  pièce  accueillie  comme 
authentique  par  un  des  premiers  connaisseurs  de  l'Angleterre. 
Qu^cm  pèse  le  pour  et  le  contre  :  Suh  judice  lis  est. 

Le  marquis  de  Favras  fut  arrêté  le  24  décembre  1789, 
rue  Beaurepaire,  en  sortant  de  chez  M.  de  La  Ferlé,  tréso- 
rier général  de  Monsieur.  Au  même  moment,  on  arrêtait  chez 
elle  madame  de  Favras,  on  saisissait  tous  leurs  papiers,  et 
tous  deux  étaient  jetés  dans  les  prisons  de  l'Abbaye. 

Le  lendemain,  à  l'aurore,  on  lisait  sur  les  murs  de  Paris 
et  l'on  ramassait  dans  les  rues  un  placard  signé  d'un  nom 


476       UNE  LETTRE   DU  COMTE  DE   PROVENCE. 

supposé,  et  dont  on  n'a  jamais  pu  découvrir  le  véritable 
auteur  : 

u  Le  marquis  de  Favras,  place  Royale,  a  été  arrêté  avec 
madame  son  épouse,  la  nuit  du  24  au  25,  pour  un  plan 
qu'il  avait  fait  de  faire  soulever  trente  raille  hommes  pour 
faire  assassiner  M.  de  La  Fayette  et  le  maire  de  la  ville,  et 
ensuite  nous  couper  les  vivres.  Monsieur,  frère  du  Roi,  était 
à  la  tête. 

Sig^né  :  Bralz.  » 

Le  malheureux  marquis  avait  demandé,  au  moment  venu 
de  son  exécution,  d'être  conduit  à  l'hôtel  de  ville  pour 
y  faire  des  révélations.  Sans  doute  pensait-il  donner  à  son 
complice  du  Lu\embour[]^  le  temps  de  faire  quelque  effort 
pour  le  sauver.  C'était  mal  connaître  les  grands.  Qu'on  se 
rappelle  ce  qu'avait  été  Gaston  d'Orléans,  ce  qu'avait  été 
le  prince  de  Condé,  à  l'égard  du  coadjuteur  de  Retz.  Gaston, 
sans  caractère,  ni  dessein,  ni  sûreté;  Condé,  un  prince  dont 
lagloiremilitaireallait  balancer  les  fautes  politiques, devaient 
faire  leur  paix  aux  dépens  de  leurs  partisans.  «  Vous  serez 
fils  de  France  à  Blois,  disait  Retz  a  Monsieur,  et  moi  cardi- 
nal à  Vincennes  !  »  Et  il  disait  vrai.  Ainsi  le  Luxembourg, 
loin  de  songer  à  se  glisser  dans  la  mêlée  en  faveur  de  Favras, 
attendait  avec  une  mortelle  anxiété  d'être  délivré  d'une  me- 
nace d'épée  de  Damoclès  par  le  dénoùment.  Il  avait  en- 
voyé un  affidé,  le  comte,  depuis  duc  de  La  Châtre,  au  lieu 
du  supplice,  [>our  s'assurer  si  la  victime  pousserait  la  discré- 
tion chevaleresque  jusqu'au  dernier  sacrifice  (1).  Elle  le  fit, 

(1)  «  Le  souvenir  de  cette  démarche  me  rappelle  deux  pro|ios  pro- 
pres à  démentir  la  jiistiHcation  de  Monsieur  :  Tun  du  comte ,  depui» 
duc  de  La  Chastre,  qui,  dauii  un  premier  mouvement,  se  plai{>nit 
devant  moi  d'avoir  été  indignement  compromis  par  Monsieur;  Tauire 
du  curé  de  Saint-Paul,  confe.sîteur  de  la  victime,  qui  me  dit,  par  une 
très-coupable  indiscrétion  :  Monsieur  ne  doit  jamais  oublier  Timpor- 
tant  service  que  je  lui  ai  rendu.  »  Mémoires  secrets  du  comte  (V Allons 
vii'r,  t.  II,  p.  19^. 

?î<»us  avons  déjà  dit  ailleurs  quel  dejjré  de  confiance  mérite  ce 
comte  d'Ailonville,  que  nous  avons  connu  dans  sa  vieillesse,  à  qui 


UNE  LETTRE   DU   COMTE   DE   PROVENCE.       477 

elle  malheureux  Favras,  condamné  ^ans  preuves  à  lu  po- 
tence, subit  sa  peine  le  20  février  1790,  sans  se  démentir  un 
instant  de  son  inaltérable  fermeté.  Ce  supplice  démontra  une 
fois  de  plus  à  quels  excès  peuvent  s'emporter  le  délire  des 
passions  poFitiques  et  raveii(jle  fureur  de  la  populace.  Le 
magistrat  qui  vint  lire  au  condamné  sa  sentence,  eut  la  bar- 
barie d'ajouter  :  w  Votre  mort,  nionsieur,  est  nécessaire  à  la 
tranquillité  publique;  »  et  du  sein  de  la  foule  amoncelée  au 
pied  de  l'échafaud,  nul  cri  généreux  ne  vint  attester  la 
moindre  émotion  au  spectacle  du  prodigieux  courage  de  la 
victime.  Rien  que  des  voix  qui  criaient  :  Allons,  saule ^  Mar^ 
quisî — et  des  rondes*  féroces  dansèrent  autour  du  cadavre 
suspendu. 


nous  avons  été  assez  heureux  poiu'  fournir  des  documents,  et  qui  nous 
en  a  donné  à  nous-mèine.  C'est  à  lui  qu'il  faut  i*eporter  Tlionneur  des 
Mémoires  d\in  homme  d'Etat  y  rédigés  sur  les  papiers  du  prince  de 
Hardeukci'{>.  Il  a  été  le  contemporain  de  tous  les  personnages  de  notre 
révolution,  il  a  vécu  avec  quelques-uns  d'entre  eux,  et  avait  beau- 
coup à  dire  avec  autorité  sur  les  hommes  et  sur  les  choses. 


FIN    DU    TROISIÈME    VOLUME. 


TABLE  ANALYTIQUE 

DES  MATIÈRES. 


CCCLXXXVIII.   LE  DAUPHl»,  DEPUIS  LOUtS  XVI,   A   L  ARCHIDUCHESSE 

MARiE-AKTOiRETTK.  —  Envoi  de  soii  portrait,  en  qualité  de  Hancé. 
(2  avril  1770.) i 

GCCLXXXIX.  —  l'impératrice  marie-tuérèse  au  dauphi>,  au  momext 
DU  départ  de  MARiE-ANTOixE'fTE  POUR  LA  FRA5CE.  —  CoDseils  mater- 
nels. (Vienne,  21  avril  1770.) 3 

CCCXC.  LOriS    XVI    a    l'impératrice    MARIE-THÉRÈSB   D'AinHICHE.  ^- 

Le  jeune  Roi  iM>lifie  son  ayén^meat.  (La  MueUe,  5  juia  1774.)     4 

CCCXCl.  —  MARiE-AM)Oi?iE'rfE  :  A  ma  Cousine  Madame  la.  duchesse 
douairière  de  La  Trimouille,  —  Promesse  de  s'intérejuser  auprès  du 
Rui  à  la  demande  qu'elle  lui  a  faite  du  cordon  bleu  en  faveur  de 
son  fils.  (Juillet  1774.) 5 

CCCXCII.    LOUIS   XVI  AU  GARDE   DES    SCEAUX    BUE  DE    MIROMESML.   — 

Dispositions  à  prendre  pour  l'installation  des  Parlements.  (V^ersailles, 
6  décembre  1774.) .•   •   •     ^ 

CCCXCIll.    LOUIS   XVI  AU  GARDE  DES  SCEAUX  HUE  DE  MIROMES51L.  — 

Instruclions  de  détail.  —  Lettres  de  l'ermite  Jean.  —  Mémoire  du 
Conseil  d'£tat.  —  Réponse  à  faire  aux  remontrances  du  grand  Con- 
seil. (Versailles,  6  janvier  1775.) 7 

GCCXCIV.   MARIE-ANTOINETTE    A    SON    FRERE    l'eMPEREUR   JOSEPH    II, 

ROI  DES  ROMAINS.  —  EUle  répond  à  des  reproches  fondes  sur  des  cail- 
letages  et  des  chansons.  —  Libelles  de  fripons.  —  Propos  d'étourdis. 
(Choisy,  8  octobre  1775.) 8 

CCCXC V.   LOUIS    XVI    A    HURSON,    ANCIEN    INTENDANT   DE    LA    MARINE   A 

TOULON.  (Fontainebleau,  6  novembre  1776.) 10 

NOTE    SUR    LE    COMTE   d'oRVILLIERS 12 

HOTE   SUR  LES  REFORMES   INTRODUITES   DANS  LA  MARINE 14 

CCCXCVL  — l'empereur  josepu  ii  a  marie-curistine.  —  Tendresses 

m 

de  famille.  —  Il  visite  les  ports,  dont  il  est  fort  satisfait.  —  Eloge 
de  Marie>-Antoinette,  qui,  indépendamment  des  grâces  de  sa  figure, 
sait  être  charmante  par  le  tour  délicat  qu'elle  donne  à  toute  chose. 
(Brest ,  le  9  juin  1777.) 16 

NOTE    SUR    LE    FIEF    DE    FALKENSTEIN 17 

NOTE    SUR    LA    VISITE    DE   JOSEPH    II    DANS    LES    PORTS    DE  FRANCE.    .    .       17 
CCCXCVII.  MADAME    ELISABETH    A    LA    MARQUISE    DE    SORAlf.  Quaod 


TABLE   ANALYTIQUE.  479 

sa  fille  sera  en  âge,  le  Roi  a  promis  de  donner  à  sa  fille  une  place 
auprès  de  la  Princesse.  —  Garder  le  silence  à  cet  égard,  pour  ne 
pas  exciter  les  jalousies.  —  Elle  donne  à  la  marquise  son  portrait 
|>eint  par  Campana.  (Mai  1778.) Sa 

KOTE    SUR    LA    MARQUISE    DE    ROSIERES-SORAS 23 

HOTE    SUR    LA    COMTESSE    DELPBI7IE    DE    SORATI 2V 

CCCXCVIII. MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBKLLES. AnnOnce 

d'une  affaire  entre  les  flottes  française  et  anglaise.  —  Le  vaisseau 
de  l'amiral  Keppel  se  battait  fort  hien  et  tout  à  coup  a  viré  de  bord, 
ce  qui  fait  croire  que  Tamiral  a  été  tué  on  hleMe.  —  Retour  du 
duc  de  Chartres.  —  M.  Du  Chaffault  dangereusement  blessé.  (Vers 
les  premiers  jours  d*août  177S.) 25 

co?rDriTE  DU  Drc  d^orléans  au  combat  d*oi'es8axt 26 

NOTE  si:r  le  comte  du  chaffault 28 

MOT    de    la    reine    SUR    DU   CHAFFAULT • 28 

CCCXCIX.  LOUIS   XVI   A  l'amiral  DR   FRANCE   (lE  DCC  DE   PKSTHIBVRE). 

—  Ordre  d'armer  en  guerre  contre  l'Angleterre,  qui  a  insulté  le 
pavillon  de  France.  (Versailles,  10  juillet  1778.) 30 

NOTE    SUR    l'insulte    FAITE  AU   PAVILLON   FRANÇAIS  PAR   l'aNCLETKRRE.       31 
CCCC.  LOUIS    XTI    AU    DCC    DE    PBNTHlÈVRE    (a    MONSIEUR  l'aMIIAL).  

Fixation  de  l'époque  de  la  déclaration  de  guerre  contre  l'Angle- 
terre, par  suite  de  l'insulte  faite  par  elle  au  pavillon  du  Roi.  (5  avril 
1779.) 34 

CCCCI.    MADAMK    ELISABETH    A     MADAME     DE    BOMBKLLES.    Madame 

Adélaïde  indisposée  contre  la  Princesse.  —  Interj>osition  de  la 
Reine.  —  Madame  Elisabeth  présente  des  excuses,  bien  que  per- 
suadée de  n'avoir  tort  qu'à  demi.  —  La  Princesse  demande  que 
madame  de  Rombelles  se  fasse  peindre.  (24  novembre  1779.).     35 

NOTE    SUR    LE    PEINTRE    CAMPANA 36 

NOTE    SUR    MADAME    DE    TRAVANET 36 

CCCCII.    MARIE-ANTOINETTE     A     LOUISE,     PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE     DE 

HES8E-DARMSTADT.  —  Invitation  pour  Trlanon.  (Mai  1780.).   .     37 

NOTE    SUR    LA    PRINCESSE    LOUISE    DE    HESSE- DARMSTABT 38 

CCCCIII.    MARIE-ANTOINKTTE    A    LOUISE,    PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE     DE 

HLSSE-DARMSTAUT.  —  Félicitatious  sur  i'aceonchenient  de  la  Prin- 
cesse. —  Annonce  du  portrait  de  la  Reine.  (12  septembre  1780.)     40 

CCCCI V.    MARIE-ANTOINETTE    A    LOUISE,     PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE     DE 

HESSE-DARMSTADT.  —  Aunouce  de  sa  seconde  grossesse.  —  La  prin- 
cesse Charlotte.  —  Le  prince  Georges.  (17  mars  1781.).   ...     41 

CCCCV.    MARIE -ANTOINETTE     A     LOUISE,    PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE     DE 

UESSE-DARMSTAUT.  —  On  lui  a  prédit  un  gar^n ,  elle  en  accepte 
l'augure  avec  beaucoup  de  foi.  (7  mai  1781.) 42 

CCCCVI.    MARIE-ANTOINETTE    A    LOUISE,     PRINCESSE     HERÉDrTAIRK     DE 

UESSE-DARMSTADT.  —  Sur  uu  ré{*iment  dont  le  prince  de  liesse  solli- 
cite le  conunandement  en  France.  —  Espoir  d'un  nouveau  voyage 
de  la  Princesse  en  France.  (8  juin  1781.). 43 

NOTE    SUR    LE    MARQUIS    DE    SÉCUR 44 


480  TABLE   ANALYTIQUE. 

CCCCVII.    MARIE-ANTOINETTE    A    LOUISE,    PHI5CE8ftE    IIKIIBOITAIIIE    DE 

HESSE-DARMSTADT.  —  Coiidoléance  dur  la  mort  du  père  de  la  Prin- 
cesse. (I"  juillet  1781.) 45 

CCGCVin.  —  l'empereur  josepu  ii  a  sa  soeur  marie-christine.  — A 
son  second  voyage  en  France,  il  trouve  la  Reine  se  préparant  à 
donner  un  Dauphin.  —  Annonce  du  voyage  du  Grand-Duc  et  de 
la  Grande- Duchesse  de  Russie  à  Vienne.  (Versailles,  1*'  août 
1781.) 46 

CCCCIX.    —    l'empereur    josepu     II    a    sa    soeur     marie -CHRISTINE.    

En  quittant  Versailles,  il  s'est  rendu  à  Montbéliard  |>our  visiter  le 
piince  de  Wiirteudierg,  duc  de  Montbéliard,  dont  la  plus  jeune  fille 
est  destinée  à  l'archiduc  François,  depuis  empereur,  neveu  Favori 
de  Joseph  II.  —  Portrait  peu  flatté  de  cette  piincesse.  (Monthéliard, 
8  août  1781.) 47 

NOTE    SUR    LES    DUCS    DE    MONTBELIARD 48 

LETTRE  DE  JOSEPH  II  POUR  RETIRER  LES  PAROLES  Qu'lL  A  ECRITES  SUR 
LA  FIANCÉE    DE    SON    NEVEU 49 

CCCGX.    MARIE -ANTOINETTE     A     LOUISE,     PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE     DE 

HESSE-DARMSTADT.  —  Euvoi  de  son  portrait.  (28  septeiid)re 
1781.) 50 

CGGCXI.  —  LOUIS  XVI  AU  COMTE  DE  CRASSE.  — Le  Roi  invite  l'amiral 
à  faire  chanter  un  Te  Pcum  ù  son  bord,  en  rhonnetir  des  succès 
remportés  sur  les  Anglais,  en  Amérique,  par  ses  armées  de  terre  et 
de  mer.  (Versailles,  S4  novembre  17oi.) 51 

NOTE  SUR  LA  CONDUITE  DU  COMTE  DE  GRASSE,  ET  CORRESPONDANCE  DE 
VERGENNES,  AU  NOM  DE  LOUIS  XVI,  TOUC/IANT  LES  PRELIMINAIRES  DE 
PAIX   AVEC   l'angleterre 52 

GGGGXH.  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  soeuh  marie-christine.  — 
Prochain  voyage  a  Rruxelles  du  Grand-Duc  et  de  la  Grande- 
Duchesse  de  Russie,  sous  le  nom  de  Gomte  et  Gomtesse  du  Nord.  — 
Gomment  il  les  faut  recevoir.  —  Les  Hollandais.  —  Le  pape  Pie  VL 
(Vienne,  26  mars  1782.) 54 

NOTE    SUR    LES    RAPPORTS    ENTRE     LE     PAPE    PIE    VI    ET   JOSEPU    II.     .    .       55 
CGGGXin.  LOUIS    XVI    AU    garde    des    sceaux,    HUE    DE    MIROMESNIL. 

—  Interdiction  de  la  représentation  du  Mariage  de  Figaro.  (Pre- 
miers mois  de  1782.) 57 

NOTE    SUR    LA    REPRESENTATION    DU     MARIAGE    DE    FIGARO 57 

GGGGXIV.  —  JOSEPH  II  A  SA  SOEUR  MARIE-CHRISTINE.  —  Lc  Pape  à 
Vienne.  —  Dissidences  entre  le  Saint-Père  et  l'Empereur.  —  Lc 
Gomte  et  la  Gomtesse  du  Nord.  (Vienne,  15  avril  1782.).   .   .     61 

GCGGXV.  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  soeur  marie-christine.  — 
Départ  du  Pape  Pie  VI  de  Vienne.  —  Attitude  de  la  population.  — 
Il  se  félicite  du  retrait  des  garnisons  hollandaises  en  Rrabant.  — 
Nouvelles  du  voyage  de  Sa  Sainteté.  (Vieinie,  26  avril  1782.).     63 

GGGGXVL  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  soeur  m«rie-€hristine.  — 
Prochaine  arrivée  aux  Pays-Ras  du  Comte  et  de  la  Gomtesse  du  Nord. 

—  Conseils  sur  la  réception  qu'il  convient  de  leur  faire.  (Vienne, 
28  avril  1782.) ft5 


TABLE   ANALYTIQUE.  481 

CCGCXVIL   L*EMPEBErR    JOSEPH    II    A    SA    SOEUR    MAIlIK-CURISTIStR.  

Lettre  dont  rEinpereur  a  clini-gé  le  Comte  et  la  Comtesjiie  du  Nord 
|)our  sa  sciîiir.  (19  mai  1782.) 67 

CCGGXVIIL    MARIK-ANTOlKKrrK    A    LOUISE,     PRINCESSE     UÉRÊDITAIRE 

i»E  nKSSK-i)ARMST\DT.  —  Appiiî  <|irelle  a  donne  à  la  demande  d'un 
ré{;imenl  cmi  Autriche  eu  faveur  du  prince  Gcoryes.  —  Conditions 
qu'y  mot  Joseph  IL  (6  septembre  1782.) 68 

CC^iGAIX.  —  marik-axtoinktte  a  loiisk,  princesse  iiéréditairr  de 
iiESSK-nARMSTAiiT.  —  La  Couifesse  du  Nord.  — Amitiés.  —  Intérêt 
qu'elle  prend  à  la  demande  d'iin  ré{^;iment  en  Autrielie  faite  par  le 
prince  Geor{jes.  (14  o/L'tohre  1782.) C9 

CCGCXX.    .MARIK-ANTOI>KTTE    A    LOUISE,    PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE     DE 

iiKSSK-DARMSTADT.  —  Eucoi*  l'affaire  du  régiment  sollicité  par  le 
prince  Gcoi-ges.  —  Fête  de  la  Reine.  (18  novembre  1782.)  .   .     71 

CCCCXXI.  MARIE-ANTOINETTE    A    LOI'ISE ,    PRINCESSE    HÉRÉDITAIRE    DE 

iiKSSK-DARxiSTADT.  —  llépouse  de  l'Empereur  sur  les  princes  Georges 
et  Charles.  —  Le  prince  Mav  de  Deux-Ponts.  —  Visite  annoncée 
de  la  mère  de  la  princesse  Louise  et  du  prince  Georges.  (24  dé- 
cembre 1782.) 72 

NOTE    SUR    LE    PRINCE    MAX 72 

CCCCXXII.     MADAME     ELISABETH    A     LA     MARQUISE     DE     SORAN.    La 

duchesse  de  Doiubon.  —  Delphine  de  Soran  a  peur  de  l'orage. 
(1782.) 73 

CCCCXXIIL  —  LOUIS  XVI  AU  comte  d'estainc.  —  Suppression  de 
toute  hostilité  avec  l'Angleterre.  —  Mesures  à  exécuter  en  cette 
circonstance.  (22  janvier  1783.) 74 

PROPOSITION    d'articles    PRELIMINAIRES    DE    TRAITE    DE    PAIX 77 

CCCCXXI  V.    MARIE -ANTOlNE'rrE    A    LOUISE,     PRINCESSE     HÉRÉDITAIRE 

DE  HESSE-DARMSTADT.  —  Proccs  de  la  iiière  de  la  princesse.  —  Com- 
ment elle  a  trouvé  la  princesse  Charlotte  et  la  princesse  Auguste.  — 
Inoculation  des  enfants  de  la  princesse  héréditaire.  (2  juin  1783.).     78 

NOTE    SUR    LA    PRINCESSE    AUGUSTE 79 

CCCCXXV.  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  soeur  marie-curistink.  — 
x\près  avoir  subi  tant  de  bêtes  de  toutes  c<udeurs,  qu'on  appelle 
prètraille,  le  voici  en  bonne  santé  et  entre  amis.  —  Il  a  expédié 
le  Pape,  la  Cour  de  Naples  et  le  Roi  de  Suède.  —  Eloge  de  sa  sœur 
de  Naples.  —  Défauts  de  son  mari. —  Portrait  peu  Hatté  du  Roi  de 
Suède  Gustave  III.  —  Il  se  rend  à  Milan.  Il  l'engage  à  berner  les 
Hollandais.  (Pise,  30  janvier  1784.) 80 

CCCCXXVI.  —  LE  comte  de  mercy-arcenteau  au  duc  de  saxe-tes- 
cuen.  —  Il  rend  compte  de  la  mission  qu'il  a  reçue  de  sonder  b»s 
dispositions  de  Marie- Antoinette,  au  sujet  du  voyage  eu  France 
projeté  par  le  Duc.  —  Le  séjour  de  Marie-Christine  à  Versîiilles  ou 
a  Fontainebleau  ferait  naître  des  difficultés  d'étiquette  que  la  Reine 
désire  éviter.  —  Compiègne  ne  présenterait  pas  les  mêmes  inconvé- 
nients, les  Princes  et  les  Princesses  du  sang  n'étant  point  admis  à 
cette  résidence.  (2  mars  1784.) 81 

note   sur   les   noms  patronymiques  des  FILLES  DE  marie-tuérèse.      85 

CCCCXXVI I.  —  LE   général   schlick   At*   duc   et  a  la   duchesse  dk 
TOME   m.  31 


482  TABLE   ANALYTIQUE. 

SAXE-TESCUEN.  —  Il  confiriiio  et  développe  les  informations  donnée^t^* 
par  le  comte  de  Mercy  sur  le  dé«ir  qu'éprouve  Marie-Antoinette 
de  recevoir  le  Duc  et  la  Duchesse,  et  sur  les  raisons  d'étiquette  qui 
doivent  faire  ajoinner  cette  visite  à  l'époque  du  séjour  de  la  Cour  à 
Coinpiègnc.  —  La  Heine  redoute  les  embarras  que  lui  causeraient  à 
Paris  et  à  Versailles  les  prétentions  et  l'esprit  de  familiarité  des 
Princes  et  Princesses  du  sang.  (Paris,  19  avril  1784.) 86 

CCGCXXVIII.    l.K    GÉNÉRAL    SCai.ICK    AI^    DUC     DE    SAXE-TE SCHEN.  

L'ablïé  de  Vermond  conHrme  les  détails  donnés  par  M.  de  Mercy 
au  sujet  du  voyaye  de  France,  -r-  Sur  le  point  de  quitter  Paris, 
le  général  sollicite  les  ordres  du  Duc  et  de  la  Duchesse.  Note  très- 
respectueuse.  (Paris,  4  mai  1784.) 93 

CCCCXXïX.  l'empereur   JOSEPB    II  a    sa    soeur    MARIE-€URI8ri!<E.  

Consulté  sur  le  voyage  de  l'Archiduchesse  en  France,  l'Empereur 
fait  connaître  son  avis. —  Les  intermédiaires  officieux  ont  tout  gâté. 

—  Il  n'est  plus  que  deux  partis  à  prendre  :  ou  s'abstenir,  ou  bien  se 
rendre  incognito  à  Paris  sans  se  faire  annoncer,  descendre  à  l'hôtel 
et  y  séjourner  en  simples  particuliers.  (13  mai  1784.) 97 

WOTE  SUR  LES  DIFT-ICULTKS  d'ÉTIQUKTTE  QUI  RETARDENT  LA  VISITE  DE  LA 
SOEUR    DE    LA  RKIKE    EN    COUR    DE    FRANCE 98 

CGCCXXX.  MARIE-ANTOINETTE    A    LOUISE,    PRINCESSE    HÉRÉDITAIRE    DE 

UESSE-DARMSTADT.  —  Le  Dauphiu  a  embrassé  sa  mère  au  nom  de 
la  Princesse.  —  Mariage  de  la  princesse  Charlotte.  (6  septembre 
1784.)' 10(1 

NOTE    SUR    LA     PRINCESSE    CHARLOTTE 100 

CCCCXXXI.  MÉMOIRE    DU    ROI    POUR    SERVIR    d'iNSTRUCTIOM    AU    SIEUR 

▼ICOMTE  DE  LA  COULDRE  DE  LA  BRETOitNiÈRE ,  CAPITAINE  DBS  VAIS- 
SEAUX DE  SA  MAJESTÉ,  COMMANDANT  LES  BATIMENTS  DE  MER  ET  LE 
DÉTACHEMENT    DE  TROUPES   DU  CORPS  ROYAL  DE  MARINE,   EMPLOYÉS  POUR 

LE  SERVICE  DE  LA  RADE  DE  CHERBOURG.  (20  Septembre  1784.).      lOt 

NOTE  SUR  LA  CONSTRUCTION  DU  PORT  DE  CHERBOURG 100 

CCCCXXXI I.  —  l'empebeur  joskph  ii  a  sa  soeur  l*archiocchessk 
MARIE-CHRISTINE.  —  Il  apprend  la  nouvelle  de  la  délivrance  de 
Marie-Antoinette,  qui  vient  de  mettre  au  monde  le  second  Dauphiu. 

—  Voyage  du  Grand-Duc  et  de  la  Grande-Dnchesse  de  Russie. 
(3  avril  1785.) 118 

NOTE    SUR   JOSEPH    II    ET    SUR    LES    AFFAIRES    DU    BRABANT 118 

CCCCXXXI] I.  MARIE-ANTOINETTE  AU   DUC  DE  CHOISEUL.  Naissauce 

du  second  Dauphin.  (Versailles,  15  avril  1785.) liO 

CCCCXXXI  V.   —   l'archiduchesse    marie -Christine,   duchesse   de 

SAXE-TESCHEN,     A     LA     PRINCESSE     ÉLÉONORE     DE     LIECHTENSTEIN.     

Affaire  du  Collier,  qui  livre  la  Reine  de  France  en  butte  aux  traits 
méchants  de  la  famille  Soubise  et  Rohan.  (24  août  1785.).   .     121 

CCCCXXXV.    MARIE -ANTOINETTE    A    LOUISE,    PRINCESSE    HÉRÉDITAIRE 

DE  UES8E-DARMSTADT.  —  Réponse  aux  compliments  sur  la  naissaurr 
du  second  Dauphin.  (19  mai  1785.) 12.3 

CCCCXXXV I.  MARIE-ANTOINETTE  AU  COMTE   DE  MERCT-ARGENTEAU.  

Elle  est  chargée  de  remettre  à  l'ambassadeur,  de  la  part  de  l'Em- 
pereur, le  grand  collier  di>  Saint-Etienne.  (9  octobre  1785.).     124 

CCCCXXXV II.  MARIE-ANTOINETTE    A    LOUISE,  PRINCESSE    nBRSOITAIRE 


TABLE  ANALYTIQUE.  48,1 

DE  np.ssK-DARMSTADT.  —  Fctc  de  la  Reine.  —  Elle  ra  bientôt  jouir 
de  la  société  de  la  Princesse  palatine.  (29  novembre  1785.)  .     125 

CCCCXXXVÏH.    MARIE -AMTOIMETTK    A    LOUISE,     PRIKCESSE     OÉRÉDI- 

TAiRE  DE  iiESSE-DARMSTADT.  —  MoFt  de  la  princcsHe  Charlotte  de 
Ilesse-Darmstadt,  mariée  en  Mecklenbourg.  (18  janvier  1786.)     12G 

CCCCXXXIX.    MARlE-ARTOiaETTE    A    LOCI8E,    PRINCESSE    UËRÉDITAIRB 

DE  HESSE-DARMSTADT.  —  La  Rcinc  avait  donné  son  portrait  à  la 
priiice.o^c  Charlotte  :  elle  prie  la  princesse  Louise  de  lui  faire  con- 
naître quel  d  été  le  sort  de  ce  portrait.  (22  février  1786.).   .   .     127 

CCCCXL.    MARIE- ANTOINETTE    A    LOUISE,    PRINCESSE    DÉrÉDITAIRE    DE 

HESSE-DARMSTADT.  —  Elle  destine  à  la  princesse  Auguste  son  por- 
trait (lu'elle  avait  donné  ù  la  feue  princesse  Charlotte.  (23  mars 
1786.) ." 128 

CGCCXLI.  —  l'empereitr  joseph  ii  a  sa  soeur  marie-ciiristixe.  — 
Marie- Antoinette  a  invité  sa  sœur  à  venir  en  France.  —  L'Empereur 
trace  à  cette  dernière  quelques  règles  générales  de  conduite  dans 
cette  circonstance.  (13  juin  1786.) 129 

VOYAGE  DE  LA  SOEUR  DE  MARIE -AXTOINËTTE ,  MARIE -CHRISTINE ,  EH 
FRANCE 130 

EXTRAIT  DES  MEMOIRES  DU  DUC  DE  SAZE-TESCBEN  SUR  SON  VOYAGE  EN 
FRANCE 131 

NOTE    SUR    LE   COMTE    DE    LUSACE 134 

NOTE  SUR  LE  PRINCE  DE  CONTI  ET  SUR  LE  CHEVALIER  CHARLES  DE  POU- 
GENS,    SON    FILS 135 

NOTE  SUR  LA  DUCHESSE  DE  VAUJOURS ,  DEPUIS  DUCHESSE  DE  LA  TAL- 
LIÈRE 136 

CCCCXLIL  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  soeur  marie-Christine.  — 
Il  répond  aux  confidences  que  lui  a  faites  Marie-Christine  touchant  la 
Cour  de  France,  et  approuve  son  opinion  sur  Marie-Antoinette,  dont 
il  a  compris  à  demi-mots  le  portrait.  Il  la  trouve  trop  francisée. 
(LaxemJjourg,  31  août  1786.) 140 

CCCCXLIII.  —  MARIE-ANTOINETTE    A  LOUISE,   PRINCESSE   HÉRÉDITAIRE  DE 

UESSK-DARMSTADT.  —  Accouchemeiit  de  la  Reine  et  de  la  Princesse 
palatine.  —  Compliments.  (23  septembre  1786.) 141 

CCCCXLIV.    MADAME    ELISABETH    A     MADAME     DE     BOMBELLKS  ,     ALORS 

AMBASSADRICE  EN  PORTUGAL.  —  Humilité  religieuse.  —  Discours  de 
l'abbé  Asselin  sur  la  nécessité  de  se  sanctifier.  —  Elle  est  reprise 
de  zèle  pour  l'étude  de  la  chimie.  —  Eloge  de  madame  de  Bom- 
belles.  —  Elle  est  a  Montreuil  avec  madame  de  Raigecourt.  — 
Madame  d'Albert. —  Madame  du  Chastelet.  La  duchesse  de  Duras. 

—  Conseils.  (27  novembre  1786.) 143 

CGCCXLV.  —  LOUIS  XVI  a  m.  de  la  milt.ière.  —  Le  Roi  lui  propose  la 
place  de  contrùleiir  général,  en  remplacement  de  M.  de  Calonne. 

—  Projets  du  Roi  pour  ramclioration  des  finances.  (Versailles, 
6  avril  1787.) 147 

note  sur  m.  de  la  MILLIÈRE  ET  SUR  LES  AMELIORATIONS  INTRODUITES 
DANS    LES    HOPITAUX 148 

CCCCXLVI.  MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.   RCD- 

voi    de  M.    de  Calonne  |)Our   ses  malversations.    —   On   dit  qn'il 

31. 


484  TABLE   ANALYTIQUE. 

sera  remplacé  par  M.  de  Foiirqiieux,  et  que  M.  de  La  Moignon 
succède  au  {jarde  des  sceaux.  —  On  a  prédit  h  la  Princesse  qu*elle 
chiiu[|ei'ait  d'opinion  sur  M.  de  C;ilonne  et  finirait  par  Taiincr.  — 
Les  Notables  vont  parler  avec  plus  de  liberté.  —  ÉIo{;e  de  Louis  XVI. 
—  Destinée  du  singe  de  madame  de  Hombelles.  —  V^oyage  de  rim- 
pératrice  Catherine  II  dans  la  Chersonèse.  —  Projets  de  mariage 
d'une  protégée  de  la  Priucesse.  (9  avril  1787.) 151 

ROTE  siTn   M.   DE  ForuQrEUx 151 

CCCCXLVll.  MAlkAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  HOMBELLKS.  Ma- 
dame des  Essarts  et  ses  cavalcades.  —  Détails  d'affection.  —  Dan- 
gers du  monde.  —  Assemblée  des  Notables.  —  Économies  réalisées 
par  le  comte  d'Artois.  —  M.  Falkner.  —  La  marquise  de  Fontc- 
nillcs.  —  Madame  de  Perceval.  (2  juillet  1787.) 155 

XOTE    SUR    LA    COMPOSITION    DE    LA    MAISON   DE    MADAME   ÉLISAIIETU.    .       455 

KOTK    Sril    LES    TnAVAVX    DE    l'aSSEMBLÊE    DES    NOTABLES 160 

CCClIXLVIII.  MAniK-ANTOINETTE    A    LOriSE ,    PRINCESSE    UÉRÉDITAIRE 

'  i»K  hkssk-uarmstadt.  —  Sur  la  mort  de  la  seconde  fille  de  la  Reine, 
(l*-»-  août  1787.) .     163 

CCCCXLIX.  —  marie-antoikette  a  locise,  princesse  héréditaire  db 
iiesse-darmstadt.  —  Compliments  d'amitié.  —  Madame  Royale 
devient  un  personnage  et  une  société  pour  sa  mère.  (11  décembre 
1787.) 164 

CCGCL.  —  l'empereur  josepii  ii  a  sa  soei'r  marie-ciiristine.  —  Les 
Etats  <le  Rrabant  ont  approuvé  les  impôts.  Il  est  tout  simple  que 
la  société  concoure  aux  charges  publiques,  et  il  s'étonne  qu  on 
s'émerveille  d'un  résultat  aussi  naturel  et  normal.  II  remercie  néan- 
moins sa  sœur  d'y  avoir  contribué.  —  Son  opinion  sur  le  caractère 
des  habitants  des  Pays-Bas.  —  La  force  finit  toujours  par  avoir 
raison.  —  Fâcheuses  nouvelles  de  la  santé  du  Dauphin.  —  L'Em- 
pereur se  ])ropose  de  tomber  sur  les  Turcs  et  de  faire  le  siège  de 
Belgrade.  (Semlin,  13  juin  1788.) 165 

KOTE    SVR    LES    ENFANTS    DE    MARIE -ANTOINETTE 167 

CHANSON     DE     COLLOT-d'hERBOIS    POUR    CÉlÉBRER    LA    REINE    ET    SON    DAr- 

puiN 168 

CCCCLI.   MARIE- ANTOINETTE    A    LOUISE,    PRINCESSE    HÉRÉDITAIRE    DE 

HESSii  DAiiMSTADT.  —  Félicitatious  sur  son  accouchement.  (Saint- 
Cloud,  23  juin  1788.) 170 

CCCCLII.    LA    REINE    AU    COMTE     DE    MERCY-ARGENTEAU.    —    Couiédie 

Ïui    a   réussi.    —    Indisposition    de    Madame    Royale.    (29  juillet 
788.) 171 

CCCCLI II.    MARIE-ANTOINETTE    AU    COMTE    DE    MERCY-ARGERTEAU.    

Les  Etats  généraux.  —  Loterie  pour  secourir  les  malheureux.  — 
Fièvre  tierce  de  Madame  Royale.  (3  août  1788.)  ,,',,,,     172 

CGCCLIV.    MARift-ANTOINETTE  A    LA    PRINCESSE   DE    LAMBALLE.  Elle 

a  marié  sans  la  Princesse  leur  protégée.  —  Elle  lui  a  donné  avec 
une  petite  dot  le  présent  de  M.  de  Penthièvre.  —  L'enfant  était  fort 
pressée  de  se  marier.  —  Il  serait  peu  sage  de  mettre  la  sœur  au 
couvent,  car  elle  a  plutôt  la  vocation  d  imiter  sa  sœiir.  (16  août 
1788.) 173 


TABLE   ANALYTIQUE.  485 

CCCCLV.    l'archiduc    CRA?ID'DrC    de    TOSCA!fB,     DEPCIS     EMPEREUR 

LÉOPOLD  II,  A  SA  SOEUR  MARiE-cnRiSTi:<(E.  —  Il  se  fclicîtc  (le  savoir 
tout  aiT.in(vc  aux  Pays-Bas.  —  Il  suit  avec  curiosité  la  marche  tics 
affaires  en  France.  (7  mars  1789.) 174 

CCCGLVI.  —  Loris  xvi  a  baiixy,  doyex  de  l'ordre  du  tiers.-^  — 
Il  désapprouve  rexj)rcjwioii  de  classes  privilégiées  que  le  Tiers  Etat 
emploie  en  parlant  des  autres  Ordres.  —  Il  attend  plus  de  déférence 
de  la  part  du  Tiers  que  cet  Ordre  ne  lui  en  a  montré.  (16  juin 
1789.) 175 

MAUVAIS     RRUIT    REPAXHU     CONTRE     LES     ISTRUSIO^SS     DU    TIERS    AUPRES    DE, 
LOUIS    XVI,    AU    M0ME!<T    MÊME    DE    LA    MORT    DU    DAUPIIIX  .     .    ,    .       176 

CCCCLVII.    LE     ROI     A     M.    DE    JUIOXÉ,     ARCHEVEQUE     DE    PARIS.     

Mal{;ré  la  nécessite  d'être  sévère  pour  maintenir  la  discipline^  il  se 
montrera  indul(TenC  pour  den  prisonniers  enlevés  et  relâchés,  et  que 
lui  recommande  l'Assemblée.  (2  juillet  1789.) 177 

NOTE    SUR    LA    LIBÉRATION    DE    GARDES    FRANÇAISES    RÉVOLTES  ....       178 
CGCf'LVIir.    MARIE -ANTOi:<ETTE    A    LA    DUCHESSE     DE    POLICSAC.    

Adieux  au  moment  du  départ  de  la  Duchesse  pour  l'émigration. 
(16  juillet  1789.) 180 

NOTE    SUR    LE    DEPART    DE    LA    PRINCESSE 180 

CGGGLIX.    MARIE-AXTOI NETTE  ^    SON    FRERE,   l'eMPEREUR    JOSEPH   II. 

—  Les  scènes  d'horreur  dont  elle  a  été  témoin  lui  ôtent  la  force 
d'écrire.  —  Le  retour  de  M.  Necker  apportera  probablement  la 
paix.  (26  juillet  1789.) * 181 

GGCGLX.  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  sœur  l'archiduchesse  marie- 
Christine.  —  Etonncment  qu'il  éprouve  des  affaires  de  France 
poussées  si  rapidement  à  l'extréinité.  —  On  le  lirait  dans  l'histoire 
qu'on  ne  croirait  pas  à  ce  terrible  sauve  qui  peut.  —  Ses  inquiétudes 
pour  Marie-Antoinette,  contre  laquelle  on  est  acharné.  (29  juillet 
1789.) 182 

CCGGLXÏ.    LOUIS    XVI    A    LA    DUCHESSE    DE    POLICNAC.    AffectUCUX 

souvenir.  (1789.) 183 

CCGGLXII.  —  l'empereur  joseph  ii  a  sa  soeur  l'archiduchesse 
MARIE-CHRISTINE.  —  On  ne  saurait  être  trop  sur  ses  {;arde8  dans 
les  Pay*-Bas  contre  la  contajpon  du  délire  français.  —  lin  foyer  de 
réfu{;iés  sur  la  frontière  du  Ilainaut  est  chose  menaçante  |H)ur  la 
tranquillité  publique.  —  Point  de  nouvelles  du  comte  de  Mercy. 

—  Inquiétuues  sur  le  sort  de  la  Heine.  (30  juillet  1789.).  .  .     184 

CCGCLXTII.    MARIE -ANTOINETTE    A    LA     DUCHESSE    DE    POLIONAC.    

Par  l'entremise  de  madame  de  Piennes,  elle  s'applaudit  de  pouvoir 
écrire  à  cœur  ouvert.  —  Tout  le  monde  fuit,  et  elle  n'est  entourée 
que  de  malheurs  et  de  malheureux.  —  Dans  sa  solitude,  elle  est 
consolée  par  ses  enfants,  qui  ne  la  quittent  pas.  —  Madame  de 
Tourzel.  —  Discrétion  dont  on  doit  user  dans  les  correspondances, 
qui  toutes  sont  ouvertes.  —  Souvenir  à  madame  de  Guiche.  — 
Sombi-e  avenir.  (12  août  1789.) 185 

NOTE    SUR    LES    MINISTRES    NOMMÉS 187 

GGGGLXIV.    MADAME    ELISABETH    A    MADAME     DE    BOMBELLES.    La 

garde  bourgeoise  de  Versailles  n'est  point  encore  habillée.  —  Elle 
demande  des  troupes  à  cheval  pour  1  aider  dans  son  service.  —  Le 


486  TABLE   ANALYTIQUE. 

peuple,  les  croyant  trop  nombreuses,  s'oppose  d'abord  a  leur  entrée. 
—  Vive  le  Roi,  point  de  drafjons!  —  Le  lendemain,  on  les  amène 
en  triomphe.  —  Premier  serment  prêté  en  présence  des  officiers 
municipaux.  —  L'Assemblée  Nationale  n'est  point  encore  décidée 
pour  les  droits  de  l'homme.  —  La  milice  de  Paris  doit  venir 
complimenter   le    Roi,  le   jour    de  la  Saint- Louis.    —    A  Caen, 

auercllc  entre  le  réjpment  de  Bourbon  et  des  soldats  du  rc'(pment 
'Artois.  —  Assassinat  du  comte  Henri  de  Belzunce.  —  Le  régi- 
ment de  Bourbon  est  chassé  de  la  ville.  —  Les  gardes  du  corps 
s'ennuient  de  leur  discipline.  (Versailles,  20  août  1789.).   .     188 

CCCCLXV.  LE    BOI    A    M0!<SIE0R    F.    J.    D£    PARTZ    DE    PRESSY,  ÉVÉQVE 

DE  BOULOGNE.  —  Tablcau  de  la  situation  de  la  France  désolée  par 
les  troubles,  les  désordres  et  les  violences.  —  Le  Roi  conjure 
l'évcque  d'implorer  les  secours  de  la  divine  Providence  et  d'exhorter 
le  peuple  à  l'obéissance.  (Septembre  1789.) 191 

CCCCLXVI.    MADAME     ELISABETH    A    MADAME     DE    BOMBELLES.    Lc 

Duc  d'Orléans  est  parti  pour  l'Angleterre.  —  La  Princesse  se  loue 
beaucoup  de  la  milice.  —  Tout  est  pour  le  mieux.  (20  octobre 
1789.) 196 

CCGCLXVII.  —  l'archiduc  graxd-ouc   de  toscane  léopold,  depiîis 

EMPEREUR,  A  SA  SOEUR  MARIE  -  CHRISTINE ,  GOUVERNANTE  DES  PATS- 
BAS.  —  Il  se  réjouit  des  succès  remportés  par  1* Autriche  sur  les 
Turcs.  —  Les  nouvelles  de  la  France  font  frémir.  —  Il  est  indigné 
de  l'inconrevable  faiLJesse  de  Louis  XVI,  dont  il  redoute  les  consé- 
quences pour  la  Reine.  —  Il  se  refuse  à  croire  à  la  gravité  de  la 
situation  aux  Pays-Bas.  —  Il  y  blâme  l'emploi  de  la  force,  et  pense 
qu'il  serait  mieux  de  remonter  aux  causes  du  mécontentement  pour 
les  faire  disparaître.  (Florence,  27  octobre  1789.) 197 

GCGCLXVIII.  MARIK-ANTOI NETTE  AU  GKNÉaâL  BARON  DE  FLACHSLASDEN. 

—  Cruelles  alarmes  de  la  Reine  après  la  nuit  des  5  et  6  octobre.  — 
Elle  redoute  les  mouvements  qui  s'opèrent  en  Alsace  et  le*  récrimi- 
nations que  les  malintentionnés  vont  tourner  contre  elle.  — Dessein 
de  se  renfermer  absolument  dans  son  intérieur  et  de  se  faire  oublier. 

—  Elle  ne  vent  prendre  aucune  part  au  choix  des  nouveaux  mi- 
nistres.—  Demande  de  conseils.  (Mercredi  28  octobre  1789.)     199 

HOTE  SUR  LES  JOURNEES  DES  5  ET  6  CMnX>BBE  ET  SUR  LE(;RS  SUITES.       202 

C(XCLX1X.  —  l'empereur  joseph  ir  a  sa  soeur,  l'archiduchessb 
MARiE-<iURi8TiNE.  —  La  Rcine  n'a  pas  osé  écrire,  mais  elle  a  chargé 
l'ambassadeur  d'Allemagne  de  faire  connaître  qu'elle  est  à  la  merci 
de  la  plus  vile  canaille.  —  Les  folies  françaises  ont  fait  senUr  leur 
contagion  en  Brabant.  —  Différence  de  caractère  des  tèt«M5  françaises 
ou  brabançonnes.  (3  novembre  1789.) 206 

CGCCLXX.  MADAME  BLISABETO  A  MADAME  DE  BOMBELLES.  Dé- 
tails sur  sa  correspondance.  —  Ses  distractions.  —  Tout  est  asst^z 
calme,  seulement  parfois  on  manque  de  pain.  —  L'Assemblée  a 
confisqué  le  bien  du  clergé.  —  Saint-Gyr.  —  Montreuil.  —  Madame 
de  Raigecourt.  —  Elle  n?çoit  des  nouvelles  de  Turin.  (4  novembre 
1789.) 207 

HOTE    SUR   LA   SITUATION    DE    LA    MAISO^I    DB    SAIXT-CTR 208 


TABLE   ANALYTIQUE.  487 

CCCCLXXL  —  i/ARciiinur.iiKXSE  marie-<:hri8tixe  a  l'arcuiduc  ciia>d- 

DUC    DE    TOS<:4?(E    LÉOPOI.I),    DEPUIS     EMPEREUR.    IlMUrn^Ctioil     clcs 

Pays-Bas.  —  Relation  du  départ  forcé  de  rArchiduchc6ii(*,  que 
l'on  vent  faire  passer  pour  une  fuite.  —  Conduite  arrogante  du 
ministre  Trautmaunsdorff  et  «a  précipitation  à  exécuter  prématuré- 
ment des  ordres  éventuels  de  1  Empereur.  —  Douleur  ae  1* Archi- 
duchesse à  la  pensée  de  voir  suspecter  son  courage.  (Coblence, 
25  novembre  1789.) 210 

CCCCLXXU.  MABIE-AH'JOIRETTE  A  LA  DUCHESSE  DE  P0LIC5AC,   A  ROME. 

—  Tendres  souvenirs.  —  Recommandation  en  faveur  d'une  dame 
forcée  de  fuir,  et  (jui  se  rend  à  Home.  (13  décembre  1789.).     216 

BOTE    SUR    LE    CARDINAL    DE    BBHM8 217 

CCCCLXXIII.  LOUIS    XVI    A    LA    DUCHESSE    DE    POLICNAC,    A    ROME.   

Souvenirs  d'amitié.  —  Espérances  de  temps  meilleurs.  —  La  Reine 
0'est  un  peu  blessée  à  la  jambe,  et  garde  sa  chaise  longue.  (Paris, 
20  décembre  1789.) 218 

CCCCLXXIV. MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  ItOMHELLES.  Rési- 
gnât ioil  de  madame  de  Raigecourt  dans  sa  douleur.  —  Stagnation 
dans  les  affaires.  —  Vente  des  biens  du  Roi  et  du  clergé  pour  pan- 
ser une  plaie.  —  Suppression  des  moines.  —  Bruits  douteux.  — 
Le  Chàtelet  saisi  de  l'affaire  des  5  et  6  octobre.  (22  décembre 
1789.) 219 

CCCCLXXV.  —  LOUIS  XVI  a  madame  jules  de  policnac,  a  vekise.  — 
On  n'a  crue  de  si  tristes  choses  à  écrire  qu'on  n'est  jioint  tente  de 
prendre  la  plume.  —  La  Reine  est  toujours  la  même,  mais  on 
redouble  d'injustice  à  son  égard,  et  il  faut  autant  se  tenir  en  garde  des 
soi-disant  amis  que  des  einiemis.  —  lie  nombre  des  amis  vrais  est 
bien  minime. — Souvenirs  à  la  famille  de  la  duchesse.  — Tristesses. 
(  Paris,  3  janvier  1790.) 221 

CCCCLXXVI.     MADAME      ELISABETH     A     MADAME      DE     BOM  BELLES.     

Vfeux  et  tendresses  à  l'oci'asion  de  la  nouvelle  année.  —  M.  d'Albert 
de  Rions  attendant  son  jugement.  —  La  Princcvsse  demande  à  con- 
.  naitre  l'ojMnion  qu'on  êvAt  formée  à  l'étranger  de  la  conduite  du 
comte  d'Artois.  —  L'Assemblée  a  décidé  de  Hxer  d'office  la  liste 
civile  du  Roi.  —  Celte  étrange  motion  effarouche  la  Princesse.  — 
On  a  suspendu  le  pavement  de  toutes  les  pensions  supérieures  à 
mille  cens.  (3  janvier  1790.) 224 

^OTE    SUR    LE    CHAPELIER 226 

KOTR    Sun    LE    COMTE    d'aLBERT    DE    RIONS 226 

CCCC^LXXVIL    LA    REI>iE    AU    COMTE    DE    MKRCY-ARGEXTEAU.    Elle 

nereut  se  mêler  de  rien,  l'a  écrit  à  Monsieur,  et  dès  lors  ne  recevra 
pas  M.  de  Lévis.  (6  janvier  1790.) 228 

CCCCLXXVIIL  MARIE-ASTOISKTTE    A    LA    DUCHESSE    DE    POLIGMAC.  

La  position  est  horrible.  —  On  les  surveille  comme  des  criminels. 

—  Impossible  de  s'appi-ocher  d'une  fenêtre  sans  être  insultés,  de 
faire  prendre  l'air  aux  enfants  sans  les  exposer  aux  vociférations. 

—  Il  faut  trembler  toujours,  et  pour  tout  ce  qu'on  aime.  (7  janvier 
1790.) 229 

GCCCLXXIX.  MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES.  In- 
térêt qu'elle  prend  à  ce  qui  touche  à  son  amie.  —  La  peur  fait  dîmi- 


458  TABLE   AÎS ALYTIQL'E. 

Duer  le  pain  à  Versailles.  —  Fureur  contre  le  baron  de  Bésenval. 
-^  M.  de  Favras  destiné  à  être  pendu.  (12  janvier  1790.).  .     230 

VOTB    SCn    LE    BARO!f   DK    BÉ.SEXVàL 231 

CCCCLXXX.  —  l'arcuiduc  graud-duc  de  toscane  léopold.  depuis 
EMPBRECR,  A  SA  SOEUR  marie-christihe.  —  Il  craiDt  qu'elle  n'ait 
laissé  à  sou  départ  tous  ses  papiers  h  Bruxelles,  quand  il  eût  été  *i 
important  de  les  emporter  avec  soi.  —  Ses  inquiétudes  pour  la  sauté 
de  l'Empenîur.  —  Il  désapprouve  tout  ce  qui  s*est  fait  aux  Pavs- 
Bas,  mais  n'a  p<}iut  osé  manif(*stcr  publiquement  son  opinion.  —  Il 
se  plaint  vivement  de  n'être  tenu  au  courant  de  rien,  ni  de  .la  con- 
duite dcR  affaires  ni  de  la  santé  de  Joseph  II.  -«-  Toutes  ses  corrcn- 
pondauccs  sont  interceptées.  —  On  fait  tout  ce  qu'il  est  possible 
pour  pousser  la  Ilonjp'ie  à  la  révolte.  (15  janvier  1790.).  .   .     232 

CCCCLXXXI.    MADAME    ÉLISARKTB    A    MADAME    DE    ROMDEhLES.   Le4 

Turcs  paraissent  disposés  à  la  paix,  malgré  l'attitude  de  la  Pni«.4e 
qui  encoura{{e  leur  résistance.  —  Démarche  de  la  Princesse  pour 
fairc  remplacer  M.  de  Choiseul-GoufKer  par  M.  de  lk>ml)elles.  — 
Echauffourée  du  Ch.itelet.  —  Arrestation  tle  Thomme  qui  a  arrnclié 
le  cœur  de  MM.  Foulon  et  Berthier.  —  Versailles  n'est  pas  tran- 
quille. —  Animosité  entre  les  quartiers  de  Notre-Dame  et  de  Saint- 
Louis  de  Versailles,  j)our  l'élection  du  maire  de  lu  ville.  —  Le^ 
monstres  ont  toujours  ravanta{;e  sur  les  honnêtes  gens.  —  Les  aiis- 
tocrates.  —  Ou  a  voulu  pendre  M.  Berthier  le  fils.  (19  janvier 
1790.) 23V 

CCCCLXXXII. LA    REI!<E    AIT    COMTE    DE    MERCT-ARGENTEAC.    (21  jan- 
vier 1790.) 237 

CCCCLXXXII  I.  L'ARCIItDDC  GRA!fD-Dl*C  DE  TOSCANE   LKOPOIJ) ,  DEPl'IS 

EMPEREUR,    A    SA    SOEITR    MARIE-CHRISTI^IK.  Il  ne  Croit  p.lS  pOSsiMc 

de  rétablir  la  situation  aux  Pays-Bas,  à  moins  de  franches  et  larges 
concessions.  —  Ses  inquiétudes  |>onr  la  santé  de  l'Empereur  aug- 
mentent. (23  janvier  1790.) 23» 

CCCCLXXXIV.  — l'archiduc  crand-dvc  de  toscaxk  lkopold,  depuis 

EMPERRITR,    AIT     DUC     DE     SAXE -TESCBEN ,    SON    BEAC-FUBRE.    Note 

préliminaire  sur  cette  lettre 239 

LETTRE    DE    J08EPU     tl     MOURAIT    A    SA    SOEUR    CHRISTINE 2M 

DERNIÈRE    LETTRE    DE    JOSEPH    II    A    LA    mAmE 242 

NOTE    SUR    LES    MARIACES    DE    JOSEPH    II 243 

SUR  LES  PAPIERS  LITfKRAIRES  LAISSES  PAR  LA  PREMIERE  FEMME  DR 
JOSEPH    II,    l'infante    ISABELLE    DE    PARME. 243 

LETTRE  DU  CRAND-DUC.  —  Entouré  d'espious,  il  ose  à  peine  parler  et 
écrire.  —  Du  vivant  de  l'Empereur,  il  s'abstiendra  de  parler  de  la 
politiqne  de  rAiitriche.  —  Il  s'ouvre  sur  ses  principes  libéraux  et 
avances  en  matière  religieuse  et  gouvernementale 245 

NOTE    DU    DUC    DE    SAXE-TBSCBEN   SUR    LA  LETTRE   QUI    PRKCBDB    .    .      250 
CCCCLXXX V.   l' ARCHIDUC    GRAND-DUC  DE  TOSCANE    LBOPOLD,   DEPUIS 

EMPEREUR ,  A  SA  SOEUR  MARiE-CHRiSTiNB.  —  On  B  coiipé  nn  bras  à 
la  monarchie  d'Autriche  en  lui  enlevant  les  Pays-Bas.  —  Sombres 
pressentiments.  -«lia  fait  |Kir>'enir  à  son  fils  François,  à  Vienne, 
des  instructions  en  prévision  de  toutes  les  éveuCoalités.  -—  Il  s*est 


TABLE   ANALYTIQUE.  *8Î) 

décidé  à  conseiller  à  TEmpcrciir  de  faire  des  concessions  h  la 
Ilon{frio.  —  Il  persiste  a  s^nlistenir  de  tonte  démonstration  publique. 
—  Sa  crainte  d'être  appelé  à  Vienne.  (7  février  1790.).   .   .   .     25S 

CCCCLXXXVI.    MADAME    ÉLISABETU     A    LA    MAnQUISE    DE    BOMBEU.ES  , 

uOTEî.  DE  FiiATicE,  A  VEMSE.  —  On  doii  Ics  Conduire  à  Notre-Dame 
pour  cbanter  un  Te  Deum,  Elle  en  prend  son  parti.  (9  février 
1790.) 254 

CCCCLXXXVII.  —  i/ABCHinrc  nRAXo-nro  dk  toscane  i.kopold,  depi'IS 
EMPERErR,  A  SA  SOEUR  MARiK-ciiRisTiNE.  —  Appelé  à  Vienne  pour 
être  nommé  co-Ré(;ent,  il  est  résolu  à  refuser  cette  situation,  pour 
ne  point  paraître  approuver  ce  qui  se  fait.  —  Instructions  à  sa  sœur 
sur  les  affaires  des  Pavs-Bas,  pour  le  cas  de  mort  de  l'Empereur. 
(18  février  1790.).    .  '. Î55 

CCCCLXXXVIÏI.  MADAME     ÉLISABETU    A     MADAME    DE     BOMHELLES.   

Grande  colère  de  la  Princesse  contre  madame  de  Bombelles,  à  pro|>os 
de  l'exécution  du  marquis  «le  Favras.  —  Causes  de  cette  mort.  — 
Panégyrique  de  la  victime;  son  iimocence  et  son  courage.  —  L'As- 
semblée donne  plein  pouvoir  aux  municipalités  :  voilà  comme  on 
sert  le  Roi.  (23  février  1790.) 258 

(XCCLXXXIX.   MÉMOIRE  COMMCSIOrÉ  AU    COMTE    DE    PL'YSÉcrR,  PAR 

LE  COMTE  DE  BRIENNE,  ET  APPROUVÉ  PAR  LA  REINE,  CONCERNANT  LA 
SOMME  DK  QUINZE  CENTS  LIVRES  DESTINEE  PAR  SA  MAJESTE  A  l'ÉDU- 
CATION  DE  QUELQUES  ORPHELINES  d'iNVALIDES.   (20  marS  1790.).       260 

CCGGXC.  —  LE  ROI  AU  MARQUIS  DE  BOUILLE.  —  Il  le  remercie  d'avoir 
su  maintenir  la  garnison  de  Metz  dans  le  dc»voir.  —  Il  fait  éven- 
tuellement appel  à  ses  services  à  Paris.  (Paris,  23  avril  1790.)     263 

CGCGXCI.  MADAME   ÉLISABETU  A   MADAME  DE   B0MM^;LLES.  NoilVOlleS 

de  famille.  —  Mort  de  l'abbé  Colignon.  (27  avril  1790.)  .    .     264 

CGCCXGII.    LOUIS     XVI    A    LA     DUCUESSE     DE     POLICNAC,    A    ROME.    

Amical  souvenir.  —  Compliment  sur  le  mari.ige  du  HIs  de  la  du- 
chesse. —  Mort  de  madame  de  Piennes.  —  Première  communion 
de  Madame  Royale,  (Paris,  28  avril  1790.) 265 

CCCGXGIII.  —  MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES.  —  Ten- 
dresses et  jeu  d'esprit.  —  On  assassine  en  Bourgogne.  —  Il  y  a  eu  un 
prône  superbe  à  Saint-Sulpice.  (4  mai  1790.) 266 

CGCGXCIV.  MARIE-ANTOINETTE  A  LA    LANDGRAVINE    LOUISE    DE    UESSE- 

DARMSTADT.  —  Coudoléaiices  sur  la  mort  du  Landgrave  Louis  IX, 
et  sur  l'avènement  de  son  fils,  mari  de  la  Landgravine  Louise. 
(14  mai  1790.) 267 

CGCCXCV.     MADAME     ÉLISABETU    A    MADAME     DE     BOMBELLES,    Sa 

correspondance  avec  M.  de  Bombelles.  —  La  Princesse  est  fort 
maussade.  -:-  Le  Boi  n'a  plus  le  droit  de  faire  la  guerre  ou  la  paix. 
—  Les  enragés  triomphent.  —  M.  de  Clioiseul.  (22  mai  1790.)     269 

CGGCXCVI.  MARIE-ANTOINETTE  A  SA  SOEUR  L'ARt:niDUCnESSE  MARIE- 
CHRISTINE.  —  Elle  s'abstient  d'écrire,  parce  qu'elle  ne  veut  pas  qu'il 
y  ait  à  la  poste  de  son  écriture,  si  aisée  à  contrefaire.  —  Vœux 
pour  la  tranquillité  du  pavs  et  pour  le  bonheur  du  Boi,  pour  lequel 
elle  donnerait  son  sang.  —  On  dit  qu'on  va  leur  laisser  la  liberté 
d'aller  à  Saint-Cloud,  ce  qui  leur  donnera  au  moins  du  calme  pour 


JMM)  TABLE   ANALYTIQUE. 

les  veux  et  les  orcille8.  —  Elle  se  désole  de  ne  jKïiivoir  être  en  rien 
utile.  (29  mai   1790.) 270 

CCCCXCVH.  MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.  PrO- 

claïuation  au  nom  de  la  Loi  et  du  Roi.  —  Elle  va  partir  pour  Saint- 
Cloud  pour  quelques  jours.  —  Une  lettre  dans  un  bain.  (  i***  juin 
1790.) 272 

CGCCX.CVIH.  —  LOUIS  XVI  ait  président  de  l'assemblée  xatiosale, 
porn  l'assemblée.  —  Il  énumère  les  dépenses  de  sa  liste  civile, 
pour  en  faire  régler  le  budget.  (Aux  Tuileries,  7  juin  1790.)  .   .    273 

CCCCXCIX.  —  madame  Elisabeth  a  madame  de  bomrelles.  —  La 
vicomtesse  de  Mérinville  est  an  mont  Notre-Dame.  —  La  Pnncesse 
{"éside  pour  huit  jours  à  Saint-Gloud.  —  La  comtesse  Diane  de  Poli- 
gnac  est  ramenée  à  Dieu.  —  M.  Dumey.  (13  juin  1790.).   .   .     276 

D.  —  madame  Elisabeth  a  madame  de  bombellks.  —  Réflexion;;  sur 
les  derniers  décrets  de  TAssemhlée.  —  Elle  espère  bien  s'appeler 
Mademoiselle  Gapet,  ou  Hugues,  ou  Robert.  —  Tout  cela  l'amuse 
beaucoup.  —  Préparatifs  de  l'anniversaire  du  14  juillet.  —  Elle 
i*edoute  fort  le»  grandes  chaleurs  qui  s'y  fei*ont  sentir.  —  Plai- 
santeries à  ce  sujet.  —  Il  faut  rire  un  peu,  cela  fait  du  bien.  — 
Madame  d'Aumale.  (27  juin  1790.) 277 

DL     l'empereur     LÉOPOLD      a     sa      soeur     marie -CHRISTINE.     Il 

donne  ses  instructions  sur  la  conduite  à  tenir  à  Tégard  des  Pays- 
Bas.  —  Sombre  tableau  de  la  situation  générale.  —  Urgente  néces- 
sité de  traiter  de  la  paix  avec  la  Prusse.  —  Fausseté  et  malveillance 
de  r Angleterre.  —  La  Russie  se  renferme  dans  l'inaction.  —  L'Em- 
pereur projette  de  prendre  à  sa  solde  les  régiments  étrangers  qui 
quittent  le  service  do  France.  —  Il  ne  faut  compter  que  sur  la  force 
pour  appuyer  la  raison.  —  Les  provinces  autrichiennes  sont  en  fer- 
mentation ;  leurs  exigences.  —  Prétentions  inouïes  des  Hongrois.  — 
Découragement  de  l'Empereur.  (31  juin  1790.) 280 

KOTK  Sl^R   LES    AFFAIRES   DE    FRANCK    KT  CELLES  DES   PAYS-BAS  AUTRICUIENS. 

LA    PRUSSE,    l'aUTRICHE    KT  l'eSPAGNE.  Si:<X;ÈS    DE    LA    POLITIQUE 

DE    LKOPOLD    DANS   SES   PROVINCES    DE    BELGIQUE.     .     .    .' 284 

DU.    LOUIS     XVI    A    LA     DUCHESSE     DE    POLIGNAG,    A    ROME.    PréoC- 

cupations  affectueuses.  —  Eloge  du  duc  de  Giiiche.  —  La  gêne 
dans  les  correspondances  empêche  l'effusion  à  laquelle  on  aimerait 
à  se  livrer.  —  Quelques  jours  passés  à  la  campagne  lui  font  vanter 
le  bonheur  de  la  retraite  avec  des  amis.  — "Etat  politique  plus  ras- 
surant. —  Cependant  les  souvenirs  lui  font  faire  du  noir.  (Paris, 
10  juiUet  1790.) 286 

DIII.  MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES.  —   Crise  prochaine 

de  la  fédération.  —  Le  duc  d'Orléans.  —  Règlement  du  cérémonial 
de  la  fédération  par  T Assemblée,  qui  passe  par-dessus  les  observa- 
tions du  Roi.  La  Famille  rovale  n'entourera  pas  Louis  XVI  :  insulte 
préméditée  à  la  Reine.  —  M.  de  Bombelles.  (10  juillet  1790.)     288 

IIOTE    8VH.   TARGET 289 

SVh    LA    FÊTE    DE    LA    FEDERATION 291 

DIV.    l'empereur     LÉOPOLD    A    SA     SOEUR     MARIE-CBRISTIHE.     •—     La 

paix  tarde  à  se  faire.  —  L^esprit  d'insurrection  esC  uoirertel  dans 


TABLE   ANALYTIQUE.  491 

les  provinces  autrichiennes,  malgré  les  condescendances  de  l'Empe- 
reur. —  Rôle  qu'il  attribue  à  l'Angleterre.  (15  juillet  1790.).     292 

HOTE    SI'R     LE     FELD-MARÉCBAL    LAt7D05 293 

CRREFR    DE    LÉOPOLU    81TR    LA    POLITIQUE    ANGLAISE 293 

DV.    MADAME      ELISABETH     A     MADAME     DE     BOMBELLE8,    A     TEM8E.    

Questions  d'amitié  et  nouvelles  de  famille.  (26  juillet  1790.)     294 

DVl.    MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE     BOMBELLES.    Elle    Craiut 

d'avoir  afHigé  son  amie  par  les  paroles  d'une  de  ses  lettres.  —  Indis- 
position du  Roi  et  du  Dauphin.  —  Cercle  au  palais.  —  Madame  de 
Raigecourt  devenue  châtelaine.  —  Saint-Cyr.  (2  août  1790.).     295 

«GTE    SLR    SAIKT-CYR 296 

DVII. MADAME  KLISABBTU  A  MADAME  DE   BOMBELLES.  Lettre  d'amitié. 

—  Le  Roi  et  le  Dauphin  se  rétablissent.  — L'Assemblée  marche,  et 
il  serait  trop  long  de  la  suivre.  (9  aoiit  1790.) 298 

ÉTAT    DES    AFFAIRES    DE  FRANCE 298 

DVIIf.  —  MAniE-AXTOiîiETTE  AV  COMTE  DE  MERCY.  —  Elle  annooce 
ime  apparition  «pi'elle  va  faire  à  Paris  |>0{tr  la  fête  :  qu'il  avise  au 
moyen  de  la  voir.  (12  août  1790.) 299 

DIX.  MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.    Lettre  tOUte 

d'amitié.  —  Jouir  de  la  vie  avec  un  ccrur  pur.  —  Une  mort  dans 
la  maison  de  la  Princesse.  (16  août  1790.) 300 

DX.  MADAME    ELISABETH  A  MADAME   DE    BOMBELLES.   Célébration   de 

la  fête  de  Saint-Louis.  —  Détails  de  famille.  (Saiut-Cloud,  23  août 
1790.) 302 

DXI.  —  MARIE -A.NTOiîJE'rTE  A  LA  DUiniEssE  DE  POLiosAC.  —  Tendre 
souvenir  d'amitié.  —  Inquiétudes  poignantes  sur  les  absents.  —  Le 
Hainaut  se  soulève.  (28  août  1790.) 303 

DX11.    MADAME     ELISABETH    A    MADAME    DE     BOMBELLES,    A    VENISE.    

Elle  ])atronc  les  intérêts  do  son  aiaie,  malgré  la  difHculté  de  se 
faire  écouter,  et  s'occupe  de  faire  assurer  le  sort  du  marquis  de 
Bombellcs.  —  Duel  de  M.  de  Castries  et  de  M.  de  Lameth.  Sac 
de  l*hotel  de  Castries,  approuvé  par  1* Assemblée.  (13  septembre 
1790.) 304 

NOTE    SUR    LE     PRI?(CE    d'hÉNIN 305 

DXIII.    MADAME     ELISABETH     A     MADAME     DE     BOMBELLES.    Gaietés 

intimes.  —  Mariage  d'Armand  de  Polignac.  —  Le  Roi  parait 
plus  disposé  à  partir  :  les  jambes  lui  reviennent  un  peu.  —  Le  sort 
de  la  famille  est  attaché  à  ses  déterminations.  —  Réforme  des  équi- 
pages de  chasse  à  la  Cour. — Regrets.—  Intervention  de  T Assemblée. 
(20  septembre  1790.) 306 

DXIV.    MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.    Testament 

de  la  Princesse.  (13  ociobre  1790.) 309 

DXV.  MADAME   ELISABETH  A   MADAME  DE  BOMBELLES,   HOTEL  DE  FRANCE, 

A  VEM.SE.  —  Ce  qu'elle  augure  des  enfants  de  madame  de  Bombelles. 

—  On  doit  supplier  le  Koi  de  renvoyer  ses  ministres.  (18  octobre 
1790.) 310 

DXVI.    MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.    Visite    k 

Saint-Cyr.  —  Madame  de  RaigecourC.  (23  octobre  1790.)  .   .     312 


492  TABLE   ANALYTIQUE. 

SITvItIO:!    DK    la    MàISO?(    DE    SAiriT-CYR • 312 

DXVn.    L*EMPEREin     LKOPOLD    A    SA    SOKCR    MARIE -ÉURISTIXE.    Il 

a  appris  les  infamies  qu'on  pni)lic  en  France  contre  la  Reine,  et 
ses  projets  (l*éva8ion.  —  Le  Roi  et  la  Heine  Je  Naples.  —  Son 
sacre.  (27  octobre  1790.) 313 

DXYIII.     MADAME     ÉLISABETU     A     MADAME     DE     BOMDEI.LES.    Truin 

dans  les  districts  pour  supplanter  La  Fayette,  qui,  nial(p'é  tout, 
restera.  (9  novembre  1790.) 815 

DXIX.    MADAME     ÉLISABETU     A    MADAME     DE     BOMBELLES.     Gémis- 

sements  sur  les  malheurs  de  la  France.  —  Impression  que  fait  sur 
les  provinces  la  cessation  dn  service  divin.  —  Hayons  a  espoir.  — 
Incertitudes  de  l'Empereur  encoura(»ce8  par  ses  entours.  —  Bornes 
de  rinlelli{î(Mice  humaine.  —  Le  Comte  d'Artois.  —  La  Comtesse 
Diane.  (2  décembre  1790.) 316 

DXX.    MADAME     ELISABETH     A     MADAME    DE     BOMBELLES.    CourSe    à 

cheval  près  de  Versailles.  —  Rei;rets  de  n'y  pas  entrer.  (6  décembre 
1790.) 318 

:iOTE    SUR    LA    COMTESSE    niA^IE    DE    PGLION'AC 318 

DXXl.  —  nv  ROI  A  l'assemblée  ?(ationale,  lit  a  la  séa!ice  du  dimaxche 
26  DÉCEMBRE  1790.  —  Acceptation  du  décret  de  l'Assemblée  sur 
le  serment  exifjé  des  évêques,  curés  et  autres  fonctionnaires  publics. 

—  3Iotifs  que  le  Boi  donne  de  son  acceptation 319 

DXXII.    MADAME    ÉLISABETU    A    MADAME     nE    BOMBELLES.     CoUSells 

sur  le  marquis  de  Bombelles,  qui  donne  sa  démission  d'ambassadeur. 
(28  décembre  1790.) 321 

DXXIII.    MARIE -ANTOINETTE     A    LA     LAMDCRAVIXE     LOUISE     DE     UESSE- 

DARMSTADT.  —  CompHineuts,  |M>ur  lesquels  la  Reine  s'interdit  d'user 
de  la  poste.  (2  janvier  1791.) 322 

DXXIV.    MADAME    ELISABETH     A    MADAME    DE     BOMBELLES.     On    n'a 

le  temps  de  rien  faire  a  Paris.  —  Scandales  à  Saint-Sulpice  et  à 
Saint-Boch.  —  Cela  fait  horreur,  mais  il  n'y  a  point  de  martyre. 
(17  janvier  1791.) 323 

DXXV.   MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.    La    Prin- 

cesse  a  combattu  le  projet  de  madame  de  Bombelles  de  rentrer  en 

France  pour  se  rendre  auprès  d'elle.  —  Madame  de  Bombelles  s'est 

méprise  sur  ses  intentions.  —  Beproches  affectueux.  —  Explication. 

•  —Elle  n'a  jamais  songe  a  lui  ôter  sa  place,  (l*"^ .février  1791.)     324 

DXXVI.     MADAME     ELISABETH     A     MADVME     DE     BOMBELLES.     Elle 

n'ose  écrire,  —  M.  Durnès.  —  On  ne  s'empresse  jws  de  jiourvoir 
aux  places  vacantes.  —  L'Assemblée  trouve  tant  de  charme  à  la 
liberté  qu'elle  la  garde  pour  elle  seule.  —  Départ  des  tantes  pour 
Rome.  —  Il  lui  faut  changer  de  confesseur.  —  L  Assemblée  a  interdit 
la  prédication  aux  prêtres  non  assermentés.  —  Plus  de  prédicateur. 

—  Réflexions  pieuses.  —  Que  décidera  M.  de  Bombelles  au  sujet  de 
*a  retraite?  (7  février  1791.) 325 

DXXVII.  MADAME  ELISABETH  A  MADAME  DE  BOMBELLES.  Arres- 
tation de  Mesdames  à  Arnay-le-Duc.  —  L'Assemblée  voudrait 
qu'elles  pussent  continuer  leur  voyage.  Les  chefs  de»  Jacobins 
sont  d'un  avis  opposé.  —  Manifestation  populaire.  —  Bonne  conte- 
nance de  la  garue  et  ferme  attitude  du  Roi.  —  Sentiments  patrio- 


TABLE   ANALYTIQUE.  493 

tiques  de  la  Princes^^e.  —  Sc>«  craintes  au  sujet  de  la  santé  de  M.  de 
Bouil)ellcs. —  Situation  désespérée  de  Saint-Cvr  que  Tun  dépossède. 

—  Le  cunfeMseur  de  la  Princesse,  Talihé  Madier,  part  pour  Rome. 

—  Les  gens  de  bonne  volonté  pour  le  lloi  ont  trouve  moyen  de 
déplaire  ù  la  garde.  —  On  a  voulu  détruire  Vincennes.  —  Tout  est 
rentré  dans  le  calme.  (28  février  1791.) 328 

si'R  l'état  de  la  maison   dk  SAIST-CVn 330 

VOYAGE    DE    MESDAMES 331 

DXXVIII.    MADAME     ELISABETH    A     MADAME     DE     BOMBELLES.     Elle 

est  heureuse  d'avoir  pu  être  utile,  par  l'entremise  du  Comte  d'Ar- 
tois, pour  faire  obtenir  à  son  mari  une  pension  de  la  Reine  de  Naples. 

—  Elle  aurait  désiré  que  cette  pension  fût  plus  forte.  —  Qu'on  est 
malheureux  de  vivre  dans  ce  moment-ci!  —  Mesdames  sont  arrivées 
à  Turin.  —  Motifs  allégués  par  la  municipalité  d'Arnay-lc-Duc  pour 
justiHer  leur  arrestation.  —  Pourquoi  la  Princesse  n'est  point  partie 
avec  elles.  —  Elle  va  faire  connaissance  avec  son  nouveau  directeur 
et  en  a  la  colique.  —  Le  Roi  a  été  malade.  (13  mars  1791.).     332 

DXXIX.    MADAME     ÉLISADETII    A    MADAME     DE     BOMBELLES.    Elle    se 

félicite  du  départ  de   Mesdames,  qui  a  décidé  celui  de  son  frère. 

—  Te  Deuin  à  Notre-Dame,  pour  le  rétablissement  du  Roi.  — 
C'est  un  curé  assermeiTté  qui  ofHciera.  —  Ses  inquiétudes  pour 
M.  de  Rombelles.  —  Sa  conHance  en  la  Providence.  —  L'évèque 
de  Lydda  et  l'archevêque  de  Sens.  —  Elle  est  enchantée  de  son 
nouveau  confesseur.  (20  mars  1791.) 336 

DXXX.     MADAME     ELISABETH     A     .MADAME     DE     BOMBELLES.     L'As- 

semblée  a  décidé  que  le  Roi  ne  j>ourrait  ni  sortir  du  Royaume  ni 
s'éloigner  d'elle  à  plus  de  quinze  lieues.  —  M.  de  Bombelles  rem- 
placé par  le  comte  Louis  de  Bouille.  (28  mirs  1791.) 339 

DXXXI.   MADAME    ELISABETH   A  .MADAME    DE    BOMBELLES.  RéflexioUS 

sur  la  situation  de  M.  de  Bombelles.  —  Mort  de  Mirabeau.  —  Son 
arrivée  dans  l'autre  inonde  a  dû  être  bien  cruelle.  —  Les  curés 
intrus  viennent  d'être  installés.  —  On  va  s'occuper  des  prochaines 
élections.  —  Méfiance  de  la  Princesse.  (3  avril  J791.).   .   .   .     3V0 

DXXXII.     L'EMPËnElR     LÉOPOLD    A    SA     SCHUn     MARIE -CHBISTIXE.    

Il  a  trouvé  terriblement  à  faire  à  Milan.  —  iSe  croire  que  la 
moitié  seulement  de  ce  que  lui  dira  le  Comte  d'Artois.  (Milan, 
7  avril  [1791.]) 342 

DXXXïlI.  LETTRE  DU  i:OMTE  d'aRTOIS  AIT  ROI  DE  SFÈDE,  CI'STAVE  Ilf. 

—  11  s'est  adressé  à  la  Porte  pour  en  obtenir  un  secours  de  quelques 
millions,  et  demande  au  Roi  d'autoriser  le  Baron  de  Brentano  à 
suivre  celte  négociation.  (Parme,  8  avril  1791.) 343 

DXXXIV.  —  l'empereur  léopold  a  sa  soeur  marie-christike.  —  Il 
.«e  flatte  qu'elle  aura  trouvé  de  l'amélioration  dans  la  situation  des 
Pays-Bas.  —  Il  accordera  toutes  les  promotions  et  grâces  qu'elle;  lui 
proposera.  —  Le  comte  d'Artois  a  promis  de  se  tenir  tranquille.  — 
Espérances  de  paix.  (Milan,  19  avril  1791.) 345 

DXXXV.  —  madame  Elisabeth  a  madame  de  bombellbs.  —  Elle 
ne  sait  pas  au  juste  ce  qui  s'est  passe  quand  le  Roi  a  voulu  |>artir 
pour  Saint- Cloud  et  en  a  été  em|>cché  par  les  factieux.  —  On  veut 


494  TABLE    ANALYTIQUE. 

bien  encore  lui  permettre  «d'aller  à  l'office.  —  Elle  a  eu  à  se  louer 
de  la  Reine  de  INaples.  (21  avril  1791.) 346 

SCn    LA    VIOLENCE    FAITK    AU    ROI 347 

DXXXVI.    MADAME     ELISABETH     A     MADAME      DE      BOMBKLLES.      La 

Fayette  a  repris  le  commandemeut  de  la  garde.  —  Joie  de  ce  qut; 
M.  de  Bombelles  a  la  pension  de  Naples.  —  Raisons  pour  ne  \ya^ 
écrire  à  la  Reine  de  Naples.  (25  avril  1791.) 347 

DXXXVI f.    LOriS    XVI    a    madame    JULES    de    POLICXAC,   a    VR7(ISE.   — 

Affectueux  souvenir.  —  Imbécillité  des  amis,  perversité  des  enne- 
mis. —  La  Reine  toujours  en  butte  aux  injustices  et  aux  outrages  de 
tous  les  côtés.  (12  mai  1791.) ; 349 

DXXXVIII. LE  ROI  DE  SUÈDE,  GUSTAVE  III,  AU  BARON  DE   BRETEUIL. 

Sentiments  que  lui  a  toujours  inspirés  le  sort  de  la  famille  royale 
de  France.  —  Le  rétablissement  ae  la  paix  lui  permet  de  songer  à 
porter  secours  au  petit-Hls  de  Louis  XV.  —  Il  charge  le  comte  de 
Barck.  de  s'entendre  avec  M.  de  Breteuil. —  Offre  d'une  intervention 
armée.  —  Coopération  éventuelle  de  la  Russie.  —  Conditions  qu'il 
met  à  l'envoi  ues  troupes.  —  Demande  de  subsides.  —  L'Espague 
fournira  l'argent  nécessaire.  —  Son  prochain  départ  pour  Aix-la- 
Chapelle,  où  il  sera  à  portée  des  événement;}.  —  Le  Roi  de  France 
doit  s'abstenir  d'entrer  en  négociation  avec  ses  sujets,  mais  recou- 
vrer la  plénitude  de  son  ancienne  autorité.  (Haga,  17  mni 
1791.).  . 351 

DXXXIX.  —  l'empeketr  léopold  a  sa  soeur  marie -christiiie.  — 
Arrivée  subite  du  Comte  d'Artois  venant  solliciter  des  troupes  pour 
marcher  immédiatement  sur  la  France.  —  L*Empereur  se  montre- 
rait satisfait  de  la  tournure  des  affaires  du  Brabant  et  les  croirait 
en  bonne  voie  si  celles  de  France  s'aplanissaient.  (Mantoue,  18  mai 
1791.) 357 

DXL.  MADAME    ÉLISABETU  A   MADAME   DE    BOMBELLES.   Elle  rcmercie 

M.  de  Bombelles  dace  qu'il  a  fait  pour  servir  les  intérêts  que  dirige 
le  Comte  d'Artois.  Il  n  a  pas  été  agréé,  mais  son  dévouement  sera 
apprécié  plus  tard.  —  Paris  est  tranquille,  mais  il  v  a  manque 
absolu  d'argent.  (20  mai  1791.) '.    .   .     359 

DXLI.  —  LETTRE  DU  ROI  GUSTAVE  iii  AU  COMTE  d'artois.  —  Pro- 
testations de  dévouement  à  la  Couronne  de  France,  la  plus  ancienne 
alliée  d(;  la  Suède.  —  Prudence  à  mettre  dans  les  démarches  eiivei  s 
la  Franre,  pour  ne  pas  commettre  Louis  XVI  et  sa  famille.  (Haga, 
20  mai  1791.) 360 

DXLII.    MADAME      ÉLISABE1U     A     MADAME     DE     BOMBELLES.    L'émi- 

gration  de  ses  aniis  a  été  si  considérable,  qu'elle  est  effrayée  du 
nombre  de  lettres  qu'elle  en  a  reçues  et  des  réponses  qu'elle  a  à 
faire.  —  Livre  de  Burke  sur  la  Révolution  française.  —  On  a  voulu 
dire  des  messes  aux  Théatins.  L'autel  a  été  renversé,  et  La  Fayette 
et  B;iilly  ont  dû  intervenir.  (4  juin  1791.). 363 

MOTE    SUR    £DMO?(D    BURKE 364 

DXLI  II.    LE    BARON    DE    BRETEUIL    AU    ROI    DE    SUEDE.  Il    COUvicut 

que  Gustave  III  ajourne  ses  projet*  d'intervention.  — Tonte  dé> 
marche  prématurée  comjiromettrait  la  sûreté  du  Roi  de  France.  — 
Les  conditions  posées  par  la  Suède  sont  d'ailleurs  acceptées.  —  On 


TABLE   A>'ALYTIOUE.  495 

né{jocicrn  av(;c  rEs|Ki{jne  pour  en  obtenir  un  secours  (Vcirgcnt,  inai.^ 
on  ne  saurait  compter  siw  un  prompt  résultat  de  ces  démarcbci.  — 
Il  met  le  Roi  de  Suède  en  {jardc  contre  rindincrétion  des  Françai;» 
de  Spa.  —  LouiiK  XVI  n'a  jamais  sonjjé  sérieusement  h  tran«4i(;er 
avec  SCS  sujets  sur  aucune  de  ses  pi*érogatives  royales.  (Soleure, 
9  jiiin  1791.) 365 

DXLÏV.     MADAME     ÉMSAIIKTfl     A     MADVME     DK      BOMBKLLKS.     EIlc 

aurait  mille  choses  h  lui  dire,  si  elle  la  voyait.  —  Salmif^ondis  fait 
par  l'Asscmldée.  —  Les  brefs  du  Pape  n'auront  de  valeur  qu'après 
approbation  du  Roi  et  de  l'Assemblée.  —  On  arrive  au  schisme 
le  plus  parfait.  —  Nous  aurons  bientôt  un  iKitriarche.  (4  juin 
1791.) 371 

DXLV.    MADAME     ELISABETH    A     MADAME     DE     BOM BELLES.    Elle     Se 

porte  bien.  —  En  conscience,  c'est  tout  ce  que  l'on  peut  dire. 
—  Cependant  les  esprits  paraissent  se  calmer.  (5  juillet  1791.)     372 

DXLVI.    l'eMPERECR    LÉOPOLD    a    sa    soeur    M\niE-CIiniST175E,    ET    Al* 

Dcn  DE  8axe-tesciie:«.  —  Son  plan  de  conduite  avant  <le  connaître 
la  fuite  de  Louis  XVI.  —  La  nouvelle  de  l'arrestation  du  Roi  à 
Varenncs,  de  sa  délivrance,  de  son  «'jour  à  Metz,  de  l'arrivée  de 
la  Reine  aux  Pays-Ras,  modiHc  ses  )>remièrcs  résolutions.  —  Il  est 
déterminé  a  prêter  au  Roi  un  éner{;ique  appui.  —  Dans  l'illusion 
où  il  est  de  la  liberté  de  Louis  XVI,  il  a  donné  des  ordres  pour 
mettre  à  sa  dis|>osition  tous  les  secours  qu'il  pourra  désirer  en 
hommes  et  en  arf;enC.  —  La  seide  condition  qu'il  exige  est  que  ses 
troupes  a(;iront  sé|Kirémcnt  et  ne  seront  jamais  commandées  par 
aucun  oflicier  français.  —  Ses  démarches  auprès  des  autres  Puis- 
sances limitrophes  de  la  France.  (Padoue,  5  juillet  1791.).   .     373 

DXLVII.  —  l'empereur  lkopold  au  comte  de  merct.  (^Lettre  jointe 
il  Li  précédente).  —  Mêmes  instructions  qu'à  sa  s«Kiir  Marie-Chris- 
tine et  au  Duc  de  Saxe-Teschen.  —  11  le  charge  <le  se  mettre  aux 
ordres  du  Roi  et  de  la  Reine,  qu'il  croie  libres.  (Padoue,  5  juillet 
1791.) 376 

DXLVI  II.  —  mémoire  lc  par   le  roi   oustave    m   de    stède,  a   la 

COMFÉRKXCE  TEMrE  A  AIX-LA-COAPELLE ,  DANS  SA  CHAMBRE,  E?fTRE  SA 
MAJESTÉ,     MONSIEUR,     LE    COMTE     d'aRTOIS     ET    L'Évï^Qt^E    d'aRRAS.    

Quand  sera-t-il  à  propos  que  Monsieur  prenne  le  titre  de  Régent  de 
France,  à. raison  de  la  captivité  du  Roi?  - —  Conduite  à  tenir  par  la 
coalition  à  l'égard  de  la  France.  (Aix-la-ChapeUe,  5  juillet 
1791.) 379 

DXLIX.  — l'empereur  léopold  a  sa  soeur  marie-christine.  —  Les 
nouvelles  annonçant  la  délivrance  du  Roi  et  de  la  Reine  ne  se  sont 
point  confirmées.  —  Il  a  écrit  à  tous  les  Souverains  d'Europe  pour 
s'entendre  avec  eux  sur  les  movens  de  sauver  la  Famille  royale  de 
France.  —  Il  est  essentiel  d'empêcher  le  Comte  d'Artois  de  faire 
des  coups  de  tête.  —  Il  espère  prévenir  les  excès  auxquels  on  pour- 
rait se  porter  contre  le  Roi  ;  autrement  il  les  vengera  d'une  manière 
exemplaire.  —  Ses  instructions  quant  aux  affaires  des  Pavs-Ras. 
(6  juillet,  Padoue,  1791.) \     385 

DL,  —  PIÈCE  jointe  a  l\  lettre  précédente.  —  PROJET  de  lettre 

CIRCULAIRE  DE  l'eMPEREUR  d'aLLEMACNE  LÉOPOLD  II,  AUX  ROIS  d'eS- 
PACNE,   d'aNGLETKRRE,   DE    PRUSSE,  DE    NAPI.RS     ET     DE     SARDAIGKE,    DE 


496  TABLE    ANALYTIQUE. 

MÊME  ou'a  l'impkratrice  I)E  iiussiE.  —  L'Eiiipcrenr  cx|K)sc  les  sen- 
timents que  lui  a  fait  éprouver  rarrcstation  de  Louis  XVI.  —  Il 
invite  l(?s  Souveraiu.<«  à  s'(?nteudre  pour  mettre  un  terme  aux  excès 
de  la  Révoluti«)n  française.  —  Il  propose  d'adrei«ser  à  l'Assemlilcc 
Nationale  une  Déclaration  commune,  qui  produise  une  impression 
salutaire  sur  l'esprit  des  chefs  du  parti  exalté.  —  Cette  démarche 
serait  appuyée,  au  besoin,  par  dnn  mesures  de  vi{«ueur  qu'il  se 
réserve  d  indiquer  ultérieurement.  (Padoue,  6  juillet  1791.).     388 

DLL  —  LK  HOi  A  i/\ssEMDLKE  XATiONAf.K.  —  Il  se  défend  éiiergi- 
quement  d'avoir  fait  agir  sur  les  soldats  pour  les  engager  à  déserter 
;i  l'étranger.  —  Son  intention,  en  quittant  Paris,  avait  été  de  se 
rendre  à  Moulmédy.  (7  juillet  171)1.) 390 

DLIl.  MÉMOIRE    ADRESSÉ  A    i/iMPÉRATRICK    DE    RUSSIE    PAR    I.E    ROI    DE 

si'ÈDK.  —  Droits  du  Comte  de  l*i*ovence  à  se  proclamer  Régent 
pendant  la  captivité  de  Louis  XVI.  —  Plan  d'invasion  de  la  France. 

—  Demande  de  subsides  pour  lui-même,  sauf  à  se  rembourser  plus 
tard  sur  le  pays.  (Aix-la-Cliapelle,  9  juillet  1791.) 391 

DLIII.    MADAME     ÉMSARETU     A    MADAME    DE     BOMRELLE8.    Elle    es( 

sensible  aux  marques  d'amitié,  surtout  en  ce  moment.  —  Le  Roi 
et  la  Reine  sont  gardés  à  vue.  —  La  loi  sur  l'émigration  est  très- 
sévère. 

Dans  la  seconde  partie,  écrite  en  encre  svmpatbique,  elle  dit 
qu'il  faut  s'abandonner  entre  les  mains  de  Dieu  et  qu'»>n  va  engager 
le  (>omte  d'Artois  à  en  faire  autant.  — C;î  qu'a  été  le  voyage  d»* 
Varennes  à  Paris  avec  Barnavc  et  Pétliion.  (10  juillet  1791.).     402 

DLIV.    L\     REINE     DE     SARDAIGNE,    SOEl^R     DE    MADAME     ÉUSABETII,    A 

MADAME  DE  OOMOELLES.  —  V' ivcs  tendresscs  et  protestations  d'amitié. 

—  Elle  lui  donne  des  nouvelles  de  Madame  Elisabeth.  —  Cette 
Princesse  aurait  pu  quitter  la  France  eu  prenant  une  autre  route; 
mais  elle  s'est  sacriHée  à  ses  devoirs.  —  Madame  de  Coctiogon. 
(Monicallier,  13  juillet  1791.) 405 

DLV.   I.E    COMTE    DE    PROVENCE     AU     ROI     DE     SITÈDE.    Soil    espoir 

dans  les  négociations  suivies  par  Gustave  III.  —  Entrevue  avec 
M.  de  Rouillé  :  l'accord  n'a  pas  été  complet.  —  La  Reine  a  donné 
de  ses  nouvelles,  mais  sans  détails.  (Schonburniust,  16  juillet 
1791.) 407 

•DLVÏ.   MÉMOIRE    ENVOYÉ     PAR     LE    ROI    DE    SUEDE    AU    ROI    d'eSPACNE, 

SUR  LES  AFFAIRES  DE  FRANCE.  ( Aix-la-Chapelle,  16  juillet  1791 .)     409 

DLVIÏ.   —    MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DE    BOMBELLES.   On   a  tiré 

sur  le  peuple  par  ordre  de  l'Assemblée.  Depuis  ce  moment,  on 
jouit  du  calme,  par  la  déroute  de  l'armée  aes  sans-culottes.  — 
Nouvelles  qui  courent  d'une  intervention  étrangère  pour  empêcher 
l'établissement  de  la  Constitution. 

La  Princesse  finit  sa  lettre  en  encre  sympathique.  Elle  pense 
qu'il  faut  qu'on  aècorde  une  confiance  absolue  au  Comte  d'Artois. 
—  Danger  de  prétendre  arriver  par  des  chemins  différents  et  une 
politique  diverse  à  un  même  but.  —  Elle  espère  dans  les  Puissances 
étrangères,  à  qui  les  événements  récents  ont  di\  donner  une 
secousse.  —  Elle  redoute  l'Angleterre  et  la  Pru.sse.  —  E«poir  que 
les  officiers  qui  ont  accompagné  le  Roi  et  sa  Famille  à  Varennrs 
seront  sauvés.  (23  juillet  1791.) 414 


TABLE   ANALYTIQUE.  497 

DLVIII.     MADAME     ELISABETH     A     MADAMR     DE     B0MBELLE8.     Elle 

reproche  à  madame  de  fiombelles  de  lui  avoir  caché  son  indis- 
position. —  Détails  intimes  sur  la  sauté  de  la  Princesse.  —  La 
Charte  avance,  mais  ne  pourra  être  présentée  au  Roi  avant  quinze 
jours. 

La  Princesse  ajoute  en  encre  sympathique  qu'elle  craint  que  si  le 
Roi  accepte  la  Constitution  il  ne  gène  par  là  1  action  de  rEmperenr 
ot  des  autres  Puissances.  —  Elle  se  mène  de  la  faiblesse  du  Roi  :  il 
nV  a  d'espoir  qu'en  Dion.  —  Demande  de  conseils  à  l'Empereur. 

—  Manière  dont  le  Roi  et  la  Reine  supportent  leur  captivité. 
(28  juillet  1791.) 417 

DLIX.    MADAME    ELISABETH    A    MADAME    DR    BOMBELLES.    Le    Roi    a 

rté  ramené  de  Vnrcnnes.  —  Nouvelles  rassurantes  de  la  santé  de 
chacun.  ^29  juillet  1791.) 420 

DLX.    l'empereur    LÉoPOLU    II    a    sa     SOEVR    MARIE-CHRISTINE.    Il 

la  remercie  des  dét.iils  qu'elle  lui  a  donnés  sur  les  affaires  de  France 
et  des  Pays-Bas.  —  Tout  le  Brabant  et  le  Hainaut  s'acheminent  au 
bien. —  Surveiller  les  Français  sans  aveu,  qui  abondent  dans  les 
Etats  Bel{{iqucs.  —  Tenir  la  main  à  la  discipline  dans  les  troupes. 

—  ïnsiruclions-  envoyées  par  Kaunitz  au  Comte  de  Mercy,  sur  les 
affaires  de  France.  —  Il  fait  sa  paix  avec  les  Turcs  et  s'entend 
avec!  les  grandes  Puissances.  —  Ne  rien  faire  de  ce  que  les  Princes 
français  et  les  émigrés  demanderont.  —  Fersen.  —  Le  Roi  de  Suède. 

—  Son  fils  l'Arihiduc  Charles.  (30  juillet  1791.) 421 

DLXî.   l'empereur    LÉOPOLD    a    sa    soeur    MARIE-CUniSTlIfE.    [PADOUE, 

Fix  JUILLET  1791.]  —  Nouvelles  diverses.  —  L'Empereur  passe 
toutes  ses  journées  avec  le  Comte  d'Artois  et  le  Duc  de  Parme, 
ce  (pii  est  peu  gai.  (Reçue;  le  2  août  1791.) 424 

DLXII.   LA    REINE    A   MADAME    DE    LAMRALLR.  Elle  a  pU    Voir  M.    de 

Katz,  malgré  la  difficulté  de  faire  approcher  de  soi  les  émissaires 
dévoués.  —  Le  moment  est  affreux,  à  cause  de  la  faiblesse  des 
honnêtes  gens  et  de  la  perversité  des  ennemis.  (Paris,  3  août 
1791.) 425 

NOTE    SUR    LK    ll\RO>'    DK    HATZ 425 

DLXII I.  —  l'empereur  léopold  a  sa  soeur  marie-christike.  —  Il 
t louve  indiscrètes  les  demandes  de  secours  que  lui  adressent  les 
Princes.  —  D'accord  avec  quelques  PItats  du  continent,  ils  vou- 
draient le  mettre  en  avant,  mtiis  il  n'entend  point  agir  et  payer 
pour  tous.  —  Il  compte  plutôt  sur  la  désunion  des  partis  en  France. 

—  Nouvelles  du  Prince  Charles,  son  fils.  (4  août  1791.).   .   .     427 

NOTE  SUR  LE  RETABLISSEMENT  DU  SONCE  ET  DU  CORPS  DIPLOMATIQUE  EN 
BELOIQUE 428 

DLXIV.   MADAME    ÉLISARETU    A    MADAME    DE    ROMHKLLES.   Ou  débite 

mille  folles  nouvelles  :  toute  l'Europe  doit  tomber  sur  nous.  —  La 
Trance  acquerra  de  la  gloire,  et  voilà  tout.  —  En  attendant,  les 
prêtres  sont  horriblement  persécutés.  (5  août  1791.) 429 

DLXV.    l'empereur    léopold    a    sa    soeur    MAniE-CURl.STINE.    —    Le 

Comte  de  Fersen  est  arrivé.  —  Eloge  qu'en  fait  l'Empereur.  —  Exi- 
gences des  Princes.  —  Abandon  îles  Puissances.  —  On  veut  qu'il 
soit  seul  à  se  sacrifier.  (6  août  1791.) 430 

lOME  m.  32 


49S  TABLE  ANALYTIQUE. 

DLXVI.  LK   COMTE    DE    FBRSElf    AU    «01    DE    8€ÈOB. Il  A   YO  M.  de 

Galonné  arrivant  d'Angleterre.  —  L'entourage  des  Princes  est  tin 
foyer  d'intrigues  abominables.  —  Il  faudra  plutôt  agir  pour  eux 
que  par  eux.  —  L'Empereur  ne  prendra  aucun  parti  avant  d'avoir 
reçu  les  réponses  qu'il  attend  d'Espagne,  d'Angleterre  et  de  Pctcrs- 
bourg.  —  11  est  important  de  s'occuper  de  l'Impératrice  de  Rus^e. 
(Vienne,  6  aoôt  1791.) *3I 

DLXVTI.    LE     MARQUIS    DE    BOUILLE    AU    ROI    DE    SCÈOE.    L'Em- 

pereur  a  proposé  au  Roi  de  Prusse  de  publier  un  manifeste  exi- 
geant le  rétablissement  de  l'autorité  royale  en  France.  —  Le  Roi 
de  IVusse  veut  que  ce  manifeste  soit  appuyé  par  la  présence  de 
troupes.  —  On  attend  le  consentement  de  l'Angleterre.  —  Il  est 
indispensable  d'arrêter  un  plan  d'opérations  commun  k  toutes  les 
Puissances  confédérées.  —  M.  de  Bouille  doute  que  le  concours 
armé  de  la  Suède  et  de  In  Russie  soit  sérieusement  désiré  à  Vienne 
et  à  Berlin.  —  Il  a  fait  agir  à  Madrid  pour  convaincre  l'Espagne  de 
la  nécessité  d'employer  les  troupes  suédoises  et  pour  obtenir  des 
subsides  de  cette  Puissance.  —  L  Angleterre  montre  de  mauvaises 
dispositions.  —  Les  diverses  Puissances  sont  loin  d'être  d'accord,  et 
il  a  peu  de  confiance  dans  le  résultat  des  négociations.  (Aschaffen- 
bourg,  11  août  1791.) W3 

NOTE    SUR    LE    MARQUIS   DB    BOUILLE 43t1 

DLXVIII. LE    COMTE   DE    FERSEN    AU    ROI    DE    SUEDE. L'EmperCUr 

ne  prendra  un  parti  qu'après  avoir  vu  le  Roi  de  Prusse  h.  Toeplitz. 

—  M.  de  Biscnoffswerder.  —  Le  baron  de  Nolcken.  (Vienne, 
17  août  1791.) ; 438 

NOTE  SUR  LE  BAR03I  DE  BISCII0FF8WBRDER  ET  SUR  LE  ROI  FRÉDÉBH:- 
GUILLAVME    II 4^9 

DLXIX.  —  l'empereur  léopold  au  roi  de  suède.  —  Il  |Mirtage  le* 
sentiments  qu'inspire  à  Gustave  III  la  situation  de  la  famille  royale 
de  France.  —  Il  s'est  concerté  avec  l'Angleterre  et  avec  la  Prusse* 
pour  amener  une  entente  entre  les  Puissances.  —  Il  fera  connaître 
incessamment  au  Roi  de  Suède  le  résultat  de  ses  démarches. 
(Vienne,  19  août  1791.) 4*1 

DLXX.    MADAME    ELISABETH    A    MADAME   DE    BOMBELLES,    SOUS    LE    XOM 

DE     MADAME     8CUWARZE:(G4LD  ,    A    SAIXT-CALL,    EX     SDISSE,    A    ROSOUAIL. 

—  Captivité  du  Roi  aux  Tuileries.  —  Frayeur  panique  des  gardes 
nationales.  —  Création  d*une  nouvelle  garde.  —  Renonciation  du 
duc  d'Orléans  à  ses  droits  au  trône.  (25  août  1791.) 443 

DLXXI.  —  LE  COMTE  d'artois  AU  ROI  DE  SUEDE.  —  Il  luî  aunoucc 
l'envoi  du  Baron  d'Escars,  cbnrgo  de  traiter  avec  lui  au  nom  de 
Louis  XVI  et  des  Princes.  (Dresde,  29  août  1791.) 445 

.notes    sur    la  situation  DKS  affaires  PUBLIQUES  A  CETTE  EPOQUE.       4%6 


SUPPLEMENT. 

I. l'impératrice  MARIE-TUÉRÈSE  a  l'aRCUIDUCUESSE  MARIE-CHRISTINE. 

—  Sages  conseils  à  sa  fille ,  au  moment  de  son  mariage  avec  le  duc 
de  Sa\e-Tesrhen.  —  L'Impératrice  loi  trace  la  conduite  à  tenir,  et 


TABLE   ANALYTIQUE.  499 

cuinine  femme  dam  toutes  les  circonstances  de  la  vie  pour  conserver 
l'affection  de  son  mari,  et  comme  gouvernante  des  Pays-Ras.  (Avril 
1776.), 447 

II.    MARIE-THÉRÈSE    A    MARIE-CURISTIXK ,    SA    FILLE.    Conduite    à 

suivre  en  public.  —  Il  ne  serait  point  convenable  que  sa  fille  se 
tint  complètement  en  dehors  des  affaires.  —  Elle  doit  écouter,  voir, 
consoler  tout  le  monde,  mais  ne  jamais  rien  décider  et  se  borner 
à  promettre^  d'informer  son  mari  et  l'Impératrice.  —  Nouvelles 
de  famille.  Epancliements  de  cœur.  —  Ses  tendresses  |>our  Marie- 
Christine.  (18  avril  1767.) 454 

III.    ÉTAT    DES    SOMMES    QI'E    Ll    REI?(E    VEUT    ET    ORDO:(?(E  ETRE    UIS- 

TRIBrÉES    DASS    SA    MAISON,    UA!I8    l'aKXÉE    1784 457 

IV.     VOYAGE     nu     DCC     ET     DE     LA     UrCHESSE    DE     SAXE-TESCUEN     E!f 

FRANCE.  —  Note  des  présents  faits  par  ces  princes  à  leur  voyage  en 
ï'rance 460 

V.    DÉCISION     Dr     ROI     (JONCERXANT    L'ÉTABLISSEMENT    DI!     LOCAL     DE» 

SKANCES      DE      l'aSSEMBLÉE     NATIONALE      AU       MANÉGE     DES      TUILERIES. 

(J8  octobre  1789.) 46T 

VI.    LETTRE    DU    COMTE    DK    PROVESCE    AU    MARQUIS    DE    FAVRAS.       472 

EXAMKN    CRITIQUE   DE    l'aUTHENTICITÉ    DE    CETIE    LETTRE.    .    .       471-477 


FIN    DE    LA   TABLE    AN\LY  TIQUE. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIOINS. 


(I*ap,c  XXVI  de  la  Préface.)  SiinoiiiclcM  ne  s'était  pas  borné  ù  scspasi- 
(ichcs,  il  avait,  comme  Ireland,  fabriqué  des  manuscrits  de  ses  textes. 
Kien  que  démasqué  depuis  longtemps,  il  s%;st  glissé  à  Londres,  et, 
Tannée  dernière,  il  a  fait  imprimer  un  prétendu  texte  grec  d'un  Périple 
iPUannon,  roi  de  Carthage,  nvev /uc-sitnile  du  papyrus,  qui  montre 
clairement  aux  connaisseurs  Timpudence  de  la  fraude.  C'est  également 
lui  que  Ton  soupçonne  d'avoir  inséré  dans  le  texte  grec  du  Traité  de 
Peinture  byuintiue,  imprimé  à  Tlmprimerie  impériale  en  langue  fran- 
çaise, par  MM.  Didron  et  Durand,  des  détails  tendant  à  filtre  cn)ire 
.'i  Texistcnce  de  la  pIiotogra[)1iie  ou  des  tiMups  très-anciens.  Mon  ami 
M.  Rruiiet  de  Presle,  de  Tlnstitut,  a  fait  justice  de  rinter|>olation, 
dans  Tun  des  numéros  du  Moniteur,  au  <!ommcncement  de  cette  année. 

Au  moment  où  M.  Guillaume  Guizot  allait  publier  son  Ménantire , 
qui  lui  a  valu  un  prix  si  honorable  et  si  bien  mérité  à  l'Institut, 
quelqu'un  de  très-aulorisé  s'avisa  de  lui  dire  que  ce  Sinionides  annon- 
çait <piarante-trois  comédies  de  son  auteur,  retrouvées  par  le  Grec 
moderne  au  mont  Athos.  —  A  cette  ouverture,  le  jeune  et  spirituel 
savant  pâlit  à  faire  peur,  dit  la  léjjende.  Une  telle  nouvelle,  si  elle 
eût  été  vraie,  eût  remis  en  question  tout  s(mi  travail  et  l'eût  envoyé 
droit  au  pilon.  Il  se  sentait  en  présence  d'un  tribunal  bien  j»lus 
redoutable  que  l'Ai'adémie  elle-même  :  il  allait  «*tre  jugé  par  Ménandi'e 
ressuscité,  et  il  se  demandait  confusément  ce  que  ses  ccmjectnres 
deviendraient  devant  les  œuvres  du  maître.  Son  inquiétude  dura 
peu,  car  au  bout  de  «pielques  jours,  il  vit  la  nouvelle  passer  du 
rang  des  on  dit  à  celui  des  fables  et  (IfA  mvstilications.  Je  crois  me 
souvenir  que  ce  fut  M.  Hase  qui  rendit  le  verdict.  A  son  premier 
regard,  tout(^s  les  fraudes  de  Simonides  fondirent  comme  neige  au 
soleil.  Les  faux  manuscrits  avaient  été  achetés  à  grand  prix  et  imprimés 
en  grand  secret,  et  la  bévue  une  fois  découverte,  on  s'étudia  à  sup- 


502  ADDITIONS    ET  CORRFXTIONS. 

primer  rédition.  Lord  Ilougbton,  li;  grand  bililiopliile,  possède  un  den 
trè»-rarcs  exemplaires  échappes  ù  la  destruction. 

Il  est  bizarre,  mais  il  est  vrai,  que  ce  même  Simonides  a  été  aux 
prises  avec  le  grand  éditeur  du  Nouveau  Testament,  Constantin  Tischen- 
dorf.  Celui-ci  avait  publié  à  Leipzig,  en  1856,  un  travail  intitulé  : 
Enthikllungen  ûbcr  don  Simonides-Dindorfschen  Uranios,  Simonides 
a  voulu  se  venger  en  contestant  la  valeur  des  découvertes  faites  par 
Tischendorf  dans  le  couvent  du  Sinaï.  Il  a  imprimé,  à  ce  sujet,  je  ne 
sais  quelle  sotte  fable  dans  le  journal  anglais  The  Guardian  du  3  sep- 
tembre 1862.  Ce  qui  n'empêche  pas  le  Codex  Sinaïticus  de  Tischen- 
dorf d*étre  établi  au  premier  rang  de  tous  les  manuscrits  grecs  du 
Nou^'eau  Testament  connus  jusqu'à  ce  jour. 

Mais  que  dire  de  ce  faussaire  éventé  voulant  discréditer  les  manu- 
scrits d'autrui?  N'est-ce  pas  un  épisode  divertissant? 

Page  XLiv  de  la  Préface,  ligne  12  :  Qu'y  a-C-il  là  qui  n'ait  pu  eue 
dicté  ni  par  l'une  ni  par  l'autre,  —  lisez  :  Ou  par  Tune  ou  piir  l'auti-e. 

Page  30.  LETTiiK  DK  Lovis  XVI  A  l'amiral  de  FRANCK.  Ajoutez  eu 
note  :  Lettre  tirée  des  Archives  de  la  marine. 

Page  150.  Ligne  5  de  la  note  :  Instruction  à  en  retirer,  lisez  : 
Instruction  à  en  tirer. 


TABLE    DES    FAC-SIMILK 

CONTENUS  DANS  LE  TOME  III. 


1.  Marie;- Aiitoiiictu»  à  Maii«î-TliérAse,  14  juin  1777  (voir  le  premier 

volume  k  rettc  date),  [m'iace p.      xxviii 

2.  Marie-Aiituinette  à  lu  durhesse  douairière  de  La  Trémouille.  .  .     5 

3.  Marie-Autoiiiette   à   son  hère   l'Flinperenr  Joseph  11,20  uoveiii- 

lu'c  1777  (voir  le  premier  volunii^) 242 

« 

4.  Marie- Antoinette  ù  la  duehesse  Jules  de  Polignar,  31  .loiît  1790 

(voir  le  premier  voIiinH*'; 303 

5.  M  a  lie-Thérèse,  Impératrice  d'Autrirhe,  à  sa  Klle  TArchidnchesitc^ 

Marie-Chrisfine V47 


\i