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Full text of "Louvain ... Reims"

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LOUVAIN...  REIMS 


Nous  publierons  incessamment  sous  le  même  titre, 
an  second  fascicule,  recueil  de  tous  les  documents 
que  nous  avons  pu  rassembler  sur  le  même  sujet  : 
communiqués  officiels  y  récits  de  témoins  oculaires 
parus  dans  divers  journaux,  rapports  d* architectes, 
protestations  d'Europe  et  d'Amérique,  vues  photo- 
graphiques. 

Nous  mettons  ce  fascicule  hors  série  :  comme  il  ne 
contiendra  rien  d^  inédit,  nous  ne  voulons  pas  le  faire 
compter  parmi  nos  cahiers  originaux.  Toutefois 
nous  t offrirons  comme  prime  à  tous  ceux  de  nos 
abonnés  qui  nous  resteront  fidèles  au  /•'  mars 
prochain  y  terme  de  notre  premier  exercice. 


(ÉDITION  DZS  C4HÏER5  V/lUDOlvS 

LOUK4T]Sr... 

REIM^S.. 


à  Laujanne  chez^  C,  Thr/n. 


I9I4 


LA  PLAINTE  DE  RHEIMS 


1 

Elle  était  trop  belle  :  c'est  ce  qui  Fa  perdue. 

Quand  on  n'est  pas  digne  de  Paimer,  la  beauté  est 
ce  qu'on  hait  le  plus. 

Notre-Dame  de  Rheims  était  la  Reine  de  France, 
dans  la  fleur  de  sa  majesté  et  sa  candeur  première. 
Elle  avait  la  grandeur,  le  sourire  et  la  pureté.  Elle 
était  plus  parfaite  qu'une  autre  :  du  moins  le  sem- 
blait-elle :  parce  qu'elle  était  heureuse.  Elle  avait  la 
lumière  délicieuse  de  la  félicité.  Elle  était  une  source 
de  joie,  étant  le  miracle  le  plus  rare  parmi  la  dure 
TÎe  des  hommes  :  la  beauté  qui  mérite  son  bonheur, 
et  qui  a  tout  le  bonheur  mérité. 


—  8  — 


II 


La  royauté  était  en  elle. 

Quand  on  Faimait  plus  tendrement,  on  pensait 
d'elle  :  Votre  Douceur  porte  la  couronne. 

Et  :  Votre  Majesté  est  ceinte  de  bienveillance  sou- 
verainef  quand  on  Fadmirait  avec  plus  de  respect. 

111 

Rheims  était  notre  Parthénon. 

Le  sourire  de  Rheims,  il  fallait  être  de  France 
pour  en  goûter  la  divine  et  ravissante  ivresse.  Le 
sourire  de  Rheims,  il  fallait  être  de  France  pour 
en  entendre  la  musique.  Les  rayons  du  soleil  sur  la 
plaine,  la  tristesse  et  la  joie  des  horizons^  non  moins 
que  la  forêt,  la  mer  et  toutes  les  grandes  orgues  de  la 
terre,  ont  un  chant  que  Foreille  commune  ne  perçoit 
pas.  0  peuple  de  Rheims,  assemblée  des  reines  et  des 
rois,  des  saints,  des  chevaliers,  des  fleurs,  des  herbes 
et  des  jeunes  filles,  votre  sourire  et  votre  suave  gra- 
vité faisaient  une  musique  exquise,  que  toute  âme 
française  a  surprise,  et  dont  elle  s'est  enchantée. 

Les  Barbares  sourds  ont  massacré  le  triple  chœur 
des  porches  et  des  tours.  Ils  ont  bien  fait  voir  qu'ils 
De  sont  pas  de  France  et  n'en  seront  jamais.  A 
mesure  qu'ils  foulent  cette  terre  sacrée,  elle  en  a 
le  frisson  qui  préfère  la  mort  à  la  souillure,  et  les 
rejette.  Car  une  vie  merveilleuse  l'agite,  et  son  fré- 
miasement  fait  cicatrice  à  toutes  set  blessures. 


—  9  - 

IV 

C'était  le  Parthënon  de  l'Occident,  mais  plus 
sible  que  l'autre  et  bien  plus  près  de  nous. 

Que  ces  corps  étaient  donc  pleins  d'âme  !  Ils 
volaient.  Ils  venaient  du  paradis,  ou  ils  y  allaient. 
L'amuur  et  la  douceur  de  France  gonflaient  leurs 
voiles  :  à  les  belles  nefs  de  vie  humaine  !  11  a  fallu  la 
méchanceté  des  démons,  et  leur  affreuse  ignorance, 
pour  les  jeter  sur  un  océan  de  feu  et  les  tremper 
dans  l'incendie.  Mais  l'enfer  n'est  pas  pour  elles  ni 
pour  leurs  larmes. 

Les  six  cents  statues  de  Rheims  étaient  plus  belles 
que  la  Grèce  :  elles  parlaient  à  notre  cœur.  Chartres 
exceptée,  jamais  la  sculpture  n'a  été  aussi  haut.  La 
flore  des  chapiteaux,  adorable  merveille  de  Tamour 
pour  le  sol  natal,  voulait  chanter  la  nature  et  la  terre 
de  France  pour  tous  les  siècles.  Ne  pouvant  voler  la 
France  à  elle-même,  c'est  son  poème  et  son  visage 
que  les  Barbares  ont  défiguré,  et  qu'ils  ont  voulu 
effacer  sous  le  ciel. 

Ils  croient  que  la  puissance  a  la  destruction  pour 
premier  signe.  Et  ils  s'en  font  un  droit.  Les  malheu- 
reux !  Ils  se  flattent  de  régner  sur  tout  l'univers,  et 
ils  n'ont  pas  la  moindre  idée  du  véritable  règne. 

La  puissance  est  toujours  ascétique.  Elle  consiste 
toujours  à  se  vaincre,  même  sur  le  champ  de  bataille, 
même  dans  la  victoire.  Ce  qui  détruit  est  à  jamais 
indigne  de  ce  qui  fut  édifié.  L'œuvre  de  beauté,  il 


-  in  — 

fiol  moarir  pour  elle:  qui  vil  pour  la  détruire  est 
marqué  d'indignité.  Tous  les  canons  de  la  terre  n'y 
dMDferont  rien.  Contre  Notre-Dame,  les  plus  lourds 
obiuners  sont  les  plus  vils  et  les  plus  grossiers.  La 
▼raie  grandeur  tient  en  éternel  mépris  la  brutalité  et 
la  violence.  Qui  fait  la  guerre  aux  œuvres  immor- 
telles de  l'esprit  sera  toujours  vaincu,  et  vaincu  par 
sa  propre  barbarie.  La  vraie  force  n'en  doute  pas. 
S'agit-il  des  requins,  des  gorilles  ou  des  hommes? 
La  force  n'est  pas  de  Thomme,  tant  qu'il  y  a  de  la 
brutalité  dans  la  force  :  parce  que  dans  la  brutalité,  la 
brute  est  toujours  là. 


Les  Allemands  nient  tout  ce  qui  les  gène.  Brutalité 
de  IVsprit,  et  non  moins  brute  que  l'autre. 

Ils  croient  qu'un  seul  de  leurs  soldats  vaut  mieux 
que  toutes  les  cathédrales.  Qui  nous  empêche  de 
répondre  :  «  Un  seul  des  nôtres  est  plus  précieux 
que  tous  vos  soldats.  Et  pourtant,  c'est  à  Notre- 
Dame  que  nous  immolons  nos  soldats  et  qu'ils 
s'immolent.  » 

Comme  si  ce  n'était  pas  pour  Rheims  et  Notre- 
Dame  que  ces  pauvres  enfants  acceptent  de  mourir  ! 

Nous  ne  combattons  pas  pour  un  sol  nu,  mais 
pour  un  sol  sanctifié. 

Et  même  si  nous  pouvons  mourir  pour  notre  terre, 
UNlIe  nue  dans  le  suaire  d'attentats  que  vous  lui  avez 
tîai^,  c'est  parce  qu'elle  est  cent  et  cent  fois  sancti- 


—  11  — 

fiée  par  tout  Tamour,  toute  la  douleur,  toute  la  peine 
et  toute  la  beauté  que  lui  ont  données  cent  généra- 
tions d'hommes  qui  furent  nos  pères.  La  niatie^re 
vous  étouffe,  à  Allemands  ! 


VI 


Il  y  a  deux  mille  ans  que  les  Allemands  aspirent  à 
faire  partie  de  TOccident.  Il  y  en  a  cinquante  qu'ils 
prétendent  y  régner  en  maîtres.  Ils  n'en  ont  jamais  été 
jugés  dignes.  Ils  peuvent  brûler  la  maison  et  la  ruiner 
de  fond  en  comble  :  ils  n'en  passeront  pas  le  seuil.  Ils 
viennent  de  s'en  exclure  pour  des  siècles. 

Rheims  était  le  lieu  saint  de  FOccident.  Notre 
cathédrale  n'est  pas  seulement  de  meulières  et  de 
moellons.  Notre  maison  est  en  esprit. 

11  ne  fallait  pas  chercher  à  tuer  Notre-Dame.  Alle- 
mands, vous  deviez  garder  vos  obus  pour  vos  pro- 
fesseurs, vos  gares,  vos  brasseries  et  vos  doctrines. 

Rheims,  les  bras  levés,  brûlés  jusqu'aux  épaules, 
vous  barre  la  route.  C'est  à  Rheims  que  la  France 
avait  mis  sa  plus  pure  majesté,  sur  un  socle  de 
prières,  de  beauté  et  de  libre  génie.  A  présent  que 
vous  l'avez  outragée,  cette  majesté  est  invincible. 

Les  Barbares  n'ont  ni  respect  ni  considération 
d'une  beauté  qui  leur  est  étrangère.  Ils  l'ignorent, 
puisqu'ils  la  détruisent.  Ils  ne  sauraient  entrer  dans 
ce  divin  domaine  :  et  c'est  sa  vengeance,  à  elle,  la 
très  noble  et  la  très  belle. 


—  12  — 


VIII 


La  haine  éteint  toute  conscience  dans  ceux  qui 
hâlttent  ;  et  rien  ne  demeure  en  eux  que  l'affreux 
bonheor  de  nuire.  Les  armées  de  l'Allemagne  sont 
Im  armées  de  la  haine.  Le  crime  de  Rheims  est  un 
crime  de  la  haine.  I/Allemagne  est  l'empire  de  la 
haine.  L'esprit  du  mal  les  possède  et  ils  ne  savent 
plus  que  haïr. 

La  science  sans  cœur,  Torgueil  malade  qui  se 
nourrit  de  mépriser  les  autres,  la  menace  perpétuelle 
du  poing  et  du  fer,  routrecuidante  certitude  d'avoir 
toujours  raison,  l'aveuglement  sur  soi-même,  la  justi- 
fication de  toutes  les  violences  par  l'intérêt  des  vio- 
lents, voilà  les  obus  de  Rheims,  voilà  ce  qui  est  du 
démon  comme  le  peuple  appelle  tout  ce  qui  vient  de 
la  haine.  On  ne  conquiert  pas  ce  que  l'on  tue.  On  ne 
gagne  pas  le  cœur  qu'on  assassine.  Encore  moins, 
quand  on  manque  son  coup,  qu'on  blesse  sans  tuer 
et  qu'on  meurtrit  une  grandeur  victorieuse.  Alle- 
mands, qui  l'avez  outragée,  craignez  dans  la  France 
silencieuse  et  peut-être  invincible,  craignez  celle  qui 
fut  un  jour  votre  victime  :  elle  ne  peut  plus  vous 
pardonner. 

Le  crime  de  Rheims  est  le  crime  d'une  race, 

André  Suàkès. 


PRO  ARIS 


Parmi  tant  de  crimes  de  cette  guerre  infâme,  qui 
nous  sont  tous  odieux,  pourquoi  avons-nous  choisi, 
pour  protester  contre  eux,  les  crimes  contre  les  choses 
et  non  contre  les  hommes,  la  destruction  des  œuvres 
et  non  pas  celle  des  vies  ?  Plusieurs  s'en  sont  étonnés, 
nous  Tout  même  reproché,  — comme  si  nous  n'avions 
pas  autant  de  pitié  qu'eux  pour  les  corps  et  les  coeurs 
des  milliers  de  victimes  qui  sont  crucifiées  !  Mais  de 
même  qu'au-dessus  de  ces  armées  qui  tombent  plane 
la  vision  de  leur  amour,  de  la  Patrie,  à  qui  elles  se 
sacrifient,  —  au-dessus  de  ces  vies  qui  passent  passe 
sur  leurs  épaules  l'Arche  sainte  de  l'art  et  de  la 
pensée  des  siècles.  Les  porteurs  peuvent  changer. 
Que  TArche  soit  sauvée  !  A  l'élite  du  monde  en 
incombe  la  garde.  Et  puisque  le  trésor  commun  est 
menacé,  qu'elle  se  lève  pour  le  protéger  ! 

J'aime  à  voir  que,  d'ailleurs,  ce  n'est  pas  dans  les 
pays  latins  que  ce  devoir  sacré  a  pu  jamais 


—  14  — 

d'être  tenu  pour  le  premier  de  tous.  Notre  France, 
qui  saigne  de  tant  d'autres  blessures,  n'a  rien  souf- 
fert de  plus  cruel  que  de  l'attentat  contre  son  Par- 
thénon,  la  cathédrale  de  Reims,  Notre-Dame  de 
France.  Les  lettres  que  j'ai  reçues  de  familles  ëprou- 
▼éea,  de  soldats  qui,  depuis  deux  mois,  supportent 
toutes  les  peines,  me  montrent  (et  j'en  suis  fier,  pour 
eux  et  pour  mon  peuple)  qu'aucun  deuil  ne  leur  fut 
plus  lourd.  —  C'est  que  nous  mettons  l'esprit  au- 
dessus  de  la  chair.  Bien  différents  en  cela  de  ces 
intellectuels  allemands  qui,  tous,  à  mes  reproches  pour 
les  actes  sacrilèges  de  leurs  armées  dévastatrices, 
m'ont  répondu,  d'une  voix  :  «  Périssent  tous  les 
chefs-d'œuvre,  plutôt  qu'un  soldat  allemand!...  » 

Une  œuvre  comme  Reims  est  beaucoup  plus  qu'une 
vie:  elle  est  un  peuple,  elle  est  ses  siècles  qui  frémis- 
sent comme  une  symphonie  dans  cet  orgue  de  pierre  ; 
elle  est  ses  souvenirs  de  joie,  de  gloire  et  de  douleur, 
ses  méditations,  ses  ironies,  ses  rêves;  elle  est 
l'arbre  de  la  race,  dont  les  racines  plongent  au  plus 
profond  de  sa  terre  et  qui,  d'un  élan  sublime,  tend 
ses  bras  vers  le  ciel.  Elle  est  bien  plus  encore  :  sa 
beauté  qui  domine  les  luttes  des  nations,  est  l'har- 
monieuse réponse  faite  par  le  genre  humain  à  l'énigme 
du  monde,  —  cette  lumière  de  l'esprit,  plus  néces- 
saire aux  âmes  que  celle  du  soleil. 

Qui  tue  cette  œuvre  assassine  plus  qu'un  homme, 
il  assassine  l'âme  la  plus  pure  d'une  race.  Son  crime 
est  inexpiable,  et  Dante  l'eût  puni  d'une  agonie  ëter- 


—  ir»  — 

ncllc  de  sa  race,  —  élernellemeiil  renouvelée.  Nou» 
qui  répudions  l'esprit  vindicatif  de  ce  cruel  génie, 
nous  ne  rendons  pas  un  peuple  responsable  des 
actes  de  quelques-uns.  Il  nous  suffit  du  drame  qui 
.se  déroule  sous  nos  yeux,  et  dont  le  dénouement 
presque  infaillible  doit  être  l'écroulement  de 
l'hégémonie  allemande.  Ce  qui  le  rend  surtout 
poiiB^-nant,  c'est  que  pas  un  de  ceux  qui  constituent 
l'élite  intellectuelle  et  morale  de  l'Allemag^nc,  — 
cette  centaine  de  hauts  esprits  et  ces  milliers  de 
braves  cceurs,  dont  aucune  grande  nation  ne  fut 
jamais  dépourvue,  —  pas  un  ne  se  doute  vraiment 
des  crimes  de  son  gouvernement;  pas  un,  des  atro- 
cités commises  en  Wallonie,  dans  le  Nord  et  dans 
l'Est  français,  pendant  les  deux  ou  trois  premières 
semaines  de  la  guerre;  pas  un  (cela  semble  une 
gageure  1),  de  la  dévastation  volontaire  des  villes  de 
Belgique  et  de  la  ruine  de  Reims.  S'ils  venaient  à 
envisager  la  réalité,  je  sais  que  beaucoup  d'entre  etix 
pleureraient  de  douleur  et  de  honte;  et  de  tous  les 
forfaits  de  l'impérialisme  prussien,  le  pire,  le  plus 
vil,  est  certainement  d'avoir  dissimulé  ses  forfaits  à 
son  peuple:  car,  en  le  privant  des  moyens  de  protester 
contre  eux,  il  l'en  a  rendu  solidaire  pour  des  siècles; 
il  a  abusé  de  son  magnifique  dévouement. 

Certes,  les  intellectuels  sont  coupables,  eux  aussi. 
Car  si  l'on  peut  admettre  que  les  braves  gens  qui, 
dans  tous  les  pays,  acceptent  docilement  les  nouvelles 
que  leur  donnent  en  pâture  leurs  journaux  et  leurs 


—  16  — 

chefs,  M  soient  laissés  duper,  on  ne  le  pardonne  pas 
à  ceux  dont  c'est  le  métier  de  chercher  la  vérité  au 
milieu  de  Terreur  et  de  savoir  ce  que  valent  les 
témoignasses  de  l'intérêt  ou  de  la  passion  hallucinée; 
leur  devoir  élémentaire  (devoir  de  loyauté  autant  que 
de  bon  sens),  avant  de  trancher  dans  ce  débat  affreux, 
dont  l'enjeu  était  la  destruction  de  peuples  et  de 
trésors  de  l'esprit,  eût  été  de  s'entourer  des  enquêtes 
des  deux  partis.  Par  loyalisme  aveugle,  par  coupable 
conBance,  ils  se  sont  jetés  tête  baissée  dans  les  filets 
que  leur  tendait  leur  impérialisme.  Ils  ont  cru  que 
le  premier  devoir  pour  eux  était,  les  yeux  fermés,  de 
défendre  l'honneur  de  leur  Etat  contre  toute  accusa- 
tion. Ils  n'ont  pas  vu  que  le  plus  noble  moyen  de  le 
défendre  était  de  réprouver  ses  fautes  et  d'en  laver 
leur  patrie... 

J'ai  attendu  des  plus  fiers  esprits  de  l'Allemagne 
ce  viril  désaveu  qui  aurait  pu  la  grandir,  au  lieu  de 
l'humilier.  La  lettre  que  j'écrivis  à  l'un  d'eux,  au 
lendemain  du  jour  où  la  voix  brutale  de  l'Agence 
Wolff  proclama  pompeusement  qu'il  ne  restait  plus 
de  Louvain  qu'un  monceau  de  cendres,  —  l'élite 
entière  d'Allemagne  l'a  reçue  en  ennemie.  Elle  n'a  pas 
compris  que  je  lui  offrais  l'occasion  de  dégager  l'Alle- 
magne de  l'étreinte  des  forfaits  que  commettait  en 
•on  nom  son  Empire.  Que  lui  demandais-je?  Que 
TOUS  demandais-je  à  tous,  artistes  d'Allemagne?  — 
D'exprimer  tout  au  moins  un  regret  courageux  des 
exoèfl  accomplis  et  d'oser  rappeler  à  un  pouvoir  sans 


—  17  - 

frein  que  la  patrie  elle-même  ne  peut  se  sauver  par 
des  crimes  et  qu'au-dessus  de  ses  droits  sont  ceux 
de  l'esprit  humain.  Je  ne  demandais  q\ï*tine  voix, 
une  seule  qui  fût  libre...  Aucune  voix  n'a  parlé.  Et 
je  n'ai  entendu  que  la  clameur  des  troupeaux,  les 
meutes  d'intellectuels  aboyant  sur  la  piste  où  le 
chasseur  les  lance,  cette  insolente  Adresse  où,  sans 
le  moindre  essai  pour  justifier  ses  crimes,  vous  avez, 
unanimement,  déclaré  qu'ils  nVxistaient  point.  Et 
vos  théologiens,  vos  pasteurs,  vos  prédicateurs  de 
cour,  ont  attesté  de  plus  que  vous  étiez  très  justes  et 
que  vous  bénissiez  Dieu  de  vous  avoir  faits  ainsi... 
Race  de  pharisiens!  Quel  châtiment  d'en  haut  flag^el- 
lera  votre  org^ueil  sacrilège!...  Ah!  vous  ne  vous 
doutez  pas  du  mal  que  vous  aurez  fait  aux  vôtres  ! 
La  mégalomanie,  menaçante  pour  le  monde,  d'un 
Ostwald  ou   d'un   H.-S.  Chamberlain  S  l'entêtement 


>  Quand  j'ai  écrit  ceci,  je  ne  connaissais  pas  encore  l'article 
traeux  de  Thomas  Mann  (dans  la  Neue  Rundschau  de  novembre  1914), 
s'achamant,  dans  an  accès  de  foreur  d'orgueil  blessé,  à  revendiquer 
oomme  on  titre  de  gloire  pour  l'Allema^e  tout  ce  dont  l'accusent  aee 
adTersaires,  —  osant  écrire  que  la  guerre  actuelle  était  la  guerre  de  In 
Kultur  allemande  c  contre  la  civilisation  »,  proclamant  que  la  pensée 
allemande  n'avait  pas  d'autre  idéal  que  le  militarisme,  et  se  faisant  enfla 
un  étendard  de  ces  rers  qui  sont  l'apologie  de  la  force  opprimant  la 
faiblesse  : 


4er  Mensch  uerkûmmert  im  Frieden, 
Mênige  Ruh  itt  dos  Grab  de*  Mut*. 
Doê  Oetett  Ut  dêr  Frtund  de*  Schwachen, 
Aile»  will  e»  nmr  eben  maehen. 
Môchte  gern  die  Wett  verflachem, 
Aber  der  Krieg  tûsit  die  Kraft  ênehêimm... 

{m  L'homme  dépérit  dont  la  paix.  Le  rtpoe  oisif  est  le 

RUMS...    LOUTAOI 


—  18  — 

criminel  des  quatre-vingt-treize  intellectuels  à  ne  pas 
vouloir  voir  la  vérité,  auront  coûté  plus  cher  à  l'Alle- 
magne que  dix  défaites. 

Que  vous  êtes  maladroits  !  Je  crois  que  de  tous  vos 
défauts,  la  maladresse  est  la  pire.  Vous  n'avez  pas 
dit  un  mot,  depuis  le  commencement  de  cette  guerre, 
qui  n'ait  été  plus  funeste  pour  vous  que  toutes  les 
paroles  de  vos  adversaires.  Les  pires  accusations 
qu'on  ait  portées  contre  vous,  c'est  vous  qui  en  avez 
fourni,  de  gaieté  de  cœur,  la  preuve  ou  largument. 
De  même  que  ce  sont  vos  Agences  officielles  qui, 
dans  l'illusion  stupide  de  nous  terroriser,  ont  lancé, 
les  premières,  les  récits  emphatiques  de  vos  plus 
sinistres  dévastations,  —  c'est  vous  qui,  lorsque  les 
plus  impartiaux  de  vos  adversaires  s'efforçaient,  par 
justice,  de  limiter  à  quelques-uns  de  vos  chefs  et  de 
vos  armées  la  responsabilité  de  ces  actes,  en  avez 
rageusement  réclamé  votre  part.  C'est  vous  qui,  au 
lendemain  de  cette  ruine  de  Reims,  qui,  dans  le  fond 
du  cœur,  devait  aussi  consterner  les  meilleurs  d'en- 
tre vous,  au  lieu  de  vous  excuser,  vous  en  êtes, 
par  orgueil  imbécile,  vantés  ^    C'est  vous,  malheu- 

eaur.  La  loi  mI  ramie  du  faible;  elle  veut  toai  aplanir;  ii  elle  poth- 
vmiittlleaplaiiraii  le  momU;  mais  la  guerre  fait  surgir  la  force,.,») 

Aiati,  dans  une  arène,  an  Uoretu,  fou  de  rage,  se  lance  lêle  baiaaée 
•v  Véféê  que  lui  tend  le  matador,  et  s'enferre. 


rëcrit  un  de  oea  jeunes  «  pMants  de  barbarie  >  (ainsi  les 
Il  MifUtl  de  Unaoïuno)  «  on  a  le  droit  de  détruire  qnsBd 
OU  •  la  feree  dt  créer»  (Wer  stark  ist  tu  schajfen,  der  darfauck  ter- 
fMrM).  —  Priedr.  Oomiolf  .*  Tal  umd  Wort  im  Kriêg,  publié  dans  la 


—  19  — 

reux,  vous,  représentants  de  Fespht,  qui  n'avez  point 
cessé  de  célébrer  la  force  cl  de  mépriser  les  faibles, 
comme  si  vous  ne  saviez  pas  que  la  roue  de  la  for- 
tune tourne,  que  cette  force  un  jour  pèsera  de  nou- 
veau sur  vous,  ainsi  qu'aux  siècles  passés,  où  da 
moins  vos  grands  hommes  conservaient  la  ressource 
de  n'avoir  pas  abdiqué  devant  elle  la  souveraineté  de 
Tesprit  et  les  droits  sacrés  du  droit  !...  Quels  repro- 
ches, quels  remords  vous  vous  préparez  pour  l'avenir, 
6  conducteurs  hallucinés,  qui  menez  vers  le  fossé 
votre  nation  qui  vous  suit,  ainsi  que  les  aveugles 
trébuchants  de  Brueghel! 

Les  tristes  arguments  que  vous  nous  avez  opposés, 
depuis  deux  ou  trois  mois  ! 

1°  La  guerre  est  la  guerre,  dites-vous,  c'est-à-dire 
sans  mesure  commune  avec  le  reste  des  choses,  au 
delà  de  la  morale,  de  la  raison,  de  toutes  les  limites 
de  la  \ie  ordinaire,  une  sorte  d'état  surnaturel, 
devant  quoi  il  ne  reste  qu'à  s'incliner  sans  discuter; 

29  L'Allemagne  est  l'Allemagne,  c'est-à-dire  sans 
mesure  commune  avec  le  reste  des  peuples  ;  les  lois 
qui  s'appliquent  aux  autres  ne  s'appliquent  pas  à 
elle,  et  les  droits  qu'elle  s'arroge  de  violer  le  droit 
n'appartiennent  qu'à  elle.  C'est  ainsi  qu'elle  peut, 
sans  crime,  déchirer  ses  promesses  écrites,  trahir  ses 
serments  donnés,  violer  la  neutralité  des  peuples 
qu'elle  a  juré   de  défendre.   Mais   elle   prétend,  en 

Frank/.  Zeit.  du  11  octobre.  —  Cf.  Tartide  do  rieoz  Hans  Tboma, 
dans  la  Leipziger  Itlastrierte  Zeitung,  du  1*'  octobre. 


—  20  — 

retour,  trouver  dans  les  peuples  qu'elle  outrage  «de 
cheralcresques  adversaires»  ;  et  que  cela  ne  soit 
pas  et  qu'ils  osent  se  défendre,  par  tous  les  moyens 
et  les  armes  qui  leur  restent,  elle  le  proclame  un 
crime!... 

On  reconnaît  bien  là  les  enseignements  intéressés 
de  vos  maîtres  prussiens  !  Artistes  d'Allemagne,  je 
ne  mets  pas  en  doute  votre  sincérité  ;  mais  vous 
n'êtes  plus  capables  de  voir  la  vérité;  Timpérialisme 
de  Prusse  vous  a  enfoncé  sur  les  yeux  et  jusque  sur 
la  conscience,  son  casque  à  pointe. 

«  Nécessité  ne  connaît  pas  de  loi.  »  ...C'est  le 
Onzième  Commandement,  le  message  que  vous  appor- 
tez aujourd'hui  à  l'univers,  fils  de  Kant!...  Nous 
Pavons  entendu  plus  d'une  fois,  dans  l'histoire  : 
c'est  la  fameuse  doctrine  du  Salut  Public,  mère  des 
héroïsmes  et  des  crimes.  Chaque  peuple  y  a  recours, 
à  l'heure  du  danger;  mais  les  plus  grands  sont  ceux 
qui  défendent  contre  elle  leur  âme  immortelle.  Il  y  a 
quelque  quinze  ans,  lors  de  ce  fameux  procès  où  l'on  vit 
opposé  un  seul  homme  innocent  à  la  force  de  l'Etat, 
nous  l'avons,  nous  Français,  affrontée  et  brisée, 
l'idole  du  Salut  Public,  quand  elle  menaçait,  comme 
disait  notre  Péguy,  «  le  salut  éternel  de  la  France». 

Ecoutez-le,  celui  que  vous  venez  de  tuer,  écoutez 
un  héros   de  la  conscience    française,   écrivains  qui 
avez  la  garde  de  la  conscience  de  l'Allemagne  ! 
•     €  Nos  adversaires  d'alors,    écrit  Charles    Péguy, 
parlaient  le  langage  de  la  raison  d'Etat,  du  salut 


—  21  — 

temporel  du  peuple  et  de  la  race.  Et  nous^  par  un 
moiwement  chrétien  profond  y  par  une  poussée  révO' 
lutionnaire  et  ensemble  traditionnelle  de  christia^ 
nismcj  nous  n  allions  pas  à  moins  qu'à  nous  élever 
à  la  passion  y  au  souci  du  salut  éternel  de  ce  peuple. 
Nous  ne  voulions  pas  que  la  France  fût  constituée 
en  état  de  péché  mortel,  * 

Ce  n'est  pas  votre  souci,  penseurs  de  rAllemagne. 
Vous  donnez  votre  sang  bravement,  pour  sauver  sa 
vie  mortelle.  Mais  de  sa  vie  éternelle  vous  ne  vous 
inquiétez  pas...  Certes,  l'heure  est  terrible.  Voire 
patrie,  comme  la  nôtre,  lutte  pour  l'existence  ;  et 
je  comprends  et  j'admire  l'ivresse  de  sacrifice  qui 
pousse  votre  jeunesse,  comme  la  nôtre,  à  lui  faire 
an  rempart  de  son  corps  contre  la  mort.  «  Etre  ou 
ne  pas  être...»,  dites-vous?  —  Non,  ce  n'est  pas 
assez  !  «  Etre  la  grande  Allemagne,  être  la  grande 
France,  dignes  de  leur  passé,  et  sachant  se  respec- 
ter soi-même  et  Tune  l'autre,  même  en  se  combat- 
tant »  :  voilà  ce  que  je  veux.  Je  rougirais  de  la  vic- 
toire, si  ma  France  l'achetait  au  prix  dont  vous 
payez  vos  succès  sans  lendemain.  En  même  temps 
que  les  batailles  sur  les  plaines  de  Belgique  et  les 
coteaux  crayeux  de  Champagne  se  livrent,  une  autre 
guerre  a  lieu  dans  les  champs  de  l'esprit  ;  et  parfois 
une  victoire  d'en  bas  est  une  défaite,  en  haut.  La 
conquête  de  la  Belgique,  Malines,  Louvain  et  Reims, 
les  carillons  de  Flandre,  le  bourdon  de  Notre-Dame, 
sonneront  dans  votre  histoire  un  plus  lugubre  glas 


-  22  — 

que  les  cloches  de  léna  ;  et  les  Beljçes  vaincus  vous 
ont  ravi  la  gloire.  Vous  le  savez.  Votre  fureur  vient 
de  ce  qae  vous  le  savez.  A  quoi  bon  essayer  vaine- 
ment de  vous  tromper  ?  La  vérité  finira  par  se  faire 
jour  en  vous.  Vous  avez  beau  rélouffer.  Un  jour, 
elle  parlera.  Elle  parlera  par  vous,  par  la  bouche 
d'un  des  vôtres,  en  qui  se  sera  réveillée  la  conscience 
de  votre  race...  Ah  !  qu'il  paraisse  enfin,  qu'on  Ten- 
iende,  le  génie  libérateur  et  pur,  qui  vous  rachète! 
Celui  qui  a  vécu  dans  l'intimité  de  votre  vieille  Alle- 
magne, qui  l'a  tenue  par  la  main  dans  les  ruelles 
tortueuses  de  son  passé  héroïque  et  sordide,  qui  a 
respiré  ses  siècles  d'épreuves  et  de  hontes,  se  sou- 
vient et  attend  :  car  il  sait  que  si  jamais  elle  ne  fut 
assez  forte  pour  supporter  la  victoire  sans  trébucher, 
c'est  à  ses  pires  heures  qu'elle  se  régénère  ;  et  ses 
plus  hauts  génies  sont  fils  de  la  douleur. 

Septembre  1914. 

Romain  Rolland. 


Depuis  que  ces  lignes  furent  écrites,  j'ai  vu  nattre 
l'inquiétude,  qui  peu  à  peu  chemine  dans  les  cons- 
ciences des  braves  gens  d'Allemagne.  D'abord,  un 
doute  secret,  refoulé  par  l'effort  têtu  pour  croire  aux 
mauvaises  raisons,  ramassées  dans  le  ruisseau  par 
leur  goavernement  :   —  documents  fabriqués  pour 


—  23  — 

prouver  que  la  Beljçique  avait  renoncé  elle-même 
à  sa  neutralité,  fausses  allégations  —  (en  vain 
démenties,  quatre  fois,  par  le  gouvernement  fran- 
çais, par  le  généralissime,  par  Tarchiprétre  et  l'ar- 
chevêque, par  le  maire  de  Heims)  —  accusant  les 
Français  d'avoir  usé  de  la  cathédrale  de  Reims  pour 
un  objet  militaire.  A  défaut  d'arguments,  leur  système 
de  défense  est  parfois  d'une  naïveté  déconcertante  : 

«  Est-il  possible,  disent-ils,  qu'on  accuse  d'avoir 
voulu  détruire  des  monuments  artistiques  le  peuple 
le  plus  respectueux  de  l'art,  celui  auquel  on  inculque 
ce  respect  dès  l'enfance,  celui  qui  a  le  plus  de  ma- 
nuels et  de  collections  d'histoire  de  l'art,  le  plus  de 
cours  d'esthétique  ?  Est-il  possible  qu'on  accuse  des 
actes  les  plus  barbares  le  peuple  le  plus  humain,  le 
plus  affectueux,  le  plus  familial  !  » 

Il  ne  leur  vient  pas  à  l'idée  que  l'Allemagne 
n'est  pas  faite  d'une  seule  race  d'hommes,  et  qu'à 
c^té  de  la  masse  docile,  qui  est  née  pour  obéir,  pour 
respecter  la  loi,  toutes  les  lois,  il  y  a  la  race  qui  com- 
mande, qui  se  croit  au-dessus  des  lois,  qui  les  fait  et 
défait,  parce  qu'elle  se  dit  la  force  et  la  nécessité 
{Noth...) —  C'est  ce  mauvais  mariage  de  l'idéalisme 
et  de  la  force  allemande  qui  mène  à  ces  désastres. 
L'idéalisme  est  femme,  femme  éprise,  qui,  comme 
tant  de  ces  braves  épouses  allemandes,  est  en  ado- 
ration devant  son  seigneur  et  maître,  et  se  refuse  à 
supposer  même  qu'il  puisse  avoir  jamais  tort. 

Il   faudra  bien  pourtant,  pour  le  salut   de  l'Aile- 


—  24  — 

magne,  qu'elle  en  arrive  un  jour  à  la  pensée  du 
divorce,  ou  que  la  femme  ait  le  courage  de  faire 
entendre  sa  voix  dans  le  ménage.  Je  sais  déjà  quel- 
qaes  esprits  qui  commencent  à  réclamer  les  droits  de 
Tesprit  contre  la  force.  Dans  ces  derniers  temps, 
maintes  voix  d'Allemagne  sont  venues  jusqu'à  nous, 
par  lettres,  protestant  contre  la  guerre  et  déplorant 
avec  nous  les  mêmes  injustices.  (Je  ne  les  nommerai 
point,  pour  ne  pas  les  compromettre.)  —  Il  n'y  a  pas 
très  longtemps,  je  disais  à  la  Foire  sur  la  Place,  qui 
encombrait  Paris,  qu'elle  n'était  pas  la  France.  Je  le 
dis  aujourd'hui  à  la  Foire  allemande  :  «  Vous  n'êtes 
pas  la  vraie  Allemagne.  »  Il  en  existe  une  autre,  plus 
juste  et  plus  humaine,  dont  l'ambition  n'est  pas  de 
dominer  le  monde  par  la  force  et  la  ruse,  mais  d'ab- 
sorber pacifiquement  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand  dans 
les  pensées  des  autres  races  et  d'en  rayonner  en  re- 
tour l'harmonie.  Celle-là  n'est  pas  en  cause.  Nous  ne 
sommes  pas  ses  ennemis.  Nous  sommes  les  ennemis 
de  ceux  qui  ont  presque  réussi  à  faire  oublier  au 
monde  qu'elle  vivait  encore. 

Octobre  19U. 

R.  R. 


LE  DROIT  A  LA  RÉSISTANCK 


Louvain,  Malines,  Dinant,  Reims,  Arras,  Yprcs, 
voilà  les  étapes,  voilà  les  victoires.  L'Allemagne  a  ja- 
lonné son  passage  par  ces  tas  de  pierres.  Telles  sont 
les  stations  du  calvaire  qu'elle  a  fait  §^ravir  à  la  civi- 
lisation sous  ses  obusiers.  On  ne  sait  s'il  faut  y  voir 
l'effet  de  cette  barbarie  ou  de  cette  culture  dont  elle 
est  également  fière. 

Malgré  les  démentis  et  les  excuses,  les  ruines  sont 
là.  On  a  beau  essayer  de  justifier  ces  dévastations, 
ces  ruines  parlent.  Elles  sont  comme  les  caractères 
gigantesques  d'un  acte  d'accusation  écrit  sur  la  vieille 
terre  d'Europe. 

Quel  devait  être  leur  langage,  puisque  ces  actes 
ayaient  un  but? 

Intimidation, 

Les  états-majors  admettent  que  la  guerre  doit  uti- 
liser toutes  les  armes  pour  frapper  l'ennemi  aussi 
bien  dans  son  âme  que  dans  son  corps.  Ils  parlent 
beaucoup  de  l'élément  moral,  aussi  nécessaire  pour 


—  26  — 

la  discipline  et  le  courage  de  la  troupe  que  pour  le 
désordre  et  la  panique  de  l'ennemi.  Ils  ont  institué 
le  culte  de  la  force,  qui  demande  une  dévotion  mi- 
nutieuse et  ingénue.  Ils  opposent  des  axiomes  pra- 
tiques aux  rêveries  humanitaires.  Et  des  rites  aussi 
répondent  à  ces  dogmes. 

L'idéal  d'une  race  a  été  pendant  un  temps  d'écraser 
et  d'assenrir  les  autres.  Le  pangermanisme,  cette 
doctrine  vaguement  historique  et  scientifique,  s'était 
rois  à  la  solde  de  ceux  dont  le  métier  est  de  tuer  et 
de  détruire.  Le  vieil  esprit  de  la  Prusse,  celui  des 
chevaliers  teutoniques  et  de  Frédéric,  s'est  imposé  à 
toute  une  nation  pour  lui  faire  accepter  l'orgueil  et 
la  folie  du  culte  à  la  violence.  Elle  a  fait  approuver 
des  maximes  dangereuses  comme  :  nécessité  est  loi, — 
la  guerre  est  une  fatalité,  —  et  ces  affirmations  hypo- 
crites qui  révoltaient  déjà  le  colonel  Picquart  *  :  «  Cer- 
taines rigueurs  sont  inhérentes  à  la  guerre,  et  c'estdans 
l'emploi  impitoyable  des  violences  nécessaires  que 
réside  souvent  la  seule  et  vraie  humanité.  » 

La  preuve  aujourd'hui  est  faite.  On  voit  comment 
la  seule  et  vraie  humanité  s'accorde  avec  les  vio- 
lences nécessaires.  Il  est  difficile  de  parler  du  droit 
des  gens  dans  une  guerre  qui  a  commencé  par  l'aveu 
éclatant  de  la  violation  de  ce  droit.  La  convention 
de  La  Haye  est  aussi  un  chiffon  de  papier. 

*  UMtoaanA-oolaiMl  OtorgM  Pioquart  :  De  la  siioation  faite  à  la  dé 
fenae  militaire  de  la  France.  Cahierê  <fa  ta  Quintainêt  li  mara  1906, 
M. 


—  27  — 

Il  y  a  toujours  eu  des  lois  de  la  guerre.  Le  droit 
et  la  force  sont  deux  puissances  alliées  ou  ennemies. 
A  toute  époque,  on  chercha  à  fixer  le  droit  des  gens. 
Le  Convenant  de  Sempachy  en  1393,  montre  com- 
ment les  huit  cantons  de  la  Suisse  comprenaient 
leurs  devoirs  humanitaires  : 

«  Enfin  puisqu'il  a  plu  au  Dieu  Tout-puissant  de 
déclarer  les  églises  ses  demeures  et  de  faire  servir 
une  femme  au  salut  du  genre  humain,  nous  voulons 
qu'aucun  des  nôtres  ne  force,  dévaste  ou  incendie 
couvent,  église  ou  chapelle,  ni  outrage  ou  blesse 
femme  ou  fille.  » 

Du  Guesclin  mourant,  à  la  même  époque,  recom- 
mandait à  ses  compagnons  de  se  souvenir  «  qu'en 
quehjue  part  qu'ils  fussent  en  guerre,  les  gens  d'église, 
les  femmes,  les  enfants  et  le  pauvre  peuple  n'étaient 
pas  leurs  ennemis.  » 

Telle  était  la  barbarie  du  moyen  âge.  Aujourd'hui, 
les  règles  sont  plus  précises.  Le  sinistre  pédantisme 
des  belligérants  n'admet  plus  un  adversaire  sans  uni- 
forme. Un  des  dangers  les  plus  graves  pour  l'enva- 
hisseur est  le  soulèvement  de  la  population  civile. 
C'est  un  ennemi  multiple,  insaissable.  11  faut  par 
tous  les  moyens  l'immuniser,  et  le  meilleur  est  de 
disproportionner  le  châtiment  à  la  faute.  On  détruit 
un  village  ou  une  ville  pour  un  coup  de  fusil  tiré 
d'une  fenêtre  ou  d'une  cave. 

C'est  l'excuse  que  l'on  a  donnée  pour  la  destruc- 
tion de  Louvain,  ville  religieuse  et  universitaire,  ville 


—  28  — 

où  le  haut  savoir  et  le  pieux  travail  s'épanouis- 
saient dans  une  châsse  précieuse.  On  a  brûlé  une 
université,  une  cathédrale,  une  bibliothèque,  une  ville 
entière  pour  venger  des  morts  dont  on  n'a  jamais  su 
le  nombre.  Rien  ne  prouve  mieux  la  monstrueuse 
aberration  des  théoriciens  de  la  violence  nécessaire. 
Le  sac  de  Louvain  restera  dans  Fhistoire  comme 
celui  de  Liège  par  un  autre  Téméraire. 

Dans  ce  code  singulier,  écrit  par  le  vainqueur,  une 
population  civile  n'aurait  pas  le  droit  de  résister  à 
l'envahisseur.  Par  contre  l'envahisseur  aura  le  droit 
de  massacrer  une  population  désarmée,  des  vieillards, 
des  enfants.  Il  bombardera  une  ville,  sans  demander 
s'il  y  a  une  population  civile  protégée  ou  non.  Les 
dirigeables  et  les  avions  pourront  attaquer  des  hôpi- 
taux, des  écoles,  des  passants  dans  une  rue,  les  dor- 
meurs dans  leur  lit.  Ce  sont  les  risques  de  la  guerre. 

La  Suisse,  un  pays  neutre  comme  la  Belgique,  a 
toujours  vu  dans  la  levée  en  masse  un  bel  acte  de 
guerre.  Elle  lui  doit  les  pages  les  plus  héroïques  de 
son  histoire.  Elle  n'a  pas  d'autre  origine,  et  Tell  le 
franc-tireur  est  resté  son  héros.  Au  Grauholz,  les 
les  femmes,  les  adolescents,  les  vieillards  ont  marché 
contre  les  troupes  de  la  République,  et  Brune  ne 
brûla  pas  la  ville  de  Berne.  Le  Nidwald  sut  aussi  se 
défendre  à  Stanz,  comme  l'Espagne  et  le  Tyrol  contre 
Napoléon.  La  Suisse  attaquée  n'eût  pas  agi  autre- 
ment que  la  Bel^çique  pour  défendre  le  passage,  et 
garantir  son    indépendance.   Le    spectacle  de  celte 


—  29  — 

vaillante  infortune  la  touche,  comme  l'image  de  ce 
qu'eût  été  la  sienne. 

La  Suisse  a  protesté  contre  la  Convention  de 
La  Haye,  dont  l'article  2  disait  : 

«  La  population  d'un  territoire  non  occupé  qui, 
à  l'approche  de  l'ennemi,  prend  spontanément  les 
armes  pour  combattre  les  troupes  d'invasion  sans 
avoir  eu  le  temps  de  s'organiser  conformément  à  Par- 
licle  !•',  sera  considérée  comme  bellig^érante,  si  elle 
porte  les  armes  ouvertement,  et  si  elle  respecte  les 
lois  et  les  coutumes  de  la  guerre.  » 

Cet  article  empêcha  la  Suisse  de  signer  la  Conven- 
tion en  1889  et  en  1907  elle  s'éleva  encore  contre  cette 
restriction  au  droit  d'une  population  à  la  résistance. 
Toute  son  existence,  qui  repose  sur  la  foi  des  traités, 
lui  interdisait  de  consentir  à  une  signature  qu'elle 
n'aurait  pu  respecter  ^ 

La  force  brutale  voudrait  réglementer  ce  qui  échappe 
aux  règles,  selon  son  propre  aveu.  Le  bon  sens  n'ac- 
ceptera jamais  les  sophismes  de  ceux  qui  veulent 
livrer  aux  fureurs  d'une  armée  une  population  sans 
uniforme  ou  sans  armes.  L'abus  de  la  force  n'appa- 
raîtra jamais  comme  l'exercice  naturel  de  la  force. 
La  coutume  féroce  de  l'assassinat,  du  viol,  du  pillage, 
qui  a  toujours  cherché  à  se  faire  accepter  comme 
nécessité  de  la  guerre,  ne  sera  jamais  admise  par  le 

>  MMMfe  do  GoomU  fédéral  à  l'AMemblée  fédérale  coooemul  1m 
résolUto  Ab  U  daQ¥ième  ooofémoe  de  la  paix  réunie  à  La  llaj«  eo 
1007.  p.  35. 


—  30  — 

jugement  de  l'histoire.  II  n'y  a  pas  une  morale  de  paix 
el  une  morale  de  guerre.  Il  y  a  une  morale,  comme 
il  y  a  une  justice,  ou  il  n'y  en  a  point  du  tout. 

Une  certaine  presse  poursuit  de  ses  accusations  ou 
de  ses  insultes  les  francs-tireurs. 

Un  artiste,  un  solitaire,  a  par  une  mort  héroïque 
affirmé  le  droit  de  Thomme  libre.  Albéric  Magnard, 
Tauteur  de  Guercœur  et  de  Bérénice,  a  défendu  seul 
sa  maison,  son  foyer,  le  sanctuaire  d'un  art  austère, 
hautain  et  probe.  Tant  d'autres  sont  restés  obscurs 
dans  leur  sacrifice. 

Le  troisième  rapport  de  la  Commission  d'enquête 
en  Belgique  a  déclaré  que  les  habitants  de  Louvain 
n'ont  provoqué  par  aucun  acte  d'hostilité  l'impla- 
cable châtiment  des  Allemands.  M.  Georges  Lorand, 
membre  de  la  Chambre  des  représentants  avait  donné 
la  même  assurance  ^  Les  Belges  auraient-ils  défen- 
du leurs  foyers  envahis,  que  la  rigueur  des  repré- 
sailles ne  pouvait  être  approuvée  par  aucune  nation 
civilisée.  On  peut  négliger  dans  la  passion  de  la  lutte 
les  avertissements  de  la  raison.  On  ne  berne  pas  im- 
punément la  conscience  universelle.  A  l'heure  où  les 
adversaires  épuisés  feront  leurs  comptes,  la  voix 
publique  rappellera  les  attentats  de  Louvain  et  de 
Reims.  Le  succès  immédiat  n'est  pas  tout  dans  la 
guerre.  La  prudence  des  chefs  doit  prévoir  au  delà 
du  lendemain. 

*  Voir  Journal  de  Genève  du  4  «eptembre  iVi4. 


-  31  — 

Ces  actes  de  répression  barbare  |ont  révolté  les 
spectateurs  de  la  lutte  ;  ils  ont  aliéné  les  sympathies 
qui  hésitaient  encore.  Ils  ne  semblent  pas  avoir 
donné  les  résultats  pratiques  qu'en  attendaient  les 
écrivains  militaires.  Les  destructions  des  cités  wal- 
lonnes ou  flamandes  n'ont  exercé  leur  pouvoir  d'in- 
timidation que  sur  la  population  civile  de  la  Bel§^que. 
Elle  a  quitté  en  masse  le  territoire.  L'Europe  entière 
a  suivi  comme  un  reproche  l'excès  de  celte  infor- 
tune. Ces  dévastations  ont  animé  les  combattants 
d'une  fureur  plus  âpre  et  plus  obstinée.  C'est  au  cri 
de  Louvain  et  de  Termonde  que  l'armée  belge,  avec 
une  infatigable  énergie,  continue  à  donner  l'assaut 
de  ses  villes  en  ruines.  Et  la  haine  qui  a  soudé  con- 
tre l'envahisseur  Flamands  et  Wallons,  ne  sera  pas 
facile  à  éteindre  sur  une  terre  ravagée  et  reconquise. 
Il  n'y  a  aujourd'hui  qu'une  Belgique,  et  une  Belgique 
qui  a  résisté. 

Malgré  les  explications  et  les  excuses,  malgré  les 
discours  et  les  messages  impériaux,  le  matérialisme 
militaire  ne  réparera  pas  le  tort  fait  à  la  pensée  alle- 
mande. Elle  a  approuvé  des  théories  sauvages  et 
leur  application.  C'est  en  vain  qu'elle  invoque  la  ci- 
vilisation et  la  liberté  pour  offrir  à  l'Europe  une 
paix  dont  l'Europe  ne  veut  pas.  Car  l'opinion  ne  se 
laisse  ni  intimider,  ni  lasser,  ni  acheter.  Elle  garde 
intact  le  grand  sentiment  de  la  justice  même  dans  le 
fracas  de  la  bataille.  Elle  réunit  et  commente  les 
faits  et  les  documents  officiels,  plus  éloquents  que 


—  32  — 

toutes  les  inventions  des  agences.  Elle  n'enregistre 
pas  seulement  :  elle  juge.  Pour  elle,  Louvain,  Ma- 
tines, Dinant,  Senlis,  Soissons,  Reims,  Arras  et 
Ypres  sont  les  défaites. 

René  Morax. 


DEUX  MOTS  SUR  LES  RAISONS 

PSYCHO- PHYSIOLOGIQUES  DE 

LA  GUERRE  ACTUELLE 


Mon  ami,  M.  René  Morax,  me  prie  de  traiter,  en 
«  quelques  lignes  »,  le  sujet  ci-dessus.  C'est  impos- 
sible. 11  faudrait  un  volume  et  des  connaissances 
dont  beaucoup  me  manquent.  Je  ne  puis  donner  ici 
qu'un  faible  canevas  de  la  question,  à  Taide  du  peu 
que  je  sais,  n'étant  pas  de  ceux  qui  «  savent  tout  »  *. 

L'âme  étant  l'activité  du  cerveau,  la  psycholo^c 
humaine  est  la  physiologie  de  cet  organe,  vue  dans 
le  miroir  de  notre  introspection  ou  de  notre  cons- 
cience de  nous-mêmes.  L'âme  sociale,  comme  l'âme 
historique  du  passé,  n'est  donc  qu'une /o/ic//o/i  collec- 
tive des  âmes  individuelles,  groupées  en  familles,  vil- 
les, nations,  etc.  De  quoi  se  compose  l'âme,  c'est-à- 
dire  la   complexité  de  notre  intellect,  de  nos  senti- 

1  Je  renvoie,  du  reste,  à  mou  petit  livre  sur  Vàm»  et  tê  $y»timê 
lurveax  (Paris.  G.  Steinheil,  1906.  et  Lausanne,  chez  Prankfurter,  li- 
braire), pour  tout  ce  qui  ooooenie  la  psycho-physiologie. 


—  34  — 

ments,  de  notre  imagination  et  de  notre  volonté  ? 
Elle  comprend  deux  immenses  faisceaux  : 

1.  L'hérédité,  innée,  provenant  à  Torigine  de  l'in- 
dividu,  reproduit  par  son  espèce,  de  deux  cellules 
germinatrices  combinées,  qui  se  sont  développées 
pendant  neuf  mois  dans  Terabryon  et  dont  le  cer- 
veau du  nouveau-né,  prêt  à  fonctionner,  est  Tun  des 
produits  différenciés  par  les  lois  dites  phylogéniques 
de  cette  même  hérédité. 

2.  UacquiSy  ou  tout  ce  que  nos  sens  inscrivent  dans 
ce  même  cerveau,  de  la  naissance  à  la  mort,  et  sur- 
tout la  façon  dont  ses  dispositions,  c'est-à-dire  son 
génie  héréditaire  individuel,  travaille  et  combine  les 
inscriptions  (engraphies)  ainsi  reçues.  Chaque  ins- 
tant de  notre  vie  représente  une  immense  combi- 
naison de  notre  hérédité  avec  notre  acquis.  Nos 
actes,  que  nous  croyons  à  tort  être  absolument 
libres,  découlent  donc,  comme  résultante  finale,  des 
énergies  héritées  de  nos  ancêtres  et  acquises  par 
nous-mêmes,  avec  leurs  nuances  combinées  à  Tin- 
fini  et  qui  ne  nous  sont  pas  ou  ne  nous  sont  plus 
conscientes. 

Lamarck,  Darwin  et  leurs  successeurs,  en  particu- 
lier Semon,  ont  donné  les  preuves  irréfutables  de 
l'évolution  organique  très  lente  des  êtres  pendant 
des  milliers  et  des  millions  d'années.  Une  espèce 
compliquée  un  peu  stable  ne  peut  dériver  d'autres 
espèces  distinctes  d'elle  qu'après  de  nombreux  mil- 
lions d'années.   Ce  qu'on  nomme  chez  l'homme  la 


—  35  — 

perfectibilité  ou  civilisation,  est  tout  antre  chose  que 
la  lente  hérédité  de  caractères  acquis  ^.  Dans  sod 
g^rand  cerveau,  bien  plus  adaptable  et  modifiable 
que  celui  même  des  g^nds  singes,  s'est  développ<'* 
peu  à  peu  par  hérédité  un  lane^ac^c  social  de  com- 
préhension mutuelle  beaucoup  plus  compliqué  que 
chez  eux,  avec  une  faculté  d'imiter  et  de  combiner 
bien  plus  grande.  De  pareilles  facultés  sont  résultés 
en  outre  des  objets  façonnés,  des  inscriptions  et  des 
monuments;  puis,  plus  tard,  un  langage  écrit;  plus  tard 
encore,  l'imprimerie  et,  dans  les  temps  dits  modernes, 
mille  moyens  de  communications  et  de  transport.  Ces 
faits  ont  permis  à  chaque  génération  d'enregistrer 
de  mieux  en  mieux  et  de  plus  en  plus  vite  les 
combinaisons  et  les  inventions  des  générations  pré- 
cédentes. Il  s'en  suit,  comme  je  l'ai  dit  et  écrit  sou- 
vent, que  de  nos  jours  un  imbécile  peut  enregistrer 
dans  son  cerveau  inférieur  une  foule  de  connaissances 
que  même  les  génies  antiques  n'avaient  pas.  En  en 
tirant  parti,  il  use  donc  du  capital  de  savoir  accu- 
mulé dans  les  livres  et  enseigné  à  l'école  par  les  idées 
du  génie  de  ses  ancêtres  et  nullement  de  ses  propres 
qualités  héréditaires.  Trompés  par  les  apparences,  des 
modernes  ignorants,  confondant  l'évolution  naturelle 
des  êtres  vivants  avec  la  perfectibilité  ainsi  surajoutée 
de  notre  civilisation,  s'imaginent  souvent  que  notre 

1  Voir  PoRSL  :  Hamann  Perfectibility  in  ihe  light  of  evotatiom, 
The  International  Monthiy,  Vol.  IV,  N«  S,  Buriiofton,  U.  S.  A.  Aodt 
1901. 


—  3tf  — 

qualité  héréditaire  elle-même,  et  la  leur,  a  fait  des 
progrès  sérieux  depuis  disons  2000  ans.  On  ne  peut 
pas  assez  protester  contre  pareille  absurdité.  Bien  au 
contraire,  la  guerre  moderne  détruisant  les  plus 
forts  et  les  meilleurs,  tandis  que  Thygiène  médicale 
fait  vivre  les  faibles  et  les  dégénérés,  les  laissant  se 
reproduire,  et  que  Talcool  empoisonne  de  plus  en 
plus  nos  germes  par  blaslophthorie,  la  valeur  psycho- 
physiologique héréditaire  de  notre  cerveau  tend  actuel- 
lement bien  plus  à  baisser  qu'à  s'élever. 

Cela  dit,  qu'est  l'espèce  humaine  par  hérédité? 

Provenant  de  quelque  pithécanthrope  descendu  des 
arbres  et  aujourd'hui  éteint,  elle  a  dû  devenir  de  plus 
en  plus  féroce  pour  se  défendre  contre  les  ours,  les 
litières  et  les  lions  ;  l'histoire  et  l'ethnographie,  dès 
l'homme  des  cavernes,  le  prouvent  à  l'envi.  Elle  a 
vécu  de  carnage  et  de  guerre,  mangeant  ses  sembla- 
bles ou  faisant  d'eux  des  esclaves.  L'homme  mâle  a 
même  soumis  sa  femme  et  ses  enfants  à  un  travail 
forcé  en  les  privant  de  leurs  droits  naturels.  Néan- 
moins, à  côté  de  sa  férocité  héréditaire,  obligé  pour 
sa  défense  à  une  vie  sociale,  au  début  en  petits  grou- 
pes, plus  tard  en  tribus  et  nations,  il  a,  d'autre  part, 
laissé  irradier  ses  sentiments  de  sympathie  familiale 
sur  les  membres  de  son  clan,  faisant  ainsi  preuve  de 
vertus  sociales,  c'est-à-dire  de  dévouement,  d'abné- 
gation et  d'héroïsme.  Les  sentiments  et  les  passions, 
ce  qu'on  appelle  le  tempérament,  reposent  essentiel- 
lement sur  des  dispositions  héréditaires.  Ce  sont  eux 


—  37  — 

avant  tout  qui  déterminent  nos  actes,  bien  plus  que 
rinteliect.  Ceux  de  la  béte  féroce  existe  sont,  entre 
autres,  Torgueil,  la  vanité,  la  colère,  la  haine,  la 
jalousie,  Tamour  de  la  victoire,  du  sang  et  de  la 
domination,  le  tout  combiné  à  la  faim  et  aux  appétits 
sexuels.  Ajoutons-y  la  ruse  et  Thypocrisie. 

En  deux  moLs  la  t^rande  tragédie  de  Thumanité 
est  due  au  fait  que  sa  nature  héréditaire  de  béte  fé- 
roce est  obligée  par  la  force  des  choses  et  surtout 
par  les  progrès  de  la  science  et  de  la  civilisation,  de 
vivre  en  sociétés,  jusqu'ici  plus  ou  moins  ennemies  les 
unes  des  autres,  mais  de  plus  en  plus  grandes  et  de 
mieux  en  mieux  organisées.  Son  amour  naturel  de  la 
domination,  de  la  jouissance,  de  la  liberté  —  disons  de 
la  licence  —  aux  dépens  des  «  autres»,  et  surtout  des 
plus  faibles,  se  trouve  ainsi  perpétuellement  contre- 
carré par  les  obligations  sociales  multiples  qui  Tobli- 
gent  au  travail  et  au  respect  du  droit  de  ses  sem- 
blables. Il  s'insurge  alors,  ce  qui  finit  par  l'obliger 
à  élaborer  des  lois  artificielles  .  rlv  :i«-s  et  pénales, 
contre  lui-même. 

Voilà  la  cause  psychologique  fondamentale  de  la 
guerre  actuelle  comme  de  toutes  les  guerres.  Les  inté- 
rêts pécuniaires  collectifs  des  nations  (conquêtes, 
colonies,  péages,  trusts,  etc.)  ne  constituent,  comme 
ceux  des  individus,  qu'une  modification  raffinée  des 
instincts  de  la  béte  féroce,  instincts  par  lesquels  elles 
cherchent  à  exploiter  les  autres  nations. 

Mais  les  individus  sont  personnellement  très  divers 


—  38  — 

et  rinfluence  de  ceux  d'entr'eux  qui  dirigent  et 
gouvernent  peut  être  immense.  II  n  est  pas  indiffé- 
rent d'être  gouverné  par  un  homme  bon,  social  et 
dévoué  au  bien  de  tous  ou  par  un  apache,  genre 
Bonnot  ou  Garnier.  L'influence  d*un  Néron,  d'un 
Napoléon,  d'un  Bismark  ou  d'un  Gladstone  a  été 
grande  sur  l'humanité,  car  elle  a  suggéré  et  dominé 
les  masses,  c'est-à-dire  une  partie  de  l'ensemble  social. 
Je  cite  un  exemple  actuel  : 

Ayant  reconnu  dernièrement,  grâce  au  mouvement 
social  de  l'abstinence  totale,  le  mal  immense  que  fai- 
sait l'alcool  en  Russie,  le  gouvernement  russe  a  déjà, 
au  commencement  de  1914,  pris  des  mesures  restric- 
tives très  sévères  contre  son  propre  monopole.  Puis 
il  a,  dès  le  début  de  la  guerre  actuelle,  fermé  tous 
ses  débits  d'eau-de-vie,  et  à  peu  près  interdit  l'usage 
du  vin  et  de  la  bière  dans  les  cafés  pour  presque 
tout  le  peuple  et  l'armée  russes.  L'effet  immédiat  a 
été  que  depuis  bientôt  deux  mois,  les  crimes  ont 
diminué  du  65  au  95^0  et  que  la  justice  n'a  presque 
plus  rien  à  faire!  Je  le  tiens  de  source  très  sûre. 

11  faut  diviser  les  causes  psychologiques  de  la 
guerre  actuelle  en  plusieurs  catégories  : 

1.  Tout  ce  qui  tient  à  l'hérédité  naturelle  de  la 
bête  féroce  humaine  et  avant  tout  de  ses  passions  égoïs- 
tes, soit  d'une  façon  collective,  soit  plus  spécialement 
chez  les  individus  influents  qui  nous  gouvernent. 
Dans  ce  domaine  l'orgueil  et  la  passion  de  dominer 
revêtent  les  formes  chauvines  qui  exaltent  ce  qu'on 


—  39  — 

appelle  le  patriotisme  de  «  race  »,  comme  le  panie^er- 
roanisme,  le  panslavisme,  etc.,  accompagné  d'idées 
méî^alomanes  de  çloire,  de  revanche  et  de  vengeance 
qui  existent  chez  tous  les  peuples. 

2,  La  suggestion  générale  qui  contamine  les  masses 
et  qui,  par  le  moyen  de  la  presse  et  de  ses  tendances, 
excite  les  passions  au  plus  haut  degré  en  faussant 
les  opinions  dans  un  certain  sens.  C'est  inimaginable 
à  quel  point  les  gouvernements  autocratiques,  à  Taide 
de  leur  censure  plus  ou  moins  occulte,  peuvent  faus- 
ser par  la  presse  Topinion  de  tout  un  peuple.  Ils 
rhypnotisenl  en  excitant  son  patriotisme  dans  le 
sens  qui  leur  convient.  Malgré  les  preuves  scientifi- 
ques claires  de  l'inextricable  métissage  mutuel  de 
toutes  nos  races  européennes,  on  trouve  encore 
moyen  de  faire  croire  à  chaque  nation  qu'elle  est 
très  supérieure  à  ses  voisines  et  à  l'exciter  ainsi  contre 
elles.  En  outre  les  plaies  et  les  exaltations  qu'ont  lais- 
sées chez  les  individus  les  souffrances  morales  ou 
l'orgueil  du  passé  s'enkystent  dans  le  sous-conscient 
de  chacun  en  y  laissant  des  «  complexus  »  qui  exci- 
tent ses  passions  dans  un  sens  spécial,  sans  qu'il 
s'en  rende  compte  ;  la  psychanalyse  le  démontre 
(défaite  des  Français  en  1870,  avec  l'idée  de  revanche 
pour  l'Alsace- Lorraine;  pangermanisme  orgueilleux 
chez  les  Allemands  comme  résultat  de  leurs  victoires 
d'alors,  etc.).  La  suggestion  des  masses  par  la  presse 
vendue  ou  dominée  est  un  des  instruments  les  plus 
dangereux  de  la  guerre. 


—  40  — 

3.  Les  traditions,  les  préventions  de  race,  de  lanj^ue 
et  de  relis^ion,  qui  sont  des  effets  accumulés  par  la 
civilisation  (voir  ci-dessus).  Chaque  nation  s'imagine 
que  «  son  Dieu  »  est  avec  elle  et  elle  Tiovoque  pour 
vaincre  ses  ennemis  ;  on  en  voit  actuellement  des 
exemples  écœurants.  Le  c  Dieu  des  armées  >  vit  tou- 
jours et  plus  même  que  jamais.  Il  trahit  par  là  son 
origine  humaine  d'une  façon,  hélas,  par  trop  écla- 
tante. 

4.  Une  des  causes  les  plus  grandes  de  la  guerre 
actuelle  sont  simplement  les  armements  toujours 
plus  énormes  de  la  bête  féroce  humaine,  armements 
que  chaque  nation  prétend  être  nécessaires  pour  se 
défendre  contre  les  autres.  Plus  même;  on  voit  des 
hommes  comme  Dostoïewski,  Ruskin  et  autres, 
exalter  la  guerre  comme  source  de  grands  sentiments, 
d'héroisme,  etc.,  puis  railler  la  paix  générale  comme 
risquant  d'avachir  l'humanité  !  Il  est  aisé  de  leur 
prouver  le  contraire.  Une  paix  de  cent  ans  n'a  pas 
plus  abaissé  la  Suisse  que  des  guerres  perpétuelles 
n'ont  élevé  la  Turquie.  C'est  à  la  suite  de  nombreuses 
guerres  que  les  Suisses  se  sont  au  contraire  abaissés 
autrefois  en  devenant  mercenaires. 

5.  Les  intérêts,  dits  nationaux,  jouent  un  grand 
rôle  dans  le  déchaînement  de  la  guerre  actuelle.  Il 
serait  pourtant  si  simple,  à  l'aide  du  libre  échange, 
d'arriver  peu  à  peu  à  un  accord  international. 

Venons-en  aux  causes  apparentes  dont  la  presse 
des  belligérants   accuse  naturellement  l'autre  parti 


—  41  — 

d'être  le  perfide  instigateur.  Ce  serait  vraiment  co- 
mique, si  ce  n'était  pas  si  tragique,  d'assister  à  tout 
ee  tissu  plus  ou  moins  inconscient  de  mensonges  et 
de  sophismes  hypocrites  qu  on  se  jette  mutuellement 
à  la  face  et  par  lesquels  les  masses  de  l'Europe  sont 
actuellement  sugeférées  en  sens  contraire  comme  si 
elles  étaient  en  délire.  On  voit  même  des  personnes 
reporter  par  suggestion  leur  haine  nationale  actuelle 
sur  leurs  propres  parents  et  amis  d'il  y  a  deux  mois! 
Ah,  oui,  certes!  la  passion  aveugle. 

Qui  a  commencé  ?  Est-ce  la  France  après  1870  avec 
ses  idées  de  revanche,  pourtant  bien  pâlies  aujour- 
d'hui? Est-ce  l'Allemagne  rêvant  de  la  domination 
du  monde  à  l'aide  du  pangermanisme  féodal  outré 
et  arrogant  de  son  état-major  et  de  ses  princes,  joint 
à  ses  armements  formidables?  Sont-ce  les  Balcani- 
ques  avec  leurs  guerres  ?  Est-ce  l'Italie  qui  a  profité 
de  ces  dernières  pour  prendre  Tripoli  ?  Sont-ce  les 
intrigues  de  l'Autriche,  furieuse  des  victoires  serbes, 
et  fondant  par  vindicte  l'Albanie,  sous  le  prétexte  de 
la  libérer,  avec  la  complicité  de  l'Italie  ?  Est-ce  la 
Serbie,  parce  que  quelques  Serbes  criminels  et  exaltés 
ont  assassiné  François-Ferdinand  ?  Est-ce  l'Autriche, 
déclarant  la  première  la  guerre  à  la  Serbie?  Est-ce  la 
Russie,  convoitant  depuis  longtemps  les  provinces 
slaves  de  l'Autriche,  et  mobilisant  pour  ne  pas  aban- 
donner la  Serbie  à  son  sort?  Est-ce  l'Angleterre, 
depuis  longtemps  jalouse  de  l'Allemagne  ?  Qui  peut 
le  dire?  Tout  y  a  contribué,  mais  surtout  l'opposi- 


—  42  — 

lion  de  la  Triple-Alliance  à  la  Triple-Entente  comme 
préparation  évidente  à  une  guerre  future,  guerre  de 
la  c  nécessité  »  de  laquelle  chaque  parti  s'était  de  plus 
en  plus  suggéré.  Quelle  folie  pour  laquelle  on  cherche 
après  coup  des  «  raisons  »  ;  les  sophismes  sont  ici 
transparents  comme  du  cristal  ! 

Deux  tristes  choses  sont  à  constater.  La  première 
est  que  de  toutes  les  causes  de  la  guerre,  aucune 
n'est  raisonnablement  valable;  mais  les  responsabi- 
lités sont  tellement  complexes  que  chacun,  même  le 
plus  véreux,  s'en  lave  les  mains,  si  sales  soient-elles. 
L'étincelle  qui  a  mis  le  feu  aux  bombes,  chargées 
partout,  était  en  elle-même  une  vétille.  lia  seconde 
est  qu'on  peut  allumer  la  lanterne  de  Diogène^  même 
à  la  lumière  électrique,  et  la  promener  partout  sans 
découvrir  actuellement  une  personnalité  vraiment  su- 
périeure, mue  par  un  idéal  social  élevé,  qui  veuille  et 
puisse  ramener  impartialement  la  paix  en  Europe  et 
la  rendre  définitive.  Surgira-t-elle?  Si  oui,  où  et 
quand  ? 

Si  les  diplomates  de  chaque  nation,  au  lieu  de  s'es- 
crimer à  tromper  et  à  saigner  l'humanité,  s'escri- 
maient à  préparer  les  Etats-Unis  internationaux  selon 
la  «  Sainte-Alliance  des  peuples  »  de  Béranger,  ils 
feraient  certainement  un  meilleur  ouvrage.  On  ne 
peut  sans  doute  pas  changer  la  férocité  héréditaire 
de  l'homme,  tout  au  plus  la  modifier  petit  à  petit  par 
une  bonne  sélection,  mais  il  faudrait  avant  tout  ces- 
ser de  prêcher  la  guerre  comme  moyen  de  rénova- 


—  43  — 

(ion  des  peuples.  La  science  nous  montre  la  Toie  à 
suivre,  consullons-là. 

Il  ne  faut  être  ni  trop  pessimiste,  ni  trop  opti- 
miste. «  On  apprivoise  bien  les  tigres,  les  lions  et  les 
panthères,  mais  on  n'apprivoise  pas  les  huîtres,  »  di- 
sait l'ancien  conseiller  d'Etat  M.  Camperio,  à  Genève. 
Grâce  à  sa  haute  intelligence,  on  pourra  donc  aussi 
apprivoiser  même  l'homme,  si  féroce  qu'il  soit.  Mieux  : 
l'expérience  sociale,  aujourd'hui  mondiale,  y  par- 
viendra d'elle-même  par  des  leçons  de  choses.  Le 
tout  est  de  bien  savoir  s'y  prendre,  comme  le  roi 
Ménélik  d'Abyssinie  l'avait  fait  pour  les  lions  qui 
se  promenaient  librement  devant  son  palais.  Il  est 
évident  que  si  l'on  veut  sérieusement  combattre  des 
causes  aussi  complexes  que  celles  de  la  guerre  ac- 
tuelle, il  faut  s'attaquer  à  chacune  d'elles.  Il  n'existe 
pas  de  panacée  générale  qui  guérisse  tout. 

Les  hommes  seraient  atteints  de  folie  incurable  s'ils 
n'aspiraient  pas  de  plus  en  plus  à  une  paix  interna- 
tionale définitive*.  Dès  qu'une  volonté  haut  placée,  à 
la  fois  puissante  et  persévérante,  voudra  réellement 
cette  paix,  elle  la  fera  triompher.  A  elle  appartiendra 
alors  la  plus  grandiose  des  statues,  une  statue  dressée 
par  l'humanité  toute  entière. 

Yvome,  29  novembre  1914.  Aug.  Forel. 

>  A  c«  sujet  je  renvoie  le  lecteur  à  une  férié  d'articles  iaiitolés  :  Les 
KUUt'Unit  de  la  Terre  et  publiés  dès  le  numéro  du  ti  norembre  1914 
«Uns  le  journal  La  Libr$  Pensée  internationale  à  Lausanne  (en  lan^e 
allemande  dans  Dte  Mentchheitt  même  éditeur,  4,  me  de  la  Louve). 


L'OPINION  DE  DOSTOIEVSKY 

SUR  L'ALLEMAGNE 

ET  LES  ALLEMANDS 


Les  idées  de  Dostoïevsky  sur  les  questions  de 
nationalité  et  de  politique  sont  extrêmement  com- 
plexes. Les  routes  par  lesquelles  il  conseillait  de  se 
dirijçer  vers  «  la  grande  harmonie  universelle  »  sont 
obscures,  tortueuses,  enchevêtrées,  mais  son  idéal 
final  est  clair.  «  Oh  !  les  peuples  de  FEurope  ne  savent 
pas  combien  ils  nous  sont  chers  !  dit-il  dans  son  dis- 
cours célèbre  sur  Pouchkine  ;  et  c'est  pourquoi  j'ai 
la  certitude  que  les  hommes  à  venir  comprendront 
tous,  jusqu'au  dernier,  qu'être  un  vrai  Russe  signi- 
fiera toujours  plus  :  s'efforcer  d'amener  un  apaise- 
ment définitif  dans  les  disputes  européennes  ;  mon- 
trer aux  inquiétudes  de  l'Europe  une  issue  en  l'Ame 
russe,  universellement  humaine  et  universellement 
conciliante  ;  accueillir  en  elle,  avec  un  fraternel 
amour,  tous  nos  frères  ;  et,  à  la  fin  des  fins,  pro- 
noncer peut-être  la  parole  finale  de  grande  harmonie 


—  45  - 

universelle...  »  En  assignant  un  but  aussi  grandiose 
à  la  «  douce  »  Russie,  Dostoïevsky  condamnait  l'Occi- 
dent pour  son  arrogance  antichrëticnne,  pour  le  déve- 
loppement démesuré  de  l'individualité. 

Ceci  est  Tesquisse  fondamentale  de  ses  vues  sur 
tous  les  peuples  de  TOccident,  de  toutes  ses  obser- 
vations, de  ses  réflexions  et  de  ses  prévisions  parfois 
profondes. 

Le  Journal  d*iin  écrivain^  cette  confession  histo- 
rico-philosophique,  fait  voir  avec  quel  intérêt  soutenu 
Dostoïevsky  étudiait  la  vie  politique  occidentale.  Son 
séjour  à  rétranger,  pendant  les  années  1867  à  1871, 
lui  donna  la  possibilité  de  poser,  pour  ainsi  dire,  le 
doigt  sur  les  plaies  de  l'Occident.  Vivant  en  Alle- 
magne, à  Dresde,  il  suivit,  en  particulier,  avec  une 
sympathie  ardente,  les  événements  de  la  guerre 
franco-prussienne. 

La  religion  de  la  souffrance,  que  Dostoïevsky  por- 
tait dans  son  cœur,  n'excluait  pas  la  guerre.  Il  voit 
en  elle  une  épreuve  spirituelle  pénible,  mais  néces- 
saire. «  Sans  la  guerre,  écrivait-il  à  une  amie  le 
17  août  1870,  l'homme  s'engourdit  dans  le  confort 
et  dans  la  richesse,  perd  absolument  la  faculté  des 
pensées  élevées  et  des  grands  sentiments  et,  à  une 
allure  imperceptible,  redevient  sauvage  et  retombe 
dans  la  barbarie...  Qui  n'a  pas  souffert  ne  comprend 
pas  le  bonheur.  L'idéal  passe  par  la  souffrance,  comme 
l'or  par  le  feu.  Le  royaume  des  cieux  se  conquiert  par 
la  violence.  La  France  s'était  trop  racornie  et  râpe- 


—  46  — 

tissée.  La  douleur  présente  ne  signifie  rien  ;  elle  la 
supportera  et  ressuscitera  à  une  vie  nouvelle  et  à  une 
nouvelle  pensée.  Tout  n'était-il  pas  jusqu'ici,  d'un 
côté  :  parlage  vieillot,  et  de  Tautre  :  pusillanimité  et 
jouissance  charnelles  ?  » 

Il  y  avait  déjà  longtemps  que  Dostoïevsky  avait 
donné,  dans  les  Remarques  d^ hiver  sur  des  impres- 
sions  d'été,  une  caractéristique  pittoresque  et  acerbe 
de  cette  bourgeoisie  bonapartiste  de  France. 

Maintenant,  il  se  réjouissait  de  la  chute  prochaine 
de  l'ancien  régime  :  «  La  famille  de  Napoléon  s'est 
rendue  impossible.  Cette  nouvelle  vie  future  et  cette 
régénération  sont  si  importantes  que  la  souffrance, 
quelque  pénible  qu'elle  soit,  n'est  rien,  à  côté.  N'y 
discernez-vous  donc  pas  la  main  de  Dieu  ?  »  Et  il 
continue  par  des  déductions  encore  plus  pénétrantes  : 

«  Notre  politique  russe,  européenne,  allemande  de 
soixante-dix  ans,  va  être  forcée  de  se  transformer 
elle-même.  Ces  mêmes  Allemands  nous  révéleront, 
enfin,  ce  qu'ils  sont  en  réalité...  »  Dostoïevsky  n'at- 
tendait rien  de  bon  des  Allemands,  et,  dans  le  tableau 
qu'il  traçait  de  l'histoire,  ils  apparaissaient,  tout  au 
plus,  comme  une  arme  entre  les  mains  de  Dieu  pour 
corriger  la  France.  c<  J'aurais  beaucoup  de  choses  à 
vous  écrire,  dit-il  à  sa  correspondante,  en  ma  qualité 
d'observateur  personnel  des  mœurs  allemandes  dans 
la  minute  présente,  mais  je  n'en  ai  pas  le  temps...  » 
Il  livra,  dans  la  suite,  une  partie  de  ces  impressions 
au  Journal  d'un  écrivain.  Les  Allemands  d'avant  la 


-    47  — 

guerre  l'avaient  frappt^  par  «  leur  étonnante  prépa- 
ration militaire,  leur  pas  méthodique,  leur  discipline 
exacte  et  sévère,  mais  en  même  temps  par  une  cer- 
taine liberté  peu  habituelle,  que  je  n'avais  encore 
jamais  vue  chez  le  soldat,  par  une  résolution  cons- 
ciente, qui  s'exprimait  dans  chaque  geste,  dans  cha- 
que pas  de  ces  braves.  Il  était  évident  qu'on  ne  les 
poussait  pas,  qu'ils  avançaient  d'eux-mêmes.  Rien 
de  raide,  pas  de  caporalisme  superflu,  et  cela  chez 
des  Allemands,  chez  ces  mêmes  Allemands  à  qui 
nous  avions  emprunté,  dès  Pierre-le-Grand,  pour 
créer  notre  armée,  le  caporal  et  la  bajs^uette.  Eh  bien, 
non!  ces  Allemands  marchaient  sans  baguette,  comme 
un  seul  homme,  avec  une  résolution  parfaite  et  une 
pleine  confiance  dans  la  victoire.  La  guerre  était 
populaire,  dans  chaque  soldat  brillait  un  citoyen,  et, 
je  Tavoue,  les  Français  alors  me  firent  pitié...  » 

Mais  bientôt  les  Allemands  montrèrent  au  monde 
qu'ils  ne  valaient  pas  mieux  que  dans  la  guerre  ac- 
tuelle. M  N'est  -  il  pas  un  grand  enfant ,  écrivait 
Dostoîevsky  à  A.-N.  MaïkofF,  le  30  décembre,  ce 
Russe  (et  ils  le  sont  presque  tous)  qui  croit  que  le 
Prussien  a  remporté  la  victoire  grâce  à  l'école  ?  Ne 
faut-il  pas  de  l'impudence  pour  oser  soutenir  que 
l'école  est  bonne,  qui  enseigne  à  piller  et  à  torturer 
comme  une  horde  d'Attila  (pour  ne  pas  dire  plus)?  » 
Même  à  cette  période  de  la  guerre,  le  peuple  alle- 
mand continuait  à  inspirer  de  la  sympathie  à 
Dostoîevsky  ;  quant  à  la  bourgeoisie,  elle  le  révoltait 


—  48  — 

jusqu'au  fond  de  l'âme.  «  J'ai  lu  moi-même  plusieurs 
lettres  de  troupiers  allemands  en  France,  sous  Paris, 
adressées  ici  à  leurs  pères  et  mères  (des  boutiquiers, 
des  revendeuses).  Seigneur!  ce  qu'ils  écrivent! 
Comme  ils  sont  malades  et  affamés!...  Du  reste,  une 
observation  :  dans  les  premiers  temps  la  Wacht  am 
Rhein^  entonnée  par  la  foule,  retentissait  fréquem- 
ment dans  les  rues  ;  maintenant,  plus  du  tout.  Ceux 
qui  s'échauffent  et  s'enorgueillissent  le  plus,  ce  sont 
les  professeurs,  les  docteurs,  les  étudiants,  mais  le 
peuple,  guère.  Même  pas  du  tout.  Mais  les  profes- 
seurs triomphent.  J'en  rencontre  chaque  soir,  à  la 
Lese-Bibliothek.  Un  de  ces  savants,  chenu  comme 
un  cygne,  et  influent,  criait  au  bout  de  trois  jours  : 
Paris  muss  bombardirt  sein  !  Voilà  les  résultats 
de  leur  science.  A  côté  de  la  science,  rien  que  de  la 
bêtise.  Ils  peuvent  être  des  érudits,  mais  ils  sont  de 
terribles  imbéciles!  Encore  une  observation  :  tout  le 
peuple  ici  est  instruit,  mais  incroyablement  rustre, 
sot,  obtus,  voué  aux  intérêts  les  plus  terre  à  terre.  » 

Peu  après,  le  26  janvier  1871,  dans  une  des  lettres 
suivantes  à  Maïkoff,  DostoTevsky,  à  la  nouvelle  que 
les  Allemands  «  veulent  rétablir  Napoléon  par  le 
glaive,  comptant  avoir  en  lui  et  en  sa  descendance 
des  esclaves  per[)étuels  et  lui  garantissant,  à  ce  prix, 
l'avenir  de  sa  dynastie  n,  donnait  libre  cours  à  son 
mécontentement  : 

i  Souvenez-vous  du  texte  de  FEvangile  :  «  Celui 
qai  se  servira  de  Tépée,  périra  par  l'épée.  »  Non,  ce 


—  49  — 

qui  est  fondé  par  le  glaive  n'est  pas  durable  !  Et 
après  cela,  ils  crient  :  «  Jeune  Allemagne  !  »  Bien  au 
contraire,  c'est  le  fait  d'un  peuple  qui  a  survécu  à 
ses  forces,  après  avoir  possédé  un  tel  esprit  et  une 
telle  science,  que  de  se  confier  à  l'idée  du  sahre,  du 
sang,  de  la  violence,  de  ne  pas  soupçonner  même  la 
force  de  l'esprit  et  de  l'enthousiasme,  et  de  rire  de 
ces  choses  avec  une  grossièreté  de  caporal  !  Non, 
c'est  un  peuple  mort  et  sans  avenir.  Et  s'il  est  en- 
core vivant,  croyez  bien  qu'après  la  première  ivresse 
il  trouvera  en  soi  une  protestation  au  nom  du  Bien, 
et  que  le  sabre  tombera  de  lui-même.  Il  y  a  encore 
ceci  :  l'épuisement  matériel  de  rAllemagne  est  main- 
tenant si  grand  qu'elle  pourrait  difficilement  suppor- 
ter encore  quatre  mois  de  résistance.  Oh  !  en  revenant 
de  France,  ils  vont  nous  flatter  pendant  les  deux  pre- 
mières années!  Mais  il  se  pourrait  que,  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  leur  ton  tournât  à  la  gros- 
sièreté avant  l'expiration  de  ce  délai.  » 

C'est  justement  ce  qui  se  produisit.  Les  Allemands 
regagnèrent  leurs  foyers,  enivrés  par  leurs  victoires. 
«  Ajoutez-y,  dit  Dosloïevsky  dans  le  Journal  d'un 
écrivain,  la  présomption  habituelle  des  Allemands, 
et  d'ailleurs  de  toutes  les  nations,  qui  les  porte  à  se 
louer  démesurément  à  propos  d'un  succès  quelconque, 
présomption  mesquine  jusqu'à  l'enfantillage  et  qui, 
chez  l'Allemand,  tourne  toujours  à  l'effronterie...  Ils 
exultaient  alors  au  point  de  commencer  à  offenser 
les  Russes.  Ceux-ci  étaient^  dans  ce  temps-là,  très 


—  50  — 

nombreux  à  Dresde,  el  beaucoup  d'entre  eux  racon- 
tèrent dans  la  suite  comment  chaque  Allemand,  jus- 
qu'au petit  boutiquier,  en  s'entretenant  avec  des 
Russes,  ceux-ci  fussent-ils  même  des  clients  qui  en- 
traient faire  une  emplette  dans  son  magasin,  s'em- 
pressait de  leur  adresser  cette  phrase  :  «  A  présent 
que  nous  sommes  venus  à  bout  des  Français,  nous 
allons  nous  en  prendre  à  vous.  » 

«  Cette  méchanceté  à  Fégard  des  Russes  fermentait 
alors  spontanément  dans  le  peuple,  indépendamment 
de  tout  ce  que  publiaient  les  journaux  de  l'époque, 
qui  expliquaient  la  politique  de  la  Russie  au  moment 
de  la  guerre,  poHtique  sans  laquelle  les  Allemands 
n'auraient  probablement  pas  pu  moissonner  autant 
de  lauriers.  Vrai,  c'était  là  la  première  fougue  résul- 
tant d'un  succès  militaire  inespéré,  mais  il  faut  retenir 
ce  fait  que  dans  leur  ardeur  belliqueuse  ils  songèrent 
aussitôt  aux  Russes.  Cette  exaspération,  qui  se  mani- 
festait presque  involontairement  contre  les  Russes,  ne 
laissa  pas  de  m'étonner  au  premier  abord,  bien  que 
j'aie  su  pendant  toute  ma  vie  que  l'Allemand,  tou- 
jours et  partout,  même  en  plein  quartier  allemand 
de  Moscou,  n'éprouve  point  de  bienveillance  pour  le 
Russe.  » 

Vers  1876,  selon  l'observation  de  Dostoïevsky, 
la  politique  antirusse  de  l'Allemagne  se  manifesta 
ouvertement,  et  en  1876  l'écrivain  russe  eut  l'occa- 
sion  d'entendre  et  de  lire  en  Allemagne  les  déclara- 
tions les  plus  hostiles  à  l'adresse  de  la  Russie.  «  Avec 


—  51  — 

un  calme  triomphant,  et  même  hautain,  on  se  com- 
muniquait, les  uns  les  autres,  que  jamais  encore  la 
Russie  n'avait  été  dans  une  situation  aussi  précaire 
au  point  de  vue  militaire,  etc.  » 

Les  propos  de  Dostoîevsky  sur  nos  antagonistes 
d'alors  et  ennemis  d'aujourd'hui  sont  d'autant  plus 
justes  qu'il  n'était  pas  aveuglé  par  la  haine.  «  La 
trop  grande  suffisance,  le  caractère  national  trop 
entêté,  trop  hautain,  même,  »  des  Allemands  lui 
étaient  insuppotables,  mais  il  appréciait  fort  les  bons 
côtés  de  la  nature  allemande  :  l'énergie  et  l'amour  du 
travail. 

Toutes  ces  remarques  se  lisent  à  l'heure  où  nous 
sommes  avec  un  intérêt  plus  grand  encore  qu'il  y  a 
une  quarantaine  d'années.  Les  faits  ont  vérifié  plu- 
sieurs des  prédictions  de  Dostoîevsky.  «  Les  Alle- 
mands nous  ont  révélé  ce  qu'ils  sont  réellement.  »  A 
la  suite  de  la  «  première  ivresse  »  de  1871,  pendant 
des  dizaines  d'années  le  glaive  a  régné  sur  tous,  en 
Allemagne,  et  la  gangrène  du  militarisme  asservis- 
sant  a  fait  de  grands  progrès.  N.  L. 

Extrait  du  journal  le  Hetch.     Trad.  du  russe,  par  A.  Langib. 


Les  lettres  que  nous  publions  ci-après  ont  été 
presque  toutes  adressées  à  MM,  Romain  Rolland  et 
René  Morax,  qui  ont  bien  voulu  nous  les  confier. 
Nous  avons  retranché  ce  qui  était  trop  personnel. 

Ces  lettres  sont  des  réponses  à  une  enquête. 
Nous  ne  donnons  ici  que  quelques  témoignages 
caractéristiques  y  nous  réservant  de  fournir  ailleurs 
la  somme.  Ce  sont  les  opinions  impartiales  de 
quelques  éminents  contemporains  réduits  au  rôle  de 
spectateurs  dans  la  grande  tragédie  d'Europe, 
Quelques  amis  personnels  de  Belgique  et  de  France 
ont  uni  leur  cri  d'indignation  et  de  douleur  à  cette 
orotestation. 


PAUL  CLAUDEL 

Bordeaux,  29  sept.  1014. 

Je  m'associe  de  tout  cœur  à  votre  protestation 
contre  les  abominables  crimes  de  Louvain  et  de 
Rheims,  qui  déshonorent  à  jamais  la  nation  alle- 
mande. 

JACQUES  COPEAU 

directeur  de  la  JVouoelie  Revue  Française. 

7  octobre  1914. 

Je  joins  mon  nom  à  la  protestation  internationale 
contre  la  dévastation  de  Reims  et  de  Louvain.  Mais, 
combien  il  me  paraît  dérisoire  de  «protester»  contre 
la  barbarie!...  C*esl  avec  un  fusil  que  j'aimerais  pro- 
tester. Le  plus  grand  crime  des  Allemands  est  peut- 
être  de  nous  inspirer  cette  implacable  haine  et  ce 
besoin  de  vengeance... 

!>  AFFONSO  COSTA 

ancien  président  du  Conseil. 

Lisbonne,  9  octobre  1914. 

Son  Excellence  M.  le  docteur  Affonso  Costa  me 
charge  de  vous  faire  savoir,  en  réponse  à  votre 
aimable   lettre   du  29  septembre,   qu'elle  s'associe. 


—  54  — 

de  tout  cœur,  à  toutes  les  manifestations  de  protes- 
tation contre  le  caractère  barbare  de  la  guerre,  telle 
que  les  Allemands  la  font,  et  contre  la  destruction 
des  monuments  et  des  œuvres  qui  sont  le  patrimoine 
de  l'humanité  civilisée. 

Urbano  Rodrigues,  secrétaire. 

LOUIS  DUMUR 

Nietzsche  avait  raison.  Les  Allemands  n'ont  pas  de 
culture.  Les  sauvages  destructions  de  Louvain,  de 
Malines,  de  Senlis,  de  Reims,  de  tant  de  petites  villes 
précieuses  de  Belgique  ou  de  France,  —  quels  que 
soient  les  motifs  qu'essayent  d'invoquer  ces  brutes 
pour  justifier  leur  vandalisme,  —  ces  actes  d'épou- 
vantable barbarie  en  sont  la  criante  démonstration. 
Mais  selon  la  profonde  distinction  de  leur  plus  perspi- 
cace philosophe,  si  les  Allemands  n'ont  pas  de  Kultur, 
ils  ont  une  Bildung^  une  «  formation  ».  Ces  rettres 
ont  tout  appris,  et  ils  «  savent  »  parfaitement  ce  qui 
est  beau.  C'est  ce  qui  les  différencie  des  grands  Bar- 
bares du  moyen  âge  auxquels  on  leur  fait  volontiers 
l'honneur  de  les  comparer.  Ceux-ci,  ces  rudes  des- 
tructeurs de  la  civilisation  gréco-romaine,  ignoraient 
la  valeur  de  ce  qu'ils  détruisaient.  Forts  de  leur  BiU 
dun(/y  nos  modernes  barbares,  eux,  la  connaissent. 
Mais  leur  défaut  de  Kultur  leur  interdit  en  même 
temps  de  la  «sentir».  Aussi  n'hésitent-ils  pas,  dans 
l'étalage  stupide  de  leur  force,  à  s'attaquer  précisé- 


—  56  — 

ment  à  ce  qu'ils  «savent»  ôtre  beau,  afin  de  mieux 
frapper  riinaginatiou  et  compléter  par  l'anéantisse- 
ment des  chefs-d'œuvre  leur  vaste  entreprise  de 
terrorisation,  que  ne  leur  paraît  pas  encore  suffi- 
samment assurer  leurs  actes  d'abjecte  cruauté  sur 
les  personnes.  C'est  la  barbarie  consciente  et  voulue, 
la  barbarie  savante,  la  barbarie  germanique.  Voilà 
ce  qui  rend  l'Allemagne  particulièrement  odieuse  et 
infâme,  voilà  ce  qui  fait  reculer  d'horreur  à  la  pensée  de 
son  hégémonie  possible,  voilà  ce  qui  détourne  d'elle, 
les  uns  après  les  autres,  tous  les  peuples  de  la  terre 
et  les  fait  souhaiter  sa  ruine,  si  bien  qu'il  ne  reste 
plus,  aujourd'hui,  pour  embrasser  sa  cause  et  l'ad- 
mirer, que  les  Turcs  et  quelques  Suisses  allemands. 

GUGLIELMO  FERRERO 

Torre  Pellice,  8  septembre  1914. 

Je  vous  envoie  mon  adhésion  contre  les  exploits 
des  Huns  du  xx*  siècle...  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit 
juste  d'opposer,  comme  on  le  fait  si  souvent,  l'Alle- 
magne de  la  pensée  et  celle  de  l'action.  Il  y  a,  à  mon 
avis,  un  lien  étroit  entre  l'une  et  l'autre.  Malgré 
les  apparences,  la  barbarie  dont  les  Allemands  font 
preuve  dans  Faction  dérive  de  leur  culture.  Dans  la 
philosophie,  comme  dans  l'art  et  dans  la  littérature, 
ce  qui  leur  manque,  c'est  le  sens  des  limites,  et  pour 
cela  l'harmonie.  Ils  veulent  toujours,  dans  la  re- 
cherche de  la  vérité  et  de  la  beauté,  aller  par  propos 


—  56  — 

dëlibëré  au  delà  de  toul  ce  qui  a  été  dit,  pense, 
admiré  jusqu'à  ce  moment.  On  peut  parfois  créer 
des  chefs-d'œuvre,  à  côté  de  folies  absurdes,  avec  ce 
système  ;  mais  transportez  cette  tendance  dans  l'ac- 
lion,  admettez  qu'avec  un  elFort  de  volonté  on  peut 
tout  faire,  et  vous  avez  la  guerre  dont  nous  sommes 
les  témoins  effarés.  Pour  moi,  la  culture  allemande, 
malgré  ses  qualités,  n*a  pas  été  un  fléau  moins  dan- 
gereux pour  le  monde  que  sa  politique... 

JOSÉ  DE  FIGUEIREDO 

Directeur  du  Musée  national  d'art  ancien. 

Membre  de  rAcadcmie  des  Sciences  et  du  Conseil  supérieur 

d'art  et  d'archéologie  de  Lisbonne. 

Lisbonne,  23  octobre  1914. 

...  J'ai  aimé  et  j'aime  toujours  la  grande  Allemagne 
de  Beethoven  et  de  Goethe,  celle  que  Romain  Rolland 
a  exaltée  dans  ses  ouvrages,  TAllemagne  de  Juste  et 
des  consciencieux  historiens  d'art,  le  pays  des  magni- 
fiques bibliothèques  et  des  beaux  musées,  où,  comme 
dans  le  Kaiser  Friederich  de  Berlin,  —  vrai  chef- 
d'œuvre  d'organisation  et  de  présentation,  —  fai- 
saient à  peine  tache  les  restaurations  vandaliques  des 
Hauser...  Mais  cette  Allemagne,  hélas  !  je  ne  la  recon- 
nais plus  dans  celle  d'aujourd'hui,  souillée,  comme 
elle  l'est  maintenant,  par  la  fumée  qui  monte  chaque 
jour  de  vos  merveilleux  h()tels  de  ville  et  cathédrales. 
Malgré  la  RfMKnssance,  Leibnitz  et,  après  lui,  tout  un 


—  57  — 

beau  siècle  de  penseurs  et  d'artistes,  il  semble  qu  a  tra- 
vers l'esprit  des  casernes  «  la  puissance  des  ténèbres  » 
des  Germains  d'avant  Tan  mille  dure  encore  1 

Je  viens  de  recevoir,  envoyé  de  Berlin,  V Appel  aux 
nations  civilisées,  protestation  des  artistes  et  intellec- 
tuels allemands.  Sans  oublier  Tbonneur  que  me  font 
ainsi  ses  signataires,  et  malgré  la  connaissance  que 
j'en  avais  déjà  par  quelques  extraits  publiés  dans  les 
journaux,  je  le  lis  avec  stupeur,  et,  après  l'avoir  lu, 
j'en  souffre,  voyant  au  bas  de  ce  document,  désormais 
historique,  les  noms  de  tant  d'hommes  illustres  que 
nous  étions  habitués  à  admirer  et  respecter. 

Je  vais  faire  publier  ma  lettre  dans  un  des  plus 
grands  journaux  d'ici^  et  j'inviterai  nos  artistes  et 
intellectuels  à  adhérer  à  la  protestation  contre  la 
ruine  de  Reims. 


PAUL  FORT 

4  octobre  1914. 

«  Oh  !  cet  assassinat  de  ma  Cathédrale  par  ces 
chefs  allemands  I...  Ma  Cathédrale!...  Je  suis  né  en 
face  d'elle,  près  du  Lion  d'Or.  Tout  petit,  les  yeux 
encore  brouillés  de  paradis,  je  la  rêvais...  je  la  devi- 
nais. Et  puis,  elle  naquit  pour  moi.  Elle  fut  ma  pre- 
mière vision.  N'est-ce  pas  à  cause  de  mes  jeux  d'en- 
fant sur  son  parvis,  n'est-ce  point  pour  avoir  tant 
aimé,  adolescent,  cette  française  forêt  de  pierres 
habitée  de  saints,  de  rois,  de  héros,  d'anges  à  demi- 


—  58  — 

envolés,  tout  comme  un  arbre  d'oiseaux,  ajourée  de 
roses,  éclaircie  de  vitraux  qui  font  des  miracles  pris- 
matiques, toute  cette  «  élévation  »  céleste  et  terrestre, 
solide  et  légère,  et  quoique  lyrique  imprégnée  de  bon 
sens  gaulois,  n'est-ce  point  pour  avoir  vu  tout  cela 
dans  mon  enfance  que  plus  tard  j'ai  chanté  des 
chants  français,  des  chants  dans  le  goût  de  ma 
race?...  Enfin!  je  pense  que  c'est  assez  pour  me 
donner  le  droit  de  vouloir  la  venger... 

ADA  NEGRI 

Zurich,  22  septembre  1914. 

Si  i  sono  con  voi.  Una  vita  d'uomo  non  ha  chc  i 
limiti  d*una  vita  ;  ma  i  monumenli  sono  eterni,  e  la 
loro  belezza  è  gioia  per  tutte  le  generazioni.  La  fero- 
cia  inaudita  delPattuaie  guerra  dovrebbe  almeno  ris- 
pettare  i  monumenti  e  le  cattedrali,  inviolabile  patri- 
monio  del  mondo.  Quale  crimine  puo  essere 
paragontoalladistruzione  délia  Cattedraledi  Reims?... 
—  Ma  noi  non  siamo  che  atomi  impotenti,  quando 
le  forze  elementari  si  scatenano.  Che  altro  non  è 
questa  guerra,  se  non  una  catastrofa  elementare  ? 
E  se  a  tanto  è  giunta,  sappiamo  noi  fino  a  quai  punie 
di  parossismo  distruttore  essa  giungerà  ?...  E  chi 
potrà  vantarsi  di  slabilire  serenamente  tutte  le  respon- 
sabilità?...  —  È  la  guerra,  la  guerra  in  massima,  che 
bisognerebbe  sopprimere,  togliere  per  sempre  dalla 
faccia  del  mondo.  Oh  1  che  almeno  questa,  combatluta 


—  50  — 

ora  con  tanto  furore  ed  accanimento  barbaro  su  tutti 
i  campi  d'Europa,  possa  esser  Tullima  !... 

Invio  col  pensiero  una  fronda  di  lauro  al  tumalo 
;rlorioso  de!  vostro  Eroe-Poela,  Charles  Péçuy. 

GIUSEPPE  PREZZOLINI 

Il  bombardamento  di  Reims  non  è  tanto  da  rim- 
proverare  ai  tedeschi  per  la  distruzione  di  un'opera 
d'arte  che  più  o  meno  tardi  il  tempo  avrebbe  consu- 
mato  e  distrutto,  quanto  per  la  solita  mancanza  di 
latto  e  di  accortezza  che  indica  il  loro  accecamento. 
Era  meglio  lasciare  amroa/are  mille  tedeschi  che 
procurare  una  cosi  bella  occasione  ai  Francesi  di  far 
passare  per  barbari  i  loro  avversari.  La  çuerra  è  la 
^erra  e  se  la  cattedrale  era  un  ostacolo  bisognava 
Tatterrarla  ;  ma  Timbecillità  romincia  quando  non  si 
calcolano  gli  effetti  morali  di  quella  distruzione. 

{La  Voce,  Florence)  13  octobre  1914. 

TEIXEIRA  DE  QUEIROZ 

de  l'Académie  des  sciences. 

LisboDoe,  Avenida  Fontes,  18. 

S5  octobre  1914. 

Je  suis  absolument  contraire,  par  instinct  et  par  édu- 
cation philosophique,  à  la  barbarie  de  la  guerre  ac- 
tuelle et  je  déplore  qu'on  ait  profité  des  merveil- 
leuses découvertes  de  la  science   moderne  pour   la 


fabrication  de  machines  de  guerre  qui  donnent  la 
mort  à  tant  d'hommes  et  qui  détruisent  tant  de 
chefs-d'œuvre. 

A  propos  de  la  «  destruction  de  monuments  et 
d'œuvres  qui  sont  le  patrimoine  de  Thumanité  civi- 
lisée »  mon  sentiment  de  réprobation  est  également 
fort  et  énergique.  Je  n'aurais  jamais  cru  que  pen- 
dant ma  vie,  j'aurais  pu  assister  à  une  telle  calamité 
et  voir  des  hommes  représentant  une  des  nations 
qui  marchent  en  tête  de  la  civisation,  raser  des  villes 
non  fortifiées  et  détruire  des  monuments  qui  repré- 
sentent Fâme  héroïque  du  passé,  dans  la  religion  et 
dans  Tart.  C'est  incroyable.  Hobbes  avait  raison 
quand  il  nous  disait  que  l'homme  est  un  loup  pour 
l'homme.  Malgré  les  admirables  conquêtes  de  l'art 
et  de  la  science,  nous  conservons  les  féroces  instincts 
des  ancêtres  habitants  des  cavernes.  Notre  intelli- 
gence a  progressé,  mais  le  sentiment  qui  rend  l'hu- 
manité heureuse  s'est  arrêté  d'une  manière  lamen- 
table, ou  encore  mieux,  les  bons  instincts  ont  été 
vaincus  par  les  mauvais,  et  l'intelligence  victorieuse 
par  ses  découvertes  a  aidé  ceux-ci,  inventant  des 
machines  pour  se  détruire  ellp-m(^me. 


—  61  — 
AUGUSTE  RODIN 


Je  suis  heureux  de  m'associer  avec  vous  pour  cette 
protestation.  Ce  qui  se  passe  est  comme  un  châtiment 
qui  tombe  sur  tout  le  monde  ;  dorénavant,  on  dira 
la  chute  de  Reims,  comme  on  dit  la  chute  de  Constan- 
tinople,  et  Thistoire  repartira  de  là.  Cette  cathédrale 
qui  avait  vu  tant  de  siècles  la  respecter!...  Mais  le 
courag^e  des  bons  surmontera  tout... 

Quant  à  moi,  mon  cher  ami,  je  n'ai  pas  voulu  le 
croire.  Dire  que  je  suis  un  des  derniers  qui  Tai  vue  ! 
qui  ait  étudié  ce  résumé  de  Thistoire  de  la  France... 
Comme  Ton  s'endort,  et  quels  coups  vous  réveillent  ! 
L'histoire  entière  s'écroule  avec  Malines,  Reims... 

Quelle  douleur  ! 


l»"  octobre  1914,  Chellenham. 

Il  y  a  plus  qu'une  guerre.  Ce  fléau  de  Dieu  est  une 
catastrophe  de  l'humanité  qui  sépare  les  époques.  Le 
sybaritisme  de  Tintclligence  est  producteur  de  ces 
cataclysmes  :  suicide  en  massse. 

L'ignorance  est  telle  partout  que  l'on  croit  que  l'on 
peut  réparer  et  refaire  une  cathédrale  '. 

Sans  cela  le  mal  ne  serait  pas  si  grand.  On  refe- 

*  C'est  U  biblioUièqoe  d'Alexandrie  brûlée,  le  temple  de  Jérusalem 
brûlé. 


rait  avec  un  prix  ces  cathédrales  comme  on  refait  un 
cuirassé.  —  Mais  la  douleur  c'est  qu'on  ne  les  com- 
prend plus  du  tout. 

NICOLAS  KOLBAKINE 

Dans  des  tourbillons  de  fumée  noircissent  les 
ruines  de  villes  et  de  villages  naguère  florissants, 
les  bibliothèques  incendiées,  les  universités  bombar- 
dées, les  pans  de  murs  des  cathédrales  éventrées. 
Devant  ce  spectacle  horrible,  Guillaume  II,  en  des 
poses  de  cinématographe,  relève  ses  moustaches. 
Autour  de  lui  des  tombes  et  des  cadavres,  beau- 
coup de  tombes  et  de  cadavres.  Vision  qui  étreint 
nos  âmes  et  offense  nos  sentiments  les  plus  sa- 
crés !  Quel  effluve  mortel  monte  de  ces  dépouilles 
empestées  !  A  Louvain,  à  Malines,  à  Reims,  près 
des  cathédrales  en  ruines,  ils  sont  morts,  eux  aussi, 
les  prétendus  maîtres  de  l'esprit  humain,  les  Hœckel, 
les  Wundt,  les  Hauptmann,  les  Eucken,  etc.,  amis 
des  Junker  et  des  Huns.  Au  nom  de  la  science 
exclusivement  germanique,  ils  bombardent  de  leurs 
écrits  et  de  leurs  discours  les  temples  de  la  science 
universelle.  C'est  un  suicide. 

Et  nous  ?  Ne  sommes-nous  pas  un  peu,  au  tréfond 
de  nos  âmes,  des  Huns  et  des  Vandales?  Ne  nous 
arriv&-t-il  pas  parfois  de  traiter  la  personne  humaine 
comme  le  font  les  Junker  quand  ils  s'arrogent  le  droit 
d'allumer  la  guerre  générale  ?  Il   faut  parler  clair. 


—  Ô3  — 

Qui  n'est  pas  contre  eux  est  pour  eux.  Quiconque 
reconnaît  à  l'homme  le  droit  de  violenter,  de  dominer 
son  prochain  est  avec  eux.  Quiconque,  dans  les  fumées 
de  la  gloire,  dans  le  tumulte  des  hoch  et  des  hourrah, 
oublie  les  larmes  et  le  sang  répandus,  est  avec  eux. 
Quiconque,  par  les  harangues,  le  journal,  la  prédi- 
cation, l'enseignement,  les  jeux  belliqueux  des  en- 
fants, développe  ou  propage  la  haine,  la  rancune, 
rinimilié,  le  goût  de  la  violence,  est  avec  eux. 
L'homme  cultivé  peut  se  croire  équitable  et  sincère  ; 
mais  il  ne  saurait  Tètre  quand  il  voue  la  science,  la 
technique  et  Tart,  conquêtes  de  Thumanité  entière, 
et  non  d'une  nation,  au  service  de  la  violation  guer- 
rière, de  la  contrainte  familiale,  sociale,  économique, 
politique  et  religieuse.  Cet  homme  est  Tami  du  Jun- 
ker  si  détesté  du  monde  entier. 

Toute  racine  fructifie  et  la  récolte  vaut  la  semence. 
Nous  souffrons  du  nationalisme  et  du  militarisme  ce 
que  le  prochain  souffre  de  nous.  Indignons-nous, 
rien  de  mieux  ;  ayons  peur,  protestons,  déplorons  ! 
Mais  ne  nous  tenons  pas  pour  innocents.  Ce  qui 
importe,  c'est  d'éteindre  dans  nos  âmes  la  haine  du 
prochain,  en  attendant  le  jour  où  grondera  l'indigna- 
tion des  multitudes.  Alors  la  conscience  universelle 
balaiera  les  régimes  barbares  et  les  tyrannies  en 
Allemagne,  en  Russie  et  ailleurs,  et  contraindra  cha- 
cun au  respect  des  droits  de  l'homme  comme  au  res- 
pect du  droit  des  gens. 


—  Ô4  — 
COMTE  W.  VAN  DEN  STEEN  de  JEHAY 

envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de  S.  M.  le  roi 
de8  Belges  près  S.  M.  le  roi  d'Italie. 

Rome,  5  sept.  1914. 

...Il  faudra  que  le  malheur  dessille  les  yeux  du 
peuple  allemand,  pour  le  faire  rentrer  en  lui-même 
et  lui  montrer  Tinanité  du  péril  contre  lequel  ses  diri- 
geants Tout  armé.  Toute  une  génération  a  été  empoi- 
sonnée par  un  système  d'éducation,  peut-être  issu  des 
enseignements  de  Goethe,  mais  faussé  par  l'orgueil 
et  l'égoïsme  incommensurable  d'une  caste.  Aussi 
longtemps  qu'en  Allemagne  ne  sera  pas  détruit  l'ins- 
trument (le  militarisme),  l'esprit  de  domination  sub- 
sistera. Hauptmann,  comme  tout  le  monde  là-bas,  y 
compris  les  socialistes,  a  subi  l'influence  d'une 
savante  préparation  à  la  guerre.  Maintenant  qu'il 
s'est  livré,  il  est  impuissant...  Seul,  l'épuisement  des 
forces  changera  le  courant  des  réflexions  chez  tous 
ces  désabusés  et  leur  fera  discerner  les  responsabi- 
lités. D'ici  là,  que  de  ruines  auront  été  amoncelées!... 

IGOR  STRAWINSKY 

Glarens,  26  septembre  1914. 

Je  me  hflle  de  répondre  à  votre  noble  appel  de 
protestation  contre  la  barbarie  sans  précédents  des 
hordes  allemandes.  Barbarie  !  Est-ce  vraiment  le 
mot?  qu'est-ce  que  le  barbare?  Il  me  semble  qoe 


—  (r»  — 

celui  qu'on  nomme  ainsi  est  le  porteur  d'une  autre 
conception  de  culture  que  la  n<^t^e.  Et  bien  qu'elle  soit 
tout  autre,  il  n'est  point  exclu  (|u'elle  comporte  une 
aussi  jB^rande  valeur  que  la  nôtre.  Mais  l'Allemafi^oe 
actuelle  ne  peut  pas  être  considéri'e  comme  porteuse 
d'une  nouvelle  culture...  Sa  culture  est  aussi  ancienne 
que  celle  des  autres  peuples  de  l'Europe  occidentale. 

J'ose  affirmer  qu'une  nation  qui,  en  temps  de  paix, 
(*lève  toute  une  série  de  monuments  pareils  à  la  Sie" 
ge»aUee  de  Berlin,  et  qui,  en  temps  de  guerre,  envoie 
des  hordes  qui  détruisent  des  villes  comme  Louvain 
et  des  monuments  comme  la  cathédrale  de  Reims,  est 
une  nation  qui  ne  se  ranjçc  ni  parmi  les  barbares,  ni 
parmi  les  peuples  civilisés.  (Car  il  est  difficile  de 
supposer  que  c'est  de  cette  façon  que  l'Allemagne 
cherche  à  se  renouveler,  —  si  elle  le  cherche  !  mieux 
vaudrait  commencer  par  les  monuments  de  Berlin  !) 

Il  est  donc  du  plus  haut  intérêt  commun  de  toutes 
les  nations  qui  sentent  encore  le  besoin  de  respirer 
l'air  de  leur  saine  et  ancienne  culture  de  s'allier  contre 
l'Allemaf^ne  et  de  se  soustraire  une  fois  pour  toutes 
à  l'intolérable  esprit  de  cette  «  colossale  »  el  obèse 
«Germania»,  qui  est  menacée  de  funestes  symp- 
tômes de  décomposition  morale... 


•--  66  -^ 
D"  ROUX  ET  METCHNIKOFF 

Institut  Pasteur. 
15,  rue  Dutot. 

Paris,  le  25  septembre  1944. 

Nous  recevons  aujourd'hui  votre  lettre  au  sujet  de 
la  dévastation  de  Louvain  et  de  Malines  et  du  carac- 
tère barbare  que  les  Allemands  ont  donné  à  la  guerre 
actuelle. 

Comment  ne  protesterions-nous  pas  de  toutes  nos 
forces  devant  de  semblables  attentats  contre  la  civi- 
lisation et  rhumanité,  attentats  systématiques  ainsi 
que  le  prouve  la  destruction  de  la  cathédrale  de 
Reims  !  Nous  nous  joignons  à  vous  et  à  tous  ceux 
qui  ne  peuvent  assister  û  de  telles  horreurs  sans  dire 
leur  douleur  et  leur  indignation. 

MIGUEL  DE  UNAMUNO 

ex-recteur  de  rUniveraité  de  Saiamanquc. 

Salamanque,  9  octobre  1914. 

La  destruction  de  Reims,  de  Louvain,  de  Malines, 
est  TefTet,  je  crois,  de  la  pédanterie  de  brutalité  plus 
que  de  la  simple,  spontanée  et  naturelle  brutalité,  sans 
pédanterie  ;  Teffct  d'une  brutalité  voulue  et  cherchée, 
ÔMêt,  par  position,  plus  que  d'une  brutalité  ipuasiy  par 
nature.  C'est  le  jeune  Werther,  dont  la  pédanterie  sen- 
timentale s'est  changée  en  pédanterie  brutale  et  qui, 


—  «7  — 

par  discipline  —  ou  mieux,  par  profession  —  a  obéi 
à  ses  professeurs  de  science  militaire,  lui  disant  que 
la  guerre  doit  être  brutale  (c'est  le  mot  d'ordre  des 
livres  professionnels)  et  non  aux  maîtres  de  Tart  de 
la  guerre,  qui  sont  toujours  des  artistes,  malgré  tout 
et  quand  môme.  C'est  le  Kathedermilitarismus  de 
l'aigle  prussienne,  qui,  coifTée  du  bonnet  doctoral, 
faisait  semblant  de  croire  que  le  soleil  de  la  victoire 
se  levait  à  son  chant,  et  qui  a  jeté  au  public  plus 
d'exemplaires  de  bouquins  prophélifjues  sur  la  guerre 
que  de  projectiles. 

n  Der  Krieg  ist  die  Politik  xar'  sçoxrjv  n,  a  dit  le 
professeur  H.  von  Treitschke,  l'apôtre  de  l'impéria- 
lisme, le  même  qui  appelait  l'Allemand  ein  geborener 
Heldy  der  glaubt,  er  iverde  sich  schon  durchs  Leben 
schlagen.  Et  il  faut  se  rappeler  le  pauvre  Nietzsche, 
fou  de  faiblesse,  —  le  lion  ne  rit  que  pour  cacher  ses 
larmes  et  se  tromper  soi-même  en  rêvant  le  Retour 
éternel),  —  qui  n'a  fait  qu'outrer  Darwin  le  parcimo- 
nieux en  faisant  le  struggle  for  life^  et  rêver  VUeber^ 
menschy  la  négation  de  l'homme  dont  parlait  saint 
Paul,  du  chrétien.  Et  le  pauvre  fauve  Uebermensch 
—  (au  fond,  un  professeur  d'énergie...  littéraire  !)  — 
invoque  non  le  nom  de  Dieu  des  hommes  chrétiens, 
mais  TElohim  Sabaoth,  le  dieu  saducéen  et  matéria- 
liste qui  n'aime  que  la  fumée  et  la  poussière. 

La  vieille  culture,  d'origine  gréco-latine,  la  culture 
avec  un  c  minuscule,  modeste,  rond  et  de  deux  pointes 
seulement,  est  la  culture  d'un  Luther,  d'un  Leibnitz, 


—  68  — 

d'un  Goethe,  la  noble  culture  de  la  Réforme  et  de  la 
Slurm  and  Drang,  La  Kuitur  avec  un  K  majuscule, 
rectiligne  et  de  quatre  pointes,  comme  un  cheval  de 
frise,  la  Kuitur  qui,  selon  les  professeurs  prussiens, 
a  besoin  de  Pappui  des  canons,  n'est  que  technicisme, 
statistique,  quantitativisme,  antispiritualité,  pédan- 
terie d'énergie  et  de  brutalité  voulues,  —  au  fond, 
négation  de  l'esprit  et  de  l'espoir  éternel  de  Tâme 
humaine  qui  veut  être  immortelle.  —  Et  la  pédan- 
terie n'est  que  mensonge,  manque  de  vrai  courage, 
du  courage  de  vouloir  se  connaître...  «  Qui»  sibi 
uerum  dicere  ausus  est  ?  »  se  demandait  un  autre 
Espagnol,  Seneca. 

Et  moi.  Espagnol  aussi,  de  la  patrie  de  Don  Qui- 
chotte, le  héros  de  la  déroute,  le  maître  de  la  sagesse 
la  plus  haute  et  difficile,  celle  de  savoir  être  pauvre 
et  vaincu,  le  Chevalier  de  la  Triste  Figure,  celui  qui 
avait  les  moustaches,  grandes,  noires  et  tombantes  — 
/os  bigotes  grandes^  negros  y  caidoSy  —  je  me  crois 
obligé  en  protestant  contre  la  destruction  de  Reims, 
Louvain  et  Malines,  de  renier  une  Kuitur  qui  aboutit 
à  la  négation  de  l'humanité  au  nom  d'une  prétendue 
surhumanité,  et  à  la  négation  de  la  «  culture  »  qui 
nous  a  faits  hommes,  rien  que  des  hommes,  c'est-à- 
dire  rien  de  moins  que  des  hommes,  chacun  dans  sa 
patrie,  tous  en  Dieu,  l'Homme  éternel  et  infini  et 
absolu. 


-  w  - 

EMILE  VERHiCBEN 

24  octobre  1914. 

Jamais  rien  irexcusera  ratlental  allemand  contre 
les  chefs-d'œuvre.  Que  cet  attentat  fut  volontaire, 
cent  témoins  Taffirment.  Tout  ce  qu'on  inventa  de- 
puis, à  Berlin  et  à  Vienne,  pour  l'expliquer  ne  fera 
qu'ajouter  le  mensonge  à  l'horreur.  L'incendie  de 
Louvain  et  de  Reims  sont  des  crimes  historiques. 
Le  sacrilège  fut  patent  et  contrôlé. 

La  guerre  moderne  est  devenue  féroce  et  sauvage  ; 
elle  a  perdu  toute  fierté  et  toute  grandeur.  Elle  fut 
fourbe,  avant  d'être  violente.  Et  c'est  l'AIh'maîTnc  ffui 
la  voulut  telle. 

Aussi,  ceux  qui  ont  aimé  et  admiré  les  artistes 
allemands,  s'indignent-ils  de  leur  silence  ou  de  leurs 
excuses.  Ils  se  demandent  avec  anxiété  où  est  leur 
conscience  et  leur  raison. 


LES  CAHIERS  VAUDOIS 

ont  publié  jusqu'à  ce  jour  : 

en  mars,  dans  la  série  blanche  : 

C.-/*.  Ramuiy  Raison  d'être,  un  cahier  de 
64  pag^s  mis  en  vente  à  3  francs.  (Epuisé.) 

en  avril,  dans  la  série  verte  : 

Opinions  et  rubriques,  un  cahier  de  112  pages 

mis  en  vente  à  *Z  francs. 

en  mai,  dans  la  série  blanche  : 

Hené  Morax^  Tell,  drame  avec  chœurs,  uo 
cahier  de  léô  pages,  mis  en  vente  à  3  francs. 

•a  Juin,  hors  série  : 

Quatre  images,  gravées  sar  bois  par  Henry 
Bischoff,  dans  un  cartonnage  spécial,  en 
vente  à  20  francs. 
en  juillet,  dans  la  série  blanche  : 

Alexandre  Cingria,  La  République  de  Oe- 
nève,  un  cahier  de  130  pages,  mis  en 
vente  à  3  francs. 

en  Ittlllet,  hors  série  : 

C.'F.  Ramuz,  Adieu  à  beaucoup  de  person- 
nages, un  volume  de  140  pages,  mis  en 
vente  à  3  francs. 

en  Juillet,  dans  la  série  verte  : 

Par  le  pays,  un  cahier  de  104  pages,  mis  en 
vente  à  2  francs. 

•n  septembre,  dans  la  série  blanche  : 

Pierre-Louis  Matthey,  Seize  à  vingt,  poé- 
sies, un  cahier  de  90  pages,  mis  en  vente  à 
3  francs. 

•n  octobre,  dans  la  série  verte  {Pendant  la  guerre)  : 

Chansons,  vers  de  C.-F,  Raniuz  ;  bois  de 
Henry  Bischoff,  un  cahier  de  48  pages, 
mis  en  vente  à  1  fr. 

en  novembre,  dans  la  série  verte 

D'avant  la  guerre,  un  cahier  de  92  pages, 

mis  eu  vente  à  2  fr. 


Le5  Cahiers  Yaudois 

ReTue  mensuelle  de  littératore  et  d'art 

publient  annuellement  : 

En  abonnement  : 

Six  Cahiers  blancs  de  (îO  à  100  passes,  attribués  cha- 
que fois  à   un  auteur  pour  une  œuvre  originale. 

Six  Cahiers  verts  —  essais,  opinions  et  morceaux  di* 
vers  —  de  «X)  à  100  pages. 

Hors  série  : 

Des  ouvrages  artistiques  :  estampes,  dessins,  musique 
et  dos  ouvrages  littéraires. 

Les  Cahiers  Vaudois  publient  des  œuvres  et  des  articles 
de  :  Ernest  Ansermet,  René  Auberjonois,  Maurice 
Baud,  Daniel  Baud-Bovv,  Henry  Bischofp,  Alexandre 
Blanchet,  Ernest  Bloch,  Adrien  Bovy,  Paul  Budry, 
Fernand  Ghavannes,  Alexandre  Cingria,  Charles- 
Albert  CiNGRIA,  F.  ROGER-GORNAZ,  LoUIS  DUMUR,  ED- 
MOND GiLLiARD,  Frédéric  Gilliard,  Pierre  Godet,  Vic- 
tor Gottofrey,  Benjamin  Grivel.  Pierre-Louis  Mat- 
tiiey,  Jean  Morax,  René  Morax,  C.-F.  Ramuz,  Gonzague 
de  Reynold,  Henri  Roorda,  Henry  Spiess,  etc. 

PRIX  D'ABONNEMENT  aux  12  cahiew.  îonnal  in-lî  carré  : 
sur  papier  verjBfC  anglais  :   Fr.  18. — .  Etransrer  Fr.    25. — 
»        »  Hollande  ;     »    38.—  -  »    45.— 

Tirage  limité  :  les  cahiers  blancs  sont   numérotés. 

Adresser  :  tout  ce  qui  concerne  la  rédaction  à 

MM.  Paul  Budry  et  Edmond  Gilliard, 

tout  ce  qui  concerne  l'administration  et  la  publicité  à 

M.  Constant  Tarin, 

Pelli-CTIi^ne-Rlohoniont.  !«»«•«■■•. 

Les  Cahiers  Vaudois  sont  en  dépôt  : 
à  Lausanne  :  Librairie  Tarin,  Petit-Chéne  ; 
à  Paris  :  Librairie  G.  CRès  ^K-  <   ^    '»'  *^t-Gfrmain.    11). 


LOUVAIN...  REIMS 
II 


ÉDITION  DES  CAHIERS  VAUDOIS 

LOUJ^IN'... 

REIM6:... 

jr 

DOCUMENTA 


à  Laujanne  chez^  C.  Tarin, 

I9I5 


LOrVAÏN 


COMMLMgLhï>  hl    KAin^JlVi^ 


LOUVAIN    EN    RUINES 

(Havas.)  On  mande  de  Londres  : 

Paris,  '^J  août. 

Un  communiqué  du  ministère  des  affaires  étrangères  de 
Belg-ique  annonce  que,  mardi,  un  corps  allemand  ayant 
éprouvé  un  échec,  se  relira  en  désordre  sur  Louvaiu.  Les 
Allemands,  qui  gardaient  l'entrée  du  village,  s'imaginant 
que  c'étaient  des  Beltres  qui  arrivaient,  firent  feu  sur  leurs 
compatriotes  qui  venaient. 

Ensuite,  les  Allemands,  pour  couvrir  leur  erreur,  préten- 
dirent que  c'étaient  les  habitants  qui  avaient  tiré,  alors  que 
les  habitants  et  la  police  elle-même  avaient  été  désarmés 
depuis  plus  d'une  semaine.  Sans  faire  une  enquête,  ni  même 
écouter  les  protestations,  le  commandant  allemand  déclara 
que  la  ville  serait  détruite  sur  le  cliamp. 

Ordre  fut  donné  au.x  habitants  de  quitter  leurs  habita- 
tions. Une  partie  des  hommes  furent  faits  prisonniers  et  les 


femmes  et  les  enfants  furent  .  tnl.i.i-jii.x  .|..i.<  .îo<:  tiRifis 
pour  une  destination  inconniK 

Les  soldats,  au  moyen  de  js^ renades  incendiaires,  mirent 
le  feu  à  tuus  les  quartiers  de  la  ville.  Plusieurs  notables 
furent  fusillés. 

La  ville  de  Louvaiii,  qui  comptait  45  (XX)  habitants,  et  qui 
était  la  métropole  intellectuelle  des  Pays-Bas  depuis  le 
XV«  siècle,  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  monceau  de  cendres. 

L'HORRIBLE    DESTRUCTION  DE    LOUVAIN 
D'APRÈS  L'AGENCE  WOLFF 

Sp.  Berlin,  '^J  août. 

Wolff.  Au  sujet  de  la  destruction  de  Louvain,  le  corres- 
pondant de  guerre  de  la  Gazette  de  Voss  écrit  que,  tout 
à  coup,  les  habitants  de  la  ville,  qui,  jusque-là,  s'étaient 
montrés  pacifiques,  commencèrent  de  tirer  des  coups  de 
revolver  et  de  fusil  des  fenêtres,  des  caves  et  des  toits,  sur 
les  postes  allemands  et  les  colonnes  de  troupes  qui  traver- 
saient la  ville  sans  méfiance. 

Une  terrible  mêlée  s'engaçea,  à  laquelle  prirent  part 
toute  la  population  civile  de  la  ville  et  de  nombreux  soldats. 
L'attitude  de  la  population  méritait  des  représailles  inexo- 
rables. 

C'est  ainsi  que  l'ancienne  ville  de  Louvain,  riche  en 
œuvres  d'art,  n'existe  plus  aujourd'hui.  Sans  aucun  doute, 
l'attaque  de  la  population  avait  été  orjjnfanisée  par  les  auto- 
rités. Elle  était  destinée  à  .soutenir  la  sortie  des  troupes 
belges  d'Anvers,  qui  s'est  produite  exactement  au  môme 
moment. 

{Gazette  de  Lausanne^  samedi,  29  août  1914. ") 


—  7  — 

LA  DESTRUCTION  DE  I  mI  \mn 
Les  excuses  aile  mai  ni  es. 

Berlin,  \M).  (Source  officielle.)  La  ville  de  Louvain  a  été 
remise  aux  Allemands  par  les  autorités  le  lundi  24  aoilt  ; 
ils  ont  commencé  à  Ix>uvain  le  débarquement  des  troupes  ; 
les  relations  avec  les  habitants  se  développaient  amica- 
lement. 

Mardi,  25  août,  dans  l'après-midi,  les  troupes  ayant  reçu 
la  nouvelle  d'une  sortie  de  l'armée  belge  d'Anvers,  partirent 
de  Louvain  et  le  g-énéral  commandant  se  rendit  en  automo- 
bile au  devant  des  colonnes  ennemies.  Seules  quelques 
troupes  restèrent  pour  la  garde  des  lignes  de  chemins  de 
fer  ainsi  que  le  bataillon  de  landsturm  de  Neuss. 

Lorsque  le  deuxième  échelon  du  commandement  général 
voulut  suivre  le  général  commandant  avec  ses  chevaux,  il 
essuja  sur  la  place  du  marché  le  feu  de  toutes  les  maisons 
avoisiuantes.  Tous  les  chevaux  furent  tués  et  cinq  officiers 
blessés,  dont  un  grièvement.  A  la  même  heure,  le  feu  fut 
ouvert  sur  dix  autres  points  de  la  ville,  ainsi  que  sur  les 
troupes  qui  venaient  d'arriver  à  la  gare. 

Un  plan  convenu  d'avance  avec  les  troupes  d'Anvers 
(levait  avoir  été  préparé  soigneusement;  deux  prêtres  qui 
ont  été  surpris  en  flagrant  délit,  lorsqu'ils  distribuaient  des 
cartouches,  ont  été  fusillés  sur  la  place  de  la  gare 

Le  combat  dans  les  rues  a  duré  jusqu'au  26  auui,  tians 
l'après-midi,  lorsque  des  renforts  réussirent  à  maîtriser  la 
révolte.  La  ville  et  le  faubourg  nord  ont  pris  feu  en  plu- 
.;o.,rc  .."/Iroits  et  ont  probablement  été  incendiés. 

(Tribune  de  Lausanne  du  31  août  1914.) 


—  8  — 

LES  HORREURS  DE  LOUVAIN 
(De  source  allemande. ) 

Berlin  '.il.  —  On  continuée  recevoir  des  nouvelles  sur 
la  destruction  de  Louvain.  Les  journaux  disent  que  la 
population  se  souleva  à  l'improviste  i\  huit  heures  du  soir. 
D'abord  on  ne  comprit  pas  d'où  partaient  les  coups  et  l'on 
criait  :  «  V^oil.^  les  Anglais  !  »  puis  on  découvrit  que  les 
tirailleurs  s'étaient  portés  sur  les  toits,  derrière  les  chemi- 
nées et  aux  fenêtres  des  étaj^es  supérieurs.  Les  soldats 
ripostèrent. 

Un  témoin  oculaire  raconte,  dans  la  Kœlnische  Zeitung^ 
s'être  sauvé  eo  criant  aux  soldats  qui  déjà  le  visaient  : 
«Vous  allez  tuer  quelqu'un  de  Cologne  !  »  Alors,  ils  le  lais- 
saient libre.  Le  nombre  des  victimes  du  côté  allemand  n'est 
pas  encore  établi.  Les  représailles  durèrent  toute  la  nuit  : 
tous  ceux  qui  furent  trouvés  en  possession  d'armes  furent 
fusillés,  et  les  maisons  d'où  ou  avait  tiré  furent  incendiées. 

«  Le  spectacle  était  terrible,  dit-il,  la  ville  flambait  de 
tous  côté.  Sous  nos  yeux,  on  fusillait  continuellement  ;  deci, 
delà,  des  tonneaux  d'alcool  faisaient  explosion.  C'était  un 
vacarfnc  assourdissant.  Le  jour  d'après  nous  apparut  un 
horrible  spectiicle.  Les  fusillés  jonchaient  les  rues  et  l'on 
amenait  toujours  de  nouveaux  coupables  pour  être  fusillés. 
On  voyait  des  femmes  en  pleurs  et  des  enfants  qui  implo- 
raient  et,  malgré  toute  la  colère  pour  l'assaut  que  nous 
avions  subi,  aucun  cœur  allemand  ne  pouvait  s'empêcher 
d'un  mouvement  de  compassion   pour  ces  victimes  inno- 

(  Tribune  de  Lausanne  du  !•'  septembre. 


VEHSIUN  COMML'MCJUÉK  A  LA  PRESSE 

LE  :n  aoi:t 

PAR  LE  CONSULAT  D'ALLEMAGNE  A  GENÈVE 

«  La  ville  de  Louvaiu  a  été  remise  aux  Allemands  par  les  auto- 
rités, le  i4  août.  Ils  ont  commencé  à  Louvain  le  débarquement 
«les  trou|)e.s  ;  les  relations  avec  les  habitants  se  développaient  ami- 
ralnnent. 

I*  [^  mardi  i5  août,  dans  raprés-midi,  les  troupes  ayant  reçu 
la  nouvelle  d'une  sortie  de  l'arnice  belge  d'Anvers,  partirent  de 
Louvain,  et  le  général  commandant  se  rendit  en  automobile  au 
devant  des  troupes  ennemies.  Seules  quelques  troupes  restèrent 
pour  la  garde  des  ligues  de  chemin  de  fer,  ainsi  que  le  bataillon 
de  landsturm  de  Neuss.  Lorsque  le  deuxième  échelon  du  com- 
mandement général  voulut  suivre  le  commandant  avec  ses  che- 
vaux, il  essuya,  sur  la  place  du  Marché,  le  feu  de  toutes  les  mai- 
s  .Mv  avoisinantes.  Tous  les  chevaux  furent  tués  et  cinq  officiers 
rirshcs,  dont  un  grièvement.  A  la  même  heure,  le  feu  fut  ouvert 
Mir  dix  autres  points  de  la  ville,  ainsi  que  sur  les  troupes  qui 
venaient  d'arriver  à  la  gare.  Un  plan  convenu  d'avance  avec  les 
troujws  d'Anvers  devait  avoir  été  préparé  soigneusement.  Deux 
prêtres,  surpris  en  flagrant  délit  lorsqu'ils  distribuaient  des  car- 
touches, ont  été  fusillés  sur  la  place  de  la  gare.  Le  combat  dans 
les  rues  a  duré  jusque  dans  l'après-midi  du  i6  août.  Alors,  des 
renforts  réussirent  à  maîtriser  la  révolte.  La  ville  et  le  faubouri;- 
nord  ont  pris  feu  en  plusieurs  endroits  et  ont  probablement  été 
incendiés. 

»  Du  côté  du  gouvernement  belge,  un  soulèvement  général  du 
peuple  contre    l'ennemi    était  organisé    depuis    longtemps.  Des 

•  If'pôts  d'armes  étaient  installés,  où   chaque  fusil  portait  le  nom 

•  lu  bourgeois  auquel  il  était  destiné.  Il  est  vrai  que  la  Conférence 
(le  I^  Haye,  sur  la  proposition  des  petits  t)tats,  a  reconnu  con- 
forme au  droit  des  gens  un  soulèvement  spontané  de  la  popula- 
tion, à  condition  que  les  armes  soient  portées  ouvertement  et  que 
les  lois  de  la  guerre  soient  observées.  Un  te!  soulèvement  n'est 
cependant  admissible  que  pour  combattre  l'ennemi  menaçant. 
Dans  le  cas  de  Louvain,  la  ville  s'était  déjà  rendue  et  de  ce  fait 
la  population  avait  renoncé  k  toute  résistance,  l^a  ville  était  occu- 


-   10  — 

pée  par  nos  troupes.  Néanmoins,  lu  population  n  attaque  les 
trou{>es  d'occupation  et  celles  qui  suivaient  et  qui,  vu  l'attitude 
jusque-là  paciKque  de  la  population,  arrivaient  par  chemin  de  fer 
et  en  autos.  La  population  a  assailli  ces  troupes  de  tous  côtes  et 
les  a  exposées  à  une  Fusillade  meurtrière. 

»  Il  ne  s'agissait  donc  plus  d'un  moyen  de  défense  admissible 
MU  [)oint  de  vue  du  droit  des  s<ens,  pas  plus  que  d'une  ruse  de 
guerre  permise,  mais'  d'un  inf/line  t^uet-apens  de  la  population 
civile.  Ce  i^uet-apens  est  d'autant  plus  grave  qu'il  était  projeté 
évidemment  d'avance,  et  qu'il  a,  de  fait,  coïncidé  avec  une  sortie 
d'Anvers.  l-*s  armes  n'étaient  pas  portées  ouvertement.  Des 
Femmes  et  des  jeunes  filles  ont  pris  part  au  combat  et  ont  crevé 
les  yeux  aux  blessés. 

»  La  conduite  barbare  de  la  {)opulation  belge,  dans  presque 
toutes  les  parties  du  |>ays  occupées  par  nous,  nous  a  donné  non 
seulement  le  droit  de  prendre  les  mesures  de  répression  les  plus 
sévères,  mais  nous  en  a  imposé  la  nécessité,  dans  l'intérêt  de  la 
conservation  de  nos  troupes.  L'intensité  de  la  résistance  de  la 
part  de  la  population  résulte  du  fait  qu'il  a  fallu  plus  de  vingt- 
quatre  heures  ponr  vaincre  ces  attaques.  Que  ces  luttes  aient 
pour  conséquence  la  destruction,  en  grande  partie,  de  la  ville  de 
Louvain,  cela  nous  touche  douloureusement.  De  telles  circons- 
tances n'étaient  pas,  naturellement,  dans  nos  intentions,  mais  elles 
étaient  inévitables  en  raison  de  l'iniâme  guerre  de  francs-tireurs 
entreprise  contre  nous.  Celui  qui  connaît  le  bon  caractère  de  nos 
troupes  ne  saurait  sérieusement  prétendre  (]u'elles  puissent  avoir 
un  penchant  aux  destructions  inutiles  ou  même  malveillantes. 
C'est  à  la  population  belge  elle-même,  qui  s'est  placée  en  dehors 
du  droit  et  de  la  loi,  qu'incombe  la  pleine  res|)onsabilité  des  évé- 
nements, ainsi  qu'au  gouvernement  l)elge  <jui,  avec  une  légèreté 
criminelle,  a  donné  h  la  population  des  instructions  contraires  au 
droit  des  gens  en  l'incitant  h  la  résistance  et  qui,  malgré  nos 
avertissements  répétés,  n'a  rien  fait  après  la  chute  de  Liège  pour 
engager  la  |>opulation  à  une  conduite  pacifique. 

»  Le  gouvernement  impérial  a  protesté  de  la  façon  la  plus  caté- 
gorique auprès  du  (k)nseil  fédéral  suisse  aussi,  contre  la  manière 
contraire  au  droit  avec  laquelle  la  Bcli^ique  fait  la  guerre.  » 


DES  RÈGLES  DU  DROIT   DES  GENS 
DES    LOIS    ET    DES   COUTIMES    DE    LA   GUERHE  ' 

Ativrrs,  le  .'il  août   i'jii. 
A  Monsieur  Carton  de  Wiart,  Ministre  de  la  Justice. 
Monsieur  le  Ministre, 

l^  Commission  d'enquête  a  l'honneur  de  vous  faire  le  rap|K>rt 
suiYaol  sur  dea  faits  duut  la  ville  de  Louvaiu,  les  localités  avoi- 
aioantes  et  la  rég-ion  de  Malines  ont  été  le  théâtre  : 

L'armée  allemande  pénétra  dans  Louvain  le  mercredi  19  août, 
«près  avoir  incendié  les  villai^es  par  lesquels  elle  avait  passé. 

Dès  leur  entrée  dans  la  ville  de  Louvain,  les  Allemands  réqui- 
sitionnèrent des  loi^emcnts  et  des  vivres  pour  leurs  troupes.  Ils 
se  rendirent  dans  toutes  les  banques  de  la  ville  et  s'y  firent  re- 
mettre l'encaisse.  Les  soldats  allemands  fracturèrent  les  portes 
des  maisons  abandonnées  par  leurs  habitants,  les  pillèrent  et  s'y 
livrèrent  à  des  orgies. 

L'autorité  allemande  prit  des  otages  :  le  bourgmestre  de  la 
ville,  le  sénateur  Van  der  Kelcn,  le  vice-recteur  de  l'Université 
catholique,  le  curé-doyen  de  la  ville,  des  magistrats  et  des  éche- 
vins  furent  aussi  retenu».  Toutes  les  armes  détenues  par  les  ha- 
bitants, jusqu'aux  fleurets  d'escrime,  avaient  été  remises  à  l'ad- 

>  La  Commission  est  composée  comme  suit  :  préaidrnt .  M.  Coo* 
reman,  ministre  d'Etat;  membres:  M.M.  le  comte  Goblel  d'.\lviella,  mi- 
nistre d'Elat,  vice-président  du  Scnat;  Ryckmans,  sénateur;  Strauss, 
échevin  de  la  ville  d'Anvers;  van  Cutaem,  président  honoraire  du  Tri- 
bunal de  i'*  instance  d'.\nvers;  secrétaires  :  M.M.  le  chevalier  Erost 
de  Bunswyck,  chef  du  cabinet  du  ministre  de  la  Justice:  Oris.  con- 
seiller de  léf^tion  de  S.  M.  le  roi  des  fielges. 


—  i'd  — 

ministration  communale  et  déposées  par  ses  soins  •  la ns   1  Lt^^lise 
de  Saiiit-Picrre. 

Dans  un  villniçf  avoisinant,  Corbeck-Loo,  une  jeune  feuime. 
Agée  de  îî  ans,  dont  le  mari  se  trouvait  à  l'armée,  fut  surprise 
le  mercredi  19  août,  avec  divers  de  ses  parents,  par  une  bande 
de  soldaU  allemands.  Les  personnes  qui  l'accorapas^naienl  furent 
enfermées  dans  une  maison  abandonnée,  tandis  qu'elle-même 
fut  entraînée  dans  une  autre  habitation  où  elle  fut  successive- 
ment violée  par  cinq  soldats. 

Dans  le  même  villaçe,  le  jeudi  20  août,  des  soldats  allemands 
cherchèrent  dans  leur  demeure  une  jeune  fille  de  seize  ans  en- 
viron et  ses  parents.  Us  les  conduisirent  dans  une  propriété  aban- 
donnée et,  pendant  que  quelques-uns  d'entre  eux  tenaient  en  res- 
pect le  père  et  la  mère,  les  autres  pénétraient  dans  l'habitation 
dont  la  cave  avait  été  ouverte  et  forçaient  la  jeune  fille  à  boire. 
Puis  ils  la  menèrent  sur  une  pelouse  devant  l'habitation  et  la 
violèrent  successivement.  Comme  elle  continuait  à  opposer  de  la 
résistance,  ils  lui  percèrent  la  poitrine  à  coups  de  b<ayonnette.  La 
jeune  fille,  abandonnée  par  eux  après  ces  actes  abominables,  fut 
reconduite  chez  ses  parents  et  le  lendemain,  à  raison  de  la  gra- 
vité de  son  état,  administrée  par  le  curé  de  la  paroisse  et  conduite 
è  l'hôpital  de  Louvain.  Elle  était  h  ce  moment  en  danger  de  mort. 

Les  S4  et  25  août,  les  troupes  belges,  sortant  du  camp  re- 
tranché d'Anvers,  attaquèrent  l'armée  allemande  qui  se  trouvait 
devant  Malines. 

Les  troupes  allemandes  furent  refoulées  jusqu'à  Louvain  et  Vîl- 
vorde. 

Pénétrant  dans  les  villages  qui  avaient  été  occupés  par  Ten- 
nemi,  l'armée  belge  trouva  tout  le  pays  dévasté.  Les  Allemands 
en  se  retirant  avaient  ravagé  et  incendié  les  villages,  emmenant 
les  habitants  mAles  qu'ils  poussaient  devant  eux. 

Entrant  dans  llofstxde  le  25  août,  les  soldats  belges  trouvèrent 
le  cadavre  d'une  vieille  femme  qui  avait  été  tuée  h  coups  de  bayon- 
netle;  elle  avait  encore  en  mains  l'aiguille  avec  laquelle  elle  cou- 
sait lonM]u'clle  fut  frappée  ;  une  femme  et  son  fils,  Agé  de  quinze 
ou  seize  ans  environ,  gisaient,  trans|>ercés  de  coups  de  bay""*"" 
un  homme  avait  été  (lendu. 


—  l:{  — 

A  Sempst,  village  voisin,  se  trouvaient  les  cadavres  de  deux 
lu>iiiin(>s  pHitiellemcnt  carbonisés.  L'un  d'eux  avait  les  jambes 
coupcrs  .1  II  hatiteur  dos  genoux;  l'autre  avait  les  bras  et  les 
janil).  s  (  iij  .  s  Tri  ouvrier,  dont  plusieurs  témoins  ont  vu  le  ca- 
davre rai.  in.',  avait  été  rrnp|>é  à  cou|>8  de  bayonnclte.  Encore  vi- 
vant, les  Allemands  l'avaient  enduit  de  pétrole  et  jeté  dans  la 
maisr>D  à  la(|uelle  ils  mirent  le  feu. 

Une  femme  sortant  de  sa  maison,  avait  été  abattue  de  la  même 
fafon. 

Un  témoin,  dont  la  déclaration  a  été  reçue  par  M.  Edward 
Hertsiet.  fils  de  sir  Oeil  llerlslet,  consul  général  de  la  Grande- 
Bretagne,  À  Anvers,  déclare  avoir  vu,  non  loin  de  Matines,  le 
ÎO  août,  lors  de  la  dernière  attaque  des  troupes  belges,  un  vieil- 
lard attaché  par  les  bras  à  une  poutre  du  plafond  de  su  ferme. 
Le  corps  était  complètement  carbonisé  ;  la  tète,  les  bras  et  les 
pieds  étaient  intacts.  Plus  loin,  un  enfant  d'environ  quinze  ans 
était  attaché  les  mains  derrière  le  dos,  le  corps  complètement 
lardé  de  coups  de  bayonnette.  De  nombreux  cadavres  de  paysans 
gisaient  dans  des  positions  de  pardon,  les  bras  levés  ou  les  mains 
jointes. 

Le  consul  de  Belgique  dans  l'Uganda,  engagé  volontaire  dans 
l'armée  belge,  rapporte  que  partout  où  les  Allemands  ont  passé 
le  pays  est  dévasté.  Les  quelques  habitants  qui  sont  restés  dans 
les  villages  racontent  des  horreurs  commises  par  l'ennemi.  C'est 
ainsi  qu'à  Wackerzeel,  sept  Allemands  auraient  violé  consécuti- 
vement une  femme  et  l'ont  ensuite  tuée.  Dans  le  même  village, 
ils  ont  déshabillé  jusqu'à  la  taille  un  jeune  garçon,  l'ont  menacé 
de  mort  en  plaçant  un  revolver  sur  sa  poitrine,  l'ont  piqué  avec 
des  lances,  l'ont  ensuite  chassé  dans  un  champ  et  ont  tiré  sur 
lui  sans  l'atteindre. 

Partout,  ce  ne  sont  que  ruines  et  dévastations.  A  Buecken,  de 
nombreux  habitants,  dont  le  curé,  âgé  de  plus  de  8U  ans,  ont 
été  tués. 

Entre  InqnJe  et  Wolverthcm,  deux  soldats  belges  blessés  étaient 
couchés  près  d'une  maison  qui  brûlait.  Des  Allemands  ont  jeté 
ces  deux  malheureux  dans  le  brasier. 

Les  troupes  allemandes,  repoussées  par   nus  soldats,  entrèrent 


-   14   — 

en  pleine  panique  dans  Louvain,  le  26  août,  à  la  tombée  du  jour. 
Divers  témoins  nous  affirment  qu'à  ce  moment  la  garnison  aile- 
inande  qui  occupait  Louvain  fui  prévenue  erronément  que  l'eo- 
nemi  |)énélrait  dans  la  ville.  Elle  se  dirij^ea  immédiatement  en 
firailianl  vers  In  station  où  elle  se  rencontra  avec  les  troupes 
allemandes  refoulées  par  les  Bels^es  (|ui  venaient  de  cesser  la 
poursuite.  Tout  semble  démontrer  (ju'un  contact  se  produisit  entre 
les  régiments  allemands. 

Dès  ce  moment,  prétendant  que  des  civils  avaient  tiré  sur  leurs 
soldats,  ce  qui  est  contredit  par  tous  les  témoins  et  ce  qui  n'eût 
guère  été  possible,  puis(]ue  les  habitants  de  Louvain,  depuis  plu- 
sieurs jour-},  avaient  dû  remettre  leurs  armes  aux  autorités  com- 
munales, les  Allemands  commencèrent  à  bombarder  la  ville.  Le 
bombardement  dura  jusque  vers  10  heures  du  soir.  Puis  les  Al- 
lemands mirent  le  feu  .-'i  la  ville.  Là  où  Tincendie  n'avait  pas  pris, 
les  soldats  allemands  pénétraient  dans  les  habitations  et  jetaient 
des  grenades  incendiaires  dont  certains  semblent  pourvus.  La 
plus  grande  partie  de  la  ville  de  Louvain,  spécialement  les  quar- 
tiers de  la  ville  haute,  comprenant  les  bâtiments  modernes,  la 
cathédrale  de  Saint-Pierre,  les  Halles  Universitaires,  avec  toute  U 
Bibliothèque  de  l'Université,  ses  manuscrits,  ses  collections,  U 
plufiart  des  instituts  scientifiques  de  l'L'niversité,  le  Théâtre  com- 
munal, étaient  dès  ce  moment  la   proie  des  flammes. 

La  Commission  croit  devoir  insister,  au  milieu  de  toutes  ces 
horreurs,  sur  le  crime  de  lèse-civilis^ilion  que  constitue  l'anéan- 
tissrment  délibéré  d'une  bibliothèque  académique  qui  était  un  des 
trésors  de  notre  temps. 

De  nombreux  cadavres  de  civils  jonchaient  les  rues  et  les 
|)lnces.  Sur  la  seule  roule  de  Tirlemont  h  Louvain,  un  témoin  en 
a  compté  plus  de  KO.  Sur  le  seuil  des  habitalions  se  trouvaient 
des  cadavres  carbonisés  d'habitants  qui,  surpris  dans  leurs  caves 
par  l'incendie,  avaient  voulu  s'échapper  et  étaient  tombés  dans  le 
i)rasicr.  Les  faubourgs  de  louvain  ont  subi  le  même  sorl.  On 
peut  affirmer  que  toute  la  région  située  entre  Louvain  et  Malines 
et  la  plupart  des  faubourgs  de  Louvain  sont  presque  anéantis. 

Un  gruu|>e  de  plus  de  75  personnes,  qui  comprenait  diverses 
personnalités  de  la  ville  et  |)armi   lequel  se   trouvaient  le  Père 


—  ir.  — 

Coloboet  cl  un  autre  prêtre  espagnol,  ainsi  qu'un  prêtre  araéri- 
cain,  a  été  conduit  dans  la  matinée  du  mercredi  16  août  sur  la 
place  de  la  Station  ;  les  hommes  ont  ëté  brutalement  Kêparés  de 
leurs  reinmes  et  de  leurs  enfants  et  après  avoir  subi  les  traitements 
les  pluH  abominables  et  été  menacés  &  diverses  reprises  d'élrtt 
fusilU's,  ont  été  conduits  devant  le  front  des  trou|>eM  allemandes 
jusqu'au  village  de  Cain|>enhout.  Ils  ont  été  enfermés  dans  l'église 
du  village  où  ils  ont  passé  la  nuit.  Le  lendemain,  vers  quatre 
heures,  un  oflicier  allemand  les  prévint  de  ce  qu'ils  pouvaient  se 
confesser  et  de  ce  qu'ils  seraient  fusillés  une  demi  heure  plus 
tard.  Vers  quatre  heures  et  demie,  on  les  mit  en  liberté.  Peu 
après,  ils  furent  arrêtés  de  nouveau  par  une  brigade  allemande, 
qui  les  força  à  marcher  devant  elle  dans  la  direction  de  .Matines. 
Répondant  à  une  question  d'un  des  prisonniers,  un  officier  alle- 
mand déclara  qu'on  allait  leur  faire  goûter  de  la  mitraille  belge 
devant  Anvers.  Ils  furent  enfin  relà.Iu's,  le  jeudi  après-midi,  aux 
portes  de  Malines. 

Il  résulte  d'autres  témoi«(iiui;r>  que  plusieurs  milliers  d'habi- 
tants mâles  de  Louvain,  qui  avaient  échappé  aux  fusillades  et  à 
l'incendie,  ont  été  dirigés  sur  l'Allemagne  dans  un  but  que  nous 
ignorons. 

L'incendie  a  continué  pendant  plusieurs  jours.  Un  témoin  ocu- 
laire, qui,  le  30  août  dernier,  a  (jiiitté  LcMivain.  expose  l'état  de 
la  ville  à  ce  moment  : 

•  A  partir  de  VVeert-Saint-(i.      _     .    |.     .....    ir.-.Mn.,,  .iit  il, 

.  (|ue  des  villages  brûlés  et  des  j.  <>  i^  affolés,  levant  à  chaque 
u  rencontre  les  bras  en  signe  de  soumission.  Toutes  les  maisons 
»  {>ortaieot  un  drapeau  blanc,  même  celles  qui  avaient  été  incen- 
»  diées,  et  on  en  voyait  des  lambeaux  (>endant  sur  les  ruines. 

')  A  NVeert-Saint-Georges,  j'ai  interrogé  les  habitants  sur  les 
»  causes  des  représailles  allemandes,  et  ils  m'ont  affirmé  de  U 
»  façon  la  plus  absolue  qu'aucun  habitant  n'avait  tiré,  que  les 
■  arnifs  avaient,  d'ailleurs,  été  préalablement  déposées,  mais  que 

>  les  Allemands  s'étaient  vengés  sur  la  population  de  ce  qu'un 
-  militaire  l)clge,  appartenant  au  corps  de  la  gendarmerie,  avait 

>  tué  un  uhian. 

•  La  population  restée  à  Lourain  est  réfugiée  dans  le  fauboorf 


—  10  — 

»  de  Héverlé,  où  elle  est  entassée,  la  population  ayant  d'ailleurs 
»  été  chnssée  de  la  ville  par  les  troupes  et  l'incendie. 

»  Un  peu  au-delà  du  Collège  Américain,  l'incendie  a  commencé 
»  et  la  ville  est  entièrement  détruite,  à  l'exception  de  l'Hôtel  de 
a  Ville  et  de  la  gare.  Aujourd'hui,  d'ailleurs,  l'incendie  continuait, 
»  et  les  Allemands,  loin  de  prendre  des  mesures  pour  l'arrêter, 
»  paraissaient  entretenir  le  feu  en  y  jetant  de  la  paille,  comme  je 
»  l'ai  constaté  dans  la  rue  joignant  l'Hôtel  de  Ville.  La  Cathc- 
»  dralc,  le  théAtre  sont  détruits  et  effondrés,  de  même  que  la 
»  Bibliothèque  ;  la  ville  présente,  en  somme,  l'aspect  d'une  vieille 
»  cité  en  ruines,  au  milieu  de  laquelle  circulent  seulement  des 
»  soldats  ivres,  portant  des  bouteilles  de  vin  et  de  liqueurs,  les 
M  officiers  eux-mêmes  étant  installés  dans  des  fauteuils  autour  de 
o  tables  et  buvant  comme  leurs  hommes. 

»  Dans  les  rues  pourrissent  au  soleil  des  chevaux  tués,  déjà 
>)  complètement  enflés,  et  l'odeur  de  l'incendie  et  de  la  pourriture 
»  est  telle  que  celte  odt»ur  m'a  poursuivi  longtemps  » 

La  Commission  n'est  pas  parvenue  jusqu'ici  à  recueillir  des 
renseignements  sur  le  sort  du  Bourgmestre  de  Louvain,  ni  sur 
celui  des  notables  retenus  en  otage. 

Des  faits  qui  lui  ont  été  signalés  jusqu'à  présent,  la  Coromission 
croit  pouvoir  tirer  les  conclusions  suivantes  : 

Dims  cette  guerre,  l'occupation  est  suivie  systématiquement, 
parfois  même  précédée  et  accompagnée  de  violences  contre  la 
population  civile  qui  sont  également  contraires  aux  lois  conven- 
tionnelles de  la  guerre  et  aux  principes  les  plus  élémeotairea  de 
l'humanité. 

La  façon  de  procéder  des  .Mlemands  est  partout  la  même.  Ils 
s'avancent  le  long  des  routes  en  fusillant  les  passants  inoffcnsifs, 
particulièrement  les  cyclistes,  et  même  les  paysjins  occupés  sur 
leur  passage  aux  travaux  des  champs. 

Dans  les  agglomérations  où  ils  s'arrêtent,  ils  commencent  par 
réquisitionner  le»  aliments  et  les  boissons,  qu'ils  consomment 
ensuite  jus<|u'à  l'ivresse. 

Parfois,  de  l'intérieur  des  maisons  inoccupées,  ils  tirent  des 
coups  de  fusils  au  hasard  et  déclarent  que  ce  sont  des  habitants 
«jui  ont  tiré.  Alors  commencent  les  scènes  d'incendie,  de  meurtre 


et  surtout  de  pillage,  accompafpt^  d*act«8  de  froide  cruautë  qui 
ne  re»{)oc(ent  ni  le  sexe,  oi  l'Age.  LA  m^me  où  ils  prétendent 
connaître  le  coupable  des  faitji  qu'ils  allèguent,  ils  ne  He  bornent 
pas  à  Texëcuter  sommairement,  mais  en  profitent  pour  décimer 
la  population,  piller  toutes  les  habitations,  puis  y  mettre  le  feu. 

Aprt^s  un  premier  massacre  exécuté  un  peu  au  hasard,  ils 
enferment  les  hommes  dans  l'église  de  la  localité,  puis  ordon- 
nent aux  femmes  de  rentrer  chez  elles  et  de  tenir  ouverte,  pendant 
la  nuit,  la  |M)rle  de  leurs  demeures. 

Dans  plusieurs  localités,  la  population  mâle  a  été  dirigée  sur 
I  Allemagne,  pour  y  être  contrainte,  paratt-il,  à  exécuter  les 
travaux  de  la  moisson,  comme  aux  jours  de  l'esclavage  antique. 
Les  cas  sont  nombreux  où  l'on  force  les  habitants  à  servir  de 
guide,  à  exécuter  des  tranchées  et  des  retranchements  pour  les 
Allemands.  De  nombreuses  dépositions  attestent  que  dans  leurs 
marches,  ou  même  leurs  attaques,  les  Allemands  mettent  au 
premier  rang  des  civils,  hommes  et  femmes,  aHn  d'empêcher  nos 
soldats  de  tirer.  D'autres  témoignages  d'officiers  et  de  soldats 
belges  attestent  que  des  détachements  allemands  ne  se  gênent 
point  pour  arborer,  soit  le  drapeau  blanc,  soit  le  drapeau  de  la 
Croix-Rouge,  afin  d'approcher  nos  troupes  sans  défiance.  Par 
contre,  ils  tirent  sur  nos  ambulances  et  maltraitent  nos  ambulan- 
ciers. Ils  maltraitent,  même  achèvent  nos  blessés.  Les  membres 
du  clergé  semblent  devoir  être  spécialement  l'objet  de  leurs  atten- 
tats.  Enfin,  nous  avons  en  notre  possession  des  balles  expansives 
abandonnées  par  l'ennemi  à  Werchter  et  nous  possédons  des 
certificats  médicaux  attestant  que  des  blessures  ont  dû  être 
infligées  par  des  balles  de  ce  genre. 

Les  documents  et  dépositions  sur  lesquels  s'appuient  ces  consta- 
tations seront  publiés. 

Le  Président  y 

(S.)  COOREMAN. 

Les  SecrétaireSy 
(S.)     Ch.  Ernst  de  Bu.nswick  ; 
Ours. 


DE  L'AGENCE  WOLFF 

Berlio,  ô  septembre. 
(  Woljf).  On  mande  de  source  officielle  : 
La  Belg'iqiie  publie  officiellement  de  faux  rensei^çnements 
sur  les  événements  qui  ont  eu  pour  conséquence  la  destruc- 
tion de  la  ville  de  Louvain,  prétendant  que  les  troupes  alle- 
mandes, repoussées  à  la  suite  d'une  sortie  des  forces  d'An- 
vers, ont  essuyé  par  erreur  le  feu  de  la  g-arnison  allemande 
de  Louvain,  ce  qui  aurait  donné  lieu  à  la  bataille  de  Lou- 
vain.  Or,  il  est  incontestable  que  les  Allemands  avaient 
repoussé  l'attaque  bel/çe  ;  pendant  le  combat  d'Anvers,  il  se 
produisit  à  Louvain  une  attaque,  sans  doute  org-anisée, 
contre  les  Allemands  restés  dans  celte  ville,  bien  que,  depuis 
ving-t-quatre  heures,  ces  derniers  eussent  noué  des  rapports 
amicaux  avec  les  habitants. 

L'attaque  fut  dirig-éc  principalement  contre  un  bataillon 
de  landsturm,  composé  de  g'ens  tranquilles,  de  pères  de 
famille,  ainsi  que  contre  une  partie  restée  en  arrière  de 
l'élat-major  d'un  commandement  g-énéral  ;  les  Allemands 
eurent  de  nombreux  morts  et  blessés.  Ils  eurent  cependant 
l'avantafs^e,  g^râce  à  de  nouvelles  forces  amenées  par  le  che- 
min de  fer.  Os  «Ici  tiiAns  furent  reçues  A  la  iran»  par  fh»-; 
coups  de  feu 

Au  sujet  des  iK'tails  do  l'affaire,  une  inslruclion  est  en 
cours,  et  ses  résultats  seront  publiés,  mais  la  véracité  de  ce 
qui  précède  est  hors  de  doute. 

L'IlAtel  de  Ville  a  été  préservé  des  Haiinu' -.    1.^   iiiii.> 
tentatives  de  limiter  l'incendie  sont  restées  sans  nMiiiai. 
(Journal  de  Genève^  (i  septembre  1914.) 


—  19  — 

COMMISSION  D'ENQUÊTE  SUR  LA  VIOLATION 
DES  RÈGLES  DU  DROIT  DES  GENS 

DES  LOIS  FT  i)i:s  rorTi\Mr:s  de  la  gi:erre 

Anvers,  le  10  septembre  I9U. 

Afin  de  compléter  son  rapport  du  31  août,  la  Commission  croit 
((♦•voir  sii^oaler  qu'il  est  confirmé  que  dans  les  journées  qui  ont 
>uivi  l'incendie  de  Louvain,  les  maisons  demeurées  deliout,  dont 
les  hal»it;»nts  avaient  été  chassés  par  l'envahisseur,  ont  été  livrées 
au  piliai^e  sous  les  yeux  des  officiers  allemands.  Le  i  septembre, 
un  témoin  a  encore  vu  les  Allemands  mettre  le  feu  à  quatre 
maisons. 

Un  autre  fait  qui  soulic^ne  le  caractère  implacable  du  traitement 
infligé  à  la  population  paisible  de  Louvain,  a  été  également  éta- 
bli :  le  i8  aoiU,  une  foule  de  6  à  HOOO  personnes,  honmies,  fem- 
mes et  enfants,  de  tout  âge  et  de  toutes  conditions,  a  été  conduite 
sous  escorte  d'un  détachement  du  i6i'  régiment  d'infanterie 
allemande,  au  manège  de  la  ville,  où  ces  infortunés  ont  passé 
toute  la  nuit.  L'exiguïté  du  local  était  telle,  eu  égard  au  nombre 
des  occupants,  que  ceux-ci  ont  dû  demeurer  debout,  endurant  de 
si  grandes  souffrances,  qu'au  cours  de  celte  nuit  tragi(|ue  plu- 
sieurs femmes  ont  été  frappées  de  folie  et  que  des  enfants  en  bas 
Age  sont  morts  dans  les  bras  de  leur  mère. 

Un  communiqué  du  grand  état-major  allemand,  dont  la  Garette 
'/<«•  Cologne  du  iO  août  nous  a  apporté  le  texte,  affirme  que  le 
•<  chAtiment  »  infligé  à  Louvain  se  justifiait  par  le  fait  qu'un 
bataillon  de  I>and\vehr,  laissé  seul  dans  la  ville  pour  garder  les 
tonununications,  aurait  été  attaqué  par  la  population  civile,  agis- 
sant sous  l'impression  qae  le  g^ros  de  l'armée  allemande  s'était 
retiré  définitivement. 

Le  même  journal  a  publié  le  récit  d'un  prétendu  témoin  de  l'évé- 
nement. 

L'enquête  a  établi  que  cette  affirmation  doit  être  considérée 


—    ?0 


conmie  fausse.  Il  est  acquis,  eu  effet,  que  la  bourgeoisie  de  Lou- 
▼ain,  d'ailleurs  prëaiubiemcnt  désarmée  par  rautorité  coramunale, 
n'a  provoqué  les  Allemands  par  aucun  acte  d'hostilité. 

Les  Secrétaires  :  Le  Président  : 

W)  C.H    Fhnst  de  Bunswygk,  Orts.  (s)  CooacMAN. 


KXTRAIT  DU  ôœe  |\APPOHT 

Le  jeudi  27  aoiil,  à  8  heures,  ordre  fut  donné  à  tous  les  habi- 
tants de  quitter  Louvain,  la  ville  devant  être  bombardée. 

Vieillards,  femmes,  enfants,  malades,  aliénés  colloques,  rcli- 
ipeux,  religieuses,  furent  chassés  brutalement  sur  toutes  leu 
routes  comme  un  troupeau.  Ce  que  furent  l'exode  des  habitants, 
les  atrocités  commises,  on  commence  seulement  à  le  savoir  ;  ils 
furent  chassés  au  loin,  sous  la  direction  de  soldats  brutaux,  dans 
des  directions  diverses,  forcés  de  s'agenouiller  et  de  lever  les  bras 
à  chaque  passa^'c  d'ofHciers  et  de  soldats  allemands,  sans  nour- 
riture et  la  nuit  sans  abri. 

Plusieurs  moururent  en  route  ;  d'autres,  parmi  lesquels  des 
femmes  et  des  enfants  qui  ne  pouvaient  suivre,  ainsi  que  des 
ecclésiastiques  furent  fusillés.  Plus  de  lOOOU  habitants  furent 
poussés  jusqu'à  Tirlernonl,  ville  située  à  près  de  20  kilomètres 
de  Louvain.  Ce  (|ue  dut  «^Ire  leur  calvaire,  on  ne  peut  le  décrire. 
Beaucoup  d'entre  eux  furent  encore  repoussés  le  lendemain,  de 
Tirlemont  juscju'à  Saint-Trond  et  llasselt. 

Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  il  nous  suffira  de  dire  qu'un 
groupe  de  treize  ecclésiastiques,  comprenant  le  curé  de  Saint- 
Joseph,  M.  Noël,  professeur  à  l'Université,  le  Père  recteur  de 
Scheut,  a  été  arrêté,  en  cours  de  route,  dans  la  commune  de 
I^venjoul.  Ils  ont  été  injuriés  de  toutes  les  façons,  enfermés  dans 
une  porcherie  dont  les  Allemands  avaient,  sous  leurs  yeux,  fait 
sortir  les  porcs,  puis  certains  d'entre  eux  ont  été  forcés  d'enlever 
tous  leurs  vêtements  ;  tous  ont  été  fouillés,  dépouillés  de  toutes 
les  valeurs  et  de  tous  les  objets  précieux  qu'ils  emportaient,  bru- 
Uliaés  el  frappés. 

L'expulsion  des  habitants  semble  avoir  eu  pour  mobile  de  laci- 


—  'J\  — 

liter  le  pillage,  Les  tioKiats  étaient  si  prcNHés  de  voler  iHic  pluNJeurs 
témoins  afKrmeul  avoir  vu  commencer  le  pillage  de  Imrs  h.ihi- 
lations  au  moment  même  où  ils  devaient  les  quitter. 

1^  pillai^e,  commencé  le  jeudi  i7  août,  dura  huitjnuf*.  i'ar 
bandes  de  six  ou  huit,  les  soldats  cnfonraient  les  portes  ou  bri- 
saient les  fenêtres,  |>énélraicnt  dans  les  caves,  se  grisaient  de  vin, 
saccageaient  les  meubles,  éventraient  les  coffres- fort  s,  volaient 
l'ari^^ent,  les  tableaux,  les  ceuvres  d'art,  Targenterie,  le  linge,  les 
vt^tenients,  le  vin,  les  provisions. 

Les  carnets  de  campat^ne  trouvés  sur  les  soldats  allemands  faits 
prisonniers  à  Aerschot  contiennent  des  aveux  irrécusables  : 

Klein,  (iaston,  appartenant  à  la  le*  compagnie  du  I^ndsturm, 
écrit  sous  la  date  du  iO  août  : 

«  A  partir  de  Moo8l>eek  nous  commencions  à  avoir  un  a|>crçu 
de  la  guerre  ;  maisons  incendiées,  murs  troués  par  des  balles, 
cadran  de  la  tour  enlevé  pnr  un  obus,  etc.  (Quelques  croix  isolées 
indiquaient  la  tombe  des  victimes.  Nous  arrivons  à  Louvain,  (|ui 
était  une  véritable  fourmilière  militaire.  Le  bataillon  de  la  Land- 
starm  de  Halle  arrive,  traînant  après  lui  toutes  sortes  de  choses, 
surtout  des  bouteilles  de  vin  et,  parmi  eux,  il  y  en  avait  beau- 
coup qui  étaient  ivres.  Un  peloton  de  dix  cyclistes  ix)ulaienl  à 
travers  la  ville  pour  chercher  un  logement,  et  en  montrait  une 
image  de  dévastation  telle  qu'il  est  impossible  de  s'en  faire  une 
idée  pire.  Des  niaisons  brûlant  et  s'effondrant,  entouraient  les 
rues  ;  quelques  rares  maisons  demeuraient  debout.  I^  course  se 
poursuivait  sur  des  débris  de  verre  ;  des  morceaux  de  bois  brû- 
laient, etc.  Ijts  fils  conducteurs  du  tram  pt  ■'*••*  '"  •  •' -phon  • 
traînaient  dans  les  rues  et  les  obstruaient. 

«  Les  stations  encore  debout  étaient  remplies  tie  *i«>i;;cs  ».  l»e 
retour  à  la  gare,  personne  ne  savait  ce  qui  devait  se  faire. 
D'abord  quelques  troupes  seulement  se  seraient  rendues  en  ville, 
mais  alors  le  bataillon  allait  en  rangs  serrés  en  ville  pour  entrer 
par  effraction  dans  les  premières  maisons,  pour  marauder  du  vin 
et  autre  chose  aussi,  pardon,  réquisitionner.  Ressemblant  à  une 
meute  en  débandade,  chacun  y  alla  à  sa  fantaisie.  Les  officiers 
précédaient  et  donnaient  le  bon  exemple . 


»  Une  nuit,  dans  une  caserne,  de  nombreux  ivrognes,  ce  tut 
fini. 

»  Cette  journée  m'inspim  un  mépris  f/iie  Je  ne  saurais 
décrire.  » 

Sans  compter  les  Halles  universitaires  et  le  Palais  de  Justice, 
894  maisons  ont  été  incendiées  sur  le  territoire  de  la  ville  de 
Louvaio,  800  environ  sur  celui  du  faubourg  de  Kessel-Loo.  Le 
faubourg  de  Herent,  la  commune  de  Corbeek-Loo  ont  été  presque 
entièrement  détruits. 

Il  serait  impossible  de  déterminer  actuellement  le  nombre  àt-a 
victimes.  A  la  date  du  8  septembre,  quarante-deux  cadavres 
avaient  élé  retirés  des  décombres. 


Pour  justifier  les  atrocités  qu'ils  ont  commises,  les  Allemands 
prétendent  que  des  civils  ont  tiré  sur  leurs  troupes.  Nos  rapports 
précédents  ont  déjà  rencontré  celte  allégation  mensongère. 

La  vérité  est  que  partout  le  meurtre  de  citoyens  paisibles,  le 
pillage,  le  vol,  semblent  avoir  élé  méthodiquement  organisés. 

Un  témoin  de  nationalité  étrangère  nous  a  rapporté  avoir 
entendu,  le  ift  août,  devant  l'Hôtel  de  Ville  de  Louvain,  un  offi- 
cier allemand  dire  à  ses  troupes  que  jusqu'à  ce  moment  les  Alle- 
mands n'avaient  incendié  <|ue  des  villages  ou  des  localités  d'im- 
portance secondaire,  ({ue  pour  la  première  fois  on  allait  assister 
À  l'embrasement  d'une  grande  ville. 

L'incendie  suit  presque  toujours  le  pillage  ;  il  parait  n'avoir 
souvent  d'autre  but  que  d'en  faire  disparaître  les  traces.  Fréquem- 
ment, les  maisons  sont  incendiées  au  moyen  de  fusées  ;  d'autres 
fois  elles  sont  arrosées  de  pétrole  ou  de  iiaphte,  au  moyen  de 
pompes  ;  d'autres  fois,  enfin,  pour  activer  l'incendie,  les  soldats 
allemands  se  servent  de  pastilles  dont  nous  possédons  des  échan- 
tillons. L'analyse  k  laquelle  nous  avons  fait  procéder  nous  a 
révélé  <|ue  ces  pastilles  soni  fal»ii(|ii»'»'s  iivcc  de  la  nitioirlliilosi» 
gélatinée. 

Le  pillage,  l'incendie,  .se  toni  »ut  iiuiiti  u<  i.iui<iiti<  r>iii>i- 
rieure.  Une  partie  du  butin,  la  plus  im|K>rtante,  semble-t-il,  est 
expédiée  en  .MIemagne. 


La  Ludiini  I  M  (loil  devoir,  â  ce  propos,  vous  jùgnaler  uoe 
dépositioQ  iu;.  i .-.  ..ni»». 

La  Siijiérieurf  il'un  <  il  lissement  rclifpcux  «ilué  dans  unr 
localité  rurale  souiuisc  m  {illaiçe,  est  venue  déclarer  qu'après  le 
sac  de  la  commune,  un  soldat  allemand  lui  a  remis  une  somme 
de  i  franc  8  centimes,  lui  disant  que  si  le  pillage  lui  était  imposé 
il  ne  voulait  pas  en  profiter,  n'étant  pas  un  roleur.  Un  sous- 
ofKcier  allemand  l'a  priée  de  remettre  à  M'i«  V.  I).  une  montre, 
une  chaîne  et  un  bracelet  en  or  qu'il  avait  enlevés  ehez  elle. 

Il  n'est  dans  les  ravages  dont  la  Belgique  a  été  l'objet,  qu'un 
seul  motif:  le  désir  de  terroriser  les  populations,  la  volonté  de 
se  venger  d'une  résistance  à  laquelle  l'Empire  allemand  ne  pou- 
vu  ît  «;*;iff#>nilrt'. 

Le  Secrétaire-     —     Le  Président. 


LV.^  KXUUM Allons  DK  LUL\A1N 

Au  moment  des  massacres  de  Louvain,  un  correspondant  hol- 
landais avait  signalé  que  plusieurs  personnes  fusillées  avaient  été 
enterrées  sur  la  place  de  la  Gare,  au  terre-plein  qui  entoure  la 
statue  de  Sylvain  Van  der  \N*eyer. 

La  Gazette  de  Cologne  publia  aussitôt  un  démenti  de  l'autorité 
allemande  à  Bruxelles. 

Des  recherches  faites  à  l'endroit  indiqué  ont  fait  découvrir  les 
cadavres  et  le  correspondant  du  journal  hollandais  le  Tijd  a  as- 
sisté à  l'exhumation,  qui  eut  lieu  en  présence  du  professeur 
Nerinex,  faisant  fonctions  de  bourgmestre  ;  du  docteur  Mslda- 
iTue,  processeur  à  l'université,  du  juge  d'instruction  Simons,  du 
colonel  allemand  Lubbert,  commandant  militaire  de  Louvain,  et 
lie  son  aide  de  camp. 

1^  correspondant  du  Tijd  en  fait  ce  récit  : 

«  Vingt  corps  furent  exhumés  après  un  travail  épouvantable, 
vingt  corps  entassés  dans  un  trou  qui  ne  mesurait  pas  plus  de 
quatre  mètres  carrés  !  Il  fallut  prendre  d'infinies  précautioa^ 
pour  ne  pas  ramener  des  jambes  ou  des  bras  appartenant  À  d'au- 
tres corps,  tant  les  membres  étaient  mêlés. 


—  ?l  — 

t>  L'émotion  élrei|y^Dait  tout  le  raoode.  Même  le  colonel  allemand 
LublxTl  ne  put  8'em|)écher  de  dire  au  l>ourj^mcstre  :  «  Aboutir  k 
un  tel  résultat,  c'est  incompréhensible  lorsqu'on  sait  combien 
notre  peuple  est  instruit,  cultivé  !  »  Et  l'aide  de  camp  d'ajouter  : 
«  Je  suis  heureux  de  ne  m'élre  pas  trouvé  à  Louvain  en  ces  mo- 
ments traiçi<|ucs.  »  Paroles  qui  ont  leur  prix  et  montrent  bien 
que  les  honnêtes  g^ens  d'Allemagne  regrettent  à  présent  l'acte 
inquallHahlc  que  les  dirigeants  ont  ordonné,  au  mépris  des  lois 
de  l'humanité  la  plus  élémentaire. 

»  Le  professeur  Maldague,  qui  s'était  trouvé  parmi  les  pauvres 
prisonniers  qu'on  choisissait  l'un  après  l'autre,  froidement,  pour 
les  massacrer,  et  qui  avait  miraculeusement  échappé  à  la  mort, 
ne  put  maîtriser  l'émotiun  profonde  qui  l'étreignait.  En  ce  jour 
fatal,  il  était  défendu  au  troupeau  humain  de  regarder  les  cruau- 
tés commises  par  les  soldats,  mais  une  femme  (jui  se  trouvait  à 
côté  du  professeur  Maldague  se  risqua  quand  même  et  vit  que 
les  victimes  choisies  en  expiation  devaient  se  coucher  à  plat  ven- 
tre sur  les  pavés.  On  les  tuait  alors  d'uD  coup  de  feu  dans  la  nu- 
que, le  dos  ou  la  tête. 

»  L41  plupart  des  victimes  gisaient  donc  le  crâne  fracassé,  non 
seulement  par  suite  de  coups  de  feu,  mais  de  coups  de  crosse  ! 
Et  cela  ne  suffisait  pas.  Tous  les  corps  retrouvés  —  les  rapports 
médicaux  en  font  foi  —  ont  été  transpercés  de  coups  de  baïon- 
nette. Certains  avaient  les  bras  et  les  jambes  brisés.  Seuls,  deux 
corps  ne  portaient  aucune  blessure.  Une  autopsie  sera  faite  afio 
de  se  rendre  compte  des  causes  de  la  mort. 

»  M>"«  Van  Ertrijck  reconnut  ainsi,  au  bord  de  la  fosse,  son  mari 
Agé  de  soixante  ans,  fabricant  de  cigares,  et  sou  fils  Agé  de 
vingt-sept  ans,  puis  apparurent  le  corps  d'un  soldat  belge  qu'on 
n'a  pu  identifier,  enfin  celui  d'un  petit  garçon  qui  n'avait  pas 
quinze  ans. 

»  Les  victimes  furent  ensuite  reconnues  :  (iharles  Munkemer, 
époux  d'Amélie  Maranl,  né  en  1885;  Edgard  Uicquct,  brasseur  A 
Boort-Meerbeck,  et  dont  la  famille,  connue  de  tout  louvain,  ha- 
bite rue  de  la  Station  ;  le  major  pensionné  belge  Eickhorn,  Agé 
de  soixante  ans  (inventeur  de  cartouches  |)Our  le  tir  réduit)  ; 
A.  Van  de  (îaer,  0.  Candriès,  Mm»  A.  Bruyninckx,  née  Au^. 
Marien  ;  .Mme  Périlleux,  Agée  de  soixante  ans  environ. 


M  Eo  reniuant  la  terre,  on  découvrit  une  seconde  tombe  qui  con- 

lit  «i«M>t  .iiifr-f^  ra. Livres    (l!ssiiiml«'s  sons  ttrnic  mitirnrlrrs  «If 

terre 

•    I^'     iriKÎriiuiiii.    i<i     îiiin-|»ir     iii-«nit;iii-    irjMii.    i>uin-   imm-    jiiiile 

fo&He,  OD  mil  encore  h  jour  deux  cadavres  :  celui  de  Henri 
Decorte,  ouvrier  h  Kessel-l,.oo,  celui  de  M.  Van  Bladel,  curé  de 
lièrent.  Pas  un  bruit  (]uand  on  exhuma  le  tj^rnnd  corps  de  riofor" 
tuné  prêtre.  Seul  le  I\.  \*.  Cla>fl  laissa  tomber  ces  mots  :  «  Ijc 
curé  de  Hérent.  »  I>e  pauvre  homme  était  âgé  de  soixante  et 
onze  ans. 

«  Onz^*'*'  de  Lausanne  du  ^  r.\r;..r  ^'u*;    ^ 


REIMS 

COMMUNIQUÉS  —  RAPPORTS 
RÉCITS 


EXTRAITS  DES  COMMUNIQUÉS  OFFICIELS 
FRANÇAIS 

L'ennemi  a  vainement  essayé  de  prendre  l'offensive  contre 
Reims.  (18  septembre.) 

Les  Allemands,  qui,  malgré  des  attaques  d  uue  violence 
extrême,  n'ont  pu  g^ag-ner  le  moindre  terrain  devant  Reims, 
ont  bombardé  tout  le  jour  la  cathédrale.  (S50  septembre, 
7  heures.) 

Les  Allemands  se  sont  acharnés,  sans  raison  militaire,  à 
tirer  sur  la  cathédrale  de  Reims,  qui  est  en  flammes. 
<!?0  Hrpli'iiilii»'     ir.  Il     ITv) 


NOTKS   ALLEMANDES 


Pans,  '/l.  Ou  mande  d'Amslerdam  à  ilavas  : 
Un  commuuiquê  de  l'état-major  allemaûd  explique  ainsi 
la  destruction  de  la  cathédrale  de  Reims  : 

Nous  avons  progressé  sur  quelques  points  dans  notre 
attaque  contre  les  forces  anglaises  et  françaises.  Reims  se 
trouve  dans  la  zone  du  combat  et  les  Français  nous  ont 
obligés  à  répondre  à  leur  feu.  Nous  regrettons  que  la  ville 
ait  été  endommagée.  Des  ordres  avaient  été  donnés  pour 
]u'on  épargne  autant  que  possible  la  cathédrale. 

La  presse  allemande. 

Berlin,  22.  (WolfF.)  Les  journaux  font  remarquer  que 
les  dommages  l'ont  été  par  la  faute  des  Français,  qui  avaient 
posté  leurs  canons  aux  abords  de  la  cathédrale  et  avaient 
commencé  le  feu.  Il  va  de  soi,  dès  lors,  que  le  feu  de  l'artil- 
lerie allemande  devait  être  dirigé  contre  la  cathedra l^-  r^l^ 
n'a  pas  besoin  de  justification. 

Le  Berliner  Lokal  Anzeiger  relève  que  la  ville  de  Reims, 
lorsque  les  troupes  allemandes  la  traversèrent  dans  leur 
poussée  vers  la  Marne,  resta  absolument  indemne. 

Les  Français  étaient  libres  de  laisser  la  ville  en  dehors 
.le  la  ligne  de  feu.  Au  surplus,  certaines  parties  de  la  cathé- 
Irale  seulement  ont  été  endommagées. 

Tribune  de  Lausanne  y  du  23  septembre. 


PROTESTATION  DE  M.  LANDRIEUX, 

ARCHIPRÊTHE,  VICAIRE  GÉNÉRAL  DE  LA 

r'ATlIÉDRALE  DE  REIMS 

On  se  rap|>ellc  que  M.  de  Bethmann-Hollweg  a  adresse^ 
le  30  octobre,  au  ministre  de  Prusse  auprès  du  Saint-Siège, 
une  note  accusant  rétat-major  français  de  s'être  servi  de  la 
cath(^drale  comme  d'un  poste  d'observation. 

M.  Landrieux,  archiprètre,  vicaire  g-énéral  de  la  cathé- 
drale de  Reims,  a  rétabli  la  vérité  dans  une  protestation 
qu'il  importe  de  reproduire  tout  au  long*  : 

«  L'auteur  de  cette  note  a  été  induit  en  erreur  par  des 
informateurs  ;  et  l'erreur  est  trop  i;çrosse  de  conséquences 
pour  n'être  pas  relevée,  étant  donné  surtout  qu'on  laisse 
entendre  que  la  cathédrale  déjà  dévastée  pourrait  encore 
être  maltraitée  de  ce  chef. 

»  Témoin,  heure  par  heure,  de  ce  qui  se  passe  dans  mon 
église,  je  suis  en  mesure  de  rétablir  les  faits  en  parfaite 
connaissance  de  cause  et  j'ai  le  devoir  de  le  faire. 

)►  La  note  affirme  que  de  nouveau,  c'est-à-dire  depuis  l'in- 
cendie du  19  septembre,  on  a  placé  une  batterie  devant  la 
cathédrale  et  installé  sur  une  des  tours  un  poste  d'observa- 
tion. Au  nom  de  S.  E.  le  cardinal-archevêque  de  Reims  et 
au  mien,  j'atteste  qu'à  aucun  moment  il  n'a  été  établi  de 
batterie  sur  le  parvis,  ni  de  poste  d'observation  sur  les  tours, 
et  qu'il  n'y  a  jamais  eu  ni  cantonnement,  ni  stationnement 
quelconque  de  troupes  à  proximité  de  la  cathédrale.  » 

Berlin,  16  novembre. 
iWolff).    Contrairement   aux   déclarations  de   M.    Lan- 

drl*""^     ' fnpr<^fri'    ot    virnire  général   de    Reims,   qui   a 


—  29  - 

afÉiriné  que  jamais  une  batterie  n'avait  été  placée  sur  le 
parvis  de  la  cathédrale,  que  jamais  il  n*y  a  eu  de  posta 
d'observation  sur  les  tours  et  que  jamais  il  n'y  a  eu  de  sta- 
tionnement de  troupes  quelconques  dans  le  voisinage  de  la 
cathédrale,  l'agence  VVolflFest  chargée  de  déclarer  officiel- 
lement que  la  présence  d'artillerie  vers  la  cathédrale  de 
Reims  et  un  poste  d'observulion  sur  les  tours  ont  été  cons- 
tatés à  plusieurs  reprises  et  que  ces  faits  ne  subsistent  pas 
moins  en  dépit  de  toutes  les  dénégations  intéressées. 

LES  JOURNÉES  DU  4  SEPTEMBRE  AU  12  OCTOBRE 
A  REIMS 

M.  le  professeur  J.Keverdin  veut  bien  nous*  commuDiquer  les 
extraits  suivants  d'une  lettre  que  lui  adresse  son  ami,  M.  le  D' 
Langlet,  maire  de  Keims,  dont  il  est  absolument  impossible  de 
suspecter  les  afHrmations.  En  autorisant  son  correspondant  de 
Genève  à  donner  son  nom  et  sa  qualité  de  maire,  M.  I^ançlet 
ajoutait  :  «  Je  crois,  en  effet,  important  de  rectifier  les  assertions 
absolument  fausses  de  nos  ennemis;  on  m'a  communiqué,  entre 
autres,  un  article  d'un  Bulletin  envoyé  aux  commerçiinls  suisses 
(Bureau  des  deutschcn  Handelslaiçers)  qui  fourmille  d'erreurs 
(le  dates  qui  rendent  leur  arg^umentation  inadmissible.  La  note 
que  je  vous  ai  envoyée  y  répond  du  reste  par  avance.  »> 

Cette  lettre  est  datée  du  i4  octobre. 

Pour  revenir  sur  une  question  dont  vous  m'avez  parlé 
dans  votre  lettre  relative  aux  motifs  du  bombardement,  il 
est  impossible  de  prendre  au  sérieux  l'affirmation  (ju'il  y 
avait  des  batteries  dans  les  environs  de  la  catliédrale  ou 
qu'elle  ait  servi  sous  une  forme  ou  sous  une  autre  de  poste 
de  défense.  Jamais  il  n'y  a  eu  de  batteries  dans  la  ville  et 

'  Extrait  (hi  Journal  de  flenèrf  du   19  ruivcinhrç. 


—  m  ~ 

dans  les  environs  de  l'église  qui  puissent  servir  d*excuse  à 
une  agression  aussi  caractérisée. 

Je  crois  d'ailleurs  pouvoir  vous  donner  une  preuve  du 
contraire. 

Tout  d'ahonl,  il  l'aut  savon  (|u  il  v  a  eu  plusieurs  séances 
de  Iwmbardement,  dans  lesquelles  la  cathédrale  a  été  parti- 
culièrement visée.  La  première  avait  lieu  le  4  septembre, 
jour  de  l'entrée  des  Allemands  à  Reims.  Nous  étions  dans 
mon  cabinet  en  conversation  avec  un  intendant  du  corps 
d'armée  saxon,  qui  venait  poser  les  bases  d'une  réquisition 
importante  pour  caution  de  l'exécution  de  laquelle  elle  exi- 
geait le  versement  de  la  somme  d'un  million.  La  conversa- 
tion, d'ailleurs  courtoise,  ponctuée  de  temps  en  temps, 
comme  excuse  de  leurs  exigences,  d'un  C'est  la  guerre! 
sans  réplique,  se  continuait,  quand  éclata  comme  un  coup 
de  tonnerre  le  bruit  de  la  première  bombe  tombant  sur 
Keims 

Je  n'oublierai  jamais  la  physionomie  effarée,  empreinte  à 
la  fois  d'étonnement  et  de  colère,  de  cet  officier,  qui  venait 
de  nous  dire  qu'ils  n'étaient  pas  des  barbares,  mais  un 
peuple  de  haute  culture,  et  qui  constatait  lui-même  que 
le  premier  attentat  sur  la  cathédrale  venait  de  l'armée  alle- 
mande. Car  c'était  bien  dès  ce  jour-là  la  cathédrale  qui  était, 
sinon  atteinte,  du  moins  visée,  les  bombes  pleuvant  à  droite 
d'elle,  à  gauche,  en  avant,  en  arrière,  démolissant  déjà  les 
vitraux  sans  valeur  du  rez-de-chaussée  de  ce  monument. 

11  y  avait  donc  si  peu  à  s'y  tromper  que  l'officier  général  qui 
se  trouvait  là  s'empres.sa  d'envoyer  aux  batteries  qui  tiraient 
sur  Hcims  et  qui  appartenaient  à  un  autre  corps  un  avis 
d'arrêter  ce  bombardement,  et  qu'il  conseilla,  qu'il  pressa 
même  la  fabrication  d'un  drapeau  blanc  fait  d'une  perche 
et  d'un  drap  destiné  à  être  hissé  au  haut  de  la  tour  nord  de 


—  31   — 

notre  basilique,  où  il  flottait  un  quart  d'heure  après  ao  mo- 
ment où  le  tir  cessait. 

L'émotion  calmée,  les  officiers  présents  conclurent  à  une 
erreur,  erreur  qu'ils  regrettaient  profondément^  dont 
nous  ne  chercherons  pas  à  expliquer  la  psycholon^ie,  mais 
où  l'on  pourrait  j)cut-étre  entrevoir  une  espèce  d'anta/^o- 
iiisme  ou  plutôt  de  rivalité  entre  deux  races,  dont  Tune  a 
plus  de  prétention  à  la  civilisation  et  se  contentait  de  frap- 
per à  la  caisse,  et  l'autre,  plus  brutale  et  plus  rude,  sans 
(Hre  peut-être  moins  avide,  voulait  frapper  notre  cité  au 

*  «i*ur  et  l'atteindre  dans  sa  gloire  et  dans  sa  beauté. 

Huit  jours  durant,  parmi  les  Allemands  qui  passèrent  à 
Reims,  nombreux  furent  ceux  qui  eurent  l'occasion  de 
manifester  ieui*s  sentiments  d'admiration  pour  la  cathé- 
drale sans  prévoir  ce  qu'elle  deviendrait  quinze  jours  plus 
tard. 

Le  1:^  septembre,  les  Allemands  quittaient  Reims  en  hâte, 
mais  en  prenant  la  précaution  d'annoncer  qu'il  allait  y 
avoir  une  g-rande  bataille,  qu'il  fallait  mettre  dans  la  cathé- 
drale les  blessés  nombreux,  deux  ou  trois  mille,  qui  allaient 
arriver,  et,  sur  leur  réquisition  et  leurs  soins,  on  emplit 
<\c  paille  et  de  couvertures  le  sol  des  nefs  pour  servir  de  lits 
qu'allait  protéger  la  Croix-Rouge  placée  sur  les  deux  tours 
du  monument.  Et  il  n'y  eut  pas  (ce  jour-là)  de  bataille  et  il 
ne  vint  pas  de  blessés,  et  la  Croix-Rouge  et  le  drapeau 
lilanc  flottaient  *Jiir  l«^s  totirs  (|iiand  les   Kranrais  re-'»-H"*"t 

•  lans  la  ville. 

Nos  ennemis  insistaient  eux-mêmes  sur  le  rôle  prolecteur 
que  pouvait  avoir  pour  la  cathédrale  elle-même  sa  trans- 
formation en  hôpital.  11  n'était  pas  question  d'une  forte- 
resse ou   d'un  observatoire,   mais   d'un   asile   doublement 


—  32  — 

Deux  jours  après,  le  bombardement  de  Reims  commen- 
çait. Pendant  trois  quarts  d'heure,  l'Hôtel  de  Ville  fut  le 
pointde  mire  de rarlillerie  allemande,  ainsi  que  le  centre  de 
la  ville,  mais  la  cathédrale  ne  parut  pas  souffrir  d'une  façon 
spt^ciale.  Néanmoins  on  commençait  à  craindre  pour  elle. 

Le  10  septembre,  utilisant  les  installations  faites  à  la 
demande  des  Allemands  eux-mêmes,  et  les  abritant  sous  le 
drapeau  de  lo  Croix-Rou|5Ç'e,  le  service  français  de  santé  fil 
placer  dans  la  i;^rande  nef  de  la  cathédrale  les  blessés  alle- 
mands qui  ne  tenaient  plus  dans  les  hôpitaux  trop  pleins. 

C'est  vers  trois  heures  de  l'après-midi,  au  milieu  d'un 
bombardement  incessant,  que  s'allumèrent  les  échafau- 
dages servant  aux  réparations  du  monument,  puis  d'autres 
foyers  d'incendie  dans  la  charpente,  puis  de  multiples  incen- 
dies dans  les  quartiers  environnants.  Le  clerg-é  de  la  cathé- 
drale a  [)u  compter  sur  les  pierres  elles-mêmes  du  monu- 
ment plus  de  trente-cinq  obus  tomliés  et  éclatés,  sans 
compter  ceux  tombés  dans  la  charpente.  Et  il  ne  faut  pas 
croire  qu'une  fois  la  charpente  écroulée,  vers  cinq  heures  cl 
demie  du  soir,  au  milieu  de  sinistres  lueurs,  la  rage  du 
bombardement  fût  apaisée.  Vue  de  loin  et  dans  son  en- 
semble, la  silhouette  presque  intacte  de  toutes  les  parties  où 
il  n'y  avait  pas  de  bois  conservait  comme  une  couronne  la 
galerie  de  pierre  qui  entourait  la  base  du  toit.  Or,  les  jours 
suivants,  les  obus  continuèrent  à  pleuvoir  sur  elle  et  le 
12  octobre  dernier  une  partie  de  ce  monument  do  pierre 
s'écroula  sous  la  chute  de  nouveaux  obus. 

Voilà,  mon  cher  ami,  des  détails  qui  vous  intércssoronl 
peut-être.  Du  reste  la  démonstration  n'est  plus  i\  faire, 
Arras  après  Heims  vient  do  subir  le  même  outrage. 


—  ;«  — 

LE  UHAPEAU  BLANC 
SUR  LES  TOURS  DR  LA  CATHÉDRALE  » 

Ayant  appris  (|ue  le  drapeau  blanc  avait  été  hissé  sur  la  toar 
«le  la  Cathédrale  par  M.  L.  Ronné,  membre  de  la  Compagnie  des 
Sauveteurs,  el  par  M.  l'abbé  l^iuin  l^ndrieux,  vicaire  de  la  Cathé- 
(irait*,  nous  sommes  allés  demander  à  ce  dernier  de  nous  racooler 
ni  «loiail  sa  dauscereuse  expédition  : 

Vendredi^  vers  oeuf  heures  un  quart,  je  passais  place 
l\oyale;  je  rentrais  chez  moi,  rue  du  Préau.  Une  première 
délonation  rplonlit. 

«  Les  Allemands  tirent  à  blanc,  disait-on,  pour  célébrer 
leur  entrée  à  Reims.  >  D'autres  afBrmaient  qu'on  faisait 
sauter  les  forts,  etc.,  etc. 

Les  détonations  éclatent  de  plus  en  plus  rapprochées,  un 
vitfloment  sinistre  sillonne  dans  l'espace.  C'est  un  obus  qui 
^.asse  en  grondant.  La  foule  s'enfuit.  Tous  courent  se  airhei 
dans  les  caves  pour  échapper  à  la  mort. 

Les  jours  précédents,  quand  on  parlait  d'un  combat  sous 
les  murs  de  Reims  et  d'un  bombardement  possible,  j'avais 
pensé  me  réfugier  dans  la  Cathédrale.  Je  courus  chez  moi, 
rue  du  Préau,  pour  y  prendre  mes  papiers.  En  un  instant, 
j'étais  redescendu  dans  la  rue.  Les  obus  passaient  dans  le 
ciel  en  sifflant.  Je  courus  d'un  trait,  en  rasant  les  murs, 
jusqu'à  l'aniçle  de  la  rue  du  Préau  et  de  la  rue  Rot>ert-de- 
(^oucy.  J'entendis  passer  la  bombe  qui  éclata  dans  la 
la  maison  de  VEclaireur  de  l'Est,  après  avoir  percé  le 
tableau  d'afBchage  du  journal.  D'un  bond,  je  traversai  la 
rue  Rolicrt-de-Coucy.  J'étais  arrivé  à  la  Cathédrale. 

Le  refuge  sous  le  Petit-Portail  n'était  plus  sûr.  Le  pignon 

'  Le  Courrier  de  la  Champagne  du  3  septembre. 

LOUVAIN...    RKIMS  M  3 


-     ;m  — 

de  «l'Annonciation»  qui  surmonte  la  galerie  des  Prophètes, 
venait  d'Atre  écorné  par  des  éclats  d'obus.  Des  pierres  tom- 
baient sur  la  chaussée.  J'entrai  alors  dans  l'escalier  de 
pierre  <]ui  proiitl  sous  l'horlo^-e  et  qui  conduit  au  trrand 
orgue. 

Déjà  les  verres  des  vitraux  commençaient  à  pleuvoir. 
J'avais  appelé  dans  mon  refug-e  une  femme  et  deux  hommes, 
qui  se  cachaient  derrière  un  pilier  du  transept.  J'ignore 
leurs  noms.  Le  chaisier  de  la  Cathédrale,  M.  Humbert,  vint 
nous  rejoindre. 

Nous  nous  tenions  debout  sur  les  marches  de  l'escalier, 
sans  mot  dire.  Au  dehors,  le  bombardement  faisait  raç;'e.  On 
entendait,  par  les  créneaux  de  l'escalier,  le  sifflement  des 
projectiles.  A  l'oreille,  nous  nous  rendions  parfaitement 
compte  du  trajet  suivi  par  les  obus.  «En  voilà  encore  un, 
disait  de  temps  en  temps  le  chaisier,  qui  n'est  pas  pour  ici.» 

Une  explosion  formidable  retentit.  L'escalier,  oti  nous 
sommes  à  l'abri,  est  rempli  d'une  fumée  acre  qui  nous 
prend  à  la  gorge.  On  ne  se  voit  plus  à  cause  de  la  poussière. 
Une  violente  poussée  d'air,  qui  descend  l'escalier  comme  un 
ouragan,  nous  jette  tous  à  terre,  à  genoux  ou  assis,  sur  les 
marches  de  pierre,  pendant  que  la  porte  de  l'escalier  claque 
contre  la  paroi  du  mur.  C'est  la  bombe  qui  vient  de  tomber, 
à  quelques  mètres  de  là,  au  milieu  de  la  rue  Hnh.rt-ihv 
Coucy,  qui  cause  tout  ce  fracas. 

M.  le  Curé  de  la  Cathédrale  vient  d'entrer  dans  i'éi^lise 
par  le  grand  portail.  Sous  les  obus,  il  était  venu  de  la  rue 
Ponsardin  pour  être  dans  son  église  et  pourvoira  la  sécurité 
du  Saint-Sacrement. 

A  cau.Ho  de  la  fumée  et  de  la  poussière,  nous  ne  le  vtmes 
pas  passer.  Il  se  réfugia  à  la  Réserve,  auprès  du  Saint- 
Sacrement. 


—  .{T»  — 

A  ce  moment,  le  coup  d'œil  dans  la  Cathédrale  était  sinis- 
tre. L'é/B^lise  était  pleine  do  fumée.  La  poussière  montait 
jusqu'aux  voiltcs  en  tourbillous  opaques,  comme  il  arrive 
k  certains  jours  d'oraji^,  sur  les  géodes  routes  et  dans  1& 
campa  trne. 

On  entendait  les  éclats  d'obus  frapper  les  murailles. 
Quelques  barres  d'appui  des  vitraux  (des  barres  de  fer  larges 
de  trois  centimètres),  volèrent  môme  en  éclats  et  allèrent 
rebondir  sur  le  pavé  de  marbre  jusqu'au  milieu  du  chœur. 
Nous  entendions  le  bruit  de  ces  éclats  de  fer  tombant  sur 
les  dalles.  Nous  crilmes  tous  à  ce  moment  que  la  bombe 
était  entrée  par  la  g-rande  rosace  et  qu'elle  venait  d'éclater 
au  milieu  de  la  g>rande  nef. 

D'un  bout  de  l'édifice  à  l'autre,  le  bruit  des  explosions  se 
répercutait,  en  allant  et  en  revenant,  amplifié  par  les  puis- 
santes sonorités  du  vaisseau.  Je  crois  bien  que  tous  ceux 
qui  ont  entendu  ce  bruit  de  tempête  dans  la  Cathédrale  ne 
l'oublieront  jamais. 

Dans  un  intervalle  de  silence,  nous  entendîmes  la  porte 
du  petit  portail  qui  s'ouvrait.  Un  homme  conduisant  de  la 
main  une  bicyclette  entrait  effaré.  Nous  l'appelâmes  pour 
'|u'il  vtnt  se  réfugier  auprès  de  nous  dans  l'escalier.  C'était 
un  membre  de  la  Compagnie  des  Sauveteurs,  M.  L.  Ronn('. 

«  J'arrive  de  Tilôtel  de  Ville.  Voici  le  drapeau  blanc.  Il 
faut  le  hisser  sur  la  tour  de  la  Cathédrale,  pour  que  le  feu 
cesst^.  Mais  je  ne  sais  pas  trop  où  est  la  porte  de  la  tour.  Je 
n'ai  pas  la  clef.  Comment  faire? 

»  —  Je  vais  vous  conduire.  » 

Et  nous  voilà    partis.  La  canonnade    faisau    i  I '"^ 

Ncrres  des  vitraux  continuaient  h  s'écraser  sur  les 
la  basse  nef. 

En  un  ir'-'-"«  !-i  ■  ■"'-    '■•    i^    •    ■!■    .-st  alU-itile  tl  .-..,.  ..    . 


—  :i6  ~ 

Nous  nous  engageons  dans  l'escalier.  Nous  grimpons  à 
perdre  haleine,  jusqu'à  la  plate-forme  en  cirncrit  nrmc^  qui 
est  au-dessus  de  la  |(i^rande  rosace. 

Là  se  trouve  la  porte  de  l'escalier  à  jour  qui  conduit  au 
sommet  de  la  tour.  Cette  porte  est  fermée.  Nous  n'avons 
pas  la  clef.  Nous  uni.ssons  nosefTorts  pour  soulever  la  porte 
hors  de  ses  gonds.  Le  passa^^e  enfin  est  ouvert.  Nous  arri- 
vons au  sommet,  et  tout  émus  nous  brandissons  le  drapeau 
blanc,  qui  a  été  improvisé  avec  l'un  des  draps  de  lit  qui  a 
servi  à  coucher  l'un  des  officiers  allemands  arrivés  la  veille. 

Pendant  la  montée,  surtout  dans  l'escalier  à  jour,  le  spec- 
tacle était  unique.  Des  flots  de  fumée  et  de  pou.ssière  mar- 
quaient les  endroits  touchés.  Deux  obus  tombèrent  alors  sur 
la  maison  de  M.  Glignet,  rue  du  Trésor.  On  voyait  les 
flammes  jaillir  de  la  maison  de  M.  Jules  Matot,  au  coin  de 
la  rue  de  la  Salle  et  de  la  place  du  Palais-de-Justice.  Un 
tourbillon  de  fumée  marquait  un  commencement  d'incendie 
dans  un  pâté  d'usines,  du  côté  de  la  rue  Houzeau-Muiron. 

Enfin,  l'ouragi-an  de  fer  et  de  feu  s'arrêta.  Un  aéroplane 
allemand  vint  planer  un  instant  au-dessus  de  la  tour  de  la 
Cathédrale,  fit  volte-face  et  repartit  à  toute  vitesse. 

La  Cathédrale  n'avait  pas  été  touchée  directement.  Mais 
que  de  ruines  amoncelées  en  trois  quarts  d'heure  autour 
d'elle,  place  du  Parvis  et  rue  Uobert-de-Coucj  ! 

Les  vitraux  blancs  de  la  basse-nef  sont  en  miettes  ;  les 
vitraux  anciens  de  la  /(grande  nef  sont  percés  de  mille  trous. 
La  rosace  inférieure  du  j^rand  portail  est  abîmée.  Ia>s  vitraux 
qui  ornent  la  galerie  placée  au-dessous  de  la  grande  rosace 
ont  été  disloqués  par  la  poussée  de  l'air,  quelques-uns  môme 
sont  brisas.  Certaines  parties  de  la  toiture,  surtout  les  parties 
couvertes  en  ardoises,  sotit  criblées  de  projectiles.  Ëntio, 
plusieurs  contrefiirts  ont  été  éraflés  par  des  éclats  d'obus.  » 


—  :n  - 

I.  A  VÉRITÉ  SUR  L'INCENDIE  DE  LA  C ATIIKOHALE  » 

L'incendie  de  la  cathédrale  de  Reiais  esi  ..«w  cho^ 
qu'un  simple  incident  dv  jç^uerre.  C'est  un  événement  de 
premier  plan  qui  a  eu  sa  répercussion  en  colère  et  en  indi- 
gtiation  dans  le  monde  entier  et  doiii  îl  irnM<.i  t»»  iK»  «onNoi- 
ver  la  physionomie  exacte. 

Or  les  récils  trop  précipités  et  mal  docuiiunl  >  de  la 
Presse  sont  forcément  incomplets  et  quelquefois  fantaisistes  ; 
ils  ne  concordent  pas  toujours  et  souvent  se  contredisent. 

Comme  il  n'y  avait  dans  la  cathédrale,  au  moment  du 
désastre,  d'autres  témoins  avec  les  Allemands,  que  le  curé 
et  deux  de  ses  vicaires,  nous  avons  demandé  à  M.  l'abhé 
f^andrieux,  vicaire  général,  archiprétre,  des  précisions  dont 
voici  le  résumé  : 

—  Où  étiez-vous  quand  la  catastrophe  est  arrivée  ? 

—  Dans  la  cathédrale.  Je  ne  l'ai  guère  quittée  que  la 
nuit,  pendant  toute  celte  semaine. 

Le  samedi,  à  huit  heures,  j'ai  dit  la  dernière  messe  ;  le 
bombardement  commençait.  La  cathédrale  a  été,  non  pas 
l'unique,  mais  un  des  principaux  points  de  mire  des  canons 
allemands,  ce  jour-là  comme  la  veille.  Et  cependant,  ven- 
dredi matin,  dès  que  nous  vîmes  l'église  menacée,  nous 
avons  arboré  deux  drapeaux  de  la  Croix-Rouge  sur  les 
tours.  Ils  y  sont  encore. 

—  Les  Prussiens  avaienl-ils  ini^  '!•"'  h!'»^'^'*-^  ,lii.«  la 
cathédrale  ? 

—  Ils  n'ont  pas  eu  le  temps.  Ils  n'y  ont  mis  que  la  paille. 
C'est  l'autorité  militaire  française  qui  nous  a  envoyé  des 

1  L«  Courrier  de  la  Champagne,  lundi,  5  octobiv  1914. 


—  .38  — 

l.M».^   .lâiriii.iii.i-,     lins    l'intf^nfion   (\o    prf''*<f»rver    le   mo- 
Dumcot. 

—  Que  s'cst-il  passé  dans  celle  matinée  du  samedi  19  ? 

—  Pour  la  troisième  fois,  nous  avons  dû  opérer  le  labo- 
rieux et  douloureux  transbordement  des  blessés  dans  l'esca- 
lier de  la  tour  des  cloches;  car  l'avant-veille  un  g'endarme 
français  et  deux  blessés  allemands  avaient  été  tués  par  des 
blocs  de  pierre  qui  tombaient  des  fenêtres  éventrées. 

Nous  nous  sommes  retirés  ensuite  près  du  Saint-Sacre- 
ment, dans  «  la  réserve»,  comptant  toutes  les  bombes  qui 
s'acharnaient  à  la  destruction  de  l'édifice.  Les  ravages  de  la 
veille  avaient  été  considérables;  le  samedi,  ce  fut  pire 
encore. 

—  Vous  étes-vous  rendu  compte  de  l'incendie  dès  le 
début? 

—  De  temps  en  temps,  nous  sortions  pour  voir  oîi  avaient 
porté  ces  coups  formidables  qui  ébranlaient  l'édifice.  Vers 
deux  heures,  nous  avons  remarqué  un  peu  de  fumée  dans 
les  échafaudag-es  du  grand  portail.  Mais,  comme  le  vent 
ramenait  jusque-là  la  fumée  de  l'incendie  qui  venait  de  se 
déclarer  au  Poste  des  Pompiers,  rue  Tronsson-Ducoudra^-, 
nous  fûmes  rassurés. 

Cependant  nous  sommes  revenus  une  demi-heure  après 
pour  examiner  de  plus  près,  et  cette  fois,  il  n'y  avait  plus  à 
douter,  l'échafaudage  s'enflamtnait,  à  mi-hauteur  environ. 

En  temps  ordinaire,  les  pompiers,  dont  le  dévouement, 
en  ces  jours  sinistres,  a  été  admirable,  auraient  eu  vite 
raison  de  ce  commencement  d'incendie,  mais  il  n'y  avait 
alors  ni  pompes,  ni  hommes  et  l'eau  manquait,  car  le 
centre  de  la  ville  était  en  feu. 

Dans  l'espoir  que  peut-être  nous  y  pourrions  quelque 
chose,  nous  avons  voulu  monter.  M.  l'abbé  Thinot  et  moi  ; 


:i9  — 

uu  soldai  nous  accompa^uait.  Trois  étages  au  moins  flam- 
baient par  le  milieu  ;  trois  brasiers  superposés  qui  avaient 
dâ  s'allumer  vraisemblablement  de  haut  eu  bas.  Nous 
avons  essayé  d'arracher  ces  lourds  madriers,  mais  sans  y 
réussir.  Nous  avons  appelé,  sans  nous  faire  entendre,  dans 
ces  rues  désertes. 

Je  pensais  que  Téchafaudai^  brûlé  s'effondrerait  et  que 
tout  se  bornerait  là.  Si  la  cathédrale  n'avait  pas  été  remplie 
de  paille,  je  n'aurais  pas  redouté  une  catastrophe.  Mais  il 
suffisait  d'une  étincelle. 

Nous  redescendîmes  alors  pour  conjurer,  s'il  était  pos- 
sible, l'embrasement  de  la  paille.  Les  vitraux  sûrement 
allaient  éclater  et  les  blessés  brûleraient  avec  la  paille. 

On  se  mit  à  la  besogne  pour  rejeter  la  paille  dehors, 
dans  le  chantier.  Les  Allemands  qui  pouvaient  .se  tenir 
debout  nous  y  aidèrent.  Chaque  flammèche  fut  surveillée, 
saisie  au  vol,  étouffée  sur  place.  Mais  bientôt  l'échafau- 
dag^e  s'écroula  avec  fracas  sur  le  parvis  ;  la  moitié  de  la 
grande  rosace  éclata,  et,  en  face  du  danger  imminent,  il 
fallut  songer  au  sauvetage  des  blessés. 

M.  l'abbé  Landrieux.  qui  parle  allemand,  dirigea  cette 
lugubre  mobilisation.  Ce  fut  un  spectable  lamentable. 
Talonnées  par  la  peur,  à  cloche-pied,  à  quatre  pattes,  en 
gémissant,  les  malheureux  se  hâtaient  vers  le  transept 
nord.  On  porta  les  uns;  on  tratna  les  autres... 

Une  fois  les  hommes  hors  du  champ  de  paille,  et,  sans 
juger  encore  la  cathédrale  menacée,  je  crus  prudent  de 
mettre  le  Saint-Sacrement  h  l'abri.  Sans  rien  dire,  je  l'em- 
portai chez  les  religieuses  de  l'Adoration  Réparatrice,  d'où 
une  demi-heure  plus  tard  il  fallut  Tenlever,  parce  que  le 
couvent  brûlait. 

A  peine  rentré   dans  la  cathédrale,  je  vis  tout  à   coup 


—  40  — 

avec  stupeur  des  lueurs  d'incendie  à  l'abside.  J'eus  l'im- 
pression que  le  feu  avait  pris  dans  les  combles  et  que  tout 
était  perdu.  C'est  alors  que  je  criai  à  M.  Landrieux  et  A 
M.  Thinot  :  «Sauvons  le  Trésor!» 

Pendant  que  l'on  forçait  les  portes  des  armoires,  je  cou- 
rus dehors  pour  trouver  des  bras.  Quelques  braves  ouvriers, 
dont  je  voudrais  pouvoir  dire  les  noms,  répondirent  à  mon 
appel,  et  tout  le  Trésor  fut  rapidement  mis  en  lieu  sûr... 

Déjà,  dans  les  nefs,  le  plomb  fondu  des  toits,  qui  filtrait 
h  travers  les  fissures  des  voûtes,  tombait  en  pluie  fine  sur 
les  dalles.  Au  dehors,  il  rejaillissait  en  menue  poussière 
sur  les  pierres  des  contreforts  et  des  galeries  inférieures  ; 
et  ces  éclaboussures  brûlantes,  mêlées  aux  flammèches  qui 
volaient  partout  en  tourbillons,  nous  picotaient  la  fig'ure  et 
les  mains,  pendant  que  nous  traversions  la  cour  d'arrière 
avec  nos  précieux  fardeaux. 

J'estime  qu'entre  notre  ascension  dans  les  échafaudaK|pe.s 
et  le  moment  où  la  charpente  prit  feu  dans  les  combles 
pendant  que  la  paille  flambait  en  bas,  il  ne  s'est  pas  passé 
plus  dune  heuro. 

—  Vous  «1  ■^'•'  1  nr  «jn'il  v  eut  j)liisi(»nrs  Çny^^-i  -''«n- 
cendie  ? 

—  Gela  me  paruîl  tWident.  D'abord  parce  qu'il  est  bien 
difficile  d'admettre  que  le  feu  des  échafaudages  du  portail 
ait  pu  embraser  si  vite  et  si  simultanément  toute  la  char- 
pente jusqu'à  l'abside;  car,  si  je  ne  me  trompe,  c*esl  le 
clocher  à  l'angle  qui  s'est  eft'ondré  le  premier. 

D'ailleurs,  deux  témoins  qui  observaient  l'incendie,  de 
points  difl'érents,  avec  une  forte  lunette,  ont  affirmé  avoir 
vu  tomlter  deux  nouvelles  bombes  sur  les  plombs  de  l'ab- 
side et  du  transept,  pendant  que  les  échafaudages  brûlaient. 


-  Il  — 

ËnHn«  nous  avons  une  preuve  irrécusable  :  Des  photo- 
^jniphies  prises  (tendant  l'incenilie  attestent  le  fait  avec  la 
brutalité  du  document. 

Voilà,  autant  que  j'ai  pu  on  jug^r,  l'orig'ine  et  les  phases 
de  la  catastrophe.  Ce  fut  une  heure  d'inexprimable  angoisse 
où  la  colère  et  l'indignation  nous  étrei|8^naient  le  ccear. 

Je  ne  saurais  trop  dire  combien  M.  l'abbé  Landrieux  et 
M.  l'abW  Thinot.qui  se  trouvaient  avec  moi  dans  la  (m  V 
drale,  jn'ont    aidé  dans   cette   douloureuse  et  inoubli  i 
lournée. 

PROCÈS -VERBAL 

DE  L'ÉTAT  DE  LA  CATHÉDRALE  DE  REIMS  \ 

dressé  par  le  maire  de  Reims 

et  l'architecte  local  des  monuments  historiques 

(après  le  premier  bombardement). 

Partout,  ici,  des  décombres  qui  fument,  une  odeur  de  feu 
nojé  qui  s'éteint.  Le  quartier  des  laines  est  détruit,  l'inté- 
rieur du  théâtre  brille  encore.  De  la  place  Royale  et  de  la 
rue  Colbert,  dont  la  noble  et  sévère  ordonnance  remonte  à 
Louis  XV,  il  ne  reste  plus  que  des  pans  de  murs.  A  l'hôtel 
de  ville,  dont  la  pierre  a  pris  avec  le  temps  des  tons  roux 
et  chauds  de  vieil  or,  les  vitres  ont  volé  eo  éclats,  et  la 
façade  est  criblée  de  taches  blanchâtres,  qui  produisent 
l'effet  d'écorchures.  Hôpitaux  et  casernes,  usines  et  mu.sées, 
veufs  de  toits,  sont  hachés  de  trous,  mais  ce  lamentable 
spectacle  me  laisse  froid.  Ces  dommages  sont  de  ceux  qui 
90  réparent  :  c'est  l'irréparable  que  je  veux  voir,  et  l'irrépa- 
rable est  ailleurs. 

Qu'est  devenu  le  merveilleux  édihct'  (|uo  le  génie  d'un 

•  f.r  Trmpx.  il  srptnnltn*  19! V. 


maître  d'œuvrc  inconnu  a  créé,  il  y  a  sept  siècles  et  plus, 
et  dont  le  plan  était  si  parfait,  les  proportions  si  harmonieu- 
sement éléjçantes  et  si  nobles,  qu'en  dépit  des  deux  siècles 
employés  à  la  construction  et  à  l'embellissement  de  la  mer- 
veille, aucun  des  successeurs  du  premier  architecte  n'a  osé 
se  substituer  à  lui  et  dénaturer  ou  modifier  sa  pensée  V 

Qu'est  devenu  le  triple  portail,  orfèvre  comme  les  parois 
d'un  reliquaire,  où  les  imag-iers  du  quatorzième  siècle  ont 
taillé,  en  statuettes  isolées  ou  en  groupes,  sur  les  pieds- 
droits  des  murailles  et  dans  la  voussure  profonde  des 
oticives,  sur  le  linteau  des  portes  ou  dans  l'encadrement 
triang-ulaire  des  frontons,  des  centaines  et  des  centaines  de 
fijE;:ures  attachantes  comme  les  chefs-d'œuvre  de  l'art  grrec, 
et  d'une  beauté  et  d'une  grâce  émouvante?  Qu'est  devenue 
la  grande  rose  du  centre,  où  d'éblouissantes  verrières  s'en- 
châssaient? Qu'est  devenue  la  n^alerie  des  Rois,  avec  son 
Baptême  de  Clovis? 

Que  sont  devenues  les  tours  octogonales,  si  sveltes,  et  les 
tourelles  ajourées  qui  les  flanquent  ?  Les  transepts  du  Midi 
et  du  Nord,  avec  leurs  galeries  peuplées  de  figures  de  saints 
ou  de  prophètes,  avec  leurs  porches  et  leui*s  gables  histo- 
riés? Qu'est-il  advenu  enfin  de  la  nef  et  de  ses  croisées 
d'ogives  supportées  par  d'admirables  piliers  aux  chapiteaux 
si  élégamment  rcfouillés,  contre-butées  au  dehors  par  de 
nerveux  arcs-boutants  reliés  à  do  |)iiissants  contreforts 
surmontés  de  statues  et  de  pinacles 

De  tout  cela,  maintenant,  que  reslc-l-ilV 

El  j'arrive  sur  la  place  du  Parvis,  encombrée  de  poiiut  - 
grésillantes.  Ce  sont  les  débris  de  l'échafaudage  qui  se 
dressait,  il  y  a  quelques  jours  encore,  le  long  de  la  tour  de 
gauche,  et  qui  a  flambé  |)endant  le  bombanlement. 

Les  trois  porches,   devant  moi,   sont   béants.  Celui  dt 


—    V3  — 

fauche,  sur  lequel  l'incendie  a  fait  rage,  a  été  porté  au 
roupie  par  le  feu  et  totalement  t?"rill<'*.  Sur  les  surfaces  nues 
lies  deux  iHag^es  inférieurs  de  la  tour,  sur  les  guirlandes  de 
statues  des  voussures,  sur  les  saints  et  les  saintes  des  pieds- 
droits,  sur  les  sept  personnages  du  Crucijiement  dont  le 
triangle  du  fronton  se  décore,  les  flammes  ont  soulevé 
partout  des  écailles,  comme  sur  des  briques  mal  cuites,  et 
res  écailles,  se  détachant  une  à  une,  tombent  sur  le  parvis 
en  im|)erceplibles  poussières  ou  en  menus  fragments  char- 
bonneux. Il  ne  reste  déjà  plus,  de  certaines,  que  d'informes 
moig-nons,  et  ces  admirables  Hgures,  respectées  par  le  temps, 
éparpillées  par  les  iconoclastes  de  la  Kévolutiou  qui  partout, 
en  Champagne,  eurent  la  main  si  lourde,  mourront  toutes. 
Avant  trois  mois,  il  n'en  subsistera  plus  une  seule,  et 
i'reuvre  des  Vandales  sera  complète. 

De  ce  que  le  portail  de  gauche  soit  le  seul  entièrement 
calciné,  il  n'en  faut  pas  conclure  que  le  portail  central  soit 
intact.  Toute  sa  partie  gauche  est  atteinte,  et  bon  nombre 
déjà  de  ses  figures  sont  rongées  de  la  môme  lèpre  que  celles 
du  porche  calciné.  Elles  ont  été  frisées  pendant  de  si  longues 
heures  par  la  flamme  qu'elles  ne  résisteront  ni  aux  pluies 
persistantes  de  l'automne,  ni  aux  alternatives  si  terribles 
pour  les  pierres  dont  un  accident  a  épidermé  la  surface,  du 
gel  et  du  dégel.  Le  fronton  du  Couronnement  de  la  Vierge 
est  perdu  comme  celui  du  Crucifiement,  et  le  brasier  l'a 
entamé  à  l'arrière  plus  encore  qu'à  l'avant.  Le  réseau  de 
pierre  dont  la  grande  rose  est  formée  ne  semble  pas,  du 
parvis,  avoir  .subi  de  grands  dommages,  bien  que  ses  vitraux 
aient  volé  en  éclats,  comme  ceux  de  l'abside  et  de  la  nef, 
mais  je  me  suis  malheureusement  assuré,  en  pénétrant  dans 
l'église  et  en  passant  par  l'étroite  galerie  qui  sépare  la 
rosace  du  fronton,  que  les  nervures  de  celle-là  sont  rom- 


-    M  — 

pues  et  qu'elles  ne  lanleront  pas  plus  à  se  d^'litor  ou  a  tom- 
ber en  morceaux  que  les  statues  (grillées  du  portail. 

On  sauvera,  par  contre,  la  plus  jurande  partie  des  scul{)- 
lures  du  portail  de  droite.  Comme  celles  du  porche  central, 
elles  n'ont  subi  que  des  retours  de  flammes,  mais  la  fumée 
les  a  passées  au  noir  ou  plombées. 

A  voir  encore  debout  les  deux  tours  et  tout  autour  de 
l'édiHce  la  balustrade,  d'un  si  beau  modèle  et  si  riche,  qui 
couronne  les  murailles  de  l'abside  et  de  la  nef,  on  ne  se 
rend  compte  qu'imparfaitement  du  désastre.  Pour  le  mesurer 
dans  toute  son  étendue,  il  faut  monter  jusqu'à  l'étaçe  des 
combles,  et  plus  haut  encore,  à  l'avant-dernier  étag^e  des 
tours.  Là  seulement,  quand  on  trouve,  dans  le  befl"roi,  des 
cloches  entièrement  liquéfiées,  ou  aplaties  comme  des  cri- 
nolines dont  la  cag-e  serait  rompue,  on  apprécie  la  formi- 
dable puissance  du  brasier  qui  a  dévoré  l'édifice.  A  partir 
du  moment  où  les  portes  de  bois  du  portail  et  des  deux  clo- 
chers ont  été  consumées,  l'activité  du  feu  a  redoublé,  grâce 
au  g-iisç^antesque  appel  d'air  que  l'escalier  des  tours  a  créé. 
Ainsi  s'explique  qu'il  ne  reste  plus  aucune  trace  de  la  char- 
pente des  combles,  vieille  de  quatre  cents  ans,  et  demeurée 
intacte  jusqu'ici,  charpente  formée  de  poutres  longues  de 
douze  mètres,  et  d'une  épaisseur  de  quarante  à  cinquante 
centimètres.  Quand  aux  grosses  lames  de  plomb  dont  se 
revêtait  la  toiture,  elles  se  sont  volatilisées.  Du  haut  des 
tours,  on  n'en  distingue  pas  la  moindre  parcelle,  pas  plus 
d'ailleurs  qu'on  ne  retrouve  le  moindre  vestige  du  campa- 
nile, haut  de  dix-huit  mètres,  en  charpente  et  en  plomb, 
qui  s'élevait  au  croisement  des  transepts  et  de  l'abside,  et 
qui  renfermait  un  si  joli  carillon. 

A  ce  brasier,  dont  les  flammes,  pendant  dix-huit  heures, 
M  sont  déchatnées  sur  les  combles,  las  voûtes  ont  résisté 


-  46  — 

l>ar  miracle.  Dans  quel  état  sont-elles?  Dieu  le  sait,  mais  il 
est  inévitable  (|uVIles  croulent  si  la  j^uerre  se  prolonge  et  si 
les  pluies  li  automne  s'y  inHltrent. 

Quant  à  la  nef,  elle  n'a  pas  souflfert,  semble-t-il,  de  Tio- 
cendie  qui  s'y  est  allumé,  l^es  milliers  de  hottes  de  paille  que 
le  prince  Auguste-Ci uiilau me,  troisième  HIs  de  l'empereur, 
\  avait  fait  amonceler  pour  servir  A  d'innombrables  blessés 
tie  sa  race,  ont  pris  feu  au  contact  des  flammèches  que  le 
vent  avait  apportées  de  l'extérieur,  et  ces  milliers  de  i>ottes 
de  paille  ont  flambé,  en  môme  temps  que  les  taml>onrs  des 
portes,  ornés  de  merveilleuses  boiseries  Louis  XIV  ;  mais  la 
flamme  n'a  laissé  à  l'intérieur  d'autres  traces  que  de  rares 
charbons,  seuls  restes  qui  subsistent  de  la  chaire  et  des  con- 
fessionnaux. 

Tel  est  le  procès-verbal  qu'en  compagnie  du  docteur 
Lan^-let,  maire  de  Reims,  et  de  M.  Margottin,  architede 
local  des  monuments  historiques,  j'ai  dressé,  du  sacrilège 
commis  par  les  Allemands,  qui  huit  jours  auparavant,  par 
la  bouche  du  fils  de  l'empereur,  déclaraient  à  la  municipa- 
lité :  «La  meilleure  preuve  que  je  puisse  vous  donner  de 
mon  désir  de  préserver  l'édifice,  c'est  que  je  liens  à  y  faire 
instciller  mes  blessés.  Le  détruire  est  un  crime  que  je  ne 
vr-ux  pour  rien  au  monde  commettre.  » 

TlIIKBAL'LT-SlSSON. 

RAPPORT  DE  M.  WHITNEY  WARRKN 

membre  de  f Institut. 

Lu  dans  la  séance  du  3  octobre  1014. 

Messieurs, 
Nous    arrivAmos  à   Kfims    le   vendredi  .iï)   septembre  à 
quatre  heures  et  demie  de  l'après-midi,  et  nous  rendîmes 


—  4(3  — 

directement  à  la  cathédrale,  où  je  restai  jus(|u  à  la  nuit, 
visitant  le  monunnent,  tout  en  conversant  avec  le  curé 
Landrieux  et  l'abbé  Thinot,  entre  les  mains  desquels  la 
garde  de  la  cathédrale  était  restée  depuis  le  début. 

Le  jour  suivant,  je  me  rendis  à  la  cathédrale,  où  je  restai 
depuis  sept  heures  et  demie  du  matin  jusqu'à  quatre  heures 
et  demie  du  soir,  visitant  le  monument  dans  ses  moindres 
recoins,  essayant  de  me  rendre  compte  de  l'étendue  des 
dommages  causés,  soit  intentionnellement  ou  non.  Je  donne 
ci-après  les  diverses  phases  du  horuhnrdcnifnt.  ;>"»îm>»  que 
j'ai  pu  les  reconstituer. 

Le  4  septembre,  lorsque  les  Allemands  ont  fait  leur  pre- 
mière entrée  dans  Reims,  il  y  a  eu  un  premier  bombarde- 
ment de  leurs  batteries,  considéré  par  les  Allemands  eux- 
mêmes  comme  une  erreur,  ou  le  résultat  de  la  jalousie  d'un 
corps  d'armée  moins  favorisé.  Quatre  bombes  tombèrent 
sur  la  cathédrale,  dont  l'une  sur  le  transept  nord,  mais  ne 
firent  que  peu  de  déj^^Ats. 

Le  14  et  le  15  septembre,  quand  les  Allemands  eurent 
évacué  la  ville  et  que  les  Français  y  firent  leur  entrée,  le 
l>ombardement  recommença,  mais  la  cathédrale  ne  fut  pas 
touchée. 

Le  17,  le  monument  fut  atteint  par  deux  projectiles  : 
l'un  tomba  sur  l'abside,  l'autre  sur  le  transept  nord. 

Le  18,  la  cathédrale  fut  à  nouveau  touchée,  sur  les  arcs- 
boutants  de  la  façade  sud  et  sur  le  toit,  et  il  y  eut  un  gen- 
darme et  plusieurs  blessés  allemands  tués. 

Le  19,  la  cathédrale  fut  criblée  de  projectiles  pendant 
toute  la  journée,  et,  i\  quatre  heures  moins  le  quart,  l'écha- 
faudage qui  entourait  la  tour  nord  prit  feu.  Cet  incendie 
dura  environ  une  heure,  au  cours  de  laquelle  deux  nouvelles 
bombes  atteignirent  le  toit,  qui  prit  feu  à  son  tour.  Le  curé 


-    17  — 

Mt  convaincu  (]ue  l'une  do  ces  boml>es  était  une  bombe 
incendiaire,  car  il  ne  peut  expliquer  autrement  la  rapidité 
extraordinaire  avec  laquelle  le  feu  s'est  propaji^é  parmi  la 
charpente  en  l>ois  de  la  toiture. 

L'incendie  de  réchafaudage  se  propagea  jusqu'à  la  porte 
nord  de  la  façade  principale,  cette  porte  prit  feu  rapide- 
ment, et  une  fois  qu'elle  fut  consumée,  l'incendie  se  com- 
muniqua h  la  paille  qui  couvrait  le  sol  de  la  cathédrale. 
Cette  jxaille  avait  été  réquisitionnée  le  12  par  le  comman- 
dant des  troupes  allemandes  dans  le  but  de  préparer  la 
oalhétirale  pour  la  réception  de  trois  mille  blessés,  mais 
l'évacuation  de  la  ville  par  les  Allemands  rendit  ces  prépa- 
ratifs inutiles.  Lors  de  la  réoccupation  de  la  ville  par  les 
Français,  la  paille  fut  rassemblée  pour  être  transportée 
ailleurs,  mais  le  17,  sur  les  ordres  du  général  commandant 
les  troupes  françaises,  la  paille  fut  à  nouveau  étendue  sur 
le  sol.  On  y  coucha  les  blessés  allemands,  et  l'on  hissa  le 
drapeau  de  la  Croix-Rouge  sur  la  tour  Nord,  espérant  que 
ces  me.sures  pourraient  sauver  la  cath»'drale. 

Comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  le  19,  le  feu,  qui  avait  pris 
dans  les  échafaudaj^es,  avait,  après  avoir  détruit  les  portes, 
gagné  la  paille  couvrant  le  sol,  détruisant  au  passage  les 
tambours  ou  vestibules  intérieurs  des  dites  portes,  et  calci- 
nant également  les  merveilleuses  sculptures  en  pierre  déco- 
rant la  totalité  du  mur  situé  à  l'Ouest.  Ces  sculptures 
étaient  spéciales  à  Reims,  étant  en  haut  et  plein  relief. 
Cette  destructiion  est  une  de  celles  qui  resteront  irrépa- 
rables. 

Les  vitraux  de  la  nef  ont  été  complètement  détraits, 
ceux  de  l'abside  existent  encore,  bien  que  grandement 
endommagés. 

L'incendie  a  calciné  à  l'extérieur  la  plus  grande  partie 


_  48   — 

de  la  façade  el  des  sculptures  qui  la  décoraient,  la  tour  du 
Nord  et  le  haut  de  la  nef  dans  son  entier  avec  les  arcs-bou- 
tants  et  les  tourelles  qui  les  surplombaient.  La  pierre,  tout 
au  moins  en  surface,  est  endommagée  d'une  façon  irrépa- 
rable :  partout  où  les  flammes  ont  passé  la  surface  se 
détache  sous  le  doi^^t  et  conséquemment  tous  les  motifs 
décorallFs  sont  absolument  perdus. 

Le  trésor  fut  sauvé  au  commencement  de  l'incendie  par 
les  prôtres,  et  les  tapisseries  si  renommées  avaient  déjà  été 
enlevées  précédemment.  La  moitié  des  stalles  ont  été 
détruites;  l'org-ue  est  intact  et  plusieurs  crucitix  et  tableaux 
dans  l'abside  n'ont  pas  été  touchés. 

S'il  reste  quelque  chose  du  monument,  cela  est  dû  à  la 
construction  solide  de  ce  que  j'appellerai  la  carcas.se  de  la 
cathédrale,  et  non,  j'en  suis  fermement  convaincu,  à  un 
désir  de  la  part  des  Allemands  d'éparg-ner  le  monument. 
I^s  murs  et  les  voiltcs  soîit  d'une  solidité  qui  déKe  même 
les  engins  modernes  de  destruction,  car  le  21,  lorsque  le 
bombardement  fut  repris,  trois  bombes  tombèrent  sur  la 
cathédrale,  mais  les  voiîtes  résistèrent  merveilleusemeot  et 
ne  furent  pas  perforées.  - 

Si  la  cathédrale  d'Amiens  avait  subi  le  môme  sort,  les 
voûtes  auraient  sans  aucun  doute  cédé  par  suite  de  la  légè- 
reté de  leur  construction,  les  arcs-boutanls  se  seraient 
écroulés  entratnant  la  destruction  des  murailles  et  il  ne 
serait  resté  qu'une  masse  de  pierres  informes,  à  l'exception 
peut-être  des  ruines  des  tours.  Si  donc  il  reste  quelque 
chose  de  la  cathédrale  de  Reims,  je  considère  que  cela  est 
dû  uniquement  h  la  soliilité  de  la  construction  et  non  au 
désir  de  l'eniirmi  de  .sauver  le  monument  d'une  destruction 
totale,  qui  était  voulue.  La  cathédrale  domine  le  reste  de  la 
ville  ;  et  il  aurait  été  facile  d'en  éviter  la  destruction,  étant 


—  49  — 

donnée  l'inutilité  de  semblable  mesare  contre  un  monu- 
ment servant  en  outre  d'hôpital.  Le  quartier  qui  se  trooTe 
entre  la  cathédrale  et  le  front  ennemi  est  détruit,  y  com- 
pris  le  palais  épiscopal,  qui  renfermait  le  musée  archéolo- 
g-ique,  la  chapelle  épiscopale  et  ce  qui  était  connu  sous  le 
nom  d'appartements  des  Hois.  Dans  ce  quartier  détruit  se 
trouvaient  les  principales  maisons  de  commerce. 

La  seule  explication  que  Ton  puisse  donner  de  cotte  pro- 
fanation  &st  une  ra^^e  de  destruction  qui  semble  avoir 
frappé  une  partie  de  l'armée  assiégeante. 

Il  y  a  encore  au  monde  deux  monuments  d'une  impor- 
tance pre-sque  aussi  g^rande  qui  courent  le  risque  de  subir 
un  sort  semblable  :  ce  sont  les  cathédrales  de  Noyon  et  de 
Laon.  Espérons  cependant  qu'elles  seront  respectées,  mal- 
gré l'attentat  mi.sérable  qui  a  mis  le  glorieux  monument 
de  Reims  en  ruines. 

Le  vendredi  25  .septembre,  les  Allemands  ont  en  outre 
bombardé  l'abbaye  de  Saint-Remi  à  Reims,  une  bombe 
explosant  à  l'intérieur  et  détruisant  une  grande  quantité  de 
vitraux.  L'hôpital  civil,  qui  occupe  le  cloître  de  Saint- 
Remi,  reçut  pour  sa  part  neuf  bombes,  dont  l'une  tua 
quatre  malades  dans  leurs  lits,  et  une  autre  l'un  des  infir- 
miers. 11  est  inutile  de  faire  remarquer  que  ce  bâtiment 
était  également  protégé  par  le  drapeau  de  la  Croix-Rouge. 

Le  dimanche  27,  j'ai  passé  environ  deux  heures  au  som- 
met de  la  tour  Nord  de  la  cathédrale,  derrière  les  parapets 
et  j'ai  a.ssisté  là  au  bombardement  des  troupes  françaises 
qui  se  trouvaient  aux  alentours  de  la  ville  à  environ  deux 
kilomètres  de  mon  point  d'observation.  Il  était  intére.ssant 
de  voir  avec  quelle  précision  les  obus  allemands  arrivaient 
par  groupe  de  six  à  des  intervalles  d'environ  trois  à  cinq 
minutes.    Les   troupes    françaises    étaient    admirablement 

LOUVAIN...   RSIMS  11  4 


—  .V)  — 

cachées  ;  il  était  presque  impossible  de  les  découvrir,  leurs 
caaoDs  étant  dissimulés  sous  de  la  paille  ou  des  feuilles  de 
betterave  suivant  la  nature  du  terrain  où  ils  se  trouvaient 
et  ne  projetant  aucune  fumée,  et  cependant  les  Allemands 
semblaient  avoir  repéré  exactement  l'endroit  où  ils  se  trou- 
vaient, continuant  un  bombardement  ininterrompu,  tous 
leurs  projectiles  tombant  l'un  après  l'autre  dans  les  mêmes 
parages,  sans,  m'a-t-il  semblé,  aucune  déviation  appa- 
rente, ce  qui  m'a  confirmé  que  la  destruction  de  la  cathé- 
drale était  absolument  préméditée  et  voulue. 

Si  la  partie  commerciale  de  la  ville  est  entièrement 
détruite,  dans  d'autres  endroits  on  trouve  aussi  de  grands 
dégâts,  produits  par  des  projectiles  perdus.  Et  cela  ne  fait 
qu'ajouter  à  l'impression  de  destruction  inutile.  Le  curé  de 
la  cathédrale  m'a  raconté  que,  pendant  leur  occupation,  les 
Allemands  avaient  établi  au  sommet  de  la  tour  Nord  un 
poste  d'observation  muni  d'un  projecteur  électrique,  qu'ils 
emportèrent  avec  eux.  Pendant  les  premiers  jours  de  la 
réoccupation  de  la  ville,  quelques  officiers  français  mon- 
tèrent parfois  au  haut  de  la  tour  pour  examiner  les  envi- 
rons, mais  le  curé  s'y  opposa  fortement  et  ils  s'abstinrent 
par  la  suite.  Pendant  les  deux  jours  que  j'ai  passés  à  Reims, 
personne  autre  que  moi  n'est  monté  sur  la  plate-forme  de 
la  tour. 

REIMS 
{Lettre  de  France.) 

Le  8  novembre. 
Je  l'ai  vue!...  car  c'est  à  elle  que  d'abord  mon  esprit  me 
ramène,  devant  elle  qu'il  me  replace  toujours,  elle  dont  il 
me  faut  recommencer  le  tour,  et  je  pense  qu'on  comprend 


—  51   — 

que  c'est  de  la  cath(Mralo  que  je  veux  parler  ;  mais  il  faut 
poortaul  raconter  par  ordre. 

D'abord  l'eotrée  dans  la  ville  ;  et  il  convient  de  dire  que 
pour  entrer  dans  la  ville  on  descend,  du  moins  du  câté  de 
l'est;  de  l'autre  aussi,  si  j'ai  bien  vu.  En  sorte  que  la  ville 
est  dans  une  sorte  de  cuvette  plate. 

C'est  d'abord  un  quartier  populaire  que  je  vois,  très  plein 
de  monde  ;  une  foule  ouvrière,  qui  est  désœuvrée,  ce  qui 
fait  qu'elle  est  beaucoup  dans  la  rue.  L'animation  d'un  fau- 
boui^  de  Paris  ;  un  marché,  des  échopes,  une  longue  rue 
commerçante  dont  les  trottoirs  sont  noirs  de  monde  ;  mais 
quoi  de  lug^ubre  sur  celte  foule?  Quelles  fig-ures  hâves  de 
décavés,  de  gens  sortant  des  caves;  je  ne  l'oublierai  jamais! 

Puis  k  mesure  qu'elles  deviennent  plus  riches,  les  rues 
deviennent  aussi  plus  vides.  Voici  une  grande  place  allongée 
qui  est  complètement  solitaire  ;  c'est  la  place  de  la  gare. 
Derrière  des  grilles  fermées  un  long  bâtiment  dont  le  toit 
est  percé  à  jour  de  mille  trous,  et  la  couverture  de  verre  des 
voies  également  criblée  de  trous  comme  par  une  grosse 
grêle.  11  fallait  qu'elle  fiît  forte  cette  grêle,  car  les  maisons 
d'en  face  ont  leurs  façades  mouchetées  de  blanc  et  toutes 
leurs  vitres  cassées.  L'impression  d'un  terrible  phénomène 
de  la  nature.  C'est  il  y  a  trois  jours  que  cela  est  arrivé. 

Et  j'entre  maintenant  dans  les  beaux  quartiers  de  la  ville. 
Ils  sont  très  beaux,  une  ville  riche  et  neuve,  de  ce  côté-là, 
des  maisons  élégantes  dans  des  jardins  ;  —  tout  à  coup  j'en 
vois  une  qui  a  un  angle  emporté,  puis  une  autre  qui  a  un 
trou  d'un  mètre  de  diamètre  dans  sa  façade,  puis  une  autre 
qui  a  un  coin  de  toit  abattu.  Et  cela  continue  ainsi.  On  a 
placé  quelques  planches  ou  tendu  une  bâche  sur  la  blessure. 
Je  suis  plutôt  étonné  par  le  peu  d'effet  des  obus. 


~  52  — 

Voici  pourtant  des  maisons,  moins  solides  sans  doute, 
qui  se  sont  en  partie  effondrées  ;  ces  rues  sout  bordées  de 
tas  de  débris,  pierres  et  plâtres,  comme  devant  une  maison 
en  construction;  mais  ce  sont  des  maisons  en  destruction! 
On  voit  très  bien  les  points  où  les  obus  sont  tombés  sur  le 
pavé  et  d'où  ils  ont  rejailli  en  js^crbe,  faisant  ces  mouchetu- 
res blanches  sur  les  façades  grises,  des  éraflures  de  deux 
doigUs  peut-être  de  profondeur  clans  la  piorro  ;  cà  doit  taper 
dur  ! 

Mais  ce  sont  là  des  blessures  franches  ;  les  murs  mon- 
trent une  cassure  vive,  en  quelque  sorte  la  chair  saine  ; 
c'est  beau,  c'est  héroïque  ;  ce  n'est  pas  triste. 

*  * 

Mais  l'aspect  chanfîi^d  soudain  ;  j'approche  du  centre  de  la 
ville;  belles  rues  anciennes  formées  de  maisons  d'architec- 
ture rés^ulière,  et  en  voici  une  qui  montre  des  murs  sans  toit, 
des  fenêtres  vides,  noircies;  c'est  une  maison  brûlée.  Elles 
se  suivent  maintenant  ;  c'est  une  file  entière,  une  rue,  un 
quartier  où  il  ne  reste  que  les  murs  noirs,  un  tas  de  débris 
au  milieu  et  le  ciel  dans  les  fenêtres.  Et  c'est  le  plus  noble 
quartier  de  l'antique  cité  ;  voici  l'admirable  place  Royale 
avec  sa  belle  architecture  uniforme  ;  deux  de  ses  côtés  sont 
brûlés. 

Cela,  ce  n'est  plus  beau,  c'est  noir,  gangrené,  lamentable. 

Puis  pourquoi  ?  Pourquoi  ce  beau  quartier  au  centre 
<)'une  grande  ville?  On  ne  comprend  pas. 

Le  désastre  ici  est  très  grand;  il  faudrait  s'arrêter  pour 
le  mesurer;  mais  je  cherche  autre  chose  ;  sans  même  voir 
ses  tours,  de  ces  rues  étroites,  je  sens  que  je  suis  près  de  la 
cathédrale;  je  tourne  et  retourne  entre  les  ruines  ;  brusque- 
ment à  un  tournant  de  rue  je  suis  devant  elle. 

Devant  sa  façade,  droit  devant  sa  façade  I... 


J'ai  besoin  de  dire  ici  une  chose,  dans  quelles  dispo- 
sitions j'étais  à  ce  moment.  J'avais  vu  déjà  ailleurs,  les 
jours  précédents,  bien  des  ruines  ;  j'étais  pénétré  du 
caractère  terrible  de  la  guerre,  de  ses  nécessités  terribles; 
d'autre  part,  je  venais  do  m'avancer,  le  jour  même,  jusque 
très  près  du  champ  de  Imtaille,  et  j'en  remportais  cette 
espèce  d'indifférence  blasée  qu'il  donne  pour  tout  le  reste; 
j'avais  fait  encore  de  lon^i^ues  heures  d'automobile  sous  un 
ciel  monotone.  Voilà  dans  quelles  dispositions  j'étais.  Il 
faut  bien  tenir  compte  de  ces  petites  choses,  puisqu'elles 
influent  sur  nos  impresions.  Je  le  dis:  j'étais  fait  à  l'épreuve, 
j'étais  blasé  et  un  peu  fatigué,  peu  disposé  à  m'exagérer  les 
choses  :  j'ai  été  frappé  d'une  stupeur  incomparable  ! 

Pendant  un  long*  moment  je  suis  resté  là,  stupide. 

Ça  dépassait  tellement  ce  que  j'attendais  ! 

J'avais  vu  des  photographies;  elles  ne  donnent  aucune 
idée  de  la  réalité. 

Elles  ne  donnent  aucune  idée  de  la  réalité,  surtout  parce 
(|u'elles  ne  font  pas  voir  la  couleur. 

Voici  ce  qu'il  faut  se  représenter:  d'abord  des  parties 
grises,  du  ton  naturel  de  la  pierre,  qui  est  d'un  gris  doux, 
très  joli  ;  puis  des  parties  —  les  trois  portails,  le  devant  de 
la  nef  —  noires  !  Noires  comme  la  suie,  à  cause  sans 
doute  de  la  fumée  de  la  paille  qui  est  sortie  par  ces  énormes 
soupiraux,  aspirée  par  eux.  Les  trois  immenses  portails 
avec  leurs  voussures  profondes,  et  les  trous  béants  des  ver- 
rières, des  roses,  dans  lesquelles  se  tordent  quelques  fers  — 
noirs!  Et  alors  la  tour  de  gauche  —  c'est  cela  qui  est  le 
plus  terrible  —  toute  la  tour  de  gauche  ju-squ'aux  trois 
quarts  de  sa  hauteur,  rou§|[e  I  J'ai  vu  une  fois  une  cheminée 


qui  avait  brâlé;  c'est  cela:  une  g-ig'antesque  cheminée  qui 
a  brâlé  et  qui  est  restée  calcinée,  rou^! 

Ce  qui  a  fait  cela  c'est  ce  malheureux  échafaudag-e.  Il  a 
dû  briller  sans  aucune  fumée,  dans  une  seule  flamme  claire, 
formidable  ;  il  n'y  a  pas  une  trace  de  noir  sur  tout  ce  cAté- 
là  ;  la  pierre  est  calcinée  au  vif,  grillée  comme  dans  uo 
chaufour,  sur  toute  cette  tour  de  g-auche  et  le  côté  qui  la 
suit. 

Ce  côté  aussi  — car  je  fais  maintenant  le  tour — a  souffert; 
moins  pourtant;  les  verrières  sont  comme  des  passoires, 
mais  la  pierre  est  à  peu  près  intacte.  C'est  là,  décote,  qu'on 
voit  que  le  toit  manque  ;  comme  on  n'aperçoit  pas  la  voûte, 
plus  basse,  les  murs  hérissés  de  leurs  pignons  qui  se  décou- 
pent sur  le  ciel  donnent  l'affreuse  impression  d'être  vides.  Le 
chœur  semble  n'avoir  pas  été  touché.  L'autre  flanc  est  atteint 
ée  nouveau,  gravement,  séparé  seulement  comme  il  est  par 
une  rue  et  une  sorte  d'étroit  jardin  de  l'archevêché  dont  il 
ne  reste  rien  que  les  murs.  Huine  déplorable,  avec  toutes 
les  richesses  qu'il  contenait!  Mais  je  reviens  encore  devant 
la  façade  ;  je  ne  peux  pas  m'en  détacher  et  réaliser  le  spec- 
tacle qu'elle  offre. 

Devant,  on  a  hâtivement  élevé  une  clôture  de  planches,  à 
claire-voie,  qui  enferme  les  débris;  par-dessus,  à  travers  le 
grand  portail  sans  porte  et  qui  semble  une  bouche  de  four, 
on  aperçoit  les  vitraux  bleus  et  sombrement  magnifiques 
du  chœur,  qui  ont,  hélas!  eux  aussi,  quoique  les  moins 
endommagés,  bien  des  trous  de  lumière  —  comme  une 
belle  tenture  percée  de  part  en  part,  rongée  aux  mites, 
déchiquetée. 

De  tieaucoup  évidemment  c'est  l'incendie  qui  a  causé  le 
plus  de  mal.  Le  choc  des  obus,  on  reste  surpris  du  peu 
d'effet  qu'ils  ont  eu  ;  c'est  comme  si  on  avait  tiré  du  canon 


«.\...v.  •-'^-her,  tellemoat  cette  église  est  bâtie  solidement 

dans  té.  Pourtant,  deux  des  grands  gables  qui  sur- 

montaient ont  tombas;  des colonncttes,  fendues 

comme  uu  ...  ,.„.v. ..-  d'une  Iwille,  tiennent  encore  debout; 
les  statues  des  porches  sont  comme  martelées  par  les  éclats 
des  obus  qui  sont  tombés  devant  et  ont  rejailli  ;  mais  tout 
le  haut  des  deux  tours  se  dessino.  iiita<-t.  «'{«''iraiit.  furt  et 
léger,  sur  le  ciel. 

Encore  une  fois,  c'est  surtout  1  inu;ucljc.  1  ouïes  los 
sculptures,  les  colonnes,  les  statues,  hélas  !  de  la  moitié  de 
ii^auche  sont  calcinées;  il  en  est  tombé  déjà  une  couche 
jK»ut-étre  de  l'épaisseur  d'un  travers  de  main,  et  ce  qui 
reste  a  un  aspect  friable,  semble  prêt  à  se  défaire  à  la  pluie 
et  au  Teot,  â  tomber  comme  une  chair  bnllée.  I>es  belles 
statues,  voilà,  elles  sont  brûlées  jusqu'à  l'os. 

Et  l'ensemble?  Pourra-t-on  jamais  le  restaurer,  le  refaire  ? 
Pour  ma  part,  je  ne  le  crois  pas,  du  moins  d'une  façon  un 
peu  totale,  je  pense  que  le  mal  est  trop  grand,  trop  pro- 
ft)nd.  Une  belle  ruine  alors?  Peut-être  un  jour;  pour  le 
moment,  non  ! 


Je  n'avais  jamais  vu  Reims,  et  une  fois  le  premier  émoi 
passé,  j'ai  essayé  très  sincèrement,  j'ai  fait  un  grand 
effort  pour  saisir  sa  beauté  ;  cela  ne  m'a  pas  été  possible 

C'est  une  chose  très  frappante,  l'impression  d'art,  de 
beauté  a  complètement  disparu.  Sans  doute  il  faut  à  l'art 
une  harmonie,  une  unité,  une  paix  que  retrouvent  peut- 
^tre  plus  tard  les  ruines,  que  n'a  plus  à  présent  cette  façade 
grise,  noire  et  rouge,  qui  semble  encore  fumante,  encore 
brillante,  encore  pantelante.  Ce  n'est  plus  une  cathédrale, 
une  vivante  œuvre  d'art  ;  c'est  un  corps,  c'est  un  cadavre 


—  5(i  — 

déformé  de  cathédrale.  L'impression  qu'on  ressent  devant 
UD  cadavre  encore  contracté  par  une  mort  violente,  on  la 
ressent  seule  ici  :  l'horreur. 

L'horreur,  et  la  tristesse.  Sur  cette  petite  place  abandon- 
née  nous  sommes  seuls,  mon  chauffeur  et  moi,  avec  un 
agent  de  police  enfoncé  dans  Tang^le  de  deux  maisons.  Hier 
encore  des  obus  sont  tombés  sur  ce  coin  de  rue,  et  voici 
venir  l'heure  de  l'après-midi  où  le  bombardement  a  cou- 
tume de  recommencer.  (On  a  beau  faire,  on  y  pense  tout 
de  môme.)  Nous  sommes  tout  seuls,  et  devant  nous,  dans 
cet  abandon  trag-ique,  est  ce  grand  cadavre.  C'est  d'une 
tristesse  infinie.  Et  dans  cet  accablement  que  je  cherche  à 
analyser,  le  sentiment  qu'on  a  avec  force  de  l'inutile  et  de 
l'irréparable  entre  pour  beaucoup. 

Les  maisons  des  villages  que  j'ai  vus,  les  maisons  de 
cette  ville,  même  les  belles  maisons  anciennes,  on  pourra 
les  relever  ;  mais  cette  cathédrale  jamais  personne  ne  pourra 
la  refaire.  Alors  il  semble  qu'on  n'y  devrait  pas  toucher, 
qu'il  soit  défendu  par  dessus  tout  d'y  toucher  ! 

Et  pourquoi?  je  me  le  demande  ici  encore  bien  plus 
que  tout  à  l'heure.  Des  batteries  dans  ces  rues  étroites 
ou  sur  les  pavés  de  cette  petite  place,  c'est  un  écrasant 
non-sens.  Un  poste  d'observation  dans  cette  tour  en 
somme  peu  haute,  au  centre  de  cette  grande  ville  en* 
tourée  de  collines  (d'ailleurs  comment  l'aurait-on  aperçu  de 
cette  distance  ?)  Mais  il  n'y  a  pas  même  à  chercher,  telle- 
meut  la  vue  des  lieux  impose  avec  évidence  cette  impres- 
sion de  l'inutile.  Et  ce  sentiment  s'ajoute,  pesamment  triste, 
à  celui  de  l'horreur  pour  faire  de  ce  spectacle  une  des  plus 
accablantes  choses  que  j'aie  .sans  doute  jamais  vues. 

Comme  nous  roulions  de  nouveau  dans  la  campagne,  j  ai 
demandé  au  chauft'eur,  qui  était  Champenois,  si  ça  l'avait 


inléressé  dt*  revoir  Uiiins  qu  il  ii  avait  pas   vue  depuis  \c 
bomhanlement  ;  il  a  secoué  la  lôte  et  m'a  répondu  : 

—  Le  mal,  on  n'aime  jamais  à  le  voir. 

C'est  bien  cela  :  le  mal.  F.  Chavann» >. 

A  REIMS  ' 

i6  novembre. 

Nous  sommes  arrivés  à  Reims  peu  après-midi  par  la 
i-DUte  de  Soissons  qui  suit  la  rive  gauche  de  la  Vesle.  On 
traverse  un  faubourg-  populeux  et  animé,  on  passe  sur  la 
rive  droite  de  la  rivière  et  on  lon?e  le  Iar2;-e  boulevard  de 
la  République. 

Ici  pas  un  passant.  Les  maisons  soni  closes.  Beaucoup 
ont  leurs  fenêtres  revêtues  de  planches  pour  les  préserver 
des  éclats  d'obus.  On  tourne  à  droite  dans  cette  large  rue  à 
arcades  qui  porte  le  nom  de  place  Drouet  d'Erlon.  Un  pre- 
mier hôtel  à  droite,  l'hôtel  Continental  est  complètement 
éventré  par  les  projectiles.  Deux  pas  plus  loin  est  l'hôtel  du 
Nord,  où  nous  nous  arrêtons.  Le  second  étage  a  été  ravagé. 
Le  rez-de-chaussée  est  intact.  L'hôtelier,  sa  famille  et  son 
personnel  couchent  dans  la  cave. 

Tandis  qu'on  commande  le  repas,  je  vais  errer  sous  les 
arcades.  Tous  les  magasins  sont  fermés.  Un  silence  de 
mort,  un  deuil  immense  pèsent  sur  la  ville.  Une  boutique, 
dont  le  store  métallique  est  abaissé,  garde  sa  porte  ouverte. 
J'entre.  On  y  vend  des  cartes  postales  illustrées.  Je  félicite 
la  jeune  vendeuse  de  rester  à  son  poste.  «Il  faut  bien,  me 
répond-elle,  gagner  quelques  sous,  mais  vous  savez  voilà 
trois  mois  que  cela  dure,  on  perd  patience...  »  —  Aujour- 

>  Pré*  de  la  Gaerrt.  A.  JuUien,  Miteur,  Genève,  1915. 


—  58  - 

d'hui,  lui  dis-je,  on  ne  tire  pas.  —  «  Attendez,  c'est  tou- 
jours l'après-midi.  » 

A  l'hôtel  du  Nord,  le  repas  est  fort  animé.  Un  officier 
trouve  le  moyen  de  nous  faire  rire  aux  larmes,  avec  des 
histoires  de  tranchées.  Deux  heures  sonnent.  On  apporte  le 
café  noir.  A  ce  moment,  un  bruit  terrible  ébranle  toute  la 
maison  et  nous  fait  .sauter  sur  nos  chaises.  Un  obus  vient 
d'éclater  dans  la  rue  Ghâtivesle,  rue  transversale  qui 
débouche  dans  la  place  Drouet,  à  quelques  pas  de  notre 
hôtel.  Notre  chauffeur  vient  nous  raconter  qu'il  a  vu  s'écrou- 
ler tout  un  mur.  «  Ça  y  est,  dit  l'hôtesse  ;  ils  commencent 
toujours  à  ces  heures-ci.  »  Et  tranquillement,  de  la  même 
voix,  elle  nous  demande  si  nous  voulons  des  liqueurs. 

Une  seconde  explosion,  puis  une  troisième,  à  deux  minu- 
tes d'intervalle,  font  trembler  les  vitres  et  la  vaisselle.  Un 
officier  de  gendarmerie  entre  dans  la  salle,  apportant  un 
petit  éclat  d'obus  qui  est  tombé  dans  sa  voiture. 

Nous  nous  levons  pour  aller  voir  la  cathédrale.  «  A  vos 
risques  et  périls  »,  nous  dit  l'officier,  qui  nous  accompag^ne. 

Les  batteries  allemandes  se  trouvant  à  l'est  de  la  ville, 
les  façades  des  maisons  qui  regardent  l'ouest,  sont  moins 
exposées  au  bombardement.  Pour  traverser  la  place  Drouet, 
où  nous  nous  trouvons,  en  allant  de  l'est  A  l'ouest,  on  voit 
les  gens  courir  et  s'arrêter  sous  l'arcade  pour  regarder. 
Puis  la  rue  reste  déserte.  Sous  l'arcade  une  dizaine  de  per- 
sonnes attendent.  Les  figures  expriment  la  colère,  la  dou- 
leur et  l'angoisse...  Seuls  des  gamins,  inconscients  du  dan- 
ger, nous  courent  après  et  nous  offrent  en  plaisantant  des 
éclats  d'obus.  L'un  d'eux,  qui  porte  un  pot  à  lait  et  une 
tasso  sur  un  petit  plateau,  s'arrête  après  une  soudaine  et 
terrible  détonation  et  dit  gravement  :  «  Un  peu  plus  et  mon 
lait  était  firlm  » 


—  r/j  — 

Depuis  trois  muis  les  habitants  de  Reims  voient  leur 
ville,  leurs  maisons  anciennes,  leurs  monuments  admira- 
bles, s'écrouler  pierre  après  pierre  ;  ils  assistent  impuissants 
à  ce  lont^  martyre,  vivant  au  milieu  de  ces  ruines,  sous  la 
perpétuelle  menace  d'être  tués  dans  la  rue  par  un  obus, 
ou  écrasés  sous  les  décombres  de  leur  propre  demeure. 

Nous  allons  par  des  détours  du  côté  de  la  cathédrale.  Je 
ne  m'arrête  pas  à  vous  décrire,  après  tant  d'autres,  les  bâti- 
ments publics  et  privés,  dévastés  ou  détruits  par  le  bombar- 
dement :  le  palais  de  l'archevêché,  le  théâtre,  les  hôpitaux 
et  les  casernes,  les  usines  et  les  musées,  les  vieux  hôtels 
dont  le  toit  est  arraché,  dont  les  murs  s'écroulent,  criblés 
de  trous  énormes...  Des  quartiers  entiers,  par  le  fait  de 
leur  orientation,  sont  intacts,  on  y  voit  quelques  magasins 
et  cafés  ouverts.  Mais  la  plupart  des  maisons  restent  closes, 
les  fenêtres  fermées  souvent  cuirassées  de  planches.  On 
avance  dans  les  rues  désertes,  où  tout  est  silence  et  deuil. 
De  temps  à  autre,  à  intervalles  toujours  plus  lonjçs,  un 
coup  de  canon,  l'explosion  terrible  d'un  obus  quelque  part 
sur  la  ville.  Puis  le  silence...  On  n'entend  plus  que  le  bruit 
de  nos  pas  sur  le  trottoir. 

Nous  arrivons  à  la  cathédrale  par  la  rue  étroite  où  se 
trouve  l'hôtel  du  Lion  d'Or.  Devant  l'hôtel  un  obus  vient 
de  tomber.  Il  a  creusé  un  trou  dans  le  pavé  et  ses  éclats  ont 
fait  une  large  plaie  dans  le  mur  de  la  maison.  Un  homme 
qui  se  trouvait  sur  le  pas  de  la  porte  a  reçu  un  éclat  en 
pleine  figure.  Il  s'est  abattu  en  avant  sur  le  trottoir,  où  son 
sang  dessine  une  grande  place  rouge  au  milieu  des  plâtres. 
On  vient  de  le  transporter  dans  le  vestibule  de  l'hôtel.  Un 
de  mes  compagnons,  qui  est  médecin,  l'examine  ;  il  a  la 
tempe  enfoncée.  Etendu  sur  le  dos,  le  malheureux  crie 
et   râle   en   agitant  d'un   geste  convulsif  ses  deux  mains 


—  60  - 

qu'il  a  portées  à  sa  blessure  et  qui  sont  toutes  rouges  de 
sao^ 

Deux  <iuinîs  obus  —  énormes  à  en  jujçer  par  les  frag^- 
ments  d'éclats  —  sont  tombés,  peu  d'instants  avant  notre 
arrivée,  autour  de  la  cathédrale.  L'un  sur  le  café  Saint- 
Hémy,  à  l'angle  de  la  rue  Liberj^ier.  Le  propriétaire  était 
parti  le  matin  même.  L'explosion  a  fracassé  toutes  les 
fenêtres  et  projeté  très  loin  dans  la  rue  les  volets  qui  recou- 
vraient la  devanture.  Tout  le  sol  est  semé  de  verre  brisé  et 
de  planches.  L'autre  obus  est  tombé  au  pied  de  la  statue 
équestre  de  Jeanne  d'Arc,  creusant  un  trou  dans  le  pavé. 
La  statue  est  intacte.  L'héroïne,  le  bras  tendu,  le  regard  en 
haut,  semble  en  appeler  au  ciel  contre  le  supplice  affreux 
infligé  à  la  bonne  ville  où  elle  mena  couronner  son  roi. 

On  a  prétendu  que  les  Français  avaient  placé  des  canons 
sur  la  place  de  la  cathédrale  et  que  c'est  pour  détruire  cette 
artillerie  que  le  bombardement  a  été  ordonné  au  milieu  de 
septembre  *.  Or  la  cathédrale  est  entourée  de  trois  côtés  de 
maisons  hautes  dont  elle  n'est  séparée  que  par  des  rues 
étroites.  Il  serait  donc  impossible  d'organiser  un  tir  d'artil- 
lerie aux  abords  de  l'église,  de  ces  côtés-là,  à  moins  d'abat- 
tre les  maisons  sur  un  très  vaste  espace.  Devant  la  cathé- 
drale, en  revanche,  il  j  a  place  pour  une  batterie  qui  tire- 
rait dans  le  sens  de  la  large  rue  Libergier.  Mais  cette  rue 
est  orientée  vers  le  sud-ouest,  c'est-à-dire  du  côté  des  posi- 
tions occupées  à  l'époque  du  bombardement  et  à  cette 
heure-ci,  par  les  Français. 

Du  reste,  deux  mois  et  demi  se  sont  écoulés.  Il  n'y  a  plus 
d'armée  à  Reim.*;.  Et  le  bombardement  continue.  Kt  aujour- 
d'hui 2(5  novembre,  six  obus  sont  tombés  sur  la  ville  peu- 

*  Cette  accuMlion  est  encore  reproduite  par  la  Oatette  de  Cologne. 
danK  an  numéro  de  d^mbre. 


daDt  que  oous  j  étions,  et  trois  sur  la  place  de  la  cathé- 
drale, à  quelques  mètres  de  l'édifice  sacn-. 

La  merveilleuse  église  avec  son  triple  porUiil,  ^^arni  de 
sculptures  admirables,  n'est  pas  détruite  comme  on  l'avait 
annoncé  le  premier  jour;  sa  toiture  s'est  effondrée,  beau- 
coup de  ces  inestimables  vitraux  sont  brisés.  Néanmoins, 
vue  de  la  rue,  à  quelques  trois  cents  mètres  on  pourrait  la 
croire  intacte. 

De  près,  le  malheur  paraît  irréparable. 

L'incendie  de  l'échafaudasç-e  qui  entourait  une  partie  de 
l'édifice,  a  soulevé  partout,  sur  les  surfaces  nues  des  deux 
étages  inférieurs  de  la  tour  de  gauche,  des  écailles  qui  se 
détachent  et  tombent  en  poussière  ;  le  mal  atteint  les  guir- 
landes de  statues,  les  groupes  de  saints  et  de  saintes  qui 
ornent  les  voussures.  Toute  une  partie  de  la  façade  semble 
avoir  été  raclée  par  une  main  sauvage  ;  ces  longues  plaies 
de  couleur  claire  sont  comme  une  lèpre  qui  aurait  attaqué 
une  partie  de  l'édifice  et  qui  continuerait  à  le  ronger. 

Le  portail  de  gauche  est  ravagé  par  les  flammes.  Le  por- 
tail central  est  mutilé  en  plusieurs  endroits.  Celui  de  droite 
paraît  intact.  Le  groupe  admirable  du  Crucijiement  com- 
posé de  sept  statues,  qui  décorent  le  fronton  du  portail  de 
gfauche,  est  gravement  atteint.  Les  sculptures  de  pierre 
s'écaillent.  Le  soldat  romain  qui  tient  la  lance  a  perdu  ses 
bras  et  sa  tête. 

Jamais  l'image  du  Christ  cruciHé,  iiiiiim-  «l'héroïsme 
sublime  et  de  douleur,  ne  m'a  paru  plus  lu  ronjuc  et  plus 
douloureuse  que  sur  cette  façade  meurtrie,  devant  cette 
place  abandonnée,  où  flotte  une  odeur  de  poudre  et  d'incen- 
die, au  milieu  de  cette  ville  torturée,  qui  semble  elle-même 
un  être  agonisant,  pantelant,  perdant  son  sang  par  vin^ 
blessures. 


-  62  - 

La  canonnade  s'est  arrêtée.  Dans  la  rue  Libergier,  den 
g^ns  sortent  des  maisons.  Une  laitière  pousse  bravement 
sa  charrette  sur  les  plâtras  et  les  débris,  en  agitant  une 
sonnette.  On  vient  nous  dire  qu'un  homme  a  encore  été 
tué  tout  près  d'ici...  Mais  il  faut  partir,  quitter  Reims, 
s'enfoncer  dans  le  brouillard,  dans  la  nuit,  dans  la  paix, 
au  milieu  des  champs  et  des  bois. 

Georges  Wagnières. 


PROTESTATIONS 


SUiï^SE 


FXTR Al  1   Ul    DISCOURS  DE  M.  11.  I  AZY  »,doycnd'â|çe 

à  l'ouverture  de  la  première  session 

de  la  i3m«  législature  des  Chambres  fédérales,  Berne. 

Oui,  messieurs,  tout  eu  restant  neutres,  nous  conservons 
le  droit  d'apprécier  les  événements  contemporains  et  de  les 
apprécier  en  nous  plaçant  sur  le  terrain  de  la  justice,  qui 
est  éternelle  et  universelle  et  qui  est  la  g^rande  loi  de  l'his- 
toire. Aussi  n'hésitons-nous  pas  à  déplorer  avec  une  pro- 
fonde douleur  l'atteinte  que  la  guerre  actuelle  a  portée  au 
principe  de  la  neutralité.  Puissent  l'indépendance  et  la 
neutralité  de  la  Belgique  et  du  Luxembourg  sortir  victo- 
rieuses de  la  douloureuse  épreuve  que  ces  deux  pajs  sup- 
portent avec  tant  d'héroïsme.  En  émettant  ce  vœu,  je  reste 
dans  la  grande  ligne  de  notre  glorieuse  histoire  et  je  suis 
certain  que  mes  paroles  ne  seraient  pas  désavouées  par  les 
braves  qui  combattirent  pour  la  liberté  à  Morgarten  et  à 

>  Les  premières  déclarations  qui  suivent  ne  concernent  pas,  à  vrai 
dire,  spécialement  Louvain  et  Heims.  Mais  et  sont  déclarations  de 
principe  qui  ont,  à  nos  yeux,  une  grande  valeur.  Elles  établissent  quasi 
oflBcieilement  le  point  de  vue  où  s'est  placée  la  saine  opinion  suisse  pour 
juger  les  crimes  de  Louvain  et  de  Heims. 

Cela  nous  dispense  de  publier  (leur  nombre  du  reste  s'y  oppose) 
tous  les  articles  de  protestation  qui  ont  paru  dans  les  journaux  de  la 
Suisse  romande  à  la  nouvelle  de  ces  odieux  attentats.  Nous  ne  donnons 
que  les  articles  du  professeur  Velter  de    Berne. 


—  (54  — 

Sempach,   à   Saint-Jacques   et    à  Morat,  à  l'Escalade  et  à 
Neuenegg. 

EXTRAIT  DU  DISCOURS 

DE  M.  LE  CONSEILLER  FÉDÉRAL  MULLER 

(proooDcé  à  rassemblée  de  VHeloetia). 

Nos  amis  romands  appréhendaient  un  peu  l'expansion  des 
idées  pang'ermanistes.  Dans  la  Suisse  allemande,  nous  n'a- 
vions pas  cette  crainte.  Nous  nous  sentions  assez  forts  pour 
résister  à  une  expansion  de  ce  genre.  Ce  n'est  pas  que  nous 
approuvions  tout  ce  qui  se  passe  de  l'autre  côté  du  Rhin, 
mais  nous  n'étions  pas  aussi  sensibles  parce  que,  grâce  à  la 
communauté  de  langue  et  de  race,  nous  pouvions  compren- 
dre ces  choses  mieux  que  la  Suisse  romande.  Mais  nous 
comprenions  et  nous  comprenons  encore  aujourd'hui  fort 
bien  les  appréhensions  de  la  Suisse  romande. 

Vint  la  violation  de  la  neutralité  belge  par  l'Allemagne. 
Nous  l'avons  tous  ressentie  comme  une  chose  qui  n'aurait 
pas  dû  être.  Nous  avons  tous  éprouvé  une  profonde  sympa- 
thie pour  le  peuple  belge.  Mais  ce  sentiment  s'est  traduit 
d'une  façon  différente,  suivant  le  tempérament  de  chacan  : 
d'un  côté  avec  vivacité,  presque  avec  de  la  passion,  d'une 
façon  démonstrative  ;  de  l'autre,  avec  plus  de  calme  et  de 
réserve.  Mais  je  crois  qu'on  a  déjà  compris  qu'au  fond  il  n'y 
a  pas  de  profondes  divergences  entre  nos  conceptions. 

La  rédaction  de  La  Revue  de  Lausanne,  à  laquelle  nous  em- 
pruDtonH  ces  lignes,  a  fait  suivre  ces  réflexions  de  la  déclaration 
suivante  : 

Nous  sommes  certains  de  notre  côté  que  les  paroles  de 
M.  le  conseiller  fédéral  MuUer  auront  un  écho  heureux  dans 
toute  la  Suisse  romande.  Avec  toute  la  réserve  que  lui  im- 


—  05  — 

posait  sa  situation  d'homme  d'Etat,  M.  Muller  a  prononcé, 
en  particulier  k  V6gan\  de  la  Belg^iquc,  des  paroles  qui  ren- 
dent un  hommage  éclatant  aux  sentiments  (jr"  '  •  ^-r-- • 
romande  tout  entière  a  fièrement  manifestés. 


KXTRAIT   DU   DISCOURS    DE    M.   HENRI   CALAME 

Président  du  Conseil  d'Etal  du  canton  de  NeuchAtel 
à  l'ouverture  de  la  session  du  Grand  Conseil  Neuchâlelois. 

Nous  croirions  faillir  au  devoir,  si,  au  moment  où  nous 
nous  réjouissons  que  nos  frontières  soient  demeurées  in- 
violées et  que  les  g^randes  tristesses  de  l'invasion  nous  aient 
été  éparg-nées,  nous  manquions  l'occasion,  pour  des  consi- 
dérations d'une  neutralité  égoïste  et  peureuse,  d'envoyer  à 
la  Belgique  vaillante  et  martyre  l'hommage  de  l'admiration, 
du  respect  et  de  la  sympathie  de  notre  peuple  neuchâlelois. 

EXTRAIT  DU  PROCÈS-VERBAL 

de  la  séance  d'ouverture 
de  la  session  du  Grand  Conseil  genevois. 

Il  a  été  procédé  à  l'élection  du  Bureau,  qui  a  été  composé 
comme  suit  : 

Président:  M.  Boveyron,  par  r»i  vui.\  mu  <»<   \utants. 

M.  Boveyron  remercie  le  Grand  Conseil  pour  cette  nou- 
velle marque  de  confiance.  «  Je  compte,  dit-il,  sur  le  patrio- 
tisme de  tous  pour  faciliter  la  tâche  difficile  des  autorités 
dans  les  circonstances  actuelles  et  espère  que  les  lois  votées 
par  le  Grand  Conseil  ne  seront  pas  de  vulgaires  chiffons  de 
papier  déchirés  par  une  force  brutale  sans  scrupule  » 
(  npp  ta  u  dissent  e  n  ts) . 

LOUVAIN...  HBIMS   U  5 


—  (iO  — 

EXTRAIT  DU  PROCÈS-VERBAL 
d'une  néance  (Si  déc.)  du  Conseil  municipal  genevois. 

Ed  levant  la  séance,  M.  Jaccoud  a  adressé  aux  soldaU 
acluellemeut  sous  les  drapeaux  les  salutations  de  la  ville  de 
Geoève  à  l'occasion  des  fêtes  de  fin  d  année  et  a  émis  le 
vœu,  aux  applaudissements  de  l'assemblée,  que  Tannée  1915 
voie  le  triomphe  définitif  du  droit  et  de  la  justice  sur  la  bru- 
Ulité. 

EXTRAIT    D'UN    DISCOURS   DE  M.   COMTESSE, 
ancien  président  de  la  Confédération  suisse. 

A  la  cérémonie  du  l«''mars  à  laChaux-de-Fonds,  M.  Com- 
tesse a  prononcé  ces  paroles  : 

«  Nous  ne  pouvions  pas  rester  indifférents  et  muets  devant 
la  violation  de  la  neutralité  de  la  Belg-ique.  C'est  là  un  atten- 
tat irréparable  qui  révolte  la  conscience  de  tous  les  peuples.  >► 

EXTRAIT  DU  DISCOURS 
DE  M.  ERNEST  CHAVANNES 

président  du  Conseil  communal  de  Lausanne. 

M.  Ernest  Chavannes,  président,  constate  que  l'année 
1915  sera  probablement  la  plus  difficile  de  notre  époque. 
«Nous  aurons  des  tâches  délicates;  nous  accomplirons  notre 
devoir  dans  un  esprit  de  fraternité,  avec  énerccie  et  sans  fai- 
blesse, ni  récriminations.  Soyons  un  peuple  de  frères  et  de 
disciplinés,  ayant  la  maîtrise  de  soi-même,  ayant  ^pour  but 
autre  chose  qu'une  culture  qui  ne  sert  qu'au  triomphe  de  la 
force  et  à  l'oubli  d'eng'a^ements  solennels.  »  Il  proteste  contre 
les  crimes  de  lésc-humanité  et  de  lèse-nations  que  nous 
voyons  se  dérouler  devant  nous,  souhaite  le  retour  à  l'esprit 
d'amour  et  de  charité.  «  Dans  un  pays  voisin  vei-s  lequel  vont 


—  07  — 

toutes  nos  sympathies,  au  creuset  de  l'épreuve  tous  les 
cceurs  se  sont  unis,  sans  distinction  de  partis  et  d'intérêts  : 
la  France  reste  pour  nous  le  pays  dont  le  triomphe  sig^nifie 
l'affranchissement  du  culte  de  la  force,  le  progrès  de  la 
vraie  civilisation.  »  {Bravos.) 

CARL  SPITTELER 

Extrait  de  la  conféreoce  doonëe  le  14  décembre  à  Zurich 

sous  les  auspices  de  la  Douvelle  Société  helvétique. 

...Son  sort  (de  la  Belgique)  nous  regarde  tout  particuliè- 
rement. Ses  envahisseurs  ont  de  prime  abord  reconnu  eux- 
mêmes  leurs  torts  envers  ce  pays.  Après  coup,  pour  se  blan- 
chir, Caïn  jugea  bon  de  noircir  Abel.  Fouiller  les  poches  de 
la  victime  pantelante  pour  trouver  des  documents  me  paraît 
une  aberration  de  sens  moral.  Egorger  la  victime  était  plus 
que  suffisant.  La  vilipender  ensuite,  c'était  trop.  Mais  si  un 
Suisse  s'avisait  de  s'associer  aux  injures  contre  la  malheu- 
reuse Belgique,  il  commettrait  une  impudence  compliquée 
d'une  idiotie. 

{\otre point  de  vue  misse;  traduit  par  Catherine  Guilland. 
Rascher  À  Cie,  éditeurs,  Zurich.) 


CHARLES  VUILLE 

Après  Reims,  Paris  ! 

Après  le  sac  de  Ix>uvain,  —  cette  Sienne  des  Flandres,  — 
c'est  l'adorable  petite  cité  de  Dinant,  dont  les  quais,  laissant 
crouler  dans  la  Meuse  sous  les  coups  des  obusiers  leurs  mai- 
sons séculaires,  apparaissent  aujourd'hui,  —  avec  les  pans 
noircis  de  leurs  murailles,  —  comme  un  lamentable  cada- 


—  08  - 

vrc  lendaiil,  —  6  Dryander  !  —  ses  bras  décliiquelés  et 
suppliants  vers  le  ciel  d'acier  de  ton  Wotan  implacable! 

C'est  Liège  et  c'est  Malines,  dont  les  chefs-d'œuvre  de 
pierre  disparus  aujourd'hui  empruntaient  aux  denteliëres  la 
grâce  exquise  et  menue  de  leur  art  ! 

...Et  l'on  voudrait  que  devant  tant  d'iniquités  ;  —  devant 
cette  cynique  violation  des  traités  conclus  ;  —  de  la  foi 
jurée,  —  du  droit  des  gens  ;  —  devant  ce  coup  de  sabre 
déchirant  de  fayon  préméditée  et  méthodique  l'œuvre  des 
congrès  de  La  Haye,  nous  ne  frémissions  pas  d'horreur  et 
de  dégoût,  nous  autres  Suisses  romands?  et  l'on  nous  inter- 
dirait de  clamer  notre  indignation  sous  un  prétexte  hypo- 
crite de  neutralité?... 

(Extrait  de  la  plaquette  Les  réprobations  nécessaires  publiée  à 
Genève  par  M*  Vuille,  avocat  du  barreau  de  Genève,  aocieo  bâ- 
tonnier, ancien  député.) 

PROTESTATION   DU  PROFESSEUR  VETTER 
DE  BERNE,  CONTRE  LA  DESTRUCTION  DE  LOUVAIN 


Le  plus  germanophile  de  tous  les  Suisses,  le  professeur  Vellcr 
lui-même,  qui,  il  y  a  quelques  années,  disait  à  Nuremberg  que, 
au  point  de  vue  intellectuel,  la  Suisse  était  une  province  alle- 
mande, sent  qu'il  est  de  son  devoir  de  protester  contre  la  viola- 
lion  de  la  neutralité  hc\y;c  et  la  destruction  de  Louvain.  En  ré- 
ponse à  l'appel  pangermnniste  du  professeur  Kurt  Breysig,  il 
publie  dans  la  Tagwacht^  organe  des  socialistes  bernois,  une  lettre 
ouverte  où  on  Ht  entre  autres  ce  qui  suit  : 

Nous  autres  Suisses  allemands,  nous  no  (loinaiidorions 
pas  mieux  que  de  répondre  joyeusement  à  votre  t'*K)quente 
exhortation,  de  faire  savoir  aux  Allemands  que  noire  coeur 


n'est  pas  avec  leurs  ennemis  et  que  nous  souhaitons  que  la 
force  de  l'empire  allemand  ne  soit  pas  ébranl''" 

Après  avoir  eocore  donné  longuement  essor  à  >c->  »i  niuiients 
u'«'rruanophiles,  le  professeur  Vetter  continue  comme  suit  : 

Mais  vous  autres,  frères  d'Allemagne,  vous  ne  nous  faci- 
litez pas  notre  affection  et  notre  admiration.  Peu  d'heures 
après  votre  appel  à  notre  sympathie,  nous  arrive  la  nou- 
velle d'un  acte  d'un  de  vos  ^néraux  qui,  s'il  se  confirme, 
«iépasse  la  fureur  de  destruction  de  la  Commune,  les  incen- 
dies de  villes  de  la  g^uerre  de  Trente  Ans  d'autant  (|ue  notre 
temps  se  croit  supérieur  aux  siècles  passés  en  civilisation, 
en  science  et  en  morale. 

Parce  qu'une  .subdivision  allemande  a  été  attaquée  par 
derrière  par  quelques  habitants  désespérés  ou  sans  cons- 
«  ience,  toute  la  ville  de  Louvain  a  été  incendiée  par  le  s^t'- 
néral  allemand.  Elle  a  été  transformée  en  monceaux  de 
cendres  et  de  ruines. 

Notre  sang  se  figea  l'ouïe  de  semblables  faits.  Nous  avons 
été  douloureusement  indignés  à  la  nouvelle  que  dès  le  début 
de  la  guerre,  pour  répondre  à  une  intention  semblable  de 
l'ennemi  (?),  vous  avez  porté  la  guerre  en  Belgique,  pavs 
neutre  comme  le  nôtre,  pays  à  moitié  germanique  comme 
le  nôtre.  Pour  ce  méfait,  les  Flamands,  qui  sont  pourtant 
de  fidèles  Germains,  ont  crié  :  Viue  la  France  !  dans  les 
rues  de  Bruxelles  et  ont  arraché  de  leurs  maisons  les  ensei- 
trncs  flamandes.  Nous  pensions  alors  que  vous  auriez  dil 
leur  épargner  cela,  vous  épargner  cela  à  vous-même. 

Mais  aujourd'hui  que  yotre  invasion  de  la  Belgique  a 
fourni  à  vos  frères  de  race,  les  Anc^lais.  le  motif  peut-être 
désiré  de  faire  la  guerre,  aujourd'hui  que  votre  vaillante 
armée   a  trouvé  dans  les  troupes   t>elges   des  adversaires 


—  70  — 

dignw  d'estime  et  désormais  acharnés,  aujourd'hui  vous 
laissez  Tuo  quelconque  de  vos  g-énéraux  saccaj^er  une  ville 
non  forllHée,  comme  Tiily  a  autrefois  saccagé  Mag-dehourg, 
et  détruire  des  valeurs  historiques  et  artistiques  telles  que 
la  (guerre  n'en  avait  pas  détruit  depuis  les  incendies  des 
Français  sur  le  Haut-Rhin  au  XVII«  siècle. 

Est-ce  que  la  Halle  des  Drapiers,  autrefois  célèbre  dans 
le  monde  entier,  aujourd'hui  université,  est-ce  que  les 
ég'lises  de  Sl-Pierre  et  de  Ste-Gertrude  ne  sont  pas  des  mo- 
numents irremplaçables  de  la  fierté  de  l'esprit  civique, 
d'une  haute  culture  artistique,  scientifique  et  relijsrieuse  ? 
Nulle  part  comme  dans  les  villes  de  la  Flandre  et  de  la 
Hollande,  l'amour  de  la  liberté  ne  s'est  allié  à  l'amour  de 
l'art,  l'esprit  civique  allemand  ne  s'est  allié  avec  l'esprit  de 
la  dernière  époque  de  la  gothique  française.  Que  nous  don- 
nerez-vous  en  échange,  si  vous  détruisez  Tuo  de  ses  plus 
fiers  monuments? 

La  guerre  doit  tuer  des  hommes.  De  nouveaux  hommes 
naissent  et  g-randissent.  Mais  détruire  les  œuvres  de  l'esprit 
humain  est  un  sacrilège  plus  impardonnable  encore.  Les 
créations  de  la  poésie  et  de  la  musique  sont  indestructibles. 
Celles  de  l'art  plastique,  en  particulier  de  l'architecture, 
vivent  une  seule  fois,  comme  les  grands  hommes,  et  ne 
ressuscitent  pas. 

Voulez-vous  donc  continuer  ainsi  ?  Voulez-vous,  à  Paris, 
détruire  avec  des  schrapnels  allemands  Notre-Dame,  le 
Louvre,  que  la  Commune  elle-même  a  respectés,  si  d'un 
soupirail  ou  d'un  premier  de  la  capitale  partent  quelques 
coups  de  feu  qui  tuent  quelques  uhlans  ?  Dans  ce  cas,  que 
les  dieux  aient  pitié  de  toi,  Italie,  si  tu  devais  te  laisser 
aller  h  prendre  les  armes  contre  l'Allemagne  et  l'Autriche  ! 
Dans  ce  cas,  fais-toi  détruire  la  place  St-.Marc  à  Venise,  le 


*.nifipn   Snntit  (ir  t^se,    !«•    ^;itii«ii    et  le  Capitole   et  en 
<^chan^e  va  chercher  le  Trenlin  et  Trieste  ! 

{Tagwacht,  4  Mptembre,  traduction  du  Journal  de  Genève  du 
H  septembre.) 

II 

La  torche  incendiaire  de  Louvain,  alors  même  qu'elle  m 
serait  arrêtée  devant  les  sanctuaires  sacrés  de  Tart,  conti- 
nuera à  briller  dans  les  mains  des  combattants  et  des  enne- 
mis désormais  irréconciliables.  Elle  peut  transformer  les 
champs  de  bataille  de  Ikig-ique,  de  France,  et  qui  sait  ? 
(>eut-étre  aussi  d'Allemagne,  en  un  immense  champ  de  dé- 
combres, en  un  acte  d'accusation  éternel  contre  le  peuple 
allemand. 

Qui  est  coupable  de  cette  destruction  monstrueuse  ou  — 
nous  voulons  encore  l'espérer  —  de  cette  menace  inouïe 
contre  les  biens  les  plus  hauts  de  l'humanité,  laquelle,  si 
celte  g-uerre  mondiale  se  prolonge,  sera  suivie  d'autres  actes 
plus  douloureux  encore  ?  La  postérité  vous  attribuera  sans 
autres  cette  faute  à  vous  Allemands.  Elle  nommera  votre 
nom,  notre  nom,  à  côté  de  celui  des  Huns  et  des  Vandales. 
C'est  là  ce  qui  nous  fait  tant  de  peine  à  nous  Suisses  alle- 
mands, pour  vous  et  pour  nous.  C'est  là  ce  qui  nous  rend 
impossible  à  nous  neutres  de  nous  reconnaître  sans  réserve 
comme  étant  avec  vous,  avec  vous  qui  n'avez  pas  respecté 
la  neutralité  et  l'indépendance  de  la  Belgique  et  qui  avez 
été  poussés  à  cet  acte  de  vengeance. 

La  postérité  aura  tort  dans  son  jugement.  Nous  vous 
connaissons,  nous  nous  connaissons  mieux.  Nous  savons 
que  c'est  seulement  sous  la  pression  la  plus  douloureuse  de 
la  nécessité  que  vous  avez  cru  devoir  agir  ainsi.  Mais  est-ce 
que  cette  obligation  n'a  pas  été  la  conséquence  d'une  trans- 


formation  fatale  de  votre  politique,  la  conséquence  d'un  art 
politique  anlig^ermanique  qui  vous  a  été  imposé  par  vos  en- 
nemis ! 

Le  professeur  Vetter,  avec  une  vision  singulièrement  claire  et 
la  connaissance  approfondie  qu'il  possède  de  rAlieraa^ne  contem- 
poraine, met  ici  le  doijçt  sur  le  nœud  même  du  débat.  Ses  obser- 
vations ont  une  si  grande  importance  historique  et  politique  que 
le  lecteur  ne  nous  en  voudra  pas  de  les  citer  textuellement  malgré 
leur  ampleur. 

Est-ce  que,  reprend  M.  Vetter,  le  grand  organisme  admi- 
rablement ordonné  de  votre  caste  de  fonctionnaires  et  de 
guerriers  n'a  pas  éveillé  chez  beaucoup  de  ses  représentants 
un  sentiment  de  force  et  de  puissance  absolue  qui  ne  peut 
que  trop  facilement  conduire  à  un  acte  de  violence  trop  ra- 
pide? Est-ce  que  la  politique  des  alliances  défensives  inau- 
gurée par  votre  grand  Bismarck  n*a  pas  éveillé  en  vous  la 
foi  en  la  puissance  invincible  des  trois  Etats  alliés  de  l'Eu- 
rope centrale?  N'a-t-elle  pas  poussé  ses  adversaires  et  ses 
rivaux  à  une  contre-alliance,  de  telle  sorte  que  les  princi- 
pales nations  de  l'Europe  marchaient  comme  sur  une  arête 
glissante  de  neige,  attachés  trois  par  trois  à  la  corde  qui 
les  retenait  ensemble,  mais  qui,  au  premier  faux  pas,  au 
premier  accès  de  vertige,  devait  les  entraîner  tous  trois  dans 
l'abtmc  et  entraînera  peut-être  aussi  dans  le  même  gouffre 
la  cordée  qui  les  suivait? 

Sans  doute  jusqu'à  présent  votre  Triple  Alliance  a  suivi 
Hérement  et  sûrement  son  chemin,  et  maintenant  encore, 
vous.  Allemands,  avec  le  seul  allié  qui  vous  soit  resté 
Hdèle,  vous  marchez  de  victoire  en  victoire.  Mais  vos  enne- 
mis sont  nombreux.  Ils  sont  pui.ssants  et  opiniâtres.  Ils 
vengeront  vos  nouvelles  actions  de  guerre  par  des  actions 
plus  graves  encore.   Et  si  vous  les  vainquez  tous,  vous  de- 


vrez  prendre  d'autant  plus  g^arde  à  l'ennemi  intcTÎeur  de 
tout  vainqueur,  la  folie  des  grand-  K'  *  ^'mssstaats- 
li^ahn). 

C'est  cette  folie  qui  (^tend  la  main  pour  saisir  le  patri- 
moine ancien  ou  le  territoire  honnêtement  acquis  des  vain- 
cus, ainsi  que  le  sol  des  petits  Etats  paciHques.  C'est  elle 
qui,  à  l'intérieur,  accroît  jusqu'à  l'intini  la  puissance  des 
trouvernants  et  de  leurs  instruments.  Car  la  puissance  est 
mauvaise  et  engendre  le  mal.  A  côté  de  quelques  encoura- 
^-ements  (grandioses  à  la  science,  l'art  et  la  technique,  elle 
favorise  l'oppression  des  doctrines  et  des  convictions  qui  ne 
plaisent  pas  en  haut  lieu,  des  idées  dissidentes  et  des  opi- 
nions indépendantes.  La  guerre  favorise  cette  oppression, 
cette  adaptation  obligatoire  de  l'individu  aux  idées  rétro- 
g^rades  des  puissants  et  des  dirigeants. 

Après  ce  réquisitoire  sévère,  le  professeur  Vetter  en  arrive  à  la 
conclusion  : 

Voilà  pourquoi,  nous  Suisses  allemands,  après  les  fruits 
de  cette  guerre  qui  est  la  vôtre,  si  brillants  qu'ils  puissent 
paraître  à  l'extérieur,  nous  ne  pouvons  pas  nous  placer  sans 
réserve  à  votre  côté.  Quant  à  ce  que  dans  votre  appel  vous 
vantez  comme  démocratie  :  l'union  de  toutes  les  classes  et 
de  tous  les  partis  en  vue  de  la  défense  commune  contre 
l'ennemi  extérieur,  nous  pouvons  bien  l'admirer  ;  mais 
nous  ne  pouvons  lui  accorder  notre  sympathie  que  si  ces 
efforts  et  ces  .sacrifices  immenses  profitent  au  peuple  et  à 
son  émancipation  spirituelle. 

Vous  avez,  monsieur  et  cher  collègue,  invoqué  notre  ger- 
manisme. Et  nous,  Suisses  allemands,  nous  le  confessons 
volontiers.  Vous  voulez  en  même  temps  respecter  notre 
neutralité,  tant  que  nous  pouvons  la  conserver  vis-à-vis  de 


—  74  — 

notre  conscience  g^ermanique.  Mais  cette  neutralité  ne  nous 
inspire  pas  seulement  une  sincérité  absolue  vis-à-vis  de 
vous  comme  vis-à-vis  d*amis.  Elle  nous  impose  aussi  U 
justice  vis-à-vis  de  vos  ennemis,  quand  leurs  droits  sonl 
foulés  aux  pieds,  et  la  justice  vis-à-vis  de  nos  Confédérés 
dont  les  sympathies  vont  tout  naturellement  en  partie  à  vos 
ennemis. 

Nous  avons  besoin  de  l'appui  de  ces  Confédérés  pour  ré- 
soudre notre  tâche  commune.  Celte  tâche  consiste  à  oppo- 
ser, m^me  pendant  cette  guerre,  à  l'Europe  monarchique  et 
chauvine,  divisée  par  les  oppositions  de  races  et  de  religions, 
la  pensée  du  libre  développement  de  l'esprit  libre  dans  de 
petites  communautés  indépendantes,  la  pensée  des  Etats- 
Unis  d'Europe.  Et  cette  neutralité-là,  nous  pouvons  et  de- 
vons la  conserver  non  seulement  devant  notre  conscience 
germanique,  mais  devant  notre  conscience  humaine,  qui 
élève  la  voix  chaque  fois  que  les  biens  les  plus  nobles  de 
notre  race  sont  en  jeu,  lorsqu'une  grande  nation  défend  sa 
force  contre  l'envie  et  le  mépris  des  adversaires,  comme 
lorsqu'un  petit  peuple  lutte  pour  ses  droits  et  y  perd  les 
biens  sacrés  du  passé  ;  là  où  les  partis  ennemis  s'unissent 
au  service  de  la  patrie  et  là  où  la  pensée  libre  opprimée  se 
révolte  contre  l'arbitraire  et  contre  la  convention... 

Prof.  F.  Vetter. 

[Tagwacht  du  6  septembre,  traduction  du  Journal  de  Genèoe 
du  II  septembre.) 


PHOK.    FERDINAND    VETTKH 
de  Berne. 

La  cathédrale  de  Reims. 

Le  g^ve  dommage  et  la  menace  plus  grave  encore  cau- 
sés à  la  cathédrale  de  Reims,  qui  n'est  pas  seulement  chère 
à  tout  Français,  mais  à  tout  ami  de  l'art,  n'ont  vraisem- 
blablement pas  été  voulus  par  l'état-major  allemand  ;  la 
faute  immédiate  en  est  aux  échafaudages  de  la  façade  nord- 
ouest,  qui,  atteints  par  le  feu,  l'ont  communique'  à  la  char- 
pente des  toits.  Mais  que  c'ait  été  là  «  un  accident  qu'on  ne 
pouvait  g"uère  prévoir»,  est  une  explication  qu'on  ne  peut 
g-uère  accepter  comme  excuse.  Le  général  allemand  devait 
voir  le  massif  échafaudage  et  mesurer  le  danger  de  l'incen- 
die pour  le  monument.  Il  ne  devait  pas  se  poser  la  question 
de  Theobald  Ziegler  (dans  le  Bund  du  8  octobre)  :  «  Les 
monuments  ou  les  hommes?»;  mais  il  devait  se  dire:  «Je 
suis  tenu  d'épargner  les  monuments  comme  les  hommes 
sans  défense  :  je  ne  tire  pas  sur  eux,  même  si  cela  doit  me 
coûter  d'autres  vies  :  carj 'accomplis  ainsi  mon  devoir  envers 
ce  sanctuaire  artistique,  national,  international  ».  La  des- 
truction d'un  grand  chef-d'œuvre  de  l'art  représente  l'anéan- 
tissement d'une  telle  somme  de  bonheur  pour  le  présent  et 
l'avenir  le  plus  lointain  que  le  salut  de  quelques  vies 
humaines  ne  peut  balancer  une  telle  perte.  La  vie  n*a  de 
prix  que  par  ce  qui  élève  au  dessus  de  la  vie.  Les  monu- 
ments sont  donc  sous  la  protection  de  la  Croix-Rouge, 
comme  les  hôpitaux,  même  s'ils  abritent  une  armée  et  doi- 
vent occasionner  des  sacrifices.  Quand  même  une  telle  con.s- 
truction  serait  fautivement  employée  comme  poste  d'obser- 
vation, ainsi  qu'on  l'a   prétendu  pour  Reims,   l'assaillant 


—  70  — 

i]ui  a  souii  ilu  renom  de  son  peuple,  doil  d'autant  plus 
montrer  au  présent  et  à  la  postérité  qu'en  éparii^nant  une 
«euvre  irréparable,  son  peuple  est  le  plus  grand,  le  plus 
cultivé,  le  plus  humain.  Ainsi,  il  lui  rend  un  service  plus 
inoubliable  qu'en  se  préservant,  lui  et  ses  troupes,  qui  ont 
déjA  par  le  sacrifice  de  leur  vie  à  la  patrie,  d'une  mort  glo- 
rieuse, par  l'incendie  des  sanctuaires  de  l'ennemi,  qui  pro- 
voquera plus  lard  d'innombrables  vengeances... 

Suit  le  procès-verbal  officiel  des  dégâts  causés  à  la 
cathédrale  de  Reims  par  le  bombardement  et  l'incendie 
des  iS-iQ  septembre  *. 

...Le  dommage  moral  causé  à  l'Allemagne  par  des  faits 
comme  ceux  de  Reims  et  de  Louvain,  nous  semble  avoir 
été  évalué  trop  faiblement  par  les  générau.x  allemands,  en 
comparaison  des  avantages  stratégiques  momentanés.  Ce 
nous  semble  le  devoir  des  neutres,  qui  entendent  les  voix 
des  deux  parties,  d'élever  eux-mêmes  la  voix  pour  dire  : 
«Prends  garde!»  même  si  personne  ne  veut  les  écouter. 
Dans  le  même  journal  de  Paris,  qui  représente  les  ruines 
de  Louvain  avec  un  groupe  d'officiers  allemands  qui  les 
contemplent  avec  satisfaction,  un  témoin  qualifie  la  dévas- 
tation de  la  cathédrale  de  Reims  d*un  des  plus  grands 
attentats  de  l'histoire  du  monde,  et  en  nomme  les  auteurs 
les  Vandales  moderneSy  les  Gildod  Huns.  Quand  a-t-on 
jamais  entendu  parler  de  tels  actes  allemands,  en  1813,  ou 
en  1870?  Et  ils  porteront  leurs  fruits  I  Les  statues  décapi- 

•  Voir  p.  41,  le  procès-rerbal  du  maire  de   Reims  et  de  l'anhi*     ' 
l<x:al  des  monuments  histori(|U(*s,  2.)  septembre   191i.   .M.  Ferd.  ' 
renvoie,  pour  plus  de  dëlails,  aux  photo^aphies  reproduites  par  1  inu*- 

n    du  i6  septembre,    la  Guerre   mondiale  du  8   octobre,    et    la 

riter  lllusirirrie  Zeitung,  du  10  octobrc. 


iées  lie  la  reine  de  Saba,  de  saint  Rémy,  qui  baptisa  en 
celte  place  le  premier  roi  de  France,  la  ruine  de  l'éjoi^lige 
du  couronnement  de  ses  successeurs,  où  la  I^ucelle  porta 
devant  son  roi  la  bannière  de  la  victoire  —  tout  cela  parle 
au  peuple  français  une  lanti^ue  émouvante,  qui  ne  sera  pas 
étouffée,  ni^mc  (|uand  on  aura  remédi(^  aux  dc^gàts  du  bom- 
bardement, comme  d'un  tremblement  de  terre,  et  que  les 
autres  blessures  de  cette  (guerre  seront  cicatrisées.  Qui  se 
sent  appartenir,  d'esprit,  à  la  race  allemande,  qui  souhaite 
de  tout  son  cœur  la  victoire  à  fesprit  allemand,  doit  former 
l'ardent  espoir  qu'une  destruction  de  Louvain,  un  l)ombar- 
dement  de  Reims,  seront  à  l'avenir  évités  à  tout  prix.  On  a 
plaisir  à  entendre  dire  à  W.  von  Boda  (Neue  Z archer  Zei- 
tungt  8  octobre)  que  «la  protection  des  monuments  doit 
s'exercer  en  pays  ennemi,  comme  en  son  pays  propre»,  on 
respire,  quand  on  lit  que  la  cathédrale  d'Anvers  n'a  pas  été 
bombardée.  Mais  les  trésors  de  l'humanité  ne  seront  en 
silrelé  que  sous  la  protection  internationale  d'une  Croix- 
Rouge  pour  l'art  et  pour  la  science,  dont  la  bannière  flot- 
tant au  dessus  d'eux  j^arantira  aux  œuvres  (h'  IV-^prit  1»* 
respect  qui  leur  est  dû  par  le  monde  entier. 

Prof.  Ferdinand   Vetter. 

{Z Archer  Posl,  15  octobre  1914,   traduction  du  Journal  de 
Genève.) 


-  78  — 

PROTESTATION  DE  LA  SOCIÉTÉ  VAUDOISE  DES 
INGÉNIEURS  ET  DES  ARCHITECTES 

On  nous  communique  la  protestation  suivante  : 

«  La  Société  vaudoise  des  ing"énieurs  et  des  architectes, 
dans  sa  séance  du  14  novembre  1914,  a  décidé  d'exprimer 
publiquement  le  sentiment  d'indig'nation  que  lui  a  causé  la 
destruction  sacrilège,  au  cours  de  la  {guerre  actuelle,  de 
chefs-d'œuvre  dont  la  perte  est  irréparable. 

»  Etrang"ère  à  tout  parti  pris  politique,  elle  ne  veut  consi- 
dérer que  la  cause  de  l'art  et  de  la  civilisation  et  tient  à  libérer 
sa  conscience  en  faisant  entendre  sa  protestation. 

»  Elle  souhaite  ardemment  qu'un  mouvement  d'opinion 
se  déclare  dans  tous  les  peuples  pour  prévenir  le  retour  de 
dévastations  inutiles  et  imposer  à  chacun  le  respect  des  mer- 
veilles que  tous  les  âg-es  ont  entourées  de  leur  vénération. 

Le  Comité,  y^ 

PROTESTATION  DES  PEINTRES,  SCULPTEURS 
ET  ARCHITECTES  GENEVOIS 

Le  sculpteur  James  Vibert,  président  de  la  section  de 
Genève  de  la  Société  des  peintres,  sculpteurs  et  architectes 
suisses,  a  adressé  au  président  de  la  République  française 
et  au  président  du  gouvernement  belge,  le  texte  de  la  motion 
suivante  votée  par  la  section  de  Genève  : 

«  A  l'unanimité,  la  section  de  Genève  de  la  Société  des 
peintres,  sculpteurs  et  architectes  suisses,  s'appujant  sur 
des  documents  irréfutables,  envoie  aux  artistes  belges  et 
français  sa  protestation  émue  contre  la  destruction  systé- 
matique par  les  Allemands  des  œuvres  d'art  en  Belgique  et 
en  France.  » 

(Suivent  une  trentaite  de  signatures.) 


—  70  — 

PROTESTATION  SUISSE 
CONTRE  LE  BOMBAUDEMEiNT  DE  REIMS 

Les  soussignés,  citoyens  suisses,  violemment  émus  par 
lattentat  injustifié  contre  la  cathédrale  de  Reims,  surve- 
nant après  l'incendie  volontaire  des  richesses  historiques  et 
scientifiques  de  Louvain,  réprouvent  de  toutes  leurs  forces  un 
acte  de  barbarie  qui  atteint  l'humanité  entière  dans  un  des 
plus  nobles  témoins  de  sa  g-randeur  morale  et  artistique  : 

Mme  Ch.  Achard.  Adaisbourg.  Louis-G.  Ador.  W.  Andrist, 
journaliste.  Cari  An^t,  sculpteur.  Ernest  Aosermet,  musicien. 
Alexis  Arg^enton,  Terrilet.  M.  et  Mme  J.  Arlaud,  Chéne-Bourg. 
A.  Arzani.  Blanche  Aubert,  Cécile  Auberl,  Jean  Aubert,  Jules 
Aubert,  Lucien  Aubert,  à  Vevey.  Paul  Aubert,  Henri  Aubert,  à 
Clarens. 

Fritz  Bach,  compositeur  de  musique,  Nyon.  J.  Bachelin.  Louis 
Badan,  néiçociant.  Louis  Badan,  restaurateur,  Versoix.  Alice 
Bailly,  peintre.  Adrien  Bally,  voyageur,  Genève.  Ch.  Banquis. 
Marie  Barbé,  Landeron.  F.  Barth.  Ant.  Bastard.  Auguste  Bas- 
tard,  peintre.  VV.  Bastard,  organiste.  Dr  E.  Batault.  Mme  E. 
Batault.  G.  Batault,  homme  de  lettres.  A.  Battand.  Mme  G. 
Battand.  Maurice  Baud,  homme  de  lettres,  peintre.  Daniel  Baud- 
Bovy,  directeur  de  l'Ecole  des  Beaux-Arts  de  Genève.  H.  Baud. 
Jean  Bauler,  publiciste,  Berne.  J.  Baumgartner-Pourrat.  Ed. 
Bauty,  rédacteur  en  chef  de  la  Tribune  de  Genève.  François 
Beauverd,  architecte,  Lausanne.  Maurice  Bedot,  directeur  du 
Musée  d'Histoire  naturelle  de  Genève.  F.  Benner,  photographe. 
E.  Benoit.  Béranger.  Hélène  Béranger.  Alphonse  Bernard.  Wil. 
liam  Bernard,  homme  de  lettres.  Armand  Berny,  Genève.  Sacha 
Bemhard.  L.  Berthod,  ingénieur.  Edouard  Bertrand,  jardinier. 
G.  Bertrand.  Aug.  Berthier,  ingénieur,  ConHgnon.  J.  Bcsse- 
Junod,  Ste-Croix.  Dr  Besson.  A.  Bettex.  Alice  Bcttex.  M.  Bettex. 
G.  Betz.  M.  Beiz.  C.  Beyelcr,  Neuchâtel.  L,  Bicherraz.  Jean 
Biedermann,  libraire-éditeur,  Lausanne.  Bieler.  D.  Bieler,  (>as- 
ttur.  Dr  C.  Biermann,  professeur  au  Collège  classique  de  Lau- 


—  W)  — 

sADoe.  Adçc  BigogDO,  entrepreneur.  Henry  BischofF,  peintre. 
Charles  Blanc,  Lausanne.  A.  Blanchet,  peintre.  Krnest  Bloch, 
compositeur.  Blondin,  professeur  à  l'Kcole  des  Arts  industriels. 
Bochud,  instituteur,  Vevey.  Bocquet,  professeur  à  l'Ecole  des 
Bcaux-Arts  de  Genève.  Louis  Bogey,  conservateur  des  Biblio* 
tbèques  de  la  Ville.  Albert  Hohy,  architecte,  Genève.  Paul 
Boillat,  Deicmont.  L.  Boillet.  Jacques  Bois,  ingénieur-adjoint 
de  la  Ville.  Fréd.  Boissonnas,  photographe-éditeur.  P.  Boittat, 
caissier 'Comptable,  Deléniont.  Ernest  Bolomey.  IL  Bolle.  Emile 
Bonjour,  conservateur  du  Musée  de  peinture,  Lausanne.  Dr  Bon- 
jour, professeur.  F.  Bonnet.  Georiçes  Bunnard,  professeur  au 
Collèfi^e  et  au  Gymnase  classiques  de  Lausanne.  F.  Boo,  employé. 
Frédéric  Borel,  Pressy.  L.-H.  Boreljing-énieur,  Peseux-Neuchâtel. 
r.harles  Borgeaud,  professeur  d'histoire.  Léon  Bory,  banquier, 
I^usanne.  Bossux.  Maurice  Boubier,  Drès-sciences,  professeur  à 
rKcole  secondaire  déjeunes  filles  de  Genève.  IL  Bouët,  organiste. 
Df  Bourcart.  Mme  Bourgeois.  A.  Bouvier.  Ginette  Bouvier,  Col- 
longes-Bcllerive.  Jean  Bouvier,  secrétaire  du  service  municipal  des 
Musées  et  Collections.  Paul  Bouvier,  architecte,  Neuchâtel.  Bou- 
vier, professeur  àl'Ecole  des  Arts  industriels.  Adrien  Bovy,  conser- 
vateurdu  .Musée  des  Beau.x-.\rts  deGenève.  Fernand  Bovy,  peintre. 
Léon  Bovy,  architecte.  Paul  Bratschi.  F.  Brazzola,  ingénieur. 
L.  Brazzola,  architecte.  Robert  Bridel.  E.  Briod,  président  de  la 
Société  pédagogique  de  la  Suisse  romande.  Aug.  Bron.  Alfred 
Bruderli.  A.  Brun,  Dr  ès-sciences  (volcanologue).  Lucien  Brunel. 
Louis  Brutsch,  licencié  ès-lettres.  Edwin  Bûcher,  sculpteur, 
Lucerne.  André  Bûcher,  ciseleur,  Lucerne.  Gustave  Buchet, 
peintre.  Paul  Budry,  professeur,  co-directeur  des  Cahiers  Vau- 
tiois.  Dr  Ed.  Bugnion,  professeur  à  l'Université  de  Lausanne. 
.Mme  Bugnion-de  Lagouarde,  Blonay.  Hené  Bugnion.  C.  Bujaud. 
Henri  Bulliot,  président  de  la  Fédération  montagnarde  g^ene- 
V  .ise.  E.  Burnand,  peintre.  H.  Burnand,  professeur.  Jean  Bumat. 
J    Burford.  Fernand  Buttin,  avoait,  Yverdon.  L.  Buttin. 

A.  Cacheux, professeur  à  l'Ecole  des  Arts  industriels.  IL  Cailler, 
bibliothécaire  de  la  Société  suisse  de  numismatique.  Calame. 
Alexandre  Camoictti,  architecte,  professeur  à  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts  de  (îenère.  J.  Caod,  Yverdon.  Caniery,  professeur  k  l'Ecole 


>         — 


lies  Arta  industriels.  Raoul  Capt  de  la  Falconnière.  D'  Campart. 
C.  Clarlcrct,  professeur  à  TKroie  des  Beaux- Arts  de  Genève. 
Alfred  (lartier,  directeur  général  du  .Musée  d'art  et  d'histoire  de 
lienéve.  Mari^uerite  Cartier,  Vevey.  Félix  Cardinaux,  l^usanne. 
A.  Cavin.  Ch.  Caviu,  nèf^ociant.  D'  K.  de  Cérenville,  profe-sseur 
honoraire  à  rUuiversité  de  l^usanne.  Kniile  Cbaix.  Félix  CbaflPet, 
au  Menuet,  (jenéve.  Ami  Chanlro.  Marc  Chantre.  Louis  Chamay, 
technicien.  Philippe  Chanal,  représentant  de  commerce,  Genève. 
Clutppuis.  ilenri-J.  (^happuis,  administrateur  de  la  Soi  i 
r;ile    (i'iiujtriinerie.     PauMî.    Chappuis,    étudiant    en    ; 

jniis,  prnfevseur  à  l'Kcolc  des  Arts  industriels.  E.  t^hapui», 
iiis.  Mme  Charles  Chapuis,  l^usannt*.  Mme  Charles  Chapuis, 
Genève.  I^uis  Châtillon,  artiste  |>einlre.  Gustave  Chaudet.  Mar- 
guerite Chautems-Demont,  violoniste.  F.  Chavannes,  homme  de 
lettres.  Chavanne.  F.  Chédel,  horloger,  1^  Chaux-de-Fonds.  Jac- 
ques Chenevière,  homme  de  lettres.  Dr  Chéridjian.  Ed.  Chevallaz, 
architecte.  Ed.  Cherix,  rédacteur  du  Journal  deXijon.  G.  Chessex, 
architecte.  Charles  Chessex.  Pietro  Chiesa.  A.  Chiocca.  Philippe 
Chuit,  I)r  ès-siriences,  l*etit-Lancy.  Jules  Chollex.  Alexandre 
Cingria,  homme  de  lettres,  peintre.  Ed.  Claparède,  professeur  à 
l'Université  de  Genève.  M.  .Vuguste  Chivel,  Genève.  .Mme  Marie 
(Uavel.  E.  Clément.  Charles  Cless,  géomètre,  Genève.  François 
Cloux,  Lausanne.  Ed.  Combe,  rédacteur  à  la  Gazette  de  Lau- 
sanne. Jacques  Combe.  Charles  Comte,  I^uis  Comte  et  Marcel 
'•',  Genève.  Emile  Constantin.  J.  Copponex.  (^h.  Cornaz,  ins- 
>ir  du  matériel  scolaire,  NeuchAtel.  Ernest  Correvon,  avocat. 
Alfred  Cossy.  Mlle  Cottier.  L.  Court,  représentant,  Genève. 
Louis-J.  Courtois,  privat-doccnt  à  l'Université.  Léon  Coutureaux. 
Haoul  Coutureaux.  Crépieux.  A.  Crombac.  Jules  Crosnier,  pro- 
fesseur à  l'Ecole  des  Beaux-Arts  de  Genève.  H.  Cuendet.  Em. 
Cuénod,  entrepreneur.  L.  Curtat,  peintre. 

Daïon,  Df  en  médecine.  .Vndré  Dardel.  Henri  Darel.  Mme  Th. 
Darel.  J.  E'  David,  rédacteur   ïaGaret/ede  Lausanne.  L.  Debarge, 
ilirrcleur  de  la  Semaine  littéraire.  Horace  Decoppet,  Yverdon. 
Alfred  Decombaz,  Lausanne.  J.  Dclachnux.  Alfred  Delafontaine. 
Jean  Dclapierre,  Berthoud.  P.  Déléamont,  architecte.  André 
Delhorbe,  homme  de  lettres.   F'*'"  i»..i..^    ««rr,;»^;,...  ,u  i.  iv-l,:. 

IX>UVAIN...   REIMS  II 


—   H'J     - 

ration  internationale  pour  le  repos  du  dimanche.  Joseph  Dema- 
gistri,  entrepreneur  de  peinture.  Dr  Paul  Demiévillc,  professeur 
à  l'Université  de  Lausanne.  Dr  E,  Demiéville,  V^illars-sur-OUon. 
Eugène  Deniole,  conservateur  du  Cabinet  de  numismatique,  Ge- 
nève. E.  Démolis.  Julia  Demont,  cantatrice.  Charles  Denizot, 
artiste  lyrique,  Genève.  G.  Dériaz,  professeur  à  l'Ecole  des 
Beaux-Arts  de  Genève.  H.  DesauUes,  Montreux.  H.  Dessemontet. 
V.  Dessemontet.  Lucien  Désert,  secrétaire  au  Département  des 
Finances.  Camille  Devegnez.  M.Divorne.  Charles  Dœlker.  G.  Dol- 
der.  Ed.  Doit.  C.  Dombola.  J.  Dompmartin.  Félix  Dovat,  direc- 
teur du  chantier  d'assistance.  Donzallaz.  Gustave  Doret,  compo- 
siteur. A.  van  Dorsser,  architecte,  I^usanne.  Jules  Dubois, 
professeur.  C.  Duboux,  Genève.  Arthur  Ducrel-Wertheimer, 
sculpteur.  E.  Dufour,  typographe.  Théophile  Dufour,  directeur 
honoraire  des  Archives  et  de  la  Bibliothèque  de  Genève,  ancien 
président  de  la  Cour  de  justice.  F.  Dumas,  architecte,  Romont. 
Emile  Dumont,  professeur  de  dessin  à  l'Ecole  des  Arts  et  Métiers. 
Ernest  Dumont,  architecte.  Louis  Dumur,  homme  de  lettres. 
L*  Dunki,  professeur  à  l'Ecole  des  Brau.x-Arts  de  Genève.  Charles 
Du{)errex.  J.  Duplain,  directeur  de  la  Suisse  lihérale,  Neuchàtcl. 
Jean  Duren,  Gryon.  Louis  Duret.  Albert  Duruz  (Solandieu)  Sion. 
Emile  Dusseiller,  ancien  professeur,  curé  de  Notre-Dame.  Euif. 
Duvoisin. 

Charles    Eberbach.    Henri    Eggimann,    dessinateur-architecte, 
Lausanne.  A.  Et^li,  professeur.  Charles  Egli.  Jean   Ellenberger. 
Henri  Emmel.  Dr  d'Esternod,  professeur.  D.  Estoppey,  professeur 
à  l'Ecole  des  Beaux-Arts  de  Genève.   H.  Eternoil,  Mlle   Eteriiod 
Yverdon.  Marcelle  Eyris,  femme  de  lettres,  Genève, 

Alfred  Faes,  Carouge.  Henri  Faes.  Mme  Maria  Fae>.  J  iu>.ii- 
ger,  ingénieur.  Hené  Favey,  Lausanne.  Charles  Favez,  professeur 
au  Collège  de  Montreux.  M.  Favez,  homme  de  lettres.  Victor 
Favral,  rédacteur  à  /m  lievue  de  I^usanne.  E.  Favre,  entrepre- 
neur. Mlle  Marguerite  Favre.  Philippe  Favre.  masseur.  S.  Ferricr, 
Genève.  Mme  Anna  Ferrini-Kevilliod.  (.olonel  F.  Feyier,  profes- 
seur k  l'Ecole  polytechni(jue  fédérale,  directeur  de  la  lienue  mili- 
taire tuisse.  Edouard  Fivaz,  industriel.  G.  Fleuty.  L.  Florentin. 
D.  Pôel.  Vincent  Foiçliasso,  artiste  musicien.  Joseph  Fontana,  nr- 


—  83  — 

chitecte,  Genève.  M.  Alexis  Forel,  peintre  et  graveur.  Mme  Alexis 
Forel.  L.  Forestier.  Fr.  Praisot.  René  Francillon,  peintre.  G.-C. 
Fuisen,  Berthoud. 

J.  Gati^liartlini,  entrepreneur.  Armand  (iaille,  pharmacien, 
St-Aubin  (.NeucbAtel).  Gustave  Gaillard,  négociant,  Chilien.  Sam. 
Gaillard.  H.  Gallay,  professeur  à  l'Ecole  des  Beaux-ArUde  Genève. 
Léon  Galley,  Fribourg,  ex-prof,  de  gymnastique  k  Keims,  mem- 
bre d'honneur  de  la  Gauloise.  A.  Gamboni,  avocat.  Ganty,  ingé- 
nieur. Henri  Garcin,  architecte.  Frédéric  Gardy,  directeur  de  la 
Bibliothèque  de  la  Ville  de  Genève.  Ed.  Gasser,  architecte. 
Mlle  Louise  Gaud,  artiste  peintre,  professeur.  Emile  Gautier. 
Dr  Gay,  Gaspard  Gay.  Ferdinand-Godefroid  Gentil.  Paul-Victor 
(ierber,  docteur  ès-scienccs,  Homainmotier.  M.  Gerbcr,  Berthoud. 
Louis  Gianoli,  artiste  peintre.  Edmond  Gilliard,  professeur, 
codirecteur  des  Cahiers  Vuudois,  Eug.  Gilliard,  professeur  à 
l'Ecole  des  Beaux-Arts  de  Genève.  Frédéric  Gilliard,  architecte. 
Louis  Gindroz.  Jean  Giovanna,  architecte,  .Monlreux.  D'  A.  Gi- 
rardet,  Lausanne.  A.  Girgensen,  Berthoud.  Gabrielle  Girod, 
peintre.  Giuliatorres.  Frédéric  Godet,  architecte.  Ph.  Godet, 
homme  de  lettres.  jEgmond  Gœgg,  président  de  la  Société  de 
Géographie  de  Genève.  Dr  E.  Gœtz.  Prof.  Charles-E.  Gogler, 
St-Imier.  Georges  Golay,  homme  de  lettres.  J.  Feréol-Golay. 
P.  Golaz,  ingénieur.  Henry  Goudet,  étudiant,  Genève.  G.  Goncet, 
Yverdon.  P.  Grandchamp.  Baron  de  Graffenried-Villars,  Château 
de  Villars  par  Morat.  Henri  Grandgcorge,  banquier.  Dr  Grand- 
jean.  .Marguerite  Grandjean.  C.  Grandjean.  Dr  Ed.  Grandjean. 
Edm.  Grandjean,  Bis.  Louise  Grandjean.  Louis  Gra'ser,  profes- 
seur au  Collège  classique  de  Lausanne.  L.  Greiner.  Pierre  Grellet^ 
journaliste.  Gricshaber.  Mme  Grimardias,  coiffeuse,  Genève. 
Louis  Grisel,  La  Chaux-de-Fonds.  Benjamin  Grivel,  professeur 
au  Collège  classique  de  Lausanne.  J.  Grobet,  directeur  de  l'Office 
commercial.  .Mme  Gros.  Mlle  Lucy  Gros.  Julien  Gruaz.  Guibentif, 
professeur  à  TEcole  des  Arts  industriels.  A.  Guigon.  Antoine 
Guilland.  A.  Guillot,  pasteur.  M.  de  Gumoêns,  Dr  en  droit. 
Mme  et  .Mlle  de  Gumoëns,  Lausanne.  Louis-S.  Gunzburger, 
«  ienève.  A.  Gûpfert,  architecte.  D'  P.  Guisan.  H.  Guisan.  Eve 
(îuisan    ('.  Guisa"    F    <;.i;co,. 


J.  Iv.  lial)«Tj;«lin,  peintr»*,  i  vimtMi.  ilecim  liabitrli,  Icclinicien. 
Edouard  lia^iiimerli,  arch.,  Lausanne.  Blanche  Hahn,  Veytaux. 
Albert  de  Haller,  pasteur,  (jeoriçes  ilantz,  directeur  du  Musé« 
des  arts  décoratifs.  Amcdée  de  la  Harpe.  Charles  Hébert,  artiste 
peintre.  Henri  Hébert,  professeur  à  l'Ecole  des  Beau.x-Arts  de 
Genève.  Jos.  Heizrnaiin  K.  Henchoz,  .Montreu.x.  L.  Heony. 
C.  Hentsch.  .Alfred  Hcrmann.  H.  Hermenjat.  A.  Heydel,  archi- 
tecte. Alexandre  Hirsch.  Jules  Hirsch,  fabricant  d'horloi^erie, 
Cbau.x-de-Fonds.  Samuel  Hirsch.  Ferdinand  Hodier,  peintre. 
Alfred  Hœchner,  Morcote  près  Lug-ano.  Louis  Hollz,  correspon- 
dant aux  Revues  étrangères.  A.  Hu^ifuenin,  directeur  du  Lausanne 
Artistique.  Rose  Hus^uenin-Hlanc,  Lausanne.  F.  Hu^uenin, 
architecte,  Montrcux,  Ilu^uenin-Boudry,  décorateur-imagier, 
Louis  Hu^^ucnin,  photographe.  Dr  Numa  llui^uenin,  député. 
Ponts-de-.Martel.  H.  Huguenin,  Bcrthou  1.  Dr  C.  Hunibert,  méde- 
cin-adjoint de  THApital  cantonal,  privat-doceot  à  TUniversité  de 
Genève.  Charles  Humbert,  technicien.  Mme  Charles  Hutter,  La 
Chaux-de-Fonds. 

Louis  InihofP.  K,  Inderbitz,  typoîç'raphe. 

E.  Jaccard,  professeur.  René  Jaccard,  médecin-dentiste.  Sa- 
muel Jaccottet,  protesscur  au  Collège  classique  de  Lausanne. 
Jacot-Guillarmod,  professeur  h  l'Ecole  des  Arts  industriels.  Jac- 
quenoud.  Jaques-Dalcroze,  musicien.  F.  Jaquet,  négociant. 
Ja(}uet.  François  Jaquet,  rédacteur  à  VKcho  Montagnardy  Genève. 

E.  Jaquiéry.  .M.  Jaquiéry.  John  Jaquier,  Genève.  Jean  Jasselin, 
architecte,  Berne.  M.  de  Jassinsky.  J.-G.  Jassoulaitis,  Seestrasse, 
Zurich.  Fr.  Jaunin.  Léon-.\.  Jeanneret,  président  de  l'Association 
de."i  Intérêts  .Mail-Jonclion-Coulouvrenière.  Prof.  .Maurice  Jean- 
neret, Neuchâtel.  A.  Jeanrenaud,  Motiers.  H.  Jeanrenaud,  Paris. 
Mme  Rachcl  Jeaimin-Le  Coultre,  Villeneuve.  \.  Jobin,  éditeur 
de  musique.  H.  Joray,  conseiller  municipal.  Eug.  Jost,  architecte. 

F.  Julien.  Anne  Jumeau,  journaliste,  Yvonand.  .\.  Juvet.  Ed.  Jul- 
liard,  journaliste. 

C.  KalbfuBs  et  Th.  Kalbfuss,  architectes,  Lausanne.  L.  Kalb> 
fusN,  peintre,  Lausanne.  .Mlles  Kayser,  pianistes.  G.  Kernen, 
iogéuieur.  .Maurice  Kluuge,  pasteur.  Ch.-A.  Kœlla,  |>eintre. 
André  Knhler,  professeur  au   Collège  classique  de    Lausanne. 


—  8a  — 

(f.  Kohler,  artiste  p«  Dtre.  J.  Krelz-liettcmano,  imprimeur- 
éditeur.  Moudun.  Mme  et  Mlle  Kretz.  Rmmanuel  Kuhne,  rédac- 
teur eu  chef  de  la  Patrie  Suisse.  [)'  L.  Kumnier,  professeur  à 
ri'niveniité.  Alex.  Kuo/.,  professeur  au  Conservatoire.  E.  Kuoz. 
Henri  Kunz. 

John  Lachavanne,  avocat.   Nathalie  I>achenal,  artiste   peintre. 
Mme  .Marie  I^cour,  femme  de  lettres.  D*^  P.-L.  Ladame.  H.  Lador, 
professeur  à  TUniversité  de  Lausanne.  Robert  I^dermann.  Henri 
Lœser,  journaliste.  Robert  Lag'naz.  A. -II.  Lag'otala.  K.  Latr-    -- 
(ih.  Uindry.  Vve  E.  I^ndry.  John  Landry,  archilecte.  S.  Lu 
Jeanne   l^urent.    F.   Laurent.    L.    Uiverrière,   architecte.    I 
l^ya.  Gaston  Le  Cerf,  architecte.  Cienève.  Antoine  l^clerc,  ;i[ 
lecle.  L.  I^clcrc.  .Mlles  .Méry  et   l^uist;   Le  Coultre,  Villeneuve. 
.V.  Lciçeret,  professeur.  Ph.  Le  Grand  Roy.  Jacques  van  Leisen, 
architecte.    .\.    Le  .Monnier,   professeur.  P.   Leroy.  A.   Lescaze. 
.Mme  J.  Levaillant.   .Mathilde  Levaillant.   David  Lévy,  Chaux-tle- 
Fonds.   Léon  L'Huillier.   .Maurice  Liengme,  antiquaire.  V.  Lien- 
liard.   -Mme   S.    IJvache.   J.    Ix>cher.    Dr    I^ng^,   privat-docent  à 
l'Université  de  Genève.  J.  Loth_,  professeur.  G.  Loumyes,  Berne. 
L.  l^up.  .M.  Lucas,  professeur.   M.  Lus^eon,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Lausanne. 

Arthur  Maccagni.  Louis  .Maçon,  publiciste.  Alexandre  Mairet, 
professeur  d'histoire  d'art,  j)eintre.  Dr  IL  .Mallet,  médecin-adjoint 
à  la  Clinique  enfantine,  privat-docent  à  l'Université  de  Genève. 
Albert  MaLsch,  directeur  de  l'Enseignement  primaire,  professeur 
lie  pédago^^ie  à  l'Université  de  (îenève.  .Mme  de  .Mandrot.  Alfred 
Manuel,  nén^ociant.  Ch.-Gabriel  Margot,  rédacteur  au  Messager 
'le  Montreuœ.  H.  .Marguerat,  professeur  au  Collège  classique  de 
l^usanne.  Henri  .Margueron,  employé.  Ed.  Marrauld.  Marschall, 
architecte,  Genève.  Ed.  .Martin,  président  de  la  Société  pédago- 
tpque  genevoise,  F.  Martin.  Jean  .Martin,  professeur  à  l'Ecole  des 
heaux-Arts  de  Genève.  Charles  .Martinet,  directeur  du  journal 
hi  Suisse.  A.-.M.  Marullaz.  J.  Massaz.  Paul  .Massetti,  Louis 
.Mattei,  ciseleur,  Chaux-de-Fonds.  J.  .Massy.  Jules  .Mathey, 
artiste  peintre.  Marc  .Mathey-de-l'Etang,  ingénieur.  .Mme  C.-Ed. 
Matile.  Dr  Masson.  Professeur  Henri  Matter.  A.  Matthex . 
<iustave  Maunoir,  peintre.  H.  .Mauri.  Léopold  .Maurice,  ingénieur. 


—  Hr,  — 

Alcxitt  Mayur.  It.  Mu>or,  professeur  à  rUoiversité  de  Lausanne. 
Jules  Mayor,  pasteur,  Môtier-Vully.  Mayrjani,  professeur  k  l'E- 
cole des  Arts  industriels.  Charles  Méiçard,  instituteur.  Joseph 
Méti^ard,  peintre.  I)""  A.  Méfçevand.  Mme  L«  Mégevand.  Gustave 
Méiî^evaDd,  secrétaire  de  la  Chambre  de  commerce  de  Genève. 
Julien  Mellel,  professeur.  Alfred  Mercier,  privat-docent  à  l'Uni- 
versilé.  Ernest  .Méroz,  jj^raveur,  Bionne.  E.  Meier-Waridel.  Oscar 
Messerly,  géomètre.  J.-.\.  .Meslral,  Lavey-les-Bains.  .\lbert  Meyer, 
ingénieur,  Lausanne.  Georges  Meyer,  ingéoieur,  Lausanne. 
Ch.-A.  Meyer,  architecte.  P.  Meyer  de  Stadelhofen,  président  de 
la  Ligue  d'Esthéti<]ue,  liermance.  Paul  Meylan,  instituteur, 
Cologny.  B.-L.  Michoud-I-^ndry.  de  Miéville  de  Rossens.  Veuve 
Fréd.  Millict.  Maurice  Millioud.  professeur  à  l'Université  de 
Lausanne.  H.  .Mobbs,  professeur,  correspondant  du  Studio. 
Gustave  Mœkly,  éditeur,  Genève.  .Mme  Charlotte  Mohor,  artiste 
peintre,  Genève.  B.  Monaslier,  pasteur,  Belmont-sur-Yverdoo. 
Alfred  Monnier,  professeur  à  l'Université.  John  Monachon,  j>eintrf. 
L.  .Molina,  {)eintre.  Jules  Monard,  peintre.  Haoul  Moutandon, 
architecte.  !\.-Aloys  Mooser,  rédacteur  à  La  Suisse.  Jean  .Morax, 
artiste  peintre.  Heuè  .Morax,  homme  de  lettres.  Adrien  .Morcl, 
directeur  du  .Magazine,  Lausanne.  Camille  Morel,  rédacteur  de 
IS Epicier  suisse.  P.  .Morel,  ingénieur,  Zurich.  Ed.  Morerod, 
peintre.  Eug.  .Moriaud,  notaire.  Ch.  Moser.  Paul  Moulet,  sculp- 
teur. Gaston  .Mullegg,  Montreux.  A.  Mùller.  Constant  Muller, 
pharmacien.  E.  Muller.  H.  MuUer,  artiste  peintre,  Winzenberg 
(St-Gall).  Paul  Muller,  médecin-dentiste,  Chéne-Bouiiferies,  Wil- 
liam .Muller,  peintre.  Paul  Miinch,  ingénieur.  Charles  Mundinger, 
dessinateur,  Genève.  .\.  .Muret,  artiste  peintre.  Ernest  Muret,  pro- 
fesseur à  l'L'niversilé.  .Maurice  Muret,  homme  de  lettres,  rédacteur 
à  la  Gazette  de  Lausanne.  Don  Arnold  van  .Muyden,  Barcelone. 

V.  Nallet,  gérant  de  l'Association  des  commis  de  Genève. 
Mlle  Narjoud.  E.-A.  Naville,  Mauterive-Cologny.  Ch.  Neuhaus, 
rédacteur  au  Jura  Bernois^  St-Imier.  Elie  Neury,  conseiller 
municipal.  L.  Nicole,  géomètre  ofKciel.  Fréd.  Nicolel,  étudiant, 
Aigle.  O.  Nicollier,  Vcvcy.  Carlo  Novelti. 

J.  Oberhansli.  Henri  Oberthur,  l^iusanne.  Pierre  Oechslin. 
John  Orterdingor,   industriel.   Alfred   Olivet,  architecte.  Olivet, 


(>asU*ur,  C^lit^ny.  F).  Olivier,  méciinicieo.  Dr  Oltramnre,  professeur 
à  rUniversilê  de  (Jenève.  Jacques  OItramare,  licencié  en  droit.  Ch. 
Orgiazzi,  négociant.  A.  Ormond,  lianquier.  J.  Ormond,  banquier. 
Mme  l*ache.  E.  Pache.  Henri  Pache-Dclesscrt.  Alf.  Pasche. 
Mme  et  M.  Henri  Pasche.  S.  Pahnke,  peintre.  A.  Palaz,  ingé- 
nieur. C.  Panchoud.  A.  Paris,  ingénieur.  (îuatave  Parmentier, 
professeur.  .M.  Paschoud.  C.li.  ï'alois.  Albert  Pauchard.  Emile 
Paul.  .Mme  E.  Paul,  .\lice  Payot,  Vevey.  Edouard  Payot,  direc- 
teur. Gustave  Payol,  éditeur.  .Mme  I\.  Payot-.Martinct,  Lausanne. 
Samuel  Payot,  éditeur.  Emm.  !*éclard,  |)aslcur.  Marie  Péclard, 
Villeneuve.  (îeorges  Peloux,  architecte.  A.  Peneveyre.  J.  Perey. 
Dr  Perrenoud.  Adolphe  Perret.  Ch.  Perret.  J.  Perret.  M.  Perret. 
P.  Perret.  |L.  Perret-.Musy.  H.  ï*erret.  Jean  Perret,  fabricant. 
Les  Brenets.  Paul  Perret,  rédacteur  à  la  Tribune  de  Lausanne. 
Dr  Charles  Perrier,  chirurgien-adjoint  de  l'Hôpital  cantonal,  pri- 
vat-docent  à  TUniversilé  de  Genève.  .M.  Perrin,  professeur.  Marius 
Perrin,  insj>ecleur.  Germaine  Perrin,  Lausanne.  J.  Perrochon, 
instituteur.  Ed.  de  Perrot,  pasteur.  C.-A.  I*errot,  instituteur. 
Mme  .Marie  Perrot.  François  Perroux,  président  de  l'Association 
catholique  ouvrière  de  Genève.  Mme  Petitbrachard.  IL  Petitmaitre. 
L.  Petitmaitre.  Louis  Petitpierre,  négociant,  Genève.  Louis  Pezet, 
coiffeur  pour  dames,  Genève.  ^Claire  Pfeiffer,  La  Tour-de-Peilz. 
Oscar  Philip|>e,  San  Francisco.  E.  Piagel.  Ed.  Piaget.  M.  Piaget. 
.Mme  F.  Picard.  Adrien  Piccioni,  géomètre  agréé.  Ch.  Piguet- 
Fages,  conservateur  du  .Musée  de  l'Ariana,  à  Genève.  Ernest 
Pilet,  ))asteur,  Romainmotier.  Henri  Pilet.  .Mathilde  Pilicier. 
Mme  Piquerez.  John  Pisleur,  curé  national.  Eug.  Pittard,  con- 
servateur du  Musée  ethnographique  de  Genève.  Planque.  Plojou.x, 
professeur  à  l'Ecole  des  .\rts  indu.striels.  I...  Plumettaz,  libraire- 
imprimeur,  Payerne.  Antony  Pochon.  Henry  Poggi.  Paul  Pomel. 
E.  Poncet,  Boulevard  du  Théâtre,  Genève.  J.-B.  Pons,  secrétaire 
du  Conseil  municipal  de  Genève.  Jean-Pierre  Porret,  profes- 
seur, Neucbâtel.  Francis  Portier.  Camille  Pourrat,  fabricant. 
L.-L.  Pricam,  photograpfi»-  Dr  Vhl-iI^m-  Pnim»!  \(in^  A  P^- 
Frommcr,  Vevey. 

L.  Quillet,  architecte,  l^usamie. 

Frédéric   de   Babours,    avocst  et   députe  Iules   de 


—  88  — 

RâbourA,  Genève,  Madeleine  Halim,  Veylaux.  Léon  Haisin, 
archit<*cle.  Fritz  Flamseyer,  architecte.  I^éon  Hamiin,  membre 
(le  la  Presse  saisse.  L)'  O.  Hapin,  avocat,  Lausanne.  Ferdinand 
Rail,  directeur  de  THôpital  ophtalmique.  Fd.  Ravel,  professeur  à 
l'Kcole  des  Beaux-Arts  de  Genève.  F.  Req^amey.  Fdouard  Rej^el, 
his.  J.-I...  Reichlen,  pubiiciste.  Ernest  Renard.  Jules  Renevey. 
l\everchon.  IJr  Rcverdin.  Eufjène  Revuz,  professeur.  G.  Revilliod, 
architecte.  Gustave  F\eymann,  instituteur.  D»"  Reymond,  avocat. 
J.  Rev'non«l-Cheuovièrc.  Ch.  de  Rham.  Louis  Rheinez,  artiste 
peintre.  Louis  Richard,  étudiant^  Genève.  .\nna  Riederer,  Wur- 
tcmbcrgeoiftc.  Ch.  Rittcr,  artiste  peintre.  Eugène  Ritter,  profes- 
seur honoraire.  G.  Ritter  et  B.  Ru|^g-ia,  à  -Morcote-Lut^ano. 
F.  Ritzchel,  avocat,  Genève.  Mme  L.  Ritzenthaler,  saî:fe-femme, 
(ienève.  Rertoli  Rizière,  (ieorçfes  Rizzi,  dessinateur,  St-Imier. 
Jules  Rohbaz,  Carouuje.  .Viberl  Robichon.  (ilotilde  Roch,  artiste 
sculpteur.  M.  et  .MmcAlfr.  Rocliat-I*hilip[H'.  J.  Rochat.  .N.  Rochat. 
.Mme  Rochat-Uurdin.  Léopold  Rochat.  E.  f\oche,  de  l'Association 
dc«  littérateurs  indépendants.  Tonny  Roche,  rédacteur  en  chef 
du  (tftnetmis.  Henri  Rochly,  médecin-dentiste,  Nyon.  Edouard 
Rœhrich,  pasteur.  Antoine  Roiçeat,  industriel.  Noëlle  Roger. 
I/Ouis  Rolando.  .Mme  Alphonsine  Rollard.  Eugène  Rollard.  Mme 
veuve  Rollard,  Genève.  G.  Rolli,  Rerthoud.  D' (^h. -Albert  Rossé, 
fJerne.  Dr  Ed.  Rosselet,  médecin-chirurgien,  Interlaken.  Edmond 
Rossier,  professeur  à  l'Université  de  Lausanne.  A.  Rotaz,  archi- 
tecte, Lausanne.  D'  Aug.  Roud,  professeur  à  l'L'niversitè  de  Lau- 
sanne. Marcel  Rouff,  historien.  Francis  Rouge,  éditeur,  Lau- 
sanne. Alfred  Roulet.  F.  Roulet.  Mme  Roulet.  Ernest-Emile 
f\oulin,  archéologue.  I)r  VV.  Roulier,  Baulmes.  I.,ouis  Roussy. 
.Mme  Rueg,  inspectrice  des  écoles.  M.  Ruegger. 

Charles  Saillen.  Pierre  Salvotti.  Paul  Sarasin.  I).  Sarkissof, 
professeur  à  I'EcoUmIcs  Beaux-Arts  de  Genève.  .Maurice  Sarkissof. 
statuaire.  Alliert  Sauter,  régent  secondaire,  Satigny.  Horace 
de  Saussure,  artiste  peintre.  Alite  Savary,  Genève.  F.  Savary. 
M.  Scbenker.  Ed.  Schlutlcr,  graveur.  V.  Schlûtter,  Traveni. 
Charles  Schumann,  Echallens.  Albert  Schmidt,  artiste  peintre. 
Aug.  Schneegan.H,  professeur  de  diction.  Alliert  Schneider,  dessi- 
nateur-architecte,   l^ausanne.    Schnell,    architecte.    L.  Schopfer, 


—  89  - 

Yverdon.  LouU  Scosna-lloiçgi.  Fréd.  Schwab.  F.  Seidenradeii, 
pharmacien,  BcrthoiuJ.  I)""  A.  de  Seis^neux,  profcuscur.  Pau! 
Seippcl,  homme  de  lettres.  Ilobert  Serex.  Amélie  Serment. 
J.  .Serrai Mon,  employé.  Jcaii  S'it^v^,  député  au  (Conseil  national. 
A.  Silvrslrf,  professeur  à  l'Kcole  clés  Beiiux-Arts  de  Genève. 
Au^.'Ls.  Simon,  propriétaire  dr  1'»  llôt«'l  Suisse n  de  Ste-Croix. 
Fréd.-\V.  Simond.  Abhé  Kaoul  Snell,  rédacteur  en  chef  du 
Courrier  de  (ienéoe.  Société  de  Belles-lettres.  Société  genevoise 
de  l'Instruction  mutuelle.  Bené  Soïni.  Paul  SokolofT,  Chêne- 
Boui^eries.  Noémi  Soutter,  élève  de  TElcole  de  Londres.  A.  Soutter. 
F.  Spielmann,  médecin.  Henr}-  Spicss,  Cîryon.  Henri  Steiner. 
Dr  H.  Stœcklin,  Herlhoud.  M.  Stœssel.  Kodolfo  Slœssel.  Jane 
Strohl.  Bâie.  Seriçe-Baymond  Strohl,  Bâie.  Victor  Slrohl,  Bâie. 
(ieoriifes  Sumraerniattcr,  ini^^énieur,  I^usanne.  A.  Sûss,  direc- 
teur de  rilôpital  cantonal  de  (îenéve. 

Jean  Taillens,  architecte,  I^usanne.  Mme  Taniiniau,  Genève. 
Constant  Tarin,  libraire-éditenr.  A.  Taverncy,  professeur  au 
rollèsre  classique  de  Lausanne.  Vidal  Terracina,  membre  des 
Amis  de  Paris.  Teulet,  industriel,  Vich  (Vaud),  H.  Thélin,  pas- 
leur.  Thévenaz,  architecte.  E.  Thévenaz.  Paul  Thévenaz.  Frank 
Thomas,  pasteur,  Genève.  C.  Thuïs.  Charles  Tierque.  K.  Time- 
novitch,  pharmacien-chimiste.  Félicien  Ting-uely.  D'  Tissot,  doc- 
teur en  médecine,  (i.  Tissot.  Mme  Tornblad.  Touring-Club  Suisse. 
Georges  de  Traz,  peintre.  Fréd.  Treulhardt,  étudiant  en  méde- 
cine, Lausanne.  Dr  de  Trey.  G.  Trcyvaud.  Jules  Trcyvaud,  mar- 
brier-sculpteur. Tschanze.  G.  Tuetey,  professeur,  N'errières- 
>  Dr  A.  Turian. 
re  L'hlmann,  nég-ociant,  Genève. 

Edouard  Vallet,  artiste  peintre,  V>rcorin-sur-Sierre.  A.  Val- 
lotton.  Paul  Vallolt^)n,  pasteur,  Lausanne.  Adèle  Vanat-Favre. 
Louis  V^anat-Favre.  J.  Vaney,  directeur,  Genève.  Robert  Vannay, 
dessinateur,  Lausanne.  Robert  Vaucher,  correspondant  romain 
de  V Illustrât iorty  Rome.  F.-J.  Vernay,  professeur  à  l'Ecole  des 
Beaux-Arts  de  Genève.  James  Vibert,  professeur  à  l'Ecole  des 
Beaux-.\rts  de  Genève.  Dr  Veyrassat,  professeur  à  la  Faculté  de 
.Médecine.  Mme  et  M. -A.  Vial-Piccard.  J  -H.  Verrey,  architecte. 
Lausanne.  André   Vierne,  rédacteur  en  chef  de  la    Tribune  de 


—  90  — 

Lausanne.  E.  Vincent,  peintre.  Antony  Vincent,  pasteur.  Georges 
Viollirr,  homme  de  lettres.  J.  Viret,  Lausanne.  Henri  Vollen- 
weider.  Louis  Vuaj^nat,  notaire  et  député.  A.  Vulliemln,  r.'.ln.-- 
teur.  Dr  Henri  VuIIiet. 

G.  VVagnière,  directeur  du  Journal  de  Genève,  A.  ^.^  i.nnci . 
C.  Waridel.  J.  Waridel.  L.  W  aride! .  Mme  WeilL  Lcontine 
Weiss.  Dr  A.  Wellauer,  professeur.  André  Welti.  Dr  Welti. 
Paul-Ernest  Wen^^er,  correspondant  de  journaux  suisses,  Bâlc, 
Albert  Welter,  Fleurier.  Maria  Welter,  Fleurier.  Jeanne  Widmer, 
institutrice,  Môtier-Vully.  Ferdinand  Wiesand.  Albert  Willemin, 
horloger,  Bicnne.  Laure  Willemin,  Bienne.  Emile  Wilmot. 

Emile  Yung.  Louis  Yung,  professeur. 

Ch.  Zaut,  ingénieur.  Marc  Zbinden^  conservateur  du  Grand» 
Théâtre  de  Genève.  II.  de  Ziegler.  H.  Zimmermann.  Jules  Zum- 
thor,  architecte.  Paul  Zutter,  chef  de  bureau  C,  F.  F.,  Lausanne. 
Louis  Zwahlen,  industriel,  Lausanne.  Zweigart. 


ETATS-UNIS 

Liste  de  protestation  des  éi:ri vains  des  Etats-Unis^  contre 
«  the  destruction  by  the  Germans  of  monuments  and  worlu 
of  art  which  are  the  patrimony  of  civilized  humanity.» 

J.  MowBRAY  Clark 

William  Pean  Howells 

Robert  Underwood  Johnson 

Edwin  Markiiam 

Upton  Sinclair 

Lincoln  Steffens 

William  English  Walling 

UiN    APPEL    A    L  ALADhMlL  A.MLIULALNK 
DES  ARTS  ET  DES  LETTRES 

M.  Whitncy  Warren,  l'émioent  architecte  américain  dont  on 
connaît  les  énergiques  protestations  contre  le  bombardement  de 
la  cathédrale  de  Reims,  adresse  au  président  et  aux  membres  de 
riustitut  américain  des  arts  et  des  lettres,  à  New-York,  un  appel 
dont  voici  les  principaux  passages  : 

Avant  qu'il  soit  trop  tard,  j'attire,  par  votre  entr»! 
l'attention  du  peuple  américain  sur  ce  que  j'ai  pu  coosi 
afin,  s'il  est  possible,  de  sauver  quelque  chose  de  sacré  et 
de  beau  dans  les  pays  encore  occupés  par  les  Allemands. 

La  destruction  d'Ypres  était  d'une  inutilité  absolue.  La 
ville  n'avait  aucune  importance  militaire.  La  seule  raison 


qu'on  puisse  attribuer  à  ci-i  «n  ir  »!♦*  vainlaliMue,  c V.sl  la 
rage  des  Allemands  de  n'être  pas  parvenus  à  s'v  établir.  Les 
vastes  quartiers  des  résidences  ont  été  détruits,  et  cette  mer- 
veille, les  Halles  des  drapiers,  un  des  trésors  de  l'art  g'othi- 
que  flamand,  un  monument  g-randiose  par  ses  proportions 
et  par  ses  souvenirs  artistiques  et  historiques,  est  une  ruine 
qui  déHe}^  jamais  tout  espoir  de  restauration.  La  cathédrale, 
d'une  no})lesse  si  majestueuse,  est  dans  les  mêmes  condi- 
tions. Le  musée,  avec  tous  ses  trésors,  a  été  éj^alement 
brûlé. 

Il  n'y  avait  pas,  je  le  répète,  d'excuse  stralég^ique  à  ces 
destructions.  Le  général  Foch,  de  l'armée  française,  et  le 
Hi^énéral  Douglas-Haig,  de  l'armée  anglaise,  sont  absolument 
dans  l'impossibilité  de  trouver  une  raison  pour  comprendre 
la  bassesse  misérable  de  cet  acte. 

Arras  est  dans  les  mêmes  conditions  malheureuso^ 
nemi  avait  occupé  la  ville  pendant  quatre  jours,  et  c'est  en 
s'en  allant  qu'il  l'a  détruite.  La  place  charmante  construite 
pendant  l'occupation  espag-nole  et  l'hôtel  de  ville,  avec  son 
beffroi,  incomparable  de  beauté  et  d'harmonie,  ne  sont  plus 
(jue  des  ruines  /l'-loricuses.  Ce  travail  des  ^générations,  ins- 
piré par  l'amour  et  g^ardé  par  les  traditions  de  ses  citoyens 
de  tout  temps,  est  annihilé.  J'ai  constaté  personnellement 
que  les  troupes  françaises  n'occupent  pas  la  ville.  Néan- 
moins, le  jour  où  j'étais  là,  les  Allemands  ont  encore  bom- 
bardé la  cathédrale. 

Vous  êtes  au  courant  du  l>ombardement  de  Ueims  vi  liu 
.sort  de  maints  villa|^-es,  inoffensifs,  dans  l'Argfonne,  la 
.Nfeurthe,  l'Aisne  et  les  Vo.sg-es,  derrière  lesquels  les  Alle- 
mands ont  été  cha.ssés  et  qu'ils  ont  dévastés  au  de)'«  ■^" 
toutfi  description  et  de  toute  imag-ination. 

Le  code  pratiqué  par  les  Allemands  est  absolument  dt- 


—  93  — 

pourvu  d'honneur,  de  décence  ou  de  pitié.  Je  ne  dis  pa.s 
i-»!ci  contre  le  peuple  allemand.  Tous  les  i^néraux  avec  qui 
]e  me  suis  entretenu  sont  d'avis  que  probablement  le  Holdat 
allemand  est  de  la  même  mentalité  que  celle  des  alliés. 
(i'est  ù  la  tête,  c'est  aux  chefs  du  despotisme  militaire  alle- 
mand que  je  répète  ceci  :  les  Allemands  ont  un  code  systé- 
matique de  destruction,  de  terreur,  et  des  instruments  fabri- 
qués pour  le  mettre  en  vigueur  et  par  ordrCy  ceci  contrai- 
1  einent  à  tous  les  traités,  conventions,  concernant  les  lois 
le  la  guerre,  signés  par  nous,  Américains,  aussi  bien  que 
par  eux,  aux  conventions  de  In  îîr"»-  *-•  -'^  (^w.a...  f.*  sirir- 
(oment  suivis  par  les  alliés. 

Comment  les  alliés  se  conduiront-ils  en  arrivant  en  Alle- 
magne, au  moment  des  représailles  ?  Sur  ceci,  je  suis  con- 
vaincu qu'ils  se  comporteront  comme  des  hommes,  comme 
^les  soldats.  Galliéni,  Casteinau,  Foch  et  autres  avec  qui 
Tai  causé,  sont  absolument  catégoriques  et  se  portent  ga- 
rants pour  leurs  hommes  :  «  Il  n'est  pas  dans  nos  idées  de 
faire  la  guerre  de  cette  façon  ;  nos  hommes  se  conduiront 
;omme  ils  le  doivent.»  Ces  généraux  sont  des  guerriers  et 
les  généraux  sont  des  guerriers  et  des  gentilshommes;  il 
faut  ajouter  foi  à  ce  qu'ils  disent. 

N'esl-il  pas  possible,  pour  notre  peuple,  de  s'organiser  et 
•  le  protester  par  notre  président,  auprès  de  celui  qui  inspire 
toute  cette  dévastation  misérable?  Le  général  Douglas  Haig 
m'a  dit,  il  y  a  trois  jours  :  :  «  Il  est  trop  tard  pour  protes- 
ter, le  malheur  est  déjà  accompli.  »Oui,  mais  il  reste  Gand 
el  Bruges,  Bruxelles  et  Anvers,  Laon,  Noyon  et  Saint- 
Oucntin,  qui  contiennent  des  trésors  innombrables  et  pré- 
cieux, peut-être  surtout  pour  nous,  qui  avons  tant  besoin 
l'inspirations  et  de  traditions. 
Pour  l'amour  de  tout  ce  que  nous  avons  de  beau  en  nous, 


--  94  — 

pour   rhonneur  de  notre    signature,   n'est-il  pas  possible 
d'insister   pour  que  les  conventions  et  les  traités  auxquels 
nous  sommes  liés  soient  observés?  Ou  alors  n'avons-nous 
donc  plus  de  sang-  dans  les  veines? 
Croyez-moi  votre  très  obéissant. 

Whitney  Warren. 

{Le  Temps  du  20  décembre.) 


ITALIE 


APRÈS  LA  DESTRrrTîr>N   IM     II   \  \IN 


Les  soussit^nés,  journalistes  italiens,  douloureusement 
(^mus  par  la  nouvelle  de  la  destruction  de  la  ville  de  Lou- 
vain,  expriment  leur  protestation  ;  et,  sans  prétendre  d'au- 
cune façon  manquer  aux  devoirs  moraux  et  politiques  que 
la  neutralité  déclarée  de  l'Italie  impose  à  chaque  citoyen 
italien,  ils  invitent  tous  ceux  qui  se  sentent  d'accord  avec 
eux  à  envoyer,  avec  leur  protestation,  leur  carte  de  visite  à 
la  lég^ation  de  Bel|ii^ique  à  Home. 


D.  Baldacchini 

F.  Ciccotti 
L.  Coen 

A.  Gherardelli 

G.  Lignori 
G.  Marini 
A.  Novaga 
R.  Olivi 
F.  Paoloiii 

A.  ProHli 
M.  Ravasini 
F.  Rehulia 

B.  Rinaldi 

C.  Scarfog-lio 


E.  Tedeschi 
G.  Volpe 
G.  Zambelli 
G.  Amendola 
G.  I.  Falbo 
A.  Cianca 
L.  Bottazzi 
G.  Civinini 
T.  Valenli 
R.  Garinei 
N.  Quirici 
A.  Cippico 
V.  Guajda 
G.  Cassola 


G.  Quadrotta 

F.  Franchi 

G.  Mammoli 
A.  Berg-amini 
A.  Bacchiani 
G.  de  Nava 

A.  Russo 

G.  DioUllevi 

B.  Bonaretti 
N.  Battistone 
V.  Enrico. 
R.  Guerra 


—  96  — 

APRÈS  LA  DESTRUCTION  DE  LA  CATHEDRALE 
DE  REIMS 

Le  26  septembre,  sur  l'initiative  de  VAssociazione  artis- 
tica  internazionale  de  Rome,  eut  lieu  dans  les  salles  de 
l'Association,  une  réunion  solennelle  de  protestation  contre 
la  destruction  de  la  cathédrale  de  Reims.  Avaient  donné 
leur  adhésion,  toutes  les  Sociétés  artistiques  et  les  Univer- 
sités populaires  italieimes,  un  nombre  considérable  de  litté- 
rateurs, d'artistes  et  d'hommes  politiques,  parmi  lesquels 
les  honorables  Bissolati,  Gelli,  Lucifero,  Ciappi,  Oallong-a, 
Barzilaï,  les  sénateurs  Pasquale  Villari,  Monteyerde,  Vol- 
terra,  Pompeo  Molmenli.  Après  des  discours  applaudis  du 
prince  de  Cassano,  de  l'ing-.  Lanino,  de  l'avocat  Serrao,  de 
Arduino  Colasanti,  de  Cesare  Bazznni,  l'ordre  du  jour  sui- 
vant a  été  voté,  avec  acclamations  : 

Les  représentants  des  Universités^  des  Académies^  des 
Instituts  d'arts  des  Musées^  des  Pinacothèques  y  des  Con- 
servatoires musicaux  du  royaume,  des  Associations  d'art 
et  dp  culture,  et  beaucoup  d'autres  —  sénateurs,  députés, 
/lomme  de  science^  artistes —  réunis  en  assemblée  solen- 
nelle, sur  l'initiafirr  de  C Association  Artistique  Inter- 
nationale ; 

Considérant  que  déjà  dans  les  Conventions  interna- 
tionales a  été  solennellement  reconnue^  ainsi  que  l'inté- 
grité sacrée  des  hôpitaux  et  de  la  Croio/iouge,  celle 
des  monuments  artistiques  ; 

Protestent  hautement  pour  la  violation  de  tels  prin- 
cipes et  du  culte  de  la  beauté  consacrée  depuis  des 
siècles t  par  te  bombardement  d'un  des  plus  grands 
chefs'd'(puvre  de  l'architecture  et  de  la  sculpture  gofhi- 


—  \>7  — 

ques  du  mondes  et /ont  appel  non  seulement  à  toutes 
les  puissances  neutres,  ajin  qu'elles  cherchent  par  tous 
les  moyens  à /aire  respecter  les  consentions  internatio^ 
nales,  mais  à  la  nation  allemande  elle-même,  afin  quelle 
respecte  ces  monuments  qui  n'appartiennent  pas  à  un 

pfin>Ip     nini<   il  toute  r fiiiiiinitilé. 

I.ETTERATI  ED  ARTISTI  ITALIANI 
CONTRO  LA  BARBARIE  TEDESCA  A  REIMS 

L'eco  che  la  distruzione  dclla  caltcdrale  di  Reims  ha 
avuto  in  tutto  il  mondo  civile  si  traducc  in  vibratc  proleste 
di  letterati  ed  artisti  d  Europa  e  d'America.  La  ^uerra  è  di 
per  se  stessa  atroce  ed  è  j^ià  uno  sperpero  énorme  di  vite,  di 
richezze,  di  béni  perché  si  debba  a^^g-iung^re  al  suo  triste 
bilancio  anche  l'annientamento  di  opère  di  bellezza  come  la 
antichissima  cattedrale  di  Reims,  gloria  dell'arte  francese, 
g-ioia  di  tutti  i  cultori  dell  arte. 

Id  Italia,  dove  il  culto  délie  cose  artistiche  è,  qualunque 
cosa  si  vojçlia  affermare  in  contrario,  vivissimo  e  g^loso, 
dove  per  rispettare  una  casa  del  quattrocento  o  del  cinque- 
ceoto  si  lasciano  interi  quartieri  cittadini  in  uno  stato  di 
abbandonodeplorevole,  dove  intorno  ad  un  affresco  d'i^noto 
autore  si  versano  —  ed  è  Tesagerazione  —  tiumi  d'inchiostro 
e  si  accendono  polemiche  appasionate,  in  Italia,  diciamo,  il 
nuovo  vandalismo  tedesco  ha  destatosdegno,  orrore,  commo- 
zione.  E  non  possiamo  esimerci  dal  pensare  con  raccapriccio 
a  ciô  che  polrebbe  accadere  nel  nostro  paese,  cosi  ricco  di 
monumenti  d'ogni  età  e  d'og^ni  stile,  se  un*invasione  stra> 
niera,  stile  germanico,  traboccasse  dalle  Alpi  per  le  piaaure 
e  le  colHoe  nostre  ! 

LOUVAIN...  RBIMS  11  7 


—  98  — 

Le  prote.sit  i^iiiio  lu  distruzione  délia  cattedralegotica  di 
Reims  sono,  corne  abbiamo  detto,  moite  e  vibrate.  La  GaZ' 
leita  del  popolo  di  Torino,  mentre  le  accademie  e  g^li  isli- 
tuti  d  arte  protestano  per  conto  loro,  ha  interrogato  i  mag- 
g^iori  artisti  e  letterati  italiani  e  pubblica  nel  suo  numéro 
d'ieri  le  risposte  che  le  sono  parvenute.  Ne  riproduciamo 
alcune  : 

Di  Luca  Bellrami: 

La  distruzione  délia  cattodrale  di  Reims  fa  traboccare 
dairintimo  dell'animo  Taug-urio  :  Dio  concéda  la  vittoria 
alla  Francia  ! 

Di  Davide  Calendra  : 

Che  ('X)sa  posso  dirle  ?  Ogm  g-iorno  loggiamo  fatti  di  una 
enormità  inconcepibile,  quasi  realtà  di  sogni  d'incubo.  La 
triste  celebriti'i  di  Attila  è  ormai  ofTuscata  nel  la  storia.  Egli 
nacque  in  tempi  barbari  senza  conforto  di  esplosivi.  Quio- 
dici  secoli  di  progresso  ranno  la  superioritii  alTEmulo. 
Rallegriamoci  almeno  che  gli  artiglieri  d'Italia  sanno 
troncar  le  antenne  dei  pennoni  sulle  navi  nemiche,  e  ris- 
parmiar  le  moschee.  Il  gran  popolo  tedesco,  per  dimos- 
trare  la  sua  potenza,  ha  bisogno  di  bersagli  più  ampi  e  più 
preziosi.  Vorrei  sapere  che  cosa  ne  peusano  gli  artisti  pro- 
tetti  dal  Kaiser.  Udremo  la  loro  voce  nel  coro  d'idigna- 
zione  che  si  sollevu  in  tutto  il  mondo  civile?  Speriamolo, 
per  Tamore,  per  Tonore  di  quell'arte,  che  non  ha  frontière. 

Di  Alessandro  D*Ancona  . 

La  distruzione  dei  venerandi  inoiiumtMiti  tieHarte  e  délia 
storia  équivale  ad  una  sconHtta  clamorosa  sui  campi  di  bat- 
taglia,  ed  è  tanto  più  grave  perche  chi  la  commette  è  popolo 
benemerito  délia  riviltà  e  deirli  ^tndl. 


—  99  - 

Di  Piêtro  Canonica  : 

Fui  a  Reims  parecchio  tempo  ed  ogoi  ora  libéra  la  passayo 
iD  quel  tempio  meravig-lioso  chenonè  più  !  Nessuna  fotojj^- 
fia,  nessuna  descrizione  potrà  mai  dare  neanche  una  pallida 
idea  del  profondo  misticismo  in  cui  l'anima  era  obbligata  a 
rinchiudersi,  varcandola  soglia  di  quel  tempio.  Chi  non  ha 
veduto  la  ^randiositÀ  délie  sue  navale,  l'eleganza  ed  impo- 
nenza  dei  suoi  archi,  la  sua  luce  misteriosa,  quasi  tragica, 
non  saprà  immaginare  mai  quanta  potenza  d'espressione  e  di 
mistero  Tin^egnoumanoe  la  fedeabbianopotuto  concentrare 
in  una  forma  architettonica.  Nulla  puô  scusare  l'odieroo 
vandalismo,  e  chi  ne  fu  Tautore  deve  essere  maledetto  da 
Dio  e  dagli  uomini,  perché  è  necessario  che  la  civiltâ,  se 
veramente  è  degna  di  tanto  nome,  usi  la  spada  a  difesa 
délia  giustizia,  ma  non  Timpug'ni  per  la  brutalità  e  la 
distruzione  del  bello.  Per  la  conoscenza  che  ho  di  molti 
tedeschi  délia  loro  alta  coltura  e  profonda  adoriazone  per 
Tarte  sono  certo  che  qucsta  usurpazione  di  ogni  diritto 
troverà  un'eco  di  biasimo  e  di  dolore  nci  loro  cuori,  perché 
il  militarismo  imperante  délia  Germaniadi  oggi  non  devesi 
confondere  col  sentimento  di  una  nazione  che  fu  quella  di 
Goethe,  di  Beethoven  e  di  Wagner. 

Di  G.  Cesareo: 

Dopo  l'eccidio  di  Liegi,  la  distruzione  di  Lovanio  e  il 
bombardamento  di  Reims,  capisco  perché  Heine  si  vergo- 
g'nasse  di  con fessa rsi  tedesco. 

Di  Diego  A  ngeli  : 

Quello  che  sem  brava  inconcepibilead  una  mente  italiana 
♦•  stato  compiuto.  La  cattedrale  di  Reims  é  stata  distrutta 
dai  tt>deschi.  E  dico  deliberatamcnte  tedeschi  e  non  barl>ari. 


—  100  — 

perché  oessun  barbaro  mai  avrebbe  osato  un  simile  mi»- 
fatto.  Teodorico  entrato  io  Homa  conquistata  promulg[^ô  un 
edittc  sulla  conservazione  dei  monumenti  ;  Maometto  II, 
espug-natta  Costantinopoli  rispettô  la  basilica  di  SaoU 
SoHa...  E  non  vog'liono  essere  chiamati  barbari,  e  i  loro 
professori,  i  loro  uomini  politici,  i  loro  ^iornalisti  scrivoQo 
ai  nostri  professori,  ai  nostri  uomini  politici,  ai  nostri 
g'ioroalisti  per  dimostrare  che  sono  civili  e  che  vanno  alla 
g-uerra  portando  nello  zaino  i  poemi  di  Omero  e  di  Goethe. 
Ma  dopo  Louvain,  dopo  Malines,  dopo  Senlis  hanno  di- 
strutto  Reims,  hanno  annientato  cioè  una  délie  più  fulg^ide 
piètre  miliari  délia  civiltà  umana  e  raso  al  suolo  non  gïk 
una  chiesa  di  pietra  e  di  marmo,  ma  un  cimelio  vcnerabile 
che  meritava  tanto  più  grande  rispettô  in  quanto  tutte  le 
genii  civili  avevano  attitinto  di  là  un  poco  délia  loro  gloria. 
La  statue  di  Reims  non  erano  soltanto  franecsi,  ma  erano 
tedesche,  erano  italiane,  perché  la  Germania  e  l'Italia  ave- 
vano verduto  in  esse  il  primo  bagliore  délia  loro  rinascita. 
Ora  di  fronte  a  questo  atto  mostruosa  compiuto  da  ufHciali 
riparati  nelle  loro  casematte  e  non  g-ià  da  soldati  ebbri  di 
slrag'e,  dinanzi  a  questo  rivoltante  Ag'ire  da  bruti,  gli 
uomini  civili  del  mondo  hanno  il  dovere  di  trattare  costoro 
corne  bruti. 

E  Pompeo  Molmenti,  Lodovico  Pogliag-hi  et  Guido  Cirilti 
hanno  risposto  collettivamente  con  questo  g'rido  : 

Al  confronto  i  Vandali  erano  mansueti  e  civili. 

{Secolo,  i4  septembre.) 


HOLLANDE 

FRFnFniK  VAN  EEDCN 

W'aldeo,  BuMum  (Holbnde) 

.4  mes  chers  Flamands. 

Si  ma  voix  peut  encore  arriver  jusqu'à  vous  dans  votre 
angoisse,  je  veux  vous  adresser  un  salut.  Il  est  encore 
proche  de  ma  mémoire,  le  temps  où  j'étais  parmi  vous,  où 
je  parlais  dans  vos  conférences,  où  je  jouissais  de  votre 
hospitalité.  Et  maintenant!...  Voici  que  ces  belles  villes,  ce 
peuple  pacifique,  ce  pays  délicieux,  ont  été  attaqués,  violés 
delà  manière  la  plus  cruelle,  sans  justice,  sans  nécessité... 
Voici  qu'ils  ont  subi  l'offense  de  l'ennemi  et  ont  été  réduits 
à  la  dernière  extrémité  ! 

Je  ne  puis  vous  aider  par  des  actes.  Je  sens  mon  impuis- 
sance; mais  la  pensée  des  maux  qui  vous  affli((ipent  ne  me 
quitte  ni  le  jour  ni  la  nuit  et  trouble  mon  sommeil.  Cepen- 
dant, voici  quelques  mots  pour  vous  ouvrir  mon  cœur  et 
pour  vous  offrir  quelque  consolation  dans  votre  lourde 
détresse. 

Ceci  est  ma  ferme  opinion  :  Vous,  la  Belgique,  c'est  vous 
qui  avez  vaincu,  dans  le  sens  le  plus  haut,  et  nulle  victoire 
matérielle  de  l'usurpateur  ne  saurait  annuler  votre  victoire. 

Qu'a  dit  le  gouvernement  allemand  (car  le  grand  peuple 
allemand  n'est  pas  responsable  de  ce  langan^i'e)  pourjastifier 
son  acte  de  violence?  Que  l'Allemagne  était  dans  l'absolue 


—   10?  — 

nécessité  d'ag^ir  comme  elle  la  lait,  et  que  Nécesmté  ne 
connaît  pas  de  loi  !  L'existence  de  rAllëmag-ue  était  en  jeu  ; 
il  s'agissait  de  se  défendre  contre  l'agression  de  la  tyrannie 
russe,  et  devant  cette  n/'rossité,  l'intérêt  minime  de  la  Bel- 
gique devait  céder... 

Les  faits  des  mois  pa.ssés  ont  montré  la  fausseté  de  ces 
paroles.  Ce  n'était  pas  l'Allemagne,  c'était  la  Belgique  qui 
était  en  cas  d'absolue  nécessité.  Il  ne  s'agissait  pas,  en  effet, 
de  l'existence  de  rAllemap;-ne.  Qui  pourrait  jamais  exter- 
miner une  nation  de  70  millions  d'hommes?  Quelle  sottise! 
Il  y  va,  au  contraire,  de  l'existence  de  la  Belgique.  Et  pour- 
tant, malgré  cet  immense  danger,  la  Belgique  n'a  jamais 
manqué  à  son  devoir  (Gebot)  de  loyauté  et  d'honneur.  Ainsi, 
la  petite  Belgique  a  fait  ce  que  l'Allemagne  puissante  avouait 
ne  pas  pouvoir  faire  :  elle  a  maintenu  la  loi  et  la  justice, 
étant  in  hochsier  Not.  Par  cela,  la  Belgique  a  prouvé 
qu'elle  maintient,  au  prix  de  souffrances  inouïes,  une 
morale  sociale  plus  haute  que  celle  de  l'Allemagne.  Et  c'est 
pour  cette  raison  que  moi,  Hollandais,  j'aimerais  mieux 
appartenir  à  la  nation  belge  foulée  aux  pieds  qu'à  l'Alle- 
magne arrogante  et  puissante. 

Tous  les  peuples  implorent  l'aide  de  Dieu,  maintenant  ; 
mais  aucun  peuple  n'en  a  plus  le  droit  que  le  peuple  belge. 
Le  Dieu  des  plus  gros  bataillons  et  de  la  meilleure  artillerie 
aidera  votre  adversaire.  Mais  je  crois  en  un  Dieu  de  Justice 
et  d'Amour.  Celui-là  se  fait  souvent  attendre,  et  il  ne  nous 
ménage  pas  les  souffrances.  Mais,  à  la  longue,  c'est  lui  qui 
nous  donne  la  vraie  vie  spirituelle  ;  et  qu'importe  alors  que 
ce  soit  au  prix  de  tous  nos  biens  matériels  ! 

De  cette  guerre,  vous,  les  Belges,  vous  sortirez  meilleurs 
et  plus  forts.  Que  votre  ennemi  gagne  des  biens  et  de  l'or, 
vous  avez  gagné  des  avantages  moins  éphémères  et  d'un 


—  103  - 

plus  noble  aloi.  Soyez  tranquilles,  confiants  et  forta  dans 
votre  détteaae.  Sojei  pour  nous,  qui  avons  été  épargnés, 
l'exemple  de  la  patience  virile,  et  crojei  à  moo  admiration 
ardente  et  à  ma  sympathie. 

Fredbrik  van  Ebdbn. 

(Publié  dans  le  HandeU-Blctd  uon  Ànloerpen  et  dans 
tous  les  journaux  hollandais;  trad.  française  de  M.  Tf^^nri 
Borel.) 


PORTUGAL 

LA   PROTESTATION  DU  PORTUGAL 
CONTRE  LES   V.VNDALISMES    TEUTONIQUES 

présentée  à  MM.  tes  ministres  de  Belgique  et  de  France, 

devant  un  très  important  cortège 
des  principales  corporations  nationales  et  du  peuple  de  Lisboiuie, 
le  4  octobre. 
Excellences  : 

Parmi  les  symptômes  que  la  science  criminolo(»"ique 
sig-nale,  on  ne  doit  pas  prendre  seulement  les  cas  isolés  de 
folie  morale  ing'uérissables  :  il  y  a  aussi  des  cas  morbides 
collectifs  où  cette  folie,  par  les  diverses  phases  dont  le 
malade  est  atteint,  conduit  aux  résultats  les  plus  funestes 
et  les  plus  désastreux. 

L'Allemagne  constitue  un  cas  typique  de  folie  morale, 
caractérisé  par  la  mégalomanie  et  par  les  tendances  crimi- 
nelles, aggravées  par  un  manque  de  scrupules  exagéré. 
Tacite  disait  que  les  Germains  se  poignardaient  sans  motif. 

Et,  en  effet,  ils  ont  toujours  manifesté  des  instincts  per- 
vers, mis  au  service  d'une  ambition  démesurée.  Les  consé- 
quences ont  été  constatées  par  les  invasions  qui  ont  ensan- 
glanté et  fait  reculer  l'Europe  Occidentale.  La  plus  terrible 
a  été  celle  qui  a  amené  la  ruine  de  la  civilisation  romaine 
et  l'anarchie  du  moyen  Age  féodal. 

Et,  comme  .si  ce  n'était  pas  suffisant  la  poussée  d'ata- 
visme pour  considérer  l'Allemagne  un  péril  permanent 
international,  il  y  a  encore  quelques-uns  de  ses  philosophes 
qui    proclament   l'immorale  doctrine  que  le  «Succès  fait 


—  105  — 

Loi»;  quelques-ont  de  sai  pécUgo|pies  inculquent  par  l'é- 
ducation les  principea  égoTstas  de  la  subordination  du  monde 
entier  à  ce  néfaste  empire  ;  beaucoup  de  ses  hommes  politi- 
ques préconisent  la  devise  dissolvante  «  La  force  prime  le 
droit»;  plusieurs  de  ses  écrivains  militaires  soutiennent, 
sans  la  moindre  base,  la  raison  d'être  de  l'anéantissement 
complet  des  pajs  ennemis. 

Les  résultats  de  cette  orientation  et  les  manifestations  de 
cette  infériorité  se  découvrent  maintenant,  une  fois  de  plus, 
constatées  par  les  atrocités  monstrueuses  commises  par  le 
vandalisme  allemand,  avec  une  audace  systématique  et  un 
mépris  cvniquc  du  droit  et  des  Conventions  Internationales, 
dans  ce  qu'elles  ont  de  plus  noblement  humain,  ainsi  que 
des  principes  d'honneur.  Les  hôpitaux,  les  blessés,  les 
existences  des  vieillards,  des  femmes  et  des  enfants,  la  pro- 
priété privée,  les  richesses  artistiques  et  bibliographiques 
précieuses  ont  été,  avec  férocité  et  lâcheté,  sacrifiées  à  un 
vilain  idéal  de  destruction,  d'assassinat  et  de  pillag^e. 

Et,  pour  s'assimiler  en  tout  aux  barbares  conquérants, 
les  Teutons  ont  réduit  à  un  triste  esclavage  les  citoyens 
pacifiques  qu'ils  ont  arrachés  des  villes,  détruites  par  eux, 
sans  gloire. 

L'âme  portugaise  a  été  profondément  émue  par  ces 
étranges  et  monstrueux  attentats  à  la  civilisation  moderne. 
Notre  âme  vibre  aussi  dans  une  race  de  héros,  mais  des 
héros  qui  arrachèrent  des  mystères  de  la  légende  et  de 
rinconnu  les  rég-ions  du  globe  les  plus  étendues,  sans  avoir 
jamais  fait  de  la  guerre  une  ressource  économique,  ni  de  la 
noblesse  des  armes  s'en  être  servi  pour  écraser  par  des  con- 
tributions des  villes  vaincues,  ni  avoir  transformé  la  vail- 
lance en  brigandage,  en  destruction  et  assassinats.  Au 
contraire,  notre  âme  s'est  dévouée  au  saint  apostolat  d'attirer 


—  \m  — 

à  cette  civili^uiion  les  peuples  <|ui  coiitribuérent  beaucoup  à 
sa  grandeur  et  à  son  développement. 

Pour  cela,  Monsieur  le  Ministre,  les  Acadénnies  des 
Sciences,  les  Ecoles  Supérieures,  les  associations  scientifi- 
ques, littéraires  et  artistiques,  la  Maçonnerie,  la  Presse,  la 
Lig-ue  Anti-Oermanique,  les  g-roupes  agricoles,  industriels, 
commerciaux,  ouvriers,  et  d'autres  collectivités  dédiées  à  la 
défense  et  au  progrès  du  Portugal,  réunis,  par  une  vibra- 
tion unanime  de  révolte,  viennent  offrir  à  Votre  Excellence 
sa  plus  indignée,  chaleureuse  et  solennelle  protestation 
contre  les  crimes  horribles  dont  ont  été  le  théâtre  la  Bel- 
gique et  la  France,  spécialement  pour  la  destruction  de  la 
Bibliothèque  de  l'Université  Catholique  de  Louvain  et  de 
la  Cathédrale  de  Reims,  crimes  qui,  pour  toujours,  souil- 
leront le  prussianisme  devant  le  tribunal  incorruptible  de 
l'histoire. 

Le  Président  du  Comité  Exécutif: 
Theophilo  Braga. 
Les  Vice-Présidents  : 

Magaliiâes  Lima, 

Alfrrdo  Schiahpa  Monteiro, 

Antonio  Cabreira. 

Les  Secrétaires  : 

Mariniia  de  Campos, 

Augusto  Antonio  Pedro  dos  Santos. 
Les  Membres  : 
José  da  Costa  Pina,  Nogueira  de  Brito, 

JoRGB  Saaysdra,  Mattos  Sequeira, 

J.  Çardoso  Gonçalves,  JoAo  Carlos  Marques, 

Kaul  db  Almbida,  Armando  Simôes, 

Eduardo  Santos. 


RUSSIE 

LA  CATHÉDRALE  DE  REIMS 


A    propos   deê  oers  de   Hostand, 

Les  vers  dans  lesquels  Rostand  a  chanté  la  destruction 
de  la  cathédrale  de  Reims,  nonobstant  leur  éclat  extérieur, 
sacrifient  à  la  phraséolojtno  qui  caractérise  l'auteur  de  la 
Princesse  lointaine.  Toutefois,  il  paraît  bien  que  l'heure 
actuelle  est  favorable  même  aux  «  Rostand  »  qui  ont  à 
exprimer  des  pensées  d'une  orig-inale  beauté.  L'air  est  si 
saturé  d'orag-e  mystique  que  les  éclairs  de  l'esprit  de  vie 
frappent  même  les  rhéteurs  et  obscurcissent  les  idées  des 
esthètes  les  plus  échevelés.  Le  fait  ^eul  qu'il  s'est  trouvé  un 
Rostand  pour  bénir  la  destruction  de  la  cathédrale  de  Reims 
est,  à  mes  yeux,  un  phénomène  surprenant  et  mag'nifique. 
Et  si  la  France,  dans  son  ensemble,  s'associe  ardemment  à 
cette  «bénédiction»,  nous  serons  en  présence  de  la  plus 
grande  révolution  de  la  psycholog-ie  de  l'art,  dans  les  rap- 
ports de  l'homme  avec  l'art.  Car,  vraiment,  à  la  question 
s'il  convient  de  déplorer  la  destruction  de  la  cathédrale  de 
Reims  ou  de  s'en  réjouir,  on  ne  peut  répondre  qu'en  mon- 
trant les  antiques  martyrs  chrétiens,  dont  la  mort  est  consi- 
dérée comme  une  g'randc  joie,  comme  la  manifestation 
suprême  de  la  §^râce  divine.  Et  plus  les  hommes  marty- 
risés furent  beaux,  plus  leur  fia  fat  belle  et  leur  sacrifice 
fécond. 


—  108  — 

Il  est  de  fait  que  les  Allemands,  en  détruisani  in  «  athé- 
drale  de  Reims  (et  combien  d'autres  monuments  moins  ce' 
lèbres,  dont  l'énumération  ici  est  impossible),  ont  signé  par 
cela  même  l'arrêt  le  plus  cruel  pour  la  condamnation  de 
leur  fameuse  culture.  Après  ces  exploits,  personne  au  monde 
ne  peut  conserver  une  illusion  quelconque  sur  le  compte  de 
cette  civilisation  que  le  régime  militariste  prussien  «porte 
dans  son  sein»,  qui  est  sa  substance  même  et  qui,  hélas! 
est  devenue  pendant  ces  dernières  années,  la  caractéristique 
de  l'Allemagne  entière.  Personne  non  plus  ne  voudra  plus 
croire  à  la  culture  personnelle  de  Guillaume  et  de  son  reje- 
ton. Une  fois  la  guerre  terminée,  la  Germanie  de  Guillaume 
s'effondrera  et  l'Allemagne  véritable,  dessaoulée,  rentrera 
en  soi-même  et  sera  saisie  d'épouvante  devant  les  atrocités 
que  ses  fils  ont  commises  sur  des  innocents;  sa  terreur  aug- 
mentera encore  en  pré.sence  du  vandalisme  exercé  sur  ce 
qui  était  le  patrimoine  sacré  de  l'univers,  sur  ce  qui,  non 
seulement  ne  pouvait  nuire,  mais  contribuait  à  enlever  les 
âmes,  par  la  prière,  vers  le  Père  de  tous.  La  vue  des  ruines 
de  Reims  percera  le  cœur  de  l'Allemagne  d'une  honte  brû- 
lante, qui  la  fera  redevenir  noble  et  la  purifiera  par  les 
tourments  du  repentir. 

Et  nous  tous,  bien  que  nous  ne  sovons  pour  rien  dans 
cet  acte  de  brutes,  les  ruines  de  la  cathédrale  de  Reims 
donneront  à  nos  âmes  une  haute  leçon. 

N'est-ce  pas,  en  effet,  un  miracle  tangible  que  la  dévas- 
tation d'un  édifice,  quelque  part,  dans  la  province  française, 
d'un  temple  affecté  à  une  religion  spéciale  et  étrangère  à 
une  ma.sse  de  gens,  d'une  cathédrale  du  sacre  où  l'on  ne 
verra  plus  s'accomplir  le  m^^slère  d'un  couronnement  royal, 
que  la  destruction  de  ce  bâtiment  éveille  dans  les  cœurs  da 
monde  entier  un  écho  profond,  réunisse  dans  un  mêmecha- 


-  109  — 

grin  les  hommes  aux  crojances  les  plus  différentes  et  des 
races  les  plus  opposées?  Nous  sommes  émus  non  parce 
qu'un  vieux  monument,  rare  et  exquis,  a  été  détruit  ;  la 
science  n'y  subit  pas  une  perle  énorme,  car  il  j  a  long«- 
temps  qu'elle  avait  pénétré  tous  les  secrets  enfermés  dans 
les  pierres  de  la  cathédrale  de  Reims.  Nous  sommes  émus, 
et  le  monde  entier  avec  nous,  par  la  perte  d'un  organisme 
en  quelque  sorte  vivant,  qui  cristallisait  les  prièrea  et  las 
portait  au  ciel.  Dans  la  cathédrale  de  Reims  le  mojen  âge 
s'élevait  au  dessus  de  l'art  des  anciens  et  le  christianisme 
remportait  la  victoire  finale  sur  le  paganisme.  Rostand  ne 
voit  qu'à  présent  un  «Farthénon»  dans  la  cathédrale  de 
Reims.  Mais  elle  était  un  véritable  Parthénon  chrétien 
avant  de  tomber  en  ruine,  elle  le  fut  dès  l'époque  de  sa 
construction.  L'harmonie  de  ses  formes,  les  motifs  archi- 
tecturaux qui  se  développaient  sous  ses  voûtes,  l'extase 
qu'inspirait  la  vue  de  ses  rang-écs  de  statues,  tout  cela  con- 
tribuait à  faire  un  véritable  plain-chant,  une  sorte  de  mu- 
sique qui  saisissait  puissamment  l'âme  la  plus  sceptique, 
qui  courbait  les  hommes  les  plus  obstinément  hautains,  une 
langue  compréhensible  à  Tâme  la  plus  sage,  ainsi  qu'à  la 
plus  fruste. 

Les  esthètes  et  les  archéologues,  en  disséquant  à  l'aide 
(lu  scalpel  scientifique,  le  cadavre  de  l'art  antique,  se  sont 
mis  k  nous  enseigner  l'anatomie  et  à  le  réduire  en  formules 
mathématiques,  en  deux  fois  deux  font  quatre.  A  leurs 
yeux,  l'art  gothique  était  quelque  chose  de  semblable  à  un 
recueil  de  problèmes  ingénieux,  publiés  par  des  professeurs 
supérieurs  d'arithmétique.  En  particulier,  les  archéoloffiies 
démolissaient  d'un  cœur  léger  ce  qu'avait  respecté  le  temps, 
à  seule  fin  de  satisfaire  leur  curiosité,  portant  sur  «ce  qui 
avait  existé  antérieurement».    Plus  dangereux  encore  se 


—    110    - 

révëléreni  les  restaurateurs  qui,  s'appuyant  sur  les  esthètes 
et  les  archéologues,  s'essayaient  à  «recréer»,  ajoutaient 
leur  maturité  savante,  «  puisée  dans  les  manuels»,  à  ce  qui 
exigeait  en  premier  lieu  la  communion  avec  Dieu,  la  prière. 

Les  esthètes  gâtèrent  beaucoup  de  choses,  dans  cette 
même  France,  à  commencer  par  ces  hommes  «dégoût» 
qui,  au  siècle  de  Louis  XIV,  se  mirent  à  corriger  «les  mo- 
numents de  l'architecture  barbare»,  empressés  qu'ils  étaient 
de  mettre  de  l'ordre  dans  un  chaos  génial,  créé  par  les  prières 
et  les  ferveurs  amassées  par  les  siècles.  La  manie  d'ordre 
de  cette  époque  fit  disparaître,  par  exemple,  le  labyrinthe 
de  la  cathédrale  de  Reims  et  tout  ce  qui  dans  Notre-Dame 
de  Paris  en  faisait  un  musée  sacré  de  l'histoire  de  France. 
Toutefois,  ils  nuisireut  encore  plus  ces  gens  qui,  étouffant 
en  soi  les  éléments  mêmes  de  l'art,  se  vouèrent  au  raccom- 
modage des  vieux  monuments,  exclusivement  d'après  des 
données  scientifiques.  Oh!  ces  vandales!  ces  «artistes»! 
grâce  à  qui  le  mot  d'architecte  est  devenu  le  synonyme  de 
quelque  chose  de  tout  à  fait  contraire  à  l'art,  ces  vandales 
ont  détruit,  certes,  plus  d'oeuvres  merveilleuses  que  le  sac- 
cage actuel  et  ils  n'ont  absolument  rien  produit  de  nature  à 
provoquer  la  plus  petite  admiration  véritable. 

On  .se  propose  maintenant  de  reconstruire  la  cathédrale  de 
Reims.  Pour  décider,  en  connaissance  de  cause,  jusqu'à  quel 
|)oint  on  doit  réagir  contre  ce  projet,  il  faudrait  savoir  préci- 
sément dans  quel  état  se  trouvent  aujourd'hui  les  ruines.  Il 
va  sans  dire  si  la  destruction  se  réduit  n  ce  que  les  voûtes 
.se  sont  écroulées  dans  la  nef,  que  quelques  colonnes  et 
quelques  pinacles  se  sont  détachés  des  tours,  qu'une  partie 
des  statues  dressées  sur  les  côtés  des  principaux  portails,  et 
qui  réservaient  au  visiteur  un  «accueil  »  si  amène,  ont  été 
privées  de  leur   tête,  il  faut  procéder  à  la  restauration. 


—  in  — 

Tout  ce  qui  est  important  est  demeuré  ÎDlaci  et  il  n'est 
pas  difficile  de  réparer  le  reste.  On  ne  peut  exiger  pour  ce 
travail  que  la  technique  que  possèdent  une  escouade  d'ou- 
vriers choisis,  dirinçés  par  uo  intelligent  «maître- ta  il  leur  de 
pierre  )#.  Mais  si  la  destruction  a  atteint  les  «  ors^anes  vitaux  » 
(le  rétlIHce,  si,  par  exemple,  les  portails  en  question  n'of* 
frent  plus  à  la  vue  qu'un  monceau  de  décombres  et  qu'il 
faille  les  reconstruire,  qu'on  renonce  plutôt  à  ce  projet  chi- 
mérique, qui  renferme  d'ailleurs  une  part  de  sacrilège.  Il 
est  impossible  d'ériger  à  nouveau,  au  nom  de  l'esthétique, 
du  goilt  et  de  l'orgueil  national  (et  les  artistes  qui  travaille- 
raient dans  ces  conditions  ne  sont  pas  encore  nés),  ce  qui  a 
été  créé  et  nourri  par  la  prière.  Les  ruines  de  la  cathédrale 
de  Reims  resteront  pleines  de  beauté  et  de  poésie,  et,  par 
conséquent,  de  vie;  «une  nouvelle  cathédrale  de  Reims»  ne 
serait  autre  chose  qu'une  contrefaçon  inanimée  et  dépour- 
vue d'idéal,  quand  bien  même  chaque  détail  répéterait  ser- 
vilement le  détail  disparu  '.  Et  s'il  n'y  avait  que  cette  leçon 
à  tirer  de  la  destruction  de  la  cathédrale  de  Reims  qu'avec 
l'unique  secours  de  l'asthétique  et  de  l'archéologie  on  est 
loin  d'atteindre  à  l'art,  quelque  grand  que  soit  le  sacrifice, 
il  faudrait  le  considérer  comme  «  fécond».  Mais,  eu  vérité, 
ce  terrible  sacrifice  doit  enseigner  autre  chose  encore.  Le 
coup  a  été  trop  violent  ;  aussi  les  sentiments  et  les  pensées 
qui  sommeillaient  au  tréfonds  de  l'àme,  enterrés  sous  l'ac- 
cumulation des  soucis  et  des  labeurs  pour  le  pain  quoti- 
dien, se  sont  réveillés  et  ont  rouvert  les  yeux  à  la  lumière. 


'  Oo  peut  faire  une  exception  en  faveur  du  campanile  de  Venice, 
roDStruction  purement  décorative  ;  mais  si  Saint-Marc  allait  (^tre  d/tniil, 
tic  serait-ce  pas  commettre  une  monstrueuse  profanation  que  de  1« 
rf^onstniirr,  et  en  badiç^eonnant  encore  d'une  patine  artificielle  ce  qui  ne 
serait  plus  qu'un  dt-cor  de  théAtre  *? 


-  11:^  - 

Aucuii  SOI  mon,  aucun  pélerÎDag'e  n'auraient  pu  faire  pour 
la  France  ce  qu'a  fait  la  «  mort  de  martyre  »  de  ce  beau 
monument,  la  cathédrale  de  Reims.  Il  n'est  pas  question  ici 
uniquement  d'art,  ou  plus  exactement  il  n'est  pas  question 
particulièrement  d'art,  mais  de  toute  «l'économie  de  l'âme». 
Tout  à  coup,  tout  a  changée.  Ce  qui  semblait  précieux  s'est 
révélé  être  sans  valeur  aucune,  et  ce  qui  paraissait  mort, 
jusqu'à  la  fin  des  siècles,  s'est  réveillé  plein  de  forces  vives. 
Du  reste,  cette  g-uerre  monstrueuse  et  atroce  enfante  un 
monde  nouveau  et  magniHque  ;  et  tous  en  reconnaissent 
déjà  la  physionomie.  Quelle  beauté,  par  exemple,  ne  re»- 
sort-il  pas  de  chaque  récit  des  blessés  !  En  particulier,  la 
guerre  doit  produire  un  art  nouveau,  non  pas  (le  ciel  nous 
en  préserve  !)  cet  art  nouveau  qui  a  été  préconisé  jusqu'ici 
par  les  futuristes,  art  sauvag-e,  éjsç-oïste,  qui  se  montre  à  la 
fois  trivial  et  désespérément  vide,  mais  cet  art  dont  nous 
lisons  les  éloquents  hiérog-lyphes  dans  les  contours,  décou- 
pés par  les  bombes,  de  la  cathédrale  de  Reims,  cet  art  qui, 
des  blessures  faites  aux  pierres  sacrées  et  d'où  maintenant 
s'écoule  le  sang  des  prières  du  passé,  répandra  au  loin  le 
parfum  des  antiques  légendes.  Moi,  qui  aime  la  France 
comme  ma  véritable  aïeule,  je  désire  de  toutes  les  forces  de 
mon  âme  qu'elle  prête  l'oreille  à  ces  prières,  qu  elle  les 
reçoive  dans  son  cœur  et  que,  se  les  étant  appropriées,  elle 
guérisse  radicalement.  Alors,  elle  n'aura  plus  à  redouter 
les  machinations  les  plus  ingénieuses  de  Krupp.  Ce  que 
cette  renaissance  de  l'âme  française  peut  et  doit  produire, 
nous  en  avons  l'avant-goût  dans  la  littérature  française  la 
plus  récente.  Cette  renaissance  s'est  manifestée  daus  toute 
sa  beauté  au  moment  de  la  mobilisation  française,  à 
laquelle  il  m'a  été  donné  d'assister.  Qui  aurait  maintenant 
le  front  de  jeter  la  pierre  à  la  femme  française  calomniée, 


—  113  — 

lorsqu'elle  s'est  montrée  capable  de  si  grande  sacrifice, 
d'un  si  grand  héroTsme  et  d'une  si  grande  sérénité? 

Les  femmes  françaises,  j'en  ai  la  conviction,  prouverout 
qu'elles  sont  à  même  de  nourrir  dans  leurs  copurs  la  vraie 
réponse  à  toutes  les  profanations  des  Allemands  et  d'oppo- 
ser à  leur  joie  du  mal  la  beauté  salutaire  d'une  âme  régénérée. 

Alexandre  Bbnoit. 

{La  Retch  du  3  (16)  octobre  1914.)  Trad.  par  A.  Uogie. 


LOUVAIM.M 


ANGLETERRE 

BRITAIN'S  DESTINY  AND  DUTY 

DECLARATION  BY   AUTHORS 

A  Righteous  War. 

We  hâve  received  the  followinjj!^  statemcot  :  — 

The  undersi|;2;-aed  writers,  comprising-  among^t  them  men 
and  women  of  the  most  divergent  political  and  social  views, 
some  of  them  having'  been  for  years  ardent  champions  of 
gt)od  will  towards  Germany,  and  many  of  them  extrême 
advocates  of  peace,  are  nevertheless  agreed  that  Great 
Britain  could  not  without  dishonour  hâve  refused  to  take 
part  in  the  présent  war. 

No  one  can  read  the  full  diplomatie  correspondence  pub- 
lished  in  the  White  Paper  without  seeing  that  the  British 
représentatives  were  throug-hout  labouring-  whole-heartedly 
to  préserve  the  peace  of  Europe,  and  that  their  couciliatory 
efforts  were  cordially  received  by  both  France  and  Russia. 

When  thèse  efforts  failcd,  Great  Britain  had  still  no 
direct  quarrel  with  any  Power.  She  was  eventually 
compelled  to  take  up  arms  because,  tog^ther  with  France, 
Germany,  and  Austria,  she  had  solcmnly  pledg^  herself 
to  maintain  the  neutrality  of  Bel|^ium.  As  soon  as  danger 
to  that  neutrality  arose  she  questioned  both  France  and 
Germany  as  to  their  intentions.  France  immediately  renewed 
her  pledg«  not  to  violate  Belg'ian  neutrality;  Germany 
refused  lo  answer,  and  soon  made  ail  answer  needless  bj 


—   li:.  — 

her  actions.  Without  even  the  pretence  of  a  çricvaiici- 
agaiost  Bel^um,  she  made  war  on  the  weak  and  unofTend- 
ing- country  she  had  undertaken  to  protcct,  and  lias  since 
carried  oui  her  invasion  with  a  calculated  and  inn^enious 
ferocity  which  has  raised  questions  other  and  no  le&s  nçnve 
than  that  of  the  wilful  disregard  of  treaties. 

Wheu  tk'lgium  in  her  dire  need  appealed  to  Great 
Britain  to  carry  out  her  pledge  this  country's  course  was 
clear.  She  had  either  to  break  faith,  letting-  the  sanctity 
of  treaties  and  the  rij^fhts  of  smali  nations  count  for  nothing 
before  the  threat  of  naked  force,  or  she  had  to  Hgbt. 
She  did  not  hesitate,  and  we  trust  she  wil!  net  lay  down 
arms  till  Holgium's  integrity  is  restored  and  her  wrongs 
redressed. 

The  treaty  wilh  Belgium  made  ourduty  clear,  but  many 
of  us  feel  that,  even  if  Belgium  had  not  been  involved,  it 
would  bave  been  impossible  for  Great  Britain  to  stand  aside 
while  France  was  drag-ged  into  war  and  destroyed.  To 
permit  the  ruin  of  France  would  be  a  crime  against  liberty 
and  civilization.  Even  those  of  us  who  question  the  wisdom 
of  a  policy  of  Continental  Ententes  or  Alliances  refuse  to 
see  France  slruck  down  by  a  foui  blow  dealt  in  violation  of 
a  treaty. 

We  observe  that  varions  German  apologists,  officiai  and 
semi-official,  admit  that  their  country  has  been  false  to  ils 
pledged  word,  and  dwell  almost  with  pride  on  the  **  fri^ht- 
fulness"  of  the  examples  by  which  it  has  sought  to  spread 
lerror  in  Belgium,  but  they  excuse  ail  thèse  proceedings  hj 
a  strange  and  novel  plea.  German  culture  and  civilization 
are  so  superior  to  those  of  other  nations  that  ail  steps  takrB 
to  assert  them  are  more  than  justified;  and  the  destinj  of 
Germany  to  be  the  dominating  force  in  Europe  and  the 


—  UÔ  — 

world  is  so  maiiifest  that  ordinary  rules  of  moraiity  do  not 
hold  in  hcr  case,  but  actions  are  g^ood  or  bad  sinriplj  as 
ihey  help  or  hinder  the  accomplishment  of  that  destiny. 

Thèse  views,  inculcated  upon  the  présent  génération  of 
Germaos  by  inany  celebrated  historians  and  teachers,  seem 
to  us  both  dangerous  and  insane.  Many  of  us  hâve  dear 
friends  in  Germany,  many  of  us  rejçard  German  culture 
with  the  highest  respect  and  gratitude;  but  we  canuot 
admit  that  any  nation  has  the  right  by  brute  force  to  impose 
its  culture  upon  other  nations,  nor  that  the  iron  military 
bureaucracy  of  Prussia  represenls  a  higher  form  of  human 
Society  than  the  free  constitutions  of  Western  Europe. 

Whatever  the  world-destiny  of  Germany  may  be.  we  in 
Great  Britain  are  oui*selves  conscious  of  a  destiny  and  a 
duty.  That  destiny  and  duty,  alike  for  us  and  for  ail  the 
Ënglish-speaking  race,  call  upon  us  to  uphold  the  rule  of 
common  justice  between  civilized  peoples,  to  défend  the 
rights  of  small  nations,  and  to  maintain  the  free  and  law- 
abiding  ideals  of  Western  Europe  against  the  rule  of  "  Blood 
and  iron  "  and  the  domination  of  the  whole  Continent  by  a 
military  caste. 

For  thèse  reasons  and  others  the  undersigned  feel  bound 
to  support  the  cause  of  the  Allies  with  ail  their  strenglh, 
with  a  full  conviction  of  its  righteousncss,  and  with  a  deep 
sensé  of  its  vital  import  to  the  future  of  the  world. 

William  Arciikr  Laurence  Binyon 

H.  Granville  Barkrr  A.  G.  Bradlby 

J.  M.  Barris  Robert  Bridqbs 

Arnold  Bennett  Hall  Gaine 

A.  G.  Benson  R.  C.  Garton 

Edward  Benson  G.  Haddon  Ghamhbrs 

Robert  Huoh  Benson  G.  K.  Ghbsterton 


-  11 


Hubert  Henry  Davibs 
Arthur  Conan  Doyel 

H.    A.    L.    FlHHKH 

John  Galsworihy 
Anstey  Guthrie  (F. 

Anstey). 
H.  Rider  Hagoard 
Thomas  Hardy 
Jane  Ellen  Harrison 
Anthony  Hope  Hawkins 
Maurice  Hewlett 
Robert  Hichkns 
Jérôme  K.  Jérôme 
Henry  Arthur  Jones 
Rudyard  Kipling 
\V.  J.  Locke 
E.  V.  Lucas 
J.  W.  Mackail 
Frédéric  John  Masefield 
A.  E.  W.  Mason 

September,  1914. 


Gilbert  Murray 
Hbnry  Nrwbolt 
Rarry  Pain 
Gilbert  Parker 

ËDBN  PhILLPOTTS 

Arthur  Pinero 
Arthur  Quillbr-Cough 
Owbn  Seaman 
George  R.  Sims 
May  Sinclair 
Flora  Annie  Steel 
Alfred  Sutro 
George  Macaulay 

Trevelyan 
George   Otto  Trevelyan 
Humphry  Ward 
Mary  A.  Ward 
H.  G.  Wells 
Margaret  L.  Woods 
Israël  Zangwill 


PROTESTATION  DES  ARTISTES 

écrivains  et  penseurs  anglais 

contre  la  ruine  de  Louvain  et  de  Reims. 

Eo  dépit  de  l'horreur  soulevée  dans  l'univers  par  la  dévas- 
tation de  Malines  et  de  Louvain,  les  armées  allemandes 
viennent  de  ravaG;-er  la  cathédrale  de  Reims.  Ce  forfait,  ac- 
compli de  propas  délibéré,  n'atteint  pas  seulement  ans 
nation,    mais    l'humanité  entière  dont  un  tel  monument 


—  118  — 


était  l'honneur.  A  cet  assassinat  contre  le  g'énie  humain, 
l'élite  de  tous  les  pays  doit  répondre  par  un  cri  de  révolte 
qui  flétrisse  les  destructeurs  sacrilèges.  Sans  rendre  le  pt^uple 
allemand  tout  entier  responsable  des  crimes  de  ses  chefs, 
nous  déplorons,  pour  son  honneur,  que  pas  une  voix  ne  se 
soit  élevée  de  son  sein  pour  prolester  contre  eux.  En  atten- 
dant que  les  auteurs  de  ces  attentats  soient  châtiés,  nous  en 
appelons  contre  eux  au  jugement  du  monde. 


Adam,  P.  W. 
Adams,  Henry. 
Alexander,  Sir  Georg-e 
Amidi  de  Rio  Branco. 
Auderson,  Sir  Robert. 
Anderson,  Sir  R.  Rowand. 
Armstrong*,  Sir  Walter. 
Aahby,  Th. 

Ban/;^or,  Bishop  of. 
Bantock,  Granville. 
Barclay,  Mrs.  F.  L. 
Bateman,  Sir  Alfred. 
Bayes,  Gilbert. 
Beaumont,  P.  H. 
Beddard,  F.  E. 
Beorbohm,  Max. 
Bell,  Sir  Huffh,  Bart. 
lielloc-Lowndes,  Mrs. 
Bennett,  Arnold. 
Benson,  Ë.  F. 
Beresford,  J.  D. 
Berwick,  Lord. 


Binyon,  Laurence. 
Birmingham,  Bishop  of. 
Black,  Adam. 
BlomHeld,  Reginal. 
Boot,  W.  H.  J. 
Boryex,  I^uis. 
Braddon,  Miss  M.  E. 
Bradley,  A.  C. 
Bramiey,  Frank. 
Brock,  Sir  Thomas. 
Bromley,  Bishop  Suff.  of. 
Brown,  A.  K. 

Burne-Jones,  Sir  Phil.,  Bart. 
Burnet,  John  James. 
Burridge,  F.  V. 

Cadenhead,  James. 
(Jaine,  Hall. 
Gameron,  David,  Y. 
Canton,  William. 
Carr,  J.  W.  Comyns. 
Chambcrs,  C.  Hadden. 
Chirol,  Sir  Valentine. 


—  119  — 


Chelmoadeley,  Miss  Mary. 
Clauseo,  Georg'c. 
Clifford,  Mrs.  VV.  K. 
Clodd,  Edward. 
(loUes,  W.  Morris. 
(Collier,  Hon.  John. 
(^)lquhoun,  Archibald  R. 
(ionwa^,  Sir  W.  Martin. 
Copc,  Arthur. 
Corelli,  Miss  Marie 
Courtney,  W.  L. 
Cowen,  Sir  Frederick. 
Cowper,  Frank  Cadog'an. 
Crâne,  Commend.  Walter. 
Cuneo,  C^rus. 

Davies.  H.  H. 
De  Morgan,  Evelyn. 
De  Morg^an,  Wm. 
Derby,  Bishop  of. 
Dickens-Lewis,  Geo. 
Dicksee,  Frank. 
Dodgson,  Campbell. 
Doyle,  Sir  A.  Conan. 
Drury,  Alfred. 
Dudeney,  Mrs  Henry. 

Elgar,  Sir  Edward. 
Exeter,  Bishop  of. 
Eyre,  John. 

Fildes,  Sir  Luke. 
Fisher,  Mark. 


Fitton,  Hedley. 
Flint,  W.  Russell. 
Frampton,  Sir  George. 
Frazer,  W.  M. 
Freshfield,  Douglas. 

Gallatin,  Count. 
Galsworthy,  John. 
Gardiner,  A.  G. 
Gardner,  Edmund  G. 
Garvice,  Charles. 
Garvin,  J.  L. 
Gascoyne,  G. 
George,  Sir  Ernest. 
Gibb,  Robert. 
Gill,  Harry. 
Ginnett,  Louis. 
Gosse,  Edmund,  C.  B. 
Gould,  Sir  Francis. 
Gould,  S.  Baring. 
Graham,  Peler. 
Grand,  Sarah. 
Grantham,  Bishop  Suff.  of. 
Gulhrie,  Austej. 
Gwinne,  H.  A. 

Hacker,  Arthur. 
Haggard,  Sir  Rider. 
Haig,  Axel  H. 
Hamilton,  Cicely. 
Hamilton,  Edwin  J. 
Hamilton,  J.  Whitelaw. 


—  120 


Harrison,  Ausleu. 
Harrison,  Frédéric. 
HarrisoD,  Gilbert  A. 
Hassall.  John. 
Hathcrell,  William. 
HeiDemann.  Wm. 
Hemy,  Charles  N. 
Herdmann,  l\.  D. 
Hewlett,  Maurice. 
Hinkson,  H.  A. 
HintoD,  Arthur. 
Hole,  W. 

Holroyd,  Sir  Charles. 
Hornung,  E.  W. 
Hu.ston,  G. 
Howard,  Francis. 
Hudson,  William  Henry. 
Huges-^Stanton,  H. 
Hunt,  William. 
Hutchinson,  R.  Gemmell. 
Hutton,  Edward. 

Jackson   Charles  E. 
Jackson,  Sir  Thomas  G. 
Jacobs,  W.  W. 
James,  Hon.  W^alter  J. 
Jonkins,  F.  Lynn. 
John,  Sir  W.  Goscombe. 

Kelly,  J.  Fitzmaurice. 
Kelly,  William. 
Kerr,  Henry  W . 
Keri^Lawson,  J. 


Kinsloy,  Albert. 
Kipliiiti^,  Rudyard. 
Knoblauch,  E. 
Killmann,  O. 

Lankester,  Sir  Ray. 
Laazlc  de  Lombos,  Phil.  A. 
La  Than^ue,  Henry  H. 
Leader,  Benjamin  W. 
Leathes,  Stanley. 
Lee,  Sir  Sidney. 
Leicester,  Bishop  of 
Lewis,  Sir  GeorL"^"    ^^^r 
Lilly,  W.  S. 
Linton,  Sir  Jame>. 
Llandaff,  Bishop  of. 
Liewellyn,  William. 
Locke,  W.J. 
Lodg-e,  Sir  Oliver. 
Longman,  Charles  James. 
Lorimer,  J.  H. 
Lorimer,  Sir  R.  S. 
Lovell,  R.  Goulburn. 
Low,  Sidney. 
Lucas,  Seymour. 
Lugard,  Lady. 

Macgillivray,  Pittendri^h. 
Macgregor,  W.  Y. 
Mackennal,  Bertram. 
Mackcnzie,  Alexander  H. 
Mackie,  Charles  H. 


121  - 


Mackioder,  H.  J  . 
Macmillan,  Sir  Frederick, 
Marsland,  Elli». 
Mason,  A.  E.  VV. 
McCarthy,  Justin  Huntly. 
McCormick,  A.  D. 
McGill,  D. 
McCirt»«for,  Robert. 
McKa),  W.  D. 
Meredith,  W. 
Michie,  J.  CoutU. 
Middielon,  G.  A.  T. 
Milford,  U.  S. 
Millais,  J.G. 
MoQsoo,  E.  G.  P. 
Moore,  George 
Moore,  Thomas  Sturge. 
Morrison,  VV.  D. 
Murray,  Charles  0. 
*Murray,  David  (R.  A.). 
Murray,  David  (LL.  D.) 
Murray,  G.  Gilbert. 

Newbolt,  Henry 
NicbolsoD,  William. 
Nisbet,  Robert. 
Noble,  Robert. 
Northcliffe,  Lord. 
Noyés,  Alfred. 
Olsson,  Julius. 
Orpen,  William. 
Osborne,  Malcolm 


Page.  T.  E. 
Paine,  George  H. 
Palin.  W.M. 
Parker,  Sir  Gilbert. 
Partridge,  Bernard. 
Patersoo,  A.  N. 
Palerson,  James. 
Pinero,  Sir  Arthur  Wiog. 
Pirie,  George. 
Plender,  Sir  William. 
Plunkett,  The  Rt.  Hoo.  Sir 

Horace. 
PoUock,  The  Ht.  Hoo.  Sir 

Frederick,  Bart. 
Pomeroy,  Frederick  W. 
Portsmouth,  Percy  H. 
Poynter,  Sir  E.  J.,  Bart. 
Prichard,  Hesketh. 

Quiller-Couch,  Sir  Arthur. 

Rackham,  Arthur 
Ramsay,  Sir  William,  Bart. 
Read,  Sir  Charles  Hercules. 
Reid,  R.  Payton. 
Reynolds-Stephens,  W. 
Richmoud,  Sir  Wm  Blake. 
Riddell,  Sir  George 
Rol>ertson,  David. 
Robins,  Miss  Elisabeth. 
Roche,  AlexaDder. 
Roe,  Fred. 
Russell.  Sir  Edward. 


—   IV 


SadgTove,  Edwin  J. 
Sodor  &  Man,  liishop  of. 
St.  Hclier,  I-ady. 
St.  Pau's,  The  Dean  of. 
Sandys,  Sir  John  Edwin. 
Sant,  James. 
Scott,  W.  Gillbee. 
Severn,  Arthur. 
Shannon,  Charles. 
Shannon,  James  J. 
Shaw,  Byam. 

Sheffield,  Bishop  of. 

Shorler,  Clément  K. 

Sichel,  Walter. 

Sims,  Charles. 

Sims,  G.  R. 

Smith,  Reginald  J. 

Solomon,  Solomon  J. 

Somervell,  Arthur. 

Spalding,  Percy. 

Spielmann,  H.  H. 

Stanford,  Sir  Ch.  Villiers. 

Steel,  Mrs.  F.  A 

Sleell,  David  G. 

Slorey,  Georg-e  Adolphus. 

Strany,  Wm. 

Stronjiç,  Mrs. 

Sutro,  Alfred. 


.-^  »  .iii.-^tN 


•a,  Bishop  Suff.  of 
Swinstead,  G.  Hillyard. 


Taylor,  Lukc. 
Tedder,  Henry  K. 
Tennyson-Jesse,  Miss. 
Tennyson,  Lord. 
Thornycroft,  Hamo. 
Three,  Sir  Herb.  Beerbohm. 
Tweedie,  Mrs.  Alec. 

Walker,  Emery. 
Wallace,  William. 
Wallis,  Thos. 
Walls,  William. 
Wallon,  Frank. 
Walson,  William. 
Webb,  Sir  Aston. 
Wedmore,  Sir  Frederick. 
Wells,  H.  G. 
Wilkinson,  Norman. 
Williams,  Terri ck. 
Wood,  Francis  Derwent. 
Workman,  Herbert  B. 
Wriiçht,  C.  Ha^ber§f. 
Wyllie,  Willinin  Lionel. 

Yeats,  W.  B. 
Yoxall,  Sir  James. 


LETTRE  DE  ROMAIN  ROLLAND 
A  GERHART  HAUPTMANN 


Je  ne  suis  pas,  Gerhart  Hauptmann,  de  ces  Français  qui 
traitent  rAllemagne  de  barbare.  Je  connais  la  g-randeur  in- 
tellectuelle et  morale  de  votre  puissante  race.  Je  sais  tout 
ce  que  je  dois  aux  penseurs  de  la  vieille  Allemagne  ;  et  en- 
core, à  l'heure  présente,  je  me  souviens  de  l'exemple  et  des 
paroles  de  notre  Goethe  —  il  est  à  l'humanité  entière  — 
répudiant  toute  haine  nationale  et  maintenant  son  âme 
calme,  à  ces  hauteurs  «  où  l'on  ressent  le  bonheur  ou  le 
malheur  des  autres  peuples  comme  le  sien  propre  ».  J*ai 
travaillé,  toute  ma  vie,  à  rapprocher  les  esprits  de  nos 
deux  nations  ;  et  les  atrocités  de  la  g-uerre  impie  qui  les 
met  aux  prises,  pour  la  ruine  de  la  civilisation  européenne, 
ne  m'amèneront  jamais  à  souiller  de  haine  mon  esprit. 

Quelques  raisons  que  j'aie  donc  de  souffrir  aujourd'hui 
par  votre  AUemag^ne  et  de  jug^er  criminelle  la  politique 
allemande  et  les  moyens  qu'elle  emploie,  je  n'en  rends 
point  responsable  le  peuple  qui  la  subit  et  s'en  fait  l'aveu- 
gle instrument.  Ce  n'est  pas  que  je  re^rde,  ainsi  que 
vous,  la  guerre  comme  une  fatalité.  Un  Français  ne  croit 


-   124  — 

pas  A  la  fatalité.  La  fatalité,  c'est  l'excuse  des  âmes  sans 
volonté.  La  g-uerre  est  le  fruit  de  la  faibles.se  des  peuples 
et  de  leur  stupidité.  On  ne  peut  que  les  plaindre,  on  ne  peut 
leur  en  vouloir.  Je  ne  vous  reproche  pas  nos  deuils  ;  les 
vôtres  ne  seront  pas  moindres.  Si  la  France  est  ruinée, 
l'Allemag-ne  le  sera  aussi.  Je  n'ai  même  pas  élevé  la  voix, 
quand  j'ai  vu  vos  armées  violer  la  neutralité  de  la  noble 
Belgique.  Ce  forfait  contre  l'honneur,  qui  .soulève  le  mé- 
pris dans  toute  con.science  droite,  est  trop  dans  la  tradition 
politique  de  vos  rois  de  Prusse  ;  il  ne  m'a  pas  surpris. 

Mais  la  fureur  avec  laquelle  vous  traitez  cette  nation 
magnanime,  dont  le  seul  crime  est  de  défendre  jusqu'au 
dése.spoir  son  indépendance  et  la  justice,  comme  vous-mê- 
mes. Allemands,  vous  l'avez  fait  en  1813...  c'en  est  trop! 
L'indig'nation  du  monde  .se  révolte.  Réservez-nous  ces  vio- 
lences à  nous,  Français,  vos  vrais  ennemis  !  Mais  vous 
acharner  contre  vos  victimes,  contre  ce  petit  peuple  belge, 
infortuné  et  innocent  !...  quelle  honte  ! 

Et  non  contents  de  vous  en  prendre  à  la  Belgique  vi- 
vante, vous  faites  la  g'uerre  aux  morts,  à  la  gloire  des  siè- 
cles. Vous  bombardez  Malines,  vous  incendiez  Rubens, 
Louvain  n'est  plus  qu'un  monceau  de  cendres  —  Louvain 
avec  ses  travaux  d'art,  de  science,  la  ville  sainte  !  —  Mais 
qui  donc  ôtes-vous?  et  de  quel  nom  voulez-vous  qu'on  vous 
appelle  à  présent,  Hauptmann,  qui  repoussez  le  titre  de 
barbares?  Etes-vous  les  petits-fils  de  Goethe  ou  ceux  d'At- 
tila? Est-ce  aux  armées  que  vous  faites  la  guerre  ou  bien 
à  l'esprit  humain!  Tuez  les  hommes,  mais  respectez  les  œu- 
vres I  C'est  le  patrimoine  du  genre  humain.  Vous  en  êtes, 
comme  nous  tous,  les  dépositaires.  En  le  .saccagant,  comme 
vous  faites,  vous  vous  montrez  indignes  de  ce  grand  héri- 
tage, indignes  de  prendre  rang-  dans  la  petite  armée  eu- 


—  125  — 

ropéenne  qui    est    la   garde  d'honneur  de  la  civilisation. 

Ce  n'est  pas  à  l'opinion  du  reste  de  l'univers  que  je  m'a- 
dresse contre  vous.  C'est  à  vous-même,  HauptmaDO.  Au 
nom  de  notre  Europe,  dont  vous  avec  été  jusqu'à  cette 
heure  un  des  plus  illustres  champions,  —  au  nom  de  cette 
civilisation  pour  laquelle  les  plus  fi^rands  des  hommes  lut- 
tent depuis  des  siècles,  —  an  nom  de  l'honneur  même  de 
votre  race  germanique,  Gcrhart  Mauptmann,  je  vous  ad- 
jure, je  vous  somme,  vous  et  l'élite  intellectuelle  allemande 
où  je  compte  tant  d'amis,  de  protester  avec  la  dernière 
énergie  contre  ce  crime  qui  rejaillit  sur  vous. 

Si  vous  ne  le  faites  point,  vous  montrez  de  deux  choses 
l'une,  —  ou  bien  que  vous  l'approuvez  (et  alors  que  l'opi- 
nion du  monde  vous  écrase  !)  —  ou  bien  que  vous  êtes 
impuissants  à  élever  la  voix  contre  les  Huns  qui  vous  com- 
mandent. Et  alors,  de  quel  droit  pouvez-vous  encore  pré- 
tendre, comme  vous  l'avez  écrit,  que  vous  combattez  pour 
la  cause  de  la  liberté  et  du  prog-rès  humains?  V^ous  donnez 
au  monde  la  preuve  qu'incapables  de  défendre  la  liberté  du 
monde  vous  l'êtes  même  de  défendre  la  vôtre,  et  que  l'élite 
allemande  est  asservie  au  pire  despotisme,  à  celui  qui  mu- 
tile les  chefs-d'œuvre  et  assassine  l'Esprit  humain. 

J'attends  de  vous  une  réponse,  Hauptmann,  une  réponse 
qui  soit  un  acte.  L'opinion  européenne  l'attend,  comme 
moi.  Songez-y  :  en  un  pareil  moment,  le  silence  même  est 
un  acte. 

Romain  Rolland. 


—    V>()  — 


RÉPONSE  DE  GERHART  HAUPTMANN 
A  ROMAIN  ROLLAND 

Vous  m'adressez,  monsieur  Rolland,  publiquement  des 
paroles  qui  expriment  la  douleur  au  sujet  de  la  g'uerre 
(g-uerre  imposée  par  la  Russie,  l'Angleterre  et  la  France), 
douleur  au  sujet  des  dang-ers  que  court  la  culture  euro- 
péenne et  de  l'anéantissement  des  monuments  vénérables 
de  l'art  ancien.  Je  partage  cette  douleur  en  ce  qu'elle  a  de 
général.  Toutefois  je  ne  consens  pas  à  vous  donner  une  ré- 
ponse, que  vous  me  dictez  en  quelque  sorte  A  l'avance,  et 
dont  vous  dites  à  tort  que  toute  l'Europe  l'attend.  Je  sais 
que  du  sang  allemand  coule  dans  vos  veines.  Votre  beau 
Jean-Christophe  demeurera  toujours  vivant  pour  nous, 
Allemands,  à  côté  de  Wilhelm  Meister  et  de  ilenri-le- 
Vert.  La  France  est  devenue  votre  pays  d'adoption  ;  c'est 
pourquoi  votre  cœur  est  aujourd'hui  déchiré,  pourquoi  vo- 
tre jug-ement  n'est  plus  clair.  Vous  avez  travaillé  avec  ar- 
deur à  la  réconciliation  des  deux  peuples.  Et  malg'ré  cela, 
vous  voyez,  —  aujourd'hui  que  la  rupture  sanglante  anéan- 
tit votre  belle  vision  de  paix  tout  comme  elle  a  anéanti  bien 
d'autres  choses,  —  notre  pays  et  notre  peuple  avec  des 
yeux  français,  de  sorte  que  tout  effort  serait  vain  de  cher- 
cher à  vous  les  faire  envisager  avec  des  yeux  allemands  et 
tels  qu'ils  sont. 

Naturellement,  tout  ce  que  vous  dites  de  notre  gouverne- 
ment, de  notre  armée,  de  notre  peuple,  est  déformé  et  fon- 
cièrement faux  ;  tout  cela  est  faux  à  ce  point  que  votre  let- 
tre ouverte  est  pour  moi  comme  une  plaine  noire  et  vide. 
La  goerre  est  la  §pierre.  Vous  pouvez  déplorer  la  guerre. 


—  127  — 

mais  non  vous  plaindre  de  faits  qui  sont  la  conaéqneoee  io- 
séparable  de  ce  fait  élémentaire.  Certainement  il  est  fâcheux 
que  dans  le  tourbillon  d'un  combat,  un  irremplaçable  ta- 
bleau de  Rubens  soit  anéanti,  mais  —  honneur  â  Rubeot 
—  je  suis  de  ceux  pour  qui  la  poitrine  transpercée  d'uo 
homme  est  une  beaucoup  plus  grande  douleur.  Et  puis, 
monsieur  Rolland,  je  ne  puis  admettre  que  vous  me  parliez 
comme  si  vos  compatriotes,  les  Français,  venaient  à  noua 
des  palmes  à  la  main,  alors  que,  en  vérité,  ils  sont  ample- 
ment pourvus  de  canons,  de  cartouches,  et  même  de  balles 
dum-dum.  Bien  entendu,  nos  héroïques  armées  vous  appa- 
raissent terribles.  C'est  la  gloire  d'une  force  invincible 
par  la  justice  de  sa  cause.  Mais  le  soldat  allemand  n'a 
absolument  rien  de  commun  avec  les  dégoûtantes 
\ekelkaft]  et  niaises  histoires  de  loups-garous  que  votre 
presse  française  mensongère  répand  avec  tant  de  zèle, 
et  à  laquelle  le  peuple  français  et  le  peuple  belge 
sont  redevables  de  leur  malheur.  Qu'un  Anglais  dé- 
sœuvré nous  traite  de  «  Huns  »  ;  que,  pour  l'amour  de 
moi,  vous  appeliez  les  guerriers  de  notre  magnifique  land- 
wehr  les  «  fils  d'Attila  »  ;  il  nous  suffit  que  cette  landwehr 
brise  le  cercle  impitoyable  de  nos  ennemis.  Il  vaut  infini- 
ment mieux  que  vous  nous  traitiez  de  «  fils  d'Attila  »,  que 
vous  fassiez  trois  croix  sur  nous  en  restant  en  dehors  de 
nos  frontières,  plutôt  que  de  venir  placer  une  inscription 
sentimentale  sur  la  tombe  du  nom  allemand  en  nous  appe- 
lant les  «fils  de  Goethe».  Il  est  des  gens,  Huns  eux-mêmes, 
qui  traitent  les  autres  de  Huns,  parce  qu'ils  voient  leurs 
criminelles  attaques  contre  un  peuple  sain  et  valeureux  dé- 
jouées, et  qu'à  leur  violence  une  violence  encore  plus  pais- 
sante répond.  A  celui  qui  est  frappé  d'impuissance,  il  reste 
l'outrage. 


—  128  - 

Je  no  dis  rien  contre  le  peuple  belg'e.  Le  passat^e  paisi- 
ble (les  armées  allemandes  par  son  territoire,  question  de 
vie  pour  TAllemag^ne,  ne  fut  pas  accordé,  parce  que  le  gou- 
vernement de  la  Belg-ique  était  devenu  l'instrument  de  l'An- 
gleterre et  de  la  France.  Ce  gouvernement,  pour  se  main- 
tenir, a  alors  organisé  une  ja^uerre  de  partisans  sans  exemple, 
et  de  cette  façon  —  monsieur  Rolland,  vous  êtes  musicien  ! 
—  il  a  donné  le  ton  à  la  conduite  de  la  guerre,  un  ton  ter- 
rible, ma  foi.  Si  vous  voulez  tenter  de  percer  l'amoncel- 
lement gigantes^^ue  de  mensonges  que  les  ennemis  de  l'Al- 
lemagne ont  accumulé,  lisez  le  compte  rendu  adressé  par 
notre  chancelier  le?  septembre  à  l'Amérique;  prenez  cou- 
naissance  aussi  du  télégramme  que,  le  8  septembre,  l'em- 
pereur lui-même  adressait  au  président  Wilson.  Vous  ap- 
prendrez alors  des  choses  qu'il  est  indispensable  de  savoir 
pour  comprendre  le  malheur  de  Louvain. 

Gbrhart  Hauptmann. 

RÉPONSE  DE  ROMAIN  ROLLAND 

M.  Romain  Rolland  écrit  au  Journal  de  Genève^  en  ré- 
ponse à  la  lettre  de  Hauptmann  qu'on  vient  de  lire  : 

Monsieur  le  directeur  du  Journal  de  Genèoe^ 
Cher  monsieur, 
Gerhart  Hauptmann  m'annexe  à  l'Allemagne,  tout  comme 
si  j'étais  une  simple  Belgique.  Mais   ni    pjlo.    ni   moi.   nous 
De  nous  lai.sserons  faire. 

Je  n'ai  pas  une  goutte  de  sang  allemand,  —  à  moins  que 
l'on  ne  remonte  peut-être  aux  grandes  Invasions,  dont  «  la 
splendide  landwehr  »,  comme  dit  Hauptmann,  reproduit 
avec  succès  les  procédés  de  guerre. 


—  rjy  — 

Hauptmann  ne  peut  comprendre  qu'un  Françain  soit  plu» 
tidèle  que  lui  au  vieil  idéalisme  allemand,  qu'écrase  l'impé- 
rialisme prussien.  Tandis  que  je  me  réfute  à  reodre  respon- 
sable l'ensemble  de  l'Allemagne  des  crimet  de  too  maître, 
Ifauptmann  préfère  se  solidariser  avec  eux.  Il  prosterne  le 
droit  aux  pieds  de  la  force.  La  guerre  est  la  guerre,  dit- 
il...  .Vo/  kennt  kein  Gebot.  —  Il  ne  voit  pas  que  ses  pe- 
roles  se  retourneront  contre  son  pays  et  contre  lui.  Que 
dira-t-il,  si  les  .Vlliés,  vainqueurs,  envahis.saiit  r.Vllemagne, 
lui  opposent  sa  loi  d'airain?  Il  aime  mieux  qu'on  appelle  «/?^ 
(i'Attiia  »  les  Allemands  vainqueurs,  que  d'écrire  :  «  fiU 
de  Gœthe  -»  sur  la  tombe  des  Allemands  vaincus.  Que  dira- 
t-il  si  sur  cette  tombe,  on  inscrit  :  <njils  d'Attila  »?  Kt 
que  reste-l-il  à  la  défaite,  si  ses  mains  sont  souillées? 

Pauvre  .Vllemag-ne!  Trahie  par  tes  maîtres  de  la  pensée, 
comme  par  ceux  de  l'action  !  Faudra-t-il  donc  la  pire 
épreuve,  pour  briser  le  joug  qui  t'opprime  et  arracher  à  sa 
létharsrie  ta  vieille  grande  âme  éprise  de  justice  et  de  foi! 

HoMAiN  Rolland. 


.NAI'(»LE().N  AL  LKNDEMAi.N   D  iKNA. 
«  JE  NK  KAIS  PAS   LA  (iUEHRP:  AUX  AKTS.  >► 

M.  Babelou,  l'éniinent  membre  de  l'institut  (Académie 
des  inscriptions  et  belles-lettres),  professeur  au  Collègue  de 
France,  adresse  à  Maurice  Barrés  Téloquente  lettre  qui 
suit  : 

«  Mon  cher  confrère  et  ami, 

>►  Tandis  que  le  haut  commandement  des  armées  alle- 
mandes donne  l'ordre  monstrueux  de  détruire  —  sous  des 
prétextes  souvent  mensong^ers  —  les  monuments  et  les 
œuvres  d'art  des  pays  ({u'elles  occupent,  voulez-vous  me 
permettre  de  vous  rappeler  un  épisode  des  g"uerres  du  Pnv 
mier  Empire,  qui  met  en  relief  la  manière  française  de  faire 
la  g-uerre? 

»  C'était  au  lendemain  d'Iéna  ;  la  Prusse  était  écrasée. 
Napoléon  se  trouvant  à  Berlin  reçut,  le  4  novembre  1800, 
les  députés  des  Universités  allemandes,  qui  tremblaient 
pour  le  sort  des  richesses  artistiques  et  des  monuments  de 
l'Allemag-ne,  ainsi  que  pour  les  études  des  savants  de  ce 
pays.  L'Empereur  les  rassura  sur-le-champ  :  «  Je  ne  fais 
pas  ia  (/lierre  <in.v  «W.v,  »  dit-il  aux  délégués,  et  il  leur 
garantit  l'indépendance  et  la  lil)orté  de  leurs  études  avec  la 
protection  des  monuments  et  des  collections.  Il  alla  plus 
loin  :  il  accorda  aux  Universités  allemandes  une  Inrire  sub- 
vention. 

»  L'Académie  des  inscriptions  et  liclie.s-leUio  Uii  .uors 
chargée  de  commémorer  cette  noble  attitude  du  vainqueur 
par  une  médaille.  C'est  cette  médaille,  projetée  et  dessinée 


-  l:U   ^ 

par  Lemot,  pour  l'Académie,  dont  je  vous  envoie  la  pbo- 
to^aphie.  Elle  représente,  d'un  côté,  l'effijo^ie  de  Napoléon 
empereur  ;  de  l'autre,  on  voit  une  Femme  qui  personnifie  la 
Science  et  les  Arts,  assise  dans  l'attitude  et  avec  l'exprea- 
sion  de  l'abattement.  Devant  elle,  l'Empereur  est  deboat, 
en  costume  héroïque,  et  lui  tend  la  main  droite  eo  sîgoe  de 
protection.  La  lêc^cnde  contient  le  mot  célèbre  de  Démétrius 
Poliorcète  faisant  le  sièg^e  de  Khodes  :  Non  bella  cum  arti" 
bus,  «Je  ne  fais  point  la  g^ucrre  aux  arts.»  A  l'exergue,  on 
lit:  Academiis  Germaniie  servatts.  iSoG.  «Protection 
accordée  aux  Universités  d'Allemag^ne.  » 

»  Ainsi,  le  conquérant  Français  sut,  au  milieu  du  bruit 
des  canons,  écouler  la  voix  des  Muses,  protéger  les  monu- 
ments, les  arts  et  la  science.  Certes  !  il  y  eut,  au  cours  de 
nos  marches  victorieuses  à  l'étrang-er,  des  monuments  dé- 
truits ;  une  guerre  pourrait-elle  exister  sans  entraîner  ces 
désastres?  Nous  savons  aussi  que  Napoléon  opéra  des  pré- 
lèvements dans  les  collections  artistiques  des  pays  étrangers, 
pour  remplacer  les  indemnités  pécuniaires  et  enrichir  les 
mu.sées  français.  Je  me  plais  à  espérer,  à  présent,  que  la 
destruction  de  la  bibliothèque  de  Louvain  et  de  la  cathé- 
drale de  Reims  sera  payée  avec  des  œuvres  d'art  choisies 
dans  les  musées  et  bibliothèques  d'Allemagne.  Mais  ces 
mesures,  justifiées  par  le  droit  de  la  guerre,  ne  sauraient 
être  mises  en  parallèle  avec  le  brigandage  allemand.  Dé- 
truire par  haine  est  un  acte  de  barbare;  incendier  par  rage 
une  cathédrale,  un  musée,  une  bibliothèque,  c'est  porter 
une  atteinte  sauvage  au  patrimoine  intellectuel  de  l'huma- 
nité. 

»  Veuillez  agréer,  je  vous  prie,  mon  cher  confrère  el 
ami,  l'expression  de  mes  plus  dévoués  sentiments. 

»  Babblon.» 


LA  CATHÉDRALE  DE  REIMS 

Qui  parcourait  les  plaines  d'or  de  la  Champa|g;iie 
En  ces  midis  d'automne  où  le  pampre  reluit 

La  reg-ardait  venir  à  lui 
Comme  une  impérieuse  et  tranquille  montagne. 

Depuis  le  matin  clair  jusqu'au  tomber  du  jour 

Elle  avançait  et  s'approchait 

De  celui  qui  marchait  ; 
Et  sitôt  qu'il  sentait  l'ombre  des  g-randes  tours 

Qui  barraient  la  contrée 

Le  ff;agner  à  leur  tour, 

Il  entrait  dans  la  pierre 
Creusée  immensément  et  pénétrée 
Par  mille  ans  de  beauté  et  mille  ans  de  prière. 

0  vieux  temple  français,  g-ardé  par  tes  cent  rois. 

Dont  l'imag-e  apaisée  illustre  tes  murailles. 

Dis-moi  quel  chant  de  gloire,  ou  quel  cri  de  bataille 

Victorieusement  n'a  retenti  en  toi  ! 

Tu  as  connu  Clovis  le  Franc  et  sa  compagne 

Dont  la  main  a  guidé  la  main  de  saint  Hémy, 

Et  peut-être  un  écho  sous  ta  voûte  endormi 

Jadis,  a  entendu  la  voix  de  Charlemagne. 

Tu  frissonnas  pendant  des  siècles,  pour  ton  Dieu 
Quand  le  monde  connut  les  nouvelles  croyances, 
Mais  tu  restas  debout  sous  le  ciel  large  et  bleu, 
Grâce  au  respect  que  te  voua  toute  la  France. 


—  133  — 

Temple,  tu  es  sacré,  de  ton  faite  à  tes  pieds  ; 

Au  soir  tombant,  se  joue  à  travers  tes  verrières 

Comme  un  soleil  inHnimcnt  multiplié; 

Sur  tes  g^ranils  murs,  les  ténèbres  et  les  lumières  • 

Joie  et  deuil  —  font  leur  voj'a^  silencieux, 

Autour  de  tes  piliers  qui  fusent  jusqu'aux  cieux. 

Les  petits  cierges  blancs,  de  leurs  clartés  pointues, 

Illuminent  le  fmnt  penché  de  tes  statues 

Kt  dressent  leurs  buissons  de  flammes  dan«  t^  "nît. 

Une  immense  ferveur  se  dégage  sans  bruit 

Des  foules  à  /yenoux,  qui  contiennent  leurs  larmes. 

Mais  qui  savent  pourtant  qu'au  long  du  Rhin,  là-bas  - 

Canons,  chevaux,  drapeaux,  soldats  — 
Se  meut  et  se  rassemble  un  immense  bruit  d*armes, 

Soudain,  chacun  prend  peur  ; 
Le  monde  entend  passer  de  volantes  rumeurs, 
Les  drapeaux  belliqueux  blasonnent  les  façades, 
Le  peuple  crie  et  rage  autour  des  ambassades. 
Bient()t,  l'immense  guerre  envahit  les  pays. 
Les  bataillons  teutons  descendus  vers  Paris 
Sont  rejetés  et  poursuivis  jusqu'en  Champagne  ; 
Et  puisqu'il  fait  accueil  à  tout  homme  lassé, 
Le  grand  temple  de  gloire  et  d'amour  traversé 
S'en  vient  aussi  vers  eux  du  fond  de  la  campagne. 

l/u  canon  tout  à  coup  est  braqué  contre  lui  : 

11  n'est  pignon,  il  n'est  muraille 

Qui  ne  souffre,  le  jour,  la  nuit. 
Du  brusque  éclatement  des  blocs  de  la  mitraille; 
Le  tocsin  saccadé,  halète  au  creux  des  tours  ; 
La  triple  nef,  l'abside  et  le  chœur  solitaire 


—  134  — 

Sont  entoures  la  nuit,  le  jour, 
D'une  ceinture  de  tonnerres 
El  le  crime  rôdeur  guette  et  répand  la  mort. 

•Alors. 
Ce  qui  fut  la  splendeur  des  choses  baptisées  : 
Ogives  vers  leurs  voûtes  immobiles  élancées. 
Verrières  d'ombre  et  d'or,  transepts,  piliers  géants. 
Orgues  faisant  un  bruit  d'orage  et  d'océan, 
Cryptes  dont  les  grands  morts  heurtaient  les  labyrinthes, 
Douces  mains  de  la  Vierge,  et  regards  purs  des  saintes. 
Tout,  jusqu'aux  bras  du  Christ,  immense  et  pardonnant, 

Fut  jeté  et  broyé  sous  le  piétinement 

Du  plus  rageur  des  sacrilèj5!;-es. 

0  merveille  tuée,  0  beauté  prise  au  piège  ! 

Murs  de  force  et  de  foi  atrocement  fendus  ! 

Ainsi  qu'un  rampement  de  luisantes  couleuvres, 

Le  feu  mordait  la  chair  divine  des  chefs-d'œuvre  : 

On  entendait  souffrir  de  beaux  gestes  tendus 

—  Depuis  quel  temps  —  vers  la  pitié  et  la  justice. 

De  pauvres  voix  sortaient  du  marbre  et  du  granit, 

I^es  ostensoirs  d'argent  par  les  pages  bénis. 

Les  chandeliers,  et  les  crosses,  et  les  calices 

Etaient  mordus  par  les  tlammes  et  s'y  tordaient  ; 

L'horreur  était  partout  propagée  et  brandie, 

Les  vieux  saints  du  portail  choyaient  dans  l'incendie. 

Et  leurs  pleurs  et  leurs  cris  dans  la  mort  se  perdaient. 

Autour  du  grand  brasier  se  battaient  les  armées, 
Le  sol  retentissait  oncor  sous  leur  effort 
Que  soudain  les  Teutons  rallièrent  au  nord 
Leur  gauche  effrayamment  foulée  et  décimée; 


—  l.V>  — 

Pourtant,  avant  de  fuir, 

Les  aigles  impériales 

Certes,  ont  dil  voir 
Là-bas,  au  fond  du  soir. 
Avec  ses  bras  brilles,  lu  vieille  cathédrale 

Tendi*c  leur  honte  à  l'avenir. 

Emile   Verhaiiudc. 

(Publié  daos  The  yation,  ii  o.iot.r,.  i«»H  » 


TABLE  DES  MATIERES 


LOUVAIN 
Commnnif/nès  el  liappnrls. 

Louvnin  en  ruines  (Havas) 5 

L'horrible  destruction  de  Louvain,  d'après  l'As^ence  Woltt'        6 

Les  excuses  allemandes  (source  officielle) 7 

Les  horreurs  de  Louvain  (de  source  allemande)  ...         6 
Version  communiquée  par  le  Consulat  d'AUemag^ne  à 

Genève  9 

Deuxième  rapport  de  la  Commission  d'enquête  belge     .       4  i 

Réponse  de  l'Agence  Wolff' 18 

K.xirait  du  troisième  rapport  .19 

Kxtrait  du  cinquième  rapport    ...  .       iO 

Les  exhumations  de  Louvain     .  .23 

REIMS 

Communiqués.  —  Rapports.  —  Récils. 

Extraits  des  communiqués  officiels  français    ....       16 

Notes  allemandes "17 

Protestation  de  M.  Landricux.  —  Réponse  de  l'Agcn. 

Wolff i^ 

Les  journées  du  4  septembre  au  12  octobre  (lettre  de 

M.  Langlet,  maire  de  Reims) i9 

I^*  Drapeau  blanc  sur  les  tours  de  la  cathédrale  (récit 

de  M.  Landrieux l» 

Ui  vérité  sur  l'incendie  de  \.i  raihrdrali'  Irvc'ii  de  M,  I^-in- 

drieux)  . 

Procès-verbal    de    l'éUtl    ili-    lu    riiilniliiili:     ^(itr>sr     p.ir    n 

maire  de  Reims  et  l'architecte  des  monuments  hislo 
riques)  ...  M 


-  i.n  — 

Rapport  (le  M.  Whilney  VV'arrcri   .      .  kK 

Ht'ims  (lettre  de  France),  P.  Chuvanoes  .0 


l'KU  1  tb  1  ATlONii 

Suisse. 
fcixtrail  du  discours  de  M.  II.  Fazy  .1 

Id.  de  M.  le  conAeiller  fédéral  .Mull 

Id.  de  M.  Henri  Calainc  ... 

Kx  Irait  du  procès- verbal  de  la  séance  du  Grand  Conseil 

genevois 05 

Kx trait  du  procès- verbal  de  la  séance  du  Conseil  muni- 
cipal genevois 60 

tixtrait  du  discours  de  M.  Ernest  Chavannes,  à  I^unanne      M 
Id.  de  M.  Comtesse     ...  M 

Extrait  de  la  conférence  de  M.  Cari  Spitteler .  67 

Extrait  de  la  brochure  de  M.  Charles  Vuille  .  '«T 

Proii'slalion  du  professeur  Velter  (Louvain)   .  •  ^ 

Id.  (Reims)  :> 

l'iDk'slation  de  la  Société  vaudoise  des  iniçénieursj 

chitectes >* 

Protestation  des  peintres,  sculpteurs  et  architectes  gene- 
vois   7M 

IVotestation  suisse  contre  le  bombardement  de  Heiiiis   .       79 

Etats-L'nis. 

Protestation  des  écrivains  des  Etats-Unis 91 

(  n  appel  à  l'Académie  américaine  des  arts  et  des  lettres      91 

Italie 
Après  la  destruction  de  Louvain  '.».'> 

Après  la  destruction  de  la  cathédrale  de  Heims  ...       96 

Letterati  eil  Artisti  it.iliani  '•if-'  '•'  I' "h-'-i*' twiesca  a 
Keims     .      .  ...       97 

IrcciiTick  van  ticdcii  :  A  mes  cliris  i-i«iiiiiiti(iH  !♦>! 


-    138  — 

PagM 

Portugal. 

La  protestation  du  Portugal  contre  les  vandalisraes  teu- 
toniques  i04 

liussie. 
A  propos  des  vers  de  Rostand  (Alexandre  Benoit)    .  107 

Angleterre. 
Rritain's  destiny  and  duty  (Declarationby  Authors).      .     114 
Protestation  des  artistes,  écrivains  et  penseurs  anglais  .      117 

Divers. 

Lettre  de  Romain  Rolland  à  Gerhart  Hauptmanii  123 

Réponse  de  Gerhnrt  Hauptmann  à  Romain  Rolland.  125 

Réponse  de  Romain  Rolland 128 

Napoléon  au  lendemain  de  Jéna  :  «  Je  ne  fais  pas  la  guerre 

aux  arts  » 130 

La  Cathédrale  de  Reims,  poème  d'Emile  Verhaeren.  135 

TABLE  DES  GRAVURES 

1.  En  Belgique:   Intérieur  de  l'église  de   Penryse  après  le 

boml)ardement. 

2.  Les  tours  de  la  cathédrale  de  Reiras. 

3.  Arras.  L'IiAtel  de  Ville. 

i.  Les  restes  de  la  grande  cloche  de  la  cathédrale  de  Louv«in. 

5.  Reims.  Intérieur  de  la  cathédrale. 

6.  L'incendie  de  la  cathédrale  de  Reims  (seconde  phase). 

7.  Arras.  Le  coin  de  l'Hôtel  de  Ville. 

8.  Ypres.  \^  tour  des  Malles. 

9.  Reims.  Intérieur  de  la  cathédrale. 

10.  Arras.  L'IlAtel  de  Ville. 

11.  Reims.  L'Archevêché. 

12.  Eglise  de  Heit2-le-Maurupt. 

13.  Louvain  après  l'incendie. 

14.  Plaquette  Angst  (recto). 
18.  Id.  (verso). 


lO"'^  Cahier  vaudoh 


LOUVAIN... 

REIMS... 


ARTIGLKS    DE  : 

André  Suarès  :  La  Plainte  de  Rheims. 

Romain  Rolland  :  Pro  Aris. 

René  Morax  :  F.e  droit  à  la  résistance. 

Dr  Auguste  Forki  Deux   mots  sur    l'oriçine  ps^cho- 

physiolog-ique  de  la  {guerre  ac- 
tuelle. 

N.  L.  (traduit  du  russe  L'opinion  de  Dostoïevskv  sur  TAlle- 
par  A.  LanTiIk)  :  masç^ne  et  les  Allemands. 

LETTHKS    DK  : 

i*Ai  L  Claui>ki.,  Jacques  Copeau,  Dr  Alkonso  Costa, 
Louis  Dumur,  Gugglielmo  Ferrero,  Josk  di  Figubreoo, 
Paul  Fort,  Ada  Negri,  Oiuseppe  Prezzoli.m,  Tkixeira  de 
QuiEROz,  Auguste  Rodin,  Nicolas  Roubakinb,  I)r«  Roux 
et  Metchnikoff,  Comte  W.  van  dex  Steen  i»e  Jeiiay.  Igor. 
Strawlnsky,  Micuel  de  Unamuno,  K.mile  Vkrii.krkx. 


(CUché  MeoriMe.  ParUi 
En  Belgique. 
Inlérieur  de  l'église  de  Perryie  «prè»  le  bombArdement. 


C     mû 

3    ? 

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3 

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iClIché  dû  à  l'obligeance  de  M.  Withnay  Warrwi.) 
Arras.  —  L'Hôtel  de  Vitle. 


n    a 


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yCLiché  MvuriMe.  Paris 
Rbims.  —  Intérieur  de  la  Cathédrale, 


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II 


f 


(Cllchêdù  à  rohilgr.iiu.-  <l.    M    Wiilm.v   \N    rrcll} 
AnnAS.  —  Le  coin  tie  l'Ilûtrl  de  Ville. 


'^^^^P^^^^^^^^^^^^^B-fU 

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3. 

(Cliché  Ch.  Bcrtliclomier.  Paris.) 
YiMiES.  —  La   Tour  ilrx  Hnllfu. 


(Uiché  MeurikM.  Paris.) 
Rkims.  -  Intérieur  de  la  Cathédrale, 


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K'I 

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i 

(CUché  dû  A  l'obligeance  de  M.NVithnoy  Warren.) 
Ahras.  -  /.7/d/e/  </«  Ki7/e. 


(Cliché  dû  à  l'obligeince  d«  M  Wilhney  Warren.) 
Kg t lie  de  HeUtt'le-MaurupL 


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